Chapitre VII. Dasaĩ et le double pouvoir chez les Yakthumba
p. 283-314
Texte intégral
1Dasaĩ, chez les Yakthumba, est une fête populaire comme ailleurs au Népal : le culte de Durgā rend légitime l’autorité politique de chefs appelés subbā1 qui sont apparus après la conquête gurkha (1774). Ayant reçu délégation des pouvoirs du roi du Népal, ils auraient pris la succession d’anciens « rois » appelés hang2 qui existaient aux origines de l’ethnie et existaient encore sous la tutelle des rois Sen.
2Dans le cadre du rituel hindouiste de Dasaĩ, les dieux anciens de la communauté ethnique sont présents et, comme il se doit, participent à la fête sous l’égide de Durgā. Chez les Yakthumba, c’est une divinité appelée Yuma3 (la grand-mère) qui est honorée en tant que déité tutélaire, le septième jour du culte.
3Un point toutefois mérite d’être relevé : au sein même de l’ethnie, Yuma, la grand-mère, depuis son origine, n’a cessé de s’affronter à une autre divinité yakthumba appelée Nahangma et associée au culte d’une montagne locale.
4Nahangma4, elle, n’est pas présente à Dasaĩ. Mais il n’en demeure pas moins qu’elle continue d’être célébrée dans chaque maison, à des dates qui lui sont propres et en dehors du calendrier hindouiste. Et de la même façon que Durgā rend légitime le pouvoir des subbā, Nahangma continue de rendre légitime le pouvoir de chaque chef de maison (tumyang)5.
5Sur ce point, en outre, remarquons-le, les deux rituels ont les mêmes enjeux : permettre à l’homme de retrouver une « force sauvage » qui se manifeste surtout dans la violence du maniement de l’épée.
6En fait, la coexistence, dans la même population, des cultes de Nahangma et de Durgā est en totale contradiction. D’un côté Nahangma justifie l’usage des armes chez chacun des maîtres de maison qui relèvent de l’autorité d’un subbā. Et de l’autre, Durgā fait de ce même usage le monopole exclusif du subbā.
7Ainsi notre idée est qu’il existe chez les Yakthumba un double pouvoir antagoniste des dieux : il semble fonder, au sens marxiste du terme, un double pouvoir des hommes. Des chefs de maisons ne peuvent accepter que le subbā dont ils dépendent ait, seul, le monopole de cette force sauvage qui lui permet de manier l’épée. Et réciproquement le subbā, qui a reçu délégation des pouvoirs du roi du Népal, ne peut tolérer de voir ce monopole remis en cause par les chefs de maison de sa circonscription.
8À une échelle plus large ces données ont un lien direct avec une question contemporaine. On sait qu’autrefois des « rois » (hang) existaient chez les Yakthumba. Ils furent présents aux origines de l’ethnie ; ils continuaient d’exister à l’époque des rois Sen. On sait, en outre, que le « roi » Yakthumba était un chef de maison (tumyang) comme les autres. Mais que, du fait de la faveur toute particulière que lui portait Nahangma, il était, en certaines occasions, reconnu comme le plus grand de ses pairs, le « premier des chefs de maison » (tum tumyang), et cela à l’échelle d’une vallée, ou même du pays tout entier6.
9Or, concernant ces rois (hang), tous les auteurs s’accordent sur le fait qu’ils aient disparu, remplacés par les subbā, à la suite de la conquête gurkha7.
10En d’autres termes, la question posée dans cet article est simple. À supposer, comme nous l’affirmons, que le culte à Nahangma continue aujourd’hui de fonder la légitimité du pouvoir des chefs de maison, alors il semble logique que le premier d’entre eux continue d’exister. En dépit de ce qui fut maintes fois affirmé, les hang auraient survécu à la conquête gurkha. Ils seraient encore présents à l’époque contemporaine.
11Pour tenter de confirmer cette hypothèse, trois questions seront successivement évoquées : la légitimité du pouvoir du chef de maison et le rituel à Nahangma, d’abord. Ensuite la légitimité du subbā et le culte de Dasaĩ. Enfin, le double pouvoir des hommes et la survivance des hang jusqu’à l’époque contemporaine.
12Ainsi, le culte de Dasaĩ aurait, pour une part, échoué chez les Yakthumba. Et l’intégration politique au royaume du Népal n’était pas achevée dans les années soixante à la veille de la mise en place des « conseils de village ».
LA LÉGITIMITÉ DU MAÎTRE DE MAISON (TUMYANG) ET LE RITUEL À NAHANGMA
13Le terme de « maître de maison », au sens littéral, se traduit par him tangba8. La notion est liée aux idées sur l’alliance, la filiation, les droits sur la terre, l’usage des armes, l’autorité. Le pouvoir du maître de maison résulte toutefois de la seule faveur du dieu de la montagne locale : il fait de lui un aristocrate (tumyang) qui marche la « tête haute » et porte dans son corps une force venue de l’au-delà (Nahangma)9 : les gens de sa maison lui doivent la santé, et les champs leur prospérité. Cette force rend légitime son pouvoir sur les personnes. La faveur des dieux, toutefois, n’est pas égale pour tous. Et la force de chacun varie d’une maison à l’autre. À un moment donné, elle est déterminante pour établir la hiérarchie entre les maisonnées10. Le culte à la montagne fonde la civilisation yakthumba.
14Ces notions résultent d’observations contemporaines. Elles semblent remonter haut dans le temps et elles étaient encore vivantes il y a quelques années. Elles ne sont pas, toutefois, sans poser problème, car si l’aristocrate yakthumba, dans un passé lointain, était capable d’obtenir seul, sans l’aide de quiconque, la faveur des dieux, il n’en est plus de même de nos jours : il y eut une rupture à un moment de l’histoire, dont je ne sais dire les raisons ni préciser l’époque. Mais, depuis cette rupture, un médiateur s’est imposé entre le maître de maison et la montagne sacrée pour obtenir la force venue de l’au-delà. Cet officiant rituel s’appelle le « maître de l’épée » (phe-dangma) 11. Son rôle n’est pas sans évoquer celui du brahmane dans sa relation au roi hindouiste.
15Un mot d’abord sur le type de maisonnée qui reconnaît l’autorité du maître de maison yakthumba. À l’époque contemporaine, sous l’influence de la législation népalaise, la maison tend à être habitée par une famille conjugale. Dans les années vingt, toutefois, certaines maisons puissantes comptaient, au bas mot, une quarantaine de personnes, regroupant une lignée entière, sans parler des clients, des esclaves (yog)12. Il est possible que, jadis, la maison yakthumba ait été une « grande maison », comparable à celle de certaines populations de l’Arunachal Pradesh. Au fil du temps, il semble donc que l’autorité du chef de maison n’ait fait que se réduire au rythme de l’évolution de la maison elle-même, dont le nombre d’habitants est allé en décroissant.
16Remarquons aussi que la qualité d’aristocrate suppose un certain nombre de conditions qui relèvent des prestations de l’alliance ; le terme « noble » (tumyang) s’oppose en effet à celui « d’esclave domestique », si fréquent dans l’Himalaya et au-delà. Autrefois, le mariage était considéré comme le vol d’une femme ; enceinte, la femme, le plus souvent, accouchait non pas chez son mari mais dans sa maison natale. À la naissance, l’enfant était considéré comme un esclave, attaché à la maison du frère de sa mère (kwa) : il y demeurait jusqu’au jour où son père s’acquittait de la dernière des prestations de l’alliance, ce qui n’était pas une mince affaire ; au bas mot, de la première à la dernière, il s’écoulait sept ou huit ans. À l’occasion de cette ultime prestation appelée « source de richesse » (melung phuma), l’homme marié versait le « prix de l’esclave » (yog thokwa) au frère de sa femme. L’enfant était alors reconnu comme appartenant au clan de son père et de noble extraction. Il pouvait éventuellement un jour devenir lui aussi chef de maison. Dans le cas contraire, il demeurait esclave chez le frère de sa mère. Son statut était bas. C’était un homme sans nom de clan et sans honneur. Sa « force vitale » dépendait de celle de son oncle maternel. Ainsi la noblesse avait pour condition préalable la reconnaissance des liens d’alliance. Elle impliquait en outre, une fois toutes les prestations versées, le fort soutien politique et rituel de l’oncle maternel, ce qui n’est pas sans évoquer le rôle du même oncle maternel dans la dynastie tibétaine des rois de Yarlung13.
17Enfin, devenir maître de maison de noble extraction c’est aussi être chez soi « maître du sol » (laje-tangba)14 c’est-à-dire des champs qui appartiennent à la maison. Dans les années soixante, l’héritage foncier s’effectue souvent du vivant du père devenu vieux. Mais avec l’autorité sur la terre, se transmet une idée archaïque ; autrefois, les champs ont été gagnés par les ancêtres sur la forêt, par l’essartage. Avant d’être maîtres de maison et maîtres de la terre, les ancêtres s’étaient rendus maîtres de la forêt (tamphung hangpa)15 et leurs descendants revendiquent l’être encore aujourd’hui, bien que la notion soit désormais en contradiction avec la législation népalaise.
18En fait c’est le concept de maître de la forêt qui est centrale dans l’idée de noblesse propre au chef de maison : elle est directement liée au culte des montagnes.
19Remarquons d’abord que ce terme de « noble » est probablement très ancien. Combien de fois, sur le terrain, n’a-t-on pas répété qu’avant l’arrivée des Yakthumba de Lhasa, les « huits rois » (yet hang) qui dominaient alors le pays étaient nobles, eux aussi. Mais, à la différence des Yakthumba contemporains, c’était seuls, sans médiation aucune d’aucun intercesseur, qu’ils savaient se rendre « maîtres de la forêt » et, du même coup, s’installer sur la terre. Et selon les légendes il en fut de même, plus tard, pour les premiers Yakthumba arrivés du Tibet à l’issue de leur longue migration. Ce fut grâce à l’institution de la « chasse rituelle » qu’ils purent s’établir au Népal oriental16.
20Toute migration de peuplement, comme celle des Yakthumba arrivés de Lhasa, semble présenter un caractère millénariste. Chez soi, on ne demeure « maître du sol » qu’avec l’appui des dieux : abandonné par eux, on ne peut que quitter le pays, comme un banni. Et c’est en général pour de bonnes raisons : l’inondation, la défaite face au déferlement de nouveaux venus, la montagne qui s’effondre, sont le signe qu’à l’intérieur quelque chose ne va plus, que la loi a été transgressée dans le pays. Abandonné des dieux, on le demeure quand on se met en route sur le chemin de l’exil, dans une longue traversée de la forêt et des confins barbares17.
