Introduction
p. 243-251
Texte intégral
1Les lieux musicaux sont indissociables d’une réflexion sur le concert et sur la vie musicale, tant leurs multiples transformations entre le milieu du XVIIIe et la première décennie du XXe siècle sont également liées à une mutation des espaces qui abritent l’activité musicale. Cette question des espaces, entendus comme ancrages à la fois sociaux et spatiaux de la musique, demeure encore mal étudiée1. Elle pose différents types d’interrogations, non seulement sur les lieux qui inscrivent socialement la musique, sur le passage des espaces « traditionnels » à des lieux spécialisés, mais aussi sur la construction des salles, leur conception, leur insertion dans le paysage urbain.
2Variées chronologiquement ainsi que géographiquement et diverses par les objets comme dans les approches, les quatre contributions réunies dans cette partie offrent des perspectives complémentaires. La première étudie les transformations de la vie musicale liées à l’essor culturel des villes en Angleterre de la fin du XVIIe à la fin du XVIIIe siècle, tandis que la deuxième envisage l’architecture des lieux de concert en Allemagne, en Angleterre et en France ainsi que son évolution en rapport avec la conception de la musique entre le XVIIIe et la fin du XIXe siècle. La troisième met en évidence les dysfonctionnements des deux grands théâtres londoniens, Covent Garden et Drury Lane, provoqués au début du XIXe siècle par la concurrence des théâtres secondaires en pleine expansion numérique, tandis que la dernière permet de découvrir, à travers une étude de cas – le kiosque à musique dans la France du XIXe et du début du XXe siècle –, une scène musicale et une sociabilité différentes de la salle de concert et du théâtre.
3De l’ensemble de ces contributions, on retiendra d’abord le cadre essentiellement urbain de la vie musicale, un phénomène qui caractérise peu ou prou l’ensemble de la vie culturelle des trois pays concernés à partir du milieu du XVIIIe siècle. C’est toutefois en Angleterre qu’apparaissent, avant d’autres pays européens, de nouveaux cadres et de nouvelles formes de pratique et de consommation culturelles et musicales. Pour Peter Borsay, cette émergence précoce va de pair avec l’essor qui fait des villes anglaises à cette époque (fin XVIIe-XVIIIe siècle) non seulement le moteur économique du pays, mais aussi le pôle d’attraction culturelle. La ville rythme désormais la vie musicale, et le comportement de la gentry est de ce point de vue caractéristique, abandonnant de plus en plus pour se distraire le cercle des résidences campagnardes pour le cadre urbain, le privé pour la sphère publique. Ce développement culturel et musical repose par ailleurs sur un principe nouveau, la commercialisation de la musique fondée sur le système de l’abonnement et de la souscription ; très tôt, du reste, théâtres et salles fonctionnent sous forme d’entreprises privées. En devenant un marché pour le musicien comme pour le consommateur, non seulement la musique s’ouvre à un public plus large, mais elle agit également comme facteur de reconnaissance et de distinction sociales. Au-delà de l’influence qu’il a pu exercer sur le continent, ce modèle d’insertion urbaine, non limité d’ailleurs à Londres, invite à interroger les modes et les rythmes de la vie musicale dans les autres pays et à prendre mieux en compte, dans les processus comme dans les particularités, les structures institutionnelles, économiques et sociales respectives. Le décalage existant entre la France et l’Allemagne dans l’essor de la construction théâtrale2 est à cet égard significatif, lié à des conceptions et à des pratiques différentes, sinon divergentes : du côté français, une activité combinant commerce, spéculation financière, divertissement et instruction, tandis qu’outre-Rhin ce domaine culturel, d’une part, demeure dans son expansion largement tributaire de la tutelle étatique des cours princières et, d’autre part, incarne une notion, la Bildung, pour laquelle toute finalité commerciale est d’emblée exclue3. Et de même que la vie musicale anglaise au XVIIIe siècle connaît, en dehors de Londres et des capitales régionales, un développement particulier dans les centres industriels, les ports, les villes d’eaux et les stations balnéaires, il convient de souligner aussi le « tropisme portuaire4 » qui caractérise l’implantation des théâtres en France à la même époque.
