Scénarios de la transition dans les Pyrénées catalanes françaises1
p. 205-238
Texte intégral
1Charles Parain considérait en 1970 que « les formes de communauté villageoise aujourd’hui observables ne peuvent être considérées que comme des formes de transition avec des phénomènes internes en apparence contradictoires, qui obligent à une observation minutieuse et rendent l’analyse délicate à manier » (Parain [1970] 1979 : 420). Ainsi préconisait-il à l’ethnologue de ces communautés en Europe de dégager « les structures qui ont servi de soubassement historique à l’état présent » ; privilégiant, semble-t-il, de préférence à la thèse grossière qui prétend expliquer le changement par la pénétration de l’économie de marché, de la modernité dans des groupes sociaux archaïques et préservés par l’isolement, la recherche dynamique des conditions qui, au sein des communautés villageoises, ont suscité ou permis la maturation des contradictions et l’accomplissement des transformations visibles de nos jours.
2Le pays de Capcir1 offre à ce regard un terrain de choix puisqu’on y observe, à côté des reliquats d’une agriculture employant l’énergie animale et des instruments aratoires de fabrication artisanale, les manifestations d’une industrie des loisirs florissante par la multiplication des résidences secondaires, des commerces et des structures hôtelières, des stations de sports d’hiver et autres équipements touristiques. La disparité que présente cette situation avec celle des pays contigus de Sault ou de Donnezan, non moins pourvus de pentes enneigées, mais peu touristiques, ne pouvait être abandonnée sans abus au hasard du choix des investisseurs ou aux découpages opérés par une succession de schémas administratifs d’aménagement du territoire.
3Comprendre les conditions de l’apparition et de la domination croissante du capitalisme touristique dans une société de producteurs agro-pastoraux groupés en communautés de village constitue l’objet de ce travail.
4La structure de ces communautés repose sur un mode dualiste d’appropriation d’un territoire comprenant un haut plateau cerclé de versants boisés, surmontés à l’étage alpin, de vastes étendues gazonnées. Comme l’écrit Fernand Butel en 1892 (p. 220) à propos des Pyrénées centrales : « Tout chef de famille est propriétaire, d’un côté de pâturages communs, qui sont l’élément le plus important, et de l’autre, d’un peu de terre arable, d’un peu de prairies à faucher, qui sont l’élément complémentaire possédé individuellement. »
5Autrement dit, chaque unité domestique est propriétaire exclusive d’une certaine quantité de terres cultivées en famille mais soumises à un certain nombre de servitudes collectives (vaine pâture, passage…), et usagère, par le biais de son appartenance au village, des ressources forestières (par attribution individuelle de coupes affouagères) et des pâturages montagnards. Les terres privées produisent essentiellement du seigle et des pommes de terre, alors que les pâturages accueillent pour Festive la vacherie (vacada) communale et le troupeau ovin, placés sous la garde du vacher et du pâtre communaux. La nature collective du travail pastoral entraîne, naturellement, comme le nota pertinemment Butel, la propriété collective des pâturages, alors que l’exploitation familiale des terres de culture entourant les villages facilite leur appropriation privée. Les concepts qui servent à caractériser cette structure dualiste (propriété, communauté, appropriation privée, maison) peuvent recouvrir, dirons-nous avec Marx, des rapports concrets différents et des capacités d’évolution inégales, selon le milieu historique où elle se trouve placée2. Aussi l’étude des transformations du contenu de cette structure, en tant qu’elles puissent être révélatrices d’un processus de transition sociale, passe-t-elle par la compréhension du sens accordé à ces concepts aux différentes étapes de l’évolution historique qui a produit le visage actuel du pays.
6Dans les limites matérielles et scientifiques de cette étude de cas, il n’est évidemment pas concevable d’embrasser l’ensemble de la genèse et du dépérissement des communautés du Capcir. Le butoir érigé par la discontinuité des sources historiques suffirait à brider une telle ambition. Au risque de négliger certains aspects essentiels, nous ne pourrons que succinctement définir les composantes de la contradiction initiatrice du processus contemporain de transition, produit d’un développement pourtant pluriséculaire, pour tenter de dégager les lignes de force du processus lui-même et en caractériser les manifestations aujourd’hui observables.
7Ce processus semble recouvrir deux ordres de réalités, étroitement liées par un rapport de causalité, mais qu’il convient de distinguer pour l’analyse :
- La cause la plus visible de la situation présente se situe dans un mouvement économique, que l’on peut résumer comme le rôle de certaines catégories d’agents du système local de la production, bénéficiant du dépérissement de l’agriculture traditionnelle et du développement des rapports marchands pour accumuler une richesse qui forme le point de départ des premiers investissements orientés dans le sens d’un tourisme de masse. Il s’agit donc de mettre à nu la façon dont se créent, à l’intérieur des rapports sociaux qui structurent la société capciroise, ces points d’accumulation de richesses dont la conversion en argent et l’utilisation comme capital ont permis la création et l’élargissement d’une nouvelle base économique orientée vers la satisfaction des besoins vacanciers de populations urbaines saisonnières.
- Ce mouvement économique ne peut se développer que sur un territoire libéré du rapport de propriété inhérent à la forme sociale liée à l’exploitation du sol sur une base agro-pastorale. Cette forme sociale est, nous l’avons vu, duelle (maison/communauté villageoise) et lui correspond une forme dualiste de propriété (propriété privée domestique/propriété collective). Il convient donc d’envisager : a) d’une part, la façon dont s’opère la transformation des conditions juridiques de la relation des communautés aux terres possédées en commun, et des maisons aux terres privées ; b) comment, d’autre part, les communautés villageoises ont pu préserver les conditions minimales de leur reproduction à l’intérieur d’un rapport juridique de propriété contredisant, pour l’essentiel, la reproduction des formes sociales de production (maison/communauté) adéquates à la base matérielle agro-pastorale, alors dominante.
8L’examen des conditions du mouvement économique récent suppose donc que l’on réponde à la question préalable suivante : dans quelles circonstances les communautés du Capcir parviennent-elles à réussir leur reproduction dans une phase historique où les institutions et les cadres juridiques engendrés par l’État, en vertu de sa souveraineté, offrent au capitalisme national et régional les moyens de son épanouissement, et remettent précisément en cause la perpétuation de leur rapport concret de propriété ?
9Si l’émergence historique des aspects juridiques de cette contradiction appartient à la très longue durée, les phases essentielles de la réalisation du mouvement transitionnel s’insèrent dans la chronologie des deux derniers siècles. Seul nous importe ici d’esquisser la logique du déroulement de ce processus, et non de développer toute la matière socio-historique qui peut y être rapportée : les phénomènes de conjoncture ne sauraient être pris en compte que dans la mesure où ils affectent le comportement ou le contenu de la structure des communautés villageoises.
TRANSFORMATIONS DE LA PROPRIÉTÉ ET REPRODUCTION DES COMMUNAUTÉS
Rapport collectif d’appropriation des ressources
10L’utilisation, par les communautés du Capcir, des ressources situées sur leurs terres d’usage commun prend, de nos jours, deux formes juridiques distinctes : la jouissance de propriétés communales et l’exercice de droits d’usage. Depuis une loi de 1837, réformée en 1848, les « biens patrimoniaux » des communes ainsi que le produit de leurs droits forestiers sont « dans des conditions qui rapprochent [leur] nature de celle de la propriété privée » (Cauchy 1848 : 56), et servent d’instrument de financement de la politique économique de diverses municipalités. Les droits d’usage sur des forêts ou pâturages appartenant au Domaine public de l’État ou à des propriétaires privés s’exercent à divers titres par les communautés. Dix-sept communes de Cerdagne, Capcir et haut Confient jouissent ainsi collectivement du droit de faire dépaître leur bétail sur divers territoires domaniaux. D’autres cas de figure peuvent être envisagés : usage indivis de deux communes administratives mitoyennes sur les mêmes bois ou pâturages, ou d’une section distincte (hameau) d’une autre commune. Le bénéfice de ces droits est soumis au paiement de redevances et à l’observance de règlements particuliers.
11Cette distinction entre usage et propriété est absente des principes qui, au Moyen Age, régissent l’accès des communautés de haute Catalogne aux mêmes ressources concrètes. L’image la plus nette en est fournie par la coutume catalane, rédigée au XIIe siècle qui, en même temps qu’elle affirme la souveraineté du comte, garantit la jouissance des bois, des prés et des terres vacantes par les populations des campagnes contre d’éventuelles interférences seigneuriales3. Ouverte par sa libérale imprécision aux subtiles exégèses destinées à réduire la latitude accordée aux communautés, cette coutume n’en demeure pas moins, en dépit de la sédimentation de souverainetés qui sépare le Capcir actuel de celui du XIIe siècle, toujours reconnue par le droit positif français4. Or, l’accès réel des habitants aux ressources collectives de leur territoire est aujourd’hui subordonné à une distinction juridique dont la conséquence est d’en limiter l’étendue. L’évolution qui sépare l’usage médiéval de cette distinction abstraite relève de l’évolution globale de la théorie du droit dont deux aspects eurent, en tant qu’instruments d’expropriation, un singulier impact sur le fonctionnement des communautés du Capcir. Il s’agit, aux XVIIe et XVIIIe siècles, de l’application de la théorie du domaine public de l’État, et surtout, dans la première moitié du XIXe siècle, de l’emploi de procédures de cantonnement des droits d’usage.
