Chapitre 4
Une maison agitée
p. 146-220
Texte intégral
1Comme le rappellent ses responsables, les objectifs que se donne la Maison sont ambitieux :
« 1) Donner aux sciences de l’homme, en France, les instruments de travail nécessaires pour leur progrès dans la recherche pure et leurs applications à la vie nationale sous ses aspects politique, économique et social ; 2) favoriser un regroupement des disciplines et des programmes afin de permettre un échange fructueux d’informations et un travail de coopération entre disciplines différentes […] ; 3) assurer à la France, pour une fois, une politique cohérente dans le domaine des sciences sociales, qui permette de concentrer des fonds budgétaires dans de grands projets, d’agir sur les problèmes les plus urgents, […] d’assurer au maximum l’exploitation des fonds disponibles, de donner à la France (en Europe et dans les pays d’expression française) une position centrale et organisatrice […]1. »
2Il est clair, pour Braudel et ses collaborateurs, que la construction du bâtiment de la Maison des sciences de l’homme doit être accompagnée par « une action administrative et scientifique d’une ampleur considérable ». Des « tâches immédiates » doivent donc être réalisées, notamment dans le domaine bibliothèque/documentation : « Ne pas donner, dès maintenant, à la Maison des sciences de l’homme, des moyens d’action importants dans ces domaines, c’est condamner son avenir2. » Pour respecter les ententes avec la Fondation Ford, il est, comme le signale Braudel, « nécessaire de mettre en route des programmes qui impliquent un commencement d’activité effectif3 ».
3La MSH, pour reprendre l’expression de Marcel Mauss, est un vrai fait social total et sa seule création met en branle tout un ensemble de dimensions scientifiques, juridiques, politiques, économiques, esthétiques. Les responsables doivent tout à la fois élaborer des statuts, obtenir des financements, mobiliser des chercheurs, entreprendre la construction du bâtiment, mettre en marche les premières activités scientifiques.
Un comité et un programme pour l’édification du bâtiment
4La construction pose un grand nombre de problèmes, que ces derniers soient d’ordre technico-administratif ou d’ordre proprement architectural et esthétique. Par exemple, sur le plan purement juridique, il faut avant toute chose entreprendre des procédures pour l’acquisition du terrain 52/54 bd Raspail (station-service) dont la Banque de France est le propriétaire (250 000 NF) et pour l’éviction avec indemnité du locataire d’une station-service de la société PetroFrance (320 000 NF) tout en poursuivant celle visant à l’acquisition des terrains de Châtenay-Malabry. Par ailleurs, plusieurs modifications du projet original apparaissent nécessaires : on décide de ne plus avoir deux escaliers et ascenseurs mais un seul de chaque ; on abandonne, faute de place, l’idée de l’amphithéâtre mais on juge indispensable de disposer de deux grandes salles de 60 places et de trois salles de 25 places ; on juge inconcevable, pour des raisons d’hygiène, d’avoir des bureaux sans fenêtre, chose qui ne pose en revanche pas de problème pour les bibliothèques ou les salles de réunion ; on suggère, pour des raisons d’aération, que les ateliers de photographie, reproduction et reliure ne soient pas installés en sous-sol ; on demande que chaque étage puisse disposer d’une photocopieuse ; on attire également l’attention sur l’intérêt qu’il y aurait à aménager des bureaux pour les chercheurs étrangers, etc.4.
5Aussi, pour faire face à ces divers problèmes, crée-t-on, au printemps 1960, un comité technique auquel participent régulièrement les architectes. Les discussions y sont habituellement menées sous la direction de Clemens Heller et René Marzocchi. En sont aussi membres Pierre Lelièvre, « Étienne Bauer et Jean Bleton, qui ont une solide connaissance sur les questions d’aménagement, de construction et de gestion des bibliothèques. Aux réunions de ce comité, va aussi participer, à partir du mois de novembre, Dominique Schnapper, nommée chef de travaux à la VIe section puis déléguée à la MSH à la demande de Braudel.
Jean Bleton (1918-2012)
Né à Gisors (Eure), il est diplômé ès lettres et détenteur d’un diplôme de bibliothécaire. Pendant la guerre, il est mobilisé, puis, à sa démobilisation, devient officier de réserve et rejoint la résistance. Au lendemain de la guerre, il entre à la Bibliothèque nationale de France, où il devient responsable de l’aménagement et de la construction des bibliothèques françaises. Reconnu comme expert international dans ce domaine, il est envoyé en mission dans plusieurs pays d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Afrique. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et articles dont La lecture publique en France (1948) et « Les nouvelles bibliothèques universitaires françaises » in Bulletin de l’UNESCO à l’intention des bibliothèques (1959).
6À la réunion du comité du 6 juillet, Clemens Heller présente les nouveaux plans préparés par l’architecte Lods. Il défend l’idée d’une Maison organisée non pas en fonction de centres individuels mais en fonction de leur groupement par discipline. Sa proposition est de mettre au centre de chaque section disciplinaire une salle de travail (bibliothèque et documentation) et des services techniques communs (photocopie par exemple)5. Les secteurs disciplinaires que privilégie Heller, et c’est un point de vue partagé par René Marzocchi, sont les suivants : la sociologie, l’économie, la démographie, la psychologie-anthropologie, les aires culturelles, les sciences politiques et les relations internationales, l’histoire et la géographie. L’idée est que chaque groupe disciplinaire puisse occuper approximativement un étage de la Maison et qu’autour d’une grande salle de travail (bibliothèque et documentation) s’organisent les bureaux – une cinquantaine – d’au minimum 12 m2, dont celui du directeur. L’un des participants, Pierre Lelièvre, s’interroge sur « l’utilité » d’inclure des centres de géographie ou de recherche historique.
Dominique Schnapper (1938-)
Fille de Raymond Aron, Dominique Schnapper rencontre Clemens Heller pour la première fois au printemps 1956 chez ses parents, quai de Passy, quand il vient convaincre son père, alors professeur de sociologie à la Sorbonne, de participer à ses efforts pour développer les sciences humaines. La description qu’elle fait d’Heller est la suivante : « C’était un personnage atypique, dont la culture et les relations ignoraient les frontières, il détonnait dans le paysage quelque peu compassé et étroit des professeurs d’université de l’époque. C’était un visionnaire. Il croyait à sa mission, développer les sciences sociales en France. Il savait mener les hommes […]. (Schnapper 2013 : 33).
« Très accessoirement » dira Dominique Schnapper, Heller sait la convaincre, deux ans plus tard, « de ne pas entrer comme chercheur dans un laboratoire de la Fondation nationale des sciences politiques pour travailler avec lui ». En 1957, elle vient d’obtenir son diplôme à l’Institut d’études politiques de Paris et, en 1958, sa licence d’histoire et géographie à la Sorbonne. « C’est ainsi, raconte-t-elle, que je l’ai rejoint d’abord rue de Varenne, puis rue de la Baume, où j’ai été, de 1959 à 1961, la première secrétaire de la Maison des sciences de l’homme ». En 1959 elle obtient son diplôme d’histoire, toujours à la Sorbonne.
Si elle quitte ce premier emploi, c’est d’abord parce qu’elle envisage de partir deux ans en Italie, mais aussi à cause de son manque d’intérêt pour l’administration de la recherche. Que ce soit au Centre de sociologie européenne ou au Centre de recherches historiques, son amitié pour Clemens Heller n’a jamais faibli et elle reste « d’une fidélité dont il n’a, je crois, jamais douté, jusqu’à son dernier jour6 ».
À son retour d’Italie en 1964, Dominique Schnapper est chef de travaux (1964-1972) à la VIe section de l’École pratique des hautes études et pendant cette période, de 1963 à 1968, elle travaille avec Pierre Bourdieu au Centre de sociologie européenne. Elle obtient en 1967 son doctorat de sociologie à la Sorbonne, et dans le cadre de l’enquête « Morphologie de la haute administration », elle publie en collaboration avec Alain Darbel deux ouvrages : Les Agents du système administratif en 1969 et Le Système administratif en 1972. Elle publie également sous le titre L’Italie Rouge et Noire (1971) l’étude qu’elle a menée en Italie. De 1972 à 1980, elle est maître-assistante à la VIe section de l’École pratique des hautes études (devenue École des hautes études en sciences sociales). En 1979, elle défend, à l’université Paris V, sa thèse d’État qui porte sur les « Traditions culturelles et sociétés industrielles ». En 1981, elle est élue directrice d’études (ethnosociologie des sociétés modernes) à l’EHESS. Paraît en 1980 son ouvrage Juifs et Israélites.
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Étienne Bauer (1918-1997)
Haut fonctionnaire et résistant, c’est un proche collaborateur de 2 ministres de l’Éducation, tous deux anciens déportés, André Boulloche et Pierre Sudreau. Il a participé au colloque de Caen sur l’enseignement supérieur aux côtés de Jacques Monod, travaillé à la direction des Musées de France, puis au Commisariat à l’énergie atomique. Membre du mouvement Pugwash, qui réunissait les scientifiques les plus éminents de l’Est et de l’Ouest, il a contribué intensément à ses efforts de paix, notamment lors des négociations secrètes sur le Vietnam.
8Comme le signale de manière schématique Clemens Heller lors de cette réunion, la Maison se caractérise par une organisation qui doit comprendre trois dimensions : un regroupement par discipline, un autre interdisciplinaire (aires culturelles) et une ouverture sur l’international. C’est dans cette perspective que les membres du comité s’engagent à préparer l’avant-projet de plan qu’ils entendent remettre à Marcel Lods7.
9Le « programme pour l’édification d’un bâtiment », fort détaillé, que le comité élabore donne des indications précises sur les locaux et les surfaces qui doivent être mis à la disposition des divers services, tant généraux (administration, bibliothèque, documentation, laboratoire de cartographie, centre de calcul) que spécialisés (centres de recherche en sociologie, économie et psychologie, aires culturelles, histoire et démographie). Les services administratifs bénéficient, en plus de bureaux et d’un secrétariat, de deux logements, l’un pour le secrétaire général et l’autre pour le concierge. On prévoit aussi des salles et des bureaux à mettre à la disposition de l’administration : 2 salles de 60 places, susceptibles de n’en faire qu’une et avec possibilité de projection de films de 16 et 35 mm, 3 salles de 25 places, 50 bureaux réservés aux chercheurs français et étrangers ou aux besoins ponctuels.
10Côté bibliothèque et documentation, on prévoit beaucoup de choses : d’abord une bibliothèque générale (avec salle de lecture et service de références, salle de périodiques, salle de catalogues et de bibliographies, ainsi que 10 bureaux pour le personnel et 10 box de travail, un magasin pouvant contenir 50 000 volumes à répartir sur 2 niveaux) et un service de documentation générale (3 salles de travail, 1 salle d’archives, 10 bureaux pour chercheurs). Ensuite, des centres de documentation spécialisés pour chaque regroupement de centre, avec salle de lecture prévue pour 10 à 50 personnes, et magasin pouvant contenir de 15 000 à 50 000 volumes selon le cas. Le total de la surface prévue est de 14 000 m2, dont 4 260 m2 pour les services dits généraux, 11 660 m2 pour les services dits spécialisés, plus 10 % pour les espaces de circulation, les parkings (1 140 m2) et les installations techniques (chaufferie, réseaux, etc.)8.
Les premiers croquis
11Lors de la réunion suivante, Marcel Lods présente deux projets : l’un avec deux éléments (un élément principal de 8 niveaux donnant sur le boulevard Raspail, et un élément secondaire de 4 niveaux, les deux pouvant être reliés par un passage avec couloirs et bureaux, tout en laissant un espace de verdure) ; l’autre avec deux éléments en angle. L’un et l’autre croquis présentent des surfaces totales utiles respectivement de 12 800 m2 et de 14 000 m2. Les membres du comité optent pour le premier croquis, le trouvant « beaucoup plus séduisant ». Mais à condition qu’on obtienne la permission d’élever le bâtiment principal d’un niveau. Il y a en effet la crainte, comme l’exprime Heller, de voir « la Justice s’installer, seule, dans le bâtiment secondaire » et « s’y implanter définitivement9 ».