4La vie musicale est en outre marquée par la grande diversité des lieux où elle se déroule, renvoyant à autant de publics, de manières de considérer et de pratiquer la musique ainsi que de formes de sociabilité. Sans doute cette variété tient-elle à la nature même de la musique et à sa plus grande capacité d’adaptation que le théâtre. Rares encore sont en effet, durant tout le XVIIIe et bien souvent au XIXe siècle, les salles spécialisées – à l’exception toutefois de cas isolés tels que les Hanover Square Rooms (1775) à Londres ou le Gewandhaus (1781) à Leipzig. Tavernes, salles publiques, salles de bal, redoutes, théâtres, églises — à l’exemple depuis le XVIIe siècle des célèbres Abendmusiken de Lübeck ou des concerts d’orgue dans les églises calvinistes aux Pays-Bas —, constituent autant d’endroits où sont donnés des concerts. Les jardins de divertissements payants (pleasure gardens) qui font leur apparition en Angleterre au début du XVIIIe siècle attirent également les spectacles musicaux, ainsi que les jeux de paume en France aux XVIIe et XVIIIe siècles et les hôtels de ville, tel celui de Rennes où la grande salle continue d’être utilisée pour les concerts au milieu du XIXe siècle malgré la construction d’une salle de spectacle en 18365. Divers, ces lieux sont plus encore multifonctionnels : la musique n’y est jamais seule, mais fait partie d’un ensemble de divertissements et de spectacles qui s’y déroulent en alternance, voire parfois simultanément. Ainsi les salles de réunion (assembly rooms) construites en Angleterre au XVIIIe siècle constituent-elles de véritables salles polyvalentes où se déroulent, comme à Bath, bals, banquets, concerts vocaux et instrumentaux, déjeuners-concerts, pièces de théâtre, conférences, parties de cartes, thés. Les théâtres sont eux-mêmes conçus comme des lieux “ ouverts », ne faisant guère la distinction entre drames parlés et musicaux6, et vont jusqu’à présenter, comme à Liège au XVIIIe siècle, des spectacles de foires et d’animaux savants7. Cette polyvalence extrême est d’ailleurs, selon Gabriella Dideriksen, l’une des causes qui conduisent à ruiner dans les années 1830 les deux principaux théâtres londoniens, Covent Garden et Drury Lane : si, en vertu d’un privilège royal remontant au XVIIe siècle, ils ont le monopole de spectacles très variés – drames, comédies, opéras, ballets, farces, mélodrames, également concerts –, ce répertoire quasi illimité, auquel s’ajoutent les représentations d’œuvres à grand spectacle, les oblige en contrepartie à entretenir trois ou quatre troupes en permanence et à rétribuer, selon les spectacles, de mille à deux mille personnes. Les constantes difficultés financières qui en résultent, liées à une concurrence croissante des théâtres secondaires de plus en plus nombreux à partir des années 1820, amènent Covent Garden à fermer en 1843 et à louer ses locaux. Retenue comme solution possible, la spécialisation du répertoire n’interviendra en fait que tardivement, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. C’est à partir de cette époque aussi qu’apparaissent les grandes salles de concert, véritables lieux autour desquels se structure désormais la vie musicale, comme à Londres Crystall Palace ou Queen’s Hall, à Amsterdam la salle du Concertgebouw ou à Vienne celle du Musikverein.