121° Par son ordonnance de 1669 sur les eaux et forêts, Colbert inaugure, en France, une politique d’exploitation du domaine public dans l’intérêt de l’État. Après l’enquête de Froidour sur l’état des forêts du royaume, qui souligne l’aptitude particulière des forêts pyrénéennes pour la construction navale, commencent les coupes sombres qui, en 1667, permettent de reconstituer une flotte de guerre réduite quasiment à néant en 1663. Dans les forêts pyrénéennes, tout particulièrement à l’est, vont se creuser jusqu’au Premier Empire et à la Restauration, de véritables « chemins de mâture » qui en épuisent « jusqu’au tréfonds » les capacités (Roquette-Buisson 1921 : 175).
13Cette affectation guerrière de forêts, d’où les habitants des communautés environnantes tiraient leur bois de chauffe et leur matériau de construction et de réparation des bâtiments, du mobilier ou des instruments aratoires, se double, au XVIIIe siècle, en Roussillon comme en pays de Foix, d’un intérêt industriel. Vers le milieu du XVIIIe siècle, on multiplie les créations de forges productrices de fer à proximité de gisements de minerai et, bien sûr, de l’immense source d’énergie que constituent les forêts domaniales. En 1763, le roi autorise ainsi la création d’une forge située « au pied des forêts ou pasquiers royaux du Capcir dont elle s’alimente pour les charbons5 », et, peut-on ajouter, dont elle consomme d’énormes quantités de bois. Concurremment, les officiers royaux assistés des gardes locaux interdisent autoritairement aux paysans l’accès de ces immenses étendues de bois et de pâturages, « le bois vif et mort des Pasquiers royaux du Capcir étant spécialement destiné pour l’affouage de la forge dont le Roi a permis la construction6 », alors que leur usage effectif en est reconnu, depuis les XIe et XIIe siècles aux communautés par la loi Stratae d’une part, et d’autre part, par des actes émanant de l’autorité comtale, alors souveraine (Alart 1874, I). Les véritables dévastations des forêts « causées par la marine, les forges et que le troupeau pyrénéen a empêché la nature de réparer » (Roquette-Buisson 1921 : 142) vont justifier les réglementations draconiennes et les moyens répressifs mis en place à l’encontre des usagers locaux, au début du XIXe siècle, et cautionnés dans la législation par le code forestier de 1827.
14Dépouillées par des règlements de plus en plus restrictifs de leurs facultés d’usage, les communautés tentent de s’affranchir, par le moyen du droit, du carcan administratif qui entrave leur subsistance. A la recherche des conditions juridiques adéquates au déploiement satisfaisant des rapports agro-pastoraux, la communauté de Formiguères intente, en 1819, un procès contre l’État à fin de voir reconnaître que telles et telles forêts sont comprises dans son « territoire, […] qu’elle est seule et légitime propriétaire de la première et usage [de l’autre] par exclusion à tous autres habitants7 ». Or, en vertu d’une mesure préfectorale de 1808, la commune avait acquitté à l’État une redevance pour l’entrée de ses troupeaux sur les mêmes terres comprises comme relevant du domaine public. Condition d’une dépaissance vitale pour la survie des villageois, ce paiement, auquel elle n’aurait pu se soustraire sans sanctions, fut, en droit, interprété à l’encontre des revendications de la communauté qui se vit opposer en appel sa qualité de simple usagère, soumise aux règlements : « Il y a [par ce paiement] traité formel entre le propriétaire et l’usager, pour l’exercice de l’usage. L’usage est exclusif de la propriété : il y a donc traité formel par lequel la commune de Formiguères a reconnu que l’État était propriétaire8 ». Autrement dit, selon que le rapport de dépaissance est abstraitement qualifié d’usage ou de propriété, il sera soumis à l’application de la logique d’un système particulier de normes qui en limitera ou en abolira la réalisation concrète.
15La reconnaissance d’une propriété de la communauté n’offre, en ce début du XIXe siècle, aucune garantie contre la dépossession. Généralement antérieur à l’apparition dans ces hauts pays des droits éminents des seigneurs sur les terres villageoises, le statut des propriétés communales subit les effets d’une évolution juridique de prime importance pour la compréhension des voies d’une subsomption effective des communautés dans leurs droits. Formiguères est ainsi privée, en 1822, de la jouissance des trois quarts d’une terre dont le roi d’Aragon et le monastère de Corneilla, alors propriétaires indivis, lui avaient, en 1392, accordé la pleine propriété9.
16Cette mutation singulièrement abrupte apparaît comme l’une des conséquences de l’abolition de la féodalité, suivie, en 1814, de la réintégration des anciens aristocrates dans leurs biens : alors que l’inconsistance des droits seigneuriaux est patente dans la zone de montagne du Roussillon à la fin de l’Ancien Régime10, la vente, en 1820, par l’héritière du dernier seigneur de Formiguères d’une forêt communale prend la forme de l’aliénation d’une propriété privée, certes grevée de droits d’usage, mais que l’acheteur, marchand de bois à Perpignan, entend exploiter pour en retirer un profit marchand. A la suite de la violente opposition des villageois, conduits par les notables, à l’exploitation de « leur » forêt, le nouveau « propriétaire » introduit en justice une action visant à libérer le sol, dont il entend librement exploiter le produit en vertu de son droit de propriété, des droits concurrents des villageois sur le même sol. Faisant application de la procédure de cantonnement des droits d’usage jouis collectivement par une communauté sur un fonds privé, le tribunal civil de Prades, par plusieurs décisions confirmées en appel par la cour de Montpellier11, déclare l’acheteur propriétaire, la commune simplement usagère, et décide l’attribution à celle-ci de la propriété du quart de la terre visée, attendu qu’elle sera privée de la jouissance des trois quarts restants. L’effet d’une telle procédure est crûment résumé par un éminent juriste : « L’usager perd en revenu l’équivalent de ce qu’il gagne en consolidant son droit de propriété » (Fuzier-Herman 1905). La communauté troque, en somme, une abstraction, un droit « consolidé », contre son bois de chauffe désormais mué en marchandise et aliéné au profit d’un commerçant urbain.
17Cette « inversion du titre » est le produit d’une maturation rhétorique de très longue durée, qui a permis aux auteurs du bas Moyen Age de transformer l’exercice, par le seigneur, de son pouvoir de commandement des pratiques coutumières en une procédure formelle fondée sur les principes de droit romain (Antonetti 1963 : 248). Les juristes des XIIIe, XIVe et XVe siècles, qui s’efforçaient de faire endosser par la pratique sociale de leur temps le vêtement du droit romain renaissant, classèrent la jouissance par les communautés villageoises de leurs possessions collectives dans la catégorie romaine des servitudes, ou bien l’interprétèrent comme l’exercice d’un droit de copropriété avec le seigneur ou le souverain. L’une et l’autre acceptions devaient ultérieurement permettre l’ouverture de procédures légales de représentation, de limitation ou de privation de cette jouissance, dont les principales furent le triage, aboli sous la Révolution, et le cantonnement, maintenu par décret en 1792. Pour des résultats sensiblement identiques, ces procédures impliquaient des cheminements juridiques et théoriques distincts. Le triage, interprétant l’usage comme une copropriété, procédait de l’idée que les communautés villageoises étaient antérieures à la féodalité, et accordait à celles-ci la propriété des deux tiers de la terre en usage. Le cantonnement, en revanche, s’appuya sur le fait que les communautés ont été, à un moment donné, usagères en vertu d’une concession seigneuriale, gratuite ou onéreuse, qu’une simple reconnaissance de la part des usagers suffisait à prouver. Le seigneur qui réglemente les coupes de bois est assimilé au dominus ou proprietarius romain, et obtient la propriété des deux tiers du fonds. La communauté dont l’origine historique est ici réputée consécutive à la formation des seigneuries, n’a droit, au titre de sa servitude, qu’au tiers restant. C’est autour de cet important enjeu juridique qu’émerge, au XVIIIe siècle, la controverse entre le pouvoir royal et les seigneurs sur la propriété des communaux, abondamment nourrie par le débat entre feudistes et romanistes sur l’origine des communautés villageoises, que les médiévistes d’aujourd’hui n’ont pas encore tranché. Le marchand de bois qui s’approprie concrètement et légalement l’une des forêts communales de Formiguères recueille ainsi l’héritage d’une évolution continue des représentations juridiques du rapport de propriété. Cette évolution se fait dans le sens de la dissolution d’une forme ancienne par l’emploi de concepts inaptes à rendre compte des aspects spécifiquement communautaires de l’appropriation concrète des ressources collectives : l’émergence de la notion de propriété crée, en dernière analyse, les conditions abstraites de l’expropriation.
182° Après avoir suggéré la nature et les formes de la contradiction qui se concrétise en ce début du XIXe siècle entre la place des communaux dans le système agro-pastoral et les conditions juridiques de leur utilisation, il convient d’examiner, par quelques hypothèses, les moyens qu’eurent, sous ce rapport, les communautés du Capcir de se reproduire.
19Les caractéristiques de la situation capciroise apparaissent plus nettement à la lumière d’une comparaison avec le pays voisin de Donnezan12, ancienne dépendance de la couronne d’Aragon, qui subit au XIXe siècle une transformation analogue des rapports de propriété, avec, toutefois, des effets sociaux divergents.
20En Capcir, l’exercice par un propriétaire capitaliste, ayant droit d’anciens seigneurs absentéistes, de son droit de propriété aboutit à déposséder la communauté tout entière d’une partie du territoire d’où elle tirait ses moyens de subsistance. La transition juridique heurte de front la forme la plus stable de l’organisation sociale en milieu agro-pastoral, et échoue à transformer le contenu réel des rapports de production. L’instrument de la concrétisation de la mutation juridique est l’initiative d’un marchand urbain qui entreprend d’exploiter la forêt en employant le travail de bûcherons et de charbonniers, eux aussi étrangers à la communauté spoliée de son usage. Cette remarque appelle deux constatations plus larges : on doit, d’une part, relever l’absence, en Capcir, d’une catégorie autochtone disposant des moyens pécuniaires suffisants pour effectuer pour elle-même le rachat de terres collectives dès lors libérées ou libérables des pesanteurs communautaires et féodales, et d’autre part, constater que les conséquences du rachat effectué par un capitaliste extérieur ne semblent aucunement s’orienter vers une transformation interne, par un éventuel développement du salariat, de l’état des rapports sociaux dans la communauté.
