Chapitre II. Dépendance mythologique et liberté rituelle : la célébration de la fête de Dasaĩ au temple de Kālikā à Gorkha1
p. 103-151
Texte intégral
1Gorkha était l’un des plus importants des Vingt-Quatre États montagnards (caubīsī rājya). Sa capitale, un bastion abritant palais et édifices religieux, fut fondée par Drabya Śāh en 1559 de notre ère. Puissant symbole national, Gorkha a parfois été surnommé le « berceau du Népal ». C’est là en effet que naquit Pṛthvī Nārāyaṇ Śāh et c’est à partir de là qu’il lança les campagnes militaires qui devaient aboutir à la prise de la vallée de Katmandou puis à l’édification du Népal moderne. Dans cet article, nous nous intéresserons aux cérémonies du Dasaĩ qui se tiennent deux fois par an dans l’enceinte et aux alentours du temple de Kālikā attaché à l’ancien palais.
2Cette fête présente la déesse Kālī, ou Kālikā, comme une divinité lignagère (kuldevatā) étroitement associée à la dynastie royale locale, celle des Śāh. Par son association à l’État, Kālikā relève de l’espace domestiqué, kṣetra ; mais elle garde des traces de son origine dans le monde sauvage, celui de la forêt, van ; c’est là qu’elle est cueillie sous la forme de neuf végétaux et, qu’au terme de la fête, elle est abandonnée dans l’eau d’une source. Tous ces éléments ont survécu dans le déroulement des cérémonies : on s’en rendra compte dans la première partie de l’article qui fournit une description de la localité, des gens et des événements. Nous tenterons une analyse de la fête dans la seconde partie. Notre approche privilégiera un point de vue rituel : les schèmes qui sous-tendent l’exécution des rites nous préoccuperont ici davantage que leur origine et leur évolution. Nous verrons dans un second temps que ces schèmes font du rituel un système actif, susceptible de transformations dans le temps et l’espace (d’une localité à l’autre). Ainsi, nous considérerons le rituel comme une voie d’accès aux différentes couches d’une tradition et à leur articulation dans un contexte culturel et historique particulier.
FIG. 1. GORKHA : LE ROYAUME SACRÉ DES SEPT SŒURS

Les sanctuaires des six sœurs de gorkhā-Kālikā sont tous situés à l’ouest et au sud du sanctuaire principal ; le plus proche est Annapūrnā, le plus éloigné Chabdī Vārāhī, près de Damauli ; certains se dressent au sommet d’un relief, comme Cimkeśvan, d’autres en fond de vallée, tel Akalā Devī au bord de la Marsyandi. Il est probable que l’emplacement des sanctuaires (Pīṭh) démarque la sphère d’influence des premiers Śāh, qui vinrent de Lamjung par Lig Lig Kot, atteignant Gorkha en 1559}
FIG. 2. GORKHĀ DARBĀR : PLAN.
CLOISONS (XVIII-XIXe SIÈCLE) BÂTIMENTS PĀTĪ (XVIIIe SIÈCLE) PARTIES AJOUTÉES (XXe SIÈCLE)

