Annexe 1. Étude d’une grande exploitation rizicole de la province de Bac-Ninh dans le Delta du Tonkin
p. 351-388
Texte intégral
Note des éditeurs
1Au cours de l’année 1930, René Dumont publia plusieurs articles au Bulletin économique de l’Indochine édité par le gouvernement général de Hanoï et largement ouvert au agronomes de l’Office Indochinois du riz et des services agricoles régionaux. Son tout premier article à caractère appliqué, « Observations rizicoles au Tonkin »1 fut l’occasion de peindre un tableau assez complet d’une grande exploitation rizicole de la province de Bac-Ninh. La concession de M. Vu Van An qui tenait également un commerce à Hanoï, était sise au village de Yên-Lang, à dix kilomètres au nord-ouest du chef-lieu de province et à une trentaine de kilomètres à l’est de la capitale tonkinoise. Le jeune agronome y travailla longuement afin de mettre place et de suivre dix-huit parcelles d’essais d’application d’engrais en rizière lors des deux campagnes du dixième mois 1929 et du cinquième mois 1929-19302. Par la suite, il profita grandement de l’expérience de cet agriculteur qu’il cita à plusieurs reprises dans La Culture du riz dans le Delta du Tonkin, notamment en matière de variétés de paddy et de technique de « dépiquage du riz au tracteur »3
2René Dumont ne coopéra d’ailleurs qu’avec deux riches propriétaires terriens, le second ayant une exploitation sur les lais de mer près de la mission catholique de Phat-Diêm dans la province de Nam-Dinh à la frontière du Thanh-Hoa. Cette dernière collaboration fut éphémère – moins d’une semaine – puisqu’elle ne se prolongea pas au-delà du repos hebdomadaire que l’ingénieur ne mit point à profit pour assister à l’office dominical.
3Dans ses « Observations rizicoles », René Dumont se livra assez systématiquement à une analyse comparée des coûts approximatifs des travaux effectuées le plus souvent manuellement avec les outils traditionnels (« charrue annamite », « appareils annamites d’élévation de l’eau », battage par percussion, etc) et mécaniquement avec des outils importés (tracteur, motopompe, batteuse japonaise, etc.). La démonstration fut nettement en faveur des derniers et il alla même jusqu’à préconiser le repiquage en ligne à l’aide de traîneaux tirés par des bœufs par exemple. Cette approche qu’on pourrait qualifier de « mécaniste » ou de « productiviste » après coup – elle était simplement « moderniste » à l’époque – doit bien évidemment être comprise dans le contexte d’une très grande ferme. Egalement digne du plus grand intérêt est la description que le chercheur fit d’un petit haut fourneau utilisé pour la fabrication de socs de charrues locales.
4Par le sujet abordé – une grande exploitation – et par les conditions de travail qui transparaissent entre les lignes – un dialogue à égalité et une coopération réelle avec le propriétaire –, ce document est un excellent complément de La Culture du riz dans le Delta du Tonkin Il est reproduit ici en intégralité à l’exception de la signature « R. Dumont, Ingénieur Agronome, Ingénieur-adjoint des Travaux d’Agriculture » et de trois passages très proches de ceux du livre de 1935. Il s’agit des paragraphes « Travail effectué » dans la partie « Préparation du sol à la charrue annamite », « os calcinés » et « Déchets de la fabrication du nu’ó’c mắm » dans la partie « Autres engrais locaux employés », et de la fin de « Séchage du paddy » dans la partie « Travaux de récolte ».
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5Ces études ont été faites essentiellement sur une exploitation de la province de Bac-Ninh, située dans une boucle du Sông Câu, dont les alluvions anciennes et récentes ont formé le sol et le sous-sol. Cette concession est exploitée partie en fermage et partie en culture directe ; elle est réunie par route à Bac-Ninh, où passe la voie ferrée, et par eau, grâce au Sông Câu à Haiphong, ce qui permet des transports économiques.
6On y relate aussi les observations faites au cours de tournées dans quelques autres fermes rizicoles du Delta tonkinois.
LE FERMAGE DANS L’EXPLOITATION DE BAC-NINH
7Il y a deux catégories de fermiers qui ensemble mettent en culture 1 000 mẫu en moyenne (360 ha) à chaque campagne :
d’abord ceux qu’on appelle les « fermiers des villages » qui sont souvent de petites autorités communales : lý tru’ó’ng, adjoints, notables des villages voisins. Ceux-là sont eux-mêmes propriétaires, souvent de trois, quatre ou cinq mẫu de rizière. Ils demandent des terres en métayage pour eux ou des membres de leur famille. Ils moissonnent sans contrôle et viennent livrer leur redevance de paddy quand la moisson est terminée, on leur fait confiance.
les fermiers « sans garantie » non propriétaires sont pour beaucoup d’anciens ouvriers ayant travaillé un ou deux ans, parfois plus, sur la concession. Quand ils ont économisé une cinquantaine de piastres, ils se mettent fermiers. L’exploitation perd ainsi ses meilleurs ouvriers, mais y gagne de bons fermiers. Ceux-là doivent livrer le paddy au fur et à mesure de la moisson ; au début ils reçoivent, signée du propriétaire, la permission de couper quelques parcelles, puis ils n’ont le droit de continuer la moisson que s’ils ont déjà versé dix phu’ o’ng de riz par mẫu coupé4.
Contrat de fermage
La terre est louée sept phu’o’ng le mẫu (8501/ha de paddy) sauf pour les terres exceptionnellement riches, louées dix phu’o’ng. Ce prix s’entend par campagne rizicole, il est payé deux fois en cas de terre à deux récoltes ;
Un buffle est loué à raison de dix phu’o’ng par an. On estime ici qu’il faut en moyenne un buffle pour cultiver dix mẫu ;
Un phu’o’ng de paddy de semence prêté est remboursé par un phu’o’ng et demi à la récolte ;
Si le fermier le demande, ses terres sont irriguées par motopompe, l’irrigation lui est comptée 1,5 $ par mẫu pour la première irrigation, la plus abondante car la terre est sèche, et 1 $ les irrigations suivantes. En 1929, au cinquième mois les rizières n’ont reçu qu’une ou deux irrigations, mais normalement il faut en compter trois ; en 1930 il en faudra plus (peut-être cinq) ;
Lors des périodes de grands travaux (repiquage et surtout moisson) chaque fermier est tenu de fournir à la concession un ou deux travailleurs qui sont payés et nourris dans les mêmes conditions que les travailleurs du dehors (pendant la moisson du cinquième mois 1929 chacun d’eux dut fournir deux travailleurs pendant une semaine, du 6 ou 13 juin, vers la fin de la récolte) ;
Pour l’entretien des routes et digues de la concession, dont ils profitent, ils doivent prêter tous les ans un coolie pendant trois journées. Cette fois le coolie est nourri mais non payé. Ces trois journées ne sont exigées qu’en morte-saison (février à avril) ;
A l’occasion du Têt, et à titre de récompenses, le propriétaire avance aux métayers méritants quelque argent pour acheter un porc, des outils, etc. Cette avance, qui est une faveur et non un droit, est faite sans intérêt et remboursable à la récolte. Toutes les autres avances seraient faites au taux de 2 % par mois, soit 24 % par an.
8Les quatre-vingts fermiers de la concession forment entre eux une corporation et s’entraident aux périodes de grands travaux ; ils vont travailler les uns chez les autres, se prêtant mutuellement des journées de travail qui ne sont jamais payées, mais rendues en nature.
9Si la rizière a été achetée bon marché ce mode de faire-valoir peut rapporter net 15 % parfois 20 % et plus du capital engagé. Il arrive que la culture directe rapporte plus, mais il y a des risques de perte de récoltes par inondation : avec le fermage, on ne perd dans ce cas que la location de la campagne en cours. Le concessionnaire augmente chaque année la surface cultivée directement, au détriment du fermage, jusqu’à ce que les deux modes d’exploitation portent sur des surfaces égales. Le maintien d’un noyau de fermiers est indispensable pour avoir autour de soi une main-d’œuvre abondante et sûre en cas de gros travaux et d’accidents : rupture de digues, moisson à hâter de crainte d’inondation, et même éventuellement brigandage ou piraterie.
AUTRES CONTRATS DE FERMAGE ET DE MÉTAYAGE
10On a l’habitude d’employer le terme de métayer pour désigner les petits exploitants riziculteurs non propriétaires. En réalité, le contrat qui les lie avec celui qui possède le sol est le plus souvent un contrat de fermage c’est-à-dire comportant un loyer du sol fixe, ce loyer étant acquitté plus souvent en nature (paddy) qu’en argent. Ce qui a pu prêter à confusion, c’est le fait que l’exploitant loue souvent au propriétaire le cheptel et lui emprunte les semences et le capital d’exploitation nécessaires à la culture du sol. Sur neuf exploitations (y compris celle précédemment citée) où la question a été étudiée, on en a trouvé :
une où l’on pratiquait seulement le métayage ;
deux où l’on pratiquait fermage et métayage ;
six où l’on pratiquait seulement le fermage.
Exploitation en métayage
— Province de Vinh-Yên
11Le propriétaire fournit le sol et l’eau d’irrigation, le métayer les semences et tous les travaux de culture jusqu’à la moisson. A ce moment chaque parcelle est partagée en deux surfaces égales, le métayer moissonnant une moitié et le propriétaire faisant récolter l’autre par des coolies qu’il paie. Le métayer peut louer des buffles au propriétaire, à raison de 10 $ par bête et par an.
Exploitation en fermage et métayage
— Province de Thai-Nguyên (à la limite du delta et de la moyenne région)
12La terre est louée en moyenne 100 kg de paddy par mẫu, rarement 150 à 200 kg dans le cas de rizières riches, à l’abri de la sécheresse et de l’inondation. Un bœuf est loué en moyenne 100 kg de paddy par an, et la redevance est réduite si le fermier a conservé la bête en bon état. Dans le cas de métayage, le propriétaire prélève le tiers de la récolte, mais la redevance doit lui être livrée en paddy battu et séché ; le métayer doit donc récolter la part qui revient au propriétaire. Cette concession appartient à un colon fiançais qui fait des avances aux métayers au taux de 10 % l’an.
— Province de Nam-Dinh (lais de mer)
13Le fermier paie un loyer fixe de 16 $ par mẫu pour la récolte du dixième mois, récolte pour laquelle on n’a ordinairement pas besoin d’élever l’eau. Au cinquième mois au contraire, le fermier doit élever l’eau pour faire du paddy aussi ne cultive-t-il en riz qu’une surface réduite et ne paie-t-il pour cette campagne que 8 $ de loyer. S’il préfère s’acquitter en nature, le fermage est fixé (1929) à 300 kg de paddy au dixième mois et 150 kg au cinquième mois.
14Le métayer partage la récolte par moitié avec le propriétaire ; le partage se fait en divisant chaque parcelle en deux moitiés d’égale surface, le métayer devant moissonner les deux moitiés et apporter à la concession les gerbes de riz revenant au propriétaire. Le concessionnaire a à sa charge le battage, le séchage et le vannage de la part de paddy qui lui revient. Dans certaines rizières très riches, à proximité des villages, le propriétaire prélève les 6/10e de la récolte.
Exploitations en fermage5
— Province de Thai-Nguyên (terre sablonneuse pauvre)
15Les rizières sont louées par lots de cinquante à deux cents mẫu à des notables représentant les villages, et réparties ensuite entre les habitants en tirant à la courte paille. Le taux de location est de 100 kg de paddy en moyenne par mẫu, le fermier pouvant se libérer en argent au cours du jour (7 $/q en novembre 1929) mais il est très difficile dans ces pays pauvres de faire rentrer les redevances. L’unité de mesure de paddy, le nồi, contient 37,51 et équivaut à un peu plus de 20 kg de paddy. Le prix de location du cheptel va de quatre nồi par an pour un jeune bœuf non dressé à huit nồi pour un bon buffle (80 à 160 kg de paddy).
— Province de Vinh-Yên
16Le métayage vrai, avec partage de la récolte par moitié, y a été abandonné à cause des difficultés de contrôle ; on y a adopté également le système de location par grandes surfaces à un village qui est responsable du paiement.
17Le loyer est fixé à quatre ou cinq phu’o’ng de chacun 22 à 25 kg de paddy par mẫu et par an ; il est payé après la récolte de riz du dixième mois, et le fermier a la disposition de la terre pendant toute l’année pour faire des cultures sèches ou une autre campagne de riz s’il peut avoir de l’eau.
—Province de Bac-Giang
18La redevance, versée pour la seule récolte du dixième mois, est de 80 kg de paddy par mẫu. Il s’agit d’une partie très pauvre de la province.
— Province de Bac-Ninh
19L’exploitation est louée en bloc à un fermier général au prix de 14 $ par mẫu et par an ; celui-ci sous-loue les terres à raison de 300 kg de paddy par mẫu pour la campagne du dixième mois, et 50 à 100 kg de paddy ou de mais, si l’on cultive au cinquième mois.
