Chapitre 7
Innover pour la Fondation : « Cela a toujours été notre vocation »
p. 291-327
Texte intégral
1Une fois la Maison des sciences de l’homme bien installée boulevard Raspail, se pose à nouveau la question de son orientation générale, de sa « fonction », tout se passant comme s’il en était dans la nature même de cette institution de se remettre périodiquement en question. Tous, à la direction et au conseil d’administration, conviennent que la Fondation a contribué à l’extension des sciences sociales, à une époque où elles étaient « encore embryonnaires », et que depuis les années 1960, elles ont connu un « développement rapide ». La Fondation s’est certes ajustée, « naturellement », précise-t-on : sa fonction ne consiste en effet plus seulement, comme elle l’a admirablement fait, à apporter aux chercheurs et aux centres de recherche en sciences sociales « un soutien important » grâce aux instruments de travail qu’elle met à leur disposition. Il faut maintenant et de plus en plus multiplier les efforts et les initiatives pour « mettre en communication » les chercheurs les uns avec les autres, en France comme sur la scène internationale.
2La MSH met en place le projet que Fernand Braudel a présenté dans son plan quinquennal, à savoir celui d’inviter, pendant des périodes plus ou moins longues et souvent en collaboration avec l’EHESS, des chercheurs étrangers : par exemple dès 1973 et 1974, l’historien Gilbert Shapiro de l’université de Pittsburgh, le psychologue Richard Carter de l’université de Berkeley et le méthodologue Karl Van Meter de l’université du Pacifique, les sociologues Anselm Strauss de l’université de Californie et Guido Martinetti de l’université de Milan. C’est le début d’une collaboration entre la MSH et le méthodologue Karl Van Meter : celui-ci vient s’installer à Paris et s’associe pour longtemps aux activités de la MSH en ce domaine, avec la publication, à partir de 1983, du Bulletin de méthodologie quantitative.
Le Centre de recherches interdisciplinaires et comparatives
3Un autre bel exemple de l’« ajustement » qu’effectue alors la MSH est l’initiative de Clemens Heller, depuis peu directeur du Centre de recherches interdisciplinaires et comparatives, et qui consiste, en plus d’organiser de nombreux réseaux scientifiques nationaux et internationaux et des groupes expérimentaux de recherche, à développer rien de moins qu’une nouvelle interface recherche/administration publique dans les domaines des politiques sociales ou scientifiques, par exemple en mettant en place, avec le concours du Club du GIF, une table ronde sur la politique des sciences sociales en France ou une rencontre consacrée à la recherche médicale et qui deviendra le groupe de travail « Santé et Société »1. Le développement rapide de telles activités « renforce considérablement la Fondation en tant qu’organe coordinateur et en tant que plateforme nationale et internationale de coopération scientifique ». L’objectif est d’en faire un « forum neutre et ouvert », où des courants scientifiques indépendants trouvent la possibilité de « converger et de s’interféconder ».
4Rapidement, en moins de six mois, le nouveau centre réunit une vingtaine d’équipes expérimentales de recherche dont les activités s’exercent dans des domaines fort divers : documentation et publications, histoire et sociologie, problèmes internationaux, environnement et société, biologie et sciences sociales, mathématiques et sciences humaines.
5À ces équipes viennent s’ajouter deux groupes de travail : l’un sur la documentation en sciences sociales et l’autre sur les publications en sciences sociales. Pour le premier groupe, l’objectif est, en réunissant des représentants de diverses bibliothèques et de la Bibliothèque nationale, de mettre au point, à l’échelle nationale, une « politique cohérente » d’acquisition des périodiques et d’une façon générale, d’organisation de la documentation en sciences sociales. Quant au second groupe, il étudie les moyens de faciliter la fabrication et la diffusion des publications scientifiques. Tout cela se fait, tient-on à préciser avec fierté, en collaboration entre différentes institutions.
6Il a été question, au début des années 1970, de plusieurs projets documentaires2, dont l’un devait porter sur « l’autogestion, la participation et la démocratie industrielle » en collaboration avec Yvon Bourdet, chercheur au CNRS et qui anime la revue Autogestion, fondée en 1965 par Georges Gurvitch, Jean Bacal et Daniel Guérin.
Yvon Bourdet (1920-2005)
Yvon Bourdet est, pendant la Seconde Guerre mondiale, membre d’un groupe de la Résistance en Corrèze ; il devient par la suite professeur de philosophie, puis étudie l’histoire et la sociologie. En 1960, il commence une thèse de doctorat de sociologie sous la direction de Raymond Aron consacrée à l’austromarxisme, une école marxiste dirigée par Otto Bauer. Il entre au CNRS en 1964. Militant du groupe marxiste « Socialisme ou barbarie » dans les années 1960, Bourdet se consacre ensuite à l’autogestion. En 1970, il crée avec Joseph Fisera le Groupe d’étude de l’autogestion et pendant quinze ans, ils animent ensemble un séminaire de recherche consacré à l’autogestion.
7En 1970, la revue devient Autogestion et socialisme et paraît aux Éditions Anthropos. C’est à ce moment qu’Olivier Corpet la découvre et que son directeur Yvon Bourdet l’associe à la gestion de la revue, qui devient Autogestions. Détenteur d’une maîtrise en économie et gestion de la nouvelle université Paris-Dauphine, Corpet travaille d’abord comme économiste pour le groupe Peñarroya-Le Nickel, où il exerce aussi une première activité militante comme délégué syndical de la CFDT. De 1973 à 1979, Corpet prend une part grandissante dans les fonctions qui permettent à la revue de fonctionner. La revue est alors publiée « dans le cadre de la MSH » puis aux Éditions Privat à Toulouse. Collabore aussi à la revue Jacqueline Pluet, bibliothécaire à la MSH3. Corpet en assumera la direction de 1980 à 1986, date de l’arrêt de la publication.
8Tout cela se passe dans un contexte de grande agitation sociale avec l’occupation à Besançon en 1973 de l’usine Lip et l’année suivante, la création de la communauté de Jansiac (La Nef des Fous).
9En 1976, Yves Bourdet fonde le Centre international de coordination des recherches sur l’autogestion (CICRA), dont les objectifs sont d’encourager et de développer les contacts entre tous ceux qui s’intéressent à l’autogestion en vue de favoriser les recherches entre pays différents, dans une perspective interdisciplinaire. C’est autour du CICRA et en étroite collaboration avec la bibliothèque de la MSH que va se constituer graduellement un véritable fonds Autogestion de la bibliothèque de la MSH, couvrant les décennies 1960/1970/1980 et comptant environ 3 000 titres : actes de congrès, rapports et dossiers, témoignages, manifestes, tracts, en langues française ou étrangères4. Jacqueline Pluet est la bibliothécaire responsable de ce fonds.
10L’une des principales activités du CICRA est l’organisation de colloques internationaux, entre autres à Paris, en 1977, la 2e Conférence internationale sur « la participation, le contrôle ouvrier et l’autogestion » et l’année suivante, sur « l’autogestion et la planification : l’expérience yougoslave », avec la collaboration du Centre culturel yougoslave.
11Le réseau comprend des membres d’une quarantaine de pays, dont plusieurs sont actifs au sein du Comité de recherche « participation, contrôle ouvrier et démocratie » de l’Association internationale de sociologie. L’une des personnes clés de ce réseau à Paris est Olivier Corpet, ingénieur de recherche au CNRS et membre du Groupe d’étude sur l’autogestion (EHESS). Il a son bureau au 54 boulevard Raspail.
12À partir de 1978, la MSH aide à la publication du bulletin bilingue, Lettre du CICRA/CICRA Newsletter. Le bulletin Lettre du CICRA paraîtra jusqu’en 1983.
« Cela a toujours été notre vocation5 »
13En plus du Centre de recherches interdisciplinaires et comparatives, la MSH contribue directement à la création de groupes de recherche : le Groupe d’analyse des politiques d’action collective, le Groupe d’étude et de recherche sur les problèmes internationaux, le Groupe d’étude sur l’histoire sociale de la philologie, le Groupe développement, environnement et prospective, le Groupe écologie et sciences humaines, le laboratoire européen de psychologie sociale. Un autre centre relève à la fois de la MSH, de l’EHESS et de la FNSP : il s’agit du Centre de recherche sur l’information et la communication scientifiques. Outre la MSH qui occupe 39,5 % de la surface qui lui est allouée6, la répartition des divers centres hébergés à la MSH est, en 1977, la suivante : CNRS (33,5 %), EHESS (22,1 %), FNSP (3,5 %). En sciences politiques, il y a maintenant, en plus du Centre d’étude des relations internationales, le Centre d’étude de la vie politique française contemporaine qui relève de la FNSP.
14Se posent plusieurs problèmes communs aux services et aux centres hébergés à la MSH : l’accès des participants à des réunions et colloques au restaurant administratif, l’accès aux équipements (télex), la possibilité de bénéficier de tarifs postaux réduits pour envois en nombre, l’ouverture de l’immeuble au mois d’août. L’on souhaite par ailleurs que s’établisse une concertation entre les institutions hébergées et qu’il y ait plus d’échanges d’informations et aussi de discussions entre les directeurs des services et des centres sur des problèmes scientifiques définis7.
15Comme à l’accoutumée, le renouvellement des conventions (qui expirent le 31 mars 1979) pour les institutions hébergées, à savoir six formations EHESS, une CNRS et une FNSP, ne pose pas de problèmes8. La date d’expiration pour d’autres centres est ultérieure9. Le conseil d’administration adopte la proposition de renouvellement d’un an, reconductible : l’intention est, précise-t-on, que « soit sauvegardée la liberté d’action de la Fondation et en même temps favorisée une certaine liberté dans la recherche10 ». Par ailleurs le conseil d’administration dénonce définitivement une convention d’hébergement : celle de l’Association internationale des sciences économiques. On en discutait depuis plus de deux ans.
16S’il y a, dans les activités de la MSH, une « lacune », c’est la place très marginale qu’occupe une discipline désormais incontournable : l’économie. Charles Morazé ne cesse de le rappeler aux membres du conseil d’administration. Mais ne s’agirait-il pas là, comme le pense Clemens Heller, d’un « simple défaut de présentation », car il y a incontestablement des préoccupations économiques chez plusieurs membres et groupes faisant partie du Centre qu’il anime, le Groupe d’étude et de recherche sur les problèmes internationaux, ou le Groupe développement, environnement et prospective11. Tout cela demeure évidemment insuffisant, et l’on souhaite au conseil d’administration qu’une plus grande importance soit accordée à l’économie et que soient organisés des rencontres scientifiques et des colloques internationaux dans ce domaine.
17La grande originalité de la MSH, c’est d’offrir aux chercheurs la possibilité de rencontres (colloques, etc.), de concertation (mise sur pied de groupes de travail) et de diffusion : elle devient la plateforme de collaboration interdisciplinaire indispensable au développement de nouveaux domaines de recherche.
18Entre 1975 et 1980, plus d’une cinquantaine de chercheurs étrangers sont invités à la MSH, souvent en collaboration avec l’EHESS : l’historien anglais E. Hobsbawm, les sociologues allemand, W. Lepenies et américain, H. Becker, les historiens américains Charles et Louise Tilly, G. Gemelli, D. Sabean, l’historien anglo-italien Stuart J. Woolf. Des missions sont aussi organisées à l’étranger pour des chercheurs français. La seule organisation des séjours des chercheurs à Paris exige la mise en place d’une logistique complexe : négociation de la durée du séjour et des dates, frais de voyage et de séjour, documents administratifs, réservation de chambres à l’hôtel, au Reid Hall, à la Tour de physique ou à la Cité universitaire, mise à disposition de bureaux.
