Annexe 2. En guise de postface
Quelques notes sur la situation agricole du Nord-Vietnam en 1964
p. 389-414
Texte intégral
1Note des éditeurs
2Le document que nous présentons ici a été composé en trois étapes successives.
3René Dumont réalisa une étude de la Chine populaire aux mois de mars et avril 1964 à l’issue de laquelle il publia Chine surpeuplée. Tiers monde affamé (Paris. Éditions du Seuil, 1965). Au début de cette longue mission, il décida de faire un détour par Hanoï et redécouvrit avec une grande émotion la ville qu’il avait quittée trente-deux ans plus tôt dans les conditions déjà relatées dans l’introduction de cette réédition. Les grands bombardements n’avaient pas encore eu lieu mais le pays était de nouveau en guerre. Le premier ministre Pham Van Dong qui s’inquiétait de l’aggravation de la situation internationale le pria même de faire savoir aux Américains que, s’ils désiraient se retirer – ils étaient encore peu engagés en mars 1964 –, « on » serait prêt à faciliter leur départ et « on » ferait tout ce qu’on pourrait pour leur éviter de « perdre la face », une préoccupation qui n’est pas seulement asiatique. René Dumont put faire quelques tournées dans le delta du Fleuve Rouge et en rapporta des notes qui constituèrent le premier chapitre de son livre sur la Chine.
4Dès notre première proposition de rééditer La Culture du riz dans le Delta du Tonkin, René Dumont nous signalait qu’il souhaiterait inclure - par exemple « en guise de postface » – ce texte originellement intitulé « Au Nord-Vietnam : production 3 %, population 3,6 % » et qui portait la correction manuscrite de « 3,8 % » sur son exemplaire personnel. Ce sont les trois premiers paragraphes du présent document.
5Au cours de nos recherches bibliographiques à son domicile près de Paris, nous retrouvâmes dans une boîte de documents un texte imprimé sans lieu ni date qui n’avait encore jamais été répertorié. Une note de bas de page précisait que, « rédigées après une trop courte visite dans ce pays, ces notes ne [pouvai]ent représenter une étude réelle, mais seulement le rapide “coup d’œil” d’un observateur étranger » et que « ce texte destiné à ouvrir la discussion avec les collègues nord-vietnamiens, a[vait] été remis au Premier Ministre Pham Van Dong en mars 1964 ». L’auteur nous autorisait à reproduire ce texte dans son intégralité – c’est le corpus de cette annexe - et nous indiquait que c’était vraisemblablement ce qu’il avait écrit de plus probant sur le Vietnam des années I960. En outre, ces lignes avaient dues être complétées à la lecture de documents rapportés d’Asie ou connus seulement après son retour en France. Elles bénéficiaient donc, toujours d’après lui, d’un certain recul par rapport au terrain et d’une évidente réflexion.
6Persévérant dans nos recherches afin d’élucider la raison d’une telle typographie (l’hypothèse d’un texte non retenu par un comité de lecture de périodique était alléchante mais ne tint pas plus de quelques jours), il s’avéra que ledit papier avait été publié par deux fois :
- en 1965, sous le titre de « Problèmes agricoles au Nord-Vietnam » dans la revue France-Asie/Asia (n° 183, p· 41-60),
- et en 1971, sous un titre sensiblement différent, « Problèmes agricoles en République Démocratique du Vietnam » dans un ouvrage collectif dirigé par Jean Chesneaux, Georges Boudarel et Daniel Hémery, Tradition et révolution au Vietnam (Paris ; Éditions Anthropos, p. 385-412, Coll. “Sociologie et Tiers Monde”).
7Cela n’ôtant strictement rien à la valeur documentaire de cet écrit, nous avons tenu à le conserver ici sous son titre original et inédit de 1964. Nous l’avons complété de la postface qui apparaît aux pages 411-412 de l’ouvrage collectif de 1971, le reste du chapitre étant rigoureusement identique à l’article publié par France-Asie/Asia
8Ces trois textes ont été légèrement révisés par l’auteur et par les éditeurs pour des questions d’homogénéité typographique.
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AU NORD-VIETNAM : PRODUCTION 3 %, POPULATION 3,8 %1
Redressement très rapide au Nord-Vietnam (1955-59)
9Avant d’aborder la Chine, nous avons revu un pays qui se heurte aux difficultés de la construction du socialisme, aggravées par un surpeuplement plus marqué encore2. Nous avions travaillé dans la rizière « tonkinoise » de 1929 à 1932 ; mais le « milieu » colonial ne nous convenait guère.
10Après la famine non secourue de septembre 1931, dans ce Nghê-An qui avait été en révolte, nous ne pouvions moralement plus rester. A la fin de la guerre atroce, dans ce delta effroyablement surpeuplé du Fleuve Rouge, « notre » armée s’attaquait spécialement aux moyens de production, détruisant certains ouvrages hydrauliques et mitraillant les buffles : que l’on dut dresser – ce fut malaisé – à descendre en abris souterrains.
11Sur les 158 000 km2 de la fraction nord du Vietnam, encore arrêtée au 17e parallèle, environ deux millions d’hectares sont cultivés, pour une population qui approche probablement de vingt millions d’habitants au début de 1966 ; avec un croît annuel qui avoisinerait 3,8 % ! Ce pays frise ainsi deux records mondiaux, aussi peu désirables l’un que l’autre : celui de la densité par hectare de labour (dix habitants), comme celui du croît démographique (Philippines, 3,8 %).
12A ces deux handicaps s’ajoute celui d’une réforme agraire qui fut, en 1954-56, trop étroitement copiée sur le modèle chinois de 1949-52. Or les conditions étaient bien différentes. Une fraction seulement des paysans de Chine avaient été impliqués dans la guerre civile, et le Parti entendait que les autres fussent également complices de « l’annihilation en tant que classe » des propriétaires fonciers. Au Nord-Vietnam, chaque foyer paysan avait été, bon gré mal gré, impliqué dans la lutte anticolonialiste.
13Par ailleurs, dans un nombre de villages plus élevé qu’en Chine, les terres étaient réparties surtout aux paysans. Pour y trouver partout, selon les instructions du Parti, des propriétaires fonciers, il fallut attribuer cette qualification de classe même à ceux qui possédaient 1,5 ha : chiffre qui impliquait généralement en Chine le classement social de paysan moyen. Après jugements par les tribunaux populaires, et parfois exécutions, la rébellion du Thanh-Hoa en 1956, pour laquelle l’armée dut intervenir, incita à reconnaître publiquement les erreurs de cette politique. Même des résistants avaient été fusillés, qui durent être réhabilités.
14Malgré les traumatismes ainsi créés, l’enthousiasme révolutionnaire de la masse restait tel que la production agricole se redressa très rapidement. Certes la récolte de 1959 fut, ici aussi, surestimée : elle n’atteignit sûrement pas les 5,2 millions de tonnes de paddy annoncés. Mais elle dépassa sans doute 4,5 millions de tonnes : contre 2,4 millions, moyenne d’avant guerre. Ce rapide succès, engagea la gouvernement à établir les plans les plus ambitieux, prévoyant alors de récolter 7 millions de tonnes de paddy en 1965.
Le croît de production agricole se voit dépassé par celui de la population, depuis les coopératives
15Dès avant notre passage de mars 1964, il fallait déchanter. On ne parlait plus que de 7 millions de tonnes, valeur alimentaire des autres céréales et des tubercules incluse ; surtout maïs et patate douce, pour lesquels on faisait un gros effort. Car de 1960 à 1963, persistait une semi-stagnation des productions essentielles. Seuls le poisson d’eau douce et la canne à sucre, puis les légumes, et dans une moindre mesure le porc, continuaient une hausse très ou assez rapide.
16Mais la quantité de paddy disponible par habitant était en recul net. Ce que les difficultés climatiques, plus marquées en 1963 (sécheresse et typhons), ne suffisaient pas à expliquer ; puisque ce ralentissement se prolongeait déjà depuis quatre années. Le croît général de la production agricole ne semble plus atteindre, depuis 1959, et même en tenant compte du fait que cette année-là fut favorable, le taux de 3 % l’an : il ne suit donc plus le rythme de la population. Aussi la ration de riz comportait-elle généralement, en 1964, un tiers de maïs ou de manioc. Certes le paysan pauvre, ou le semi-chômeur tonkinois de 1931-32, ne mangeait pas de riz à longueur d’année ; l’abus des patates lui donnait souvent des maux d’estomac.
17Et il ne faudrait surtout pas sous-estimer les énormes réalisations culturelles du Nord-Vietnam, l’école généralisée dans tous les villages, la lutte contre l’analphabétisme, le développement de l’enseignement technique et supérieur, les efforts dans le domaine médical… Certains progrès, encore notables, peuvent être mentionnés en matière de logement rural ; et même en habillement, malgré le rationnement des textiles. Car en 1932-36 un autre mode de restriction jouait, l’extrême faiblesse du pouvoir d’achat paysan. Cependant le degré de disette alimentaire est indiqué par le prix du paddy sur les petits marchés libres de la campagne.
18Nous avons noté, au nord de la province de Thai-Binh, un dong3 le kilogramme de paddy « libre » vendu à 27 sous pour le quota obligatoire, et 40 sous pour la vente hors quota. Le riz décortiqué y valait 1,4 dong, tandis que la rémunération du jour de travail ne dépassait un dong que sur les meilleures des coopératives agricoles. Riz et paddy « libres » étaient interdits sur les marchés urbains, mais des ventes clandestines existaient, parfois même à un prix moindre qu’à la campagne ; car des très pauvres y revendaient leur ration pour se procurer quelque argent ! Dans cette capitale il n’était pas excessif de parler, pour certaines catégories de la population, de sous-alimentation.