— Province de Hung-Yên
20La location est fixée à 13 $ par mẫu et par campagne de riz, les cultures sèches n’étant pas soumises à redevance. Le propriétaire fournit l’eau, si le fermier le demande, au prix de 1,2 $ par mẫu et par irrigation. Presque toutes les terres recevant deux récoltes de riz, le loyer de la terre est élevé.
Comparaison des différents modes de faire-valoir
— Faire-valoir direct
21La culture directe n’est répandue que dans le cas de petite ou très petite propriété - elle est très rare au delà de 3 ha, tout à fait exceptionnelle au-delà de 10 ha (deux cas seulement ont été relevés). Les propriétaires de quelques dizaines d’ares, souvent même de quelques ares sont de beaucoup les plus fréquents. Les très petits propriétaires sont souvent malheureux, d’une condition sociale inférieure à certains salariés qui, n’étant pas attachés au sol, peuvent aller chercher du travail pour une longue période dans une province plus fortunée, quand une calamité (inondation, typhon, sécheresse, etc.) a ravagé la région. Souvent ces petits propriétaires louent d’autres rizières, leur condition est alors analogue à celle de fermier ou de métayer.
22Il est regrettable de voir combien peu de grands propriétaires s’intéressent à la mise en valeur directe de leur domaine ; avec les capitaux dont ils disposent, les grosses exploitations devraient donner l’exemple du progrès. Mais « cela demande trop de peine » répondait l’un d’eux.
— Fermage
23Il est assez fréquent de voir sur les grandes propriétés une famille de fermier exploiter une surface de cinq à dix hectares, parfois plus, tandis que le propriétaire d’une même surface croira déchoir s’il la met lui-même en valeur. Il est évident que la condition sociale de ces fermiers, qui emploient de la main-d’œuvre salariée, est supérieure à celle de bien des petits propriétaires. Cependant la majorité des fermiers ne cultivent qu’une surface inférieure à un hectare.
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24Revenons à l’exploitation de la province de Bac-Ninh. Nous allons y étudier successivement les différentes phases de la culture du riz, depuis la présentation du sol jusqu’aux travaux de récolte, en passant par la fumure, les semailles et la pépinière, le repiquage, le sarclage et autres soins d’entretien, et surtout l’irrigation.
PRÉPARATION DU SOL
25Quand on procède à deux récoltes sur la majeure partie des terres, la période des labours est réduite, il faut se hâter et disposer d’instruments de culture et de force motrice abondants.
Labour mécanique
26Pour 250 ha environ mis en culture au cinquième mois et 150 à 200 au dixième mois, les deux tracteurs Fordson de l’exploitation ne sont pas encore suffisants, si l’on veut arriver à labourer mécaniquement presque toutes les terres. D’autant plus que les périodes de labour coïncident avec les grosses livraisons de paddy, qui se font par route sur la remorque du tracteur au moins jusque Bac-Ninh, parfois jusqu’à Hanoï.
27Pendant l’hiver 1928-29, 50 ha furent labourés au tracteur à une profondeur moyenne de 15 cm (la charrue annamite ameublit mal et son action ne dépasse guère 7-8 cm). Sur les terres ainsi labourées au début de la végétation, en février-mars le riz partait mal, paraissait souffrir et causait quelques inquiétudes (probablement parce qu’on avait ramené à la surface une couche de terre qui n’avait jamais été travaillée auparavant) mais brusquement en avril, avec les chaleurs, la plante prit le dessus et en mai ces parcelles tranchaient nettement sur tout le reste de l’exploitation.
Coût comparé du labour au tracteur et à la charrue annamite
28Le tracteur laboure en moyenne 2 ha par jour (1,5 ha avec de petites parcelles, 2,5 ha et même 3 ha avec de grandes parcelles), la consommation journalière restant la même quelle que soit la surface labourée.
29a) Coût d’une journée de labour au tracteur (établi en juillet 1929) :
Deux touques de pétrole | 4,80 $ |
Huile (1,51 par jour, vidange 211) | 1,00 $ |
Amortissement en deux ans et demi de 1 750 $ | |
(tracteur et charrue, 200 jours de travail par an, 3,5 $/jour) | 7,00 $ |
Un mécanicien et un aide | 1,00 $ |
Total | 13,80 $ |
soit 6,90 $/ha. |
30Dans ce calcul on suppose que la valeur du tracteur et de la charrue après deux ans et demi de service équivaut à l’entretien et aux réparations.
31Le chiffre de deux cents jours de travail par an peut paraître exagéré : mais les tracteurs font beaucoup de transport sur route, servent de moteur d’intérieur de ferme et à l’irrigation.
32b) Pour labourer quinze ares en moyenne dans sa journée, le cultivateur utilise un bœuf et un buffle qu’il attelle successivement, le buffle aux heures fraîches et le bœuf aux heures chaudes. Par temps sec la terre est dure et la surface labourée tombe à dix ares et même moins par jour. Et si la sécheresse persiste plus d’un mois comme en juin-juillet 1929 il ne peut plus labourer qu’après avoir irrigué. On peut estimer sans exagération 0,75 $ le coût de la journée de l’homme celle du bœuf, celle du buffle l’entretien de la charrue, soit 5,25 $/ha en sept journées. Ce calcul montre un coût plus élevé du labour au tracteur : ceci est vrai si l’on considère le coût d’un labour, mais considérons le nombre total de labours donnés sur l’exploitation avec l’une et l’autre méthode.
33— Labour mécanique
a) Entre la campagne du cinquième mois et celle du dixième mois : | |
deux labours au tracteur | 13,80 $/ha |
b) Entre le dixième et le cinquième mois : | |
un labour au tracteur | 6,90 $/ha |
un labour à la charrue annamite | 5,25 $/ha |
Total | 25,95 $/ha |
34— Labour à la charrue annamite
a) Entre le cinquième mois et le dixième mois : | |
quatre labours | 21,00 $/ha |
b) Entre le dixième et le cinquième mois : | |
deux labours | 10,50 $/ha |
Total | 31,50 $/ha |
35Ces calculs n’étant qu’approximatifs, admettons que la dépense est du même ordre de grandeur ; le nombre de hersages est le même dans les deux cas.
— Avantages du labour au tracteur
Il permet de réduire la main-d’œuvre employée sur l’exploitation, et par conséquent les frais généraux (comptabilité, démarches pour le recrutement des coolies).
Il permet d’exécuter les labours au moment opportun et de labourer une terre déjà un peu durcie sans avoir besoin d’amener de l’eau d’irrigation - non seulement cela fait une dépense supplémentaire pour amener de l’eau inutile sur un sol nu, mais encore un labour en terre non submergée permet une meilleure aération et une meilleure dessiccation du sol, dessiccation qui augmenterait la fertilité du sol, d’après les dires des praticiens annamites, confirmés par les recherches de Lebediantzeff en Ukraine.
Il assure une meilleure destruction des mauvaises herbes et réduit le coût des sarclages ; sous ce rapport la différence entre les parcelles labourées au tracteur et celles qui avaient été travaillées à la charrue annamite s’est révélée très grande, les secondes devant être sarclées aussitôt après le repiquage et les premières seulement un mois après.
Le rendement en paddy paraissait être augmenté par le labour plus profond et mieux exécuté ; mais l’absence de mesures précises faites sur des parcelles de fertilité antérieure analogue empêche l’affirmation.
— Observations sur le labour au tracteur
36Pendant l’hiver 1929-30, le travail n’a pas toujours été exécuté dans de bonnes conditions car en terres sablonneuses les socs s’usent rapidement et l’exploitation n’est pas organisée pour les rebattre ; avec un soc usé on ne pouvait plus faire qu’un labour superficiel ; il y a bien une forge, mais les forgerons annamites ne savent pas exécuter ce travail, et il est peu pratique d’envoyer les socs à Hanoï surtout quand on ne dispose pas assez de socs de rechange. Il faudrait dresser un ouvrier à ce travail. L’application des méthodes de travail européennes dans ce pays nécessite, de la pan de ceux qui veulent la tenter, une grande connaissance des dites méthodes, beaucoup de prévoyance et de persévérance, la mise au point d’une multitude de petits détails.
37Peut-être y aurait-il intérêt à labourer toute la surface de la rizière y compris les diguettes séparant les parcelles, quitte à refaire celles-ci après le passage du tracteur, suivant un plan plus rationnel ; les pertes de temps aux tournants seraient réduites, la surface labourée par jour bien augmentée et panant le coût du labour de l’unité de surface bien diminué ; l’économie réalisée serait probablement supérieure à la dépense nécessitée par la réfection des diguettes, et celles-ci périodiquement retournées joueraient beaucoup moins le rôle de centre de reproduction des plantes adventices et de conservation des insectes parasites dans l’intervalle de deux récoltes.
38Le tracteur a prouvé son aptitude à labourer la rizière même couverte de 20 à 30 cm d’eau : il est vrai que dans les terres de l’exploitation le sable domine. Pour ce labour les roues arrière du tracteur sont jumelées, les cornières des deux roues faisant entre elles un angle obtus ; si la terre est un peu vaseuse et argileuse on peut mettre, fixées à la roue extérieure et la dépassant de chaque côté des cornières supplémentaires qui augmentent l’adhérence. Dans la région de My-Hao (non loin du Kilomètre 30 à partir de Hanoï, sur la route de Haiphong) le même tracteur n’arrivait pas à labourer une rizière très argileuse dès que la terre était un peu humide – il est vrai que l’on n’avait ni roues jumelées, ni cornières supplémentaires – dès qu’on demandait un effort au tracteur les roues patinaient et s’enrobaient de terre, donnant l’impression qu’aucun artifice ne pourrait rendre le labour possible dans ces conditions physiques du sol.
— Dimension des parcelles
39Avant l’introduction du tracteur la concession comprenait quatre mille cinq parcelles sur une surface de 710 ha soit une superficie moyenne des parcelles inférieure à seize ares. Pour faciliter le labour mécanique, on est en train, chaque fois que cela est possible, de porter cette surface entre 50 ares et 1 ha – parfois plusieurs hectares si le terrain est plat ; une parcelle basse s’étend sur 7 ha. Ces grandes parcelles ont un inconvénient : si après une forte pluie ou une irrigation on veut y maintenir une couche d’eau de 10-15 cm, il arrive qu’une digue soit perforée par un rat, un crabe, un serpent ou détériorée par un buffle. Si on ne s’en aperçoit pas de suite, on peut être forcé de recommencer à élever l’eau. L’inconvénient existe avec les petites parcelles, mais portant sur de moindres surfaces il a moins d’importance. Par ailleurs, un bon nivellement est plus difficile à réaliser sur de grandes surfaces.
Préparation du sol à la charrue annamite
— Pour la campagne du dixième mois
40a) En terres sablonneuses, le sol reçoit :
un labour motteux, à sec, qui est en quelque sorte un déchaumage : il favorise la germination des mauvaises herbes ;
l’eau est amenée sur la parcelle, s’il n’a pas plu assez, et on donne un second labour qui croise le précédent – puis un hersage ;
un labour en billonnant pour enfouir et tuer dans la mesure du possible les mauvaises herbes ;
juste avant le repiquage, un labour et un hersage toujours exécutés sous l’eau, cette dernière façon était également un nivellement, pas toujours bien réalisé ; soit un total de quatre labours et deux hersages.
41b) En terres argileuses chaque labour est suivi d’un hersage : total quatre labours, quatre hersages. Dans ces terres on laboure avec une teneur en humidité analogue à celle des terres de France lors de cette opération culturale, ou alors tout à fait submergé. Mais jamais on ne laboure une terre à demi-saturée d’eau.
— Entre la moisson du dixième et le repiquage du riz du cinquième mois
42Les rizières moyennes et rizières hautes à deux récoltes reçoivent deux labours, le premier en terre sèche, aussitôt après la moisson, le second après irrigation, juste avant le repiquage. La terre est laissée « en labouré » un bon mois si possible, sans recevoir de façons. Après le second labour on donne deux hersages en moyenne, et on repique.
43Les rizières basses, à une récolte, sont encore submergées lors de la préparation du sol ; elles ne reçoivent qu’un labour suivi de deux ou trois hersages, juste avant le repiquage. Dans la province de Hung-Yên, les rizières à deux récoltes reçoivent entre chaque campagne deux labours et cinq hersages ; les terres y sont très argileuses.
Fabrication des socs de charrues par les annamites
44La matière première est la ferraille, ce sont des débris de fer ou de fonte de toute provenance, ramassés dans les grandes villes. On les casse au marteau en morceaux dont les plus grandes dimensions n’excèdent pas 3 ou 4 cm. Un haut fourneau en miniature est constitué par une cuvette conique en terre réfractaire surmontée d’un tronc de cône de la même matière, le tout ayant une hauteur de 50 cm environ.
