Chapitre 6. « Qui sème le vent récolte la tempête1 » : de l’opposition « canonique » à l’opposition « politique »
p. 167-196
Texte intégral
1Les évêques s’étant soumis au pape, chacun s’interroge sur l’attitude du gouvernement. Au conseil des ministres du 11 septembre, Briand trace une feuille de route : les églises ne seront pas fermées à l’échéance du 11 décembre 1906. Le ministre met en avant un nouvel argument : l’article 13 de la loi de 1905 donne un délai de deux ans aux associations cultuelles pour réclamer les édifices du culte. Leur désaffectation ne pourrait donc intervenir qu’en décembre 1907 – cette position, pour Allard, « confond affectation et usage ». En fait, l’ancien rapporteur veut disposer du temps nécessaire pour parvenir à une solution.
2Si, selon le Conseil d’État, l’exercice public du culte suppose la formation d’associations cultuelles, le pouvoir politique garde le droit de le réprimer ou de le tolérer. Comme Clemenceau, Briand penche pour la tolérance : on laisserait les églises à la disposition du clergé, en adaptant aux cérémonies cultuelles la loi de 1881 instaurant la liberté de réunion2, afin que les messes puissent se dérouler calmement. C’est renoncer à une disposition essentielle de la loi (la création de cultuelles) et instaurer un cadre nouveau, solution conciliante à l’impasse, même si elle soulève certaines difficultés pratiques, qu’un long débat à la Chambre (du 5 au 13 novembre) met en lumière. En revanche, le gouvernement annonce l’application de la restriction prévue par l’article 9 : « à défaut » d’associations cultuelles, les biens ecclésiastiques, dont Briand estime les revenus annuels à 12 millions (Le Matin, 9 septembre), se trouveront mis sous séquestre (les églises gardant les objets mobiliers indispensables à l’usage du culte).
3En fait, la réaction gouvernementale est marquée d’ambivalence. L’encyclique déplaît fortement mais, en même temps, elle impressionne : par objection de conscience, en quelque sorte, la décision du pape (comme les intransigeants le prévoyaient) oblige l’Église catholique à renoncer aux « avantages » donnés par la loi de 1905. Le refus des cultuelles n’est donc pas sans « grandeur » (dixit Clemenceau et Briand). Cependant, début décembre, le rejet pontifical de la solution de rechange (la loi de 1881 aménagée) met fin aux espoirs liés à l’incise de Gravissimo comprise comme l’acceptation du « droit commun ». Il ne s’agit plus seulement, cette fois, d’affirmer une impossibilité théologique d’appliquer la loi de 1905, mais d’engager un bras de fer politique : le Vatican veut pousser la République à choisir (ce qui est ruineux pour elle) entre négocier avec lui ou en arriver à une « persécution ». Les ministres parlent maintenant d’une « rébellion ». La plupart du temps sous-estimé, le second véto papal marque un tournant capital, du moins dans le cadre d’une histoire politique de la Séparation.
Le retour du débat sur la liberté de conscience
4Après Gravissimo, la décision du gouvernement de laisser les églises à l’usage du culte catholique était assez prévisible et certains républicains la récusaient à l’avance. Selon La Lanterne (9 septembre), en refusant les « libéralités » de la loi, l’Église catholique « perd le droit de pratiquer ses cérémonies dans des édifices ouverts au public ». Certes, elle espère « la résistance des fanatiques », cependant, elle sera défaite : « La France est mûre pour la décatholicisation. Elle se serait accommodée du régime très libéral que la loi avait institué. Mais, puisque l’Église veut la guerre, la France républicaine peut l’accepter. Elle ne sera mortelle que pour l’Église. »
5Le quotidien campe sur cette position, se moque du « refrain hebdomadaire » des ministres, affirmant qu’on laissera les « églises ouvertes » (10 octobre), riposte en écrivant que leur fermeture ne violera nullement la liberté religieuse, car « on peut prier ailleurs que dans des édifices publics » (13 octobre). Depuis la proposition Pressensé, cette idée est défendue par une partie de la gauche et de l’extrême gauche : les libres-penseurs louent des salles pour tenir leurs réunions, les catholiques apprendront à faire de même. Tout le monde se veut favorable à la liberté de conscience ; son contenu est l’objet d’un débat intrarépublicain. Et la situation nouvelle génère des paradoxes car, selon Le Temps (28 août), certains libres-penseurs « supplient le pape de ne pas empêcher les catholiques français d’aller à la messe ».
6Selon Jaurès (L’Humanité, 3 septembre), à défaut de la « liberté vêtue de privilèges » inscrite dans la loi, il faut accorder aux catholiques « la liberté toute nue », en leur donnant la possibilité d’exercer le culte dans le cadre du « droit commun […] de toutes les croyances ». Le leader socialiste comprend mal l’inquiétude d’une partie des républicains : le diktat du pape entraîne « pour l’Église des pertes immenses, irréparables » ; désormais, le prêtre « vivra presque au jour le jour de ressources toujours fuyantes ». Il n’obtiendra l’usage des édifices religieux qu’en négociant les conditions de l’exercice du culte avec les conseils municipaux. Le député du Tarn suggère une mise à disposition des églises pendant cinq ans (idem, 2 octobre).
L’article 4, de nouveau un enjeu crucial
7À part l’aile extrême de la libre-pensée, la décision gouvernementale de laisser les églises ouvertes rencontre un large acquiescement. En revanche, pour certains radicaux, l’article 4 ne semble plus de saison. Auteur de l’amendement hostile à cet article en 1905, Charles Dumont (Prost 1964) affirme (Le Matin, 25 septembre) qu’avec l’obligation de se conformer à « l’organisation générale » de son culte, aucune « association cultuelle [catholique] ne peut se former en France sans l’agrément du pape »3, lequel les interdit. Cette concession « humiliante » ayant été inutile, il faut autoriser les catholiques à « recueillir l’héritage des biens ecclésiastiques » en formant des associations cultuelles (dissidentes).
8Ce débat n’a rien de théorique car deux paroisses rurales ont créé des associations cultuelles dans les villages de Culey (Meuse) et Puymasson (Lot-et-Garonne), qui acquièrent ainsi une notoriété nationale. En outre, deux ligues ont été fondées avec le même objectif.
9À Culey, l’évêque de Verdun, Mgr Dubois, avait ordonné à l’abbé Hutin de quitter sa paroisse, suite à de « graves accusations » jugées calomnieuses par l’abbé. Selon lui, son tort consistait à refuser de recevoir en dépôt le journal La Croix meusienne et à être considéré par le maire comme un « curé républicain ». Quoi qu’il en soit, l’évêque nomma, en octobre 1905, l’abbé Richard prêtre de la paroisse et l’abbé Hutin dut partir… avant de revenir, le 31 décembre, soutenu par un nouveau maire et la majorité de la population. L’abbé Richard tente alors d’interdire l’accès de l’église au prêtre dissident, « en vertu de l’article 4 de la loi de séparation ». Il doit, cependant, transiger, et deux offices sont célébrés dans l’édifice. Une association cultuelle se forme avec l’abbé Hutin, et la fabrique décide de lui transmettre ses biens. Hutin déclare au Figaro (4 octobre) : « L’article 4 est une infamie […] s’il dénie à d’honnêtes paroissiens le droit d’organiser le culte selon la loi. »
10À Puymasson, l’abbé Cavaillé s’est trouvé en conflit avec les vicaires capitulaires d’Agen, administrant le diocèse en l’absence d’évêque. D’après lui, on lui reprochait d’avoir fondé une Amicale de desservants, d’être abonné à La Dépêche et d’avoir pris le parti du Japon lors de la guerre russo-japonaise. Soutenu par la plupart de ses paroissiens, il officie dans l’église paroissiale, un prêche étant assuré dans un local privé par le curé d’un village voisin pour les personnes restées fidèles à l’évêché. Le nouvel évêque, Mgr Sagot du Vauroux, affirme qu’il lèvera l’interdit si l’abbé change de paroisse. Cavaillé refuse et fonde une cultuelle à laquelle la fabrique transmet ses biens (à la suite de la loi du 2 janvier 1907, le préfet lui interdira, en avril, l’accès de l’église communale).
11Le JO du 25 septembre avalise la création de ces deux cultuelles. Cependant, pour les catholiques « romains », l’article 4 doit empêcher la transmission des biens ecclésiastiques aux cultuelles « schismatiques ». Allard approuve (La Lanterne, 3 octobre) : l’article 4, « détestable si l’Église acceptait la loi […], devient bon aujourd’hui » car, en l’absence d’associations cultuelles « réellement catholiques », il va permettre aux communes de récupérer les biens. Le député SFIO demande à Briand d’effectuer un recours contre les deux cultuelles auprès du Conseil d’État, instance qui, selon l’article 8, doit trancher en cas de conflit dans la transmission des biens. Une proposition identique est également effectuée (plus logiquement) par le député de l’ALP, Denys Cochin : le ministre doit veiller à « l’exacte exécution » de la loi de séparation.