21Si on parvient à s’implanter dans un nouveau pays, c’est à la condition de retrouver l’appui des dieux. La chasse rituelle, entre autres, est Tune de ces institutions qui peut mettre fin à ces longues migrations de proscrits. Paradoxalement, elle implique la transgression d’un nouvel interdit : partout, en effet, les bêtes sauvages à cornes sont la propriété des dieux de la montagne : c’est leur troupeau. Tuer un cerf, un yak sauvage, ou un mouton bleu, c’est pour un homme avoir cet orgueil insensé d’oser défier les dieux. Ils sont rares ceux qui se risquent à tant d’audace. Certains échouent, emportés par l’avalanche, foudroyés, égorgés par le léopard des neiges. Quelques-uns réussissent. Il semble que leur courage leur attire la faveur des dieux. Ils tuent la bête, signe qu’ils se sont rendu « maîtres de la forêt ». Ils s’installent, ils défrichent, ils deviennent « maîtres du sol ». Ils étaient des bannis, ils deviennent nobles grâce à la « force sauvage » acquise dans la forêt18.
22Mais le monde est ainsi fait que, partout, chaque année, au moment où les saisons basculent19 les dieux à nouveau abandonnent les hommes et la terre est menacée par la montée des eaux, le retour au chaos. Alors, même installé depuis longtemps au pays, chaque noble doit à nouveau faire la preuve qu’il est capable de renouveler l’exploit de l’ancêtre. Et, comme le proscrit qu’était le fondateur, lui aussi, dans un nouveau défi s’enfonce dans la forêt pour tenter d’abattre une bête sauvage à cornes. S’il y parvient, c’est qu’il a retrouvé cette force qui lui permet d’endiguer le chaos.
23Conjointe à la notion du « démembrement »20 de la bête, la chasse rituelle survit encore chez les Yakthumba d’aujourd’hui. Mais elle n’est plus qu’une pâle mise en scène de l’action d’autrefois et que contrôle désormais cet officiant devenu médiateur entre la montagne et les hommes. Et dorénavant, chaque année c’est l’officiant lui-même, le « maître de l’épée » qui, pour le compte du maître de maison, s’enfonce dans la forêt et atteint la montagne pour en rapporter la force de l’au-delà.
24Ce rituel à Nahangma, je l’ai décrit ailleurs21 et je n’en rappelle que certains des aspects qui permettront peut-être de comprendre que quelque chose a changé dans le pouvoir des aristocrates Yakthumba.
25Le rite s’effectue dans chaque maison noble où passe successivement le « maître de l’épée ». Il a lieu deux fois par an, à des dates sans relation avec celle du rituel de Dasaĩ : ce sont des périodes de marge comparables à celle du bannissement, où le chef de maison, comme son ancêtre, retourne au chaos des origines. Tout est à créer, y compris l’apparition du premier des « maîtres de l’épée ».
26Dans la maison, un autel est dressé contre le mur du haut, côté crête, où sont déposés, entre autres, l’épée (phe) et le bouclier (kho) du maître de la demeure. Lors d’une première séquence, l’officiant récite le mythe d’origine de Nahangma ; à la demande des huit rois (yet hang) qui habitaient la terre autrefois, l’un des neuf rois célestes (pang hang) est envoyé aux hommes. À l’endroit où il tombe comme la foudre, la terre se fend et se met à trembler. Apparaissent alors successivement le « lac des aristocrates » (tumyang dhārā), une pierre appelée phok lung, l’épée, le bouclier et cette force appelée Nahangma. La scène se passe au centre du monde yakthumba, au cœur de la montagne sacrée, le Phoktanglungma, l’un des sommets de la chaîne toute proche du Kumbhakarna.
27Au début de la seconde partie du rituel, l’officiant se lève et il s’enfonce dans la « forêt » sur les chemins de l’autre monde. Il tient dans les mains l’épée et le bouclier du maître de maison ; il énumère chacune des étapes de son long voyage rituel vers la montagne sacrée, il atteint le lac d’eau pure où, comme aux origines, la foudre vient de tomber. Il sacrifie un coq au nom de son client. En échange, il obtient la « force ». Diverses divinations s’ensuivent, liées au destin du maître de maison. Elles concernent « l’âme-fleur », double de son client dans l’autre monde, le « jet de pierres » (lung lepma) etc.
28La dernière séquence du rituel voit le retour du maître de l’épée dans le monde des hommes, selon le même chemin qu’à l’aller. De l’autre monde, il rapporte l’épée, le bouclier, la force. De retour dans la maison, il « clôt » le corps de l’homme, debout à ses côtés. Il purifie sa tête, ses épaules, avec l’eau rapportée du lac de la montagne sacrée. Il lui remet l’épée et le bouclier. Il lui ceint la tête d’un turban blanc et l’homme trépigne violemment en agitant l’épée : on dit qu’à nouveau la force sauvage de Nahangma est en lui, au sommet de sa tête et qu’elle anime son arme. Enfin, l’officiant glisse l’une des plumes du poulet sacrifié sous le turban du maître de maison ; c’est le « signe » de la force restaurée ; il est possible, enfin, que jadis un tambour ait été associé à la cérémonie22.
Quelques remarques sur la comparaison des deux rituels
29Entre le chasseur d’autrefois s’enfonçant dans la forêt pour abattre une bête à cornes et le Yakthumba d’aujourd’hui qui fait appel au maître de l’épée, il est d’abord des points communs. Tous les deux, au début du rituel sont appelés « hommes sauvages » (pung mi-ba)23 : ils sont comme des bannis, abandonnés des dieux qui errent dans la forêt où l’ordre social a disparu. Et le monde autour d’eux s’en est retourné au chaos.
30Tous les deux, à l’issue du rituel, sont parvenus à se rendre « maîtres de la forêt » et le monde est sorti du chaos : leurs corps a retrouvé la force, l’ordre social est restauré, les dieux sont de retour et de nouveau la montagne soutient le ciel, en même temps qu’elle pèse sur la terre et l’empêche de trembler. Selon l’image traditionnelle des mondes emboîtés, l’action du chasseur, comme celle du maître de l’épée, a des effets sur le corps, la société, le cosmos.
31On pourrait mettre en évidence la continuité d’une façon de penser, un ensemble de thèmes précis, commun aux deux rituels : dans les deux cas celui des « armes surnaturelles » est présent, tant pour l’arc du chasseur que pour l’épée du maître de maison. On sait24 en outre que le démembrement de la bête abattue a les mêmes effets que le « jet de pierres » du maître de l’épée ; la plume glissée sous le turban est un « signe » comparable à la tête et aux cornes que s’octroie le chasseur.
32Surtout, les enjeux du rituel sont les mêmes : le retour des dieux, la « force » retrouvée. La civilisation ne peut renaître que de cette force « sauvage » acquise dans le chaos des eaux primordiales25.
33Enfin, dans la chasse rituelle, comme dans le culte à Nahangma, le centre du monde yakthumba demeure la montagne locale.
34Il n’en est pas moins vrai, toutefois, qu’entre la chasse et le rituel à Nahangma, il existe une profonde différence. On passe d’une société où, chaque année, le maître de maison payait de sa personne pour retrouver la maîtrise du sol, à une autre société où c’est le « maître de l’épée » qui désormais contrôle – mais pour le compte de qui ? – la force venue de la montagne. Sans doute, la société yakthumba est-elle devenue plus docile. Peut-être un transfert s’est-il opéré vers un pouvoir centralisé.
LE RITUEL HINDOU DE DASAĨ ET L’ÉMERGENCE DE CHEFS NOUVEAUX (SUBBĀ)
35À la fin du XVIIIe siècle, la conquête Gurkha permet d’intégrer par les armes le pays yakthumba au royaume du Népal. Des chefs d’un type nouveau, peu à peu, se mettent en place. On les appelle subbā (N). Eux aussi, à l’origine, sont des maîtres de maison parmi d’autres. Mais, désormais, ils vont recevoir délégation héréditaire des pouvoirs du roi du Népal pour administrer le pays en son nom selon une législation népalaise, et non plus la tradition ancienne.
36De même que Nahangma et son culte, comme par le passé, continuent de rendre légitime l’autorité de chaque chef de maison yakthumba, de même Durgā, l’hindoue, et le rituel de Dasaῖ rendent légitime l’autorité de ces chefs nouveaux sur les autres maîtres de maison. Apparaît donc le « double pouvoir » des hommes : d’un côté les tumyang et de l’autre les subbā. Mais ce double pouvoir des hommes repose sur un double pouvoir des dieux : d’une part Nahangma, la divinité tutélaire yakthumba qui demeure, et de l’autre Durgā l’hindoue, qui tente de s’imposer. Eux aussi, les dieux, sont en conflit. En d’autres termes, les chefs de maison yakthumba, forts de l’appui de Nahangma, tendent à s’opposer à l’autorité des subbā qui centralisent le pouvoir au nom de Durgā. La contradiction est patente dans les institutions. À l’époque contemporaine, toutefois, deux siècles après l’intégration des Yakthumba au royaume du Népal, on s’attend à ce que les subbā, avec l’appui du pouvoir népalais, aient définitivement assis leur autorité sur les chefs de maison qui dépendent de leur circonscription. Et plus précisément, on s’attend à ce que Nahangma, en tant que déité tutélaire des Yakthumba, soit célébrée désormais le septième jour du rituel de Dasaῖ : ce serait le signe de son intégration à l’hindouisme, de son allégeance à Durgā et du pouvoir définitivement reconnu des subbā dans leur circonscription où ils représentent l’autorité du roi népalais.
37En fait, ce n’est pas le cas. À aucun moment Nahangma n’apparaît dans le rituel de Dasaῖ. Et c’est une autre déité yakthumba, celle qu’on appelle la « grand-mère » (Yuma), qui prend sa place dans le culte hindouiste, en tant que divinité tutélaire de la population.
38Dans le nord du pays, l’apparition de Yuma et celle de son officiant du même nom, pose problème. À nouveau, il apparaît avec elle une rupture dans les façons de penser yakthumba, comparable à celle de l’émergence du « maître de l’épée » et du culte à Nahangma.
39Ainsi, en étudiant Dasaĩ, c’est surtout le culte de Yuma qui nous intéresse. Car, tel un cheval de Troie, elle introduit les grands mythes hindouistes chez les Yakthumba. Elle prépare l’avènement de Durgā, la tutelle du roi du Népal et la légitimité des subbā auxquels le roi délègue ses pouvoirs. Il n’en est pas moins vrai que la résistance de Nahangma semble avoir été grande à l’égard de Durgā. Autant, au reste, que celle des chefs de maison face à la mise en place des subbā. L’évolution des dimensions de la circonscription (thum) dans laquelle s’effectue le rituel de Dasaĩ nous en fournit sans doute une preuve indirecte.
