Partages et fraternité dans les familles recomposées
p. 205-244
Note de l’auteur
Note portant sur l’auteur1
Texte intégral
Monsieur Benno Bailly, le vieil officier de l’état civil du premier arrondissement de Vienne, procède à un mariage qui, bien que le brave fonctionnaire en ait déjà vu de toutes les couleurs, n’est pas sans l’estomaquer un peu. La fiancée est l’ex-femme du fiancé. Et il y a là deux fillettes de dix ans qui se ressemblent à vous couper la respiration et qui ont les fiancés pour père et mère. (…) Assises derrière leurs parents, Louise et Lotte sont sages comme des images et heureuses comme des reines. Elles ne sont pas seulement heureuses, mais fières, diablement fières ! Car cette joie magnifique, presque inconcevable, c’est leur œuvre. Que serait-il advenu des pauvres parents, dites, s’il n’y avait pas eu leurs enfants ?
Erich Kästner, Deux pour Une, 1950
1Cet extrait du roman d’Erich Kästner décrit le remariage de parents divorcés, entourés de leurs filles, sœurs jumelles que les époux avaient séparées au moment de leur rupture. Élevées chacune dans l’ignorance de l’existence de l’autre, les deux enfants se rencontrent dans une colonie de vacances, et, découvrant leur commune origine, échangent leur place, leur prénom et leur rôle. Lotte, élevée par sa mère, va rencontrer son père tandis que Louise se fera passer pour Lotte auprès de sa mère. Au terme du roman, les deux sœurs parviennent à marier de nouveau leurs parents.
2Cet amusant récit, au ton étonnamment moderne, est cependant à restituer dans le contexte européen des années cinquante. La fin de l’histoire – la ré-union du couple des parents – rappelle les comédies hollywoodiennes des années trente-quarante étudiées par Stanley Cavell (1984), qui traduisent à l’époque une « véritable refondation de la légitimité matrimoniale », à travers des récits qui débutent non par la rencontre mais par la rupture des conjoints, et expriment « le rêve d’une union triomphant de tous ses obstacles internes », aboutissant au re-mariage des amants séparés au début de l’histoire. (Théry 1995 : 13-14.) « Cette expérience », explique à ce sujet Sabine Chalvon-Demersay, « était en résonance avec les premiers ébranlements de la structure matrimoniale traditionnelle et la montée des divorces » (1996 : 85). Le roman d’Erich Kästner s’en distingue pourtant, parce qu’il s’adresse à des enfants et place au premier plan leur perception de la rupture parentale, leur attribuant le rôle principal tout au long de l’histoire qui ré-unira les parents séparés. Ce choix narratif révèle tout d’abord l’existence d’un lien fraternel souvent oublié dans les représentations des familles séparées et recomposées. Il dit aussi son importance fondamentale : réunir la fratrie, représentée ici par des jumelles – incarnation de la fraternité absolue à travers l’identité parfaite des frères et des sœurs de même sexe – c’est réunir la famille dans un accord parfait.
3Cinquante années ont passé depuis. Les enfants dont les parents se séparent ont aujourd’hui perdu tout espoir de les remarier, et vivent dans des familles autrement plus complexes que celle de Louise et de Lotte. Après la séparation ou le divorce, le remariage ou la seconde union du parent avec un nouveau conjoint s’est substituée, jusque dans les représentations idéales des nouveaux parcours familiaux, au mariage recommencé des conjoints séparés (Chalvon-Demersay 1996). De nouveaux acteurs entrent dans les familles, que l’on nomme désormais « recomposées ». La fraternité n’en a pas moins conservé son importance dans le vécu et la perception des séparations et des recompositions familiales.
4En témoigne le vote unanime à l’Assemblée nationale, lors de la Journée nationale des droits de l’enfant (20 novembre 1996), d’une loi préparée par des enfants1, et visant à protéger le lien fraternel en évitant la séparation des frères et sœurs en cas de placements et de divorce ou de rupture de vie commune (Le Monde 22.11.96). Ici encore, et jusque dans la loi, le regard de l’enfance semble indissociable de la considération d’un lien fraternel qui détient une importance immense, face à l’inquiétude que suscite l’instabilité des nouvelles formes de vie familiale : le protéger, c’est protéger la famille menacée, fragilisée, c’est le penser comme l’incarnation d’une pérennité, d’une sécurité perdue.
5Mais ce lien fraternel a gagné en complexité dans les familles recomposées, qui voient cœxister en leur sein des enfants de lits différents, unis par des liens divers.

1. Les liens fraternels dans la famille recomposée
6Dans les familles recomposées on rencontre, aux côtés des parents et des beaux-parents, des frères et sœurs de sang, des demi-frères et sœurs qui n’ont en commun qu’un seul ascendant, et des « quasi-frères et sœurs2 » qui ne partagent aucun lien de sang, mais qui se trouvent « apparentés » du fait de l’union de leurs parent et beau-parent. Tous ces enfants gravitent autour des foyers qui constituent la famille recomposée, selon des modes d’habiter et de circuler entre leurs différents espaces familiaux qui varient en fonction des liens de filiation et de l’organisation des résidences et des gardes de chacun. Leurs relations constituent pour la famille recomposée dans son ensemble un lien fondamental, véritable « fil d’Ariane » réunissant les diverses entités parentales et affectives issues de la recomposition.
7Malgré son importance, la question du lien fraternel n’a été que très peu envisagée par les recherches récentes en France. Françoise Hurstel et Christiane Carré l’ont abordé dès 1993, dans un article traitant de la « construction de la parenté » et des repères généalogiques qui devaient s’instituer, d’un point de vue psychologique, dans les familles recomposées. Relevant plusieurs phases « sensibles » dans le processus de recomposition de la parenté des enfants, elles y démontrent à la fois l’importance du réseau fraternel recomposé, dont la « cohésion idéalisée » permet de « lutter contre l’angoisse du morcellement réactivée par la rupture parentale » et les « risques de pertes de repères », de « confusions des places généalogiques » que comporte, entre autres, la recomposition de la fratrie. (Carré, Hurstel 1993.)
8Dans un article récent, Irène Théry reprend ces interrogations d’un point de vue sociologique (Théry 1996). A travers une analyse des représentations du lien fraternel contemporain, « hors » et dans la famille recomposée, l’auteur souligne le caractère unificateur du lien fraternel, idéalisé dans une entité collective et indissociable, composée d’individus que l’on voudrait identiques et égaux : la fratrie, « qu’on ne doit pas séparer ». (Théry 1996 : 160.) A travers elle, c’est en fait le lien de filiation et son caractère « indissoluble » qui est affirmé : « conserver l’entité fratrie, c’est dire que le divorce ne dissout pas la famille, qu’elle survit au couple. » (ibid. : 162.) Dans les familles recomposées, le lien fraternel incarne la rencontre des histoires passées et présentes de chacun des protagonistes, des liens qui se créent entre les nouveaux apparentés : « l’idéal contemporain de la famille recomposée est bien l’achèvement d’une autre fratrie » (ibid. : 164), à travers une relation qui, à la différence de la parentalité en ligne ascendante, « n’est pas hantée par la notion d’exclusivité » (ibid. : 165). Cette reconstruction de la fratrie se heurte cependant à bien des obstacles, en l’absence de repères normatifs, et oscille entre deux références : la filiation de l’enfant et « l’actualité de ses relations » au sein de la famille. La spécificité du lien fraternel l’inscrit ainsi entre deux pôles relationnels : « C’est bien parce que le lien fraternel relève aussi bien au plus haut point de la parenté que de l’amitié qu’il porte les espoirs d’une réconciliation des deux univers, au sein même des familles issues du démariage », écrit Irène Théry, définissant le lien fraternel comme l’incarnation d’une « parenté élective » accomplie. (ibid. : 173.)
9Cette analyse révèle la nécessité d’une interrogation générale sur la nature du lien fraternel dans notre société et dans notre culture, au moment où l’apparition de modèles familiaux singuliers vient ébranler nos certitudes. Dans les familles recomposées, des individus que n’apparente aucun lien de sang sont unis par des relations dont l’existence brise l’évidence de nos représentations de la filiation et de la fraternité. Le temps et l’espace qui assurent les repères du familial sont démultipliés par la séparation des parents et la circulation de l’enfant entre ses différents foyers. Les recompositions familiales apparaissent ainsi comme le lieu d’une mise en doute du lien parental et de ses fondements, mais aussi comme un véritable laboratoire de « fabrication » des liens de famille, où la parenté doit commencer par se dire et par se construire. Comme l’a montré Irène Théry, la fraternité doit plus que jamais y trouver un sens, une existence, mais elle s’y trouve mise en question jusque dans son origine. Dès lors que sont dits « frères » des enfants que rien n’apparente, c’est la définition même de la fraternité qui se joue dans la recomposition familiale, c’est le « comment » du lien fraternel qui se dessine.
10A travers les récits et les témoignages des enfants et des parents3 de familles recomposées, nous voulons ici interroger l’élaboration de cette fraternité « factice » : par quoi passe l’établissement d’un lien de fratrie entre des enfants qui ne sont pas frères et sœurs ? A quels enjeux, quelles stratégies répond cette fabrication des liens fraternels ?
11La fraternité commence dans les mots. Au fil de la recomposition familiale, paroles et discours – stratégies d’élection ou d’imposition des liens de famille – viennent affirmer, dire et représenter le lien fraternel recomposé. « Frères et sœurs » sont ainsi désignés ou s’affirment comme tels dans les familles recomposées. « Les frères, les demi-frères, les quasi-frères sont tous assimilés lexicalement : ce sont des frères. » (Théry 1991 : 153.)
12Au-delà de cette énonciation, première étape de la « fabrication » des frères et sœurs, la multiplication des espaces et des temps familiaux recomposés transforme la relation fraternelle et ses fondements admis. L’origine commune, le lieu et le temps de l’enfance ne sont plus forcément réunis pour assurer le lien fraternel. Questionner l’importance de ces partages ou de ces non-partages nous semble fondamental pour mieux comprendre ce que représente dans notre culture et notre société le mot « fraternité ».
Espaces et temps de la fraternité recomposée
L’enfance commune
Ils ont toujours été là. (…) Des êtres qui ont vécu avec moi, dans la maison, depuis le début des jours. Des êtres que je n’ai pas eu à choisir. (…) Les seuls témoins de l’enfance, ce sont eux.
13Ainsi Collette Fellous, romancière, évoque-t-elle ses frères, compagnons et témoins de son enfance, de son histoire, dont la fraternité, « tresse horizontale », tisse la trame. Elle dit ici l’importance fondamentale du partage qui fonde la fraternité, partage du temps et du lieu de l’enfance, partage d’une vie commencée au sein duquel s’inscrivent les premières expériences de l’individu, mais aussi partage obligatoire, nécessaire, issu d’une évidence : la filiation commune.
14C’est cette évidence qui disparaît dans les familles recomposées. L’expérience partagée par les « frères » s’y trouve profondément transformée, au sein d’une temporalité discontinue et fragmentée par la bipolarisation de l’espace familial en un foyer maternel et un foyer paternel, dans lesquels l’enfant vit et passe des moments différents.

2. Corésidence et circulation des enfants dans les familles recomposées
15La fratrie recomposée se décline ainsi au pluriel lorsqu’il s’agit d’examiner les possibles modalités de son existence, à travers l’organisation de la circulation, de la cohabitation ou des rencontres des frères, des demi-frères et des quasi-frères.