(German Research Council, Nepal Research Programme, Janvier 1981). échelle 1 : 250
3Le cadre est ici le district de Gorkha, situé au nord-ouest de Katmandou2, et le palais des maîtres du lieu, les Śāh, perché à environ 400 mètres au-dessus de la localité de Gorkha proprement dite (Fig. 1 et Fig. 2).
4Le palais fut abandonné par le célèbre Pṛthvī Nārāyaṇ Śāh après qu’il se fut suffisamment imposé dans la vallée de Katmandou pour pouvoir y transférer sa cour. L’époque la plus brillante de l’histoire locale se termine donc brusquement au milieu du XVIIIe siècle. Cette histoire locale émergea de plusieurs siècles ensevelis dans les mystères de la tradition orale, lorsqu’en 1559, Drabya Śāh arriva de l’ouest et conquit le minuscule royaume et le palais des Kaṅka Rājā. Par la suite, l’édifice du palais royal, le Gorkhā Darbār, fut progressivement agrandi et aménagé pour revêtir la forme qui est la sienne aujourd’hui, une structure formée de deux ailes, séparées par une plate-forme : à l’est le Rājā Darbār, « palais du roi », à l’ouest le Kālikā Darbār, « palais de Kālikā ». Chaque aile est longée côté sud par des terrasses. L’édifice a été construit au sommet d’une crête au nord de la bourgade de Gorkha. Les pentes abruptes au nord et au sud en font un bastion idéal (Fig. 2 et Phot. 1, 2, 3).
5Cependant, l’importance fondamentale du Gorkhā Darbār ne se cantonne pas à ses aspects historiques ou architecturaux, car le palais et ses temples de Kālikā et Gorakhnāth forment également le cœur religieux de Gorkha. Leur valeur centrale, particulièrement celle du temple de Kālikā, se manifeste lors des fêtes, comme le Dasaῖ. Cette portée de Dasaῖ peut s’expliquer par différents facteurs. D’une part, la fête est très populaire chez les gens de Gorkha et des districts voisin et cette déesse attire beaucoup de pèlerins. D’autre part, des spécialistes religieux se déplacent depuis la vallée de Katmandou pour guider les prêtres locaux dans l’exécution des rites. Cet attrait se double d’échanges avec les environs consistant en offrandes de fleurs, riz, fruits, friandises et chevreaux. Elles sont faites par le temple lui-même à des sanctuaires déterminés ou, à l’inverse, arrivent à destination de la déesse Kālikā du palais. Un système de relations rituelles est ainsi construit avec les temples voisins, plaçant le temple de Kālikā au centre. Sur le plan mythologique, ces relations renvoient à la tradition des Sept Sœurs qui établit la Kālikā du palais de Gorkhā en aînée du groupe.
6Par ce système d’échanges, l’environnement religieux du temple de Kālikā a tant prospéré qu’il est le cadre des rituels les plus complexes de toute cette région. Un réservoir de cultes locaux s’est ainsi constitué qui dévoile, lors du Dasaῖ, sa richesse et la fabuleuse variété de ses thèmes religieux et historiques.
7Hormis le Darbār, d’autres sites ont une importance dans le déroulement des cérémonies et doivent être brièvement présentés ici. Le premier se trouve à quelques centaines de mètres à l’est de Satipipal. Il s’agit d’une volée de marches sur la vieille voie principale liant Gorkha à Paslang, quelque peu en contrebas de l’ancien Kaṅka Darbār. C’est là qu’au septième jour de la fête, une délégation venue du palais rencontre un groupe d’assistants qui transportent le phūlpāti, la litière contenant un assortiment de feuilles et de fleurs consacrées à la Déesse (navapatrikā). Les personnes présentes à cette cérémonie ne savent pas précisément pourquoi ce site a été choisi. Néanmoins, la proximité de l’antique Kaṅka Darbār et le vieux sentier menant à Gorkhā Darbār lui confèrent une dimension historique. Selon les chroniques vamśāvalī, Drabya Śāh, le premier souverain Śāh de Gorkha, aurait emprunté ce chemin dans son expédition victorieuse contre les rois Kaṅka qui y régnaient alors.
8Le second site est appelé Pipale. C’est une vaste terrasse ouverte, aménagée dans une pente douce à environ 400 mètres sous le Gorkhā Darbār. Au milieu de champs de millet se trouve un vieux figuier. Il y a quelques années, un orage a détruit l’arbre bilva qui poussait face à celui-ci. Depuis, une petite branche de bilva est plantée chaque année comme substitut afin de pouvoir effectuer la bilva nimantraṇa pūjā, c’est-à-dire l’invitation (de la Déesse) dans l’arbre bilva. L’éloignement du Darbār et de l’ancien village de Caubis Kothi – l’actuel bazar ne datant que du XIXe siècle – laissent supposer que le site était encore couvert de forêt à la fin du XVIIIe siècle, époque pour laquelle le culte à Mahāmāyā/Kālikā est amplement attesté3. Ceci coïnciderait avec l’idée d’une déesse invoquée dans le monde sauvage ou appelée à quitter le monde sauvage. Deux sources jouent un rôle au terme de la fête, au moment où le phūlpāti est sorti du temple pour être « rafraîchi »4 : Dhale Kholsa et Manepani sur les pentes sud et nord sous le Gorkhā Darbār, au sud-ouest et nord-est du palais. La position de śukra (Vénus) détermine la direction que prendra la procession.
LES PARTICIPANTS
9L’exécution des rituels, nombreux et complexes, revient à différents spécialistes. De plus, d’autres groupes de personnes sont requis pour la fourniture de certains objets, pour nettoyer le sol, ou pour leur simple présence. Les participants sont représentatifs de toutes les couches de la société, depuis les Damāi, Kasāi et Kāmi jusqu’aux Brahmanes, en passant par les Magar et les Chetri. Cependant, l’apparition de ces groupes et de leurs tâches dans les pages suivantes ne respectera pas la classique hiérarchie des castes, mais une « hiérarchie rituelle », telle qu’elle est entérinée localement. Cette hiérarchie est explicite dans les règles d’accès aux différents espaces. Elle s’échelonne des pièces intérieures du temple jusqu’aux plates-formes qui l’entourent. Ainsi, l’accès de chaque groupe à la Déesse est contenu dans une limite. L’axe imaginaire qui détermine ces limites dessine une ligne brisée allant des terrasses à la plate-forme, puis par la porte d’entrée à travers trois antichambres jusqu’à la gupti koṭhā, le sanctum du temple.
10En conséquence, il est possible de distinguer un espace intérieur d’un espace extérieur, l’espace intérieur correspondant à l’ensemble des pièces situées au niveau inférieur du palais de Kālikā : la gupti koṭhā et les trois antichambres. Les terrasses et la plate-forme devant l’entrée du temple constituent l’espace extérieur. Comme on va le voir, chacun de ces espaces est à son tour divisé. Dans l’espace intérieur, six prêtres et quelques assistants (susāre/paricāraka) accomplissent les rites. Les tâches de chaque groupe sont clairement assignées : le prêtre en chef est appelé mūl purohit. Ce doit être un brahmane Bhaṭṭarāi et il vient de Katmandou tout spécialement pour la fête, afin de diriger les rites. Il se substitue à un brahmane Pade qui officie comme prêtre principal des offices ordinaires (nitya pūjā), hormis cette fête particulière. Il est alors appelé guṭhi ko pūjārī et occupe le second rang dans la hiérarchie. Il assiste le Bhaṭṭarāi pour les rites à l’intérieur du sanctum ainsi qu’au poteau sacrificiel, mais dirige lui-même les pūjā à l’extérieur, par exemple la bilva nimantraṇa du sixième jour ou celle destinée à Kālī à Upallokot les huitième et neuvième jours. Ainsi, le prêtre guṭhi concède au Bhaṭṭarāi sa supériorité à l’intérieur du temple, mais la conserve à l’extérieur.
11Les quatre autres prêtres sont dénommés Ācārya, Brāhma, Hotū et Gaṇes. Ce sont respectivement des brahmanes Arjyāl, Khanāl, Arjyāl et Bhaṭṭarāi. Parce que ces quatre personnages n’interviennent que dans le seul sacrifice au feu, ils n’ont pas accès au sanctum et à deux des antichambres, mais seulement au vestibule.
12De même, les paricāraka sont de plusieurs types. Ce sont des assistants brahmanes, en nombre variable, qui aident lors du sacrifice au feu. Leur fonction et leurs tâches sont nettement distinctes de celles de l’autre groupe d’assistants, les susāre. Les treize susāre sont divisés en deux catégories, l’une comprenant trois « aides d’intérieur » (bhitriyā susāre) et l’autre dix « aides d’extérieur » (bāhiriyā susāre). Leur désignation indique que les trois bhitriyā susāre sont davantage concernés par les rites de l’intérieur, tandis que les dix « bāhiriyā susāre » participent aux cérémonies de l’extérieur du temple. Le premier groupe est à son tour subdivisé : en première position vient un Bohorā Chetri, en tant qu’« aide en chef », mūl susāre. Il est aussi appelé pahlo ḍhoke (« celui de la première porte »), parce qu’il est autorisé à passer la porte donnant sur l’intérieur même du sanctum. Il assiste le prêtre principal, mūl purohit et c’est le seul avec celui-ci et le guṭhi à pouvoir toucher l’effigie de la Déesse. Selon une légende, il obtint cette fonction parce que ses ancêtres portaient la Déesse sur leur dos lorsqu’ils vinrent de Lamjung avec les rois Śāh pour conquérir Gorkha. C’est aussi pourquoi, le premier jour de la fête, il lui revient de la descendre depuis la kailāś koṭhā du Gorkhā Darbār jusqu’à la gupti koṭhā du Kālikā Darbār. Et de même, il la reconduit le dixième jour.
13Vient ensuite dans la hiérarchie le dosro ḍhoke, un Khan Khavās. C’est en quelque sorte une sentinelle du sanctum, car, comme son titre l’indique, il est autorisé à passer la « deuxième porte ». Il en surveille l’entrée et transmet les consignes de l’intérieur vers l’extérieur et vice-versa. Il est le médiateur du sanctum, alors que le dernier des bhitriyā susāre, le tesro ḍhoke, un Sāru Magar, agit comme médiateur auprès des bāhiriyā susāre. Le tesro ḍhoke peut passer la « troisième » porte et transmettre les objets que les susāre déposent dans le vestibule.
14Les dix aides extérieurs, bāhiriyā susāre, sont tous Thāpā Magar. Selon une tradition, leurs ancêtres servaient la Déesse comme prêtres avant qu’elle ne soit amenée de Lamjung à Gorkha. Venant tous du village de Bhirkot, ils furent appelés bhirkoṭe susāre. Cette appellation s’est conservée jusqu’à aujourd’hui, mais leur statut a changé. L’histoire raconte que le roi redoutait que les bhirkoṭe susāre ne rapportent la Déesse à Lamjung. C’est pourquoi il leur interdit d’y avoir directement accès. Quoi qu’il en soit, leurs tâches restent multiples. Ils doivent cueillir les feuilles du phūlpāti et escorter celui-ci jusqu’au temple. Ils aident aux sacrifices de buffles et de chevreaux ainsi qu’à tous les rites menés à l’extérieur du sanctum. Ils effectuent eux-mêmes les pūjā à Vajra Bhairava, Vindhyavāsinī et Caṇḍī et offrent un sacrifice de porcelet. Ils peuvent pénétrer dans le vestibule du temple.
15Trois autres personnes y sont admises. Il s’agit de deux fillettes Magar et d’un boucher (Kasāi). Les deux fillettes Magar, appelées bhaṇḍārne kanyā5, doivent être impubères. Elles sont chargées d’apporter de l’eau fraîche chaque matin et d’enduire de bouse de vache le sol du vestibule. Le Kasāi est responsable de la propreté de cette pièce, où les têtes des chevreaux sacrifiés sont entassées les huitième et neuvième jours. Mais d’autres tâches lui reviennent. Sa fonction principale est de s’occuper du buffle satāhar, représentation du démon-buffle Mahiṣāsura sacrifié sur la plate-forme le neuvième jour. Son travail commence dès sāune aũsi6, lorsqu’il part à la recherche d’animaux appropriés. Ceux-ci doivent remplir les conditions suivantes :
- leurs cornes doivent mesurer 24-25 doigts (aṅgul) ;
- ils doivent avoir au moins sept coudées (hāt) de la tête à la queue ;
- leur collet doit mesurer 2 coudées de circonférence ;
- la bête doit sembler résistante, en bonne santé, être de race pure (khunkoṭ nabhāeko) et son poids doit être d’environ 60-70 dhārni7.
16On choisit quatre bêtes parmi lesquelles une seule sera retenue le cinquième jour de la fête. Le Kasāi lui rend un culte dans son étable d’origine puis l’amène dans sa propre étable ou une autre proche du temple. Les trois autres buffles sont gardés en réserve au cas où il arriverait quelque chose au premier. Le buffle reste deux jours dans l’étable, où il est honoré par le Kasāi. Le septième jour, c’est encore lui qui le mène jusqu’au temple, où il est sacrifié le neuvième jour. Lors de ce sacrifice, le Kasāi porte le troisième coup, c’est-à-dire le coup final, qui doit faire tomber la tête de l’animal. Parce que « le démon doit souffrir », un seul coup ne peut suffire. Le Kasāi ou l’un de ses représentants découpe ensuite le tronc du satāhar en morceaux.
17En outre, le Kasāi est requis pour la procession de la Déesse le jour de phūlpāti, où il marche, une torche à la main, devant le vase d’eau sacrée, kalaś.
18À ses côtés, trois femmes, la Kalsinī et les deux Maṅglinī, qui viennent chaque année de Katmandou pour la fête. Elles sont en relation avec la Déesse puisqu’elles prennent soin du kalaś. Avec elles, nous quittons l’espace intérieur défini plus haut et nous en arrivons à l’espace extérieur. Malgré leur importance dans les cérémonies, ces trois femmes n’ont pas accès au sanctum ni à ses antichambres. Leur domaine se limite au « palais du roi », à la plate-forme et aux terrasses. Elles viennent d’un service de l’administration du palais de Katmandou (her cāhā aḍḍa). Il existe plusieurs groupes, composés de trois femmes chacun, qui sont envoyés à tour de rôle aux Durgā Pūjā de Gorkha. de Nuvakot et de Katmandou. On dit qu’autrefois elles étaient recrutées parmi les concubines du roi (bhitrinī). L’une d’entre-elles, la Kalsinī, est la « porteuse » du kalaś, le vase à eau qui représente la Déesse. En réalité, le récipient est placé furtivement sur sa tête avant d’être transporté par un susāre sous un parasol cérémoniel. La Kalsinī marche en avant, une double écharpe blanche et rouge la liant par le cou au vase. À ses côtés, de part et d’autre, se tiennent les Maṅglinī. À l’instar de la Déesse, toutes les trois sont vêtues d’une longue jupe rouge et jaune (jāmā) et d’un corsage (colo) de même couleur. Chaque Maṅglinī tient un chasse-mouches à la main. Hormis leur participation aux processions, elles préparent les ustensiles nécessaires aux pūjā ou se joignent aux chanteurs de mālsiri8 dans le « palais du roi ». Durant leur séjour à Gorkha, elles résident dans la vieille maison d’hôte du palais (caugharā). C’est là aussi qu’elles organisent un fastueux banquet la veille de leur retour à Katmandou.