5Par ailleurs, l’agencement et la disposition interne des bâtiments publics consacrés aux manifestations musicales révèlent également combien l’espace physique est indissociable des représentations qui l’accompagnent. Disposition et aménagement sont le reflet de conceptions de la musique renvoyant à autant de comportements. En ce sens, l’architecture des salles est elle aussi, au même titre que les projets et les réalisations de théâtres à partir du milieu du XVIIIe siècle, une “ architecture parlante » (Monika Steinhauser). A suivre Isabel Matthes, on retiendra tout d’abord, dans la variété des bâtiments, la permanence – du XVIIIe au début du XXe siècle – de deux types architecturaux parallèles, continuellement développés, amplifiés et chargés symboliquement. Premier type : l’amphithéâtre et sa forme circulaire ou semi-sphérique, issu de l’Antiquité et conçu à l’image de l’harmonie universelle du monde. Cette forme domine au XVIIIe siècle, par exemple, dans les jardins de divertissements et les vauxhalls français (prenant modèle sur la célèbre rotonde du Ranelagh à Londres) ainsi qu’au Panthéon dans la capitale anglaise ; elle se poursuit au XIXe siècle, en particulier dans les cirques d’été ou d’hiver à Paris et dans les salles de concerts de masse anglaises, dont le gigantesque Royal Albert Hall à Londres représente l’exemple le plus fameux à la fin du XIXe siècle. Second type : la construction dite en “ boîte à chaussures », rectangulaire, simple et fonctionnelle, type plus spécifique, semble-t-il, aux salles de concert proprement dites à la fin du XVIIIe siècle, comme les Hanover Square Rooms à Londres ou l’ancienne salle du Gewandhaus à Leipzig dont toute une génération de salles, comme celle du Musikverein à Vienne, seront les héritières.
6Au-delà, un autre trait significatif de cette architecture consiste dans le recours à des motifs décoratifs et à des modèles, religieux et profanes, qui tendent à faire de ces lieux de réunion publique le pendant sécularisé du temple ou de l’église. A Londres, par exemple, l’architecture intérieure du Panthéon (1771) s’inspire à la fois de Sainte-Sophie de Constantinople et du Panthéon de Rome. De même, à Leipzig, la disposition des sièges en rangées parallèles aux murs latéraux dans la salle du Gewandhaus reproduit fidèlement celle de l’église Saint-Thomas. D’ailleurs, l’analogie répandue à partir du XVIIIe siècle entre la chaire et la scène tire ses fondements pour l’essentiel de la visée morale et civilisatrice du théâtre et du concert, et l’on constate dans l’Allemagne protestante de la seconde moitié du XVIIIe siècle un rapprochement entre l’architecture des édifices religieux et celle des théâtres qu’illustrent les plans de la Frauenkirche à Dresde avec sa forme ovale et ses galeries en amphithéâtre8. L’installation respective des nouveaux temples de la culture que sont, entre autres, les théâtres et les universités du Bildungsbürgertum dans d’anciennes églises, comme à Fribourg ou à Wurtzbourg, et dans les anciens palais et résidences (Bonn, Hanovre, Munster.. ,)9 est symbolique des nouveaux rapports de force à l’œuvre dans l’Allemagne du XIXe siècle tout autant que du rôle de la Bildung dans la construction identitaire.
7Dans cette partie consacrée à la construction de l’espace musical, le kiosque à musique et son architecture apparaissent comme paradigmatiques des conceptions et des comportements nouveaux de l’ère industrielle. Constitutif du paysage urbain de la seconde moitié du XIXe et du début du XXe siècle et représentant un des éléments les plus populaires du mobilier en fonte si caractéristique de la ville à cette époque, il renvoie en même temps à des pratiques musicales et à des formes de distraction et de sociabilité plus populaires, héritées de la Révolution et émergeant avec l’ère industrielle. Érigé souvent à un endroit stratégique de la ville, attirant le regard par sa silhouette exotique, le kiosque est d’abord un espace de détente et de délassement bon enfant, où l’on se rend en famille, lié à la belle saison et au plein air. Il tranche par là même avec le cadre et avec la sociabilité de la salle de concert. Il est en outre l’” incarnation monumentale10 » de l’idéal orphéonique de la pratique musicale amateur, la fonction récréative se doublant d’une fonction sociale et éducative. La géographie des kiosques et celle des orphéons et harmonies se recoupent en grande partie et dessinent une France très semblable : celle essentiellement des petites villes, des gros bourgs, des centres industriels du Nord et de l’Est11. Le kiosque est le lieu du loisir collectif populaire par excellence12, et l’ouverture de sa construction qui l’offre à la vue de tous rompt avec le huis-clos des loges. Il est enfin le symbole de l’idéal national et républicain que traduisent le répertoire et l’uniforme, qui non seulement évoque les musiques militaires, mais masque aussi les disparités sociales, devenant à la fois signe d’appartenance à une société et marque de fierté. C’est sous la IIIe République, après la guerre franco-allemande de 1870, que le kiosque connaît sa plus grande diffusion.