12Lods s’engage pour sa part à avancer son travail et aussi à rencontrer M. Marin, architecte en chef de la ville de Paris, pour lui présenter le projet choisi. Il faut aussi, question de stratégie, préparer la défense du projet devant la Commission de coordination, qui a un droit de regard. À la séance du 6 octobre, on discute de stratégie avec l’associé de Lods, Paul Depondt10 – ne faut-il pas ne présenter devant la commission qu’« un dossier vague et schématique de la masse et de la hauteur du bâtiment » ? – et on s’échange la liste des membres importants de la commission à qui « il conviendrait de parler de la MSH11 ». Bref on se prépare à faire du lobbying.
13La proposition n’est cependant pas acceptée par la commission qui émet quelques réserves, qu’il s’agisse de la pertinence du pignon prévu en haut du bâtiment de la rue du Cherche-Midi ou de l’ouverture des fenêtres donnant sur le boulevard Raspail. Pour les fenêtres, l’architecte suggère de mettre une grille sur le boulevard Raspail, mais la proposition est rejetée. Pour défendre son plan, Lods, visiblement énervé par la lenteur des démarches administratives, indique qu’en raison des difficultés relatives à la topographie de l’emplacement lui-même (angle pas droit, voisinage), c’est « le moins mauvais plan possible12 ».
14Il faut redoubler de patience. Le futur immeuble de neuf étages du boulevard Raspail et son alignement avec le bâtiment voisin posent aussi problème, ce qui retarde le dépôt du projet à la Commission des sites. Quant à l’évacuation de la station-service, elle n’est pas encore faite : on espère qu’elle se fera rapidement.
15Lorsque paraît le mois suivant dans le Journal du dimanche un article qui comporte une information erronée, à savoir que le futur immeuble comprendra sept étages, René Marzocchi, et en cela il représente le point de vue du comité, se montre plus qu’irrité : « Nous espérons toujours en obtenir neuf. » Or ce « problème capital », qui est de savoir si l’on peut ou non élever neuf étages, seule une commission peut le trancher, celle des sites13.
16Présent à une des réunions du comité technique au printemps 1961, Fernand Braudel se montre, s’agissant de l’organisation des locaux, désireux de connaître le point de vue des futurs usagers, mais l’architecte lui répond que d’après son expérience, si Braudel réunit les usagers, il se trouvera « devant un faisceau d’exigences à la fois contradictoires et provisoires ». Et de conclure : « Il ne faut discuter avec les usagers que lorsque [vous] aurez une doctrine ferme sur ce que [vous] voulez. Il faudra alors que [vous] demandiez aux usagers de faire connaître leurs demandes par écrit en les justifiant14. »
17Il est aussi question de la visite prochaine, en octobre, d’un expert américain, Herman H. Fussler, le directeur de la bibliothèque de l’université de Chicago : « Il a, précise Heller, le désir de nous aider et d’être concret. Il est psychologiquement important pour la Ford qu’il dise, à son retour, que nous sommes sérieux et que nous travaillons beaucoup pour la MSH15. » Le programme du séjour de Fussler est donc bien organisé : une matinée à la Bibliothèque nationale, une demi-journée à la faculté de droit et à Sainte-Geneviève, une autre à la faculté de pharmacie pour voir les rayonnages Compactus et à la faculté de médecine pour visiter les ateliers photographiques, puis au Centre Gardin au Louvre16, avec week-end libre ou visite à la campagne.
18Des conversations avec Fussler, à qui il reconnaît « une loyauté et une compétence parfaite », Braudel retient que la bibliothèque ne doit pas être fermée sur elle-même, qu’« il faut qu’on s’en serve17 » : elle ne doit donc pas, répète-t-il à la réunion suivante, être « un monde à part » et doit être « ouverte sur le reste de la Maison18 ».
Une « structure souple »
19Pour la bibliothèque, se pose une question d’ordre politico-administratif : de qui relève-t-elle ? La question est souvent discutée en comité technique. De l’avis de Pierre Lelièvre, la bibliothèque doit être « l’instrument de l’administrateur ». Mais une telle position ne risque-t-elle pas, se demande-t-on, de mettre en cause l’autonomie de la bibliothèque ? La responsabilité de l’administrateur demeure d’ordre « politique » : « Il donne un ordre général, mais ne se mêle pas des problèmes d’exécution », précise Braudel qui prend comme exemple son mode de gestion de la MSH. Et il conclut : « La Maison étant construite de façon autonome, la bibliothèque doit être autonome, et ne pas être rattachée à un système français. » Ce qui implique, selon lui, que « les bibliothécaires [puissent] être assimilés à des chercheurs19 ».
20L’intention des responsables du projet est, comme le rappelle Lelièvre, que la bibliothèque soit vraiment une « bibliothèque pour l’université », ce qui suppose, selon lui, que les salaires des bibliothécaires soient supérieurs de à 40 % à 50 % à ceux donnés dans le système français. Heller précise pour sa part que la bibliothèque de la MSH ne doit pas être « le type idéal des bibliothèques universitaires, mais une bibliothèque de recherche de portée internationale ». Il défend aussi l’idée que la bibliothèque soit le fruit du « travail commun » des bibliothécaires et des chercheurs, que toutes les décisions soient prises en commun par les chercheurs des centres et les bibliothécaires20. Une telle idée de « solidarité entre recherche et bibliothèque » soulève la question plus générale de la relation entre la bibliothèque centrale et les centres de documentation spécialisés. Tous sont d’accord pour considérer comme « indispensable » la nomination d’un bibliothécaire permanent à temps plein.
21La structure administrative de la Maison n’est pas encore clairement définie. Tous les responsables du projet de construction sont d’accord pour, comme le dit Marzocchi, « élaborer une meilleure répartition des tâches, ce qui préfigurera la division du travail dans la Maison, quand elle sera construite21 ». Braudel défend pour sa part l’idée d’une institution « souple », ajoutant que ses collaborateurs doivent « se confondre avec lui », et que « selon le cas, l’administrateur se présente sous l’aspect de M. Heller, M. Bauer ou M. Marzocchi ». Quant à la question des titres à donner à Bauer et Heller, tous les membres présents sont d’accord pour adopter une « attitude très modeste ». Lors d’une réunion, l’on proposera les titres de « conseiller technique » ou plutôt de « chargé de mission ».
22Il y a donc manifestement nécessité de se doter d’un organigramme. Pour conclure la discussion, Braudel dresse un tableau de la structure de la Maison : « En ce qui concerne la marche de la Maison, Braudel reste l’autorité suprême, s’il ne peut exercer cette autorité, il la délègue à Étienne Bauer, à René Marzocchi, ou à celui qui connaît le mieux les problèmes, M. Heller. Lui-même n’intervient que quand il ne peut faire autrement. » Heller est d’accord : « Cette structure pourra durer quelques années. Le poste de secrétaire général devient collégial. » Braudel n’a donc pas autour de lui un homme, mais trois. « Une structure souple qui n’engage pas l’avenir et qui est provisoirement la meilleure possible », conclut-on22.
Une collaboration quotidienne, des liens amicaux
23De sa relation, longue, très étroite, mais toujours facile, avec Clemens Heller, Marzocchi dira :
Ma première rencontre avec Clemens eut lieu chez Fernand Braudel un dimanche du printemps 1960. Il voulait que nous constituions l’équipe qui suivrait la construction et assurerait la mise en place de la Maison des sciences de l’homme.
C’est ainsi que commença une collaboration quotidienne qui prit fin en 1972 lorsque je quittai mes fonctions à la Maison des sciences de l’homme pour me consacrer à l’École. Nos liens amicaux n’en furent nullement affectés, et jusqu’au dernier moment, nous restâmes très proches.
Nous étions alors installés rue de la Baume, lieu de la présidence de l’École. Fernand Braudel y recevait le lundi après-midi. Le projet de la Maison des sciences de l’homme allait et venait au gré des changements ministériels, des changements de directeur de l’Enseignement supérieur. Il fallait sans cesse revenir à la case départ. C’était le temps de la longue patience avec, parfois, l’impression que l’on ne verrait jamais le bout du tunnel. Et puis il y avait aussi un autre saut d’obstacle, le passage devant les commissions, la Commission des sites, celle de décentralisation, peut-être d’autres encore.
24Enfin, 1967 vit l’ouverture du chantier.
[…] Mai 1968 avait aéré les esprits et les institutions, ce qui permit à Fernand Braudel d’officialiser auprès du conseil d’administration de la MSH les fonctions de Clemens, qui sortait ainsi d’une clandestinité administrative et prenait sa vraie place dans l’organigramme.
Enfin le bâtiment fut livré. Une grande déception nous attendait. Sur la base du contrat de cession de terrain entre les deux ministères, la Justice se fit attribuer les quatre étages supérieurs du grand bâtiment. Le regroupement des centres dut être limité. Il ne comportait aucun de ceux prévus dans le programme initial […].
Dans mon souvenir, quelques images dominent toutes les autres :
– Un élément essentiel de la vie de Clemens était la relation affective profonde qui l’unissait à Fernand Braudel. Il ne peut être compris si l’on ne prend pas en compte cette admiration sans limite et sans faille, cette affection profonde qui le dominait.
– Dans la Maison, la mise en place d’un service avait pour lui un caractère passionnel. Celui de la Bibliothèque. Elle représentait la réalisation d’un vieux rêve, comme l’arrivée d’un enfant longtemps désiré.
– Son volontarisme pouvait aller, dans certains cas, jusqu’à un autoritarisme, un affrontement de volontés dans lequel il voulait avoir le dernier mot. En perpétuelle ébullition, boulimique d’action, à l’affût des petits comme des grands projets, des programmes novateurs, il faisait sien chaque problème qu’on lui soumettait. Il n’avait de cesse de proposer une solution pour le résoudre23.
Une opération délicate : la sélection des centres de recherche
25S’il y a une opération délicate et qui implique, comme on le soulignera souvent, de « difficiles négociations », c’est bien celle de la sélection des centres – le choix des « élus » (Herzlich 1970 : 13)24, dira-t-on – et la répartition des espaces qui leur seront attribués. Dans une lettre circulaire qu’il écrit, à la fin des années 1950, aux directeurs de centres qui peuvent éventuellement être hébergés par la MSH, Braudel reconnaît que « l’organisation de la MSH pose des problèmes techniques très compliqués » ; il leur indique aussi que « d’ores et déjà l’exiguïté relative du local de la rue du Cherche-Midi ne nous permettra pas d’obtenir des espaces aussi vastes que dans le projet primitif (Jardin des plantes). La réduction sera d’environ 60 % ». Aussi invite-t-il ses collègues à regarder de près ces problèmes d’aménagement et d’organisation et à lui faire des observations en les formulant de façon aussi précise que possible afin d’« infléchir dans le sens voulu les décisions des architectes25 ». Des pressions s’exercent pour que des centres ou des organismes, tel le secrétariat général des Amis de l’histoire, soient inclus dans la liste26 ou qu’ils disposent, comme le souhaite le Centre d’études des relations internationales, de locaux plus spacieux27.
26Sur une première liste, parmi les centres pressentis, on retrouve : le Centre d’études économiques (200 m2), le Centre de recherches et études psychanalytiques (100 m2), le Laboratoire de sociologie industrielle (120 m2), le Laboratoire de psychologie sociale (300 m2), le Laboratoire de psychologie appliquée (250 m2), l’Institut de psychologie expérimentale et comparée (60 m2), l’Institut de développement économique et social (75 m2), l’Association française de sciences politiques et étrangères (75 m2), le Centre d’études de relations internationales (250 m2). Cette répartition de la surface entre chaque centre garde encore un caractère provisoire. Quant au Laboratoire d’anthropologie sociale qui doit faire partie de la MSH et qui se trouve alors « dans un local provisoire, de dimensions réduites, dans une annexe du musée Guimet » – « une solution de fortune », selon l’administrateur du Collège de France28 –, il doit être installé dans les locaux laissés vacants au 62 rue de La Baume. En séance du conseil d’administration, André Aymard formule le souhait que la géographie humaine ne soit pas ignorée29. De plus, d’autres centres sont admis à la MSH, mais la surface qu’ils occuperont sera déterminée ultérieurement : ce sont le Centre Condorcet, l’INED et le Centre d’études sociologiques. Ce dernier a d’abord été écarté, car fédérant déjà plusieurs groupes de recherches, il risquait d’occuper un très grand espace.
