Prénom et ressemblance. Appropriation symbolique des enfants, économie affective et systèmes de parenté
p. 97-119
Texte intégral
1On pourrait progresser dans la compréhension des systèmes de parenté si l’on donnait toute leur importance aux règles de prénomination qui utilisent des prénoms d’origine familiale et aux taxinomies populaires sur les ressemblances entre parents. Ces règles et ces taxinomies constituent deux modes de répartition symbolique des enfants entre les parents et les familles alliées. On peut les considérer comme faisant partie, à part entière, des traits structuraux des systèmes de parenté. C’est ce que je voudrais démontrer en prenant plusieurs exemples.
Le système karpathiote
2Le système de parenté découvert dans l’île grecque de Karpathos en mer Egée1 est un système à deux lignées sexuées nettement séparées. Chacune a pour support deux prénoms qui se succèdent en alternance. Le premier-né des garçons héritait (champs, moulin, maison) de son père et de son grand-père paternel dont il portait le prénom et dont il poursuivait la lignée masculine. La première-née des filles, de sa mère et de sa grand-mère maternelle dont elle portait le prénom et dont elle poursuivait la lignée féminine. Les autres enfants étaient déshérités sauf parfois le deuxième né de chaque sexe qui pouvait servir de substitut à un aîné manquant. De façon générale les cadets émigraient et les cadettes restaient sur place, célibataires à vie. Elles servaient de bonnes et d’ouvrières agricoles aux couples des aînés.
3Les règles de nomination qui étaient au principe de la légitimation de ce système successoral inégalitaire (l’héritier était l’homonyme de celui dont il héritait) contribuaient pour une part importante à structurer l’ensemble des rapports de parenté économiques (il fallait porter le prénom adéquat pour hériter) mais aussi symboliques (le prestige des aînés était lié à leur prénom) et affectifs. Les parents se partageaient (c’est l’expression indigène) les enfants en fonction de l’origine des prénoms de ces derniers. A la mère, la fille aînée mais aussi le deuxième né des garçons qui portait le prénom de son grand-père maternel à lui. Au père, le premier-né des garçons et la deuxième née des filles qui portait le prénom de sa grand-mère paternelle à elle. Les grands-parents tendaient à éprouver une sorte de passion pour leur héritier-homonyme et considéraient les autres petits-enfants un peu comme des étrangers. Les règles de nomination contribuaient même dans une certaine mesure à structurer les rapports affectifs entre germains en opposant les enfants du père et ceux de la mère.
4Or il existe dans cette société une théorie populaire sur les ressemblances familiales. Le premier-né des garçons est censé ressembler physiquement (surtout le visage) à sa mère, le deuxième dans une moindre mesure à son père, la première fille à son père et la deuxième à sa mère. A partir des troisièmes nés de chaque sexe on hausse les épaules comme s’il s’agissait d’une question absurde : « Oh, le troisième ! » Ces cadets ressembleraient un peu aux deux parents sans être la réplique d’aucun. Ils sont « bâtards » (bastarde-mena). Plus qu’aux parents ou aux grands-parents ils peuvent ressembler à des oncles et tantes, à des parents éloignés ou même à aucune personne de la famille. La plupart des Karpathiotes sont d’accord pour affirmer le caractère absolu de cette théorie. Il suffit d’ailleurs d’interroger les villageois sur les ressemblances dans leur famille et de traiter statistiquement leurs réponses pour s’apercevoir qu’ils adhèrent à leur théorie jusque dans leurs perceptions.
5La théorie karpathiote établit des liens de ressemblance entre les premiers-nés de chaque sexe et celui des deux parents auquel ils n’appartiennent pas. Les règles de ressemblance contredisent directement, pour les aînés de chaque sexe mais aussi pour les deuxièmes, les règles de filiation. Or c’est ce qui se passe également chez les Katchin patrilinéaires (Leach 1966) où les enfants sont censés ressembler à leur mère et chez les Trobriandais matrilinéaires (Malinowski 1930) où ils ressemblent à leur père. Dans un très beau texte Malinowski expose les circonstances de sa découverte :
Nous serions tentés de supposer que dans une société de droit maternel, comme celle des Trobriand, où tous les parents maternels sont considérés comme faisant partie du « même corps », tandis que le père est considéré comme un « étranger », on doit insister uniquement sur la ressemblance existant entre les enfants et leurs parents maternels. C’est cependant le contraire qui est vrai, et c’est le contraire qu’on fait ressortir avec une force et une insistance particulières. Ce n’est pas seulement un dogme domestique, pour ainsi dire, qu’un enfant ne ressemble jamais à sa mère, ni aux frères et sœurs ou tout autre parent de celle-ci, mais c’est faire preuve de mauvais goût et se rendre coupable d’une grave offense que de faire la moindre allusion à une ressemblance de ce genre. Mais il est naturel, juste et convenable qu’un homme ou une femme ressemble à son père. J’ai été initié à cette règle de savoir-vivre, comme toujours en faisant un faux pas. Un de mes gardes du corps (…) nommé Moradeda était doté d’un ensemble de traits particuliers qui m’avait dès l’abord frappé et fasciné (…). Un jour je fus frappé par l’apparence d’une exacte réplique de Moradeda et je lui ai demandé son nom et d’où il était. Quand j’entendis qu’il était le frère aîné de mon ami vivant dans un village distant je m’exclamais : « Ah vraiment ! je me suis renseigné sur vous car votre figure ressemble exactement à celle de Moradeda. » Il y eut un tel silence dans toute l’assemblée que j’en fus effrayé. L’homme se retourna et nous quitta tandis qu’une partie de la compagnie présente, après avoir détourné leur visage d’une façon à moitié embarrassée, à moitié offensée, se dispersa bientôt. Mon informateur confidentiel m’apprit alors que j’avais transgressé la coutume. J’avais commis ce qu’on appelle un taputaki migila, expression technique qui s’applique uniquement à cet acte et qui peut être traduite ainsi : « souiller quelqu’un en comparant sa face à celle d’un parent de sang ». Ce qui m’étonna dans cette discussion était que, en dépit de la ressemblance frappante entre les deux frères (Malinowski met la photo des frères dans son livre), j’ai mis mes informateurs tout à fait en colère et fâchés avec moi en défendant mon point de vue. Cet incident m’apprit à ne jamais faire allusion à une telle ressemblance en présence des intéressés. (…) Vous exaspéreriez et offenseriez un indigène en lui citant des exemples frappants, de même que dans nos sociétés à nous on exaspère un voisin en insistant auprès de lui sur une vérité, même d’une évidence lumineuse, qui choque les opinions politiques, religieuses ou morales qui lui sont chères ou, ce qui est plus grave encore, qui va à rencontre de ses intérêts personnels (…). Il y a une expression technique, migim lumata, la face de la sœur, qui entre parenthèses est la pire combinaison de ressemblance familiale. Cette expression est considérée comme aussi lourde que « avoir des relations sexuelles avec sa sœur ». Mais selon les Trobriandais personne ne peut s’entretenir de façon calme d’une pensée aussi outrageante de la même façon que personne ne peut ressembler à sa sœur même au degré le plus léger. Plus