8Comme le montre l’exemple du kiosque, l’étude des lieux de concert et de la pratique musicale doit prendre en compte le contexte urbain et, par conséquent, être replacée dans une histoire de l’urbanisme et de l’urbanisation. Les travaux récents sur l’architecture théâtrale et son essor aux XVIIIe et XIXe siècles en indiquent la voie13. Ceux-ci ont mis notamment en évidence la progressive autonomisation du théâtre qui se dissocie du palais ou rompt avec l’alignement de la rue pour devenir un bloc indépendant, tranchant par son architecture sur son environnement. Ce processus, qui prend naissance en France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle – mais plus tardivement toutefois en Allemagne, comme nous l’avons vu précédemment —, traduit, à côté de raisons de sécurité évidentes pour éviter la propagation des incendies, un changement de perspective : de monuments-symboles à la gloire du roi ou du prince, les théâtres se transforment en édifices publics ainsi qu’en espaces de communication et s’inscrivent dans une nouvelle prise de conscience urbaine et bourgeoise.
9Comme tel, le théâtre s’intègre à l’” urbanisme d’ouverture et de circulation » (Dominique Julia14) qui caractérise l’époque des Lumières, non seulement par la place qui le précède et par les voies d’accès qui convergent vers lui, mais aussi par les espaces destinés à la déambulation ou à la rencontre qui se greffent à la salle proprement dite : escaliers, foyers, vestibules, mais également cafés et boutiques de luxe qui s’échelonnent le long des arcades comme à Bordeaux, Nantes, Lorient ou Rennes, et même complexe immobilier avec passages couverts comme dans le cas du théâtre Feydeau (1791) à Paris. Au souci de rentabilité s’ajoute la volonté de concentrer en un lieu les loisirs les plus divers, y compris la prostitution, pour mieux en permettre le contrôle. Calcul économique et moralité – valeurs constitutives de la bourgeoisie — se trouvent réunis en une même construction.
10Dès le XVIIIe siècle, théâtres et salles sont, par ailleurs, un élément important de la rénovation urbaine et de la spéculation foncière qui l’accompagne. Le Grand Théâtre de Victor Louis à Bordeaux constitue le centre de tout un quartier neuf qui s’organise autour de lui et par rapport à lui15. A Berlin, le Schauspielhaus de Schinkel vient couronner au début du XIXe siècle l’aménagement du Gendarmenmarkt commencé sous Frédéric II ; à Aix-la-Chapelle, le théâtre construit dans les années 1820 constitue l’axe de la ville nouvelle et fait ainsi pendant à la cathédrale, centre de la vieille ville. Implantés sur Regent Street tout juste percée, les Argyll Rooms, qui deviennent un des hauts lieux des concerts londoniens, participent par là même à la restructuration du centre de la capitale anglaise à la même époque. Les bâtiments publics de spectacle sont également au cœur des grands travaux d’aménagement urbain de la fin du XIXe siècle qui touchent de nombreuses métropoles européennes. A Paris, le palais Garnier devient le cœur du quartier dit de l’Opéra. La construction du Ring à Vienne concentre sur la même artère les principaux monuments publics dédiés aux arts et à la culture (Burgtheater, Opéra, salle de concert du Musikverein, Université, musées), tandis qu’à Leipzig la nouvelle salle du Gewandhaus, construite en 1886 à la périphérie, est à l’origine d’un quartier complètement neuf, le Musikviertel, dont elle devient le centre et où s’installent à sa suite le conservatoire de musique, la bibliothèque universitaire et l’Académie des beaux-arts.