27À propos du conseil d’administration, on retrouve toujours les mêmes membres fondateurs, sauf Gaston Berger, qui vient de quitter la direction générale de l’Enseignement supérieur et est remplacé par le nouveau directeur général de l’Enseignement supérieur, Laurent Capdecomme. Les fonctions d’administrateur, de trésorier et de secrétaire général de la MSH sont remplies respectivement par F. Braudel, J. Chapsal et C. Morazé. Puisque la présidence de l’Association va, selon la constitution, au recteur de l’académie de Paris, il y a nécessairement un roulement. En 1961, un an après sa nomination comme président de l’Association, J. Sarrailh doit, à la suite de sa démission comme recteur, être remplacé. Lui succède alors celui qui entre en fonction comme recteur à l’académie de Paris : Jean Roche, biochimiste renommé et professeur au Collège de France30.
28Par ailleurs, l’on procède pour la première fois à l’élection des 13 membres du conseil des directeurs, qui doit réunir des représentants des différents centres de la future MSH : ce sont Raymond Aron, Jean-Baptiste Duroselle, Pierre George, E. James, Daniel Lagache, Gabriel Le Bras, Claude Lévi-Strauss, Pierre Marthelot, Charles Morazé, François Perroux, Alfred Sauvy, Jean Stoetzel et Jean Touchard. L’opération est délicate car il faut représenter non seulement les diverses disciplines (sociologie, anthropologie, économie, démographie, etc.) mais aussi les différentes institutions auxquelles les centres et les chercheurs sont alors rattachés : l’École pratique des hautes études, l’université de Paris, la Fondation nationale des sciences politiques. Tout ce qui compte à Paris en sciences sociales est mobilisé.
Une mort inattendue : celle de Gaston Berger. Les nouveaux statuts
29Au mois de novembre suivant, Berger meurt d’un accident de voiture dans le sud de la France. Une mort « cruellement ironique », note Robert Escarpit, qui ajoute : « Après sept ans passés à la direction générale de l’Enseignement supérieur, cet homme en qui l’administrateur n’avait jamais fait oublier ni le chercheur ni l’enseignant allait avoir sa récompense. Nommé depuis novembre aux Hautes études, Gaston Berger commençait à 64 ans une nouvelle carrière, la quatrième. » Berger vient en effet de quitter son poste de directeur de l’Enseignement supérieur pour redevenir « un professeur comme les autres », avec une direction d’études à la VIe section et un enseignement sur le thème « Précurseurs et prospective ». Dans la notice qu’il lui consacre, Robert Escarpit souligne l’« extraordinaire don de sympathie humaine » de l’ami qu’il a eu l’avantage de côtoyer31.
30Berger laisse dans le deuil son fils Maurice Béjart32. C’est, pour la future MSH, une grande perte. Il sera spécifiquement indiqué dans les statuts mêmes de la MSH que Gaston Berger est l’« instigateur » de cette initiative.
31Ces statuts ne seront adoptés que quelques années plus tard, mais l’on procède déjà à la nouvelle rédaction des statuts, qui datent de 1957, afin de les mettre en harmonie avec le statut type des associations reconnues d’utilité publique établi par le Conseil d’État : composition du bureau de l’Association (un président, deux vice-présidents, un trésorier, un secrétaire et l’administrateur, nommé par le ministère de l’Éducation nationale), participation aux réunions des chefs de service avec voix consultative, etc. L’objectif que l’on vise avec la constitution d’une telle association est double : « recueillir la donation de la Fondation Ford, et assurer, avec toute la souplesse désirée, la gestion administrative des services communs de la Maison33 ».
32Fin janvier 1961, lors de l’assemblée générale de l’association de la Maison des sciences de l’homme, Raymond Poignant, spécialiste de ces questions, est invité pour audition ; il rappelle que la constitution de l’Association doit répondre à deux buts : « recueillir la donation de la Fondation Ford, et assurer, avec toute la souplesse désirée, la gestion administrative des services communs de la Maison34 ». Le dossier de « demande de reconnaissance d’utilité publique » est déposé à la préfecture de la Seine le 20 mars 1961. Des difficultés sont prévisibles, par exemple en ce qui concerne le nombre de membres, l’administration estimant qu’un minimum de 100 membres est nécessaire alors que l’association n’en compte qu’une vingtaine. « Les problèmes seront résolus au fur et à mesure », pense-t-on, mais il faut s’adresser successivement à diverses instances : la préfecture de la Seine, le conseil municipal, le ministère de l’Intérieur, le Conseil d’État.
33C’est la même chose pour le projet de construction : l’immeuble de neuf étages donnant sur le boulevard Raspail et son alignement avec le bâtiment voisin posent problème, ce qui retarde le dépôt du projet à la Commission des sites.
Premiers programmes d’activités
34À partir de 1961, le financement de la mise en place des services et des premiers programmes d’activités provient de deux sources : le ministère de l’Éducation nationale et la Fondation Ford.
35Les subventions du ministère permettent de couvrir les frais généraux (remboursement du loyer pour les locaux de la rue de La Baume, publication des bibliographies internationales) et surtout les salaires : vacations pour des collaborateurs affectés aux travaux préparatoires du service bibliothèque-documentation et, à partir d’octobre, salaires pour des collaborateurs techniques et le personnel (bibliothécaires, sténographes). À cela s’ajoutent des indemnités de résidence mais ne sont compris ni le traitement de l’administrateur et d’un sous-directeur d’études, tous deux à temps partiel, ni les crédits pour la démolition du bâtiment rue du Cherche-Midi (500 000 francs).
36Les subventions de la Fondation américaine servent, quant à elles, d’abord pour le développement des activités de la bibliothèque-documentation puis pour la stimulation de projets de recherche communs : traitement automatique de l’information, bibliographies en sciences sociales, centres de documentation. À cela s’ajoute le financement de quelques autres activités et programmes : la mission d’un expert (H. H. Fussler, de Chicago), l’organisation d’un colloque international des sciences sociales de l’UNESCO et les bourses pour la formation de chercheurs35. Pour l’année 1964, en plus de couvrir des dépenses dites internes, c’est-à-dire les frais généraux (200 000 francs) et le personnel (100 000 francs), la subvention permet principalement de mener des actions dites extérieures, que ce soit l’appui à des centres de documentation (Chine, URSS, Méditerranée) ou la stimulation de programmes de recherches (ethnopsychiatrie africaine, structures agraires).
Maison des sciences de l’homme. État des subventions 1960-196536
Année | Subventions prévues au budget de l’Éducation nationale | Subventions reçues de la Fondation Ford en dollars US | Valeur en Francs(a) |
1960 | 126 000,00 | ||
1961 | 588 000,00 | 100 000,00 | 490 000,00 |
1962 | 588 000,00 | 200 000,00 | 980 000,00 |
1963 | 1 041 000,00 | 225 000,00 | 1 102 500,00 |
1964 | 1 481 500,00 | 185 000,00 | 906 500,00 |
1965 | 1 670 000,00 | 140 000,00 | 686 000,00 |
Total | 5 496 000,00 | 850 000,00 | 3 775 000,00 |
(a) Taux de change : 4,90 |
37Au budget primitif 1965, la Fondation Ford ne verse pas la somme prévue.
38L’on s’occupe en priorité de la bibliothèque-documentation, qui est le pilier de la future MSH et qui doit, selon les plans, comprendre un service central et deux services de recherche, l’un sur les problèmes documentaires et l’autre sur les recherches bibliographiques. Pour le poste de directeur de la bibliothèque, les choses se précisent : on étudie plusieurs candidatures pour finalement retenir celle de Germaine Lebel, alors conservateur en chef à la Bibliothèque nationale d’Alger, et qui pourrait venir à Paris dès octobre 196137. Une telle nomination est compliquée car, comme le note Braudel, « il est impossible d’effectuer des nominations dans le cadre d’une association privée ». Il faut, pour G. Lebel, demander un poste de directeur d’études et l’inscrire au budget 1962 de l’Éducation nationale. Les « besoins » de la Maison ne peuvent donc être satisfaits que dans des institutions déjà existantes, ce qui crée, précise Braudel, un « danger » pour les institutions par lesquelles transitent les nominations et pour la MSH elle-même38.
Germaine Lebel (1906-1992)
Chartiste, archiviste, paléographe, historienne, Germaine Lebel soutient sa thèse de doctorat à l’École nationale des chartes en 1935, ce qui la conduit à établir un catalogue de 2 000 actes de l’abbaye de Saint-Denis et de ses prieurés et à rédiger une étude historique de l’activité économique de cette même abbaye, publiée deux ans plus tard (Lebel 1935). Après avoir acquis une grande expérience dans plusieurs bibliothèques universitaires, elle est nommée, en 1948, conservateur en chef de la Bibliothèque nationale d’Alger.
En 1952, Germaine Lebel devient la première femme titulaire du diplôme de la VIe section de l’École pratique des hautes études, qu’elle obtient à l’âge de 46 ans. Son travail s’intitule : « La France et les principautés danubiennes du xvie siècle à la chute de Napoléon Ier » et est dirigé par Fernand Braudel.
39En 1962, elle quitte Alger pour revenir à Paris, et est alors nommée directeur d’études, sur proposition de Fernand Braudel au ministre de l’Éducation nationale, « pour être affectée à la Maison des sciences de l’homme », où elle devient responsable pendant quatre ans de la bibliothèque-documentation. À sa demande, elle est déchargée de cette responsabilité en 1966, et se consacre dorénavant à l’enseignement, donne un séminaire à l’EPHE et dirige plusieurs diplômés.
40À sa réunion du 22 novembre 1961, le conseil d’administration donne donc son accord pour la nomination de G. Lebel au poste de directeur d’études en tant que responsable de la bibliothèque-documentation. Germaine Lebel prendra ses fonctions en juin 1962. Quant aux deux services, ils sont confiés à des directeurs d’études cumulants de l’École pratique des hautes études : le premier (recherches documentaires) à Jean-Claude Gardin, directeur de la nouvelle section d’automatique documentaire du CNRS (Djindjian 2016 : 4-9), et le second (recherches bibliographiques) à Jean Meyriat, qui continuera d’occuper sa fonction de directeur des Services de documentation à la Fondation nationale des sciences politiques. Ce sont deux postes à temps partiel. Par ailleurs Braudel souligne « la nécessité d’un déplacement d’experts aux États-Unis afin de prendre connaissance des dernières innovations dans les domaines utiles à la construction de la Maison ». Et ce à quoi il pense en premier lieu c’est à la bibliothèque39.
41Il est enfin question de la sous-location d’un local qui, situé au 131 boulevard Saint-Michel, comporterait notamment une grande salle pouvant servir à la préparation de la bibliothèque. Il s’agit de participer à une « opération » déjà engagée par l’École pratique des hautes études ou plus précisément par l’Association Marc Bloch pour le compte de la VIe section de l’EPHE. Dans ces locaux, on pense installer les bureaux du personnel de la bibliothèque et ceux du service d’informations scientifiques, ainsi que certains centres de documentation. Une façon, croit-on, d’« établir expérimentalement un regroupement qui préfigure la future Maison en modèle réduit40 ».