19La Kalsinī, les Maṅglinī et les Baniyā Chetri, qui fournissent les mâts des étendards ālam9 de la Déesse, sont les seuls représentants de l’espace extérieur à être admis sur la plate-forme sacrificielle située entre les palais de Kālikā et du roi. Les autres, tels les Damāi, Kāmi et Śākya, ne peuvent y accéder. Ils exécutent leurs tâches sur les parvis situés devant chaque bâtiment. C’est là aussi que le dixième jour ils reçoivent leur prasād et ṭikā par une fenêtre latérale du temple, tandis que les autres groupes les obtiennent devant l’entrée principale.
20Les Damāi sont impliqués dans le rituel de plusieurs façons. Ils jouent de la musique, cousent l’étoffe des bannières et les vêtements de la Déesse. La veille de ghaṭasthāpanā, le jour de la nouvelle lune, ils commencent les préparatifs : un Sarki apprête une peau de tambour à partir de celle du buffle satāhar sacrifié l’année précédente. Elle est tendue sur le tambour du temple en ce jour, dans la maison du chef des Damāi, et l’on sacrifie un coq à cette occasion. À partir du ghaṭasthāpanā, les Damāi résident dans le pavillon appelé Sital Pāṭī. C’est de là qu’ils accompagnent les rituels. Par une fenêtre latérale, un susāre donne le signal de leurs interventions. Chaque sacrifice de buffle est également annoncé par une courte phrase de tambour et de trompes.
21Les Kāmi et les Śākya n’interviennent que dans les préparatifs. Les premiers nettoient et aiguisent couteaux et sabres, les seconds astiquent récipients à eau, bijoux de la Déesse et autres accessoires, tels les mâts et pots destinés aux rites.
LA SUCCESSION DES ÉVÉNEMENTS
22La présentation que nous faisons de la Durgāpūjā dans les pages qui suivent, insiste sciemment sur les événements, sur les actes non verbaux : les détails du rituel, la façon dont il est perçu, la séquence des actes et leur position dans l’espace, le rôle et l’intervention des personnes concernées.
23Notre description vise à structurer les événements. Le domaine des actes verbaux symboliques, la façon dont ils sont engendrés lors des rites, par la récitation de mantra pendant les vénérations (upacūra), ne sont pas pris en compte ici. En effet, nous voudrions souligner les particularités locales du rituel. Or les mantra et upacāra, en tant que tradition commune, sont partagés par un grand nombre de localités, dont la vallée de Katmandou. Ceci apparaît clairement dans le cas qui nous intéresse : le mūl purohit arrive de Katmandou pour la fête avec une version imprimée du pūjā paddhati qui servira de guide pour le rituel. Nous constatons ainsi qu’une certaine uniformité dans le domaine du symbolisme verbal n’empêche pas une improvisation foisonnante dans la « mise en scène » des cérémonies, c’est-à-dire dans les actes non verbaux. Alors que le répertoire des actes symboliques verbaux s’impose à une échelle supra-régionale, la dramaturgie concède une liberté suffisante à l’expression des traditions locales. Ceci ne compromet pourtant pas l’interdépendance entre les actes symboliques verbaux et non verbaux. Au contraire, une marge est ainsi aménagée entre liberté rituelle et dépendance vis-à-vis du mythe, qui permet le déploiement des traditions locales. Les navapatrikā, par exemple, sont cueillies le septième jour de la même manière à Katmandou et dans les autres localités du royaume. Et pourtant nulle part ailleurs qu’à Gorkha ne sont-elles accompagnées jusqu’au temple par un potier de Sallyantar et accueillies par un prêtre vêtu d’un costume profane.
Le premier jour, ghatasṭhāpanā, āśvin śukla pratipadā10
24Le premier jour de la fête, plusieurs représentations de la Déesse sont apportées à l’intérieur du sanctum et de la pūjā koṭhā du Kālikā Darbār. Ainsi le temple est-il dès le départ l’objet d’une transformation, dans le sens d’une concentration de substance religieuse. La déesse Kālikā, qui en temps normal n’est présente que sous la forme d’un diagramme yantra, est à présent représentée par une statue11. Par ailleurs, des graines d’orge sont mises à germer et la Déesse est également vénérée sous la forme d’une cruche (ghaṭa).
25Bien avant l’aube, les familles des environs se mettent en marche vers le palais, où elles s’assemblent sur le parvis du darbār. Elles attendent la musique et les chants qui marquent le début de la fête. Certains ont marché des heures pour assister à l’événement. Dès que « les veines sont visibles sur le dos de la main », une effigie de la Déesse est sortie du kailaś koṭhā, à l’étage supérieur du Rājā Darbār, et portée à travers le Raṅga Mahal jusqu’au temple. Pour sa première sortie, la Déesse, entourée des prêtres et des assistants, est étroitement enveloppée dans une pièce de tissu blanc. La foule assemblée sur le parvis ne peut satisfaire sa curiosité que quelques secondes à travers une des fenêtres du Raṅga Mahal. Les autres fenêtres restent closes. La Déesse est installée et vénérée dans la gupti koṭhā. Tout est alors prêt pour le principal événement de la journée, l’installation de la cruche (ghatasṭhāpanā).
26Avant que cette cérémonie ne débute dans le Kālikā Darbār, un panier contenant tous les objets nécessaires à ce rite est envoyé à chacune des deux « mères aînées » (jeṭhī māī) des environs. Ces deux déesses, appelées aussi Kālikā ou Kālī, sont vénérées sous la forme de pierres à l’intérieur des anciens forts, le « Fort du bas », Tallokot, et le « Fort du haut », Upallokot. L’expression de « mère aînée » peut s’expliquer par le fait que ces deux forts étaient détenus par les Kaṅka Raja et leurs dieux avant que les souverains Śāh ne s’y établissent.
27Dans le palais de Kālikā, une cruche est alors apprêtée pour la cérémonie du ghaṭasthāpanā. Remplie d’eau, on y verse cinq catégories d’ingrédients :
- sarva ausadhi – dix sortes de simples12 ;
- pañca ratna – cinq joyaux : or (sun), argent (cẵdi), cuivre (tāmra), corail (mugā), perle (moti) ;
- sapta dhānya – sept sortes de grains : dhān (riz), jāo (orge), til (sésame), kāgunu (millet), mugi (genre de lentille), mās (lentille), canā (pois chiche) ;
- sapta mṛttikà – sept sortes d’argile : hatti ko pāu (provenant de là où un éléphant a posé le pied), ghora ko tabela (d’une écurie), rājā ko darbār (du palais royal), rath ko (de l’emplacement d’un chariot), dhamiro ko (d’une termitière), tirthā ko (d’un lieu de pèlerinage), tribeni ko (du confluent de trois rivières) ;
- pañca pallava – cinq sortes de feuilles : ẵp ko pāt (de manguier), pipāl ko pāt (de figuier), bar ko pāt (de banian), ḍumri ko pāt (de Ficus glomerata), pakhari (de Ficus infestoria).
28Après cela, la cruche est décorée. Autour du col, neuf monticules de bouse de vache sont disposés dans lesquels on a semé des graines d’orge13. L’ensemble est placé sur un support fait de sapta dhānya et l’ouverture de la cruche est couverte par une lampe éternelle (akhaṇḍa dīp). Dans la pièce voisine, jamaro koṭhā14, on sème également des graines d’orge dans une coupelle de feuille. Elles resteront dans l’obscurité jusqu’au dixième jour.
29Cette cérémonie du semis de jamaro se répète dans les maisons des environs, dès que les prêtres l’ont terminée dans le temple. Le signal est donné par des coups de feu tirés depuis le parvis par de vieux fusils à percussion.
30Durant toute cette période, les terrasses et la plate-forme restent noires de monde. Certains hommes entonnent des versets contant les exploits de la Déesse. Ils sont accompagnés par des tambours, des cymbales et des instruments à vent. L’air privilégié, qui est joué avant tout lors du Dasaῖ, est le mālśri ou mālsiri. Les femmes entament alors une circumambulation (pradakṣiṇa) du palais. Sur leur parcours, elles rendent hommage à tous les objets d’une valeur religieuse ou historique quelconque, tels les inscriptions, les cloches ou les canons. La circumambulation est répétée les deux jours suivants.
31Dans la même matinée, des offrandes de fleurs, de riz et d’autres ingrédients pour les pūjā sont envoyés à différents sanctuaires : Biring Kālī, Ḍhuṅga Gare Bhagavatī, Baidyanāth Pañcāyaṇa (Muralīdhar Nārāyaṇa) et Rādhā Ballabheśvar. Tous sont situés dans ou autour de la bourgade de Gorkha. Neuf brahmanes amorcent la récitation du Devībhāgavata dans le vestibule du Kālikā Darbār. Ils la poursuivront jusqu’au septième jour de la fête, phūlpāti.
32Vers midi, on honore la Déesse à trois reprises au temple ; quatre susāre lui apportent un repas depuis le Rājā Darbār. Dans le Sital Pāṭī, les Damāi marquent de leurs instruments la fin de chaque pūjā. L’après-midi, au premier étage du palais, une fillette brahmane est l’objet d’une vénération (kanyā pūjā) et un chevreau est sacrifié à cette occasion.
Le deuxième jour
33Le deuxième jour ne comporte pas d’événements nouveaux. Les rites du premier jour sont répétés selon la même séquence. Les neuf brahmanes récitent le Devībhāgavata et une vénération des vierges (kanyā pūjā) se tient dans l’après-midi. Un chevreau est sacrifié. De nouveau, les Damāi jouent trois fois pour les pūjā de midi. Un Śākya vient du village en contrebas pour nettoyer les miroirs de la Déesse.
Le troisième jour
34Le troisième jour voit la répétition des même rites. Cependant, les préparatifs complexes de la seconde partie de la fête commencent par un vaste regroupement de tous les objets rituels. Entre autres, on fait reluire les bijoux de la Déesse, de nouveaux vêtements lui sont confectionnés et l’on assemble ses bannières. Ces activités durent presque quatre jours ; elles doivent s’achever l’après-midi de ṣaṣṭhī, le sixième jour, avant la cérémonie du bilva nimantraṇa.
35Ce jour-là, un fonctionnaire sort les premiers objets rituels des réserves du Rājā Darbār et les dispose sur la plate-forme. En contrebas, le Śākya se met à les nettoyer, utilisant un mélange d’argile rouge, de sel et de citron, sous l’œil attentif du fonctionnaire.
Le quatrième jour
36La récitation du Caṇḍipāṭh, la vénération des vierges et la préparation des objets rituels ont lieu comme à l’accoutumée. On entreprend un inventaire des bijoux de la Déesse en se reportant à des listes. Les bijoux sont sortis de la gupti koṭhā du palais de Kālikā et répartis sur trente-trois plateaux de feuille. Après vérification et nettoyage, tous sont rapportés dans le temple.
Le cinquième jour
37Au cinquième jour, pañcamī, les préparatifs de la seconde partie de la fête sont quasiment achevés. Un fonctionnaire du palais remet de l’étoffe et du fil au chef des tailleurs (damāi ko nāike). Pour cela, il se tient au coin de la plateforme alors que le tailleur, qui ne peut y accéder, reste assis sur une terrasse. La coupe se fait sous la surveillance du fonctionnaire, à qui les chutes sont rendues. Puis les tailleurs commencent immédiatement leur ouvrage sous le Sital Pātī. Ils cousent la tenue de la Déesse et des vingt-sept vierges (kanyā) vénérées le neuvième jour. Pour la Déesse, on prépare un corsage jaune (colo), une longue jupe (jāmā), une écharpe (pachyauro) et un petit sac tandis que les vingt-sept kanyā ne reçoivent qu’un corsage. On confectionne aussi des bannières de 22 coudées pour la Déesse. Le costume achevé lui est offert dans le temple le soir même, mais ne lui est mis que trois jours plus tard, lors d’aṣṭamī. Dans la matinée, les derniers objets à nettoyer sont transmis aux Śākya. Il s’agit d’un vase de cuivre kalaś, porté en procession le septième jour, d’une lampe et de deux aiguières à alcool (madiro kalaś) en bronze, qui servent durant les sacrifices de buffle d’aṣṭamī et navamī (Phot. 4, 5, 6, 7). On sort aussi deux chasse-mouches, deux éventails en plumes de paon et deux sceptres (asa) portés par des susāre de chaque côté du phūlpāti et enfin le mât (ḍāḍi) du phūlpāti lui-même.
38Dans l’après-midi, les Kāmi entament le nettoyage et l’aiguisage des nombreux couteaux et sabres servant aux sacrifices. Des susāre tirent quatre boucs jusqu’à la plate-forme. Là, le prêtre principal les examine. Leur robe doit être d’un noir immaculé, les cornes atteindre quatre doigts de longueur, et l’animal paraître en bonne santé. Après ces vérifications, les bêtes sont brièvement honorées puis affectées à différents sacrifices : une d’entre-elles, appelée bhadrakātī, est destiné au sacrifice du septième jour. Les trois autres boucs, un kālārātri et deux guṭhi, sont réservés au huitième jour.
39Le Kasāi chargé du choix et des soins du buffle satāhar se rend dans l’après-midi dans l’étable d’un des quatre animaux élus, lui rend hommage et le mène près du temple. Les trois buffles de réserve restent dans leur étable d’origine.
40Comme la veille, on honore une fillette brahmane, un chevreau est sacrifié et les brahmanes récitent le Devībhāgavata.
Le sixième jour, ṣaṣṭhi : la Déesse et Śiva sont invoqués dans une branche de bel
41La seconde partie de la fête débute le soir du sixième jour avec l’appel adressé à la Déesse dans l’arbre bel (bilva nimantraṇa). C’est lors de cette seconde partie que la victoire de la Déesse sur le démon Mahiṣāsura est célébrée dans une frénésie de sang et de couleurs.
42Dans la matinée, les préparatifs sont achevés. On nettoie les fusils du palais, qui annoncent les sacrifices et les rites aux villages des alentours. Les Damāi reçoivent de nouveau du fil et de l’étoffe de la main d’un fonctionnaire. Ils sont destinés à l’habillage du tambour du temple le lendemain ; en outre, un ruban blanc est attaché à sa partie supérieure, un rouge à sa partie inférieure (Phot. 8 et 9). La Kalsinī et les deux Maṅglinī passent l’après-midi à chanter des mālsiri dans la kanyā koṭhā du Raja Darbār. On vénère deux fillettes brahmanes, kanyā pūjā, et la récitation du Devimāhātmya se poursuit.