16Un enfant peut par exemple partager quotidiennement sa vie avec un demi-frère ou une demi-sœur, et rencontrer un autre demi-frère lors des week-ends qu’il passe chez son père et sa belle-mère, ainsi que l’enfant que celle-ci aurait eu d’une première union et dont elle aurait la garde. Le nouvel enfant d’un couple remarié où aucun des deux parents n’aurait la garde des enfants du premier lit peut aussi ne rencontrer ses demi-frères et sœurs qu’à l’occasion des jours attribués au « droit de visite et d’hébergement » de ses parents.
17« Marion, quand elle avait trois ans, croyait que quand on était grand comme ses frères et sœurs (adolescents), on devait partir de la maison », racontent les parents remariés d’une petite fille, dont les demi-frères et sœurs ne vivent pas au foyer au quotidien. Ce type de situation induit en effet des ruptures dans la perception que l’enfant détient de sa fratrie, fragmentée en de multiples lieux qui ne sont pas tous connus de lui. « Elle a cru longtemps, aussi, que son frère Daniel habitait à la gare, parce qu’elle nous voyait aller le chercher là le vendredi soir, et l’y ramener le dimanche. »
18A ces allées et venues dans le temps et l’espace familial s’ajoute la multiplication de liens de filiation différents, qui crée des fratries à « compartiments » : Ego peut avoir deux demi-frères qui ne sont pas frères entre eux et ne se connaissent pas, ne se rencontrent pas. Dans ces fratries morcelées naissent cependant des liens. Au sein du foyer recomposé sont réunis des enfants qui ne partagent soit qu’un demi-lien de sang, soit aucun lien de parenté : il n’y plus coïncidence entre corésidence et filiation commune. Cette situation relève pour nous du domaine du non connu ou du non reconnu, car si elle existe dans nos sociétés à travers l’adoption, c’est à l’état d’exception, de détournement ou d’imitation par rapport aux modèles dominants que sont la filiation et la fraternité biologique.
Lien biologique et lien « nourricier » : vers d’autres références ?
19Très loin de nous existent cependant des sociétés qui renvoient de ce schéma culturel une image littéralement inversée : en leur sein l’adoption des enfants est pratiquée de telle façon que « sa survenance constitue la norme et c’est son absence qui requiert une explication4 ». Dans les sociétés océaniennes que définit ainsi Paul Ottino, le lien biologique et le lien adoptif socialement établi sont clairement distingués, et la valeur attribuée au premier est souvent inférieure à la reconnaissance sociale qu’inspire le second. (Jeudy-Ballini 1992 : 117.) D’autres lieux, d’autres cultures connaissent ainsi d’importants mouvements de circulations d’enfants. (Lallemand 1993.) A la différence de notre adoption légale, les liens qui se constituent au cours de ces processus ont un caractère informel et non définitif : ils sont soumis au temps et à l’évolution des relations familiales. (Jeudy-Ballini 1992 : 111.) Il nous semble utile d’opérer un « détour » au sein de ces univers culturels différents. Leur description peut enrichir par la connaissance d’autres références, d’autres valeurs, l’approche de modèles que nous sommes habitués à considérer comme « anomiques » mais qui sont désormais partie prenante de notre environnement social et familial.
20Dans les sociétés océaniennes telles que les décrit Monique Jeudy-Ballini, l’opposition entre filiation biologique et filiation adoptive s’énonce comme une opposition entre « parenté par le sang » et « parenté par la nourriture » : « la nourriture crée la chair » (Jeudy-Ballini 1992 : 117) et c’est le lien nourricier qui définit la parenté non biologique, dans une société où la culture des jardins et leur production sont au cœur de la vie sociale et économique. Dès lors, les enfants élevés et nourris ensemble sont unis par un lien qui équivaut à la fraternité, et qui produit entre eux « certains interdits matrimoniaux comme celui, par exemple, frappant l’union entre les enfants de deux covillageoises sans lien de parenté déclaré mais dont l’une, au cours de sa grossesse, reçut régulièrement de l’autre des petits présents de nourriture ». (Jeudy-Ballini 1992 : 118.) Le rapport de nos propres sociétés à la nourriture et aux biens matériels de consommation nous éloigne, au premier abord, d’une telle conception de l’échange nourricier. Mais l’existence et la construction d’un lien entre des individus non liés par le sang, mais cependant nourris et élevés ensemble, ne doit pas pour autant être exclue de nos façons de concevoir le lien familial, même si elle s’inscrit dans une réalité culturelle, économique et sociale très différente.
21Josiane Massard, dans son étude de la société malaise, différencie dans le discours indigène les relations « légères », fondées sur le lien biologique mais parfois peu investies par ceux qu’elles unissent et les relations « lourdes », qui se concrétisent « par des attributs matériels, affectifs et symboliques, tels le partage et l’échange nourricier, la générosité, la confiance, l’intimité ». Celles-ci concernent tout autant des consanguins que des étrangers. Ces relations créent donc de la parenté entre des non-parents. (Massard 1988 : 44.) Des fratries fondées sur la coéducation se constituent alors dans les familles qui accueillent un enfant.
Dans tous les cas, en même temps que l’enfant transféré perd sa place, mais aussi ses droits et ses obligations par rapport à ses germains biologiques, il en acquiert de nouveaux dans sa fratrie d’accueil : celle-ci devient sa vraie famille car, du point de vue anthropologique, ce sont les relations effectives qui comptent. (Massard 1994 : 43.)
22Ces données révèlent l’existence d’une construction sociale de la fraternité, fondée sur un lien nourricier et sur la réalité « effective » d’une enfance partagée. Elles peuvent nous aider à interroger les modalités de la construction du lien fraternel dans le cadre de la cœxistence quotidienne des enfants réunis au sein du foyer recomposé. Quelle est l’importance de ce partage fondé sur la corésidence et la coéducation pour la reconnaissance d’un lien fraternel entre les enfants de la famille recomposée, et de quelle façon son existence ou son absence sont-elle traduites dans le discours des parents et des enfants ?
Le partage de l’enfance : corésidence et fraternité recomposée
Les modalités de la corésidence : frères de pères ou frères de mères …
23Dans les familles recomposées, les enfants réunis dans un foyer commun le sont soit par leur mère, soit par leur père dans le cadre de la demi-fraternité, soit par les deux membres du nouveau couple quand les enfants, nés d’unions précédentes, deviennent quasi-frères. En quoi les représentations attachées à la filiation maternelle et à la filiation paternelle jouent-elles dans la définition de la fraternité recomposée, et comment pères et mères contribuent-ils à la corésidence des demi et quasi-frères ?
24« Les frères de mères sont plus frères que les frères de pères, parce qu’ils ont été dans le même ventre. » Cette remarque enfantine, entendue dans une conversation portant sur les liens demi-fraternels, exprime une dimension très importante des représentations du lien fraternel dans notre société, qui l’ont en effet ancré dans le partage de « substances identiques » : cette « identité consubstantielle » dont les germains de même sexe sont les représentants accomplis (Héritier 1994) s’incarne par ailleurs, pour les sociétés européennes, dans le don nourricier, qui crée les frères de lait nourris au même sein ou dans l’échange rituel qui conduisait autrefois à la fraternité de sang. Le « partage de substances » qui justifie ici la fraternité semble plus fort lorsqu’il s’est produit dans le ventre maternel (les jumeaux ne sont-ils pas l’incarnation de cette identité parfaite, issue d’une gestation commune, à la fois dans le temps et dans l’espace utérin ?). Dans la société malaise, un discours identique, tenu par les femmes, donne à la mère le rôle principal dans l’engendrement, nous ramenant ainsi aux représentations d’un lien fraternel utérin né du partage de « la même matrice ». (Massard 1988 : 45.)
25La filiation agnatique détient cependant dans notre société une importance fondamentale, puisqu’elle transmet à la fois un patronyme et une origine, inscrivant deux enfants dans la même lignée. Les « frères de père » portent le même nom, au contraire des enfants qu’une femme aurait eus de deux hommes différents. (Théry 1996.) Du point de vue de la parenté « officielle », fraternité utérine et fraternité consanguine sont dès lors nettement distinguées. La parenté malaise, de type cognatique, connaît une inflexion patrilinéaire qui se traduit, comme en France, par l’attribution « officielle » à l’enfant du nom du père. Il en résulte une distinction entre « les “vrais” frères et sœurs (…) nés du même père et de la même mère ou de mères différentes » et « tous les autres ». Les demi-frères et sœurs utérins côtoient donc, dans cette deuxième catégorie, les « quasi-frères et sœurs » (« germains nés d’un mariage antérieur du conjoint actuel du géniteur ») et les germains adoptés. (Massard 1988 : 43.)
26A ces représentations qui différencient symboliquement le lien fraternel utérin et le lien fraternel consanguin doit cependant correspondre le vécu de la fraternité, à travers la cohabitation, la coéducation des frères et sœurs. L’enfant peut se situer très différemment au sein de sa fratrie recomposée selon qu’il fait référence à son père ou à sa mère en évoquant son parent gardien (Hurstel, Carré 1993), et selon qu’il vit au quotidien avec les enfants de l’un ou de l’autre. Or, le vécu partagé de l’enfance se trouve assuré beaucoup plus souvent chez la mère que chez le père, puisque c’est auprès de la mère et donc de ses demi-frères et sœurs utérins, que l’enfant vit le plus souvent au quotidien…5.
27De plus, la filiation consanguine, dans son fondement biologique, n’est pas soumise aux mêmes étapes, aux mêmes passages que la filiation utérine : un père peut avoir en même temps deux enfants de deux femmes différentes, alors que les enfants communs d’une femme ne pourront jamais que se succéder. Un homme peut de même procréer plus tard qu’une femme, ce qui semble se produire dans les familles recomposées, lorsqu’un père remarié donne tardivement naissance à un nouvel enfant avec une femme plus jeune que lui. La plus grande indépendance du lien paternel aux critères qui ordonnent la fraternité biologique « entière » apparaît ainsi dans des situations qui semblent plus nombreuses chez les pères que chez les mères, les hommes ayant des enfants de leur seconde union plus souvent et plus tard que les femmes6. « Dans les unions masculines tardives, note Michel Bozon, il existe (…) un mécanisme qui produit de grandes différences d’âge en faveur des hommes. On en retrouve les manifestations dans les secondes unions. » L’écart d’âge moyen entre époux au second mariage des hommes est de 63 mois (Bozon 1990 : 333-334). Ceux que nous avons pu rencontrer dans nos enquêtes oscillent entre 5 et 15 ans et les pères qui se remarient avec des femmes plus jeunes qu’eux donnent naissance à des enfants qui sont de 10 à 20 ans plus jeunes que leur demi-frère ou leur demi-sœur du premier lit. L’observation de ces situations ne peut nous permettre de conclure à un comportement statistiquement majoritaire, mais il semblerait que la distance générationnelle ait des chances d’être plus importante chez les demi-frères consanguins que chez les demi-frères utérins. Elle induit dans ces situations une fraternité qui se passe plus souvent du vécu commun de l’enfance, puisque le « grand frère » ou la « grande sœur » est beaucoup plus âgé(e) que le nouvel enfant et a parfois quitté la maison parentale lorsque naît celui-ci. Les demi-frères et sœurs consanguins vivent alors des enfances distinctes et séparées dans le temps comme dans l’espace, ce qui donne lieu à une fraternité plus « distante », comme l’exprime cette jeune femme : « Mes sœurs ne me connaissent pas, je ne les vois qu’une fois par an. Pour elles, je suis la grande sœur inconnue, un peu mythique. Je vis loin, j’ai un copain, je conduis une voiture… C’est bien, mais c’est bizarre… »
28Les enfants de la constellation familiale recomposée peuvent cependant être réunis par un père commun, en particulier dans le cadre de la quasi-fraternité. C’est, logiquement, parce que le père a la garde de ses enfants que les deux nouveaux conjoints peuvent vivre au quotidien auprès de leurs enfants respectifs, ce qui est le cas de huit familles sur vingt dans notre enquête.