11Liés aux salles et aux théâtres se développent enfin de véritables quartiers de spectacle et de loisirs, qui, comme à Paris, tendent à se déplacer au fil des transformations urbaines : quartier du Palais-Royal et des abords de la rue de Richelieu à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle ; le “ Boulevard » à partir des années 1830, avec notamment le Cirque d’Hiver qui abritera les concerts populaires de Pasdeloup ; quartier de l’Opéra et place du Châtelet, enfin, à partir des années 1860-1870. A proximité s’installent des activités parallèles liées à l’industrie du spectacle, comme l’édition musicale entre la Chaussée d’Antin et le Boulevard. Que dire également de l’implantation dans les mêmes quartiers des arts ou des artistes et des milieux de la finance, comme à Paris au milieu du XIXe siècle aux alentours de la Chaussée d’Antin et de la place Saint-Georges ou à Londres sur Regent Street ? Une étude fine des topographies urbaines liées à la vie musicale doit inclure aussi une approche sociale et culturelle, et être entreprise dans une perspective comparative.
12Dans cette réflexion sur l’espace musical, l’opposition parfois trop systématique entre la disposition à l’italienne avec son système de loges et celle du théâtre en amphithéâtre selon la conception des architectes des Lumières (tel Ledoux à Besançon) aboutit à donner l’image trompeuse d’une évolution linéaire d’une perception de la musique conçue essentiellement comme usage social et comme divertissement à une écoute silencieuse et quasi religieuse. Les études récentes concernant l’histoire de la lecture ont mis en évidence que la distinction entre lectures “ intensive » et “ extensive » ne signifiait pas pour autant le remplacement définitif d’une forme par l’autre. De manière analogue, l’inauguration aux mêmes dates (1875-1876) de deux édifices aussi éloignés l’un de l’autre que le palais Garnier et le théâtre de Bayreuth est, semble-t-il, révélatrice de la coexistence de différents modèles de disposition théâtrale reflétant autant de conceptions et de comportements. D’un côté, un opéra, Garnier, chargé entre autres d’offrir un cadre somptueux aux fastes de la vie mondaine, comme l’attestent les moindres détails de sa conception : pour la première fois dans l’histoire de l’architecture théâtrale, le volume consacré aux foyers, aux vestibules et aux escaliers est égal à celui de la salle proprement dite, et les loges, qui sont précédées de petits salons, confirment l’importance accordée à la fonction mondaine16. De l’autre côté, à Bayreuth, un théâtre d’une grande sobriété architecturale, dont le but avoué est, dans sa disposition en amphithéâtre et son dispositif orchestral, de concentrer l’attention du spectateur sur la scène17.
13En ce qui concerne la musique, il faut aussi la considérer en rapport avec l’espace, matériel et social, dans lequel elle intervient. Les quatuors opus 74 (1793) de Joseph Haydn, où le caractère intimiste est abandonné au profit d’une “ écriture » plus publique, mieux adaptée aux salons du Hanover Square de Londres pour lesquels ils sont destinés, ainsi que les symphonies “ londoniennes » du même compositeur, dont l’instrumentation et les effets orchestraux tiennent compte des salles pour lesquelles elles ont été respectivement écrites18, témoignent du rôle que le lieu peut jouer d’abord sur la composition proprement dite. Mais l’espace a également une influence sur l’écoute et la réception. Le kiosque est, à cet égard, révélateur du fonctionnement multiple des œuvres à travers les arrangements et les adaptations, courants à l’époque, du répertoire “ classique ». Si ce répertoire est ainsi accessible à un large public, étranger à la salle de concert, sa diffusion populaire s’effectue en même temps par le filtre d’un univers sonore spécifique, celui des instruments à vent, propres aux orchestres d’harmonie et aux fanfares, distinctif et “ marqué » socialement par rapport à l’orchestre, au quatuor à cordes et au piano. La question du statut de l’œuvre est liée à celle de l’espace.