12L’article 8 prévoit le cas où l’attribution des biens serait réclamée par « plusieurs associations formées pour l’exercice du même culte ». L’association s’estimant lésée peut contester cette attribution devant le Conseil d’État. Dans le cas présent, il ne peut exister d’association conforme à l’« organisation générale du culte » catholique réclamant les biens (et gagnant le litige) puisque le pape les a interdites. En conséquence, Pelletan (Le Matin, 2 octobre) rétorque à Cochin : le législateur a donné les moyens d’empêcher l’attribution des « biens du culte » à des associations dites schismatiques, mais quand « on refuse de reconnaître une loi, on renonce […] à la ressource d’en bénéficier. Ah, les habiles gens du Vatican n’avaient pas prévu cette conséquence de l’encyclique ! Tant pis pour eux, c’est leur affaire »4.
13Briand fait la sourde oreille aux demandes qui lui sont faites. Néanmoins, un conseiller municipal de Culey effectue un recours, puis abandonne son initiative. Si un arrêt du Conseil d’État avait pu donner la garantie que « la divine constitution de l’Église » était « en pleine sécurité » (selon l’exigence de Gravissimo), le jeu en eût valu la chandelle5. Ce n’était pas le cas. Recevant Maizière en audience, le pape affirme que le Christ lui-même a « condamné la loi ». L’interdiction restera donc « absolue », sauf si les Chambres la modifient (Le Gaulois, 28 septembre). Certains objectent qu’un arrêt des juges du Palais-Royal a valeur de quasi-loi, mais l’Osservatore Romano (25 octobre) estime insuffisante cette assurance éventuelle. Dans ce contexte, la création de « cultuelles catholiques » constitue un moyen de pression.
Les associations cultuelles catholiques
14Deux ligues sont fondées (Appolis 1963 ; Larkin 1964 ; Chantin 2005, 2022). Leurs stratégies divergent et cela va les affaiblir. La première, nommée Secrétariat des associations cultuelles catholiques, affirme vouloir éviter « l’interruption » du culte catholique. En fait, son initiateur, Félix Meillon, ancien aumônier de lycée à Paris et à Marseille, a abandonné la prêtrise pour devenir pasteur. Il dirige L’Œuvre des prêtres (destinée à faciliter le passage de prêtres dissidents au protestantisme) et la quitte pour se consacrer à ses nouvelles fonctions.
15Soutenu un temps par Clemenceau (adversaire de l’article 4 !), le Secrétariat préconise une « réforme religieuse interne au catholicisme ». Son programme prévoit la gratuité des services religieux, l’indépendance des paroisses se fédérant entre elles à l’échelle nationale, l’élection des évêques, le mariage des prêtres et le « loyalisme républicain » du clergé (Pommarède 1976 : 556). C’est donc une entreprise clairement « schismatique ». Hutin et Cavaillé y adhèrent, ainsi que l’abbé Cuenin, curé de Bourgvilain (Saône-et-Loire). Le Secrétariat envoie une publication, L’Avènement (appelée, par ses adversaires, « L’Avortement »), aux municipalités et aux desservants de paroisses rurales.
16Le second organisme, la Ligue des catholiques de France, veut, en revanche, rester dans le cadre du catholicisme romain. Le Matin (qui la soutient) annonce sa création les 15 et 18 septembre, par des articles de son fondateur Henri des Houx (pseudonyme de Henri Durand Morimbau), publiciste, ancien catholique intégraliste, rédacteur en chef du Journal de Rome dans les années 1880. Ce légitimiste tôt rallié à la République a rédigé une Histoire de Léon XIII.
17La Ligue lance un « Appel » à tous ceux qui, « fermement attachés à la foi catholique », veulent cependant « obéir aux lois de [leur] patrie ». Selon elle, des « jésuites allemands » influencent le Saint-Siège et souhaitent déchaîner « la guerre religieuse » en France. Leur objectif consiste à « supprimer l’exercice public du culte […], expulser des paroisses le clergé séculier, […] et réduire nos évêques au rang de simples vicaires apostoliques, comme chez les sauvages [sic] ». L’Appel reprend l’argument des catholiques transigeants : il ne s’agit pas de donner à la loi « l’adhésion de vos consciences », mais de « vous en servir » pour conserver « les biens ecclésiastiques » et « la possession perpétuelle et gratuite des édifices sacrés ».
18Briand se montre tout d’abord favorable à l’entreprise : peut-être
permettra-t-elle à des catholiques de constituer des associations cultuelles dans un nombre non négligeable de communes, rendant plus difficile la position des évêques. Néanmoins, son proche collaborateur, le protestant Louis Méjan, donne, lui, des instructions « pour maintenir les églises entre les mains des curés légitimes » (cité par Méjan 1959 : 361).
19Selon les statuts types édités par la Ligue, les paroissiens de tel ou tel lieu constituent une « Association fabricienne catholique » (l’appellation des évêques est reprise) pour « transmettre intacte » à leurs enfants la « religion de leurs ancêtres ». Ils croient aux « dogmes enseignés par l’Église catholique, apostolique et romaine6 » et ils s’engagent, « dès que la loi les aura mis en possession du patrimoine sacré de la paroisse », à s’adresser « à l’ordinaire du diocèse afin de le prier de pourvoir au ministère du culte public ». C’est, paradoxe difficile à réaliser, affirmer obéir à une hiérarchie qui ne veut pas d’eux : l’Osservatore Romano désavoue la Ligue dès le 19 septembre. Le 2 octobre, lors du pèlerinage français à Rome, Pie X laisse entendre que le Saint-Siège fera « les sacrifices pécuniaires nécessaires à l’entière soumission du clergé » (Méjan 1959 : 358).
20Par ailleurs, Paul-Henry Decker-David, député-maire d’Auch (Gers), radical-socialiste et franc-maçon, fonde une « cultuelle municipale » en vue d’assurer la continuité des offices et la transmission des biens des églises de la ville, sans intervenir dans les « affaires religieuses », comme il le précise à l’archevêque, Mgr Énard (Le Siècle, 24 octobre). Le prélat rejette l’initiative : tout paroissien membre de cette association cultuelle sera excommunié, privé de sépulture religieuse. Des municipalités de la Gironde, du Gers, des Basses-Pyrénées tentent de suivre cet exemple, mais se heurtent à une opposition résolue du cardinal Lecot et à l’absence de soutien gouvernemental.
21Selon Chantin (2022 : 268), 21 associations cultuelles ou fabriciennes se créent en octobre 1906, 67 en novembre et 58 en décembre. On en recenserait 173 un an plus tard (Appolis 1963 : 64). Trois seulement se constituent dans une grande ville, une à la paroisse Saint-Georges de Lyon et deux à Paris, la première (temporaire) à Saint-Louis d’Antin, l’autre (« l’église des Saints Apôtres ») au couvent désaffecté des Barnabites, sous l’égide d’un évêque excommunié, Mgr Vilatte, qui redeviendra catholique romain en 1925. Une Union régionale de la Ligue est constituée en Normandie (17 associations dans l’Eure et 3 dans le Calvados).
22Sans être tout à fait négligeable, ce mouvement n’a rien de massif. Toutefois, ces associations ont quelque mérite à se fonder car, dès le 5 novembre 1906, Briand les désavoue : il s’agit d’attribuer les biens ecclésiastiques, non à « tel culte » issu de « la fantaisie individuelle », mais à « ce qu’on appelle le culte catholique » (JO Ch. 1906 : 2400). Le ministre réitère son propos le 9 novembre : les biens ne seront pas transmis à « une caricature d’association » (JO Ch. 1906 : 2461). Dans ces conditions, ni le Secrétariat ni même la Ligue ne peuvent espérer en disposer : Briand a remis « à sa place M. Des Houx », note L’Univers le 11 novembre. Selon Guieysse (JO Ch. 1906 : 2388), les prêtres « craignent, s’ils obéissent aux lois de leur pays, […] de rester sans pain ». Houx reproche alors amèrement au ministre des Cultes d’avoir renouvelé « le sacrifice d’Iphigénie par Agamemnon » (Pommarède 1976 : 595) et il dénonce l’hostilité des préfets à l’égard de son mouvement.
23Les catholiques, en particulier les membres du clergé, se sont montrés disciplinés ou, au minimum, attentistes face aux affirmations gouvernementales répétées et rassurantes : « On ne fermera pas les églises. » De plus, le président du Conseil et son ministre auraient dû accorder leurs violons, comme on le dit familièrement ; en effet, la concurrence entre les deux instances leur nuit : le Secrétariat, schismatique, dessert la Ligue et les catholiques « romains » entretiennent la confusion entre les deux organismes, dénonçant le « catholicisme bâtard » des « Schismicules » et des « Ridicultuelles » ! Enfin, Briand a rapidement convaincu Clemenceau de ne pas jouer la carte des cultuelles catholiques.
24Selon le ministre des Cultes, de par la loi du 2 janvier 1907, les catholiques dissidents devront « louer une maison » pour y « prier à leur convenance », sans pouvoir s’« installer dans [les] églises » (JO Ch. 1907 : 3050). Or, ces édifices représentent un enjeu majeur de légitimité religieuse et de sociabilité (importance des échanges liés à la tenue de la messe) : « La loyauté religieuse de la plupart des paysans allait à leur église paroissiale plutôt qu’à quelque idée abstraite de l’Église, “Une, Sainte, Catholique et Apostolique” ; toute association détenant l’occupation légale du bâtiment serait [donc] en position de force pour attirer l’essentiel des fidèles de la paroisse » (Larkin 2004 : 188 sq.). Or, si des cultuelles catholiques se forment et si des « prêtres indépendants » se trouvent appelés par des communes, comme à Piedigriggio (Corse), les autorités mobilisent la force publique afin d’imposer le curé nommé par l’évêque pour occuper l’église, malgré le vœu des paroissiens.
