Chapitre IV. Étude du milieu biologique : les variétés de riz et leur amélioration1
Inventaire, description morphologique, buts de l’amélioration, étude comparative de rendement, introduction et création de variétés
p. 65-77
Texte intégral
1Avec l’alimentation en eau, la fertilisation et la préparation du sol, le choix de la variété est un facteur essentiel du rendement.
2Le grand intérêt de l’amélioration génétique, dans un pays pauvre, c’est qu’elle est toujours économiquement réalisable, le changement de semence n’étant qu’une petite dépense dans l’ensemble des frais de culture.
3Mais elle nécessite de longues et patientes recherches, à peine ébauchées. Nous ne nous étendrons pas sur le problème des variétés, objet d’études spéciales.
INVENTAIRE
4Dans l’ensemble du delta on cultive, sur des surfaces notables, environ cent « variétés culturales » du cinquième mois, deux cents du dixième mois et une dizaine de « trois lunes ». Il en a été récolté un plus grand nombre, et d’autres ont pu échapper, mais il y a analogie entre un certain nombre d’échantillons recueillis en différents points du delta.
5Par « variété culturale » nous entendons une population relativement homogène, dont les individus ne présentent entre eux que de faibles différences de durée d’évolution, hauteur, aspect et couleur de la panicule et du grain ; un champ cultivé avec une telle variété, comme certains nếp destinés aux offrandes rituelles et soigneusement préservés des mélanges, donne à l’œil une impression d’unité.
6Dans d’autres parcelles au contraire de grandes différences indiquent la présence de plusieurs variétés et le praticien n’hésite pas à y distinguer les plants d’une même « variété », à laquelle il donne un nom distinct.
7Avec moins de rigueur que pour la lignée pure, nous pouvons pratiquement admettre l’existence de ces variétés, aux plants desquels on pourrait appliquer à peu près l’ancienne définition de l’espèce, « qu’ils se ressemblent plus entre eux qu’ils ne ressemblent aux plants des autres variétés ».
8Mais en regardant de près on trouverait entre eux des différences morphologiques suffisantes pour y distinguer de nombreuses lignées.
9On les divise en deux grands groupes : riz du cinquième et du dixième mois, une variété étant le plus souvent cultivée une seule campagne.
10Semées en dehors de leur période d’évolution normale, la plupart végètent péniblement, ou meurent.
11Cependant quelques-unes (lúa tú’thời à Son-Tây, nếp điền à Ha-Dong) peuvent se cultiver indifféremment au cinquième et au dixième mois ; ce qui ne représente d’autre avantage que de dispenser de la conservation des semences.
12Il semble que cette faculté d’adaptation ne soit pas à rechercher, car elle se fait au détriment du rendement : ainsi dans les essais de la Station de Son-Tây, le lúa tú’ thời donne une production relativement très faible.
13Le grand nombre de variétés n’est pas le fait du hasard. La culture du riz remonte au Tonkin à plus d’un millénaire, et pendant ce temps de nombreuses formes ont pu apparaître (mutations peut-être, ou plutôt hybridations).
14D’autre part les relations constamment entretenues par cabotage ou caravanes avec les pays voisins, surtout la Chine qui a si longtemps gouverné le pays, puis l’Annam et le Sud-indochinois conquis par les Annamites, ont pu introduire nombre de variétés nouvelles.
15Cette diversité correspond aussi à de multiples besoins. Si le climat ne présente pas de grandes différenciations, les autres conditions de culture : composition physique, richesse du sol et surtout régime hydraulique, varient à l’infini. Chaque variété doit s’adapter à une situation particulière : résistance à la sécheresse ou à l’inondation, aux eaux saumâtres, etc.
16Le goût du consommateur joue un grand rôle, beaucoup d’agriculteurs cultivent pour leur alimentation le riz qu’ils aiment de préférence à celui qui produit le plus. Sur les marchés, certains riz parfumés sont très cotés.
17C’est la proximité de Hanoï (débouché et ressources de fertilisants) qui détermine la culture sur une grande échelle des nếp et des tám thὀm dans le huyện de Hoan-Long et le phủ de Hoai-Duc (province de Ha-Dong).