45On commence par luter avec de l’argile délayée dans l’eau les deux parties du haut fourneau. Au milieu de la partie supérieure, un tuyau de bambou communiquant avec le corps de pompe d’une soufflerie amène l’air sous pression destiné à activer le feu, le jet d’air étant dirigé vers le bas, sur le centre de la cuvette. De la précédente coulée on a gardé un peu de charbon de bois incandescent dans le fond de la cuvette, on ajoute un peu de ce combustible, et on actionne la soufflerie (le piston est tiré et poussé par cinq hommes, souvent aveugles ou infirmes, inutilisables à un autre travail). On remplit peu à peu, en continuant à souffler, avec de la ferraille et du charbon de bois ; le haut fourneau étant supposé divisé en deux parties égales par un plan diamétral vertical, la partie située du côté de l’arrivée de l’air recevant le fer et l’autre le charbon de bois. On chauffe pendant une heure et demie, en ajoutant du combustible de temps à autre. Quand le fer commence à se liquéfier, la soufflerie envoie l’air sous pression par saccades entrecoupées de périodes de repos. Quand l’ouvrier juge la liquéfaction terminée, il soulève le tronc de cône supérieur par un levier, et l’enlève de côté avec une pince ; le charbon de bois incandescent qui s’en échappe et dont la combustion n’a plus d’objet est arrosé. On adapte à la cuvette un long manche de bois, et on recouvre le fer liquide de cendres légères (cendres de balles ou de paille de riz) pour l’empêcher de se refroidir trop vite ; ces cendres sont maintenues par une calotte sphérique largement ouverte en son milieu. Toutes ces opérations se font très rapidement. L’ouvrier le plus fort du chantier soulève la cuvette et verse le fer liquide dans les différents moules préparés à l’avance. Peu après la coulée, on démoule quand la fonte est encore un peu rouge et on laisse refroidir à l’air par conséquent sans trempage.
46Le produit obtenu, étant fondu en présence d’un excès de carbone, est de la fonte, donc assez cassant. L’absence totale de pierres dans les terres du delta explique qu’un pareil soc puisse durer une année en labourant quinze ares par jour pendant environ deux mois à deux mois et demi, c’est-à-dire une dizaine d’hectares au total. On ne peut battre un pareil soc. Usé, il est revendu 5 cents au ferronnier ; le soc neuf vaut 30 cents.
47On liquéfie à chaque coulée 25 kg de fer environ ; un chantier de dix ouvriers (cinq à la soufflerie, un pour surveiller le haut fourneau et verser la coulée, quatre pour préparer les moules, démouler et concasser la ferraille) fait huit coulées par jour, soit 200 kg de fer, ou 20 kg par ouvrier et par jour.
— Améliorations possibles
48L’introduction de petites charrues modernes est un problème qu’on peut facilement résoudre au point de vue technique : sur l’exploitation des essais de labour avec une petite charrue Oliver à versoir cylindrique et deux mancherons ont donné de bons résultats, tant en labour à sec qu’en terre submergée ; dans ce dernier cas on a simplement dû remplacer la roulette qui règle la hauteur de l’age à l’avant par un patin.
49La charrue Manille à un mancheron, encore plus simple a également réussi, dans une concession de la province de Vinh-Yên ; mais tandis qu’à Bac-Ninh les coolies adoptaient l’Oliver sans difficultés particulières, dans cette concession ils ont montré de la répugnance à se servir d’un nouvel outil - seuls les métis chinois, plus intelligents, l’ont utilisé bien volontiers, ce qui a incité le concessionnaire à intensifier le recrutement de cette catégorie d’ouvriers. Mais ces charrues coûtent au minimum 20 $ et ne sont pas accessibles au petit exploitant dépourvu de tout capital d’exploitation, tandis que la charrue annamite avec son joug de garrot, son palonnier et ses traits ne revient pas à plus de 2 $.
50C’est pourquoi un exemplaire de cette charrue a été envoyé à la Station d’essais de machines de Paris, pour qu’on y étudie une modification de la partie métallique ; le nouveau modèle, pour être économique, devrait être lui aussi réalisable par moulage ; l’adaptation d’un petit versoir permettrait un meilleur enfouissement des chaumes et du fumier et surtout une destruction moins imparfaite des mauvaises herbes.
— Cheptel nécessaire aux travaux de labour
51Les cultivateurs annamites estiment qu’un bœuf peut mettre en culture quatre à six mẫu (1,44 ha à 2,16 ha ; moyenne 1,8 ha) et qu’un buffle peut cultiver six à dix mẫu (2,16 ha à 3,6 ha ; moyenne 2,8 ha). Ces chiffres paraîtront bien faibles à un agriculteur européen ; les animaux sont indolents, débilités par une mauvaise nourriture, par la chaleur : l’imperfection des instruments de culture oblige à donner un grand nombre de façons - pour la préparation des pépinières, on donne souvent douze hersages consécutifs. Les observations faites sur l’exploitation montrent qu’un tracteur Fordson peut labourer à chaque campagne une moyenne de 80 ha. D’après les données précédentes, pour labourer la même surface, il faudrait un cheptel d’environ :
5244 bœufs ou 28 buffles représentant un capital de :
5344 x 40 = 1760 $ pour les bœufs,
5428 x 60 = 1680 $ pour les buffles,
55soit des chiffres analogues
56Le tracteur, avec sa charrue, représente une mise de fonds deux fois plus grande que celle qu’exige la traction animale.
FUMURE
Le fumier de ferme
57Dans l’exploitation étudiée, la majeure partie vient de la porcherie ; l’effectif du troupeau de porcs varie de cent à sept cents têtes, suivant les dangers d’épidémie, les plus ou moins grandes facilités d’approvisionnement en porcs maigres et en son de riz.
58Sur le sol en terre battue on met une couche épaisse de balles de riz pour absorber les urines, puis un peu de paille qu’on renouvelle chaque jour (on réserve à cet usage les pailles abîmées, que l’on n’a pu bien sécher). Le fumier est enlevé tous les quinze jours, et on le laisse pourrir en fosse au moins un mois. Le sol de l’étable est carrelé ou cimenté, on y enlève les bouses tous les jours. Une rigole centrale recueille les urines qu’elle déverse dans la fosse à fumier. Celle-ci est une simple excavation creusée dans le sol ; comme la terre est toujours très argileuse à une faible profondeur (à partir d’un mètre au maximum), on considère l’étanchéité comme suffisante. On ajoute au fumier les cendres et détritus de toute sorte, et du luc bình (Eichhornia crassipes ou jacinthe d’eau) partiellement séché. La valeur fertilisante de cette plante étant très faible, on ne la recueille qu’en morte-saison, en période de bas salaires. Autrefois, on ajoutait les cendres directement dans la porcherie, mais la potasse qu’elles renferment rongeait les pieds des porcs.
– Améliorations possibles
591) On pourrait mettre de la litière dans l’étable. Le luc binh qui est un bon absorbant est très indiqué ; en outre, on a l’habitude, au cinquième mois, d’enfouir la moitié inférieure de la paille directement dans la rizière, ce qui favorise la multiplication des insectes qui font leur cocon à la base des chaumes et spécialement du plus redoutable d’entre eux pour les rizières du Tonkin, la pyrale à deux points (Schœnobius bipunctiferus). Il vaudrait mieux se servir de cette paille comme litière, on détruirait la plupart de ces parasites ; enfin, les recherches de Rothamstedt ont montré que l’emploi de litières abondantes était un des meilleurs moyens de réduire les pertes d’azote dans le fumier ;
602) Les cendres devraient être employées à part et non mélangées au fumier ; il est à craindre que la base potasse ne déplace l’ammoniaque de ses sels, et que celle-ci ne se perde par volatilisation à la moindre dessiccation du fumier ;
613) La fosse à fumier est par trop rudimentaire, le plan d’eau est en été au voisinage de la surface du sol, les pertes par infiltration doivent être importantes. Il y a de plus risque de contamination des puits ;
624) Si l’on trouve que l’on dispose de trop de paille entre la récolte du cinquième mois et celle du dixième mois, mieux vaudrait la transformer en fumier artificiel que de l’enfouir telle quelle ; le problème de l’humus est primordial dans ce pays où il se consume si rapidement et où les restitutions sont si faibles. En tout cas rien ne justifie le brûlage de la paille, si ce n’est la destruction des insectes, qui aurait lieu dans le fumier. Son emploi comme combustible devrait être aussi réduit que possible ;
635) Le fumier est donné à la rizière en couverture, entre le tallage et la floraison ; il y a certainement de cette façon de grandes déperditions d’éléments fertilisants (azote et même acide phosphorique) surtout si la rizière est asséchée. L’emploi des engrais chimiques en couverture devrait avoir pour corollaire l’enfouissement de la totalité du fumier avant repiquage.
Autres engrais locaux employés
64Le prix élevé des tourteaux et des vidanges est un indice des possibilités d’avenir des engrais chimiques, une fois que leur efficacité sera bien démontrée ; les Annamites vont jusqu’à faire pourrir les haricots blancs pour les mettre en rizière, et rarement les tourteaux de lin, sésame, arachide ou coprah, dont le pays produit des quantités appréciables, sont offerts au bétail. Tout est enfoui en terre.
65Nous donnons un tableau indiquant le prix de quelques engrais naturels, leur teneur en éléments fertilisants, et le prix que coûterait la même quantité des éléments fertilisants empruntés aux engrais d’importation. Comme base de calcul admettons que :
le sulfate d’ammoniaque à 20 % coûte 15 $/q, soit 0,75 $/kg d’azote ;
le superphosphate à 39 % coûte 13 $/q, soit 0,33 $/kg d’acide phosphorique ;
le chlorure de potasse à 49 % coûte 15 $/q, soit 0,30 $/kg de potasse.
Tableau 1. — Prix et teneur moyenne en éléments fertilisants des engrais locaux en % de matière fraîche (Tous les chiffres de ce tableau ne sont que des ordres de grandeur.)
Teneur en éléments fertilisants | Prix des engrais chimiques équivalents | ||||
Nature de l’engrais | Prix (en $/q) | Azote | Acide phosphorique | Potasse | |
Os calcinés | 4,70 $ | 34 | 5,44$ | ||
Chrysalides de ver à soie | 6,00$ | 7 | 1 | 1,5 | 6,03$ |
Tourteau de ricin | 12,00 $ | 46 | 0,7 | 1 | 3,95$ |
Tourteau de sésame | 18,00 $ | 6,6 | 1 | 1,5 | 5,73$ |
Déchets de nu’ o’ c măm | 2,50$ | de composition variable | – | ||
Vidange à Hanoï | 2,75$ | 0,6 | 0,2 | 0,2 | 0,57$ |
Vidange à Ha-Dong | 4,45$ |
– Os calcinés
66L’acide phosphorique contenu dans les os calcinés a été considéré comme équivalent celui des phosphates naturels locaux, qui livrent l’acide phosphorique à 0,16 $ l’unité ; en réalité, en Europe, on considère que leur valeur fertilisante est intermédiaire entre celle des phosphates naturels et celle des superphosphates.
– Chrysalides desséchées de ver à soie
67Leur coût n’est pas élevé, si la teneur en éléments fertilisants des vers locaux est égale à celle trouvée en Italie (les chiffres donnés viennent d’Italie, à défaut d’analyses indochinoises) ; d’autant plus que l’azote apporté est sous forme organique, donc supérieur à l’azote ammoniacal.
68On l’emploie ordinairement mélangé de cinq fois son poids de terre. Malheureusement le produit n’existe qu’en faibles quantités.
– Tourteaux
69Leur prix est hors de proportion avec leur valeur intrinsèque. On produirait au Tonkin 3 000 t de graines de ricin et 700 t de sésame.
– Vidanges
70Leur prix est nettement exagéré si l’on s’en tient à la composition chimique, mais elles ont probablement aussi une valeur microbiologique. L’effet sur la culture est très marqué (c’est pourquoi les Annamites l’apprécient) mais n’est pas de longue durée. Le transport est trop coûteux.
71Les deux touques de 18 l contenant un mélange par parties égales de terre et de vidanges se vendent 50 cents à Hanoï, 80 cents à Ha-Dong, gros centre de consommation. Voilà donc un produit dont le transport à 10 km augmente la valeur de 60 % ! En portant sur l’épaule on doit mettre moitié terre, donc augmenter la charge ; le coût du transport est de 1,7 $ la tonne kilométrique. Il y aurait intérêt à organiser rationnellement le transport d’un produit qui est utilisé en grandes quantités.
Amendements et engrais chimiques
72On emploie dans l’exploitation étudiée la chaux à la dose d’une tonne à l’hectare tous les trois ou quatre ans et on en retire de bons résultats ; une partie est épandue en couverture sur le riz, pour détruire algues et mousses, et aussi les chenilles de pyrale.
73La cyanamide – à condition de ne l’employer qu’en sol nu – donne de bons résultats et a l’avantage de détruire ou d’éloigner beaucoup de parasites, les rats, les crabes et les serpents qui perforent les diguettes et les sangsues qui font perdre du temps aux ouvriers. Un propriétaire de Phuc-Yên en mettait même sur les diguettes pour éloigner les cerfs qui descendaient du Tam-Dao.