19Du côté de la Fondation, c’est habituellement Clemens Heller qui est en contact avec les chercheurs étrangers, comme en témoigne la volumineuse correspondance qu’il échange avec eux pour régler tous les problèmes, y compris les factures de téléphone non payées et les dispositions qu’il faut prendre à la suite du décès d’un chercheur invité. C’est aussi lui qui se fait l’intermédiaire entre la MSH et l’EHESS lorsqu’il s’agit, comme on le voit en 1979 pour l’anthropologue anglais Jack Goody et le sociologue allemand W. Lepenies12 et l’année suivante pour l’historien américain Eugen Weber, d’obtenir de l’École qu’elle mette ces chercheurs invités par la MSH sur le contingent des directeurs d’études associés (pour une période d’un mois). De même, Heller informe telle ou telle ambassade, telle ou telle université, de la venue d’un chercheur comme c’est le cas lorsque l’historien américain C. Schorske arrive à Paris en septembre 1979.
20Souvent, Clemens Heller doit rappeler à ses interlocuteurs les limites de l’aide que peut offrir la MSH : « The MSH will try its best to help you, unfortunately within the limits which you know », écrit-il en octobre 1980 au philosophe-sociologue norvégien J. Elster. Et au professeur américain Ian Lustick de Dartmouth College, il ne peut en décembre 1983 faire aucune promesse : « Je vais essayer de vous trouver un bureau pour mai, mais je ne peux rien vous promettre qui soit certain. » Enfin, à la même date, il rappelle à un collègue hongrois, Walter Endreu, les règles que s’est données la Fondation : « La MSH est prête à prendre en charge votre séjour (de trois semaines) en France, mais pas les frais de voyage ».
21Enfin, lorsqu’il est question de publications, ce qui est souvent le cas à la suite d’un colloque, Heller poursuit, à titre de responsable des publications à la MSH, la discussion avec les chercheurs étrangers : par exemple en octobre 1978 avec l’anthropologue et sociologue Fanny Colonna, d’Alger, pour la publication des actes du colloque « Méthodes d’approche du monde rural » ou l’année suivante, avec l’historien Robert Darnton de Princeton University pour la traduction d’un ouvrage.
22Plus que les simples invitations, la formule que privilégie la MSH est la création de nouvelles structures de collaboration et aussi le soutien à des projets avant même qu’ils ne soient pris en charge par des institutions de recherche appropriées13. Le nouvel objectif qu’elle se donne, plus ou moins explicitement, est d’être plus sensible, mais sans partisanerie politique, aux grands enjeux économiques, sociaux et politiques. Le contexte des années 1970 est marqué par l’émergence de nouveaux mouvements sociaux et le renouveau du marxisme (ou plus précisément le structuro-marxisme). Cette nouvelle sensibilité se traduit d’un côté par l’organisation de nombreux colloques et l’ouverture de nouveaux chantiers de recherche, le plus souvent sur une base interdisciplinaire et internationale, et de l’autre, par la mise en place de programme de coopération bi- ou multi-nationale.
23L’on assiste, au milieu des années 1970, à une véritable explosion de conférences et colloques sur des thèmes les plus divers, y compris les arts et la culture. Deux séminaires « musique et linguistique » et « voix » sont en effet organisés en mai 1975 en collaboration avec l’Institut de recherches et de coordination acoustique musique (IRCAM) que dirige Pierre Boulez, avec la participation de scientifiques et de praticiens de la musique, compositeurs et interprètes. Par ailleurs se tient à Lille un grand colloque international sur « la science des œuvres : langage et institution ». L’organisateur de cet événement, qui bénéficie du double patronage de l’université de Lille-III et de la MSH, est Jean Bollack, professeur de l’université de Lille-III14. L’originalité d’un tel événement savant qui porte sur « la science des textes » tient à « l’organisation rationnelle du disparate » : en plaçant côte à côte des chercheurs aux intérêts différents, on espère « créer une situation propre à porter au jour les présupposés des différentes traditions intellectuelles que les membres d’une même discipline partagent souvent d’une façon implicite et à porter la réflexion vers le terrain théorique ». Une façon, croit-on, « d’échapper aux dangers que court “l’interdisciplinarité” souvent prise en porte à faux entre les monologues parallèles et les synthèses arbitraires ». Un colloque qui, conclut-on, n’est pas sans rappeler « ces sortes de réunions au sommet où périodiquement se redéfinissent les relations de “coexistence pacifique” (et peut-être de pouvoir) entre les différentes fractions du champ intellectuel et où, dans la joute verbale et l’affrontement symbolique, se fixe, pour un temps, une nouvelle hiérarchie des disciplines15 ». Ce colloque conduit à la création du Groupe d’étude de l’histoire sociale de la philologie16.
24Il y a, à la MSH, un foisonnement d’activités certes scientifiques mais dont certaines ont aussi une dimension appliquée aux entreprises ou en relation avec elles : par exemple le premier colloque du Groupe européen d’études sur les organisations (EGOS) en avril 1975 obtient l’appui d’EDF et réunit plus de cinquante chercheurs venant d’une dizaine de pays européens. La même année, en novembre et grâce à la collaboration du Centre de recherches et de documentation sur la consommation (CREDOC), se tient un séminaire sur le thème : « l’économie de l’éducation est-elle utile ? »17.
Deux grands chantiers : développement et écologie et histoire ouvrière et sociale
25Des groupes sont constitués, comme nous l’avons déjà indiqué, au tout début des années 1970 : le groupe « biologie et vie sociale » (1970), le projet PAREX en histoire et sociologie des sciences (1970)18, le groupe « développement, environnement et prospective » (1970), le groupe « écologie et sciences humaines » (1973). Certains de ces groupes deviennent très actifs et multiplient les initiatives, comme on le voit avec PAREX, qui donnera naissance au début des années 1980 à une association européenne pour l’étude de la science et de la technologie (EASST), dont le secrétariat est assuré par Elizabeth Crawford, chercheur CNRS. D’autres se transforment, comme le Club du GIF qui abandonne une partie de ses activités à un nouveau groupe19. D’autres enfin élargissent leur champ d’action et ouvrent de grands chantiers. Les plus importants sont, au cours des années 1970-1980, le développement de l’environnement et de l’écologie, l’histoire ouvrière et l’histoire du capitalisme.
26Le premier chantier comprend deux volets : « écologie et développement durable » et « écologie et sciences humaines ». Avec la crise de l’énergie, on assiste à une véritable prise de conscience des problèmes environnementaux. La MSH manifeste rapidement une grande sensibilité pour l’écologie en s’associant au milieu des années 1970 à diverses activités internationales. Les actions qu’elle appuie ou initie s’inscrivent dans deux directions : l’une, plus appliquée, est proche de l’économie et concerne le développement durable, et l’autre, plus fondamentale, est proche de l’anthropologie.
27L’une des premières actions de la MSH dans ce domaine est sa participation à la consultation sur la coopération internationale qu’organise l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) : il s’agit d’une réunion d’experts dont les travaux portent sur « les nouvelles formes de coopération entre les pays développés et les pays du Tiers Monde ». Les travaux sont inaugurés par Stéphane Hessel au nom du ministère des Affaires étrangères. Un nouveau centre de recherche est fondé en 1973 : le Centre international de recherche sur l’environnement et le développement de la VIe section, dont Ignacy Sachs assure le secrétariat.
Ignacy Sachs (1927-)
Né en 1927 à Varsovie, Ignacy Sachs quitte la Pologne pour se réfugier pendant la Seconde Guerre mondiale au Brésil où il vit de 1941 à 1953. Puis, pour des raisons politiques qui sont liées à ses convictions communistes, il revient en Pologne avant de s’établir définitivement en France20.
Sachs consacre son premier livre en 1969 au Brésil : Capitalismo de Estado e Subdesenvolvimento. Il publiera en 1980 son Initiation à l’écodéveloppement.
Conseiller spécial du secrétaire général de l’ONU, Sachs participe, dès 1972, à la conférence de Stockholm. Dans le rapport qu’il remet alors, il prévoit que le développement économique effréné ne peut conduire, et c’est inéluctable, qu’à une catastrophe écologique planétaire. L’approche qu’il entend développer combine à la fois politique sociale, préservation de l’environnement et développement économique.
Économiste ou plus précisément écosocioéconomiste comme il aime s’identifier, Ignacy Sachs va être pendant de nombreuses années étroitement associé à la MSH, s’impliquant dans trois grands domaines : l’environnement ou l’écologie (ecosocioeconomy), le développement et les études brésiliennes. Sans oublier un quatrième, la prospective21. Il a son bureau au 54 boulevard Raspail.
28L’année suivante, en 1975, la MSH participe à une autre initiative : le projet « Dag Hammarskjöld » (sur le développement et la coopération internationale) que finance la fondation suédoise du même nom basée à Uppsala. Ce projet s’inscrit dans le programme des Nations unies. Face à la « crise actuelle », qui serait le résultat de l’application à l’univers entier d’« un modèle de civilisation historiquement et géographiquement déterminé », le défi est de « repenser la stratégie du développement en fonction d’alternatives qui, à la fois moins gaspilleuses de ressources et cherchant à atteindre autrement les objectifs primordiaux, permettraient peut-être de respecter les “limites extérieures” imposées par l’écologie22 ». La MSH est très impliquée dans cet ambitieux programme : non seulement le directeur du projet s’installe au 54 boulevard Raspail, mais aussi il entend travailler en collaboration avec le Centre international de recherches sur l’environnement et le développement.
29Enfin, en novembre 1975, la MSH organise un colloque international sur « la planification globale de l’énergie » en collaboration avec le Centre de recherches sur les institutions internationales (Genève). Du côté de la Fondation, c’est le groupe Prospective de l’énergie qui s’implique, avec à sa tête Ignacy Sachs. Certains participants viennent de pays socialistes (la Hongrie et la Pologne), d’autres de pays du tiers monde (Venezuela, Inde). La perspective est clairement écologique et alternative, avec la prise en compte de la préservation de l’environnement comme enjeu central : il s’agit d’esquisser une démarche orientée vers un « autre développement, nécessaire à toutes les sociétés, voué à la satisfaction des besoins, basé sur la “self reliance” – le “Comptons sur nos propres forces” – et en harmonie avec l’environnement » (Nerfin 1976 : 8).
30Du côté « Écologie et sciences humaines », un premier colloque : « Ethnoscience, limites et perspectives » se tient en décembre 1974, avec la participation de Brent Berlin, professeur à l’université de Californie à Berkeley. En quelques années on développe un véritable programme de recherches, avec la constitution de trois équipes : Écologie et anthropologie des sociétés (Pierre Bonte et André Borgeot), Perception et utilisation de l’environnement végétal en Chine (Georges Métaillé et Véronique Arnaud) et Recherche sur l’organisation et le milieu de la société caraïbe (Édith Beaudoux-Kovats).
