1« Understanding what is involved in the production of a « good soldier » requires that we appreciate both the bodily logic and how the corporeal schemes of the habitus are passed on from experts to new-comers. »
2« “Military culture” is largely a military habitus » (Lande 2007 : 97).
4Le memento remis aux engagés détaille la position du garde-à-vous : « Tête droite, menton relevé, regard au loin. Poitrine gonflée. Doigts tendus et joints, pouce réuni aux autres doigts sur la couture. Jambes réunies. Pieds légèrement en “canard”. »
5« Tête droite. Mains croisées dans le dos. Pieds légèrement écartés. »
6Les instructeurs n’échappent pas à cette codification « totale » de l’institution. Pour chaque type d’ordre, ils disposent de « cadres d’ordres », autrement dit de principes qui régissent la composition discursive d’un commandement. Des documents internes détaillent en outre l’attitude qu’ils doivent adopter dans tel ou tel type de situation. Durant les séances d’ordre serré, ils doivent prononcer les commandements « sans précipitation, d’une façon distincte, avec une étendue de voix proportionnée à l’effectif de la troupe commandée et en détachant nettement le commandement préparatoire du commandement d’exécution. Le commandement préparatoire doit être prononcé dans le haut de la voix, en allongeant très légèrement la dernière syllabe. Le commandement d’exécution doit être prononcé d’un ton ferme et bref, deux secondes après le commandement préparatoire ».
7« Thus to breathe like a soldier means not breathing « at her own pace » but breathing in through the nose and out through the mouth in time with the Major. Learning to breathe is a social activity that demands active participation and openness to the conduct of others » (Lande 2007 : 101-102)
8Sur cette contrainte dans le milieu carcéral, voir Outaghzafte-El Magrouti (2007).
9Mathias Thura montre que cette dépossession n’est pas à imputer à un « sadisme institutionnel » mais aux formes concrètes d’organisation du travail dans l’armée.
10Mathias Thura relève également cette phrase sur son terrain.
11Hormis dans certains cas particuliers, lorsqu’un volontaire qui s’est blessé a besoin de séances de « rattrapage », par exemple.
12Les ressorts de cette création sont détaillés dans le chapitre suivant, « Reproduire le corps ».
13Ce travail de synchronisation est d’ailleurs relevé par Goffman (1968 : 85). Il note que les règlements des institutions totales exigent souvent « une action synchronisée de tous les co-reclus, c’est ce que l’on désigne parfois sous le nom d’“embrigadement” ».
14L’expression est empruntée à Marcel Mauss (1991).
15Le sergent m’explique que le « pas sans cadence » correspond à une « marche en groupe », libre, où chacun avance « à son rythme ».
16Le pas de marche est « plus contraignant » que le pas sans cadence. Chacun marche à son rythme mais doit respecter une « dynamique générale ».
17Le pas de route m’est présenté comme un « ancien pas », « plus vraiment utilisé ». Il s’agit simplement d’une marche (souvent en campagne), durant laquelle chacun a le droit de parler, de fumer…
19Les recrues disposent d’abord de modules « théoriques », puis s’exercent sur un simulateur de tir (Sittal : simulateur de tir technique à l’armement léger) avant de pratiquer le tir à balles réelles, dans différentes positions, à plus ou moins grande distance des cibles et dans divers contextes (tir de jour ou de nuit).
20De façon plus précise, le sommet du guidon (pièce métallique fixée à l’avant du canon d’une arme à feu) doit se trouver au centre de l’œilleton et affleurer la pointe de la cible.