19Si nous verrons qu’à long terme, en agriculture, un taux de croît de la production de 3 % devient vite inaccessible, à court terme il peut encore être dépassé. D’autant plus qu’en ce pays nous avons recherché en vain des erreurs graves de politique économique et agricole, un peu analogues à celles que nous venions de relever en U.R.S.S. et à Cuba, ou à celles que nous allions rencontrer en Chine. Rien n’a rappelé ici certaines extravagances du grand bond en avant et des communes chinoises du type 1958. L’impôt foncier, fixé par hectare d’après la capacité de production, et non comme en U.R.S.S. en proportion des quantités produites, incitait, bien mieux qu’au pays des Soviets, à accroître celles-ci.
20L’eau d’irrigation est heureusement payante au Nord-Vietnam, tandis que sa gratuité en U.R.S.S. pousse à son gaspillage. Les investissements d’État ont facilité, en s’ajoutant à l’effort des populations, un très rapide développement de l’irrigation ; et la création (plus modérée) d’industries de transformation, surtout sucre et thé.
21Les coopératives agricoles se sont surtout généralisées en 1959-61. Elles regroupent, au début de 1964, 87,7 % des familles paysannes. Et la proportion des « récalcitrants », 12,3 %, restait alors à peu près constante depuis trois années : dénotant une pression, moindre qu’en Chine l’hiver 1955-56, en faveur de la collectivisation. Une petite moitié (39,4 %) était rassemblée en coopératives socialistes, dites de type supérieur, où l’on ne payait plus la rente foncière ; elles groupaient souvent un village, entre cent et cinq cents familles, en moyenne moins de trois cents. L’autre moitié adhérait aux coopératives dites de type inférieur ou semi-socialistes, où subsistait la propriété individuelle du sol, donc la rente foncière ; réunissant un hameau, soit une cinquantaine à une bonne centaine de familles chacune. Il est très troublant de constater la coïncidence entre l’expansion des coopératives et le ralentissement du taux de croît de la production. Il ne s’agit pourtant pas de fermes d’État géantes, ou plutôt administratives, du type des granjas del pueblo cubaines que l’appellation de « supérieure » attribuée au type de propriété par le peuple tout entier – en opposition à la forme dite « inférieure », la propriété coopérative – a contribué à faire adopter de préférence par les dirigeants cubains. Ceux-ci ont sous-estimé, malgré nos avertissements, les difficultés résultant d’un passage immédiat, par certains aspects, au stade communiste. Nous retrouverons d’autres inconvénients dans la tentative chinoise de brûler les étapes, en 1957-58. Car l’unité de travail et de compte apparaît ici de dimension bien plus raisonnable ; et de plus heureuses dispositions ont été prises pour relier étroitement la rémunération à l’effort. On peut cependant invoquer une série de raisons aux difficultés actuelles. Le paysan, avec ses traditions séculaires d’individualisme, n’est pas habitué à travailler dans un cadre collectif, tout nouveau pour lui. S’il respecte en général les dirigeants du Parti, surtout à cause des souvenirs de la résistance et de la guerre, et dans l’espoir patriotique d’une proche réunification, ses dispositions d’esprit ne sont pas forcément celles de ses chefs. Après vingt-cinq années de privations, la famine de 1945, huit années d’une guerre très dure, et le ravitaillement qui ne s’améliore plus depuis 1960, au contraire, le peuple nord-vietnamien peut légitimement aspirer à souffler, à jouir en paix, tout en vivant mieux encore, de l’indépendance recouvrée4. Ce qui peut l’opposer à des dirigeants, à juste titre impatients des lenteurs actuelles, des retards du Plan. Car ceux-ci sont mieux conscients des dures exigences de l’intérêt national, qui impose un plus rapide développement. Les cadres des coopératives forcément improvisés dans des milieux peu cultivés manquent d’expérience, ce qui a amené des déficiences – reconnues – dans leur organisation, leur gestion, leur comptabilité. Ces cán bộ5 sont les moines du nouveau régime, dévoués corps et âmes, prêts à tous les sacrifices.
22Ils font souvent tout ce qu’ils peuvent, mais leur formation n’a pas toujours pu être suffisante, ni bien adaptée à l’extraordinaire complication de la gestion d’une exploitation agricole collective ; même si elle reste de dimension assez raisonnable. Nous verrons que l’unité d’exploitation chinoise, après avoir été beaucoup plus grande, a été ramenée au niveau de l’équipe, souvent plus petite encore que la coopérative nord-vietnamienne : ce qui suggère déjà l’utilité d’une décentralisation des plus grandes coopératives socialistes. Il semblerait meilleur de laisser les décisions de gestion quotidienne et la tenue des comptes au niveau de sa subdivision, la brigade, un peu homologue de l’équipe chinoise.
Le problème démographique domine celui de la structure politique
23Il faut d’abord briser la loi d’airain de la démographie, qui chaque année accumule un peu plus de femmes et d’enfants sur les mêmes rizières. Une fraction plus notable des hommes va enfler le secteur tertiaire – administration, parti et organisations parallèles, armée – plus que les usines, dont la vitesse de croissance reste forcément limitée. Il faudrait un bon million de tonnes d’engrais azotés, or on en dispose de cent mille : l’insuffisance de la fertilisation ne permet pas d’atteindre la pleine efficience de travaux hydrauliques si coûteux. Certes la réunification avec le sud, qui dispose de dix-huit ares de terres cultivables par tête et de possibilités d’expansion supérieures, réduirait, mais pour une ou deux décennies seulement, la terrible pression humaine sur le sol. Elle ne pourrait cependant résoudre ce problème à long terme, si l’explosion démographique se prolongeait durant cette même période.
24Le premier ministre Pham Van Dong, qui me reçut deux heures durant, après étude attentive du rapport que nous lui avions remis, compte beaucoup sur la mise en valeur de la moyenne région, où l’on trouverait environ un million d’hectares de terres dont la pente serait inférieure à 20 %, donc relativement accessibles. Mais les sols y sont généralement pauvres, et leur mise en valeur sera d’autant plus coûteuse qu’il faudra bien se préoccuper un jour de les protéger contre l’érosion : ce qui n’a généralement pas été fait jusqu’à présent, et ne laisse pas d’inquiéter.
25Le surpeuplement, et le taux, absolument insupportable à long terme, d’accroissement démographique, font jouer chaque année avec plus d’acuité la loi d’airain du rendement, moins que proportionnel du facteur travail ; et ceci, en grande partie du fait de l’insuffisance d’engrais, qui rend épuisante la multiplicité des cultures ; et de celle de l’équipement mécanique. Mais que ferait-on des innombrables bras trop vite libérés par une mécanisation à la soviétique ? Et les rendements n’en seraient-ils pas abaissés ? Il apparaîtrait donc insensé de laisser l’explosion démographique freiner, une génération durant, tout espoir d’amélioration rapide du niveau de vie. Le premier ministre Pham Van Dong, à qui nous exposâmes cette thèse, ne s’y est pas montré opposé. Mais aucun effort n’a encore été réalisé pour le contrôle des naissances d’après ce que nous savons.
26D’autres facteurs peuvent jouer. La faible productivité, liée à un taux élevé d’investissement, entraîne une très modeste rémunération du travail, ce qui n’encourage pas à l’accroissement de l’effort. Seules les meilleures coopératives, comme celles que nous avons visitées, donnent un peu plus d’un dong par dix points de travail ; et il faut en moyenne un peu plus d’une journée pour gagner ces dix points. Avec les tickets, un dong permet d’acheter de 2 à 2,5 kg de riz, suivant la qualité. Nous avons vu des équipes travailler avec une ardeur modérée ; le retard du repiquage du riz du cinquième mois, observé en mars 1964, ne pouvait vraiment s’expliquer s’il n’y avait eu aussi un certain manque d’intérêt pour le travail collectif. Et la sécurité, que procure le nouveau régime, n’incite pas à un travail acharné.
27Par ailleurs la multiplication des réunions politiques cause des pertes de temps. Ces méthodes d’endoctrinement, au dire des meilleurs amis du Vietminh, risquent de provoquer un certain abrutissement intellectuel. Dans certains cas, on juge plus les gens sur ce qu’ils disent que sur ce qu’ils font.
28Un fonctionnaire de Hanoï préférerait ne plus être payé, si on le laissait partir une fois son travail fait, qui lui demanderait à peine une heure par jour : cela lui permettrait de gagner plus au-dehors. Nous retrouvons dans tous les pays socialistes ces mêmes problèmes, aussi mal résolus, de la propagande, de la bureaucratie, du manque d’enthousiasme pour le travail collectif. Ils réduisent les avantages d’une économie pourtant mieux dirigée vers la satisfaction de l’intérêt général.
29Si le choix de la structure politique reste essentiel, cette confrontation avec le Vietnam nous permet de reconnaître d’une part, les difficultés de la construction du socialisme, qu’il serait désormais dangereux de continuer à sous-estimer ; et d’autre part, l’importance plus grande encore du problème démographique, capable à lui seul d’annihiler les efforts les mieux conçus.
NOTES SCHÉMATIQUES SUR L’ÉCONOMIE AGRICOLE DU NORD-VIETNAM
Situation agricole en 1964
30Réaliser le passage direct d’une économie coloniale à une économie pré-socialiste, puis socialiste, est un exploit très difficile, sur la base d’une agriculture archaïque6. De plus ce pays approche du record mondial de la densité d’habitants par km2 cultivé (un millier presque). Et il approche du record mondial de croit démographique, avec 3,4 à 3,6 % par an (Mexique et Philippines 3,6 à 3,8 %). Aussi faut-il saluer la très grande rapidité du redressement agricole, dans la phase 1954-59 : puisqu’en 1959 on aurait approché de 5 millions de tonnes de paddy (le chiffre annoncé de 5,2 millions aurait été surestimé ; comme celui de 1958, croit-on). Certes ce fut là une année climatiquement favorable ; mais le fait que depuis 1960 on n’ait jamais approché à nouveau ce chiffre souligne un net ralentissement de cette croissance agricole, qu’il nous faut comprendre.