43L’événement principal de la journée ne débute vraiment qu’en fin d’aprèsmidi. Un petit groupe, composé du prêtre guṭhi, de deux assistants et de porteurs, quitte le darbār et descend dans la vallée. Ils emportent dans un panier tous les ustensiles requis pour le culte bilva nimantraṇa, ainsi qu’un chevreau et un mouton (Phot. 10). Au crépuscule, ils arrivent en un lieu appelé Pipale. Entre-temps, on a planté en terre une branche de bel qui doit porter deux fruits. L’emplacement a été aplani et nettoyé. Trois pierres plates sont disposées en étoile devant la branche. Le prêtre débute la pūjā comme d’ordinaire : après avoir aspergé d’eau les pierres et la branche de bel, le site est rituellement remodelé ; on retourne le sol aux quatre coins à la houe. Au pied de la branche, une étoile à six branches (ṣaṭkoṇ) est tracée à la farine de riz. De l’encens brûle, puis face au nord, le pūjārī convoque Śiva et Durga dans les pierres et la branche de bel. Il jette du vermillon (sῖdur) et des grains de riz (akṣatā) dans leur direction et les pare de rubans blancs. La Déesse reçoit des oranges, des friandises et les pañcāmṛt, contenus dans des coupelles de feuille déposées sur les pierres. Commence alors le sacrifice du mouton et du chevreau. Les deux animaux sont aspergés d’eau. On place un couteau sur l’étoile en récitant un mantra. Le susāre décapite alors les animaux et dépose leur tête devant la branche de bel, puis les corps sont traînés à trois reprises autour du site. Enfin, le pūjārī distribue les offrandes consacrées (prasād) aux personnes présentes. Le même soir, un rameau de bel comportant deux fruits est emporté vers Katmandou15. Ce n’est qu’à son arrivée que les cérémonies du phūlpāti pourront débuter dans la capitale.
Le septième jour, phūlpāti : les « Neuf Feuilles » arrivent au temple et l’on rend un culte aux Navadurgā
44En fin d’après-midi le jour de phūlpāti, la procession transportant les « neuf feuilles » (navapatrikā) atteint la plate-forme du temple (Phot. 11, 12, 13). C’est ainsi que les neuf formes de la déesse Durgā (Navadurgā) pénètrent dans le sanctuaire, inaugurant la seconde partie de la fête. Cette transition est aussi soulignée par le fait que le buffle satāhar est mené au temple ce jour-là et que dans le vestibule, les neuf brahmanes récitent le Devīmāhātmya pour la dernière fois. Par la suite, on utilisera cette pièce pour y déposer les têtes des victimes sacrificielles.
45Tôt dans la matinée, les bāhiriyā susāre, qui doivent jeûner ce jour-là, sont envoyés cueillir les neuf végétaux composant le phūlpāti. Une plateforme (autāro) à l’ouest du palais constitue leur point de départ et d’arrivée. Ils doivent ramasser les plantes suivantes :
- aśok ko pāt (Jonesia asoka),
- anār (skt. dāḍima),
- dhān (riz sur pied),
- māne (skt. manaka : Arum indicum),
- kālo haledo (Curcuma longa),
- jayantī (Sesbania aegyptiaca),
- kācur (Curcuma zedoaria),
- kerā (banane),
- bel (Aegle marmelos).
46Ces « neuf feuilles », navapatrikā, représentent les « neuf Durgā » (Navadurgā)16.
47Au même moment, le Kasāi mène le buffle au palais et l’attache au poteau sacrificiel situé à l’un des angles de la plate-forme. L’animal restera à regarder tous les sacrifices avant d’être lui-même décapité le neuvième jour (Phot. 14, 15, 16 et 17).
48Peu à peu, les gens se regroupent plus nombreux sur le parvis du temple. Les nouveaux venus trouvent difficilement une place où s’asseoir. Depuis le premier jour, le temple n’a pas connu une telle affluence. Dans la kanyā koṭhā du « palais du roi », deux fillettes brahmanes sont vénérées. La Kalsinī et les deux Maṅglinī chantent des mālsiri.
49Vers midi les offrandes destinées à la Déesse affluent. Les susāre en vérifient le détail : cannes à sucre, bananes, yaourt, poissons, riz, pots de terre, apportés par les pêcheurs Mājhi ou les potiers Kumāl. Chaque article est exhibé sur la plate-forme à hauteur du poteau sacrificiel, puis apporté à l’intérieur du darbār. Les localités d’origine de ces produits sont, entre autres, Kundur17, Borlanghat18, Sallyantar19. Une liste (tapasil) datée de 1963 V.S.20 énumère les contributions suivantes : du deuxième au septième jour, les Mājhi doivent apporter du poisson de la Daraundi. Les Mājhi de Borlang ainsi que ceux de Bhumkot ne fournissent du poisson que le septième jour. Le même jour, les Kumāl de Kundur apportent des jarres (gāgro), ceux de Sallyantar un pot et des bananes, etc. On accorde une signification particulière à l’hommage de Sallyantar. Cette coutume, dit-on, remonte au règne de Ram Śāh, lorsque après la victoire sur Sallyantar, des présents furent envoyés de cette localité : ils arrivèrent le jour de phūlpāti. Depuis, on les attend chaque année avant de donner le signal de départ de la procession. Dès que le Kumāl de Sallyān, portant la canne à sucre, les bananes et un pot empli de yaourt, atteint le sommet du vieux sentier menant au temple par Sati Pipal et Tallakot, un guetteur annonce son arrivée.
50La Déesse cependant ne se contente pas de recevoir ; elle distribue aussi des présents aux autres sanctuaires. Ainsi, des ingrédients rituels, parfois un chevreau, sont envoyés aux localités suivantes : Biring Kālī, Manakāmanā Bakreśvar, Ḍhunga Gore Bhagavatī, Bārāhī, Maidān Kālī, Padmākṣi Nārāyaṇa, Tallodarbār, Uppallokoṭ et Tallokoṭ.
51Peu après l’arrivée des présents de Sallyan, les dix mâts de bannières sont apprêtés sur la place d’armes (ṭũḍikhel) située à l’ouest du palais. Les mâts de bambou sont habillés de tissu et surmontés d’un capuchon d’argent. On distingue neuf bannières « ordinaires » et une « militaire » (jangi nisān).
52Les porte-étendards se répartissent ainsi :
531-2. Basnet Chetri,
543. Bogati Chetri,
554. Grāmjā Thāpā Magar,
565. Bhusāl Rānā Magar,
576. Reśmi Rānā Magar,
587. Thāpā Chetri,
598. Baniyā Chetri,
609. Bohorā Chetri,
6110. Rānā Magar (bannière militaire).
62Dès les préparatifs achevés, la bannière militaire sort du Kālikā Darbār. Tous les porte-étendards, les bannières encore roulées, descendent jusqu’à la plate-forme proche de Sati Pipal. Le mât du phūlpāti (ḍẵḍi), décoré de têtes d’éléphant à chaque extrémité, est aussi sorti du temple et aspergé d’eau à trois reprises. Un susāre le transporte jusqu’à Sati Pipal. Là, les « Neuf feuilles » (navapatrikā) préalablement cueillies sont enveloppées dans un tissu rouge (darvār) qui est enfilé dans le mat. Le phūlpāti est prêt. Les dix porte-étendards déplient leurs bannières rouge et blanc ou rouge et jaune.
63Un deuxième groupe forme simultanément un cortège. Les Maṅglinī et Kalsinī s’alignent devant le « palais du roi », en costumes traditionnels : longue jupe (jāmā) de tissu jaune imprimé de motifs rouges, corsage (colo) et petit sac. Les deux Maṅglinī portent une écharpe rouge (pachyauro), la Kalsinī un chasse-mouches à la main. Cette dernière se tient près d’un parasol cérémoniel, devant la porte du Rājā Darbār. Le vase kalaś est brièvement posé sur le sommet de sa tête. Après quoi, un susāre le reprend et le portera lors de la procession. Sur le chemin cependant, la Kalsinī reste reliée au vase par une écharpe rouge et blanc.
64La petite troupe tente de se frayer un passage à travers la foule des spectateurs. En tête marchent trois fantassins équipés de vieux fusils. Suivent deux Gāine et une fanfare damāi comportant tambours, cymbales et trompes. Viennent ensuite le potier transportant l’hommage de Sallyan, deux porte-chandeliers et le Kasāi qui, le matin même, a conduit le buffle satāhar au palais, une torche à la main (Phot. 18 et 19). Ils précèdent les trois femmes et le porteur du vase kalaś sous le parasol. L’officiant principal (mūl purohit) et le prêtre guṭhi les accompagnent à la rencontre des « Neuf feuilles ». Tous deux ont délaissé leur dhoti pour une tunique (mayalpoś), un pantalon (suruval) et un turban (pagari). Après un premier tronçon, la procession doit longer une crête. Les Damāi cessent leur musique et à l’avant on tire des coups de fusil : il faut effrayer les mauvais esprits qui, depuis la pente opposée, menacent de s’emparer de la troupe.
65Cependant ces détonations sont aussi, pour le groupe qui attend à Sati Pipal avec le phūlpāti et les dix bannières, le signal du départ. Les deux parties doivent atteindre au même moment un point déterminé, sur une volée d’escalier en contrebas de Tallokot.
66Là, un Śreṣṭhā a nettoyé le sol et l’a enduit de bouse de vache. À l’extrémité supérieure de l’escalier le premier groupe s’est aligné : les prêtres, les femmes et, sous le parasol, le vase kalaś. D’en bas, les dix porte-étendards montent à mi-parcours, puis s’écartent pour laisser le passage à la litière du phūlpāti, précédée par deux garçonnets portant chacun deux sceptres (asa). Cinq susāre munis de chasse-mouches et de plumes de paon se tiennent sur les côtés. Des centaines de spectateurs assistent à la cérémonie. On tourne trois fois autour de la litière du phūlpāti en l’honorant de grains de riz (akṣata) et de fleurs (phūl), à l’instar de la Déesse. Puis les deux cortèges n’en forment qu’un pour retourner au temple (Phot. 20). Le groupe de la Kalsinī et des Maṅglinī marche à l’avant, suivi des dix bannières et du phūlpāti.
67Avant que les « Neuf feuilles » ne soient introduites dans le temple pour y être vénérées en tant que Navadurgā, la procession se range en ligne sur la plate-forme. Les trois femmes chantent et l’on tranche une courge (kubhiṇḍo). Le chevreau bhadrakālī est décapité à l’intérieur et son corps est traîné trois fois autour du phūlpāti. Ce n’est qu’alors que le phūlpāti, les dix bannières et l’hommage de Sallyan sont portés dans le temple. À l’intérieur du sanctum, on rend un culte aux Navadurgā et au sabre. À chaque type de feuille des navapatrikā correspond une des Neuf Durgā.
68Le même soir a lieu le « transport de la lampe » (dip sārnu), dont on ignore quel rapport il entretient avec le rite précédent. Un objet oblong, enveloppé d’un tissu blanc21, est sorti en fanfare du « palais du roi » par un susāre. Cet objet, formé d’une première partie longue et d’une seconde plus courte et plus large, est posé au sommet du poteau sacrificiel au centre de la plate-forme. Un chevreau noir, sacrifié à l’intérieur du temple, est traîné trois fois autour du poteau au son de la musique des susāre. Le secrétaire du palais (hākim) dépose une guirlande de fleurs sur l’objet. La plupart des femmes présentes le vénèrent de même avec des fleurs, du riz et des lampes. Puis on rapporte l’objet à l’intérieur du temple. Les armes de la Déesse, sabre, arc et flèches, sont apportées depuis le « palais du roi » jusque dans le temple.
Le huitième jour, aṣṭamī : buffles et chevreaux sont sacrifiés à la Déesse
69Les Navadurgā une fois introduites dans le temple sous la forme des « Neuf feuilles », les huitième et neuvième jours vont être consacrés aux sacrifices sanglants. Le carnage que la Déesse provoqua parmi les démons est ainsi mis en scène, spectacle qui l’emplit de satisfaction. La plate-forme et les terrasses regorgent de pèlerins. La plupart ont apporté des chevreaux et des coqs destinés à Kālī ou à Thiṅgā Bhairava (Phot. 21, 22 et 23).
70La journée débute cependant par une autre cérémonie : le renouvellement des bannières de la Déesse. Les deux bannières rouge et blanc sont remplacées et l’on y joint trois blanches (ālam). On accroche au mât de ces cinq bannières des baguettes de bois appelées musure kaṭuj22, qui sont coupées et apportées par un Baniyā Chetri. Celui-ci choisit quatre aides dans son clan ou dans celui des Thāpā Chetri et, après avoir pris un bain dans la matinée, tous partent dans les environs à la recherche d’un arbre kaṭuj approprié. L’arbre repéré, le chef du groupe en coupe cinq rameaux après une brève offrande. Chacun en porte un jusqu’à une fontaine située sur le chemin remontant vers le temple où ils sont trempés puis enduits de couleur rouge (abīr jātrā garnu). Dès lors, les cinq hommes ne doivent plus parler à personne jusqu’à ce qu’ils aient déposé les baguettes au temple dans un plateau de feuilles.
71Entre-temps, on a préparé quatre nouveaux mâts de bambou de 22 coudées de long. Durant la cérémonie suivante, cinq groupes de bannières sont érigés. Les bannières doubles rouge et blanc face à l’entrée du temple, trois bannières blanches aux angles nord-ouest, nord-est et sud-ouest de la plate-forme. Chacune des deux bannières doubles comporte quatre éléments : deux mâts de bambou montés d’étendards rouge et blanc – changés à chaque Dasaῖ –, un mât monté d’un fanion jaune – conservé, lui, plusieurs années-, et un musure kaṭuj – également renouvelé chaque année. Les trois bannières simples ālam consistent en un musure kaṭuj et un mât de bambou portant un étendard blanc. Le mât est réutilisé plusieurs années d’affilée. Les trois alam ne sont érigées que du huitième au dixième jour, alors que les bannières doubles sont conservées jusqu’au Dasaĩ suivant. Quand les fonctionnaires et les cinq bāhiriyā susāre se rejoignent sur la plate-forme, cinq vieux mâts de bambou23 sont descendus depuis l’étage du temple. Les susāre les nettoient, ainsi que les quatre nouveaux mâts, puis les vieux sont rapportés à l’intérieur. Trois susāre fixent aux nouveaux mâts les bannières rouge et blanc, décorées de fleurs et de feuilles. Au son de la musique des Damāi, les nouveaux mâts sont dressés. Les cinq autres mâts, rapportés et apprêtés dans le temple, sont érigés en des emplacements déterminés. Enfin, les baguettes de musure kaṭuj sont attachées aux cinq groupes de bannières. Les dix autres bannières, accompagnant la procession du phūlpāti, sont liées à l’ensemble des bannières doubles du nord.
72Pendant ce temps, le costume de la Déesse est changé dans le sanctum. Un dais (cãduvā) est installé au-dessus du poteau sacrificiel. Les prêtres et les susāre peuvent dès lors commencer les sacrifices.
73Le Kasāi, responsable du buffle satāhar, enduit de bouse la partie du sol entourant le poteau sacrificiel. Les susāre dessinent une étoile ṣaṭkoṇ au pied du poteau à l’aide de farine de riz et réunissent les articles requis : une courge (kubhiṇḍo) déposée sur une feuille d’aśok, un vase kalaś empli d’alcool de riz (madiro kalaś), deux grands bols de bronze emplis de riz, un tambour ḍamaru et une clochette, une conque (śaṅkha), un brûle-parfum, ainsi que différentes lampes à huile et plateaux. Un Kāmi aiguise les couteaux sur le parvis. Les Damāi s’assemblent derrière lui : ils joueront un air après chaque sacrifice. Ce jour-là, trente-trois buffles provenant des étables des environs sont menés au palais. Un tapasil de 1963 V.S. énumère les trente-deux circonscriptions (thum) chargées de fournir l’ensemble des trente-trois buffles, ou l’équivalent, à raison de quatre roupies par animal :
1. Bumkot, | 2. Phujelkot, |
3. Lakya, | 4. Kharpaju, |
5. Agincok, | 6. Deurali, |
7. Lakang ? / Tandrang ?, | 8. Cyanli, |
9. Ghyancok, | 10. Darbhung, |
11. Khari, | 12. Birkot, |
13. Simjung, | 14. ? ? ?, |
15. Laksmi / Paslang ?, | 16. Gyaji, |