74Le sulfate d’ammoniaque va être maintenant couramment employé – l’un des avantages des engrais chimiques est de permettre la fumure des parcelles éloignées de la ferme, qui autrefois ne recevaient aucun apport fertilisant, le transport du fumier à grande distance étant trop coûteux, faute de moyens de transport rationnels. Les parcelles proches de la ferme sont fumées deux fois par campagne rizicole :
au cours de la préparation du sol qui précède le repiquage, on épand environ 5 000 kg/ha de fumier ;
entre le tallage et la floraison, on épand dans la rizière le tiers de la dose précédente, soit environ 1 700 kg/ha.
75Une terre à deux récoltes reçoit donc en principe 13 t de fumier par hectare et par an, ce qui est énorme pour le Tonkin.
PÉPINIÈRE
Préparation des semences
76Pour les semailles de la campagne du dixième pois (juin-juillet), on met le paddy de semence dans des corbeilles, à raison de 10 à 15 kg par corbeille, 10 kg s’il fait très chaud, 15 kg si la température est moyenne. On immerge les corbeilles dans une mare du soir au lendemain midi (environ quinze heures), on les retire de l’eau et on les laisse dans une paillote fraîche pendant douze heures. A ce moment les germes pointent, la température s’élève, on immerge de nouveau les corbeilles quelques minutes seulement pour abaisser la température et apporter de l’eau aux grains qui germent.
77On laisse de nouveau les corbeilles dans une paillote pendant vingt-quatre à trente-six heures (pour les semailles du cinquième mois, fin octobre et novembre, la température extérieure est moins élevée et on abandonne les corbeilles pendant quarante-huit heures, même trois jours s’il fait froid. A ce moment les radicelles émergent de 1 à 2 cm. Elles sont moins longues à la fois au milieu de la corbeille où la température était trop élevée et sur la couche extérieure, sur une épaisseur de 1 cm, où la température était plus basse ; là elles n’ont guère que 3 ou 4 mm. Dans la province de Nam-Dinh, pour les semailles du cinquième mois, le paddy est enfermé en paniers (10-15 kg par panier) qui trempent dans l’arroyo tout le jour, et qu’on retire la nuit pour les laisser dans une paillote. Le lendemain on les remet dans l’arroyo, puis on les retire la nuit, cela pendant cinq à six jours suivant la température. Au moment des semailles les radicelles sont longues de 2 à 3 cm et la tigelle sort de 1 cm environ.
Préparation du terrain
78Ce paddy est semé sur des parcelles hautes de un à cinq ares. La surface est réduite à l’état de boue liquide par les façons culturales effectuées sous un peu d’eau qui comportent trois labours ; trois à six hersages ; un à deux nivellements donnés avec la herse entre les dents de laquelle on a passé un bambou.
Semis
79On commence par vider, juste avant le semis, l’eau qui était retenue sur la parcelle. Puis le semeur prend dans les corbeilles une poignée de paddy qu’il secoue dans ses mains (légèrement pour ne pas briser les germes) pour isoler les grains qui sont entremêlés par leurs radicelles. Le semeur jette le grain tout autour de la parcelle en se tenant sur la diguette, il sème ainsi une largeur d’environ 4 m sur le pourtour puis il marche lentement dans l’axe de la parcelle pour en semer le milieu, s’arrêtant à chaque pas pour projeter trois ou quatre poignées, et faisant le moins de pas possible ; après son passage ces pas seront autant de trous où après la mise en eau le grain germera mal.
80La quantité de semences employée est de 17 kg de paddy sec par sào pour les semis de la campagne du dixième mois (au cinquième mois on met 19 kg). Or chaque sào de ma suffit au dixième mois au repiquage de plus de deux mẫu, parfois de près de trois mẫu ; ce qui fait 18 à 25 kg de semences par hectare ; mais ce chiffre doit être un des plus faibles du Tonkin. A Nam-Dinh, on emploie 27 kg de semences par sào, le plant obtenu suffit à repiquer deux mẫu, soit 27,5 kg de semences par hectare. A Hung-Yên, on emploie 20 kg de semences au sào pour le dixième mois, 23 kg pour le cinquième mois. La semence est trempée pendant trois jours puis laissée à germer deux jours durant. On compte un sào de pépinière pour repiquer un mẫu, soit environ 60 kg de semences par hectare. Ces trois chiffres représentent un minimum, une moyenne et un maximum approximatifs de la quantité de semences employée par hectare au Tonkin. La variation s’explique par le fait que :
dans le premier cas on repique de 20 à 30 cm d’intervalle en mettant trois à quatre plants par touffe ;
dans le second cas on repique les riz ordinaires à 20 cm d’intervalle et à six ou sept plants par touffe (les riz gluants et parfumés étant repiqués à 35 cm) ;
dans le troisième cas on repique à 10-15 cm d’intervalle et à cinq ou six plants par touffe.
81A noter qu’en Italie des expériences ont montré que le rendement en paddy de la rizière augmentait si l’on diminuait la densité du semis en pépinière ; les essais entrepris sur ce point à Tuyên-Quang n’ont pas été concluants. On ne pourrait aller trop loin dans cette voie sans voir le riz taller en pépinière, ce qui est un gros inconvénient.
Soins à la pépinière
82On laisse les plantules se développer pendant trois à cinq jours (suivant que le temps est plus ou moins chaud) puis on donne une première irrigation ; l’eau est amenée à un niveau un peu inférieur au sommet des plantules. Si les pluies sont abondantes à ce moment, cette irrigation peut suffire. Si le temps est sec on en donne une deuxième plus abondante dix à douze jours après, et cela suffit.
83Dix jours avant le repiquage on retire l’eau pour pouvoir arracher les mạ en terre simplement fraîche mais non boueuse, car les racines se briseraient.
84Il arrive, surtout pour le riz du cinquième mois, qui se sème en octobre, mois peu pluvieux, que la pépinière est tellement sèche que le sol se crevasse. Les jeunes plants de riz en souffrent. Pour la campagne du cinquième mois 1930, on a commencé l’emploi des engrais en pépinière, les engrais suivants ont été employés : la cyanamide, le sulfate d’ammoniaque et le superphosphate.
85Ils ont toujours été employés séparément, et ont eu tous trois les mêmes effets apparents : la faim d’acide phosphorique assimilable de la jeune plantule doit être grande pour que les parcelles qui aient reçu du superphosphate soient d’un beau vert sombre, comme celles qui avaient reçu de l’azote. Une pépinière avait reçu du superphosphate en couverture (il doit y avoir ainsi rétrogradation) et l’épandage avait été mal fait ; on distinguait de loin les points vert sombre, où l’engrais était tombé et se voyait encore à la surface, des autres qui étaient restés jaunâtres et souffreteux.
86La conséquence de l’emploi des engrais a été d’accroître la surface repiquée avec une surface donnée de pépinière. Alors que pour le riz du dixième mois les années précédentes le rapport des surfaces pépinière/champ repiqué descendait rarement en dessous de 1/20, on est arrivé cette année, pendant plusieurs jours, au rapport 1/30 avec la variété câu, que l’on repique à 28-30 cm d’intervalle : les pieds étant plus beaux, l’ouvrière, d’instinct, en met un moins grand nombre par emplacement. Ce rapport est de 1/20 en moyenne avec la variété bầu, repiquée à 20 cm d’intervalle, et 1/12 dans le cas des rizières basses ; en effet ces rizières sont souvent repiquées sous 25-30 cm d’eau et dans ce cas les plus petits pieds, dont les feuilles ne peuvent émerger, périssent ou se développent mal ; le tallage est beaucoup moins intense ; on est donc obligé de mettre un plus grand nombre de pieds par emplacement et de resserrer les plants.
REPIQUAGE
Campagne du dixième mois 1929
87Le repiquage a débuté sur la concession le 26 juillet, plus tard que la moyenne de la région car on fait deux récoltes sur la majeure partie du sol ; il est normal que l’on soit en retard. Les mạ (plant bons à repiquer) sont arrachés par les hommes qui travaillent dans deux conditions : soit en terre bien asséchée, soit en terre submergée de quelques centimètres d’eau. Un sol humide, un peu boueux ne convient pas du tout, on brise toutes les racines. Si l’on n’a pu bien assécher, on irrigue pour submerger légèrement. Les hommes tirent les plants à la main par poignées qu’ils frappent sur leur pied pour faire tomber la majeure partie de la terre adhérente, poids inutile à transporter : puis on lie en bottelettes avec des liens de paille. On compte qu’en moyenne un homme arrache les mạ nécessaires à quatre repiqueuses. Pour un chantier de trente repiqueuses éloigné de la pépinière de 500 m, deux femmes suffisent pour assurer le transport des mạ. Le repiquage est effectué par les femmes, plus souples que les hommes pour ce travail et qui pendant cette période reçoivent le même salaire qu’eux, 17 cents par jour et la nourriture. Une femme doit repiquer deux sào par jour, par conséquent pour repiquer un hectare il faut quatorze journées de femme, trois journées et demi d’homme pour arracher les mạ nécessaires, une journée de femme pour le transporter. En Italie, d’après Leroy, il faut vingt journées de repiqueuses et dix journées d’arracheuses par hectare. On voit que le rendement des femmes annamites est supérieur à celui des Italiennes6 : il est vrai que sur la concession la main-d’œuvre « rend » plus que chez le petit cultivateur, mais le salaire est légèrement plus élevé.
88Quand on est maître du niveau de l’eau, on en maintient une couche de 5 à 10 cm sur la rizière pour le repiquage ; sinon au-delà de 10 cm le travail est plus pénible et la surface repiquée par journée de travail diminue.
89L’écartement adopté au début du repiquage est 25 x 25 cm, avec trois à quatre plants par touffe soit 16 touffes/m2, sauf pour la variété tám tho’m qui talle beaucoup en sols riches et qu’on repique à 30 x 30 cm (11 touffes/m2). On commence par repiquer le pourtour de chaque parcelle en tendant successivement le long des diguettes une corde portant un nœud tous les 25 ou 30 cm ; on plante une touffe en face de chaque nœud, puis le reste de la parcelle est repiqué en se guidant sur l’écartement adopté sur le pourtour. Seulement les repiqueuses étant obligées à repiquer une surface déterminée par jour tendent, pour aller plus vite, à repiquer moins serré vers le milieu des parcelles. Le cai doit y veiller. Peu à peu, à mesure que le repiquage s’avance, on tend à diminuer la distance entre les plants et à augmenter le nombre de pieds repiqués par touffe. C’est que sur les parcelles tardivement repiquées la période de tallage sera moins longue et les talles produits moins nombreux. Dans les premiers jours de septembre on repique à 20 cm de distance et avec cinq à six pieds par touffe.
90Les dernières parcelles de lúa dé bun sont restées en pépinière au-delà de la période normale, on était obligé d’attendre le retrait des eaux pour le repiquage des rizières basses (insuffisance des moyens d’évacuation des eaux pluviales du casier). Aussi y a-t-il eu formation de deux ou trois nœuds sur les tiges. Si on repiquait ces mạ suivant la méthode habituelle, il y aurait d’abord développement du système radicalaire primaire (les anciennes racines) puis du système radiculaire secondaire, qui se composerait des racines adventives qui ne manqueraient pas de naître au niveau de chaque nœud enfoncé dans la boue ou simplement dans l’eau. D’où beaucoup de temps perdu avant que la plante ne se développe. Aussi ces mạ sont-ils coupés à la faucille à une hauteur moyenne de 5 cm au-dessus du collet : la tige comporte toujours un ou deux nœuds bien développés au-dessus de cette hauteur. Les mạ ainsi coupés sont liés en bottelettes et mis à tremper dans une mare de la ferme pendant trois jours, la botte étant immergée sur 10 à 15 cm de hauteur. Au bout de ce temps des racines adventives, filaments blancs de plusieurs centimètres de longueur se sont développés. La mare étant à proximité des fosses à fumier reçoit une partie des purins, ce trempage est donc aussi une sorte de pralinage. Les parcelles repiquées avec ces mạ reprennent normalement, les plants ne paraissent pas souffrir. Les paysans de la région emploient aussi ce procédé de couper à la faucille les mạ trop âgés, mais repiquent sans trempage dans une terre généralement pauvre ; aussi les racines sont lentes à sortir et la reprise difficile. On ne peut repiquer par ce procédé qu’une petite surface, les pluies continuant à remplir le casier ne permirent pas d’utiliser les rizières basses ; la plus grande partie des mạ ainsi coupés fut fanée pour servir de litière.