31Si la moyenne officielle 1957-60 donne une disponibilité totale par tête (pas alimentaire, car il faut déduire semences, bétail, autres usages) de 295 kg de paddy, la moyenne 1961-63 n’atteindrait que 265 kg environ. Certes la surestimation 1958-59, si elle était confirmée, réduirait cet écart. Et les cultures sèches et industrielles ont connu un plus rapide progrès ; mais cependant il faut bien regarder les choses en face, et reconnaître que le Plan quinquennal a été, dans le domaine agricole au moins, trop ambitieux : tant pour les 7 millions de tonnes de paddy que pour les 2 millions de tonnes d’autres aliments. Même pour le total de ces deux catégories, ramené en 1963 à 7,1 millions de tonnes, celui-ci ne peut plus être garanti, en climat moyen, pour 1965 ; et pas plus, me semble-t-il, les 10 % de cultures industrielles, ni les 550 000 ha défrichés ni la « libération des épaules » slogan fort utile, mais prématuré pour sa date de réalisation effective.
32Cette surestimation des possibilités agricoles vers 1960, elle se retrouve en Chine en 1958-59, en U.R.S.S. en 1961 (plans pour 1970-80, dits de passage au communisme). Avec Charles Bettelheim, nous avions, la même année, fait preuve du même optimisme excessif à Cuba. Au delà d’un certain rendement, en l’absence d’une puissante industrie chimique, les progrès risquent de suivre la pseudo « loi du rendement moins que proportionnel ». C’est-à-dire qu’il faut plus de travail et de moyens de production engagés, pour obtenir un même accroissement de production, au delà d’un certain niveau de rendement. Un exemple concret peut en être cité avec la coopérative modèle Hung Dao7, huyện de Quynh-Côi, Thai-Binh, où nous avions noté, prévu pour 1964, cinq cents jours de travail à l’hectare de riz du cinquième mois, pour un rendement de 2 500 kg : soit 5 kg de paddy par jour de travail, ou vingt jours de travail humain au quintal : alors qu’en 1929-32, pour 13,5 qx/ha la somme de travail, à notre connaissance, n’atteignait jamais ce chiffre. Une enquête de M. Bui Huy Dap8, directeur des Recherches agronomiques, estime le temps de travail humain entre six jours et demi et dix-huit jours par quintal de paddy, soit en moyenne près de douze jours ; ce qui est très supérieur à ce que nous estimions trente-cinq ans plus tôt.
33Avant la révolution, on obtenait des productivités bien meilleures. Certes au premier stade il faut récupérer le sous-emploi ; mais au deuxième stade il faudra relever vite la productivité du travail. Ce faible rendement fait qu’actuellement encore, ce printemps 1964, en rizières comme en cultures sèches et industrielles, trop de travaux sont en retard, ce qui diminue beaucoup les récoltes.
34Une première conclusion se dessine déjà. Il nous paraît très risqué de promettre la réalisation à long terme d’un croît alimentaire annuel dépassant 3,6 %. Certes les plantes industrielles pourraient, dans une certaine phase limitée, aller plus vite. Mais promettre un taux de croît agricole qui n’a jamais été dépassé à long terme en pays socialiste me paraît dangereux. Si l’U.R.S.S. a progressé plus vite entre 1933 et 1958, cette rapide croissance venait après une longue période (et avant une période encore courte) de quasi-stagnation. Le taux de croît agricole soviétique 1945-64, quoique bien supérieur à celui de 1913-45 (à peu près nul) reste très inférieur à 3,6 % par an, d’après les documents officiels. Et l’U.R.S.S. a bien plus de moyens. La France progresse à 2,5 % l’an, depuis 1948.
35Or l’industrialisation socialiste exige de larges excédents agricoles : donc un croît agricole très nettement supérieur au croît démographique. Pour faciliter un rapide progrès, l’écart entre ces deux courbes devrait être d’au moins 2 %. S’il paraît difficile de dépasser, sur une longue période, les 4 % de croît agricole annuel, ceci nous indique que tout dépassement de 2 % du croît annuel démographique constituera un très sérieux obstacle au développement économique9. Il retardera l’industrialisation, donc le relèvement du niveau de vie ; ceci peut être accepté, pour des raisons politiques ; mais il faut en bien peser le coût économique.
Une série de mesures politico-économiques fort judicieuses
36Si l’on excepte cependant la phase de la réforme agraire, pendant laquelle on aurait recherché et condamné une proportion donnée de propriétaires fonciers, même dans les villages où dominait la petite propriété paysanne. Inutile de revenir sur ce fait, qui a pu cependant traumatiser un certain nombre de familles, même de résistants, injustement touchées. Mais depuis cette période la collectivisation, le groupement en coopératives agricoles, d’abord petites et de degré inférieur, puis de la taille du hameau et de degré supérieur, paraît avoir été menée ici avec la plus grande sagesse. Surtout si l’on compare avec la politique suivie en U.R.S.S. en 1929-33, dans les démocraties populaires en 1949-53, et en Chine en 1958 : la précipitation et parfois la contrainte n’y ont certes pas donné des bons résultats. Notons un autre semi-échec à Cuba10, qui a rejeté la coopérative pour la seule ferme « administrative » et démesurée.
37La taille des coopératives paraît bien adaptée aux capacités actuelles de gestion, pour les coopératives moyennes11. Au delà de deux cent cinquante à trois cents foyers, la complication devient généralement excessive. La division en brigades recevant toujours les mêmes champs, le même personnel, le même cheptel, apparaît une prescription très heureuse, qu’il importe de faire respecter partout.
38Une difficulté essentielle réside dans les normes de travail et dans la mesure des quantités fournies par chacun. Une autre difficulté, moindre qu’en U.R.S.S. car on est ici plus dense, vient du contrôle de la qualité du travail. Il semble que ces difficultés soient amoindries dans un groupement de petite dimension où chacun se connaît, où peut régner plus facilement un véritable esprit d’équipe. Ceci conseille d’adopter un jour, ici comme en Union Soviétique, l’autonomie économique de chaque brigade de production, qui serait ainsi rémunérée en fonction exacte de son travail propre. Mais cette mesure paraîtrait prématurée actuellement, car elle compliquerait le travail de la comptabilité. Le système des primes apparaît donc satisfaisant, à titre transitoire.
39Dans l’ordre de la fiscalité agricole, le Nord-Vietnam paraît avoir adopté la mesure la plus rationnelle, celle qui incite le plus à accroître la production. Avec un impôt proportionnel à la production, comme en U.R.S.S., celui qui cultive mal une terre riche paye peu d’impôts, et sous-utilise le patrimoine national. Et celui qui cultive bien une terre très pauvre, au prix de beaucoup de dépenses et d’efforts, en paie beaucoup : ce qui le décourage.
40L’impôt fixe et assez élevé par hectare, comme ici, laisse au contraire au producteur tout l’excédent au-dessus d’un certain seuil de prélèvements ; et ceci l’incite à accroître cet excédent. Une autre mesure heureuse est la taxe d’irrigation, car en U.R.S.S. l’eau qui est fournie gratuitement par l’État incite chaque kolkhoz au gaspillage, lui déconseille l’achat d’un système d’arrosage pas aspersion, qui économise l’eau : économie dont il ne tire aucun profit, alors qu’il doit payer la machine. Ici la coopérative qui paierait l’eau en volume aurait avantage à cimenter ses canaux d’irrigation, ce qui réduirait les infiltrations, donc l’excès d’eau à enlever en période de grandes pluies. Une mesure plus judicieuse encore serait un paiement de cette eau d’irrigation, pendant la saison sèche où elle fait défaut, proportionnel au volume d’eau consommé, et non plus à la surface irriguée. Ceci inciterait les coopératives à mettre en œuvre toutes les mesures propres à économiser l’eau ; et permettrait de desservir une plus grande surface, avec un même ouvrage d’irrigation. Ceci est surtout valable au Sud du pays, et plus encore et là où on utilisera l’eau accumulée en réservoirs.
Et pourtant il faudrait faire mieux
41Le très gros travail d’aménagement hydraulique est impressionnant ; l’important effort de recherche et de vulgarisation des techniques modernes, des instruments améliorés, l’accroissement des engrais, tout cela a donné d’abord de fort notables résultats et a ensuite permis de suivre très largement le croît démographique. Et cependant il semble y avoir un certain décalage entre l’importance de ces efforts et les résultats obtenus, surtout depuis 1959. Mais nous n’avons pas pu avoir tous les éléments nécessaires pour bien expliquer ce décalage : à part la routine paysanne, sa classique résistance au progrès.
42Il nous reste la possibilité d’émettre des hypothèses. La réforme agraire, malgré ses erreurs, a été accompagnée et immédiatement suivie d’un fort accroissement de production. La constitution des coopératives marque au contraire un net ralentissement de la courbe de progrès. Non pas que celles-ci n’apportent d’incontestables moyens, inaccessibles à l’individu, comme les moyens de lutte collectifs contre les aléas naturels. Mais nous avons vu trop de groupes de travail attendant les ordres pour se mettre au travail. Mais l’enthousiasme révolutionnaire est forcément inévitablement suivi, après tant de dures années, d’une certaine lassitude. Entre la volonté de progrès des dirigeants, parfaitement conscients des exigences du développement national, et le désir de bien-être de la masse, il est peut-être possible d’observer une certaine distorsion.