Notes de bas de page
1 On signalera toutefois la seule synthèse en la matière de Forsyth, M. 1987, Architecture et musique. L’architecte, le musicien et l’auditeur du 17e siècle à nos jours. Liège, Mardaga (original anglais : Cambridge, 1985).
2 Cet essor se déroule en France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, alors qu’il ne se produit en Allemagne qu’à partir des premières décennies du XIXe siècle.
3 Voir à ce sujet les réflexions stimulantes de Steinhauser, M. 1996, «“Architecture parlante”. Les théâtres français et allemands comme institutions et “monuments publics” 1760-1840 », in : Kocka, J., Les bourgeoisies européennes au XIXe siècle. Paris, Belin : 363-403.
(original allemand in : Kocka, J. 1988, Bürgertum im 19. Jahrhundert. Deutschland im europäischen Vergleich. T. 3, Munich, DTV : 287-336).
4 Julia, D. 1989, “ Les ressources culturelles », in : Burguière, A. et Revel, J., Histoire de la France, t. 1 : L’espace français. Paris, Gallimard : 426.
5 Le Moigne-Mussat, M.-C. 1988, Musique et société à Rennes aux XVIIIe et XIXe siècles. Genève, Minkoff : 216-217.
6 Cette ambiguïté est, du reste, entretenue dans les termes qui les désignent au XVIIIe siècle : spectacles, comédies, théâtres.
7 Voir Contini, E. 1990, Une ville et sa musique. Les concerts du conservatoire royal de musique de Liège de 1827 à 1914. Liège, Mardaga.
8 Matthes, I. 1995, « Der allgemeinen Vereinigunggewidmet ». Öffentlicher Theaterbau in Deutschland zwischen Aufklärung und Vormärz. Tübingen, Niemeyer : 150 sq. , 181 ; voir également Magirius, H. 1994, “ Zur Gestaltung der Dresdner Frauenkirche », in : Raschzok, Kl. et Sörries, R., Geschichte desprotestantischen Kirchenbaues. Erlangen, Junge & Sohn : 222-232.
9 Lange, H. 1985, Vom Tribunal zum Tempel. Zur Architektur und Geschichte deutscher Hoftheater zwischen Vormärz und Restauration. Marbourg, Jonas : 28,175.
10 Gumplowicz, Ph. 1987, Les travaux d’Orphée. 150 ans de vie musicale amateur en France : harmonies, chorales, fanfares. Paris, Aubier : 150.
11 Ibid. : 76-91.
12 Que remplaceront progressivement les sociétés sportives après 1900.
13 En particulier les divers travaux de Daniel Rabreau et de Monika Steinhauser, ou plus récemment l’ouvrage déjà cité d’Isabel Matthes.
14 Julia, D. 1989 [note 4] : 423.
15 Voir Victor Louis et le théâtre. Scénographie, mise en scène et architecture théâtrale aux XVIIIe et XIXe siècles. Paris, 1982 ; également Taillard, Ch. 1993, Le Grand Théâtre de Bordeaux. Miroir d’une société. Paris, cnrs.
16 Patureau, Fr. 1991, Le palais Garnier dans la société parisienne 1875-1914. Liège, Mardaga : 15 sq. Voir également Steinhauser, M. 1969, Die Architektur der Pariser Oper. Studien zu ihrer Entstehungsgeschichte und ihrer architekturgeschichtlichen Stellung. Munich.
17 Spotts, Fr. 1994, Bayreuth. Eine Geschichte der Wagner-Festspiele. Munich, Finck : 41-68.
18 Les premières (nos 93-101) ont été composées pour les Hanover Square Rooms, tandis que les trois dernières (nos 102-104), nécessitant un orchestre plus étoffé, ont été écrites pour la salle de concert du King’s Theatre. Forsyth, M. 1987 [note 1] : 58-59, 62-64.
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