40Cette notion de « circonscription » existait bien avant la conquête gurkha, à l’époque de la tutelle des rois Sen, comme à celle des rois du Sikkim sur le territoire yakthumba. Elle était aussi vieille que celle des Yakthumba eux-mêmes, associée à celle de hang : il y avait, dit la légende, dix « rois » et dix territoires (thum)26, autant que les Yakthumba comptaient d’ancêtres aux origines de l’ethnie. Et, très probablement, ces rois, portés à la tête des coalitions des chefs de maison sur chacun de ces territoires se dressèrent-ils face à l’armée gurkha en 1774. Une fois vaincus, sans doute furent-ils reconnus par le roi du Népal comme les chefs de la communauté, avec lesquels on pouvait négocier : ce fut en effet le cas dans la « circonscription » (thum) de la Maewa. À l’époque de la conquête Gurkha, les dimensions du territoire où s’exerçait l’autorité d’un « roi » se mesurait à l’échelle d’une vallée toute entière. Et c’est à cette échelle que peu à peu se mit en place le rituel de Dasaĩ propre à chacun des subbā. La circonscription dans laquelle s’effectuait Dasaῖ, elle aussi, avait les dimensions d’une vallée.
41Deux siècles plus tard, à la veille de la mise en place des conseils de villages qui mettaient fin au règne des subbā, les territoires de ces circonscriptions, toujours appelées thum, s’étaient réduits comme peau de chagrin du fait de la multiplication des charges : dans la vallée de la Maewa, en moyenne, on comptait un subbā désormais pour vingt maisons, pour moitié yakthumba et pour l’autre, immigrés27.
42C’est dans le cadre de territoires devenus minuscules que s’effectuait donc le grand rituel de Dasaĩ vers 1960. En modèle réduit, on y trouvait tout ce qu’on trouve dans un royaume : une « forteresse », un « sanctuaire », une bannière, une « armée », une cour de justice, la perception de l’impôt et un territoire autonome où le subbā, grâce à Durgā, recevait par délégation les privilèges exorbitants d’un roi devenu lui aussi minuscule : il était « maître du cosmos » dans un empire de vingt maisons. Il y possédait le pouvoir de détourner la foudre.
43Cette multiplication des charges fut sans doute encouragée par la loi népalaise. Mais la fragmentation de l’ancienne circonscription qui existait à l’époque de la conquête gurkha témoigne surtout de la violence avec laquelle les chefs de maison refusaient la tutelle héréditaire d’autres chefs de maison qui étaient parvenus à devenir subbā. Et ce refus les amenait, à leur tour, à intriguer et obtenir une charge de subbā pour eux-mêmes. Ces faits témoignent de l’attachement des chefs de maison yakthumba à l’autorité politique que leur offrait le rituel à Nahangma.
Les premiers jours de Dasaĩ
44Quoi qu’il en soit, vers 1960, Dasaĩ était devenu chez les Yakthumba un rituel aussi populaire que partout au Népal. En témoignent les premiers jours de la fête : les migrants yakthumba sont rentrés d’Assam et du Sikkim et chacun, désormais, demeure chez soi. On se fait tailler des habits neufs dans le tissu rapporté du marché. On envoie les jeunes vers la rivière chercher la terre rouge qui va servir à refaire le crépi des maisons ; les chemins sont nettoyés. Un matin, Dasaĩ éclate au son des trompes des tailleurs : chargés d’une besace, ils passent chacun de maison en maison percevoir le grain, le sel et ce piment qu’on leur doit pour leurs prestations d’une année. On dit que leur passage annonce le début de la fête : c’est le jour de la nouvelle lune de la quinzaine claire du mois népalais d’asoj.
45Et ce matin-là, chacun des chefs de maison yakthumba, de même que leur subbā préparent, eux aussi, les graines d’orge, de maïs et de blé qu’ils vont faire germer dans un coin sombre de la maison ainsi que le pot (kalaś) et le plat de riz de la déesse Bhagvatī. Sur les terrasses, les gens discutent le prix des bêtes qu’ils sont venus acheter. Les Chetri du village voisin sont à la recherche de boucs. Les Yakthumba se cotisent pour acquérir un buffle ou un cochon. Tout au long de Dasaῖ, les sacrifices ne cessent pas. La viande, dans les maisons, sous le plafond, pend partout au-dessus du foyer. On distille à tour de bras. Saindoux et beurre grésillent sur les feux de bois et embaument les demeures. Des dizaines de groupes yakthumba sillonnent les hameaux. Devant chaque maison, ils s’arrêtent pour chanter : aux enfants on donne des sous et aux vieux l’alcool encore tiède.
46Des hommes, armés d’un arc à balles, passent au milieu des champs avec l’espoir d’abattre un faisan. D’autres descendent pêcher vers la rivière où ils construisent d’énormes barrages. Dès les premiers jours, chaque soir, les adolescents disparaissent discrètement du village : par milliers, ils se retrouvent dans la montagne où, toute la nuit, ils vont chanter et danser. Ce sont les traditionnelles cours d’amour. Oui, en ces premiers jours de Dasaῖ, les Yakthumba eux aussi participent à la fête et les dieux de l’hindouisme sont pleinement célébrés28.
Le septième jour de la fête (saptamī)
47Le septième jour de Dasaĩ est marqué par deux événements. Le premier concerne chacune des maisons nobles (tumyang) et l’autre, la seule maison de leur subbā.
48Ce jour-là, comme ailleurs au Népal, on célèbre donc les dieux tutélaires de la communauté, les dieux « locaux ». C’est ce que fait chez lui chaque chef de maison, y compris le subbā. Ce n’est pas, toutefois, Nahangma qui est invoquée. Elle est écartée, je l’ai dit, au profit de Yuma, la grand-mère, à laquelle chaque maison sacrifie un cochon.
49Selon la tradition orale, le culte de Yuma aurait été introduit par deux des Dix Yakthumba arrivés du Tibet, appelés Tsangba et Uba et dont l’un de leurs descendants fut le « roi » Mabo Hang29. Et il est vrai qu’aujourd’hui encore, les clans issus de Tsangba et d’Uba sont présents sur les deux rives de la haute vallée de la Tamur, attestant de la réalité historique de ces personnages mythiques.
50C’est un officiant appelé yuma, lui aussi, qui en principe officie30 dans chacune des maisons. En chantant, il évoque l’origine de la grand-mère. Il retrace le chemin de sa migration millénaire : la Chine, le Tibet Oriental, Lhasa. Lorsque Yuma atteint une montagne proche de la petite ville de Tashirakha, au Tibet méridional, est évoqué l’écoulement des eaux prisonnières de la montagne qui semble directement inspiré du mythe venu de l’Inde. Toutefois, dès son arrivée, par le nord, en pays Yakthumba, Yuma se prend de querelle avec Nahangma, la puissance locale. Et ce conflit entre les dieux amène la guerre entre les hommes. Nahangma l’emporte et Yuma en fuite gagne Bénarès, Katmandou, etc. Son culte néanmoins s’établira plus tard dans le sud du pays yakthumba.
51À l’époque contemporaine toutefois, Yuma, c’est clair, est parvenue à regagner le terrain perdu. Elle a fini par s’imposer partout dans le pays. Et c’est elle qu’on célèbre donc en ce septième jour de Dasaĩ, y compris chez ses anciens adversaires, les tenants de Nahangma.
52L’autre événement de ce septième jour de Dasaĩ concerne le seul subbā. De sa maison, il sortait autrefois une bannière appelée khadga niśān31. Il la plantait au milieu de sa cour. Quelqu’un jouait d’un tambour appelé nagārā. Chacun des chefs de maison de la circonscription savait ainsi qu’il était convoqué pour le surlendemain, neuvième jour de Dasaĩ, chez le subbā.
Le huitième jour (aṣṭamī)
53Comme ailleurs au Népal, le huitième jour de Dasaĩ est marqué, ici et là, par des sacrifices de buffles. La scène, toutefois, n’a pas l’importance qu’elle prend dans d’autres communautés. Peu nombreux, chez les Yakthumba, ceux qui s’y livrent. En 1966, au village de Tembe dans la vallée de la Maiwa, le buffle est abattu d’un coup de hache qui lui fend le crâne. Sur les lieux, quelques enfants, mais aucun officiant, aucun rituel.
54À Libang (Mewa), la bête est achetée en commun par quelques chefs de maison parmi les plus riches, le plus souvent subbā. Certes, le poteau de sacrifices (maulo), sur le chemin, à l’entrée du village, ne peut être arraché sans offenser les dieux, associé qu’il demeure à la circonscription d’un subbā d’autrefois qui regroupe celle de plusieurs subbā aujourd’hui. Toutefois, là encore, nul officiant et nul rituel. Le démembrement de l’animal ne sert en rien à réaffirmer les liens sociaux, ou un pouvoir légitime. La bête est dépecée sur place. La viande pesée est vendue aux villageois. L’acte n’apparaît pas comme ce rite central qui ailleurs revient au roi. Nul rapprochement n’est fait avec le mythe de Durgā et du démon Mahiṣāsura. C’est le lendemain, chez le subbā que la scène est capitale.
Le neuvième jour (navamī)
55Au matin du neuvième jour, chaque chef de maison se lève tôt et descend vers les rizières. Il passe dans chacun de ses champs, il inspecte les canaux d’irrigation, il touche les épis du riz qui seront bientôt mûrs. Dasaῖ, c’est surtout la fête de la viande et de l’alcool. Et si le chef de maison ne fait pas sa visite aux champs, le riz se fâche : « C’est moi qui compte, ou c’est la viande ? » Il faut montrer au riz qu’il est plus grand que la viande. Pourtant, Dasaῖ n’assure-t-il pas la prospérité du pays, des champs de chacun dans le royaume tout entier ? Il semble qu’un doute subsiste chez les Yakthumba.
56Plus tard, ce matin-là, partout dans la vallée, les tambours et les coups de fusils se mettent à résonner. Et dans chaque circonscription, les maîtres de maisons yakthumba – eux seuls – se rendent en famille chez leur subbā. À Tembe (Maiwa), un brahmane est présent pour surveiller la construction de l’autel. A Libang (Mewa), nul brahmane. Dans la cour, on dresse un tronc de bananier contre une palissade de bambou décorée de fleurs : à ses pieds, l’épée et le bouclier du subbā, ainsi que les effigies faites d’une gourde, d’un buffle et d’un bouc. En arrivant, chacun des chefs de maison dépose à son tour, comme l’a fait aussi le subbā, le vase de Durgā propre à sa maison, les pousses qui ont germé, le plat de riz cru et une petite lampe, ainsi que sa propre épée, ses outils agricoles, les instruments tranchants de sa demeure. Un bouc est amené qu’on attache à l’autel.