43Ensuite le travail en coopérative est une chose toute nouvelle, qui heurte forcément les traditions paysannes. Le désir de fournir l’effort plus intense, qui serait si nécessaire dans le cadre coopératif, n’est pas toujours aussi marqué qu’il devrait l’être. Le nombre de jours de travail par hectare de rizière, souvent compris entre deux cent cinquante et quatre cents, n’indique pas une grande intensité d’effort. Il peut y avoir parfois une certaine possibilité de relâchement, par rapport au travail d’avant, « chacun dans sa ferme ».
44Soulignons aussi que beaucoup de travaux assez durs restent confiés aux enfants parfois et surtout aux femmes ; tandis qu’on voit des hommes affectés à des tâches d’artisanat bien faciles, et manier la machine à coudre, ce qui apparaît choquant à des yeux d’occidental. Le travail des enfants est indispensable au stade actuel : il faut le proportionner à leurs forces ; des petites filles ramènent des charges d’herbes trop lourdes pour elles… La première organisation des coopératives ne peut pas être satisfaite, du fait d’un niveau des cadres insuffisants, par rapport à la tâche, si complexe et si difficile, qui leur est brusquement demandée. Ils ont tout à la fois à convaincre des gens parfois réticents des avantages de la coopération, et à accompagner celle-ci de progrès techniques, qui heurtent souvent la routine paysanne. Ils n’ont pas, pour se faire accepter plus aisément, l’intervention d’un nouvel outil mécanique à grande puissance, comme le tracteur. Les efforts actuels, dirigés vers l’amélioration de la gestion, sont donc de la plus grande importance. Mais il importe de les rendre vite plus fructueux. En l’absence d’engins mécaniques, il faut se servir plus largement encore de la capacité d’initiative et d’intelligence des paysans, des techniciens, des agronomes, des économistes, des administrateurs et des cadres du Parti.
45Encore faut-il laisser aux paysans plus d’initiative. Confier aux instances du Parti tous les postes de direction, comme nous l’avons noté dans certaine coopérative, n’est pas forcément une mesure heureuse.
Calcul de l’ordre de priorité des investissements : engrais d’abord
46Il faut raisonner les problèmes de la coopérative comme ceux d’une moyenne entreprise de production, car celle-ci en constitue une effectivement. Tout y est à faire, mais tout n’y est pas possible, tout de suite. Il faut donc commencer par les travaux les plus rentables, ceux qui ont le plus gros rapport par dépense engagée. Encore importe-t-il de ne pas faire ce calcul mécaniquement, car les meilleures solutions ne sont pas faciles à dégager par le simple calcul du rapport : capital engagé/production obtenue ; le problème est plus complexe.
47En région surpeuplée, cas trop général ici, le facteur rare est la terre ; tandis que la main-d’œuvre surabonde. Il importe donc d’abord d’accroître le degré d’emploi et le rendement par mẫu, même au prix, dont nous avons déjà cité un exemple, d’une faible productivité du travail. Car celle-ci sera toujours supérieure à la productivité nulle antérieure, celle du paysan sous employé en morte-saison agricole, ou du chômeur. En zones moins surpeuplées, le niveau de la productivité du travail importe plus, et c’est lui qu’il faut relever d’abord. Mais il faudra bientôt, le plus vite possible, une fois le plein emploi approché, relever la productivité du travail journalier ; car elle commande le nécessaire relèvement du niveau de vie, comme les possibilités d’accumulation. Dans ce sens, les efforts actuels pourraient souvent apparaître insuffisants à celui qui ne mesurerait pas exactement la difficulté de cette tâche.
48Certes la tendance de demain sera de diminuer la pression humaine sur la terre. Certes l’avenir du pays est dans l’industrie, par la diminution de population agricole. Mais cette diminution sera lente : même avec la grosse émigration actuelle vers les villes, la moyenne ou la haute région, cet exode sera longtemps bien inférieur au seul croît démographique rural. Le mẫu, le sào de rizière devront donc nourrir et employer utilement plus d’hommes, au moins pendant la décennie à venir. Ceci incite à épargner cette rizière, à en être plus avare qu’actuellement. Il faudrait donc chercher à construire plus en hauteur, au besoin sur pilotis de ciment ; et ne pas éparpiller une immense banlieue (Hanoi/Ha-Dong) qui exige trop de transports et d’infrastructure de communication. Le plus haut taux de profit est généralement obtenu par l’investissement intellectuel, chaque fois que les cadres techniques ont une bonne formation pratique et économique. Si la pratique semble souvent assez satisfaisante, il est peut-être hasardeux d’en dire autant de la formation économique, certes plus difficile. Il faut viser un optimum économique, qui n’est pas toujours facile à bien définir. Ce n’est pas toujours le plus haut rendement qui doit être visé, s’il en arrive à coûter trop cher, et à mobiliser des facteurs rares de production, qui seraient plus utiles et plus productifs ailleurs ; ou surtout s’il coûte trop de devises étrangères.
49L’organisation du travail permet bien des économies d’efforts, actuellement gaspillés. Un gosse de onze ans peut souvent tenir à la corde au pâturage deux buffles ou trois bœufs qui s’accordent. La semence sélectionnée est aussi hautement prioritaire, car elle coûte beaucoup moins que l’engrais et l’eau d’irrigation.
50Si utiles soient-ils, si efficaces, ces deux facteurs très coûteux n’ont leur pleine rentabilité qu’avec une très bonne culture, et un apport préalable de tous les autres facteurs d’une haute production12. Préparation soignée du sol et semences, sarclages et lutte accrue contre les insectes13, maladies et mauvaises herbes, apport des matières organiques (qui valorisent bien les engrais chimiques) ont donc la priorité économique sur l’irrigation et les engrais chimiques.
51Mais au Nord-Vietnam tous ces facteurs sont déjà en bonne voie de réalisation : ce qui rend plus urgent la fourniture largement accrue des engrais. Celle-ci est même indispensable pour mieux valoriser les coûteux travaux (en journées bénévoles, ce sont quand même des investissements) d’irrigation.
52L’apport d’eau et la multiplication des cultures, s’il n’y avait pas assez de fertilisants, conduirait même à l’épuisement des sols. Certes l’azolle, le fumier, les engrais verts (Sesbania, Crotalaria, etc.) peuvent, avec les phosphates, solubilisés ou non, soutenir ces rendements.
53L’azote est cependant, avec le phosphate, l’élément premier de la fumure tropicale, surtout pour le riz. Si on laboure et sème ou plante 3,5 millions puis 4 millions ha par an, il faudra en première étape 50 kg ; et en deuxième étape (avec variétés sélectionnées bien adaptées) 100 kg d’azote pur par hectare et par campagne. Soit 175 000 t d’azote pur pour 1975, et 400 000 t pour 1985 ; et cinq fois plus en tonnage pour des engrais à 20 % d’azote ; délais qui seront durs à observer. Il y faudra consacrer une part très élevée des ressources d’investissements : mettre la chimie au premier plan, même avant la métallurgie.
54Cela suppose une ré-appréciation des priorités industrielles, que l’U.R.S.S. accomplit ces dernières années avec de grandes difficultés, tant la routine des planistes peut être tenace ; et après un gros retard, dans ce domaine, sur le bloc capitaliste. Si la puissance de l’U.R.S.S. lui permet de faire certaines erreurs, on ne peut en dire autant ici.
Le tracteur serait prématuré : semi-mécanisation d’abord
55Le tracteur a été mis au premier plan de la révolution technique soviétique dès 1927. Il s’agissait d’un vaste pays dépeuplé, qui ne pouvait étendre assez ses surfaces cultivées (dans la très courte période qui sépare souvent les gels de la sécheresse) avec la seule traction animale. Au Nord-Vietnam de 1964, la situation est totalement différente. Il faut accroître les rendements au mẫu, avant de diminuer le travail humain nécessaire à la production : donc bâtir les usines d’engrais bien avant celles construisant les tracteurs et machines modernes de récolte.
56Accroître assez vite la productivité du travail, il est possible de le faire sans accaparer trop de devises, qui doivent être réservées le plus possible pour l’industrie. Ceci avec la généralisation de la traction animale, pour des travaux jusqu’ici confiés aux bras de l’homme. Quatre catégories de travaux, les plus exigeants de travail, sont ainsi susceptibles d’une semi-mécanisation immédiate, qui est prioritaire dans ces domaines.
57Les transports d’abord, dont on estime qu’ils accaparent plus de la moitié du travail agricole. Ici l’effort est bien dirigé, vers la charrette et la barque ; et même le vélo, remplaçant la palanche. La construction de vélos ruraux, spécialisés dans les transports, avec cadres renforcés, pour pouvoir porter de plus lourdes charges, pourrait être envisagée. Le cyclo-pousse de transport pourrait aussi être amélioré. Pour ces vélos, des sentiers plats sur diguettes permettraient d’amener les fumiers jusqu’aux champs et les récoltes jusqu’aux chemins, où circuleraient les charrettes à traction animale. Trop de charrettes sont tirées par l’homme, à côté de bœufs et buffles trop longtemps occupés à pâturer. Or il y a dans certaines régions une forte densité de bêtes de trait, en moyenne près d’une bête à l’hectare ; cinq fois plus que l’Europe de 1900, où les animaux assuraient une proportion plus élevée de travaux.
58Il n’y a pas manque de bêtes de trait, mais sous-utilisation, surtout par sous-alimentation. Un peu moins de bêtes mieux nourries permettrait d’obtenir plus de travail, de tirer toutes les charrettes et les barques par les animaux. Il y faudrait une certaine proportion de fourrages très intensifs, exigeant moins de travail que la coupe de l’herbe rase. Mais il y faudrait une décongestion humaine : l’excès de population va de plus en plus freiner les possibilités de progrès agricole. Même observation pour l’alimentation animale, qui exigera plus de surface par tête que l’alimentation végétale. Dans certains cas, des animaux de trait, inutilisés après le repiquage du cinquième mois, peuvent être prêtés pour la récolte des cannes à sucre des coopératives voisines, où le haut des tiges permettrait de les bien nourrir, de les « retaper ».