31Membre du groupe Écologie et sciences humaines, Maurice Godelier effectue en 1974 une mission en Papouasie-Nouvelle-Guinée sur la tenure foncière et la résidence. Godelier connaît bien ce « terrain » pour avoir passé, à partir de 1968, deux ans et demi chez les Baruya. De son enquête, il en tirera son magnifique livre sur Les grands hommes. Jean-Luc Lory l’y rejoint, puis ils y retournent à nouveau ensemble en 1975. L’objectif de cette mission en Papouasie-Nouvelle-Guinée est « l’étude des systèmes fonciers, de l’évolution démographique et des faits sociaux qui peuvent se présenter en conséquence de la transition du statut colonial à l’indépendance23 ». Au moment de repartir pour la France, Maurice Godelier, se sentant redevable, se demande, en bon connaisseur de Marcel Mauss, comment « rendre » à ses informateurs ce qu’il a « reçu ». En d’autres mots, il veut leur faire un cadeau et leur demande ce qu’ils aimeraient bien avoir. « Une camionnette pour transporter des choses, nous déplacer, aller d’un village à l’autre », lui répondent-ils. Un peu désemparé, Godelier s’adresse finalement à Clemens Heller qui lui dit de ne pas s’en faire : « Je vais trouver une solution ». « Comment Heller y est-il parvenu ? on ne le sait pas », dit Maurice Aymard qui raconte cette anecdote, mais toujours est-il que, comme par magie, une camionnette Toyota usagée a été transportée en cargo, probablement de la Grèce jusqu’en Papousie et qu’elle a été remise aux informateurs de notre anthropologue24.
32Tout en apportant son aide à d’autres missions, par exemple en Amazonie et au Gabon, le groupe Écologie et sciences humaines entreprend en 1975 deux activités documentaires : à la demande du programme écologique des Nation-unies, la rédaction d’un guide documentaire « Écologie et développement en Nouvelle-Guinée », et sous contrat pour la DGRST, la constitution d’un fichier documentaire : Écosystèmes et sociétés. Enfin, de mai à octobre 1979, l’équipe, qui s’est adjoint Pierre Lemonnier, technologue, effectue un nouveau terrain dont le but est triple : collecte de données sur les phénomènes techniques, anthropologie des Baruya, observation du rituel de la Maka et enquête sur les groupes Anga25.
33Comme le souligne Lory, de telles missions posent un problème de financement qui est « de taille » pour tout chercheur du CNRS ou d’un laboratoire d’université : frais élevés de transport, frais de séjour, équipements. Certes tout cela fait « le charme du terrain exotique », mais comment trouver le financement ? La seule solution réside, selon Lory, dans l’élaboration d’un « budget patchwork », dont la composition est la suivante : « Une partie provient du CNRS […]. S’y ajoutent un contrat DGRST […] et un complément par la Fondation MSH (qui atteint parfois presque la moitié du budget global26. »
Maurice Godelier (1934-)
Né en 1934 à Cambrai, fils d’ouvrier, Maurice Godelier fait hypokhâgne au lycée Faidherbe à Lille et khâgne à Henri IV, avant d’entrer en 1955 à l’École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud (Lyon). Il obtient une licence en philosophie en 1956 et un diplôme d’études supérieures en 1957. Agrégé de philosophie en 1959, il a également une licence de lettres modernes. Il entre d’abord à l’ENS (1959-1960), puis devient chef de travaux à l’EPHE (1960-1962). Au moment où il présente sa candidature à l’EPHE, il fait son service militaire et sera libérable en septembre 1962. Son projet de thèse porte sur la rationalité en économie.
Suivant les conseils de Michel Foucault, il rend visite à Fernand Braudel pour lui expliquer son intérêt pour l’anthropologie économique.
Braudel m’a, raconte-t-il, invité à le rencontrer rue de La Baume. Je me suis assis et, sans me regarder pour ne pas m’intimider, il m’a demandé ce que je voulais faire. Je lui ai parlé de mon intérêt pour l’économie, sous l’angle de la genèse et des structures. Puis à la fin, il m’a dit : « Vous allez être mon assistant. Allez voir Heller qui va régler cela. » J’ai écrit des comptes rendus. Un premier de 10 pages, et Braudel m’a corrigé en disant qu’un compte rendu, ce n’est pas plus d’une page, une page et demie.
Il jouit alors d’une totale autonomie, n’ayant que l’obligation d’assister aux cours et de poursuivre sa formation par de nombreuses lectures.
Après un an, il m’a dit « allez voir Lévi-Strauss », à qui j’ai téléphoné en milieu d’après-midi sans savoir que ce n’était pas le bon moment pour lui parler. Il m’a reçu le vendredi suivant, à 8 heures moins 5. Je lui ai dit que je ne voulais pas m’imposer. Il m’a répondu qu’il était d’accord pour que je sois son assistant, et il m’a dit ; « Je voudrais que vous travailliez sur l’infrastructure (économique). » Lévi-Strauss m’a laissé libre de faire ce que je voulais27.
En 1975, Godelier est nommé directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. En 1981, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la Recherche, l’appelle pour contribuer à la réforme de la recherche en sciences humaines et sociales au CNRS. Godelier remet un volumineux rapport en deux volumes, Les sciences de l’homme et de la société en France : analyses et propositions pour une politique nouvelle, dans lequel il formule toute une série de propositions. L’année suivante, il est nommé directeur scientifique du premier département des sciences de l’homme et de la société au CNRS, poste qu’il occupe jusqu’en 1986.
Ses premiers travaux se situent au carrefour de l’anthropologie et du marxisme : Centre d’études et de recherches marxistes, 1964, Rationalité et irrationalité en économie (1966), Horizon, trajets marxistes en anthropologie (1974). Son terrain de recherches en anthropologie est l’actuelle Papouasie-Nouvelle-Guinée, où il vit d’abord pendant un an chez les Baruya, un peuple qu’il caractérise comme étant sans classe et sans État. Il y retourne régulièrement et tire de sa longue enquête son grand ouvrage : La production des grands hommes : pouvoir et domination masculine chez les Baruya de Nouvelle-Guinée (1982), pour lequel il reçoit le prix de l’Académie française. Parmi les ouvrages que Godelier publie par la suite, retenons : L’énigme du don (1996), Métamorphoses de la parenté (2004) et Lévi-Strauss (2013).
De Clemens Heller, il dira :
Pour parler de Clemens Heller, j’ai deux mots dans la tête. L’admiration et l’affection. L’admiration parce que Clemens fut un organisateur prodigieux qui avait mis ses talents au service d’une vision internationale du développement des sciences sociales, de la connaissance des autres et de nous-mêmes. Et cette vision internationale, il l’avait développée au sortir de la deuxième guerre mondiale, lorsque l’Europe était divisée en deux blocs antagonistes, à un moment où les chercheurs risquaient de ne plus jamais pouvoir communiquer. […] La Maison des sciences de l’homme fut aussi dès le départ conçue par lui comme le lieu de naissance de nouvelles équipes, de nouveaux projets. Constamment Clemens recevait des collègues français ou étrangers qui lui proposaient d’accueillir et de soutenir un jeune chercheur, une nouvelle équipe pour un nouveau projet. Et lui faisait tout pour créer les conditions de cette naissance. Il nous émerveillait car il n’avait jamais d’argent, et il en trouvait toujours, sachant demander à des dizaines de sources et surtout sachant les convaincre. Et ici je dois témoigner d’une vertu fondamentale de Clemens Heller. Je me souviens être allé de nombreuses fois lui demander de l’aide pour tel(le) ou tel(le) jeune chercheur. À chaque fois je me lançais dans un grand discours expliquant l’intérêt du projet, sa nouveauté, les qualités du chercheur, et l’importance qu’il y aurait à lui donner sa chance, etc. Au bout de 5 minutes mon discours l’énervait. Il m’interrompait en me disant : “Godelier, c’est vous le spécialiste, c’est vous qui pouvez juger du projet et de la personne, moi je n’y connais rien, mais j’ai confiance en vous, donc je vous aiderai, n’en dites pas plus.” Merveilleuse façon de gérer la création et l’innovation par des liens de confiance et de chercher sans grognements ni discours misérabiliste les moyens de faire du neuf. […].
Le deuxième mot que j’emploie quand je pense à Clemens Heller est “affection”. Mon affection pour Clemens avait trois sources. D’abord sa générosité extrême, mais toujours accompagnée de pudeur et de discrétion. Je me souviens des nombreuses fois où j’ai quitté son bureau avec un petit cadeau, un livre qu’il m’offrait parce qu’il pensait que ça pouvait m’intéresser. Et puis il était toujours anxieux de savoir si on allait bien, si la famille allait bien, s’il n’y avait pas de malheur autour de vous. Et il offrait spontanément sa sympathie. Générosité, discrétion, pudeur. Enfin, paradoxalement pour un homme qui faisait dix choses à la fois et était toujours interrompu par le téléphone quand vous lui parliez, il avait une prodigieuse capacité à vous écouter et à vous comprendre même dans le tumulte des questions, des réponses faites à dix personnes qui entraient dans son bureau ou qui lui téléphonaient. Finalement pour lui le bruit n’empêchait rien28.
34De retour de sa mission en Nouvelle-Guinée en compagnie de Jean-Luc Lory, Maurice Godelier, nouvellement nommé directeur d’études avec l’appui de Fernand Braudel29, assure, à partir de 1975 à l’EHESS la direction du nouveau séminaire « Écosystèmes et sociétés : étude de la hiérarchie des contraintes dans la reproduction de quelques sociétés non industrielles ». Par l’intermédiaire de Maurice Godelier, le jeune Lory rencontre Clemens Heller, à qui il présente son projet de travailler sur le système de tenures foncières de l’ethnie Baruya et d’étudier un corpus de plus de 5 000 fiches généalogiques. Celui-ci se montre très enthousiaste et met à sa disposition un grand bureau au premier étage de la MSH, tout à côté du sien. C’est, confiera-t-il, « dans cette atmosphère foisonnante où les couloirs ne désemplissent pas de séminaires improvisés, qu’il [Lory] a la chance d’être sensibilisé très tôt par Clemens Heller à la création et à la valorisation non seulement de [ses] propres entreprises scientifiques mais de celles d’autres collègues, que les générations distinguent mais que les projets réunissent ».
Jean-Luc Lory (1948-)
Jean-Luc Lory participe d’abord à une mission de Maurice Godelier en Papouasie-Nouvelle-Guinée, et à son retour en 1974, grâce à l’appui de Clemens Heller, il travaille sur son propre projet de recherche portant sur le système de tenures foncières de l’ethnie Baruya ; il crée deux ans plus tard à la MSH le groupe « Écologie et sciences humaines ». En 1978, il intègre le CNRS et s’associe au Laboratoire « Appropriation, socialisation de la nature » du musée de l’Homme. Le CNRS accepte qu’il partage son temps entre la MSH entre et son laboratoire d’intégration.
De 1975 à 1983, Lory effectue une quinzaine de missions ethnographiques en Papouasie-Nouvelle-Guinée. En 1981, il créé, avec l’accord de la Fondation, le Centre coopératif de recherche et de diffusion en anthropologie. En 1985, il rejoint c’est le Département des sciences de l’homme et de la société au ministère de la recherche et de la technologie et il participe à la mise en œuvre l’ANVIE (Association nationale pour la valorisation interdisciplinaire des recherches en sciences humaines et sociales pour l’entreprise). Dès le milieu des années 1980, il est étroitement associé à la conception et à la réalisation de la Maison Suger, dont il deviendra a partir de 1990 le directeur. Il sera aussi, à partir de 1992, l’un des adjoints de l’administrateur de la MSH, Maurice Aymard.