remarquable encore est la contrepartie de ce dogme social, à savoir que tout enfant ressemble à son père. L’existence de cette ressemblance est toujours acceptée et affirmée. Toutes les fois qu’on la constate réellement, on y insiste sans cesse comme sur un fait agréable, bon et juste (…). (…) Chacun des cinq fils favoris d’un homme disait qu’il était exactement comme son père. Quand je soulignais que cette similarité au père impliquait une ressemblance entre eux, ils rejetaient avec indignation une telle hérésie. Il y a aussi des coutumes définies qui incorporent ce dogme de la ressemblance patrilinéaire. Ainsi, après la mort d’un homme ses parents et amis viennent de temps à autre visiter ses enfants pour « voir sa face en la leur ». Ils leur donnent des présents et s’assoient pour les contempler et pleurer. Cela les soulage, les calme intérieurement car ils ont vu une fois encore le portrait du mort. Comment les indigènes n’apercoivent-ils pas que ce dogme est inconciliable avec le régime de droit maternel ? Lorsqu’on les questionne à ce sujet, ils répondent : « Oui, les parents maternels sont de la même chair, mais leurs visages ne se ressemblent pas. » Si on insiste et qu’on leur demande pourquoi les gens ressemblent à leurs pères, qui sont des étrangers et n’ont pris aucune part à la formation de leurs corps, ils donnent cette réponse stéréotypée : « Il (le père) coagule le visage de l’enfant, car il couche toujours avec elle et ils sont assis côte à côte. » Le mot kuli, coaguler, façonner, revient à chaque instant dans les réponses que j’ai reçues. La phrase que je viens de citer constitue l’expression d’une doctrine sociale relative à l’influence du père sur le physique de l’enfant, et non celle d’une opinion personnelle de mes informateurs. Un de ceux-ci m’a expliqué la chose d’une façon plus précise en tournant vers moi ses mains ouvertes, les paumes dirigées vers le haut : « Mettez là-dessus une matière (sesa) molle, elle prendra tout de suite la forme de la main. De même, le mari reste avec la femme et façonne l’enfant. » Un autre m’a dit : « C’est de notre main que l’enfant reçoit la nourriture, c’est nous qui lui donnons fruits et gourmandises, c’est nous qui lui donnons des noix de bétel. C’est grâce à cela que l’enfant devient ce qu’il est. » (…) J’ai aussi discuté de l’existence de demi-castes avec mes informateurs, les enfants de commerçants blancs mariés à des femmes trobriandaises. Je soulignais que certains ressemblaient beaucoup plus à des Trobriandais qu’à des Européens. Ceci, à nouveau, ils l’ont simplement dénié, maintenant fermement que tous ces enfants ont la figure des hommes blancs et en donnant cela comme une nouvelle preuve de leur doctrine. Il n’y avait rien à faire pour secouer leur conviction ou pour diminuer leur dégoût de l’idée selon laquelle n’importe qui peut ressembler à sa mère ou à ses parents maternels, une idée condamnée par la tradition et les bonnes manières de la tribu. Nous voyons ainsi qu’on a introduit, pour rattacher le père à l’enfant, un lien artificiel et que sur un point important, ce lien se montre plus fort que le lien établi par le droit maternel. La ressemblance physique constitue en effet un lien émotionnel très fort, et dont la force ne se trouve guère diminuée du fait qu’on l’attribue à une cause non physiologique, mais sociologique, à l’association intime et continue qui existe entre le mari et la femme2.
6Chez les Trobriandais, dit Malinowski, la théorie de la ressemblance est là pour rattacher au moins physiquement l’enfant à celui des deux parents qui n’appartient pas à la même lignée que lui. Elle exprime et renforce le lien affectif qui existe, malgré tout entre l’enfant et celui des deux parents qui lui est comme un étranger. A Karpathos, les règles de nomination exercent un tel pouvoir de structuration sur les rapports de parenté que la famille est virtuellement menacée d’éclatement. Le mariage associe deux lignées aux intérêts nettement divergents. Le père pense avant tout à son fils aîné et la mère à sa fille aînée. Or la division sexuelle du travail et des rôles fait que chacun des aînés a besoin de ses deux parents. On peut comprendre dans ces conditions que les Karpathiotes soient enclins à voir dans les règles de ressemblance le doigt de Dieu : « Il a voulu ça pour que chaque parent puisse aimer celui des enfants qui n’a pas un prénom provenant de son côté. L’un a le nom, l’autre lui ressemble, comme ça il peut les aimer tous les deux. » La théorie des ressemblances semble contrecarrer les effets dysfonctionnels de l’attribution de chacun des enfants et surtout des aînés à un parent déterminé. Elle crée les conditions d’une bonne collaboration entre les parents mais aussi la met en pratique en faisant de la procréation un échange de dons entre les lignées. La mère possède une fille qui en ce qu’elle a de plus humain (son visage) lui vient du père et ce dernier un garçon qui lui vient de la mère. Chacun des aînés est ainsi un cadeau offert par l’un des conjoints à son partenaire. La théorie des ressemblances associée à l’idéologie de l’anastassi (résurrection à travers le prénom) organise la complémentarité des conjoints en faisant de chaque aîné le produit d’une rencontre entre un corps donné par un parent et une « âme » transmise par son conjoint.
7Cette théorie vient aussi souligner le statut inférieur des cadets. Elle n’a d’effets positifs que pour les aînés et dans une moindre mesure les deuxièmes dont on a vu qu’ils pouvaient être utilisés dans les stratégies de reproduction des lignées. Comme si la ressemblance des cadets, n’étant plus fonctionnelle, n’avait plus besoin d’être codifiée socialement, comme si encore, pour tirer toutes les conséquences de l’idée exprimée par les Karpathiotes, Dieu n’avait pas jugé nécessaire que les parents puissent aimer les cadets qui ne portent pas un nom de leur côté. Les cadets ne ressemblent fortement à aucun des deux parents. Il ne sont pas vraiment intégrés dans le système des lignées. Ils ne sont pas non plus intégrés dans le circuit des échanges entre lignées qu’organise la théorie des ressemblances. On ne s’offre entre lignées que des cadeaux de valeur qui permettent de se faire honneur. Mais c’est en définitive une théorie biologique qui sert de fondement à la perception des cadets. Ils sont, dit-on, surtout les derniers-nés, « apospori », ce qui peut se traduire par « fin de sperme ». La théorie de la ressemblance est traversée par l’idée que la semence sexuelle perd peu à peu de sa qualité et donc de la force avec laquelle elle est capable de « marquer » les enfants.
8Au total la théorie karpathiote combine de façon particulière la théorie trobriandaise, pour la fille aînée, et celle des Katchin de la Birmanie du Nord, pour le fils aîné. Tout indique qu’en contredisant la règle de filiation, la théorie des ressemblances, à Karpathos mais aussi chez les Katchin et les Trobriandais, contribue au bon fonctionnement des rapports de parenté. Mais la découverte de l’importance fonctionnelle des représentations sur les ressemblances familiales n’invite-t-elle pas à s’interroger sur la présence de théories équivalentes dans d’autres sociétés ? Dans l’île de Paros où le système de transmission des prénoms est le même qu’à Karpathos les garçons (surtout le premier) ressemblent, dit-on, à leur mère et les filles (surtout la première) à leur père3.