59L’élévation de l’eau est en cours de solution mécanique, pour les grandes stations, le pompage électrique, le réseau de canaux d’irrigation et drainage. Il restera cependant, pendant longtemps, la nécessité de multiples petites élévations. Pour celles-ci, on pourrait utiliser plus, en zones ventées, l’énergie du vent (ailes de coton sur armatures de bambou, comme les moulins à vent de Shanghaï essayés près de Haïphong). Ou l’énergie animale, comme en Inde, spécialement pour les fortes élévations, le pompage dans les puits (outres et poulies).
60La finition de la préparation du sol au maillet de bois, pour les cultures sèches, demande souvent jusqu’à cent jours à l’hectare, et parfois plus. Le rouleau en bois à pied de mouton, vu dans une coopérative près de Hanoï, résout fort bien ce problème, et n’utilise que des matériaux locaux : il mérite une vulgarisation très rapide. La sarcleuse japonaise à trois rangs et traction animale, déjà plus coûteuse en métal importé, mérite encore la priorité, car elle réduit le travail de quarante-cinq (jusqu’ici) à cinq jours à l’hectare et augmente les rendements. De même pour la batteuse japonaise, le tarare…
61Le problème de la moisson n’a pas, semble-t-il réalisé de grands progrès. Il s’agit cependant d’une pointe de travail excessive, très gênante, et qui risque d’entraîner de grosses pertes si le travail est en retard. L’étude de la faucille italienne en acier trempé, plus résistante que l’acier ordinaire, mérite d’être faite, notamment pour le riz versé. Quand on aura des riz acceptant plus d’azote et plus résistants à la verse (problème numéro un, à poser aux sélectionneurs), la généralisation de la faucheuse à barre de coupe se déplaçant latéralement et à traction animale, avec roues à pointes pour pouvoir y prendre la force en rizière boueuse, pourra être essayée puis envisagée. Ce sera plus facile ensuite, avec la faucheuse, à petit moteur auxiliaire, actionnant la barre de coupe sans prise de force sur les roues. Mais ce moteur est coûteux ; il doit être bien protégé.
Dans le Delta, le motoculteur Diesel, étape de demain
62Le tracteur ne paraît être intéressant, au stade actuel, que pour les travaux de défriche ou de mise en culture, qui seraient trop lents à la traction animale. Ou bien, là ou celle-ci manque encore. Avoir systématiquement mécanisé les fermes d’État, au nom d’un principe théorique, apparaît au stade actuel très discutable. Il faut cependant préparer la mise en œuvre d’une énergie mécanique, ne serait-ce que faute de place pour les fourrages ; et elle pourra sans doute intervenir économiquement pour le troisième quinquennat. Dans les plaines rizicoles à diguettes denses, le motoculteur serait plus indiqué que le tracteur, surtout s’il est à moteur Diesel très robuste, ne craignant pas la boue et la pluie ; car il diminuera la charge de bétail de trait et permettra de réserver les fourrages à la production de lait et de viande. Ce petit « tracteur à un axe » et à deux roues pourrait servir à la fois au travail du sol, avec des roues à pointe, des roues-squelettes ou des roues-cages, même en rizières argileuses14. Il pourrait circuler sur des diguettes assez larges, s’il ne dépassait pas 0,8 m de large, d’un bord à l’autre. Il devrait pouvoir tirer aussi les remorques sur route, à une vitesse supérieure. Et aussi actionner éventuellement une petite motopompe ; ainsi que la batteuse, le tarare ou la décortiqueuse, à poste fixe. La fabrication en série d’un tel motoculteur pourrait, après sa mise au point dans les conditions difficiles de travail du delta, être envisagée pour 1970. Il n’est pas trop tôt, dans ces conditions, pour commencer à l’étudier.
Quelques problèmes d’élevage, et une révolution alimentaire
63Il est possible d’obtenir plus de calories à l’hectare qu’en rizière, avec des tubercules ; la culture de ceux-ci peut largement s’étendre en dehors du delta ; ce qui permettrait de manger moins de riz. Mais ces tubercules15 apportent peu de protéines, sous forme de fécule ou de vermicelle. Il faut donc envisager, en parallèle à cette révolution alimentaire, d’accroître les ressources de protéines : soit végétales, comme le soja, l’arachide ou les autres légumineuses ; soit animales, comme les poissons, œufs, volailles et viandes. La pêche en mer a donné des mécomptes, le golfe est ici moins poissonneux que la côte du Cambodge et la conserverie de Haiphong n’est pas assez approvisionnée. Par contre la pisciculture en étangs, mares et rizières est en train de prendre un remarquable développement, du plus haut intérêt.
64La situation de l’élevage ne peut être considérée comme satisfaisante. L’élevage du porc progresse moins vite, et dans des conditions techniques très discutables, qui diminuent beaucoup sa productivité. Outre les maladies et parasites (qui font conseiller la construction d’aires en brique ou ciment, lavées tous les jours), les carences minérales et protéiques semblent les plus courantes et trop répandues. Ceci fait que les porcs consomment beaucoup plus d’aliments glucidiques qu’il ne leur faudrait pour atteindre le même poids. L’adoption de pierres à lécher (sels minéraux) devrait être vulgarisée plus vite par les coopératives. Ces progrès alimentaires sont nécessaires avant d’envisager la généralisation de races de porcs sélectionnées.
65La recherche de protéines économiques pour porcs est plus difficile. Les déchets de poisson et d’abattoir rendront quelques services. Il faut rechercher partout les feuilles riches en protéines, comme celles du bananier, bien plus intéressantes que les troncs, trop riches en cellulose. Et le bagasse de canne à sucre convient mieux aux ruminants, capables de digérer la cellulose, qu’aux porcs à qui on les donne parfois. Les feuilles de tubercules sont bien plus riches en protéines que les tubercules, et elles peuvent servir aussi à l’alimentation humaine. Dans les plantes aquatiques, l’azolle-fourrage est très prometteur ; surtout si son développement est soutenu par une fumure phosphatée. Ainsi le phosphate permet d’avoir plus d’azote.
66Pour les bovins et bubalins, il est temps d’implanter des fourrages plus productifs que la flore spontanée sur toutes les surfaces disponibles, comme les monticules et autres espaces libres, cimetières, versants des digues et des routes, etc. L’introduction en moyenne région d’une herbe à pâturer, la pangola de Cuba (Digitaria decumbens) pourrait être faite par des voyageurs rapportant des boutures de cette plante de ce pays en les maintenant un peu humides pendant le voyage16. Le jardin-fourrager à l’intérieur des villages, en terres fumées et irriguées, pourrait fournir un complément très riche en protéines, avec des pousses jeunes de l’herbe du Guatemala (Tripsacum laxum), qui existe déjà au Cambodge. En zones inondées l’été, l’herbe de Para (Brachiara) peut pousser même sous l’eau, et être alors récolté en barques. L’herbe à éléphant (Pennisetum purpureum) qui a battu à Porto Rico les records mondiaux de production de fourrage, mérite aussi un essai ; notamment en zones fertiles de la moyenne région, comme herbe à couper.
67Le cheptel de trait mieux nourri pourrait rendre bien plus de services. Il serait alors conseillé d’utiliser plus largement les bufflesses qui, avec supplément de ration, donneraient à la fois le travail et le fumier, mais aussi le lait et un bufflon. Les bâtiments actuels des fermes d’État ou des coopératives, porcheries et étables, semblent souvent d’un modèle périmé. Pour construire les fermes d’État, il ne paraît pas indiqué de s’adresser aux experts soviétiques, mais à ceux de France ou d’Allemagne Orientale, qui sont beaucoup plus à la page. En moyenne et haute région, l’élevage en stabulation libre des bovins et bubalins demande des bâtiments plus économiques et coûte beaucoup moins de travail de fonctionnement que l’étable classique, où les animaux sont attachés.
68Les coopératives bâtissent des « buffleries » collectives avec des murs très épais. Dans ce pays, le bâtiment le plus économique et le plus aéré n’a pas de murs latéraux, mais un toit reposant sur des poteaux ; avec des nattes de bambous pour couper les vents froids ou pluvieux, s’il y a lieu. Ces bâtiments coûtent moins cher de construction et de fonctionnement, car ils sont d’accès plus facile, tant pour l’affouragement, la litière, que l’enlèvement du fumier. Les services techniques devraient élaborer des plans-types économiques d’étables, porcheries et poulaillers, à l’usage des coopératives.
69Dans les conditions actuelles, avoir confié la responsabilité de chacun des animaux de trait de la coopérative à une seule famille paraît une très sage mesure : car la responsabilité est ainsi bien définie, on sait de qui dépend l’entretien correct de l’animal. Le passage à la bufflerie collective exige un très haut niveau de conscience professionnelle ; il n’est pas prudent de le précipiter.
70L’élevage de chèvres laitières, en troupeaux gardés, semble présenter de l’intérêt dans certaines parties de la haute région. Ne jamais les laisser en liberté, elles massacrent les arbres. Nous revenons sur ce point ci-dessous.
La définition d’une politique agricole et le degré d’autarcie
71Vouloir faire du Nord-Vietnam un pays qui serait seulement le pourvoyeur agricole du bloc socialiste et surtout de la Sibérie, serait rechercher délibérément le maintien de la faiblesse économique de ce pays. Le progrès essentiel viendra de l’industrie ; mais il faut le soutenir par l’agriculture. Celle-ci doit certes nourrir le pays, pour l’essentiel ; mais viser l’autarcie dans trop de domaines aboutirait à de gros gaspillages d’efforts.
