Une correspondance au quotidien : Amélie et Émile Quentin, 1914-1919
p. 89-108
Texte intégral
1La correspondance de guerre que je me propose de présenter ici est sans nul doute celle de gens ordinaires, si l’on entend par là des individus appartenant aux classes populaires, puisqu’il s’agit de l’intense échange épistolaire entre un sabotier et sa femme couturière. Ce sont des gens ordinaires pris dans la tourmente d’une période littéralement extra-ordinaire et vécue comme telle par les protagonistes : celle de la guerre qui éclate en août 1914 et qui ne va cesser dans les années qui suivent d’apparaître comme une monstrueuse et tragique anomalie. C’est cette situation extra-ordinaire, en ce qu’elle éloigne pendant des années les soldats de leur famille et sépare les couples, qui pousse, voire même contraint, les individus à s’écrire et à faire de l’échange épistolaire une pratique ordinaire et qui, pour beaucoup, parmi des gens modestes ayant le plus souvent à peine le niveau du certificat d’études, ne l’était certes pas auparavant. Envoyer et recevoir des lettres, c’est-à-dire surtout ne cesser d’en attendre, devient l’ordinaire des jours, écrire, pour beaucoup, un exercice, aux tranchées comme à l’arrière, quasi quotidien, l’attente du courrier, un moment à la fois désiré et redouté par-dessus tout, surtout, bien sûr, pour ceux de l’arrière. Aussi cet ordinaire n’est-il pas celui de tant d’autres gestes quotidiens dont ces correspondances parlent aussi – la nourriture, le travail, la routine de la vie civile et le train de la vie militaire –, il est le rappel constant, la preuve sans cesse réitérée de la situation d’exception dans laquelle tous vivent, au front comme à l’arrière, mais de manière radicalement et irrémédiablement différente. Ce que l’on observe dans la correspondance dont je voudrais parler, en ceci parfaitement exemplaire – et ordinaire en ce sens-là aussi –, est la manière dont la relation de couple, son intimité, sa familiarité, se reconfigure dans l’éloignement par l’échange des lettres, la mise en place par l’écriture d’une circulation ordinaire de passions et d’affects – amour, désir sexuel, frustration, joie, peine, peur, angoisse, espoir, soulagement, etc. La relation désormais, tant les permissions sont rares, ne repose presque plus que sur l’écriture : c’est elle qui l’entretient, la fait durer, la consolide, la réinvente, la modèle, lui confère toutes ses qualités. Qui plus est l’écriture sert, comme nous le verrons, à créer un lien paternel très fort, au jour le jour, avec l’enfant qui naît tout juste après le départ du soldat. Les époux Quentin, comme tant d’autres au même moment, ont pris toute la mesure de l’importance de l’écriture dans leur relation de couple et dans leur statut de jeunes parents, eux qui étaient pourtant de bien modestes lettrés. Petit à petit, les lettres s’étoffent, l’écriture s’enrichit, une conversation suivie – une conversation écrite certes, mais qui prend la place de l’oralité en la mimant – au long cours s’instaure. Elle porte sur tous les aspects de la vie, outre leurs sentiments réciproques : nouvelles du village et du régiment, de la famille, santé, économie du ménage, travail, car les lettres ont aussi, en même temps, une fonction immédiatement pratique, concernant la vie économique et matérielle du couple : envoi de colis et d’argent sur le front, conseils divers concernant la gestion du foyer, etc. Ce travail d’écriture quotidien, resituée dans l’ensemble de la longue vie du couple, fait exception : jamais plus, pour ce que nous en savons, ils n’écriront autant et à personne d’aussi longues lettres, aussi personnelles, aussi denses d’émotions et riches d’informations. Alors, certes, nous pouvons ici reprendre à Daniel Fabre et à son équipe toutes ces formes d’écriture vouées à demeurer dans la sphère de l’intime et qui se distinguent de celles destinées à la publication, dont la littérature fait partie (Fabre 1993). Il va de soi que les époux Quentin n’écrivent pas pour être publiés et n’ont aucune ambition littéraire. Leur échange est strictement privé et tout ce que chaque lettre apporte est destiné à s’épuiser dans la lecture et relecture le jour de sa réception et jusqu’à la prochaine. Aucun horizon public n’est visé au-delà de la conscience du fait que, de part et d’autre, les lettres peuvent parfois être lues par des tiers (la censure militaire, des tiers membres de la famille…). Mais pour nous, il en va tout autrement, car il saute aux yeux que cette écriture n’a rien d’ordinaire, si l’on entend ici par ordinaire une écriture qui n’aurait d’autre intérêt que celui de constituer malgré elle un document pour l’histoire – et il s’agit bien à cet égard d’un document précieux. En effet l’expérience dont elle offre le partage du fait de ses qualités propres, qu’il n’est certes pas abusif de dire littéraires, n’a elle-même rien d’ordinaire, puisqu’elle est justement celle de la situation extra-ordinaire, proprement unique, de la Grande Guerre mais aussi, et comme de surcroît, la participation intense, à travers la lecture, à toute la gamme de sentiments délibérément suscités, retenus, excités, tus dans cette situation particulière, mais appropriable par tout un chacun. Preuve est ainsi faite, de manière performative, qu’une écriture modeste à tous points de vue et strictement privée, est susceptible d’une efficacité littéraire, certes très différente, mais comparable en intensité aux œuvres destinées à un public et que le public a reconnues parce qu’il s’y est reconnu.