25Choquée, la commission de « défense laïque » du congrès radical de 1907 élabore une proposition de loi visant à mettre les églises à la disposition des communes sans « servitude d’acceptation à un culte particulier » (PRRRS 1907 : 158). Les congressistes applaudissent, mais, à la Chambre, sauf exception, leurs députés ne voteront pas le texte. En 1909, il ne subsistera qu’une dizaine de cultuelles catholiques. En l’absence de soutien politique, c’est l’échec. En aurait-il été autrement si ce soutien n’avait pas fait défaut ? Il est impossible de l’affirmer. Néanmoins, il faut se poser la question et constater que si, en 1905, une partie importante de la gauche misait sur un « catholicisme républicain », cela n’est plus le cas deux ans plus tard malgré les refus du pape. Les partisans d’un catholicisme se conformant à la loi se trouvent nettement marginalisés par une alliance implicite entre Briand et ceux qui, voulant surtout récupérer les biens pour les communes, acceptent, en revanche, de laisser les églises aux catholiques « romains », malgré leurs déclarations lors des débats parlementaires sur l’article 4.
Le congrès du PRRRS : « ni guerre religieuse ni persécution »
26Revenons à 1906 où, du 18 au 21 octobre, le sixième congrès du PRRRS (1906), qui se tient à Lille, constitue une première manifestation de ce manque de concours. Buisson prononce le discours d’ouverture et présente un rapport sur la séparation. Selon lui, « la république laïque » doit devenir « la république démocratique et sociale » : les questions politico-religieuses sont « à jamais épuisées et finies » et la loi votée en 1905, « parce que de part et d’autre on a fait de gros sacrifices », doit s’appliquer telle quelle. Fait essentiel : le refus papal ne doit donc en rien modifier la politique suivie. Le vœu soumis au congrès demande d’ailleurs au gouvernement d’exécuter « la loi, toute la loi, rien que la loi » et de déjouer la « tactique des ennemis de la République en ne leur accordant ni capitulation ni persécution ».
27La proposition de ne tenir aucun compte de Gravissimo pouvait ne pas faire l’unanimité, mais Pelletan, président du parti, intervient pour l’appuyer. Comme « la loi proclame la liberté de tous les cultes », on ne doit pas fermer les églises malgré l’absence d’association cultuelle. Fait essentiel : le leader radical se prononce également contre toute modification de l’article 4. À une raison de principe (ne pas user de « représailles »), il ajoute une raison de fait, provoquant des « rires » : « l’heureuse résolution que le Saint-Esprit a eu l’obligeance d’inspirer au pape » rend impossible la transmission des biens à l’Église catholique. Pie X a fait prévaloir les vues des anciens adversaires de cet article ! Enfin, Pelletan soutient un projet ministériel visant à assouplir le droit commun sur la liberté de réunion : la législation des réunions publiques assure la liberté de discussion, or « la première condition de l’exercice du culte, c’est qu’on ne discute pas ».
28Pelletan conciliateur ? « Tout arrive », s’exclame Le Temps (21 octobre) ! Effectivement, son ralliement à la perspective du Cabinet est significatif. Ce laïque intégraliste7 juge à son avantage le refus catholique des cultuelles car cela va permettre de réaliser sa revendication fondamentale : ne pas « reconstituer les biens d’Église ». Il se montre favorable à une pleine liberté religieuse. Mais le second refus pontifical, en décembre, conduira le leader radical à adopter une posture plus critique à l’égard de la politique conciliatrice de Briand – nous y reviendrons.
29À ce congrès d’octobre 1906, Dumont propose une exception au principe « rien ajouter et rien retrancher » à la loi : supprimer, en l’absence de cultuelles, les allocations et les pensions des ministres du culte âgés de moins de 60 ans. Bérenger le soutient car « notre ami Briand […] n’a peut-être pas [la] fermeté anticléricale » souhaitable. Néanmoins, cette mesure semblerait « tenir compte de l’Encyclique » (Magniaudé). En outre, des pensions sont accordées aux hommes de 45 ans à chaque suppression d’emplois (Pelletan). Dans une instance habituée à l’unanimisme, le vote se déroule alors dans une certaine confusion. Pour le bureau, « une majorité sensible repousse l’amendement », pour les opposants « l’épreuve est douteuse » (Le Radical, 20 octobre). On va revoter, quand Dumont retire sa demande. À la clôture du congrès, la Déclaration du Parti affirme : « La règle de conduite de la République doit se résumer en deux mots : ni faiblesse, ni représailles. […] Il n’y aura ni guerre religieuse, ni persécution. » Grâce à l’autorité de Buisson et au soutien de Pelletan, le gouvernement voit sa politique totalement approuvée par le parti dominant.
Clemenceau devient président du Conseil
30Cependant, prétendre appliquer « toute la loi, rien que la loi » relève de la pétition de principe car seules les confessions minoritaires s’y conforment : le JO du 25 septembre enregistre la création de 48 associations cultuelles protestantes et une israélite, à Gérardmer dans les Vosges. Or, ne pas « fermer les églises » peut s’interpréter de différentes façons. Ainsi, le président du conseil municipal de Paris, Paul-Henri Chautard (Le Matin, 21 octobre), assure qu’en l’absence de cultuelles, il disposera des églises « de la façon la plus avantageuse pour les finances municipales », et il précise : leur « valeur locative […] s’élève à une somme considérable ». Les catholiques voudront-ils et/ou pourront-ils payer ? Ne va-t-on pas, à terme, vers une désaffectation8 ?
31Embarassé, Briand s’exprime peu, au contraire de Clemenceau, plus à l’aise car, critique en son temps de la loi de 1905, il peut affirmer qu’elle ne constitue nullement « un chef-d’œuvre ». Visitant sa Vendée natale, le Tigre prononce, le 30 septembre, un discours à La Roche-sur-Yon, qui fait la « une » des journaux et paraît in extenso dans le Journal Officiel (1906 : 6669-6672). En revanche, les quotidiens n’accordent qu’une maigre place, et le JO aucune, au « discours-programme » du président du Conseil, Sarrien, à Louhans (Saône-et-Loire), le même dimanche. Le Journal des débats (2 octobre) constate : « La fiction en vertu de laquelle le nom de M. Sarrien figure en tête du cabinet [n’a] jamais été aussi peu ménagée. » Du 14 au 18 octobre, les gros titres de la presse sont, à nouveau, consacrés au ministre de l’Intérieur, en tournée dans le Var et à Marseille. Celui-ci qualifie les évêques de « fonctionnaires de l’étranger »9 (« mot de guerre civile » s’indigne L’Ouest-Éclair, 20 octobre). Par ailleurs victime de crises d’entérite, Sarrien démissionne, le 18 octobre, « en dépit des prières de M. Clemenceau » (ironie due au Matin du 19 octobre).
32Les noms de Combes et de Bourgeois sont prononcés, mais le président de la République charge le Tigre de former le ministère, avec le double accord de Sarrien et de Jaurès (Duroselle 2012 [1988] : 464). En six mois, celui qui s’est présenté comme un « vieux débutant » dans sa charge gouvernementale a opéré sa mue. Le Temps (21 octobre) remarque : « On admettait généralement [que Clemenceau] était un trop magistral démolisseur pour être capable de devenir […] architecte. » Or, il vient de démontrer « son aptitude à évoluer ». Ce fait s’avère capital pour expliquer la réussite de l’application de la séparation. Une histoire contrefactuelle où le Tigre, adversaire de l’article 4, aurait refusé d’entrer au gouvernement, puis d’en devenir le chef, peut postuler avec vraisemblance un échec de Briand à maintenir telle quelle la validité de cet article pour l’attribution des églises. Un conflit intrarépublicain majeur aurait eu lieu où Clemenceau aurait fédéré les oppositions contre le ministre, qu’il avait qualifié, en 1905, de « socialo-papalin » (Baubérot 2021 : 191 sq.).
33La composition du nouveau Cabinet opère un glissement à gauche. Si Barthou reste à son poste (Travaux publics), d’autres figures du centre gauche partent, tel, aux Finances, Poincaré, peu enclin à favoriser la création d’un impôt sur le revenu. Caillaux, connu pour y être favorable, le remplace. Aux Affaires étrangères, le radical-socialiste Stephen Pichon succède à Bourgeois. Symbole du dreyfusisme, le général Picquart devient ministre de la Guerre et un ministère du Travail, confié au socialiste indépendant René Viviani, est créé. Briand conserve ses attributions.
34La déclaration ministérielle, le 5 novembre (JO Ch 1906 : 2386 sq.), parle significativement de la « séparation de l’Église [non des Églises] et de l’État » et veut concilier ouverture et fermeté. À l’assurance du maintien de la « liberté des cultes » s’ajoute une menace : si « les sanctions édictées sont insuffisantes, nous n’hésiterions pas à vous en proposer de nouvelles », sans toutefois préciser lesquelles. Le Cabinet obtient la confiance par 376 voix contre 94. Les socialistes unifiés et une bonne part des progressistes se sont abstenus.