35Installé au 54 boulevard Raspail, Lory peut poursuivre librement sa recherche sur le système de tenures foncières de l’ethnie Baruya, et avec l’aide du personnel du laboratoire Informatique pour les sciences humaines, qui est au 2e sous-sol, il peut alors traiter, par ordinateur (perforation des cartes), un corpus de plus de 5 000 fiches généalogiques, ce qui à l’époque, précise-t-il lui-même, « relève de l’expérimentation30 ».
36Jean-Luc Lory comprend alors « à quel point ce lieu est unique à Paris, par rapport aux laboratoires et aux universités qu’[il] fréquentait jusqu’alors. Il s’agit réellement d’un carrefour où tous les chercheurs en sciences humaines et sociales et des disciplines connexes – de tous pays – se côtoient avec la plus grande spontanéité et surtout une totale liberté31 ». La MSH est une institution à laquelle il va être étroitement associé et à laquelle il va fortement s’identifier pendant les trois prochaines décennies. Il participe ainsi, dès le milieu des années 1970, à la création du groupe « Écologie et sciences humaines », autour d’une thématique qui est, selon lui, « un peu en avance sur l’époque ». En 1978, il intègre le CNRS et devient membre du laboratoire « Appropriation, socialisation de la nature » du musée de l’Homme, partageant désormais, comme l’autorise le CNRS, son temps entre son laboratoire et la Fondation.
L’histoire ouvrière. L’histoire du capitalisme
37Même si l’équipe de direction de la MSH est composée d’historiens et que le CRH y est très actif, l’histoire contemporaine est peu présente dans les activités de la MSH. L’idée d’un groupe en histoire sociale moderne est lancée en 1974 lors d’une réunion à Paris qui rassemble une dizaine de spécialistes chercheurs en histoire sociale moderne et contemporaine. L’année suivante, en 1975, est créé le Groupe de travail international sur l’histoire moderne et contemporaine. Ce groupe se veut informel et privilégie comme mode de fonctionnement les rencontres périodiques – des tables rondes – qui, réunissant volontairement un nombre réduit de participants, permettent l’échange d’informations et la discussion théorique sur des thèmes limités ayant suscité des travaux récents ou des recherches en cours.
38Il s’agit d’un domaine qui a connu, comme on le souligne, « un réel développement au cours des dernières années ». Heller s’implique personnellement dans l’organisation des premières rencontres. Au comité de coordination, on trouve aussi Maurice Aymard32. Le choix des thèmes est manifestement lié à la conjoncture politique et intellectuelle des années 1970, avec les conflits ouvriers, la montée du mouvement socialiste, le renouvellement du marxisme et la radicalisation du féminisme. Les rencontres se tiennent au rythme de deux ou trois par année, principalement à Paris à la MSH mais aussi à Londres, Göttingen, Constance et Rome.
Immanuel Wallerstein (1930-2019)
Né en 1930 à New York, Immanuel Wallerstein fait toutes ses études universitaires à l’université Columbia où il obtient son doctorat en 1959. Quelques années plus tard, en mai 1964, il épouse Béatrice Friedman. Sa carrière universitaire commence à Columbia, où il devient professeur agrégé de sociologie en 1958. Sa spécialité est alors la politique du monde non-européen, et plus particulièrement de l’Inde et de l’Afrique. Il publie plusieurs livres sur l’Afrique : Africa, The Politics of Independence (1961), Africa: The Politics of Unity (1967), Africa: Tradition & Change (1971) et il devient en 1973 président de l’African Studies Association.
En 1971, Wallerstein déménage de New York à Montréal où il enseigne la sociologie à l’université McGill pendant cinq ans. En 1974, il publie son premier ouvrage sur le système-monde moderne : The Modern World-System, vol. I: Capitalist Agriculture and the Origins of the European World-Economy in the Sixteenth Century. Deux ans plus tard, il est recruté par la State University of New York à Binghamton pour prendre la direction du nouveau Fernand Braudel Center, dont l’objectif est de développer les études du changement social « à grande échelle sur de longues périodes de temps historique ». Il publiera en 1979 son ouvrage synthèse The Capitalist World-Economy, avant de publier l’année suivante son deuxième volume sur le système-monde moderne.
39Au cours de la seule année 1975 se tiennent pas moins de quatre tables rondes : « Les formes de sociabilité des classes moyennes et ouvrières au xixe siècle » (janvier-février 1975), « Les conflits de travail » (mai 1975), « L’industrialisation et la condition féminine : 1750-1914 » et « La formation du prolétariat au temps de la première révolution industrielle » (novembre 1975). La table ronde sur « la condition féminine » est un événement en soi, avec la participation de plus de vingt-cinq chercheur-s-es dont Francine Muel, Michelle Perrot, Natalie Zemon Davis, Louise Tilly, Madeleine Rebérioux et Rolande Trempé33. Quant à la dernière rencontre de l’année, elle réunit des historiens, français, anglais, allemands et américains34. Les thèmes qui retiennent l’attention sont : la formation de la main-d’œuvre, les stratégies patronales et le rôle des institutions d’État, et les attitudes ouvrières devant l’industrialisation. Parmi ces chercheurs, se trouve Pierre Bourdieu qui, en débat, soulève la question de la conscience de classe, une notion qui, selon lui, est liée à celle de science de classe35. Une conclusion s’impose aux participants : « Assurément, ce débat aussi devrait être repris36. »
40Au cours des années suivantes, les thèmes abordés se diversifient : en 1976, « La bourgeoisie et l’art » ; en 1977, « Le patronat et la seconde industrialisation », « Conscience de classe et classe ouvrière : en Europe et aux États-Unis du xviiie au xixe siècle » ; en 1978, « Anthropologie et histoire 2 : les processus de travail dans l’Europe proto-industrielle », « L’industrialisation avant l’industrialisation », « La formation de la classe ouvrière » ; en 1979, « Politiques patronales de logement et attitudes ouvrières », « Culture ouvrière et discipline industrielle : la formation et la reproduction de la classe ouvrière » ; en 1980, « Société et cour au début de l’époque moderne », « Anthropologie et histoire 2 : famille et parenté, intérêts matériels et émotions ».
41L’intérêt pour l’histoire ouvrière est tel qu’on met sur pied en 1977 le Forum international sur le mouvement ouvrier et la classe ouvrière. L’objectif est de développer les échanges d’informations entre les institutions et les chercheurs du monde entier sur les questions de conservation et de consultation des archives et d’assurer une meilleure collaboration entre les chercheurs qui travaillent sur l’histoire du mouvement ouvrier ou sur les conditions de vie et la culture de la classe ouvrière. Le secrétariat est composé d’une dizaine de chercheurs venant d’autant de pays (Italie, Mexique, URSS, Allemagne, Pologne, Italie, Finlande, Autriche, Pays-Bas, France). Maurice Aymard est l’un des animateurs de ce forum, dont la première session se tient à Paris en avril 1980 avec la collaboration de la Fondazione Giangiacomo Feltrinelli et avec le concours de l’UNESCO37.
42Plus proche de l’histoire économique, se constitue en 1974 un autre groupe de travail : le groupe État et capitalisme à l’époque moderne, qui réunit des historiens, des économistes et des sociologues. Son but est de mener une étude comparative, sur la longue durée de l’époque moderne (xve-xxe siècle), du développement du capitalisme et de ses rapports avec les structures sociales et politiques des États. Le premier séminaire porte sur le livre d’Immanuel Wallerstein, The Modern World System, qui vient de paraître. Wallerstein est l’un des membres du comité de direction de ce groupe, où l’on trouve à nouveau Maurice Aymard38.
43À peu près au même moment, à l’initiative du sociologue américain Norman Birnbaum et avec l’appui de la Fondazione Agnelli de Turin, se forme un autre groupe international : « Occident-Express ». Le but est d’« élaborer une réflexion collective sur les caractéristiques de la crise ou des transformations sociales des sociétés industrialisées occidentales39 ». La première réunion de ce groupe se tient en juin 1975 dans les locaux de la MSH40. Il est question d’un projet d’ouvrage qui porterait sur les transformations concernant la politique et la culture et qui pourrait être publié simultanément dans plusieurs pays européens. L’année suivante, le colloque se tient à nouveau dans les locaux de la MSH et porte sur le capitalisme hollandais41. S’y retrouvent une vingtaine de participants français, allemands, américains, néerlandais, danois et roumains. Parmi les chercheurs associés à la MSH, il y a Immanuel Wallerstein.
44Les liens entre Wallerstein et la MSH sont, dès le milieu des années 1970, étroits : ce théoricien du système-monde est en effet invité pour trois mois en 1975 et un mois l’année suivante sur les crédits (en mois) mis à sa disposition par la MSH dans le cadre du budget géré par l’EHESS. Wallerstein considère Braudel comme l’une des trois personnes qui l’ont le plus influencé ; il va établir avec son mentor français une relation professionnelle et personnelle empreinte d’une grande admiration et d’une solide amitié. Lors de l’ouverture en 1977 du Fernand Braudel Center, il organise un colloque dont le thème est « L’impact de l’école des Annales sur l’histoire et les sciences sociales » et invite son collègue à faire la conférence inaugurale. À la même occasion, la State University of New York à Binghamton honore Fernand Braudel en lui attribuant le titre de professeur honoris causa.
45Wallerstein va venir régulièrement à Paris où il organise de nombreuses activités (colloques) en collaboration avec la MSH, qui met à sa disposition un bureau au 54 boulevard Raspail. Il devient un farouche défenseur de cette institution qu’il considère comme étant d’une « grande originalité et irremplaçable ». À ses collègues américains qui lui demandent « ce qu’est donc cette MSH, à laquelle vous attachez tant d’importance », il répondra :
Il n’existe rien de comparable dans aucun pays du monde. C’est comme le ministère des relations internationales des sciences humaines et sociales françaises. Elle exerce cette fonction à travers les échanges entre chercheurs français et étrangers qu’elle organise, les nombreux colloques internationaux qu’elle patronne à Paris et dans les coins les plus reculés du monde, et les publications (ainsi que les traductions en anglais et en allemand) qu’elle édite. Mais il y a davantage, encore plus important. C’est l’accueil qu’elle offre aux chercheurs étrangers, non pas un accueil formel, de simple politesse académique, mais un accueil en profondeur. […]. Quand ces chercheurs arrivent à Paris, on leur arrange un programme personnalisé, adapté à leurs besoins. Ils apprennent ce qu’offre la France intellectuellement. Ils apportent des idées nouvelles et s’insèrent dans des réseaux de coopération intellectuelle ouverts sur le reste du monde et sur tous les grands problèmes de nos sociétés. La France leur donne tout ce qu’elle peut leur donner, mais elle en reçoit en échange tout autant, sinon plus : une ouverture internationale sans précédent, et le rôle reconnu de pôle de rencontre entre chercheurs venus des différents pays de la planète (Wallerstein 2008).
46Donc deux grands chantiers en histoire : l’histoire ouvrière et l’histoire du capitalisme. Certes des succès, mais aussi quelques difficultés. Pour une institution telle que la MSH, avec un personnel relativement modeste et des moyens réduits, le rôle des personnes, que ce soit des administrateurs, des chercheurs ou des techniciens, est très important. C’est donc dire que le départ ou le décès d’une de ces personnes a un impact direct sur la vie de la Fondation, comme on le voit au moment de la « mort brutale » fin 1978 de Georges Haupt : « Une perte littéralement incalculable, tant pour ses amis que pour les disciplines historiques », écrit E. Hobsbawm, qui rappelle que Haupt était « un des piliers » du réseau international d’histoire sociale de la MSH.