Une couturière à l’arrière et un sabotier au front
2En 2014, j’ai eu la chance de devenir le dépositaire d’un gros carton de courrier promis à la déchetterie. Il contenait la plus grande partie du courrier échangé par un couple de Creusois, qui résidait à Parsac, à 25 kilomètres de Guéret sur la route de Montluçon : Amélie Quentin, née Chandion, et Émile, son mari. Émile, de la classe 1908, est sabotier et Amélie exécute surtout des travaux de couturière. Lorsque la guerre éclate, Amélie et Émile sont de jeunes mariés ; ils ont convolé le 25 mars 1913. Leur premier enfant, une petite fille, naît le 6 août, soit quelques jours à peine après le départ d’Émile. Amélie nomme sa fille Émilienne. Émilienne est le premier sujet de la correspondance quasi quotidienne d’Amélie à destination de son mari. Amélie ne se lasse pas de décrire et de raconter, avec beaucoup de minutie et grande effusion, les progrès d’Émilienne dans la vie.
3Un exemple parmi des milliers – ou plutôt des « miliennes » – d’autres, la première dent d’Émilienne :
« C’est hier soir en la fesant mangé que j’aie entendue cette dent sur ma cuiliére. Tu parle d’une surprise c’était un coup d’état » (lettre d’Amélie, le 31 mai 1915).
4Émile, dit Mille, Amélie, dite Mélie, Émilienne, dite Milienne, toute la correspondance ne cesse de faire résonner l’harmonie magique de ces trois noms :
« ce cher petit ange cheri mille fois qui porte ton non oui mon mile » (lettre d’Émile, le 24 octobre 1914).
5Le couple vient d’ouvrir un petit commerce de sabots et de chaussures à Parsac ; ils ont signé un bail commercial avec une femme, veuve de sabotier, « Madame Debelat », qui leur a fourni une partie du fonds. Ils l’appellent « la patronne ». Cette personne se montre tantôt bienveillante à leur égard, tantôt réclame de l’argent qui, pourtant, au vu des circonstances, ne lui est pas dû. Émile, dès l’automne 1914, est nommé sergent. Il est au 278e d’infanterie en 1914, au 43e en 1915, puis enfin au 201e d’infanterie… Il est blessé une première fois le 5 décembre 1914 à Rouvroy dans la Somme, puis très grièvement à la cuisse le 16 avril 1917 sur le plateau de Californie. Après cette date, il est opéré plusieurs fois et très longuement hospitalisé, à Chartres, en région parisienne, puis à Montluçon, de sorte que ce n’est qu’à la fin de l’année 1919 qu’il rentre définitivement dans son foyer pour y reprendre son métier de sabotier et de marchand de chaussures, qu’il exercera sa vie durant, s’installant quelques années plus tard à Gouzon, à deux pas de Parsac. Du fait d’un raccourcissement du pied et d’une grave atteinte au nerf sciatique, il sort de la guerre gravement handicapé d’un pied.
6La masse des échanges est considérable et sa conservation assez exceptionnelle. Pour la seule année 1914, pas moins de 90 lettres, cartes-lettres et cartes d’Émile et plus d’une cinquantaine d’Amélie. Et dans les années qui suivent, jusqu’en 1918 compris, entre 100 et 200 missives d’Émile et entre 126 et 199 d’Amélie par année, sans compter les cartes postales illustrées (89 pour les deux épistoliers, mais beaucoup d’autres se sont perdues1), soit un total pour toute la période de 1 540 pièces échangées par le couple, auxquelles s’ajoutent 136 lettres et cartes de divers membres de la famille et amis destinées à l’un ou l’autre des époux. Les lettres que s’envoie le couple, en particulier celles d’Amélie, sont très longues et très fournies. Émile écrit à Amélie que ses camarades de tranchées se moquent de lui : « Voila quentin qui reçoit son journal2 ». La mère d’Amélie utilise le même mot selon sa fille : elle lui reproche d’être « après3 écrire un journal » plutôt que de vaquer aux occupations domestiques. Elle-même dit : « Je voie qu’a force de bavarder ce sera un petit journal que j’enverrai a mon grand mille tabazou4. »
7La grande feuille, pliée en deux, est généralement entièrement écrite, la fin de la lettre garnissant le moindre espace des marges et se finissant presque toujours en saturant les blancs de l’en-tête, sans compter les petits feuillets et cartes rajoutés.
8Émile est issu d’une famille de « cultivateurs » de la commune de Rimondeix. Son père est décédé alors qu’il était jeune adolescent et sa mère s’est remariée avec un paysan du hameau de la Semnadisse (prononcé la Séménadisse, lieu de semailles), dans la même commune. Il a une sœur, Françoise, « louée » dans les fermes des environs, et un frère, Alfred, cultivateur lui aussi et maçon, mobilisé comme lui.
9Amélie aussi est issue d’une famille très modeste, du hameau de Crépon près de Boussac, à 20 kilomètres de Rimondeix. Son père est ouvrier dans un moulin, sa mère tient un bistrot5 dans la petite maison familiale et semble d’ailleurs elle-même boire parfois un peu trop : « elle doit bien avoir le nez rouge un peu tout les jours », écrit Émile (4 octobre 1916). Amélie a trois jeunes frères eux-mêmes loués dans des fermes, Lucien, vite mobilisé, Eugène, sous les drapeaux en 1917, et Jean, lui aussi loué dans une ferme.
10C’est chez ses parents que se réfugie Amélie au début de la guerre pour y accoucher et s’occuper du bébé : elle touche l’allocation pour les femmes de soldats mobilisés, exécute des travaux de couture, aide sa mère, garde les chèvres au champ avec le bébé, fait la cuisine pour les clients du bistrot et les sert, parmi ces derniers de nombreux soldats en permission ou des blessés en convalescence à Boussac…
11Mais au bout de quelques mois de correspondance, elle commence à avouer que ses relations avec sa mère se sont considérablement détériorées. La boisson aidant, sa mère passe son temps, comme elle aime à dire, à lui « chanter la messe » et à lui faire des reproches, en particulier d’être à sa charge, elle et la petite. Elle écrit :
« La colère, ne me quitte plus car les nerf sont plus fort que moi et je tremble par moment comme une vieille acablée par les années » (lettre d’Amélie, mai 1916).
