Chapitre III. Étude du milieu économique
Population, propriété, modes d’exploitation et conditions d’existence des différentes classes d’agriculteurs, crédit, commune annamite, amélioration
p. 31-63
Texte intégral
LA POPULATION
1Le Delta tonkinois - les trois grandes villes de Hanoï, Haïphong et Nam-Dinh exclues – compte six millions et demi d’habitants, soit 430 hab./km2, groupés en sept mille villages et quelques agglomérations, qui sont surtout des centres administratifs et commerciaux. Le tiers de la population de l’Indochine se trouve concentré sur 14 700 km2, soit les 2 % de la surface totale de ce pays. Une telle densité pour une population presque exclusivement rurale paraît extraordinaire si on prend l’Europe comme point de comparaison. Mais en Asie des densités analogues ou supérieures se retrouvent : en Chine, dans le delta du Fleuve Bleu, la basse vallée du Yang Tsé Kiang et aux Indes, dans le Travancore et la côte de Cochin.
Répartition1
2La population n’est pas uniformément répartie à l’intérieur du Delta. Nous distinguons au nord et à l’est du Fleuve Rouge et du Canal des Bambous (provinces de Vinh-Yên, Phuc-Yên, Bac-Ninh, Bac-Giang, Hai-Duong, est de la province de Hung-Yên, province de Kiên-An), il y a moins de 500 hab./km2, sauf en deux îlots (banlieue de Haiphong et phủ de Tu-Son). Cette zone correspond aux terres les moins fertiles du nord et de la partie est de la région maritime (delta du Sông Thai-Binh). C’est d’elle que provient la presque totalité des riz exportés du Tonkin.
3L’ouest et le sud du delta sont les plus peuplés : de part et d’autre du Day dans la première partie de son cours, puis entre le Day et une limite passant un peu à l’est du Fleuve Rouge, et dans la zone maritime au sud-ouest du Sông Hoa (provinces de Ha-Dong, Nam-Dinh, Thai-Binh, est des provinces de Ninh-Binh, Ha-Nam et Son-Tây, ouest de la province de Hung-Yên) on compte plus de 500 hab./km2. Les densités les plus élevées (800 à 1 000 hab./km2) se rencontrent de part et d’autre du bras principal du Fleuve Rouge, dans la dernière partie de son cours, et dans la banlieue de Hanoï.
Évolution de la population et dangers du surpeuplement
4Nous n’avons pas de données même approchées sur la population du delta avant le début de ce siècle. Aujourd’hui encore, les chiffres que nous possédons sont approximatifs. Un fait est cependant certain, c’est qu’elle croît rapidement. Au cours des siècles précédents, l’expansion vers le sud des Annamites indique un peuple prolifique. Les efforts des gouvernements annamites au XIXe siècle pour renforcer les digues du Fleuve Rouge et coloniser les terres nouvellement conquises sur la mer indiquent la préoccupation d’assurer la subsistance d’une population chaque jour plus nombreuse. Depuis l’établissement de notre protectorat, cet accroissement n’a pu que s’accentuer, favorisé par le développement de l’hygiène, surtout la lutte contre la mortalité infantile, et l’augmentation des surfaces cultivées grâce aux travaux d’aménagement hydraulique.
5Depuis 1873, deux cent mille ou trois cent mille hectares de terres incultes ont été aménagés en rizières. Les statistiques approchées indiquent un accroissement de plus d’un million d’habitants de 1901 à 1929. Les témoignages de beaucoup de vieux coloniaux (notamment celui de M. Auphelle, du Service de l’hydraulique agricole) et le fait que les autorités communales avaient autrefois plus encore qu’aujourd’hui tendance à sous estimer le nombre des « inscrits »2 duquel on déduisait le chiffre de la population, nous permettent de croire que cet accroissement d’un million est exact, sinon inférieur à la réalité. Il y a là un grave danger. La population tonkinoise peut augmenter très vite à cause d’une natalité excessive et par la prédominance de l’élément jeune3, qui se marie très jeune. Cet accroissement peut encore être accéléré par la diffusion de l’hygiène et la diminution de la sous-alimentation – grande cause de non-résistance aux maladies – qui abaisseraient le taux de la mortalité. En Cochinchine on compte qu’un hectare de rizière exige cinquante journées de travail par an et que pour cultiver normalement il faut environ 1 hab./ha, 100 hab./km2.
6Au Tonkin on pourrait tabler sur le double, exceptionnellement le triple, mais si on dépasse 200 à 300 hab./km2 on provoque comme aux Indes anglaises un accroissement de la misère. M. A. Touzet signale à juste titre4 quelle erreur monstrueuse constitue la récente extension à l’Indochine de la loi du 31 juillet 1920 réprimant « la provocation à l’avortement et la propagande anticonceptionnelle ». Nous ne pouvons indiquer le chiffre d’habitants que le Delta peut porter dans les conditions actuelles de culture, ne possédant que des données trop imprécises sur la surface cultivée, les rendements moyens du riz et des autres plantes alimentaires. Mais avec une récolte moyenne une fraction importante de la population du Delta est insuffisamment nourrie une partie de l’année ; et après une sécheresse ou une inondation elle est sous-alimentée de longs mois. Même après une bonne récolte, comme celle du dixième mois 1929, si des exportations trop fortes de riz en font monter le cours à un taux exagéré (10 piastres5 le quintal de paddy le 1 er avril 1930), la classe pauvre jeûne. Le cultivateur tonkinois n’exporte pas l’excédent d’une récolte qu’il consommerait aisément, mais ce qu’il doit vendre pour payer ses impôts et ses achats au dehors.
7L’exécution des travaux d’aménagement hydraulique, qui permettront de faire deux récoltes sur une grande partie des rizières du Delta et les améliorations de la culture élèveront la production. Mais déjà dans le Nghê-Tinh (Nord-Annam) la population croît plus vite que la production. Même si – et c’est tout ce qu’on peut espérer en ne changeant pas de politique – les deux accroissements suivent une marche parallèle, il n’y aura pas d’amélioration possible. L’exemple du Japon nous montre que, malgré les progrès de la technique agricole, une partie de la population ne mange pas à sa faim quand le nombre d’habitants par hectare cultivable est trop élevé.
8La réduction des naissances serait le vrai remède. Malheureusement elle heurte un pays où le culte des ancêtres impose l’obligation d’une descendance mâle et où le Code Gia Long6 assimilait l’avortement à un meurtre. Nous ne voyons que trois palliatifs à ce surpeuplement : l’émigration lointaine, l’extension des surfaces cultivables dans les régions limitrophes, le développement des industries artisanales.
L’émigration
9Le paysan tonkinois est attaché à son village natal par tout l’ensemble de mœurs, coutumes, état d’esprit qui le caractérisent, et par la petite part de biens communaux qu’il peut cultiver à son profit. Il préfère le dénuement dans sa commune, à une vie plus aisée en exil. Les mouvements d’émigration les plus importants se dirigeaient vers les mines de charbon, les plantations de café et les rizières nouvellement défrichées de la périphérie du Delta, et vers les plantations de la Cochinchine et de l’Océanie. La crise économique les a complètement arrêtés.
10Les terrains intéressants de la périphérie du Delta sont presque tous mis en valeur. Les surfaces disponibles de la province de Thai-Nguyên, par exemple, sont dans leur majorité trop pauvres pour présenter de l’intérêt, sauf en périodes de très hauts cours du paddy. Les rendements y sont dérisoires et le paludisme dangereux. Une certaine colonisation est possible dans la moyenne région ; mais elle devrait être précédée d’essais pour déterminer ses facultés de production. Les lais de mer de la côte sud (Ninh-Binh, Nam-Dinh, Thai-Binh) sont mis en culture dès que possible. Mais ceux de la province de Quang-Yên (24 000 ha) que signale M. Gourou, semblent difficiles à dessaler et à mettre en culture par déficience d’eau douce.
11Le trop-plein de la population du Delta pourrait se déverser sur les vastes étendues de terres neuves de Cochinchine aptes à porter du riz ; l’état sanitaire y est bien plus satisfaisant que dans les plantations, elles ne sont que trop éloignées ; même si l’on ne pouvait exporter l’excédent de production qui en résulterait, au moins ces gens mangeraient-ils à leur faim.
La conservation et le développement des industries artisanales7
12Avant notre arrivée, le Delta du Tonkin produisait tous les objets fabriqués qui lui étaient nécessaires et aujourd’hui encore il en importe très peu. Le Tonkinois est l’artisan le plus habile de l’Indochine. Cette habileté nous permettra de proposer la modification du petit matériel agricole ; le succès de la charrue améliorée montre combien il s’adapte à une nouvelle fabrication. Il exporte en Cochinchine et au Cambodge à la fois les produits de son travail et des ouvriers qualifiés pour une foule de petits métiers. La conservation de ces industries locales est d’une nécessité vitale pour l’avenir du Delta. Elles fournissent à l’agriculture tous les objets usuels à des prix extrêmement bas : outils pour le travail du sol (charrues, herses, pioches, bêches), la récolte (crochets, faucilles, vans), les transports (paniers, brouettes, barques) ; elles procurent du travail à une fraction importante de la population, sans doute un million de personnes. Ce travail peut être interrompu à volonté : or la culture du riz a des exigences de main-d’œuvre très variables avec la saison. Au moment des grands travaux (préparation du sol, repiquage, et surtout moisson), la plupart des artisans viennent travailler aux champs ; beaucoup cultivent une petite parcelle de rizière.
13L’exportation des objets fabriqués pourrait en se développant apporter au pays des ressources importantes et lui permettre de mieux s’alimenter en gardant son riz.
14Il semble que les habitants de la province de Ha-Dong, où ces industries sont très répandues, sont à conditions égales moins malheureux que ceux d’autres régions également surpeuplées. La protection de leurs produits est d’autant plus nécessaire que la crise semble les avoir durement touchés, tant en ce qui concerne le marché local que l’exportation.
15Le développement du machinisme est souhaitable dans la mesure où il ne viendra pas concurrencer et ruiner l’artisanat. Si les industries extractives (charbons, minerais) et métalliques paraissent utiles en créant une activité nouvelle qui occupe des milliers d’ouvriers, nous n’en dirons pas autant des industries textiles, où chaque ouvrier employé prive de travail plusieurs artisans. Les subventions à l’industrie du tissage sont d’autant plus absurdes que la société qui les reçoit a essayé de supprimer la concurrence des artisans locaux par des manœuvres d’accaparement de la matière première et de fluctuation des cours. Nous concluons en disant, comme M. Gourou, que :
« L’exemple de l’Inde est là pour prouver que la ruine des industries villageoises est funeste à la prospérité du pays protégé comme à la réputation du pays protecteur. »
LA PROPRIÉTÉ
Morcellement de la propriété
16Les rizières du Tonkin sont divisées à l’extrême, la surface moyenne d’une parcelle du delta est comprise entre dix et onze ares ; même huit ares si l’on tient compte des parcelles situées à l’intérieur des villages. Le morcellement est plus accentué dans le moyen delta où la terre cultivée depuis de nombreux siècles a été partagée par une longue série d’héritages et de ventes (provinces de Bac-Ninh, Hai-Duong, Hung-Yên, Ha-Dong) et là où le relief du sol, plus accentué, impose une plus grande division (province de Vinh-Yên). Il est moins marqué dans les provinces voisines de la mer plus récemment mises en cultures (provinces de Nam-Dinh et de Kiên-An) et surtout dans la zone maritime de ces provinces (lais de mer) et dans les régions peu peuplées de la bordure du delta (Bac-Giang). Cette division extrême présente un gros inconvénient : un petit propriétaire possédant ou cultivant une dizaine de parcelles minuscules en différents points d’un village perd beaucoup de temps en déplacements ; les travaux de préparation du sol sont relativement plus longs pour les petits morceaux d’autant que la disposition en rectangles allongés n’est pas de règle comme en France et l’animal doit tourner fréquemment. Une fraction importante de la surface cultivable – peut-être 3 % – est prise par les diguettes des rizières. Dans un pays surpeuplé, la non-culture d’une telle proportion du terrain est d’autant plus importante que le pourtour de la parcelle produit peu : les labours sont moins soignés ; bêtes et gens circulant sur la diguette abîment plus ou moins les plantes de bordures. La seule compensation est que les diguettes des rizières constituent le principal pâturage du cheptel du Delta. Avec le temps le morcellement tend à s’accentuer, aussi toutes mesures facilitant le remembrement, l’échange des parcelles en vue du regroupement des propriétés rendront service au cultivateur tonkinois.