Deux anticléricalismes divergents, Viviani et Briand
35Ensuite, un grand débat parlementaire se poursuit jusqu’au 13 novembre (JO Ch. 1906 : 2388-2404, 2410-2424, 2435-2443, 2447-2463, 2465-2481, 2499-2521), entrecoupé, le jeudi 8, par un discours flamboyant de Viviani, présentant son ministère (JO Ch. 1906 : 2428-2434). Socialiste, celui-ci justifie sa participation à un cabinet « bourgeois » en resituant les réformes sociales dans l’œuvre accomplie par « la bourgeoisie française », avec les révolutions de 1789 (qui « a déchaîné dans l’homme toutes les audaces de la conscience ») et de 1848 (obtention du « suffrage universel » [sic]), puis avec la Troisième République (généralisation de l’instruction).
36Le nouveau ministre s’exclame : « Tous ensemble, […] nous nous sommes attachés dans le passé à une œuvre d’anticléricalisme, à une œuvre d’irreligion. Nous avons arraché les consciences humaines à la croyance. Lorsqu’un misérable, fatigué du poids du jour, ployait les genoux, nous l’avons relevé : nous lui avons dit que, derrière les nuages, il n’y avait que des chimères. Ensemble, et d’un geste magnifique, nous avons éteint dans le ciel des lumières qu’on ne rallumera plus ! Voilà notre œuvre, notre œuvre révolutionnaire. (Vifs applaudissements à gauche et à l’extrême gauche.) […] Elle bouillonne, elle nous déborde. » En effet, il ne s’agit pas de déraciner « la croyance en un surnaturel religieux » pour y « substituer la croyance au surnaturel économique. (Nouveaux applaudissements) ».
37Par une envolée lyrique, Viviani donne du cœur au ventre à ceux pour qui, après avoir élaboré une loi trop libérale, la République s’apprête à effectuer un nouveau « recul ». Il relie « anticléricalisme » et « irreligion ». Le lendemain, Briand réfute son ami sans le nommer (mais tout le monde comprend !), et défend une autre conception de l’anticléricalisme : « l’État laïque » doit aux catholiques « la liberté de conscience » et « la faculté d’exprimer en toute indépendance [leurs] croyances religieuses par les manifestations extérieures, qui sont le culte. (Très bien ! très bien à droite et au centre) ». Cet État doit rester « neutre à l’égard de toutes les confessions religieuses. […] [Il] n’a pas le droit d’être antireligieux ! (Applaudissements à droite et sur divers bancs au centre.) Il est… areligieux (Applaudissements à gauche et à l’extrême gauche) ». Si l’Église catholique intervient dans « le domaine politique », l’État laïque est « forcément anticlérical. […] Mais si l’Église reste chez elle, […] l’État est tenu de s’arrêter devant ce domaine sacré ».
38Clemenceau approuve (« Très bien ! »), désavouant ainsi, implicitement, son ministre du Travail. Briand conclut : « S’il voulait […] faire obstacle aux pratiques de la foi, [l’État laïque] deviendrait un insupportable tyran. (Applaudissements au centre et à gauche). » La mémoire collective et l’historiographie retiendront les propos de Viviani, oubliant la réplique de Briand10. Ainsi Poulat (2003 : 109) cite le seul discours du ministre du Travail et insiste sur le conflit.
Où le Conseil d’État change sa position et où Jaurès définit la République comme une « méthode »
39Le long débat de la Chambre s’avère, « assurément, […] l’un des plus passionnants qui se soient déroulés depuis bien longtemps » (L’Ouest-Éclair, 15 novembre). Il donne lieu à treize interpellations, à neuf ordres du jour, à deux discours de Briand et à une intervention remarquée de Jaurès (2019 : 73-106).
40Quelques jours auparavant, le 31 octobre, le Conseil d’État a avalisé le souhait du ministre des Cultes et de Clemenceau d’autoriser un exercice public du culte catholique, malgré le refus papal des associations « canonico-légales » de Mgr Petit. Conformément au désir du politique, cette instance a donc modifié à nouveau sa position officielle et réadopté son avis originel. Nous l’avons vu, en janvier, son vice-président, Coulon, indiquait qu’un « individu [peut] célébrer le culte en se conformant au droit commun ». Mais, en mars, le rapport de Saisset-Schneider sur le RAP avalisait l’opposition de Briand à une telle possibilité et affirmait au contraire : « La loi n’admet l’exercice du culte que par l’association cultuelle. » Maintenant, le ministre ayant changé son point de vue, la distinction de Coulon est reprise : l’exercice public du culte par voie collective reste soumis à la création de cultuelles, mais par voie d’action individuelle, il peut se trouver régi par la loi de 1881. C’est, en fait, revenir à l’idée émise par Briand lui-même en 1905 que, « dans le silence des textes », il faut adopter la solution la plus conciliante. En fait, le politique effectue des zigzags et les juges du Palais-Royal montrent une certaine perméabilité à ses évolutions11.
41À l’Assemblée nationale, Allard demande que, dès l’échéance du 11 décembre 1906, l’usage gratuit des églises cesse et les biens des EPC catholiques reviennent aux établissements de bienfaisance, alors que le RAP retient la date du 11 décembre 1907 (après un an de mise sous séquestre, cinq mois avant les élections municipales). Le radical-socialiste Louis Puech s’interroge sur la possibilité de laisser les églises « ouvertes » et sur la personne morale habilitée à les occuper : la loi « tombe en morceaux, c’est le néant ». De leur côté, Guieysse et Dumont exigent l’abolition de l’article 4, devenu « une arme d’oppression dirigée contre les catholiques français ». Mais ni Buisson ni Pelletan (qui avaient voté contre l’ajout en 1905) ne soutiennent leurs collègues de parti, conformément à la décision du congrès radical de ne pas modifier la loi.
42L’opposition réclame la reprise des relations avec le Saint-Siège (Jules Delafosse) ou des négociations avec le pape (le progressiste Alexandre Lefas). Piou justifie la décision du pontife : celui-ci a « préféré pour l’Église la pauvreté à l’abandon de ses doctrines », car la séparation de 1905 établit la « suprématie des laïques » sur la hiérarchie. Selon le leader de l’ALP, les statuts adoptés par l’assemblée des évêques « étaient contraires à la loi », donc toute conciliation avec elle s’avère impossible12. Pour Groussau, sous prétexte d’une absence d’associations cultuelles, on passe d’une « équité […] observée que partiellement » à une « spoliation radicale et complète », preuve que les biens n’ont pas été « pris du premier coup » afin de pouvoir tendre « un piège à l’Église ». Castelnau, et d’autres intervenants, requièrent « le droit commun de la loi de 1901 ».
43Cette revendication est soutenue par Jaurès (2005 [1906] : 79-119). Comme Puech, le leader socialiste trouve délicat de laisser, telle quelle, l’église ouverte : « à quel prêtre ? […] S’il a une autorité particulière, ce sera alors au nom de l’Église » et non plus grâce à une cultuelle. Si un conflit éclate entre deux prêtres, qui statuera ? Afin d’éviter des « occasions permanentes de querelle », il convient d’adopter une loi autorisant les associations loi de 1901 : « C’est l’honneur […] des régimes de liberté » que « si une de ses formes vient à défaillir par l’opposition de nos adversaires […], une autre voie s’ouvre à elle, qui laisse passer le flot. » La République n’est pas un « dogme », ni même une « doctrine », c’est une « méthode » : la « plus haute efficacité » par la « plénitude de la liberté ».
44L’orateur termine par un appel à l’Église catholique, à l’accent extrêmement spiritualiste. Celle-ci devrait déclarer aux prolétaires : « Je vous attends au lendemain même de la révolution sociale […]. Car vous constaterez d’autant mieux l’étroitesse de la vie humaine que vous en aurez rempli toutes les possibilités. » Le Journal des débats (15 novembre) commente : « On était bien loin du discours de M. Viviani13. »
Briand : les catholiques ne sont pas « en révolte » contre la loi
45Les 9 et 13 novembre, Briand prononce deux discours. Loin d’être « caduque », la loi de 1905 a déjà produit ses « principaux effets » : neutralité de l’État, suppression du budget des cultes et fin du clergé comme corps officiel. Se démarquant de Clemenceau, il estime que le pape n’est pas « un étranger » aux yeux des catholiques (pour les catholiques français, il est « français », pour les catholiques allemands, il est « allemand »). Refaisant l’histoire14, il prétend qu’en l’absence d’ambassade auprès du Vatican, il s’avérait impossible de négocier la dénonciation du Concordat. Cependant, « au risque d’encourir le blâme de [ses] amis », il a mis dans la loi « le maximum de négociations indirectes* » avec le Saint-Siège. Le pays « ne s’y est pas trompé » et, grâce aux élections, la séparation « a acquis une force considérable ».
46Accent nouveau : selon le ministre, la loi ne peut imposer aux citoyens « l’usage d’un droit » et, en obéissant au pape, dans un « mouvement de discipline » qui a sa « grandeur » et sa « beauté », les catholiques ne se sont pas « mis en révolte » contre elle. Le gouvernement n’a donc pas à « partir en guerre » contre eux. Cette très importante affirmation avalise, sans le dire, la thèse des catholiques intransigeants qui, avant même le désaveu de Pie X, avaient déclaré vouloir (et pouvoir !) « ignorer la loi ». Avec roublardise, Briand prétend que ce fut sa « doctrine » dès la parution de Gravissimo ; il ne l’a pas dévoilée afin d’inciter les catholiques à réclamer « le droit commun ». C’est ce qui est arrivé. Et, comme la loi est « une œuvre de paix », l’église et les objets cultuels resteront affectés à l’exercice du culte « pour une durée illimitée ».