Georges Haupt (1928-1978)
Spécialiste de la IIe Internationale, Georges Haupt (1928-1978) est un historien français né en Transylvanie (Roumanie). À l’âge de 16 ans il est déporté à Auschwitz, où il perd toute sa famille à l’exception de son frère Mircea. Il fait ses études à l’université de Leningrad, où il défend une thèse d’histoire. En 1958, il participe à la naissance de la République populaire roumaine, puis vient en France où il devient directeur d’études à l’EHESS. Il assure à partir de 1976 la direction du Centre d’études sur l’URSS et l’Europe orientale ; dénicheur d’archives, il constitue lui-même un fonds important de documents sur les mouvements socialistes balkaniques et sur l’histoire de la IIe Internationale et, vouant une admiration sans bornes à Rosa Luxemburg, il publie, en collaboration avec Claudie Weill et sous le titre de Vive la lutte !, la correspondance de Rosa Luxemburg (1976). Membre de la rédaction des Cahiers du monde russe et soviétique et du Mouvement social et membre de la Société d’études jaurésiennes, Haupt collabore régulièrement avec les historiens du mouvement ouvrier, Madeleine Rebérioux, Jean Maitron, Colette Chambelland ; il est aussi l’un des codirecteurs du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier international, dont le premier volume porte sur l’Autriche. Son « ultime réalisation » est la création en 1977, avec l’aide de la MSH, du Groupe de travail sur l’Europe centrale et orientale, qui réunit historiens, géographes, linguistes, démographes, ethnographes et anthropologues. Haupt concrétise ainsi « à la fois son goût pour la confrontation des disciplines et les débats d’idées et sa vieille obsession de déchiffrer l’histoire sociale de l’Europe, à travers la permanence des structures et la diversité des cultures » (Minassian 1978 : 13). C’est là, peut-on ajouter, l’esprit même de la MSH. Georges Haupt est polyglotte, il parle en effet aussi bien le roumain, le hongrois, le français, l’allemand et le russe.
47Tout comme les autres disciplines en sciences humaines et sociales, l’histoire connaît alors une spécialisation plus poussée, avec la mise en place de groupes ou de réseaux qui réunissent des chercheurs autour de thèmes de recherche plus « pointus » ou plus ciblés. On le voit en histoire économique avec la création de deux groupes de recherche plus spécialisés, l’un, en 1977, sur les manuels et les traités à l’usage des marchands (xvie-xviiie siècle)42 et l’autre, en 1979, sur la proto-industrialisation, mais on le voit aussi dans d’autres domaines de l’histoire, par exemple en archéologie (1976)43, en histoire urbaine (1976)44, en histoire de la justice et de la criminalité (1977)45 et en histoire du livre (1979)46. Certains des membres de ces groupes vont continuer, dans les années suivantes, à jouer un rôle très actif au sein de la MSH, organisant, comme on le voit en archéologie, chaque année séminaires et colloques. C’est le cas d’Alain Schnapp du CNRS.
Alain Schnapp (1946-)
Alain Schnapp est un ancien élève de Pierre Vidal-Naquet (avec lequel il publie en 1969 Journal de la commune étudiante. Textes et documents. Il est professeur d’archéologie grecque à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, directeur de l’UFR d’histoire de l’art et d’archéologie et directeur général de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA). Ses activités de recherche portent sur trois domaines distincts : l’anthropologie de l’image en Grèce ancienne, l’histoire de l’archéologie et l’étude urbaine des cités et territoires du monde grec. Parmi les ouvrages qu’il dirige dans les années 1980, il y a L’archéologie aujourd’hui et (en codirection avec Gilles Gaucher) Archéologie, pouvoir et société.
Alain Schnapp est en 1979 l’un des fondateurs de la revue Les nouvelles de l’archéologie, l’une des revues que publient les Éditions de la Maison des sciences de l’homme qui mettent à la disposition de son premier rédacteur en chef, Anick Coudart, et de son équipe, des locaux, une secrétaire et des moyens financiers pour la distribution gratuite des premiers exemplaires (Rédaction des Nouvelles de l’archéologie, 2019 : 5). Schnapp collabore aussi à MSH Informations. Enfin Schnapp sera l’un des deux premiers codirecteurs de l’Institut d’études avancées de Paris.
D’autres initiatives interdisciplinaires : vers une Europe scientifique
48La dimension interdisciplinaire demeure toujours une priorité pour la MSH, comme le montrent plusieurs nouveaux regroupements qu’elle appuie et qui se développent autour d’une autre discipline pivot : la sociologie. La formation de groupes tient certes au dynamisme des chercheurs mais aussi à des opportunités qui s’offrent ou à des demandes précises auxquelles la MSH est en mesure de répondre. La MSH offre à ces diverses initiatives un ancrage institutionnel qui leur assure une stabilité, mais chacune de ces initiatives demeure fragile car elles dépendent beaucoup de la disponibilité et du dynamisme des personnes.
49Parmi ces initiatives, dans lesquelles sont impliqués des sociologues, retenons les suivantes :
- En histoire et sociologie des sciences. Depuis sa fondation, les responsables de la MSH donnent priorité au domaine des sciences et des techniques. Il y a d’abord eu le programme Paris-Sussex (PAREX), au carrefour de la sociologie et de l’histoire des sciences. En 1978, un nouveau groupe de recherche, le groupe Pandore, Sciences et technologies, est mis sur pied par deux chercheurs du Centre de sociologie de l’innovation de l’École nationale supérieure des mines de Paris : Michel Callon et Bruno Latour. Les thèmes des premières réunions et colloques de la fin des années 1970 sont : « Techniques, sciences et sociétés », « Philosophie des techniques », « Vers une sociologie critique de la production des sciences ». Un séminaire mensuel est aussi organisé sur le thème de l’« Ethnotechnologie » en collaboration avec le Groupe de recherches ethnotechnologiques. Enfin, au tournant de la décennie, on organise des débats autour des livres d’Ilya Prigogine et Isabelle Stengers, La Nouvelle alliance, et de Paul Feyerabend, Contre la méthode. Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance. Naît alors ce que d’aucuns appelleront une nouvelle sociologie des sciences47.
- L’histoire de l’art et l’étude des productions culturelles. En collaboration avec des historiens, Pierre Bourdieu crée en 1976 le Groupe de sociologie de la production intellectuelle et artistique48.
- La linguistique et la sociologie. La même année, Pierre Bourdieu et Pierre Encrevé (EHESS) lient leurs efforts pour mettre sur pied le groupe de recherche « Linguistique et sociologie ». L’objectif est d’étudier les intersections possibles entre les problématiques respectives de ces deux disciplines et, au-delà, d’examiner les conditions d’une recherche commune éventuelle49.
- Sociologie et sciences politiques. Raymond Boudon et François Bourricaud, tous deux de l’université de Paris-IV, s’associent à des politologues et des économistes pour créer en 1974 le Groupe d’analyse des politiques d’action collectives. Le coordonnateur du groupe est Jean-Gustave Padioleau de l’ESSEC et un des membres du conseil, Bernard Cazes, travaille au Commissariat général du plan. Ce groupe organise des séminaires avec des professeurs invités et mène des recherches, dont plusieurs sous contrat DGRST, par exemple sur « Les systèmes d’interaction entre autorités publiques » et « La théorie de la décision et la politique publique ».
- La sociologie et la philosophie. S’agissant de la théorie de l’action, un autre groupe se constitue quelques années plus tard, en 1978, au carrefour de ces deux disciplines : il s’agit du groupe Rationalité et société, dont l’animateur est le sociologue-philosophe norvégien Jon Elster et qui se définit comme un réseau de communications informelles entre philosophes, sociologues, historiens et politologues dans le domaine des études sociales de la rationalité50.
- La psychologie sociale. L’une des initiatives qui acquièrent rapidement une dimension européenne importante et qui connaissent de nombreux succès est sans conteste la création en 1976 du Laboratoire européen de psychologie sociale dont l’animateur est Serge Moscovici, directeur d’études à l’EHESS51. Il est question de mettre à la disposition des chercheurs un centre de recherche constitué autour des salles d’expérimentation de la MSH, mais les principales activités de ce groupe sont les réunions et les colloques, qui, fort nombreux, de 5 à 15 par an, se tiennent dans différentes villes européennes (Paris, Genève, Barcelone, Bologne) et portent sur des thèmes tels que : « Les indicateurs sociaux dans le langage parlé », « La communication affective », « L’identité sociale », « L’influence sociale », « Les représentations sociales52 », « L’organisation de l’action humaine53 », « Les aspects sociaux de la socialisation ». L’organisation de telles réunions exige habituellement la participation d’autres partenaires, par exemple la Fondation Thyssen, la Werner-Reimers-Stiftung, le British Social Science Research Council ou l’international Communication Agency de l’ambassade des États-Unis à Paris.
50Enfin, une première recherche collective est lancée : elle a pour objet « Les aspects sociopsychologiques du conflit social ». Il s’agit, en tenant compte principalement des recherches récemment effectuées en Europe, d’étudier les conflits sociopolitiques actuels.
51Avec la mise sur pied de tels groupes de travail et réseaux, la MSH manifeste clairement sa volonté de construire une Europe scientifique. On le voit avec le groupe de travail « Syndicalisme contemporain et conditions de travail » : il s’agit d’un programme d’analyse comparative créé en 1976 par la MSH en collaboration avec l’Agence nationale pour l’aménagement des conditions de travail (ANACT)54. Sa principale activité est la tenue à Paris de réunions bilatérales où se rencontrent syndicalistes, membres de l’administration et chercheurs pour discuter de l’organisation et des conditions de travail dans l’un ou l’autre des pays européens : RFA, Italie, Suède55, Grande-Bretagne, Espagne.
52On le voit aussi sur les questions d’ordre linguistique lorsque des chercheurs de différentes disciplines – linguistique, psychologie, neurologie, intelligence artificielle, informatique – souhaitent, à l’échelle européenne, se rencontrer régulièrement pour comparer, opposer et évaluer les divers modèles d’analyse actuellement existants en les confrontant aux données empiriques. La Fondation MSH accepte spontanément de fournir une aide pour la mise sur pied en novembre 1978 d’une Association européenne de psycholinguistique. Les objectifs sont de favoriser une collaboration entre chercheurs intéressés au langage de diverses disciplines et de multiplier les contacts entre les spécialistes de différents pays européens. Celle-ci tient un premier atelier en avril 1979 à Paris sur le thème « Le lexique mental56 ». Les activités de cette association prendront fin dix ans plus tard.
Des aires culturelles à la coopération internationale
53L’intérêt de Fernand Braudel et Clemens Heller pour les aires culturelles a conduit à l’hébergement dans les locaux de la MSH certes de centres de recherche, mais aussi de centres à vocation documentaire, comme c’est le cas avec le Groupe d’études indonésiennes créé en 1977, et qui réunit des chercheurs de diverses disciplines travaillant sur ces régions57. Sa tâche principale est la préparation d’un dictionnaire étymologique de l’indonésien58. La coordination est assurée par l’anthropologue Isac Chiva.