Répartition de la propriété
17La petite et la très petite propriété dominent. Les 3/5e des propriétaires du delta possèdent moins d’un mẫu (36 ares). La proportion de ces très petits propriétaires s’élève, dans les provinces surpeuplées, surtout de la zone maritime, aux 3/4 à Nam-Dinh, 7/10e à Thai-Binh et à Ninh-Binh et reste au-dessus de 3/5e à Kiên-An, Phu-Ly, Ha-Dong et Son-Tây. Dans l’ensemble du delta, 90 % des propriétaires possèdent moins de cinqmẫu. Il existe peu de moyens et seulement quelques grands propriétaires de rizières. Les très grandes propriétés sont fréquentes en bordure du Delta, dans les provinces du Vinh-Yên et surtout Bac-Giang8.
18De vastes concessions, qui ne comprenaient pas seulement des terres incultes, y ont été accordées à des propriétaires français et annamites vers le début de ce siècle, dans les zones voisines des montagnes momentanément abandonnées par crainte de la piraterie. Lorsque, la sécurité revenue, les paysans sont rentrés sur leurs terres, ils ont dû payer la location au nouveau propriétaire. Cet octroi de concession a été considéré par les annamites comme une spoliation, elle était contraire à l’ordonnance de Minh Mang de 18349 :
« Les terres des villages abandonnés seront réunies à celles des villages voisins, pour être cultivées par leurs habitants moyennant paiement de l’impôt. En cas de retour des anciens propriétaires, ceux-ci pourront reprendre leurs rizières et terres, à l’exception cependant de celles qui, incultes auparavant, auraient été mises en exploitation par les nouveaux occupants. »10
19Ces dispositions sont de la plus stricte équité. Plus grave encore était l’octroi de grandes concessions individuelles dans les lais de mer11 qui sont appelés à être prochainement surpeuplés. Heureusement l’arrêté du Résident supérieur du 27 juillet 1930 réserve ces terres nouvelles aux collectivités indigènes :
« [...] pour sauvegarder les besoins d’extension des villages riverains et permettre aussi la création de nouveaux groupements, constitués par l’excédent de la population des villages les plus denses des provinces maritimes ».
20Mais leur mise en valeur exige leur protection contre un retour offensif de la mer par une digue dont le coût est souvent trop élevé pour des collectivités aussi pauvres. Ces travaux, contribuant à décongestionner le delta, doivent être reconnus d’utilité publique, et les dépenses de gros œuvre (digues, ouvrages d’évacuation des eaux) devraient être prises en charge par l’Administration. Les communes exécuteraient les canaux d’amenée et d’évacuation des eaux, les artérioles, le défrichement et l’aménagement du sol. Pour subsister pendant la période de mise en valeur, des avances pourraient être consenties aux villages par les banques agricoles. On éviterait ainsi l’intervention du bailleur de fonds, prévu par cet arrêté, qui peut arriver à s’attribuer la propriété de la moitié des terres conquises. A Thai-Binh et à Nam-Dinh, des endiguements entrepris par les provinces ont permis de mettre en valeur plusieurs milliers d’hectares. Cet exemple devrait être suivi par les autres provinces.
21A l’intérieur du delta de grandes propriétés se sont constituées par agrandissements successifs. L’intérêt de l’argent est très élevé : ceux qui prêtent doivent toujours s’enrichir et ceux qui empruntent ne peuvent jamais se dégager ; l’inégalité des fortunes tend à s’accentuer. On l’a observé dans les provinces pauvres et surpeuplées de Nam-Dinh et surtout de Thai-Binh, plus spécialement dans les circonscriptions de Kiên-Xuong, Tiên-Hai, Tiên-Hung, Thai-Ninh ; dans le canton de Lac-Dao (Vu-Tiên), sauf 700 mẫu de rizières communales, tout est entre les mains de quelques gros propriétaires et usuriers de Thai-Binh ; dans la province de Hung-Yên où des inondations successives ont ruiné beaucoup de petits propriétaires ; dans la province de Ha-Nam où l’on ne fait qu’une récolte par an sur la majorité des terres : une seule récolte annuelle oblige à l’emprunt le petit cultivateur. Cette extension des grandes propriétés, jamais exploitées par leurs possesseurs qui ne veulent pas courir les risques de la culture directe, mais par un grand nombre de petits exploitants, fermiers ou métayers, présente un grave danger ; plus la terre est partagée et mieux elle est cultivée. L’existence d’une classe nombreuse de petits propriétaires est désirable à tous points de vue.
22Les gros propriétaires pourraient justifier leur rôle social en se mettant résolument à la tête du progrès agricole. L’amélioration des instruments de labour ou d’élévation de l’eau, la recherche de meilleures méthodes de culture leur coûteraient peu. Mais cela demande trop de peine, nous disait l’un d’eux. Ils préfèrent se contenter de toucher leurs fermages, en plaçant leur argent à un taux usuraire et en spéculant sur le paddy12.
Les propriétés collectives
23Elles méritent une mention particulière. Les plus répandues sont les rizières communales, réparties chaque année entre les inscrits ou louées au profit du budget communal. On en trouve surtout dans la zone maritime et les terres basses de l’ouest, régions surpeuplées. Un tiers des rizières de Nam-Dinh, un quart de celles de Thai-Binh, Ninh-Binh et Ha-Nam sont des propriétés communales. On en trouve encore en proportion notable à Ha-Dong et à Hung-Yên.
24Dans la commune de Van-Lang (province de Nam-Dinh, huyện de Truc-Ninh), elles occupent 70 %, et à Cat-Chû 89 %, de la surface cultivable. Notons de suite que si ce type de propriété, analogue à l’ancien mir russe, présente des inconvénients il a l’avantage de soustraire à l’accaparement par les grands propriétaires une fraction importante du sol. Ces biens sont inaliénables, sauf dans certaines conditions exceptionnelles. Il en est de même de toute une série de propriétés collectives, moins répandues mais occupant une fraction encore importante du sol. Chaque catégorie de dépenses faites par les communes ou les groupements communaux est couverte par le revenu de rizières qui lui sont affectées : rizières de l’entretien de pagodes ou des temples du génie tutélaire du village, rizières de l’école, rizières de l’assistance aux vieillards, rizières des pains de riz, etc.
25La terre étant la seule richesse assise du pays, la pérennité des institutions d’utilité publique est ainsi assurée. Par une telle coutume, l’annamite, qui se sait imprévoyant, assure la durée des institutions auxquelles il tient. Mentionnons aussi les rizières léguées par certains propriétaires sans descendance, soit au village, soit à un particulier, pour que le produit serve au culte de leur âme après leur mort, les rizières consacrées par un groupe d’élèves au culte de leur maître, les rizières consacrées au culte des premiers habitants du village ou aux fondateurs des familles des villages, les rizières données par les rois au village dont ils sont originaires où sur le territoire desquels ils ont opéré leurs exploits, pour en perpétuer le souvenir, etc.
Transmission de la propriété
26Une terre change de propriétaire par vente, par vente à réméré ou à la suite de prêt contre engagement de terre. Un petit propriétaire se résout rarement à la vente définitive de sa propriété, car il sait que la terre représente une richesse réelle, tandis qu’il ne peut que rarement garder par devant lui la somme d’argent provenant de la vente. C’est le plus souvent pour se libérer d’une dette pressante qu’il consent à céder une parcelle. Dans la vente à réméré, la terre est vendue, le prix convenu versé, mais le vendeur conserve un droit de rachat ; à l’expiration du délai fixé dans l’acte, souvent trois ans ou plus, il redevient propriétaire de son terrain s’il restitue la somme reçue.
27Il n’y a pas d’intérêt car dès que la vente est consentie, l’acheteur exploite la terre lui-même et en paie les impôts, et ce sont les produits qu’il en retire qui constituent le loyer de l’argent. Il faut noter que ces intérêts sont moins élevés que dans les prêts d’argent contre engagement de terre ; on considère normal que la terre, placement sûr, rapporte moins que l’argent. Avec ce mode de vente, le petit propriétaire cède sa terre à un prix d’ordinaire plus bas qu’en vente définitive à cause de la possibilité de rachat. Espoir souvent fallacieux car il est rare qu’il puisse à la date convenue rassembler la somme nécessaire. Cela n’arrive guère qu’après une récolte abondante vendue à un cours élevé.
28Le résultat habituel est que le grand propriétaire ou l’usurier bénéficient d’un prix inférieur au cours normal. C’est ainsi qu’à Son-Tây on a signalé au début de la crise une forte baisse sur le prix de vente des terres à réméré. Les petits paysans ayant plus que jamais besoin d’argent s’en procuraient en vendant à bas prix, espérant racheter bientôt, la crise terminée. La baisse atteignait moins les ventes définitives.
29Le prêt d’argent contre engagement de terre est l’homologue du prêt hypothécaire d’Europe. Un extrait du livre foncier indiquant la parcelle donnée en garantie est remis au prêteur. Le prêt consenti s’élève d’ordinaire à la moitié ou aux deux tiers du prix normal de la terre. L’emprunteur continue à jouir de la parcelle engagée, en paie les impôts et en retire les produits mais la somme prêtée porte intérêt à un taux élevé. La reconnaissance de la dette initiale porte non pas la somme réellement prêtée mais un chiffre égal à cette somme augmentée des intérêts jusqu’à la date d’expiration de l’emprunt. Si le débiteur ne peut se libérer et qu’il possède d’autres rizières, le créancier plus habile peut renouveler le prêt en exigeant la garantie d’une plus grande surface de terrain et la reconnaissance d’une dette plus élevée : la somme due à l’échéance augmentée des intérêts jusqu’à l’expiration du nouveau délai accordé. Sa créance fait ainsi « boule de neige » et il peut, pour un prêt minime, avec les intérêts composés à un taux élevé, déposséder totalement un petit propriétaire de ses quelques mẫu de rizières. Une fois que la dette atteint un certain niveau, le débiteur est sûr de ne pouvoir la rembourser ; il devrait sacrifier la parcelle hypothéquée au lieu de renouveler sa dette en prenant des engagements au-dessus de ses moyens. Prêts, engagements de terre, parfois même ventes à réméré sont souvent des conventions verbales : le prêteur demande comme garantie la remise immédiate du titre de propriété, le possesseur réel n’est donc pas toujours celui qui détient ce titre.
30Si une des parties meurt avant l’expiration du délai de remboursement, la situation devient très complexe. Il existe dans le delta des surfaces importantes de rizières dont la propriété est contestée. C’est une des raisons pour lesquelles le cadastre ne peut toujours être fait avec indication précise du propriétaire. Dans les contestations, c’est trop souvent le plus influent, c’est-à-dire celui qui a pour lui les autorités – communales ou mandarinales –, qui a raison même contre la justice.
Valeur du sol13
31Le prix moyen des rizières du Delta oscillait (1930-1931)14 entre 100 et 200 $ le mẫu15, soit de 3 000 à 5 000 francs/ha. Ces chiffres élevés dans un pays aussi pauvre montrent bien que la rizière est la seule richesse réelle et appréciée. Les variations sont considérables : sans tenir compte des rizières trop pauvres déjà hors du delta (10 $/mẫu à Thai-Nguyên), ni de la banlieue des villes, où les terrains maraîchers ou à bâtir pouvaient monter à 4 000 $/mẫu, le prix des terres adaptées à une culture normale de riz variait de 20 à 2 000 $/mẫu (550 à 55 000 francs/ha), soit de un à cent, alors que la capacité de production annuelle ne varie pas de un à dix (de 6 qx/ha en rizière très pauvre à une récolte, à 55 qx/ha en rizière très riche à deux récoltes).