18La standardisation ne s’impose que pour les riz exportés ; elle recherchera un nombre limité de types commerciaux bien définis dont la production sera suffisante pour ouvrir et surtout conserver des débouchés réguliers.
19Pour la consommation intérieure il est probable qu’une assez grande diversité est le meilleur moyen, dans les conditions actuelles de culture, d’obtenir la plus forte production. Cependant avec les progrès de l’irrigation on pourra éliminer un certain nombre de types à faible rendement.
DESCRIPTION MORPHOLOGIQUE
20La description morphologique ne présente pas seulement un caractère spéculatif, une classification étant toujours arbitraire, mais l’étude des corrélations entre les caractères anatomiques et physiologiques permettra de prévoir certaines aptitudes culturales par l’examen direct de la plante.
21Nous avions commencé ce travail pour les variétés du delta, en suivant la clef indiquée par Ε. B. Copeland dans son livre The Rice, au chapitre « Seeds and varieties of rice », mais nous avons été obligé d’y renoncer avant d’avoir établi un autre schéma de descriptions2.
22Beaucoup des caractères indiqués par Copeland dépendent plus du milieu dans lequel la variété est cultivée que de ses qualités héréditaires proprement dites.
23Ainsi « la proportion de racines fines et grosses, leur longueur de pénétration » dépendent de la proportion de sable et d’argile dans le sol, de sa fertilité et du mode d’irrigation ; « la longueur, la largeur et la texture de la troisième feuille à partir du sommet » sont en relation avec la richesse du sol en éléments fertilisants, spécialement en azote.
24Dans les essais d’étude comparative de rendement avec et sans engrais complet (recherche de variétés utilisatrices des engrais), nous avons noté une augmentation générale de 5 à 10, parfois 20 ou 25 cm, de « la hauteur des plants » dans les parcelles fumées.
25Les caractères de « pigmentation » ont plus de valeur (à noter qu’ils étaient réduits ou supprimés sur la tige par la culture en eau profonde dans nos essais de résistance à l’inondation) ainsi que ceux de la panicule et du grain (particulièrement les ornementations des glumelles).
26A mesure que l’on se rapproche du grain, organe reproducteur, les caractères morphologiques paraissent dépendre de plus en plus de la variété, de moins en moins du milieu.
27Dans son remarquable « Essai de classification botanique des riz cultivés »3, G. G. Gustchin a mis en valeur les caractères morphologiques les moins dépendants du milieu, pour les utiliser de préférence dans sa classification. Il a montré qu’il faut surtout se baser sur :
- la longueur des glumes ;
- la forme droite ou plus ou moins courbée des glumelles, et la présence ou l’absence d’un bec à leur sommet ;
- la coloration des glumes et des glumelles ;
- le rapport longueur/largeur de l’épillet ;
- la coloration des caryopses ;
- le caractère « glutineux » du riz ;
- le caractère barbu ou semi-barbu4 des épillets ;
- la structure et la pigmentation des nœuds de la tige ;
- la coloration en violet pourpre du limbe, de la gaine foliaire et du chaume.
28D’après les recherches faites par M. Nguyên Van Mau en vue d’un essai de classification des riz du cinquième mois, nous pouvons proposer l’adjonction à cette liste de « la plus ou moins grande sinuosité des ramifications primaires et secondaires de la panicule ».
29Dans certaines variétés tép, sài đu'ờng, chanh, ces ramifications sont à peu près rectilignes ; elles sont un peu sinueuses dans les bầu, très sinueuses dans les hom et les cút.
30Les variétés nếp du groupe glutinosa méritent une mention spéciale. Nous les appellerons « riz gluants » – à la cuisson ils donnent une pâte collante, gélatineuse – plutôt que « glutineux », terme inexact puisqu’ils ne renferment pas de gluten, et généralement pas plus d’azote que les riz durs.
31Ils sont caractérisés par un gros grain arrondi, une amande entièrement opaque et friable sous l’ongle, colorable en brun rouge par l’iode ; les panicules compactes portent un grand nombre de grains.