54Cependant, comme on le rappelle dans les rapports d’activité annuels, l’une des missions essentielles de la Fondation est de « développer la collaboration internationale entre les chercheurs » : son action doit en effet viser à « assurer leur mobilité d’un pays à un autre, à aider la constitution et le fonctionnement de groupes de travail et réseaux scientifiques ». À partir du milieu des années 1970, la Fondation accorde une importance de plus en plus grande aux « relations avec l’étranger », et cela d’autant plus qu’on est conscient de « l’intérêt suscité dans maints pays par la science française ». L’on regrette cependant que bien souvent les accords culturels conclus avec tel ou tel État ne soient pas suivis par une attribution de crédits et que la Fondation reste, comme il semble que ce soit le cas avec l’Inde, la seule en définitive à assumer en pratique les coûts de telles activités59. Enfin, l’on souhaite que des relations s’établissent avec d’autres pays, dont l’Espagne et l’Algérie. Braudel souligne pour sa part l’insuffisance des relations avec l’Amérique latine.
55Mais il ne peut être question que la MSH assume seule le financement de la coopération internationale. Elle doit aussi pouvoir compter sur la participation de diverses institutions, nationales ou étrangères. La division des charges va d’ailleurs devenir la règle normale, les frais de voyage des chercheurs étant normalement couverts par les institutions de leurs pays et les frais de séjour, par celles du pays d’accueil. Une règle qui pourrait changer, car l’administrateur de la MSH se demande s’il ne serait pas nécessaire d’« accorder aux chercheurs accueillis à la MSH des bourses pendant la durée de leur séjour60 ».
56Quant aux formes que peut prendre cette collaboration, elles sont très diverses : des contacts individuels lors de voyages courts à la mise sur pied de réseaux permanents et de centres de recherche à direction européenne en passant par des séjours de recherche et d’enseignement de plus longue durée. Les caractéristiques de ce programme sont : la rapidité dans la prise de décision avec mise en place de procédures de consultation et la souplesse dans l’établissement des accords, formels ou non, les uns étant conclus avec des institutions étrangères (Académie des sciences de Pologne, British SSRC) et d’autres, sanctionnés par des accords culturels (programme franco-indien). Enfin, la mise en place et le fonctionnement de réseaux doivent compter sur une aide financière diversifiée, provenant non seulement du ministère des Affaires étrangères mais aussi d’organismes européens de financement (la Fondation européenne pour la science), des grandes fondations françaises et étrangères (Agnelli, Bosch, Ford, Singer-Polignac, Thyssen, Volkswagen) et des services culturels des différents pays.
Trois grands programmes de coopération internationale : Inde, Italie et Brésil
57Les trois programmes de coopération internationale qui connaissent dans les années 1980 un grand dynamisme se font avec trois pays très différents, dans trois régions du monde : l’Inde, l’Italie et le Brésil. Les relations de la MSH avec l’Inde sont plus anciennes, et celles avec le Brésil plus récentes. Le choix de ces pays peut s’expliquer tantôt par des considérations politico-stratégiques (celles du ministère des Affaires étrangères), tantôt par l’intérêt et aussi la familiarité, parfois de longue date, d’administrateurs et de collaborateurs de la MSH avec l’un ou l’autre de ces pays : Morazé avec l’Inde, Braudel et Sachs avec le Brésil, Aymard avec l’Italie. Sans oublier la grande sensibilité que manifeste la MSH à l’égard des chercheurs en sciences humaines et sociales qui rencontrent des difficultés lors de crises politiques majeures dans leurs pays : par exemple la dictature militaire (1964-1985) au Brésil.
58L’Inde. Le premier programme international bilatéral de collaboration scientifique est créé en 1975 : il s’agit du programme franco-indien de coopération en sciences sociales. Les discussions ont débuté à l’automne 1974, avec la participation de Charles Morazé pour la Fondation. S’y impliquent par la suite Clemens Heller et à partir de 1977, Maurice Aymard. Les objectifs du programme sont l’échange de chercheurs, l’organisation de colloques et de tables rondes et la circulation des informations et documents. L’organisme coordonnateur désigné pour la France est la Fondation MSH. Les premières missions de chercheurs français en Inde sont organisées en 197761, mais le programme prendra vraiment son envol au tournant de la décennie : en 1979-1980, l’on prévoit en effet pour les chercheurs indiens deux longs séjours (12 mois) et sept séjours de courte durée (de 2 à 4 semaines) en France et pour les chercheurs français trois missions en Inde. La réalisation de ces échanges aurait été impossible sans la collaboration étroite des Services culturels et de coopération scientifique et technique de l’ambassade de France à New Delhi. S’ajoute à ces diverses activités un programme de traduction d’ouvrages français pour l’Inde et, éventuellement, d’ouvrages indiens pour la France62.
59L’Italie. Créé en 1976, le programme franco-italien de collaboration en sciences sociales bénéficie à partir de 1977 de l’appui permanent du ministère italien des Affaires étrangères, de l’ambassade d’Italie et de l’Institut culturel italien de Paris. Du côté italien, il y a plusieurs autres partenaires dont le Consiglio italiano per le scienze sociali (CISS, Rome), des fondations (la Fondazione Lelio e Lisli Basso de Rome, la Fondazione Feltrinelli de Milan) et plusieurs universités (Naples, Trente, Turin, Cosenza). Du côté français, la MSH, maître d’œuvre du programme, coordonne ses efforts avec le CNRS et le ministère des Affaires étrangères et associe à son action des chercheurs de diverses disciplines, dont l’histoire, et de diverses institutions.
60L’animateur principal de cette coopération du côté de la MSH est Maurice Aymard, spécialiste d’histoire italienne. Il peut compter sur la collaboration de membres du personnel de la Fondation, dont Annamaria Bosc63. Ce chantier s’ouvre aussi à l’histoire et à la civilisation de l’Italie contemporaine avec la création en 1977 du groupe Italie contemporaine. Souvent lié à l’actualité, le choix des thèmes des colloques traduit des engagements et des sensibilités politiques : « Le débat idéologique dans la gauche italienne : démocratie et socialisme » (1977), « Le fascisme et l’histoire de l’Italie contemporaine » (1977 et 1978), « Trente ans de constitution italienne » (1978), « Le rôle de l’État dans les sociétés contemporaines : État, démocratie et socialisme » (1979), « Les travailleurs de chez Fiat : recherche de masse sur la condition ouvrière » (1980). Des chercheurs italiens sont invités à Paris : R. Romeo, F. Alberoni et F. Crespi.
61Certains de ces colloques, organisés ou animés par des membres d’autres groupes de travail de la MSH, dont le Groupe européen d’étude sur les organisations et le Groupe de travail international sur l’histoire sociale moderne et contemporaine, conduisent à des publications aux Éditions de la Maison des sciences de l’homme64. Enfin, une exposition sur « Le livre italien en sciences sociales (1968-1978) » est organisée au printemps 1979 dans les locaux de la MSH. Il s’agit donc d’un programme de coopération qui fonctionne très bien, et qui, au début des années 1980, va se structurer autour de trois axes principaux : l’histoire ancienne et l’archéologie ; l’histoire du mouvement ouvrier et de la classe ouvrière ; l’histoire de l’Italie contemporaine65. Il manque du côté italien le support d’une institution centrale ou d’un organisme de coordination, mais ce programme bénéficie en revanche des avantages d’une très grande souplesse, les universités italiennes et aussi les administrations des villes et des régions disposant désormais d’une réelle liberté d’initiative et de ressources, notamment pour inviter des chercheurs étrangers. Sans oublier le rôle des fondations.
62Le Brésil. Le programme franco-brésilien de coopération en sciences sociales, créé en 1979, avec le concours de plusieurs institutions de recherche françaises et brésiliennes66 et la participation active d’une quinzaine de chercheurs, d’universitaires et d’administrateurs français et brésiliens67, bénéficie à partir de 1980 de l’appui du ministère des Affaires étrangères. La coordination est assurée par la MSH, qui confie la responsabilité du secrétariat à un membre de son personnel, Céline Sachs68.
63Les formules de coopération privilégiées sont les réunions et les missions. Ces missions permettent d’organiser à la MSH dès 1978 des séminaires sur « le Brésil contemporain » (I. Sachs) ou sur « le Brésil : situation actuelle et options de développement » (Fernando Henrique Cardoso et Celso Furtado) et de lancer des projets de recherches collectives : « Énergie, environnement et société » (en collaboration avec le Centre international de recherches sur l’environnement et le développement), « Planification et écodéveloppement », « Culture et classes sociales » (en collaboration avec le Centre de sociologie européenne), « Sociologie et anthropologie des sociétés modernes »69. Deux ans plus tard, en 1980, on comptera, pour cette seule année, une dizaine de missions.
64Les noms de deux chercheurs brésiliens de réputation internationale sont associés à ce programme : l’économiste C. Furtado (1920-2004) qui fut ministre de la Planification sous le gouvernement de João Goulart, et ministre de la Culture sous le gouvernement de José Sarney, et le sociologue F. H. Cardoso (1931-), futur président du Brésil. Tous deux participent au renouveau des sciences sociales au Brésil et en Amérique latine ; leurs noms sont associés à la théorie du développement dépendant. Contraints à l’exil sous la dictature, ils viennent pendant de longues périodes en France. Furtado obtient un doctorat en économie à la Sorbonne et y enseigne ; il ne retourne au Brésil qu’en 1979, après la loi d’amnistie. Ses ouvrages sont très tôt traduits en français : C. Furtado, La Théorie économique du développement (1970) et La Formation économique du Brésil (1972). F. H. Cardoso, dont l’ouvrage Politiques et développement dans les sociétés dépendantes est traduit en français (1971), est aussi invité à l’EHESS et à la MSH. Il est très proche d’Alain Touraine, qui a mené des enquêtes au Chili et qui prépare un ouvrage sur l’Amérique latine, La Parole et le Sang. L’un et l’autre sont actifs au sein de l’Association internationale de sociologie ; Cardoso en devient le président en 1982.
65Au début des années 1980, paraissent aux Éditions de la MSH en coédition avec les Presses universitaires de Grenoble des ouvrages sur le Brésil : Sergio Miceli, Les intellectuels et le pouvoir au Brésil, 1920-1945 (1981)70 et Guy Martinière, Aspects de la coopération franco-brésilienne. Transplantation culturelle et stratégie de la modernité (1982).
66Certes l’on se félicite du rayonnement de la MSH en France et à l’étranger, mais de si nombreuses activités grèvent le budget. Chiffres à l’appui, Pierre Deyon fait devant ses collègues du conseil d’administration la démonstration que l’« explosion » des activités de la Fondation se traduit directement, comme le montrent les chiffres, par une augmentation des dépenses entre 1975 et 1979 : forte croissance des frais de poste et de télécommunications, etc. Inquiet, il attire l’attention sur « la fragilité de toute institution soumise à une forte croissance ». D’où, selon lui, la nécessité de contrôler la progression de certaines dépenses71.
67Clemens Heller exprimera, deux ans plus tard, la même inquiétude, craignant qu’une telle « suractivité » ne devienne incompatible avec les moyens dont dispose la Fondation, surtout si celle-ci doit aussi fournir un appui permanent à des projets toujours plus nombreux. La seule solution serait, à son avis, que les programmes qui ont déjà bénéficié du support de la Fondation se développent désormais d’une façon autonome et que la Fondation revienne à sa « fonction essentielle » qui est d’être « une plateforme d’élaboration et d’essai de projets novateurs », et cela tout particulièrement en Europe72.
Notes de bas de page
1 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 13 décembre 1975 : 8 (archives FMSH).
2 Les autres projets sont : un fonds sur les caraïbes en collaboration avec Jean Benost de l’université de Montréal et Isac Chiva du Laboratoire d’anthropologie sociale et deux fonds spécialisés, l’un en psychanalyse (Jean Laplanche) et l’autre en éducation avec Claude Grignon (MSH, rapport d’activité 1971, archives FMSH).