21En Donnezan, en revanche13, ce sont des notables locaux, médecins, notaires ou propriétaires-maîtres de forge, qui acquièrent, dans la première moitié du XIXe siècle, les forêts et pacages du domaine royal engagés depuis 1711 auprès d’une famille aristocratique. L’appropriation des forêts par cette élite sociale correspond à l’essor considérable de la production métallurgique en haute Ariège, qui troque son aspect d’activité traditionnelle très ancienne – qu’encourageait la cohabitation du minerai, du bois et de l’eau – pour le visage d’une industrie rurale fondée sur l’emploi d’une main-d’œuvre qualifiée dans le cadre des forges à la catalane, et l’animation d’une série d’activités en amont et en aval du procès de production : mines, charbonnages, transports du bois, clouteries, etc. On voit se dessiner ainsi une base matérielle adéquate au développement d’un nouveau mode matériel de produire.
22Qu’en est-il des formes sociales de ce développement ? La pression exercée par ces notables, maîtres de forge qui sont donc aussi propriétaires des forêts, et grands propriétaires fonciers agricoles, sur les producteurs agro-pastoraux du pays, est d’autant plus intense que, pour développer la production métallurgique, ils cantonnent les usages au bois et interdisent la dépaissance ordinaire alors que, parallèlement, ils s’efforcent d’accroître les profits marchands du pastoralisme. Ainsi le propriétaire des forges d’Orlu et de Mijanès, qui exploite les domaines fonciers attenants comme ayant droit de l’ancien seigneur, en interdit, vers 1840, l’accès aux habitants pour y envoyer paître ses propres troupeaux et vendre par ailleurs de l’herbe en abondance à des muletiers catalans qui la revendent à leur tour dans le Capcir plus élevé et plus démuni. Les multiples entraves imposées par l’État ou les maîtres de forge à la dépaissance des troupeaux paysans et à l’exercice des droits d’affouage enserrent, d’autre part, les activités agro-pastorales dans un carcan si étroit que les communautés ne peuvent survivre sans y contrevenir et s’exposer aux sanctions que les gardes privés ou gouvernementaux ne manquent pas d’appliquer aux délinquants. Les amendes pleuvent, avec elles les condamnations correctionnelles au paiement de dommages-intérêts ; pour s’en acquitter le paysan est enclin à puiser dans une ressource dont s’accroît la valeur marchande, le bois, et ainsi rétrécir un peu plus le cordon qui l’étouffe. Dans la même période, pour payer ses amendes ou simplement acheter la semence ou le cochon qui lui permettront d’effectuer sa « soudure annuelle », le paysan s’endette, auprès, naturellement, des notables du lieu, ceux-là mêmes qui l’ont exclu des forêts et au nom de qui les gardes exercent leur répression : « Et l’on voit, vers la fin de l’été, tel propriétaire riche parcourir à cheval le canton, commune par commune, pour prélever sa part de récolte, de bénéfice sur le bétail » (Morène 1918 : 60), c’est-à-dire percevoir la rente en nature d’un capital dont la dépossession des terres collectives a créé, dans les rapports de production existant, une base d’utilisation. La pérennisation, d’année en année, de cet endettement en numéraire amorce ainsi un mouvement d’appropriation du produit agro-pastoral des producteurs directs, et permet d’envisager, à terme, une séparation du producteur de ses moyens privés de production, par laquelle il n’aurait plus d’autre choix que d’offrir son travail en guise de rente. Le développement du travail salarié lié à la croissance de l’industrie des forges, et la création d’une nouvelle base pour la rente foncière par l’éviction des paysans de leurs terres collectives apparaissent comme deux germes d’une décomposition réelle des rapports sociaux agro-pastoraux, décomposition instrumentée, à l’intérieur du cadre de la communauté villageoise, par une catégorie de notables à qui la prépondérance économique a permis d’utiliser les nouvelles conditions juridiques créées au début du XIXe siècle pour multiplier les bases d’accumulation du profit. Trois phénomènes de conjoncture vont enrayer ce processus : le dépérissement rapide de l’industrie métallurgique en montagne sous l’effet de l’épuisement local des forêts et du minerai, et surtout du fait de la concurrence des grands bassins houillers languedociens mécanisés ; la surpopulation de la montagne et le mouvement constant d’émigration vers la plaine, intensifié par les disettes du milieu du siècle ; et sur le plan le plus visible, les révoltes de 1848 qui interrompent l’infernale spirale de l’oppression.
23Les deux premiers facteurs appartiennent à un vaste mouvement régional dont l’analyse dépasse le cadre de ce travail. Coupe opérée dans une sédimentation sociale, la révolte informe tant par son contenu événementiel que par son influence sur le cours d’une évolution : en Capcir et en Donnezan, les mouvements paysans de la première moitié du XIXe siècle divergent ainsi doublement.
24Le point culminant de l’insurrection de 1848 qui, selon Albert Soboul (1948), parvient à un « paroxysme » dans les Pyrénées de l’Est, est atteint dans le canton de Quérigut par l’attaque des demeures des notables, riches propriétaires et usuriers, par les paysans en armes qui se tournent ensuite vers le logis des gardes forestiers dont ils pillent les réserves alimentaires. Leur but : obtenir que soient brûlées des reconnaissances de dettes et autres hypothèques, fruits de trois décennies de dépossession territoriale. De mars à juillet, les paysans redeviennent maîtres de la forêt et, dit-on, comblent leur retard en l’exploitant jour et nuit. Dans les mouvements violents qui accompagnèrent, entre 1820 et 1828, la lutte de Formiguères contre le marchand de bois perpignanais puis, en 1848, de tout le Capcir contre les représentants civils et militaires de l’État qui, par ses domaniaux, était alors comme aujourd’hui le plus grand propriétaire de forêts et pâturages du pays, les notables ne sont pas les cibles mais les animateurs du ressentiment populaire. Derrière maire, curé, notaire, la communauté ne cesse de harceler le propriétaire, ses représentants et les autorités venues rétablir l’ordre, interdisant toute exploitation de la forêt en litige. Si bien qu’en 1828, trois ans seulement après le dernier jugement de cantonnement, le marchand de bois était contraint, pour recouvrer la propriété utile de la forêt qu’il avait acquise, d’abandonner le fondement juridique de son droit de propriété : le 3 février, il conclut avec la commune une convention en vertu de laquelle il lui concède, moyennant cinq cents francs, la propriété du sol des trois quarts de la forêt que les décisions juridiciaires lui avaient attribués, sous réserve d’y exploiter 33 000 arbres dans un délai de vingt ans. La transformation survenant dans la nature du rapport de propriété suscite, en Capcir, le resserrement des liens communautaires pour faire face à l’agression extérieure. L’acharnement opiniâtre de la communauté unie, en dépit de ses hiérarchies et de ses dissensions, parvient à faire régresser l’acquis d’une évolution juridique qui, au contraire, en Donnezan, provoque l’éclatement des sociétés villageoises en factions opposées : face aux habitants en armes, les notables ne forment-ils pas, en 1848, une milice bourgeoise ?
25Nous nous garderons d’épiloguer sur des faits plus indicatifs que démonstratifs. Dans les Pyrénées du XIXe siècle s’expriment, dans un espace géographique restreint, aussi bien le combat séculaire pour le communal, à même de « matérialiser l’unité du groupe » (Soboul 1976 : 187) qu’une opposition entre paysans pauvres, attachés à la communauté comme cadre traditionnel de subsistance, et notables ruraux, auxquels une accumulation préalable de richesses permet de s’approprier les terres collectives. C’est donc l’histoire des conditions de l’accumulation des richesses nécessaires, à l’intérieur des communautés villageoises, pour permettre à une fraction de la population de ces communautés de transformer un nouveau rapport abstrait de propriété en rapport concret d’appropriation des ressources collectives et de subordination des procès de travail agro-pastoraux, c’est donc cette histoire qu’il conviendrait d’entreprendre pour saisir les causes endogènes du démarrage puis de l’avortement, par désindustrialisation et exode vers les plaines, des mouvements transitionnels du XIXe siècle dans les Pyrénées. L’existence, ou l’absence, de telles conditions d’accumulation nous semble cependant, à titre d’hypothèse, constituer un facteur décisif des différences d’orientation manifestées par les sociétés capciroise et donnazanaise placées sous l’influence d’une même mutation juridique. Comme le suggérait Pierre Vilar à propos des articles de Marx sur la transformation en vol du droit d’usage du bois en Rhénanie, qui possède son équivalent pyrénéen14, « presque tout a été dit, sinon tout, sur un processus de transition, et l’a été à propos du droit » (Vilar 1982 : 275). Mais le droit n’est que le code d’un mouvement historique dont le déroulement concret appartient à la réalité des rapports sociaux : on ne peut décréter la transition sociale.
Rapport domestique de propriété foncière
26Poursuivons donc l’exploration du code et de ses effets. Le maintien, dans le Capcir du XIXe siècle, des conditions sociales de la reproduction des communautés villageoises suppose également que soit préservée l’autre composante de leur dualisme : la propriété « privée » et le mode d’héritage qui découle de la combinaison de cette forme de propriété avec la propriété collective.