29Qu’en est-il à présent de la réalité de cette cohabitation entre les enfants réunis par la recomposition familiale, et de sa traduction en termes de « fraternité » ?
Un nouveau couple… et de nouveaux frères
30La quasi-fratrie « cohabitante » est le lieu où s’illustre le plus clairement l’importance de la corésidence. Lorsque sont réunis des enfants qui n’ont pas d’ascendant commun, dont aucun préalable ne justifie la fraternité, le partage quotidien d’un lieu familial vient inaugurer le lien fraternel. Jeanne, dont la mère vient d’épouser le père de son amie d’enfance, raconte ainsi :
C’est à la fois difficile et très ambigu parce que… Avec Pauline on était très copines avant, depuis qu’on était petites… On faisait de la danse ensemble, on était dans le même collège et on s’entendait très bien. Et du jour au lendemain, on se retrouve sous le même toit… Il y a eu un moment de contentement, parce qu’on était contentes d’habiter avec une copine, et puis en même temps c’était pas évident parce que c’étaient des relations tout à fait nouvelles qui commençaient.
31C’est en effet sous le signe du parental que s’organisent, au sein du foyer, les relations des demi et quasi-frères et sœurs : les récits détaillés des aménagements du nouveau lieu de vie, des premiers repas pris ensemble en disent long sur l’importance de ce lieu où se joue l’existence du foyer recomposé en tant que famille.
32Mais lorsque les enfants se rencontrent dans le nouveau foyer fondé par leurs parents, le lien biologique qui unit les « vrais » frères et sœurs délimite encore les frontières des familles d’origine, et s’affirme au travers des distinctions que marquent les habitudes de vie, les pratiques familiales, héritages et traces de l’histoire de chacun (Théry 1996).
33Les adultes constatent ces différences, dont il se sentent aussi responsables en tant que parents, car créer une « nouvelle fratrie », c’est aussi imposer à l’autre ses enfants, leur mode d’être et de vivre, témoins d’un passé que chacun doit accepter, assumer. Florence vit depuis deux ans avec un homme veuf et père de deux enfants, dont les habitudes et les comportements la choquent et la gênent parfois. Son propre fils adolescent, dernier né de sa fratrie, se rend au foyer maternel chaque week-end.
C’est vrai que quand Benjamin est là, par moments… Quand il est bien ça va. Mais quand il est tendu moi je suis terriblement mal à l’aise. Et c’est pas dû à lui, mais c’est parce que ça complique terriblement… Par exemple Benjamin met sa musique très fort. Et ça Julien ne supporte pas. Alors quand ça arrive et quand je suis là, j’anticipe, et je le dis à Benjamin. Je le fais passer comme si c’était moi que ça gênait.
34Les comportements les plus anodins deviennent ici source de « terribles complications », parce qu’ils sont les marqueurs des différences, les témoins d’une histoire passée qui demeure et vient briser l’harmonieuse unité du nouveau foyer. Comme le dit William Beer, les nouveaux quasi-frères et sœurs peuvent être perçus comme des « envahisseurs » et le temps de l’adaptation, de l’apprentissage de la communauté de vie peut être long. (Beer 1988 : 115.)
35Ces modes de vie différents réunis sous un même toit du fait de la recomposition familiale disent aussi l’unité de la fratrie d’origine, face à l’enfant unique venu d’ailleurs. Jeanne, âgée de 17 ans au moment du remariage de son père, décrit ainsi le sentiment d’exclusion qu’elle ressentit face à ses trois nouveaux « frères et sœurs », âgés respectivement de 19, 18 et 10 ans :
J’ai toujours une angoisse avec eux, c’est quand ils sont trois. Au début, quand j’arrivais, moi j’ai toujours eu l’habitude de me changer trois fois par jour, je mets facilement mon linge à laver, et eux pas du tout, alors on me faisait des répliques, des petits trucs. Bon, c’est pas grave, mais eux ils allaient ensemble chez leur père, ils allaient ensemble chez leurs grands-parents et moi je me retrouvais toute seule. Un jour je l’ai dit à Pauline : « Vous vous êtes trois, et vos réflexions, vous croyez que c’est rien, mais ça me touche. » Et elle m’a dit : « Mais moi j’ai toujours rêvé d’avoir une petite sœur et avec toi c’est ça », et à partir de là c’est vrai que je me suis sentie mieux avec eux.
36L’adolescente est ainsi intégrée au rang de « sœur cadette », en fonction de son âge et de celui des autres enfants, au sein de la nouvelle fratrie cohabitante.
37Chacun doit donc trouver sa place dans la fratrie recomposée, une place différente de celle qu’il détenait auparavant. La réordonnance de l’entité fraternelle se réalise dès lors non plus en fonction du lien de filiation et de l’ordre de naissance que fondait la fratrie d’origine, mais selon deux logiques : celle de l’égalité de traitement, qui situe les enfants dans une même position de « frères et sœurs », et celle de l’âge, qui distingue au sein du foyer les aînés et les cadets de la fratrie recomposée.
Le traitement égalitaire des « frères et sœurs »
38« Construire » le fraternel suppose donc, dans les quasi-fratries, de transcender les frontières instaurées à la fois par le lien consanguin qui donnait aux enfants leur place dans la fratrie et par les héritages familiaux que chacun porte en lui. « Aimés également, les enfants doivent être traités à l’identique », écrit Irène Théry dans son analyse des représentations liées au lien fraternel contemporain. (Théry 1996 : 161-162.) L’assimilation des enfants au rang de frères et sœurs induit en effet, dans la vie quotidienne de la famille recomposée, la notion de partage égalitaire : partage matériel et affectif qui établit pour tous la même position générationnelle, le même statut de « frères ».
39L’idée d’égalité entre les « frères et sœurs » de la famille recomposée est tout d’abord exprimée de façon très claire dans le rapport à l’espace domestique et dans sa répartition. Lorsque la famille en a les moyens, les enfants de la quasi-fratrie doivent avoir chacun « leur place », et le choix de chambres équivalentes est souvent l’objet de récits longs et détaillés de la part des parents et des beaux-parents : « Les questions de place, c’est encore plus cru, ça apparaît de façon encore plus nette que dans les familles traditionnelles », commente une mère et belle-mère après avoir énuméré dans le détail l’aménagement et la répartition des chambres entre les membres de la fratrie recomposée. Les enjeux de cette égalité nécessaire entre chacun des « frères » et « sœurs » sont en effet décuplés, car il s’agit ici de transcender les différences d’origines des enfants par l’établissement d’une fraternité fondée d’abord et seulement par la cohabitation.
40Il en va de même pour les règles de vie qui, dans la vie quotidienne, valent également pour chacun des enfants vivant au foyer recomposé. Il importe, en particulier pour le parent-beau-parent, de « ne pas faire de différences », même si ce souhait s’avère fort difficile à réaliser concrètement, puisqu’il induit la question des prérogatives parentales et beau-parentales au sein du foyer… Une mère et belle-mère dit ainsi : « Très souvent, si j’ai envie de râler par rapport à Grégoire (le fils de son mari) je me dis : et si c’était Benjamin ? (son propre fils), et je transpose. » Si Florence exprime ainsi sa peur de l’injustice, c’est aussi parce que son beau-fils est orphelin de mère, alors que son propre fils a toujours des relations avec son père non gardien. Lieu de convergence de passés différents et de situations diverses, le foyer recomposé doit aussi gérer l’inégalité des situations familiales des enfants pour instaurer l’équivalence dans la nouvelle fratrie cohabitante.
41Lorsque les enfants continuent d’entretenir des relations avec leurs deux parents, c’est aussi par le biais de cette vie communautaire que le conjoint du parent, qui ne vient pas prendre la place du parent non gardien, trouve un statut « parental », puisque dans la règle égale pour tous s’affirment aussi des attitudes identiques de la part des adultes envers leurs enfants et beaux-enfants. Le domaine du « vivre ensemble » devient le lieu du parental et de son affirmation, à l’égard d’une fratrie dont l’existence renvoie à la redéfinition de l’ensemble des liens constituant la nouvelle entité familiale.
42Anne raconte ainsi de quelle façon son frère et la fille de son beau-père, nés la même année, étaient traités au sein du foyer de façon identique par sa mère et par son beau-père :
Guillaume et Julie c’était un ensemble. Quand il y avait du chahut, c’était ma mère qui allait râler, aussi bien pour l’un que pour l’autre. Je pense qu’il n’y avait pas tellement de distinctions entre l’un et l’autre. (…) Ça se passait bien justement parce qu’Alain (le beau-père) supervisait un peu les deux qui avaient le même âge. Donc dans la mesure où il éduquait sa fille, il éduquait en même temps Guillaume, mais à partir du moment où sa fille est partie (…) il a cessé un peu de s’occuper de Guillaume, peut-être, il a plus voulu avoir une certaine autorité sur lui…
43La cohabitation crée ainsi un espace où le lien de filiation biologique perd de son importance dans une répartition nouvelle des relations « adultes-enfants », définies par la place que les enfants occupent ou non au sein du foyer. Jean, père et beau-père de trois enfants vivant dans sa maison, constate que la communauté de vie crée pour lui une fonction parentale spécifique. S’il traite également l’ensemble des enfants cohabitants de la fratrie recomposée, il en va différemment avec la fille aînée de son épouse qui ne vit pas avec eux au quotidien.
Avec Céline il y avait des possibilités de conflits, mais moi je ne disais jamais rien. Il y avait des choses qu’on interdisait aux trois autres, et quand Céline venait, comme elle vient beaucoup moins souvent, je la laissais faire. J’ai plus de difficulté avec elle parce qu’elle ne vit pas là. Avec les autres c’est beaucoup plus facile. Il y a toute une échelle.
44La référence à la norme égalitaire permet ainsi, au sein du foyer recomposé – et seulement en son sein ? – d’affirmer l’existence du familial et des statuts qu’il attribue aux nouveaux acteurs de la recomposition.
Recomposer l’ordre de la fratrie
45Si la fraternité recomposée assimile les enfants à des frères en les situant à un niveau identique face au couple des adultes, elle est aussi le lieu de la distinction et de la hiérarchie. La fraternité se réalise en effet dans « un ordre de succession des naissances au sein d’une même fratrie », qui « fait reconnaître des aînés et des cadets ». (Héritier 1981 : 12.) Ainsi, dans toute société, chaque enfant se voit-il attribuer un statut différent en fonction de son rang de naissance. « La réalité de la discontinuité et de l’inégalité d’âge qui marque les fratries existe bien et semble reconnue de façon quasiment universelle. » (Ravis-Giordani, Segalen 1994 : 13.)