42En plus de la réalisation de diverses études pour la mise en place du service bibliothèque-documentation41, la « Maison » lance, en 1961 et 1962, plusieurs programmes d’activités :
- le développement de centres de documentation afin d’assurer leur meilleure intégration à la « Maison » : le Centre d’ethnologie comparée de Claude Lévi-Strauss (achat de documents et d’équipements et analyse des Human Relations Area Files), le Centre de documentation Afrique de Françoise Izard (préparation d’un code à utiliser pour l’obtention d’information et application expérimentale) et le Centre documentaire Chine de Jacques Guillermaz (achat de documents)42 ;
- la stimulation de projets de recherche « à caractère interdisciplinaire » nécessitant une collaboration de spécialistes de formations différentes et focalisés sur un même sujet : par exemple, le programme de recherches en mathématique sur la planification que dirige A. Nataf, professeur de la faculté des sciences de Caen43 et celui en ethnopsychopathologie avec la collaboration d’organismes africains44 ;
- l’organisation de colloques dont celui en collaboration avec l’UNESCO sur les moyens institutionnels de collaboration entre les sciences sociales à l’échelle régionale et nationale ;
- le programme de bourses de recherche tel que prévu dans l’entente avec la Fondation Ford. Les six premières candidatures retenues fin juin 1961 sont les suivantes : Mattei Dogan, attaché de recherche au Centre d’études sociologiques du CNRS, pour deux séjours en Italie (rédaction d’un ouvrage sur « Le comportement social et politique des Français et des Italiens ») ; Arlette Frigout, agrégée de philosophie, attachée de recherche au CNRS, étudiante de Claude Lévi-Strauss (thèse sur la « Vie cérémonielle et distribution spatiale chez les Indiens du Sud-Ouest des États-Unis) ; pour un séjour de six mois à l’université du Michigan) ; Georges Haupt, chef de travaux à l’EPHE, et qui prépare sa thèse sur l’histoire sociale des Balkans, pour un séjour de trois mois au Russian Research Center de l’université Harvard ; Chantal Quelquejay, chef de travaux à l’EPHE, pour un séjour de trois mois aux États-Unis à Harvard et Columbia pour le dépouillement de fonds russes et turcs ; Alice Thorner, spécialiste en droit international du développement, pour les frais de voyage en Inde afin de collaborer à la rédaction du recensement de l’Indian Statistical Institute ; Maurice Flory, professeur à la faculté de droit d’Aix, pour l’étude des Afro-Asiatiques à l’ONU.
43Russie, Turquie, Inde, Italie, Amérique (sous l’angle des populations autochtones) : on voit ici s’opérer le « virage » de la MSH vers les aires dites « culturelles ». Cette question des aires culturelles est d’ailleurs soulevée quelques mois plus tard, en février 1962, par Julien Cain à l’assemblée générale de l’association de la Maison des sciences de l’homme. Dans la courte note sur l’admission des centres de recherche des aires culturelles qu’il remet alors à Braudel, il reconnaît d’abord que « le programme de la VIe section de l’EPHE concernant les aires culturelles est une base solide pour l’organisation des travaux dans ce domaine à la MSH ». Ce qui le préoccupe, s’agissant de la MSH, c’est la manière – qu’il espère « méthodique » – dont la documentation, d’une très grande variété et souvent difficile d’accès, sera rassemblée. Il faut aussi, ajoute-t-il, prévoir des documentalistes qualifiés pour s’en occuper. À ses yeux, la détermination des aires culturelles est donc « une des premières opérations » que la direction de la MSH doit conduire45.
44Par ailleurs, l’on procède, fin juin 1962, à l’engagement d’un premier maître-assistant sur le budget de la VIe section. Les trois candidatures proposées sont celles d’Ernest-Raymond Chevalier, de Maurice Godelier et de Georges Haupt. La candidature d’Haupt pose problème en raison de la situation personnelle du candidat, qui est alors en instance de naturalisation. Après un échange de vues, c’est la candidature de Chevalier, fortement appuyée par le doyen André Aymard, qui est retenue46.
45Dans les années qui suivent, Georges Haupt et Maurice Godelier vont tous les deux maintenir des relations très étroites avec la MSH.
Georges Haupt (1928-1978)
Né en 1928 en Roumanie, il a une licence d’histoire (1947-1952), puis entreprend un doctorat à l’université de Leningrad (1952-1953) avec, comme projet de thèse : « Les relations révolutionnaires russo-roumaines dans la seconde moitié du xixe siècle ». Il parle couramment plusieurs langues : français, russe, roumain, allemand, hongrois ; il lit aussi le bulgare et le serbe. Il entreprend sa carrière comme maître de conférences en histoire à l’université de Bucarest (1954-1958). Il est aussi rédacteur en chef adjoint de la revue d’histoire de l’Académie roumaine, Studii, de 1955 à 1958. Son premier ouvrage, publié en 1955 à Bucarest, porte sur les relations révolutionnaires roumano-russes.
En avril 1960, Haupt poursuit sa carrière en France comme chef de travaux à l’EPHE tout en assumant le fonctionnement du Centre de documentation sur l’URSS et les pays slaves. Il prépare une thèse de doctorat du 3e cycle sur les actes officiels de la IIe Internationale (1889-1914) sous la direction de Roger Portal. La soutenance a lieu à la Sorbonne le 28 juin 1962 et parmi les membres du jury, il y a Ernest Labrousse.
46À la MSH, l’heure est à l’optimisme : on estime en effet que « les formalités administratives seront terminées dès le mois de janvier 1962 [...] » et qu’il est possible d’« espérer un début de construction pour l’automne 196247 ». Cependant, début 1962, la question du statut de l’Association est loin d’être réglée, car le Conseil d’État vient d’émettre un avis attirant l’attention sur « la possibilité de constituer une fondation, qui lui paraît convenir mieux au projet présenté ». Les membres du conseil sont divisés : les uns, comme Gabriel Le Bras, se déclarent favorables à la formule de la fondation, d’autres, plus nombreux, trouvent que la formule de l’association offre « la souplesse estimée nécessaire à l’entreprise » et préserve le caractère « fédératif » de l’association projetée. Mais s’il n’est pas possible de faire admettre l’association, tous conviennent qu’« il serait indispensable que le Conseil d’État permette les modifications nécessaires à l’adaptation des statuts-types d’une fondation à la situation particulière de la MSH48 ». Une délégation de l’Association, Braudel en tête, se rend au Conseil d’État pour faire valoir ses arguments en faveur de la formule d’une association. Le conseiller Leroy-Jay explique que le Conseil ne peut soutenir que « mollement » une telle demande, ce qui crée un « risque, assez sérieux, d’échec » et que conséquemment, il préfère de ne pas revenir sur son avis. Les membres de la délégation se rangent alors à cet avis et demandent « un certain nombre de précisions » sur le contenu possible des statuts d’une fondation. Dès la séance du 29 juin suivant, les membres du conseil d’administration se mettent au travail pour adapter les statuts d’association à ceux de fondation. Enfin, pour 1963, on prévoit, dans le budget, l’ouverture de seize postes, dont un conservateur, deux directeurs d’études cumulants, un maître-assistant, une sténographe.
Mission aux États-Unis
47La subvention que la MSH reçoit de la Fondation Ford permet la consultation d’experts américains, qu’ils viennent à Paris ou qu’ils soient rencontrés aux États-Unis, sur les problèmes techniques, nombreux et complexes, que posent la construction de la MSH et surtout l’organisation de la bibliothèque.
48Faut-il donner aux usagers un libre accès aux rayonnages, leur laissant ainsi une liberté de circuler dans toutes les sections publiques de la bibliothèque ? Comment assurer la meilleure insonorisation ? Quel type d’éclairage artificiel faut-il prévoir ? Quelles sont les couleurs préférées des usagers dans les bibliothèques ? Quelles sont les meilleures dimensions pour des box de lecture49 ? Ce sont les questions que soumet par écrit l’architecte Marcel Lods à ses collègues américains avant de partir pour les États-Unis. Et à ces questions, il souhaite obtenir « une réponse non pas théorique mais pratique, grâce à la visite d’un certain nombre d’établissements50 ». Avant son départ, Lods identifie aussi toute une série de problèmes techniques dont il voudrait discuter : la protection des structures d’acier contre l’incendie, les derniers développements de murs rideaux (aluminium, acier inoxydable, matières plastiques), l’utilisation des matières plastiques dans le bâtiment (plafonds, planchers, façades), le dernier développement de la ventilation forcée dans les bâtiments de bureaux, l’évaluation du principe de verres comprimés par un cadre métallique51.
49En plus des architectes Marcel Lods et Paul Depondt, font partie de la mission : Jean Bleton, conservateur des Services techniques à la direction générale des Bibliothèques au ministère de l’Éducation nationale, René Marzocchi, secrétaire général de la délégation à la Recherche scientifique, et Clemens Heller, conseiller adjoint et coordinateur de la division des aires culturelles de la VIe section de l’EPHE52. La délégation française part le 3 mars pour revenir le 17 mars. Fort chargé, le programme de la mission est préparé par Herman H. Fussler, directeur des bibliothèques de l’université de Chicago, en collaboration avec Douglas W. Bryant de l’université Harvard. Le séjour débute par une rencontre avec les responsables de la Fondation Ford ; il comprend la visite des bibliothèques d’universités et de collèges à New York (la Dag Hammarskjöld Library des Nations unies, la Law School Library de Columbia University, la Wellman Library de Barnard College), dans le New Jersey (la Firestone Library de Princeton University, la Technical Information Library des laboratoires de Bell, la Rutgers University Library et la Douglas College Library), à Boston (Harvard University), à Chicago, Détroit et Ithaca (la J. M. Olin Library de Cornell University).
50Renseignements, contacts, échanges de vues, connaissance pratique de plusieurs bibliothèques : tout cela sera, écrit Fernand Braudel à S. Stone de la Fondation Ford, « d’une très grande aide dans la nouvelle phase d’activité qui va être engagée53 ». Sans oublier, ajoute-t-il dans une lettre de remerciements à Herman H. Fussler, l’« accueil personnel chaleureux ». Bref, un « voyage d’un très grand intérêt54.
51À son retour, Lods consigne les « principales conclusions » qu’il dégage de son voyage aux États-Unis. S’agissant de la protection contre l’incendie, il se dit impressionné par les bâtiments avec ossature en acier construits par Mies van der Rohe, dont l’École d’architecture du Technological Institute de Chicago. Il est cependant déçu qu’il n’y ait pas eu depuis dix ans de « novation sensationnelle » dans le développement des murs rideaux et qu’il y ait maintenant un « mouvement rétrograde » avec l’emploi de solutions déjà datées en France. Sur d’autres questions, par exemple celle de la ventilation, la situation est la même aux États-Unis qu’en France : il faut prendre en considération le problème du bruit (parfois insupportable).
52Les discussions permettent à Lods de développer ses réflexions sur divers aspects du projet : aucun plan de cloisonnement intérieur ne peut être assuré de longévité car « la vitesse d’évolution des activités oblige à des changements fréquents dans la distribution des locaux », nécessité d’installer l’air conditionné dans tout le bâtiment, de fournir un « isolement parfait » par rapport à l’extérieur et de permettre le maximum de souplesse d’utilisation (possibilité pour ceux qui occupent les locaux de travail d’ouvrir les fenêtres sur l’extérieur).
53Braudel se préoccupe par ailleurs, en collaboration avec Clemens Heller, de l’organisation des espaces, que ce soit pour les services administratifs ou pour les centres spécialisés, et il consulte des collègues ou de proches collaborateurs, confiant même à certains d’entre eux des mandats, par exemple à Isac Chiva pour l’aménagement en sous-sol (salle de projection de 100 à 150 places, ateliers pour la reliure, l’impression et la photographie, espaces réservés aux archives des centres) et pour celui de l’étage « sociologie », avec bibliothèque – salle de lecture spécialisée de 12 000 à 15 000 volumes, secrétariat, salle de calcul (avec 4 à 6 petites machines à calculer), espaces dits de communication (avec 2 chaises et une petite table basse), petits bureaux, salles de travail. Pour ces salles de travail, Chiva donne même des indications sur l’ameublement : tables de travail d’un modèle unique, faciles à déplacer et à assembler. Et sur l’aménagement d’ensemble des bureaux, il fait une suggestion précise afin que ceux-ci ne se retrouvent pas en enfilade dans de longs couloirs rectilignes55.