27La structure des communautés villageoises suppose la coexistence de deux éléments différents mais non équivalents et non réductibles l’un à l’autre, car « l’appropriation du sol implique […] que l’individu particulier soit membre de la communauté mais, en sa qualité de membre de la communauté, il est propriétaire privé15 ». Cette remarque de Marx nous semble fort bien dépeindre le modèle capcirois par lequel la reproduction de l’individu présuppose la reproduction de la communauté qui est la condition de la reproduction du rapport d’appropriation privée du sol. C’est le contenu de ce rapport qu’il nous faut à présent définir, avant d’envisager la mesure dans laquelle il peut constituer l’horizon d’une dynamique interne des communautés. Sa conversion en propriété bourgeoise au début du XIXe siècle peut-elle enfin être considérée comme un facteur de dissolution du système social ?
28Les attributs contemporains de la propriété privée ne sauraient convenir pour caractériser, en Capcir, l’appropriation non collective du territoire. Celle-ci passe par le cadre de la maison, forme sociale qu’une très abondante littérature pyrénéenne a mise en évidence sans qu’il en émerge pour autant une claire notion de sa place dans la logique du système social. Qu’il nous suffise ici d’en définir la spécificité comme condition d’appropriation des ressources. La cohérence du système domestique de reproduction repose sur la double contrainte exercée, d’une part, par l’héritage de l’ensemble du patrimoine immobilier, terres arables et bâtiments, dévolu à un seul des enfants, et d’autre part, par l’inaliénabilité virtuelle qui pèse corrélativement sur ces mêmes biens. C’est une constante, semble-t-il, transpyrénéenne que l’intégrité des patrimoines immobiliers servent de principe unitaire aux règles de l’organisation domestique et à leurs représentations juridiques : en domaine catalan, la transmission des biens productifs à l’un des enfants, suivant la volonté paternelle, se combine – sous certaines conditions – avec le retour des biens de la fille dotée, et l’impossibilité pour l’héritier d’aliéner définitivement une parcelle de terre16. Compte tenu de la pérennité du patrimoine, ce qui se transmet, c’est donc plus une fonction politique, le pouvoir du chef de la maison (cap de casa), qu’un droit individuel de propriété. Conséquence de l’unicité d’héritier du fonds, les non-héritiers sont appelés à alimenter le marché matrimonial villageois et intervillageois, moyen statutaire, avec l’apprentissage d’un métier, d’acquérir dans la communauté une place que la naissance ne confère qu’à l’héritier. Cette propension lignagère à l’émigration a pour corrélat le recrutement régulier d’une partie des membres du groupe domestique hors de la parenté proche, voire hors de la parenté tout court : si tant est que la première fonction de la maisonnée soit de constituer un groupe de travail, l’agrégation d’une cousine comme servante, ou simplement la conservation d’un frère qui reste célibataire et se soumet au nouveau chef et la maison, a le mérite d’y souscrire.
29Filiation, alliance et résidence expriment la subordination du lignage au patrimoine foncier, de la famille à la maison. Les composantes du système catalan de la casa, eu égard à leurs multiples variantes et adaptations historiques et géographiques, suggèrent qu’il ne s’agit pas de reproduire un groupe de parenté mais un rapport de propriété : c’est la constance historique de la répartition des terres arables entre les maisons et de leur transmission indivise qui fonde l’unité spécifique de la forme domestique. Les conséquences de cette idéologie de la propriété sont multiples. Du point de vue de la logique interne du système, on peut affirmer qu’elle légitime aux yeux de tous un double clivage : tout d’abord entre héritiers et exclus qui consentent à cette exclusion, ensuite entre « grandes maisons » possédant d’importantes surfaces arables et maisons plus pauvres, en constant déséquilibre. Plus nous importe ici sa signification à l’égard de l’ensemble du système. Le périmètre symbolique, rituel, économique et juridique que définit la maison s’impose comme un butoir structurel des possibilités d’appropriation privée de l’espace productif17. Déductible du mode d’héritage, ce butoir est notamment sensible dans le champ matrimonial : pour maintenir les conditions nécessaires au déroulement des cycles d’échanges de conjoints, un héritier ne doit pas épouser une héritière, ce qui, à terme, aboutirait à la fusion des maisons en une seule entité. Autrement dit, la combinaison d’un mode d’héritage et des orientations matrimoniales qui, idéalement, en découlent, apparaît liée à une contrainte d’ordre plus général qui suppose que, pour se reproduire séparément, selon une cohérence maintes fois attestée par l’ethnologie pyrénéenne18, les maisons doivent, en même temps, reproduire les conditions de leur association, soit la forme communautaire de l’existence des individus.
30Existe-t-il un rapport contradictoire entre la propriété collective et la propriété privée ainsi définie ? Nos communautés pyrénéennes de l’aire catalane endossent-elles, à l’instar de la commune russe de Kovalewski ou de la communauté germanique de Maurer, la forme de la « commune rurale », « forme où s’opère la transition vers la propriété privée du sol » (Godelier 1970, préface : 79) ? Le problème soulevé par Marx est, dans l’historiographie française, d’une considérable acuité : la recherche dans la structure interne des communautés villageoises, des contradictions déterminantes dans un milieu historique donné de leur évolution passe-t-elle par l’opposition entre propriété collective et propriété (privée) domestique ?
31La question du partage des communaux, encouragé par les idées physiocratiques de la seconde moitié du XVIIIe siècle, a été, la plupart du temps, posée au niveau des communautés locales en termes d’accaparement pur et simple de biens collectifs par certains de leurs membres. Faute de pouvoir établir l’origine de l’appropriation privée du territoire en Capcir, c’est sous cet angle, plus documenté, que nous nous placerons.
32A la fin du XVIIIe siècle, plusieurs tentatives de mise en culture et d’appropriation des prairies communales par des particuliers surviennent en divers points du Capcir19. Que signifie ce mouvement ? Dans sa lettre à Vera Zassoulitch, Marx considère le dualisme de la communauté rurale comme une source de décomposition, sur le principe que la propriété privée peut servir de base à l’accumulation de richesses mobilières et transformer les possessions collectives en simples « annexes communales » de la propriété privée (Godelier 1970 : 322). Autrement dit, la propriété privée servirait de base à l’accroissement de la production marchande, dont l’un des effets serait de dissoudre l’égalité économique et sociale dans la communauté (ibid.). Ce schéma embrasse une large perspective historique dont la reconstitution demeure, en Capcir, du domaine de l’hypothèse. Dans ses épisodes connus ou, plus généralement, dans la conscience locale, le mouvement d’appropriation des communaux semble le fait des couches les plus pauvres de la communauté, qui tentent ainsi de se constituer ou d’élargir leur base agricole, et non pas le fait des producteurs aptes à accroître la production d’un surplus commercial en augmentant la proportion des terres qu’ils cultivent, attendu que le seigle est, à cette époque, la principale denrée marchande de la région. Elles en sont empêchées par les autorités locales, soit la frange la moins pauvre de la paysannerie qui justifie son action par une défense du pastoralisme, avec lequel s’identifient les intérêts de la communauté dans son ensemble.
33A Formiguères, en 1787, on demande au juge local de « prévenir et […] empêcher les entreprises, défrichements et dépaissances […] qui porteraient un si grand préjudice à la communauté qu’elle ne pourrait pas faire subsister ni soutenir ses bestiaux, qui sont l’essentielle ressource des habitants »20. L’argument est généralisé, en 1843, par le Conseil général du département qui estime, pour la zone de montagne, que « la mise en culture y serait-elle possible, l’intérêt de la commune et des habitants commanderait la destination du sol au mode de jouissance consacré par l’usage et sollicité par les besoins du pays » (cité in Cauchy 1848 : 135-136). Symétriquement, les rares tentatives d’utilisation des communaux par des maisons aisées, à l’encontre de l’usage collectif, sont annihilées par souci de préserver les rapports pastoraux. En 1890, plusieurs maisons alliées avaient fait entrer dans les dépaissances collectives le vaste troupeau ovin d’un éleveur de la plaine, à charge pour celui-ci de leur accorder, à l’exclusion des autres maisons du village, le bénéfice de la fumure. Le tollé fut général, tant en Cerdagne qu’en Capcir, parmi les municipalités, lesquelles condamnèrent vigoureusement cette entrave à un ordre censé autant consacrer l’intégrité des terres communes que celle des patrimoines. Les réactions à ces exactions tracent les limites du système, et ses priorités.
34Compte tenu des contraintes climatiques et de la faible fertilité des sols, le volume de la production agricole dépend grandement du taux de fumure des terres cultivées. L’effectif du cheptel ovin conditionne donc l’ensemble du procès de travail agro-pastoral. Or, aussi bien la dépaissance des troupeaux que le fumage des terres sont organisés sous une forme communautaire : chaque cheptel privé est placé, pour la pâture des terres communes, sous la garde d’un berger communal, et, à l’automne, chaque maison bénéficie sur les terres de la fumure du parc ovin tout entier – ce qui suppose droit de passage et vaine pâture –, en proportion de son cheptel. La stabilité de cette forme sociale, qui organise l’amont du procès de production, semble avoir préservé l’équilibre existant entre propriété collective et propriété privée, nouant une complémentarité que le faible niveau des forces productives était inapte à bouleverser de l’intérieur. L’incapacité des unités domestiques les plus aisées à soumettre les communaux à une logique marchande trouve peut-être un élément d’explication dans le faible développement de la part marchande du produit au sein de ces mêmes exploitations, qui, en revanche, n’entendaient pas amoindrir au bénéfice de maisons pauvres ou marginales le primat de fait qu’elles exerçaient dans la jouissance des biens communaux. La dominance persistante d’une forme sociale communautaire mériterait, en outre, d’être explorée dans le champ intellectuel et idéologique : n’est-il pas fondamental, au-delà du cadre domestique, de tenter d’expliquer sous cet angle, à l’instar de Butel, comment « toute la vie locale pivote autour de cette propriété commune des pâturages, et comment cette communauté a dû frapper à sa puissante empreinte toute la série des phénomènes sociaux, spécialement la constitution de la famille » (1892 : 221-222) ?