3 Jacqueline Pluet traduit avec Olivier Corpet le texte « Projet d’un secteur industriel entièrement autogéré aux États-Unis » pour la revue Autogestions en 1975. Corpet rédige aussi en 1980 le rapport : L’autogestion en France ? Esquisse et figures possibles, CIRCA, 1980, 138 p. Voir Weill 1999 : 29-36.
4 http://www.codhos.org/author/msh/ La MSH est membre du collectif des centres de documentation en histoire ouvrière et sociale (CODHOS).
5 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 12 juin 1976 : 10 (archives FMSH).
6 En plus de ces centres et groupes, la MSH abrite divers centres ou groupes sans affiliation institutionnelle : le Centre international de coordination des recherches sur l’autogestion, le Club du GIF, le Groupe européen d’étude sur les organisations, le projet PAREX (MSH, rapport d’activité 1977 : 6-7).
7 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 9 décembre 1978 : 5 (archives FMSH).
8 Ces centres sont : le Centre d’études des relations internationales (FNSP), le Centre de mathématique sociale (EHESS), le Centre de recherche et de documentation sur la Chine contemporaine (EHESS), le Centre de recherches historiques (EHESS), le entre de sociologie de l’éducation et de la culture (EHESS), la Commission nationale pour les études et les recherches interethniques (EHESS), le Groupe d’étude des méthodes de l’analyse sociologique (CNRS), le Laboratoire de psychologie (EHESS).
9 C’est fin décembre 1980 pour le Centre d’étude de la vie politique française contemporaine (FNSP) et fin juin 1981 pour le Comité international pour l’information de la documentation en sciences sociales. Le maintien de ce dernier dans les locaux de la MSH est subordonné à la présence de Meyriat et Viet à la tête de ce comité.
10 Ibid. : 6.
11 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 11 décembre 1976 : 4 (archives FMSH). Sont énumérés : la rencontre franco-suédoise sur la prospective et l’écodéveloppement, le colloque « Énergie, environnement et prospective », le colloque sur « Les rapports entre l’environnement et le développement », le colloque franco-allemand sur le « Nationalisme économique et néo-mercantilisme », le colloque sur la « rentabilité de la recherche industrielle et les besoins de progrès technique », enfin le colloque sur « L’analyse sociologique et le rationalisme économique ».
12 Lettre de Clemens Heller à François Furet, le 9 octobre 1979. C’est au nom de Fernand Braudel qu’Heller fait cette demande après du président de l’EHESS.
13 MSH, rapport d’activité 1972 : 60 (archives FMSH).
14 Participent à ce colloque les chercheurs suivants : de France, le philologue Jean Bollack, le sociologue Pierre Bourdieu, l’anthropologue Louis Dumont, le philosophe Louis Marin (alors en poste à San Diego) ; des États-Unis, le spécialiste en littérature comparée Fredric Jameson, l’historien Carl Schorske, l’économiste Albert Hirschman, le sociologue Randall Collins ; d’Allemagne, l’historien Reinhart Koselleck et le philologue Karlfried Gründer.
15 « Colloque consacré à la science des œuvres : langage et institutions », MSH Informations, no 4, juillet 1974 : 1-2. L’auteur de ce texte est vraisemblablement Pierre Bourdieu qui y présente une communication intitulée « Langage et pouvoir. Champs de l’idéologie dominante ». Les actes du colloque sont publiés dans la revue Informations sur les sciences sociales en 1976 et 1977.
16 Au comité de coordination, l’on retrouve, en plus de Bollack, Pierre Bourdieu (EHESS), Pierre Deyon (université de Lille-III) et François Furet (EHESS). Les principales activités de ce nouveau groupe sont des colloques : « Sciences philologiques et traditions culturelles nationales au xixe siècle » en 1977, « L’épistémologie littéraire : à propos de l’œuvre de F. Szondi » en 1979, et des rencontres autour de chercheurs invités : J. Ben David (Israël), Gershom Scholem (Israël). La série d’entretiens avec G. Scholem, aussi invité à la MSH en juin-juillet 1978, se tient entre 1977 et 1979. Voir Bollack et Bourdieu 1980 : 3-19.
17 Les participants abordent les problèmes d’insertion professionnelle et d’aide aux étudiants. Pour une large part, la discussion porte sur la réforme de l’aide aux étudiants, en particulier sur de nouvelles alternatives : système de prêts, campus de type anglo-saxon, pré-salaires. La tenue de ce colloque conduit à la mise sur pied d’un groupe de travail.
18 De 1970 à 1976, le groupe PAREX a la responsabilité de la section « sociologie des sciences sociales » dans la revue Information sur les sciences sociales et, à partir de 1973, la responsabilité de la section « sociologie de la science » dans la même revue. Elizabeth Crawford (qui a son bureau au 54 boulevard Raspail) y publie chaque année une « bibliographie internationale de la sociologie des sciences sociales ». Elle édite aussi un ouvrage collectif : Éléments d’une évaluation des centres de recherche en sciences sociales (1976). Enfin paraît en 1979 aux Éditions de la Maison des sciences de l’homme (en coédition avec Cambridge University Press) l’ouvrage de R. Fox et G. Weisz (eds), The Organization of Science and Technology in France, 1793-1914.
E. Crawford participe aussi à un groupe international formé dans le cadre de PAREX et qui, de 1976 à 1982, se consacre à l’étude des prix Nobel en physique et chimie. Parmi les activités organisées par ce groupe, il y a en août 1982 un colloque qui se tient en Suède sur le thème « science, technologie et société à l’époque d’Alfred Nobel » (sous la direction de C. G. Bernhard, E. Crawford et P. Sörbom, Science Technology and Society in the Time of Alfred Nobel, 1982). E. Crawford publie aussi The Beginnings of the Nobet Prize Institution: The Science Prizes 1901-1915 (Éditions de la Maison des sciences de l’homme et Cambridge University Press, 1985).
19 Le Club du GIF disparaît en 1978. Il s’agit à la fois d’un réseau international et d’une école de pensée autour des travaux de Bruno Latour et de Michel Callon, tous deux chercheurs au Centre de la sociologie de l’innovation de l’École nationale supérieure des mines et membres du comité de direction du nouveau groupe. L’objectif est de rassembler les chercheurs intéressés par l’analyse des conditions et des conséquences de la production et de la transformation des connaissances scientifiques et des savoir-faire techniques. Les premières réunions en 1979 portent sur les thèmes « Techniques, sciences et sociétés », « Philosophie de la technique », « Vers une sociologie critique de la production scientifique ». Le groupe publie un bulletin : « Pandore » et prépare une Anthologie de la sociologie anglo-saxonne des sciences. Enfin plusieurs chercheurs étrangers sont, fin 1970-début 1980, invités à Paris : Karin Knorr (Vienne), David Bloor (Glasgow), Karl M. Figlio (Manchester), Steven Shapin (Édimbourg) et Mary Hesse (Cambridge).
20 Voir son autobiographie : Sachs 2008.
21 Ignacy Sachs participe à une table ronde franco-suédoise sur la prospective. La première réunion se tient en février 1975 à Paris dans les locaux de la MSH et une deuxième en mars 1976 à Stockholm et Göteborg. La délégation française est composée de représentants du CIRED, dont Ignacy Sachs, Jean-Paul Céron, Jacques Durand (DATAR), Claude Lacour (Prospective et aménagement), Serge Antoine, Jérôme Monod, Emmanuel Rodocanachi et Philippe Sainteny. Du côté suédois, ce sont des membres du Secrétariat des Études pour le futur, des chercheurs et des fonctionnaires (« Compte rendu des 1er et 2e colloques franco-suédois », MSH Informations, no 13, juin 1976 : 14). Cette initiative va se poursuivre dans les années suivantes. Se tiendra en mai 1980 à Paris le 5e colloque franco-suédois, avec du côté français des communications sur la liaison désarmement/développement et du côté suédois, des communications sur la vulnérabilité de la société et sur la crise de l’État. Plusieurs des participants français sont des chercheurs du CIRED (CNRS), dont évidemment I. Sachs. On y trouve aussi Alain Joxe de l’EHESS (Rogalski et Schiray 1980 : 30-33).
22 « Projet Dag Hammarskjöld 1975 », MSH Informations, no 5-6, janvier 1975 : 2.
23 Service d’échange d’informations scientifiques, mai 1975 : 4.
24 Entrevue de l’auteur avec Maurice Aymard, Paris, le 3 mars 2020.
25 Lory 1980 : 8. Voir aussi Godelier 1981 : 12-14. Dans le cadre de cette nouvelle mission, Lory réalise un film de deux heures en super-8 et prend plus de 900 photos sur des cérémonies d’initiation.
26 Ibid. : 9.
27 Entrevue de l’auteur avec Maurice Godelier, Paris, novembre 2008.
28 Maurice Godelier, « Hommage à Clemens Heller (1917-2002) » (archives FMSH).
29 « J’ai beaucoup d’admiration pour le courage que Maurice Godelier a toujours manifesté sur le terrain et je suis non moins sensible à son ouverture d’esprit, à l’ampleur de ses connaissances, au rayonnement de sa pensée. J’ai eu l’occasion d’apprécier ses qualités de synthèse lors de mes derniers séminaires où il a joué un rôle de premier ordre. Je le juge capable de rapprocher, de façon efficace et originale, l’anthropologie, la sociologie et l’histoire. Il connaît ces diverses disciplines et travaille à leurs possibilités d’accord. Je le crois doué pour une entreprise interdisciplinaire sérieuse. Je me réjouirai de son élection et vous laisse libre de lire cette lettre lors des discussions de notre prochaine réunion » (lettre de Fernand Braudel à Jacques Le Goff, le 28 octobre 1975, archives FMSH, dossier Le Goff-Braudel).
30 Quelques années plus tard, ces généalogies seront transformées sur un des tout premiers prototypes de traitement informatique mis au point par le Laboratoire d’anthropologie sociale, sous la direction de Claude Lévi-Strauss (notes prises par Jean-Luc Lory, transmises par e-mail à la suite d’une entrevue non enregistrée).
31 Ibid.
32 Les autres membres du comité de coordination sont : P. Bourdieu (EHESS), P. Fridenson (université de Paris-X, CNRS), E. Hobsbawm (University of London), Y. Lequin (université de Lyon), D. Montgomery (Pittsburg State University), Michelle Perrot (université de Paris-VII), J. Revel (EHESS), E.P. Thompson (University of Warwick) et Charles Tilly (University of Michigan).
33 « Groupe de travail international sur l’histoire moderne et contemporaine, réunion des 13 et 14 juin 1975 », MSH Informations, no 9, juillet 1975 : 3-4.
34 Ce sont, pour la France, Maurice Agulhon, Patrick Fridenson, Georges Haupt, Jacques Julliard, Yves Lequin, Jacques Ozouf, Michelle Perrot, Jacques Revel et Rolande Trempé, pour la Grande-Bretagne, Eric Hobsbawm et Richard Johnson, pour l’Allemagne, Rainer Wirtz et pour les États-Unis, Charles Tilly.
35 C’est Michelle Perrot qui fait le compte rendu, fort détaillé, de cette table ronde (Michelle Perrot, « Groupe de travail international sur l’histoire moderne et contemporaine », MSH Informations, no 11, janvier 1976 : 1-6.
36 Ibid. : 6.
37 Voir Maurice Aymard, « Forum international sur le mouvement ouvrier et l’histoire ouvrière (Paris, 22-25 avril 1980) », MSH Informations, no 38, août-octobre 1981.