Campagne du cinquième mois 1930
91La coupe schématique des rizières de l’exploitation se présentait comme ci-dessous, avec en X-Y le niveau de l’eau au 1er décembre :

Coupe schématique des rizières de l’exploitation
92On commence par repiquer, du 1er au 15 décembre environ, la zone A qui est recouverte d’une faible couche d’eau (10 à 20 cm) ou qui, étant très peu au-dessus du niveau de l’eau, peut être irriguée directement à l’écope. Puis vers le 15 décembre les pompes sont mises en action, elles prennent l’eau de la zone C (eau intentionnellement retenue dans le casier par fermeture, en octobre, des bouches d’évacuation des eaux pluviales dans la rivière) et l’amènent sur la zone Β : on mène de pair le repiquage de la zone Β au fur et à mesure qu’elle reçoit de l’eau, et de la zone C au fur et à mesure que les eaux y baissent.
93Au début, l’exécution du repiquage et la reprise des plants ont été favorisés par une température généralement douce – quelques jours exceptés – et parfois chaude du mois de décembre. Mais en janvier la température moyenne a été de 4° C au-dessous de la normale. La travail fut ralenti, les ouvrières faisant beaucoup de difficultés pour descendre dans l’eau quand la température descendait en dessous de 12 à 14° C ; à 10° C il était impossible de faire repiquer qui que ce soit ; pendant tout le mois on ne put le faire que pendant quelques heures par jour, chaque fois que le soleil se montrait un peu. Aussi le repiquage ne s’est terminé que dans la première quinzaine de février.
94En Italie, on a essayé récemment des traîneaux tirés par des bœufs sur lesquels sont accroupies douze femmes repiquant chacune une ligne à la vitesse de déplacement du bœuf. Ce procédé aurait permis de repiquer même pendant les froids, à la condition de vêtir chaudement les repiqueuses.
95D’autre part, le riz repiqué pendant cette période a mis plus d’un mois pour reprendre ; au 1er mars, des riz repiqués le 4 janvier n’avaient émis que des racines de 1 cm de longueur, et commençaient seulement à verdir sans avoir du tout tallé. Les champs qui ont été repiqués au début des froids, avec des plants qui n’avaient pas souffert en pépinière des basses températures, ont eu plus de mal à reprendre que ceux qui ont été plantés plus tard avec des mạ qui avaient été déjà touchés par le froid en pépinière. La quantité d’eau tombée du 20 septembre à la mi-mars étant à peu près nulle, le riz a également souffert de la sécheresse ; beaucoup de mares et d’arroyos sont à sec, seuls les points très bas ont encore un peu d’eau ; aussi au 1er mars, dans la région, les champs où le riz était mort sans avoir repris n’étaient pas rares, et, sauf exceptions, ceux qui restaient ne promettaient pas une belle récolte. Sur la concession les pompes ont sauvé la situation.
– Coût du repiquage
96Dans la province de Hung-Yên, si le repiquage est traité à forfait on le paie 1 $ par mẫu mais en ce cas le travail est fait vite et mal ; il est préférable d’employer des journaliers, la dépense est alors 1,5 $ à 2 $ pour la même surface mais le travail est soigné. Ces prix comprennent l’arrachage et le transport des mạ : un ouvrier à la tâche repique en moyenne deux sào dans la journée et le soir il va arracher et transporter la quantité de mạ qui lui sera nécessaire pour le lendemain.
97N’oublions pas que les machines à repiquer – semi-automatiques ou entièrement automatiques – fonctionnent bien en Italie. Il faudra y arriver un jour dans les grandes exploitations.
SARCLAGE
98C’est là une des opérations les plus coûteuses : en effet si une femme repique deux sào, si un coolie moissonne 1,7 sào dans leur journée, une sarcleuse ne peut guère nettoyer – en rizière infestée de plantes adventices – qu’un sào par jour ; il faut donc dans ce cas vingt-huit journées de femme pour sarcler un hectare et, même ne comptant les journées qu’à 0,25 $ (c’est un minimum), le coût de sarclage revient pour cette surface à 7,6 $ (28 journées x 0,25 $/jour + 0,6 $, où 0,6 $ est le coût de la journée d’un cai). Le sarclage est moins rapide et par conséquent plus coûteux en rizière asséchée qu’en rizière couverte d’eau. L’outil glisse mieux dans ce dernier cas.
99En réalité les rizières sont inégalement envahies et le coût moyen est moins élevé ; dans la province de Hung-Yên on donne en cours de végétation deux à trois sarclages qui sont exécutés à la tâche au prix de 1 $ à 1,2 $/mẫu, soit 3 $ à 3,5 $/ha. Mais le travail est peut-être moins soigneusement exécuté que si l’on payait à la journée.
100A Bac-Ninh toutes les rizières reçoivent deux sarclages, le premier entre quinze jours et un mois après le repiquage. Ce sarclage est suivi d’un apport de fumier ou d’engrais. Les terres les plus sales reçoivent trois à quatre nettoyages. C’est pour réduire le coût de cette opération qu’il serait intéressant d’essayer le billonneur Mocchi Cabrini qui passerait dans la rizière avant le repiquage. Les femmes repiquant sur le sommet des billons iront un peu plus vite car la boue molle de la terre relevée offrira moins de résistance à la pénétration des plants et guidées par les lignes elles n’auront plus à déterminer l’emplacement du plant. Ce seront là des gains de temps peu perceptibles pour chaque opération, mais en Italie on a observé que la surface repiquée par jour et par travailleuse augmentait sensiblement en employant cet instrument.
101Le gros intérêt de cet appareil est de permettre ensuite le sarclage par traction animale. Il ne resterait plus à nettoyer à la main que sur les lignes elles-mêmes. Il serait intéressant de voir ces instruments à l’œuvre. De bons résultats ont été obtenus avec une sarcleuse japonaise ; cet instrument se compose essentiellement d’un cylindre muni de dents courbes (avec talon devant le cylindre pour l’empêcher de s’enfoncer dans la boue de la rizière) large de 15 cm, que le coolie pousse devant lui ; toutes les herbes de l’interligne sont arrachées, et les lignes de riz sont un peu butées ; il suffit ensuite de nettoyer à la main dans les lignes. Cet appareil ne peut fonctionner qu’en rizière submergée, au moins légèrement. En rizière asséchée la terre est trop dure.
102Rappelons une fois encore l’avantage du labour au tracteur, qui par un meilleur enfouissement des mauvaises herbes diminue le nombre de sarclages nécessaires et le coût de ceux que l’on donne.
IRRIGATION
103Les riziculteurs italiens attachent une importance capitale à cette question, et ces praticiens ont établi grâce à une longue expérience, une série de règles pour l’emploi de l’eau ; étant donné les hauts rendements obtenus dans ce pays, il serait intéressant d’en expérimenter l’application. Voici ces règles, telles qu’elles pourraient être appliquées au Tonkin, énoncées par M. Thieben7.
Règles d’irrigation
104« Les parcelles destinées aux pépinières devront être chacune de surface limitée et très bien nivelées afin :
que l’on puisse disposer de pépinières semées à époques successives, pour que les repiquages s’échelonnent selon la disponibilité de main-d’œuvre ;
que l’on puisse mieux régler le niveau de l’eau ;
de diminuer la force vive des ondes qui lors d’un fort vent pourraient arracher les plantules.
105Pour la même raison, en cas de fort vent, lorsque les plants sont encore peu développés, il faut diminuer la nappe d’eau. Si l’on a semé en terrain sec en enfouissant légèrement les graines non germées, il suffira d’imbiber le sol. Si l’on sème en terrain couvert de quelques centimètres d’eau, il sera bon que les semeurs à la volée soient précédés par une herse ou un spianone8 qui trouble le plus possible l’eau. Les graines seront ainsi couvertes par une fine couche de limon. La nappe d’eau sera augmentée proportionnellement au développement des germes : une couche d’eau trop forte donnerait des semis malingres, longs et ténus qui se coucheraient à la surface de l’eau si le niveau en diminuait. Si un développement excessif des algues à la surface de l’eau menace d’étioler les plantules et si une pluie qui romprait la continuité du filet serré fermé par les algues se fait attendre en vain, il suffira d’accélérer la vitesse de la circulation de l’eau dans les casiers en élevant en même temps le niveau à un point tel qu’il arrive même à déborder légèrement les petits talus. Lorsque les plantules sont assez robustes (5-6 cm de hauteur) pour que l’on puisse assécher la pépinière sans que les feuilles se couchent dans la vase, un assèchement de quelques jours favorisera l’aération du terrain et activera sa fertilité. Un assèchement prolongé est nuisible, puisqu’il favorise le développement en profondeur des racines, ce que nous voulons éviter soit pour rendre plus facile l’arrachage, soit pour diminuer la gravité des blessures et le prolongement désavantageux de la souffrance du plant lors de la crise qui suit le repiquage.
106Si le ciel n’est pas couvert et si l’on craint que le soleil endommage les plantules, il faut assécher seulement le soir, la nuit et le matin : le jour il faudra protéger les semis contre la trop forte chaleur grâce à une couche d’eau suffisante. Il faut élever le niveau de l’eau proportionnellement à la croissance du plant en le maintenant de 2 à 4 cm au-dessous du sommet ; ainsi on évitera le tallage en pépinière : les plants non tallés supportent mieux le repiquage. »
107« Après le repiquage du riz du dixième mois, la couche d’eau devra être élevée et arriver à quelques centimètres au-dessous de la pointe des plants étêtés, afin de diminuer l’intensité de leur transpiration et d’enrayer leur souffrance les premiers jours de la crise provoquée par le repiquage.
108Pour le riz du cinquième mois, étant donné la faible luminosité et la basse température qui règnent au moment du repiquage, il faut exposer la plante le plus possible à l’air et à la lumière afin de faciliter sa reprise, c’est-à-dire mettre une faible couche d’eau.
109La crise passée, un assèchement de cinq à huit jours favorisera l’enracinement et le tallage et facilitera la distribution des engrais.
110L’assèchement correspond à une mobilisation de la fertilité pour des besoins immédiats de la plante et par la longueur de l’assèchement on a la faculté de régler cette mobilisation. Dans les terrains très riches, il faudra éviter de rendre accessibles à la plante des quantités excessives d’éléments nutritifs ; le riz non seulement supporte mais utilise de fortes quantités de matières nutritives déjà contenues dans le sol ou apportées par les engrais, si celles-ci sont mises à la disposition de la culture, au fur et à mesure de ses besoins dans les différentes phases de végétation.
111Lorsque le jaunissement des sommets des feuilles indique la crise provoquée par le tallage, il faut secourir la plante par un nouvel assèchement et en cette occasion on peut exécuter une seconde distribution d’engrais. Quand on remet l’eau, il faut en surveiller le niveau pour qu’une pression excessive n’empêche pas, en les faisant périr, le développement des jeunes pousses issues du tallage.
112Pendant la période critique de l’épiage et pendant la floraison et la formation des grains, l’eau ne doit jamais manquer, hormis le cas où un assèchement peut combattre efficacement les ennemis de la culture. Lors de la floraison et de la formation des grains un courant intense d’eau arrivant même à déborder légèrement les talus est très favorable. Deux semaines avant la récolte, il convient d’ôter l’eau pour faciliter les travaux de moisson. Si l’on ne peut faire circuler d’une façon continue l’eau dans les rizières, on peut les remplir périodiquement d’une nappe d’eau telle que le dernier jour de la période le terrain soit au moins détrempé.
113L’aménagement rationnel de la rizière exige non seulement que l’eau puisse couler d’un casier au suivant de niveau inférieur, mais encore que par un système de rigoles on puisse directement irriguer un casier ou déverser en dehors de la rizière l’eau superflue provenant des terrains plus hauts, spécialement dans le cas d’une forte pluie.
114Si l’eau en excès des terrains plus élevés est pauvre en limon et en éléments fertilisants, on pourra la chasser directement si les terrains sont suffisamment pourvus d’eau, mais si cette eau est riche de matières utiles, on pourra l’employer à limoner et à fertiliser alternativement les différents casiers de la rizière L’eau d’irrigation peut rapporter beaucoup si un expert aiguadier la surveille et la guide constamment : un proverbe lombard dit que la récolte du riz est sur la pointe de la badile de l’aiguadier. »
Alimentation en eau et modes d’élévation
115Le cultivateur annamite reconnaît, lui aussi, la grande importance de l’irrigation ; mais il n’a généralement point de règles si raffinées ; le principe adopté est de tâcher de maintenir l’eau sur la rizière, du repiquage à la formation des grains incluse ; mais cet idéal est rarement réalisé.
116Remarquons que l’application des règles italiennes nécessite l’aménagement d’un système de canaux sur l’exploitation, condition qui n’est jamais réalisée au Tonkin. Évidemment, le paysan n’est pas toujours le maître et ne peut guère se défendre contre beaucoup d’inondations. Mais bien des cas existent, sur tout le pourtour du delta et dans la moyenne région, où des travaux relativement simples lui permettraient de lutter contre le manque d’eau (petits barrages, dérivation des ruisseaux, etc.). Et un gros progrès serait immédiatement réalisable par la généralisation de l’irrigation par pompage ; actuellement accessible seulement aux grandes exploitations abondamment pourvues de capitaux, elle le sera à tous le jour où le paysan annamite sera familiarisé avec le syndicat agricole, la coopérative ou toute autre forme d’association qui pourrait prendre pour base la commune et que ne refuseraient pas de financer les caisses de crédit populaire agricole ; elles pourraient faire là des prêts dont l’utilité agricole serait incontestable : on n’en peut jamais être absolument sûr avec les prêts individuels. Le problème ne se pose pas de même pour les deux principales campagnes rizicoles du delta.