12Nous n’apprenons vraiment le détail de ce conflit que lorsqu’elle parvient à mettre en œuvre des stratagèmes pour insérer dans ses lettres et cartes-lettres des petits feuillets séparés, car sa mère, et parfois son père, plus absent, exigent manifestement de lire la correspondance conjugale. Parmi les reproches qui pleuvent sur elle, il y a celui justement de passer trop de temps à écrire à son mari. Aussi préfère-t-elle réinvestir la maison de Parsac, lors des rares permissions de son mari, où elle le reçoit dans, dit-elle, « ce doux nid d’amour au quel cette meaudite [guerre] nous en a arachée si brutalement » (20 janvier 1916). Mais surtout elle prend la décision, longuement mûrie, de revenir vivre à Parsac à partir de fin janvier 1916. Elle parvient même à rouvrir la boutique car elle trouve un ouvrier sabotier qui lui prépare et lui apporte de la marchandise, cela entièrement de sa propre initiative, mais avec la bénédiction rétrospective de son mari, heureux, dit-il, d’avoir une « femme aussi débrouillarde ». Pour autant, il ne cesse de suivre de près la boutique et le cas échéant, mais rarement, donne des ordres à Amélie (par exemple lui interdisant en diverses occasions de céder aux réclamations de la patronne !).
De l’écrit oralisé
13Les découvertes que j’ai faites dans ce grand ensemble d’écrits, auquel il faut ajouter une centaine de lettres des autres membres de leurs familles respectives, corroborent les travaux de Clémentine Vidal-Naquet et des autres historiens et analystes qui ont travaillé sur les correspondances conjugales de la Grande Guerre, avec quelques petites particularités que je vais tenter de mettre en relief (Vidal-Naquet 2014 et 2018).
14Je ne connais par leur niveau de scolarité exact (Émile est indiqué sur la fiche matricule de niveau 3 : sait lire, écrire et compter), mais ni l’un ni l’autre ne maîtrise parfaitement l’orthographe. Les erreurs sont nombreuses, mais régulières, chacun ayant les siennes propres si je puis dire (par exemple, Amélie confond le « j » et le « g », multiplie les « e » muets à la fin des mots, etc.). La ponctuation est minimale et mal maîtrisée. Les marques d’oralité pullulent à la fois dans l’orthographe (par exemple, Amélie écrit toujours « auroire » pour « au revoir » et « maitenant » pour « maintenant », Émile, quant à lui, introduit nombre de phrases par un « je tassur », « tassur » en un seul mot et sans « e ») et dans le discours proprement dit, qui est très souvent de l’écriture parlée, c’est-à-dire que les époux cherchent manifestement à se parler en écrivant et à restituer des bouts de dialogues (surtout Amélie qui est bien meilleure narratrice), tout en utilisant pourtant un ensemble de formules standard de la correspondance amoureuse mais elles aussi infléchies dans le sens d’une oralisation potentielle (celle d’une lecture qui pourrait se faire à haute voix, mais certes pas celle de la conversation réelle6). En particulier les lettres sont toutes pleines, et j’aurais presque envie de dire saturées, de formules d’adresse amoureuses : « Mon Mille adoré », « Mon amour chérie », « Mon amour joli », « Mon Mille que j’aime », « Mon Mille chéri adoré », « Mon cœur adoré joli », « Ma chérie mon amour jolie », « Ma Mélie jolie », « Ma chère Amélie adorée »…
15En fait elles en offrent bien plutôt le rythme, la scansion, marquant de manière ininterrompue, la première raison d’être de cette correspondance qui est d’abord d’exprimer l’affection conjugale et amoureuse par l’écriture, faute de pouvoir le faire autrement. Car, ils le disent souvent, l’écriture pour l’un et l’autre est un pis-aller :
« Quand donc, demande Amélie, que nous aurons plus besoin de ces lettres pour nous comuniqué toutes nos pensées [?] quand donc hélas que nous pourront toujour nous parle a vive voix [?] » (lettre d’Amélie, le 2 mars 1915).
16Un exemple, pour le coup, d’écriture pure ! C’est pourquoi sans doute ils écrivent la plupart du temps de manière très décomplexée (sans ratures, sans remords d’écriture), à la recherche de séquences fortement marquées par l’oralité, où l’influence du parler marchois, que l’un et l’autre sans aucun doute pratiquaient, se fait nettement entendre : l’usage de « comme » pour dire « avec » (« nous somme venu comme un homme de Gouzon ») ; « après » pour dire « en train de » (« il est aprés bécher le jardin ») ; « je suis été » (pour « je suis allé » : « je suis été à la foire... ») ; l’usage systématique de l’adjectif « chéti », pour « méchant » ; l’expression récurrente « porter peine », pour dire « se faire du souci » ; « à bord de nuit », pour désigner le crépuscule, etc.
17Je n’affirme bien sûr pas qu’ils se sont écrit comme s’ils se parlaient réellement, certainement pas, mais on peut plutôt parler d’un travail spontané d’oralisation de l’écrit, qui rend leur langue sans doute très indicative de la manière dont on parlait français à Boussac au début du xxe siècle, sans préjuger du fait que l’on y parlait d’abord marchois, surtout dans la classe rurale à laquelle appartiennent les épistoliers. Mais dans cette langue dont on peut dire qu’elle est celle « du pays », intervient l’argot des tranchées auquel Émile initie Amélie :
« Nous avont trouver le moyen de rentre[r] a sept heur et je tassur ma chérie que nous étionts pas seul il y avait un peu de pinard avec. Le pinard ses le vin7 » (lettre d’Émile, le 12 décembre 1915).