17. Maidhi, | 18. Gairun, |
19. Harmi(kot), | 20. Sirancok, |
21. Taklicok, | 22. Dhading, |
23. Taku, | 24. Ajirgarh, |
25. Taplya, | 26. Nigalpani, |
27. Liglig, | 28. Taklung, |
29. Lakan ?, | 30. Asrang, |
31. Dhuvakot, | 32. Caramge. |
74Le pretre guṭhi reçoit le troupeau a 1’entree du palais. Apres un bref culte, on conduit les victimes sur la plate-forme. Les susāre ont choisi un buffle « aîné » (jeṭho) et un « benjamin » (kāncho). Ils doivent être de constitution saine et leur langue ne doit pas comporter de taches. On leur pose une marque ṭikā et ils sont placés à l’écart des autres buffles, collectivement appelés « cadets », māilo. Le buffle aîné est sacrifié en premier, le benjamin en dernier. Les gens établissent un lien entre l’aîné et le roi d’une part, entre le benjamin et le prêtre principal d’autre part : tout événement impromptu survenant lors du sacrifice sera interprété comme de bon ou de mauvais augure pour le personnage concerné. Le choix de ces deux buffles répond également à un souci pratique : ils sont les seuls à être l’objet de rites préliminaires complets ; pour les autres, on s’en tient à une forme raccourcie.
75Les sacrifices débutent par celui du buffle aîné, qui est attaché au poteau sacrificiel. Une courge apportée du « palais de Kālikā » est honorée, tranchée, et on la dépose dans le bol de riz, celui de droite. Puis le prêtre honore le sabre et le buffle. Il pose un ruban rouge sur le dos de la victime et répand de la poudre sĩdur sur son front. Le prêtre lui « souffle » un mantra à l’oreille et lui verse de l’alcool rakṣi sur le dos. Le sabre est porté un instant dans le temple ; à son retour, l’animal est décapité. Au moment où sa tête tombe, tambours et cloches résonnent et les Damāi entonnent un air. Le sabre est rincé puis déposé sur le monticule de riz. Le premier sang qui gicle est recueilli dans un bol et offert à la Déesse. La tête de l’animal est portée dans le temple par la porte de droite, le corps étant traîné trois fois autour du poteau sacrificiel puis jeté en direction du parvis.
76Lors du sacrifice, un ordre strict est respecté quant aux personnes chargées de la décapitation. Les sept premiers coups sont portés par les personnes suivantes :
- Rānā,
- Bohorā Chetri,
- Khan Khavās,
- Sāru Magar,
- un des bāhiriyā susāre,
- un fonctionnaire venu de Katmandou qui représente le roi. Autrefois, dit-on, le roi assumait lui-même cet acte.
- le secrétaire (hākim) du palais ou l’un de ses remplaçants.
77À la suite des sept premiers buffles, un mouton et trois chevreaux – l’un dénommé kālarātri, les deux autres guṭhi – sont offerts à la Déesse résidant dans le temple. Suit l’immolation des vingt-cinq buffles restant. Si les premiers sont décapités sans ordre déterminé, une hiérarchie est de nouveau respectée pour les six derniers – les « cinq » et le « benjamin » – :
781-2. un bhitriyā susāre quelconque,
793. un bahiriya susāre,
804. Rānā Magar,
815. Cautarīya,
826. Rānā Magar (kāncho rāgo).
83Entre deux sacrifices, les femmes viennent prélever de la terre gorgée de sang au pied du poteau. Elle sera répandue dans les champs pour en accroître la fertilité. De même, certains hommes munis de coupelles de feuilles recueillent quelques gouttes de sang sur les carcasses, qu’ils feront boire à leur femme afin de remédier à une éventuelle stérilité. Dès que les trente-trois buffles ont été immolés, les hommes se ruent vers l’entrée du temple, tirant les chevreaux qu’ils viennent offrir. Bien entendu, le nombre d’animaux dépend des pèlerins, de leur souhait d’offrir un sacrifice cette année là, ou de vœux antérieurs. Les anciens se souviennent que lors de la Seconde Guerre mondiale, alors que de nombreux parents combattaient dans les régiments Gurkha, plusieurs milliers de chevreaux furent offerts (Phot. 24 et 25).
84Les prêtres et leurs assistants ont également des obligations auprès de temples des environs. Des coqs et des cochons de lait sont sacrifiés sur un billot représentant Ṭhiṅgā Bhairava, au-dessus du sanctuaire de Goraknāth. Un culte est également rendu aux divinités d’Upallokot, ainsi qu’à la déesse Caṅḍī à Kaliban. Le prêtre guṭhi et certains susāre Magar quittent donc le palais en début d’après-midi. Le prêtre rend un culte à la Kālī d’Upallokot et y conduit les sacrifices de buffles. Les susāre Magar, eux, assurent le culte de Vindhyavāsīnī, Bajra Bhairav et Caṇḍī, qui reçoivent chacun un cochonnet. Là où les prêtres et assistants attachés au temple de Kālikā ne peuvent se rendre, on fait parvenir les articles nécessaires à la réalisation des offrandes. C’est le cas par exemple de Tallo Darbār, Ḍhungā Gare Bhagavatī, Maidān Kālī Baidyanāth, Śrī Vidyā, Bārāhī et Biring Kālī.
Le neuvième jour, navamī : les sacrifices se poursuivent, Mahiṣa est abattu
85Comme la veille, la plate-forme est le cadre de nombreux sacrifices, culminant dans la mise à mort du démon-buffle Mahiṣāsura, représenté par le satāhar, qui doit être accomplie au moment même du crépuscule.
86Lors des préparatifs de l’après-midi, les mêmes règles que la veille sont observées : parmi les vingt et un buffles devant être immolés, on choisit un aîné et un benjamin et les sacrificateurs sont les mêmes. Le prêtre guṭhi et les susāre retournent dans les sanctuaires des alentours et les pèlerins apportent de nouveau des centaines de chevreaux, cochonnets et coqs à l’intention de Kālikā et Bhairava. C’est à la tombée de la nuit que les événements diffèrent quand le satāhar est préparé pour le sacrifice. L’animal est abattu là où il a passé les trois derniers jours, attaché à un poteau à l’angle de la plate-forme. Comme dans l’immolation des buffles aînés et benjamins, le premier coup vient du Rānā Magar. La tête de l’animal ne doit pas chuter avant trois coups24, afin que le démon incarné dans le buffle « souffre ». Les deuxième et troisième coups sont portés par le susāre Khan Khavās et par le Kasāi qui a pris soin du buffle. Une fois le premier sang recueilli pour la Déesse, la foule des spectateurs se rue à son tour sur le corps. Puis vingt-sept fillettes et deux garçonnets sont emmenés dans la kanyā koṭhā du « palais du roi ». Les filles sont divisées en trois groupes de neuf, les rāj kumāri (« princesses royales »), māmuli kumāri (« princesses ordinaires ») et guṭhiko kumāri (« princesses du guṭhi »). Elles sont toutes issues de familles brahmanes Upādhyāya. Un petit garçon (kumāro) âgé de deux à cinq ans est associé à chacun des deux premiers groupes. À l’issue de la vénération des vierges, quatre chevreaux sont immolés. Sur la plate-forme, on sacrifie les cinq buffles et le « benjamin ».
87Dans l’obscurité, quarante-neuf boucs sont menés sur la plate-forme. Les trente-deux premiers animaux sont sacrifiés après qu’une courge a été fendue, en présence de la Kalsinī et des Maṅglinī. Les corps restent dans le temple tandis que les têtes, rassemblées dans une hotte, sont apportées dans l’auberge où elles sont fumées et conservées pour le banquet de la pleine lune. Les boucs restants sont dédiés aux dix bannières ainsi qu’à un vieux canon, lors d’une cérémonie appelée nisān pūjā. Le corps du dernier animal est placé un instant dans le fût du canon. À présent, le Kasāi s’occupe des préparatifs de la revanta pūjā25. Il enduit de bouse le seuil du « palais du roi » puis apporte un grand plateau de feuilles contenant de « l’argile d’éléphant », provenant d’une ancien enclos à éléphant. Il est placé côté est, face à un étalon, avec des lampes et des récipients... La Kalsinī, toujours liée au vase kalaś par une écharpe, et les Maṅglinī se rangent au nord de l’animal devant le palais du roi, sous le parasol cérémoniel. Au sud, un susāre dispose une courge et un mouton. Les deux Maṅglinī effectuent trois circumambulations autour de l’étalon ; la première verse continuellement de l’eau contenue dans un pot, la seconde porte un plateau avec sept lampes qui sont ensuite posées sous l’étalon. La courge est tranchée et le mouton décapité. Un coup de fusil marque le terme du rituel.
Le dixième jour, vijayā daśamī : les Navadurgā quittent le temple
88Après le sacrifice du démon-buffle Mahiṣāsura la veille au soir, le dixième jour est dédié à la victoire de la Déesse et voit la dissolution progressive de la fête. Le culte rendu aux Navadurgā dans le sanctuaire prend fin avec la sortie du phūlpāti et de la représentation de la Déesse (cf. supra) rapportée dans un palanquin rouge jusqu’au « palais du roi ».
89Le dénouement s’annonce tôt le matin dans le temple avec l’adieu à la Déesse (visarjana)26. Pendant ce temps, le Kasāi ou l’un de ses remplaçants dépèce le buffle satāhar. Il distribue la viande à différentes personnes dans des petits récipients de feuille :
- la tête va au bhirkoṭe bāhiriyā susāre,
- le cou au Śakya qui nettoie les bijoux et au Kāmi qui aiguise les couteaux,
- les poumons reviennent au roi ; ils sont mis à sécher sur le mur extérieur du palais et seront utilisés en fumigation pour soigner certains maux du bétail,
- le cœur et le foie vont au bhirkoṭe bāhiriyā susāre,
- les côtes, au koṭāle,
- les côtelettes, au chef des Damāi,
- les cuisseaux, au Bohorā Chetri, au Sāru Magar, au Khan Khavās et au Rānā Magar,
- la peau, au Sarki qui la tanne afin d’en équiper le tambour du temple,
- la queue et les entrailles, à Gaṇes Man Kasāi qui s’est occupé du satāhar.
90La cérémonie des ṭikā débute à un moment précis27, donné depuis l’intérieur du palais par un brahmane ; le compte à rebours est transmis au long d’une chaîne d’assistants jusqu’aux prêtres du temple. Puis les prêtres déposent une marque faite de riz et de vermillon sur le front des fidèles venus à la porte du temple. Les pousses d’orge qui ont germé dans l’obscurité de la jamaro koṭhā sont distribuées et glissées derrière l’oreille. Ceux qui, comme les Kāmi et les Damai, ne peuvent pénétrer sur la plate-forme, reçoivent ṭikā et pousses d’orge par une fenêtre latérale du temple.
91Autour de midi, les fonctionnaires, les prêtres et les assistants employés par le palais se rassemblent pour effectuer une circumambulation autour de la plate-forme (phāgu khelna). Des assistants se tiennent à l’avant avec des instruments de musique. Pendant la circumambulation, des femmes versent depuis les fenêtres de l’eau colorée de rouge sur le cortège. D’autres femmes se joignent à la procession et barbouillent de vermillon les visages – y compris ceux des spectateurs. Les seules femmes, qui à cet égard sont traitées comme les autres membres de la procession, sont les Kalsinī et Maṅglinī. Tout de suite après, les bannières sont descendues et rapportées dans le temple, où elles resteront jusqu’à la prochaine fête.
92La puissance rituelle continue à se dissoudre quand, en début d’après midi, une représentation de la Déesse sort du temple dans un palanquin rouge (mai ko savāri)28. Un fonctionnaire guide les susāre – entièrement recouverts par le tissu – à travers la plate-forme et les terrasses jusqu’à l’entrée du Rājā Darbār. La Déesse est portée jusqu’à l’intérieur de la kanyā koṭhā. Suivent tous les insignes de son pouvoir divin : arc et flèches, tambours, éventails, fusils. Puis les corps des chevreaux sacrifiés la veille sont distribués.
93La journée s’achève avec le phūlpāti selāunu29, « l’abandon » de la litière contenant les « Neuf Feuilles ». La direction que prend la procession ainsi que la source où la litière sera abandonnée dépend de la position de la planète Vénus (śukra). Si elle apparaît le matin à l’est, on partira vers Dhale Kholsa, à l’ouest30 ; si elle apparaît le soir à l’ouest, la destination sera Manepani31, à l’est.
94Le cortège quitte le temple en fin d’après-midi. Comme le jour de phūlpāti, la fanfare damāi ouvre la marche. Elle est suivie par le Kumāl de Sallyan portant l’hommage, les Kalsinī et Maṅglinī aux côtés du vase kalaś et du parasol, puis la litière contenant les « Neuf Feuilles ». Celles-ci sont jetées dans l’eau d’une source à la tombée du jour (Phot. 26 et 27). Une détonation salue cet événement qui marque le démantèlement définitif des Navadurgā. Tout de suite après, les Damāi se mettent à danser. La Kalsinī dénoue l’écharpe rouge et blanc qui la liait au vase kalaś, puis va se mêler à la soirée de festivités qui s’annonce. À quelques centaines de mètres de la source, on a choisi un lieu de pique-nique32 où les trois femmes servent de la viande, des flocons de riz (cyurā) et de l’alcool (rakṣi) aux Damāi et aux susāre. Plus tard, tous s’en retournent au temple. Ils s’arrêtent de temps en temps sur le chemin, devant les maisons où une lampe leur demande d’offrir un spectacle ; la Kalsinī et les Maṅglinī se joignent parfois aux Damāi. Ils n’atteignent le palais qu’après plusieurs heures et les réjouissances s’y poursuivent tard dans la nuit.
Le quatorzième jour
95Si le dixième jour marque incontestablement la dissolution de la puissance rituelle, la conclusion officielle de la fête n’intervient que le quatorzième jour. Dans l’après-midi, vingt-sept buffles sont de nouveau immolés sur la plateforme, selon la même procédure que les huitième et neuvième jours (buffles aînés/cadets, etc.), à quelques exceptions près. Ainsi, on ne dessine pas de yantra au pied du poteau et les plateaux de bronze sont remplacés par des plateaux de feuilles. Ce jour-là prend fin le voyage de la représentation de Kālikā ; elle est rapportée de la kanya koṭhā à la kailaś koṭhā, d’où elle ne ressortira que six mois plus tard, lors de Caitra Dasaĩ.
96Nous ne pensons pas que l’on puisse appliquer au Dasaĩ les caractères que Fritz Staal prêtait aux rites śrauta dans son article sur l’absence de sens dans le rituel33 : on ne peut pas dire du Dasaĩ qu’il fonctionne en lui-même et pour lui-même, comme une « pure activité », dénuée de signification et d’objet. Dans les pages qui suivent, nous allons montrer que, dans le cas de la Durgā Pūjā, le domaine de la « pure activité » passe bien après celui de la dynamique du rituel, qui comporte trois facteurs : le mythe, l’histoire et leur « sphère d’interférence ». Sous leur influence, le rituel se déploie en variantes locales, qui confirment son caractère dynamique. Contrairement à ce que prétend Staal au sujet des rites śrauta, un rituel tel que Dasaῖ, avec tous ses prolongements sociaux – réunions de famille, chants, danses-, acquiert une signification par le fait même de sa réitération et de l’engouement général qui marque sa célébration.