57C’est un prêtre de Yuma qui, en principe, officie, parfois remplacé par le « maître de l’épée », dans le nord du pays. La nuit précédente (kāl rātrī) fut celle d’un retour au chaos des origines. Le rituel a donc pour objet la sortie du chaos, la création du monde. Selon chacun des thèmes du mythe indien, le chant de l’officiant évoque le barattage de l’océan de lait, l’apparition de la montagne, etc. Le héros créateur est néanmoins Yakthumba. Il s’appelle Porok Mi-ba, « le grand homme » (yombā-mi). Mais il se trouve désormais assimilé nominalement à Siva. Une danse guerrière s’ensuit autour de l’autel : le subbā est en tête, l’épée haute, coiffé d’un turban et chacun des chefs de maison derrière lui agite son arme, hurle en faisant des bonds, tous désormais animés non plus par Nahangma, mais par la force de Yuma devenue l’épouse de Śiva, c’est-à-dire assimilée à Durgā. Le bouc est consacré, décapité d’un coup d’épée. La carcasse est traînée autour de l’autel et l’enclôt d’une trace sanglante. L’officiant s’empare de la bête et verse quelques gouttes de sang sur chacune des épées, des pousses de céréales, etc. Les effigies du bouc et du buffle sont à leur tour tranchées d’un coup d’épée. Enfin l’officiant place son pied nu sur le sol, dans la flaque de sang du bouc décapité. A cloche-pied, il court jusqu’à l’entrée de la maison du subbā. Il s’accroche des deux mains aux portes de la véranda. Il plaque son pied nu contre le mur, laissant une empreinte sanglante au-dessus de la porte. Alors le subbā ou parfois l’officiant, son délégué, dépose sur le front de chacun des maîtres de maison qui dépendent de sa circonscription, la « marque du bouc » (bokā ṭikā), un peu de sang, quelques grains de riz cru, une ou deux pousses de céréales. Et chacun, après lui, appose la même marque aux membres présents de sa maisonnée.
58Les chefs de maison reprennent leurs armes et leurs outils. Pour savoir si l’année sera bonne, chacun examine l’état des pousses jamarā. Le bouc est dépecé – le subbā offre à ses dépendants les entrailles rôties de l’animal (prasād) avec un pot de bière. Et toute l’après-midi est consacrée aux chants (samlo) où les vieux rivalisent pour évoquer les exploits des ancêtres, mais cette fois yakthumba.
59La tête du bouc abattu, entre autres, revient au subbā. Elle porte le nom d’une prestation de chasse (śir-ṭuk)32 comme si l’animal était sauvage. Ce jour-là le subbā est régénéré dans sa force vitale, celle qui se manifeste quand il manie l’épée. On dit qu’il a « la tête haute ». Mais c’est à Yuma, assimilée à Durgā, qu’il doit ce renouveau, et non à Nahangma. Et de cette force, reçue par délégation du roi du Népal, dépend à son tour la force de chacun de ses dépendants.
Le dixième jour (daśamī)
60Comme ailleurs au Népal, le dixième jour de Dasaῖ est celui où se renouent toutes les hiérarchies à l’intérieur de chaque circonscription. Non pas seulement, comme la veille, celles des seuls Yakthumba, mais aussi celles de tous les dépendants (raiti) de caste qui ont reçu des terres de la circonscription du subbā.
61La scène se passe à l’intérieur de la maison du subbā. Chacun des dépendants apporte des cadeaux ; les brahmanes, s’ils sont présents, des petits pains, du riz cru, des bananes ; les Chetri, parmi d’autres, un cuissot de chèvre (sa-lang) ; les Yakthumba, comme les Sherpa, surtout de l’alcool ; les forgerons (Kāmī), une faucille ; et les Tibétains, autant de pommes de terre qu’un homme peut en porter, le cuissot d’une chèvre du Tibet (byānglung), une trentaine de gros navets rouges (turuba labok), et un oiseau sauvage, soit le faisan monal (sam dangwa : le dẵphe des Népalais) soit un autre faisan, plus petit (yamlakwa). Et tous, en même temps, des fleurs.
62Le subbā, entouré par les siens, au centre de sa demeure, est à la place la plus haute du rang. Frère de clan ou tenancier de caste, chacun s’approche à son tour : il s’incline aux pieds du chef yakthumba et dépose ses cadeaux sur le sol. Il reçoit la même marque sur le front que la veille, mais cette fois appelée « complète » (purā ṭika). Entre ceux qui boivent, le subbā partage l’alcool. À tous, il offre une mesure de riz décortiqué, du sel, du piment, parfois de la viande. Et de nouveau, toute la journée, on chante. Le soir, retourné chez lui, chacun des chefs de maison, yakthumba ou non, remet à son tour la « marque sur le front » à tous les membres de sa famille.
63On dit qu’autrefois, en ce dixième jour de Dasaῖ, se tenait le grand rituel phedang thok lung où le maître de l’épée lui aussi renouvelait son allégeance aux puissances de l’autre monde.
64Le lendemain, partout, c’est le départ du village pour les Yakthumba : chacun se rend dans la famille de sa femme ou de sa mère pour renouer les liens hiérarchisés de l’alliance.
65Quant au subbā, dans les jours qui suivent le rituel, il reconnaît son allégeance au roi gurkha, en allant déposer des fleurs de Dasaῖ aux représentants, dans le pays yakthumba, de l’autorité népalaise.
66Ainsi le rituel de Dasaĩ est pleinement célébré chez les Yakthumba : le fait qu’y soient intégrées les joutes traditionnelles de l’ethnie (chants épiques des vieux, chants alternés et danses des jeunes) atteste que la fête, comme ailleurs au Népal, est devenue populaire.
67Le culte de Yuma, présent à Dasaĩ comme celui de la divinité tutélaire de la communauté ethnique a permis l’introduction des grands mythes de l’Inde. Porokmiba, le « grand homme » (Yomba Mi), héros fondateur yakthumba, est désormais assimilé à Śiva, comme Yuma l’est à Durgā. Il en résulte, en principe, la reconnaissance définitive de la royauté népalaise, comme celle du pouvoir des subbā.
68Il n’en demeure pas moins que Nahangma semble bouder la liesse générale. Le mythe rappelle que dès les premiers jours elle a lutté contre Yuma. Certaines des pierres dressées continuent d’en porter témoignage, dans la haute vallée de la Tamur. Nahangma conserve son quant-à-soi. Elle continue d’être célébrée, mais en dehors du calendrier de Dasaĩ.
69Nahangma a-t-elle encore une influence ? Il semble que la multiplication des charges de subbā et la segmentation extrême des circonscriptions, attestent de façon indirecte d’un conflit de légitimité entre le subbā et les chefs de maison. Ce qui laisserait supposer que Nahangma n’a pas désarmé.
LE DOUBLE POUVOIR DES HOMMES (HANG ET SUBBĀ) ET L’AFFRONTEMENT DES DIEUX
70Ainsi, à supposer que l’hypothèse d’un double pouvoir des dieux (Nahangma et Durgā) soit fondée, il n’est qu’une seule façon de la vérifier : mettre en évidence, jusqu’à l’époque contemporaine, le double pouvoir des hommes. Et montrer qu’à côté des subbā, mis en place par le culte de Durgā, les hang étaient toujours présents, forts du soutien de Nahangma.
71Certes, la notion a été évoquée en abordant le conflit structurel dans la minuscule circonscription du subbā, entre l’autorité de ce dernier et celle du maître de maison. Le premier est légitime du fait de Durgā, et le second de Nahangma. Le conflit existe donc en puissance dans chaque circonscription. Et il est vrai qu’il est manifeste le neuvième jour de Dasaῖ, lorsqu’un des chefs de maison, parfois, refuse de paraître au rituel mār kaṭnu. C’est le signe pour une raison ou une autre qu’il ne reconnaît plus l’autorité de son subbā. Et, souvent, c’est ainsi que commençaient les luttes intestines qui amenèrent à la segmentation des charges, à la multiplication des subbā.
72Il n’en demeure pas moins que la même contradiction apparut aussi dans des cadres beaucoup plus vastes, ceux de chacun des territoires où s’installa, aux origines de l’ethnie, chacun des Dix Ancêtres Yakthumba : ces territoires, on les appelle thum, eux aussi, on l’a vu, comme la petite circonscription du subbā : je les appellerai « districts » pour distinguer les deux notions.
73Certes, la faveur de Nahangma fonde le pouvoir de chacun des chefs de maison. Mais cette faveur n’est pas égale pour tous : je l’ai dit, certains sont mieux aimés des dieux que d’autres. Et dans le cadre des grands districts d’autrefois, selon un processus qui sera analysé ailleurs, l’un des chefs de maison, à un moment donné, est reconnu plus grand que tous les autres : pour des raisons que les hommes comprennent bien, il est celui que Nahangma affectionne le plus. Celui-là, on l’appelle « le premier parmi les aristocrates » (tum tumyang). Et comme l’ancêtre d’autrefois, on lui donne le nom de « roi » (hang).
74Ces institutions du hang et du tum tumyang, on le sait, sont très anciennes, présentes à l’origine de l’ethnie. Elles existaient encore à l’époque des rois Sen et à celle de la tutelle des rois du Sikkim. Ensuite, tous les auteurs se sont entendus sur le fait qu’elles aient disparu. Mais ils ne s’accordent pas sur les dates de cette disparition. La plupart, toutefois, affirment que ces « rois » yakthumba appelés hang auraient cédé la place aux subbā à la suite de la conquête gurhka.
75En d’autres termes, pour vérifier l’hypothèse de la permanence jusqu’à nos jours du double pouvoir des dieux, il est nécessaire de prouver que les hang yakthumba existaient encore à l’époque contemporaine en dépit de la présence des subbā.
76Après la « Révolution » de 1950-1951 qui vit la chute du régime Rāṇā et la restauration des pouvoirs du roi du Népal, le pays yakthumba fut le théâtre de très importantes assemblées politiques (cumlung) que le régime Rāṇā interdisait jusqu’alors33
77Ces assemblées se sont tenues en plein air, dans des sites parfois consacrés de l’histoire yakthumba. Certaines ont réuni de quatre à cinq mille personnes, venues de tous les districts du pays. Le but était de dégager des positions politiques communes à l’ethnie, et de désigner des délégués qui iraient présenter des propositions de réformes, à Katmandou, au roi du Népal.