Quelques autres systèmes
9La prise en compte des règles de nomination permet de distinguer, en Grèce, au moins trois autres systèmes de parenté. Dans le Magne (Péloponnèse) mais aussi dans deux îles proches de Rhodes, en mer Egée, celle de Simi au nord et de Kastellorizo au sud, le premier-né des garçons et la première-née des filles prennent respectivement le prénom du grand-père et de la grand-mère paternelle. Les deuxièmes-nés de chaque sexe prennent ceux du grand-père et de la grand-mère maternelle. De façon générale les enfants de rang impair à l’intérieur de leur sexe portent un prénom de la famille paternelle et les enfants de rang pair un prénom de la famille maternelle. A Tinos, dans la population catholique, les règles de nomination suivent un ordre d’alternance selon l’ordre de naissance absolu des enfants à l’intérieur de la fratrie et non comme dans le Magne à l’intérieur de leur sexe. Le premier-né des enfants prend un prénom paternel, selon son sexe, celui du grand-père ou de la grand-mère paternelle, le deuxième un prénom maternel, celui de son grand-père ou de sa grand-mère maternelle et ainsi de suite. Enfin à Meganissi (île de la mer Ionienne) tous les enfants, quels que soient leur sexe et leur ordre de naissance, ont un nom qui provient de façon majoritaire de la famille paternelle : dans notre enquête 89,6 % des aînés et 67 % des cadets qui ont un prénom d’origine familiale.
10Ces régions ont été atteintes par l’émigration et/ou le tourisme plus précocement que l’île de Karpathos. Et dans aucune il n’existe actuellement de théorie des ressemblances reconnue par tous. Mais tout indique que de telles théories existaient auparavant comme à Karpathos et à Paros. Si à Karpathos la théorie présente une image inversée du système de nomination, dans les trois autres systèmes de parenté les jugements de ressemblance, tels qu’ils s’expriment dans des régularités statistiques, tendent au contraire à renforcer l’effet d’affiliation qu’il exerce. A Meganissi par exemple où les prénoms sont très souvent d’origine paternelle, les enfants ressemblent nettement plus souvent au père et à la famille paternelle qu’à la mère et à sa famille, surtout les aînés (68,7 % contre 58,5 % pour les cadets). Dans le Magne, sous le double rapport du prénom et de la ressemblance du visage, les premiers-nés à l’intérieur de leur sexe (et les enfants de rang impair sous ce même rapport) appartiennent à la famille paternelle et, dans une moindre mesure (une très légère majorité seulement dans le cas des ressemblances), les deuxièmes (et les enfants de rang pair) à la famille maternelle4.
11Ajoutons que la perception des ressemblances tend à être structurée par un principe de réciprocité : les parents se partagent les enfants les plus importants en utilisant un système de compensation entre enfants relativement équivalents. Ce système de compensation fonctionne entre le premier enfant de la fratrie et le deuxième, entre les deux premiers-nés à l’intérieur de leur sexe et, sauf dans les régions à système magniote où ils ressemblent tous les deux majoritairement on l’a vu à la famille paternelle, entre le premier garçon et la première fille. La moindre importance des cadets, deuxièmes de la fratrie et suivants, se voit au fait que la fréquence de l’alternance des ressemblances est faible ou inexistante entre le deuxième et le troisième, et entre les suivants5.
12On voudrait s’arrêter un moment sur le système magniote pour montrer les effets heuristiques d’une prise en compte du système d’appellation et des représentations portant sur les ressemblances. Elle permet d’abord de montrer que, dans ce système agnatique, la première-née des filles est néanmoins solidement intégrée, au même titre que le premier-né des garçons, à sa famille paternelle sous le double rapport du nom et de la ressemblance. Ceux qui ont travaillé dans le Magne ont surtout insisté sur l’existence de lignages agnatiques localisés et sur l’effet de structuration qu’exercent ces lignages, conjointement avec les règles de résidence viri-patrilocale, sur les rapports de parenté. Les enfants seraient plus proches de leurs oncles paternels (ils vivent dans le même quartier et portent le même nom) que maternels. Tout se passe comme si l’importance du rôle joué par les noms de famille dans la définition des rapports de parenté publics, officiels et politiques, avait masqué aux yeux des ethnologues l’effet de structuration exercé en profondeur par les règles de prénomination et de ressemblance.
13Il suffit en effet d’un bref séjour dans le Magne pour se convaincre de l’importance affective des prénoms. Il est de notoriété publique que l’on tend ici à avoir un faible pour les petits-enfants ou neveux et nièces homonymes ou qui tout simplement, portent un prénom provenant de son côté, de telle sorte que les deuxièmes-nés de chaque sexe tendent, toutes choses étant égales par ailleurs, à être plus proches de la famille maternelle que les premiers-nés. Ces préférences affectives ne sont pas sans conséquences puisque les oncles et tantes préfèrent emmener en vacances et plus tard faire hériter, s’ils sont eux-mêmes sans enfants, les neveux et nièces dont ils se sentent proches par le prénom et peut-être la ressemblance. Mieux, certains prétendent qu’Ego tend à ressentir comme à Karpathos, une affinité particulière pour les frères et sœurs qui portent un prénom provenant du même côté parental que le sien et pour les enfants de ces frères et sœurs. Tous sont d’accord en tout cas pour dire que les prénoms jouaient un rôle plus important dans le passé.
14Mais l’exemple le plus étonnant de l’importance affective des prénoms dans le Magne concerne les rapports d’Ego avec ses beaux-parents. Dans cette société patri-virilocale les parents ont un faible pour les brus qui portent le prénom de l’une de leurs filles : « Comme ça, le nom reste près d’eux quand leur fille les quitte pour se marier. » Et si l’homme qui se marie a souvent, en tant que gendre, un bas statut chez sa femme, héritière en l’absence de frère, il y a un cas où il tend, toutes choses étant égales par ailleurs, à échapper au mépris plus ou moins déguisé qu’il suscite habituellement pour devenir le plus chéri des gendres, c’est celui où il porte le prénom du grand-père paternel de sa femme. C’est qu’il ferme alors une plaie ouverte et vient remplacer par le prénom qu’il porte le fils aîné que son beau-père n’a pas pu avoir et qu’il va aimer en la personne de son homonyme. Cela est si vrai, dit-on, que dans ce cas, on fait moins attention à la fortune du gendre. Certains vont jusqu’à soutenir que le prénom peut jouer un rôle significatif dans le choix d’une bru ou d’un gendre. S’il faut se garder d’exagérer l’importance des prénoms, surtout actuellement, on voit que leur prise en compte permet de se poser de nouvelles questions et vient compliquer l’image d’un système qu’on croyait bien connaître. La distribution des prénoms, des homonymies et des ressemblances, dessine un réseau inattendu d’affinités et de solidarités. Et c’est finalement toute l’économie des échanges affectifs et dans une moindre mesure économiques qui, pour une part, se trouve indexée, comme à Karpathos, sur les règles de nomination.