117En ce qui concerne le dixième mois, juillet-août et septembre sont généralement assez pluvieux pour qu’on n’ait pas besoin de fournir d’eau durant cette période. Mais à partir de la deuxième quinzaine de septembre les pluies se raréfient. Or, c’est en octobre que se produit la floraison et la formation des grains des variétés dites « de saison » (que l’on moissonne en novembre).
118Si la rizière manque d’eau à ce moment le rendement diminuera, il y aura beaucoup de grains vides et les grains restant, mal nourris, donneront à l’usinage un pourcentage élevé de brisures. L’Annamite le sait bien, et il reconnaît la grande utilité d’une bonne pluie pendant ou après la floraison.
119Si le temps est très sec en effet les moyens d’élévation de l’eau dont il dispose sont en général insuffisants pour submerger toutes ses rizières. Un palliatif, quand on manque de moyens de pompage, serait de cultiver sur une plus grande surface les variétés précoces, qui, fleurissant en septembre, ne manqueraient presque jamais d’eau pendant la période critique. La végétation du riz du cinquième mois a lieu pendant la période sèche de janvier-février, peu pluvieuse de mars-avril.
120Les pluies ne deviennent assez abondantes que peu avant la moisson. C’est pour cela que cette culture ne se pratique que dans les points bas et qu’elle est souvent compromise par déficience d’eau ; elle est trop à la merci de l’abondance des précipitations ; alors que la généralisation de l’irrigation par pompage permettrait d’accroître la surface cultivée en bordure de tous les cours d’eau (rivières et canaux profonds) qui ne sont pas asséchés pendant cette période, même si la hauteur d’élévation est assez grande ; cette culture, ainsi assurée de ne pas manquer d’eau, serait d’un rendement régulier : elle a beaucoup moins à souffrir des inondations que la campagne du dixième mois, seules des crues précoces peuvent gêner la fin de la moisson dans les points bas.
Calcul des prix de revient comparés de l’élévation manuelle et mécanique de l’eau
– Pompage au moteur
121Prenons l’exemple d’un moteur Brandford 9 C.V. fonctionnant au gas-oil. La pompe actionnée élève en moyenne 400 m3/heure à 2,5 m de hauteur. En une journée de pompage de douze heures la quantité d’eau fournie à la rizière est d’au moins 4 000 m3 et suffit à l’irrigation de 4 ha. Ce chiffre de 1 000 m3/ha qui peut paraître faible s’explique par le fait que le sous-sol reste imperméable. On admet que le sol de la rizière était encore saturé d’eau avant l’irrigation. Le coût d’une journée de pompage est le suivant :
14 kg de gas-oil à 0,11 $/kg | 1,54 $ |
1,51 huile à 0,42 $/l | 0,63$ |
Un mécanicien et un aide | 0,70 $ |
Transport du moteur au point de pompage | 0,30 $ |
Amortissement en 500 journées de travail de 1 900 $ | |
(moteur et pompe) | 3,80 $ |
Total | 6,97$ |
soit 1,74 $/ha |
122On admet que la valeur du moteur et de la pompe après cinq cents jours de travail équivaut à l’intérêt du capital engagé et aux frais d’entretien.
– Étude du rendement des appareils annamites d’élévation de l’eau
123Les deux appareils étudiés sont : le panier à cordes, qui exige deux personnes, et l’écope ou balancier qui n’en demande qu’une9.
124Les mesures ont été faites sur trois équipes par appareil, et pour chaque équipe le chiffre donné est une moyenne de dix mesures. Le nombre des mesures est trop faible pour qu’on puisse prendre les chiffres comme moyenne générale, mais ils servent à donner l’ordre de grandeur. Il a été mesuré :
la hauteur utile d’élévation en centimètres (différences de niveau entre les deux plans d’eau inférieur et supérieur) ;
le volume d’eau élevée par panier ou par écope. L’eau était, pour la mesure, recueillie dans un grand chaudron.
le nombre moyen de paniers ou de cordes élevés en dix minutes de travail continu.
125Le travail effectif moyen d’un coolie a été estimé approximativement à quarante minutes par heure pendant dix heures par jour (c’est là un maximum) ; ce qui a permis d’avoir le rendement journalier en m3 élevés et en kilogrammètres10 utiles fournis. Le nombre de kilogrammètres par seconde11 utiles fournis en pleine action a été calculé, ou on a déduit (un peu arbitrairement, peut-être) la puissance effectivement développées par l’ouvrier en multipliant le chiffre obtenu par 1,5 : l’eau est élevée plus haut que le plan d’eau supérieur, et le poids mort des récipients est chaque fois élevé (cf. les tableaux 2 et 3).
Tableau 2. - Volume d’eau élevée à l’aide de l’écope et du panier à cordes
N° de l’équipe | Appareil employé | Hauteur utile d’élévation (en cm) | Volume unitaire d’eau élevée (en l) | Nombre de récipients élevés en 10 min d’action continue | Nombre de récipients élevés par jour de 400 min de travail | Volume d’eau élevée par jour (en m3) |
1 | Panier | 99 | 231 | 9 240 | 115,5 | |
2 | à | 96 | 12,5 | 227 | 9 080 | 113,5 |
3 | cordes | 101 | 223 | 8 920 | 111,5 | |
4 | 13 | 13,2 | 328 | 13 120 | 173,2 | |
5 | Écope | 45 | 8,6 | 241 | 9 640 | 82,9 |
6 | 62 | 10,1 | 293 | 11 720 | 118,4 |
Tableau 3. - Rendement de l’écope et du panier à cordes
N° de l’équipe | Appareil employé | Énergie utile fournie par jour (en joule/jour) | Puissance utile en pleine action (en watt) | Puissance effective en pleine action (en watt) |
1 | Panier | 114 435 | En moyenne, | En moyenne, |
2 | à | 108 960 | 4,8 W/2 hommes | 7,2 W/2 hommes |
3 | cordes | 112 615 | soit 2,4 W/homme | soit 3,6 W/homme |
4 | 22 516 | 0,9 | 1,35 | |
5 | Écope | 37 205 | 1,5 | 2,25 |
6 | 73 408 | 2,9 | 4,35 |
126Ces résultats appellent les remarques suivantes :
La cadence d’élévation est très régulière avec le panier à cordes, les écarts autour de la moyenne ne dépassant pas 2 %, alors qu’elle est variable avec l’écope. Cela tient à ce que les deux coolies qui élèvent le panier doivent adopter un rythme moyen, tandis que le coolie qui actionne l’écope, étant tout seul, travaille à sa fantaisie. Normalement la cadence et le volume d’eau élevée diminuent avec la hauteur d’élévation, mais le facteur individuel joue – c’est ainsi que le coolie de l’écope n° 5 était manifestement moins courageux que celui de l’écope n° 6 qui élevait plus haut, plus vite, et un plus grand volume d’eau unitaire ;
Ringelmann admet comme chiffre moyen de puissance fournie par un ouvrier français travaillant à la manivelle, 6 à 8 kg.m/s s’il est payé à la journée, 9 à 12 kg.m/s s’il travaille à la tâche. Les chiffres trouvés : 3,6 kg.m/s avec le panier à cordes et 4,3 kg.m/s (maximum) avec l’écope indiquent une puissance fournie égale à la moitié de celle de l’ouvrier français ;
Pour les hauteurs d’élévation inférieures à 60 cm l’écope donne un rendement en eau supérieur au panier à cordes ; au-delà de ce chiffre, il est plus intéressant de se servir du panier ;
Il n’a pas pu être fait de mesure (faute d’un bassin cubé) avec la noria qui, utilisant tout le poids du corps du coolie, paraît devoir donner un rendement supérieur au panier à cordes pour des hauteurs d’élévation comprises entre 0,6 et 1 m. Au Japon, l’instrument d’élévation de l’eau de beaucoup le plus répandu est une noria dans laquelle l’eau monte suivant un canal en arc de cercle, tandis que dans la noria annamite le canal est rectiligne ; mais toutes deux reposent sur le même principe, le coolie pesant de tout son poids sur l’appareil. La noria du Yunnan est une noria annamite réduite actionnée par les bras seulement. Pour une même fatigue de l’ouvrier le travail fourni est plus réduit.
— Prix de revient de l’élévation manuelle
127Dans la région la hauteur d’élévation de l’eau est ordinairement comprise entre 1 et 2 m. Admettons, pour simplifier les calculs, que la moitié de la concession puisse être irriguée avec une élévation du panier à cordes, l’autre moitié nécessitant en plus une élévation à l’écope.
128Admettons toujours qu’il faut 1 000 m3 d’eau par hectare et par irrigation :
pour élever les 500 m3 d’eau nécessaires aux 50 ares du premier cas, il faudra mettre une équipe de deux ouvriers pendant 4,5 jours, soit 9 journées de coolie pour la première moitié ;
pour élever les 500 m3 d’eau nécessaires aux 50 ares du second cas, en prenant le cas le plus favorable de l’équipe n° 4, il faudra en plus 3 journées, soit 12 journées de coolie pour la seconde moitié.
129Pour irriguer 1 ha par élévation manuelle de l’eau, il faut donc vint et une journées de coolie à 0,3 $ en moyenne soit 6,3 $. Avec motopompe nous avions trouvé 1,74 $.
130La comparaison de ces deux chiffres se passe de commentaires. Les métayers et exploitants du voisinage sont très heureux quand le concessionnaire leur irrigue leurs terres pour :
$/ mẫu si la terre est sèche, soit 4 $/ha
$/ mẫu en terre saturée d’eau, soit 2,77 $/ha
131Le matériel de pompage de l’exploitation comprend :
un moteur Brandford 9 C.V. et sa pompe
un moteur Bolinders 6 C.V. et sa pompe
un moteur Mathis 3,5 C.V. et sa pompe.
132Les débits étant respectivement 400, 250 et 100 m3 à l’heure en élevant l’eau de 2,5 m de hauteur. Le petit moteur à essence facilement transportable sert à l’irrigation de petits casiers ; par exemple des pépinières. En cas de grands besoins d’eau les deux tracteurs Fordson peuvent aussi actionner deux pompes centrifuges établies pour eux.
133Quand il n’y a pas de système de canaux aménagés, l’installation de stations de pompage trop importantes (2 000, 3 000 ou 4 000 m3 horaires) a l’inconvénient d’entraîner toutes les matières fertilisantes solubles des rizières hautes, frappant parfois celles-ci de stérilité. Il faut ou aménager des canaux ou préférer l’établissement de plusieurs stations de pompage à moyen débit.
– Avantages du pompage au moteur
134Il y a d’abord son prix de revient, l’irrigation manuelle coûte trois fois et demi plus qu’avec moteur en comptant la journée de coolie à 0,3 $. Mais, dira-t-on, les cultivateurs, s’ils ne pompaient pas l’eau, n’auraient rien d’autre à faire, pendant ce temps. Cela serait moins vrai s’il n’y avait pas la monoculture du riz presqu’absolue, la pratique d’autres cultures aurait l’avantage d’échelonner les besoins de main-d’œuvre. Même si l’on ne compte comme dépense pour le coolie que le kilogramme de riz qu’il consomme dans sa journée, soit au moins 0,14 $ (mars 1930), le pompage au moteur est encore plus économique (le coolie qui fournit un effort consomme facilement un kilogramme de riz dans sa journée). En outre, pendant les périodes de sécheresse, jamais le paysan n’arrive à fournir à la rizière toute l’eau nécessaire, c’est là une des raisons capitales des faibles rendements obtenus. Le moteur peut, en cas de besoin, travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant huit jours ou dix jours consécutifs, avec deux équipes de surveillance qui se relayent. Et quand on pense qu’un moteur de 9 C.V. fait le travail de cent soixante coolies, on voit les soucis de recrutement, de comptabilité qu’il épargne. Et l’état sanitaire de la culture sera certainement amélioré le jour où, pouvant économiquement élever de grosses quantités d’eau, le cultivateur annamite renouvellera l’eau de sa rizière ; on sait que le riz préfère à l’eau stagnante une eau légèrement courante, mieux pourvue en oxygène.