72Le bloc socialiste manque absolument de zones tropicales ; en dehors de Cuba, qui est spécialisée dans le sucre. Il est donc possible d’y obtenir un écoulement avantageux des denrées tropicales qui conviennent le mieux au climat de ce pays. C’est pourquoi le café et le thé, qui peuvent valoriser les pentes même notables de la moyenne et de la haute région, et utiliser beaucoup de main-d’œuvre, ont un gros intérêt, tout comme le laquier. Le thé atteindrait une plus haute qualité en haute altitude ; ce qui conseille d’envisager bientôt un second foyer de culture, autour de Ha-Giang ou dans d’autres secteurs plus élevés. Une certaine menace pèse sur le marché de l’huile d’abrasin (tung) : il arrive que la Chine en écoule de grosses quantités à bas prix. Il faut rechercher les productions qui tirent le mieux parti des conditions naturelles, et aussi qui valorisent le mieux le travail surabondant.
73C’est pourquoi, sauf si elles donnent vraiment de beaux résultats, nous hésiterons à conseiller les cultures tempérées (à part les fruits) comme le blé, l’orge, le houblon. Une hésitation analogue est permise pour l’hévéa, dont on ne peut savoir à l’avance quels seront les rendements, sous 21° de latitude nord, où on ne l’a jamais cultivé.
74La concurrence du caoutchouc synthétique risque d’être de plus en plus difficile à soutenir (en février 1964, sa consommation a, pour la première fois, dépassé celle du caoutchouc naturel) ; dans cette compétition, seuls les gros rendements s’en tireront, comme ceux qui sont obtenus sur les meilleures plantations du Cambodge. En descendant de 2 100 à 700 kg/ha de caoutchouc sec, on fait plus que doubler le coût de production de la tonne.
75La même observation vaut, a fortiori, pour la Chine du Sud. Au Nord-Vietnam, cet argument est renforcé du fait que la réunification permettrait de ne développer cette culture que dans le Sud, où elle est évidemment mieux à sa place. De sorte que trop planter d’hévéas dans le Nord, tant qu’ils n’y ont pas fait leurs preuves, constituerait aussi une attitude pessimiste vis-à-vis des possibilités de réunification.
76En conclusion, si le Nord-Vietnam doit chercher à alimenter sa population pour l’essentiel, il lui faut aussi, pour s’équiper plus vite, accroître plus rapidement sa production exportable. La recherche effrénée de l’autarcie aboutirait à diminuer cette dernière, dans une mesure très supérieure aux économies d’importation qu’elle permettrait de réaliser. Le progrès économique passe par la division accrue du travail et la spécialisation, tant à l’intérieur du pays qu’au sein du bloc socialiste et de l’ensemble indochinois.
L’utilité d’experts étrangers
77Le corps d’agronomes vietnamiens a atteint un degré de qualification certain. Cependant, trop coupé de l’extérieur, il ne peut bien se tenir au courant des données les plus modernes, surtout en agriculture tropicale. Dans le bloc socialiste, qui ne comprend guère de terres tropicales, l’expérience de ce secteur fait largement défaut. Cuba connaît surtout la canne à sucre, les fourrages tropicaux et l’élevage bovin à viande. La Chine du Sud est très forte en matière de maraîchage. Et nous avons déjà souligné la qualification des Allemands de l’Est pour les bâtiments et le matériel agricole. A condition qu’ils sachent faire l’adaptation nécessaire aux pays chauds.
78Le Nord-Vietnam aurait avantage à profiter notamment de la présence, non loin de ses frontières, d’experts français qui pourraient, s’ils étaient demandés, lui rendre des services certains. C’est dans le domaine du caoutchouc, du coton, du cocotier et des forêts que les experts présents au Cambodge pourraient rendre de premiers services, par des courtes missions de dépannage, permettant d’éviter les erreurs les plus grossières. Plus tard, si (comme il faut l’espérer) de meilleures relations diplomatiques contribuent à créer un climat de confiance, des études plus approfondies pourraient être envisagées.
Essai de conclusion
79Les réalisations agricoles du Nord-Vietnam, dans la décennie qui suit la Libération, sont véritablement impressionnantes. Malgré cela, l’ampleur des difficultés dues aux conditions de milieu (surpeuplement, croît démographique excessif) et aux rapides changements de structure politico-économique les rendent encore insuffisantes. Promettre plus que le taux de croissance agricole actuel nous semble cependant risqué ; c’est pourquoi la réduction du croît démographique nous est apparue nécessaire. Une meilleure étude de gestion des coopératives, dans l’ordre économique, leur permettrait d’adopter un classement prioritaire plus rationnel de leurs investissements, ce qu’elles sont incapables de faire actuellement. La création d’un corps d’économistes ruraux, capables d’élaborer des plans de production et d’investissements basés sur les données du plan et aussi sur les notions de haute productivité, apparaîtrait fort utile.
80Depuis 1957, il y a eu extension des surfaces, mais les rendements n’augmentent guère. De nouveaux stimulants apparaissent donc nécessaires à l’accroissement plus rapide de la production agricole ; compter trop pour l’atteindre, sur la seule éducation idéologique, risquerait l’échec. Aussi faut-il examiner le problème des prix, non dans leur niveau absolu, mais exprimé en pouvoir d’achat de produits fabriqués. Le paysan produira plus le jour où il sera plus tenté par des boutiques plus abondamment garnies. Comme en Chine, on pourrait faire un effort spécial sur les produits de consommation les plus demandés actuellement par les ruraux.
81Quand les cours politiques se répètent trop, l’initiative à la base risque peut-être d’en souffrir. Certains pensent que les hommes sont jugés plus sur ce qu’ils disent que sur ce qu’ils font. Ce qui risque de développer une atmosphère de conformisme, qui ne serait pas exempte d’un certain laisser-aller. Dans ce domaine, nos impressions sont évidemment et forcément insuffisantes.
82Mais nous nous sommes cru obligés, pour répondre à l’aimable invitation du Comité d’État des sciences, d’aller jusqu’au bout de notre pensée, même – et c’est ici le cas – quand elle était fort hésitante. Aussi ne nous excusons nous pas de notre franchise ; elle constitue pour nous une obligation morale impérative.
NOTE COMPLÉMENTAIRE SUR LA MISE EN VALEUR DES MOYENNES ET HAUTES RÉGIONS
Cette mise en valeur est nécessaire et doit être prudente
83Nécessaire, indispensable, vu l’état de congestion démographique du delta, et la lenteur obligatoire du processus d’industrialisation : nul ne conteste l’urgence de cette mise en valeur des régions de collines et de montagnes, le bien-fondé des appels du Parti dans ce sens. La population industrielle d’un pays n’a jamais doublé en moins de huit années, ce qui limite pendant longtemps la capacité d’absorption de main-d’œuvre des usines. S’il y avait encore plus d’hommes dans le delta, où déjà joue la loi du rendement moins que proportionnel, celle-ci s’accentuerait, et la productivité du travail y serait encore plus affectée.
84La révolution agricole, qui diminue les céréales au profit de l’horticulture (légumes et fruits) et des plantes industrielles puis fourragères, est malheureusement freinée dans ce pays par la pression démographique excessive. Surtout la révolution fourragère, à laquelle on ne peut encore concéder le strict minimum de place pourtant requis. Les protéines animales seraient cependant les bienvenues.
85Si urgente et indispensable qu’elle soit, cette mise en valeur des zones hors des plaines ne doit pas, spécialement en régime socialiste, compromettre l’avenir de la nation, en abîmant la base de sa production agricole, son patrimoine foncier, ses sols. Or ceux-ci sont actuellement gravement menacés. Les plantations de laquiers ne protègent pas les sols : sur fortes pentes, ils sont ravinés très vite. Les cultures de manioc épuisent les réserves d’humus et de fertilisants et laissent aussi se développer l’érosion. Aussi certaines cultures sur forte pente (Kilomètres 23 à 25 après Viêt-Tri, à droite, sur la route de Phu-Tho) laissent-elles fort inquiet pour l’avenir de ces mamelons.
86La lutte contre l’érosion devrait accompagner obligatoirement tout défrichement, toute conquête de pente. C’est plus urgent encore que le reboisement. Et c’est là une notion toute nouvelle pour l’agriculteur du delta, qui n’y était pas exposé, sur sa rizière parfaitement horizontale.
87Les dispositifs à adopter sont fort variables, depuis la banquette à contre-pente parallèle aux courbes de niveau, jusqu’au talus de même direction mais plus important. Il y a aussi les plantations denses de bananes, réalisées en bandes étroites alternant avec des cultures annuelles (strip cropping), etc.
88Une autre précaution est de protéger le sol contre la rapide destruction par le soleil de ses réserves de matières organiques. Pour cela il faut le laisser le plus possible recouvert de végétation : arbres ou herbes de couverture ; ou végétation spontanée rabattue, si on a ménagé celle-ci.
89Le rabattage de ces plantes apporte des matières organiques produites sur place, donc sans frais de transport. Ou alors il faut procéder à l’apport de fumier, d’engrais vert, etc. Nous allons voir ce qu’il en est de ces nécessaires prescriptions dans les deux exploitations de thé visitées dans le même secteur de Phu-Tho, une coopérative et une ferme d’État.
Le thé sur une coopérative de Phu-Tho
90Il s’agit en majorité de plantations anciennes, de productivité généralement trop modeste, tant par hectare que par journée de travail. Les 10 kg de feuilles vertes récoltés par jour sont très faibles, comparés aux rendements de Ceylan, d’Assam ou du Kerala. Ces vieilles plantations sont sarclées, et trop mises à nu, jusqu’en juin-juillet : une plante de couverture ou le rabattage de la végétation spontanée serait plus prudent ; sur ce point la station de Phu-Tho est plus qualifiée pour conseiller efficacement.