97Dans des fêtes comme la Durgā Pūjā, les actes rituels ne se déploient pas au hasard : ils sont liés à la vive implication sociale, qui reste entière. Et c’est précisément en vertu de ce lien, que le rituel conserve son attrait, qu’il se dote d’un sens – quel que soit ce sens – dépassant la simple succession des actes, et renvoie au-delà à un fonds traditionnel communément accepté. La participation du corps social, que traduit le nombre imposant de spectateurs présents, est plus qu’un simple effet secondaire plaisant. Cette participation est ce qui donne au rituel sa vigueur, et c’est aussi un facteur déterminant dans son interprétation, un indicateur de la signification intrinsèque des rites. Le spectateur est capable d’associer des éléments historiques et mythiques à l’acte rituel. Même s’il ne comprend pas le sens symbolique de chacun des gestes sophistiqués du prêtre, pris un à un, il saisit sans aucun doute les éléments centraux du culte. Une grande partie de ce que nous présentons ci-dessous fait partie du savoir courant des gens de Gorkha. On verra clairement comment le sens caché des rites ne relève pas seulement d’une orthodoxie statique mais possède une vigueur interne, une dynamique propre ouverte sur la créativité. Le sens intrinsèque de telles cérémonies est ainsi déterminé par deux pôles cœxistants : d’un côté le pôle scolastique, orthodoxe, qui en vertu de son support écrit (pūjā paddhati, etc.) produit du sens à une échelle supra-régionale ; de l’autre, le pôle hétérodoxe et dynamique, capable d’influer sur la mise en scène à l’échelle locale. Il s’ensuit qu’une interprétation pertinente du rituel ne peut se suffire d’une bonne documentation textuelle, car celle-ci – étant destinée aux spécialistes – traite avant tout des techniques, en omettant ce qui, si bien connu de chacun, ne nécessite pas d’éclaircissements34.
98Autrement dit, les textes insistent sur l’enchaînement des actes, composés de gestes et de mantra, mais ne prennent pas en considération l’implication du rituel dans un contexte, qui relève, soit de l’évidence, soit de particularités trop précisément locales. Cela ne signifie pas que le contexte n’est pas essentiel dans le rituel. De même que le mythe ne saurait être interprété dans tous ses aspects en dehors du contexte ethnographique, comme le remarque très justement Lévi-Strauss35 un rite ne peut être analysé dans un espace ethnographiquement mort.
99Dans cette perspective, les rites de la Durgā Pūjā offrent un point de départ particulièrement riche. D’abord, par la part active qu’y prend la population, et qui donne son extraordinaire vivacité à la fête. Mais aussi parce qu’elle a été régulièrement exposée à différentes influences selon les époques, par sa relation particulière à la dynastie régnante et à ses intérêts politico-militaires. Le rituel doit donc sa morphologie autant à des éléments mythologiques qu’à des éléments sociologiques et historiques qui lui donnent sa dynamique. La place que nous réservons ici au mythe et à l’histoire se rapproche de l’idée de plans, sociologique et cosmologique, proposée par Eric Ten Raa (1971) pour l’analyse des mythes. Nous y ajouterons cependant une dimension, que nous appellerons la « sphère d’interférence ». Le mythe et l’histoire peuvent être conçus comme les plans constituant le rituel ; il reste à en trouver l’équivalent direct et symétrique dans le domaine de l’action.
100Dans la sphère du mythe, les thèmes relevant de la « Grande Tradition » sont si connus qu’on s’en tiendra à quelques exemples. On peut lire dans le Kālikāpuraṇa :
« Le premier jour de la quinzaine claire d’aśvin, elle (la Déesse) s’éveilla et se rendit dans la ville de Lanka36. »
101De la même façon, le premier jour de la fête, une représentation de la Déesse est descendue depuis la kailaś koṭhā du Rājā Darbār jusqu’à la gupti koṭhā du Kālikā Darbār où elle restera le temps de la fête.
102Mahiṣāsura, dont l’anéantissement est le but de la guerre entreprise par la Déesse, est représenté par le buffle satāhar. À l’instar de son double mythologique, il est vénéré aux côtés de la Déesse avant d’être abattu le neuvième jour :
« Cependant, puisque je t’ai moi-même tué au combat, ô démon Mahiṣa, tu ne quitteras plus mes pieds, sois en sûr. Partout où l’on me rendra un culte, tu seras honoré. Quant à ton corps, ô Danava, il sera vénéré et objet de méditation37. »
103Lorsque au septième jour, les Navadurgā entrent dans le temple avec la procession du phūlpāti, le satāhar est lui-aussi mené au temple et attaché « aux pieds » de la Déesse sur la plate-forme. Et les nombreux sacrifices de buffles et de chevreaux des huitième et neuvième jours qui sont offerts en sa présence lui sont également destinés. Comme son double mythique, il est le dernier à succomber dans la bataille, avant le vijaya daśamī. Le neuvième jour, la Déesse fut honorée par des offrandes et tua le démon Mahiṣa38. Toujours dans le Kālikāpurāna :
« Le septième jour, dans la faste quinzaine claire du mois, la Déesse se constitua un corps grâce à l’énergie des dieux39. »
104La symétrie frappante entre les neuf Durgā et les neuf végétaux peut être comprise comme une évocation de la force triple : trois femmes accompagnent le vase kalaś, une Kalsinī et deux Maṅglinī. Trois catégories de buffles sont immolées (jeṭho, maīlo, kāncho), trois fois neuf kanyā sont honorées dans la « vénération des vierges », neuf brahmanes récitent le Devīmāhātmya, neuf bannières plus une militaire sont portées en procession le neuvième jour et sont l’objet d’une offrande. Enfin, neuf petits monticules (koṭhā) sont fixés sur le col de la cruche lors du ghaṭasthāpanā. Le facteur trois sous-jacent opère conjointement une opposition et un lien : d’une part, les buffles « aînés » et « benjamins » et les deux femmes portant le kalaś (Maṅglinī), d’autre part, les buffles « intermédiaires » (maīlo) et la femme qui ne porte pas mais accompagne le kalaś (Kalsinī). Cette configuration évoque la doctrine des trois guṇa : sattva (pureté, essence vraie) et tamas (obscurité, ignorance) sont en opposition comme la lumière et l’obscurité, alors que rajas (passion, affection) les relie.
105Ceci nous amène au symbolisme des couleurs, omniprésent dans la fête. Ce qui nous intéressera ici sera la seule opposition entre les couleurs rouge et blanche. Elle représente respectivement la Déesse et son époux Śiva40. Cette opposition s’accentue au septième jour, phūlpāti, autrement dit à la suite du bilva nimantraṇa, et donc après que l’on est entré au cœur de la fête par l’assemblage des « Neuf feuilles ».
106Le réveil de la Déesse dans l’arbre bel (bilva nimantraṇa), au soir du sixième jour, est un prélude à la cueillette des « Neuf feuilles » et à la présentation des deux couleurs aux fidèles. Il est capital que pour cette pūjā Śiva soit convié dans l’arbre aux côtés de la déesse Durgā41. On prélève une branche comportant effectivement deux fruits, qui rejoindront les « Neuf feuilles » le lendemain. Il est significatif que le prêtre honore la branche avec du sῖdur (rouge) et de l’akṣata (blanc). Ainsi, non seulement les couleurs proprement dites mais aussi leur apparition temporelle prennent leur sens dans le mythe.
107Le thème, une fois introduit dans le rite bilva nimantraṇa, réapparaît régulièrement les jours suivants. La Kalsinī est reliée au kalaś par une double écharpe rouge et blanc, les dix bannières de la procession du phūlpāti ainsi que le représentant de la Déesse devant le temple affichent ces couleurs. Le septième jour, les Damai couvrent d’une étoffe rouge le tambour de la Déesse. L’étalon de la revanta pūjā est blanc ; les Maṅglinī, habillées de rouge et jaune, en font le tour. La litière des « Neuf feuilles » est faite d’un drap rouge.
108Enfin, on doit mentionner le nombre six en relation au roi. Lors du sacrifice des buffles des huitième et neuvième jours, l’immolation du sixième buffle revient au roi ou, de nos jours, à un représentant nommé par lui. Le symbole renvoie au mythe de Pṛthu42 : le sixième roi de la dynastie fut tué par les brahmanes à cause de sa tyrannie et Pṛthu, en qui Viṣṇu s’incarna, sortit du bras droit du souverain, doté de nobles idéaux. On peut lire dans le Mārkaṇḍeya Parāṇa43 que le sixième des revenus des sujets doit revenir au roi vertueux.
109Ces aspects du rituel, liés à un cadre mythique, trouvent leur origine dans la « grande tradition ». En outre, ils ont une dimension supra-régionale et, en tant que tels, on peut aisément les relier à leurs référents mythologiques. En revanche, les éléments historiques sont définis localement et leur portée est extrêmement limitée.
110Le paysage politique du Népal médiéval, avec ses États Baisi et Caubisi qui n’étaient que de modestes principautés, forme un cadre morcelé, d’entités variées et d’échelle réduite. C’est pourquoi, au plan historique, nous sommes en présence d’éléments relevant de ce que l’on appelle la « petite tradition ».
111Deux aspects du rituel sont particulièrement déterminés par ces éléments. Le premier est l’attribution des échelons dans la hiérarchie rituelle, qui alloue différentes tâches à différents groupes de spécialistes. Le second concerne les systèmes de référence spatiale mis à jour par l’envoi de dons à la Déesse provenant de différentes régions et qui, inversement, la placent au centre d’un réseau de contre-dons, établi sur un fond de relations mythiques. Dans tous ces cas, il est possible de reconstituer un arrière-plan historique.
112Pour bien comprendre la logique qui prévaut dans la répartition des fonctions de prêtrise, il nous faut évoquer brièvement le rapport intime existant entre la Déesse et la dynastie régnante de Gorkha. On reviendra plus loin sur la dimension mythologique de ce rapport. Je voudrais seulement indiquer ici que selon la tradition orale, Drabya Śāh transportait sa déesse lignagère (kuldevatā) avec lui lorsqu’il vint depuis Lamjung pour conquérir Gorka. Peu nous importe ici de savoir si un temple propre fut immédiatement consacré à cette déesse ou si, au contraire, elle reçut un culte à l’intérieur du palais avant qu’une aile du palais ne lui soit finalement réservée, le Kālikā Darbār. Ce qu’il faut relever c’est son intimité spatiale et religieuse avec les souverains. Elle dépendait des rois, patrons de l’institution guṭhi, et restait spatialement liée à la vie du palais. Il n’est donc pas surprenant qu’aujourd’hui encore de nombreux officiants rituels viennent du cercle des proches fidèles du roi. La chronique nous renseigne quelque peu sur ce point : dans la vamśāvalī publiée par Wright, on peut lire, au sujet de la conquête de Gorkha par Drabya Śāh :
« ...Drabya Sah, assisté de Bhagirath Pant, Ganesa Pande, Gangaram Rana, Bhusal Arjyal, Khanal Bohra et Murli Khawas de Gorkha, se cacha dans une cabane. Lorsque Ganesa Pande eut réuni tous les gens de Gorkha qui portaient le cordon brahmanique, comme les Thapa, Busal, Rana et Maski Rana de la tribu Magar, ils se mirent en marche...et attaquèrent le Darbar44. »
113On trouve un récit similaire dans la Gorkha vamśāvalī traduite par Hasrat :
« ...Drabya Sah arriva à Gorkha accompagné de Ganes Pande, Buselnarayana Arjal, Bhagirath Panth, Gangaram Rana, Murli Khawas, Saresvar Khanal, Gajanand Bhat Rae et plusieurs autres45. »
114Une comparaison avec la description présentée dans les pages précédentes ainsi qu’avec le tableau n°1 montre qu’à deux exceptions près, tous ces clans sont représentés dans le rituel. Quelque temps après, Ram Śāh se référait sans aucun doute à cet épisode lorsqu’il promulgua ses fameux édits. Le onzième édit contient le passage suivant :
« ...à vous les clans Pande, Panth, Arjyal, Khanal, Rana et Bohora, est conféré le titre des six clans (cha tharghar)46 »
115Ces clans forment de fait les six groupes les plus élevés dans la hiérarchie sociale de Gorkha47. Ils étaient les chefs des expéditions militaires ordonnées par le roi48. On retrouve la plupart de ces familles dans le culte de la Déesse : les brahmanes Pāḍe comme guṭhi ko pūjārī, les Chetri Bohorā comme mūl susāre, les Khavas comme dosro ḍhoke, les brahmanes Arjyāl et Khanāl comme prêtres du hom, les Magar Rānā comme porteurs du jaṅgi nisān et sacrificateurs du premier buffle49. Nous avons des preuves directes de l’intervention du roi dans la nomination à certaines fonctions rituelles. En vertu du dix-neuvième édit de Rām Śāh :
« Le roi a nommé quatre purohit : aux Arjyal il affecte la charge de hotu ansi que celle d’Acarya, qui revient spécifiquement aux Arjyal. Aux Bagalya Arjyal il affecte la charge de hotu, aux Bihare Arjyal celle d’Acarya, réservée aux Arjyal, aux Khanal revient le service de Brahma, aux Bhaṭṭarāi celui de Ganesa. Telle est la répartition des quatre purohit50. »
116On peut lire dans un autre édit :
« Lorsque le roi est tout seul dans le Vaikuntha, nul ne peut s’y rendre sans en demander l’autorisation au Dwariah, dont la charge revient exclusivement aux Khanzadas51. »
117Une note de bas de page précise que Khanzadas est un synonyme de Khavās. Un Khan Khavās est toujours deuxième bhitriyā susāre devant la gupti koṭhā. Dans ce cas cependant, il ne contrôle pas l’accès au roi mais à la Déesse. D’autres groupes sont mentionnés en tant que fonctionnaires du palais : les Magar Grāṁjā Thāpā, qui portent une bannière dans la procession du phūlpāti, étaient employés comme dadā52, les Pānḍe et Arjyāl comme khajaṁci. Cette politique, consistant à attribuer les charges rituelles à des catégories spécifiques appartenant à l’entourage du roi, fut régulièrement réitérée par la suite. À la suite de la conquête de la vallée de Katmandou par Pṛthvī Nārāyaṇ Śāh et du transfert de sa capitale, la répartition des fonctions fut adaptée aux nouvelles conditions. Le prêtre en chef, un brahmane Bhaṭṭarāi, se déplaça désormais depuis Katmandou, de même que les trois femmes, la Kalsinī et les Maṅglinī. Pendant la durée de la Durgā Pūjā, le Bhaṭṭarāi occupe l’échelon le plus élevé, déclassant alors le guṭhi ko pūjārī qui en dehors de la fête est au sommet de la hiérarchie. On retrouve la même situation au temple de Manakāmanā où, pendant la fête, un prêtre supplémentaire vient de Katmandou. Là il s’agit d’un Gubhāju. Ce Gubhāju intervient également à Nuwakot, comme les Kalsinī et Maṅglinī qui parcourent le triangle Gorkha, Nuvakot, Katmandou pendant les fêtes. Ce parcours obéit à des modèles historiques récurrents. Le souverain affecte ses officiants rituels à son palais (Katmandou), à son lieu de naissance (Gorkha) et à ce qui fut son quartier général dans les années qui précédèrent son apogée, Nuwakot. On peut aussi rappeler à ce sujet qu’il est de tradition dans la célébration du phūlpāti de Katmandou qu’une branche de bel arrive de Gorkha.
