Chapitre IX. Fumure et engrais verts
Amendements et colmatage, fumier de ferme, engrais humain et autres engrais locaux, engrais chimiques et engrais verts
p. 145-191
Texte intégral
1Dans une terre normalement irriguée et bien ameublie, un accroissement de rendement est généralement possible par l’apport d’une fumure appropriée. Dans l’avenir, l’amélioration génétique de la plante contribuera à l’obtention de progrès plus sensibles ; mais l’agriculteur annamite sait bien qu’il peut, dès la prochaine campagne, élever la production de sa rizière en la fertilisant.
AMENDEMENTS ET COLMATAGE
La chaux et le calcaire
2Les résidus de four à chaux produisent de bons effets dans les terres excessivement acides de la bordure du delta : quand le riz y jaunit une application de 60 à 200 kg/mẫu de chaux le fait reverdir. On épand aussi de la chaux en poudre, en cours de végétation, pour détruire les algues, les mousses et divers insectes, éloigner ou détruire les crabes et les sangsues. Près de Hung-Yên, nous avons lutté contre une invasion d’Utricularia en rizière du cinquième mois, par l’épandage de 200 kg/ha de chaux ; la destruction a été aussi complète, et moins coûteuse, que par l’arrachage à la main.
3Ailleurs la chaux, vive ou éteinte, ne doit être appliquée qu’avec prudence, après essais portant sur plusieurs années. Le riz s’accommode bien des terres moyennement acides et le chaulage dans les rizières des autres contrées de l’Asie tropicale et équatoriale donne des résultats contradictoires, assez souvent nuisibles. En activant les combustions organiques, elle peut priver le sol de sa précieuse réserve d’humus. En bordure du delta, dans les régions où on l’emploie de longue date sans inconvénient, on pourra s’inspirer des pratiques locales. Les légumineuses (arachide, soja, doliques et haricots) en ont sans doute plus besoin que le riz. La prudence conseille de ne jamais dépasser 200 kg/mẫu ; 50 ou 100 kg suffiront souvent.
4Dans la province de Vinh-Yên on a commencé, en 1927, à substituer la chaux aux phosphates naturels, à cause de son plus bas prix. On l’employait en mélange avec des cendres à la dose de 200 kg/mẫu. Les résultats ont été médiocres. Provoquant une mobilisation excessive des réserves azotées, l’apport de chaux a présenté, la première année, l’inconvénient d’une fumure azotée excessive : développement foliaire exagéré, pourcentage élevé de grains vides ou peu remplis. A l’usinage, un commerçant du chef-lieu a obtenu 60 à 65 kg de riz (riz blanchi et brisures en mélange) par quintal de paddy provenant de rizières chaulées, alors que le paddy normal de la région rend 70 kg. Après un ou deux chaulages les plants de riz restent rabougris et la productivité est fortement diminuée.
5Dans l’ensemble du delta les avis des agriculteurs sur l’efficacité de la chaux sont très partagés, même en terres moyennement acides. En bordure du Fleuve Rouge elle est inutile. On n’en met que si l’on peut apporter avec elle du fumier ; mais l’usage de cet amendement n’est vraiment généralisé que pour la lutte contre diverses plantes adventices et autres ennemis du riz.
6A la chaux, amendement brutal, nous préférons le calcaire finement broyé. Les frais de broyage et de transport élèveraient son prix de revient aux environs de 10 $/t, aussi ne peut-on conseiller cette fabrication, quand les déchets de fours à chaux se vendent 4 à 5, parfois 3 $/t, la chaux vive valant de 7 à 10 $.
7Dans les carrières de Kinh-Môn (à la limite du delta, province de Hai-Duong), le résidu de l’extraction des pierres pour les fours à chaux est utilisé dans les environs, transporté par eau dans un certain rayon (Dong-Triêu). Ces petits cailloux calcaires sont mis en rizières argileuses acides à raison de dix à quinze paniers d’environ 15 kg/sào, soit 4 à 6 t/ha ; chaque panier coûte, suivant l’éloignement de 3 à 6 cents (2 à 4 $/t). Les agriculteurs qui les emploient ont constaté qu’ils allègent le sol (sans doute par leur action sur le complexe colloïdal) et accroissent sa productivité.
Le sel
8Le sel est d’un emploi courant dans la province de Bac-Giang (surtout le réseau d’irrigation du Sông Câu). On s’en sert aussi dans les provinces de Thai-Nguyên, VinhYên et Phuc-Yên. Son usage daterait d’une cinquantaine d’années : après avoir renversé par hasard dans la rizière une touque de nu’ốc mắm ou saumure de poisson, on aurait remarqué une plus belle végétation de riz, des touffes très vertes, des panicules longues et un rendement supérieur pendant au moins deux ans.
9Le sel est épandu à la dose de 50 à 100 kg/mẫu dans les régions aisées, de 20 à 25 kg/ mẫu dans le Yên-The plus pauvre, juste avant le repiquage des rizières du dixième mois, pour éviter les pertes si l’eau déborde les diguettes ; certains agriculteurs attendent même dix jours après pour que les plants soient repris. Son usage est généralisé dans les rizières hautes et moyennes où la couche arable est peu épaisse. Dans ces terres ferrugineuses les cultivateurs ont observé qu’il facilitait le travail du sol ; on dit couramment qu’un buffle peut labourer dans sa journée 3,5 sào de rizière régulièrement traitée au sel et seulement 2,5 sào après apport de phosphate qui semble durcir le sol1. En rizières basses, profondes et marécageuses, cultivées au cinquième mois avant l’ouverture du réseau d’irrigation, le sel, inutile, est parfois nuisible. Ici le phosphate donne plus souvent de bons résultats. Dans le réseau d’irrigation de Kep, on met parfois du sel aux riz du cinquième mois, quarante-cinq jours après le repiquage, quand les premières chaleurs activent la végétation.
10Les agriculteurs lui attribuent une élévation de rendement d’environ 1 q/mẫu. Il détruit une mousse appelée par les Annamites rêu rác, particulièrement envahissante en terres acides. On emploie le sel dans les pépinières à la dose de 4 kg/sào ; il donnerait des plants plus verts et plus vigoureux. On en met aussi sur les patates. Les agriculteurs trop pauvres pour acheter beaucoup de sel trempent les racines de mạ2 dans une solution salée, avant de les repiquer, comme d’autres font avec un lait de phosphates. Le sel est parfois mélangé avec la chaux, les cendres, ou même les phosphates naturels. On met ainsi 50 à 60 kg/mẫu d’un mélange à poids égal de sel et de phosphates, ou 20 à 25 kg/mẫu d’un mélange sel et cendres ; cette dernière formule est d’un emploi courant dans le Yên-The pour les pépinières.
11Le prix élevé du sel est un obstacle à son usage. On utilise la dernière qualité mais avec les droits le sac de 50 kg revenait à 2,2 $ en 1931, à la gare de Se-No (entre Bac-Ninh et Phu-Lang-Thuong), un centre important de commerce de cet engrais ; le cultivateur le payait dans son village environ 2,6 $. Ces dernières années, la baisse du paddy a provoqué une forte diminution de l’emploi du sel. Certains agriculteurs l’ont remplacé à contre-cœur par la chaux – quoique sachant le danger de cette pratique pour les récoltes ultérieures – à cause de son prix minime. Cette substitution ne peut qu’avoir de néfastes conséquences et il faut éviter qu’elle se généralise. Aussi devrait-on envisager la détaxe d’un sel dénaturé pour l’emploi en rizières.
Amendement des terres argileuses : balles de paddy et sable
12Les terres qui présentent une teneur excessive en argile, trop souvent labourées sous l’eau, ne profitent pas des avantages de l’aération et de l’oxydation. Le riz y souffre beaucoup d’une sécheresse temporaire ; elles retiennent l’eau avec une telle énergie que la plante a déjà soif quand le sol est encore humide3. Le crevassement superficiel brise les racines. On n’y peut faire de pépinières, les plants seraient difficiles à arracher et la terre adhérente aux racines malaisée à retirer.
13Une correction temporaire est obtenue avec l’apport de fumier pailleux ; mais la décomposition en est rapide et l’amélioration passagère. La balle de paddy, généralement brûlée ou employée comme litière, est parfois épandue directement, pour amender les rizières trop argileuses.
14Dans les villages de hàng sáo de la province de Hai-Duong on met quarante à cinquante paniers de balles par sào. Très léger, le panier d’environ 351 pèse 4,5 kg ; cette dose correspond à 2 000 kg/mẫu et à une épaisseur de 4 mm. La balle crée dans le sol de nombreuses petites cavités, facilitant la circulation de l’air, de l’eau et des solutions nutritives, donc l’oxygénation des racines et l’activité microbienne. Riche en silice, elle est lente à se décomposer ; son effet dure plusieurs années. A Vinh-Yên les hàng sào vendaient en 19311 cent le panier de balles d’environ 2 kg, soit 0,5 $ les 100 kg.
15Son emploi, très peu fréquent, nous a pourtant été signalé un peu partout (Vinh-Yên, Thai-Binh, Bac-Giang, etc.). Il pourrait être généralisé avec profit, soit qu’on apporte la balle dans la rizière, soit qu’elle y vienne dans le fumier si elle a servi de litière. A Kep les agriculteurs disent qu’elle rend la terre plus meuble (noi dât) ; le voisinage de la forêt procure du combustible à bon marché et y permet l’emploi des balles en rizières.
16Un amendement définitif des sols trop argileux est réalisé, dans certains pays rizicoles, par l’apport de sable4. En Italie, on met parfois de 700 à 1 000 m3 /ha de sable pris en saison sèche dans le lit des rivières voisines et transporté par tombereaux. La terre est recouverte de 7 à 10 cm de sable pour une profondeur moyenne de labour de 18 à 20 cm. Au Tonkin, où le travail est plus superficiel, une couche de 3 à 4 cm, correspondant à 100 ou 150 m3/mẫu, devrait suffire.
17On trouve des bancs de sable en abondance dans le lit des rivières ; après accord avec les propriétaires, certains cordons littoraux, anciennes dunes faites de sable à peu près pur, pourraient également être utilisés quand ils sont peu éloignés de cuvettes argileuses.
18En Chine, on consent à aller chercher du sable même très loin, à grands frais, pour amender les terres trop fortes. Quand le transport est peu coûteux, nous pouvons recommander l’essai, sur de petites surfaces, d’apport de sable à doses croissantes (exemples : 5,10 et 15 m3/sào). Si après plusieurs années les avantages procurés (augmentation de rendement et plus grande facilité de labour) compensent les frais, on continuera sur une grande échelle.
19On cherchera le dépôt de sable le plus proche ou plutôt celui qui peut être le plus économiquement amené sur place5. On utilisera les arroyos existant au moment où les canaux temporaires sont pleins d’eau (saison des pluies, hautes marées). Le sable extrait du fleuve aux basses eaux sera mis en réserve sur la berge s’il faut attendre les pluies pour passer. Pour une surface assez importante (une ou plusieurs centaines de mẫu : grande concession, commune ou association communale), cette opération justifierait la création d’un fossé reliant les terres à amender au réseau de canaux, fossé établi pour servir aussi à l’irrigation ou au drainage.
20A défaut de canaux, on fera le transport sur route par charrettes à traction animale, sinon à traction humaine. Ce travail sera réalisé de préférence en saison sèche, un peu après le Têt ; si la terre porte un cinquième mois, on laisse le sable en tas, sur les diguettes ou au coin des parcelles, en attendant la moisson. Si ces rizières sont séparées de la route par une zone haute, inculte à ce moment, on amènera les charrettes, à jantes larges, le plus près possible, en ménageant une rampe pour descendre de la route et en abattant les diguettes sur le parcours. Si même un chemin paraît utile à conserver on l’établira à cette occasion. Le portage humain à longue distance (au delà de 1 km) ne se justifierait, en l’absence de canaux, que pour les tout petits propriétaires.
21La plus grande partie du travail sera réalisée pendant la morte-saison printanière (février-avril) ; les transports par eau impossibles, même aux fortes marées, à cette époque, seront effectués en août-septembre, après le repiquage. Un tel amendement, exigeant une forte dépense, ne sera entrepris qu’à coup sûr. Mais l’augmentation de valeur foncière des terres trop fortes recouvertes, à la suite de ruptures de digues, de quelques centimètres de sable, nous incite à tenir cette opération pour économiquement réalisable.
22Après justification par essais portant sur trois à cinq années des possibilités d’accroissement de rendement, des avances à long terme des banques de Crédit agricole, délivrées après contrôle, pourraient financer ce travail au prorata de la fraction de travaux déjà réalisée. L’agriculteur ne retirera tout le bénéfice de cette opération que s’il modifie parallèlement les méthodes de préparation du sol. Les terres amendées seront désormais labourées le plus possible à sec.
Les curures de mares et les limons du fleuve
23Ces matières fertilisantes sont à la fois des engrais et des amendements.
24Les curures des mares de l’intérieur et du pourtour des villages sont souvent utilisées. Ces pièces d’eau, asséchées pour la pêche de janvier à mars, sont généralement nettoyées tous les deux ans pour en maintenir la profondeur. La boue enlevée est portée à peu de frais sur les rizières proches, cultivées ou non. Dans le premier cas elle entrave la poussée des mauvaises herbes ; mais les combustions organiques n’y étant pas en général terminées, il vaut mieux la sécher préalablement au soleil pour l’oxyder. Cette opération trop souvent faite sur le champ même, ou sur les diguettes, devrait être effectuée à proximité immédiate de la mare, pour éviter le transport inutile d’un poids considérable d’eau. Après dessiccation on pulvérise au maillet.
25Ces boues rendraient le terrain plus léger, augmentant l’épaisseur de la couche arable sans que l’on ait besoin d’attaquer un sous-sol trop dur. L’effet fertilisant est bien marqué si les mares ont été fumées pour y accroître la production du poisson et des plantes aquatiques, ou si elles ont reçu les eaux usées et les purins des maisons et étables voisines et si la dose apportée est d’au moins 500 à 1 000 kg/sào, soit 15 à 30 t/ha. Aussi ne les met-on jamais que sur des rizières à moins de 200 à 300 m du village. Dans la province de Thanh-Hoa on estime que l’effet n’est pas immédiat et se fait surtout sentir la deuxième, et même la troisième année. A Son-Tây et à Vinh-Yên, on les réserve de préférence aux rizières hautes, portant des variétés hâtives, qui souffrent le plus de l’érosion pluviale. A Kiên-An, on en met jusqu’à 10 cm d’épaisseur sur les terres pauvres ou légèrement acides.
26Les limons du Fleuve Rouge et de ses défluents se déposent en bancs épais ; quand ils émergent, ils portent en saison sèche de belles cultures de maïs, patates, cannes à sucre, mûriers, etc., qui attestent leur fertilité. Mais de transport plus onéreux que les curures de mares, ils ne sont pas utilisés. Plus avisé, l’agriculteur chinois des vallées du Si Kiang et du Yang Tsé Kiang utilise les boues draguées dans les fleuves aux basses eaux par une flottille de barques.
27D’après M. Chassigneux, les limons d’hiver, moins riches que ceux d’été, renferment 1 %o d’azote et d’acide phosphorique, 3 %o de potasse, sans doute assimilables dans une proportion élevée. A forte dose, ils apportent une quantité appréciable d’éléments fertilisants. Alors que le sable ne profitera qu’à certains sols, et seulement par son action physique, les limons enrichiront la majorité des terres, particulièrement les rizières acides de l’est et du nord du delta, pauvres ou usées par plusieurs siècles de culture. Leur emploi est à déconseiller dans les bas-fonds marécageux, où le riz donne trop de feuilles et verse aisément, et sans doute dans les terres excessivement argileuses ; on les réservera aux rizières hautes ou de niveau intermédiaire, aux terrains légers ou de consistance moyenne.
28Comme pour le sable, il faut rechercher le transport le plus économique. Les solutions sont les mêmes : transport par voie d’eau, à défaut par charrettes et réduction au minimum du portage humain. L’extraction des bancs de limon sera faite aux plus basses eaux, qui coïncident avec la morte-saison (février-avril). S’il y a opposition à cet enlèvement de la part des villages riverains qui les cultivent, l’Administration devra l’autoriser, en imposant une profondeur minima d’extraction pour limiter la réduction des cultures de berges. La terre prélevée sur une forte épaisseur peut fertiliser des surfaces infiniment supérieures à celles dont on supprime la culture ; et ces travaux dégageraient, quoique dans une faible mesure, le lit du fleuve, facilitant l’écoulement des crues.
29La quantité optima de limon par unité de surface sera déterminée, dans chaque cas particulier, par une série d’essais à doses croissantes : 25, 50, 100 et 150 m3/mẫu. Si 100 m3 par mẫu donnent un excédent de récolte supérieur à celui donné par 50, sans atteindre le double, ces 100 m3 de limon procureront un accroissement de rendement plus élevé s’ils sont répartis sur deux mẫu au lieu d’un.
30Les meilleures oranges du Tonkin sont obtenues, à Bô-Ha et à Dao-Quân, sur des sols fumés par les alluvions du Sông Thuong préalablement calcinées et broyées. On en apporte parfois, dans cette région, aux rizières du dixième mois ; elles constituent, au dire des paysans, un excellent fertilisant. Sans pouvoir nier l’utilité de la calcination, nous ne savons pas si elle vaut le surcroît de travail. Mais les limons, et surtout ceux extraits en profondeur tireraient sans doute profit d’une longue exposition au soleil, faite avant leur transport pour en réduire le poids.