TRAVAUX DE RÉCOLTE
Moisson
135Elle est faite entièrement à la main, et avec deux instruments : le crochet annamite dans le cas où on coupe le riz à mi-hauteur, la faucille si l’on coupe plus bas ou au ras du sol : c’est-à-dire que pour la moisson du cinquième mois, c’est le crochet qui est le plus employé, car tout le riz est coupé avec le minimum de paille nécessaire pour qu’on puisse botteler, le reste étant enfoui par le labour. Cependant les ouvrières qui consentaient à se servir de la faucille, pour cette récolte allaient plus vite que les autres. Tandis qu’au dixième mois, les besoins de paille sont plus grands, et on a coupé le riz tantôt à 20-30 cm du sol, tantôt au ras du sol, toujours avec la faucille. Au début de cette moisson le riz était coupé à 20 ou 30 cm de hauteur, puis quelques jours après une équipe repassait dans le champ couper les chaumes à ras du sol : l’épi seul avec la partie supérieure de la paille est transporté de suite à la ferme, les chaumes sont entassés sur les diguettes, et les ouvriers les rapportent peu à peu en rentrant le soir à la ferme, quand ils reviennent de labourer ou de repiquer.
136Ce procédé de couper le riz à la faucille en deux fois était très long, et ne pouvait se soutenir que parce que la seconde partie du travail était effectué le soir, une fois la nuit tombée, et qu’à ce moment on ne pouvait plus faire moissonner. L’argument est spécieux car si l’on veut prolonger la journée de travail il y a des travaux de terrassement, d’aménagement – pour l’irrigation par exemple – plus utiles ; il est vrai qu’on ne peut guère demander au coolie de prolonger sa journée pour un travail qui n’ait aucun rapport avec la moisson. Étant donné la siccité de presque toutes les parcelles lors de la récolte, cette deuxième coupe eut pu aisément être faite avec une faucheuse ordinaire, de même que l’on eut pu faire presque toute la moisson avec une moissonneuse-lieuse comme en ont adapté pour le riz les Américains en Californie. Les services agricoles du Cambodge ont employé la moissonneuse avec succès.
137Sur la fin de la moisson, le riz était coupé à ras du sol, réuni en javelles et une femme coupait la paille de chaque javelle à mi-longueur : c’est déjà un progrès. On ne veut pas rapporter toute la paille d’un coup à la ferme, prétendant que le cheptel refuse de manger la partie basse de la paille : cela n’est vrai que si les chaumes séjournent un ou deux mois sur les diguettes et pourrissent lentement. Une paille séchée dans de bonnes conditions est toujours bien acceptée. Le second argument invoqué en faveur de cette méthode est la question du transport ; si celui-ci était rationnellement organisé, ce ne serait rien ; le troisième est que le battage est plus rapide avec moins de paille, ce qui est vrai mais n’est pas suffisant. On voit parfois les métayers couper la tige en deux reprises, puis venir arracher les chaumes à la main.
138La grande vérité de ce pays c’est que la main-d’œuvre y est trop bon marché, et que cela encourage des méthodes de travail routinières : il est rare de voir l’agriculteur rechercher le progrès, celui-ci lui est imposé par la nécessité. Les parties basses des chaumes servent de litières, mais le long séjour sur les diguettes, avec les alternatives de rosée, de crachin et de soleil doit avoir diminué beaucoup leur valeur fertilisante ; le fumier sera moins riche et les diguettes, la seule surface inculte, reçoivent une bonne partie des matières fertilisantes.
139La substitution de la machine à l’homme pour cette opération de moisson serait facilement réalisable lors de la récolte du dixième mois, la terre sèche est généralement ferme, et le riz peu versé ; au cinquième mois les pluies détrempent le sol ; en terre argileuse les roues patinent, le riz est versé en tous sens ; il faudrait une machine spécialement adaptée à la moisson en rizière d’une part, et d’autre part, sélectionner des variétés résistantes à la verse ; enfin assurer un bon drainage des parcelles pour travailler le moins possible en terrain submergé.
140Des essais ont été réalisés avec un appareil à moissonner japonais coupant une ligne de riz à la fois. Un ouvrier pousse devant lui l’appareil qui glisse sur le sol par deux patins cylindriques. Il se compose essentiellement de deux lames coupantes en V munies de petites dents de scie. A la pointe du V une guillotine sectionne les pailles qui ne l’auraient pas été. Le riz tombe sur une plaque portée de côté, quand cette plaque est pleine avec un râteau léger l’ouvrier fait tomber la javelle à terre. Les essais n’ont pas été concluants, le riz était mal coupé, il y avait souvent bourrage, la paille ne paraît pas assez rigide. La difficulté était accrue par la verse en tous sens due aux orages. Les essais repris au dixième mois avec du riz debout en terre sèche, n’ont pas donné de meilleurs résultats, et cet appareil – qui serait très répandu au Japon – a dû être abandonné. Au cinquième mois, la surface coupée par jour est en moyenne de :
1411,7 sào ou 6,1 ares par homme, soit 15 jours d’homme/ha repiqué ;
1421,5 sào ou 5,4 ares par femme, soit 18 jours de femme/ha repiqué ;
1431,2 sào ou 4,3 ares par enfant, soit 23 jours d’enfant/ha repiqué.
144Cette surface est imposée aux équipes : les ouvriers travaillent par équipe de quatre à huit, en général originaires du même village ; le matin on leur indique la surface à couper, calculée d’après les données ci-dessus. Dès que cette surface est coupée et les charges de riz rapportées à la ferme ils sont libres, mais ceux qui n’ont pas terminé à la nuit doivent continuer. Ce n’est pas le travail à la tâche, mais le travail à la journée avec tâche fixe imposée. Le travail à la tâche exciterait paraît-il trop de jalousie à cause des différences sensibles qu’il comporterait dans les salaires journaliers. Il y aurait aussi risques de malfaçons.
145Au cinquième mois, 100 mẫu (36 ha) de rizières basses ont été inondées, recouvertes de 30 à 50 cm d’eau. Tous les hommes disponibles ont moissonné en hâte cette surface. On n’y a pu mettre les femmes que les morsures de sangsues ont vite fait de rebuter. Dans ces conditions un homme ne moissonne plus que 1,2 sào ou 4,3 ares par jour. Au dixième mois, le rendement moyen du moissonneur (hommes, femmes et enfants) pour l’ensemble de la récolte peut être évalué à 2 sào ou 7,2 ares par jour, le travail comprenant moisson et transport de la récolte sur la route. Au début la surface coupée oscillait entre 1,5 sào et 2 sào, mais à partir des derniers jours de novembre, on a dû mener de front moisson et repiquage, aussi le chef d’exploitation a assuré personnellement la surveillance de l’équipe de moisson pendant toute la journée et le rendement moyen est passé à plus de 3 sào (11 ares) par coolie et par jour ; il est vrai que dans les champs moissonnés à ce moment le riz était très peu dense.
– Main-d’œuvre
146Le recrutement des coolies au dehors n’a été intensifié que pour la seconde moitié de la moisson du cinquième mois : de 70 au début de la moisson le nombre de coolies passe à 100 le 27 mai, à 150 le 3 juin, et reste supérieur à 400 du 7 au 11 juin, atteignant 550 les 9 et 10 (cf. le graphique 1).
147Beaucoup de coolies recrutés dans la province arrivent à pied ; d’autres viennent de la région de Ha-Dong, par le train jusque Bac-Ninh. Ceux-là reçoivent une piastre par tête pour leur voyage aller et retour. Le taux du salaire (cf. le graphique 2) est fixé chaque soir pour la journée du lendemain : il est toujours légèrement au-dessus du taux établi à la « foire aux coolies » qui en temps de moisson se tient chaque jour au huyện voisin : c’est que le travail exigé ici est plus dur que chez le petit cultivateur. Pendant toute la durée de la récolte du dixième mois, le personnel employé sur l’exploitation a oscillé autour d’une centaine de personnes. La moisson du cinquième mois est l’opération la plus coûteuse de l’année : on estime qu’à surface égale elle coûte le tiers ou la moitié de plus que celle du dixième mois. C’est que la durée de la moisson est très courte, un mois au maximum et la récolte est toujours menacée de pluie prolongée et d’inondation. Le temps incertain oblige à de nombreuses manipulations du paddy pour arriver à un séchage convenable. La demande de main-d’œuvre est très élevée, d’où la hausse des salaires chaque année plus forte : les salaires ont été en 1929 de 70 cents pendant deux jours, en comptant la nourriture. Le rendement des employés, par les grandes chaleurs, diminue beaucoup.
Graphique 1. - Variations du salaire d’un coolie (en cents) et du nombre de coolies employés sur l’exploitation pendant la moisson du cinquième mois 1929 du 18 mai au 15 juin (en outre le coolie est nourri, ce qui coûte 15 cents par jour)

Graphique 2. — Variation du salaire d’un coolie de mars 1929 à février 1930 (en outre le coolie est nourri, ce qui coûte 15 cents par jour)

148Au dixième mois, au contraire, l’échelonnement de la moisson sur les mois d’octobre, novembre et décembre, le temps généralement sec, une température modérée font les salaires moins élevés – ils se sont maintenus à 20 cents et la nourriture – et le rendement du coolie meilleur.
149Dans une grande exploitation de la province de Vinh-Yên, le propriétaire fait exécuter la moisson et le battage par des tâcherons qui prennent pour cela 8 à 10 % de la récolte et sont nourris : ils reçoivent par jour trois bols de riz et 3 cents d’aliments complémentaires. Dans une autre concession, la moisson est faite en grande partie par des ouvriers du delta, qui sont payés en nature. Pour moisson et battage, ils touchent 3 à 4 % de la récolte en octobre, lors de la récolte des riz hâtifs, des riz rouges de culture sèche. Le pourcentage monte à 7 en novembre pour les riz de saison ; de plus les ouvriers sont nourris par le fermier. Quand le moissonneur a gagné sa charge de paddy (deux paniers) il la vend, ou, s’il n’habite pas trop loin, la rapporte chez lui et vient en gagner une autre.
150Dans la province de Thai-Nguyên, le coût de la moisson du dixième mois est assez élevé : les gros métayers qui emploient de la main-d’œuvre salariée doivent donner aux coolies : une charge par cent charges moissonnées et battues, 33 cents par jour, trois repas abondants, thé à volonté : cela met la journée de coolie à près de 60 cents.
151Dans la province de Hung-Yên, la moisson, le battage et le séchage du paddy sur l’aire sont exécutés à forfait par les mêmes ouvriers qui reçoivent pour cette tâche 4 à 6 $ par mẫu pour la récolte du dixième pois, 6 à 8 $, et jusqu’à 12 $ en cas de très mauvais temps pour le cinquième mois.
152Un homme peut moissonner et apporter à la ferme la récolte de 2,5 sào dans sa journée, et le soir il bat ce qu’il a coupé le jour. Il arrive à gagner ainsi entre 1 et 2 $ par jour mais en travaillant très durement de quatre heures du matin à minuit ; il dépense alors 15 à 20 cents pour sa nourriture ; car le propriétaire ne lui fournit qu’un petit repas le matin. Le coolie attaché à l’exploitation toute l’année est nourri et gagne 4 à 5 $ par mois. Dans une concession voisine ces mêmes opérations sont exécutées à la tâche moyennant 10 % de la récolte, les coolies étant nourris.
– Transport de la moisson du champ à la ferme (ferme de Bac-Ninh)
153Au cinquième mois, les gerbes de riz étaient apportées sur l’épaule des moissonneurs à l’une des deux fermes (la plus proche du champ) de la concession ; ce n’était que quand la rizière était par trop éloignée que les moissonneurs portaient leurs charges sur la route, d’où le tracteur les ramenait aux fermes sur une remorque. Il arrivait que le soir les moissonneurs faisaient plus d’un kilomètre ainsi chargés, et cela trois ou quatre fois de suite. La charge moyenne rapportée est 40 kg par homme et 30 kg par femme ; mais quand il travaille pour son propre compte le paysan porte plus (jusque 60 et 70 kg).
154Au dixième mois, un progrès lut réalisé : le riz amené à la route sur l’épaule était chargé sur des charrettes traînées chacune par un bœuf. La charrette ne pouvait recevoir au maximum qu’une charge de 400 kg, à cause de ses petites dimensions et du peu de force du cheptel ; les coolies ne savaient pas y disposer le riz dont on semait des poignées sur le bord de la route. Mais si les détails n’étaient pas au point, ce mode de transport par traction animale est à encourager. Il faut résoudre aussi la question du transport du champ à la route autrement que sur l’épaule du coolie, surtout si le champ est un peu loin : la meilleure solution paraît être l’emploi du traîneau, capable de franchir aisément diguettes et fossés ; on l’emploie en Cochinchine, et au Tonkin on en rencontre quelques-uns dans la moyenne région. A défaut de cheptel, pour le très petit cultivateur, le transport par charrette à bras ou vieux pousse-pousse sur route, et par brouette sur les sentiers comme cela se pratique beaucoup aux environs de Vinh-Yên, est préférable aux deux charges portées sur l’épaule par le bambou.