46Dans la société malaise, les transferts d’enfants occasionnent des changements de position dans la fratrie :
Il y a de fortes chances que l’enfant déplacé devienne un « cadet » dans la cellule qui l’accueille. Quelle qu’ait été sa position dans la chronologie des naissances de sa famille biologique, il sera souvent le dernier enfant élevé par sa nouvelle mère dont les aînés peuvent être déjà adolescents, voire adultes. (…) en revanche, s’il est confié à un couple stérile, il vivra ses jeunes années aux côtés d’un ou deux autres enfants adoptés, occupant l’une des positions-clés de la fratrie. (Massard 1992 : 43.)
47Dans les familles recomposées occidentales, la naissance qui fonde l’existence et la distinction des statuts des frères et sœurs est remplacée par l’adjonction soudaine, auprès d’un enfant, d’aînés et de cadets, parfois de « frères » séparés de lui de moins de neuf mois, sans que la procréation et le temps vécu ensemble assurent et ordonnent leurs statuts respectifs. (Théry 1996.) Se rencontrent aussi dans les familles recomposées des fratries déjà constituées, et les places généalogiques que fondait le rang de naissance sont à redéfinir.
48Dans ces fratries « inventées », unies par le couple des parents, il faut alors recomposer l’ordre des naissances comme on recompose celui de la filiation. L’adjonction de « frères et sœurs » auprès de l’enfant induit en effet pour lui un déplacement, soit par rapport à sa fratrie d’origine, puisqu’il ne va plus forcément occuper la place d’aîné ou de cadet qu’il avait auparavant, soit à l’égard de sa situation antérieure d’enfant unique. Les rivalités naissantes opposant les quasi-frères et sœurs traduisent les difficultés qu’occasionne ce bouleversement d’un ordre antérieur. Ce sont en effet moins souvent les enfants d’âge équivalent qui sont en conflit, que ceux qui détenaient dans l’entité parentale d’origine un statut privilégié :
Pour Jeanne, raconte un père remarié, il y a peut-être eu des problèmes parce qu’elle est passée d’une famille réduite à sa plus simple expression à une famille beaucoup plus importante. Alors que les autres étaient quand même habitués à… ils étaient trois, ils étaient habitués à un système de concessions, à ce qu’on ne s’occupe pas forcément tout le temps d’eux, Jeanne, elle, était un peu au centre, avant. Donc il y a eu des jalousies entre Jeanne et Christophe, qui était le petit, à la fois pour ses sœurs et pour sa mère. Et c’est vrai que pour lui aussi, ça a changé beaucoup de choses.
49La réordonnance des places générationnelles se réalise alors selon l’ordre chronologique des naissances, même si ces dernières correspondent à des origines différentes. Le partage qui doit transcender les limites du sang s’effectue, au sein de la fratrie recomposée, non plus selon l’affiliation de chacun des enfants mais en fonction de leur âge. Grands et petits n’ont pas les mêmes prérogatives au sein du foyer, et passent aussi par des étapes différentes hors de la vie familiale, en particulier dans le domaine scolaire. Dans la fratrie recomposée, les écarts d’âge qui séparent habituellement les frères et sœurs consanguins peuvent être diminués, voire absents, ce qui tend à faciliter le partage, pour les « frères et sœurs » d’âge équivalent, d’une vie et d’une expérience commune, dans la famille et hors de celle-ci. William Beer évoque à ce sujet des « coalitions » basées sur des stades similaires de l’enfance, vécus au même moment par les quasi-frères et sœurs (Beer 1988 : 118). La distinction hiérarchique des statuts qui se réalise alors s’illustre par exemple dans le partage d’une chambre commune pour les quasi-frères « cadets » au sein de la nouvelle maison familiale. Quand la recomposition de la famille induit un déménagement, un changement de lieu et de ville pour tous les enfants de la fratrie recomposée, l’égalité des statuts des enfants d’âge équivalent s’illustre parfois dans leur inscription dans la même école ou le même lycée.
Guillaume et Julie avaient le même âge, alors cette année-là, ils étaient dans la même école, la même classe, ils faisaient leurs devoirs ensemble.
Pauline et Jeanne sont arrivées à la rentrée de l’an dernier, toutes les deux dans le même lycée, au même moment, donc elles avaient à découvrir le même lycée ensemble. Je pense qu’elles se sont rassurées mutuellement. Elles étaient deux à franchir la rentrée quoi.
50Plus tard, ce partage peut s’incarner dans le choix d’un appartement commun pour les enfants respectifs d’un couple remarié, pendant le temps de leurs études. Karine fut ainsi obligée de prendre un appartement avec le fils de sa belle-mère lorsqu’elle partit faire ses études : « Ce sont les parents qui ont décidé », raconte-t-elle. A travers cette cohabitation imposée, c’est le statut identique de ces deux « frère et sœur » qui est maintenu par les parents par-delà le départ des enfants du foyer recomposé.
51Une relation aîné-cadet, qui prend diverses formes, s’organise aussi dans la fratrie recomposée. Le plus grand apparaît souvent sous les traits du modèle ou de l’initiateur. Nathalie décrit ainsi l’attitude de son petit frère et de la fille de leur beau-père, un peu plus âgée : « Mon frère suivait tout ce qu’elle faisait, tout ce qu’elle disait c’était parole d’évangile, c’était vraiment un moteur pour lui. »
52Lorsque Jean-Marc se remaria, son fils adolescent se trouva nanti de trois « grandes sœurs » :
Elles étaient grandes, lui c’était le petit, il était heureux. Il avait 16 ans, c’est un âge que je trouve un peu précoce pour aller en boîte. Avec des grandes filles, avec des grandes sœurs ça allait très bien. (…) Et lui c’est tout ce qu’il voulait, il avait des grandes sœurs, puisqu’il les appelait ses grandes sœurs, et ça allait lui ouvrir tout un tas de portes quoi.
53Ainsi, constate William Beer, l’ordre des âges change dans la fratrie recomposée, puisque ces âges sont multipliés et réordonnés en fonction du nombre d’enfants réunis par la recomposition. Cependant, dit-il, l’ordre biologique reste le même dans la relation des enfants de la fratrie consanguine à leur parent biologique. (Beer 1988 : 122.) Deux types de hiérarchies s’instaurent donc dans la famille recomposée : l’une qui correspond à la recomposition, et que nous situons au sein du foyer recomposé, et l’autre, qui ne concerne que les relations des frères et sœurs de sang, à l’égard de leur ascendant commun.
La circulation des biens matériels dans la famille recomposée : le don et l’égalité des frères
54Au-delà de la gestion quotidienne de la vie familiale recomposée, ce sont les dons et la circulation des biens matériels qui viennent le mieux traduire le désir d’une égalité statutaire entre les enfants.
55Les cadeaux faits aux enfants se veulent par exemple équivalents lorsqu’ils sont offerts par le couple du parent et du beau-parent, instituant ce couple en entité parentale face aux « frères et sœurs » considérés comme égaux. Ces dons prennent une dimension plus significative encore lorsqu’ils viennent de l’entourage familial plus lointain. Le rôle des grands-parents est ici très important, car il donne au lien demi-fraternel une dimension nouvelle, hors du cercle réduit du foyer recomposé. Andrew Cherlin et Franck Fustemberg constatent à ce sujet « la variabilité extrême des rôles joués par les beaux-grands-parents dans la vie des enfants. De l’absence de tout contact à un rôle grand-parental, tout est possible et dépend de l’investissement du grand-parent lui-même ». (Cherlin, Fustemberg 1995 : 48.) Cet investissement, lorsqu’il a lieu, détient en tout cas une importance fondamentale pour la consolidation du groupe des enfants réunis par la recomposition en tant que fratrie. Didier Le Gall et Claude Martin évoquent ces « beaux-grands-parents », et les relations qu’ils entretiennent avec les enfants de la fratrie recomposée, selon une logique qui dit « la primauté de la norme égalitaire ». (Le Gall, Martin 1996 : 219.) Les grands-parents communs aux demi-frères et sœurs, où les grands-parents d’un seul enfant de la demi ou de la quasi-fratrie, se font parfois un devoir d’offrir à tous les enfants de la fratrie recomposée une part égale qui vient dire l’égalité des statuts à travers les cadeaux d’anniversaire et de Noël. « Il est de la famille, après tout », dit-on pour justifier l’intégration au groupe familial du demi-frère ou de la demi-sœur du petit-fils. Le caractère essentiel de ces dons apparaît de façon récurrente dans les témoignages des parents et des enfants, comme le signe de « l’intégration » du quasi-frère ou de la quasi-sœur à la fratrie d’origine et à la famille. « C’est l’égalité totale », disent les parents, ce qui signifie que les grands-parents « comptent » le nouvel arrivé « dans leurs petits-enfants », « qu’il est intégré » au groupe des frères et sœurs.
56Ces dons qui disent l’unité de la fratrie et de la famille recomposée s’avèrent très fortement liés aux situations de cohabitation, au partage quotidien de l’espace familial avec les « frères et sœurs » et avec le beau-parent. Jean-Marc, père non gardien, explique ainsi à sa femme pourquoi ses propres parents « comptent » le fils de celle-ci comme un petit-fils aux côtés de leurs petits-enfants biologiques, alors que les parents de son épouse distinguent plus clairement les origines de chacun des enfants de la fratrie recomposée, dans leur relation plus distante aux enfants de Jean-Marc.
Oui, et puis c’est quand même un truc miroir. C’est-à-dire que mes enfants, tes parents les voyaient très peu. Par rapport à ce que mes parents voient ton fils. Dans la mesure où il vit là, mes parents l’ont beaucoup plus vu parce que quand ils venaient, il était là, les week-ends on allait chez eux, il était là, il était toujours là.
57Andrew Cherlin et Franck Fustemberg soulignent aussi l’importance de l’âge de l’enfant au moment de la recomposition du foyer, ainsi que les différences que crée le lieu de résidence de l’enfant pour l’établissement de la relation beau-grand-parentale. (Cherlin, Fustemberg 1995 : 47.) L’intervention des ascendants dans l’affirmation d’une fraternité égalitaire unissant tous les enfants de la famille recomposée montre à quel point le lien fraternel porte en lui la définition de l’ensemble de la constellation recomposée comme « famille », constituée non plus seulement autour du lien biologique, mais aussi sur les relations créées par la communauté de vie.
58Dans cette circulation de biens caractérisée par le don, la transmission patrimoniale et ses modalités tiennent la place ultime et la plus signifiante. « Quand un veuf épousait une veuve et que l’un et l’autre avaient des enfants de leur premier mariage, ils pouvaient par l’affrérissement faire que ces enfants fussent traités comme des enfants communs, du point de vue de la succession. » (D’Angely 1877 : 128.) Maurice d’Angely cite ici la coutume de Saint-Amand, qui comportait sous l’Ancien Régime une règle permettant d’instaurer une transmission égale entre tous les enfants de la famille créée par le remariage. Cette « fabrication » d’héritiers correspondait avant tout à une logique de captation et de protection patrimoniale, à une époque où l’adoption n’existait pas en France.