18Il lui décrit les gourbis, parle des totos, des marmites, etc., bref, pour Émile, décrire la vie militaire, au front et au repos, passe assez naturellement par l’usage du lexique et des expressions du poilu.
Fragments de la vie aux tranchées
19L’objectif premier d’Émile est de rassurer : il donne peu de détails sur les combats, ou bien il les évoque de manière rétrospective, quand le danger s’est un peu éloigné8. Les missives où il avoue être pris sous le feu sont rares, comme au moment de la bataille de la Somme :
« Toujours des obus qui vont et qui viennent au dessus de notre tête, mais on y fait pas attention. Rien que pendant le temp que j’ai fait ta lettre il en ait sans doute bien passer plus d’un Mil au dessus de nous autres et comme tu vois que la main ne me tremble pas pour cela » (lettre d’Émile, le 23 août 1916)9.
20Ce qui, bien sûr, n’est qu’à demi rassurant ! Le pacte que lui rappelle sans cesse Amélie, à charge de réciprocité10, est de lui dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité11. Mais elle le suspecte, à juste titre, de minimiser, voire de mentir :
« […] sur la lettre ou tu me disait que tu était au millieu d’un bois, je trouvai bien qu’il manquait quelques détails, pour croire que tu était dans ce bois pour y faire les sabots » (lettre d’Amélie, le 3 décembre 1915).
21En fait il était bien dans une tranchée !
22Ce dont il parle le plus volontiers, c’est de ses occupations au repos, les repas festifs – les « bombes » comme il les appelle –, le « pinard », dont il ne cache pas qu’il en boit immodérément chaque fois qu’il le peut (« Car c’est notre seule distraction qu’and on tient une bonne cuite au moint la on voit la vie toute en rose », 12 décembre 191512), et les cartes, la manille, seule source de distraction :
« Nous n’avont que cela pour nous distraire un peu. Aussi je peu tassuré qu’on les retourne bien des fois pandant une journée, tout les jours de onze heures du matin a onze du soir… » (lettre d’Émile, le 15 juin 1916).
23Aux cartes, il gagne ou perd de l’argent, et doit quémander assez fréquemment auprès de sa femme des petites sommes de 10 francs.
24Ses descriptions, quand il en donne, et il en donne surtout parce qu’il souhaite que sa femme en retour ne soit pas avare de « détails » comme il dit, sont destinées à divertir et à apaiser l’inquiétude d’Amélie. Ainsi lorsqu’il décrit les gourbis dans les tranchées :
« Si tu me voyait dans mon petit gourbit tu rigolerer un peu, tu me dirais que je suis comme un prince j’ai un bon lit de mousse avec des sacs par-dessus et m’on gourbit est tapisser tout le tour avec des sacs et j’ai juste la place pour me coucher » (lettre d’Émile, le 1er avril 1916).
25Plus tard, il évoque également un abri, au repos à l’arrière :
« […] je suis dans un petit abrit tous seul l’on dirait une vraie chambre nuptiale, tout les murs sont tapisser d’éttof blanc ainsi que le plafont et il y a un petit lit fait avec du fil de fer avec une bonne paillace dessus et devant des rideaux blancs de la même éttof que les tenture. Mais ma chérie il y manque quelque chose et c’est le plus important (ces la jeune femme) » (lettre d’Émile, le 14 octobre 1916).
Intimités, ménomancie, prophéties
26La sexualité est présente dans l’échange et le propos glisse parfois vers ce que ces jeunes époux appellent « dire des bêtises »13. Il s’agit surtout d’Émile, qui ne manque pas d’exploiter des équivoques grivoises à l’intention de sa femme : « tu pouras prendre quelqu’un pour bêcher notre bout de jardin et le faire cultiver (mais pas le tien par exemple a sa non) » (16 janvier 1916). Ou bien lorsqu’il évoque les permissions tant attendues à Parsac :
« Je crois que nous auriont guere dormit pendant la premier nuit je me figure qu’il s’en serait passez de drole car au moint la on est libre l’on aurait pas eu peur que la mère chandion nous entende. Nous auriont été libre de nos ébats. Je ne peut me figurer ce qui se serait passez. Oh ma chérie mon amour jolie je m arrette la de dire des bétise car pendant la nuit il pourait se faire que je me figure y étre avec toi et ma fois il pourrait m arriver de deposer quelque chose dans ma chemise et non dans la tienne (oh grand sale)14 » (lettre d’Émile, le 16 janvier 1916).
27Toujours en effet, lorsqu’il « dit des bêtises », il intègre les réactions effarouchées présumées de sa compagne. Il faut dire qu’elle se prête volontiers au jeu :
« [Au sujet des] menaces que tu me fait. (il faudra que je paye toute mes dettes) enfin j’en suis avertie je tâcherai de me préparer a cela. Mais mon amour joli chéri j’aimerai beaucoup mieux payer tout cela au comptant plus tot que de laissé amassée les intérêt » (lettre d’Amélie, le 7 octobre 1916).
28Amélie, en effet, sait très bien compter, et pas seulement dans l’exercice de son commerce !