32Ce sont généralement des riz exigeants, à faible densité d’épis par unité de surface, très résistants à la verse, mais souvent attaqués par les rats et les insectes. On les cultive un peu partout, en rizières fertiles généralement basses. Dans certaines variétés le grain adhère fortement à la tige, rendant l’égrenage très difficile.
33Les essais comparatifs de rendement ont permis de noter la durée totale d’évolution (semis à récolte) des variétés du delta.
34Pour les riz du cinquième mois cette durée varie de cent quatre-vingt quinze à deux centre trente jours (la moyenne étant de quelques jours supérieure à sept mois) dont cinquante à quatre-vingt jours en pépinière ; ces chiffres s’entendent pour une culture normale : semis avant le 15 novembre, repiquage en décembre ou janvier.
35En culture plus tardive cette durée d’évolution se trouverait un peu réduite. Pour les riz du dixième mois, nous avons noté les chiffres suivants ;
Tableau 2. - Comparaison des durées totales d’évolution des variétés de riz5
Localisation (éventuellement année) | Variétés précoces(en jours) | Variétés tardives(en jours) |
Phu-Lang-Thuong | 127 à 148 | 156 à 171 |
Thai-Binh | 126 à 145 | 145 à 163 |
Hai-Duong (1931) | 133 à 150 | 155 à 171 |
Hai-Duong (1932) | 147 à 165 | 165 à 183 |
36La différence entre les deux années de culture à Hai-Duong, est surtout due, en dehors des variations climatiques, à une inondation prolongée qui a retardé l’évolution en 1932.
37On peut dire que les riz précoces du dixième mois évoluent en quatre à cinq mois, et les riz tardifs en cinq à six mois ; la durée d’évolution paraissant plus courte en terres légères (Phu-Lang-Thuong, Thai-Binh) qu’en terres fortes (Hai-Duong).
BUTS DE L’AMÉLIORATION
38L’objectif essentiel est l’accroissement du rendement brut de la rizière. C’est un problème d’hydraulique, de fumure, et de recherches de variétés fortement productrices. Il nous importe peu qu’un plus fort rendement soit obtenu avec une grande diversité de variétés s’il est prouvé que chacune d’elles est susceptible de produire le maximum dans une situation donnée. Les autres qualités à rechercher varient avec la catégorie de terres.
39Pour les rizières basses du cinquième mois, généralement fertiles, il faut rechercher des variétés exigeantes à haut rendement, en éliminant celles qui poussent trop facilement en feuilles ou qui ont tendance à la verse : la récolte serait abîmée ou même perdue dans le cas de submersion consécutive à des orages précoces.
40Contrairement à la croyance générale, il existe au Tonkin des variétés très résistantes à la verse.
41Au cinquième mois 1931, à la station de Vinh-Yên, dans des rizières basses très fertiles, malgré de violents orages et une submersion de quelques jours, les cút, les dự, un hom et tous les nếp résistèrent très bien, avec des rendements de 20 à 30 qx/ha sans engrais, de 25 à 36 qx/ha avec fumure minérale complète. Les autres variétés étaient couchées ou complètement plaquées sur le sol.
42A Ha-Dong, on ne cultive plus le soi huong6 en rizières basses parce qu’il est rapidement sensible à la verse.
43Les variétés du cinquième mois cultivées en rizières à deux récoltes sont encore fréquemment exposées à souffrir du manque d’eau (par exemple, au printemps 1934) ; aussi faudra-t-il rechercher la résistance à la sécheresse.
44Cependant pour des travaux de génétique de longue haleine, on ne tiendra pas un exagérément compte de cette aptitude, l’aménagement hydraulique devant réduire les surfaces exposées à ce risque.
45Les terres moins fertiles porteront des variétés peu exigeantes ; la résistance à la verse n’est plus essentielle : toutefois une verse trop précoce, aux environs de la floraison, réduit toujours le rendement, en augmentant la proportion de grains vides ou mal remplis. L’accroissement de la production de ces rizières dépend surtout de l’irrigation et de la fumure.