78Man Bahadur Pangbohang fut à plusieurs reprises l’un de ces délégués. Il habitait le village de Libang, dans la vallée – « le district » – de la Mewa où j’ai surtout travaillé, autrefois. À cette époque il joua un rôle politique important. Souvent je lui avais demandé de m’éclairer sur le mouvement qu’il animait. Il me faisait participer à des manifestations que ne je comprenais guère. Mais ce n’est qu’à l’occasion de ma seconde mission et, qui plus est, au moment de mon départ, en 1971, qu’il me remit une liasse de papiers où, me dit-il, je trouverai quelques-unes des réponses aux questions que je lui avais posées.
79Cette liasse34 est constituée de vingt et un feuillets doublés de papiers népalais, reliés par un cordon de coton. Onze pages sont manuscrites, recto-verso, à l’encre noire et au stylo à plume. Le texte, rédigé en langue népali, se compose de deux parties. La première relève de « l’avènement de la démocratie » auquel les yakthumba souhaitent s’associer : ils se disent prêts, eux aussi, à participer à la construction du pays et au « développement du progrès » : demande est faite de la mise en place d’écoles, de centres sanitaires, d’hôpitaux, etc. Apparaît surtout la volonté que les Yakthumba soient reconnus comme une communauté ethnique et culturelle, possédant ses propres instances. En annexe, se trouve le projet très détaillé d’un internat qui accueillerait deux cents étudiants, exclusivement yakthumba.
80La seconde partie du document concerne l’une de ces grandes assemblées de l’ethnie qui s’est tenue près du hameau de Dobhan, en novembre 1956, au confluent des rivières Mewa et Tamur, pour préparer une délégation auprès du roi du Népal, qui fut reçue le 28 du même mois35. Pour l’essentiel, le texte de l’assemblée est simple : outre les propositions de réformes mentionnées ci-dessus, il est demandé un retour au décret (lālmohar) de juillet 1774, selon lequel Pṛthvī Nārāyaṇ reconnaissait le système politique traditionnel des Yakthumba, c’est-à-dire l’autorité des chefs appelés hang. En conséquence, l’Assemblée de 1956 demandait l’abrogation de la législation mise en place depuis le régime Rāṇā et concernant les subbā.
81L’une des pages de la liasse, en outre, énumère les membres de la délégation auprès du roi, élus par l’assemblée. Elle se présente sous la forme d’un tableau dont chaque ligne concerne un délégué, avec mention de son nom, du nom de son clan, de son village, de son « district » (thum) et, enfin, sa signature. Cette liste présente malheureusement un certain nombre de lacunes. Elle est, en outre, authentifiée par un secrétaire de séance, appelé Nanda Kumar et par Man Bahadur lui-même, qui l’a fait recopier et confirme de sa signature que le double est conforme à l’original.
82Ce qui m’intéresse dans cette page, ce sont les indices qui permettraient de définir le type d’assemblée qui s’est tenue à Dobhan ce jour-là : il semble, en effet, qu’elle soit tout à fait comparable aux grandes assemblées légendaires de l’ethnie et que les délégués élus pourraient bien être des « rois » (hang) en tous points comparables aux dix ancêtres mythiques, fondateurs de la communauté ethnique.
83Certes, ces hang d’autrefois, il est difficile de les définir. Concernant les « rois » mythiques des origines (ceux qui existaient à l’époque des rois Sen, à celle des rois du Sikkim, ou au moment de la conquête gurkha) les sources sont souvent contradictoires. La plupart, cependant, mettent en avant un petit nombre de donnés identiques : qu’ils soient, selon l’époque historique, au nombre de dix, de treize ou de dix-sept.
84Ces données, au nombre de cinq, sont les suivantes :
le hang est l’élu d’un district (thum) avant d’être l’élu de la population toute entière,
le hang appartient à un clan spécifique propre au territoire de son district,
le hang serait le représentant élu de la « tribu » (swang) propre à son district et issue d’un ancêtre commun,
le hang serait lui-même, par filiation, le descendant direct de l’ancêtre de la tribu propre au district,
l’ensemble des hang serait l’instance politique suprême du pays yakthumba.
85Dans quelle mesure ces cinq données concernant les hang d’autrefois sont celles qui se retrouvent chez les délégués de l’assemblée de 1956, c’est ce que nous allons tenter de définir.
86Dans la liste du manuscrit de Man Bahadur, les délégués de l’assemblée sont au nombre vingt-neuf36 issus de treize districts différents. Mis à part un élu, qui ne mentionne pas le nom de sa communauté, tous sont kirat, en grande majorité yakthumba, à l’exception de trois Rāi. Aucune des autres communautés installées de longue date en pays yakthumba (Magar, Gurung, etc.) ne sont représentées, à commencer par celle des Indo-Népalais : on a l’impression de revenir à un état de fait bien antérieur à la conquête gurkha.
87– Pour un district donné, le nombre des élus varie. Avec onze délégués, le Panch Thar est fortement représenté, sans doute pour avoir orienté les débats politiques. Et il est vrai que, dans la délégation, on trouve les présences marquantes de Kul Bahadur Angdembe qui deviendra ministre dans le gouvernement népalais de 1957, celle d’Iman Singh Chemjong, l’historien yakthumba, etc. Le Panch Majhiya compte trois délégués, un Yakthumba et deux Rāi, qui tous ont omis leur nom de clan. Quatre autres districts (Athrai, Mewa, Yangrup, Sankhuwā, Sabha) ont deux élus chacun, dont un Rāi pour le dernier cité. Enfin, chacun des sept autres districts (Tamur, Maiwa, Char-Khola, Phedap, Chaubis, Chathar, Mikluk) ne compte qu’un élu.
88Ainsi sur ce premier point, l’assemblée de 1956 est conforme à la tradition des grandes assemblées légendaires telles qu’elles sont évoquées dans les sources. Comme les hang d’autrefois, chacun des délégués est d’abord l’élu d’un district et non du pays tout entier. Dans quelle mesure les élus de 1956 appartiennent-ils, comme les hang d’autrefois, à des clans connus pour être issus de leur district37 ? À cet égard les noms de clans mentionnés par le manuscrit de Man Bahadur Pangbo apportent quelques indications :
89– Pour le district de la Mewa et son élu, Man Bahadur, du clan Pangbohang, et du village de Libang, les données sont claires : Libang, nom d’un village, est aussi celui d’un clan ancien, aujourd’hui disparu et dont le clan Pangbohang est issu par segmentation : tous les deux sont apparus dans la vallée de la Mewa.
90La Maiwa est représentée par deux délégués, respectivement des clans Phago et Thangdemba. Phago est un des plus vieux clans de la Maiwa khola qui a donné naissance à une trentaine d’autres clans dont le clan Thangdemba.
FIG. Ι. FRONTIÈRES APPROXIMATIVES DES DIX PROVINCES LIMBU TRADITIONNELLES LE LONG DE LA RIVIÈRE TAMBAR

Source : R.L. Jones et S. Kurz-Jones, The Himalayan Woman, Mayfield Pub. Co., Palo Alto, 1976.
91– Le clan Putwa du délégué de « Taplejung », c’est-à-dire du district de la Tamur, m’est inconnu.
92– Ilam, nom d’une petite ville, renvoie au district des Char Khola qui a longtemps relevé, pour une part, de l’autorité des rois du Sikkim. Il est représenté, en 1956, par un homme du clan Chemjong. Au XVIIe siècle, pour des raisons politiques, les Yakthumba ont pris leurs distances à l’égard du Sikkim. Et aujourd’hui, le clan Chemjong est attesté dans les districts de Chaubis, de la Tamur, du Panch Thar. Mais il est possible que le berceau du clan Chemjong soit en effet le district de Char Khola.
93– Pour le district de Phedap, l’élu appartient au clan Tumbangphe qui signifie le « plus ancien village », le « premier village ». Partout dans le pays sont nombreux les clans Tumbangphe, sans aucun lien les uns avec les autres. Toutefois, l’un d’eux est attesté à Phedap particulièrement important, au point d’être considéré comme une « sous-tribu » à laquelle sont associés huit autres clans.
94– L’élu du district de Chaubis a omis de préciser son nom de clan.
95– le Panch Majhiya est représenté par trois délégués dont un Yakthumba et un Rāi : aucun nom de clan n’est précisé.
96– Le Mikluk a pour délégué un homme du clan Mabo Hang, sans doute venu s’installer dans les basses terres du sud depuis les montagnes.
97– Le district de Sankhuwa Sabha a deux élus qui sont Rāi, sans autre précision.
98– Enfin, la liste des onze délégués du Panch Thar est précieuse. Elle tend à préciser les indices qui apparaissent dans la représentation des districts précédents. Trois élus appartiennent au clan Angdembe ; deux sont Chobegu ; un, Nembang ; un, Tamsuhang ; un, Sewa ; un, Maden ; un, Lauti ; un, Chemjong. A l’exception du clan Maden, trop fréquent partout ailleurs dans le pays pour être attaché à un seul district, tous les autres clans sont liés au district du Panch Thar, et le clan Angdembe est souvent présenté comme le nom d’une « sous-tribu ».
99Ainsi, cette analyse replacée dans le cadre des travaux britanniques et de nos matériaux tend, pour une part, à montrer que les élus politiques de l’assemblée de 1956, comme les hang d’autrefois, appartiennent à des clans connus de longue date comme spécifiques du territoire du district qu’ils représentent.
100Peut-on aller plus loin et affirmer que le hang serait le représentant d’une tribu, liée au territoire du district et dont les clans, surtout, seraient issus d’un ancêtre commun38 ?
101De cet ancêtre, que disent les sources présentes dans la littérature, concernant le seul district de la Mewa qui m’est le mieux connu ?
102Selon quelques-uns des auteurs, les informations sont les suivantes39 :
Nom de l’ancêtre | District (Thum) | Forteresse (yok) | source |
Sosiane Sering Hang | Mewa | Meringden | Vansittart 1915, p. 104 |
Sesiane Sering Hang | Mewa | Meringden | Morris 1933, pp. 88, 89 |
Sisiyen Sering Hang | Mewa et Maiwa | Meringden | D.R. Regmi 1961, pp. 37-39 |
Sisiyen Sering Hang | Mewa et Maiwa | Meringden | I.S. Chemjong 1966, I, p. 60 |
103Dans quelle mesure les matériaux recueillis sur le terrain confirment-ils ces informations et permettent-ils de les interpréter ?