118La politique expansionniste se reflète sur le plan du rituel. Ceci ressort tout particulièrement de l’envoi des présents à la Déesse. La proximité des localités d’où proviennent ces offrandes laisse supposer qu’il s’agissait de tributs destinés tout autant au roi qu’à la Déesse. Un passage de la Gorkhā vamśāvalī est relativement explicite sur ce point :
« C’est à cette époque que l’on exigea des habitants de Rosi Bhote qu’ils envoient des chevreaux et pankhi en guise de tribut53. »
119Une pratique similaire est attestée lors de la conquête de Sallyan durant le règne de Rām Śāh :
« les six Tharghar accompagnés de Durlabh Jaisi et de l’armée avancèrent jusqu’aux berges de la Gandaki. Là l’ennemi avait retiré tous les bateaux afin d’empêcher l’armée de traverser la rivière. Mais Durlabh Jaisi en enfonçant son poignard dans une pierre à un moment propice permit à l’armée de passer à gué, et ainsi de conquérir Sallyan. Après la mort du roi, les sujets rédigèrent une requête et choisirent un Kumal pour la remettre accompagnée d’un présent. Il arriva à Gorkha juste pour le jour du phulpati54. »
120Aujourd’hui encore, un Kumāl apporte un cadeau depuis Sallyantar et accompagne la litière du phūlpāti, non seulement jusqu’au temple mais aussi pour le phūlpāti selāunu, c’est-à-dire lors de la dispersion de la gerbe dans un ruisseau. La réciproque de cette pratique consiste dans la distribution d’ustensiles rituels, chevreaux, buffles, etc. que le palais envoie de son côté à différents sanctuaires des environs. On y compte Tallokot et Upallokot, qui au temps de Drabya Śāh faisaient déjà partie du domaine de la dynastie, mais aussi des localités comme Manakāmana et Bakreśvar, qui furent annexées ultérieurement.
121Cependant, ce réseau d’échanges ne suit pas uniquement les traces de l’histoire, mais s’inscrit dans un cadre mythologique. Un système de relations mythologiques qui plaçait la déesse du Kālikā Darbār au centre d’une famille de sept sœurs, et qui ainsi établissait une justification rituelle des échanges décrits ci-dessus émergea au fil du temps. Nous sommes ici très clairement dans un cas d’interférence avancée entre des faits historiques et mythiques liés au rituel. Les réalités historiques et géographiques trouvent leurs équivalents directs dans la sphère du mythe. Il nous faut donner quelques exemples de cette interférence du mythe et de l’histoire dans la fête du Dasaῖ.
122Il existe de nombreux textes dans la littérature sanskrite qui suggèrent un parallèle entre les fonctions d’un roi et celles d’un dieu55. Les points de vue vont d’une équivalence fonctionnelle à une identification du roi avec Viṣṇu. Ceci permit à Rām Śāh de promulguer la règle suivante :
« Seule la reine est autorisée par le roi à porter des bijoux d’or aux pieds. La raison est la suivante : l’or participe de Narayana, la reine participe de Lakṣmi : elle portera donc de l’or aux pieds...les autres castes, les brahmanes, Khas, Magar, etc. sont autorisés à en porter aux mains seulement, si le roi le leur accorde56.»
123Le lien intime entre le dieu (Viṣṇu) et le roi en fait naturellement un intermédiaire idéal entre l’humain et le divin. C’est pourquoi il n’est pas surprenant que, dans de nombreux mythes, la cour royale soit le lieu privilégié où s’incarne une divinité. Cela apparaît tout particulièrement clair dans la légende de la déesse Manakāmana de Gorkha, dont on raconte qu’elle s’incarna dans le corps de la reine. Le fait fut révélé par la pénitence du roi, et ainsi les hommes entreprirent de rendre un culte à la Déesse. Le contexte de la Durgā Pūjā présente d’une autre façon l’intimité du roi et du dieu : architecturalement, la résidence royale et le temple constituent un seul ensemble. Au début de la fête, une représentation de la divinité est portée de la kailaś koṭhā du Rājā Darbār jusqu’au Kālikā Darbār. La condensation du sacré dans le sanctuaire est encore renforcée par le rite du dīp sārnu, dans lequel le mouvement est de même direction, soit du Rājā Darbār au Kālikā Darbār. À la fin de la fête, cette configuration se dissout de nouveau par une séquence inverse : un retour et une incorporation des représentations divines dans le Rājā Darbār.
124L’impulsion décisive de cette condensation rituelle du sacré provient du pôle royal. Le Rājā Darbār médiatise les éléments indispensables à l’apogée de la fête, les représentations de la divinité elle-même, puis s’en voit confier la garde jusqu’à la nouvelle transformation, l’année suivante. Le roi et le palais sont donc identiques dans leur fonction.
125La fonction du roi consiste en outre dans la protection du royaume et de ses sujets. Pour assurer cette protection il est indispensable qu’il recoure à la guerre, et la meilleur période se situe après la saison des pluies – pour des raisons pratiques – c’est-à-dire pendant ou après la Durgā Pujā. Le rituel résonne donc d’échos militaires. Les porteurs des bannières sont sans exception chetri et magar. Certains d’entre-eux appartenaient aux six tharghar et prenaient donc la tête de la plupart des expéditions militaires57 ; d’autres, tels les Magar, servaient comme ministres à la cour de Narabhūpāl Śāh58, et participaient à ce titre à la préparation des campagnes. Une des bannières est encore maintenant qualifiée de « militaire » ou appelée « bannière de Kālī ». Le rite phāgu khelna, dans lequel les femmes aspergent les prêtres et leurs aides d’eau colorée en rouge sur la plate-forme, rappelle la « procession du vermillon » (sῖdur yātrā) mentionnée dans la vamvāvalī et qui équivaut à un défilé de victoire59. Cela est confirmé par le fait que le phāgu khelna est organisé le dixième jour, à la suite de la victoire de la Déesse. Les mythes qui sous-tendent la fête, tels qu’ils sont présentés dans le Devīmāhātmya ou le Kālikā Purāṇa entre autres, n’échappent pas au thème de la guerre : menace d’une armée ennemie, départ en campagne, et dans ce cas, victoire. On trouve également mention d’éléments concomitants, comme la parade.
« Indra de son côté effectua une lustration de l’armée des dieux, pour l’apaisement de l’armée des dieux et pour la prospérité du royaume des dieux60. »
126Dans la revanta pūjā, le soir du neuvième jour, apparaissent deux des équipements les plus nécessaires dans la guerre : le cheval et l’éléphant61. Le cheval prend la forme d’un étalon blanc, l’éléphant celle de « l’argile d’éléphant » : celui-ci provient d’un site proche du palais que l’on dit avoir été occupé par un enclos à éléphant. L’argile d’éléphant est déposée aux pieds du cheval. Fait révélateur, ce rite a lieu à la porte du Rājā Darbār, centre militaire, et non à celle du temple. Puis l’étalon reçoit un hommage qui respecte l’opposition sexuelle : la cérémonie se fait en présence de la Kalsinī, qui se substitue à la reine, et s’achève par une circumambulation des Maṅglinī autour de l’animal.
127Ce qui confirme l’idée que la Kalsinī joue le rôle de la reine, c’est que les trois femmes, malgré leur rôle dans le rituel, ne sont pas admises dans le Kālikā Darbār ; elles officient dans le Rājā Darbār, sur la plate-forme sacrificielle ou lors des processions. Elles viennent toutes de Katmandou, la capitale du roi, et se recrutaient autrefois parmi les concubines du souverain (bhitrinī). Elles sont les seules femmes de la procession du vermillon (sῖdur yātrā) à être aspergées de rouge au même titre que les hommes. En outre, la représentation de la Déesse dont elles ont la charge, le kalaś, ne se rend jamais au temple comme les deux autres représentations de la Déesse – les premier et septième jours. Ces femmes et l’objet de culte qui leur est affecté sont ainsi manifestement tenus à l’écart des rites effectués dans et aux abords du sanctum. Ces éléments ambivalents ne sont réunis que lors des processions du phūlpāti, les septième et dixième jours : la reine de substitution, la Kalsinī, et la déesse de substitution, le kalaś, y accompagnent alors jusqu’au temple la « vraie » déesse incarnée dans les Neuf Feuilles. La reconstitution de la Déesse ne fonctionne que par le moyen d’une inversion. En raison de leur costume, les trois femmes sont assimilées à la Déesse. Au même moment, le prêtre en chef est vêtu de pantalons (suruval) et d’une tunique (mayalpoś), une tenue qu’il n’exhibera lors d’aucune autre cérémonie. Ce qui signifie que les trois femmes, jusque-là considérées comme des substituts de reine, prennent à présent – par leur costume – l’apparence d’une déesse incarnée. Les prêtres et leurs assistants sont eux habillés comme des ministres, comme des « rois de substitution » qui forment une haie d’honneur pour recevoir leur reine, la Déesse. Le transfert de celle-ci au temple s’opère donc par une transformation du rôle de ses serviteurs. Le prêtre devenu ministre et la reine de substitution devenue déesse renforcent ainsi la transformation de la Déesse sortie de la forêt pour entrer au temple. Une transformation identique s’effectue à l’issue de la fête. Comme le roi, qui dans l’œuvre d’Hemādri doit se rendre à la limite du royaume pour effectuer un rite62 la Déesse est renvoyée dans le monde sauvage le dixième jour. Elle laisse ses serviteurs retourner vers le palais, chantant et dansant tels des guerriers victorieux. La « bataille » – en l’occurrence celle dont la fête est le cadre – prend fin. Ainsi le Kālikāpurāṇa nous dit-il :
« Le dernier quart du mois de Sravana, dans la dixième journée, le spécialiste doit entreprendre de congédier la Déesse. Les gens seront occupés aux jeux de l’amour avec des femmes, des jeunes filles, des courtisanes et des danseuses, au son des trompes, des tambours, des tambours-sablier, tandis que les drapeaux et toutes sortes de tissus seront recouverts d’une variété de graines séchées et de fleurs ; il y aura des réjouissances fastes ; on évoquera les organes de l’homme et de la femme, par des chants sur les organes de l’homme et de la femme, avec des mots sur les organes de l’homme et de la femme, jusqu’à en être rassasié63. »
128Si nous tentons de faire émerger tous ces concepts fondamentaux de la Durgā Pūjā, ce n’est nullement dans l’intention de déceler une causalité qui expliquerait l’origine de la fête ou sa « vraie » signification. Au contraire, les rituels ne doivent pas seulement être considérés dans leur proximité à la tradition mais aussi dans leur dynamique propre. Ainsi, sont-ils extirpés de la sphère de « la pure activité dénuée de sens et de but » pour être replacés dans le domaine de l’action et de la réaction. C’est ce domaine qui les détermine et qui les dote de la vitalité d’un acte pertinent, c’est-à-dire un acte visant un but et qui établit les moyens adaptés à ce but64. C’est pourquoi le rituel joue avec les facteurs mythiques, historiques ou sociologiques, dont les combinaisons illimitées engendrent des variantes. Le mythe et l’histoire deviennent ainsi les éléments constituants d’un système de « logique rituelle ».
129Ces deux éléments sont symétriquement transférés, soit isolément soit comme interactions. Mais en transférant ces éléments et leurs interactions dans le mythe, quelque chose est créé qui lui est spécifique. Autrement dit, le tout ne se limite plus à la somme de ses parties. L’élément symétrique nouveau représente, si l’on peut dire, les règles du jeu créatif appelé rituel. Il consiste en une inversion de la structure du temps dans le mythe et l’histoire, inversion qui est rendue possible par la réitération du rituel. Un événement historique donné, repris dans le rituel et mis en scène toujours et encore, en vient à perdre son caractère irréversible, historique, parce que le temps auquel il était attaché devient réversible et réitérable65. Son histoire devient une non-histoire. De la même façon, un événement mythique extrait de son contexte mythique pour être mis en scène à un moment particulier, en un lieu particulier, par des gens particuliers et selon une séquence d’actes particulière, perd son rapport à un temps réversible. Il devient irréversible, historique, pour la simple raison qu’il advient. Il se transforme en non-mythe. Le transfert qui suit ces règles aménage dans la sphère de l’interférence le plus grand espace possible à la dynamique du rituel. C’est ce qui autorise une latitude suffisante pour le développement des variantes locales. Ce phénomène aurait donc trait à la fameuse « petite tradition ».
130Cette approche permet de considérer sous un angle nouveau les relations entre « grande » et « petite tradition » ainsi que les mécanismes et les règles de « l’hindouisation ». Ainsi, les termes de l’interaction, tout comme le mythe et l’histoire, peuvent être considérés comme l’axe vertical de cette relation. Au contraire de la relation horizontale, cet axe se présente comme un mélange permanent de traits religieux et culturels pris à différents niveaux plutôt que comme une évolution de l’un à l’autre. « L’origine » d’un culte ne se situe pas dans la transformation d’un autre. Est aussi niée l’idée d’un continuum comprenant un certain nombre d’étapes intermédiaires, parce que cela impliquerait une évolution, même si l’on admet l’existence simultanée de différents degrés de développement66. Un tel axe est donc non historique. Ce qui signifie que l’existence d’aspects contrastés dans un même culte, en particulier ceux qui relèvent de différents niveaux d’une tradition, ne sont pas globalement le résultat d’un développement historique ni l’aboutissement d’une évolution. Des phénomènes interculturels sont intervenus dès le début. Ce qui reste de nature historique, c’est le mélange spécifique de ces aspects au sein d’un culte à un moment donné.
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Annexe
TABL. 1. DASAĨ AU PALAIS DE GORKHA : PARTICIPANTS AU RITUEL