21 La partie intitulée Tir et instruction au tir (titre VII) du TTA 150 précise (2001, p. 26) : « Les deux yeux ne jouent pas le même rôle dans la vision ; la direction du regard est déterminée par l’un d’eux, appelé œil directeur. » Pour déterminer son œil directeur, un procédé est recommandé. Il faut « désigner du doigt, les deux yeux ouverts, un objet de dimensions réduites placé, au moins, à 9 m :
— si le doigt reste sur l’objet quand l’œil gauche est fermé, l’œil directeur est le droit ;
— si c’est en fermant l’œil droit, l’œil directeur est l’œil gauche. »
22La ligne de mire est la ligne passant par le centre de l’œilleton et le milieu du sommet du guidon. « Prendre la ligne de mire » consiste à « placer l’œil dans le prolongement de la ligne de mire, en arrière de l’œilleton ». En prenant la ligne de mire, « le tireur doit accommoder sur le guidon et le placer au centre de l’œilleton » (TTA 150 titre VII, Tir et instruction au tir, 2001, p. 27).
23« Premier temps : dès que la visée est dégrossie, le tireur rattrape le jeu de la détente en agissant avec l’index sur la queue de détente. Deuxième temps : dès que la visée conforme est réalisée (respiration bloquée), le tireur exerce une pression […] de l’index sur la queue de détente, dans l’axe de l’arme » (TTA 150 titre VII, Tir et instruction au tir, 2001, p. 30).
24 « Le mouvement se fait par une rotation de l’ensemble des première et deuxième phalanges autour de la deuxième articulation, sans que la troisième phalange bouge ; celle-ci doit être légèrement décollée du fût. Le reste de la main maintient l’arme sans crispation et ne participe pas à l’action sur la détente » (TTA 150 titre VII, Tir et instruction au tir, 2001, p. 30).
25Le memento remis aux engagés au début de l’instruction comporte d’ailleurs une partie intitulée « Le comportement du soldat dans le milieu civil », dévoilant la volonté de l’institution d’étendre son contrôle au-delà de ses murs.
26Le titre de cette partie est emprunté à l’ouvrage d’André Leroi-Gourhan (1964-1965).
27La transcription est extraite de la version française du film.
28D’un régiment à l’autre, ce canevas peut légèrement varier (notamment l’emploi du terme « chasseur »).
29Dans cette stratégie de valorisation de la pédagogie militaire, mes interlocuteurs ont fréquemment insisté sur la multiplication des « stages » réalisés par diverses organisations dans le milieu militaire, notamment pour renforcer la « cohésion » des membres ou favoriser le « leadership », au sein d’entreprises par exemple.
30 Les militaires rencontrés parlent souvent d’« escalier social » plutôt que d’« ascenseur social » (« La différence, c’est qu’il y a de la sueur »).
31Les enjeux et figures de cette rhétorique sont développés dans Bonnéry (2006).
32 « The transmission of practical schemes involves a combination of imitation, direct physical contact, an array of visual and textual artifacts, and disciplinary techniques (Lande 2007 :102) »
33« Cadre and advanced cadets are constantly touching and manipulating the bodies of novice cadets to accomplish a corporeal understanding. They demonstrate and act as bodily mirrors. Instructors create the proper movement and have learners follow along until they are regularly adjusting their bodies to that of the instructor » (Lande 2007: 104).
34Mixed martial arts, littéralement « arts martiaux mixtes ». Il s’agit d’un sport de combat associant pugilat et lutte au corps à corps. Les combattants ont le droit d’utiliser de nombreuses techniques (coups de pied, de poing, de genou, de coude…). Sport très violent, ses compétitions sont interdites en France.
35« In the course my training in various styles, repetition has been of the utmost centrality in the embodiment of body techniques » (Spencer 2009 : 128).
36Il s’agit de porter la main droite à hauteur de la tempe, les doigts joints et tendus, la paume tournée vers celui que l’on salue.
37Suivant le canevas exposé plus haut. Le jeune qui s’appellerait Julien Durant doit prononcer les phrases suivantes : « Chasseur Durant, Xe compagnie, section du lieutenant B., engagé volontaire à l’instruction, à vos ordres mon [lieutenant] ! » (la virgule correspondant à un arrêt de quelques secondes).
38 À l’ordre « Repos ! », le jeune doit écarter ses pieds à « dix heures dix », mettre les mains dans le dos, le poing droit dans la main gauche.