29Mais je voudrais surtout noter un rituel que le couple met en place au cours de l’année 1915 et qu’ils répètent scrupuleusement jusqu’à la fin de la guerre, une pratique connue sous le nom de ménomancie ou de calendrier de l’Amia. Il s’agit d’un procédé de divination par le jour de la semaine et la date du mois auxquels surviennent les règles. Je l’ai trouvé sur Internet, pratiqué aujourd’hui encore, exactement sous la même forme et les mêmes termes. Amélie envoie discrètement les données, par exemple : « Lundi ? 28 ? » et Émile : « voila la reponse Lundi (Nouvelle connaissance) 28 : on socupe de vous sans que vous le sachait ». L’un et l’autre commentent les réponses sans, apparemment, s’en moquer. Il est évidemment étonnant que ce soit Émile qui ait la clé, ou plutôt en dispose (car il ne l’a apparemment pas en sa propre possession, du moins au départ), et il se garde de la lui envoyer, alors qu’elle tient dans une simple feuille de papier. À en juger par l’orthographe, la clé en question n’est pas directement prise d’une publication mais d’une copie manuscrite. Ce procédé permet à Émile de connaître précisément le cycle de sa femme, tantôt s’inquiétant pour sa prochaine permission (« Mardi : cadaux. 4 : Joie et gaité. Mon amour chérie la reponse est tres bonne, mais la date ne me convient (guère) car si ça continue ce serat juste à pic (Oh grand chetif gas) »), tantôt s’inquiétant d’un retard après une permission : « je començer a trouver le temp long (javais peur d’avoir fait quelque bétise)… ». On voit là à quel degré d’intimité nous parvenons dans ces correspondances conjugales à destination strictement privée. J’avoue d’ailleurs une certaine gêne : une grande partie de cette correspondance n’était évidemment destinée qu’au couple lui-même et, même un siècle après, l’impression d’indiscrétion reste très forte.
30Je ferai un lien, qui vaut ce qu’il vaut, entre cette pratique divinatoire privée et le crédit accordé dans la correspondance aux vaticinations de voyants et mages qui prétendaient apporter des réponses à la question obsédante, posée à la fin de chaque lettre ou presque de l’un et de l’autre : quand finira donc cette « maudite campagne », « le terrible cauchemard » « que nous vivons tous » ? En effet, Émile demande :
« Tu as vut dans le journal ce qu’a dit un profete serbe. Que la guerre finirait dans le mois qui commence par un mardi, ca doit étre le mois d’aout » (lettre d’Émile, le 29 juillet 1916).
31Mais déjà le 8 février 1916, Amélie écrivait :
« Madame de thèbe a fait paraître sur un journal hier que la guerre ne serai pas longue maintenant quelques mois et c’est une fin victorieuse pour nous. Mon amour adoré joli c’est bien drole mais toutes ces belle paroles je ne peut plus y croire15 » (lettre d’Amélie, le 8 février 1916).
Religion
32Un sujet par contre très rarement abordé dans cette correspondance est celui de la religion, dont on sait pourtant le regain d’intérêt qu’elle suscita dans ces années (Becker 1994 ; Vidal-Naquet 2014 : 285). Je ne m’avancerai guère en affirmant que cette absence s’explique largement par le contexte de désaffection des pratiques religieuses et même – n’en déplaise à Louis Pérouas – de déchristianisation très avancée de la Creuse et du Limousin au début du xxe siècle (Pérouas 1985). Il n’en est pour ainsi dire jamais question. Sauf à un seul moment, lorsqu’en 1915 Émile, après sa blessure de la fin 1914, rejoint sa nouvelle garnison. Il écrit, comme une chose l’étonnant lui-même, le jour de l’Ascension :
« Depuit que je suis repartit je croit que je comence a devenir devot car Dimanche je suis été a la messe et deux soir de rang a la priere. Et ce matin je vais encorre aller entendre la messe… » (lettre d’Émile, le 13 mai 1915).
33Amélie lui répond simplement :
« […] je t’adresse tout mes compliments car je m’apercois que tu devien religieux tu fera pas mal d y aller encore un peut plus souvent a ma place car moie voi tu il y a bien deja quelque temps que je n’aie pas entendu la messe a l’Eglise » (lettre d’Amélie, le 19 mai 1915).
34« À l’église » est souligné d’un trait de plume et, en retour, Émile plaisantera sur la « messe » qu’entendrait déjà Amélie chez elle, reprenant là l’expression par laquelle celle-ci désigne les reproches incessants que lui fait sa mère. Il n’en sera plus jamais question.
35Une chose très impressionnante, d’ailleurs, est l’absence totale de références religieuses dans le lexique et les formules optatives ou consolatrices (mis à part quelques très rares « Dieu merci »), une absence beaucoup plus radicale que dans le français usuel d’aujourd’hui. Le substantif Dieu n’apparaît que deux fois dans le corpus et encore seulement dans des propos rapportés (une religieuse de l’hôpital de Bédarieux16 et une vieille dame de Boussac17). C’est plutôt comme si l’on était à des années-lumières de préoccupations religieuses et la période de dévotion d’Émile semble avoir été des plus courtes. Pour autant on ne trouve jamais de formules anticléricales et, selon les souvenirs de la famille, le couple, en vieillissant, n’était pas exempt de pratiques religieuses. Je signale ce point car l’on a beaucoup insisté sur le grand élan de religiosité au moment de la guerre et, en particulier, sur le rôle des femmes dans cette piété de guerre (Becker 1994)18. Or Amélie y semble totalement imperméable, alors même que dans le contexte de la guerre les occasions ne lui manquent certes pas : dans l’angoisse permanente de la mort qui guette son mari, son frère, moribond un mois durant et sauvé in extremis, ses nombreux cousins au front, morts ou blessés, la liste des décès qui s’allonge partout autour d’elle à Boussac et à Parsac et qui touche son voisinage immédiat : « […] quand on est tranquille des uns c’est des autres qu’il faut porte[r] peine », regrette-t-elle avant d’ajouter froidement : « hélas. Nous en avons trop qui sont sous la mitraille pour qu’il[s] echapent tous » (16 mai 1915).