1963. Une fondation et des services
54Le 4 janvier 1963 : dissoute par décret, l’association se transforme en fondation reconnue d’utilité publique56. Le 19 janvier suivant, l’assemblée générale vote en faveur de la dissolution de l’association de la Maison des sciences de l’homme, dissolution qui deviendra officielle le 9 avril de la même année. Enfin une fondation pour la MSH !
Les statuts
55Le but de la nouvelle fondation est de « promouvoir l’étude des sociétés humaines considérées avant tout dans leurs réalités actuelles et à partir d’elles » (article 1).
56Quant à son action, elle peut s’exercer de diverses façons, que ce soit :
- « par le développement des instruments collectifs de travail (bibliothèques, laboratoire informatique, centres de documentation, etc.) qui sont mis à la disposition de tous les chercheurs notamment ceux des organismes installés dans les locaux de la Fondation Maison des sciences de l’homme ;
- par la publication de bulletins et d’ouvrages scientifiques, par l’organisation de séminaires, rencontres et colloques ;
- en favorisant la collaboration nationale et internationale entre les chercheurs, les centres et les instituts de recherche, en soutenant la création et le fonctionnement de réseaux scientifiques, de groupes de travail et d’équipes expérimentales de recherche ;
- en exerçant une action de valorisation de la recherche en sciences humaines et sociales ;
- en assurant, conformément aux accords conclus à cet effet avec le ministre chargé de l’enseignement supérieur, la gestion des services communs à divers centres et instituts de recherche installés dans les locaux de la Fondation Maison des sciences de l’homme, lesquels conservent leur autonomie administrative et financière. »
57La structure administrative de la nouvelle fondation comprend trois niveaux :
- d’abord le conseil d’administration, composé de 17 membres dont 8 membres de droit et 9 membres fondateurs. Les réunions se tiennent tous les six mois. Aucun des membres du CA et du bureau ne peut recevoir de rétribution à raison des fonctions qui lui sont confiées. Seul l’administrateur peut recevoir une indemnité. Il est explicitement dit que le premier administrateur de la Fondation doit être choisi parmi les fondateurs ;
- ensuite le bureau du conseil d’administration qui comprend six membres élus pour trois ans, à savoir le président, deux vice-présidents, le trésorier, le secrétaire et l’administrateur, nommé par le ministère de l’Éducation nationale sur proposition du conseil d’administration ;
- pour la gestion et la direction des services communs, l’administrateur est assisté par un conseil des directeurs qu’il préside et qui comprend : au maximum 10 à 15 des directeurs des centres et instituts choisis par le conseil d’administration, le directeur de la bibliothèque et de la documentation. Les statuts précisent enfin que les chefs de service assistent aux réunions avec voix consultative.
58À la première séance du conseil d’administration, le 19 janvier, sont présents57 : Georges Amestoy58, André Aymard, Marcel Bataillon, Fernand Braudel, Julien Cain, Jacques Chapsal, Charles Morazé, Jean Roche, Georges Vedel59. Le secrétaire de la séance est René Marzocchi. À cette réunion, on élit les membres du premier bureau du CA : président : J. Roche ; vice-présidents : Marcel Bataillon et Gabriel Le Bras ; trésorier : Jacques Chapsal ; secrétaire : Charles Morazé. Braudel en fait partie à titre d’administrateur. À l’ordre du jour, il y a le projet de budget (avec proposition de location des locaux du boulevard Saint-Michel de l’ordre de 15 000 francs) et l’examen de deux candidatures, l’une (M. Parrault) pour le poste de secrétaire général de la MSH et l’autre (M. Curiel) pour la direction du Centre de calcul sur un poste de sous-directeur mis à la disposition de la MSH par la VIe section. Le conseil d’administration donne son accord pour ces deux candidatures à la réunion suivante, le 23 mars 1963.
59Cette année 1963, décisive, est consacrée à de nombreuses activités, toutes aussi importantes les unes que les autres : la conclusion des formalités nécessaires à la mise en chantier du bâtiment de la rue du Cherche-Midi et le début de la construction ; le développement des services communs mis en place en 1962 et la création d’un nouveau service commun consacré aux problèmes de calcul automatique ; l’élaboration, avec la direction de l’Enseignement supérieur, d’accords entre le ministère de l’Éducation nationale et la Fondation pour la MSH ; la définition du statut du personnel et l’élaboration du programme budgétaire permettant de continuer la préparation des services et d’envisager le fonctionnement du futur immeuble ; l’intégration de la MSH dans la vie universitaire par l’aide qu’elle pourra apporter aux centres de recherche en sciences humaines.
60Braudel a un entretien avec Laurent Capdecomme, directeur général de l’Enseignement supérieur, qui lui rappelle que « la MSH doit avoir un caractère essentiellement technique, sans intervention systématique dans la recherche ». Certes toute une partie du budget concerne « la participation à des projets de recherche », mais il s’agit là, selon Braudel, d’activités qui sont rendues possibles par les « crédits Ford ». Et il ajoute : « De telles actions ne seront pas possibles demain sur les crédits du ministère. » Il n’est donc pas question de « superposer un nouvel organisme de recherches à ceux déjà existants (facultés, Collège de France, CNRS, École pratique des hautes études) » et encore moins « d’admettre que des chercheurs à plein temps soient payés sur des crédits provenant de l’Enseignement supérieur, car cela équivaudrait à créer une nouvelle section du CNRS ». La vocation de la MSH est, selon lui, triple : c’est d’abord un « regroupement géographique d’un certain nombre de centres de recherche », ensuite un « centre technique à la disposition de tous les organismes intéressés », enfin un « moyen d’impulsion de la recherche » par des crédits d’origine extérieure au ministère. Pour la rémunération des chercheurs, une seule chose apparaît dès lors possible : la « rémunération par vacation ». Si inquiétude il y a, c’est, comme l’exprime l’un des membres du conseil, de « voir de jeunes collègues pouvant à la fois faire de la recherche et enseigner se consacrer uniquement à la recherche ». Si des chercheurs étaient recrutés à la MSH, il faudrait étudier un système qui ne les oblige pas à quitter l’enseignement60.
61Par ailleurs, en ce qui concerne le budget, qu’il s’agisse du service de la bibliothèque, de celui des échanges d’informations scientifiques ou du prochain centre de calcul, il faut déjà prévoir, pour l’année suivante, les postes à créer, sans oublier l’achat des ouvrages et des équipements61. Un exercice d’autant moins facile qu’il s’agit de « préparer une bibliothèque qui n’est pas encore en état de fonctionner62 ». Des problèmes similaires se posent pour la mise en place du service d’échange d’informations scientifiques (SEIS) : il faut en effet préparer et mettre en œuvre des techniques de travail bibliographique permettant le traitement de données sur une grande échelle et avec un meilleur rendement.
62L’organisation du centre de calcul, récemment installé dans un local de six pièces au 14 rue Monsieur-le-Prince, est d’autant plus délicate qu’il s’agit d’effectuer des activités tout à fait nouvelles en sciences humaines, que ce soit pour la conception de méthodes d’indexation adaptées à tel ou tel projet de documentation automatique en sciences sociales, pour l’application de procédés méthodologiques ou technologiques nouveaux dans le traitement automatique de l’information ou pour l’emploi des machines électroniques et la mise au point de programmes pour la résolution de problèmes statistiques, par exemple en psychologie ou en économie. Ces tâches exigent des « techniciens de l’automatique » : ingénieurs, analystes, programmeurs. Un personnel hautement qualifié dont le recrutement n’est pas, reconnaît-on, facile63.
63Enfin si la gestion administrative est difficile en raison de la dispersion et de la grande spécialisation des divers services, la gestion des budgets est encore plus complexe en raison de l’imbrication MSH-EPHE, car une partie des sommes dépensées pour le fonctionnement de la MSH vient de la VIe section et figure sur le budget de l’EPHE : 180 000 francs en matériel, 180 000 francs en vacation pour des techniciens, et les salaires de membres du personnel (un sous-directeur, le secrétaire général, un bibliothécaire, un sténodactylo, huit collaborateurs techniques, sans oublier le poste de directeur d’études mis à la disposition de la Maison par la VIe section et attribué à Germaine Lebel, ainsi que le poste de sous-directeur prévu pour R. Curiel.
64Face à toutes ces difficultés administratives, l’on décide d’ailleurs de créer un secrétariat général pour assurer la gestion de l’ensemble des crédits de la Maison et prendre en charge l’administration des différents personnels, les commandes de matériel, etc. Ce qui va entraîner l’engagement d’au moins quatre personnes64. Pour le poste de secrétaire général, le Conseil d’administration a d’abord examiné diverses candidatures pour finalement engager Jean Barin au printemps 1964. Dès son premier entretien avec Braudel, celui-ci l’invite à rendre visite à Clemens Heller, le premier collaborateur du « grand patron ». Jean Barin raconte cette première rencontre dans les termes suivants :
Le courant est passé tout de suite avec ce personnage inattendu et captivant. Il croulait déjà sous les livres et les dossiers, tourmenté par le devenir d’une institution créée sur le papier l’année précédente et qui, devenant fondation reconnue d’utilité publique, commençait à bénéficier des premiers crédits de l’Éducation nationale […].
Fort heureusement, mon interlocuteur avait obtenu une donation de la Fondation Ford. Il s’agissait d’abord de renforcer les moyens en personnel – j’en ai aperçu trois, dans un deux-pièces cuisine, où je devais venir m’installer très bientôt. Il fallait aussi accélérer la mise en place des premiers éléments de la bibliothèque, boulevard Saint-Michel […].
Bref, j’ai été conquis tout de suite et j’ai accepté de venir travailler pendant mes temps de loisir en attendant la prise officielle de mes fonctions, fixée par le ministère à la prochaine rentrée universitaire.
Oui, mes premières impressions se sont confirmées alors qu’ensemble, non sans heurts, mais pierre après pierre, et main dans la main, nous participions à la construction de l’édifice65.
65L’administration est installée rue de La Baume et les services communs et les centres de documentation, boulevard Saint-Michel. Bref, sont mises en œuvre « les bases » mêmes de la future Maison, avec tout l’équipement que cela suppose, qu’il s’agisse de la cartographie, de la reproduction ou de la photo-interprétation. On mène aussi des études techniques sur les équipements à choisir pour le centre de calcul. Les locaux de ce centre sont toujours prêtés par le CNRS dans le cadre de la section automatique documentaire de l’Institut Blaise Pascal.
Jean Barin (1925-)
Né en 1925 à Fontenay, Jean Barin est licencié en droit et admis à deux concours (administration scolaire et intendance universitaire). À 17 ans, il s’engage dans la Résistance (de 1942 à 1944), tout en travaillant et en poursuivant ses études ; jusqu’en 1955, il occupe divers postes dans l’enseignement secondaire, puis il est, en 1955, nommé à la préfecture de Seine où il assure l’application des lois sociales dans les établissements hospitaliers et divers organismes privés subventionnés.
C’est en 1964 que Jean Barin devient le premier secrétaire général de la MSH, responsable entre autres de la mise en place des services administratifs et techniques de l’institution et de la supervision de la construction de l’ensemble immobilier du 54 boulevard Raspail. En 1972, il est nommé sous-directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. Il restera à la MSH jusqu’en 1990, mais on continuera longtemps à l’y rencontrer, après son départ.
Pour ceux qui le fréquentent, Barin demeure une énigme : peu connaissent l’homme discret qui se cache derrière le « fonctionnaire zélé ». Il semble néanmoins très apprécié par ses pairs, comme en témoigne la lettre de recommandation que Fernand Braudel accepte volontiers d’écrire pour lui au ministre J.-P. Chevènement : « Depuis de longues années, il exerce à mes côtés, avec talent, la fonction de secrétaire général de la Maison des sciences de l’homme. Son expérience des problèmes administratifs et financiers et sa connaissance du monde enseignant et de la recherche […] m’autorisent à vous le recommander. Ai-je besoin de vous dire qu’il a un sens aigu de l’intérêt du service public […] ».