Le colmatage
31L’irrigation avec des eaux chargées de limons les amène sans frais sur la rizière. A ce point de vue l’utilisation du Fleuve Rouge est fort intéressante, surtout en été. On pourrait, durant les périodes sèches de cette saison, apporter à la rizière un excès d’eau enlevée après décantation ; c’est une nouvelle preuve de l’utilité du réseau d’irrigation bas ou du réseau complémentaire de drainage.
32D’après M. Pouyanne les limons charriés annuellement par le fleuve ne pourraient si on les laissait se répandre librement dans le delta en exhausser le niveau de plus de 2 mm. Négligeable si on se place au point de vue du relief cet apport, répété chaque année, représente une fumure appréciable. D’autant que sur un point donné on peut déposer une couche plus forte en faisant passer beaucoup d’eau.
33Le colmatage des zones basses a attiré à diverses reprises l’attention des Travaux publics qui y voyaient outre la fumure, un moyen d’en relever le niveau pour en rendre ultérieurement la culture possible ; on le faisait aussi à Vinh-Yên pour diminuer la hauteur des crues en accumulant l’eau dans un casier. Aujourd’hui encore on prévoit le colmatage de la région Gia-Binh/Lang-Tai (province de Bac-Ninh).
34Or, ce sont les rizières hautes ou moyennes constamment lavées par les pluies, portant généralement deux récoltes (deux riz ou un riz et une culture sèche), qui bénéficieraient le plus de cet apport. Il faudrait profiter du niveau élevé du fleuve en été pour y amener par gravité les eaux de colmatage.
35Mais ce ne sera guère possible avant l’exécution des travaux d’assèchement qui éviteront une submersion excessive des zones basses des mêmes casiers. Les agriculteurs annamites, ne disposant d’aucune réserve, ne peuvent délibérément renoncer à une récolte en vue de la fertilisation de leurs terres comme on pourrait le proposer dans des pays plus évolués. Cependant certaines variétés du delta supportent une couche d’eau de plus d’un mètre. Déjà en 1911 le Bulletin économique mentionnait à la station de Phu-Thy un riz à grosse tige importé de Thanh-Hoa, le lúa thong, habituellement semé en place au début de juin mais pouvant être repiqué et supportant largement un mètre d’eau. Au village de Van-Phuong, près de Hung-Yên, nous avons vu une variété se développant bien sous plus d’un mètre. Comme il faut donner à la plante le temps de pousser en hauteur et que le repiquage sous plus de 50 cm d’eau devient pénible, il faudrait repiquer au début de juillet où on peut espérer avoir moins d’eau. Récoltés plus tôt, ces riz libéreront le terrain de bonne heure permettant si on peut drainer, son aération et sa dessiccation avant la mise en eau pour le cinquième mois suivant. Les variétés qui supportent actuellement ces conditions s’adapteront sans doute à ce changement ou bien on en cherchera de plus précoces. Une durée d’évolution suffisante étant la condition primordiale d’une bonne production, il vaut mieux repiquer avant les hautes eaux que d’attendre leur retrait problématique au début de septembre.
36On devra cependant réduire au minimum les chances et la durée d’une submersion totale sous une eau limoneuse ; la plante enveloppée d’une carapace de boue qui supprime les échanges respiratoires périt plus vite que sous une eau claire.
LE FUMIER DE FERME
Production
— Fumier d’étable
37Souvent accolée à la maison, l’étable comporte un sol en terre battue et quelquefois – surtout dans le bas delta – des madriers pour éviter la formation de boue par piétinement, jamais de carrelage ni de ciment. Les urines sont très rarement recueillies dans des marmites en terre cuite.
38Les excréments sont ramassés tous les jours, parfois dans un trou creusé derrière chaque animal, et dans ce cas plus ou moins imprégnés d’urine. On met trop rarement une mince litière de chaume6, de balles, de cendre, plus rarement de paille, ou d’herbes sèches en bordure du delta, renouvelée quand elle est trop sale ; le fumier ainsi accumulé sous les animaux est enlevé au bout de quinze jours ou d’un mois, à 30 ou 50 cm d’épaisseur ; une partie des urines est retenue par les litières. Quand la porcherie est accolée à l’étable, on dispose parfois le sol en pente, pour que les urines s’y déversent. Mais le plus souvent elles s’infiltrent dans le sol et s’écoulent au dehors, surtout si l’étable est surélevée. C’est dans un but de nettoyage que l’on répand parfois sur l’aire de l’étable un peu de balle ou de cendre, balayées après imprégnation de purin.
39Dans ces conditions, la production de fumier par tête de bétail est peu élevée. Les animaux passent la plus grande partie de la journée dehors. Leurs déjections sont recueillies sur les diguettes, les talus ou terrains incultes par des femmes et des enfants de très petits exploitants trop pauvres pour avoir des animaux. D’après un certain nombre de pesées directes, nous estimons à une moyenne de 20 kg pour un buffle, et de 15 kg pour un bœuf la quantité d’excréments frais en vingt-quatre heures ; dans les conditions habituelles d’existence la moitié en est recueillie à l’étable. Elle varie avec l’alimentation, plus abondante en été. Les analyses d’excréments frais et d’urines de buffle, de bœuf et de porc nous ont donné les résultats suivants (moyenne de trois ou quatre prélèvements).
Tableau 5. - Composition des excréments frais et urines de buffle, de bœuf et de porc
Type | Humidité | Azote | Acide phosphorique | Potasse |
(en %) | (en °% de | matière | fraîche) | |
Excréments frais de buffle | 86 | 3,1 | 2,4 | 2,0 |
Excréments frais de bœuf | 81 | 3,6 | 3,6 | 2,3 |
Excréments frais de porc | 69 | 7,5 | 9,2 | 3,8 |
Urine de buffle | – | 8,7 | 0,03 ou traces | 15,4 |
Urine de bœuf | – | 11,5 | 0,05 ou traces | 21,8 |
40Les urines de bovidés, qui ne renferment pas d’acide phosphorique, ont, à poids égal, environ trois fois plus d’azote et huit fois plus de potasse que leurs excréments ; il y aurait donc grand intérêt à les recueillir. Nos prélèvements, peu nombreux, présentent entre eux des différences telles qu’on ne peut prendre ces données à la lettre. Cependant elles concordent avec les analyses de déjections des bovidés d’Europe.
— Fumier de porcherie
41Le porc à l’engrais reste en stabulation permanente tandis que le porc adulte, conservé pour la reproduction, va aux champs pour essayer d’y trouver sa nourriture. On met plus volontiers de la litière dans la porcherie et on y emploie les balles de paddy, tandis qu’on les brûle pour les bovidés afin de mélanger les cendres aux déjections avant fermentation. On met aussi du chaume, assez pour que le porc ne séjourne pas trop dans la boue, des herbes sèches, des tiges de maïs, parfois des feuilles, débris végétaux du jardin et balayures de cour ; aussi des cendres de cuisine qui, alcalines, ont l’inconvénient de ronger les pieds des animaux. Le porc a souvent une nourriture aqueuse qui rend ses déjections liquides ; les débris de son alimentation, le lục bình (jacinthe d’eau) ajouté à la litière rendent le fumier trop humide, favorable au développement des micro-organismes ; les épizooties déciment trop souvent les troupeaux d’une vaste région, obligeant à renoncer à cet élevage. Il faudrait préférer les litières sèches, plus absorbantes : le lục bình pouvant servir après dessiccation.
42Le sol de la porcherie, en terre battue, est souvent en contrebas ; aussi les déjections liquides y sont retenues. Les excréments de porc sont environ deux fois plus riches que ceux des bovidés. On retire le fumier au bout d’un, deux ou trois mois suivant l’urgence des besoins.
43Un porc adulte produit en moyenne 3 kg d’excréments par jour. Une pesée du fumier produit sans litière, par deux porcs à l’engrais, restés de l’âge de trois mois à celui de neuf mois en stabulation permanente, a donné 700 kg, soit en moyenne 2 kg par bête et par jour. S’il y a eu dans la conservation perte de poids, elle a pu être compensée par l’urine retenue. Chez les petits cultivateurs qui ont un bœuf ou un buffle et élèvent un ou deux porcs, les animaux sont souvent logés dans le même compartiment où le fumier s’accumule.
Fermentation et conservation
44Les déjections restent rarement dans l’étable, soit sous les animaux, soit ramassées chaque jour dans un coin d’où on les retire quand elles gênent. Généralement on les enlève tous les jours. Les agriculteurs soigneux les mettent dans la porcherie, ou dans une fosse à fumier, compartiment couvert de chaume voisin de l’étable, légèrement creusé dans le sol ; le fond est en terre battue, très rarement carrelé, les murs en terre, parfois en planches. Mais trop souvent encore les bouses sont jetées en un tas contre un mur, dans un fossé, dans un coin du jardin ou dans une fosse creusée dans le sol, mais dépourvue de toiture ; on les y recouvre trop peu souvent d’une couche de boue. Lavé par les pluies, desséché par le soleil, le fumier ne tarde pas à perdre à peu près toute valeur fertilisante. On y ajoute les bouses récoltées dans les champs, trop souvent après dessiccation. Dans ces conditions, on s’explique le peu d’estime accordé au fumier d’étable. Parfois on ne le met qu’aux bambous ou on le sèche au soleil pour le brûler et porter les cendres à la rizière (huyện de Truc-Ninh, Nam-Dinh). Cette pratique ne se justifie que pour certaines rizières très basses, où le riz pousse plus en feuilles qu’en épis, par suite d’un déséquilibre de nutrition ; mais elle est trop généralisée, puisqu’elle existe dans des terres où nous avons obtenu de notables excédents de rendement avec des engrais uniquement azotés. Même ceux qui ne possèdent que des rizières de bas-fonds pourraient se procurer une quantité de cendres plus élevée avec l’argent provenant de la vente de leur fumier dans le voisinage.
45Humide quand on le met dans la fosse, le fumier ne tarde pas à se dessécher ; certains cultivateurs ont raison de le piétiner pour ralentir la dessiccation et éviter une oxydation excessive ; mais il faudrait également l’arroser. C’est pourquoi le meilleur fumier du delta est celui qui est fait sous les animaux, dans l’étable, ou mieux encore dans la porcherie. Constamment piétiné, arrosé par les urines, brassé tous les quinze jours par les bons agriculteurs, il s’y conserve beaucoup mieux. A Thai-Binh (huyện de Vu-Tiên) quand il y a une fosse séparée, on y fait séjourner de temps en temps les porcs pendant quelques jours.
46Les Annamites estiment que 2 kg de fumier de porc valent 3 kg d’un bon fumier d’étable ; les excréments sont plus riches mais surtout les conditions de conservation bien meilleures. Nous avons fait analyser comparativement des fumiers de porcherie et d’étable, ces derniers recueillis dans les meilleures conditions et nous avons trouvé les résultats suivants (moyennes de quatre prélèvements, pour mille de fumier frais) :
Tableau 6. – Composition des fumiers de porcherie et d’étable
Type | Humidité | Azote | Acide phosphorique | Potasse |
(en %) | (en %o de | matière | fraîche) | |
Fumier d’étable | 64,4 | 2,8 | 2,4 | 3,6 |
Fumier de porcherie | 73,9 | 4,4 | 4,4 | 4,3 |
47La différence entre les teneurs de ces fumiers en éléments fertilisants serait plus élevée si les analyses étaient rapportées à la matière sèche (fumier de buffle : 36 % de matière sèche ; fumier de porc : 26 % de matière sèche).
48De la porcherie ou de la fosse, le fumier est extrait pour être conduit directement dans les champs. Quand on n’en a pas l’emploi et que la fosse ou la porcherie sont trop pleines, on fait des tas en plein air, sur les talus, dans les cimetières ou sur d’autres terres incultes. On peut aussi, en morte-saison, porter le fumier à proximité du lieu d’épandage. On fait des tas tronconiques, de 2 à 3 m de diamètre et de 1 à 1,3 m de hauteur, recouverts d’un torchis fait de terre argileuse délayée, additionnée de chaume ou d’herbe. Généralement la couverture est totale, parfois le sommet est dégagé ; enfin, dans certains cas, le tas reste découvert. On prend plus de précautions pour le fumier de porc que pour celui d’étable. Les paysans estiment que la décomposition est plus rapide à l’abri en atmosphère confinée, qu’à découvert. Le glacis protège bien imparfaitement des intempéries si on ne prend pas soin de mouiller la surface ; après quelques jours de fort soleil l’argile se rétracte et la couverture se fendille. Le fumier mis en tas humide devient au bout d’un mois sec et poudreux. S’il survient de fortes pluies, elles pénètrent par les fentes, entraînant les éléments fertilisants solubles. Les dommages deviennent plus graves si ce séjour à l’extérieur se prolonge pendant deux ou trois mois.
49La quantité de fumier produite annuellement varie beaucoup suivant l’alimentation des animaux et surtout le soin apporté à le recueillir. Dans les stations rizicoles où il est traité comme en Europe, avec apport de litière, fosse à fumier et à purin et arrosages périodiques, on en a obtenu en un an 21t avec deux buffles et deux bœufs, nourris convenablement à la mode annamite (herbe et paille) et sortant pour paître tous les jours. Un buffle peut en donner 6t, un bœuf 4 à 5t ; en stabulation permanente, si on dispose de litières abondantes, un buffle adulte peut arriver à 10t. Pratiquement les meilleurs agriculteurs, chez qui les animaux restent dehors, ne récoltent guère à l’étable plus de 2t pour un bœuf, de 2,5 à 3t pour un buffle ; nous ne parlons pas de ceux qui le laissent au soleil et à la pluie.
50Un jeune porc de trois à neuf mois donne 350 kg de déjections pouvant faire 500 kg de fumier avec apport de litière. Un porc adulte en stabulation pourrait en produire 1 000 ou 1 200 kg par an avec une litière sèche. Si la litière est aqueuse, le poids augmente sans que croisse la quantité de matières fertilisantes.
51La fosse à fumier, en dehors des déjections, reçoit tous les détritus de la maison et du jardin, ordures et épluchures, balayures de cour, excréments de volailles, etc. Si certains cultivateurs redoutent l’emploi du fumier en rizières, c’est qu’il amène parfois une recrudescence de plantes adventices : il n’y faudra jamais mettre les résidus du vannage du paddy, les herbes du jardin, ni tous autres déchets risquant d’apporter de mauvaises graines. Le fumier active aussi la pousse des herbes ; ce n’est pas une raison pour ne pas alimenter le riz : on soignera mieux les nettoyages.
52En apportant les déjections à la fosse, on leur mélange parfois des balles pour suppléer au manque de litière : trois quarts excréments (en volume) pour un quart de balles dans le huyện de Kim-Son, ou du lục bình plus ou moins séché.
53D’autres mélanges sont moins heureux. Les agriculteurs de Vinh-Yên qui laissent le fumier s’accumuler sous les animaux quinze jours ou un mois, divisent les mottes à la main après les avoir retirées de l’étable et les saupoudrent de cendre avant de les mettre en fosse. Ils ont remarqué qu’ainsi la décomposition du fumier était plus rapide, et ils en concluent que le pouvoir fertilisant en est accru. C’est une erreur : on accroît les déperditions d’azote. Ce fumier aura sur la végétation un effet immédiat plus marqué, l’azote organique se transformant plus vite, mais moins durable et au total moins important : son action sera comparable à celle des vidanges. Souvent on jette les cendres, au fur et à mesure de leur production, dans la porcherie. D’autres mélangent le fumier de porc trop aqueux à la cendre, juste avant l’épandage, pour le faciliter. Les dégâts sont moins importants mais cette pratique n’est pas recommandable.
54Le mélange phosphates naturels-fumier, pratiqué par certains agriculteurs, n’est pas meilleur. Un essai a été fait par la Division de chimie de l’Institut des recherches agronomiques de l’Indochine : au bout d’un mois les flacons bouchés renfermant ce mélange avaient perdu beaucoup plus d’azote que les flacons témoins, avec fumier seul.
55A Phu-Lang-Thuong, les cultivateurs qui veulent chauler leurs rizières mélangent même chaux et fumier. Dans ce cas les pertes d’azote sont très élevées. Cendres, phosphates et chaux, quand ils sont efficaces, seront apportés directement au sol ; si possible on les enfouira par un labour précédant celui qui enterre le fumier.
Emploi
56Le fumier d’étable frais est mis au deuxième ou troisième labour, en terre humide ou déjà submergée, toujours avant repiquage. Il a le temps d’achever sa décomposition avant la mise en culture. Le fumier pailleux est réservé aux rizières fortes dont il facilite l’aération. Le fumier bien fait convient à tous les usages et il est particulièrement utile en terres légères auxquelles il donne de la cohésion ; les sables fins donnent des terres moins « battantes ». On peut le mettre en couverture au moment du tallage. Au cinquième mois, on réserve le fumier de porc, plus apprécié, aux cultures sèches, le fumier d’étable allant au riz. Dans la province de Nam-Dinh où il est souvent mal traité et représente sous un grand poids une faible valeur fertilisante, on l’applique aux vergers, taros et autres cultures de jardin pratiquées dans l’enceinte du village ou aux environs immédiats, tandis que le fumier de porc va sur les rizières plus éloignées. Quand il a été conservé en fosse ou en porcherie, le fumier de ferme, au dire des paysans, a un effet modéré mais durable, surtout en terrains argileux dont il rend le travail plus facile7. En sols légers où les combustions organiques sont plus intenses, l’action dure moins.