47Excluant de modifier l’article 4, le ministre estime nécessaire (contre une partie de la gauche) une année de séquestre afin de ne pas attribuer aux communes des biens grevés de dettes, et permettre, peut-être, aux laïcs catholiques d’obtenir du clergé un changement de position (en fait, de façon plus plausible, pour mettre en place le plan B de la loi de 1881 aménagée). Il annonce la constitution d’un fond destiné aux réparations des églises et refuse de changer la loi avant la date de son entière application (donc d’autoriser le culte grâce à des associations loi de 1901). Briand, enfin, interpelle la gauche : un député n’est pas seulement le délégué d’une « circonscription plus ou moins anticléricale », il représente « le pays tout entier » ; il doit donc faire preuve de « sang-froid » et de « beaucoup de patience ».
48« Qu’on loue ou qu’on blâme, commente Le Figaro (10 novembre), jamais parole plus nette n’est tombée du haut d’une tribune. » De son côté, Pierre Veuillot (L’Univers, 11 novembre) écrit que le ministre a prononcé « un discours d’une merveilleuse habileté […] : l’homme dangereux pour nous […] est le libéral et doux M. Briand ».
49Le Cabinet obtient un large vote de confiance par 392 voix contre 14215. La droite et une partie des socialistes unifiés (Allard, Guesde, Vaillant…) votent contre, d’autres socialistes unifiés (Jaurès, Pressensé, Rouanet…) et certains progressistes (Aynard, Ribot…) s’abstiennent. D’autres députés centristes ayant refusé la loi de 1905 (Paul Lebaudy, Jules Legrand, Théodore Rose…) soutiennent le gouvernement.
Briand s’étonne de la « désinvolture* » de Pie X face aux prières pour les morts
50Deux questions importantes marquent ces joutes oratoires. La première concerne le devenir des « fondations de messes* ». Il s’agit de donations faites entre vifs16, par testament, à un établissement ecclésiastique, à charge pour lui d’effectuer des services religieux à perpétuité (ou pendant un long espace de temps) pour « le repos de l’âme » du donateur. Les prières pour les défunts constituent un élément essentiel du « culte des morts » (Cuchet 2012), élément vivace de la religion catholique où, souvent, église et cimetière forment un tout indissociable. Au cours du xixe siècle, le dogme de la damnation éternelle apparaît peu compatible avec « l’évolution de l’affectivité ». Il se produit alors un renouveau de la croyance au purgatoire, lieu « réservé aux défunts […] morts en “état de grâce” mais sans que leur état de conscience ne leur permît de monter au ciel en droiture ». Le pic de cette croyance se situe précisément au tournant du xixe et du xxe siècle (Cuchet 2020 [2005]).
51Théologiquement, ces fondations se rattachent au dogme de la « communion des saints » : les catholiques « appartiennent à une immense famille dont Jésus-Christ est le chef et dont les biens spirituels peuvent se communiquer d’un membre à l’autre. Ils croient en la vertu des intercessions mutuelles […] et pensent que la prière du juste peut aller, jusqu’au-delà de la tombe, soulager et délivrer les âmes » du purgatoire (Mathieu 1904 : 87 sq.). La personne qui effectue une fondation bénéficie des intercessions d’un prêtre, et, jusqu’en 1906, le conseil de fabrique recevant la donation veille à sa mise en œuvre.
52Les fondations de messes constituent une part importante des biens qui, faute de cultuelle, vont se trouver mis sous séquestre. Groussau demande si la volonté des donateurs sera respectée. Briand répond avoir été « beaucoup préoccupé » par ce problème. Il a consulté des jurisconsultes et a conclu à l’impossibilité, pour le ministère des Finances, qui a la charge de « séquestre des biens d’Église », de commanditer des messes dans un régime de Séparation. Le ministre s’étonne d’ailleurs de la « désinvolture » de l’autorité catholique à ce sujet. En effet, non seulement « l’attitude de l’Église » rend juridiquement impossible « l’exécution du contrat pour messes » mais, comme seules des associations cultuelles posséderaient la capacité civile, les fondations pour messes deviennent « impossibles pour l’avenir ». Cette pratique religieuse va donc disparaître et, commente Le Figaro (3 décembre), « les traditions de tout un peuple en seront bouleversées ».
53Pour Briand, étant donné l’« indisponibilité légale » d’exécuter le contrat, ces biens seront réservés. Groussau « proteste absolument ». D’autres orateurs catholiques font part de leur indignation. Selon Narfon (Le Figaro, 12 novembre 1907), « l’extrême difficulté de faire[,] à l’avenir[,] des fondations » sans créer d’associations cultuelles fut « l’une des causes » du vote des évêques et « un des arguments sur lesquels [ces derniers] ont le plus compté pour convaincre le Saint-Père ». En 1907-1908, la question provoquera de vifs débats, le Sénat trouvera un moyen d’accomplir la charge des messes, mais Pie X le refusera. Sa décision relève du paradoxe des conséquences puisqu’au-delà de la perte d’une ressource financière importante, il a contribué, indirectement, à la sécularisation de la société française par l’atteinte portée à une pratique sociale17, liée à une conception de la mort où celle-ci signifiait le « passage dans l’au-delà », et pas seulement la fin de la vie (Baubérot & Liogier 2010 : 33 sqq.).
Mgr Lecot, tel M. Jourdain…
54Une seconde question importante, soulevée au cours du débat, concerne l’association diocésaine* de la Gironde18 créée par le cardinal Lecot, en février et mars 1906, afin de pourvoir aux besoins du culte. Jaurès la cite en exemple quand il présente la loi de 1901 comme la solution de la crise. Briand l’interrompt et prétend que la diocésaine de la Gironde entre dans le cadre de la loi de 1905 : « Le cardinal Lecot a fait de la légalité sans s’en douter comme M. Jourdain faisait de la prose ! » Cet échange provoque une forte émotion dans l’assemblée : selon l’abbé Gayraud, la diocésaine de Bordeaux n’est pas une cultuelle. Mais Briand réaffirme le contraire dans son discours de clôture.
55À qui donner raison ? Lecot a fondé son association à un moment où Pie X ne s’était encore prononcé sur les cultuelles. Le cardinal déclarait alors avoir constitué « en dehors des associations cultuelles […] une association diocésaine qui ne s’occupera pas directement du culte » mais « préparera les voies aux associations légales et pourra devenir un jour […] leur humble servante » (L’Aquitaine, 2 mars 1906, cité par Poulat 2007 : 58). Pour le prélat, il ne s’agit donc pas d’une cultuelle, mais cette initiative prend sens par l’espoir de leur future création.
56Pourtant opposé aux diocésaines lors de la commission élaborant le RAP (Méjan 1959 : 228), Briand considère maintenant la diocésaine de la Gironde comme une cultuelle. Il lui est possible d’adopter cette nouvelle position car Le Temps (29 octobre) rapporte un incident « typique » survenu au congrès des jurisconsultes catholiques, tenu à Périgueux. À ce congrès, le délégué de Bordeaux rend compte de l’activité de la diocésaine et explique : « Nous l’avions fondée sous les auspices de la loi de 1901. Nous avons été obligés de la modifier pour la mettre en harmonie avec la loi de séparation. C’est fait ! » Cette intervention provoque des réactions horrifiées : « Mais, s’écrit-on de toute part, c’est une cultuelle ! » Le délégué précise alors avoir l’autorisation de l’évêque ; selon lui, Gravissimo interdit seulement « la cultuelle qui reçoit la dévolution des biens » (la décision du pape a créé une certaine confusion !).
57Le ministre a dû se délecter à la lecture de cet article et il n’a pas raté l’occasion ainsi offerte. « Entre le Gouvernement et les catholiques de France, explique-t-il, le malentendu est […] bien futile. » En effet, une association « n’a pas besoin de se dire cultuelle : personne ne l’y oblige ; […] elle peut se créer en vertu de la loi de 1901, sauf à se conformer en fait à la loi de 1905 ». L’association prévue par Mgr Petit s’intitulait d’ailleurs « association fabricienne » ; néanmoins, conforme de fait à la loi de 1905, elle a pu être déclarée, par les prélats, « canonico-légale ». Quoi qu’il en soit, le « double baptême » (par les jurisconsultes catholiques et par Briand) de la diocésaine de Bordeaux en association cultuelle « fit un bruit énorme » (Le Figaro, 30 mars 1908). Sans désavouer le cardinal Lecot, membre du Sacré-Collège, Pie X interdira, en décembre 1906, à d’autres évêques (Mgr Bouquet, à Chartes ; Mgr Lacroix, à Tarentaise) de créer des diocésaines. À la mort du prélat, il lui donnera le cardinal Andrieux pour successeur, « avec mission de liquider immédiatement cette association » (Narfon 1912 : 142).
La reprise des inventaires
58Au moment même où se tient le débat parlementaire, Clemenceau annonce la reprise des inventaires dans les 48 départements où ils sont restés inachevés. « En voilà de l’apaisement en vue ! », commente ironiquement La Croix (10 novembre) et, pour Le Gaulois (20 novembre), les catholiques sont mis dans une situation impossible : s’ils se cantonnent à une résistance passive, la gauche affirmera que Briand a tort de vouloir des accommodements, s’ils résistent avec violence, on leur reprochera une obéissance au pape à géométrie variable.