155Une solution économique du problème des transports permettrait de ramener à la ferme lors des deux récoltes, la totalité de la paille. En coupant celle-ci au ras du sol, cela permettra de mieux nourrir le cheptel et de mettre sous les animaux une litière abondante, d’où augmentation de la production de fumier ; d’autre part, on détruira beaucoup de pyrales et autres lépidoptères parasites qui font leurs cocons à la base des tiges (c’est à cause de ceux-ci que l’on peut condamner absolument la vieille pratique du brûlage des chaumes, si préjudiciable au point de vue stock d’humus, tant qu’on ne rapportera à la ferme la totalité de la paille). Si au cinquième mois on éprouve des difficultés pour faire sécher de grosses quantités de paille venant de champs plus ou moins inondés, deux solutions se présentent à l’esprit : fabrication de fumier artificiel, si l’on dispose d’une provision suffisante d’aliments du bétail ; ensilage dans le cas contraire.
Battage
156C’est une opération qu’il importe de réaliser d’urgence dans le cas de la récolte du cinquième mois, car par temps pluvieux le riz arrive à la ferme mouillé, la paille est généralement encore verte et il faut battre de suite. On ne peut faire sécher cette céréale dans des champs souvent submergés et avec des pluies torrentielles ; mise en tas elle s’échauffe rapidement – le tas fume au bout de quelques heures – et le paddy perd de sa valeur ; après vingt-quatre ou quarante-huit heures suivant la température il commence à germer.
157C’est pourquoi le battage doit suivre la même cadence que la moisson, et être réalisé par des moyens mécaniques dans les grandes exploitations ; sinon il exige un supplément de coolies égal au tiers, parfois à la moitié des ouvriers qui moissonnent. L’exploitation emploie une batteuse Plisonnier en bout très simple : la paille arrive, perpendiculairement à son axe sur un cylindre batteur muni de dents ; le contre-batteur est muni de mêmes dents, en quinconce avec les précédentes ; un secoueur de paille fait suite et c’est tout. La force exigée est de 2,5 C.V.
158Avec dix à douze personnes, y compris le mécanicien et son aide pour le moteur à huile lourde, cette machine battait environ 250 qx de paddy en vingt-quatre heures, soit 10 à 12 qx par coolie employé et par jour puisqu’il y avait deux équipes.
159Par le procédé indigène (qui consiste à serrer une bottelette par une corde qui relie deux bâtons et à frapper la botte ainsi tenue sur une grosse pierre posée sur un support fait de quatre pieux) un coolie ne peut battre au grand maximum que deux quintaux par jour ; l’économie de main-d’œuvre réalisée est dans le rapport de 1 à 5 ou 6. La batteuse qui n’a pas coûté 200 $ est certainement amortie en une saison. Le travail réalisé était satisfaisant, à condition de ne pas dépasser le régime normal de 800 tours/minute : à 1 000 tours on commençait à briser un certain nombre de grains.
160A la fin de la moisson la quantité de riz battu était telle (plus de 4 000 qx) que les dents du batteur étaient fortement usées par la silice des glumes, il n’en restait plus la moitié. Chaque coolie reçoit trois repas à 5 heures 30, à midi et à 19 heures 30 s’il travaille de jour. Ces repas sont composés presque exclusivement de riz (1 kg par tête) puis quelques légumes et du lard. S’il fait partie de l’équipe de battage de nuit (travail rendu possible par l’installation de la lumière électrique, le courant étant produit à la ferme, le même moteur actionnant batteuse et dynamo), il reçoit quatre repas à minuit, 7 h, midi et 17 h.
– Batteuse japonaise
161Une telle batteuse exigeant l’emploi d’un moteur ne saurait être employée que dans les grandes exploitations. Pour les moyennes exploitations qui ne sont pas fréquentes dans le delta, il existe une petite batteuse actionnée par l’homme au pieds, par un pédalier analogue à celui de la machine à coudre, qui ne se compose que d’un cylindre batteur, suivant les génératrices duquel sont des lattes de bois, sur lesquelles sont clouées tous les 3 cm des vertigelles d’acier. On fait tourner ce cylindre, et quand la vitesse est suffisante on prend une poignée de riz à la main et on applique les épis dessus, les grains en sont arrachés ; on retourne la poignée, puis on passe à une autre. Le travail réalisé est excellent en ce sens que la proportion de grains brisés est nulle et celle de ceux qui restent dans la paille infime, bien inférieure à ce qu’on obtient avec les meilleures grandes batteuses, même avec les variétés à grain adhérant fortement à la paille, comme le riz gluant. Un essai de rendement effectué avec quatre hommes travaillant sur deux de ces batteuses pendant treize heures dans leur journée a donné 36 qx soit 9 qx par homme et par jour. Il est vrai que ceux-ci étaient surveillés, ce rendement peut être considéré comme un maximum pour un travailleur salarié ; par contre il serait couramment réalisé par un cultivateur bien habitué et travaillant pour son propre compte.
162Considérons une moyenne exploitation, de 10 ha, à rendement moyen de 14 qx de paddy à l’hectare soit 140 qx. Avec le procédé indigène il faudra pour le battage soixante-dix journées de travail.
163Nous comptons un salaire moyen pendant la moisson du cinquième mois de 35 cents (cf. le graphique 1) et 15 cents de nourriture soit 50 cents par jour. Le coût du battage ressort à 35 $· Avec la batteuse japonaise un homme battant 7 qx par jour (il se fatigue moins que le précédent), nous avons :
Vingt journées de travail | 10 $ |
Graissage, amortissement et entretien de la batteuse | 5 $ |
Total | 15 $ |
164La batteuse coûtant 35 $ environ serait plus qu’à moitié payée après une moisson du cinquième mois par l’économie de main-d’œuvre. Le paddy plus rapidement battu serait de meilleure qualité. N’oublions pas qu’il y a parfois impossibilité de se procurer toute la main-d’œuvre nécessaire. Le fonctionnement est simple et les réparations aisées.
Séchage de la paille
165Au cinquième mois, la paille était mise à sécher dans la cour et sur les routes, puis battue à nouveau ; ainsi la proportion de grains qui reste dans la paille est infime. Cela ne fut possible que grâce au temps sec de la seconde partie de la moisson, si les pluies de fin mai avaient duré, la conservation de la paille n’eut été possible que par ensilage, sinon on eut séché de la paille moisie.
166Au dixième mois, après battage, la paille est mise à sécher sur la route ; de cette façon bêtes, gens et charrettes en passant dépiquent une bonne partie des grains restants, qui sont ensuite recueillis en balayant la route, nettoyés sous un courant d’eau et séchés. Le paddy obtenu, de qualité inférieure, sert à l’alimentation des coolies de l’exploitation. Dix tonnes de paddy auraient été ainsi récupérées cette campagne ; ce chiffre montre l’intérêt de cette méthode, qui a par ailleurs l’inconvénient de diminuer la qualité de la paille – aliment qui reçoit les déjections des animaux et surtout qui prend beaucoup de poussières ; il faudrait ultérieurement bien la secouer avant de la donner aux animaux, sinon on peut avoir des accidents. Peut-être un meilleur réglage de la batteuse ou une meilleure machine à battre dispenserait d’un semblable procédé ; auquel cas la paille pourrait être mise à sécher sur un champ déjà moissonné (ce qui est rarement possible au cinquième mois) et aurait ainsi plus de valeur.
Séchage du paddy
167Dès que le paddy mouillé du cinquième mois reste quelques heures en tas il s’échauffe, prend une odeur de moisi et germe. Aussi est-il mis à sécher au soleil sur une aire carrelée au sortir de la batteuse. Mais le temps n’est pas toujours beau et ce sont les mauvaises conditions de séchage qui sont la cause du prix inférieur auquel les riz de cette campagne sont payés. Par ailleurs, il y a souvent plusieurs fois par jour des alternatives de pluie et de soleil, et une vingtaine de coolies est occupée à étaler le paddy, à le remuer, puis en cas de mauvais temps, à le remettre en tas couverts de paille. Ces manipulations se font avec un instrument de bois analogue à la pelle à cheval, traîné par un ou deux coolies et tenu par un autre.
168Après quelques heures de séchage, on fait passer sur le paddy étendu sur l’aire, des coolies qui tracent des sillons avec leurs pieds. On peut faire plus rapidement ce travail par deux ouvrier, l’un traînant une planche munie de dents que l’autre maintient verticale. Mais la meilleure solution consisterait à employer un bâti de trois mètres de large, muni tous les 30 cm d’un petit versoir de charrue qui laboure la masse de paddy. Cet appareil d’un usage courant en Italie serait traîné par un bœuf.
CONCLUSION
169L’avenir des grandes exploitations rizicoles réside dans l’emploi généralisé du machinisme réduisant la main-d’œuvre. Le progrès, dit Ringelmann, consiste à employer, chaque fois que cela se peut, l’énergie des animaux et des moteurs à la place de l’énergie humaine. Alors que le moteur s’impose aux grands propriétaires, pour la masse des petits exploitants la solution est l’animal. Il est scandaleux de voir le cheptel ne rien faire en dehors des périodes de labour. La généralisation des norias à traction animale, du type des stations de démonstration des améliorations agricoles, serait souhaitable. Mais ce sont surtout les transports de toute nature qui devraient être assurés par les animaux. Un progrès susceptible de réduire la fatigue des coolies intéresse rarement les propriétaires. C’est une grave faute, car le rendement d’un coolie non surmené serait bien meilleur ; quand on allonge exagérément la journée de travail on diminue son intensité.
170Un emploi plus intensif de la traction animale devrait avoir pour base une meilleure alimentation du cheptel. Les grandes concessions devraient donner l’exemple, et, quand elles ne possèdent pas de mamelons, réserver une petite partie de leur surface à faire des cultures fourragères. La réussite des prairies naturelles de Bach-Mai indique ce qu’il est possible de faire dans ce sens, et les fourrages artificiels, graminées ou légumineuses, ne manquent pas, ce serait là un problème facile à mettre au point par le concessionnaire lui-même. En tous cas, sans transformer le système de culture actuel, on pourrait faire un emploi plus large d’aliments concentrés complémentaires, le son de riz en première ligne ; il arrive que des tourteaux comestibles par le bétail soient épandus comme engrais ; il en est de même d’une grande partie des drêches desséchées de la distillerie de Cho-Lon. Ce sont là autant d’hérésies à combattre, les matières grasses et hydrocarbonées sont perdues sans profit pour le sol. A cela on répond ordinairement que les animaux sont trop bon marché, qu’on ne peut faire pour eux de gros sacrifices : oui, mais s’ils n’ont d’autre alimentation que la paille demi-moisie et l’herbe de la diguette, jamais on ne pourra leur demander d’efforts intensifs.
171Au point de vue irrigation, nous avons vu dans quel sens on pourrait agir : généralisation du pompage au moteur, aménagement de canaux permettant d’alimenter les parcelles basses sans traverser, en les appauvrissant, les parcelles hautes.
172Les parties basses de l’exploitation de Bac-Ninh sont rarement cultivables au dixième mois à cause de l’accumulation des eaux pluviales. Or, à part quelques jours de crue, le niveau de ces eaux est supérieur à celui du Sông Câu ; on peut donc les évacuer. Les villages intéressés se sont associés pour établir trois écluses dans la digue. Le capital nécessaire – quarante mille piastres – a été avancé par le Budget général, et les communes se sont engagées à rembourser sans intérêt. Ce genre de travaux et surtout le remboursement des dépenses par les bénéficiaires sont d’excellentes formules qui, si elles avaient été appliquées aux grands travaux d’irrigation, auraient permis, grâce à l’argent récupéré, d’en réaliser ultérieurement d’autres sur une plus grande échelle.
173Au point de vue de la fumure, il faudrait d’abord supprimer le gaspillage en recueillant avec soin les déjections solides et liquides des animaux et des hommes : il ne faut pas oublier que les urines ont encore plus de valeur que les excréta solides.
174L’emploi des engrais chimiques devrait être tenté sur une petite échelle par toute concession un peu importante. Les essais en cours dans le delta montreront d’ici un an ou deux ce qu’on peut en attendre.
Notes de bas de page
1 Bulletin économique de l’Indochine, section B, 33e année, mars 1930, p. 249-292.
2 Cf. le « Compte rendu des travaux 1928-1929. III. Essais d’engrais en rizière » qui constitue le n° 4 du Bulletin économique de l’Indochine, Section B, 33e année, 58 p.
3 Cf. le Bulletin économique de l’Indochine, Section B, novembre 1930, p. 875-882.
4 Un phu’o’ng (dans la région en question) équivaut à 44 1 environ ou 26 à 27 kg de paddy suivant sa densité
5 Les trois premières exploitations de ce paragraphe sont situées aux confins du delta, où le loyer est toujours plus réduit.
6 La durée de la journée de travail est de sept heures en Italie, de onze heures ici ; le rendement horaire est comparable.
7 Ingénieur agronome Ε. P. Z. de la Société française des distilleries de l’Indochine
8 Planche sans ou avec des saillies de bois ou des couteaux de fer
9 Pour la description de ces appareils, cf. l’article de P. Pouchat « Le matériel de ferme au Tonkin » (Bulletin économique de l’Indochine, 1906, p 1071-1073).
10 L’énergie est exprimée en joule (symbole : J) de nos jours [NdÉ].
11 Abrégé kg.m/s ou watt (symbole : W) [NdÉ],
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