Litanie des morts et affaires de mœurs
36C’est Amélie qui apprend à Émile la plupart des blessures et des décès des habitants de Boussac, de Parsac et des environs : une litanie sans fin, en vérité. Il y a des moments de désespoir profond, comme celui relaté le 1er février 1916 :
« Ici c’est la même vie que partout ailleurs a chaque instant on apprend la mort d’un ou de l’autre ou ceux qui sont resté reçoivent leur feuille de dépard ainsi il y avait plus qu’un marechal ce matin il a eu sa feuille […]. Tout le monde cri tout le monde se demande ce que tout cela va devenir. Tien voici une nouvelle que je vien d’apprendre il y a un homme de Gouzon qui était sur le front et ne pouvant avoir de permission il est venu tout de même chez lui ou il a embrasser tout ceux qui lui était cher et il s’est enfuit dans son grenier ou il s’est suicidé pour ne pas retourné la bas19 » (lettre d’Émile, le 1er février 1916).
37Le 24 mai de l’année précédente déjà, elle lui racontait qu’un soldat s’était suicidé à Boussac :
« Je ne sais ce qu’il avait fait il était dans une chambre du château [siège de la sous-préfecture]. Les fenetres etaient au dessus du petit balcon de la soupréfecture tu sais du coté des bains. Ce soldat avait du mal a un doigt le mageor le soignait. Il lui demandait d’étre réformé, le médecin lui dit que non qu’il serait auxillaire, ca ne lui allait pas sans doute. Il lui a mis la main au cou. Après cette seine. On lui a dit qu’il passerai au conseil de guerre. Et il a dit que non, alors il enjambe la fenéttre et en bas. Il est tombé en bas de la cote et est mort deux heures aprés. Pére de 4 enfants20 » (lettre d’Amélie, le 24 mai 1915).
38Mais le récit de la guerre à l’arrière, inlassablement relaté par Amélie et commenté par Émile en retour, c’est aussi, et peut-être d’abord, la chronique des mœurs locales, autrement nommée par le couple : les histoires des « femmes de Boussac ». Le ton se fait alors plus léger, mais la censure est impitoyable à l’égard des présumées fautives, quelles que soient les situations variées qui se présentent et, même si Amélie dit que très souvent ce sont des soldats qui sont mis en cause, pour elle le blâme va d’abord aux filles et aux femmes mises en cause. En janvier 1916, Amélie envoie à son mari une nouvelle croustillante de Boussac : une certaine madame Brody, mère de plusieurs enfants, dont le mari, Camille, est sous les drapeaux, s’est enfuie avec un amant. À son retour, le mari et le père de « l’oiseau volage » partent à sa recherche, avec d’autant plus d’empressement qu’elle est partie avec les économies du ménage ! Émile commente :
« Je ne puit pas me figurer qu’une mère puisse abandonner ses enfants pour se sauvé avec un amant. Il faut qu’elle soit pir qu’une bète » (lettre d’Émile, le 10 janvier 1916).
39Quatre jours après, Amélie lui écrit :
« Madame Brody est de retour de son agréable voyage […]. Ils l’on trouvé a Paris chez la fille gondard […] on ne sait pas ce qu’il y a eu, peut-être que les deux rival se sont pris aux cheveux on ne sai pas mais camille avait quelques egratignures en pleine figures peut importe il a l’air heureux d’avoir retrouvé sa charogne de femme comme il disait a boussac. Ils sont revenus comme deux jeunes mariés […] quand il sera reparti la vie va reprendre comme avant. Oh tu a raison de dire ce sale jibier de femme mais tu peut faire exception car elle ne sont pas toutes comme Madame Camille. Oh non mon chéri des têtes comme celle la ca ne devrai plus porter le non d’un homme. » (lettre d’Amélie, le 14 janvier 1916).
40Émile trouve l’histoire « épatante ». Il apprend des détails supplémentaires par le filleul de madame Brody, qui est au front avec lui21, et l’affaire devient le grand sujet de conversation lorsque les soldats du pays se retrouvent au repos, à faire « la bombe » :
« Tu comprend rien que le plaisir de se retrouver sa soule a moitier, car l’on a pas bien but (une quarantaine de bouteille) a huit ce n’est pas beaucoup. Et l’on a longuement parler du pay et de toute c’est petite affaire qui si passe et la conversation est revenu souvent sur Camille22 » (lettre d’Émile, le 21 février 1916).
41Amélie l’entretient ainsi d’autres potins et rumeurs sur « les femmes de Boussac », brocardées et même numérotées par les soldats qui viennent boire chez elles23. Dans une lettre du 8 juin 1916, évoquant diverses histoires jugées scabreuses – celle d’une demoiselle voisine de Crépon tombée malencontreusement enceinte, celle d’une jeune fille qui faisait des petits voyages à Montluçon en compagnie d’un officier24, celle encore d’une autre demoiselle suspectée d’avoir avorté à Paris et se faisant photographier « à bidet » sur le cheval d’un autre officier, laissant voir ses jambes (position scandaleuse entre toutes !)25 –, Émile écrit :
« Ma chérie mon cœur adoré si ca dur encore longtemp la débauche gagnera tout le monde. Car ma chérie cest affreux de voir toute les vies qui ce font un peu partout. Quand a mois je tassur ma chérie que ça me laisse complétement froid » (lettre d’Émile, le 8 juin 1916).
42À vrai dire, pas tout à fait, car dans la même lettre, il lui raconte un rêve qu’il vient de faire :
« la nuit derniere je tes surprise avec un autre et bien tu parle si le grand Mille faisait joli je tes mise dehors tu remonter du coter du pui la rousse. Mais tu verse [versais] tellement de larme que je tai rappeler, l’on cest biger un bon cout et tout a été fini » (ibid.)