59La transmission des biens dans la famille s’est depuis lors profondément transformée, dans sa forme comme dans la signification qu’on lui attribue. L’égalité successorale de principe entre tous les enfants d’une fratrie consanguine a remplacé en France la règle de primogéniture qui permettait de préserver l’intégrité du bien dans la famille en privilégiant l’un des frères. Justifiée par « l’amour parental », qui dit aussi la valeur nouvelle que l’on attribue à l’enfant (De Singly 1993 : 20), cette égalité statutaire entre les frères et sœurs est aujourd’hui inscrite dans le droit et revendiquée par certaines familles recomposées parce qu’elle est aussi, pour la fratrie, « symbole d’unité dans et par l’identité ». (Théry 1996 : 161.)
Aujourd’hui, les intéressés sont moins soucieux d’assurer la transmission des biens dans leur famille d’origine que de traduire patrimonialement les liens personnels qui se sont créés entre eux et leurs beaux-enfants. (…) beaux-pères et belles-mères s’adressent de plus en plus souvent à un notaire pour lui demander comment partager équitablement leurs biens entre les enfants de la nouvelle constellation familiale : frères et sœurs, demi-frères et demi-sœurs, « quasi » frères et sœurs. A affection égale, droits égaux. (Fulchiron 1993 : 284.)
60Il importe en effet d’offrir à des enfants que l’on a aimés et élevés ensemble et de la même façon une part de biens identique au moment de la transmission. Donner à deux enfants issus de filiations différentes l’équivalent matériel de ce qu’ils ont reçu ensemble de soins et d’éducation depuis leur plus jeune âge mène à son terme l’assimilation des enfants à des « frères » considérés comme égaux par leur histoire et par la place qu’ils occupent dans le foyer recomposé.
61Le processus de transmission unit ainsi en dernier recours les frères et sœurs liés par la recomposition. L’exemple de la maison familiale, achetée par le nouveau couple et transmise aux enfants de la fratrie recomposée, incarne au plus haut point cette idée d’un partage unificateur, qui s’institue dans la passation des biens du couple des parents au groupe des enfants. Transposée dans les familles recomposées, la transmission de la maison analysée par Anne Gotman dans les familles « classiques » dit l’importance du partage qui, par-delà la disparition des parents, institue l’unité de la fratrie recomposée réunie dans une seul lieu, « siège d’une temporalité longue qui excède également la périodisation sociale de l’élevage des enfants ». (Gotman 1991 : 179.) La transmission des ascendants aux descendants divers de la famille recomposée fonde ainsi « l’horizontalité » des liens, assurant la survivance de la fraternité par-delà la disparition du couple des parents.
62L’égalité statutaire des demi et quasi-frères et sœurs traduit aussi l’existence des liens parentaux et beaux-parentaux qui se veulent ensemble vecteurs de transmission.
63Mais le droit ne reconnaît pas comme telle la relation beau-parentale. « L’idée de partager des biens entre personnes d’origine familiale différente ne suscite en droit qu’indifférence et hostilité. » (Fulchiron 1993 : 291.) Dans le cadre de la demi-fraternité, les enfants issus d’un seul ascendant ont à son égard des droits de succession identique. Il est alors possible, pour le nouveau couple, d’établir par contrat de mariage une répartition des biens telle que l’enfant du premier lit héritera de la même quantité de bien que son demi-frère ou sœur. (Fulchiron 1993.) C’est ainsi qu’ont procédé la mère et le beau-père de Julie, qui a une sœur entière, un demi-frère et une demi-sœur : « Quand ils se sont mariés, il ont trouvé un régime de mariage qui soit le plus égalitaire possible entre tous les enfants. »
64L’importance du lien de fratrie, qui permet au beau-parent de transmettre indirectement la moitié de ses biens au demi-frère ou à la demi-sœur de son enfant s’illustre ainsi dans le jeu de la transmission patrimoniale.
65Lorsque les enfants réunis par la recomposition familiale ne partagent aucun ascendant, les procédés qui permettent de détourner les obstacles mis par le droit à la transmission des biens entre beau-parent et bel-enfant s’avèrent complexes, onéreux ou précaires. Il demeure difficile de passer outre le procédé de l’adoption simple7, « voie royale des transferts patrimoniaux dans les familles recomposées ». (Fulchiron 1993 : 295.) Cette adoption vient en dernier lieu affirmer l’intention de cette transmission égalitaire : que fait le beau-parent, si ce n’est créer, hors de l’espace intime et privé du quotidien, un véritable lien d’affiliation ? En donnant à son bel-enfant l’équivalent de ce qu’il donne à son enfant biologique, il se place avec lui dans une succession généalogique, donnant une dimension temporelle nouvelle au lien qui les unit : « l’héritage inscrit le défunt dans un statut d’ancêtre et l’héritier dans un rôle de successeur. » (Lafferre, Gotman 1992.) « Hériter de », c’est devenir « enfant de »…
66Ce désir de transmettre une part égale à tous les enfants vivant au foyer recomposé, sans considération des liens de filiation et des origines différentes de chacun paraît de plus intrinsèquement lié à l’expérience partagée que représente la communauté de vie au sein du foyer recomposé. Il n’intervient en effet, dans nos enquêtes, que lorsque les enfants ont été élevés ensemble, par le parent et le beau-parent.
67Lorsque la recomposition des liens familiaux est advenue plus tard dans la vie des enfants et que ceux-ci n’ont pas été élevés ensemble, la question de la succession n’est pas posée en termes de partage égal, à moins que chacun revendique sa part dans une atmosphère qui devient souvent conflictuelle. Après la mort de son père, les relations difficiles qu’avaient toujours entretenues Anne et sa belle-mère ont éclaté en conflit ouvert, autour de la douloureuse question que posait la répartition du patrimoine paternel entre les enfants du premier lit et la seconde épouse du père. Décrivant ces conflits, Anne évoque Brigitte, la fille de la belle-mère, qu’elle appelait sa sœur parce qu’elle la trouvait « sympa ».
Brigitte ne s’est pas du tout, elle n’a pas voulu se mouiller quoi, parce que… Bon elle est obligée de rester derrière sa mère, c’est avec sa mère qu’elle aura des relations maintenant, c’est pas avec nous. Donc elle est restée vraiment très neutre, “bonjour-bonsoir”, je n’ai pas du tout discuté avec elle.
68Ici, la transmission sépare les enfants de la fratrie recomposée au lieu de les unir, et la référence à la filiation d’origine demeure première, face à la disparition du couple qui créait la « fraternité » des deux filles.
69Seule la communauté de vie, la coéducation instituées dans le temps long de l’enfance semblent permettre de transcender, dans et par le passage du temps et des générations, les limites instaurées par les origines biologiques de l’enfant pour faire l’objet d’une traduction juridique des liens familiaux recomposés.
70Ce dernier élément vient affirmer l’importance du partage qui fonde la fraternité dans le temps comme dans l’espace et vient à terme l’instaurer à travers le don, par-delà la disparition du couple qui réunissait les enfants.
71Face à la question d’une transmission égalitaire entre des enfants non apparentés, la corésidence comme lieu de l’enfance commune et comme élément de la fraternité vient enfin interroger l’élaboration d’une définition juridique plus vaste du lien fraternel. Celui-ci peut-il continuer de n’être fondé que sur la notion d’ascendance commune, quand un nombre croissant d’enfants non liés par le sang grandissent ensemble dans un même foyer ? Il semble qu’à travers la jurisprudence, apparaisse l’idée d’une fraternité fondée sur les « faits », y compris lorsque l’on ne considère que les frères et sœurs de sang : sont frères
ceux qui vivent en frères (…). C’est la possession d’état de frère – par tractatus plus que par nomen – qui fait reconnaître la fraternité. Les effets de droit sont donnés moins à la fraternité légale qu’à la fraternité en acte saisie dans la vérité des rapports fraternels8. (Cornu 1992 : 140.)
72La corésidence et la coéducation d’enfants non liés par une ascendance commune représentent ainsi des notions de « fait » que le droit lui-même interroge afin de mieux aborder la réalité des relations familiales contemporaines. Elles sont dans les familles recomposées le principal support et la justification la plus évidente de la « fraternisation » des enfants non apparentés de la nouvelle constellation familiale.
La fraternité « sans partage » ?
73La fratrie recomposée ne peut cependant être réduite au groupe des enfants qui vivent au quotidien dans un même foyer. L’emploi des termes « frère et sœurs », dans les familles recomposées n’est d’ailleurs pas forcément soumis à la réalité d’un partage quotidien de la résidence, ne repose pas toujours sur un passé commun. Qu’en est-il de cette fraternité « sans partage », de quelle façon peut-elle être vécue et instaurée entre les frères, les demi-frères et les quasi-frères qui ne vivent pas ensemble ?
Quand les frères et sœurs sont séparés
74Les frères et sœurs de sang sont tout d’abord plus souvent qu’on ne le pense, et contrairement aux représentations et aux discours qui tendent à affirmer la nécessité et la préservation de leur réunion, séparés par les aléas de la recomposition familiale (Théry 1996 : 160). Ces situations induisent un vécu particulier du lien fraternel, qui repose dès lors moins sur le partage d’une enfance commune que sur la consanguinité. La séparation des parents peut tout d’abord entraîner celle des enfants : Véronique raconte ainsi de quelle façon ses relations avec son frère ont évolué après la séparation de leurs parents. Tandis qu’elle demeurait avec son père, son frère avait décidé de vivre chez leur mère. Un jour vint où Valérie dut le rejoindre chez celle-ci, son père n’étant plus en mesure de l’accueillir chez lui.
Avec mon frère, pendant cette période-là, ça a été très dur. C’est arrivé à un point où je le haïssais. Le truc, c’est que mon frère avec mon père et moi, il trouvait pas vraiment sa place, alors qu’avec ma mère il était bien. Et moi quand je suis arrivée chez ma mère c’est pareil, je me suis trouvée dans la même situation, je trouvais pas ma place.
75Cette séparation des frères et sœurs peut aussi induire un changement de statut dans la fratrie, puisqu’il devient dès lors possible, pour l’enfant qui laisse son ou ses frères pour aller vivre chez l’autre parent, de passer par exemple d’une place de cadet ou d’aîné à une situation quotidienne « d’enfant unique ». La circulation des enfants entre les différents foyers, le temps qu’ils y passent, la place qu’ils y occupent, est aussi fonction de leurs choix, des réponses qu’ils donnent aux événements de la recomposition familiale, passant parfois d’une « fratrie » à l’autre. Une mère raconte ainsi : « Mon fils est parti vivre chez son père il y a deux ans, c’est-à-dire quelque temps après la naissance de sa sœur (sa demi-sœur, fille de la mère et du beau-père). Et son père envisage de faire un enfant, alors il revient à la maison. Décidément, on n’est tranquille nulle part… »
76Les changements de foyer des enfants de la fratrie consanguine sont enfin synonymes de conflits et de ruptures dans les relations parents-enfants. Une jeune femme raconte :
Quand ma mère s’est remariée je suis allée vivre avec mon père, parce que je ne m’entendais pas du tout avec mon beau-père. Mon frère et ma sœur étaient plus jeunes, alors on ne leur a pas demandé leur avis, mais après ils sont partis. On est tous partis de chez ma mère pour aller vivre chez mon père.