59Les deux attitudes sont adoptées. En divers endroits, comme à Marseille et à Versailles, le tocsin de la cathédrale a sonné « mais nul ne répondit à son appel » note Le Figaro (21 novembre). Les inventaires s’effectuent sans incident grave dans les départements de l’Aveyron, du Calvados, des Deux-Sèvres (à Courlay, cependant, 500 personnes remettent des crucifix dans les salles de classe des écoles laïques), du Doubs, de l’Eure, du Jura, de la Manche, en Savoie… En certains lieux, des cris « À bas Picquart ! » retentissent.
60Parfois, le calme résulte de la manière forte : à Saint-Bonnet-d’Orcival (Puy-de-Dôme), le chef de bataillon prévient des fidèles, s’apprêtant à lancer des pierres du haut du clocher, qu’il va faire feu et cela les arrête net. La porte de l’édifice étant bloquée par d’énormes poutres, les militaires la font sauter avec des pétards de mélinite. Le Matin (21 novembre) raconte : « [U]ne formidable détonation retentit, […] entendue dans toutes les communes voisines. La porte vola en éclat. Presque toutes les vitres des maisons placées autour de l’église […] furent brisées. Les manifestants atterrés ne poussèrent plus un cri […]. Le percepteur put faire tranquillement [sic !] son inventaire. » Ensuite, la troupe se rendit à Orcival, lieu d’un célèbre pèlerinage : « La détonation avait produit une véritable stupeur ; les habitants qui se proposaient de manifester demeurèrent chez eux. »
61Des affrontements se produisent dans les Flandres, même si les heurts sont limités car les inventaires s’effectuent au moment où, profitant de vents favorables, les marins sont partis en mer. À Abeele, à Linselles, à Verlinghem, des représentants des forces de l’ordre sont blessés. Dans les Pyrénées-Orientales, à Villelongue-de-la-Salanque, des femmes mordent les sapeurs et le curé affirme, en langue catalane, être prêt à « monter sur l’échafaud ». Des troubles éclatent également en Bretagne, en Loire-Inférieure à Frossay et, dans le Finistère, à Locmaria, Ploudaniel… Un dialogue significatif se déroule à Plouguerneau : la foule crie « l’église est à nous », le sous-préfet répond : « Votre divin maître a dit de rendre à César ce qui appartient à César, or César dit de faire les inventaires. » Réplique du curé : « Oui, mais César veut prendre ce qui est à Dieu. » Finalement, le prêtre calme ses fidèles par une harangue en breton (Le Matin, 23 novembre). À la fin du mois, les inventaires sont terminés, excepté quelques localités de Lozère que la neige a rendues inatteignables et deux îles réfractaires, Molène et Ouessant.
La solution pour sauvegarder le libre exercice du culte catholique
62L’échéance du 11 décembre19 approche. Selon la loi, outre les biens qui auraient été transmis aux cultuelles, les biens « grevés d’une affectation charitable » devaient être attribués à des établissements d’utilité publique « dont la destination est conforme à celle des dits biens ». Tétanisés par la crainte d’être désavoués s’ils acceptent quoi que ce soit de la loi de 1905, des évêques ont interdit le transfert de ces biens à des organismes catholiques de bienfaisance. En revanche, Mgr Fuzet obtient du Saint-Siège que la fabrique de La Madeleine de Rouen soit autorisée à transmettre ses biens grevés d’obligations charitables à la Société de bienfaisance de cette paroisse, créée pour l’occasion par des fabriciens. Le Conseil d’État lui donne immédiatement le caractère « d’utilité publique » et valide l’attribution. En catastrophe, La Croix, L’Ouest-Éclair… indiquent alors à leurs lecteurs la possibilité de « sauver les biens non cultuels » par une opération « simple » : trouver un établissement reconnu d’utilité publique et s’assurer de l’accord de l’autorité ecclésiastique.
63Le 1er décembre, Briand adresse une circulaire aux préfets précisant « l’organisation du culte », en l’absence de cultuelles. Le Journal des débats (4 décembre) la trouve « déconcertante », comme si deux auteurs différents l’avaient rédigée. La première partie modifie (comme prévu) des dispositions de la loi de 1881 sur les réunions publiques pour l’adapter aux cérémonies cultuelles : l’obligation de déclarer chaque réunion est remplacée par la déclaration annuelle inscrite dans la loi de 1905, la constitution d’un bureau est supprimée, tout comme la possibilité de « discussion publique » (l’article 32 de la loi de séparation, réprimant les atteintes à l’exercice du culte, reste valable), la dissolution de la cérémonie se fera seulement en cas de « collisions ou voies de fait »… La politique d’accommodements continue ; le ministre s’est engouffré par la porte laissée ouverte par l’encyclique (« organiser le culte » par « les moyens que le droit reconnaît à tous les citoyens »).
64En revanche, selon le quotidien de centre droit, une « bifurcation » s’opère ensuite dans le texte. Le clergé, devenu « occupant sans titre juridique* », sera soumis à diverses contraintes : « tout acte d’administration » lui sera interdit, il ne pourra recueillir des offrandes qu’à « l’occasion des actes de son ministère » (plus possible donc, croit le journal, de percevoir de rétribution pour les chaises20). Briand veut ainsi souligner la précarité de la situation. De plus, les bâtiments des grands séminaires ne pourront plus servir à leur usage car le corps professoral aurait « les caractères d’une association cultuelle dissimulée », au risque de tarir le recrutement du clergé catholique. Cependant, le ministre souffle le chaud après le froid en précisant, une semaine plus tard, que les grands séminaires peuvent devenir des établissements supérieurs d’enseignement privé, selon les lois de 1875 et 1880.
65En attendant, chacun se prépare à la mise sous séquestre. Le gouvernement exige que les administrateurs des fabriques déposent leurs archives au receveur des domaines, et que leurs trésoriers lui remettent les fonds, valeurs, titres de propriété et de créance. Les évêques interdisent toute collaboration. Cependant, les fonctionnaires opérant le séquestre ne seront pas excommuniés s’ils risquent de perdre leur emploi. Quand un EPC dispose d’une petite encaisse, il la distribue sous forme d’indemnité au clergé et aux autres employés de l’Église catholique21. D’après les directives des prélats, les presbytères (dont l’usage aurait été gratuit pendant cinq ans selon la loi de 1905) pourront être loués s’ils appartiennent à la commune, mais pas dans le cas où, étant propriété de la fabrique, ils se trouveront mis sous séquestre (des curés contournent cette interdiction en signant, avec la fabrique, avant l’échéance, un bail de longue durée). Les évêques, quant à eux, s’apprêtent à quitter leurs palais épiscopaux, dont ils devaient avoir la jouissance gracieuse pendant deux ans (et qu’ils auraient pu louer ensuite).
Un nouveau refus pontifical change la donne
66L’essentiel – le libre exercice du culte catholique – est, néanmoins, maintenu. « L’opinion est unanime à penser qu’il n’y a rien à craindre tant que M. Briand sera ministre, mais que M. Combes pourrait bien le remplacer sous peu », écrit L’Ouest-Éclair, se faisant l’écho des espoirs et des craintes des catholiques, le 7 décembre. Or, le lendemain, La Croix publie la note suivante : « Le Pape interdit de faire, pour les réunions du culte, même une seule déclaration, ces réunions ne pouvant être assimilées aux réunions publiques. » Si certains prélats (tels ceux de Bourges, Grenoble, Orléans…) attendaient un feu vert, Mgr Lecot et l’archevêque de Toulouse (Mgr Germain), en se fondant sur Gravissimo, venaient d’autoriser leurs prêtres à faire la déclaration et ils doivent se rétracter.
67L’Osservatore Romano justifie la décision de Pie X en affirmant que, « sous l’apparence d’un libéralisme illégal » [sic], la déclaration unique transpose « arbitrairement un article de la loi de 1905 […] dans la loi de 1881 […], afin de pouvoir déclarer que l’Église accepte implicitement la loi de séparation »22. Narfon (Le Figaro, 11 décembre) s’étonne : doit-on conclure que si Briand avait soumis les cérémonies cultuelles au « droit commun de la loi de 1881 strictement interprété, le Pape […] n’aurait pas interdit les déclarations multiples » ? De son côté, Le Temps (10 décembre) exprime un « sentiment de tristesse » : la « question de l’application de la loi de séparation a brusquement changé de face » car, de « canonique », l’opposition de Pie X « n’est plus désormais que politique » et la « puissance morale » de l’Église catholique n’y gagnera rien. Pour le quotidien, le gouvernement a fait « plus » que ce « qu’on eût été en droit d’espérer », en offrant aux catholiques un « droit commun privilégié » adaptant la loi de 1881 aux cérémonies du culte.
68De « canonique », l’opposition devient « politique » : le propos est significatif même s’il schématise un peu la réalité empirique. En ne donnant pas les « instructions pratiques » annoncées, Gravissimo a eu l’habileté de refuser les cultuelles en restant sur un terrain doctrinal et en rappelant sa lecture théologique de la loi, distincte de l’approche politico-juridique de ses promoteurs. Poulat (2007 : 397) synthétise ce dissensus par « la manière différente dont chacune des deux parties entend l’expression “exercice du culte” […] : pour la tradition ecclésiastique, c’est le service divin, monopole du clergé ; pour la tradition fabricienne assumée par le législateur français de 1905, c’est tout ce qui, sans empiéter sur les prérogatives du clergé, permet au desservant de se décharger sur ses paroissiens des tâches subalternes de gestion des biens et des ressources nécessaires au culte ».