46Les variétés du dixième mois cultivées dans les plus basses des rizières à deux récoltes doivent supporter sans dommage une forte couche d’eau : on recherchera des variétés à tige haute et rigide résistant à une submersion totale de quelques jours.
47La surface occupée par ces rizières diminuera mais ne disparaîtra jamais totalement. On recherchera des variétés à repiquer tôt, dans la première quinzaine de juillet, quoiqu’à longue durée d’évolution ; il ne s’agit donc pas des variétés dites « précoces ».
48Signalons, pour la repousser, la proposition périodiquement présentée d’essayer en rizières inondées les riz flottants du Cambodge : les conditions climatiques et hydrauliques sont trop différentes, la montée des eaux n’a pas la régularité des crues du Mékong, le mode d’évolution est tout à fait différent, leur durée trop longue pour y faire succéder un cinquième mois.
49Il vaut mieux sélectionner, parmi les variétés locales des zones fréquemment inondées réputées pour leur faculté de pousser rapidement en hauteur en suivant la montée des eaux, des types possédant cette qualité au plus haut degré.
50On pourrait avec elles utiliser même les terrains recouverts par moments de 1,3 ou 2 m d’eau.
51Les rizières hautes du dixième mois sont celles qui peuvent le plus accroître leur production, si l’agriculteur substitue, dès que l’irrigation le permettra, aux variétés précoces généralement peu exigeantes mais peu productives actuellement cultivées, des riz à plus longue durée d’évolution7.
52Dans les rizières à deux récoltes, il devra pourtant rejeter les variétés trop tardives afin de laisser la terre se dessécher et s’aérer avant la mise en eau pour la campagne suivante.
53Les essais comparatifs de rendement dans les stations rizicoles ont montré l’importance de ce facteur : on note un grand écart de rendement, sur un même sol, de ces deux catégories de variétés :
Tableau 3. - Comparaison des rendements des variétés de riz8
Localisation(année) | Variétés précoces(en qx/ha) | Variétés tardives(en qx/ha) |
Son-Tây (1932) | 19,0 | 27,5 |
Hai-Duong (1931) | 23,0 | 28,0 |
Phu-Lang-Thuong (1931) | 11,5 | 17,5 |
54La différence est moins sensible en rizières fertiles (Hai-Duong, en 1932) – le riz pouvant s’y alimenter suffisamment en peu de temps – et quand les parcelles occupées par les variétés tardives, situées plus bas, ont davantage souffert de l’inondation (Thai-Binh). A noter que dans nos essais les parcelles cultivées en variétés précoces ont été régulièrement irriguées, contrairement à la règle des terres qui les portent habituellement. De même, l’accroissement de la fumure permet d’introduire la culture de variétés plus exigeantes, mais plus productives et de meilleure qualité.
55La réduction à un petit nombre de variétés donnant un riz de qualité n’intéresse que le haut delta exportateur. L’accroissement de la fumure permettrait d’y étendre la culture des riz parfumés (tám tho’m, tám xoan, etc.) très exigeants et délicats, mais susceptibles de se vendre très cher, spécialement en Chine, si on pouvait en alimenter régulièrement le marché.
56Une amélioration ne visant que la vente au dehors pourrait commettre de lourdes erreurs : elle tendrait par exemple à l’élimination des riz à péricarpe ou à amande rouge, toujours peu prisés.
57Or, les riz rouges sont généralement rustiques, peu exigeants et productifs. Ils résistent bien à l’eau salée, et conviennent particulièrement à la culture des rizières nouvellement conquises sur la mer.
58Les Annamites les tiennent pour plus nourrissants et l’analyse révèle une teneur plus élevée en matière azotée. Enfin leur prix bon marché en fait un aliment précieux pour les classes pauvres.
59On choisira également les riz moins attaqués par les insectes, les rats et autres ennemis ou maladies. Si l’égrenage trop difficile accroît le travail, l’excès inverse est plus grave car il amène la perte d’une proportion parfois notable de grains, visibles sur les sentiers que suivent les porteurs de récolte ; la fragilité excessive des ramifications de l’épi, que nous avons observée sur le tám cao, a les mêmes inconvénients.