Rêves et rêveries
43Ce rêve est bien sûr transparent, d’autres sont plus complexes, car les époux se racontent assez régulièrement des rêves dont le destinataire du récit est aussi le protagoniste principal, et ces songes, ou plutôt les récits de ces songes, nous font accéder au cœur des angoisses et des désirs de l’un et de l’autre. Soit par exemple ce récit d’Amélie, du 27 janvier 1916 :
« Tien mon mille joli cheri il faut que je te dise le rêve que j’ai fait cette nuit […] j’était couchée avec notre cher petit amour joli. La petite fesait déjà dodo quand tout a coup j’écouté des pas devant la porte ; puis ca s’est approché et ca frapait mais sans ne rien dire, et a une heure aussi tardive je me disai ce n’est pas un client ordinaire et je n’ai pas bougée et je n’entent plus de bruit je croyait que c’était parti je respirai un peut mieux, mais je tremblait bien fort quan j’ai entendu monter les esqualliers. et une grosse voix me disait ouvre ou il t’arrivera malheur. d’un coté ou de l’autre tu m’ouvrira. et moi je ne disais toujours rien mais la petite s’était eveillée et elle pleurait. cela a fait pitiée a mon visiteur nocturne et il a repris sa voix ordinaire et j’ai reconnu mon mille. (oh grand chéti gas) c’était bien le ca de le dire oh mon chéri je te voyait bien heureux de m’avoir fait cette farce la. et tu me disai cette fois ci je te revien pour toujour. et la dessus je me suis réveillée mais je tramblait malgrés moi car je me figurai toujour entendre le bruit que tu fesait a cette porte. tu voi mon chéri il faut que tu m’en fasse même de loing hêlas de bien loing oui mon chéri […]26 » (lettre d’Amélie, le 27 janvier 1916).
44Son Émile la remercie bien souvent pour tous « ces détails » dont elle remplit ses longues missives. Car elle sait raconter en effet certains petits détails de la vie quotidienne, à la fois pour prouver que, malgré la situation, elle « ne porte pas peine », et surtout pour donner à imaginer à son mari, au plus près, pour donner à voir en fait la vie, le charme et les progrès de la petite fille qui les unit si étroitement ; à voir, mais aussi à entendre, en reproduisant par exemple au plus près l’évolution du parler bébé d’Émilienne.
45Je terminerai la présentation de ce très riche corpus en m’arrêtant sur la description que fait Amélie de ces petits bonheurs quotidiens, à la fois gagnés sur la guerre et à la merci de la guerre, ces moments de joie suspendus aux nouvelles, elles aussi quasi quotidiennes, portées par le facteur. En voici un exemple entre mille (mille pour Émile !) : le petit tableau qu’elle envoie le 13 août 1916 (Émilienne vient d’avoir deux ans) :
« Tu rirait si tu la voyait maintenant quand on va au champ elle prépare le panier (que le cousin ma fait) elle y met du lolo et la timbale un peut de pain et des pieces de chiffon en masse et une pépète la boule des fous un grelot. Enfin elle en foure jusqu’à ce que le panier soit au complet j’étent un journal dessus mon travail et en route et arrivé au champs elle s’amuse bien mais quand les petit belot [chevraux] nous font courir elle les apelle canaille » (lettre d’Amélie, le 13 août 1916).
46Plus d’un an auparavant déjà, le 7 juin 1915, elle écrivait :
« Ces temps ci elle est bien heureuse car on va au champs une partie du temp on vit un peut comme les sauvages dans les champs et les bois, ca ne fait ri[e]n on est heureuses tout de même, surtout quand on a de bonnes nouvelles du papa chéri27… » (lettre d’Amélie, le 7 juin 1915).
47J’espère avoir convaincu, par ces quelques citations, que mes déclarations liminaires sur la qualité littéraire de ce travail d’écriture modeste destiné à soutenir et enrichir la seule relation privée des époux Quentin n’étaient pas arbitraires.
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Vidal-Naquet Clémentine (éd.), 2018. La Grande Guerre des Français à travers les archives de la Grande Collecte, Paris, Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale / SIAF.
Notes de bas de page
1Les cartes postales, parce qu’illustrées, ont pu être en partie disséminées au sein de
la famille.
2Il ajoute aussitôt : « Mais cela me fait bien plaisir, car ma chérie cet un bien doux moment de passé que celui que je passe a lire ses chère et longue lettres. »
3Ici employé en dialecte marchois, « après » suivi d’un verbe à l’infinitif signifie « en train de ».
4Tabazou est un nom tendre qu’Amélie avait donné à son jeune mari fumeur. Dans une lettre, il lui rappelle : « la signification du mot tabazout tu doit le savoir du dois savoir qu’avec tu me fesait monter l’escalier et que ça te couter seulement une course chaque fois sur une charge ou ailleurs mais je m’en rappel de ces doux moments »
(31 mai 1916).
5Ce mot n’est jamais énoncé, pas plus que celui de café ou d’auberge. Pourtant il est sûr qu’elle sert à boire et à manger, en particulier aux soldats de passage.
6Sur les conversations imaginaires des couples séparés par la guerre à travers leurs échanges épistolaires, voir C. Vidal-Naquet (2014 : 249).
7Les passages soulignés l’ont été par l’une ou l’autre des épistoliers.
8Écrire pour rassurer, voir C. Vidal-Naquet (2014 : 221).