104Dans les années 1956-1971, ces cinq indications, à deux minimes variantes près, sont constamment mentionnées par de nombreux informateurs qui habitent la vallée de la Mewa. La raison est simple : elles sont au cœur d’un rituel appelé Mangenna qui s’effectue deux fois par an dans chaque maison, en même temps que le culte de Nahangma. Et ce rituel, pour bon nombre de cas, établit en effet une relation de filiation entre le clan du maître de maison et celui de l’ancêtre mythique.
105La première séquence du culte voit l’officiant (le maître de l’épée) retracer les étapes de la migration de l’ancêtre du district. Sont évoqués la vallée de Katmandou, Bénarès, l’Assam. Puis Lhasa, la Chine, le Kham. À Lhasa, longtemps, les ancêtres vivent de la chasse : est évoquée une crête appelée Sering où ils habitent des maisons troglodytes sous la direction d’un « roi » appelé Sering Song Hang, puis diverses localités du Tsang, au Tibet méridional. Enfin les rives d’un lac proche de la bourgade tibétaine de Tashirakha où les Yakthumba de la « Lhasa Gotra » se séparent et gagnent par des chemins différents les basses vallées himalayennes qu’ils habitent aujourd’hui. L’ancêtre de la Mewa s’appelle alors Sandunghe. Il est accompagné de Mundunghe, son frère cadet. Ensemble, ils atteignent les sources de la Mewa, puis le hameau tibétain actuel de Tokpe Gola. Ils se séparent près du hameau de Lamsang après avoir abattu une bête sauvage à cornes qu’ils partagent. Sandunghe s’installe sur la rive droite de la vallée. Pour la première fois, alors, il effectue le rituel à Mangenna, prenant le nom de Sejiri Sering Hang. De la même façon, Mundunghe s’installe sur la rive gauche et prend le nom de Liliri Libang Hang.
106Lorsque le chef de maison appartient à un clan issu de l’un ou l’autre des deux ancêtres, la seconde partie du culte consiste, pour le « maître de l’épée », à acheminer par un voyage rituel une offrande sanglante jusqu’à la « forteresse » (yok) où s’est installé l’ancêtre en arrivant dans la vallée.
107À la lumière de ces données tirées des rites contemporains, reprenons chacune des cinq informations qui concernent les grandes assemblées d’autrefois et risquons-nous à la confrontation des deux : est-ce que les habitants de la Mewa sont tous issus d’un ancêtre commun ?
108D’abord, le nom de l’ancêtre : lui aussi est qualifié de hang. Mais comparé à celui qui est donné dans les sources des anciennes assemblées, le premier terme de son nom, sur le terrain, fait apparaître une variante : il ne s’appelle ni Sosianne, ni Sisiyen mais Sejiri.
109Le second terme, Sering, lui, demeure le même dans toutes les sources, comme dans le rituel. Sur le terrain, toutefois, le sens du mot selon les contextes est différent. C’est donc d’abord une partie du nom de l’ancêtre qui le premier s’installe dans la vallée. Mais c’est aussi la composante du nom de l’ancêtre plus lointain qui dirigeait la communauté lorsqu’elle habitait au Tibet dans les maisons troglodytes de la crête ou de la montagne, nommée elle aussi Sering. C’est encore un nom de clan, attesté à l’époque contemporaine sur la rive droite de la Mewa. En outre, de ce clan Sering, sont issus bon nombre d’autre clans de la vallée, du moins sur la rive droite. Venons-en maintenant au terme de Meringden : dans chacune des sources, il désigne la forteresse (yok) où régna Sejiri Sering Hang, l’ancêtre de la vallée de la Mewa.
110Pour les informateurs contemporains, le nom est bien connu. Il apparaît dans le rituel. Mot à mot, il signifie le lieu (den) des lamentations (mering). C’est l’endroit où l’ancêtre serait mort. Aujourd’hui encore c’est le nom d’un lieu-dit du hameau de Masering. Il se trouve sur la crête, au-dessus du village de Thukima, au confluent des torrents Mungwa et Samtingwa. Dans le rituel, il est en effet la forteresse (Yok) où, pour la première fois, l’ancêtre a effectué lui-même le rituel à Mangenna. Aujourd’hui, la forteresse a disparu. Demeure toutefois une pierre dressée appelée Tho-su Yok où, en effet, tous les clans de la rive droite issus du clan Sering, ainsi que ce dernier lui-même, font acheminer l’offrande sanglante du rituel : ils reconnaissent ainsi leur origine commune remontant à Sejiri Sering Hang, qui dans les sources est aussi le « roi » (hang) élu pour le district de la Mewa, lors de la grande assemblée fondatrice d’Ambepo Jokma.
111Sur la rive gauche de la vallée, les données sont un peu différentes. Le clan Sering n’est pas présent. Son équivalent, en tant que proto-clan, est le clan Libang, d’où sont issus bon nombre de clans qui existent aujourd’hui encore : tous, ils acheminent l’offrande sanglante du rituel au lieu-dit Sa Thok Nemba, marqué lui aussi par une pierre dressée, proche du hameau de Chinabung, sur le territoire de l’actuel village de Libang, où l’ancêtre s’est installé autrefois. Cet ancêtre Liliri Libang Hang (appelé aussi Mundunghe) on l’a vu, était le « frère » de Sejiri Sering Hang (appelé aussi Sandunghe). Tous les deux, dit le mythe récité lors du rituel de Mangenna, sont arrivés du Tibet lors d’une même migration. Et le clan Libang, disparu aujourd’hui, était lui-même issu du clan Sering qui existait au Tibet. Ainsi, chacun des chefs de maison, sur la rive gauche de la vallée, qui fait acheminer l’offrande sanglante du rituel de Mangenna à la pierre dressée Sa-Thok-Nemba reconnaît son lien de filiation à Liliri Libang Hang, ainsi qu’à l’ancêtre de la crête de Sering, au Tibet.
112Est-ce à dire, cependant, que tous les clans présents dans la Mewa descendent du même ancêtre ? Ce n’est plus le cas à l’époque contemporaine.
113D’abord, à l’arrivée des deux ancêtres issus du clan Sering, d’autres populations étaient installées dans la vallée. Elles avaient leurs propres chefs, dont le souvenir persiste, issus de clans encore présents aujourd’hui (Khokling, Samyangkhamma, etc.). Ces clans, avec le temps, ont été intégrés à ceux de la migration tibétaine de Sering. Et selon qu’ils habitent la rive droite ou gauche de la vallée, eux aussi, acheminent l’offrande sanglante de Mangenna aux pierres dressées Tho-Su Yok ou Sa thok Nemba.
114De même, d’autres migrations sont arrivées du sud, de « Bénarès » et non de « Lhasa ». Pour des raisons diverses, sanctionnées par des chasses rituelles, ces clans venus du Sud ont obtenu le même statut que ceux venus du nord. Ils ont fait souche dans la vallée. C’est en particulier le cas des douze clans du village de Syamba, reconnus « nobles » (tumyang) eux aussi, et qui adressent l’offrande à leur ancêtre commun, Saratapa, à la forteresse appelée Ling Thang Yokma, une pierre dressée, elle aussi, sans relation avec celle des migrants tibétains.
115Enfin, à diverses dates de l’histoire de la vallée, sont arrivés – à l’appel des chefs locaux en difficulté - d’autres clans, désormais bien implantés. En récompense de leur appui lors des guerres, ils ont obtenu de la terre. Mais ils continuent néanmoins de reconnaître leur filiation aux ancêtres de leur lieu d’origine dans la vallée voisine de la Tamur : ils acheminent l’offrande du rituel à la pierre dressée d’Akwajongu Yok.
116Ainsi, les clans de la vallée de la Mewa sont issus pour une part importante d’un ancêtre commun. Toutefois, ils ne composent plus une tribu (swang) au sens très précis où Senior l’entendait. Il n’en demeure pas moins que la Mewa possède son histoire propre. Et si les clans ne sont pas tous apparentés par la filiation, ils le sont devenus par l’alliance.
117Somme toute, dans une large mesure, les Britanniques avaient raison : le district de la Mewa, au moins, possède une population assez largement homogène. Le hang est bien le représentant de plusieurs groupes de clans spécifiques, dont les plus nombreux reconnaissent un ancêtre commun.
118Venons-en au dernier point que suggèrent les sources : celle d’un district qui possède une organisation politique unifiée ; celle où Sejiri Sering, l’ancêtre de la Mewa, aurait en son temps exercé le pouvoir sur l’ensemble de la vallée, puisqu’une assemblée, celle d’Ambepo Jokma le reconnaît comme « roi » (hang).
119Sur ce point toutefois, les sources semblent en complet désaccord avec les matériaux recueillis sur le terrain. Certes, dans la tradition orale des clans, la notion de hang remonte à la nuit des temps : elle existe avant l’arrivée des « Dix Yakthumba ». Elle se perpétue sous les rois Sen, sous les rois du Sikkim. Et les hang sont présents face aux forces gurkha. Mais ce qu’affirme cette tradition, c’est la pluralité des hang et leur affrontement permanent dans le cadre de chaque vallée. La tradition orale de prime abord nie l’unité politique du district.
120Pour ne prendre qu’un exemple concernant la Mewa, on rapporte qu’avant la conquête gurkha, il existait plusieurs petits « royaumes » dans la vallée, presque dans chaque village, à Santakra, à Libang, à Lingtep, à Syamba. Les hang qui existaient à leur tête luttaient constamment les uns contre les autres. Et chacun de ces minuscules potentats ressemble fort à ceux qu’évoque Campbell en 1840 : il possédait sa « forteresse », en effet, nid d’aigle d’un accès difficile, dans lequel il vivait avec les siens. En cas de querelle avec un voisin ou de différend avec un supérieur, des compagnons d’armes venaient l’y rejoindre : on se retranchait pour assurer la défense. Ces données posent problème : comment à l’Assemblée des Dix Yakthumba, l’un de ces hang pouvait se retrouver l’élu d’une vallée toute entière, lorsque la tradition orale les montre, au mieux, à la tête de quelques villages et s’entre-déchirant les uns les autres ? Et ces assemblées, en quelles occasions se réunissaient-elles ?
121De même se pose l’autre question, déjà évoquée, où à nouveau les sources sont en contradiction avec les matériaux de terrain : à quelle époque les hang ont-ils disparu ? Depuis cinq siècles, répond Hodgson en 184040, évoquant sans doute la tutelle des rois Sen sur le pays yakthumba. À la suite de la conquête gurka, affirme Risley41 et bien d’autres avec lui, quand ils cèdent la place aux subbā (non plus élus des dieux et reconnus par les hommes, mais recevant délégation héréditaire des pouvoirs du roi du Népal et légitimité grâce au rituel de Dasaĩ).