35Qu’en est-il de l’harmonie de cette structure, dont la reproduction semble assurée au sein d’une opposition non contradictoire, lorsqu’elle se trouve contrariée par une mutation juridique survenue au niveau de l’État englobant. On a pu entrevoir comment la dissolution juridique du rapport communautaire d’appropriation du terroir collectif, au début du XIXe siècle, procédait partiellement de l’émergence, dans le droit, d’une conception bourgeoise de la propriété. L’individualisation d’un droit abstraitement détenu par l’entité domestique devient, au niveau de la propriété privée, un redoutable instrument de décomposition des rapports qui s’en trouvent solidaires. Dans la logique du Code civil de 1804, « l’autonomie de l’individu conduit à l’autonomie de la propriété ; droit, philosophie et économie sont d’accord pour faire du fonds de terre le royaume, un et indivisible, du propriétaire » (Ourliac et Malafosse 1971, II : 188). Les conséquences de l’esprit du Code à l’égard du système catalan de la maison sont extrêmement corrosives.
- Au niveau de l’exercice subjectif du droit de propriété, le Code introduit une faculté de disposition qu’ignoraient les principes fondamentaux du rapport domestique d’appropriation, protégeant la durée de l’association d’un patrimoine et d’une lignée.
- Au niveau particulier de la transmission de la propriété foncière par héritage, le Code autorise et encourage par ailleurs le partage des patrimoines entre tous les enfants issus du propriétaire, ouvrant ainsi la voie à la contestation du privilège de l’héritier unique et, par conséquent, de l’autorité paternelle elle-même.
- Ces deux innovations substituent le droit d’un individu sur un bien à la transcendance du bien sur les individus : le code de fonctionnement du système domestique de reproduction s’en trouve rigoureusement inversé.
36Or, l’observation directe et contemporaine révèle qu’en Capcir le système coutumier a continué de produire concrètement ses effets en dépit d’un obstacle légal apparemment contraignant.
37La contradiction née dans le champ juridique a été réduite, par le biais des études de notaires. C’est à cette constatation que permet d’aboutir l’étude de la variété de stratégies empruntées pour reproduire le système ancien à l’intérieur de la forme légale nouvelle. Nous avons déjà eu l’opportunité d’en détailler les modalités (Assier-Andrieu 1981b) ; qu’il nous soit donc permis d’attirer l’attention sur ce que ces stratégies révèlent sur l’incapacité de la nouvelle forme des rapports de propriété privée à subsumer, par elle-même et réellement, le contenu des rapports concrets nés de la structure des communautés villageoises. Si le point de rencontre et d’opposition des représentations nationale et locale de la propriété privée se situe autour de la fonction successorale, il est bien évident que, dans le système catalan, le mode d’héritage n’est qu’un segment, qu’une conséquence, d’un système plus vaste, domestique, qui lui-même participe d’une forme d’ensemble, la communauté villageoise, à laquelle peut être identifiée la société montagnarde. Or, il semble précisément que ce soit dans la place occupée par la fonction successorale à l’intérieur de la forme domestique que doive être recherché le fondement de la résistance du système. Expliquons-nous. Le moteur réel du système de reproduction de la maison n’est pas l’attribution de l’intégralité du patrimoine foncier à un seul enfant, mais le consentement des autres enfants nés et élevés dans la même maison à l’application de la volonté paternelle qui les voue au départ ou à un statut subalterne dans la maisonnée. Autrement dit, l’aisance relative avec laquelle les communautés du Capcir parviennent, avec l’active complicité des notaires locaux, à contourner la loi peut s’expliquer par le fait que l’héritage n’est que le maillon d’une chaîne de reproduction dont l’unité n’est pas objet de droit. L’agression demeure formelle et se repousse par des formes ou formulaires notariés.
38A partir du début du XIXe siècle, la reproduction des communautés villageoises du Capcir doit donc s’effectuer, en ce qui concerne la jouissance effective des terres privées, à l’intérieur d’un cadre juridique qui est une condition virtuelle de leur dissolution. Pour schématiser, nous dirons que les armes du droit nouveau contre l’ordre traditionnel sont principalement le partage successoral et la disposition des biens patrimoniaux. Par des stratégies formelles, le système d’héritage lié à l’organisation domestique a persisté car persistait la nature des rapports de production agropastoraux. Il n’est pas dans ce propos d’analyser les vicissitudes du développement du capitalisme en Languedoc et Roussillon au XIXe siècle. On peut, grossièrement, en proposer deux traits, liés à cette continuité d’une économie agro-pastorale produisant peu pour le marché : a) la désindustrialisation de la montagne et le repositionnement du capital dans les manufactures de piémont et surtout dans l’« industrie viticole » des grands domaines de la plaine ; b) la transformation des migrations saisonnières des populations des montagnes en émigration définitive dans le cadre de la formation, en plaine, d’un prolétariat urbain et agricole, et, bien sûr, du développement colonial. Alors que les pays pyrénéens de la zone orientale connaissent leur apogée démographique dans la première moitié du XIXe siècle, l’accroissement des besoins en travail que suscitent les mutations économiques de la plaine, et l’avortement corrélatif des tentatives d’exploitation industrielle de la montagne permettent aux communautés agro-pastorales de se perpétuer à l’intérieur des mêmes formes économiques. On peut penser que le développement du capitalisme agraire dans les zones de plaine et, dans une moindre mesure, la croissance des manufactures dans les pays de piémont, aient permis le relâchement des contraintes de subsistance pesant sur les maisons villageoises de montagne et, dans notre exemple, favorisé le maintien des consensus familiaux qui ont été à la base de la reproduction du système ancien.
39S’il n’est pas douteux qu’il y eût en Capcir, du Code civil aux années 1960, des mouvements de partages successoraux des patrimoines fonciers21, l’ensemble du système de reproduction ne semble pas en avoir été affecté de façon décisive, singulièrement, et pour des raisons qu’il convient à présent d’examiner, la dissolution réelle de la forme sociale de la production agro-pastorale est survenue par le moyen juridiquement créé en 1804 de l’aliénabilité du sol privé, lorsque sa conversion en marchandise fut devenue une condition du développement du capitalisme touristique.
VERS UN NOUVEAU SYSTÈME SOCIAL
40Le tourisme demeure, dans la société pyrénéenne, une terre vaine de l’anthropologie. Notre regard sur le vaste ensemble de phénomènes impliqués par le développement du tourisme dans un milieu montagnard agro-pastoral ne saurait en restituer la complexité ni la globalité. Il pourrait cependant contribuer à nuancer le stéréotype qui subordonne à l’initiative extérieure la croissance d’une économie de loisirs au sein d’une société paysanne.
41En Capcir, comme dans toute la chaîne pyrénéenne, le tourisme n’est pas un fait nouveau. Le grand mouvement « excursionniste » de la bourgeoisie, au XIXe siècle, possédait un courant spécifiquement « pyrénéiste » par lequel les botanistes, les entomologistes et autres minéralogistes des académies locales découvraient la vie des vallées les plus isolées. La vogue du thermalisme puis des cures d’ensoleillement en prit plus tard le relais, sans oublier les courses en montagne, depuis la fin du siècle dernier. L’exode rural et l’accession des migrants montagnards aux moyennes classes citadines fut, par ailleurs, un facteur non négligeable d’accroissement de la population estivale sous la forme d’un retour vacancier au pays. La fortune relative de quelques hôteliers, l’achat ou la construction de quelques résidences secondaires en étaient les principales retombées économiques, sans entraver outre mesure le bon fonctionnement du système local.
42Il n’en fut rien, en revanche, de l’ouverture, en 1964, de la station de sports d’hiver des Angles qui inaugura, en Capcir, l’ère du tourisme de masse. L’aménagement des équipements récréatifs ou sportifs (remontées mécaniques) et l’établissement d’une infrastructure immobilière destinée à accueillir les vacanciers supposa un renouvellement du mode concret d’appropriation du territoire. Le produit de la vente des coupes communales de bois fut, d’autre part, utilisé comme un moyen de financer les installations nécessaires, et notamment l’équipement des pistes de ski, une politique de rachat de certaines parcelles fut, d’autre part, engagée à l’initiative de la commune, puis d’investisseurs privés, pour entreprendre la construction de lotissements immobiliers ou d’équipements d’intérêt collectif (voies d’accès, parkings, courts de tennis…). La station des Angles fut ainsi, en Capcir, l’épicentre historique d’un mouvement d’expansion du capitalisme touristique dont quatre stations de sports d’hiver (pour six communes) concrétisent l’ampleur actuelle. On peut corrélativement affirmer que la création de la station de ski des Angles matérialisa la dissolution du rapport ancien de propriété domestique, entravant ainsi, parfois de façon décisive, la perpétuation des activités agro-pastorales.
43Nous examinerons la teneur de ce point de rupture pour centrer ensuite notre attention, en amont, sur la formation du capital originaire du démarrage d’un tourisme de masse à partir du village des Angles.