60Il faudra conserver précieusement en collection les variétés indigènes éliminées ; leur parfaite adaptation aux conditions naturelles permettra de les utiliser comme géniteurs pour les hybridations. En Europe, on regrette aujourd’hui la perte de nombreux « blés de pays ».
ÉTUDE COMPARATIVE DE RENDEMENT
61La recherche des meilleures variétés indigènes, sûrement adaptées au pays, doit précéder l’introduction ou la création de variétés nouvelles perfectionnées.
62Les essais comparatifs de rendement réalisés en quelques points du delta ont une valeur toute relative ; nous n’avons les résultats que de trois années d’essai, alors qu’il en faut cinq pour établir une moyenne à peu près indépendante des conditions climatiques particulières.
63Opérant sur un nombre trop limité de champs, nous avons été amené à cultiver certaines variétés dans des conditions différentes de leur milieu habituel. L’accroissement du nombre de champs d’essais réduira cet inconvénient sans le supprimer. De même, pour ne pas trop multiplier les séries d’essais, nous avons cultivé les riz du dixième mois en deux séries, précoces et tardives, alors que les agriculteurs annamites observent jusqu’à cinq ou six époques distinctes de semis.
64Enfin, nous opérons sur des populations, mélanges d’individus de qualités héréditaires différentes, ne réagissant pas de la même façon : cependant, les essais portent sur des « variétés culturales » épurées, suffisamment homogènes pour que ce dernier inconvénient soit moins grave que les précédents ; aussi nous paraît-il justifié de les poursuivre.
65Les indications qui suivent sont donc une première approximation, à réviser au fur et à mesure de la poursuite des expériences. D’ailleurs jamais les essais officiels ne dispenseront l’agriculteur de rechercher lui-même la variété la meilleure pour ses rizières, en suivant le schéma d’expérimentation simplifié que nous indiquons en appendice. Les résultats des stations ne pourront qu’indiquer les variétés dont la réussite est la plus probable dans une situation analogue. Les résultats ultérieurs, qui feront l’objet d’études spéciales, seront consultés avec fruit par les agriculteurs du delta.
Riz du cinquième mois
66A Vinh-Yên, en rizières basses très fertiles (rendement moyen supérieur à 25 qx/ha), les chanh, les tép, les cút et quelques nếp donnent les meilleurs rendements, cút et nếp se montrant très résistants à la verse.
67A Phu-Lang-Thuong, en rizières hautes peu fertiles (13 qx/ha), les sài đu’ờng, les chanh, les tép et les bầu donnent à peu de chose près les mêmes résultats, les riz des trois premiers groupes étant plus estimés.
68A Hai-Duong, en terre de consistance et de fertilité moyenne (18 qx/ha), les tép arrivent en tête, suivis des cút, des chanh et des sài đu’ờng. Signalons deux variétés qui donnent de bons résultats dans l’ensemble des stations : le ngâu, puis le câu de la concession Vu Van An. Un giống semble réussir à Hai-Duong et à Thai-Binh. Les riz gluants, très exigeants, ne donnent de résultats satisfaisants qu’en terres très riches, ce que savent déjà les agriculteurs annamites.
Riz du dixième mois
69Les essais comparatifs ont été poursuivis sur les mêmes terrains à Phu-LangThuong, Hai-Duong et Thai-Binh ; les rendements moyens y sont plus élevés qu’au cinquième mois. Une autre série d’essais a été entreprise sur des rizières hautes assez fertiles, près de Son-Tây.
70Nous comparerons entre eux les riz précoces d’une part, les riz de saison et tardifs de l’autre, puisqu’ils ne s’adressent pas à la même catégorie de rizière ; les essais ont été conduits à part pour chaque série.
71A Phu-Lang-Thuong, les meilleurs riz précoces paraissent être les dé, les canh (ou tám canh). Les riz de saison et tardifs se classent ainsi : nếp con (synonymes : nếp vân, nếp thong, nếp danh, nếp ruồi), puis une série de tám : tám lùn, tám canh, tám xoan, et de dé : dé bun ou dé muộn. A Hai-Duong, les riz précoces, som giai ou truc, som trang ou hông9 arrivent en tête.