57Le paysan annamite ne garde que les animaux de trait indispensables au travail du sol ; il élève des porcs en proportion de ses capacités financières (achat des porcelets et de la nourriture) et de la main-d’œuvre dont il dispose, sans se préoccuper de la quantité de fumier produite. Un buffle qui laboure cinq à sept mẫu ne peut en fumer que deux, un porc ne fertilise que cinq sào. Aussi n’engraisse-t-on chaque année qu’une trop faible proportion de rizières. Dans le bas delta surpeuplé, où chacun cherche à tirer de son trop petit champ la production maxima, on fume plus, même si cela entraîne de gros sacrifices financiers. On fertilise de préférence les rizières trop pauvres, même éloignées du village. Ce calcul est assez juste, une fumure donnée procurant ici un excédent de récolte plus élevé qu’en terres moyennes ou riches. On fume surtout les rizières à deux récoltes, et dans une mesure moindre celles du dixième mois. Celles du cinquième mois, plus fertiles, ne reçoivent généralement rien.
58On fertilise aussi, et plus abondamment, les champs cultivés avec des variétés exigeantes : la plupart des nếp et les riz parfumés ou recherchés (tám tho’m, tám xoan, lúa cánh, lúa dự, etc). Les agriculteurs annamites prétendent souvent qu’ils apportent le fumier là où il est nécessaire, sans se préoccuper de l’éloignement. Cependant nous avons remarqué que les variétés exigeant les plus fortes fumures sont presque toujours cultivées à proximité des agglomérations. A Thai-Binh, on engraisse beaucoup les riz de culture sèche (lúa lốc), qui doivent trouver dans le sol des solutions nutritives suffisamment concentrées pour absorber, dans leur courte durée d’évolution, les éléments minéraux nécessaires à l’élaboration d’une production moyenne.
59Pour ces variétés exigeantes et ces rizières pauvres, éventuellement pour les autres terres, on apporte d’ordinaire la fumure en deux fois : moitié ou deux tiers avant repiquage, le reste au tallage, généralement après un désherbage pour éviter que la fertilisation ne profite aux plantes adventices. Quelquefois, les nếp et les riz parfumés reçoivent moitié avant repiquage, un quart après reprise des plants, un quart à la fin du tallage, un peu avant la formation de la panicule dans la gaine des feuilles8.
60Avec de plus faibles disponibilités, on apporte une seule dose, soit avant repiquage, soit en couverture. Ainsi dans la province de Thanh-Hoa, où les ressources en matières fertilisantes sont réduites, tout le disponible est mis aux pépinières, avant semis. On attend après la reprise des plants pour en mettre de nouveau. On évite ainsi toute déperdition de matières fertilisantes avant la mise en culture ; mais il ne faut pas épandre après le début du tallage, qui est la période de grande « faim d’azote » des céréales. Chaque fois qu’il est possible, l’apport de fumure en deux ou trois fois semble préférable dans un pays où les combustions organiques sont si rapides. Ainsi une partie de la fumure est mise aux champs en cours de végétation, période de morte-saison ; tandis qu’on réduit les transports pendant les labours qui précèdent le repiquage, période de gros travail.
61Une bonne fumure comporte 1 000 ou 1 200 kg par mẫu avant le repiquage, avec un supplément facultatif de 500 à 1 000 kg en couverture au tallage. Mais beaucoup d’agriculteurs ne dépassent pas 20 charges (500 à 600 kg/mẫu) par campagne. On ne met rien après une culture sèche fortement fumée (tabac, légumes) ; le riz du dixième mois après un maïs, un tubercule ou une légumineuse fertilisés modérément (1 t/mẫu) reçoit parfois une demi-fumure. Les rizières basses à deux récoltes ne sont pas fumées au dixième mois si on craint leur submersion.
62Dans le bas delta, on met jusqu’à 2 à 3t par mẫu aux riz ordinaires. Les variétés exigeantes reçoivent double fumure : jusqu’à 4 à 5t, et même 6t de fumier de porc ou 8t de fumier d’étable quand c’est possible. Les ressources en matières fertilisantes sont plus abondantes dans la zone maritime, la province de Ha-Dong, la banlieue des villes, le voisinage des distilleries et dans les villages de hàng sáo, de contrebandiers d’alcool, de fabricants d’amidon, de glucose et de vermicelle de riz, de pâte de soja, etc., qui pratiquent l’élevage de porcs pour utiliser leurs sous-produits.
63Les artisans éleveurs étant peu ou pas cultivateurs, vendent leur fumier. Il est acheté sur place par les agriculteurs voisins, soit après estimation approximative de la quantité, soit à un prix fixé par charge. L’acheteur en met sur son épaule tant qu’il peut, 45 à 50 kg, parfois plus, quitte à partager un peu plus loin pour pouvoir le porter jusqu’à son village. Une charge se vendait 8 à 10 cents sur les lieux de production et 15 à 20 cents dans les villages éloignés en 1930-1931 dans la province de Hai-Duong (huyện de Cam-Giang, phu’ de Binh-Giang et de Ninh-Giang). Les sampaniers venus alimenter le marché d’un chef-lieu de province en paddy, légumes, vannerie, poterie, etc., peuvent en remporter comme fret de retour : un tel transport est économiquement praticable jusqu’à 10 ou 20 km, distance prohibitive par portage. Dans les autres provinces le prix était généralement plus élevé : rapporté aux 100 kg, il oscillait de 0,3 $ à 0,6 $ suivant les variations de l’offre – l’élevage pouvant diminuer brusquement après une épidémie – et de la demande : la surface occupée par les cultures sèches et les variétés exigeantes. Les cours de l’engrais humain, qui peut être employé concurremment avec le fumier de porc, subissent des oscillations parallèles.
64Le fumier d’étable ne fait ordinairement pas l’objet d’un commerce. Il se vendait quelquefois, entre agriculteurs d’un même village, surtout à l’état de mélanges d’excréments frais, à raison de 15 à 20 cents les 100 kg. Il n’est jamais transporté au loin.
Progrès à réaliser
65Le gaspillage des matières fertilisantes semble étonnant dans un pays qui ne laisse perdre aucune parcelle de substance alimentaire et consent à payer très cher certains engrais. Le cheptel existant – soit, porcs compris, l’équivalent d’une tête de bétail de 300 kg pour 2 ha – permettrait, en l’état actuel de la culture, la production plus abondante d’un meilleur fumier, avec un peu de travail supplémentaire et une dépense fort minime. La fosse à fumier et à purin étanche du modèle européen n’est accessible qu’aux riches cultivateurs. D’ailleurs, à partir d’une certaine profondeur, on rencontre souvent un sous-sol imperméable.
— Urines et litières
66Les agriculteurs annamites ne laisseraient pas perdre la plus grande partie des urines de bovidés s’ils en connaissaient la richesse : elles engraissent le sol des villages. M. Vu Van An, ayant acheté une partie du village de Yên-Lang, y a établi, après enlèvement des paillotes, des pépinières. Cultivées sans engrais, malgré leurs exigences, depuis plusieurs années, les plants sont toujours aussi verts. Les rizières proches des habitations sont toujours plus riches, même sans fumure, parce qu’elles sont fertilisées par les eaux pluviales qui ont lavé les villages. Une faible partie de ces éléments fertilisants est utilisée par les petits vergers ou jardins, ou par la haie de bambous, très exigeante, mais la grande majorité en est perdue sans profit. Et pourtant 5 kg d’urine de bœuf renferment autant d’azote et cinq fois plus de potasse que 1 kg de tourteau de ricin, payé 5 ou 6 cents, parfois 8 cents en 1930.
67Il y a intérêt à employer ensemble les urines, riches en azote et en potasse, qui développent la végétation herbacée en sols pauvres ou moyennement riches et les déjections qui apportent en outre l’acide phosphorique nécessaire à la formation des grains. L’emploi des déjections sans les urines ne se justifie que dans le cas particulier de terres assez riches en azote où l’on craint une verse précoce. En rizières trop riches on s’abstiendrait de toute fumure organique.
68La meilleure solution consiste à laisser le fumier sous les animaux, avec une abondante litière : soit dans l’étable, creusée en contrebas, soit mieux encore dans la porcherie, en dirigeant de son côté la pente de l’étable voisine.
69Quand le fumier d’étable est mis dans une fosse au fur et à mesure, on y fera couler les urines. La rigole placée derrière les animaux sera rendue le plus étanche possible. Mais que ce soit sous les animaux ou dans la fosse, l’apport de litière végétale réduit dans une proportion élevée les pertes d’azote, élément particulièrement précieux en rizières hautes ou moyennes.
70A défaut de litière, on peut recueillir les urines de la nuit dans une rigole qui les amène dans un récipient en poterie. A la température de 30° C, l’urine se décompose au bout de quelques heures, aussi faudrait-il les ramasser chaque matin et les porter de suite sur une culture sèche ou une rizière en cours de végétation. Après absorption par la terre ou dilution dans l’eau, aucune déperdition n’est à craindre. L’enfant qui mène pâturer le buffle pourrait emporter chaque matin l’urine recueillie. Si tous les champs sont en jachère, on la fera absorber par de la terre, mise ensuite dans la fosse à fumier.
71Mais l’apport de litières est préférable ; la paille de riz constitue la principale ressource du delta. Il faut la rapporter toute à la ferme, opération qui sera plus facile quand les conditions de transport (canaux, sentiers) seront améliorées, et réserver au fumier ce que le bétail ne consomme pas.
72Au dixième mois, on la recueille intégralement car l’herbe manque en hiver et il n’y a pas de moissons intermédiaires comme en été9. Mais au cinquième mois on n’apporte à la ferme que les gerbes d’épis avec la moitié supérieure de la paille, le reste est enterré dans le sol. Comme le rapport carbone/azote de la paille est supérieur à dix, l’humification dans le sol ne peut se faire qu’en y prélevant de l’azote assimilable qui, s’il est restitué plus tard, peut en attendant faire défaut à la plante ; en Europe et aux Philippines, on a observé une « faim d’azote » des plantes cultivées dans les terres où l’on vient d’enfouir de la paille. En la rapportant à la ferme, l’humification se fera au dépens de l’azote des urines et déjections, qui sans cela eût été perdu.
73Il est cependant préférable d’enfouir la paille que de la brûler, surtout en terres fortes ; cette dernière pratique n’étant justifiée qu’après une attaque d’insectes, pour la destruction des larves contenues dans les chaumes. Elles sont d’ailleurs détruites aussi dans le fumier quand la fermentation est bien conduite.
74La plupart des rizières à deux récoltes et certaines années beaucoup de rizières basses du cinquième mois restent asséchées après la moisson assez longtemps pour qu’on puisse venir y ramasser les chaumes. On pourra les couper le matin par une belle journée pour les rentrer le soir, et, si on ne craint pas les vols, les laisser sécher plus longtemps. Le chaume plus sec est plus léger à porter et constitue un meilleur absorbant. Si on estime que les rizières basses sont déjà assez fertiles, la paille qu’on y récoltera pourra faire du fumier pour les rizières hautes.
75Les chaumes constituent le principal combustible du delta. Mais déjà l’emploi de la paille pour les chauffages industriels est en régression. La fumée blanche qu’elle donnait dans les fours à briques et à chaux, dans les fours de potier, est de plus en plus remplacée par la fumée noire du poussier de charbon, plus économique. Ce combustible est encore vendu trop cher pour que son usage se répande dans le delta. Il ne devrait pas dépasser 1,5 $ à 2 $ la tonne départ, pour qu’il ne coûte, avec les frais de transport et les intermédiaires, pas plus de 0,3 à 0,4 $ le quintal rendu dans les villages pas trop éloignés d’une voie d’eau. A ce moment on pourra recommander aux paysans de mettre leur chaume comme litière dans l’étable et de faire cuire leurs aliments avec les boulets de poussier pétris dans de l’eau tenant en suspension de la terre argileuse et séchés au soleil.
76Les radeaux de bambous descendus par flottage de la moyenne région peuvent fournir aux villages riverains un combustible souvent plus économique que le chaume.
77Les pailles provenant des toitures, souvent refaites, peuvent aussi servir de litière. Le cultivateur avisé qui dispose d’un peu d’argent achètera de la paille pour mettre sous ses animaux. En 1930, quand le paddy valait encore 6 à 7 $ le quintal, la bonne qualité se vendait 0,8 $ près des villes (Thai-Binh) et environ 0,5 $ dans la campagne. A ce dernier prix, on en avait 12 à 15 kg pour un kilogramme de grain ; si cette proportion se maintient, c’est-à-dire si la paille se vend 10 cents par quintal quand le paddy vaut 1,5 $, on peut en acheter sans crainte pour faire du fumier, à prix égal elle fournira une quantité d’éléments fertilisants plus élevés que les tourteaux ou les vidanges ; l’effet sur la végétation moins immédiatement visible est plus durable et finalement l’excédent de rendement obtenu plus élevé. On pourra acheter encore moins cher des pailles abîmées, souillées de boue ou partiellement moisies.
78A son défaut on cherchera à se procurer toutes sortes de débris végétaux. Il ne faudra pas récolter les herbes sèches avec leurs graines, de peur que les rizières fumées ne soient envahies par les plantes adventices (la jeune herbe est donnée au bétail). Les fougères et les roseaux, les feuilles sèches, les tiges de maïs, de ricin, de jute et de coton, matières lentes à se décomposer, peu absorbantes, seront plutôt utilisées comme combustible ; le chaume ainsi épargné sera mis en fumier. Par contre, les tiges et les gousses, fraîches ou sèches, de soja, doliques, haricots et autres légumineuses, les feuilles basses et les tiges de tabac seront apportées avec grand profit, soit comme litières, soit dans la fosse à fumier. La balle de paddy pourrait être mise sous les animaux, avant son enfouissement en rizières, surtout si les terres argileuses à amender sont peu fertiles (par exemple, dans la région de My-Hao/Ke-Sat) ; toutefois la décomposition dans le sol en sera un peu hâtée.
79Le lục bình, fléau des canaux où il entrave la navigation, est un excellent absorbant. Aussitôt retiré de la rivière ou de la mare, il faut le sécher sur les bords pour en réduire le poids, même si on doit ensuite le transporter en barques. Sa valeur fertilisante propre est très faible, mais à poids égal il absorbe plus que la paille. On profitera de la morte-saison pour en amener une provision à la ferme par les modes de transports les plus économiques. Les villages riverains des canaux d’où l’on expurge le lục bình ne laisseront pas perdre cette litière déjà recueillie, n’ayant plus qu’à la transporter après séchage. Si on ne peut conseiller la propagation de cette plante dans les rivières, on pourra en mettre dans les mares qui ne portent ni liserons d’eau ni plantes pour l’alimentation des porcs.
80On cherchera à utiliser les autres plantes aquatiques ou marines (varechs, etc.) ; ces dernières, après lavage par les pluies entraînant le sel. Près des bourgs où l’on travaille le bois, on pourra se procurer à bon compte de la sciure, qui, moins riche que la paille, est deux fois plus absorbante. A Thai-Binh, on épand parfois la sciure fraîche sur les rizières du dixième mois ; le plus souvent on la brûle, les cendres étant utilisées comme engrais ; il vaudrait mieux s’en servir comme litière.
81A défaut de matière végétale, on pourra utiliser les curures de mares, les limons ou même la terre de rizière. Les curures de mares sont souvent mélangées au fumier dans la proportion de deux volumes de curures pour un de fumier. C’est une bonne pratique, on réduit ainsi les déperditions de matières fertilisantes. Mais il vaudrait mieux les apporter dans l’étable, sous les animaux, où elles absorberaient les urines. On devrait aussi mettre sous les animaux les curures qu’on a l’intention de porter en rizière, le surcroît de travail ne serait pas considérable, la mare étant d’habitude toute proche. On ne les emploiera qu’après dessiccation, commencée sur les bords de la mare et terminée, après pulvérisation, sur l’aire de la cour. Le pouvoir absorbant sera accru et on ne transportera pas d’eau inutilement.
82On fera de même sécher avant emploi les limons du fleuve ; dans les villages où on peut les amener économiquement, ils seront mis dans l’étable avant d’être conduits en rizières. Certains agriculteurs enlèvent de temps à autre la couche superficielle enrichie du sol de l’étable. Comme on ne peut constamment creuser, il faudra la remplacer, à défaut de limons ou de curures, par de la terre, prise dans un jardin ou une rizière voisine et desséchée.
83Ces litières donnent un fumier lourd ; pour absorber la même quantité d’urines, il faut, en poids, quatre fois plus de terre que de paille. Elles se recommandent quand on peut transporter économiquement ou lorsqu’on a déjà l’intention d’employer curures et limons qu’il vaut mieux porter enrichis. Si on dispose d’une quantité insuffisante de paille, on peut s’en servir à la confection du fumier destiné aux rizières éloignées et employer les matières terreuses pour les plus proches. Les déperditions d’azote sont bien moins élevées avec la terre qu’avec la paille10.
— Amélioration de la fermentation
84L’Annamite n’aime pas employer les chaumes parce que le fumier pailleux est difficile à épandre quand une mauvaise fermentation n’en a pas provoqué la décomposition. Si on n’apporte pas de litières à l’étable, il ne faut pas y laisser séjourner les déjections : étalées en couche mince, elles perdraient rapidement toute valeur. On fera écouler ou recueillera les urines, et on portera les flattes tous les jours, soit dans la fosse, soit dans la porcherie.
85Le fumier sera mis sous une couverture, en fosse creusée dans le sol, pour que les urines s’écoulent de l’étable par gravité ; ou si on craint l’inondation, sur plate-forme surélevée entourée de murs en terre ou en planches pour réduire au minimum l’évaporation. Le sol sera rendu étanche, la terre bien battue. On piétinera le fumier pour le tasser et on l’arrosera avec l’urine de l’étable, le purin qui coule du tas et, si c’est insuffisant, de l’eau. Quand il pleut on peut déverser sur le fumier l’eau du toit au moyen de deux bambous fendus. En saison sèche on puise à la mare voisine ; l’arrosage ne doit pas dépasser la saturation.