32Le prix était bien en rapport avec les possibilités de rendement, conditionnées par la fertilité du sol et le régime hydraulique. A l’intérieur d’une même commune, les rizières situées à proximité immédiate du village, toujours plus fertiles et plus accessibles, valaient trois à cinq fois plus que les rizières éloignées. Dans l’enceinte du village les prix étaient plus élevés encore. Mais il dépendait aussi de la proximité des villes et des voies de communication (routes, canaux, voie ferrée), et surtout de la densité de la population et de la richesse du village. Les prix les plus élevés étaient par ordre décroissant : Ha-Dong, Nam-Dinh, Son-Tây, puis Thai-Binh et Ha-Nam ; les prix moyens à Bac-Ninh, Kiên-An, Ninh-Binh, Hai-Duong et Hung-Yên ; les prix les plus bas dans les provinces moins peuplées de Vinh-Yên, de Phuc-Yên et surtout de Bac-Giang.
33Tout Annamite enrichi désire être propriétaire dans son village d’origine, pour y devenir notable. Dans une commune où plusieurs habitants ont fait fortune par le commerce ou l’usure, la rizière n’a plus de prix. A Ha-Dong, province riche, les prix étaient plus élevés qu’à Nam-Dinh, pays pauvre, malgré une densité de population plus forte, une productivité souvent meilleure et un pourcentage élevé de propriétés collectives qui réduit la surface des terres négociables. Le rapport capital foncier/capital d’exploitation est beaucoup plus élevé qu’en Europe.
LES MODES D’EXPLOITATION ET LES CONDITIONS D’EXISTENCE DES DIFFÉRENTES CLASSES D’AGRICULTEURS
34Les grandes propriétés sont cultivées par des fermiers (ou des métayers). La culture directe par le possesseur du sol ne s’applique qu’aux petites, et parfois aux moyennes propriétés. Nous allons passer en revue successivement les différents modes d’exploitation du sol, en terminant par une étude des salariés.
La culture directe
35La situation de l’agriculteur exploitant diffère suivant qu’il est « très petit » (moins d’1 mẫu), « petit » (3 à 5 mẫu) ou « moyen » (20 à 30 mẫu) propriétaire. Il va sans dire que cette division en trois classes est arbitraire, et qu’il existe tous les intermédiaires. D’autre part une même surface de 3 mẫu peut suffire largement à une famille dans le cas de culture intensive : rizières riches à deux récoltes de la zone maritime, et la laisser misérable en culture extensive : rizières pauvres à une récolte de la bordure du delta.
— Le très petit propriétaire (moins d’un mẫu)
36Si les deux tiers des propriétaires du delta rentrent dans cette catégorie, un bon nombre exploitent en outre une surface plus ou moins importante de rizières louées et rentrent par là dans la catégorie des fermiers. C’est « le très petit exploitant » qu’il faudrait dire. Il possède pour toute fortune ses quelques ares de rizière et généralement une charrue, une herse et le petit matériel de récolte, un porc et des volailles, mais aucun capital de réserve. Il n’emploie jamais de salarié, et suffit largement, avec ou sans l’aide de sa famille, à assurer tous les travaux de la rizière, même en moisson. La terre qu’il cultive ne suffit pas à l’occuper, aussi s’embauche-t-il chez les grands propriétaires, dans les industries artisanales villageoises dont nous avons déjà signalé l’utilité, sur les chantiers de travaux publics (construction de digues, canaux, routes) et dans les bourgs voisins, comme manœuvre. La moisson s’échelonnant dans le delta sur une assez longue période, il peut, avant ou après la récolte de ses parcelles, aller travailler ailleurs. Il cherche dans tous les cas à ne jamais s’éloigner trop de son village, pour surveiller son bien, surtout aux approches de la récolte à cause des vols. Il n’a pas assez de terre pour occuper un animal de trait, aussi laboure-t-il ses terres de ses mains, à la pioche ou à la bêche, ou à la charrue, en louant pendant quelques journées à chaque campagne rizicole un bœuf ou un buffle. Le hersage peut être fait à traction humaine.
37Ce type de très petit exploitant est surtout répandu dans les régions surpeuplées de la zone maritime. N’arrivant pas à obtenir sur son champ et par son salaire, la quantité d’aliments nécessaires à l’entretien de sa famille, il ne se nourrit convenablement qu’aussitôt après la récolte de riz qui est pour lui l’aliment de luxe ; le reste du temps il mange des soupes, des tubercules, avec parfois des brisures ou du son de riz, et quelques légumes. Sa femme et ses enfants se procurent de minimes ressources par la pêche des crabes ou des crevettes dans les régions basses, par du portage, voire de la mendicité. En cas de calamité causant la perte totale d’une récolte (sécheresse, inondations à la suite de typhon ou de rupture de digues, parfois invasion d’insectes), il est plus malheureux que le salarié qui émigre et va chercher dans des régions plus favorisées de meilleures conditions de vie. Retenu au village par la préparation de la prochaine campagne, il doit emprunter pour manger dans des conditions fort onéreuses : ainsi endetté il ne peut plus se dégager. Le titulaire d’une part de biens communaux ne peut quitter le village sans y perdre tous ses droits16. Aussi se déplace-t-il plus difficilement que le tout petit propriétaire qui peut louer son bien à quelqu’un de sa famille.
—Le petit propriétaire (trois à cinq mẫu) ou le petit exploitant
38Nous arrivons à un type de cultivateur qui, dans les conditions normales de culture, arrivait ces dernières années à un standard de vie presque satisfaisant étant donné la faiblesse de ses besoins. Mais depuis deux ans sa misère augmente constamment. La surface qu’il cultive est suffisante pour occuper une vache, un bœuf ou un buffle. C’est la possession d’un animal de trait qui le différencie nettement de la catégorie précédente. Si outre un matériel plus important il arrive à garder après chaque moisson une ou deux dizaines de piastres et les quelques quintaux de paddy pour nourrir sa famille jusqu’à la récolte suivante, il peut même éviter l’endettement.
39Il n’a pas, comme le fermier ou le métayer, une portion importante de la récolte à prélever pour le propriétaire. S’il ne possède pas d’animal de trait, il peut en louer un à l’année, ou pour chaque période de préparation du sol. Il n’est pas obligé, sauf le cas de perte de récolte, à aller chercher du travail au dehors, ses champs et quelque petit bricolage (vannerie, etc.) en morte saison suffisent à l’occuper, lui et les siens. Il a rarement besoin de main-d’œuvre salariée : lors du repiquage et de la moisson, les petits cultivateurs se prêtent des journées de travail non rétribuées qu’ils se rendent en nature ; on nourrit ceux qui viennent aider. Il n’a recours à la main-d’œuvre salariée que par grande presse, par exemple menace de submersion avant moisson d’une rizière basse du cinquième mois.
40Mais ce petit propriétaire n’a pas de réserves financières suffisantes, une mauvaise récolte ou une forte dépense imprévue le contraignent à s’endetter : il est rare qu’il arrive à se dégager sans aliéner une partie de sa propriété ; dès ce moment, cherchant à garder ses terres, il doit vendre toute sa récolte aussitôt la moisson pour payer ses dettes, puis emprunter à un taux élevé pour racheter du paddy beaucoup plus cher qu’il ne l’a vendu. En passant à l’étude du moyen propriétaire nous franchissons une barrière très nette, nous passons à une autre classe sociale.
—Le moyen propriétaire (20 à 30 mẫu)
41S’il possède 20 mẫu – 7 ha – il ne peut plus travailler de ses mains sans déchoir et perdre toute considération dans son village. Souvent il cultive directement une partie de ses rizières – les meilleures, les plus proches du village - et loue les autres ; ou il les garde pour son propre compte à la campagne du dixième mois et les donne en métayage au cinquième ; ou il exploite tout lui-même, avec des domestiques. Il possède quelques buffles ou bœufs dont une partie sert à travailler ses terres, le reste étant loué à l’année aux petits cultivateurs qui ne peuvent en acheter. Intéressés directement au rendement de leurs rizières, ils ont reçu une certaine instruction et les jeunes parlent français. Nous comptons sur eux pour diffuser les nouvelles techniques de riziculture ; ils connaissent mieux la pratique agricole que la plupart des grands propriétaires ; moins imbus de superstitions et de routines ils comprennent mieux que beaucoup de petits riziculteurs l’utilité des améliorations. Ce sont des notables écoutés dans leurs villages, mais ils recherchent d’ordinaire bien plus les postes honorifiques que les progrès de l’agriculture. Désireux de s’enrichir, d’agrandir leurs propriétés, ils imitent sur une petite échelle les grands propriétaires, pratiquant l’usure avec une dureté d’autant plus grande qu’ils ont plus de besoins, cherchant à se procurer des charges (chefs et sous-chefs de canton) qui leur rapporteront honneur et argent, ou le petit grade de mandarinat honoraire. Enfin une sorte de respect humain, causé par le fâcheux discrédit dans lequel on tient trop souvent les travaux manuels agricoles, les empêche parfois de s’y intéresser.
Le fermage et le métayage
42Le fermage, location d’une parcelle de terre contre redevance fixée à l’avance, en argent ou en paddy, est le mode de location le plus répandu. Le métayage, partage de la récolte suivant une proportion définie entre le locataire et le propriétaire, est plus rare. A tort on désigne sous ce nom le fermage payable en nature. La location, autrefois très rare, est de plus en plus répandue : ceci est une des meilleures preuves de la tendance à la concentration des propriétés devenues trop grandes pour être exploitées directement. Les grandes concessions de la périphérie du delta et des lais de mer, les rizières abandonnées par leurs propriétaires venus travailler en ville ou émigrés au loin, sont louées. Dans le fermage le propriétaire paie les impôts fonciers et touche le prix de location, le fermier fournit lui-même cheptel et matériel de culture, fonds de roulement, semences, engrais et tout travail du sol ; si le propriétaire avance de l’argent et du cheptel, cela fait partie d’un contrat spécial et donne lieu à une redevance supplémentaire. Le fermier conduit son exploitation à sa guise, sème et récolte quand il veut, étant seul à pâtir d’une mauvaise récolte. Dans le métayage le propriétaire est directement intéressé à la récolte. A la limite du Delta, le cheptel et les instruments de culture (Son-Tây) tout ou partie des semences et des engrais (phosphates naturels, Vinh-Yên) ou des plants à repiquer (Hai-Duong) peuvent être fournis par le propriétaire sans redevance spéciale. Le métayer est tenu de restituer animaux et matériel en bon état. En général, dans le reste du Delta, le propriétaire fournit seulement la terre. Le propriétaire – ou dans les grandes concessions son représentant, gérant ou cai – peut imposer la variété à cultiver, la date de semis ; il exige que la rizière soit convenablement labourée et sarclée et ne souffre pas du manque d’eau. Si le métayer ne travaille pas convenablement, le propriétaire peut faire nettoyer ou irriguer sa rizière par des salariés engagés à cet effet ; lors de la récolte, il prélève une part supplémentaire pour rentrer dans ses débours (capital et intérêts). Le métayer d’une grande concession est obligé de s’attirer par des cadeaux la bienveillance du gérant, qui décide notamment de la date de la moisson, faite dans le même champ par les deux parties. Lorsque les pluies font verser la récolte et menacent d’inonder les rizières basses du cinquième mois, le gérant et son équipe de moissonneurs font couper d’abord les rizières des métayers généreux ; les autres attendent et la récolte peut germer et même se perdre si la submersion se prolonge. Tous les gérants, surveillants, régisseurs ou autres intermédiaires entre le grand propriétaire et son armée de fermiers et de métayers sont des rapaces, qui volent les deux parties. Souvent ils prennent en location, au nom de personnes interposées, la plus grande surface possible de rizières, qu’ils sous-louent plus cher ; ils pratiquent l’usure avec dureté17. Le fermage ou le métayage peuvent être contractés verbalement, ou faire l’objet d’un acte signé par le propriétaire et le locataire et visé par les autorités communales.
43Les taux de location dépendent de la capacité de production de la rizière – donc des conditions hydrauliques et de la fertilité du sol – et de la densité de la population. Nous observons toutes les variations depuis les rizières pauvres de la périphérie du delta où les villages sont clairsemés, où règnent des formes dangereuses de paludisme et où la production à la merci de la régularité des pluies peut descendre au dessous de 5 qx/ha18 jusqu’aux rizières riches à deux récoltes de la zone maritime surpeuplée.