PHOT.1 (en haut). LE GORKHĀ DARBĀR, COMPOSÉ DU KĀLIKĀ DARBĀR À GAUCHE, ET DU RĀJĀ DARBĀR (LE PALAIS ROYAL) À DROITE

PHOT. 2 (au centre), YANTRA REPRÉSENTANT LA DÉESSE

PHOT. 3 (en bas). LES FENÊTRES SURMONTANT L’ENTRÉE DU PALAIS

PHOT. 4, 5, 6 et 7. LE CINQUIÈME JOUR DE LA FÊTE, ON NETTOIE LE KALAŚ ET DIFFÉRENTS ACCESSOIRES ; LES BANNIÈRES DE LA DÉESSE SONT ÉGALEMENT APPRÊTÉES

PHOT. 8, 9 et 10. LE SIXIÈME JOUR, LES TAMBOURS SONT « HABILLÉS » ; EN FIN D’APRÈS-MIDI. UN PRÊTRE ET DES AIDES SE RENDENT SUR LE SITE DU NIMANTRAṆA PŪJĀ

PHOT. 11, 12 ET 13. PHŪLPĀTI, LE SEPTIÈME JOUR : LES PRÉPARATIFS DE LA PROCESSION DE LA GERBE (PHŪLPĀTI)

PHOT. 14, 15, 16 ET 17. PHŪLPĀTI (16/10/1980). Le buffle satāhar est mené en procession depuis la maison du boucher Ganesh Man (en haut à gauche) jusqu’au Darbār, par la porte principale (en bas à droite)

PHOT. 18 ET 19. PHŪLPĀTI : LE DÉPART DE LA PROCESSION DU PHŪLPĀTI, DEVANT LE PALAIS


La Kalsini et les Manglini sont rejointes par un Kasāi portant une torche et l’émissaire venu de Sallyan avec les présents
PHOT. 20. LE JOUR DE PHŪLPĀTI, LES DIX BANNIÈRES DEVANT LA LITIÈRE RENFERMANT NEUF SORTES DE VÉGÉTAUX

PHOT. 21, 22 ET 23. LORS DES SACRIFICES DES HUITIÈME ET NEUVIÈME JOURS, LA PLUPART DES BUFFLES ET DES CHEVREAUX SONT IMMOLÉS DANS LA COUR SÉPARANT LE TEMPLE DU PALAIS

PHOT. 24 ET 25. AU BEAU MILIEU DES CORPS, UNE JEUNE FEMME BOIT DU SANG DES ANIMAUX SACRIFIÉS

PHOT. 26 ET 27. LE DIXIÈME JOUR, LA LITIÈRE CONTENANT LES NEUF FEUILLES (NAVAPATRIKĀ) EST PORTÉ EN PROCESSION JUSQU’À UNE SOURCE DES ENVIRONS OÙ ELLES EST JETÉE

Notes de bas de page
1 Les matériaux de cette étude ont été collectés lors de deux séjours sur le terrain à Gorkhā aux automnes 1980 et 1981. Je voudrais exprimer mes remerciements au Conseil de la Recherche Allemande (Deutsche Forschungsgemeinschaft) qui m’a permis de prendre part au « Nepal Research Program » (Schwerpunkt Nepal).
La translittération du sanskrit se conforme à celle en vigueur dans les études indiennes. Dans le cas des noms propres d’origine sanskrite, on a opté pour la forme népalie locale.
Je remercie Niels Gutschow pour les croquis et dessins et Eveline Meyer pour avoir vérifié le texte anglais [dont est tirée la présente version en français, traduite par Philippe Ramirez, NDT],
2 Le district est situé au nord-ouest de Katmandou, entre 84°27’et 84°58’de latitude est et entre 27° 15’et 28°45’de longitude nord, c’est-à-dire entre la rivière Trisuli et l’Himalchuli d’une part, entre la Buri Gaṇḍaki et la Ṁarsyāndi d’autre part (Mecīdekhi Mahākāli, p. 57).
3 Plaque de cuivre de Gīrvānayuddhavikram Śāh, datée 1856V.S., à la porte du temple de Kālikā de Gorkha (Bajracarya et Srestha, 2037, p. 277).
4 Phulpāti selāunu : a) (tr.) to dispose of any sacred thing, b) (intr.) to cool, et ṭhaṇḍā garnu : to cool (Turner 1931, p. 409 et p. 249). Les deux termes sont employés dans ce contexte.
5 De bhaṇḍdārā : « a feast given by jogi to others » (Turner 1931, p. 406).
6 C’est-à-dire la nouvelle lune du mois de śrāvaṇa ; en 1981, le 31 juillet.
7 Dhārni = 2 1/2 seers.
8 « The name of a particular tune, sung during the Durgā-pūjā festival » (Turner 1931, p. 506).
9 ālam, probablement du skt. ālamba, la colonne ; mentionnons aussi l’hindi ālam, le monde.
10 En 1981, le 29 septembre.
11 Etant donné que personne hormis les spécialistes religieux n’est admis à l’intérieur du temple et que les objets en question sont recouverts d’une étoffe, nous n’en avons pas de connaissance exacte ; faute de mieux, nous considérerons qu’il s’agit de statues (mūrti).
12 La liste de ces herbes est mal déterminée..
13 Jamaro : a particular type of barley-like plant used in the Dasaῖ festival (Turner 1931, p. 2).
14 Nep. koṭhā (room) from skt. koṣṭha (granary) (Turner 1931, p. 106).
15 Nous n’avons pas réussi à savoir clairement si le transport du rameau vers Katmandou était réel ou symbolique.
16 Aux feuilles mentionnées ici correspondent respectivement les déesses suivantes : Brāhmaṇī, Raktadanṭikā, Lakṣmī, Durgā, Cāmuṇḍā, Kālika, Śivā, Sokahārinī, Kārtikī.
17 L’emplacement exact de Kundur est mal déterminé.
18 Borlanghat : dans la vallée de la Buri Gandaki, à 2 km au nord de son confluent avec l’Ankhu khola.
19 Sallyantar : dans la vallée de la Buri Gandaki, à environ 6 km au nord de Borlanghat.
20 śrī sambat 1963 sāl miti asār(h) gate 17 roj 7 śubham (1906 de notre ère). Le document a été relevé au Gorkhā Darbār et photocopié sur place. L’auteur est en possession des photocopies.
21 On ne sait précisément quel objet ce tissu recouvre.
22 Castanopsis tribuloides.
23 Trois mâts pour les bannières ālam, deux pour les jaunes.
24 Trois coups est le nombre idéal ; plus le nombre de coups supplémentaires sera élevé moins les présages seront favorables. En 1982, neufs coups furent nécessaires.
25 Revanta est le fils de Surya et Samjñā qui prirent la forme de chevaux pour le concevoir. (Viṣṇu Purāṇa, 3, 2.)
26 Mūhūrta : 7 h 37 en 1981.
27 Mūhūrta : 8 h 57 en 1981.
28 Il s’agit de la représentation qui a quitté le palais lors de la cérémonie dīp sārnu.
29 Voir n. 4.
30 A l’ouest de Chipitol.
31 Au nord-est du Darbār, sur le chemin d’Arughat.
32 Il s’agit de la place d’armes (Ṭũḍikhel), lorsqu’on se rend à Dhale Kholsa, et d’une simple étape aménagée (cautāro), quand le but de la procession est Manepani.
33 Staal (1979. pp. 1-22) et tout particulièrement pp. 3-9.
34 Ce problème est général dans les tentatives de compréhension des textes sanskrits. Voir par exemple Sontheimer (1976, p. 1).
35 Lévi-Strauss, « La Geste d’Asdiwal », traduction anglaise dans Leach (ed.), (1967).
36 KP 62, 25-26, in Van Kooij (1972, p. 109) Traduction française, P. Ramirez.
37 KP 62, 107-108, in Van Kooij (ibid., p. 115).
38 KP 62, 77-79, in Van Kooij (1972, p. 113). De même, dans une variante de cette histoire, Rāvaṇa est tué par Rāma, sous les injonctions de la déesse, le neuvième jour ; KP 62, 28-29.
39 KP 62, 77, (ibid.).
40 Voir Yoginī Hṛdaya Tantra, 1,10, cité dans Hoens (1979).
41 « Après avoir éveillé Devī, il doit inviter l’arbre bilva par ces mots “ô arbre bilva ! né au sommet du Śriśaila, toi, demeure de Lakṣmī, je dois t’emporter, viens, tu dois être honoré comme Durgā...”, “ô bienheureux arbre bilva ! tu as toujours été cher à Śankara...” » Durgārcanapaddhati, dans Kane (1974, pp. 160-161).
42 Voir les commentaires de Drekmeier (1962, pp. 137, 200).
43 MP 129, 28 sq ; voir aussi Drekmeier (1962, chap. 13, n. 51).
44 Wright (1972, p. 278). Traduction française P. Ramirez.
45 Hasrat (1970, p. 103). Traduction française P. Ramirez.
46 Riccardi (1977, p. 49). Traduction française P. Ramirez.
47 Voir l’édit n°24, ibid., p. 62.
48 Hasrat, (1970, pp. 112-113).
49 Voir tableau 1.
50 Riccardi, p. 97.
51 Septième « règlement de la cour » promulgué par Rām Śāh, dans la vamśāvalī publiée par Hasrat (1970,p. 115).
52 Édit n° 22, dans Riccardi, (1977, p. 60). Dadāi désigne habituellement celui qui s’occupe des enfants de la famille royale. Il peut aussi s’agir de celui qui prépare le huke ou hūka (pipe à eau) du roi (ibid.).
53 Hasrat, (1970, p. 120).
54 Naraharinath (2021 pp. 49-50) ; résumé par nos soins.
55 Voir MBh 59,13 et suiv ; Manu VII, cité par Drekmeier, (1962, pp. 137,251). Voir aussi Kulke « Stellvertreter-Ideologie » in Kulke (1979, chap. 3, 1, p. 49 sq.).
56 17e édit dans Riccardi (1977, p. 55).
57 Voir n. 48.
58 Durant le règne de Narbhūpāl Śāh, Rām Kishan Thāpā (Magar) fut remplacé par Maheśvar Panth (Hasrat, 1970, p. 126).
59 Hasrat, (1970, p. 126) mentionne une « Sandūryātrā ».
60 KP 62, 31-32, in Van Kooij (1972, p. 109).
61 On pourrait rétorquer que l’éléphant n’est pas adapté au terrain montagneux de Gorkha. Mais on lui reconnaissait une valeur symbolique. Ainsi, le roi de « Tantroun » qui « était en permanence agressé par le Rajah de Lamjung, envoya un éléphant en cadeau au Rajah de Gorkha, qu’il considérait comme plus puissant que les autres » (Hasrat, 1970, p. 104). Sur le culte des chevaux et des éléphants durant la Durgā Pūjā, voir aussi Kane (1974, pp. 184, 187), et avant une expédition (ibid., pp. 230, 910).
62 Selon Hemādri (cité par Kane, 1974, p. 191) le roi doit marcher vers l’est...il doit honorer l’arbre Śamī... Après avoir confectionné une effigie de son ennemi, il doit en percer le cœur d’une flèche... Il doit ensuite retourner à son palais.
63 KP 63, 18-22, Van Kooij (1972, p. 121).
64 Sur ce point, il semble également y avoir une différence avec les rites śrauta analysés par Staal (1979. pp. 9-10).
65 Sur les notions de temps « réversible » et « non réversible » utilisés par Evans-Pritchard et Feierman, voir les commentaires d’Eric Ten Raa (1971, pp. 314-315) ; voir aussi Claude Lévi-Strauss (1964, pp.23-24) : « Mais cette relation au temps est d’une nature assez particulière : tout se passe comme si la musique et la mythologie n’avaient besoin du temps que pour lui infliger un démenti. L’une et l’autre sont en effet des machines à supprimer le temps. »
66 On trouve un bon exemple de l’interprétation horizontale de ces phénomènes dans les travaux de A. Eschmann et H. von Stietencron, qui cherchent « l’origine » de Jagannāth à travers les intermédiaires Narasiṁha et Ekapāda Bhairava en passant par un continuum d’étapes : Eschmann, Kulke, Tripathi (eds.) (1978. pp. 99-118 et 119-124). Sur le processus d’hindouisation (ibid. : 79 et sq.).
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