86Une autre amélioration consisterait à mettre à chaque remplissage au fond de la fosse sur la terre battue et sur les parois au fur et à mesure que le tas s’élève, une couche de quelques centimètres de matières terreuses (curures, limons, terres) qui absorberaient le purin en excès.
87Il est essentiel de garder le fumier couvert jusqu’au moment de l’emploi. C’est pourquoi on emplira la porcherie plus haut que le niveau du sol, de la fosse jusqu’au toit ; et, plutôt que de faire des tas dehors, on construira soi-même une autre fosse, à peu de frais quand on a des bambous et de la paille.
88Le tas à l’extérieur ne peut se justifier que si l’on veut transporter à l’avance, en morte-saison, le fumier à pied d’œuvre ; il est inexcusable près de la ferme. En rizière submergée et qui le restera jusqu’au repiquage, il vaudra mieux enfouir le fumier de suite. Pour une rizière asséchée ou qui risque de l’être, on préférera conserver le fumier en tas, à condition qu’il ne reste pas plus de deux ou trois semaines, et qu’il soit soigneusement recouvert d’un torchis fréquemment arrosé.
— Épandage
89En terre exondée le fumier ne sera apporté au champ qu’au dernier moment, le jour même de son enfouissement par le dernier labour précédant le repiquage. En terre humide les déperditions seront réduites si le fumier pas trop fait est convenablement enfoui par un labour à la charrue améliorée. Mais la rizière sera mise en eau dès que possible. On ne laissera jamais le fumier en tas découverts sur le champ, sinon il se dessèche et perd en quelques jours la plus grande partie de sa valeur fertilisante ; dans le Yên-The le fumier apporté en hiver pour être enfoui aux premières pluies ne vaut plus rien ; on n’engraisse, et d’une façon excessive, que l’emplacement des tas. On l’étalera pour l’enfouir seulement sur la bande large de quelques mètres où la charrue va passer, afin qu’il ne reste pas au soleil plus de quelques heures.
90En terre submergée on peut amener le fumier à l’avance, et cela vaut mieux que de le laisser au soleil, quand on n’a pas de fosse : à condition de l’épandre aussitôt, pour bien répartir les éléments fertilisants. On bouchera toutes les fissures pour éviter l’écoulement de l’eau chargée de principes fertilisants solubles ; cet entraînement n’est plus à craindre après enfouissement par labour.
91Le fumier ne sera apporté en cours de végétation qu’en rizière couverte d’eau : en terre asséchée les déperditions seraient trop élevées. On préfère à juste titre l’apporter après sarclage ; il serait cependant utile de remuer ensuite la boue de la rizière pour l’y incorporer. Si on craint de ne pouvoir maintenir l’eau pendant toute la campagne, on apportera tout le fumier disponible, même frais, au dernier labour, et en cours de végétation, les engrais tels que cendres ou tourteaux qui ne risquent pas de déperditions Les femmes qui ramassent des bouses dans les champs peuvent les mettre sur leurs rizières voisines si elles sont couvertes d’eau ; sinon il vaut mieux les rapporter au fumier.
—Fumier artificiel
92Quand on dispose d’animaux, ne serait-ce que d’un cochon, le mieux est de lui mettre le plus de litière possible ; mais si on n’en a pas, on peut quand même faire du fumier avec de la paille ou tous autres débris végétaux. Cent kilogrammes de paille de riz sèche, ou l’équivalent de paille humide, sont mis à tremper deux ou trois jours dans une mare ; retirés, on les met en fosse couverte en saupoudrant avec 3 ou 4 kg de résidus de fours à chaux ; après égouttage on les arrose pendant quelques jours de 701 environ d’urine humaine ou, si on peut s’en procurer chez un voisin, de 851 d’urines de bovidés. On peut remplacer la chaux par une quantité double de débris calcaires, ou mieux encore un poids triple de phosphates naturels ou de cendres. Ces matières sont ajoutées pour rendre le milieu alcalin, condition indispensable d’une bonne fermentation. Une fois l’apport d’urines terminé, on tasse énergiquement le fumier et on le maintient constamment frais par arrosage. Au bout de deux à trois mois on pourra le porter en rizière.
93On peut aussi accroître le peu de fumier dont on dispose en l’utilisant pour provoquer la fermentation d’autres végétaux. Ainsi on peut mettre en fosse, ou en tas couverts de terre, des couches de lục bình partiellement séché de 15 à 20 cm d’épaisseur, alternativement recouvertes, une fois d’un peu de terre (limons, curures) additionnée de cendre, de phosphate ou de chaux, l’autre fois de fumier. Par tâtonnements on trouvera le meilleur degré de dessiccation de la jacinthe d’eau : le mélange doit être bien humide, sans suinter. Ce compost est utilisable au bout de deux mois.
Utilisation du fumier
94Un bon métayer pourrait, en apportant assez de litière, obtenir avec son buffle 5 t de fumier par an ; à 0,15 $/q, cela fait 7,5 $, soit la valeur de la location ; un cultivateur avisé aurait ainsi pour rien le travail de l’animal.
95Les Annamites ont raison d’estimer le fumier de porc mais ne devraient pas tant mépriser le fumier de buffle. En améliorant sa fabrication ils peuvent en retirer de bons résultats : au champ d’essai de Truong-Xuan (Thanh-Hoa) un apport de 900 kg mẫu de bon fumier de buffle y a déterminé un accroissement de rendement d’un quintal de paddy ; même avec des excédents moins élevés, l’emploi de ce fumier est à recommander. L’agriculteur annamite sait que la fumure constitue une avance au sol, un excellent placement : « Đắt lãi không bắng vãi ruộng : placer à intérêt ne vaut pas mieux que fumer ses rizières ». Plus encore peut-être que le riz, les cultures sèches bénéficieraient d’un accroissement de la production du fumier.
L’ENGRAIS HUMAIN
Ramassage et conservation
96Les vidanges de villes, mélange d’excréments et d’urines, sont recueillies fréquemment, une ou deux fois par semaine, la nuit, et portées le matin en banlieue pour être épandues directement sur les rizières ou les cultures sèches (légumes, tabac). Quelquefois on met dans les touques qui servent au transport moitié (en volume) terre et moitié vidanges ; ce qui diminue les déperditions d’azote et les odeurs qui incommodent les porteurs, mais accroît de plus du double le poids à transporter. On peut s’en dispenser pour les vidanges ramassées la nuit et incorporées au sol dans la journée même ; avec des récipients clos les odeurs seraient atténuées. Si on doit les garder quelques jours il faut continuer à mettre de la terre pour en assurer la conservation.
97L’entreprise de vidanges est de gros rapport, les citadins payent une taxe d’enlèvement pour un produit de grande valeur commerciale. Celui qui en détient le monopole, moyennant paiement d’une taxe, entretient, pour le conserver, de bonnes relations avec les mandarins. A Hanoï, de petits ramasseurs vidangent gratuitement pendant les périodes de forte demande.
98A la campagne, les excréments sont recueillis dans des fosses creusées dans le sol11 ; on y apporte chaque jour les cendres du foyer et les matières, malheureusement exposées au soleil et à la pluie, se putréfient plusieurs mois avant l’épandage.
99D’autre part, des femmes et des enfants vont ramasser les excréments sur les talus et diguettes, aux abords des routes et sentiers les plus fréquentés. Ces matières, mélangées aux cendres, sont employées fraîches, jetées au fumier, dans la fosse d’aisances ou mises à décomposer en tas couverts de terre. Parfois on ajoute au fur et à mesure de l’eau dans la fosse pendant deux ou trois mois ; le produit liquide, prélevé avec une louche en coco, est versé sur des mottes de terre, séchées avant et après cette opération ; après pulvérisation on les apporte aux champs de tabac et on les mélange au fumier de ferme dont ils augmentent beaucoup la valeur fertilisante. Ainsi en Chine l’engrais humain mélangé à de la terre, est séché en plaquettes vendues sur les marchés. Parfois ces matières liquides, coupées d’eau, servent à l’arrosage des légumes.
100On diminuerait les déperditions en cours de fermentation en ajoutant au fur et à mesure dans la fosse des matières terreuses ; la manipulation du produit serait moins désagréable. Il faut éviter le mélange prolongé avec les cendres.
101La décomposition n’est pas nécessaire. L’emploi à l’état frais ne présente pas d’inconvénient, il réduit le poids à transporter et supprime les déperditions. La conservation en mélange avec la terre permet de transporter à son temps et par quantités appréciables. Elle s’impose dans les périodes d’utilisation différée seulement.
Usage et effet
102C’est l’engrais par excellence des cultures riches, tabac, légumes, et des autres cultures sèches. On l’emploie aussi en rizières, surtout pour les variétés exigeantes et dans le bas delta. Cependant près de Haiphong des cultivateurs le réservent au riz, gardant le fumier de fermé pour les cultures sèches. Une bonne fumure de vidanges, dans le bas delta, est de trente charges de 20 kg au mâu pour les riz ordinaires, et de cinquante charges pour les nêp ; elle est souvent complétée par l’apport de vingt paniers de cendre. A Nam-Dinh on en met en rizière jusqu’à 2 500 à 3 000 kg ; cette forte fumure étant appliquée couramment au tabac (Tiên-Lang, Vinh-Bao, Thuy-An) et aux légumes (Ha-Dong, notamment village de Yên-Lang).
103C’est un engrais rapidement assimilable, qui donne un coup de fouet à la végétation : la plante reverdit en quarante-huit heures ; on l’emploie comme le nitrate en Europe, bien que ce soit un engrais complet. Mais son effet étant peu durable, il faut en apporter à deux ou trois reprises pendant la vie de la plante si on veut un résultat appréciable. Toutefois, la dernière fumure doit précéder de vingt jours à un mois la floraison du riz qui marque l’arrêt presque total de l’activité des racines. On doit l’appliquer aussitôt après un désherbage, pour rendre cette opération moins désagréable et ne pas alimenter les mauvaises herbes.
104Dans les zones argileuses, les cultivateurs hésitent parfois à employer l’engrais humain ; ils lui reprochent de rendre la terre plus difficile à travailler en la durcissant. Il y a une explication possible : la vidange, véritable bouillon de culture, surexcite la vie microbienne, activant ainsi la combustion des réserves d’humus ; elle-même se décompose trop vite pour en former d’autre. On pallierait cet inconvénient en apportant du fumier de ferme avant le repiquage et des vidanges en cours de végétation. Le durcissement de ces terres lourdes serait moindre après amendement sableux bien que la diminution de l’humus soit toujours regrettable.
105On leur attribue un pouvoir fertilisant quatre à cinq fois supérieur à celui du fumier de ferme, et c’est la proportion observée quand on substitue l’un des engrais à l’autre.
106L’analyse des excréments frais, comparée à celle du fumier de buffle, justifie cette proportion pour l’azote et l’acide phosphorique, éléments essentiels de la fumure du riz. Nous donnons aussi la richesse de l’engrais tel qu’il est appliqué en rizière après mélange avec cendres et terre.
Tableau 7. - Composition des excréments humains en %o de matière fraîche
Type | Azote | Acide phosphorique | Potasse |
Excréments frais | 14,1 | 9,4 | 4,5 |
Excréments mélangés | 2,3 | 4,9 | 14,8 |
107Comparée aux chiffres d’Europe, les excréments frais ont une teneur normale en azote et en potasse, faible en acide phosphorique. Comme ils varient avec l’alimentation, on en peut supposer que la ration de l’Annamite est déficiente en phosphates. La richesse élevée en potasse du mélange est due à l’addition de cendres qui apportent aussi un peu d’acide phosphorique.
Commerce et transport
108A Hanoï, le mélange à volume égal de terre et de vidanges se vendait 0,5 $ en 1930-1931 par charge de deux touques de 181 ; à Ha-Dong, à 10 km plus loin, à proximité des cultures maraîchères qui l’utilisent, la même charge valait 0,7 ou 0,8 $. Le transport sur l’épaule se fait jusqu’à 12 ou 15 km. Il serait moins coûteux en tonneaux fermés de 2 ou 3 hl, fabriqués dans le pays et montés sur roues de charrettes, à traction humaine ou animale ; on éviterait ainsi l’addition de terre.
109Dans le bas delta où la densité humaine moyenne est de 6 à 8 hab./ha cultivable, et dépasse 10 ou 12 dans quelques cantons, cet engrais est d’une grande ressource. Il est porté sur l’épaule à quelques kilomètres, en barque à plus grande distance : les vidanges de Thai-Binh vont jusqu’à Thuy-An à 32 km, où les 100 kg se vendaient jusqu’à 3 et 4 $12 au moment de la troisième fumure du tabac, la plus abondante (février-mars). Dans les provinces de Nam-Dinh et de Hung-Yên les prix du quintal variaient de 1 à 2,5 $ suivant l’abondance des cultures sèches dans le voisinage et suivant la saison. En région de monoculture du riz, les prix baissent en fin de végétation, en avril-mai et en septembre-octobre (les troisième-quatrième et septième-huitième mois annamites), où l’on cesse de fumer. Si l’on fait des cultures sèches, il y a une hausse en hiver et au début du printemps. La baisse du début de l’automne subsiste. Les prix s’élèvent si une épidémie s’abat sur les porcs, réduisant cet élevage et la production du fumier. Ils diminuaient beaucoup dans le haut delta, où la demande est moins forte, oscillant entre 0,5 et 1 $ les 100 kg.
110Seuls les cours de cette région permettaient d’acheter de l’engrais humain pour la rizière avec quelque chance de profit. L’azote qu’il renferme est généralement payé beaucoup plus cher que celui des engrais chimiques importés et des autres fertilisants locaux. L’intérêt général du pays conseille son utilisation au maximum, l’agriculteur avisé en recueillera tant qu’il pourra.
111Le remplacement total par un autre fumier, à action moins rapide, n’est pas à conseiller, mais la substitution partielle est souvent avantageuse, quand on doit l’acheter : une forte dose de fumier de ferme enfouie avant la mise en place du riz ou des cultures sèches permettra d’obtenir d’aussi bons résultats avec une quantité moins élevée de vidanges en cours de végétation et réduira la dépense totale. Quand les transports ne sont pas trop coûteux, il est plus économique d’acheter 100 kg de fumier de buffle à 10 ou 15 cents, autant de paille à mettre sous les animaux pour 10 ou 20 cents, ou de fumier de porc à 20 ou 30 cents, que des vidanges au-dessus de 0,8 $/q, 16 cents la charge de 20 kg.
Les urines
112Elles sont recueillies soit dans des paniers de cendre, soit dans des marmites en terre cuite où elles servent, coupées d’eau, à l’arrosage des légumes et autres cultures sèches. Pour ne pas porter inutilement de l’eau, on fera le coupage le plus près possible du champ. Quand on les conserve liquides, il faut les porter au champ journellement, la plus grande partie de l’azote13 se perdant très rapidement par volatilisation de l’ammoniaque. Comme pour les urines de bovidés, on peut les conserver sans pertes en les faisant absorber par des matières terreuses ; mais on ne doit opérer ainsi que si on n’en a pas l’utilisation immédiate, pour ne pas accroître le poids à transporter.
113Les Annamites ne recueillent soigneusement les urines qu’en période d’arrosage des cultures sèches ; ils n’en portent guère au riz que s’ils voient la plante souffrir, surtout en pépinières. C’est un tort, elle en tire toujours profit, sauf quand la végétation est déjà trop exubérante. Le poids des urines est beaucoup plus élevé que celui des excréments ; aussi renferment-elles, malgré une teneur un peu moindre, une quantité d’azote beaucoup plus importante ; si on les utilise de suite ou si on sait les conserver, le riz en bénéficiera grandement : c’est dommage de laisser se perdre une telle richesse.
AUTRES ENGRAIS LOCAUX
114Nous indiquons ci-dessous les teneurs moyennes en éléments fertilisants les plus employés :
Tableau 8. - Composition minérale des engrais locaux en %o de matière fraîche
Type | Azote | Acide phosphorique | Potasse | Eau |
Cendres de paille | non dosé | 11,37 | 57,7 | – |
Os calcinés | non dosé | 340 | non dosé | – |
Tourteau de ricin | 45 | 15 | 15 | 80 à 100 |
Tourteau de sésame | 60 | 20 | 15 | 80 à 100 |
Tourteau de coton | 38 | 15 | 11 | 80 à 100 |
Excréments de ver à soie | 14,7 | 7 | 8,6 | 420 |
Chrysalides de ver à soie | 70 | 10 | 15 | – |
Graines de soja | 58,5 | 14,0 | 22,4 | 128 |
Graines de doliques et haricots | 40 | non dosé | non dosé | non dosé |
Gadoue (marché de Thai-Binh) | 5,3 | 4,8 | 2,4 | 613 |
115Les cendres de paille sont un engrais potassique et phosphaté, les os calcinés un engrais phosphaté, les autres, des fertilisants essentiellement azotés.
Cendres de paille
116Elles sont généralement employées en mélange avec la plupart des autres engrais, minéraux (phosphates naturels, chaux, sel) et surtout organiques (fumiers, vidanges, urines, tourteaux). Nous avons déjà indiqué les inconvénients de cette dernière catégorie de mélanges. Il vaudrait mieux mettre les cendres seules, avant repiquage ou en couverture, et favoriser la fermentation du fumier par le tassement et l’arrosage, ou faire absorber les urines par la terre. L’apport de cendres est un complément utile de la fumure organique (fumiers, vidanges, urines) des rizières hautes et moyennes. En rizières basses, où l’on craint la verse, on pourra mettre la cendre seule.
117Il serait encore préférable de mettre la paille au fumier, et d’en brûler le moins possible ; ce faisant on perd l’azote, l’espoir de former de l’humus dans le sol et une partie de l’acide phosphorique. Or azote, humus et acide phosphorique paraissent les éléments les plus utiles à la rizière.