44Le fermage en argent, d’institution relativement récente, est pratiqué dans le cas de propriétaire absentéiste ou de rizières éloignées du centre de la concession, quand le transport du paddy au grenier du propriétaire est trop onéreux. Ce mode de règlement est surtout fréquent près des grandes villes (province de Ha-Dong) ; il est en voie de diminution depuis la baisse et l’instabilité des cours du paddy et sa disparition est très désirable : il devient une spéculation, la proportion de la récolte revenant à chaque partie étant fonction des cours.
45Le fermage des rizières pauvres n’est presque jamais fixé en argent, le locataire ne pouvant, en plus du risque de récolte médiocre ou nulle, supporter les conséquences d’une forte baisse des cours. Les rizières moyennes ou fertiles étaient louées (en 1929-1931) 10 à 30 $ le mẫu suivant leur productivité et le nombre de récoltes annuelles. Depuis 1932 la baisse du paddy a entraîné une diminution très forte, mais variable suivant les régions, de ces loyers en argent.
46Le fermage en nature est le plus répandu et le plus équitable : c’était le seul pratiqué au XIXe siècle où l’argent était si rare que l’impôt se versait partie en paddy, partie en argent. Les rizières pauvres à une récolte se louaient ces dernières années 30 à 100 kg de paddy le mẫu, et les terres fertiles à deux récoltes 300 à 500 kg, parfois plus. Dans les rizières à deux récoltes de riz, si le bail prévoit la quantité du paddy afférente à chaque campagne, on le verse à chaque moisson. Mais s’il n’est prévu qu’une redevance annuelle globale, elle est d’ordinaire versée au dixième mois, surtout dans les zones hautes, où cette récolte est plus abondante et de meilleure qualité.
47Le métayage est en voie de régression dans les grandes propriétés à cause des difficultés de contrôle à la récolte ; il est plus fréquent dans les petites quand le propriétaire, habitant à proximité, peut surveiller culture et moisson. En terre de moyenne fertilité le partage se faisait (en 1930-1932) en divisant par moitié les parcelles où chacun récoltait à ses frais. En rizières fertiles le métayer pouvait être obligé de faire tous les travaux de récolte et de livrer au propriétaire la moitié du paddy battu, vanné et séché ; en cas de moisson faite à mi-frais, le prélèvement pouvait atteindre les 6/10e. Avant le partage on remet souvent trois gerbes de riz par sào à celui qui a fourni la semence, généralement le métayer.
48Les cultures sèches ne sont pas habituellement soumises à redevance ; le paddy versé au dixième mois constitue le prix de location annuel. Mais dans les terres fertiles où elles laissent de gros bénéfices (légumes et tabac dans les provinces de Ha-Dong, Thai-Binh, Hai-Duong, etc.), elles sont soumises à une redevance spéciale. A Thai-Binh le métayer de terres susceptibles de porter de riches cultures sèches en garde le produit, mais verse au propriétaire la totalité du paddy du dixième mois : il assume les frais de culture de cette campagne, garde la paille, la récolte étant à la charge du propriétaire. Le taux de location était à peu près le même dans les différents cas, sauf variation de cours du paddy. Il était nettement exagéré, et constituait pour le fermier et le métayer une charge excessive. Il correspondait en 1931 à la moitié de la récolte avec des possibilités de rendements normaux ; malgré la baisse récente il reste trop élevé.
49En Europe le loyer du sol correspond en moyenne à l/8e ou 1/10e de la récolte. Ici le taux est faussé par les demandes excessives dues à la surpopulation19 ; un propriétaire qui consent à louer sa terre a toujours l’air de rendre service, si élevé que soit son prix. Au Japon, dans les mêmes conditions de surpeuplement, nous retrouvons les prélèvements de la moitié, souvent des 6/10e de la récolte. Aussi les conflits sociaux entre propriétaires et métayers ligués en associations rivales y prennent parfois une tournure si grave que le gouvernement a dû instituer des commissions d’arbitrage20. Aux Indes par contre, pays très pauvre, le loyer du sol ne dépasse pas dans le Bengale surpeuplé, le quart de la récolte ; en moyenne le prélèvement est de l/6e. En Birmanie il oscille de 35 à 40 % en 1933.
—Les clauses accessoires du contrat de louage
50En dehors du prix convenu pour la location de la terre, les coutumes locales astreignaient trop souvent le fermier ou le métayer à des cadeaux supplémentaires au propriétaire à l’occasion du Têt, du cinquième jour du cinquième mois, du dixième jour du dixième mois, ou de son anniversaire.
51Dans les régions surpeuplées « où le propriétaire est roi et où les pauvres se disputent la location de ses rizières » comme dit M. Nguyên Van Vinh, on le remercie de la location comme d’un témoignage de sa bonté. Ces pratiques n’existent plus depuis la crise. En cas de perte de récolte, ou de très mauvaise récolte, le métayer ne doit rien ou presque. Pour le fermier, la jurisprudence varie. C’est parfois une redevance faible ou nulle ; mais le fermage peut aussi être exigé en totalité ; le fermier sans argent signe au propriétaire une reconnaissance de dette. Si cette dette est stipulée avec intérêt, le locataire ne peut se libérer à la campagne suivante. Il doit environ trois fermages (celui de la récolte précédente, à peu près doublé par l’intérêt, et celui de la récolte actuelle) soit une somme supérieure à la valeur de sa moisson. C’est pour cette raison que dans les régions où les risques de perte de récolte (sécheresse, inondations) sont plus grands, les gros propriétaires peu scrupuleux préfèrent louer à de petits propriétaires qu’ils espèrent dépouiller21.
52Contre le propriétaire sans pitié – qui généralement n’habite pas le village – les paysans s’entendent et refusent de louer ses terres qui restent en friche. Mais il existe aussi des propriétaires soucieux d’humanité qui prennent leur part des calamités naturelles et consentent à leurs locataires des prêts d’argent à faible intérêt. Dans les rizières de la périphérie du delta nouvellement défrichées, par exemple dans la province de Bac-Giang (phủ de Nha-Nam et chau22 de Luc-Nam) les propriétaires, pour retenir les colons venus de la province de Bac-Ninh voisine et surtout des régions surpeuplées de Ha-Dong, Ha-Nam, Thai-Binh, leur consentent des avances d’argent à taux modéré et se montrent moins exigeants.
—Situation matérielle du fermier et du métayer
53Elle est, à égalité de surface cultivée, beaucoup plus dure que celle du petit propriétaire, le fermage prélevant une grosse part de la récolte. Toutefois il existe une classe de fermiers qui, cultivant une ou plusieurs dizaines de mẫu de rizières avec l’aide de leur famille et l’appoint de salariés au moment des gros travaux, en tirent une aisance relative tant qu’ils ne s’endettent pas. A partir d’environ vingt mẫu un propriétaire ne peut travailler de ses mains sans déchoir ; avec une surface supérieure, le locataire peut le faire, l’autorité des grands propriétaires leur permettant d’échapper aux tracasseries administratives et aux frais qui en résultent trop souvent. C’est dans le haut delta peu peuplé (le nord de Hai-Duong et de Hung-Yên, une partie de Bac-Ninh, mais surtout Phuc-Yên, Vinh-Yên et Bac-Giang) que l’on rencontre beaucoup de ces grands fermiers : la part de récolte prélevée par le propriétaire n’étant pas exagérée, leur situation est supérieure à celle des très petits et de beaucoup de petits propriétaires ; ils sont assez bien considérés. L’exploitation rizicole idéale devrait comprendre cinq à huit mẫu, un animal de trait (bœuf ou buffle) pour les labourer et herser et un petit capital de roulement qui permettrait d’éviter l’emprunt. Or un million de familles paysannes exploitant dans le delta un peu plus d’un million d’hectares de rizières, le type d’exploitation idéale ne peut être qu’une minorité. La situation des fermiers et métayers du moyen et du bas delta, où les rendements sont plus élevés, est moins bonne, parce qu’ils cultivent une faible surface louée trop cher.
Les salariés
54Les très petits exploitants propriétaires, fermiers ou titulaires d’une part de rizières communales, complètent leurs ressources par le salariat. Leur situation est différente suivant qu’ils sont employés d’une façon permanente, à la saison, ou journaliers.
55Les salariés permanents ne sont employés que par les moyens et grands propriétaires. Ils assurent la surveillance des rizières et l’exécution de tous les travaux de l’exploitation en morte-saison ; en période de gros travaux, ils encadrent les journaliers embauchés. Ils aident également aux travaux de la maison, ce sont des domestiques, aux services desquels on peut recourir à tout instant. Ils sont parfois bien traités par leurs maîtres, chez qui ils restent alors de longues années, les considérant comme des parents adoptifs et les servant très bien. Ils sont nourris, logés et habillés (deux vêtements par an) et recevaient en outre de 30 à 40 $ par an dans les régions peu peuplées, de 10 à 20 $ par an dans les provinces surpeuplées (en 1931). Quoique fort peu payés dans le bas delta, ils sont souvent plus heureux que les trop petits exploitants, assurés de manger à leur faim quelle que soit la récolte.
56Les salariés à la saison sont engagés soit pour toute une campagne de culture, soit pour une période de travaux : labours ou moisson pour les hommes, repiquage, sarclage ou moisson pour les femmes. Quand ils sont bien traités ils reviennent à chaque campagne chez le même patron. La saison terminée, ils rentrent chez eux et se livrent à de petits métiers pour subsister : artisanat, petits commerces ambulants, pêche dans les zones basses, recherche de combustibles dans les forêts de la limite du delta, etc. Pour une campagne de culture ils sont parfois rétribués par un pourcentage de la récolte, mode de rétribution fort ancien cité dans les vieux dictons. Ainsi à Thai-Binh, un propriétaire confie à un salarié non-nourri la culture de trois à cinq mẫu de rizière, le chargeant du labour, du hersage, de l’irrigation, du sarclage et de la surveillance des journaliers engagés pour le repiquage et la moisson. L’ouvrier récolte pour son propre compte le cinquième de la surface qu’il a cultivée, soit deux sào par mẫu. Les salariés ainsi rétribués sont souvent de très petits exploitants du village qui surveillent leurs rizières en même temps que celles du patron. Ils gagnent moins qu’un journalier mais sont assurés d’un travail régulier, peu fatigant et, dédommagés à la récolte, ils sont contraints à l’économie.
57Les avances sur salaires sont pratiques courantes. L’ouvrier permanent, payé deux fois l’an, reçoit sans intérêt son salaire annuel en cas de besoin pressant dans le cas d’un décès ou d’un mariage dans sa famille par exemple. L’employeur qui n’y consentirait pas serait l’objet de la réprobation publique. Les saisonniers qui ont besoin d’argent en morte-saison en demandent à leur patron habituel. En cas de besoin réel, ce prêt, qui ne dépasse jamais quelques piastres, peut être fait gratuitement ou à un taux peu élevé ; mais il est souvent estimé en journées de travail au cours du jour de l’emprunt et l’ouvrier rembourse ces journées de travail au moment des grands travaux où elles valent plus cher : cette différence constitue l’intérêt. La somme empruntée représente souvent la moitié ou les deux tiers de la valeur du travail remboursé. La situation de ces salariés obligés d’emprunter pour manger en morte-saison est très misérable. En cas d’accident ou de maladie causés par le travail, l’ouvrier a droit à la nourriture, aux soins et à son salaire normal pendant la durée de l’indisponibilité. En cas de décès l’employeur paie les frais d’enterrement et donne une petite gratification à la familles23.