15Il est probable que l’importance des règles de nomination dans la structuration des rapports de parenté existe à des degrés divers dans toutes les sociétés où l’on donne aux enfants ou à certains d’entre eux des prénoms d’origine familiale. Cela est évident dans les sociétés comme celle des Guro6 ou des Bushmen où Ego utilise le même terme de parenté pour deux parents homonymes, appelant, par exemple, frère aîné, le parent homonyme de son frère aîné. Mais on oublie trop souvent qu’il en va de même dans des sociétés proches de nous. Nous ne donnerons qu’un exemple. Au Maroc7 les enfants, avant tout les garçons mais aussi les filles, homonymes d’un grand-parent paternel ou maternel mort, font l’objet d’un respect et d’une affection particulière de la part de leurs parents : « C’est comme si vous aviez votre père ou votre mère à la maison. On les aime et on les respecte comme ses propre parents. » Il ne faut ni les frapper ni les insulter ni même les fâcher. On évite de les laisser pleurer et on les dorlote plus que les autres enfants. Une fois grands, ils bénéficient souvent d’un plus grand soutien de la famille (études plus longues…). Cette identification de l’enfant à son homonyme est si réelle que l’enfant, dit-on, ressemble psychologiquement au grand-parent en question. Pour cette raison il ne faut pas donner le nom d’un fou. Là aussi l’origine paternelle ou maternelle du prénom contribue à structurer les relations entre l’enfant, ses parents et les deux familles alliées. Dans les couples où règne l’entente, chacun des conjoints accorde une place privilégiée à celui (ou ceux) de ses enfants qui est homonyme de l’un de ses beaux-parents (ce qui tend en retour à renforcer le bon fonctionnement des rapports conjugaux), tout en favorisant malgré tout davantage (tendresse, gâteries…) celui de ses enfants qui est homonyme de l’un de ses propres parents à lui : un père ménagera celui de ses fils qui porte le prénom de son beau-père mais le traitera néanmoins plus rudement que l’homonyme de son propre père. Une même partialité s’observe dans les rapports oncle-tante/neveu-nièce. Chaque famille tend à nourrir une affection spéciale à l’égard de l’enfant porteur d’un prénom provenant de son côté. Les frères du père ont souvent un faible pour le neveu qui porte le prénom de leur propre père. On l’invite plus souvent, on le « chouchoute » et, toutes choses étant égales par ailleurs, on tend à lui donner raison dans les querelles entre enfants. Dans les familles où l’on se refuse à donner le prénom d’un grand-parent vivant, il n’est pas rare que ce soit un cadet qui porte le prénom du grand-père. Dans ce cas, deux garçons au moins ont un statut privilégié dans la famille. L’aîné bénéficie, du seul fait de son ordre de naissance, d’une position dominante dans les rapports d’autorité au sein de sa fratrie. Le cadet homonyme du grand-père tendra, lui, à avoir une position privilégiée dans les rapports affectifs. Ses frères et sœurs, et notamment l’aîné de ses frères, l’entoureront avec d’autant plus d’affection qu’ils ont aimé leur grand-père. Du fait des rapports de force entre les sexes et entre les deux familles alliées, c’est souvent l’homonyme du grand-père paternel qui, parmi d’autres éventuels homonymes de grands-parents, bénéficie du statut le plus privilégié. Véritable enfant-roi, il tend à abuser de sa situation et à adopter des allures d’enfant gâté. C’est d’ailleurs l’une des raisons invoquées par les informateurs pour expliquer le fait que, dans cette société dont les structures familiales sont en voie de destructuration, les parents renoncent de plus en plus à donner à l’un de leurs enfants le prénom du grand-père paternel.
Le système français
16En France les prénoms d’origine familiale contribuaient-ils aussi à structurer les rapports de parenté ? Nous laisserons cette question de côté, pour le moment, pour en poser une autre qui transgresse aussi volontairement la frontière entre l’ethnologie et la sociologie : la perception des ressemblances est-elle chez nous, comme en Grèce, structurée par quelques principes fondamentaux et ceci, en l’absence de toute règle explicite et dans le cadre d’un système de nomination qui n’utilise plus que rarement les prénoms d’origine familiale au moins comme prénoms usuels ? Si oui, ces principes ont-ils un quelconque rapport avec les caractéristiques de notre système de parenté bilatéral qui connaît le biais patrilatéral de la transmission patrilinéaire du nom de famille ? Une enquête menée auprès d’étudiants lyonnais, strasbourgeois et toulousains permet, je crois, de répondre à cette question par l’affirmative8.
17Une étude de l’origine familiale des prénoms, donnés la plupart du temps en deuxième ou troisième position, permet de mieux caractériser notre système de parenté dans son état actuel : 56,8 % des prénoms donnés à des filles rattachent celles-ci à leur parents maternels tandis que 57,4 de ceux qui sont donnés à des garçons relient ceux-ci à leurs parents paternels. Le fait que le biais parallèle ait la même intensité pour les filles et les garçons peut être considéré comme un indice du caractère égalitaire des rapports entre les deux familles alliées. Cette volonté de maintenir une égalité entre les deux conjoints et les deux familles alliées se voit aussi dans le fait que dans 72,7 % des cas où un enfant porte plusieurs prénoms d’origine familiale, la pratique de nomination est gouvernée par un principe d’alternance tel que le premier de ces prénoms rattache l’enfant à un côté parental tandis que le suivant le lie à l’autre côté. Notons enfin que les aînés ont le quasi-monopole des prénoms d’origine familiale. On peut donc distinguer des régularités statistiques dans l’attribution des prénoms d’origine familiale. Existent-t-elles aussi pour les deux types de ressemblances ? Sont-elles structurées par le même principe d’alternance ?
18De façon générale les hommes sont censés ressembler à des parents masculins à 64,7 % sous le rapport physique et à 65,2 % sous celui du caractère, tandis que les femmes ne ressemblent à des parentes qu’à 55,4 % pour le physique et à 46,4 % pour le caractère. Il existe donc un biais androcentrique dans la représentation de la transmission des traits physiques et surtout de caractère. On reconnaît aux hommes un plus grand pouvoir de marquage qu’aux femmes. Quand une personne ressemble à un parent de même sexe que lui, c’est le plus souvent (entre 65 et 70 % sous les deux rapports et pour les deux sexes) à son père ou à sa mère. Mais lorsqu’un homme ressemble à une parente, c’est presque toujours à sa mère (autour de 90 % sous les deux rapports physique et psychologique) et quand une femme ressemble à un parent masculin, c’est avec la même fréquence presque toujours à son père. Comme si la ressemblance avec quelqu’un d’un autre sexe comportait une menace pour l’identité sexuelle et n’était dicible que lorsque cette menace était neutralisée par le caractère considéré comme naturel de la ressemblance avec le père ou la mère. Pour les enfants classés de façon unilatérale, il existe un léger biais patrilatéral pour les deux types de ressemblance9. Le père est censé transmettre à ses enfants, mieux que la mère, ses caractéristiques propres ou celles de sa famille. C’est vrai pour les caractéristiques psychologiques plus que pour celles qui sont physiques (centrées sur le visage). Enfin, sous le rapport physique et surtout psychologique, les enfants uniques sont dits ressembler plus à leur père que les autres enfants, et parmi ces derniers, les aînés légèrement plus que les cadets10.