72Parmi les variétés tardives, un certain nombre se sont révélées très productives et très capables de répondre aux fumures.
73Lúa hom semble la variété la plus intéressante, viennent ensuite : râu trắng, râu đen, lúa nghệ, etc.
74Les nếp, toujours très productifs, montrent peu de différence entre eux. A Thai-Binh, le riz précoce, câu không canh, semble le meilleur. Parmi les riz de saison et tardifs, sept variétés se sont distinguées : hin do ou hin canh, hin trắng, dé đen, dé đỏ, nếp thầu dầu, nếp cái dộc. A Son-Tây, dé sớm, dé đo et tám lùn donnent toujours d’excellents résultats (25 à 27 qx/ha sans engrais minéraux).
75Parmi ces variétés, donnons une mention spéciale au nếp con, très recherché des distillateurs clandestins, qui donne de bons résultats à Phu-Lang-Thuong et à Son-Tây. Contrairement à l’ensemble des riz gluants, cette variété très peu exigeante donne un rendement encore satisfaisant dans les terres très pauvres de Thai-Nguyên (concession Reynaud) ; on la repique souvent sur les terres qui viennent de porter une pépinière, pourtant fort épuisées ; malgré cela elle semble susceptible de donner en terre fertile une production élevée (à Son-Tây).
76Le groupe des tám fournit la majeure partie des riz du haut delta cultivés pour l’exportation. Le grain est long, l’amande généralement transparente. Certaines variétés fournissent un riz très estimé, payé de 30 à 50 % au-dessus des cours moyens de la première qualité : le tâm tho’m à paille courte très rigide a une panicule moyenne, mais en terres fertiles un grand nombre d’épis par unité de surface.
77Le tám xoan est plus haut, la particule longue comporte un grand nombre de grains. Tous deux doivent être cultivés en terres riches, ils supportent de fortes fumures. Le tám xoan semble susceptible de donner la production la plus élevée : en sol riche, il peut dépasser 30 qx/ha, aussi est-il à retenir. Mais ces variétés, très exigeantes, paraissent difficiles à acclimater hors de leur milieu d’origine.
78Quand il craint de ne pouvoir repiquer à temps une partie de ses rizières, l’agriculteur du haut et du moyen delta pourra essayer le dé bun ou dé muộn, riz tardif qui semble productif et peu exigeant.
INTRODUCTION DE VARIÉTÉS NOUVELLES
79Cette acclimatation peut se faire d’une région à l’autre du Delta, ou avec des variétés en provenance de pays étrangers. L’aire de culture des variétés indigènes est difficile à déterminer ; elle dépend surtout des conditions hydrauliques et de la richesse du sol, ensuite de la situation géographique. De sorte que des introductions de province en province ont été souvent réalisées avec succès quand on a tenu compte des aptitudes de la plante.
80Une variété venue du Thanh-Hoa, le chiêm thang (ou dé thanh ou thanh xuân) s’est répandue à Nam-Dinh, Ha-Nam, puis récemment dans la province de Ha-Dong10 où elle est très en vogue à cause de son rendement élevé en paddy de haute valeur marchande, de sa résistance à la verse, aux insectes et aux coups de vent du sud qui, sur les autres variétés, provoquent pendant la floraison de nombreux avortements.
81Dans cette même province (Thanh-Hoa), le chiêm nằm ou tép nằm se substitue au bầu en rizières basses, à cause de sa résistance à la verse et de son rendement élevé en riz de qualité ; enfin à Chuong-My le nếp điền, importé de Hoa-Binh, riz à évolution rapide, est apprécié parce qu’il peut se cultiver après le retrait des eaux ; il est résistant à la sécheresse et à la verse.
82M. Vu Van An a introduit de Kiên-An à Bac-Ninh un riz cultivé au cinquième mois, sans façons préparatoires, dans les mares où il peut supporter en mai jusqu’à 2 m d’eau.