118La suie est un excellent engrais pour les oignons ; dans le huyện de Hai-Hâu (Nam-Dinh) on cultive ce légume sur la surface qu’on peut fertiliser avec la suie ; la grande finesse de cette matière en doit rendre les éléments très assimilables.
119Les cendres de balles de paddy, de bois et de bambous, quoique moins riches en potasse et en acide phosphorique que celles de paille, peuvent être utilement employées en rizières ; en bordure de la forêt l’agriculteur pourra s’en procurer à bon compte. Il vaut mieux mettre les balles sous les animaux ou les incorporer directement aux terres fortes ; en rizières légères et fertiles, on peut les brûler sans inconvénient si on n’a pas de cheptel, car elles sont incapables de former de l’humus dans le sol, la silice retardant leur décomposition. Les cendres de charbon n’ont pas de valeur fertilisante, mais leurs éléments fins peuvent alléger les terres trop fortes, en y créant des cavités.
Os calcinés
120Leur emploi n’est un peu répandu que près de Viêt-Yên et Hiep-Hoa (Bac-Giang). A Luong-Phong, il y a même un four construit pour les incinérer. Les os sont ensuite broyés dans le mortier à pilonner le riz, puis épandus en rizière après mélange avec du fumier ou de la cendre urinée. C’est un engrais intéressant, il présente une teneur élevée en acide phosphorique (34 % en Europe) très assimilable. Il se vendait 1,3-2 $/q dans la région précitée où le cheptel abonde, ailleurs jusqu’à 3-5 $ ; même à ce prix c’était un fertilisant plus économique que les phosphates naturels. Il y a quelques années on signalait une exportation, par Haïphong, de ces os calcinés vers l’île de Hai-Nan, où les agriculteurs chinois, qui savent les apprécier, les emploient sur le chanvre indien (haschich). On devrait les garder pour les rizières tonkinoises, souvent pauvres en acide phosphorique.
Résidus de nýó’c mắm
121Dans la circonscription de Dong-Triêu et dans quelques cantons côtiers, on met en rizières argileuses, acides ou même saumâtres, les résidus de la fabrication du nu’ó c măm. Cet engrais, à base de squelettes de poisson, contient du sel, de l’acide phosphorique et un peu d’azote ; on l’applique en mélange avec les cendres, à raison de 100 à 150 kg/ mẫu. A Kiên-Thuy (Kiên-An) et à Thanh-Hoa, à proximité des fabriques de nu’ó c mẫu, on atteint 300 à 500 kg/ mẫu. Il détruirait une partie des mauvaises herbes, sangsues et certaines chenilles, et augmenterait sensiblement le rendement en grain. Cet engrais constitue une grande ressource pour le Cambodge et l’Annam où il est trop souvent perdu.
Tourteaux
122Les plus employés sont les tourteaux de ricin, produits dans le haut delta et exportés vers les autres provinces. On utilise aussi les tourteaux de sésame (haut delta), de coton (Ninh-Binh), d’abrasin, de garcinia, exceptionnellement de camélia (Son-Tây, Ha-Dong). L’agriculteur pressé par le temps concasse les tourteaux grossièrement et les apporte à la rizière après repiquage. Mais le plus souvent il met les morceaux en tas, les arrose, de préférence avec de l’urine, y ajoute un peu de cendres (environ 1/10 e de cendres en poids) et éventuellement un peu de boue, puis laisse le mélange fermenter trois semaines ou un mois. Au bout de ce temps les morceaux de tourteaux s’émiettent à la main facilement et on les épand après pulvérisation ; l’action sur la rizière est, dans ce cas, plus visible et plus rapide. Le mélange avec la cendre est tout à fait logique : on obtient ainsi un engrais complet. Par contre le mélange avec l’urine, elle aussi azotée, n’est pas indiqué si on craint de voir le riz pousser trop en feuilles. Dans ce dernier cas il ne semble pas utile de laisser fermenter le tourteau : il y a toujours des pertes, surtout si on ne protège pas du soleil et de la pluie. L’action moins immédiatement visible contribue en se prolongeant à une meilleure formation des particules.
123On emploie les tourteaux de ricin à raison de 20 à 50 kg, rarement 100 kg par mẫu, en mélange avec deux à quatre paniers de cendres ; les tourteaux de coton (Gia-Khanh, Ninh-Binh) moins riches, jusqu’à 150 kg. Les tourteaux sont des engrais encore chers ; on vendait à Ha-Dong en 1931 le quintal de :
124Tourteau de ricin 6 $
125Tourteau de sésame 9-10 $
126Tourteau de garcinia, camélia ou abrasin 3-5 $
127Le tourteau de ricin dépassait parfois en 1929-1930 le cours de 10 $/q, prix exagéré puisqu’il ne renferme pas 5 % d’azote, quoique sous une excellente forme.
128On réserve plutôt les tourteaux aux légumes, à la canne à sucre et au tabac, leur reprochant de trop faire pousser le riz en feuilles, ce qui n’est exact qu’en sols déjà riches. On les emploie surtout sur les riz gluants ou les autres variétés exigeantes.
Excréments et chrysalides de ver a soie
129Les excréments de ver à soie, souvent mélangés aux déchets de feuilles de mûrier, résidus de leur alimentation, sont jetés au fumier ou dans la porcherie, et parfois mis à fermenter pour être ensuite incorporés aux mûraies ou aux rizières. A Bô-La, près de Thai-Binh, on met ainsi cinq charges par sào aux riz du dixième mois, quarante-cinq jours après le repiquage, donc en plein tallage. La composition est voisine de celle des vidanges.
130Les chrysalides sont souvent consommées, ce qui est une utilisation rationnelle ; on les emploie aussi comme engrais pour les cultures sèches et parfois pour le riz, les vers malades étant toujours utilisés de cette manière. Humectées d’eau et pulvérisées, elles sont mélangées à trois ou quatre fois leur volume de cendres ou de terre avant d’être mises en rizières ; ou on les délaye dans de l’eau qui sert ensuite à l’arrosage des cultures sèches.
131Elles sont souvent mélangées avec des produits inertes ou de qualité inférieure. Ce sont ces fraudes, et aussi son action assez lente, qui expliquent le peu d’efficacité que l’on attribue généralement à cet engrais, sans doute supérieur à sa réputation.
Graines de soja et d’autres légumineuses
132Dans la province de Thai-Binh (huyện de Thu-Tri), on enfouit en rizières du dixième mois, les chaleurs favorisant la décomposition, des graines de soja, à raison de 20 kg/mẫu. On met trois ou quatre grains au pied de chaque touffe, localisation rationnelle, si on a le temps, de la fumure à portée des racines ; ou on sème à la volée dans la rizière boueuse trois semaines après le repiquage. Dans les provinces de Hung-Yên et de Nam-Dinh, on apporte 30 à 50 kg/ mẫu de ces graines, cuites à l’eau ou à la vapeur, pour faciliter leur fermentation, et mélangées à la cendre, pour éviter leur consommation par les ouvriers qui les épandent. On les apporte avant le sarclage qui les mélangera intimement à la boue de la rizière, en parcelles faiblement submergées pour éviter l’entraînement par les fortes pluies.
133L’Annamite leur attribue des qualités fertilisantes : on récolterait plus de paddy, dont le rendement en riz blanc de meilleure saveur serait plus élevé. Le transport sur les rizières éloignées de faibles quantités de cet engrais riche n’est pas onéreux.
134Dans la province de Ha-Dong, on utilise de même des graines de haricots jaunes ou blancs dont le prix (6 à 8 $/q) et la valeur fertilisante (4 % d’azote) sont les deux tiers de ceux du soja.
135Cette pratique est une hérésie économique. Le soja, vendu 9 à 12 $/q (1931) suivant la saison, serait mieux employé à l’alimentation des hommes. Même si un quintal de graines de soja (à 6 % d’azote) pouvait donner 300 kg de paddy en excédent - on n’y arrive jamais - l’opération ne serait pas économiquement avantageuse, compte tenu de l’intérêt de l’argent, et on ne retrouverait, dans les 200 kg de riz blanchi, que 20 kg de matières azotées au lieu des 36 kg contenus dans le quintal de soja.
136L’obligation d’ajouter de la cendre – et malgré cela certains ouvriers en consommeraient – est un indice de la barbarie de cette coutume, qui correspond à une véritable destruction de denrée alimentaire, répréhensible dans un pays sous-alimenté.
137Une fois l’essentiel des éléments nutritifs de la plante accumulé dans la graine, l’utilisation s’impose comme aliment ou semence, sauf le cas de graines avariées. Mais si l’on veut engraisser sa rizière, il vaut mieux enfouir en pleine floraison les plantes dont les graines doivent servir d’engrais, on apportera une quantité plus élevée d’éléments fertilisants, sous une meilleure forme. En rizières hautes, il vaut mieux semer les graines de soja en avril pour enfouir la plante en juillet, comme cela se pratique déjà dans quelques cantons ; nous traiterons cette question, ainsi que l’emploi des matières végétales, avec les engrais verts.
Autres fertilisants locaux
138La sciure de bois fraîche est épandue dans le huyện de Vu-Tiên (Thai-Binh), seule ou additionnée d’un tiers de cendre de bois ou de paille, à raison de 200 kg/mẫu, deux mois après repiquage et avant un sarclage, sur les rizières hautes ou moyennes cultivées en riz dur. Il vaudrait mieux utiliser ses qualités absorbantes comme litière.
139Les gadoues de villes sont employées, après criblage, sur les cultures sèches et le riz. La richesse en azote et en acide phosphorique de l’échantillon analysé (0,5 % avec 61 % d’eau, soit 1,3 % de la matière sèche) montre l’intérêt de ce fertilisant, utilisable si le transport n’est pas onéreux.
ENGRAIS CHIMIQUES14
140Le problème de la fumure minérale a été l’objectif principal des recherches sur l’amélioration de la riziculture poursuivies dans le delta par l’Inspection générale de l’agriculture, de l’élevage et des forêts, puis par l’Office indochinois du riz.
Engrais azotés
141Le prix très élevé des engrais azotés locaux milite en faveur de l’emploi des engrais azotés d’importation. En 1931, le kilogramme d’azote organique des vidanges était payé jusqu’à 2 $, l’azote des graines de haricots et de soja 1,5 à 2 $, l’azote du tourteau de ricin 1,3$, tandis que l’azote du sulfate d’ammoniaque pouvait être cédé aux grands propriétaires à 0,6 $ ; il est vrai que par l’intermédiaire du détaillant, le petit agriculteur n’aurait pu le payer moins d’une piastre. En Europe, l’azote organique vaut toujours un peu plus cher que l’azote minéral, mais la différence est moindre.
142D’autres engrais locaux cèdent l’azote à meilleur compte : chrysalides de ver à soie, et surtout fumiers de porc et de buffle, engrais à action lente.
143Dans nos essais, le sulfate d’ammoniaque s’est révélé la meilleure forme d’engrais azoté pour rizières, supérieur à la cyanamide, impossible à épandre en couverture, à l’urée et surtout aux nitrates15. Cet engrais n’a cependant donné que de faibles excédents de rendements, oscillant généralement entre 2 et 3 qx/ha pour un apport de 150 kg de sulfate d’ammoniaque (30 kg d’azote) ; donc nettement inférieurs aux effets du même engrais sur les céréales des pays tempérés. Il semble - mais ceci demande à être vérifié par un plus grand nombre d’observations au même point pendant les deux campagnes - que les accroissements soient plus sensibles au cinquième mois qu’au dixième : au cinquième mois, la vigueur végétative de la plante étant plus réduite, elle est plus sensible à l’action fertilisante. Au dixième mois, les pluies d’orage lui apportent de l’azote et entraînent une partie de l’engrais.
144L’azote est l’élément fertilisant qui conditionne le plus le développement du riz, comme l’ont encore confirmé les récentes expériences de M. Mokine à Lenkoran. La rapidité de l’absorption conseille l’épandage fractionné en deux ou trois fois, un excès momentané prédisposant la plante aux maladies : nous avons provoqué une forte attaque d’Helminthosporium à la suite d’une deuxième application de 25 kg/ha d’azote au tallage, la première ayant précédé le repiquage. D’autre part l’excès d’azote provoque un développement foliacé exagéré, une atrophie du système radiculaire, au détriment de la production de paddy ; la maturité est retardée et il y a de nombreux grains vides. Une forte application à la fin du tallage le prolonge outre mesure ; les dernières talles produites ne font qu’épuiser la plante car elles n’épient pas, ou ne donnent que des grains avortés. Si le riz doit en disposer pour former ses particules et jusqu’à la floraison, dernière phase active de la végétation, il faut éviter d’en mettre un excès tardivement. A Java, on attend pour apporter de l’azote à la rizière que le jaunissement des feuilles en indique la nécessité ; la plante épuise d’abord la réserve du sol ; on craint en le mettant trop tôt d’en voir la plus grande partie emportée par l’eau d’irrigation constamment renouvelée dans les rizières en gradins. Il faut cependant un intervalle minimum de quinze jours entre le dernier apport et la floraison. Seuls les riz de culture sèche semés en place reçoivent l’azote au début de la végétation. Mais en terres pauvres un apport modéré d’azote provoque un développement harmonieux de la plante, accroît un peu la production et avance la maturité.
145Dans les rizières les plus basses, on ne peut mettre d’engrais dès que l’eau déborde les diguettes. L’azote y est d’ailleurs inutile puisque la présence de feuilles vert sombre, très larges, et la fréquence de la verse indiquent une nutrition azotée déjà excessive.
Engrais phosphatés16
146Leur usage s’était un peu généralisé ces dernières années : une usine de Haiphong et quelques installations de moindre importance broient les phosphates naturels extraits dans les provinces de Lang-Son, Thanh-Hoa et Nghê-An ; depuis la crise, il est en régression.
147A juste titre, ces phosphates sont employés de préférence en rizières acides que les agriculteurs, dans la province de Hai-Duong reconnaissent à la présence de certains carex (cỏ nan, cỏ lác), à un dépôt jaune rouille laissé par l’eau sur la base immergée des tiges de riz, et, sur le sol, à la présence d’une pellicule irisée à la surface de l’eau, chassée par le vent dans les angles des parcelles ou sur le bord des diguettes, à la rapidité de clarification de l’eau troublée par une façon culturale, à la rareté et au faible développement des crevettes, crabes, petits poissons et même sangsues de rizière.
148Leur emploi est surtout généralisé en bordure du delta : nord de Vinh-Yên et de Phuc-Yên, Bac-Giang, ouest et surtout est de Hai-Duong (Tu-Ky, Kim-Thanh, Cam-Giang, Chi-Linh, Binh-Giang, Thanh-Miên et Dong-Triêu) ; il est moins répandu dans le nord de Bac-Ninh et de Thai-Binh et dans la bordure ouest du delta ; il est peu fréquent ailleurs. En dehors du delta, il est assez employé à Phu-Tho et Thai-Nguyên et dans le sud du Thanh-Hoa. Il donnerait les meilleurs résultats sur la bordure nord et est du delta, dans les rizières pauvres au pied des mamelons, ou dans les vallées encaissées : par exemple au pied du Tam-Dao (Vinh-Yên), et dans le Yên-The (Bac-Giang).
149De nombreux agriculteurs reprochent aux phosphates de durcir la terre, rendant les labours malaisés. Cet effet a été d’autant plus marqué que l’on avait attribué à ce nouveau fertilisant toutes les vertus, faisant croire aux paysans qu’il dispensait de l’emploi du fumier alors qu’au contraire il le rend plus nécessaire. C’est à cause de ce durcissement du sol que les cultivateurs des circonscriptions de Vinh-Tuong et de Yên-Lac (Vinh-Yên) en ont abandonné l’emploi après une ou deux années d’essais. A Bac-Giang certains préfèrent le sel aux phosphates.
150Le phosphate s’emploie à la dose de 50 à 200 kg/mẫu – généralement 100 kg – soit seul, soit plus souvent en mélange avec trois fois son volume de cendre urinée ou arrosée. On dispose parfois des couches alternées de phosphate (un volume) et de balles de paddy (cinq volumes) ; le tas arrosé et brassé fermente un mois avant l’épandage ; les fragments de balle se disloquent et n’amendent plus aussi bien les terres trop fortes. On stratifie également avec du fumier, et nous avons déjà dit les inconvénients de cette pratique. Elle a l’avantage de retenir les éléments les plus fins de l’engrais, qui sont aussi les plus assimilables, entraînés au loin pendant l’épandage dès qu’il y a un peu de vent. On arriverait au même résultat sans diminuer la valeur du fumier en mouillant avant emploi le phosphate ou le mélange phosphate-cendre.
151En terre sablonneuse, se tassant facilement, tout le phosphate est mis aux derniers hersages : en couverture il resterait à la surface du sol sans profiter au riz de cette campagne. En terres argileuses, on met moitié avant moitié après, ou tout après repiquage : les agriculteurs disent qu’en terres boueuses le phosphate déposé sur le sol est entraîné par les mouvements de l’eau vers les points les plus bas, c’est-à-dire les trous laissés dans la terre par les doigts des repiqueuses que les limons fins de la surface comblent peu à peu : d’où une heureuse concentration des fertilisants autour de chaque plant.
152Depuis l’affaissement des cours du paddy, les prix de l’engrais n’ayant pas diminué dans les mêmes proportions et le numéraire devenant très rare dans le delta, la consommation des phosphates naturels subit une baisse presque verticale.
153L’acide phosphorique, indispensable à la formation de la graine, paraît agir dans la majorité des terres du delta mais nos essais ne nous ont généralement donné que des excédents de rendement trop faibles ; sauf au champ d’essais de Binh-An, sur des terres légères à proximité de Thai-Binh, où cet élément fertilisant s’est révélé très efficace sous différentes formes pendant plusieurs campagnes successives.