69Pour « la tradition fabricienne », la précision de l’historien est capitale. En effet, le dissensus théorique apparaît antérieur à la loi de séparation et consubstantiel au régime Concordat-cultes reconnus, à ce que je nomme le premier seuil de laïcisation où « l’Église » est dans l’État, et non pas face à lui (Baubérot 2004)23.
70Au contraire de l’encyclique, la courte et sèche note de décembre est perçue, même en dehors de la gauche, comme une mise en cause politique du gouvernement français, malgré ses efforts pour adapter le droit de réunion aux cérémonies cultuelles catholiques, évitant ainsi un repli sur le culte privé. Désormais, ce n’est plus seulement la loi de séparation, mais une loi ordinaire, la loi de 1881, qui se trouve mise en cause. Constatant que « le Pape ne veut plus de ce droit commun qu’il réclamait pourtant dans l’Encyclique », et ne cachant « ni [sa] déception ni [son] anxiété », Le Journal des débats (11 décembre), pourtant quotidien d’opposition, rappelle que la République tient de la monarchie la « théorie de la suprématie du pouvoir civil ». Il conclut : « sur ce sujet, les gouvernements radicaux ne peuvent avoir d’autre doctrine que celle des rois très-chrétiens » et Clemenceau « plus de mansuétude que le roi Saint-Louis ». Au-delà même de la logique du premier seuil, le Vatican rejoue, pour les républicains de toutes tendances, l’affrontement du « pouvoir temporel » et du « pouvoir spirituel ». On comprend, alors, le succès de l’expression « aller à Canossa* » !
71En fait, j’émets l’hypothèse que Gravissimo a été mal lue. Le monde politique a cru que le pape réclamait le « droit commun ». Or, cette expression ne figure nullement dans le texte de l’encyclique. Il y est question des « moyens que le droit reconnaît à tous les citoyens » pour célébrer le culte. Ce bout de phrase a été compris comme se référant à la législation commune (la loi de 1881 ou celle de 1901 sur les associations) versus la loi de 1905. Or, selon moi, Pie X fait allusion au droit naturel (tel que le conçoit l’Église catholique) et non au droit positif. Si j’ai raison, cette mésinterprétation constitue un nouvel indice du dissensus culturel profond entre le Vatican et l’opinion publique, y compris celle d’une partie des catholiques.
Briand : cette fois, il s’agit de « rébellion » contre la loi
72Effectuant implicitement une histoire téléologique, l’historiographie tend à faire comme si les refus de Pie X en décembre 1906 et janvier 1907 découlaient logiquement de l’encyclique Gravissimo, à laquelle ils accordent (dans une perspective d’histoire religieuse) une importance majeure. Or, la note effectue un second virage, aussi (voire plus) important que le premier sur un plan strictement politique. Certes, le rejet des cultuelles ne doit pas être minimisé. Mais, nous l’avons vu, les catholiques intransigeants affirmaient qu’en ne formant pas de telles associations, ils refuseraient seulement les « avantages » liés à leur création. Pour cette raison, ce refus convenait, en fait, à des laïques intégralistes comme Pelletan, et même à des antireligieux, comme Allard – celui-ci déclare, le 5 novembre, trouver « la situation […] excellente » (JO Ch. 1906 : 2391). À la Chambre, Briand valide l’idée d’un refus des seuls « avantages » de la loi. Comme, croit-on, l’encyclique se réfère au « droit commun », une solution paraît possible, y compris pour des laïques intégralistes : selon les Annales de la jeunesse laïque (AJL, septembre 1906, 52 : 101 sq.), Gravissimo est un « [i]ncident, […] médiocre », et ceux qui y voient une « déclaration de guerre » font une « interprétation naïve », car le pape cherche un « compromis ». Après la note, les AJL changent totalement de ton24 !
73Briand et Clemenceau sont exaspérés. Pour le premier (Le Temps, 10 décembre), une « situation […] inattendue » advient. En refusant les cultuelles, le pape et le clergé avaient, certes, commis une « faute lourde », mais ils n’étaient pas sortis « des limites de leur droit ». Maintenant, le pape pousse le clergé « hors de la légalité », il lui « impose de violer les lois », il le « force à entrer dans la voie de la violence et du désordre ». Ce faisant, « il n’agit plus comme chef spirituel des catholiques » ; en effet, des « motifs d’ordre canoniques […] ne peuvent être invoqués contre la loi de 1881 ». Et, dans Le Matin (même jour), le ministre confirme : si le clergé obéit à des ordres qui excédent « le pouvoir de direction spirituel du pape », alors il entre en « rébellion contre la légalité » et c’est « la lutte entre l’Église et la loi ». Car le gouvernement ne se trouve plus en face de « la conscience » des catholiques, mais d’une « entreprise politique qu’il [lui] faudra nécessairement combattre » pour faire en sorte que « le dernier mot reste à la loi ».
74Toujours dans le même numéro du Matin, Clemenceau, loin de ses déclarations rassurantes de l’été, ajoute : « L’Église veut la guerre… elle l’aura. » Pour le Tigre, le revirement des prélats de Bordeaux et de Toulouse, après la note pontificale, constitue la « preuve éclatante » qu’ils agissent en « fonctionnaires de l’étranger… Cela ne peut durer ». Jaurès (L’Humanité, 11 décembre) dénonce « l’intransigeance imbécile du pape », voulant mettre « l’Église en dehors et au-dessus des lois ». La Petite République (même jour) insiste sur le tournant effectué : jusqu’alors, les attitudes catholiques « se comprenaient, si elles ne s’excusaient point ». Désormais, il s’agit « de la loi de tout le monde, à laquelle tout Français doit obéissance ». Et il ne serait pas « admissible qu’un souverain étranger délie de leur devoir d’obéissance un certain nombre de citoyens français »25. Coïncidence frappante, Brunetière, apôtre de la conciliation, décède le 9 décembre, la veille du jour où Le Matin titre : « Entre l’Église et l’État. Ce n’est plus la séparation, c’est la guerre. ».
75Dans une nouvelle circulaire aux préfets, Briand rappelle qu’aucun citoyen « n’a le droit de se placer au-dessus des lois ». Si le culte s’exerce publiquement sans déclaration préalable, les contraventions commises doivent être constatées par des procès-verbaux et déférées au Parquet. Le garde des Sceaux, Edmond Guyot-Dessaigne, donne ordre aux procureurs généraux d’engager alors des poursuites.
La situation vire à l’absurde
76Si les protestants et les juifs ont constitué des cultuelles et se trouvent donc en règle avec la loi à l’échéance du 11 décembre, pour les catholiques français, la seule solution susceptible de concilier obéissance au pape et souci de la légalité consisterait dans le repli sur le culte privé. Cependant, la consigne de Pie X (transmise officiellement par le cardinal Richard) le 7 décembre consiste à « [c]ontinuer le culte dans les églises. S’abstenir de toute déclaration ».
77Partisan d’une séparation libérale, Lanessan (Le Siècle, 10 décembre) s’inquiète : la situation va devenir « quelque peu ridicule » et même dangereuse. « C’est quarante mille poursuites environ qui devront avoir lieu. » Il faudra « mettre en branle toute la justice de France pour des délits qui se renouvelleront […] tous les jours, puisque tous les jours les quarante mille curés de France diront leur messe ». Voilà une source de « graves embarras » ! Si le gouvernement n’applique pas ses circulaires, « l’opposition de gauche » le lui reprochera26 ; s’il les applique, sait-on jusqu’où il sera « graduellement entraîné » ? Enfin, il adoptera un rôle « étrange » : intenter « des procès aux curés pour violation de la loi de 1881 » et, en même temps, poursuivre les « mauvais plaisants » venant les contredire, pour « le trouble apporté dans ces mêmes réunions ».
78L’Univers (12 décembre) développe la même antienne, pour s’en réjouir avec une ironie mordante. « Donc, à partir du 13 [décembre], on verbalisera dans toutes les églises. Comme il y en a plus de 50 000, on est pris d’effroi à la pensée de ce qui se passera dimanche prochain. En moyenne, il y a bien deux messes par église ; comme l’officiant n’est pas le même, il faudra verbaliser deux fois. Cela fait 100 000 procès-
verbaux. N’oublions pas les vêpres, les complies, et le salut. Ci… 300 000 au moins. » Puisque Briand, le « petit avocat de Saint-Nazaire », acceptait la déclaration unique, le journal lui suggère un procès-verbal unique, ainsi libellé : « Vu la loi de 1905, attendu qu’elle n’est pas applicable ; vu la loi de 1881 qui ne l’est pas davantage ; vu notre circulaire qui enjoint cependant de l’appliquer un peu, tout en ne l’appliquant pas beaucoup, constatons que six millions de citoyens français se sont mis ce jour en contravention. D’où il appert que notre situation est inextricable et que nous n’en pouvons sortir que par le ridicule ou par l’odieux. »
79En revanche, L’Écho de Paris (11 décembre) n’a vraiment pas le cœur à l’humour : « La guerre religieuse est devenue inévitable. L’Église verra […] les masses populaires lui échapper pour longtemps et l’État sera affaibli par le désaccord des citoyens. C’est avec effroi que tous les Français envisagent un avenir si chargé d’inquiétudes. Tous les usages, toutes les traditions de notre pays sont menacés d’un bouleversement dont on ne peut prévoir les profondes conséquences. Que sera demain ? Comment les catholiques pourront-ils accomplir leurs devoirs religieux ? Les églises seront-elles fermées […] ? Comment se mariera-t-on ? En quoi consisteront les obsèques ? » Le Figaro (10 décembre) renchérit : « Le gouvernement sera inévitablement acculé à la violence. Il faudrait fermer les yeux à l’évidence pour conserver le moindre doute à cet égard. » Après le tournant de ce second refus, personne ne perçoit plus comment une accommodation pourrait être désormais possible. Un an après l’adoption de la loi, jamais l’avenir politico-religieux de la France n’a paru plus incertain et, pour les catholiques, plus lourd de menaces.