L’impact d’une contradiction juridique
44La création, en Capcir, d’une nouvelle base économique par le moyen de l’utilisation de capital rencontra la situation foncière qu’un siècle et demi de distorsion entre la possession réelle de la terre privée et ses représentations légales avait produite. Quelquefois les actes notariés et le cadastre s’écartaient totalement de la réalité ; le plus souvent, ils en présentaient un visage déformé (Assier-Andrieu 1981b). Les indivisions étaient fréquentes, peut-être plus encore les partages fictifs par lesquels un patrimoine était divisé par un jeu d’écritures et reconstitué, avec le consentement général des intéressés, entre les mains d’un seul qui l’exploitait concrètement à charge de leur verser une soulte généralement symbolique, et de veiller au grand âge du couple parental. Au-delà des biens familiaux, l’usage patrimonial des exploitants agricoles sur les terres du plateau s’est fréquemment étendu, après 1945, où l’exode agrandit la friche, aux parcelles incultes des propriétés voisines. Cette double distorsion à l’égard du rapport légal de propriété privée correspond au maintien ou à l’augmentation des surfaces utilisées indispensables à l’accroissement de la production pour l’échange, concomitant de l’amenuisement du traitement local des produits.
45La fermeture de la filature de Formiguères, au début du siècle, a favorisé le développement de l’élevage des ovins, non plus pour la laine, mais pour la viande et donc pour le commerce. Le dépérissement des moulins fariniers locaux et l’émergence de minoteries électrifiées ont également encouragé la production du seigle pour la vente, de même les fours domestiques se sont éteints et on dut acheter le pain chez le boulanger. En 1948, fut créée, en haut Confient, une coopérative laitière à laquelle la quasi-totalité des exploitants du Capcir livraient, en 1956, un lait de vache qui n’était précédemment que l’objet d’une consommation domestique. L’exode, le vieillissement de la population, la scolarisation généralisée et rajeunie des enfants privaient également le pays de main-d’œuvre et imposaient aux casas les plus dynamiques les frais d’une coûteuse mécanisation.
46Fragiles, les fondements sociaux de cette économie furent ébranlés entre 1950 et 1958 par une initiative extérieure. A la suite de la décision prise par l’Électricité de France d’aménager un barrage hydro-électrique au creux du haut-bassin22, il fut procédé à l’expropriation de 235 hectares situés sur les communes des Angles et de Matemale. Dépouillée d’une partie de la précieuse forêt communale de la Matte, la commune des Angles obtint la somme, considérable en regard des budgets municipaux du Capcir de l’époque, de 23,3 millions de centimes. Malgré la modicité de la base d’indemnisation – de 20 à 40 centimes par mètre carré –, les expropriations des terrains privés marquèrent fortement les esprits car leurs bénéficiaires furent principalement ces migrants à qui l’on avait attribué, dans les partages, ces parcelles éloignées du village parce que précisément « elles ne valaient rien », alors que leurs germains qui vivaient la monétarisation croissante des échanges regardaient avec envie un gain en numéraire qu’une nouvelle et circonstancielle valeur économique de la terre avait si aisément procuré aux titulaires scripturaux du droit de propriété.
47Lorsque le maire des Angles dut racheter à un particulier un terrain inculte essentiel à la construction du premier télésiège de la station, il en proposa cinq francs le mètre carré et, significativement, on lui en demanda huit. A partir de 1966, la commune élabora un programme de constructions immobilières, définit les zones constructibles et amorça la réalisation d’une première tranche de lotissements communaux. Celle-ci supposa le rachat de nombreuses parcelles, incultes pour la plupart. Parallèlement, certaines sociétés privées extérieures au pays menaient de semblables opérations de rachat foncier hors des limites que l’initiative communale s’était assignées. Pour racheter la terre, encore fallait-il qu’elle pût être aliénée. Or, l’enchevêtrement des liens de possession et d’usage par lesquels s’exprimait, nous l’avons vu, le rapport domestique de propriété éliminait toute faculté de disposition du sol. La conception civiliste de la propriété dont se prévalaient les acheteurs réclamait en revanche que l’on établisse une relation légale entre l’objet du droit et son titulaire. La dispersion des ayants droit, la multiplication des indivisions et l’écart entre l’usage et la représentation juridique de la propriété par les actes notariés imposa fréquemment – et impose toujours – soit une reconnaissance légale du rapport d’usage, soit que l’on établisse le droit de propriété sur une base notoire. De la première solution relèvent les nombreuses procédures visant à fonder le titre de propriété d’une parcelle par le témoignage de ceux qui ont vu les membres de telle maison l’utiliser depuis plusieurs générations : il s’agit, en fait, de valider à l’égard du droit national de rapport d’usage, dans le but d’en transformer l’objet en bien aliénable. La seconde solution semble, en revanche, issue des problèmes posés par l’émigration des ayants droit, particulièrement en cas d’abandon total de terres. Lorsque la mairie des Angles voulut acheter un terrain réputé appartenant à un insoumis de la guerre de 1914-1918, décédé en 1920 à Barcelone, il trouva comme interlocuteurs les membres de trois maisons du village, apparentés au défunt par des relations imprécises de cousinage, qui revendiquaient la propriété de la parcelle. La mémoire villageoise des réseaux de parenté fit le droit : on « s’arrangea » avec le notaire, et l’acte d’achat fut dressé au bénéfice collectif de ces cousins éloignés.
48La conséquence majeure de cette politique de rachats fonciers, à l’égard du système social local, fut toutefois d’avoir encouragé la rupture des arrangements consensuels qui étaient à la base de la perpétuation du rapport coutumier d’usage du terroir privé. L’assentiment de leurs cohéritiers au maintien de la coutume était le fondement le plus sûr de l’accès des producteurs capcirois aux biens domestiques, dont la seule valeur économique était le fruit d’un travail qui parvenait souvent avec peine à assurer leur subsistance. La présence au pays d’un capital en argent investi dans l’achat de terres transfigura dans certains exemples saillants la physionomie du rapport de propriété ; la terre fut regardée comme une surface constructible, non plus comme l’objet du travail paysan. Quelques rachats spectaculairement lucratifs pour les vendeurs favorisèrent la diffusion de cette représentation nouvelle, allant bien au-delà de la progression réelle des investissements. Dans plusieurs cas, la survie d’exploitations dont l’unité, dépourvue de base légale, reposait sur la pérennité d’une image monolithique de la casa, fut remise en question à la fois par les prétentions de cohéritiers s’estimant lésés ou réclamant le partage, et par les propriétaires légaux de parcelles qu’ils souhaitaient affranchir de l’usage d’un voisin.
49Indépendamment de leur ampleur, difficile à mesurer pour des matières aussi délicates, ces manifestations semblent révélatrices d’une corrosion décisive de la forme sociale domestique. L’influx d’un capital en argent dans l’économie des communautés a déterminé la conversion des parcelles du terroir agricole en marchandises, privant ainsi de leur base matérielle les unités domestiques de production. L’utilisation d’argent comme capital dans la perspective d’un aménagement touristique du territoire est donc un facteur de libération réelle de la terre du rapport domestique de propriété, c’est-à-dire du rapport de propriété dans la forme de sa combinaison avec la propriété collective. Il est clair, en outre, que le capital trouve dans la forme juridique de la propriété privée, telle qu’énoncée par l’État depuis le début du XIXe siècle, une condition préalable de la désagrégation des procès de travail anciens. Autrement dit, il semble possible de considérer la dissolution des arrangements familiaux anciennement déterminants de la reproduction des exploitations dans la forme sociale de la casa, comme l’effet des progrès d’une soumission réelle des rapports de production issus de l’agro-pastoralisme à la logique du développement des formes capitalistes de production.
50Il nous est cependant nécessaire de comprendre comment le mouvement interne du système agro-pastoral a permis, par l’accumulation d’un capital, la création de cette nouvelle base économique dont le développement se nourrit du dépérissement de l’ancienne.
L’émergence d’un capital autochtone
51Deux démarches peuvent se présenter pour décomposer la logique interne des rapports sociaux de production qui, en Capcir, fut, selon notre hypothèse, une cause efficiente du démarrage d’une économie de loisirs s’appuyant sur la dissolution de formes sociales anciennes.
52L’une voudrait que l’on parcoure avec minutie chaque segment du système de production pour en envisager les transformations et les conséquences de ces transformations à l’égard des autres segments : postulant l’unité du système, il s’agirait alors d’établir une image exhaustive de ses possibilités d’évolution, compte tenu de la diversité des bases matérielles mises en œuvre – agro-pastorale, artisanale, commerciale – et de leurs différentes combinaisons à l’intérieur d’unités domestiques particulières. Cette démarche progressive suppose une lecture très fine de la réalité des rapports de production : à partir, notamment, du dépouillement de plusieurs livres des comptes de forgerons villageois, nous avons ainsi pu mettre en évidence les conditions de la disparition graduelle de ces artisans, à l’exception d’un seul qui, ayant hérité une exploitation relativement importante, parvint à créer la base d’une activité commerciale aujourd’hui exclusivement orientée vers la satisfaction des besoins vacanciers (Assier-Andrieu 1982). La discontinuité de l’information interdit pour l’instant d’appliquer cette méthode à l’ensemble des catégories d’agents économiques. Des conditions de leur dépérissement, de leur maintien à l’intérieur de nouveaux rapports ou d’une accumulation de richesses leur permettant de transformer les rapports existants, seules les lignes de force nous apparaissent clairement23.
53La cohérence de l’exposé comme l’état de la recherche nous imposent d’emprunter la voie régressive, qui propose de lier le développement actuel du mouvement de transition à l’enchaînement des causes qui en forment l’origine la plus directe.
54La transformation, initiée en 1964, de la communauté paysanne des Angles en un pôle de développement du tourisme montagnard est intimement liée à l’histoire particulière d’une maison de village dont la trajectoire illustre parfaitement un mouvement interne de la société capciroise se nourrissant du dépérissement du système ancien et favorisant l’émergence de nouveaux rapports sociaux.