58Les journaliers constituent la dernière classe de la société. S’ils trouvent du travail normalement rétribué au repiquage et surtout à la moisson, le reste de l’année les bas salaires offerts ne dépassent que de quelques cents une bonne ration alimentaire. Il n’y a pas très longtemps, à la suite de chaque calamité, les petits exploitants sans ressources venant grossir leur armée, on trouvait en morte-saison des ouvriers en échange de leur seule nourriture (par exemple, en 1924 et 1926 dans la province de Nam-Dinh). Dans ce cas, les plus débrouillards quittent leurs villages et vont chercher de meilleures conditions de travail. Mais beaucoup répugnent à s’en aller, surtout s’ils ont une part de rizières communales. Les journaliers sont souvent nourris, ils ont droit à deux ou trois repas par jour en morte-saison, trois repas en temps de presse et même quatre s’ils sont obligés de travailler une partie de la nuit. Si le salaire en argent qui s’ajoute à leur nourriture est insuffisant pour assurer la subsistance de leur famille, ils demandent, au lieu des repas préparés, trois bols24 de riz par jour et deux à trois cents pour le combustible et les aliments complémentaires (sel et sauce de soja ou nu’ớ’c mắm, salade de moutarde, d’épinard annamite ou d’aubergine, etc.). Les femmes font cuire ellesmêmes deux repas et gardent le troisième bol de riz pour la maisonnée ; ou bien ils demandent à ne recevoir que deux repas et à emporter chez eux un bol de riz par jour ou un panier de 20 kg de paddy par mois, réserve pour la morte-saison. Certains propriétaires, estimant qu’un ouvrier ne peut travailler convenablement s’il s’alimente mal, interdisent d’emporter à la maison le riz du troisième repas : ceux qui ne le consomment pas n’ont droit à aucun supplément. La morale annamite, qui fait passer avant tout le souci de la descendance pour la continuité de la famille, juge sévèrement ceux-là qui empêchent les parents de se priver pour leurs enfants. Dans les régions où l’on ne fait qu’une récolte de riz par an, les journaliers émigrent en masse, la moisson terminée, des zones basses inondées l’été vers les rizières du dixième mois, et des zones hautes privées d’eau l’hiver vers les rizières du cinquième mois. La récolte commençant plus tôt dans le haut delta, ouvriers et petits exploitants du bas delta surpeuplé peuvent, avant de moissonner chez eux, monter dans la périphérie du delta en redescendant progressivement à mesure que le riz mûrit. Ils se procurent ainsi le numéraire nécessaire au paiement de l’impôt personnel et n’aiment alors pas le salaire en nature. Bien que leurs employeurs les traitent moins bien que leurs domestiques, les considérant comme des hommes de peine, les journaliers sont d’ordinaire plus consciencieux et plus travailleurs que les ouvriers des villes. Nous nous associons pleinement aux éloges que M. L. Hautefeuille, vieux Tonkinois qui les a bien connus, adressait à ces ouvriers dans un article où il répondait à leurs détracteurs25.
LE CRÉDIT26
Les besoins d’argent du paysan
59De deux ordres, agricole et non agricole, ils dépendent de la régularité des récoltes.
—Exigences d’ordre agricole après une récolte normale
60Les petits exploitants vivent dans une aisance relative pendant un, deux ou trois mois après chaque moisson, consommant la part de récolte qui leur reste après le règlement du propriétaire et des dettes antérieurement contractées. Ils ne peuvent pas toujours, même s’ils sont prévoyants, mettre de côté la quantité de paddy nécessaire pour subsister jusqu’à la moisson prochaine.
61S’ils ne trouvent pas assez de travail, ils empruntent vers les deuxième et septième ou huitième mois annamites. Les salariés demandent les avances sur salaires dans les conditions déjà indiquées. Celui qui cultive une surface un peu plus importante, sans disposer d’un capital de roulement suffisant, a besoin d’argent pour régler les salariés engagés pour la préparation du sol et le repiquage, pour l’achat d’un buffle, pour la location de rizières communales ou de rizières privées là où le fermage est exigible d’avance. Après une récolte satisfaisante, une partie de la population s’endette mais la demande d’argent n’offre pas un caractère d’absolue nécessité. Il n’en est plus de même après une récolte mauvaise ou totalement perdue. Une partie de la population émigre mais il en reste encore trop.
62Ceux qui n’ont pas de réserve, soit en numéraire, soit en paddy, ne trouvant pas de travail ou n’en trouvant que de très mal rémunéré, empruntent pour manger. Ceux qui possèdent un animal de trait ou des objets mobiliers de quelque valeur (vases de porcelaine, plateaux de cuivre, etc.) les vendent, toujours dans de mauvaises conditions. Ils se séparent même de leurs objets de culte. La demande étant élevée et de caractère urgent, l’intérêt de l’argent monte à des taux exorbitants.
— Exigences non agricoles
63Dans les régions où les récoltes sont régulières, si on remonte à la première dette27 d’un petit paysan, on trouve souvent une dépense excessive pour la célébration d’une fête : mariage, anniversaire d’un ancêtre, fête en l’honneur du génie du village, repas offert au village à l’occasion de sa soixantième année, de l’obtention d’un titre honorifique ou d’un grade de mandarinat, et surtout décès d’un parent ou fêtes du Têt. On a souvent reproché aux Annamites ces dépenses qui atteignent parfois le salaire d’une année de travail. Nous estimons qu’ils sont assez souvent malheureux pour qu’on les excuse de dépenser sans compter en ces occasions traditionnelles.
64Mais, sans vouloir abolir ces cérémonies, nous souhaiterions qu’à l’avenir ils ne se croient plus obligés de sacrifier, trop souvent par vanité, le nécessaire au superflu d’un jour. Le paiement des impôts (impôts personnel et foncier, taux réellement perçu) entraîne l’emprunt s’il vient après une récolte médiocre.
65La législation annamite prévoyait l’exemption de l’impôt après une mauvaise récolte. Les pertes aux jeux de hasard (qui ont tant d’attraits pour les Annamites) sont illimitées, aussi peuvent-elles ruiner même les gros propriétaires. L’agent : communal chargé de récolter l’argent de l’impôt ne résiste pas toujours à la tentation de le jouer avant de le porter au Trésor.
Les prêteurs et le taux de l’intérêt28
66L’intérêt n’est pas excessif quand on rend service à un inférieur de bonne foi. Le salarié, le métayer ou le fermier qui entretiennent de bonnes relations avec leur patron lui empruntent de petites sommes, à 2 ou 4 % par mois jusqu’à la prochaine récolte, pour le paiement des impôts ou la fête du Têt, pour un décès ou une maladie. Des prêts à faible intérêt se pratiquent entre petits agriculteurs de même condition, apparentés ou non, s’aidant les uns les autres à franchir un mauvais pas. Le propriétaire avance à son fermier les semences, ou l’argent nécessaire, à 3 ou 4 % par mois. Dans de telles conditions le prêt est un service rendu.
67L’ancien taux légal annamite était de 3 % par mois ; c’est aujourd’hui encore l’intérêt normal des prêts consentis aux commerçants urbains réputés solvables ; la législation française a introduit un taux maximum de 12 % par an29, mais on la tourne en inscrivant sur la reconnaissance de dette la somme prêtée augmentée des intérêts jusqu’à l’expiration de l’emprunt. Dès que le petit exploitant s’adresse à un usurier, l’intérêt s’élève de 6 à 10 % par mois, si le prêteur a confiance ou si l’emprunteur donne des garanties foncières. C’est le taux le plus répandu. La somme prêtée est limitée par la surface cultivée et la prévision de récolte de l’emprunteur. On cherche s’il n’a pas emprunté ailleurs. Le prêt est parfois garanti (Thai-Binh) par la récolte prochaine : l’acte d’emprunt est rédigé comme un acte de vente de récolte sur pied.
68Chaque prêt comportant un risque de perte, on n’y consent qu’avec l’espoir d’une grosse plus-value ; aussi l’intérêt est-il d’autant plus élevé que la durée du prêt est plus courte ; on prêtera à 6 ou 10 % pour six mois, mais on demandera dans les mêmes conditions 15 à 25 % pour un mois ou deux. L’intérêt est d’autant plus élevé que la somme prêtée est plus faible, les garanties données par les gros emprunteurs étant plus sérieuses. A Ha-Dong, au-delà de 1 000 $, l’intérêt normal est de 2 à 3 % par mois. L’intérêt s’élève avec la demande, par exemple quand les réserves de paddy s’épuisent aux approches de la moisson ; il devient exorbitant à la suite de pertes de récolte : plus de 1 % par jour dans la province de Hung-Yên après les inondations de 1926 ; ou quand on sait que l’emprunteur en a un besoin pressant : 20 % par mois au petit métayer qui n’a plus de quoi manger. Quand l’intérêt devient excessif, le très petit propriétaire, sachant qu’il ne pourra se libérer, consent à vendre sa terre à réméré ou à l’hypothéquer.
69Lorsque le taux de l’intérêt est fixé par mois, tout mois entamé compte en entier : ainsi un prêt qui court du 20 du deuxième mois au 10 du cinquième mois, soit deux mois vingt jours, compte pour quatre mois (deuxième, troisième, quatrième, et cinquième mois). Enfin, certains prêts urgents contractés pour quelques jours – par exemple le ly tru’ởng qui a dilapidé au jeu l’argent de l’impôt – peuvent exceptionnellement porter intérêt à 3 ou 5 % par jour.
70Ce taux élevé favorise l’accroissement des fortunes existantes et la constitution des grandes propriétés, au détriment des petits agriculteurs endettés. Dans ces conditions, les emprunts pour les besoins normaux de l’agriculture sont impossibles. Ce sont plutôt des prêts à la consommation que des prêts à la production.
71La location de rizières dont le fermage est exigible, en totalité ou en partie, avant la mise en culture, n’est accessible qu’à ceux qui disposent de l’argent nécessaire : on préfère louer cher un buffle, à la journée ou à l’année, que d’emprunter pour en acheter un. Les emprunts pour ces usages ne sont possibles qu’aux banques de Crédit populaire agricole. Le crédit passe souvent par plusieurs mains : le petit usurier de village, qui possède quelques rizières et présente des garanties, emprunte aux grands usuriers des villes à 3 % par mois de l’argent qu’il prêtera de 6 à 10 % Les prêts en paddy se pratiquent, soit pour les semailles, soit plus fréquemment pour la consommation dans les mois qui précèdent la moisson, au moment où s’épuisent les réserves des petits exploitants. On prête quelques paniers sans intérêt à un voisin pauvre qui viendra vous donner un coup de main à la moisson, pour sa seule nourriture.
72Les besoins étant d’autant plus pressants que la récolte approche, le taux du prêt peut être le même pour trois mois ou pour quinze ou vingt jours. Le paddy du dixième mois ayant plus de valeur que celui du cinquième, et la disette se faisant sentir plus durement au printemps, un panier de paddy du dixième mois prêté de février à avril est rendu par deux paniers de paddy du cinquième mois en mai-juin ; tandis que dix paniers de paddy du cinquième mois prêtés en août-septembre donnent droit à treize ou quinze paniers de paddy du dixième mois en octobre-novembre. Le taux varie suivant la nature des relations entre les deux parties et la disette du paddy. Avec la baisse récente et l’instabilité des cours, les prêts en nature diminuent. On perd l’habitude, assez répandue dans le bas delta30, d’évaluer en paddy des prêts d’argent. Cette coutume était en faveur auprès des prêteurs quand le cours du paddy montait ; les paysans, peu habitués aux prix élevés, les considéraient comme exceptionnels et consentaient à gager un prêt d’argent par une quantité de paddy relativement élevée.
Le recouvrement des dettes
73Si le débiteur fait défaut à l’échéance, et qu’il y a des garanties foncières, le créancier prend possession de la terre, ou la fait vendre, ou accepte de renouveler le prêt contre engagement d’une plus grande surface de rizières. Si le prêt a été fait jusqu’à la récolte, le créancier vient se faire rembourser en argent ou en paddy dès la moisson terminée. Enfin, on use auprès du débiteur récalcitrant qui n’a pas donné de garanties de plusieurs moyens de pression. On envoie une sorte d’huissier réclamer la dette en faisant du scandale chez l’emprunteur. Ce khách nô ou nặc nô, vagabond à la solde de l’usurier, est une sorte de paria ; le métier qu’il pratique est très déconsidéré ; ses enfants, même s’ils s’enrichissent, seront toujours très mal vus ; il s’installe chez le débiteur qui doit le nourrir et lui fournir alcool, tabac et opium s’il en use, des pourboires (de 0,5 à 2 $). Il fait du tapage, ameute le voisinage et - suprême injure – insulte jusqu’à la mémoire des ancêtres. Alors la famille se saigne aux quatre veines pour réunir l’argent nécessaire au remboursement.