154Les phosphates naturels locaux qui livrent le kilogramme d’acide phosphorique à moitié prix des superphosphates importés, sont à préférer chaque fois qu’ils se révèlent efficaces et ne durcissent pas trop le sol ; on n’oubliera pas de leur associer la fumure organique. Mais dans la plupart des cas l’efficacité des engrais phosphatés n’est pas assez forte pour qu’on puisse en préconiser l’emploi sans essais préalables.
155L’acide phosphorique paraît surtout nécessaire au début de la vie de la plante ; il semble fort utile aux pépinières : une application de superphosphate fait parfois « reverdir » des mạ autant qu’un engrais azoté17. En rizière on l’apportera juste avant repiquage ou au plus tard moitié avant repiquage et moitié après la reprise des plants, avant le début du tallage. Aux Indes, on estime que l’acide phosphorique stimule l’assimilation de l’azote par la plante.
156A Java, les engrais phosphatés sont maintenant apportés à la pépinière et non à la rizière. L’acide phosphorique est fixé pour la plus grande part au début de la vie et les jeunes plants dont les tissus sont riches en phosphore se repiquent mieux et produisent leurs talles en un court laps de temps, ce qui provoque une maturité précoce et simultanée de toutes les tiges. Dans les terrains latéritiques, une grande proportion des engrais phosphatés énergiquement retenue par le sol est perdue pour les plantes. En apportant l’engrais en pépinière sur une surface beaucoup plus restreinte et à dose plus élevée, on en met une proportion plus élevée à la disposition de la plante.
Engrais potassiques
157L’estime dans laquelle les agriculteurs annamites tiennent les cendres milite en faveur de l’utilité de la potasse. Mais dans nos essais le chlorure de potassium n’a révélé aucune efficacité sur tous les champs d’essais sauf un18. Et encore à Yên-Lang (Bac-Ninh) l’efficacité est-elle peu marquée. Jamais nous ne conseillerons de gaspiller les cendres mais leur utilité peut provenir aussi de leur acide phosphorique, sans doute très assimilable : les cendres de paille renferment un de cet élément pour cinq de potasse.
158Ce fertilisant accroît la résistance à la verse et aux maladies, donnant un paddy moins tâché, de belle apparence. Toutefois les avantages qu’il présente ne suffisent pas à justifier son emploi ; il a été abandonné, après essais, aux Indes et à Ceylan. En Birmanie et au Siam, le phosphate d’ammoniaque est l’engrais le plus en faveur. Aux Philippines on attribue le rôle le plus important à l’azote, ensuite à l’acide phosphorique. Ce n’est que dans les pays tempérés, Italie, Japon et États-Unis que la potasse est couramment employée en rizière. Les sols tropicaux sont souvent pauvres en cet élément mais l’abondance des pluies et l’élévation de la température en facilitent la dissolution.
159Dans les terres alcalines du bas delta, le chlorure de potassium peut même réduire le rendement en exagérant la concentration saline ou la teneur en chlorures du sol. Dans une rizière très riche des environs de Kiên-An où le riz du dixième mois donnait, quand il ne versait pas trop tôt, des rendements supérieurs à 30 qx/ha, un essai d’application de superphosphate et de chlorure de potassium, réalisé dans le but d’accroître la résistance du riz à la verse, a fait tomber la production à presque rien.
Conclusion
160Le sulfate d’ammoniaque, engrais cher importé, et d’efficacité modérée, ne peut convenir qu’à quelques cas particuliers : cultures riches, rizières pauvres très éloignées, ou particulièrement sensibles à cet engrais, impossibilité de se procurer des engrais organiques. Ces dernières années, on avait projeté l’établissement d’une usine d’azote synthétique utilisant l’énergie hydroélectrique des chutes du Da-Nhim (Sud-Annam). L’encombrement du marché de l’azote et la faible importance du débouché local conseillent l’abandon de ce projet.
161L’usage du sulfate d’ammoniaque ne se répandrait que le jour où le petit cultivateur annamite pourrait en obtenir un quintal non falsifié avec deux quintaux de paddy ; ce qui suppose, avec les frais de transport et les bénéfices des intermédiaires sur les deux produits, un prix unitaire à peu près égal de ces deux matières sur le quai de Haïphong.
162Le paysan tonkinois peut réaliser à moindre frais la synthèse de l’azote de l’air : par la culture des légumineuses engrais verts et spécialement de Crotalaria striata. Il réduira les pertes d’azote des déjections animales en conduisant mieux la fermentation de son fumier.
163La supériorité de l’azote organique sur l’azote minéral est peut-être plus grande ici qu’en Europe. Cependant l’emploi d’engrais locaux trop chers (tourteaux, vidanges, et surtout graines de légumineuses) n’est pas économiquement plus intéressant que celui du sulfate d’ammoniaque, surtout pour le riz qui semble « répondre » moins bien que les cultures sèches. Certains agriculteurs du bas delta consacrent à l’achat des matières fertilisantes des sommes si élevées par unité de surface qu’elles semblent disproportionnées avec les résultats obtenus. Il est à souhaiter que les cours de ces matières diminuent plus que ceux du paddy.
164En Chine, où la situation économique du paysan est analogue, le trust allemand de l’azote avait cependant porté à 70 000 t la consommation annuelle de sulfate d’ammoniaque, dont une bonne partie allait à la rizière.
165Pour les engrais phosphatés, les ressources locales (débris de poisson et os calcinés) doivent rester dans le pays mais elles sont tout à fait insuffisantes. Le recours à l’emploi d’engrais phosphatés n’est justifié que s’il provoque un accroissement de rendement suffisant : à cause de l’intérêt de l’argent et des aléas de la culture, il faudrait, en campagne normale, obtenir un excédent de paddy valant le double du prix de l’engrais payé au repiquage, ou 50 % de plus que son prix payable à la récolte, quand ce crédit est accordé à l’agriculteur.
166En terre acide, l’agriculteur pourra essayer le phosphate naturel, en terre neutre ou basique le superphosphate. Mais la fabrication locale de ce dernier fertilisant n’est guère possible à cause de la richesse des minerais du pays en fer et alumine19 qui en amènent une rétrogradation rapide, du coût élevé de l’acide sulfurique, de la faible importance des gisements locaux et du débouché restreint ; et son importation est très onéreuse.
167Les phosphates naturels semblent plus efficaces dans le Sud-indochinois, où des pH plus bas révèlent une acidité supérieure ; les gisements du Cambodge et surtout ceux de la province de Dong-Hoi (Annam) seraient de meilleure qualité que ceux du Tonkin. Une amélioration de leur qualité résulterait d’une plus grande finesse de broyage que les bas prix du combustible permettraient de réaliser sans frais excessifs.
168On ne peut guère, en l’état actuel de nos connaissances, conseiller aux riziculteurs même l’essai des engrais potassiques.
169Un engouement exagéré pour les engrais chimiques ne semble pas de mise, d’autant que leur achat, obligatoirement fait au dehors sauf pour les phosphates naturels, amène une exportation d’argent. Nous conseillons plutôt l’utilisation maxima des ressources du pays. Des accroissements de production analogues, ou même plus élevés, peuvent être obtenus avec du travail mais sans dépenses par l’emploi des engrais verts, une fabrication plus satisfaisante du fumier, de meilleures méthodes de préparation du sol : labour de déchaumage, édification de murets. Il n’y a rien à attendre aujourd’hui, et peu à espérer une fois la crise terminée, de l’emploi des engrais chimiques dans la rizière tonkinoise, et sans doute dans la grande majorité des rizières tropicales20. Cependant ce problème ne doit pas être totalement négligé : des excédents plus élevés pourront être obtenus quand on aura accru la teneur des sols en humus et sélectionné des variétés capables de répondre à des applications d’engrais, surtout azotés, par de forts accroissements de production.
ENGRAIS VERTS
Les engrais verts en rizière
170En comparant les résultats d’analyse de différentes rizières de la province de HaDong, M. Angladette a montré que leur fertilité était plus en relation avec la teneur en humus du sol qu’avec la richesse en éléments minéraux. Des terres riches en humus – assez fréquentes dans cette région où la proximité de Hanoï et l’aisance relative des habitants permettent l’emploi de fortes fumures organiques – peuvent donner plus de 30 qx/ha au dixième mois malgré leur pauvreté en éléments fertilisants.
171Les engrais verts, et plus particulièrement les légumineuses déjà fixatrices d’azote, vont puiser dans le sol et le sous-sol, plus profondément que le riz, des éléments minéraux insolubles qu’ils laissent dans leurs tissus à la disposition des cultures suivantes sous une forme plus facile à assimiler21. Ils apportent l’humus qui accroît la capacité de rétention de l’eau des terres légères – le riz y souffre moins de la sécheresse – facilite la nutrition de la plante et active la vie microbienne.
172Les ressources en fumier, même si elles s’accroissent, n’apporteront jamais assez d’humus au sol. Il faut recourir à l’emploi des engrais verts. D’après les expériences de Peradenya (Ceylan) les pertes d’azote et de carbone sont beaucoup moindres dans une parcelle qui a reçu des engrais verts ; le rapport carbone/azote (C/N) y reste aux environs de 10 indiquant une bonne humification. Enfin le pH des sols trop acides s’élèverait après application d’engrais verts ; en tout cas le pouvoir tampon de l’humus amortit les effets sur la plante d’une acidité exagérée. L’emploi des engrais verts en rizière est courant dans beaucoup de pays rizicoles.
173Au Japon on sème dans le riz en automne, un peu avant la moisson, une légumineuse, Astragalus sinensis, enfouie au printemps.
174En Italie, le trèfle incarnat est cultivé dans les mêmes conditions ; si son usage est en régression, c’est que la place plus importante tenue dans l’assolement par les cultures fourragères (prairies temporaires, luzerne, trèfle), apporte au sol des débris végétaux, racines et bases des tiges, et permet d’entretenir un cheptel plus nombreux, donc de mettre au riz jusqu’à 10 et 15 t/ha de fumier22.
175Dans la huerta de Valence (Espagne), les rendements de plus de 100 qx/ha de paddy sont obtenus après enfouissement en mars de 60 à 70 t/ha de fèves semées en octobre. Aux États-Unis, le riz alterne avec le soja de Biloxi : après la récolte des graines de cette légumineuse, les fanes riches en azote sont enfouies dans le sol.
176En Chine, diverses légumineuses sont semées à l’automne et enfouies au printemps ; aux environs de Canton, dans les rizières d’été et parfois même les rizières à deux récoltes, on sème une moutarde qui est retournée par la charrue. Même en Camargue on enfouit des roseaux.
177Dans les contrées rizicoles tropicales, la fumure verte n’est pas négligée. A Java, on enfouit fréquemment des herbes et des feuilles ; on emploie les engrais verts sur les terrains volcaniques récents formés de grains assez gros.
178En terre trop argileuse on craint que leur décomposition ne donne des acides organiques (butyrique, acétique, etc.) nuisibles aux racines : les feuilles de riz prennent une teinte rouge orangé. On cultive de préférence les Crotalaria usaramœnsis, C. anagyroïdes et C. juncea qui conviennent bien à ces sols fertiles.
179Dans le sud des Indes, on recherche pour la culture en saison sèche des espèces peu exigeantes en eau ; à Coimbatore on a adopté Crotalaria juncea, Tephrosia purpurea, Phaseolus trilobus et Sesbania aculeata. Mais c’est dans les terres pauvres de Ceylan que la fumure verte est la plus employée : une vingtaine d’espèces, la plupart des légumineuses, sont ainsi récoltées ou cultivées. On utilise souvent une composée, le tournesol mexicain – Tithonia diversifolia –, parce qu’elle prend spontanément un grand développement.
Les engrais verts au Tonkin23
180Dans leur intéressante étude sur les différents types de rizières tonkinoises24, MM. Castagnol et Trân Trong Khoi notent que le rapport C/N y est généralement inférieur à 10 malgré la faible importance de la fumure azotée. Peut-être ce rapport tend-il, après introduction de matière organique, vers une limite différente de 10. On peut aussi supposer, puisqu’à Peradenya on retrouve comme dans les pays tempérés cette limite de 10, que les rizières tonkinoises reçoivent une fumure organique insuffisante.
181Quoique beaucoup trop limité, l’usage des engrais verts n’est pas ignoré dans le delta. Nous avons déjà traité de l’enfouissement des chaumes du cinquième mois, qui est la sidération la plus répandue, et de ses inconvénients. On apporte en rizière – surtout au dixième mois, la décomposition étant plus active – des feuilles de xoan (lilas du Japon), de manioc et de ricin, des fanes de patate ; on les enfouit par piétinement, soit juste avant le repiquage, soit pendant le premier mois de la végétation. On enfouit aussi, quand le bétail ou le feu ne les ont pas consommées, les fanes des diverses légumineuses cultivées pour leurs graines : les paysans annamites en savent d’ailleurs la richesse ; ils apprécient aussi les feuilles de ricin. Les feuilles de xoan, très amères, auraient l’avantage de détruire ou d’éloigner les sangsues, si gênantes pour les repiqueuses, les vers ou grillons qui percent dans les diguettes des galeries par où l’eau s’échappe plus bas.
182Dans la province de Thai-Binh on hache grossièrement les feuilles de base du tabac, toujours abîmées, pour les enfouir par piétinement en rizière du cinquième mois, un mois à six semaines après le repiquage.
183Dans la province de Nam-Dinh, les agriculteurs estiment les engrais verts : en apportant de l’acidité organique ils réduiraient l’alcalinité parfois nuisible de leurs sols, Ils prétendent n’en pouvoir guère cultiver, la terre exondée étant toujours occupée ; en réalité ils sont plutôt arrêtés par le manque d’eau. C’est surtout aux taros que l’on apporte des engrais verts (fanes de patates et de haricots, feuilles de xoan, lục bình), enfouis entre deux couches de sol bêché suivant la technique déjà indiquée. On s’astreint à cet effort car durant la longue période sans moisson de riz, de novembre à juin, une forte récolte de tubercules est nécessaire pour parer à la disette alimentaire. Dans la terre rendue plus meuble, les plantes se développent mieux et la fumure verte profite au riz suivant.
184En cette même province, les rameaux d’indigotier sont très appréciés des riziculteurs qui leur accordent un pouvoir fertilisant plus élevé que celui du fumier de porc et même de l’engrais humain. Si en effet la richesse en azote est aussi forte que celle des vidanges –14 %o avec 23,5 % de matière sèche – leur altération est plus lente et peut amener la formation d’humus dans le sol. On les enfouit par petites poignées, au milieu des interlignes de riz, quelques jours après le repiquage quand le verdissement des plants indique la reprise. L’emploi est malheureusement restreint par la faible extension de l’indigo.
185La culture de plantes en vue de leur enfouissement est exceptionnelle dans un pays dépourvu de réserves tant alimentaires que financières. On cultive cependant, en rizières pauvres du dixième mois, du soja semé tardivement, fin mai ou début juin pour l’enfouir au début d’août, à la fructification. A Phuc-Khanh près de Thai-Binh, certains moyens propriétaires qui ont beaucoup de rizières et relativement peu d’animaux donc peu de fumier, sèment du sésame en fin avril ou début mai pour l’enfouir par un labour quand il atteint 50 cm, une dizaine de jours avant le repiquage du dixième mois ; les rizières ainsi engraissées ne reçoivent qu’une demi-dose de fumier. On cultive parfois l’arachide comme engrais vert.
186Il vaut mieux prendre des légumineuses, fixatrices d’azote. L’époque optima d’enfouissement est dans tous les cas le début de la pleine floraison ; si le poids de matière sèche continue à augmenter, la richesse en azote et son assimilabilité diminuent. Enfin, le cultivateur pauvre qui veut engraisser sa rizière et retirer un bénéfice de cette culture peut semer des légumineuses dont les gousses seront consommées en vert et enfouir la plante aussitôt leur cueillette. S’il est trop tôt pour faire un riz, il y établira sa pépinière du dixième mois.
Crotalaria striata25
187Cette plante mérite une mention spéciale. Elle pousse spontanément sur les terrains incultes, mamelons, talus, digues, etc. Les Annamites l’appellent cây muộng muộng, cây muộng, cây luc lac, cây suc sâc ou cây cốt khí. Près de Yên-Viên dans le huyên de Gia-Lam (route de Hanoï/Bac-Ninh, avant et après le pont du Canal des Rapides), les agriculteurs des villages de Kim-Quan, Thanh-Am, Công-Thôn, Ai-Mo, Vân, Ninh et Via, qui font beaucoup de canne à sucre, culture épuisante, recherchent pour les apporter au sol tous les débris végétaux. Ils ont remarqué que les jeunes rameaux de Crotalaria striata, récoltés sur la digue du canal, avaient un pouvoir fertilisant beaucoup plus élevé que toutes les autres matières végétales26. Ils ont alors favorisé son développement en laissant de-ci de-là quelques pieds venir à graine. La digue était couverte par endroits d’un véritable peuplement de Crotalaria, quand les Travaux publics ordonnèrent l’extirpation de toute végétation de crainte que les racines ne laissent après décomposition des fissures par où l’eau s’infiltrerait en diminuant la résistance de l’ouvrage. Cette mesure en apparence gênante allait être le point de départ d’une nouvelle pratique, susceptible d’améliorer les conditions de la riziculture dans le delta. Ne pouvant plus se procurer autrement cet engrais vert que l’expérience leur avait fait apprécier, les cultivateurs se sont décidés à le cultiver sur rizière haute du dixième mois, seul procédé permettant une production importante de fumure verte. Ainsi une pratique curieuse, mais limitée à quelques situations particulières, devenait susceptible d’une extension indéfinie.