77Dans la fratrie consanguine, l’espace est ainsi démultiplié en plusieurs entités affectives et familiales, à l’image des liens qui se constituent au cours de la recomposition. Cette nouvelle ordonnance des lieux de la vie de famille révèle un « choix » possible entre les différentes unités spatiales et parentales qui composent la constellation recomposée tout en introduisant une certaine distance au sein de la relation fraternelle, qui se joue aussi dans la différence et l’inégalité des positions.
La fratrie non cohabitante : inégalités et rivalités
78Qu’en est-il enfin des relations fraternelles entre les enfants qui ne partagent pas le même foyer au quotidien, que ceux-ci soient frères, demi-frères ou quasi-frères ?
79Au sein du foyer, prôner le don d’une part égale et identique à chacun des enfants réunis par la nouvelle union des parents répond à la nécessité de « dire » le fraternel pour le faire exister dans la communauté de vie qu’induit la recomposition. Mais si l’on considère soit la fratrie consanguine, soit l’ensemble de la fratrie recomposée, dont les membres ne vivent pas forcément tous au même endroit, le discours qui tendait à égaliser les frères et sœurs s’avère plus nuancé.
80Ainsi, l’espace réservé à l’enfant qui vit au quotidien au sein du foyer recomposé et à celui qui n’y passe que quelques jours par mois est rarement le même. Une mère explique, au sujet de son fils qui revient vivre au quotidien dans la maison maternelle : « Quand Daniel reviendra il lui faudra une chambre à lui quand même. Qui ne soit pas une chambre de passage, il faut qu’il soit plus installé. » Si des contraintes matérielles justifient souvent cette répartition, d’autres éléments entrent en jeu.
81Car à ce partage de l’espace entre les enfants correspondent des choix : celui de l’enfant, qui est parfois en droit d’accepter ou de refuser de vivre chez l’un de ses parents, et celui du parent, qui donne en retour une place à cet enfant, dans sa maison.
82Une mère évoque ainsi l’aménagement de la nouvelle maison, qu’elle habite avec sa fille et son nouveau conjoint, mais dans laquelle son fils n’a pas voulu vivre.
Romain a une chambre ici. Là-haut normalement, c’est l’espace enfants. J’aurais voulu que ce soit deux chambres vraiment bien séparées, et c’était de toute manière le projet, mais étant donné que Romain n’a pas voulu revenir… Quand il vient il a son espace mais il ne peut pas se fermer à clé, s’isoler complètement. S’il avait été là on aurait fait des travaux…
83Karine avait refusé d’aller vivre au quotidien avec son père et sa belle-mère, au contraire de sa sœur. Elle se rendait cependant en visite chez son père et sa belle-mère lors des week-ends.
Dans la maison, il y a quatre chambres : la chambre de mon père et d’Annie, la chambre de François (le fils de la belle-mère), la chambre de ma sœur, et la quatrième chambre qui n’a jamais été faite en chambre. Qui aurait dû être la mienne. Ils ne l’ont jamais aménagée, c’était la pièce qui servait un peu à tout. D’ailleurs je leur ai jamais demandé. J’ai laissé faire.
84Dans cette répartition des lieux, il y va de l’inscription de l’enfant dans un espace qu’il considère ou non comme familial, comme étant ou non le sien. Une mère « gardienne » compare ainsi son fils qui vit avec elle, et les enfants de son conjoint, qui ne viennent que le week-end. « Daniel dit “chez moi”, c’est logique. Nicolas et Rachel non. Ils doivent dire “chez leur père”. Cette appropriation de l’espace familial, qui se réalise différemment pour chaque enfant de la fratrie recomposée comporte d’importantes implications. Comme le dit une belle-mère, cela revient pour l’enfant qui ne vit pas au quotidien dans le foyer recomposé à aborder tous les quinze jours « le territoire de l’autre », au sein duquel il importe de trouver place.
85De cette inégalité des « statuts fraternels », liée au temps que l’enfant passe dans chacun de ses foyers parentaux, naissent aussi des rivalités entre quasi-frères et sœurs, opposant les enfants qui ne vivent pas sous le même toit. Ainsi, lorsque le père de Jeanne et la mère de Pauline et Céline décident de vivre ensemble, réunissant ainsi leurs filles qui se connaissent depuis l’enfance, Céline accueille brutalement sa « quasi-sœur » :
Le premier week-end qu’on a passé ensemble, Céline m’a dit : « Que les choses soient bien claires, je n’ai jamais pu te blairer. » Bon, c’est Céline. Elle a besoin d’être très dure avec moi parce que je crois que… qu’elle en veut à sa mère. C’était la seule à ne pas habiter avec nous, alors quand elle venait elle voyait par exemple que sa sœur avait plus d’affinités avec moi qu’avec elle, des choses comme ça. Et à la moindre occasion, elle me criait dessus…
86L’inégalité des statuts fraternels, si elle est combattue et niée par les parents au sein du foyer recomposé, continue bien d’exister selon un nouveau critère, fondé sur la notion de communauté de vie. Karine raconte par exemple, évoquant les relations de sa belle-mère et de sa sœur cadette qui a accepté d’aller vivre dans le nouveau foyer paternel :
Elle a essayé, je crois, d’en faire sa fille. Elle lui achetait des habits, elle l’emmenait où elle voulait, le mercredi. Elle n’a jamais fait tout ça pour moi. (…) Ma sœur, elle est tranquille. On lui achète les habits, la nourriture, tout ça. Mon père lui a payé le permis, je me suis payé mon permis toute seule, un an avant. Mais je ne suis pas jalouse. (…) je ne voulais pas rentrer dans cette nouvelle famille.
87Ces différences de traitement des enfants, au moins quand elles concernent la fratrie consanguine, ne semblent cependant pas avoir une importance fondamentale dans le discours des enfants et de leurs parents : la séparation des frères et sœurs, l’inégalité de traitement dont il font l’objet, les ruptures plus ou moins longues qu’induisent ces choix entre les enfants de la fratrie sont autant d’éléments rarement relevés, parfois non commentés. Ils semblent constituer des événements sans grand intérêt, eu égard à l’histoire des relations entre demi et quasi-frères, beaucoup moins ordinaires, beaucoup moins assurées, et autrement prises au sérieux.
88Il est vrai que la fraternité est ici biologique : le lien qui unit les frères et sœurs, qu’il existe au sein d’une famille classique ou recomposée, constitue un donné d’évidence, un attachement intangible dont la réalité n’est pas à prouver par une identité ou une égalité de façade. On ne peut cesser d’être frères et (ou) sœurs, quels que soient les ruptures et les événements de l’histoire familiale. Le récit de Nicole en constitue une illustration. Lorsque ses parents se séparent, en 1952, sa famille se divise en deux « clans », l’un formé de la mère, des grands-parents maternels et de la sœur de Nicole, l’autre des grands-parents paternels, du père et de Nicole. Les deux enfants grandissent alors dans des lieux et des univers distincts, leur mère ayant plus ou moins « abandonné » Nicole à son sort. Celle-ci passe les dernières années de son enfance avec son père et les deux autres filles de celui-ci. Aujourd’hui, des années après le décès de son père, c’est pourtant avec sa sœur « entière » que Nicole entretient des relations, alors qu’elle a perdu tout contact avec ses demi-sœurs consanguines. « Enfant, je n’ai jamais eu beaucoup de relations avec ma sœur, parce qu’elle était vraiment dans ce clan dont moi je ne faisais pas partie, c’était évident. Finalement c’est maintenant qu’on a des relations à peu près suivies. »
89Inscrite dans un fondement biologique, la fraternité de sang semble moins que les autres soumise au temps de l’actualité et de la quotidienneté des liens ou au risque de la rupture : c’est peut-être pour cette raison que l’introduction en son sein de distinctions électives et non égalitaires ayant trait à la cohabitation peut être ainsi parlée et assumée dans le discours des parents comme dans celui des enfants.
90Ainsi, les frères et sœurs ne sont pas égaux entre eux, et le lien fraternel hiérarchise autant qu’il identifie les individus unis par une commune filiation. Mais à l’ordre de naissance fondateur de cette distinction des statuts, le discours familial vient ajouter une nouvelle modalité : celle du choix et de l’élection opérés par chacun des acteurs, qui s’incarne dans la place que l’enfant a « chez » ses parents. Ce choix, lié à la résidence, comporte des implications nouvelles pour la définition des liens parentaux, qui s’élaborent moins autour de la filiation biologique que sur l’actualité des relations nées dans le partage d’un espace et d’un temps qui instituent le familial, ses règles et ses contraintes.
La quasi-fraternité adolescente : entre amitié et fraternité, la relation des pairs
91Les enfants de familles recomposées qui se dénomment entre eux « frères et sœurs » n’ont parfois que peu de moyens d’instituer dans la réalité la fraternité qu’ils invoquent. Quand les demi-frères et sœurs sont séparés par une très importante différence d’âge, ils vivent, nous l’avons dit, des enfances distinctes et séparées, à partir desquelles il peut être aussi difficile d’instaurer le partage d’une expérience vécue que dans le cas des quasi-frères et sœurs qui se rencontrent à l’adolescence. Dans cette ultime situation, aucun lien préalable ne vient affirmer entre les enfants une fraternité que rien ne précède, qui n’existe que par la nouvelle union des parents de chacun.
92Du fait de l’âge des enfants, la quasi-fraternité se raconte tout d’abord de façon spécifique, et semble s’instituer à travers des rencontres ponctuelles, des réunions entre pairs, auxquelles le récit associe très souvent, ce qui n’est pas anodin, le groupe d’amis de chacun des enfants. Les soirées (le samedi soir en particulier, jour de visite au parent non gardien) semblent le temps privilégié de ces réunions qui se déroulent très souvent dans les cafés, les boîtes de nuit… C’est plus souvent en référence à ces lieux de convivialité amicale qu’à la maison parentale, espace du familial, que les quasifrères et sœurs décrivent leurs relations. Anne, Pascal et Laurence racontent ainsi :
On se voyait pendant les vacances et au moins un week-end sur deux. Et ça s’est très bien passé, on a été très proches, surtout pendant l’adolescence, vers 16-17 ans. On faisait la fête ensemble…
C’est arrivé que le week-end on sorte en boîte avec ses copains ou que je l’entraîne avec des copains à moi. Et là je l’appelais ma sœur…
Des fois, on sort ensemble, le soir on va boire un coup quelque part, on s’entend bien.
93Le caractère « parental » de ce lien apparaît parfois, cependant, à travers l’obligation qu’il induit pour les « frères et sœurs » : « J’étais tout le temps embarquée avec lui », raconte une jeune femme en évoquant le fils de sa belle-mère. « Si lui allait quelque part il fallait que je le suive. Si je sortais il fallait que je l’emmène avec moi, avec mes amis. Je ne devais pas le laisser tout seul. »
94La fraternité prend ainsi la forme d’une relation amicale qui s’instaure à travers la réunion des pairs plutôt que des frères, à l’âge des initiations et des expériences adolescentes. Concilier amitié et fraternité n’est cependant pas aisé, dans « une culture qui a progressivement construit la parenté et l’amitié comme deux formes du lien social radicalement antagoniques ». (Théry 1996 : 172.) D’un lien à l’autre, la distance demeure, qui place le lien quasi-fraternel sous le signe d’une permanente ambiguïté, d’une immense fragilité.