74On évite le plus souvent d’aller en justice : les sommes prêtées sont minimes, les frais élevés. On n’y va que pour faire un exemple et effrayer les autres débiteurs, si l’on en a beaucoup. Le tribunal fait saisir et vendre aux enchères les biens du débiteur et, par solidarité, les gens du village répugnent à se rendre acquéreurs. Sans recourir officiellement à la justice, les usuriers entretiennent, grâce à des cadeaux et des prêts d’argent parfois importants, les meilleures relations avec les autorités du canton (pour les petits usuriers, qui sont le plus souvent des notables dans leurs villages) et les mandarins chefs de circonscription ou de province (pour les grands usuriers des villes). On craint, si on ne rembourse pas, d’indisposer le mandarin tout puissant et grand ami de l’usurier. Parfois un paysan pauvre qui ne peut rembourser se libère en donnant à l’usurier sa fille comme concubine, ou en se vendant, lui-même ou ses enfants en bas âge, comme domestiques à vie. Ceux-ci sont nourris, logés et habillés mais ne reçoivent à peu près aucun salaire.
Le Crédit populaire agricole
75Les banques agricoles, en prêtant contre garanties immobilières à 1 % par mois, ont réduit sensiblement, là où elles existent, le taux d’intérêt pratiqué par les usuriers. La grande difficulté est de les rendre accessibles aux petits et très petits propriétaires, aux fermiers et aux métayers. Les frais accessoires, pour l’obtention des certificats administratifs et les déplacements, sont proportionnellement plus élevés pour les petits prêts. Les grands propriétaires consentent trop rarement à cautionner leurs fermiers.
76Chaque fois qu’un petit paysan a contracté un prêt contre engagement de terre, il a remis à l’usurier son titre de propriété. Seul ce dernier peut donc aller à la banque emprunter sur une terre qui ne lui appartient pas encore. De fait l’usurier, étant le plus souvent propriétaire, s’adresse à la banque pour obtenir de l’argent qu’il prêtera ensuite. C’est là une conséquence inattendue de cette institution, mais qu’on ne doit pas déplorer outre mesure : cela constitue une augmentation de la quantité d’argent offerte en prêt et aboutit à la diminution du taux de l’intérêt (de 5 à 10 % par mois à 3 ou 5 % à Ha-Dong, d’après M. Angladette). Certains empruntent pour jouer, ce qui est plus fâcheux. Les prêts aux collectivités (communes) pour l’exécution d’améliorations foncières : canaux et artérioles, digues, écluses, chemins ruraux, mise en valeur des lais de mer, et pour les greniers communaux sont à développer, car ce sont les plus utiles, ceux dont on peut le plus facilement contrôler l’emploi. La régularité avec laquelle la grande majorité des prêts consentis par les banques était remboursée jusqu’en 1930 atteste la viabilité de cette entreprise. Depuis la crise économique, on a de grandes difficultés à obtenir les remboursements mais il en est de même pour la plupart des prêts actuellement consentis dans le monde par les entreprises privées et en Indochine par tous les établissements de crédit. Les difficultés que rencontre cette institution proviennent surtout de l’organisation sociale du pays et du manque d’esprit de mutualité chez le paysan. Il faut chercher à l’adapter le mieux possible aux coutumes locales et surtout la rendre accessible au petit agriculteur. Dans l’ensemble, cette institution fait honneur à ses promoteurs, M. le Gouverneur général Alexandre Varenne et M. l’Inspecteur général de l’agriculture Yves Henry. Le sort du Crédit agricole est entre les mains des paysans annamites, qui lui permettront de durer s’ils font des efforts, pénibles il est vrai en ce moment, pour rembourser leurs emprunts. La Colonie ne pourrait continuer à garantir des prêts à fonds perdus.
LA COMMUNE ANNAMITE31
77Le Delta du Tonkin renferme sept mille villages, qui comptent en moyenne 900 habitants. Des agglomérations rurales peuvent grouper jusqu’à six mille personnes dans le bas delta. Enfoui sous ses arbres, bordé de mares et de fossés, entouré de la haie de bambous qui fait son orgueil, le village fait une tache d’ombre verdoyante sur la rizière. Il s’établit sur un point haut, pour éviter les inondations. La densité de la population est telle que les agglomérations sont à peine à un kilomètre les unes des autres, et que leur superficie occupe le dixième du delta ; il est vrai qu’avec les paillotes on y trouve des petits jardins, des vergers, des mares où poussent des plantes aquatiques, même des pépinières.
L’organisation de la commune
78Le village et la famille annamites sont les deux cellules de la vie sociale. Le paysan ne voit dans les circonscriptions territoriales que le mandarin ou le Résident dont il relève. Mais les habitants d’une commune constituent réellement une famille. En habitant la ville, on continue à faire partie de son village natal ; il faut trois générations dans une nouvelle résidence pour y jouir de tous les droits de cité.
79La commune a la personnalité civile, elle possède, achète, mais ne peut vendre que l’usufruit de ses terres. Elle loue parfois à de grands propriétaires des rizières, réparties entre ses habitants, en recouvrant les redevances qu’elle garantit. En cas de disette elle peut emprunter du paddy. Nous n’entrerons pas dans le détail complexe des groupements qui gouvernent le village : ancien « Conseil des notables » et nouveau « Conseil communal » désigné par les familles, créé en vertu de la nouvelle réforme communale32.
80Les autorités et notables du village jouissent d’avantages, moraux par la considération dont ils sont entourés, matériels par l’allégement des impôts, la dispense de garde, et surtout l’attribution des meilleures parts de rizières communales.
—Les charges communales
81En plus des impôts personnels et fonciers, mais perçus et répartis aussi par les autorités communales, le paysan supporte une série de dépenses d’intérêt public : entretien des digues et canaux intéressant la commune, maintenance de la pagode et de la maison commune, frais de fonctionnement d’une école élémentaire et d’une maison d’accouchement dans les gros villages, frais d’apprentissage du futur agent cadastral (tru’ởng bạ) de la commune, frais de déplacement du représentant de la commune convoqué par les autorités, etc. Si la corvée a été en principe supprimée et remplacée par une augmentation de l’impôt personnel33, en pratique elle subsiste pour certains travaux communaux : réfection de routes ou creusement de canaux, construction de la pagode du village, gardiennage quand il n’y a pas de veilleurs spécialisés34 . Autrefois, la corvée consistait plutôt à aller cultiver gratuitement les rizières du mandarin qu’à des travaux d’utilité publique. Cette coutume tend à disparaître, mais les habitants du chef-lieu de circonscription sont encore tenus, en Annam surtout, à de menues prestations. Le paysan contribue volontiers par ses offrandes en nature ou en espèces et son travail à la célébration des cérémonies rituelles : fêtes en l’honneur du génie du village ; grandes fêtes du printemps et de l’automne ; fête des moissons ; thu’ợ ng tân (fête du nouveau riz du dixième mois) ; đoản ngũ (le 5 du cinquième mois). Les cérémonies de caractère agricole sont à la charge du budget communal ou des propriétaires qui seuls peuvent espérer en bénéficier ; tels le tõng trung, pour chasser les chenilles qui attaquent le riz35, et la cầu đảo, pour demander la pluie en période de sécheresse persistante, ou le beau temps quand il y a menace d’inondation. Il faudrait y ajouter les fêtes de groupements, de hameaux, les repas donnés par les familles à l’occasion des enterrements, mariages, notification de titres honorifiques, fêtes pour lesquelles on aide ses voisins pauvres et auxquelles les notables sont souvent conviés. Tout cela, ajouté aux impôts et aux charges communales, constitue un fardeau bien lourd pour le petit paysan. S’il l’accepte volontiers, c’est qu’elles sont l’essentiel de sa vie sociale et sa grande distraction.
—les veilleurs
82La sécurité des habitants et des récoltes, la surveillance des digues et des écluses, sont assurées par une garde de nuit faite par les habitants à tour de rôle (notables exceptés), ou par un corps de veilleurs rétribués à la récolte ; ils reçoivent 10 à 15 kg de paddy ou un salaire du budget communal alimenté par une taxe de veille de 0,30 à 0,40 $ par mẫu de rizière et par an. Elles sont plus élevées dans les régions surpeuplées ou de cultures riches. Une taxe spéciale, dans les pays d’élevage, est payée pour la garde des buffles. Les taxes de veille sont généralement doublées pour les exploitants qui ne résident pas dans le village. C’est un moyen de se réserver les terres qui sont rares et de lutter contre la concurrence de la main-d’œuvre étrangère. Le propriétaire d’une grande partie des terres du village, qui en est pratiquement le maître, se dispense d’autorité de toutes les charges communales.
83Les rondes sont faites dans les champs à l’approche de la moisson ou quand les plants en pépinière sont bons à repiquer. Un paysan qui veut tenter dans son village une culture nouvelle mûrissant à une époque où personne n’a de récolte en danger, ne peut pratiquement le faire. Ainsi, dans les environs de Bac-Ninh, la culture des choux, qui semble rémunératrice, est limitée au territoire d’une commune où chacun prend la garde à son tour, par exemple une nuit par mois ; tandis que dans les villages voisins qui pourraient en produire celui qui commencerait devrait les veiller chaque nuit. Ainsi entre les habitants d’une même commune existe une solidarité des pratiques culturales. Les vols sont beaucoup plus fréquents en période de disette.
Les impôts
84Ils sont basés sur le nombre d’habitants, la superficie et la catégorie des terres mises en culture. Aussi le paysan est-il réfractaire aux statistiques et aux levés de terrain. Les villages sont imposés pour un nombre d’habitants ou de mẫu souvent différent de la réalité ; ils évitent le plus possible l’ingérence de l’Administration dans leurs affaires, et se considèrent comme redevables au Trésor d’une somme définie36 . Le taux de principe de l’impôt personnel est d’environ 2,5 $ par an pour les hommes âgés de 18 à 60 ans ; l’impôt foncier est de 1 $, 1,5 $ et 2 $ le mẫu pour les rizières de troisième, deuxième et première catégorie : la classification, arbitraire, ne correspond pas aux possibilités de production. Les habitations et les jardins, les terrains qui ne portent que des cultures sèches sont soumis à d’autres tarifs. Les impôts sont répartis par les autorités communales qui y ajoutent l’ensemble des charges communales (les dépenses pour les cérémonies rituelles et les veilleurs étant payées à part). Ces charges sont ajoutées à la taxe personnelle s’il y a beaucoup d’inscrits, aux impôts fonciers s’il y a beaucoup de rizières, ou à tous les deux à la fois. Il y a lieu d’y adjoindre les taxes personnelles que le village verse libéralement pour tous les hauts personnages qui en sont originaires, par crainte de l’autorité qu’ils représentent, et que les petits paysans supportent bien malgré eux. Les mandarins, les autorités de la province, de la circonscription et du canton, les membres de la Chambre des représentants du peuple, du Conseil de circonscription et du Conseil de réforme, les grands dignitaires du village (ly tru’ởng, maire, phó ly, adjoint au maire, tru’ởng bạ, chef des veilleurs) sont ainsi dispensés de l’impôt.
85Le grand propriétaire ne paie que la taxe foncière réelle, mais l’impôt par unité de surface est trop souvent d’autant plus élevé que la surface possédée est plus petite. Les petits propriétaires étrangers au village paient une taxe foncière encore plus élevée. Souvent, ils se groupent pour verser à la commune leurs impôts par l’intermédiaire d’un délégué, le phủ canh. Le paysan annamite est un bon contribuable, il fait tout son possible pour s’acquitter de ses impôts ; s’il ne peut pas verser à la date fixée, il emprunte à un parent, à son employeur, à son propriétaire, voire même à un usurier. Il vend son porc et ses volailles, dont les cours s’avilissent lors du paiement. La majeure partie de la classe la plus pauvre n’arrive pas à réunir l’argent nécessaire au paiement des impôts. Ceux-ci sont souvent acquittés par un parent ou un supérieur (patron, propriétaire) qui « dispose désormais d’un droit de priorité sur les services »37 de celui qu’il a obligé.
« C’est là une sorte d’esclavage de fait dont les pauvres se libèrent difficilement. Ces avances d’argent revêtent des formes spéciales qui lient indéfiniment les pauvres obligés de les accepter »38.