188Quand nous l’avons remarqué en juillet 1931, nous en avons senti de suite l’extrême importance pour l’avenir de la riziculture dans le delta ; aussi avons-nous entrepris immédiatement et parallèlement l’étude des conditions de sa culture par les villageois de la région, la mesure des accroissements de rendement que donnaient son enfouissement en rizière, et la propagande pour l’extension de son emploi27.
189Ce problème des engrais verts avait depuis longtemps attiré notre attention mais nous hésitions devant la faible production de matière verte à l’hectare (4 à 5 t) des légumineuses cultivées dans le delta ; nous reprochions à la plupart des engrais verts employés pour les cultures arbustives, y compris les crotalaires, la présence de rameaux ligneux de décomposition trop difficile dans le sol, sans voir que cet inconvénient apparent était un avantage ; enfin nous craignions qu’il ne soit difficile de convaincre le paysan tonkinois de l’utilité d’une culture faite uniquement en vue de son enfouissement : nous l’estimions plus routinier qu’il n’est en réalité.
— Culture de la crotalaire28
190La zone de culture actuelle comporte des terres d’alluvions assez fertiles, légères ou de consistance moyenne. Après la récolte du dixième mois, le sol reçoit un ou deux labours, suivis de deux hersages ; un émottage au maillet s’impose en terrains plus lourds, sauf en cas de pluie après le premier labour où l’on peut émietter les mottes à la herse. On sème parfois, sans aucune façon, sur terrain plus ou moins grossièrement nettoyé mais le rendement en est diminué.
191La crotalaire est généralement associée au maïs ou même au maïs et au soja. On ne la cultive seule que dans les champs éloignés où l’on craint de ne pouvoir se protéger de la dent du bétail ; on sème alors vers février, quand les crachins ont humecté la terre suffisamment pour permettre la germination, à la volée à raison de 10 ou même 151/mẫu de graines, densité très grande pour des graines si petites : souvent un tiers seulement des graines germent. Comme soins d’entretien, on se contente d’arracher à la main quelques mauvaises herbes envahissantes ; plus tard, en culture réussie, la crotalaire est assez dense pour étouffer toute végétation adventice.
192Dans un maïs semé en lignes fin décembre, on donne un sarclage et un buttage un mois ou six semaines après, quand les plus hauts plants atteignent 50 cm, puis on sème la crotalaire à la volée sur le terrain ainsi ameubli. Le maïs est récolté au début de mai, laissant la légumineuse occuper seule le terrain : elle prend son développement assez tard pour ne pas gêner celui du maïs ; ainsi obtiendrait-on de beaux épis et une récolte de grain normale. De plus le peuplement de maïs est assez clairsemé pour qu’une lumière suffisante parvienne à la crotalaire.
193Avec maïs et soja, on sème l’engrais vert plus tard, vers la deuxième quinzaine de mars, pour que les plants de soja, de faible hauteur, prennent assez d’avance. Certains agriculteurs font succéder ces cultures plutôt que de les associer : ils sèment maïs et soja plus tôt, dès le début de décembre, pour les récolter au plus tard fin avril, et mettent aussitôt la crotalaire. Cette technique ne semble pas recommandable : le soja semé trop tôt rend mal si la sécheresse est excessive et la crotalaire arrive beaucoup trop tard pour donner une production abondante de matière verte, surtout en années de pluies précoces.
194Car la plante continue à se développer tant que le terrain n’est pas submergé, ce qui se produit généralement, sur ces terres hautes, en juillet-août (1931), rarement dès le mois de juin. Elle atteint de 1,1 à 1,6 m de hauteur. On récolte à la faucille en coupant les rameaux feuillus au point où ils cessent d’être lignifiés, à peu près à mi-hauteur de la plante. Cet engrais vert est cultivé surtout en vue de son enfouissement en rizière ; cependant on fait souvent deux coupes, la première en mai-juin fertilise les pépinières ou la canne à sucre, la deuxième plus abondante en juillet-août va à la rizière. Quand on n’a pas de culture précoce on n’en fait qu’une. Si une sécheresse prolongée retarde le repiquage des terrains hauts, on peut en faire jusqu’à trois, la deuxième pour rizières basses et la troisième pour rizières hautes. Les coupes sont pratiquées à une époque favorable, un peu avant ou pendant la floraison ; on les fait à quarante-cinq jours d’intervalle pour que les rejets émis par les tiges donnent une production suffisante. Le rendement en matière verte varie dans ces terres fertiles de 5 à 12,5 t/mẫu, soit de 14 à 35 t/ha suivant l’époque de semis, la richesse et la préparation du sol, le nombre de coupes et la climatologie – un hiver relativement humide et un retard dans l’arrivée des fortes pluies d’été étant les conditions les plus favorables. Après l’enlèvement de la dernière coupe de matières vertes, les souches sont arrachées à la main ; d’ordinaire elles viennent facilement car le sol est détrempé ; s’il est trop sec on sectionne les tiges au ras du sol avec un coupe-coupe. Comme il reste quelques feuilles à la base des rameaux, on les met parfois, pour les pourrir et les détacher des tiges, à tremper en rizière avant de les rentrer. Un mẫu de crotalaire donnerait en moyenne 5 à 6 t de bois vert, fort apprécié dans un pays où le combustible est rare, suffisant à la consommation annuelle d’une famille de paysans. Cela permet de mettre sous les animaux, et de là au fumier, dont la production se trouve ainsi augmentée, toute la réserve de chaume de la ferme, effet indirect qui n’est pas négligeable. La valeur marchande de ce bois compense largement les frais de coupe, soit environ vingt journées de travail au mẫu.
195A l’état frais, la matière verte – tiges non lignifiées et feuilles, échantillon moyen de ce que les paysans enfouissent en rizière – révèle à l’analyse 1 % d’azote pour 20 % de matière sèche. Vingt tonnes de crotalaire à l’hectare représentent 200 kg d’azote prélevé dans l’air pour la majeure partie, soit l’équivalent d’une tonne de sulfate d’ammoniaque. En outre, le sol est enrichi d’une quantité importante d’humus.
196La matière verte de la crotalaire est transportée sur les rizières voisines submergées dont la terre a été rendue bien « boueuse ». On la répartit régulièrement par petites poignées sur toute la surface et on enfonce dans la boue par piétinement. On la laisse se décomposer : par temps chaud il suffit de trois jours ; le quatrième jour on donne un labour et un hersage, le cinquième on repique. Les paysans estiment qu’on ne doit pas dépasser un intervalle d’une semaine entre l’apport de l’engrais vert et le repiquage. Ils ont sans doute raison : à Ceylan, des essais ont montré une grande supériorité d’efficacité de l’enfouissement d’une quantité donnée d’engrais vert une semaine au lieu de cinq semaines avant le repiquage. Si pour une cause fortuite on ne peut repiquer un terrain qui a reçu l’engrais vert, on limitera les pertes en le maintenant constamment submergé. La dose moyenne de matière verte enfouie est d’une à deux tonnes par mẫu ; en moyenne un mẫu de crotalaire réussi peut fertiliser cinq mẫu de rizière.
197L’engrais vert apporte une quantité élevée de matière fertilisante, sans dépense pour l’agriculteur qui produit ses graines. On laisse des plantes porte-graines évoluer pendant tout l’été sur les zones élevées : diguettes séparant les champs de cannes, talus des chemins, terrains vagues. La récolte de ces très petites graines, effectuée en fin novembre-décembre, est une opération assez longue, mais à la portée des enfants
198Jusqu’à ces dernières années, la production des graines était surtout faite par le village de Via ; les cultivateurs passaient leur commande en juillet-août, les producteurs conservant une surface de porte-graines proportionnelle à la demande. Un nồi de 16 à 171 se vendait de 2 à 5 $ ; la propagande faite en 1931 en a fait monter les cours, mais l’accroissement de la production des semences les fait revenir vers un taux normal ; dans l’avenir on peut espérer que les prix baisseront encore.
— Amélioration de cette culture
199Les mottes de terre peuvent être brisées, comme dans le cas des cultures sèches, à l’aide d’un rouleau en pierre ou en bois dur plutôt qu’au maillet. La plante ne demande pas un sol si finement divisé et on ne sera pas obligé de compléter à la main.
200Le grand aléa de la culture de la crotalaire est le manque d’eau au semis ou pendant la première partie de sa végétation. Il faudrait se procurer des graines de bonne heure, vers le 1er novembre ; s’il est difficile d’en faire mûrir à cette époque au Tonkin, on peut en faire venir de la province de Qui-Nhon où existent d’importants peuplements spontanés ; dans ce cas on pourrait essayer le semis de l’engrais vert directement dans les riz tardifs quinze jours ou trois semaines avant la moisson, en terres encore boueuses ou humides n’ayant pas manqué d’eau prématurément. La germination se ferait facilement et quand après l’enlèvement de la récolte viendra la sécheresse, les plants seront peut-être assez profondément enracinés pour y résister. S’il réussit, ce mode de semis sera particulièrement précieux pour les rizières assez basses, submergées tôt, et pour les cultivateurs qui ont besoin de fertilisant de bonne heure tels les producteurs de mạ et de cannes à sucre. On pourra même en apporter aux autres cultures sèches et particulièrement aux cultures maraîchères. Les agriculteurs de Yên-Viên font macérer les feuilles de crotalaire pendant trois jours dans des jarres pleines d’eau et le liquide est employé tous les jours sur les plantations d’asperge, généralement arrosées à l’urine coupée d’eau. Ce mode d’utilisation est rationnel à condition que cette macération soit faite en un lieu tel qu’elle n’accroisse pas la distance à laquelle il faut porter l’eau : l’enfouissement direct en terrain exondé provoque des déperditions d’azote d’autant plus élevées que le sol est plus desséché.
201Le semis dans le riz a de plus l’avantage de ne pas nécessiter de préparation du sol. Il n’empêche pas d’associer une culture de maïs : en décembre, on peut dans la rizière ainsi traitée retourner à la charrue des bandes de terre de 0,2 m séparées par des intervalles de 1 m sur lesquels la crotalaire continuerait à se développer. Au milieu des bandes labourées, ameublies à la pioche, on sèmerait assez serré une ligne de maïs. Par contre on devra sans doute abandonner le soja qui retarde toujours trop le semis de la crotalaire. Lorsque l’on ne peut semer dans le riz, on peut assurer à la plante un meilleur développement en lui apportant de l’eau si nécessaire au semis et à deux ou trois reprises en cours de végétation. L’engrais vert est cultivé sur terres hautes, qu’il est souvent difficile d’alimenter en eau. Si l’élévation est trop coûteuse pour un riz du cinquième mois, elle peut être praticable pour la crotalaire dont les besoins sont beaucoup plus réduits. Enfin, l’aménagement hydraulique facilitera ces arrosages.
202Pour amener de l’eau sans submerger, on pourrait faire des sillons parallèles, à environ 1,2 m d’intervalle, en passant la charrue au même point une fois en versant à droite, l’autre fois en versant à gauche. Ces sillons rudimentaires seraient dressés avec beaucoup moins de travail que les planches pour cultures sèches. On pourrait les établir après enlèvement de la récolte dans le cas d’engrais vert semé dans le riz. On amènerait l’eau dans ces sillons et la terre s’imbibera peu à peu, sans excès. Cette alimentation en eau permettrait l’extension de la crotalaire sur de grandes surfaces de rizières hautes du dixième mois.
203La germination en terre plus humide permettrait de réduire la quantité de semences, actuellement très élevée si l’on tient compte de la dimension des graines. Le pouvoir germinatif serait accru en recueillant les semences dans de meilleures conditions de maturité et en luttant contre une chenille qui dévore les graines à l’intérieur des gousses.
204La zone de culture actuelle de Crotalaria striata est composée d’alluvions fertiles. Quoique ce soit une légumineuse très rustique, puisqu’elle pousse même sur les mamelons de la moyenne région, à l’exception cependant des plus pauvres, et au pied des bambous dont le chevelu puissant épuise le sol, sa production en matière verte est proportionnelle à la richesse du terrain. On ne pourra en étendre utilement la culture sur de grandes surfaces de sols moins riches qu’après fertilisation. Une bonne fumure comporterait un peu de fumier (dix ou vingt charges au mẫu) pour faciliter le départ de la végétation, puis des cendres, le plus qu’on pourra, et du calcaire ou des résidus de four à chaux en terrains acides. On pourra essayer aussi les phosphates naturels quand cet engrais se révèle actif sans durcir le sol, et même les engrais potassiques qui ont plus de chances d’être efficaces sur les légumineuses engrais vert ou productrices de graines que sur le riz.
205Les fertilisants ainsi apportés à la crotalaire, loin d’être gaspillés comme certains pourraient le craindre, accroîtront la quantité de matière verte qui donnera un excédent de paddy sans doute plus élevé que si on les avait mis directement en rizière. Les éléments minéraux absorbés par la plante sont restitués au riz sous une forme bien plus assimilable.
206Cette fumure serait encore plus nécessaire sur des sols recevant plusieurs années de suite une culture d’engrais vert qui y puise, pour les transporter en d’autres sols, des quantités importantes d’éléments minéraux : acide phosphorique, potasse, chaux, etc. Elle deviendrait indispensable dans le cas de crotalaire cultivée sur terrains hauts et destinée à fertiliser des rizières plus basses.
207Certains agriculteurs ne mettent rien à la rizière où on a cultivé l’engrais vert, estimant que les débris de racines et la petite quantité de feuilles tombée à terre suffisent à la fertiliser. D’autres donnent une demi-dose, d’autres encore la quantité habituelle de rameaux feuillus.
208La culture sur une même parcelle pendant de nombreuses années risquerait d’appauvrir le terrain. Le cultivateur avisé partagera ses rizières en cinq soles, chacune d’elles fournissant une année sur cinq des feuilles pour l’ensemble des autres. Ainsi, le terrain qui exporte une année des éléments minéraux en recevra une quantité équivalente les quatre années qui suivent. Il semble que l’utilité de cette rotation n’apparaît pas aux yeux des cultivateurs de la région de Yên-Viên. Ils feront bien d’y recourir avant l’épuisement de leurs terres.
209Enfin, la crotalaire préfère les sols légers ou de consistance moyenne. Le sablage des terres trop compactes permettra sans doute d’y étendre cette culture.
210Elle se décompose bien dans le sol ; aux Philippines, on recommande d’ajouter une petite quantité de fumier, ensemencement microbien qui facilite la fermentation des engrais verts.
— Effet de la crotalaire sur le riz
211Les paysans de la région de Yên-Viên estiment que la crotalaire accroît plus les rendements que les meilleurs engrais de la région : tourteaux de ricin, vidanges, fumier de porc. Tel agriculteur qui dépensait annuellement pour ses rizières et ses cannes plusieurs dizaines de piastres de tourteaux retire plus de ses champs, sans débours, avec un mẫu de crotalaire. L’action sur la végétation est aussi immédiate, mais plus prolongée que celle des vidanges. De plus, au lieu de durcir le sol, elle rend la terre plus facile à travailler (apport d’humus). Le fumier de porc a un effet moins rapide et moins visible, quoique de plus longue durée quand la dose apportée est élevée ; mais il détermine souvent une invasion de mauvaises herbes que l’on n’observe pas avec l’engrais vert. Le fumier est porté à dos d’homme dans un rayon d’un kilomètre, parfois plus ; la crotalaire est produite sur le lieu même de son utilisation. Quand les rizières ne sont pas trop dispersées – et nous voyons là un argument de plus en faveur du remembrement-, la matière verte est portée sur les parcelles voisines, à une distance maxima de 100 m. Enfin, le cultivateur manipule plus volontiers ces rameaux feuillus que l’engrais humain et même le fumier de porc qu’il épand à la main.
212Nous avons essayé d’en chiffrer les excédents de rendement. Au dixième mois de 1931, un essai a été entrepris à Yên-Viên dans les rizières où l’emploi de la crotalaire est courant. On apporta quatre jours avant le repiquage, fait tardivement à cause du manque d’eau (29 août), 5 et 10 t/ha de matière verte (1800 et 3 600 kg/mẫu) et on obtint des excédents de 6,5 qx/ha de paddy avec 5 t/ha (2,3 qx/mẫu) et 9,1 qx/ha avec 10 t/ha (3,3 qx/mẫu), soit des accroissements respectifs de 47 % et de 66 % du rendement des témoins de 13,8 qx/ha (5 qx/mẫu). Ce dernier était inférieur à la moyenne de la région : le riz souffrit du repiquage tardif, d’un excès d’eau au tallage et de sécheresse à la floraison. Les parcelles fumées à la crotalaire eurent un départ plus rapide, qui leur permit de mieux supporter la forte couche d’eau, une végétation plus régulière et plus vigoureuse. Enfin l’engrais vert alimente le riz de façon très régulière pendant tout le cours de son développement : aussi ne voit-on pas d’à-coups dans la végétation, d’exubérance foliacée suivie d’attaque de maladie cryptogamique, comme avec les engrais chimiques employés à dose équivalente d’azote.
213Le rapport grain/paille est toujours très élevé : il passe de 82 % dans les témoins à 85 % dans les parcelles qui ont reçu 10 t/ha de matières vertes : l’engrais accroît plus la production du grain que celle de la paille, nouvelle preuve de la régularité de la nutrition. Au cours des campagnes du dixième mois 1932 et 1933 de nombreux champs d’essais ont été établis.