122En fait, les hang ont survécu à la conquête gurkha : c’est ce que nous apprend le terrain. Certes leur survie s’est faite dans l’illégalité aux yeux de la loi népalaise, mais elle demeurait légitime selon la tradition et la faveur de Nahangma. Et ces données nous ramènent à l’assemblée de 1956 et à l’élection de Man Bahadur Pangbohang pour le district de la Mewa.
123Jusqu’aux années cinquante, date à laquelle, avec la chute des Rāṇā, vont réapparaître les grandes assemblées yakthumba, Damar Doj Pangbohang, le père de Man Bahadur, dominait la vie politique de la Mewa. On dit que son autorité, à laquelle son fils était associé, s’exerçait en partie sur les districts voisins de la Tamur et de la Mewa. Il y eut même une époque où il défia le chef tibétain de Walungchung, très soutenu par le royaume du Népal42 et qu’il chercha à lui ravir le contrôle du grand commerce himalayen qui transitait par la vallée de la Tamur.
124Face à lui, nombreux furent les chefs yakthumba, tous subbā, qui pâtirent de son autorité. Sous la direction de l’un d’eux, et avec l’appui des immigrés indo-népalais, plainte fut déposée contre lui au service népalais de l’impôt de la petite ville de Terhathum. Quoique subbā lui-même, (il possédait quatre charges), Damar Doj fut dénoncé comme le hang de la Mewa, porté à la tête d’une coalition hors la loi qui redonnait vie à une institution interdite. Sans doute la plainte était-elle fondée, car depuis Terhathum, l’armée népalaise se mit en route vers le village de Libang avec mission de se saisir de lui.
125Parvenu à ce point de l’exposé, il nous faut en revenir aux grandes assemblées qui se sont tenues dans les années cinquante partout dans le pays yakthumba, pour les comparer aux assemblées légendaires évoquées par les sources. Et en particulier revenir à celle de 1956 au cours de laquelle Man Bahadur Pangbohang fut élu membre de la délégation reçue par le roi du Népal, le 20 novembre, cette année-là.
126L’assemblée de Dobhan en 1956 réunit des populations venues de chacun des districts du pays yakthumba tout entier. Elle est, selon les termes historiques, l’assemblée des assemblées (thum-thum)43 identique à celle fondatrice de l’ethnie ou à celles qui se tenaient à l’époque des rois Sen.
127Dans le cadre de cette assemblée, comme les hang d’autrefois, Man Bahadur Pangbohang, avant d’être l’un des délégués du pays tout entier, est celui du seul district de la Mewa, l’une des vallées historiques du pays yakthumba.
128Comme les hang d’autrefois, Man Bahadur appartient à un clan dont l’émergence s’est effectuée sur le territoire même du district qu’il représente. En atteste l’une des pierres dressées de la vallée liée à l’apparition du clan Pangbohang auquel Man Bahadur appartient : elle est évoquée chaque année, dans sa propre maison, lors du rituel à Mangenna. Comme le hang d’autrefois, Man Bahadur représente l’ensemble des clans installés dans le district de la Mewa : s’il ne compose plus une tribu (swang) au sens donné par Senior, il demeure néanmoins une population spécifique de l’histoire de la vallée.
129Comme le hang d’autrefois Man Bahadur est en effet apparenté en ligne directe à Sering Song Hang, l’ancêtre tibétain. Et chaque année, cette filiation est rappelée à l’occasion du rite à Mangenna.
130Enfin, en élisant Man Bahadur, en 1956, comme le hang d’autrefois, la population de la Mewa a reconnu en lui « le plus grand des chefs de maisons » (turn tumyang) du moment, celui qui, plus que tout autre, présentait tous les signes d’une faveur particulière de la divinité Nahangma. C’est ainsi en effet que, dans les assemblées d’autrefois, les hang étaient élus44.
131Ainsi, ce fut à titre de hang que Damar Doj, le père de Man Bahadur, fut poursuivi par les soldats népalais. Et de la même façon, ce fut à titre de hang que Man Bahadur, son fils, fut reconnu par l’assemblée yakthumba de 1956.
132Les hang n’ont donc pas disparu au profit des subbā après la conquête gurkha : ils cœxistent jusqu’à la mise en place des conseils de village. Quoique illégaux pour la loi népalaise, ils demeurent légitimes selon la tradition yakthumba.
133Et sans doute ce double pouvoir des hommes renvoie-t-il au double pouvoir des dieux, faisant ainsi la preuve que Nahangma, la déité yakthumba, ne s’est pas inclinée face à Durgā la déesse hindoue.
CONCLUSION LE DOUBLE POUVOIR DES DIEUX
134Ainsi, à propos de Dasaῖ, quelques données ont été présentées sur l’histoire des institutions yakthumba. Ce qui frappe, dans cette évocation, c’est la coexistence de deux faits contradictoires. D’abord la continuité de pensée qui se manifeste dans chacun des trois rituels : la chasse, le culte à Nahangma et Dasaĩ. Et ensuite, des ruptures dont les effets sur l’organisation politique sont identiques, mais s’accentuent avec le temps.
135Revenons à Dasaĩ. Au petit matin qui suit la nuit du huitième au neuvième jour, le vacarme des tambours et des coups de fusils est une « institution » qui relève d’une loi qu’on pourrait appeler du « silence et du bruit », présente partout en Asie et au-delà. Ce vacarme survient en des occasions imprévisibles : lorsqu’un animal sauvage pénètre à l’intérieur d’un village ; que l’éclipsé menace ; que la montage s’effondre ; que montent les eaux primordiales. Mais en d’autres occasions, ce vacarme revient régulièrement, à des dates prévues par le calendrier, comme ici, à Dasaĩ, au culte de Nahangma et lors de la chasse rituelle.
136Le monde n’est en ordre, disait Granet autrefois, que clos comme une demeure : alors les dieux protègent. À l’inverse, ce vacarme donne l’alarme d’un monde ouvert qui n’est plus protégé. Ces données relèvent des conceptions de l’espace, mais aussi de celles du temps : « l’âge des calamités » s’est abattu sur la petite communauté. C’est vrai pour Dasaĩ, et aussi pour Nahangma et la chasse rituelle. Et dans chaque cas l’homme est comme un banni, abandonné des dieux ; le territoire est livré au « déferlement des confins sauvages ». Le cosmos s’en retourne au chaos.
137Plus tard, en ce neuvième jour de Dasaῖ, le subbā chez lui, et en présence de tous ses frères de clan, mène le rituel mār kāṭnu. Le bouc est abattu et, avec lui, l’effigie du buffle évoquant la victoire de Durgā sur les démons. À l’issue du rituel, la tête tranchée de l’animal est appelée śir ṭuk : ce terme est aussi le nom d’une prestation que la loi népalaise reconnaissait au subbā sur toutes les bêtes sauvages à comes abattues par les chasseurs dans les limites de son territoire. La bête décapitée en ce neuvième jour de Dasaĩ est donc assimilée à un animal sauvage. Et le subbā qui en obtient la tête est comme son ancêtre le banni qui sort de la forêt à l’issue de la chasse rituelle. De même, le partage des entrailles rôties renvoie au « démembrement créateur » de la chasse, de la même façon que le fait le « jet de pierres » propre au culte de Nahangma. Et l’on sait que ces institutions sont liées à la victoire sur le chaos primordial, le retour à un monde clos où la société est en ordre, à l’âge d’or des origines où les hommes ne sont pas séparés des dieux, où leur puissance vitale est au sommet.
138Enfin, à l’issue de ce neuvième jour de Dasaĩ, le turban (pāgā), la bannière (khaḍga nisān), le tambour (nagārā), comme la plume du poulet sacrifié à Nahangma, ou la tête de l’animal sauvage abattu à la chasse, sont les signes (niśān) que les dieux sont à nouveau présents en l’homme, qu’ils lui donnent cette force sauvage qui anime ses armes.
139Ainsi, il existe une façon de penser commune aux trois rituels : la continuité repose, avant tout, sur une relation complète de trois données essentielles : l’espace, le temps et la force vitale.
140La rupture, elle, concerne la seule « force vitale » dans sa relation avec l’organisation politique. Avec Nahangma, c’est chaque chef de maison qui marche la « tête haute », animé par la divinité présente en lui : elle assure la légitimité de son pouvoir politique, elle fait de lui un homme qui, en puissance, peut un jour être reconnu comme le premier des chefs de maison, le hang du pays tout entier.
141Avec Durgā, les données changent. Désormais, la force est devenue le monopole du subbā, et qui plus est, héréditaire. Et dans ce système, chacun des chefs de maison d’une circonscription dépend de la « prospérité », de la « chance », de la « force » du subbā. Par ce seul monopole, le pouvoir du subbā est légitime. A la condition que Durgā, toutefois, soit plus forte que Nahangma, ce qui n’est pas le cas, on l’a vu, du fait de la permanence des hang jusqu’aux années 1960. Ce sont bien les dieux qui s’affrontent au travers des hommes : nous sommes dans le cadre des faits de double pouvoir et à deux niveaux.
142En d’autres termes, ce passage de Nahangma à Dasaĩ montre comment s’effectue la centralisation politique : par l’acquisition du monopole exclusif et de surcroît héréditaire, de la force vitale : c’est elle qui est l’enjeu des rituels. C’est elle seule qui, contrôlée, permet la centralisation politique.
143Dans quelle mesure les faits yakthumba sont-ils exceptionnels ? Ils ne le sont nullement. Sous des formes diverses, les mêmes données sont à l’œuvre en 1904 chez les Tromowa45 de la vallée tibétaine de la Chumbi ; chez les Sherpa du Népal ; à Nyishang, au pied de l’Annapurna ; chez les anciens Kafirs de l’Hindou Koush ou les Sharwa de l’Amdo tibétain. Ils sont aussi partout où les grandes religions s’implantent, comme à Yarlung au Tibet du VIIe au IXe siècle : les religieux deviennent chapelains du roi et désormais ce dernier acquiert le monopole du « casque puissant » et de la « force » (mṅa thang) qui, autrefois, étaient les choses du monde les mieux partagées.
144Ces données, en outre, notons-le, sous-tendent des faits très divers : la lutte, au XIXe siècle des sectes chinoises adeptes de Si Wang Mou, la taoïste, contre l’empereur confucéen46 ; le contrôle, au Cambodge, dans chaque petit pays, du culte des dieux du sol (neakta) par le sanctuaire bouddhique ; le millénarisme contemporain de certaines pagodes birmanes ; la recherche du « Pays Caché » tibétaine. Et même la légitimité mafieuse des « hommes d’honneur ».