55Cette casa appartient, à la fin du XIXe siècle, à la catégorie des « grandes maisons », soit des unités domestiques dotées d’une assise foncière privée de quinze à vingt hectares, qui leur assure généralement un statut éminent, dont la faculté de drainer le travail d’autrui, contre nourriture ou un maigre salaire, ainsi que de marier certains de leurs enfants, dotés en proportion, dans des maisons de même niveau assure socialement la reproduction. A la différence, cependant, de ses congénères, la maison dite cal Ascarol ne fut pas balayée par le mouvement d’émigration qui priva la plupart de ces maisons dominantes du surcroît de main-d’œuvre quasi gratuite, distrait des maisons moins nanties, nécessaire à l’exploitation de superficies et donc de troupeaux plus vastes. On sait, par ailleurs, que l’exode des filles devança largement en ampleur comme en précocité celui des garçons : au niveau de l’élite, le champ des conjoints possibles s’est ainsi rétréci comme une peau de chagrin, les épouses potentielles des héritiers de grandes maisons ayant trouvé de meilleurs partis en milieu urbain. Il est courant, en Capcir, d’évoquer l’agonie des grandes maisons qui, dès avant la grande guerre, s’éteignaient, par l’image d’un vieux célibataire confiné dans la grandeur passée de sa casa. Dès cette époque, cal Ascarol reste, cependant, en prise avec l’évolution du pays car, depuis déjà longtemps, son activité agro-pastorale se double de l’exploitation d’une auberge, à la fois café et pension de famille. Plus qu’un lieu de prestations de services, l’auberge est, en haute Catalogne, une véritable institution, au point d’être dans les hameaux andorrans du XIXe siècle, directement gérée par la communauté (Castillon d’Aspet 1852 : 446, pièces). C’est, en outre, un point du système économique villageois accoutumé à la pluralité des bases – James Erskine Murray (1837) trouva, en 1835, à loger à Latour de Carol chez un aubergiste qui faisait également fonction de boucher.
56Deux catégories de personnes fréquentent principalement, au début du siècle, l’auberge des Angles : irrégulièrement des excursionnistes, et régulièrement des rouliers. Le contact des premiers, comme l’expérience familière à seuls quelques spécialistes par village de la transgression hivernale de l’espace sauvage de la montagne pour y chasser à skis, ont sans doute leur importance pour comprendre l’esprit qui anima plus tard l’héritier de la maison dans ses efforts pour promouvoir le tourisme. Les moyens matériels de son initiative semblent néanmoins poindre dans la relation entretenue par cette maison avec les rouliers, transporteurs dont l’activité s’intensifie avec l’amélioration des communications et qui ravitaillent les différents villages du Capcir en produits de première nécessité (vin, sel, morue salée, fruits) en échange d’une part de la production de pommes de terre et de quelques planches de bois distraites de la coupe affouagère. Les comptes de ce système de troc se soldaient, comme pour tous les commerces et artisanats locaux, à l’automne, après la vente du croît du bétail. Par son intermédiaire, s’est développé un commerce local du bois fondé au départ sur la vente du matériau, une fois transformé en planches dans une scierie artisanale, directement par l’affouagiste au roulier qui, à son tour, le revendait aux importantes menuiseries de la plaine.
57En diminuant le nombre d’usagers, la constante dépopulation augmenta la proportion de bois pouvant être vendue tant au profit des particuliers qu’à celui des communes, d’où une croissance du nombre et de l’activité des scieries du Capcir. En une cinquantaine d’années (1880-1930), le traitement local du bois d’œuvre a, par ailleurs, subi une révolution technique : la fonction des scieurs de long fut progressivement assurée par les scieries dites au fil de l’eau, équipées de scies battantes, supplantées à leur tour par des scieries électriques dotées de systèmes à ruban, après que la construction, entre 1924 et 1930, du barrage hydro-électrique du Puyvalor ait permis une rapide électrification du pays. Cette transition décupla le volume du bois traité mais, surtout, transforma la structure d’un artisanat traditionnellement saisonnier, complémentaire de l’agriculture et exercé en proportion des besoins de la communauté villageoise. L’électricité libéra la scierie des contraintes climatiques qui, l’hiver, paralysent les cours d’eau et fondent, pour la subsistance domestique, la pluralité des bases économiques. Ainsi purent se constituer des ateliers capitalistes d’exploitation forestière, achetant le bois sur pied aux affouagistes pour le transformer en planches et le revendre aux négociants de la plaine, et employant pour cela quatre à six salariés à plein temps pour le processus de transformation, le double pour la coupe et le transport des troncs hors de la saison d’enneigement. L’amenuisement de la valeur locale d’usage du bois semble avoir facilité la pénétration de l’innovation technique et la naissance d’une forme capitaliste d’exploitation de la forêt sur une base artisanale et commerciale.
58En 1948, les bénéfices monétaires réalisés grâce à l’exploitation combinée de la terre, du troupeau et de l’auberge, ont permis à P., l’héritier de la maison, d’aménager, en association avec un cousin, une scierie électrique. Ses deux filles sont alors scolarisées en ville, l’une pour apprendre la couture, l’autre la comptabilité, dans l’hypothèse d’un retour au service du père. Dès cette époque, le bois du Capcir s’écoule régulièrement vers les colonies françaises d’Afrique où il est très apprécié car il résiste aux moisissures et « ne bleutte pas dans les cales des bateaux ». L’entreprise croît rapidement, employant sept salariés à plein temps et effectuant elle-même la livraison des planches par camion aux négociants de Prades et Quillan. Au décès de l’associé, un gendre assume le partage des responsabilités de la scierie, le reste de la famille se répartit à l’auberge ou aux champs, suivant les besoins. Lorsqu’il obtient, en 1953, la charge de la mairie des Angles – que son grand-père avait occupée quelques années auparavant – P. est ainsi à la tête d’une unité de production à l’aspect multiforme qui fonctionne, en employant membres de la parenté et travailleurs salariés, grâce à la combinaison de trois bases économiques : agro-pastorale, par l’exploitation de l’assise foncière de la casa ; artisanale, par la transformation au service des usagers villageois des arbres en bois de menuiserie ; commerciale, enfin, par le revenu des prestations hôtelières et la vente des planches au niveau du marché extra-villageois.
59Cette logique de l’accumulation de capital à l’intérieur des rapports sociaux issus de la forme des communautés villageoises n’exerce, jusqu’au début des années 1960, qu’une influence restreinte sur le fonctionnement de l’ensemble du système social. Si, en divers points du système, la propension à l’émigration se trouve parfois inversée, comme dans notre exemple avec le retour des filles mariées, ce mouvement sporadique, que l’on peut également observer dans la combinaison agriculture-élevage/boucherie/commerce du bétail, n’est pas susceptible de transformer globalement la nature des rapports de production, et notamment les formes d’appropriation concrète du sol. L’exceptionnelle acuité des choix économiques effectués par P., comme les contacts informatifs que lui a procurés sa position d’intermédiaire et de médiateur, au carrefour des échanges économiques et comme maire des relations politiques et administratives de la communauté avec l’État, éclairent le sens de l’initiative qui oriente, en 1964, de façon durable et profonde l’histoire du pays. Lorsque, fasciné par l’exemplaire réussite de Font-Romeu, complexe touristique créé ex nihilo en Cerdagne, il envisage de financer par la vente de coupes forestières communales les remontées mécaniques et les équipements nécessaires au démarrage d’une station de sports d’hiver, les autorités départementales de tutelle lui opposent le défaut d’existence de structures d’accueil adéquates. Il faut construire un hôtel supplémentaire. En tant que personne privée, le maire lui-même va concrétiser cette opération destinée à rendre possible le projet qu’il met en place comme gestionnaire de la communauté. Il vend la scierie familiale à un important menuisier implanté à Madagascar, qui passe régulièrement ses vacances à l’auberge des Angles, mais achève d’en utiliser les ressources pour dresser la charpente du futur hôtel qu’il parvient à financer avec l’aide d’un prêt du crédit hôtelier obtenu grâce au capital de la vente de l’entreprise. Le 15 décembre 1963, le nouvel hôtel était inauguré ; deux mois plus tard, on fêtait au village la mise en service du premier remonte-pentes des Angles.
CONCLUSION. CONTRADICTIONS ET PERSPECTIVES ACTUELLES
60Le propos de cet article était d’éprouver les lignes maîtresses de l’insertion dans le capitalisme touristique de formes sociales antérieures à la féodalité. Qu’il nous soit permis, en lieu de conclusion, de suggérer par l’examen des formes actuelles du tourisme, des contradictions nouvelles qu’elles engendrent et des perspectives d’évolution qu’elles laissent entrevoir, le canevas d’un développement ultérieur de l’enquête.
61Trois types de promotion du nouvel ordre économique de la montagne distinguent aujourd’hui les initiatives en matière d’aménagement du territoire capcirois, entretenant trois espèces distinctes de relations avec les rapports sociaux et les activités issus du cadre de la communauté villageoise.
Nouvelle base dans nouvelle forme : aménagement touristique par introduction d’un capital privé d’origine extérieure dont l’utilisation développe une relation d’incompatibilité avec la perturbation des anciens rapports de production
62La situation de Puyvalador-Rieutort, inaugurée à l’hiver 1981-1982, procède de ce schéma vectoriel, avec lequel on a parfois trop tendance à confondre l’ensemble des formes de développement du tourisme en montagne. Depuis 1969, date du premier projet d’installation d’un complexe de sports d’hiver, les villages de Rieutort et de Puyvalador, englobés dans la même commune administrative ont connu plusieurs phases de tensions et de violences entre partisans du tourisme et agriculteurs-éleveurs traditionnels. Aliénations de communaux et expropriations à très bon marché des terres privées ont facilité les opérations d’une société toulousaine de promotion qui, en l’absence, à notre connaissance, de toute participation communale au capital social, recueillera la totalité des profits de l’opération. Un seul villageois est salarié de la station, il reste aussi un seul troupeau, qui est à vendre. Le principal problème est aujourd’hui de savoir le prix que l’on obtiendra des terrains dont le promoteur aura besoin pour construire une nouvelle route pour accéder aux pistes de ski.