66Plusieurs activités sont déjà en cours : bibliographie internationale des sciences sociales, liste mondiale des périodiques en sciences sociales, recherche sociologique sur les sciences sociales en France66, préparation d’un atlas des territoires africains, constitution d’un fonds d’ouvrages de référence et création de nouveaux fonds documentaires sur la Chine, dont un sur l’histoire du Parti communiste chinois. De plus, l’on entreprend en 1963 une première étude pour la construction d’un « thésaurus » – sorte de dictionnaire d’associations conceptuelles dans le domaine de l’anthropologie – en collaboration avec le Centre de documentation sur l’Afrique.
67Il est question du voyage à Paris de deux experts américains, M. Fussler et M. Bryant, directeurs des bibliothèques de l’université de Chicago et de l’université Harvard qui devaient venir en 1962 pour « participer à des réunions de travail sur la mise en œuvre des services communs de la Maison et la mise au point des plans de construction ». Ils ne viendront en fait qu’en 196367.
68Le projet de construction de la Maison des sciences de l’homme est finalement approuvé le 9 juillet 1963 par le Conseil général des Bâtiments de France. Le représentant de la direction de l’Enseignement supérieur annonce au même moment que le ministère de la Justice envisage, sous certaines conditions, d’abandonner son droit d’occupation de 4 étages du bâtiment. Quelques mois plus tard, le 9 octobre 1963, la MSH annonce que la construction débutera en 1964 et que le bâtiment, d’une surface de 20 660 m2, comprendra 9 étages et 2 sous-sols.
69La première évaluation des coûts de construction est de l’ordre de 20 500 000 francs. Des coûts jugés excessifs et refusés en date du 4 mars par le Contrôleur financier du ministère68. L’architecte Marcel Lods prépare le dossier d’exécution. On prévoit déjà la démolition prochaine de la station-service et les travaux de terrassement. Tout est prêt ou presque pour la construction du futur bâtiment.
La sélection des centres
70La sélection des centres qui doivent être regroupés dans le bâtiment n’est pas encore faite. Leur nombre dépend de l’espace qui sera alloué, et en particulier de ce qui sera fait des quatre étages que le ministère de la Justice semble « disposé à abandonner ». Ces quatre étages représentent une surface de plus de 4 300 m2. Certains bruits font craindre que l’espace ainsi vacant ne soit pas attribué à la Maison. Dans une lettre au directeur général de l’Enseignement supérieur, qui date de mars 1964, le recteur Jean Roche émet le vœu « que soit recherchée une solution permettant l’attribution totale de l’immeuble à la MSH69 ».
71Les responsables de la MSH ne parviennent pas à se sortir des dédales administratifs. Même le Comité de décentralisation pose ses conditions, se montrant très exigeant et imposant deux conditions « absolues », dont l’une est la construction de deux ou trois Maisons similaires, à savoir des « antennes » en province, et l’autre, la présence de représentants des facultés de province au conseil d’administration de la MSH70. Braudel se rend à deux reprises, une fois en compagnie de René Marzocchi et l’autre du directeur de l’Enseignement supérieur, devant les membres du Comité de décentralisation pour défendre la cause de la Maison.
72Face à la lenteur du processus de sélection définitive des centres de recherche qui seront attachés à la MSH, l’impatience monte, y compris parmi les membres du conseil d’administration de la MSH71. On se souvient qu’une première liste a été établie en mai 1960, puis complétée en mai 1962 par l’ajout des centres des aires culturelles de la VIe section. Qu’en est-il maintenant ? se demande-t-on. « Le choix des centres est de la compétence du conseil72 », rappelle Marcel Bataillon. À la mi-juin 1964, le conseil approuve une nouvelle liste qui, fort longue, est très différente de la première. Les centres sélectionnés couvrent un grand éventail de spécialités et de domaines de recherche. On y ajoute, à la suite de l’intervention très ferme de Jacques Chapsal73, le Centre d’études politiques, un des centres de la Fondation nationale des sciences politiques.
73Voici une liste des centres devant être regroupés au sein de la MSH, par secteur disciplinaire, avec le nom du directeur, les effectifs et la surface prévue74 :
- Sociologie-psychologie : Centre européen de sociologie (Raymond Aron, 45 personnes, 430 m2), Laboratoire de sociologie industrielle (Alain Touraine, 18 personnes, 280 m2), Centre de sociologie des religions (Gabriel Le Bras et Émile Poulat, 11 personnes, 110 m2), Centre de sociologie de la connaissance et de la vie morale (Georges Gurvitch, 8 personnes, 80 m2), Groupe de sociologie de la littérature (Lucien Goldmann, 7 personnes, 70 m2), Centre de sociologie des civilisations (Pierre Francastel, 6 personnes, 60 m2), Centre de recherches coopératives (Henri Desroche, 7 personnes, 70 m2), Centre d’études des communications de masse (Georges Friedmann, 12 personnes, 120 m2), Centre français d’études de sociométrie (Juliette Favez-Boutonier, 7 personnes, 70 m2), Groupe d’ethnologie sociale (Paul-Henry Chombart de Lauwe, 23 personnes, 300 m2), Centre de recherches de psychologie comparative (Ignace Meyerson et Jean-Pierre Vernant, 6 personnes, 60 m2), Centre de recherches et d’études psychanalytiques (Daniel Lagache, 7 personnes, 70 m2), Centre de psychologie (Brisson, 8 personnes, 100 m2), Laboratoire de psychologie expérimentale (Fraisse, 21 personnes, 100 m2), Laboratoire de psychologie sociale (Daniel Lagache et Robert Pagès, 8 personnes, 500 m2), Centre de psychiatrie sociale (Henri Baruk, Roger Bastide et Charles Morazé, 8 personnes, 80 m2) et Laboratoire d’anthropologie sociale (Claude Lévi-Strauss, 16 personnes, 50 m2 pour bureaux de coordination).
- Économie-démographie : Centre de documentation sur la planification économique (Tzortzis, 6 personnes, 120 m2), Centre de planification régionale et d’études du tourisme (Jacqueline Beaujeu, 12 personnes, 120 m2), Laboratoire d’économétrie (Jean Fourastié, 4 personnes, 40 m2), Centre d’études de la prospection économique à moyen et long terme (Jean Bénard, 19 personnes, 200 m2), Centre de recherches mathématiques pour la planification (André Nataf, 23 personnes, 200 m2), Centre d’études économiques (Pierre Coutin, 18 personnes, 150 m2), Centre de recherches quantitatives et d’économie appliquée (François Perroux, 6 personnes, 60 m2), Centre d’études de planification socialiste (Charles Bettelheim, 6 personnes, 70 m2). Centre d’étude du développement statistique (André Piatier, 28 personnes, 180 m2), Centre de mathématiques sociales et de statistique et Groupe d’études mathématiques des problèmes stratégiques (Georges-Théodule Guilbaud, 23 personnes, 250 m2).
- Aires culturelles : Centre de documentation sur l’URSS et les pays slaves (Alexandre Bennigsen, 10 personnes, 150 m2), Centre de documentation chinoise (Jacques Guillermaz, 9 personnes, 150 m2), Centre de recherches chinoises (non spécifié, 12 personnes, 60 m2), Centre de documentation méditerranéenne (Jean Meyriat, 5 personnes, 50 m2), Centre d’analyse documentaire pour l’Afrique noire (Françoise Izard, 15 personnes, 200 m2), Centre d’études indiennes (Louis Dumont, 10 personnes, 100 m2), Centre d’études sur l’Asie du Sud-Ouest (Georges Condominas, 6 personnes, 60 m2), Centre d’études sur l’Océanie (Jean Guiart, 7 personnes, 70 m2), Centre d’études arctiques et antarctiques (Jean Malaurie, 7 personnes, 70 m2), Centre d’études sur la sociologie de l’Islam (Jacques Berque, 6 personnes, 60 m2), Centre d’études maghrébines (Germaine Tillion et Pierre Marthelot, 8 personnes, 80 m2), Institut d’études iraniennes (Émile Benveniste, 4 personnes, 40 m2), Centre d’études juives (Georges Vajda, 9 personnes, 80 m2), Centre d’études africaines (non spécifié, 25 personnes, 250 m2), Centre de recherches d’ethnopsychopathologie africaine (Solange Faladé, 12 personnes, 100 m2), Centre de linguistique chinoise (Alexis Rygaloff, 7 personnes, 60 m2), Centre de civilisation européenne (Alphonse Dupront, 6 personnes, 60 m2).
- Services généraux : Centre de recherches graphiques et laboratoire de cartographie (Jacques Bertin, non spécifié).
- Services de coordination : Centre d’études politiques, Association internationale de science politique et Centre d’études des relations internationales (50 m2), Institut des sciences humaines appliquées (Roger Daval, 20 m2), Commission internationale d’histoire maritime (Michel Mollat, 20 m2), Conseil international de sciences sociales (non spécifié, 20 m2), Conseil international de documentation des sciences sociales (non spécifié, 20 m2).
- Dix unités de recherches non affectées (600 m2).
- Total : 571 personnes, 7 040 m2.
74Tout ce qui compte en sciences humaines et sociales à Paris est là. Parmi les centres sélectionnés, plus d’une dizaine relèvent de la sociologie, dix de l’économie, y compris l’économie appliquée et la planification, et sept de la psychologie et de la psychologie sociale. Il n’y a qu’un seul centre en anthropologie, celui de Claude Lévi-Strauss, et aucun en histoire.
Françoise Héritier (Izard-Héritier, Héritier-Augé) (1933-2017)
Née à Veauche dans la Loire, Françoise Izard débute ses études à Paris au lycée Racine, puis en classe préparatoire au lycée Fénelon et à la Sorbonne et, au lieu de passer l’agrégation, elle choisit de suivre le séminaire de Claude Lévi-Strauss à l’École pratique des hautes études et d’orienter sa vie vers l’anthropologie sociale. En 1957, Claude Lévi Strauss soutient sa candidature pour une mission d’étude en Haute-Volta d’un an. C’est le début d’un long – près de cinq ans – travail de terrain auprès des populations Samo, Pana et Mossi et, de façon plus ponctuelle, Bobo et Dogon (Burkina-Faso et Mali). Elle est alors chercheur contractuel d’abord à l’Institut des sciences humaines appliquées (Bordeaux) (1957-1958), puis à l’Institut national d’études démographiques (1959-1960). En 1961, elle est nommée chef de travaux à la VIe section de l’École des hautes études en sciences sociales ; elle prend aussi la direction du Centre d’analyse et de recherche documentaires pour l’Afrique noire. En 1961, elle entre au CNRS comme chargée de recherches et enfin comme maître de recherches au CNRS. À partir de 1980, elle est directeur d’études cumulant à l’École des hautes études en sciences sociales. En 1982, elle succède à Claude Lévi-Strauss au Collège de France (chaire d’Étude comparée des sociétés africaines) et à la direction du Laboratoire d’anthropologie sociale.
75Le lien entre la future MSH et l’EPHE est toujours très étroit : une grande majorité de directeurs de centres sélectionnés sont en effet directeurs d’études à la VIe section. Et parmi ces directeurs, pour la première fois, quelques femmes : Germaine Tillion et Françoise Izard. Une nouvelle génération de chercheurs entre enfin en scène : par exemple Alain Touraine et Pierre Bourdieu en sociologie, l’un protégé par Friedmann et l’autre par Aron.
Pierre Bourdieu (1930-2002)
Né dans les Pyrénées-Atlantiques, il est issu de la paysannerie béarnaise. Excellent élève, il est reçu à l’École normale supérieure en 1951, après avoir fait khâgne au lycée Louis-Le-Grand à Paris. Agrégé de philosophie en 1954, il se tourne vers l’ethnologie, avant son service militaire où il passe 2 ans en Algérie. À son retour en France, il il travaille avec raymond Aron et se tourne définitivement vers la sociologie.