38 Les autres membres sont : J. Revel (EHESS, Paris), Giovanni Arrighi (Cosenza), F. Fröbel (Max-Planck Institut, Starnberg), H. Wesseling (Leiden).
39 « Occident-Express », MSH Informations, no 9, juillet 1975 : 12.
40 En plus de Birnbaum participent Thomas Bottomore (Grande-Bretagne), Hans Peter Dreitzel (RFA), Serge Moscovici (France), Richard Sennett (États-Unis), Rudi Supek (Yougoslavie) et Alain Touraine (France).
41 Les colloques, dans les années suivantes, portent sur : « État et capitalisme à l’époque moderne » (1976), « La crise dans l’économie-monde capitaliste : passé et présent » (1978), « Développement et sous-développement : l’Europe et les économies d’outre-mer » (1978), « Production et reproduction de la force de travail » (1979), « Nationalism and Capitalism in Crisis » (1980).
42 Le comité de coordination comprend J. Hoock de Bielefeld, F. Irsigler de Trèves et P. Jeannin de l’EHESS. L’enquête bénéficie d’un financement de la Fondation Volkswagen (1977-1979). Historien et épistémologue, spécialiste de Reinhart Koselleck, J. Hoock émigre en France et devient professeur à l’université Paris-VII. Il éditera en 1993 avec P. Jeannin l’ouvrage Ars Mercatoria. Handbücher und Traktate für den Gebrauch des Kaufmanns/Manuel à l’usage des marchands, 1600-1700.
43 L’objectif de ce regroupement est de « développer une confrontation portant aussi bien sur les moyens et les politiques de la recherche archéologique que sur les résultats et les méthodes ». Parmi les membres du comité de coordination, on retrouve du côté français : J. Chapelot (EHESS), J.-P. Demoule (université de Paris-I), M. Detienne (EPHE, Ve section), Alain Schnapp (CNRS), Jean-Pierre Vernant (Collège de France). Les trois premières réunions portent sur « L’idéologie funéraire dans les sociétés anciennes » (1976 et 1977) et se tiennent à Paris et à Naples. Les thèmes des autres colloques sont : « La politique de l’archéologie en France et en Europe » (1978), « L’habitat à l’âge de fer » (1979), « Aspects de l’idéologie funéraire dans le monde romain » (1980), « Les méthodes et techniques de l’archéologie » (1980), « La politique de l’archéologie en Europe » (1981).
44 Le groupe Histoire urbaine réunit des historiens, des géographes, des urbanistes, des architectes. Au comité de coordination on retrouve du côté français Jean-Claude Perrot (université de Paris-I) et D. Roche (université de Paris-I). Les thèmes des colloques, qui se tiennent en France, en Allemagne et en Angleterre sont : « Les armatures urbaines dans l’espace européen du xvie au xixe siècle » (1977), « Croissance urbaine et organisation de l’espace à l’intérieur des villes » (1979), « Les relations sociales dans les villes », « La ville italienne : recherches récentes » (1981), « Les migrants dans la société urbaine » (1982).
45 Le groupe Histoire de la justice et de la criminalité regroupe des juristes, des sociologues et des historiens européens afin de stimuler l’exploitation de grandes séries documentaires. En 1978, est fondée l’Association internationale pour l’histoire de la justice et de la criminalité. Dans le comité exécutif, on retrouve Maurice Aymard, les deux autres membres étant Herman Diederiks (Leiden) et Pieter Spierenburg (Erasmus Universiteit, Rotterdam). Il y a aussi une quinzaine de correspondants nationaux. Plus d’une dizaine de réunions et colloques ont lieu en 1979 et 1980 : « La justice et la criminalité dans l’Ancien Régime », « Economic and Social Aspects of Criminality in the Past », « Le crime familial », « Crime, péché et moralité ».
46 Ce regroupement travaille plus spécifiquement sur le livre d’histoire de l’Europe. Il est créé dans un seul but : préparer et rédiger, sur la base d’une coopération internationale, un Livre de l’Europe destiné aux enseignants et aux élèves de second cycle des lycées. Se retrouvent au comité de coordination Fernand Braudel et au secrétariat Maurice Aymard. Parmi les autres membres du comité, se trouvent P. Garrigue du ministère de l’Éducation et S. Romano, directeur des Relations culturelles, scientifiques et techniques, Rome. Les activités sont principalement des réunions en France, en Italie et en Allemagne et des invitations à Paris de chercheurs étrangers.
47 Selon Dubois 2001.
48 Le projet a une dimension historique : il s’agit en effet de rassembler les matériaux d’une histoire sociale du champ intellectuel de 1865 à nos jours. Les membres de ce groupe – Jean-Louis Fabiani, Rémy Ponton et Christophe Charle – travaillent sur un projet de recherche dont Pierre Bourdieu est le responsable et qui bénéficie pour la période 1977-1980 d’un contrat DGRST.
49 « Linguistique et sociologie », MSH Informations, no 14, septembre 1976 : 6). Une première table ronde se tient en octobre 1976 dans les locaux de la MSH. Un large extrait des débats paraît dans la revue Langue française, no 14, mai 1977.
50 Les réunions se tiennent à Paris ou en Norvège sur les thèmes « Le choix rationnel face à l’incertitude » (1978), « L’irrationalité » (1980), « Foundations of social choice theory » (1981). Plusieurs chercheurs sont invités à la MSH, dont Jon Elster et E. Vedung. Elster sera élu au Collège de France.
51 Les autres membres du comité de direction sont : M. von Cranach (université de Berne), W. Doise (université de Genève), J. Jaspars (université d’Oxford), K. Scherer (université Justus Liebig à Giessen), H. Tajfel (université de Bristol).
52 Ce colloque se tient à Paris en janvier 1979 et réunit une vingtaine de chercheurs français, américains, anglais, suisses et norvégiens. De France, il y a, en plus de Serge Moscovici, J.-C. Abric, Pierre Bourdieu, Marie-José Chombart de Lauwe, Claude Flament, Denise Jodelet, René Kaës, Jean Pailhous.
53 Le colloque sur « L’action humaine » réunit une vingtaine de chercheurs, dont Mario von Cranach (université de Berne), Thomas Luckmann (université de Constance) et Jérôme Bruner (université d’Oxford). Participent aussi aux débats Pierre Bourdieu et Erving Goffman (université de Pennsylvanie).
54 Les deux membres du comité de coordination sont Maurice Aymard de la MSH et A. Détraz de l’ANACT, puis de l’université Paris-IV.
55 Les trois premières journées d’information sur les conditions de travail portent sur l’Allemagne (1976), l’Italie (1977) et la Suède (1979). Le but est de « donner des informations sur l’organisation du travail et les problèmes posés par l’évolution technique ; les positions et l’action du syndicalisme ».
56 « Association européenne de psycholinguistique : le lexique mental », MSH Informations, no 29, juin 1979 : 5-6.
57 Les membres du secrétariat de ce groupe sont des directeurs d’études de l’EHESS (K. Kévonian, G. Veinstein), des professeurs d’universités françaises et des chercheurs CNRS (C. Piault, M. Cazacu, A. Popovic). Le groupe publie un bulletin d’information.
58 Dans le comité de coordination, on retrouve du côté français D. Lombard de l’EHESS. La première activité est l’organisation en avril 1978 d’un colloque à Paris sur « Langues et histoire dans l’espace indonésien ».
59 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 18 juin 1977 : 3.
60 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 11 décembre 1976 (archives FMSH), Fernand Braudel se voit alors confier la tâche d’« explorer les possibilités légales utilisables à cette fin dans le cadre des ressources extérieures à la subvention de l’État » (ibid. : 12).
61 En 1977 et en 1978, I. Sachs de l’EHESS s’y rend pour y mener des recherches sur le changement de style de vie. Par ailleurs, L. Lévy-Garboua du CREDOC collabore à l’organisation d’un colloque sur « Les politiques éducatives : une comparaison franco-indienne ». Enfin C. Heller fait partie d’une délégation qui participe à diverses réunions dont l’objectif est la définition du programme de collaboration.
62 On prévoit la publication en 1979 de la thèse de Catherine Thomas, L’Ashram de l’amour aux Presses de L’université de Lille-III et en 1980 d’un numéro spécial de la revue Contribution to Indian Sociology à l’occasion du 70e anniversaire de Louis Dumont.
63 Par exemple, en juin 1980, Maurice Aymard est coordonnateur de pas moins de quatre colloques, avec Annamaria Bosc comme personne-contact pour la Fondation, au bureau 111, précise-t-on. Ces colloques sont : « Marx au-delà de Marx », « Cinéma et intérêts sociaux » (avec l’UNESCO), « Famille et parenté » et « Nationalism and Capitalism in Crisis ».
Aymard sera, avec Carlo Ginzburg, Paul Bairoch et Perry Anderson, le codirecteur des cinq volumes de la Storia d’Europa chez Einaudi (1993-1996), puis avec Claude Grignon et Françoise Sabban celui de l’ouvrage Le Temps de manger, et enfin, il dirigera avec Hélène Ahrweiler l’Histoire des Européens (2000).
64 ANACT, Organisation et conditions de travail en Italie (1978), J.-P. Vernant (sous la dir.), L’idéologie funéraire dans les sociétés anciennes, (1979), H. Portelli (sous la dir.), Trente ans de constitution italienne (1979).
65 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 3 décembre 1981 : 7 (archives FMSH).
66 Dès l’origine, le programme de coopération s’articule autour d’une collaboration avec la Sociedade brasileira para o progresso da ciência et implique la participation d’associations (Associação nacional dos centros de pós-graduação em economia), de centres de recherche (Centro brasileiro de análise e planejamento), d’instituts et d’universités (Universidade federal do Rio de Janeiro, Universidade de São Paulo, Museu nacional), de fondations (Fundação Getulio Vargas). Et du côté français, on retrouve, en plus du CNRS, de l’EHESS et de la FNSP, la DGRST, l’Institut des hautes études sur l’Amérique latine, l’université de Grenoble-II (Groupe de recherche sur l’Amérique latine) et l’université de Toulouse-II (Groupe de recherche sur l’Amérique latine). Voir « Programme franco-brésilien de coopération en sciences sociales », MSH Informations, no 36, février 1981 : 3-12.
67 Du côté français, il y a : M. Aymard (MSH), C. Bataillon (université de Toulouse-II), J.-P. Berthe (EHESS), P. Deyon (ministère des Universités, mission de la recherche), M. Rochefort (université de Paris-I), I. Sachs (EHESS). Du côté brésilien, il y a F. H. Cardoso et M. I. Pereira de Queiroz. C. Furtado est alors directeur d’études (EHESS).
68 Sachs C. 1979. Céline Sachs publiera en 1990 un ouvrage sur le Brésil : Politiques publiques et habitat populaire aux Éditions de la Maison des sciences de l’homme, dans la collection « Brasilia ».
69 Dans les années suivantes, on note les projets « Les changements de rapports sociaux dans la paysannerie brésilienne » (avec le Centre de sociologie européenne), et « Étude sur les transformations de la société brésilienne » (avec l’EHESS et la FNSP).
70 L’ouvrage de S. Miceli est sa thèse de doctorat qu’il vient de soutenir à l’École des hautes études en sciences sociales sous la direction de Pierre Bourdieu.
71 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH, 8 décembre 1979 : 2 (archives FMSH).
72 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 20 mai 1981 (archives FMSH).
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