Nouvelle base dans forme ancienne : maîtrise communale du développement du tourisme
63C’est l’option adoptée par Matemale ou, en pays de Sault, par Escouloubre, où l’ensemble des initiatives appartiennent à la municipalité, aussi bien en matière de construction de logements (lotissements communaux, gîtes ruraux, studios hlm destinés à accueillir les travailleurs du bâtiment) qu’en ce qui concerne les structures à vocation sportive ou récréative. Un centre-école de ski de fond, fondé en 1975 par une initiative privée et placé en régie municipale depuis 1976, a permis à la mairie de créer des emplois, mais surtout de marquer sa volonté de conserver la maîtrise d’une nouvelle orientation économique que l’on souhaite explicitement maintenir hors du champ incontrôlable du capitalisme sauvage, inséparable, dit-on au village, de la logique engendrée par le ski alpin et les investissements qu’il réclame. Cette politique a permis d’endiguer puis d’inverser le processus de dépopulation : l’effectif de la commune est passé de 106 habitants en 1975, à 168 en 1982 et, signe d’une authentique revitalisation, on a réouvert l’école en 1978. Malgré l’alternative offerte par ce « socialisme municipal », dont les efforts pour limiter la montée des prix immobiliers n’ont pas empêché la prolifération des résidences secondaires, il semble que le reliquat d’activités agro-pastorales sur la commune, victime de la multiplication des rachats de terres ou de maisons, ne doive pas survivre à ce tourisme pourtant soucieux d’une immersion douce dans l’environnement naturel et social. Si la forme communautaire de la structure sociale traditionnelle semble pour l’instant convenir au développement d’une nouvelle base économique, la municipalité elle-même contribue, par les rachats de maisons restées en indivision, à accélérer la dynamique du dépérissement de la forme domestique.
Coexistence base nouvelle-forme ancienne / base nouvelle-forme nouvelle : le cas des Angles
64Sous l’autorité de son ancien maire, de 1953 à 1977, la commune utilisait la vente de ses coupes de bois pour créer des lotissements communaux. Elle fixait le prix de l’achat des terrains ainsi que les conditions de la vente des lots de façon à éviter la spéculation. Enfin, elle s’efforçait de préserver l’intérêt de la communauté dans les créations d’emplois et dans la jouissance des équipements touristiques municipaux : ainsi, des vieillards du village trouvaient-ils leur place aux pistes à des travaux peu exposés au froid, et les membres de la communauté exerçaient-ils, en vertu d’une simple reconnaissance par les employés de la station, un véritable droit d’usage gratuit sur les remontées mécaniques. En 1977, une nouvelle municipalité accède au pouvoir. Conduite par le propriétaire d’un commerce d’articles de sport, elle semble minimiser l’emprise communale sur les structures touristiques au profit le plus direct de certaines entreprises privées, d’ailleurs parfois gérées par des membres du conseil municipal. Certains restaurants des pistes, anciennement administrés par la commune, ont été cédés par adjudication. De façon peut-être plus marquante, le cinéma communal, aux tarifs très modestes, qui occupait les locaux de l’ancienne entreprise communale de dépiquage du seigle, a cessé de fonctionner en août 1982 pour permettre la rentabilisation d’un nouveau complexe, à capitaux privés et aux prix nettement plus citadins. Cet infléchissement de la pratique du pouvoir villageois, qui mérite naturellement de plus amples investigations, semble plus l’effet d’une évolution structurelle qu’un problème de personnes. Une tendance se fait jour qui semble récuser la forme sociale par laquelle le maire antérieur, initiateur de la station, refusait d’aliéner la moindre parcelle de territoire collectif en arguant de la précarité de l’économie du tourisme et de la pérennité de la vocation agro-pastorale du pays.
65Comme en témoigne cette différenciation, qui caractérise la soumission progressive mais non pas uniforme du Capcir à la logique d’un mode nouveau de production, la transition sociale doit s’analyser comme un processus animé d’un mouvement permanent.
66Si la dissolution des fondements domestiques des rapports de propriété paraît fort entamée, en revanche l’assise foncière que lui confère son emprise territoriale propre conforte l’institution de la communauté, sous son aspect de commune administrative, car elle s’avère la première bénéficiaire de l’aliénation du produit forestier. On assiste ainsi, sous certaines conditions et dans certaines proportions, au développement de la nouvelle base économique à l’intérieur d’une forme sociale ancienne : ce n’est pas un hasard si les formes du « socialisme communal » prirent naissance aux Angles et à Matemale, villages pourvus d’importantes forêts communales, et à l’initiative de maires, tous deux exploitants forestiers, alors que Rieutort et Puyvalador, communautés quasiment dépourvues de ces ressources, ne pouvaient assumer en tant que telles la charge de l’expansion de formes nouvelles d’exploitation du territoire. Enfin, lorsque la communauté villageoise (forme ancienne) et l’entreprise privée capitaliste (forme nouvelle) coexistent pour assumer le développement d’une base touristique sur un même territoire, on note une tendance à la subsomption progressive (subsomption formelle) de l’ancienne forme par la nouvelle : la maîtrise communale de la logique du profit n’est-elle pas, elle aussi, un phénomène transitoire ?

La carte des Pyrénées catalanes françaises.
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Notes de bas de page
1 Haut bassin du département des Pyrénées-Orientales (Catalogne française) comprenant dix villages et hameaux à une altitude moyenne de 1 500 mètres.
2 [La forme constitutive de la « commune agricole »] admet cette alternative : ou l’élément de propriété privée qu’elle implique l’emportera sur l’élément collectif, ou celui-ci l’emportera sur celui-là. Tout dépend de son milieu historique où elle se trouve placée... Ces deux solutions sont a priori possibles, mais pour l’une ou l’autre, il faut évidemment des milieux historiques tout à fait différents » (Karl Marx, « Lettre à Vera Zassoulitch (1881) », in Godelier 1970 : 323) ; voir aussi Godelier : 1981.
3 L’article 72 (loi Stratae) des Usatges de Barcelona dit : « Les routes et chemins publics, les eaux courantes, les fontaines vives, les prés, les pâturages, les forêts, les garrigues et les rochers qui se trouvent en ce pays, sont aux puissances, non pas qu’elles les aient en alleu, ni qu’elles les possèdent en toute propriété, mais pour qu’ils soient en tout temps à l’usage de leurs peuples, sans contradiction ni obstacle, et sans charge d’aucune sorte », notre traduction d’après l’édition Rovira I. Ermengol, Barcelona, 1933. Cf. notre ouvrage, Le peuple et la loi, 1987.
4 Cf. l’arrêt de la Cour de cassation du 3 mai 1876 qui débute ainsi : « Attendu que dans le pays de Roussillon (Catalogne française), aux termes de la constitution usatge stratae demeurée toujours en vigueur... », Dalloz, I, 305.
5 Rapport du Viguier de Conflent et Capcir à l’Intendant du Roussillon, Archives départementales des Pyrénées-Orientales, C 1241.
6 Réponse du Viguier aux Bayle et consuls de la communauté de Formiguères, 1773, Archives départementales des Pyrénées-Orientales, série O, Formiguères.
7 Mémoires dans le domaine de l’État..., Montpellier, 1829.
8 Ibid., p. 68.
9 Les différentes étapes de ce processus sont détaillées dans le second chapitre de la première partie de notre ouvrage, (Assier-Andrieu, 1981a).
10 Brutails (1889 : 162) souligne qu’il n’est pas rare que le vendeur d’une terre ignore à qui est soumise la tenure.
11 Jugements du tribunal civil de Prades, des 12 février 1822, 3 mai 1824, 28 novembre 1825 ; arrêt de la cour de Montpellier du 6 août 1825.
12 Canton de Quérigut, département de l’Ariège.
13 Les données relatives à cet exemple proviennent principalement de : Vandelet Malves-Pons (s.d.), contenant les pièces des différents litiges à propos des territoires collectifs ; Philippe Morère (1918, 1919) ; A. Armengaud (1975) ; M. Chevalier (1956).
14 Le Play considérait, dans le Lavedan de 1856, que « la maraude dans les bois communaux ne constitue pas, dans l’opinion du pays, une action honteuse, et qu’elle se concilie même chez toutes les familles avec un développement prononcé du sentiment religieux » (1871 : 137).
15 Karl Marx, Formen, Paris, ed. cerm, p. 186, souligné par nous.
16 Jusqu’aux années 1970, toute vente de terre était, en Andorre – où vit toujours l’ancien droit catalan –, implicitement assortie d’une faculté perpétuelle de rachat au bénéfice du vendeur.
17 Ce point a été développé dans notre article « L’esprit de la maison pyrénéenne », (Assier-Andrieu 1986).
18 On peut se reporter notamment au chapitre 2 de l’ouvrage d’Emmanuel Le Roy Ladurie, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324 (1975).
19 Notamment, La Llagonne, Formiguères et Puyvalador.
20 Archives départementales des Pyrénées-Orientales, série O, Formiguères.
21 G. Gavignaud (1980) relève de telles tendances dans les actes notariés de la seconde moitié du XIXe siècle en Roussillon.
22 Un premier barrage avait été édifié entre 1924 et 1930, en aval de l’Aude, entre Puyvalador et Réal, par une société régionale de transport de force.
23 Cf. le chapitre préliminaire de la seconde partie de Coutume et rapports sociaux, (Assier-Andrieu 1981a).
Notes de fin
1 Revue internationale des sciences sociales (n° 114, 1987 : 513-534).
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