Notes de bas de page
1Proverbe cité par La Petite République (11 décembre 1906) justifiant la décision gouvernementale de dresser procès-verbal pour des « délits de messe* », (écrit le quotidien) l’ordre du pape au clergé de France « de se placer en dehors de toute loi française ».
2Cette loi avait permis aux cultes non reconnus protestants et catholiques « dissidents » de passer d’un régime de tolérance plus ou moins arbitraire (certains cultes protestants avaient été interdits dans l’Aisne, l’Aube, les Charentes, l’Eure, la Haute-Vienne, l’Orne, la Saône-et-Loire, la Sarthe, l’Yonne… sous le Second Empire et l’Ordre moral) à un régime de liberté. Nous avons vu (cf. chapitre 4) que, lors de la commission sur le RAP, Briand estimait, au contraire, que « [l]à où le prêtre veut rester seul, il n’y a pas de culte public possible ».
3En fait, c’est la transmission des biens qui est régie selon l’article 4. On peut toujours fonder une cultuelle catholique mais celle-ci risque de ne pas se voir transmettre les biens. Et l’article 13 concernant les édifices du culte propriété publique, en déclarant que ceux-ci seront dévolus aux associations « auxquelles les biens […] auront été attribués », applique de fait l’article 4 également aux édifices cultuels.
4D. Cochin se fonde sur l’article 15 du RAP qui prévoit un recours du ministre. Il lui est rétorqué par la gauche (Briand se tait) que le ministre peut intervenir si la cultuelle n’est administrativement pas conforme (nombre de membres, domiciliation de ceux-ci, etc.), mais non pour des raisons doctrinales pour lesquelles il est incompétent.
5Un entretien de Mgr de Cabrière au Radical (22 septembre) avait pu le faire espérer : « Il ne s’agit pas de refaire la loi ; nous l’acceptons en gros. Il s’agit seulement de préciser l’interprétation des articles 4 et 8. »
6H. des Houx précise : les catholiques doivent obéissance au pape quand il définit « urbi et orbi […] les matières de dogme et de morale », non quand il favorise les intérêts de « congrégations étrangères » et se mêle de « nos affaires intérieures » (Le Matin, 27 septembre).
7Sur la typologie des différentes représentations de la laïcité qui s’affrontent de 1905 à 1908, cf. Baubérot 2021 : 452-458.
8Le Journal des débats (12 octobre) soutient le maintien de l’ouverture des églises, mais voit mal comment, en l’absence de cultuelles, « le texte de la loi peut se prêter à cette interprétation » : les maires « ne pourront sans doute pas faire un nouvel usage des églises, mais rien ne les empêchera de les fermer. La question […] restera soumise à toutes les fluctuations des partis dans les communes ».
9Clemenceau reprend le thème, récurrent, du Vatican « autorité étrangère », sous l’emprise des « influences étrangères » (l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie…). H. Groussau réplique « l’Église est universelle » et affirme ressentir ces propos comme une « injure » (JO Ch. 1906 : 2411 sq.).
10L’affichage du discours de Viviani est voté par 340 voix contre 130 et celui de Briand par 367 voix contre 101 (chiffres rectifiés, cf. JO Ch. 1906 : 2444, 2464, 2497, 2526, 2544 ; JO 1906 : 7541, 7553).
11Perméabilité dont témoigneront également leurs décisions subséquentes désavouant le maire de Saint-Hilaire-La-Croix, l’abbé Jouy (cf. chapitre 9) et, après la Grande Guerre, déclarant les diocésaines conformes à la loi de 1905, alors même que l’Église catholique ne les considère pas comme des cultuelles (cf. le Postlude).
12La droite nie à Briand le droit d’évoquer l’assemblée des évêques à partir de « racontars » et, en même temps, elle glose sur les statuts présentés à cette assemblée.
13Sur Jaurès et la religion, cf. Vinson & Viguier-Vinson 2014.
14En effet, la Commission parlementaire s’est mise au travail en juin 1903 et la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican s’est produite treize mois plus tard. Or, la Commission n’a pas envisagé de négocier l’abolition du Concordat avec le pape. Briand (de façon plus convaincante) rappelle d’ailleurs que les commissaires de l’ALP n’ont pas déclaré : « Vous posez une question que nous n’avons pas, nous catholiques, le droit de discuter. Vous allez légiférer sur une matière que nous ne sommes pas compétents pour apprécier. Nous nous retirons. » Or, cette attitude aurait entrainé « l’impossibilité d’élaborer un projet de loi ».
15Chiffres rectifiés, cf. JO Ch. 1906 : 2525 et JO 1906 : 7615 (les chiffres de 416/163 avaient été annoncés en séance).
16Cette donation permet à une personne, de son vivant, de faire don immédiatement et irrévocablement d’un bien ou d’un droit.
17Selon Le Temps (12 décembre) les fabriciens de l’église Notre-Dame de Chalons refusent un leg affecté à des messes annuelles, faute de pouvoir honorer l’affectation. D’autres cas semblables sont indiqués ensuite. Certes, des messes seront dites « pour [toutes] les âmes lésées par les fondations » (cité par Cuchet 2020 : 343), mais il ne s’agit plus de la même pratique.
18D’autant plus importante que la solution des associations diocésaines permettra un accord, en 1923-1924, entre la France et le Vatican (cf. Poulat 2007 et infra).
19Cette date (un an après le jour de promulgation de la loi) est, par commodité, la date mentionnée par les différents acteurs. En fait, le séquestre devient effectif un an franc après la publication de la loi dans le JO à Paris, ou après l’arrivée du JO dans le chef-lieu d’arrondissement en province, soit du 13 au 16 décembre.
20Le « droit de chaises » est supprimé à Paris par le cardinal Richard voulant « faire disparaître certaines inégalités […] dans le sanctuaire » (Le Figaro, 16 décembre). Des paroisses font de la résistance et ce « droit » continue dans d’autres diocèses, le gouvernement ne s’y opposant pas.
21Parfois, les fonds distribués seront jugés excessifs par les conseils de préfecture : ainsi la fabrique de Saint-Pierre-du-Gros-Cailloux à Paris a donné 92 850 francs aux vicaires, 33 685 francs aux employés (et rien au curé !), une fabrique d’Orléans a donné 28 920 francs à son curé, une autre à Toulouse 16 000 francs à l’archevêque, 11 120 au personnel ecclésiastique et 6 985 aux employés (Le Figaro, 8 juillet 1908).
22Quelques jours plus tard, Merry del Val, dans une lettre au cardinal Richard, affirme que la circulaire de Briand est « illégale » (les cérémonies religieuses n’ont rien à voir avec la loi de 1881) et « arbitraire » (jouxtant deux lois différentes). Elle induit un état de fait « précaire » (le clergé occupant les églises sans titre juridique) et, dans sa seconde partie, « une situation intolérable » ; or « [c]e serait accepter ceci que consentir à cela ».
23L’épiscopat, dans sa majorité, acceptait la logique du premier seuil, et c’est pourquoi il a pu voter les statuts d’associations « fabriciennes » canonico-légales. La situation française du xixe siècle était très ambivalente : si le Vatican n’avait pas reconnu les articles organiques de 1802, ils s’imposaient, cependant, et avaient force de loi.
24Dans le n° de janvier 1907 (56 : 225 sqq.) des AJL, « l’ennemi » Pie X est accusé de « jeter les germes de haine » et de « [pousser] à la guerre […] les citoyens de la même patrie ».
25Deux points de vue, non contradictoires mais à l’accentuation différente, s’expriment dans Le Radical. Le 10 décembre, P. Leconte, tout en estimant : « Il n’y a plus de terrain légal, c’est la lutte ouverte », ne veut pas que la République fasse, au pape, « le plaisir de fermer une seule église ». Le lendemain, F. Buisson affirme que le refus d’un droit commun « expurgé » prouve que le pape ne peut accepter que « notre soumission absolue ». Il faut donc abandonner « l’espoir chimérique de trouver des […] demi-mesures » et renoncer à la « ligne générale de l’article 4 » (position différente de celle qu’il avait adoptée au congrès du PRRRS en octobre).
26En fait, la gauche est, comme à l’habitude, divisée. Pour M. Allard (La Lanterne, 12 décembre), tout maire républicain doit « chasser le curé du presbytère et fermer les portes de l’église. C’est la loi ». Le gouvernement osera-t-il intervenir pour « faire remettre illégalement les églises » aux curés ? Jaurès (L’Humanité, 11 décembre) s’interroge : « En quelle aventure inextricable le gouvernement va se fourvoyer ? » 40 000 contraventions seront, « pour les politiciens de sacristie, l’occasion de scènes théâtrales, ridicules sans doute, mais qui discréditeront pêle-mêle la République
et l’Église ».
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