Il épouse en 1962 Marie-Claire Brizard, et il aura trois enfants.
Pierre Bourdieu devient le secrétaire général du Centre de sociologie européenne, et tout en préparant sa thèse de doctorat intitulée « Les contacts de civilisations en Algérie : les rapports entre la sociologie et l’histoire », il entreprend sa carrière universitaire à la faculté de lettres de l’université de Lille, d’abord comme chargé d’enseignement en 1961, et deux ans plus tard comme maître-assistant75. En 1964, il est nommé directeur d’études à la VIe section. Dans la lettre d’appui, fort courte, à sa candidature, Raymond Aron rappelle que Pierre Bourdieu travaille depuis plusieurs années comme secrétaire général du CSE et qu’à ce titre, « il a rendu des services exceptionnels comme organisateur, animateur et directeur de recherches ». Et il ajoute : « Il est, à mon sens, sans conteste, un des plus brillants jeunes sociologues […]. Il pourrait se consacrer entièrement à ses travaux de recherche et l’on pourrait attendre de ses talents exceptionnels des résultats exceptionnels76. » Les relations de Bourdieu avec la MSH deviennent d’autant plus étroites que se développent avec Clemens Heller, dont le bureau est au 20 rue de La Baume, des liens de respect mutuel, voire d’amitié. Les discussions se font souvent par téléphone ou par correspondance, comme on le voit pour la négociation entre le CSE et la MSH à propos de l’achat d’un rayonnage métallique pour la bibliothèque que Bourdieu veut installer rue de Tournon77. Même malade, celui-ci se permettra d’« ennuyer » Heller pour la publication en livre de poche de son manuel Le Métier de sociologue ou la traduction en espagnol de la 2e partie, revue et augmentée, de son livre Travail et travailleurs en Algérie78. De Clemens Heller, Pierre Bourdieu dira, dans son Esquisse d’une auto-analyse, qu’il fut « un incomparable animateur-agitateur scientifique qui le secondait en tout (en le précédant parfois) » (Bourdieu 2004 : 47).
Il créé en 1975 la revue Actes de la recherche en sciences sociales, qu’il dirigera jusqu’à sa mort en 2002.
Sa renommée est internationale, il reçoit la médaille d’Or du CNRS en 1993. Il fonde en 1995 une maison d’édition militante : Raisons d’agir. Il est l’auteur de nombreux ouvrages.
Raymond Aron, Pierre Bourdieu et le Centre de sociologie européenne
76Même si Pierre Bourdieu (1930-2012) n’a avec Fernand Braudel ni affinité intellectuelle ni complicité politique, sa carrière comme chercheur et comme directeur de recherche doit beaucoup à la MSH. Agrégé de philosophie, de retour d’Algérie où il a été, de 1958 à 1960, assistant à la faculté de lettres d’Alger, il est entré à la MSH par l’intermédiaire de Raymond Aron, dont il est l’assistant en 1960-1961 à la Sorbonne. Aron fonde le Centre de sociologie européenne en 1960 alors qu’il vient d’être nommé directeur cumulant à la VIe section de l’EPHE. Dès sa création, il est question que le Centre, logé au 6 rue de Tournon dans le 6e arrondissement, « se rattache immédiatement » à la future Maison des sciences de l’homme79. L’une de ses premières initiatives est la publication des Archives européennes de sociologie, une revue biannuelle en trois langues, dont Éric de Dampierre prend la direction80. Le Centre de sociologie européenne connaît alors une grande effervescence, avec l’obtention de subventions de l’administration publique (CORDES, Commissariat du plan, direction des affaires culturelles, région Languedoc-Roussillon) – et de contrats privés (Société Kodak Pathé, Compagnie bancaire, Fondation Ford, Congrès pour la liberté et la culture), la réunion d’une quinzaine de chercheurs (Christian Baudelot, Luc Boltanski, Jean-Claude Chamboredon, Jean-Claude Combessie, Yvette Delsaut, Francine Dreyfus, etc.) et la réalisation de plusieurs enquêtes aussi diverses que la photographie, les étudiants et leurs études, le public des musées, la diffusion de l’automobile, la concurrence pour l’espace ou le crédit aux particuliers. Plusieurs rapports de recherche paraissent dans les Cahiers du Centre de sociologie européenne chez Mouton. Dans les années qui suivent, le Centre va signer des conventions avec la Direction générale de la recherche scientifique et technique (DGRST), qui vont permettre de mener des études sur plusieurs autres thèmes, de la communication des savoirs dans la communauté scientifique à l’étude des techniques du corps. Le Centre va aussi participer pendant plusieurs années à l’important programme de recherches, financé par le ministère de l’Éducation nationale, qui porte sur le fonctionnement des administrations centrales. Les contrats, conventions et subventions que reçoit le Centre sont gérés par l’Association Marc Bloch de l’EPHE.
77De la liste des centres de recherche envisagés, les membres du conseil d’administration disent qu’« elle ne peut être considérée comme stable, définitive et exhaustive81 ». Rien n’est donc encore totalement fermé : la sélection « répond bien à l’état actuel des centres considérés », mais il se pourrait, reconnaît-on, que « des variations puissent se produire d’ici l’ouverture effective de la Maison à la suite, notamment, de changements dans l’importance ou la structure de certaines unités ». Il est par ailleurs clair, pour les centres sélectionnés, qu’ils doivent s’engager à abandonner les locaux qu’ils occupent actuellement. L’on souhaite toujours, comme le répète Marcel Bataillon, administrateur du Collège de France, « l’extension éventuelle de la surface (allouée) », ce qui permettrait « une opération plus vaste et plus satisfaisante pour le développement des sciences humaines avec l’installation dans le bâtiment d’(autres) centres […] ainsi que cela avait été primitivement envisagé82 ». Tout en rappelant la mission de la MSH et ses trois objectifs (création d’organismes techniques tels la bibliothèque, le Service d’échange d’informations scientifiques et le centre de calcul ; regroupement géographique de centres de recherche qui conservent leur autonomie administrative et financière ; stimulation de la collaboration entre spécialistes de disciplines différentes et de projets de recherche d’intérêt général), Bataillon tient à souligner que la MSH, en tant qu’établissement consacré à la recherche, « s’interdit toute activité d’enseignement83 », ce qui ne doit pas empêcher, espère-t-il, l’organisation de séminaires de recherche, ce qui est, croit-on, « indispensable pour le travail des centres84 ».
Un centre de recherches appliquées. Alain Touraine
Alain Touraine (1925-)
Normalien et agrégé d’histoire (1950), Alain Touraine quitte les sentiers battus pour s’orienter vers la sociologie et, grâce à l’appui de Georges Friedmann, il entre au CNRS, intègre le Centre d’études sociologiques et entreprend une enquête sur « l’évolution du travail aux usines Renault ». Il obtient en 1952 une bourse de la Fondation Rockefeller qui lui permet d’aller à l’université Harvard où il rencontre Talcott Parsons. En 1956, il séjourne au Chili où il rencontre Adriana Arenas, qu’il épouse la même année. Adriana Touraine entrera au service de la MSH comme secrétaire de Clemens Heller puis elle deviendra coordonnatrice – « hôtesse », dira gentiment Serge Moscovici – des activités (conférences, colloques) du Laboratoire européen de psychologie sociale, dont celui-ci sera le directeur85.
En 1958, Touraine quitte le CNRS pour entrer à la VIe section de l’EPHE comme chef de travaux. Fernand Braudel lui propose alors de prendre la direction du nouveau Laboratoire de sociologie industrielle, afin que soient menées des recherches en sociologie du travail en rapport avec l’enseignement que donne déjà Georges Friedmann. Le nouveau centre de recherche est logé au 10 rue Monsieur-le-Prince, dans le 6e arrondissement, dans la maison où vécut Auguste Comte, aussi connue comme le musée Auguste Comte. En 1959, Touraine participe à la fondation de la revue Sociologie du travail. L’année suivante, il est nommé directeur d’études à l’EHESS. De cette École où il a eu « la chance » d’enseigner, Touraine dira qu’elle est « le meilleur exemple de cet “establishment parallèle” qui pouvait être créé dans une situation à la française ». Et il ajoutera : « Fernand Braudel, Clemens Heller et Louis Velay ont été pendant bien des années le gouvernement de cette École ; elle leur doit une bonne partie de sa réussite » (Touraine 1977 : 207).
Lorsque Braudel l’approche pour qu’il prenne la direction du Centre de recherches appliquées de la MSH, Alain Touraine vient, en 1964, de soutenir sa thèse de doctorat ès lettres intitulée « Sociologie de l’action ». Sa thèse complémentaire porte sur « La conscience ouvrière » ; elle paraît deux ans plus tard (Touraine 1966).
78À cette liste, on envisage déjà d’ajouter un nouveau centre, le Bureau de recherches appliquées, afin de permettre, précise-t-on, « d’établir un dialogue entre les démographes (INED), les sociologues et les économistes86. Lorsque quelques mois plus tard vient le temps d’élaborer le budget pour l’année 1965, on prévoit la création de quinze postes pour ce nouvel organisme qui devrait fonctionner dès 1966. Braudel précise que ce projet concerne « une entreprise nouvelle née de l’initiative des administrations publiques sous l’impulsion de Claude Gruson ». La direction de ce bureau, dont le conseil de direction sera composé d’universitaires et d’administrateurs, doit être confiée au sociologue Alain Touraine.
Un événement public, une épreuve
79Cette soutenance est un événement public et, pour l’impétrant, une épreuve. Alain Touraine en gardera le souvenir cuisant d’une humiliation publique, qu’il qualifiera de « mise à mort cérémonielle », le jury dénigrant son travail en des termes, dira-t-il, « n’ayant que peu à voir avec la critique purement scientifique ».
80Dans ses Mémoires, Raymond Aron, que Touraine a sollicité pour présider le jury de soutenance, se rappellera l’événement dans les termes suivants :
Alain Touraine a déjà raconté dans un de ses livres l’épreuve que nous lui infligeâmes, Georges Friedmann, Jean Stoetzel et moi. J’éprouvais et j’éprouve toujours pour lui une véritable sympathie. Dans la communauté des sociologues parisiens, il tranche par son élégance, sa noblesse naturelle et son authenticité. Je ne nourrissais à son égard nul grief, nul ressentiment. Il me demanda d’être le directeur de sa thèse alors qu’elle était déjà terminée. Il souhaita être jugé par moi, soit qu’il me mît au-dessus des autres, soit que ma présence ajoutât à l’éclat de la cérémonie. Après la discussion de la thèse secondaire (étude empirique de la conscience de classe) par Ernest Labrousse et Georges Gurvitch […], Alain Touraine présenta sa thèse avec un élan de conquistador qu’il conclut par un poème en espagnol. Le président me donna la parole et je commençai : « Revenons sur la terre […]. » Je ne réglai pas de vieux comptes, je reprochai à Touraine de se lancer dans des analyses plus philosophiques que sociologiques sans la maîtrise des concepts, sans la formation de philosophe. Avais-je tort ou raison ? Il n’y a pas, en pareille matière, de preuve. Tout ce que je puis dire pour ma défense, c’est que j’avais lu et relu l’ouvrage, demandé l’opinion d’un spécialiste indiscuté. Peut-être mon intervention n’aurait-elle pas été aussi dévastatrice, si elle n’avait encouragé Friedmann et Stoetzel à une surenchère de sévérité. Décontenancé, Touraine renonça presque à se défendre. L’atmosphère se fit irrespirable (Aron 1983 : 347-348).
81Les membres du conseil d’administration s’interrogent pour leur part sur la pertinence de créer un nouveau centre dans un domaine où il en existe déjà plusieurs. Braudel rétorque qu’« il s’agit pour le Bureau de jouer un rôle d’orientation pour la recherche ». C’est, selon lui, la vocation de la Maison de réaliser des « opérations de ce genre ». Si la Maison estime ne pas devoir retenir ce projet, celui-ci prendra, pense-t-il, « corps dans une autre structure ». C’est là, conclut Cain, un projet important et d’un grand intérêt87.