39« A parrot repeats exactly what you say. It does not think, it just does it. Just do the move, don’t think. It will make sense to you later. Just do the technique over and over and when you are rolling later and it works you will see why I have you do the technique this specific way. Now keep doing the technique » (Spencer 2009 : 128).
40« Repetition, then, is the axiom for learning and reflection is viewed as being an impediment to the learning of body techniques. Through repetition, there is a mastery of the body technique and a production of change in the fighter’s habitus, in so far as another body technique is added to the body’s technical corpus » (Spencer 2009 : 128).
41Les onze « actes réflexes » sont : s’orienter, observer, progresser, se protéger, se camoufler, apprécier une distance, désigner un objectif, mettre en œuvre son armement, communiquer, rendre compte, garder la liaison. Une formule mnémotechnique est proposée aux volontaires : « PP GARD COCOM ».
42« All action in battle is “pre-reflective”, or beyond thought (Merleau-Ponty, 1962). The fighter’s body intuitively reacts to their opponent’s based on the body techniques learned in training » (Spencer 2009 : 129).
43Théoriquement, les volontaires ne s’endorment pas durant les cours car on leur apprend à se mettre debout lorsqu’ils ressentent les signes d’une trop grande fatigue. Cet enseignement traduit aussi la plus grande place faite à l’autodiscipline.
44Instruction n° 201710/DEF/SGA/DFP/FM/1 (4 novem--bre 2005).
45Ibid., art. 6, « Devoirs et responsabilités du chef ».
46Sur les terrains sportifs, voir par exemple Messner (1990), Nixon (1993) et Young (1993).
47Maxime affichée sur un poster dans le hall du centre de formation.
48Attestation de fin de formation initiale militaire
49 « The combat soldier— who possesses the perfect body — proves his masculinity through emotional self-control that is attained to cope with stress, anxiety, chaos, and confusion, all of which characterize the battlefield » (Sasson-Levy 2008 : 302).
50Orna Sasson-Lévy (2008 : 308) remarque la même chose. Elle raconte qu’un général de l’armée israélienne, s’apercevant que les soldats ne pouvaient pas rester parfaitement insensibles devant la mort d’un des leurs, dit aux survivants : « Vous pouvez pleurer mais pas sangloter » (« You can cry but don’t sob »). Si l’expression de certaines émotions dans des contextes particuliers est permise, elle comporte néanmoins des limites.
51Une idée que l’on retrouve également dans des contextes sportifs. Voir notamment Martha & Griffet (2006) et Loirand (2006).
52Maximes affichées sur un poster dans le hall du centre de formation.
53Adeline Poussin (2014 : 87) note d’ailleurs : « Les [militaires les] plus musclés et les plus endurants suscitent une certaine admiration de la part de leurs camarades, ces derniers allant jusqu’à les considérer comme plus performants dans leur travail quotidien. »
54Dans certains contextes militaires, l’épilation est très répandue. Les parachutistes observés par Adeline Poussin (2014 : 87) en activité opérationnelle au Gabon s’épilent « presque tous les jambes », pour que, selon eux « les muscles soient mieux dessinés »
55Notamment Young, White & McTeer (1994).
56Ce même mécanisme se retrouve par exemple dans la consommation de marijuana, étudiée par Howard S. Becker (1985). Le sociologue montre comment les sensations de plaisir s’acquièrent par le fumeur novice au cours d’un apprentissage qui se fait au contact des fumeurs expérimentés.
57 « As violentpractices are used against the soldiers, the soldiers themselves learn to inflict pain on others during their training. Violence induces bodies to employ violence themselves in an immediate and constant manner » (Samimian-Darash 2013 : 49).
58 « Thus, the bodily practices used on the body teach the body to produce similar violent practices by itself. In other words, violence practices are not only recursive but also reflexive » (Samimian-Darash 2013 : 48).
59 Voir notamment sur ces questions Winslow (1999).