19Les ressemblances physiques et psychologiques qui obéissent globalement à la même logique sont-elles aussi liées entre elles ? Si l’on ne retient que les personnes ressemblant clairement à un seul côté parental sous chacun des deux rapports, on s’aperçoit qu’elles sont classées du même côté pour les deux types de ressemblance dans 65 % des cas dans les familles d’au moins deux enfants. Tout se passe comme si les personnes interrogées (c’est aussi le cas en Grèce) donnaient raison à la thèse centrale des physiognomonistes qui prétendent que les caractéristiques psychologiques sont liées aux caractéristiques physiques. Il existe cependant une exception : ce sont les enfants uniques qui ne ressemblent du même côté sous les deux rapports que dans 48,3 % des cas. Ces enfants uniques sont bien sûr les étudiants interviewés. On a vu plus haut que ces derniers ont une difficulté particulière à se classer de façon univoque pour un type donné de ressemblance : 18 % disent ressembler physiquement à leurs deux parents alors que, selon eux, seulement 8 % de leurs frères et sœurs sont dans ce cas. On voit ici qu’ils ont aussi une difficulté particulière à déclarer qu’ils ne ressemblent qu’à un seul parent (ou côté parental). Tout indique qu’ils utilisent deux techniques pour échapper à ce qui est probablement vécu comme une sorte de rupture avec l’un de leurs deux parents. La première est d’affirmer que sous un rapport donné ils ressemblent aux deux parents. La seconde, qu’ils ressemblent physiquement à un parent et psychologiquement à l’autre. C’est dire les enjeux affectifs des ressemblances et que la perception obéit à une logique à la fois sociale et psychologique.
20Mais le principe le plus important qui structure la perception des ressemblances physiques et psychologiques dans notre système de parenté est le principe d’alternance. Celui-là même qui structure déjà la transmission des prénoms d’origine familiale et qui, souvent, structurait le système de nomination et la perception des ressemblances en Grèce. Le système karpathiote tendait à attribuer chaque enfant important à un parent ou à un côté parental donné. Il fixait clairement les droits. Le système français qui probablement est le même dans beaucoup de pays européens fortement industrialisés laisse le jeu ouvert. Sous réserve d’un léger biais patrilatéral, il semble livrer l’appropriation du premier enfant au jeu de la libre compétition entre les parents et entre leurs familles. Et comme le résultat de cette compétition dépend de nombreux facteurs, au nombre desquels on peut probablement mettre l’histoire des rapports de force économiques, symboliques et affectifs entre les deux conjoints, il varie dans chaque famille de telle sorte que les ressemblances semblent n’obéir qu’au hasard de la transmission héréditaire. Mais pour se convaincre que ces jugements sont rien moins qu’objectifs, il suffit d’observer qu’ils sont fortement structurés par un principe d’alternance. Celui-ci tend à assurer un minimum d’équilibre dans les gains des deux parents en instaurant un système de compensation qui remplace l’enfant « perdu » (c’est-à-dire attribué au partenaire) par un autre relativement équivalent dans le cadre, ici aussi, d’un échange de dons et de bons procédés entre les conjoints. Quel que soit le type de ressemblance considéré, les enfants qui se suivent dans la fratrie, surtout s’ils sont de même sexe, tendent à être classés de façon opposée. Comme la taxinomie officielle des Karpathiotes, notre taxinomie officieuse a une fonction pratique. En assurant une relative égalité dans les gains des deux parents elle supprime une cause de frustration et contribue ainsi à établir les conditions d’une bonne entente entre les conjoints et de la stabilité familiale. Ce qu’exprime cette alternance, c’est au fond la revendication des deux parents et de leur famille à une égalité des droits dans l’appropriation symbolique des enfants. Notre taxinomie ne dit plus si le premier-né des enfants doit ressembler à son père ou à sa mère. Mais elle affirme avec force que si le premier ressemble à l’un des parents, le deuxième doit ressembler à l’autre et ainsi de suite pour les suivants. Cette alternance est encore plus forte quand son absence créerait une inégalité particulièrement difficile à supporter par l’un des partenaires, c’est-à-dire dans les fratries de deux enfants où, pour cette raison, la partie lésée n’a aucune chance de trouver une compensation de même nature, physique ou psychologique, à travers un autre enfant. Mais elle ne s’applique jamais avec autant de rigueur (plus de 75 % des cas) que dans les familles de deux enfants de même sexe. C’est que le parent qui a pris le premier-né, peut alors céder d’autant plus facilement le deuxième que ce dernier, étant de même sexe, ne bénéficie pas de la rareté et donc de la valeur qu’il aurait autrement. C’est aussi qu’une non-alternance dans une famille de deux enfants de même sexe apparaîtrait comme une injustice trop flagrante. Le fait que la règle d’alternance continue à fonctionner entre le deuxième et le troisième et ainsi de suite pourvu que les enfants soient de même sexe, apporte une information importante : dans ces familles généralement peu nombreuses, les parents accordent suffisamment de valeur aux cadets pour les intégrer de façon approximative dans des calculs plus ou moins conscients d’équilibre et de compensation. Ce qui n’était pas le cas en Grèce.
21Les principes qui gouvernent la perception des ressemblances n’apparaissent jamais de façon aussi évidente que dans les familles de deux enfants (quel que soit le sexe de ceux-ci) où Ego a accepté de classer tous les enfants, y compris lui-même, et pour les deux types de ressemblance, de façon unilatérale. Si l’on examine les distributions les plus fréquentes arrive en tête le cas de figure (N= 81) où le premier enfant ressemble physiquement et psychologiquement à son père et le deuxième, sous les mêmes deux rapports, à sa mère, puis le cas inverse (N= 63) où le premier ressemble à sa mère et le deuxième à son père. Se trouvent ainsi affirmées à la fois la préséance en faveur du père et l’exigence d’alternance. Celle-ci est si forte dans ce type de famille que les deux cas de figures qui viennent ensuite par ordre de fréquence sont ceux où elle fonctionne dans tous les sens possibles. Chaque enfant est rattaché à un côté parental sous le rapport physique et à un autre sous le rapport psychologique. Vient d’abord le cas (N= 41) où le premier enfant ressemble physiquement à son père et psychologiquement à sa mère tandis que c’est l’inverse pour le deuxième qui ressemble physiquement à sa mère et psychologiquement à son père et ensuite celui (N= 33) qui inverse toutes les relations de ressemblance du cas précédent.
22Nous avons demandé à une sous-population étudiante de signaler les relations affectives privilégiées qui existaient entre parents et enfants dans leur famille. Les résultats de cette enquête montrent que si, selon les déclarations, les enfants des deux sexes sont globalement plus liés affectivement à leur mère qu’à leur père11, les garçons, conformément à ce que dit le sens commun, sont censés être légèrement plus liés à leur mère que les filles qui, elles, sont un peu plus liées à leur père que les premiers. Ils montrent surtout que les enfants semblent avoir un peu plus souvent une relation affective privilégiée avec le parent (père ou mère) auquel ils ressemblent qu’avec celui auquel ils ne ressemblent pas. Ceci est surtout vrai dans le cas d’une ressemblance de caractère mais l’est aussi dans celui d’une ressemblance physique. Enfin, bien sûr, les relations affectives privilégiées sont cette fois assez nettement plus fréquentes (la différence varie entre 12 et 18 % selon les cas) entre un parent et un enfant qui lui ressemble sous les deux rapports physique et psychologique qu’entre un parent et un enfant qui ne lui ressemble sous aucun des deux rapports. Tout indique donc que l’économie affective familiale est, en France aussi, en partie liée à la perception des ressemblances.