86Vers 1900, d’après M. Bernard, des Distilleries de l’Indochine, les cours du paddy s’affaissaient lors du versement des impôts. En ces dernières années, la baisse était beaucoup moins sensible, indiquant un paiement plus aisé et un accroissement de la fortune générale. Mais avec la crise ces oscillations reprennent de l’ampleur. Si l’impôt nominal est resté le même – le supplément pour les budgets provinciaux établi en 1931 étant compensé depuis 1933 par une réduction de 10 % du montant global – son fardeau est beaucoup plus lourd depuis la baisse du paddy. Une famille possédant un mẫu de rizière, payant une taxe personnelle et la taxe foncière s’acquittait ces dernières années de l’impôt et des charges supplémentaires en vendant 130, et même 100 kg de paddy ; il lui faut aujourd’hui 300 ou 400 kg, soit le tiers ou la moitié de ce que peut produire son mẫu de rizière s’il porte deux récoltes moyennes. D’où l’impérieuse nécessité d’une réduction à bref délai des charges du paysan.
87Déjà on signale que pour payer les impôts on a vendu à Phuc-Yên des enfants, à Nam-Dinh des droits à la petite part de rizières communales, seul moyen de subsistance de la famille39. Les impôts perçus après les moissons, quand les exploitants ont vendu leur paddy et que les salariés ont touché de fortes payes, sont plus faciles à acquitter. Comme les villages commencent la collecte bien avant de verser au Trésor et qu’en provoquant de fortes ventes de paddy aussitôt la moisson on risque d’avilir les cours, il convient d’attendre pour la perception le mois d’août là où dominent les rizières du cinquième mois et décembre - pas trop près des fêtes du Têt – là où il y a beaucoup de rizières du dixième mois. Dans les régions à deux récoltes, l’impôt le plus lourd (l’impôt foncier, sauf dans les villages surpeuplés) sera perçu en décembre et l’autre en août. La répartition de ces époques de perception devrait être faite par circonscription ou même par canton, une même province (par exemple, Hung-Yên, Hai-Duong, Ha-Dong, Bac-Ninh) englobant des zones de culture très différentes. A Java l’impôt personnel d’un florin (1,05 $) à la campagne et l’impôt foncier qui va de 8 à 12 % de la récolte, peuvent, depuis 1932, être versés en paddy que le gouvernement revend à Sumatra et à Bornéo, pays importateurs. Nous n’aurions pas osé, sans cet exemple, proposer ce mode de paiement qui, aujourd’hui, faciliterait aux riziculteurs Indochinois le versement de leurs impôts. Il serait plus aisément applicable en Cochinchine d’où ce paddy pourrait être exporté40.
Les rizières communales
88Les rizières communales datent de la dynastie chinoise des Tchéou41. C’était une institution de prévoyance :« [...] pour éviter l’exploitation du pauvre par le riche, le neuvième au moins de la terre devait rester bien communal et être réparti également entre tous les inscrits s’engageant à payer l’impôt personnel à l’État ». Ces rizières avaient été constituées pour assurer le paiement des impôts et l’assistance aux pauvres. L’exploitation des rizières communales se fait actuellement suivant deux procédés : la répartition et la location.
Répartition
89Une partie, dite « rizières de réserve », destinée aux futurs inscrits, au cas où leur nombre dépasserait celui des morts ou des vieillards, est louée pour couvrir certaines charges (entretien des pagodes, frais de culte, etc.)42. Le reste est réparti entre tous ceux qui paient l’impôt personnel normal, les « inscrits ». Ce système d’attribution, en principe supprimé par la réforme communale, au moins dans les grosses communes comptant plus de cinq cents inscrits ou ayant un budget de plus de 500 $, subsiste dans le bas delta (Nam-Dinh, Thai-Binh) où la population est dense et les rizières communales importantes (un quart, un tiers ou plus de la superficie). Les parts vont de quelques sào à un ou deux, rarement trois ou quatre mẫu. Dans la province de Nam-Dinh, la part moyenne est un peu inférieure à un mẫu.
90La répartition est faite depuis Gia Long tous les trois ou tous les six ans. Cette courte rotation empêche d’améliorer les terres et surtout de les fumer. Un petit paysan qui soignerait sa part la verrait, au partage suivant, attribuée à un notable. Aussi les rizières communales sont-elles moins fertiles. M. Chapoulard, Résident de la province de Nam-Dinh, estime leur rendement à la moitié de la normale et voit tout avantage à leur suppression. La partie la plus malheureuse de la population, qui pourrait émigrer vers des régions moins peuplées, est retenue au village par le droit à sa petite part de rizière communale qu’elle perd le jour où la famille quitte le village. Si le mari part seul, sa femme le conserve tant qu’il paie au village les impôts et les charges. Nous ne ferons pas nôtre cette conclusion absolue : dans l’état actuel des choses, ces propriétés collectives, inaliénables, sont insaisissables, à l’abri de l’accaparement par les usuriers. En augmentant la durée de la jouissance on inciterait l’usufruitier à améliorer le sol ; on pourrait imposer une rotation de dix ans, ou même une rotation à vie43.
91Ce système est appliqué avec succès dans la province de Son-Tây : les terres d’alluvions comprises entre les digues, dans le lit majeur du Fleuve Rouge, de la Rivière Noire et du Sông Bo, inondées chaque été et portant une culture l’hiver, sont considérées comme propriétés communales et réparties définitivement entre les habitants des communes riveraines dans les circonscriptions de Phuc-Tho, Quang-Oai et Bât-Bat. Mais nous ne nous dissimulons pas les difficultés d’une si simple réforme. L’action de l’administration dans les affaires intérieures de la commune est très faible. Il sera difficile d’empêcher un notable de reprendre, avant l’expiration de la rotation, la part bien fumée d’un petit paysan, ou de s’attribuer les meilleures rizières, proches des villages, à l’abri des inondations. On favoriserait l’émigration en laissant leur part de rizières communales à ceux qui partent et continuent à verser l’impôt et les charges dans leur village. La justice dans la répartition dépend de la mentalité des autorités du village. Les lots faits, les notables se servent les premiers ; leur part comprend des rizières mieux placées et souvent plus étendues : neuf sào pour six sào aux dernières parts est une inégalité courante à Nam-Dinh. Les notables servis, le reste de la population choisit suivant un ordre modifié à chaque répartition. L’arpenteur habile et sans scrupules peut, en soustrayant un petit morceau à chacun, obtenir à la fin du partage quelques sào qu’il loue pour son compte.
— Location
92D’après la nouvelle législation, les rizières communales doivent être louées aux enchères. Ce système est surtout appliqué dans les provinces où elles occupent une faible surface : Bac-Giang, Vinh-Yên, Phuc-Yên, Son-Tây, Ha-Dong. La location est généralement faite pour une à cinq années, payable d’avance, aussi la plus grande partie est louée par les notables ou les gros propriétaires, qui seuls disposent des capitaux nécessaires ; par contre le prix de location n’est que les deux tiers ou trois quarts du cours normal. L’argent de la location sert à payer les impôts fonciers de la surface affermée, le surplus alimente le budget communal. L’importance de la surface louée et la durée du bail dépendent des besoins d’argent du village. Par exemple, en 1928, le village de Phu-Nhi (circonscription de Phuc-Tho, province de Son-Tây) ayant eu à se procurer une forte somme pour réparer sa pagode, loua les trente mẫu de rizières affectées à son entretien, à raison de 15 $ par mẫu et par an, les dix années de location étant exigibles immédiatement. Le locataire avait en plus à sa charge les impôts fonciers et a dû faire aux notables des cadeaux en espèces d’environ 3 $ par mẫu. L’accaparement, à un taux de location réduit, des rizières communales nous montre le danger que présenterait cette pratique, dans les régions surpeuplées où ce type de propriété est très répandu. Une amélioration serait obtenue en attendant la récolte pour exiger tout ou partie du fermage ou, si l’on craint la carence du locataire, en faisant seulement verser d’avance la moitié du loyer d’une campagne : grâce à ces mesures, le petit exploitant pourrait essayer de louer, si les autorités du village séduites par certains postulants n’entravaient pas le libre jeu des enchères. Malgré ces abus, la répartition est bien préférable.
Les autorités mandarinales
93Le mandarin, « père et mère du peuple », est encore, pour beaucoup de paysans, la source de toute autorité. Toute relation avec lui est coûteuse. Le meilleur laisse en paix ses administrés, se contentant d’agréer les cadeaux offerts ; on ne le comprendrait pas et on le respecterait moins s’il n’acceptait pas ces hommages. Les autres cherchent à augmenter les visites fructueuses du dân44 au chef-lieu de circonscription, et même provoquent les cadeaux par des menaces subtiles, très déguisées, mais bien comprises des intéressés...
94Ces prélèvements sont accrus de ceux d’une foule de satellites avides : le planton qui laisse entrer, le scribe qui rédige la requête du paysan illettré, l’employé de bureau qui promet une prompte solution, l’ami soi-disant influent, etc.
95Nous avons déjà signalé les bons rapports que les usuriers cherchent à entretenir avec les autorités mandarinales. Une personne reçue de temps à autre se fait passer aux yeux du paysan pour un intime et peut ainsi acquérir une puissance redoutable ; les mandarins doivent veiller sur leurs relations. Souvent d’ailleurs leur famille – ou celle du chef de canton – fait de l’usure, directement ou par personnes interposées ; les femmes sont expertes en cet art ; elles arrivent ainsi à constituer des domaines dont on dissimule l’importance en mettant une partie des terres sous le nom de parents plus ou moins éloignés, de concubines ou même de domestiques.
96Les concubines d’Européens, avec l’argent de ces derniers, et les usuriers font de même ; c’est ce qui masque l’importance du mouvement de concentration des propriétés. Si, de son gré ou suivant des directives, le mandarin s’intéresse au sort du cultivateur, il peut beaucoup l’améliorer. Nous avons vu ces dernières années, sous l’impulsion énergique de M. Bary, Résident de Thai-Binh, les conditions de la culture du riz grandement améliorées par la création de canaux, digues et écluses, le curage et l’aménagement des ouvrages existants, sans charger le budget. Un effort a été demandé aux populations, qui, se rendant compte de son utilité, ont répondu volontiers. D’ici quelque temps, les trois quarts des rizières de la province porteront deux récoltes à peu près sûres.
L’AMÉLIORATION
L’élévation des rendements
97Le premier objectif est de faire produire plus au Delta, afin d’alimenter convenablement ses habitants. Les possibilités d’extension des terres cultivables étant limitées, il faut élever la production unitaire des rizières. Le problème n’est pas du tout le même en Cochinchine, qui travaillant pour le marché, doit viser à améliorer la qualité et à diminuer le coût de production de son paddy. Le prix de revient le plus bas, contrairement à une croyance générale, ne s’obtient pas toujours par la production unitaire maxima.
98Rappelons, selon la loi du rendement moins que proportionnel, que les dépenses pour obtenir une élévation donnée du rendement croissent avec la production. Cette nécessité d’augmenter les rendements élèvera peut-être le prix de revient, rendant plus difficile l’écoulement au dehors du paddy tonkinois. L’Amérique du Nord, l’Argentine, l’Australie produisent le blé à bon marché avec 8 à 10 qx/ha. L’Asie tropicale, avec 10 à 16 qx/ha, obtient son riz à plus bas prix que l’Italie, avec plus de 50 qx/ha.
Le manque de capitaux et la coopération
99Le Tonkin est un pays si pauvre que la sapèque actuelle valant 5 centimes est une division monétaire trop forte pour les menus achats journaliers. Les quelques grosses fortunes existantes sont de grandes propriétés terriennes rassemblées par des mandarins ou des usuriers, souvent hypothéquées : la crise en a montré la fragilité.
100La bourgeoisie représente une fraction infime de la population : commerçants peu sûrs du lendemain, industriels et entrepreneurs de travaux publics et surtout fonctionnaires. La plupart des jeunes gens cultivés désirent une charge publique. Le manque de capitaux entraîne l’exagération du taux de l’intérêt et arrête les améliorations techniques à rendement différé. Celui qui dispose d’un peu d’argent préfère le prêter à son voisin : les capitaux engagés dans les améliorations agricoles sont un placement trop peu productif. On achète de la terre comme on enfouirait des pièces d’argent, pour thésauriser, sans tenir compte de l’intérêt rapporté. D’autre part la grande majorité des exploitants cultive une très faible surface et n’est pas sûre de manger jusqu’à la prochaine récolte : on ne peut lui demander un effort financier qui ne soit pas du même ordre de grandeur que les dépenses courantes. Un outil agricole qui coûte plus de 5 $ (50 francs) ne peut être acheté que par une petite minorité d’exploitants : au-dessus de 10 ou 20 $ il n’intéresse plus que les grands propriétaires et les collectivités. Le remède à cette pénurie de capitaux est la coopération appuyée sur le seul groupement annamite cohérent : la commune. Le village qui fait aménager ou curer des canaux fait déjà de la coopération, et c’est vers l’aménagement hydraulique que les premiers efforts devront se porter.