95L’imposition du fraternel à une relation adolescente qui ne peut plus tout à fait s’exprimer sur le mode de l’amitié donne à la quasi-fraternité un caractère indéterminé, qui se dit parfois dans sa non-réciprocité : « je ne sais pas comment il m’appelle », remarquent souvent les enfants en évoquant le fils ou la fille de leur beau-parent. La quasi-fraternité peut en effet s’instituer en sens unique, et n’être désirée que par l’un des enfants composant la fratrie recomposée.
Il ne nous appelle jamais ses demi-sœurs, et puis il n’aime pas qu’on l’appelle « demi-frère », moi je trouve ça plutôt bien mais… C’est pour ça que pour nous ce ne sera jamais qu’un demi-frère, et qu’il nous voit plus comme des copines que comme des sœurs.
96Le lien quasi-fraternel peut aussi se conjuguer au passé.
Je l’ai considéré comme mon frère pendant longtemps. (…) Maintenant, on n’a plus aucune relation : c’est complètement fini. Depuis qu’il est entré en fac il est devenu vraiment décevant. Il ne m’appelle jamais alors que moi j’ai fait beaucoup d’efforts, je l’ai appelé, je l’ai invité plusieurs fois. Mais quand c’est à sens unique ça marche un temps et puis ciao.
97Dans cette relation entre pairs où le parental prend une dimension incertaine, fluctuante, profondément élective, l’ambiguïté se glisse dès lors que la fratrie réunit des enfants d’âge équivalent et de sexe différent, dont aucun lien de sang, aucun partage ne peut assurer la fraternité.
Interdit de l’inceste et quasi-fraternité
98Si le lien fraternel a la faculté de créer du semblable, de l’identique, il est aussi le cadre d’une première expérience de la différence et de l’interdit. La fraternité n’a pas les mêmes implications selon qu’elle réunit ou non des germains de même sexe : lieu de l’identique, elle est aussi celui de l’altérité sexuelle entre frère et sœur. Dans ce jeu d’identité et de différences, Françoise Héritier voit l’origine des « mécanismes fondamentaux de l’alliance », au principe desquels se trouve la prohibition de l’inceste. (Héritier 1981 : 12.) Dans la quasi-fratrie recomposée ce jeu est faussé, révélant l’ambiguïté d’un lien qui devrait interdire entre les enfants de sexe différent toute relation amoureuse et sexuelle… s’il était biologiquement ou légalement fondé. « Les relations érotiques et leur prohibition sont un des traits centraux des familles recomposées. » (Beer 1988 : 122.)
99Dans les sociétés océaniennes que nous avons précédemment évoquées, le lien nourricier créé entre les enfants prohibe entre eux toute union sexuelle et matrimoniale. Chez les Sulka de Grande-Bretagne,
le mariage avec un membre du clan des adoptants (…) est exclu comme incestueux, tout adopté se voyant interdire non seulement le même rang de conjoints que ses germains biologiques mais aussi le même que ses germains adoptifs. (…) les prohibitions matrimoniales qui élargissent le champ des conjoints interdits pour l’adopté et (au moins) ses descendants immédiats montrent aussi que quelque chose de la nourriture (ou du « lait » de sevrage) intéresse la composition du sang. (Jeudy-Ballini 1992 : 129.)
100Mais les fondements de cet interdit ne sont pas toujours aussi clairement déterminés. Josiane Massard, à propos de la société malaise, met en évidence « l’ambiguïté des liens de germanité » créés entre des enfants élevés au sein d’un même foyer. Ses interlocuteurs expriment en effet des « opinions divergentes (…) à propos d’éventuels interdits de mariage ; certains affirment que seuls les germains biologiques sont des partenaires d’alliance interdits, d’autres excluent également les germains d’adoption, considérant l’union impossible entre des êtres ayant grandi sous le même toit. » (Massard 1988 : 54.) Deux représentations du lien fraternel s’opposent ainsi : « on oscille ou on alterne entre la vision d’une identité liée à une communauté de substance et celle d’une identité résultant de volontés individuelles et des relations qu’elles impulsent. » (ibid. : 55.)
101Cette ambivalence se trouve au cœur des relations qu’entretiennent les quasi-frères et sœurs dans les familles recomposées occidentales, où la question de l’inceste ne peut être évitée.
102L’interdit des relations amoureuses ou sexuelles entre les enfants de la quasi-fratrie y est en effet souvent frôlé, interrogé comme ultime frontière face à la définition d’une parenté toujours ambiguë. Le lien quasi-fraternel prend dès lors la forme d’une négociation toujours ambivalente entre l’amitié « fraternelle » et la séduction amoureuse, entre la parenté et l’altérité. « Au début quand on s’est connu, il nous draguait souvent, donc je crois pas qu’il nous considère comme ses sœurs », raconte en riant une jeune femme en évoquant le fils de sa belle-mère.
Au début, ce qui m’énervait, comme il était un peu plus âgé que moi, tout ça, c’était que pendant les repas de famille quand on était tous les cinq, mon père et Annie s’amusaient à dire « tu vois nos enfants finalement, ils font le même genre d’études, ils ont à peu près le même âge, tu t’imagines si un jour on les retrouvait ensemble ? » Et ça ça m’énervait au plus haut point…
103Ces quelques phrases évoquent à chaque fois « le début » d’une relation, entre des enfants déjà grands, où le jeu de la séduction ou du « mariage » des enfants respectifs du nouveau couple vient d’abord interroger la constitution d’une nouvelle famille…
104Il en va différemment lorsque les enfants ont grandi ensemble. Un couple de parents dont les enfants, aujourd’hui adolescents, se connaissent depuis leur plus jeune âge, ayant partagé de longues phases de vie commune, évoquait le nouvel aménagement des chambres au sein du foyer recomposé, survenu lors de la naissance d’une petite demi-sœur :
Alors ils en ont discuté entre eux et ils sont arrivés à un truc bizarre qu’on n’aurait jamais proposé, c’est-à-dire que Romuald (le frère de Rachel) est tout seul, dans une petite chambre en bas et il y a une grande chambre en haut que se partagent Rachel et Daniel (le quasi-frère de Rachel). (…) On aurait jamais pensé à mettre Rachel et Daniel dans la même chambre. Pour nous ça a toujours été les deux garçons et la fille à part. Ils ont choisi autrement et ça se passe très bien.
105L’étonnement des parents face au choix des deux enfants dit l’importance de la « séparation des sexes », qui, si elle existe dans les fratries en général (notre société n’éduquant pas les filles de la même façon que les garçons, elle a tendance à les séparer…), prend une dimension particulière dans le contexte de la quasi-fratrie : ces deux adolescents, qui veulent partager la même chambre, dormir dans un même lieu à l’âge des premières expériences amoureuses et sexuelles ne sont pas réellement frère et sœur. Une tout autre relation pourrait naître entre eux…
106L’approbation des parents leur est néanmoins acquise (« ça se passe très bien »). Ces deux enfants sont ceux qui se reconnaissent le plus, au sein de la fratrie recomposée, comme frère et sœur : « Ma fille, Rachel, est beaucoup plus proche de Daniel que son frère. Rachel elle dit : Daniel c’est mon frère. Romuald il dit : c’est mon demi-frère, et encore, il ne le dit pas trop. » Le temps partagé dans l’enfance, la naissance d’une demi-sœur commune, l’élection « fraternelle » ont fondé entre ces enfants un lien apparemment dépourvu d’ambiguïté.
107Ce « sentiment fraternel », qui suffit à penser comme légitime et fondé l’interdit de l’inceste existe ailleurs que dans les familles recomposées, à travers l’idée d’une proximité qui interdit le mariage.
108Très loin des recompositions familiales, dans la communauté villageoise de Minot étudiée par Tina Jolas, Yvonne Verdier et Françoise Zonabend, les notions de parenté généalogique et de proximité géographique concourent ensemble à définir dans le cercle de la parenté proche et éloignée la liste des unions possibles, dans le village et hors de celui-ci. La figure du cousin germain, conjoint réprouvé parce que trop proche, mais encore souvent épousé, est ici très éclairante :
en fait, les mariages entre cousins sont presque aussi fréquents qu’autrefois mais un certain éparpillement les rend moins condamnables. Les données spatiales jouent dans ce sens : un propre cousin habitant un village éloigné et que l’on rencontre rarement se trouve être un conjoint en quelque sorte moins interdit qu’un cousin plus éloigné généalogiquement mais habitant le même village.
109Le village, où « tout le monde est cousin », est aussi lieu de partage d’histoires et d’enfances communes, partage au cours duquel s’institue l’interdit d’alliance entre des individus devenus « trop proches ». Cet interdit s’avère finalement moins soumis aux degrés de parenté qu’au fait que les époux puissent « se retrouver en étrangers ». (Jolas, Verdier, Zonabend 1970 : 5-26.)
110Dans un tout autre contexte, de nombreux enfants ont été réunis, élevés ensemble dans un même lieu, un temps identique, et selon un mode de vie spécifique qui contribuait probablement à les identifier comme appartenant à un même groupe, une même « famille ». Auprès de jeunes adultes élevés dans les communautés néo-rurales des années 1970, nous avons pu entendre les mêmes récits, les mêmes souvenirs partagés que ceux que nous content les quasi-frères et sœurs des familles recomposées : la « fraternité » ainsi décrite se vit et s’exprime avant tout comme le résultat d’un partage, partage d’un passé commun, du temps de l’enfance et de ses initiations. Ainsi semble naître le « sentiment fraternel », métaphore de l’amitié la plus ancienne, liant fidèlement un homme et une femme tout en leur interdisant toute union amoureuse.
111Ce partage de l’enfance n’existe pas dans les quasi-fratries tardivement formées. Le spectre de « l’inceste » plane donc au-dessus des familles recomposées. Mais de quel inceste s’agit-il ? Les quasi-frères et sœurs ne sont liés que de nom par la parenté qui crée l’interdit sexuel : ce dernier n’existe pas et n’a jamais existé entre les enfants respectifs de deux époux remariés, du point de vue du droit comme dans les représentations qui président aux stratégies et aux règles de l’alliance. Une telle relation est donc légalement possible. Est-elle pour autant pensable et réalisable dans les familles recomposées contemporaines ?
112Écoutons l’avis d’une femme remariée, mère d’un adolescent et belle-mère d’une jeune fille qui se sont rencontrés à l’âge de 14 et 16 ans.
Nicole, à un moment, elle a séduit Frédéric. C’est une fille qui séduit un garçon, c’est vrai, mais on a mis le holà tout de suite. Ils jouaient sur toute l’ambiguïté de demi-frère, demi-sœur (demi-frère et sœur = quasi-frère et sœur), permettant ou ne permettant pas certaines défaillances ou certaines choses… Avec une intimité et des choses qu’ils ne se permettraient pas s’ils étaient frère et sœur de sang.
113William Beer constate dans ses enquêtes une tendance identique à poser, malgré l’absence de règle collective, un interdit aux relations sexuelles entre les quasi-frères et sœurs : « les parents eux-mêmes, dit-il, ne sont pas sûrs que ce soit un inceste », mais « leur inclination est de les prohiber. » (Beer 1988 : 123.)