23Les jugements de ressemblance portés par un même individu à différents moments du temps ou par plusieurs personnes au même moment peuvent, dans une société donnée, être dans chaque cas différents sans cesser pour autant d’obéir à une même logique classificatoire. Seule une étude diachronique approfondie des représentations qui se forment et se transforment dans les familles permettrait de comprendre les processus, rapports de force, stratégies plus ou moins conscientes, compromis ou mauvaise foi collective qui tendent à faire qu’à l’instant T1, telle position dans telle fratrie soit sous le rapport de la ressemblance, rattachée à tel parent plutôt qu’à tel autre. Et il faudrait encore examiner les facteurs qui contribuent à faire que les points de vue des principaux parents concernés puissent concorder ou différer.
Pour une nouvelle approche des systèmes de parenté
24On voudrait terminer par quelques remarques générales. Un point de vue comparatif montre que les systèmes de parenté se distinguent entre eux, notamment par la façon dont ils associent par la ressemblance et par le nom, des catégories d’enfants (différenciées par le sexe et l’ordre de naissance) et des catégories de parents (père, mère, grands-parents ou oncles et tantes patri ou matrilatéraux) et selon qu’ils s’intéressent au classement sous ce rapport, de tous les enfants ou seulement de certains d’entre eux. Mais il ne faut pas pour autant réduire les règles de nomination et de ressemblance à n’être qu’un reflet de la filiation. A un même principe de filiation peuvent correspondre plusieurs systèmes de nomination et plusieurs théories des ressemblances. C’est ce que montre notamment les exemples patrilinéaires. Les Katchins de Birmanie affirment que les enfants ressemblent à leur mère. Les Magniotes de Grèce tendent à classer, à la fois sous le rapport du nom et de la ressemblance, les enfants premiers-nés à l’intérieur de leur sexe du côté de leur père et les deuxièmes du côté de leur mère. Mais dans le même pays, les Méganissiotes donnent à leurs enfants, surtout l’aîné, des prénoms de la famille paternelle et supposent que la majorité des enfants, surtout l’aîné, quel que soit son sexe, ressemblent à leur père sans qu’il y ait d’alternance selon l’ordre de naissance à l’intérieur de chaque sexe. En Turquie12, du Kurdistan à Istanbul, chez les Kurdes comme chez les Arméniens, un dicton connu de tous fait ressembler les garçons à leur oncle maternel et les filles à leur tante paternelle (Oglan dayiya kiz halaya). A Djerba13 en Tunisie, un dicton affirme : « L’enfant (c’est-à-dire le garçon) reçoit les deux tiers de son oncle maternel et pour le dernier tiers, ça se discute. » (Thilthin min el khal hasel oua thlith fih ennzaha.) Un autre avance que le garçon ressemble tellement à son oncle maternel qu’on croirait que c’est ce dernier le père : « L’oncle maternel l’a mis au monde, Dieu en témoigne. » (El khal oualed warrab chahed.) Tout se passe comme si on voulait par là relier les garçons aux membres importants (les hommes) de la famille alliée. Ce proverbe tunisien contrairement au turc ne parle pas des filles et il cœxiste (ce qui ouvre la porte à plusieurs stratégies possibles) avec l’idée exprimée par les interviewés selon laquelle les hommes, surtout l’aîné, ressemblent à leur père et à la famille de celui-ci, tandis que les femmes ressemblent mais dans une moindre mesure à leur mère. En Chine, un proverbe affirme que « les neveux ressemblent (physiquement) plutôt à leur oncle maternel » (Waisheng duo si jiu). Comme en Tunisie, il ne parle pas des filles considérées comme quantité négligeable. Mais la pensée populaire avance cependant que les filles ressemblent plutôt à leur père14.
25Règles de nomination et de ressemblance constituent autant de modalités possibles de l’affiliation et doivent être considérées comme faisant partie des traits fondamentaux qui permettent de spécifier un système particulier et de l’introduire dans une typologie générale. Mais il faudrait encore introduire comme source de variation entre systèmes patrilinéaires les différentes théories visant à expliquer la production des ressemblances et qui attribuent par exemple un rôle plus ou moins grand à chacun des parents concernés. En Grèce, elles sont souvent considérées à la fois comme effets et comme preuves de l’amour ou du désir que se portent les deux parents. On ne peut comprendre totalement la prédisposition socialement constituée des parents à percevoir réellement leurs enfants conformément à la taxinomie populaire, si l’on n’a pas en tête cette idée selon laquelle la procréation est un échange de dons entre les conjoints. Une mère, par exemple, est portée à déceler chez son premier-né les ressemblances qu’il présente avec son mari, en partie parce que celles-ci fonctionnent comme des preuves objectives de son amour pour ce dernier. Ne se dénoncerait-elle pas implicitement comme mal-aimante si elle insistait sur les ressemblances que l’enfant présente avec sa famille à elle ? Dans la mesure où les représentations populaires investissent dans une simple question d’opinion des enjeux aussi essentiels que l’amour entre conjoints et le sens de l’équité, chacun est amené à percevoir spontanément les ressemblances qu’il est convenable pour lui de reconnaître15.
26A Djerba c’est la mère qui est, sauf rare exception, responsable de l’ensemble des ressemblances et donc de la reproduction, sous ce rapport, des deux familles alliées. La croyance dans les pouvoirs de « l’imagination féminine » est extrêmement vivante. L’enfant ressemble habituellement à la personne que sa mère a regardée fréquemment et/ou avec une certaine intensité pendant les trois premiers mois (surtout le premier) de sa grossesse, période durant laquelle elle est victime de malaises et d’envies, et où l’enfant prend ses traits définitifs. Et la femme dispose même d’une technique couramment pratiquée, considérée comme efficace quoique non infaillible. Elle boit un peu d’eau en fixant la personne dont elle veut prendre la ressemblance.
27Selon E. Gasparini16 il existe chez les Slaves (Grande Russsie, Pologne, Ukraine) un rituel de noce, le rappel de l’épouse, qui incite celle-ci à se retourner vers ses parents au moment où elle quitte sa maison pour celle de son mari. En Serbie, dans la Gruza, et dans le Monténégro, on croit qu’ainsi l’un des fils (au moins ?) du nouveau couple ressemblera davantage au frère de sa mère qu’à son propre père. Dans certains endroits (Berari et Popovo Polfi) les frères du mari (djeverï) cherchent à empêcher l’épouse de se retourner et dans le Monténégro, on va jusqu’à lui tenir la tête. C’est dire au passage que la ressemblance des enfants représente un enjeu important pour les deux familles. La tendance serait de croire que les neveux utérins, qu’un terme de parenté spécial, dit E. Gasparini, distingue, comme dans d’autres populations slaves (en Russie, Bulgarie et Pologne), des fils de frères, ressemblent souvent à leur oncle maternel. Comme à Djerba l’enfant ressemble à ce que regarde la mère. E. Gasparini ajoute, pour une région, que le père et le frère disaient à l’épouse qui s’éloignait : « Va avec Dieu » et il fallait que l’épouse se retourne pour que ses enfants appartiennent à l’oncle maternel. Elle note qu’en Serbo-Croatie le passage des neveux dans le groupe familial de l’oncle maternel continue à advenir dans un régime de résidence patrilocale mais qu’il est facultatif, et dépend de la volonté de l’épouse qui doit faire publiquement son choix au moment de quitter la maison paternelle.