91Par contre la plantation des jeunes théiers sur la défriche de trois maniocs de suite, avant la plantation du thé, est une pratique condamnable, de toute évidence : encore un mode de culture regrettable, épuisant, mais imposé par l’excès de croît démographique. Si la productivité du travail agricole en général était améliorée, on pourrait défricher tout à la fois : d’un côté pour le thé, de l’autre pour les cultures vivrières fumées. De la sorte, celles-ci ne compromettraient l’avenir de coûteuses plantations. Ces dernières ne devraient pas attaquer les trop fortes pentes : il semble imprudent de dépasser vingt-cinq degrés de pente, avec les techniques actuelles, encore bien imparfaites, de lutte anti-érosive.
92Les plantations expérimentales nouvelles, en lignes parallèles aux courbes de niveau, avec des pieds écartés de 1,5 x 0,3 m, donc en haies, ont donné des rendements très élevés, jusqu’à 2 t/ha en feuilles sèches dès l’âge de trois ans. Il y a donc intérêt à renouveler le plus vite possible les plantations âgées, en commençant par arracher les moins productives. Sur les pentes modérées au moins, la pratique chinoise de deux lignes jumelées ; écartées de 40 cm, formant une seule haie plus large, paraît intéressante. La pratique de plantations en courbes de niveau devait être désormais imposée aux coopératives. Il semble y avoir intérêt à mieux établir ces lignes de plantation, et à leur donner une très légère pente, mais très précise, par rapport à l’horizontale.
93Sous cette forme coopérative, les investissements nécessités par les plantations ne coûtent guère à l’État ; mais ils ne se développent pas assez vite. Il y a d’autant plus besoin de les accélérer que l’usine à thé de la région, prévue pour traiter 3 000 t de thé sec par an, n’en a pu faire que 8001 en 1963, faute de matières premières. Étant donné les larges possibilités d’exportation, il y a intérêt à pousser plus vite les investissements des plantations coopératives : par exemple, en les favorisant par des avantages fiscaux, qui s’ajouteraient à l’effort idéologique.
La ferme d’État de thé de Phu-Tho
94Elle me paraît trop exactement copiée sur le sovkhoz soviétique : et cela dans des conditions socio-économiques pourtant tellement différentes donc appelant d’autres solutions, si l’on cherche la meilleure rentabilité ou productivité des investissements d’État. D’abord la proportion de traction mécanique (plus de vingt camions et voitures, dix tracteurs de 54 et 100 C.V., deux bulldozers, etc.) apparaît excessive, vu leur coût en devises et leur très probable sous-emploi. L’équipement mécanique d’usine peut tourner toute l’année ; il n’en peut être de même en agriculture. Les cent cinquante buffles de cette ferme pourraient être accrus, en compensation ; comme la proportion de femelles de ce troupeau ; ce qui permettrait de la renouveler sur place, et d’exporter des bêtes de trait vers le delta.
95Ensuite la dimension de la plantation est nettement excessive, surtout par rapport à la capacité de gestion rationnelle des dirigeants actuels. Six mille hectares, dispersés en plusieurs pièces, séparés par les rizières des coopératives, s’étalent sur plus de 25 km, ce qui rend difficile la direction et le contrôle effectif d’un tel ensemble. Il nécessite déjà trois mille travailleurs ; et il en faudra près du double vers 1965 avec 3 000 ha alors plantés et en plein rendement. Ceci apparaît trop lourd à gérer d’un seul point de commandement. Le sovkhoz soviétique moyen, ne l’oublions pas, ne dépasse pas un millier de travailleurs ; et s’il s’étend parfois sur de très grandes surfaces, son système de culture est infiniment plus extensif – même en Géorgie.
96Dans tous les pays socialistes, les fermes d’État exigent de la collectivité des dépenses excessives, par rapport aux résultats obtenus. Ici l’on en est déjà à trente millions de dong, dont seulement 4,5 millions pour les dépenses de plantations directement productives (3 500 dong x 1 300 ha). Certes il fallait des routes et des bâtiments, mais on a trop dépensé en matériel. D’autant plus que cela n’a pas dispensé d’une très forte densité de main-d’œuvre. On a dépensé trois millions en 1963, sans aucune plantation nouvelle ; mais les manquants, dont nous avons souligné la probable importance, ont été remplacés sur 200 ha.
97Comme en U.R.S.S., la ferme d’État reçoit ici toutes ses dépenses d’investissements du budget : ce qui n’encourage nullement à les diminuer, à économiser sur ces dépenses. Personne n’y a intérêt, puisque les primes sont données pour le dépassement du plan de recettes, et non pour la diminution des dépenses. Tous les calculs économiques sont faussés du fait que ces dépenses d’investissements ne comportent aucun intérêt17. Il est de la sorte impossible de savoir si une ferme d’État est réellement bénéficiaire. L’État ne peut donc déterminer avec précision dans quel secteur (culture ou région) il aura le plus de bénéfices à investir dans l’avenir.
98En l’absence d’un contrôle économique réel, on dirige ces fermes d’État à partir de la capitale, ce qui en U.R.S.S. n’a pas donné de bons résultats. Ceux-ci sont meilleurs depuis que dans ce pays on a rapproché la direction du lieu de travail, dans les mille cinq cents « directions territoriales sovkho-kolkhoziennes ». Il faudra un jour envisager une telle mesure ici : diriger de la province. En attendant que ce soit possible, il nous semble utile de rétablir l’intérêt des investissements. On pourrait le compter à 2 ou 3 % pour les dépenses d’infrastructure (routes, défrichements, bâtiments), et à 5 ou 6 % pour les frais de plantations, achat de cheptel, matériel et autres dépenses directement productives. Actuellement on ne paie l’intérêt que sur les fonds de roulement d’une campagne agricole.
99Le fait que le directeur du sovkhoz ignore le prix de vente moyen de son thé prouve qu’il ne porte guère d’intérêt aux problèmes économiques. La qualité de sa gestion en est forcément affectée, car ce n’est jamais un problème de technique pure. Le jour où ses crédits dépensés porteraient intérêt, et où sa rémunération dépendrait des bénéfices, et non plus des recettes brutes, il serait amené à s’en occuper, et à raisonner de la sorte plus sainement, à chercher activement à réduire ses dépenses.
100La plantation d’un hectare de thé coûtant 3 500 dong, est amortie en cinquante ans, soit 70 dong par an. S’il y avait en plus une charge d’intérêt à 6 %, les frais annuels (qui seraient alors les charges réelles) seraient accrus de 210 dong : donc quatre fois plus élevés. Faute de les compter, on va bientôt récompenser des bénéfices artificiels, non réels. Cela ne veut pas dire que les déficits de sovkhoz sont totalement inacceptables. Mais il importe au plus haut point de pouvoir les mesurer très exactement, pour savoir où l’on va.
L’avenir de la haute région
101On a calculé que le pays disposait d’environ un million d’hectares à défricher, en comptant comme cultivables les terres assez épaisses, de pente inférieure à 20 %. Mais la situation démographique va bientôt obliger à mettre en valeur même des pentes plus fortes, et il ne faudra pas les abîmer. Ce qui exigera de mieux étudier et raisonner, techniquement et économiquement, cette mise en valeur.
102Reboiser en forêt des pentes modérées, comme sur la route Phu-Tho/Tuyên-Quang, ne paraît généralement pas raisonnable. Sauf pour buts d’expériences, il vaut mieux réserver à cette forêt artificielle de demain les plus fortes pentes – nous n’avons pas dit forcément les plus mauvaises terres. S’il y a peu de routes pour y accéder aujourd’hui, il y en aura plus lors de l’exploitation.
103Le thé peut fort bien valoriser les pentes moyennes, comme le café arabica et certaines productions fruitières. Mais si ces dernières sont exportées à l’état frais, comme les bananes et les ananas, il y a intérêt à les rapprocher le plus possible du port d’exportation. Les fruits seront plus frais et coûteront moins de transports.
104Les bananes pour l’export sont ainsi, en gros, mieux à leur place autour de Kiên-An que près de Phu-Tho. Cette région peut par contre ravitailler Hanoï en fruits, très largement.
105Le coût élevé du transport des régions les plus éloignées devient plus admissible s’il s’agit de produits de grande valeur au kilogramme, comme la fibre de coton du Nord-Ouest, ou le futur thé de la région de Ha-Giang. Certains vergers peuvent alimenter des usines de conserves. Nous insistons pour pousser surtout les futures plantations de thé en haute altitude, notamment près de Ha-Giang, dès que l’usine de Phu-Tho aura trouvé son plein emploi. Car si la Géorgie récolte une partie de ses feuilles mécaniquement, l’économie de travail ainsi réalisée est payée par un fort abaissement de qualité. La main-d’œuvre experte du Nord-Vietnam verra le même geste de cueillette mieux payé en altitude, où l’on pourra rivaliser avec les meilleures qualités de la Chine, de l’Inde et de Sri Lanka.
Insister sur l’élevage et les arbres fourragers
106Ces fortes pentes, il est impossible de les labourer sans danger, et il n’y faut pas trop établir de forêt à bois : car le bois est la denrée qui produit par unité de sol le moins de richesses et qui exige le moins de travail. Mieux vaut continuer à acheter même une partie des bois, mais exporter plus : il faut à la fois protéger le sol et produire plus, donc rechercher des arbres plus hautement productifs, plus gourmands de travail. Outre les plantations connues, les arbres fourragers peuvent bien valoriser les fortes pentes. Il faut donc axer les recherches sylvicoles dans cette direction. Ceci sera valable surtout avec des chèvres laitières, qui ont un lait riche en protéines, de plus en plus apprécié, largement surpayé aux États-Unis. Le fromage de chèvre est un article de luxe, qui pourrait être écoulé avantageusement en U.R.S.S. Plus intéressante, tant pour la consommation locale que pour l’exportation, apparaît donc la poudre de lait de chèvre, de grande qualité pour les enfants, mais son transport sous froid serait coûteux.