Tableau 9. - Accroissement des rendements en paddy de rizières du dixième mois fumées à la crotalaire (en qx/ha sauf indications en %)
Localisation des essais(éventuellement année et province) | Augmentation 5 t/ha de matière | de rendement 10 t/ha de matière |
Thanh-Hoa (1932) | 4 à 5 | 6 à 8 |
Thai-Binh (1932 et 1933) | 3,5 à 4,5 | 5 à 6 |
Duyên-Ha (1933, Thai-Binh) | 4 | 5,5 |
Ke-Sat | 3,5 | – |
Phuc-Yên | 3 | 6 |
Nghia-Thung (Bac-Giang) | 26 % | 30 à 40 % |
Phu-Lang-Thuong (Bac-Giang) | 36 % | 46 % |
Khoai-Chau (Hung-Yên) | 20 % | – |
214Des accroissements de rendements élevés ou très élevés ont été obtenus sur toutes les parcelles. On a encore observé des excédents de production intéressants, oscillant autour de 2 qx/ha de paddy avec 5t, en 1932 et 1933 à Son-Tây et à Vinh-Yên, en 1932 à Cam-Giang (Hai-Duong), en 1933 à Lang-Tai (Bac-Ninh) et à Thanh-Hoa malgré des inondations. Comme on pouvait s’y attendre, la crotalaire donne des résultats variant avec la nature du sol ; son efficacité paraît plus élevée en terrains pauvres, et en sols légers. Elle pourra sans doute être cultivée avec profit sur plus de la moitié des terres hautes du delta.
215Sur plusieurs champs une submersion totale des rizières pendant quelques jours n’a pas supprimé l’action de la fumure verte, comme on aurait pu le craindre avec les engrais chimiques. Ailleurs, les parcelles fumées à la crotalaire ont moins souffert d’une sécheresse de dix jours peu après repiquage que les témoins. L’amélioration des conditions de culture est souvent plus sensible les mauvaises années. Le bon agriculteur a des rendements réguliers ; le mauvais peut obtenir des résultats moyens en bonne année, mais sa production subit une plus forte réduction quand les conditions sont défavorables.
216On peut conseiller l’emploi de 3 t/ha de matière verte – soit 1 800 kg/mâu –, l’excédent de rendement avec 10 t étant généralement moins que proportionnel.
217A Ceylan, on recommande de même 2 t/acre29. L’agriculteur disposant d’une quantité plus élevée de matière verte pourra l’utiliser avec profit. Cependant il n’y a pas intérêt à aller trop loin, déjà dans certaines parcelles fumées à 10 t, le départ de la végétation a paru plus pénible, peut-être sous l’influence d’un excès de nutrition azotée. Pourtant des fumures élevées peuvent être appliquées aux nếp aux variétés exigeantes et parfumées et pourront l’être aux races hautement productrices qu’on obtiendra par l’amélioration génétique.
218C’est sur l’excédent de paddy produit, et non sur sa valeur pécuniaire, qu’on se basera pour décider si on doit cultiver l’engrais vert qui ne coûte que du travail. Dans le delta il y a surabondance de main-d’œuvre et insuffisance d’aliments. Nous empruntons la conclusion au rapport de la campagne 1932 de MM. Laforest et Jeannin :
« La fumure verte augmente la teneur du sol en azote et en humus, élément précieux en rizières tropicales, souvent pauvres en matières organiques, surtout dans le haut et le moyen delta lavés par les eaux de ruissellement. Les résultats extrêmement encourageants permettent de prévoir dans l’avenir une large utilisation des engrais verts, dont l’effet pratique immédiat sera l’augmentation très sensible et économique du rendement moyen à l’unité de surface, donc la solution partielle du problème alimentaire au Tonkin. »
219Le rapport de campagne de 1933, de M. Jeannin, constate « des résultats très encourageants » et « un vif intérêt manifesté par les agriculteurs voisins des champs d’essais pour la culture de cet engrais vert ».
220Le succès obtenu par la propagande en faveur de la culture de la crotalaire comme engrais vert montre que le paysan tonkinois a l’esprit averti et qu’il adopte volontiers une pratique nouvelle quand il en a compris les avantages.
221Des premiers essais comparatifs il résulte que Crotalaria striata réussit mieux dans le delta que les autres crotalaires (C, usaramœnsis et C. anagyroides). Cependant cette plante ne sera probablement pas la meilleure dans toutes les situations30. La plupart des remarques que nous avons faites sur la culture, la fumure et l’emploi de la crotalaire pourront s’appliquer aux autres légumineuses cultivées comme engrais vert.
222Il faut poursuivre aussi les recherches sur les méthodes de culture, le nombre optimum de coupes et le mode d’enfouissement. Il se pourrait, par exemple, qu’il y eût avantage à apporter l’engrais vert en deux fois, moitié au repiquage et moitié au tallage, quinze jours ou trois semaines après, quand cela est possible, comme pour les riz précoces. Il est heureux que les rizières hautes, qui en ont le plus besoin, soient les plus aptes à porter une culture d’engrais vert.
223Les rizières basses à une récolte du cinquième mois sont généralement assez riches et on pourra peut-être apporter de l’humus à celles qui en seraient privées en y cultivant l’été une plante aquatique dont le choix reste à faire. Mais le problème le plus urgent est la fumure des rizières à deux récoltes, de fertilité souvent réduite : il faut leur apporter le maximum de fumier. Celles qui sont à proximité de terrains élevés pourront recevoir de la crotalaire à condition que l’engrais vert soit fertilisé et ne soit pas toujours cultivé au même point.
224Enfin les cultivateurs qui possèdent des rizières à deux récoltes de niveaux divers pourront chaque année réserver une partie des plus hautes à la culture de la crotalaire. En libérant le fumier habituellement mis au riz du dixième mois, l’engrais vert permettra de fertiliser plus abondamment les cultures sèches et surtout le maïs si exigeant.
225La monoculture riz au cinquième mois, et l’absence de drainage, en supprimant la possibilité de culture de l’engrais vert, arriveraient à réduire, dans certains cas, la production en grain malgré les dépenses élevées faites pour l’irrigation.
L’azolle
226Cet engrais vert est cultivé au cinquième mois, en association avec le riz, dans les rizières riches ou assez fertiles de la province de Thai-Binh, un peu à Nam-Dinh, Hai-Duong et Hung-Yên. L’azolle est une salviniée qui se développe à la surface des eaux stagnantes, le bèo hố, Azolla pinnata R. Brown var. imbricata Roxburgh. Pour la description de la plante, les conditions de la reproduction et les détails de sa culture, nous renvoyons aux études très documentées de M. Nguyên Công Tiêu31 et de son fils.
227Au village de La-Vân (huyện de Quynh-Côi, Thai-Binh), des mares ombragées et abritées des vents par des haies de bambous assurent la conservation de l’azolle qui périt en rizière aux premières chaleurs. Ces mares, asséchées et nettoyées en avril, sont exposées au soleil quelques jours puis remplies avec l’eau des pluies, ou à défaut avec celle qu’on avait enlevée, jamais avec l’eau de rivières chargée d’alluvions. L’azolle disparue de ces mares en mars-avril y reparaît en juillet et surtout en août-septembre. Mais parmi les plantes qui reparaissent les habitants de ce village savent trier les bonnes espèces - sans doute celles qui ont la plus grande faculté de multiplication – reconnaissables à la couleur vert clair du lobe aquatique inférieur, qui est bai-brun dans les espèces à rejeter. Comme en rizière, on favorise la multiplication des azolles triées en apportant du fumier de porc bien décomposé, à défaut du fumier de bovins ou des tourteaux et des cendres quand l’azolle jaunit.
228Les plants d’azolle mis en rizière en décembre-janvier, y croissent rapidement car on les alimente, surtout au début, avec du fumier de porc, généralement desséché et pulvérisé, et des cendres de paille arrosées d’urine qui neutralisent l’acidité des eaux de la rizière. L’emploi de cet engrais vert est subordonné à la parfaite maîtrise de l’eau et le riz bénéficie du plus grand soin apporté à l’irrigation des parcelles azollées : pendant toute la période de prolifération, il n’en faut pas mettre un excès, l’extrémité des racines de l’azolle devant rester en contact avec la boue de la rizière ; mais si le niveau baissait et si les plants reposaient sur le sol, ils seraient rapidement recouverts par les excréments de vers de terre qui pullulent dans les sols fertiles. L’azolle semble convenir aux rizières labourées à sec, donc bien aérées, et ne donne en sols déjà riches que de faibles résultats. A la station de Hai-Duong, 120 kg d’azolle apportés sur 80 m2 le 21 janvier couvraient un mois et demi après, avec une fumure de 600 kg de cendre, une surface cinquante fois supérieure sur une épaisseur de plusieurs centimètres.
229Vers la deuxième quinzaine de mars, dès que la température moyenne atteint 22° C, l’azolle meurt et se dépose sur le sol de la rizière. L’efficacité de cette plante est indéniable, et bien connue des paysans ; mais nous ne lui attribuons pas les mêmes causes que M. Nguyên Công Tiêu. La fixation de l’azote de l’air n’est pas démontrée : le fait qu’elle en contient n’en est pas une preuve, il faudrait que la quantité trouvée dans la plante soit supérieure à celle qu’elle prélève dans le sol ou les limons en suspension. L’apport d’humus quoique peu élevé, n’est pas négligeable ; en outre, les bons effets de l’azolle nous paraissent dus :
- A l’oxygène dégagé par la plante dans l’eau de la rizière ; les auteurs italiens attachent la plus grande importance à la présence d’oxygène dissous pour alimenter la respiration des racines du riz.
- A la lutte contre les mauvaises herbes. Il suffit d’un sarclage au début de la végétation au lieu de deux ou trois en terrain infesté pour avoir une rizière parfaitement propre. En sols peu envahis, on se dispense de l’unique sarclage habituel. L’azolle prive toutes ces plantes de lumière. Le riz qui émerge souffre parfois un peu au début – un apport de fumure azotée serait utile à ce moment – mais reprend le dessus et repart vigoureusement dès que l’azolle se décompose ; cet engrais vert alimente le riz à un moment favorable, lors de sa grande poussée en hauteur.
230Il faudrait établir des essais comparatifs pour mesurer l’accroissement de rendement dû à cette plante, en ayant soin d’apporter aux témoins la même fertilisation (fumier de porc et cendres) et la même irrigation qu’aux parcelles azollées. Quelle qu’en soit la raison, l’utilité de cette plante n’est pas contestable, et nous souhaitons que les recherches de M. Nguyên Công Tiêu et de son fils sur sa reproduction et de meilleures conditions d’irrigation permettent une grande extension de l’aire de culture de cet engrais vert. Il ne peut y avoir conflit entre l’azolle et la crotalaire qui ne s’adressent pas aux mêmes catégories de rizières ; elles pourront même être employées concurremment dans certaines rizières à deux récoltes du bas delta.
231Les terres du Delta tonkinois, épuisées par plusieurs siècles de culture et lavées par les pluies torrentielles de l’été, réclament impérieusement une fumure plus abondante. Tandis que les sols plus fertiles de Cochinchine et les rizières plus soigneusement engraissées de la Chine du Sud atteignent des rendements maxima de 40 et même 50 qx/ha, le chiffre de 30 qx/ha est rarement dépassé au Tonkin. L’accroissement de la fumure est indispensable pour augmenter la production, ce qui permettra de mieux alimenter la population du delta en maintenant l’exportation de paddy sans laquelle le Tonkin ne pourrait plus rien importer ; la fumure peut aussi élever la qualité de la production en permettant l’extension de la culture des variétés estimées plus exigeantes. Les plus hauts rendements ne seront sans doute rendus possibles que par l’association fumure organique-fumure minérale, la présence de l’humus pouvant accroître les excédents procurés par les engrais minéraux.
232Aux Indes, on met l’azote des engrais verts au-dessus de celui des engrais minéraux, mais on estime qu’une fumure azotée idéale comporte le mélange des deux formes, dans la proportion de 2/5e d’azote minéral pour 3/5e d’azote organique32. Cependant nous fondons les meilleurs espoirs sur la fumure organique, engrais verts et fumier de ferme, la plus économique et souvent la meilleure.
Notes de bas de page
1 Le sel peptise les colloïdes du sol, ce qui amène une destruction des agrégats particulaires et une diminution de la cohésion. Les phosphates au contraire peuvent par leur chaux coaguler ces mêmes colloïdes, et accroître la cohésion.
2 Plants de riz bons à repiquer.
3 Pour la même raison les colons de Tunisie ne peuvent plus cultiver céréales ni oliviers dans les zones de faible pluviométrie au-delà d’une certaine teneur en argile.
4 Cette pratique ne peut être conseillée que dans les pays surpeuplés.
5 Le creusement d’un canal peut amener l’extraction de sable qui serait apporté à peu de frais, grâce à la voie d’eau établie, sur des rizières argileuses voisines. Il sera prudent d’exposer le sable quelque temps au soleil avant de l’enfouir (exemple du canal Tân-Dê/Thai-Binh).
6 A la moisson la paille est coupée à mi-hauteur ; nous appelons chaume la moitié inférieure.
7 Cette action est bien connue des agriculteurs européens.
8 Les Annamites disent que la plante est à l’état « jeune fille » (con gái).
9 Mai-juin, cinquième mois ; juillet-août, trois lunes ; septembre-octobre, riz précoces.
10 Sous les climats tempérés (essais de Rothamstedt), on les estime à 60 % sans apport de litière, à 50 % avec un peu et à 40 % avec beaucoup de litière végétale, et à seulement 20 ou 25 % avec une litière de terre.
11 M. Tranh Quôc Khanh signale l’erreur trop répandue en Cochinchine de placer les W.-C. au-dessus des rivières, qui sont souillées pendant que l’engrais est perdu.
12 En 1933, les cours de l’engrais humain étaient, à Thai-Binh, inférieurs à la moitié de ceux de 1931. Ils oscillaient suivant l’intensité de la demande de 70 cents (en septembre) à 1 $ (en octobre), 1,10 $ (en mai et en juillet-août) et 1,20 $ (de novembre à janvier).
13 Les analyses d’Europe donnent à l’urine humaine 10 %o d’azote, 2 %o de potasse et des traces d’acide phosphorique.
14 Cf. les essais d’engrais en rizière parus en 1930 et 1931 dans le Bulletin économique de l’Indochine et les comptes rendus du Bulletin de l’Office indochinois du riz.
15 On est arrivé à la même conclusion dans tous les pays rizicoles situés sous les tropiques.
16 Cf. « Contribution à l’étude du déplacement des phosphates dans le sol » par E. Castagnol et Ho Dac Vy dans le Compte rendu des travaux effectués en 1932-1933 de l’Institut des recherches agronomiques de l’Indochine (1934).
17 De même en Europe le superphosphate mis en couverture au printemps, favorisant le développement des algues symbiotiques fixatrices d’azote, fait reverdir les céréales comme un engrais azoté.
18 Tandis que l’azote et le phosphore entrent dans la constitution même du noyau cellulaire et sont particulièrement indispensables à la vie végétale, le potassium et le calcium n’interviennent essentiellement que pour saturer les déchets organiques, comme les acides. De la présence d’un élément dans l’analyse d’une plante, on ne peut conclure à sa nécessité en quantité équivalente : par exemple, les plantes dites calcifuges meurent dans un sol riche en calcium parce qu’elles ne sont pas capables de refréner l’absorption de cet élément.
19 Les phosphates de fer et d’alumine, à peu près inattaquables par les plantes, n’ont aucun intérêt au point de vue agricole.
20 Près de Paris, on doit mettre aujourd’hui, pour obtenir dans les mêmes sols les mêmes rendements que M. Aimé Girard il y a un demi-siècle, des doses d’engrais deux à trois fois plus élevées.
21 Même les sols pauvres contiennent encore des quantités totales d’éléments fertilisants suffisantes pour alimenter de nombreuses récoltes : leur fertilité n’est limitée que par l’importance de la portion assimilable.
22 Cf. « La riziculture comparée au Piémont et dans l’Emilie », Riz et riziculture, vol. VII, fasc. 2 de juin 1933.
23 Cf. les études des Services agricoles du Tonkin et notamment « Fumure et engrais verts dans l’agriculture au Tonkin » (Bulletin économique de l’Indochine, février 1930).
24 Cf. le Bulletin économique de l’Indochine, novembre-décembre 1932.
25 Cf. Riz et riziculture, vol. VI, fasc. 1 et 2 (février et juin 1932).
26 Dans la province de Quang-Nam (Annam), d’après l’intéressante étude de M. Trân Trong Khoi (Bulletin économique de l’Indochine, mai-juin 1933) on pratique aussi la cueillette de Leucæna glauca en vue de son utilisation comme engrais vert. Il y a un grand intérêt à passer du stade cueillette au stade culture qui permet une production plus élevée et supprime les frais de transport, fort onéreux dans le cas précité.
27 D’après l’enquête de M. Nguyên Van Mau.
28 Avec l’aide obligeante de L’Annam nouveau et des revues agricoles annamites Vệ Nông Báo et Thần Nông Báo.
29 Un acre équivaut à 40 ares ou 2,5 acres à 1 ha [NdÉ].
30 E. Borel préconise pour la culture sur les mamelons de la Moyenne-Région et l’enfouissement dans les rizières voisines, Tephrosia candida, plante rustique et vivace.
31 « L’azolle cultivée comme engrais vert », par Nguyên Công Tiêu, membre du Conseil des recherches scientifiques de l’Indochine, Bulletin économique de l’Indochine, avril 1930. On y trouvera la bibliographie de l’azolle qui a été également étudiée par les Services agricoles du Tonkin (MM. Goubeaux, Braemer, Ribot et Lacroix).
32 Dans une étude de la combinaison des engrais artificiels et de la fumure verte, The Tea Quarterly, vol. V, part IV, août 1932, M. W. R. Thomson insiste sur la nécessité d’apporter au moins une partie de l’azote sous forme organique.
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