28La prise en compte de la présence ou de l’absence d’un principe d’alternance structurant les deux types de règles offre une autre façon d’établir des distinctions entre systèmes de parenté, y compris entre ceux qui connaissent le même principe de filiation. Ce principe où se lit l’exigence d’un minimum de réciprocité s’impose dans presque toutes les sociétés où nous avons travaillé. Mais on ne pourrait y voir un invariant régional qui refléterait la bilatéralité des systèmes de parenté européens qu’à condition d’oublier qu’il en va différemment à Méganissi, que dans certains cas (Karpathos) l’alternance fonctionne dans le cadre d’une alliance égalitaire entre lignées sexuées pour lesquelles le terme de bilatéralité est particulièrement inadéquat, sauf à en faire un concept mou à géométrie variable, et que dans la plupart des autres, elle profite d’abord au père et à la famille paternelle. On peut alors la considérer comme l’une des conditions du bon fonctionnement d’un système plus ou moins inégalitaire dans une société qui ne supporte l’inégalité que dans certaines limites. La prise en compte des règles de nomination et de ressemblance permet donc de poser la question de l’intérêt heuristique qu’il y a à définir les systèmes de parenté européens comme des systèmes simplement indifférenciés ou bilatéraux.
29Il n’est pas impossible par ailleurs que les règles de ressemblance permettent de donner parfois un sens inattendu à certains mariages préférentiels entre parents. En Turquie, par exemple, un dicton dit, on l’a vu, que les garçons ressemblent à leurs oncles maternels et les filles à leurs tantes paternelles. C’est ce que s’efforcent de vérifier les mères avec, selon les cas, espoir ou crainte à la naissance d’un enfant. Il vaudrait la peine, dans le cas relativement fréquent dans ce pays d’un mariage avec la cousine croisée matrilatérale (fille du frère de la mère), de vérifier si cette règle tend à favoriser le bon fonctionnement des rapports de parenté, en faisant que le gendre ressemble à son oncle beau-père et que, ce qui est plus important du fait de la résidence patrilocale, la bru ressemble à sa tante et belle-mère. On peut observer en tout cas que cette règle transforme ce type de mariage, considéré par Claude Lévi-Strauss comme fondé sur l’échange généralisé et caractéristique d’une société capable de prendre des risques, en un mariage doublement incestueux. Du point de vue des marieurs d’abord, puisque le frère et la sœur trouvent, dans le mariage de leurs enfants, le moyen d’unir ainsi sous le rapport des ressemblances des équivalents d’eux-mêmes. Du point de vue des conjoints ensuite, puisque l’homme épouse alors une femme qui ressemble à sa mère, et la femme un homme qui ressemble à son père. C’est enfin le mariage « arabe » avec la cousine parallèle patrilatérale (la fille du frère du père), présent également en Turquie, qui peut-être prend un nouveau sens. Le père du jeune homme a alors pour bru une femme censée ressembler à sa propre sœur à lui, ce qui, étant donné la résidence patrilocale, lui permet de garder chez lui l’équivalent symbolique de la sœur mais aussi de la fille qui l’ont quitté en se mariant. Ne dit-on pas à Djerba qu’il est important qu’une fille ressemble à la sœur de son père, car ainsi le grand-père paternel peut garder chez lui la fille qu’il a perdue quand elle s’est mariée, en la personne de la fille de son fils ? Quant au jeune homme turc, en épousant sa cousine, il épouse subjectivement, sous le rapport des ressemblances, un substitut symbolique de sa propre sœur. Mais si l’on s’en tient aux règles mêmes, on s’aperçoit que la théorie populaire des ressemblances découverte en Turquie, mais qui existe aussi probablement ailleurs, fait du mariage apparemment le moins incestueux (entre cousins croisés) l’équivalent d’un mariage entre frère et sœur, tandis qu’elle transforme le mariage le plus incestueux (entre cousins parallèles) en équivalent d’un renouvellement d’alliance entre alliés, avec échange fictif de sœur. Comme si la taxinomie des ressemblances tendait à rapprocher des conjoints autrement trop éloignés et à créer, au contraire, une distance entre des conjoints autrement trop proches. Dans le cas du mariage « arabe », les conjoints appartiennent à la même lignée sous le rapport de la filiation mais à des lignées différentes sous le rapport de la ressemblance. Tandis que dans le cas du mariage « turc » les conjoints appartiennent à des lignées différentes sur le plan de la filiation mais à une même lignée du point de vue de la ressemblance. Curieusement on trouve en Grèce, occupée pendant plusieurs siècles par les Turcs, le dicton suivant, dont je ne sais malheureusement pas s’il existe aussi en Turquie : « La femme, dès sa naissance, ressemble à sa belle-mère. Le mari, dès sa naissance, ressemble à son beau-père. » Ce qui correspondrait exactement à la situation d’un mariage avec la cousine croisée matrilatérale associée au dicton turc selon lequel les garçons ressemblent au frère de la mère et les filles à la sœur du père. On voit que la théorie populaire sur les ressemblances ouvre la porte à toutes sortes de manipulations symboliques17.
30Quoi qu’il en soit, l’étude comparée des systèmes de parenté sous le rapport des règles de nomination et de ressemblance permet de souligner l’originalité du système karpathiote où les règles de nomination et de ressemblance se contredisent mais aussi de comprendre la spécificité de chacun des autres systèmes, la nature plus ou moins inégalitaire des rapports entre conjoints et entre familles alliées, la clôture plus ou moins forte de la famille nucléaire sur elle-même, et le statut qu’occupe chaque enfant en fonction de son sexe et de son ordre de naissance, selon qu’il ressemble ou non à un parent précis et qu’il est rattaché à sa famille paternelle ou maternelle. Ce type d’étude permet aussi d’obtenir une vision plus fine des systèmes que l’on croyait bien connaître. Les règles de nomination et de ressemblance qui renforcent, contredisent ou entrent dans des rapports plus complexes avec le principe de filiation et se transforment avec lui, font partie, comme lui, des traits structuraux dont on devrait tenir compte pour définir les systèmes de parenté, et contribuent à définir l’identité plurielle des personnes. Il est plus qu’urgent de faire l’inventaire de l’ensemble des théories existantes, avant qu’elles ne disparaissent avec les systèmes de parenté et les rapports sociaux qui leur ont donné naissance.