83Plusieurs agriculteurs ont tenté des introductions de ce genre avec un succès variable. Le transport à courte distance ne présente généralement pas grand intérêt, l’agriculteur avisé connaissant les aptitudes et les qualités des variétés des environs. Mais son savoir se limite à un rayon assez restreint, souvent une dizaine de kilomètres. La classe aisée, et les journaliers qui vont chercher du travail, voyagent souvent plus que le petit propriétaire : le meilleur praticien, qui se déplace peu, ignore trop les pratiques culturales ou les variétés qui réussissent chez ses voisins. Des introductions de ce genre pourront donc être tentées, avec chances de succès, dans des conditions analogues de régime hydraulique, de richesse du sol et de période d’évolution.
84L’essai sur de petites surfaces de variétés évoluant à une époque différente de l’ensemble des rizières d’une région a l’inconvénient de concentrer sur la nouvelle culture tous les ennemis qui recherchent une plante à un état de développement favorable pour leur évolution (insectes) ou pour leur alimentation (rats).
85A Son-Tây et à Phuc-Yên, des riz plus précoces que leurs voisins lurent dévorés par les rats malgré tous les moyens de défense mis en jeu. A Bac-Ninh, un riz des Indes à l’essai, mûrissant en juillet (en somme un cinquième mois très tardif) fut en 1930 entièrement dévoré par les insectes et dut être abandonné de ce fait. De même, l’introduction sur des surfaces restreintes de variétés estimées (nếp et riz parfumés) y attire de nombreux ennemis et parasites qui apprécient leurs qualités autant que l’homme. Ces inconvénients s’atténuent le jour où la culture nouvelle s’étend sur des surfaces assez importantes ; ce sont les novateurs qui pâtissent le plus. Parmi les variétés provenant de l’étranger, on recherchera de préférence celles qui sont habituées à des conditions de culture peu différentes. Une analogie absolue n’est pas nécessaire ; on a vu des plantes prospérer après transport mieux que dans leur pays d’origine11.
86Les conditions climatiques très particulières de la campagne du cinquième mois (plus froid que les pays de même latitude ; plus humide que les pays qui jouissent en hiver de la même température, avec un état hygrométrique maximum en saison sèche) restreignent le champ de recherche de variétés pouvant s’adapter.
87Quelques essais fragmentaires de riz de pays tempérés (Italie, Japon) ou tropicaux (Formose, Indes) ont déjà échoué. Mais au dixième mois le champ est beaucoup plus vaste. On pourra rechercher dans toute la zone tropicale les meilleures variétés de saison des pluies à durée d’évolution comprise entre quatre mois et demi et six mois, de préférence peu exigeantes.
88Les essais d’acclimatation devront porter sur au moins cinq années, l’influence de changement d’habitat se faisant sentir à partir de la deuxième et surtout de la troisième année. Sur la concession Vu Van An, des variétés italiennes à l’essai donnèrent une belle récolte la première année ; le rendement diminua et chuta complètement les deuxième et troisième années.
89On cherchera de préférence à introduire des populations ou des mélanges de lignées, de façon à rechercher dans ces complexes les types qui paraissent s’adapter le mieux et pouvoir en faire la sélection. Les résultats souvent décevants de l’acclimatation ne devront pas en empêcher la poursuite. Un succès, difficile à prévoir, peut récompenser de nombreux échecs ; il arrive qu’une variété introduite donne des résultats bien supérieurs aux variétés indigènes : en Italie on ne cultive plus guère que les races importées ou les produits de leur croisement avec les races autochtones.
CRÉATION DE VARIÉTÉS PERFECTIONNÉES
Sélection
90On dénie aujourd’hui toute valeur scientifique à la sélection massale, qui est en somme le choix des semences sur un ensemble de plants paraissant les meilleurs à divers points de vue : productivité, rusticité, qualité, résistance aux facteurs adverses, etc. Ce choix des semences pourra être conseillé aux agriculteurs sur la rizière, avant la moisson12, mais on ne peut guère lui donner le nom de sélection. On sème un complexe d’individus différents, plus souvent distingués à cause d’une fertilité supérieure de l’emplacement où ils se sont développés que de leurs qualités héréditaires.