101Mais beaucoup de ces travaux intéressent plusieurs communes et nous voilà conduits au Syndicat intercommunal bien plus difficile à réaliser : qui dit villages voisins dit trop souvent villages ennemis. Rappelons les charges supplémentaires imposées au cultivateur étranger. Les travaux importants seront exécutés sous la direction de l’Administration qui les répartira entre les communes. Pour diriger des syndicats agricoles régionaux, il faudrait de fortes individualités, désintéressées, unanimement respectées, au courant des besoins de l’agriculture. Or, de telles personnalités sont fort rares ; les gros propriétaires sont généralement trop intéressés et souvent ignorants de la pratique agricole.
La surpopulation et la protection de la petite propriété
102Pour laisser du travail à cette population, dont l’accroissement exagéré est une grave menace pour l’avenir, nous hésitons à proposer le remplacement du travail de l’homme par celui des machines d’autant que le paiement du matériel nécessaire amènerait une exportation des capitaux déjà si rares. Nous rejetterons cependant les travaux inutiles, les pertes de temps, et indiquerons les procédés susceptibles de réduire l’énergie humaine employée. En parallèle nous étudierons une série de travaux : productifs qui prendront plus que le temps économisé ailleurs. La surpopulation fausse le libre jeu des lois économiques, maintenant le loyer du sol à un taux exagéré45. La baisse des fermages est aussi souhaitable que celle du taux de l’intérêt ; on l’obtiendra par des moyens indirects plutôt qu’avec une loi ou un règlement. L’extension des grandes propriétés est plus dangereuse encore dans le Delta du Tonkin surpeuplé, qu’en Cochinchine, où la main-d’œuvre rare peut se montrer plus exigeante. Et pourtant le gouvernement de la Cochinchine a pris récemment une série de mesures favorisant la constitution de la petite propriété. Il faudrait au Tonkin se préoccuper de son maintien, de son établissement sur les terres neuves et de sa protection là où elle est en voie de régression (Hung-Yên, Thai-Binh). Les empereurs annamites n’hésitaient pas à prendre dans ce but des mesures qui seraient aujourd’hui qualifiées de révolutionnaires : une ordonnance de Minh Mang datant de 1840 :
« [...] conviait les grands propriétaires à céder sans indemnité les 3/10e de leurs rizières à leur village respectif, pour augmenter la surface des rizières périodiquement réparties entre tous les habitants ».
103On favorisera le maintien des petits propriétaires, en leur facilitant l’accès aux banques agricoles, où ils trouvent de l’argent à bon marché. La constitution de « biens de famille insaisissables et incessibles », loi du 12 juillet 1909 renforcée, rendue obligatoire pour les propriétés inférieures à deux mẫu par exemple, rendrait de grands services ; on se heurterait peut-être à l’hostilité même des bénéficiaires éventuels, qui ont trop souvent besoin d’emprunter sur leurs biens pour manger. De même, la suggestion de M. Ly Binh Huê de favoriser la constitution de petites et de moyennes propriétés par rachat au moyen de prêts à faible intérêt contractés dans des conditions analogues à celles des lois françaises du 10 avril 1908, du 5 août 1920 et du 8 décembre 1922 ne nous paraît pas applicable sur une échelle importante, surtout dans les circonstances économiques actuelles. Le prix des terres du delta est trop élevé, les petits exploitants auraient trop de difficultés à rembourser les avances consenties. Par contre les terres neuves, que le seul travail rend productives, devraient être partagées en propriétés petites, moyennes ou collectives.
***
104Aucun progrès sensible ne pourra être réalisé tant que le delta portera un excès de population, qu’il ne peut, dans les conditions économiques actuelles, nourrir convenablement, ni occuper normalement. Tous les perfectionnements de la technique agricole que nous indiquerons dans les chapitres suivants ne pourront avoir, sur l’élévation du standard de vie du paysan annamite, autant de répercussion que l’amélioration des conditions économiques de culture46.
Notes de bas de page
1 Cf. la carte de la densité de la population dans Le Tonkin par P. Gourou.
2 Hommes âgés de dix-huit à soixante ans.
3 Quarante pour cent de moins de quinze ans ; on compte même à Ha-Dong quatre cents enfants de moins de quinze ans pour cinq cent trente adolescents et adultes.
4 L’Économie indochinoise et la grande crise universelle (1934).
5 Ancienne monnaie d’argent, la piastre ($), qui vaut 100 cents, a été stabilisée à l’équivalence de 10 francs depuis 1930, donc rattachée à l’or. (A ne pas confondre de nos jours avec le dollar américain qui n’est pas utilisé dans cet ouvrage. La piastre a, depuis l’indépendance, été remplacée par le dông, monnaie nationale du Vietnam [NdÉ]).
6 Empereur d’Annam, fondateur de la dynastie des Nguyên, début du XIXe siècle, qui a promulgué un « code civil » teinté de « confucianisme conservateur » [NdÉ].
7 Nous ne pouvons parler de cette question sans rappeler l’œuvre de M. Crevost qui a consacré sa vie au développement de ces industries.
8 Plus spécialement dans les circonscriptions de Luc-Nam, Nha-Nam et Hiep-Hoa.
9 Cf. Le Régime des concessions domaniales en Indochine, par Ly Binh Huê (1931, p. 59, 72-73 et passim).
10 La propriété, en droit annamite – supérieur en cela au droit français – est un droit d’usage qui admet de fortes restrictions, contrairement au jus utendi et abutendi, « droit d’user et d’abuser » du droit romain, base de notre Code. La terre appartient à l’État qui doit veiller à ce qu’elle reste utilisée et l’occupant n’en reste le bénéficiaire qu’autant qu’il justifie de cette utilisation. De même la loi morale réprouve la destruction de produits utiles d’alimentation ou d’habillement. « Le gaspillage des biens du Ciel est un grave péché, sinon un crime » (« phì của trờ i phẚί tội »). Beaucoup d’économistes européens devraient tirer profit de ces maximes (extraites d’articles de M. Nguyên Van Vinh dans L’Annam nouveau).
11 Cf. la très intéressante conférence de M. Jeannin : « Quelques aperçus sur la colonisation annamite dans les régions maritimes » prononcée en 1933 à la Société de géographie de Hanoï et parue au Cahier n° 25 de la Société.
12 Ce qui ne leur a pas réussi ces dernières années. Les planteurs de la périphérie du delta qui mettent en valeur des terres incultes et procurent du travail supplémentaire ont au contraire un rôle utile.
13 Cf. Économie agricole de l’Indochine, p. 631-636.
14 Tous les prix indiqués : valeur de la terre, loyer du sol, salaires, coût des instruments agricoles, sont, sauf spécification contraire, ceux de 1930-1931, époque à laquelle nous les avons recueillis. Une nouvelle enquête serait très longue et, dans la période actuelle de variations désordonnées, elle n’offrirait pas grand intérêt.
15 Le mẫu, unité de surface annamite, vaut au Tonkin 36 ares et en Annam 50 ares ; le sào en vaut le dixième. Dans la suite du livre, ces termes se rapportent toujours aux unités tonkinoises, soit respectivement 36 ares et 3,6 ares. (Les équivalence par rapport à l’hectare sont donc de 2,8 mẫu et de 28 sào, souvent arrondies à 3 et 30 [NdÉ]).
16 C’est une des raisons des difficultés de recrutement des coolies pour les plantations du Sud-indochinois, qui donnait d’ailleurs lieu à des pratiques répréhensibles.
17 On peut évoquer les « fermiers généraux » qui représentaient autrefois les propriétaires auprès de nos métayers du Bourbonnais et de la Nièvre.
18 Au-dessous de ce rendement, il est préférable de ne plus cultiver.
19 Remarquons encore le danger que présenterait une aggravation de la situation dans l’avenir.
20 Cf. le Compte rendu des travaux 1928-1929 de l’Inspection générale de l’agriculture, de l’élevage et des forêts : « Notes sur les conditions de la production et du commerce du riz au Japon » par M. de Visme (Bulletin économique de l’Indochine, 1930).
21 A propos des relations entre propriétaires, fermiers et métayers, le père Arthur Seyers, dans son livre La Chine, écrit : « Les riches, qui sont en Chine les plus puissants, ont rendu les lois tellement odieuses et les ont si bien calculées, que tous les avantages sont pour eux. Et les inférieurs sont bien obligés de remédier à toutes ces injustices par des mensonges et des tromperies. » (p. 76).
22 Délimitation administrative vietnamienne correspondant au phủ, mais en zone de montagne, ou « préfecture de montagne » [NdÉ].
23 Sans introduire telle que la législation française de 1898 sur les accidents du travail, on pourrait prévoir une indemnité ou une petite rente pour les invalides ou la veuve et les enfants au dessous de 15 ans.
24 Un bol correspond en moyenne à 350 ou 375 g de riz.
25 « Propos d’un colon sur la main-d’œuvre au Tonkin » (Revue indochinoise, 1913).
26 Nous avons consulté le rapport sur le crédit et sur les revenus des capitaux agricoles, adressé par M. Angladette, directeur de la Banque de crédit populaire agricole de Ha-Dong, à l’Inspection générale de l’agriculture, de l’élevage et des forêts.
27 Beaucoup de prêts sont contractés pour régler une dette antérieure.
28 Enquête de 1930-1931.
29 Réduit à 8 % en juin 1934.
30 Et très pratiquée en Cochinchine.
31 Cf. La Commune annamite par M. Rouilly (1929) et La Commune annamite au Tonkin par P. Ory (1894).
32 Cf. à ce sujet l’excellente étude sur le village annamite de M. Nguyên Van Vinh parue dans une série de numéros de L’Annam nouveau en 1931. A propos de la réforme communale, consulter les arrêtés du Résident supérieur au Tonkin du 12 août 1921 et du 25 février 1927.
33 Cette mesure, généralement populaire, a représenté une aggravation de charges pour les plus pauvres qui préféraient fournir quelques journées de travail en morte saison.
34 Et pour l’apport de drapeaux le long de la route que doit suivre un haut fonctionnaire, coutume que l’on ferait bien de supprimer, car elle fait perdre inutilement beaucoup de temps.
35 M. Nguyên Vanh Vinh prétend qu’en l’absence de moyens pratiques de lutte contre les insectes, il faut laisser ces croyances aux paysans. Nous estimons au contraire qu’elles détournent son attention des moyens de lutte effective (cf. l’étude de J. Nanta sur les parasites et maladies en appendice 1).
36 « Phép quan chẳng qua lệ làng : la loi du gouvernement ne prime pas les usages de la commune ».
37 D’après l’article sur l’impôt personnel de M. Nguyên Van Vinh (L’Annam nouveau, mars 1933).
38 D’après le même article.
39 L’Annam nouveau de juillet 1934 proteste contre le zèle du quan phủ (mandarin de préfecture) de Hai-Duong qui ferait vendre à vil prix cheptel et rizières pour l’acquittement des impôts.
40 On peut demander à l’Administration un effort en faveur des riziculteurs quand on voit tout ce qu’elle a fait pour les planteurs d’hévéas.
41 De 1123 à 255 avant J.-C.
42 Après soixante ans on n’a plus droit aux rizières communales, sauf dans les villages où leur étendue peut permettre de donner une moitié ou un tiers de part aux plus de soixante ans.
43 Jusqu’à soixante ans.
44 Jacques Bonhomme, « le peuple ».
45 La forte baisse de ces dernières années n’a été obtenue que par la misère générale ; elle ne durera peut-être pas.
46 Si peu de dépenses que nécessitent les améliorations que nous proposerons, certaines en demandent trop pour la période actuelle d’extrême pénurie monétaire. Nous pouvons espérer qu’on reviendra à une situation comparable (mais jamais semblable) à celle de 1929-1931, quand le règne actuel des absurdités et des contradictions économiques aura pris fin.
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