Bibliographie
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Bibliographie
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Notes de bas de page
1 J’ai donné une description de ce système de parenté unique en Europe dans La genèse sociale des sentiments : aînés et cadets dans l’île grecque de Karpathos, ehess, 1991. Le texte présenté ici reprend et développe mon intervention du 25 février 1994 à Toulouse dans le cadre de l’Institut d’études doctorales.
2 Il n’est pas sûr qu’il s’agisse seulement de cause sociologique. Les Trobriandais rappellent que le père nourrit l’enfant. Selon Mossi (1938) en Azerbaidjan, on croit que si une femme enceinte accepte de la nourriture d’une personne, son enfant ressemblera à cette personne.
3 L’enquête a été réalisée à Lefkes auprès de villageois qui n’avaient jamais travaillé hors de l’île. Ces villageois disposent, comme les Karpathiotes, d’une théorie explicite des ressemblances à laquelle ils adhèrent tous. La perception qu’ils ont du visage de leurs enfants obéit à cette théorie dans 70,8 % des cas (N=72).
4 Les enfants qui portent un nom hors parenté ne sont pas comptés dans le calcul des ressemblances selon l’ordre de naissance : si la deuxième née des filles porte le nom d’un saint ou d’une marraine, c’est la troisième qui dans les calculs est comptée comme deuxième.
5 Dans toutes les régions, ce sont surtout les aînés qui sont censés ressembler aux parents et aux grands-parents. Plus on est d’un ordre de naissance élevé, plus on a de chances de ne ressembler qu’à un parent collatéral ou lointain, plus les ressemblances tendent à être floues, et plus on a de chances de ne ressembler à personne en particulier ou à plusieurs personnes à la fois. La théorie biologique qui sous-tend ces représentations est également la même. Et si enfin les cadets d’un ordre de naissance élevé ressemblent moins souvent que les autres à leurs parents, c’est aussi qu’avec le temps l’amour que se portent les parents s’affadit et se transforme en amitié.
6 Ariane Deluz note à propos des Guro de Côte-d’Ivoire qu’une belle-fille peut échapper à sa position habituelle si elle porte le nom de la grand-mère de sa belle-mère. Cette dernière l’appelle alors « grand-mère » (et non « bru ») et elle la traite avec respect. Quand deux hommes non apparentés sont homonymes, le père de l’un appelle « fils » le fils de l’autre et les deux fils se disent frères.
7 Les interviewés sont originaires de Fès et de Mekhnès.
8 Je remercie les enseignants d’histoire, de psychologie, de sociologie et d’ethnologie qui m’ont permis d’interroger les étudiants pendant leur cours. Un article publié en 1994 sur le même sujet dans Ethnologie française portait sur une population insuffisante et contenait des erreurs importantes. Ses conclusions avaient déjà été rectifiées dans l’intervention faite au séminaire de l’ied de Toulouse. Les régularités statistiques repérées sont les mêmes dans les trois régions prises séparément. Disons deux mots de la technique utilisée. Les étudiants devaient indiquer par écrit à qui, selon leurs parents, ressemblait chaque membre de leur fratrie. Nous avons classé comme ressemblant aux deux côtés parentaux les enfants déclarés comme ressemblant aux deux côtés, mais aussi ceux pour lesquels les parents n’étaient pas d’accord entre eux, l’un disant par exemple que l’enfant ressemblait à sa mère et l’autre à son père. Pour la ressemblance physique, 3 200 personnes ont été classées de façon unilatérale comme ressemblant à un côté parental précis (et uniquement à ce côté), 446 personnes ont été classées comme ressemblant à la fois à leur père et à leur mère (ou à leurs deux côtés parentaux), et 378 autres n’ont pas été classées. Les enfants non classés sont encore nettement plus nombreux pour les ressemblances de caractère. Il va de soi que les étudiants ont pu, malgré la consigne, faire intervenir leur opinion personnelle. De façon générale l’étudiant interrogé a eu plus de mal à classer les autres membres de sa fratrie (11 % de non-réponses pour la ressemblance physique) qu’à se classer lui-même (6,5 % de non-réponses). Par ailleurs, toujours pour la ressemblance physique, les étudiants ont eu plus de mal à se classer eux-mêmes de façon unilatérale (82 %) qu’à classer de cette façon leurs frères et sœurs (92 %). On peut, je crois, expliquer en partie cette difficulté par les enjeux affectifs des ressemblances dont nous reparlerons plus loin. Dire que l’on ne ressemble qu’à un seul des deux parents, n’est-ce pas d’une certaine façon prendre ses distances sous ce rapport vis-à-vis de l’autre ? Ce coût psychologique du classement unilatéral contribue à expliquer le taux élevé de non-classement.
9 On aurait pu dire que ce léger biais patrilatéral est en affinité avec un système de parenté dont la bilatéralité admet le biais patrilinéaire de la transmission du nom de famille en ligne masculine s’il ne contredisait pas le strict parallélisme observé dans la transmission des prénoms d’origine familiale. Tout se passe comme si l’égalité entre les conjoints et les familles alliées quasiment parfaite dans le domaine plus visible et contrôlable des prénoms (ils sont enregistrés dans les papiers officiels) l’était moins dans celui plus insaisissable et moins contrôlé des ressemblances.
10 La fréquence de la ressemblance physique unilatérale au père ou à sa famille est de 58,1 pour les enfants uniques, de 53,7 pour les autres premiers-nés et de 51,2 % pour les cadets. Elle est de 53,7 pour les hommes et de 51,7 % pour les femmes. Les fréquences correspondantes pour les ressemblances psychologiques sont 69,1, 58,2, 55,5, 54,2, 59 %.
11 Cette relation affective privilégiée peut être non réciproque ou réciproque.
12 Je remercie Ali Tolu qui, le premier, m’a parlé de ce dicton qui se dit « Oglan dayiya kiz bibiyze » au Kurdistan.
13 Les résultats de l’enquête menée à Djerba ont été présentés à Cerisy le 26 juin 1996 au colloque Maurice Godelier et seront publiés dans Regards sociologiques, Faculté des sciences sociales de Strasbourg II en 1998.
14 On dit que les garçons ressemblent à leur mère quand il n’y a pas d’oncle maternel ou quand on ne le connaît pas. Je remercie Monsieur Ho Kin Chong, enseignant à l’université de Lyon II, pour ces informations.
15 Certains, mais c’est rare, font aussi intervenir l’influence de ce que l’on a souvent appelé l’imagination féminine.
16 Je remercie A. Fine pour cette précieuse référence.
17 Il est possible que la prise en compte des règles de nomination (et de ressemblance) permette de mieux comprendre la logique à laquelle obéit la circulation des enfants dans certaines sociétés. Et si Malinowski avait tenu compte des règles de nomination (un des noms de l’enfant est d’origine paternelle) et de ressemblance (les enfants ressemblent à leur père) trobriandaises, il aurait pu, étudier systématiquement les implications de ces faits et découvrir (comme le fera plus tard Annette Wiener) que les relations entre le père, la famille paternelle (notamment la sœur du père) d’une part, et les enfants du père de l’autre, sont beaucoup plus importantes qu’il ne le croyait.
Auteur
Professeur d’anthropologie, Université Lumière Lyon II.
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1987
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Les cultures tauromachiques en Camargue et en Andalousie
Frédéric Saumade
1994