9Voir aussi, le 12 novembre 1914 : « En ce moment les obus font de la musique au dessus de ma téte. Mais la main ne me tremble pas pour cela. »
10« […] Tu voie mon amour adoré que je te dit bien toute la vérité » (27 avril 1915).
11Dès le 24 août 1914, Émile proteste de son entière fiabilité : « tu me dit que je ne te dit pas la vérité je te jure que si. Tu me dit de te dire la verite aussi cruelle soit elle ma Melie Jolie je ne peut pas te dir autre chose que ce que je t’ait dit jusque maintenant » ; « […] je crois que d’apres ce que t’a dit ce soldat que jai relevé tu doit voir que je t’est toujour dit la vérité… » (2 septembre 1916), etc.
12« Je ne penser pas prendre une cuite pareille. Mais ce matin je ne me souvient pas de ce que j’ai fait hier soir » (1er janvier 1916) ; « depuis que nous sommes aux repots je n’est fait qu’a boire » (14 janvier 1916).
13Voir Le Naour (2002) ; Vidal-Naquet (2014 : 365 sq.).
14Il ajoute dans la même lettre : « surtout depuit plus de dix huit mois que l’on a pour ainsi dir pas gouter du fruit defendu car ca ne conte pas les deux ou trois fois que je suis été en permission. »
15Madame de Thèbes, de son vrai nom Anne Victorine Savigny (1845-1916), était voyante et chiromancienne exerçant à Paris. Elle publiait ses prophéties dans son Almanach de Mme de Thèbes chaque année à Noël, reprises ensuite par les journaux. Elle est réputée, entre autres, avoir prédit début 1914 le déclenchement de la guerre (Le Naour 2008). Voir également : « Mme de Thebe’s war prophecies », New York Times, 21 mars 1915. En ligne : <https://timesmachine.nytimes.com/timesmachine/1915/03/21/119029439.pdf>.
16« Lucien va plus mal, la sœur a peur que dieu nou[s] le conserve pas. »
17Propos de Mme Fugard, une amie de la famille, à son propre sujet : « Car elle na pas d’ordres a prendre de personne elle a un époux une filiette que dieu les conserve tout les deux. »
18Mais on trouve une situation comparable en Morvan (Papillon 2003).
19« Les lettres n’arrivent pas surtout celle des environs de verdun ca ne peut pas durer bien longtemps cette vie la car que veux tu le monde se tourmante si nos soldats sont blessé dans un hopital on desirerai aller les voir ou on prefèrerai comme beaucoup disent apprendre la triste vérité que d’étre a se demandé quel position occupe-t-il a ce moment. Est t-il mort blessé malade, prisonnier » (Amélie, le 3 mars 1916).
20Xavier Trochu, qui a travaillé sur la question des soldats français suicidés pour l’ensemble de la guerre, les estime à 4 000-4 500 (Trouillard 2018).
21« Il y a son filleul qui est avec moi qui a reçu des nouvelles de sa femme. […] elle lui dit que Mme B. a été chez la Guillot et a fait emplette de pas mal de bijoux (et dont elle n’a pas payer) il parait qu’il y en a pour plus de Mil francs […] Je tassur que nous sommes quelque camarade qui la connaissont nous ne pouvont pas en revenir » (16 janvier 1916).
22Soit aussi cette réponse à une lettre perdue d’Amélie : « Elle a tout de même du toupet de se faire photographier a poil elle pouvait bien qu’and elle y était se mettre en carte. Ces donc tout a fait une vraie chienne mais que veut tu ses qu’elle ne peut pas faire sans cela. Mais le pire c’est qu’elle est contaminer » (21 janvier 1916).
23« J’ai eu des soldats qui on bu du cidre. C’était tous des hommes bien mais n’empéche pas qu’il médisait fort des femmes de Boussac et des environs. Il parlait entre eux ils ne croyait pas que je savait ou ils logait. Mais je comprenait bien tout ce qu’il ont dit de leurs hotesse il y a de quoi rire. Il y a les numéros 1 veuve 2 veuve temporaire 3 c’est l’auxillaire, et après il y a des demoiselles oh mon amour adoré tu rirai d’entendre tout ces détails. En attendant les soldats samusent disent que ces femmes sont aveugles » (17 avril 1916).
24« La niece au tonton Félix elle n’a pas a se plaindre, apres avoir fait des petits voyage de Montluçon de n’avoir (peut étre) rien recolter. » Amélie lui avait écrit : « la petite de Lufré alamy niéce au tonton Felix et bien elle devai se marier prochainement avec un officier pensionnaire chez désiré. et bien salut il la plaqué au veille d’étre fiancé ils ont étes a Montluçon plusieurs fois ou ils passaient quelques jours. c’était le bonheur mais de se voir laissée elle s’est mise au lit malade. »
25« Quand a chez Mlle N. je vois que ça devient un vrait petit… Je nose pas maitre le mot, car c’est honteux. » Amélie lui avait raconté ceci : « maintenant Mlle Noel. tout le monde dit qu’elle a éte a paris pour se déchargée de ce qu’elle portait. et bien elle a dit que pour faire causer davantage le monde elle fera son possible elle ne s’y manque pas elle a revétue une toilette blanche. et elle s’est fait photo. sur le cheval d’un officier elle était a bidet tu parle d’un tableau avec ses jupe bien courte. et mon chéri elle a aussi fait mettre un lit en bas dans la petite cuisine, lit de jour pour tout ceux qui éprouverons le besoin de ce lit. tu devine mon amour adoré si elle amuse tout le monde mais elle a beaucoup de compagnes. »
26Précision très importante : elle a fait ce rêve au domicile conjugal, à Parsac, où elle réside alors pendant quelque temps, seule avec la petite Émilienne.
27Les italiques sont miens.
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Gens ordinaires dans la Grande Guerre
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