91La sélection pedigree au contraire crée un type à qualités héréditaires constantes : si le choix primitif de la lignée est un peu le fait du hasard, les essais comparatifs ultérieurs permettent de reconnaître les lignées les meilleures dans un milieu donné, celui où on opère la sélection. Malheureusement elles ne semblent pas pouvoir s’adapter à un habitat même légèrement différent (échecs de Java et de Cochinchine).
92On propose aujourd’hui la culture de mélanges de lignées voisines, plus plastiques ; mais cela nécessite un long travail, et les lignées pures ont rarement des qualités très supérieures à celles de la population primitive d’où on les a extraites. En Italie, on ne se sert plus de la sélection que pour créer un matériel homozygote en vue des croisements13.
Hybridation
93Aussi estimons-nous14 qu’il vaut mieux s’adresser, pour la création de races perfectionnées, à l’hybridation qui permet de réunir dans un même individu un ensemble de qualités provenant de deux ou, par croisements successifs, de plusieurs géniteurs. En hybridant certaines variétés tonkinoises très rustiques avec des races étrangères plus productives, mais plus exigeantes et plus délicates, on arrivera sans doute à créer des races à haut rendement capables de s’adapter au pays.
94C’est là un travail de longue haleine, on ne peut sortir avant dix ans les premiers résultats ; il faudra prendre patience et faire confiance aux chercheurs.
***
95Il ne faut pas exagérer les progrès possibles par la seule génétique. Des variétés hautes productrices et de grande qualité sont toujours exigeantes, et l’amélioration parallèle du milieu de culture, surtout celle de la fumure que l’on obtiendra à peu de frais, s’impose pour arriver à des progrès plus sensibles. En Tunisie, où un savant généticien, M. Bœuf, a créé des races de haute valeur, les progrès ne sont plus, à l’heure actuelle, limités que par les conditions de culture.
96On aboutirait à un échec en imitant certains colons d’Afrique du Nord qui introduisaient des races perfectionnées de bovins ou d’ovins sans se préoccuper d’améliorer en même temps les conditions d’alimentation et d’entretien.
Notes de bas de page
1 Cf. « Amélioration génétique et fumure du riz en Italie, aux Indes, à Ceylan et en Indochine. La méthode statistique et les essais comparatifs en rizière » dans le numéro de mai 1933 de la Revue internationale d’agriculture [article de l’auteur, NdÉ].
2 M. Caty, puis M. Huet ont établi, au laboratoire de génétique de l’Office indochinois du riz, un meilleur schéma de description des variétés du Sud-indochinois. Cf. notamment, dans le bulletin de janvier 1934 de l’Office indochinois du riz, un article intéressant de M. Huet sur « Le choix des variétés du Sud-indochinois à conserver et à propager. Catalogue des variétés ».
3 Riz et riziculture, vol. 8, fasc. 1, en février 1934.
4 Se dit des variétés dont les panicules ont à la fois des épillets aristés – surtout vers leur sommet – et non aristés.
5 Dans l’édition originale, les données de ce tableau étaient intégrées dans le texte [NdÉ].
6 Orthographe inexacte. Sans doute s’agit-il de sài đu’ ờng [NdÉ].
7 M. Lord dit qu’à Ceylan le rendement est en relation directe avec la durée végétative.
8 Même remarque que pour le tableau précédent [NdÉ].
9 Orthographe inexacte et non retrouvée pour ces quatre derniers termes [NdÉ].
10 D’après M. Angladette.
11 Le lục binh - jacinthe d’eau, Eichhornia crassipes Solms, famille des Pontédériacées – plante d’ornement au Japon, a envahi toutes les eaux de l’Asie tropicale.
12 Cf. le chapitre X.
13 Les variétés de blé couramment cultivées en France ne sont pas des lignées pures et on leur reproche déjà leur étroitesse d’adaptation.
14 Les premiers résultats obtenus à Java par l’hybridation encouragent les généticiens hollandais à persévérer dans cette voie.
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