145Enfin, ces données, toujours présentes, sont aussi très anciennes. Déjà, au Ve siècle avant notre ère, les Princes de Salva, en Inde, avaient su acquérir le monopole des chasses rituelles qui rendait leur pouvoir légitime47. Et déjà, à Sumer, au troisième millénaire avant notre ère, Gilgamesh en avait fait de même avec Enkidu, l’« homme sauvage ».
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Notes de bas de page
1 Sur les subbā, cf. M.C. Regmi (1965, III, p. 81) ; Sagant (1978, 1981).
2 Sur les hang, cf. Hamilton (1819 (rééd. 1971), p. 118, pp. 133-136, p.146, etc.), Campbell (1840, pp. 515, 536-597, 606, 610) ; Hooker (1854, p. 94), Hodgson (1858, p. 449) ; Risley (1892, pp. 3637) ; Vansittart (1915, p. 104). D.R. Regmi (1961, pp. 36-41) ; Caplan (1970, pp. 126, 136, 186-187).
3 Sur Yuma, cf. Caplan (1970, p. 155) ; Chemjong (1966, II, p. 16, pp. 21-23,1, p. 95) Jones (1976 a, p. 41) ; Jones (1976 b, p. 20, 56, 140) ; Vansittart (1894, p. 115). Höfer (1981, p. 17) a souligné la relation des « grand-mères » tibétaines avec le rituel de Dasaῖ. De même R. Paul (p. 51, 56), la relation entre le mythe bon-po et un couple roi-grand-mère. Enfin, Heissig (1973, p. 356) a évoqué la notion de « très vieille grand-mère »en Mongolie qui n’est pas sans relation avec la déité Yuma des Yakthumba.
4 Sur Nahangma, cf. Campbell (1840, p. 600) ; Chemjong (1996-1, p. 2 ; II, p. 150 surtout) ; Caplan (1966, p. 156) ; Jones (1976, p. 32) où il apparaît que Yuma a pris la place de Nahangma – Jones (1976 b, p. 24), Sagant (1976, pp. 76-85).
5 Sur tumyang, cf. Risley (1892, p. 31), Senior (1977, p. 44) ; Chemjong (1966, I, p. 66), etc.
6 Sur tum tumyang, et le hang, cf. Chemjong (1961, p. 110), Senior, (1977, p. 45) ; D.R. Regmi, (1961, pp. 30, 37, 93) : le tum tumyang était le ministre yakthumba à la cour des rois Sen, appelé Cautariyā. Cf. aussi Hamilton (1819, pp. 133-135, 146-148) ; Campbell, (1840, p. 597) sur le cautariyā, cf Turner (1931, p. 186)
7 Sur la disparition des hang, les avis divergent. Pour Hodgson (1858, p. 449), ils auraient disparu depuis cinq siècles ; pour Morris (1933, p. 85), ils disparaissent avec la conquête gurka, remplacés par les subbā.
8 Him dangba : chef de maison, Senior (1977, p. 32)
9 Sur la relation entre culte des montagnes et honneur, cf. Sagant (1981, pp. 149-179) et à titre de comparaison, Hardman (1981) chez les Lohorung Rai.
10 Sur la hiérarchie et la place de rang, cf. Sagant (1973 a) et à titre de comparaison, Karmay-Sagant (1987) chez les Sharva de l’Amdo Tibétain.
11 Sur le maître de l’épée, cf. Sagant (1973 a).
12 Sur l’esclave domestique yog, cf. M.C. Regmi (1971, p. 117) etc., sur le yog thokwa, cf. Chemjong (1961, p. 240).
13 Sur l’oncle maternel yarhung, cf. Tucci (1955).
14 La notion de maître de la terre renvoie au terme kipatiyā en népalais.
15 Sur le « maître de la forêt » (tamphung hangpa), cf. Hodgson (1858 b, p. 450) ; Dalton (1872, p. 103).
16 Sur la chasse rituelle à l’arrivée des Yakthumba de Lhasa, cf. Sagant (1981, p. 216).
17 Sur le bannissement et la « traversée des confins », cf., entre autres, Aris (1980, pp. 60-82).
18 Sur la « force sauvage » acquise dans la forêt par les Yakthumba, associée au feu, à la puissance, cf. Sagant (1981). Elle siège au sommet de la tête, elle est liée à l’honneur.
19 Sur la « saison montante et descendante », cf. Sagant (1973 b), appelée ong-mang - thang-mang chez les Yakthumba. On retrouve la notion au Népal, au Tibet, en Chine et surtout chez les Thaï.
20 Sur le démembrement créateur, cf. surtout Macdonald (1987).
21 Sur la description du rituel à Nahangma, cf. Sagant (1976, pp. 76-95).
22 Sur le « signe » niśān, cf. Turner (1931, p. 351) La plume de faisan chez les Yakthumba n’est pas sans évoquer la plume de paon chez les chinois : cf. Petech (1973, pp. 99, 154). Sur le « signe », cf. aussi, entre autres, Morgiensterne (1973, p. 127), chez les Kafirs de l’Hindou Koush. Pour l’association du « signe » et du tambour, cf. Das, (1904, pp. 3-4).
23 Pung-mi ba, « l’homme sauvage » yakthumba, renvoie au mi-rgod, bu-rgod des Tibétains, au chumung des Lepcha, au yeti des Sherpa. Concernant la notion tibétaine, cf. Macdonald (1971, p. 211) ; Stein (1959, p. 515) ; Nebesky-Wojkowitz (1957, p. 181, etc.).
24 Sur la relation entre le remembrement créateur et le jet de pierres, cf. Stein (1959, p. 444, 514-517) pour le Tibet.
25 Him singba : pilier de la maison yakthumba, est aussi le terme qui désigne le chef de maison lui-même, qui soutient le toit et pèse sur le sol comme la montagne supporte le ciel et empêche la terre de trembler.
26 Sur les dix thum yakthumba, cf. Risley (1894, p. 38), Vansittart (1894, p. 104) ; Morris (1933, p. 88) ; Chemjong, (1966,1, pp. 61-63). Pour l’époque des rois Sen, cf. D.R. Regmi (1961, pp. 38-39).
27 Sur le thum des subbā, cf. Sagant (1978).
28 Ces danses (ya langma) s’accompagnent de chants alternés ; ce sont des joutes, comme les chants des vieux (samlo).
29 Sur les liens entre le culte de Yuma et les ancêtres Uba et Tsangba, cf. Chemjong (1966,1, p. 95,11, pp. 11, 16, 23, 24).
30 La querelle de Yuma et de Nahangma est décrite dans le mythe. Elle se situe au-dessus du village actuel de Mahapanghe dans la haute vallée de la Tamur, à des lieux marqués par les pierres dressées.
31 Khaḍga niśān : à ce sujet, cf. M.C. Regmi (1965, p. 122). Elle concerne aussi les relations des Yakthumba avec les rois du Sikkim, cf. Chemjong (1966, Π, p. 101), voir aussi Caplan (1970, p. 133).
32 La notion de śir ṭuk renvoie aux droits des subbā, maître des produits de la forêt, cf. Sagant (1978).
33 Ces grandes assemblées sont le plus souvent appelées cumlung. La dernière avait eu lieu sous le régime Rāṇā, en 1938, malgré l’interdiction de ces derniers (M.C. Regmi 1965, p. 107). À la chute des Rāṇā, elles se sont multipliées,
– en 1951, près d’Ilam, cf. Caplan (1970, p. 183) ; M.C. Regmi (1965, p. 12)
– en 1955 près de Dobhan, cf M.C. Regmi, (1965, p. 120) : les Yakthumba revendiquent alors l’autonomie et la frappe de leur propre monnaie : – en 1956, près de Dobhan, celle décrite dans cet article, cf. M.C. Regmi (1965, pp. 125-127).
– en 1963, près de Dobhan.
– en 1965, près de Terhathum, la discussion porta sur le projet de la réforme foncière : 4000 à 5000 personnes étaient présentes.
– en 1967, près de Dobhan : s’y manifesta le refus de la réforme foncière.
Pour l’ensemble, cf. M.C. Regmi (1965, pp. 103-132).
34 Je remercie Kishor Uprety pour l’aide apportée dans la traduction du manuscrit.
35 La délégation fut reçue par le roi du Népal le 28 novembre 1956, cf. M.C. Regmi (1965, p. 127).
36 Ces 29 délégués ne sont pas tous des hang. Il n’y a qu’un hang par district. Vue la force de la délégation du Panch Thar, on peut considérer que Angdembe fut reconnu comme le tum tumyang du pays tout entier.
37 L’étude des clans yakthumba a été entreprise de longue date par les officiers britanniques des régiments gurkha. Vansittart (1915) y a beaucoup contribué. Morris (1933) réunit l’ensemble des matériaux collectés sur le sujet.
38 Sur la notion de tribu (swang), cf. entre autres Risley (1892, p. 89) ; Vansittart (1915, pp. 103 – 104 et passim), Morris (1933, pp. 37-39)
39 Outre les travaux britanniques sur l’assemblée d’Ambepo Jokma, cf. Chemjong (1966, I, pp. 58-60, II, p. 56) et aussi D.R. Regmi (1961, pp. 37-39) à l’époque des rois Sen.
40 Pour Hodgson (1858), les hang avaient disparu quand les Yakthumba ont reconnu la tutelle des rois Sen.
41 Pour Risley (1892) dont les idées furent le plus souvent reprises, les hang ont disparu avec la conquête gurkha en 1774, remplacés peu à peu par les subbā et les rāi.
42 Sur le chef de Walung et le grand commerce tibétain par la vallée de la Tamur, cf. Steinmann (1988).
43 Sur les thum-thum, assemblées de toute la communauté ethnique, cf., entre autres, Risley (1892, p. 89) ; Vansittart (1894, p. 116).
44 Sur la même confusion entre la force de Nahangma et celle de Durgā, cf. ce qui concerne Kangso Rai dans Chemjong (1966, II, p. 150).
45 Sur les Tromo wa, cf. Walsh (1906).
Sur les Sherpa, cf. Fürer-Haimendorf (1980).
Sur Nyishang, cf. Sagant (1990).
Sur les Kafir, cf. Morgenstierne (1973).
Sur les Sharwa, cf. Karmay et Sagant (1987).
Sur les rois de Yarlung, cf. Tucci (1955).
46 Sur les sectes chinoises du XIXe cf. Chesneaux (1965).
Sur le culte des neak-ta au Cambodge, cf. Forest (1992).
Sur le millénarisme birman, cf. Mendelson (1961).
Sur le pays caché tibétain, cf. Bacot (1912).
47 Sur les Salva, cf. Przyluski (1929).
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