107La matière grasse animale est beaucoup trop chère, et de valeur hygiénique largement discutée. Dans les surfaces agricoles nécessaires pour nourrir un Européen de l’Ouest, le beurre et le bifteck en exigent environ 40 % à eux seuls. Ce sont des denrées de luxe pour l’Asie du Sud-Est surpeuplée. Les graisses végétales sont à la fois meilleures pour la santé et beaucoup plus économiques. Le lait de bufflesse est donc la solution d’aujourd’hui ; mais il ne paraît pas la solution la plus économique, la plus rationnelle de demain.
108L’arbre donne généralement, dans des conditions analogues, beaucoup plus de fourrages que les plantes annuelles ; et il pousse bien sur les plus fortes pentes, qu’il protège. Le bambou qui entoure les villages du delta, s’il était d’espèces à feuilles fourragères, comme celles de la Station d’élevage de Mamou en Guinée, aiderait beaucoup à nourrir le cheptel de trait, avec moins de travail que la coupe d’une herbe trop rase, qui viendra bientôt à manquer.
109Enfin les fortes pentes peuvent être établies en prairies artificielles à pâturer. En zones d’altitude moyenne, le Pangola de Cuba et le Melinis minutiflora peuvent être essayés ; avec l’herbe de Para, pour les vallons humides. En zones plus élevées, le Cynodon dactylon ou herbe des Bermudes peut être essayé ; avec des espèces fourragères d’origine tempérée, à partir de 1 200 ou 1 500 m d’altitude. Les bovins pâtureraient les pentes moyennes et les chèvres, plus agiles, les pentes les plus fortes.
Dernier essai de conclusion
110Le Nord-Vietnam doit moderniser son agriculture dans les conditions les plus difficiles : effort ardu, qui mérite d’abord d’être salué. Ce qui oblige à marcher sur deux jambes, comme on dit en Chine, donc à rechercher des solutions de semi-progrès, de modernisation progressive, par étapes ; à mesurer des possibilités d’accumulation du capital. Le vélo sert déjà au transport sur route : un réseau de diguettes cyclables accroîtrait largement ses possibilités. La pompe à main élevant l’eau d’une mare dans un fût placé à 2 m de haut, sur une plate-forme de bambou d’où partirait un tuyau de plastique, dispenserait du pénible trajet en portant l’arrosoir.
111L’institut de recherches sur l’industrie sucrière de Luknow en Inde a mis au point une série d’ateliers artisanaux de sucre brut, passant progressivement à l’usine de sucrerie : chaque étape restant économique. L’institut sur la nutrition de Mysore fabrique des pâtes à base de farines de manioc, de blé et de tourteaux d’arachide (qui apportent l’azote). La bagasse peut être utilisée comme litière. Et le collier d’épaule fixé derrière le joug de garrot, permettrait à l’animal de tirer plus sans être incommodé, etc.
112Ces quelques exemples sont destinés à montrer que le Nord-Vietnam doit rechercher ses solutions techniques propres, car son cadre technico-économique est original. Il se rapproche beaucoup de celui de la Chine, mais en climat purement tropical, ce qui change tout. En tout cas des différences fondamentales obligent à repenser chaque problème, chaque système de culture, chaque geste de travail. Et surtout à ne pas copier servilement les solutions des pays dépeuplés (U.R.S.S., U.S.A.) et même semi-peuplés et développés (Europe). Puis à ne pas prendre toujours comme vérités valables sous les tropiques les données d’une agronomie élaborée jusqu’ici surtout en climat tempéré. Déjà le Nord-Vietnam a fait un gros effort d’originalité. La recherche des protéines végétales (soja, arachide, etc) doit être plus poussée encore. Et c’est surtout en matières de fourrages et d’élevage que, par les plantes aquatiques, les tubercules et les arbres fourragers, on peut élaborer ici des solutions originales du plus haut intérêt.
113A condition d’aborder les recherches avec l’esprit scientifique, en tenant compte de toutes les expériences étrangères, mais en cherchant à adapter les solutions aux possibilités économiques réelles, au surcroît de main-d’œuvre, au cadre si original et si intéressant de ce pays.
114Les pays socialistes, dans leur ensemble, ont jusqu’ici bien mieux réussi en industrie qu’en agriculture. Le Nord-Vietnam peut donner un exemple de modernisation agricole relativement plus efficace, compte tenu des difficultés. Car jusqu’ici il a su évoluer avec un harmonieux mélange d’audace et de prudence. Nous lui souhaitons de réussir pleinement. Il le peut.
POST-SCRIPTUM DE DÉCEMBRE 1970
115Depuis que ces notes ont été écrites, en 1964, les Américains ont systématiquement détruit les installations industrielles, les ouvrages d’irrigation, les routes, les villages et les villes du Nord-Vietnam, d’une façon criminelle. Jamais génocide et destruction de l’écologie n’avaient été entrepris de cette manière, à cette échelle. Mais nos amis Vietnamiens ont magnifiquement résisté. Certes la production agricole n’a pas augmenté beaucoup, mais le fait que les destructions ne l’aient pas effondrée est tout à fait remarquable. Les violences ont suscité en réponse l’ardeur au travail de la population ; les cadres des coopératives ont sensiblement amélioré leur travail de direction.
116Les dernières nouvelles, celles de la récolte du cinquième mois de 1970, sont spécialement encourageantes. Les nouveaux riz des Philippines ont donné des résultats remarquables et l’objectif des cinq tonnes à l’hectare a parfois été dépassé dès la première récolte. Le cap des plus grosses difficultés résultant de la collectivisation semble avoir été franchi avec succès. Nous nous en réjouissons. Ajoutons enfin que le contrôle des naissance, décidé en 1969, est réalisé avec un rapide effet.
Notes de bas de page
1 Publié avec l’aimable autorisation des Éditions du Seuil.
2 Sans oublier une guerre atroce, que l’Occident prolonge pour une seconde fois, sous des prétextes fort discutables.
3 Le dong, qui vaut 1,40 franc au change officiel en 1964, est divisé en 100 sous.
4 Écrit avant les bombardements américains de 1965. Si ceux-ci détruisent les digues du Fleuve Rouge et les ouvrages hydrauliques, ils encourront la réprobation de toute la paysannerie asiatique.
5 Agent d’encadrement, commissaire [NdÉ].
6 Pour plus de détails sur les difficultés agraires les plus fréquentes en pays socialistes, voir nos deux récents ouvrages, parus en février et avril 1964 aux Éditions du Seuil et intitulés : Sovkhoz, kolkhoz ou le problématique communisme et Cuba. Socialisme et développement.
7 Héros vietnamien, contemporain du haut moyen âge.
8 Cf. la revue Khoa Học Kỹ Thuật Nông Nghiệp, n° 3,1964.
9 On pourrait démontrer cela autrement. Si l’on voulait relever le niveau de vie de 4 % l’an avec un croît démographique de 3,6 %, il faudrait un croît de production de 8 % l’an ; ce qui exige souvent 3,5 fois plus d’investissement ; ou encore 28 % du revenu brut à investir ; c’est trop, au niveau actuel de production. Cf. à ce sujet Révolution industrielle et sous-développement par P. Bairoch (Paris, Sedes, 1963).
10 Voir à ce sujet nos deux derniers livres, cités au début de ces notes.
11 Notons que la taille optimum dépend surtout de la capacité de gestion des dirigeants. L’un s’en tirera fort bien avec cinq cents foyers et l’autre fort mal avec trente foyers. La surface cultivée optima par coopérative dépend du degré d’intensité de culture et diminue avec elle.
12 Ceci apparaît actuellement sous-estimé en U.R.S.S., où l’on tend à mettre chaque fois trop d’accent sur un seul facteur de production, alors qu’il faut les faire avancer en parallèle (terres vierges, puis maïs, labour des prés, et maintenant engrais).
13 Les rendements insuffisants du coton sont surtout dus à une lutte insuffisante contre les insectes. Cette lutte exige à la fois Endrine et D.D.T., employés à temps. M. François, spécialiste de l’Institut de recherches pour les cotons et fibres tropicales, étudie actuellement ce problème au Cambodge où l’on a atteint, en 1960, le rendement moyen de 1 650 kg/ha de coton-graine. Depuis, le parasitisme plus virulent a réduit les rendements, qui restent cependant très supérieurs à ceux du Nord-Vietnam. La culture du coton semé en juin dans le nord-ouest de ce pays, récolté en saison sèche, permettra d’obtenir des fibres de qualités très supérieures.
14 Consulter à ce sujet la Stazione Sperimentale de Risicoltura à Vercelli (Italie). Un récent ouvrage pratique de riziculture tropicale par Jean Paul Dobelmann, La Culture du riz dans le Nord-Ouest de Madagascar, peut être demandé à la Station agricole de Marovoay, province de Majunga, République malgache. Voir les roues-squelettes et roues-cages du tracteur Renault, et aussi leur utilisation pratique, dans le livre de J. P. Dobelmann.
15 Le manioc se vend 9 sous/kg, le bois de chauffage 7 sous/kg ; ce qui explique la désaffection paysanne pour cette culture.
16 L’agronome cubain Alonso Olive, de la station de Santiago de Las Vegas, pourrait rendre les plus grands services pour les cultures de canne à sucre, café arabica, la pangola et l’élevage bovin, s’il venait ici en mission d’études.
17 Voir pour plus de détails mon livre sur l’agriculture soviétique. La suppression de l’intérêt a été conseillée par Boukharine en 1920, et on a du mal, en U.R.S.S. à retrouver les lois économiques, encore valables en régime socialiste, qui furent à l’époque niées en bloc.
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