114L’imposition d’une « prohibition » sexuelle entre des enfants non liés par le sang mais unis entre eux par le remariage de leurs parents respectifs correspond de fait aux interdits qui structurent la fraternité adoptive dans notre société. Au sein de la famille adoptive, l’enfant est soumis par le droit à des empêchements à mariage avec les autres enfants adoptifs de l’adoptant et avec les enfants biologiques qui pourraient survenir à ce dernier. (Benabent 1991 : 88.) C’est sur ce modèle qu’en l’absence d’un lien de sang prohibant l’inceste, s’institue « l’interdit » sexuel dans la fratrie recomposée contemporaine. Mais l’adoption n’est pas concrètement réalisée, et le lien légal demeure absent de la relation quasi-fraternelle.
115William Beer, en faisant référence aux analyses anthropologiques de l’interdit de l’inceste comme moteur des systèmes d’alliance exogamique, avance une hypothèse :
il existe une nécessité pratique évidente pour maintenir un tabou de l’inceste quasi-fraternel, parce qu’il faut être sûr, pour qu’une famille accomplisse ses tâches les plus élémentaires, que les enfants dirigent leur sexualité et leur sociabilité à l’extérieur.
116Il considère ainsi que la famille recomposée doit constituer une famille comme une autre, un ensemble clos de relations calqué sur le modèle de la famille nucléaire, dont il est indispensable de sortir pour trouver un conjoint. Mais peut-on assimiler les relations d’enfants qui n’ont pas été élevés ensemble et se rencontrent à l’adolescence, parfois de façon très occasionnelle, et celles qui unissent les frères et sœurs dans les familles nucléaires ?
117De plus, la question du mariage à l’intérieur du groupe familial recomposé n’a pas toujours posé problème dans notre société. Il est au contraire certaines régions de France où l’union de ce que nous nommons aujourd’hui des « quasi-frères et sœurs » était pratiquée dans les familles recomposées après veuvage, et tolérée par l’autorité morale et juridique que représentait alors l’Église. Martine Segalen fait ainsi mention dans son étude du pays bigouden de mariages simultanés unissant le même jour le veuf et la veuve, ainsi que le fils et la fille des époux :
L’Église voyait d’un mauvais œil la cohabitation prévue entre des jeunes gens encore trop jeunes pour prendre une ferme, mais point trop pour enfreindre les interdits du commerce sexuel hors-mariage, ce dont ils auraient pu être tentés par la promiscuité qui leur était imposée du fait du remariage de leurs parents. Le prêtre ne s’opposait donc pas à l’union de ces quasi-adolescents qui ne tombait sous le coup d’aucun interdit de parenté.
118Si le risque de l’attirance sexuelle était reconnu et envisagé dans ces familles, il ne se posait cependant pas en termes d’inceste. Il est vrai que les enfants, déjà « élevés » lors du remariage, n’avaient pas grandi ensemble.
119En Haute-Provence, aux xviie et xviiie siècles, Alain Collomp note l’existence d’un remariage de veufs, dont le contrat porte mention de l’engagement de chacun des époux à marier ensemble leurs enfants respectifs. Il y est dit que le veuf et la veuve remariés « porteront et induiront » leurs enfants « de s’épouser l’un l’autre en vray et légitime mariage, constituant à chacun tous les droits d’iceux ». (Collomp 1983 : 167.) Le mariage cité dans le contrat eut lieu vingt ans plus tard. On fit s’épouser deux enfants que l’on avait élevés sous le même toit. On devine ici la raison de cet arrangement, dans une société ou la transmission de la maison avait une importance fondamentale pour la définition même de la famille, entité structurée autour d’un bien, d’un patrimoine et se perpétuant grâce à lui : ce type d’alliance, dont le cas cité n’est pas l’unique exemple, répondait avant tout à des stratégies de captation et de conservation d’un double patrimoine qui demeurait ainsi indivisé.
120Du point de vue de l’anthropologie historique, la nécessité de fonder le lien fraternel dans les familles recomposées semble donc relativement « nouvelle ».
121Dans les cas anciens que nous avons cités, c’est le lien de filiation biologique qui crée l’inceste : les enfants des couples de veufs ne le partageant pas, rien n’empêche leur mariage. A ce lien de sang pris comme référence s’ajoutent les fondements d’un lien familial autrefois structuré autour d’un bien à transmettre, qui justifiaient, dans les sociétés anciennes, le mariage d’enfants de deux veufs remariés. Ces ambitions n’ont plus cours dans un temps où la famille se fonde sur un patrimoine plus affectif que matériel. Le lien de filiation, hors de toute idée de cohabitation et de coéducation (puisqu’il n’est pas nécessaire que les enfants aient grandi ensemble pour que la prohibition soit posée), n’est pas central, puisqu’en instituant un « inceste » quasi-fraternel, on ne tient pas compte des origines différentes des enfants. Seule l’existence du couple des parents, mariés ou non, qui réunit autour de lui les membres de la quasi-fratrie, vient finalement justifier cette règle. Les relations amoureuses, de la simple séduction aux relations sexuelles, ne sont pas permises entre les quasi-frères et sœurs, parce qu’elles équivalent tout simplement à la négation du lien familial que l’on veut instaurer.
122Cet interdit revient ainsi à assurer les repères qui font de l’entité familiale recomposée une « famille » à part entière, un ensemble ordonné de positions dont chacune renvoie à des relations spécifiques.
123Adultes comme enfants témoignent de relations où semble dominer l’adoption par le cœur. Mais ce qu’ils appellent, c’est un lien réglé, une référence symbolique à laquelle rapporter ce lien, des places clairement déterminées par rapport à l’interdit de l’inceste, écrivent Christiane Carré et Françoise Hurstel (1993) au sujet des relations entre ascendants et descendants dans les familles recomposées. Il en va de même dans les fratries recomposées. Par un jeu d’échos et de correspondances, l’idée d’un « inceste » quasi-fraternel instaure et prouve le familial. Il structure autour des couples parentaux une parentalité dite sur le mode de l’élection, mais aussi instituée par la contrainte et la prohibition. En l’absence d’une loi collective et reconnue socialement, inexistante dans la famille recomposée tant que les enfants ne sont pas liés par l’adoption, ce sont les parents qui posent cet interdit, ce sont les parents qui énoncent non plus l’élection mais la règle, sans quoi la constellation recomposée ne pourrait exister en tant que famille. Cette démarche « privée » à l’égard d’une règle fondamentale de la parenté dont l’universalité, sous des modalités différentes, est avérée, pose question. Elle s’inscrit dans un contexte général d’évolution du lien familial, où
la logique du choix, de l’élection, de la gratuité qui gouverne officiellement les relations affectives entre les hommes et les femmes au sein des couples s’étend, sous des modalités spécifiques, aux autres relations de famille et se conjugue, dans les deux cas, avec les obligations, les habitudes, le sens du devoir. (de Singly 1993 : 51.)
124L’élection des parents est une part constitutive de toutes les relations familiales contemporaines et n’est pas née dans les familles recomposées. Mais la « dynamique élective » y trouve une importance nouvelle, à travers l’image utopique d’un univers parental fondé sur l’actualité de relations interpersonnelles, délesté de contraintes et de règles collectives. (Chalvon-Demersay 1996 : 83.) Le lien fraternel recomposé, incarnation de cette dynamique idéale, devient paradoxalement le lieu d’un nouvel interdit. Est-il cependant possible d’instaurer au sein de la famille, sur la base de relations interpersonnelles et non reconnues par le droit une telle prohibition, qui se pose et s’impose à rencontre des règles collectives de l’interdit de l’inceste ?
125Si la « dynamique élective » s’affirme ici avec force, c’est qu’il importe de pallier l’absence des références que fondaient le sang, le temps et l’espace communs du familial. Dans leur quête de repères, les familles recomposées se heurtent à la valorisation symbolique d’un lien biologique qui demeure au fondement du parental, tout en démontrant l’existence d’une autre façon de construire le lien fraternel et le lien de parentalité. La question d’une référence commune, d’une règle collective au sein d’un univers familial en pleine redéfinition n’en devient que plus cruciale.
Bibliographie
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– 1995, « Les constellations familiales recomposées et le rapport au temps : une question de culture et de société », in Marie-Thérèse Meulders-Klein et Irène Théry (dir.), Quels repères pour les familles recomposées ? Paris, lgdj, coll. Droit et Société : 13-34.
– 1996, « Normes et représentations de la famille au temps du démariage. Le cas des liens fraternels dans les fratries recomposées », in Didier le Gall (dir.), Familles et politiques sociales. Dix questions sur le lien familial contemporain, Paris, L’Harmattan : 151-176.
10.3406/caf.1992.1527 :Théry, Irène & Dhavernas, Marie-Josephe, 1991, Le beau-parent dans les familles recomposées, rôle familial, statut social, statut juridique, Paris, Rapport de recherche pour la cnaf.
Notes de bas de page
1 Loi préparée lors du troisième Parlement des enfants.
2 « Quasi-frères », « quasi-sœurs » : enfants respectifs des conjoints de la nouvelle union, désignés ainsi dans les travaux de recherches français à défaut d’un terme préexistant dans le langage courant. (Théry 1991 et Théry, Dhavernas 1991.)
3 Les enquêtes qui ont servi de base à notre réflexion sont menées dans le cadre d’un travail de doctorat sur le thème des rôles parentaux dans les recompositions familiales après divorce. Nous utiliserons ici les témoignages recueillis dans 30 familles recomposées, provenant de milieux sociaux divers. Vingt entretiens ont été effectués auprès de beaux-enfants parvenus à l’âge adulte (âgés de 19 à 50 ans), vingt-trois auprès de beaux-parents, et dix-huit auprès de pères et de mères.
4 Paul Ottino, cité par Monique Jeudy-Ballini, in « De la filiation en plus : l’adoption chez les Sulka de Nouvelle-Bretagne », Droit et Cultures n° 23, 1992, « Adoption et transfert d’enfants » pp. 109-135.
5 En cas de divorce, « la garde des enfants est accordée aux femmes dans 89 % des cas ». (Aubin, Gissenot 1994 : 41.)
6 « Lors de l’enquête, seulement 19 % des femmes de plus de trente ans à la séparation avaient un enfant de leur deuxième union, contre 43 % des hommes. Ces femmes ont moins souvent un enfant parce qu’elles rencontrent plus souvent des hommes plus âgés qu’elles et que ceux-ci ont déjà des enfants, tandis que les hommes rencontrent plus souvent des femmes plus jeunes et sans enfants. » (Leridon, Villeneuve-Gokalp 1994 : 160.)
7 L’adoption simple « crée des liens avec la famille adoptive sans rompre ceux qui unissent l’enfant à sa famille par le sang ». (Fulchiron 1993 : 295.)
8 La possession d’état s’établit, « conformément à l’article 311-1 du Code civil, par “une réunion suffisante de faits qui indiquent le rapport de filiation et de parenté entre un individu et la famille à laquelle il est dit appartenir”. Faisceau d’indices, la possession d’état a pour principales composantes (…) le nom (nomen), le comportement respectif des parents apparents les uns à l’égard des autres (tractatus), l’image sociale fondée sur une réputation (fama) ». (Brunet 1993 : 229-256.)
Notes de fin
1 Je tiens à remercier Madame Agnès Fine, dont les conseils et les suggestions ont encouragé et enrichi la teneur et la réalisation de ce travail.
Auteur
Doctorante, Centre d’anthropologie, UMR 150, Toulouse.
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