82Lors d’une réunion subséquente, Braudel donne d’autres informations sur ce nouveau centre, dont « la nécessité est, selon lui, née des problèmes qui se posent entre les administrations et les centres et instituts de recherche pour établir une jonction entre l’information économique et les recherches qui se placent dans d’autres domaines des sciences humaines, notamment en sociologie ». Tout cela, tient à préciser Braudel, s’inscrit dans un 5e plan, qui devrait conduire à la mise sur pied de programmes importants, en particulier « pour éclairer, dans tous ses aspects, la politique nationale de développement ». La création du bureau devrait donc permettre à l’administration publique de « faire face aux difficultés qui se posent lorsqu’elle veut faire appel à la sociologie » : un tel organisme devrait pouvoir, pense Braudel, « concevoir des programmes de recherche en termes opérationnels, négocier avec les centres, disposer d’organes communs utiles pour les enquêtes, calculs ». Le temps presse, car il faut, pour ce nouveau centre, des postes de niveau élevé pour le 1er janvier 1966, date du début du 5e plan88.
Un coup de tonnerre : la suspension du versement de la subvention Ford
83Le nerf de la guerre est évidemment l’argent. Côté budget, il y a une forte augmentation de la subvention du ministère de l’Éducation nationale, qui, de 1962 à 1963, passe de plus de 580 000 francs à plus de 1 million de francs. Elle atteint les 1 500 000 francs en 1964, ce qui fait un budget global de plus de 2 millions de francs. Par contre, on observe une diminution de la subvention de la Fondation Ford, qui passe entre 1963 et 1964 de plus d’un million de francs à 906 000 francs. Tout se passe donc comme si le principe selon lequel la contribution du gouvernement français devait être égale à celle de la Fondation Ford ne tenait plus…
84La situation est d’autant plus inconfortable pour la MSH que la Fondation américaine s’interroge sur la pertinence de sa participation financière. Un représentant de la Fondation Ford vient à Paris en janvier 1964 : il s’agit de Joseph E. Slater, directeur adjoint du département des sciences sociales de la Fondation. Puis deux professeurs américains, Richard Morse, directeur des études latino-américaines à Yale, et Daniel Bell, journaliste, puis professeur de sociologie à Columbia et auteur de The End of Sociology (1960), viennent en juillet, grâce à l’appui de la Fondation, en France pour établir des contacts avec des institutions en sciences sociales et évaluer les possibilités de coopération avec les États-Unis. Tous deux s’entretiennent avec l’administrateur de la MSH. Monsieur Morse se rend aussi à Bordeaux en compagnie de l’administrateur pour y rencontrer le recteur, Jean Babin89.
85Mi-décembre 1964, la décision de la Fondation Ford est prise : « Il n’est pas envisagé par la Fondation Ford d’effectuer une donation supplémentaire », affirme Braudel devant les membres de son conseil d’administration90. Cette donation, qui en 1964 est de l’ordre de 686 000 francs, sert principalement, comme le rappelle alors l’administrateur, « aux actions extérieures » de la Maison : appui aux centres de documentation dans les différentes aires culturelles (Russie, Afrique noire, etc.), stimulation des programmes de recherche, etc. La Fondation Ford a versé à ce jour 710 000 dollars (sur la donation prévue de 1 million de dollars et elle l’a fait en quatre versements : septembre 1960, février 1962, mars 1963, janvier 1964. Pourquoi une telle décision ? Braudel donne la réponse suivante : « La Fondation Ford suspend ses versements tant que la construction n’aura pas commencé, car aucune suite concrète n’a été donnée aux promesses répétées qui lui ont été faites91. » Et s’il est une question qui préoccupe au plus haut point la MSH, c’est bien le projet du 54 boulevard Raspail : « Que la construction soit entreprise dans les plus brefs délais92. » L’on se montre plutôt optimiste, croyant que « le projet de construction va être très prochainement réexaminé par le Comité de décentralisation ».
86La décision de la fondation Ford est lourde de conséquences et risque, selon Braudel, d’« entraîner naturellement de nombreuses difficultés93 ». Certaines conséquences sont immédiates. Pierre Bourdieu se fait alarmiste : « Pour poursuivre les recherches en cours, le Centre a le besoin le plus urgent, en toute hypothèse et surtout si la subvention Ford n’est pas renouvelée, de postes94. » Il en va de même de l’enquête sur la Grande Administration qui a déjà été lancée et dont certains volets (enquêtes sur les étudiants en droit et sur les élèves en sciences politiques) ne pourront être terminés si le Centre n’a pas « les moyens de payer le personnel95 ».
87Quant au projet d’un Bureau de sociologie appliquée, qui a déjà bénéficié de donations de la Fondation Ford, il n’apparaît pas dans le budget 1966, mais l’on espère toutefois le voir « fonctionner à l’aide de contrats prévus par les divers ministères96 ». Ce nouveau centre doit donc limiter son activité à terminer un rapport pour la Direction générale de la recherche scientifique et technique. Mais, dans un but d’économie, il n’y a pas, reconnaît finalement Braudel à la séance suivante, d’autre choix que de « mettre en sommeil ce Bureau, en le limitant au traitement des affaires courantes ». L’on émet, pour reprendre les mots de Charles Morazé, l’hypothèse selon laquelle « cette activité pourra se développer lorsque les difficultés actuelles seront résolues, la Maison ayant un rôle important à jouer dans ce domaine97 ».
Jean-Claude Gardin (1925-2013)
Jean-Claude Gardin a une formation hétéroclite en économie politique, en histoire des religions, en linguistique ; il se tourne vers l’archéologie en 1950 et devient chercheur au CNRS. Archéologue de terrain, il fait partie de la délégation archéologique française en Afghanistan où il participe aux fouilles de sites de la Bactriane antique. Ensuite, à l’Institut français d’archéologie de Beyrouth, il mène des travaux de dépouillement et de synthèse de documents qui le portent à s’interroger sur la scientificité du discours savant produit dans sa discipline, et plus généralement dans les sciences de l’homme. Son travail de compilation le mène à travailler sur la mécanisation de la recherche rétrospective. En 1958, il dirige le Centre d’analyse documentaire en archéologie, qui vient d’être créé au sein du CNRS, et en 1960, il accepte d’y créer une section d’automatique documentaire. Dans les années 1960, il entre à l’EPHE où, comme directeur d’études, il anime un séminaire intitulé « sémiologie et informatique ».
Par ailleurs, les questions de documentation l’intéressent très tôt : il publie en 1955 un article sur le « Problèmes de documentation dans la revue Diogène », et l’année suivante, il rédige un « Code pour l’analyse des cylindres orientaux » (Centre d’analyse documentaire pour l’archéologie, ronéotypé)98.
88
Jean Meyriat (1921-2010)
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm et agrégé de lettres, Jean Meyriat mène d’abord des travaux sur l’Espagne et le Portugal (il publiera en 1957 La péninsule ibérique). Il s’intéresse par ailleurs à la documentation et publie en 1956 un premier texte dans la Revue française de science politique. En 1950, il fonde à la Fondation nationale des sciences politiques le premier service de documentation qui devient plus tard la bibliothèque de l’Institut et qu’il dirigera jusqu’en 1990. Il y est également professeur. Puis, en 1962, Jean Meyriat est élu directeur d’études à l’EHESS à la chaire « Méthodologie de l’information scientifique ». Il préside enfin, de 1952 à 1976, le Centre d’études et de recherches internationales (CÉRI) à Sciences-Po.
89Comment sortir de cette « crise » ? La direction de la MSH multiplie les démarches pour clarifier la situation en montrant, preuves à l’appui (budgets, bilans annuels, etc.), que la donation de la Fondation Ford a été correctement dépensée. L’élaboration du projet de budget pour 1966 est rendue d’autant plus difficile qu’il y a incertitude sur la date d’ouverture du nouveau bâtiment. La MSH ne peut donc compter que sur la subvention du ministère de l’Éducation nationale, qui devrait être de 2 005 157 francs. L’ouverture de la Maison devant, espère-t-on, se faire en fin d’année 1966 ou début 1967, il y a nécessité de faire coïncider la création de postes avec l’ouverture des services. Les propositions font état d’une demande de 30 postes (15 pour l’année 1966 et 15 ensuite) pour les services généraux de la MSH et d’une autre de 15 postes pour le Bureau de sociologie appliquée.
90Mais mi-décembre 1965, le terrain n’est toujours pas disponible. Marcel Bataillon exprime, au nom de tous, la consternation du conseil d’administration. Pour calmer les esprits, Braudel répond que « des promesses verbales lui ont été faites sur la mise à la disposition de la Maison de l’ensemble des espaces du futur bâtiment, y compris ceux du ministère de la justice99.
91La MSH se trouve toujours installée provisoirement, non plus dans deux mais dans trois endroits différents : en plus du 20 rue de la Baume pour l’administration et du 131 boulevard Saint-Michel pour la bibliothèque100 et le Service d’échange d’informations scientifiques (SEIS)101, il y a maintenant le 14 rue Monsieur-le-Prince, où est installé, dans un local de six pièces, le centre de calcul102. Le personnel de la MSH comprend alors 54 personnes sur des postes créés par le budget du ministère de l’Éducation nationale : sept à l’administration, vingt-cinq à la bibliothèque-documentation, neuf au SEIS et treize au centre de calcul103. Très actifs dans la mise sur pied du centre de calcul et du SEIS, Jean-Claude Gardin et Jean Meyriat se voient attribuer le titre de « conseillers techniques » de la Maison et sont ainsi « officiellement habilités à suivre les travaux de ces services dont ils ont défini les missions et les tâches ». Clemens Heller occupe une fonction identique, mais pour les problèmes généraux104.
Du travail à la pointe des développements techniques les plus récents
92Grâce à Gardin et Meyriat, la MSH va participer activement à ce qu’on peut appeler une révolution dans le domaine des bibliothèques et de la documentation. Depuis les années d’après-guerre, plusieurs changements sont survenus dans ce domaine : passage de la bibliographie à la documentation, puis passage aux sciences de l’information ; développement de la lecture publique, rupture entre la bibliothéconomie et la documentation, apparition de nouveaux supports d’information et de stockage, début de la mécanisation, puis de l’automatisation et enfin de l’informatisation des processus documentaires. Va se produire ce qu’on appelle classiquement l’« explosion documentaire » : production exponentielle de documents scientifiques et techniques liée à la démultiplication des disciplines, à l’augmentation du nombre de chercheurs, etc.
Deux spécialistes en documentation : Jean-Claude Gardin et Jean Meyriat
93En octobre 1960, Gardin rédige pour la MSH un document qu’il intitule « Propositions pour une politique de l’organisation documentaire (sciences humaines) » dont il publie des extraits dans Informations sur les sciences sociales (Gardin 1962b : 23-30). L’organisation documentaire que suggère Gardin se veut fédérative, non centralisée, laissant une autonomie aux divers services (ou centres documentaires spécialisés) dans le cadre d’un plan pour une action commune. L’objectif est de mettre en place un service général pour l’établissement de répertoires (directories) méthodiques (bibliographies, cartes-catalogues, index, etc.) et d’assurer la qualité des résumés (abstracts) afin de réduire les coûts et le temps de travail de pure compilation surtout lorsque plusieurs disciplines sont concernées. D’où la nécessité d’un service général pour toute recherche bibliographique, qui présenterait le double avantage de couvrir un plus large corpus de littérature interdisciplinaire et de fournir sur demande au moyen de procédures automatiques des bibliographies sur des sujets les plus variés sous la forme de listes de titres ou de résumés. Un tel service devrait pouvoir comprendre trois sections ou groupes de collaborateurs : 1) la section administrative (distribution des résumés après l’arrivée des documents et programme de compilation automatique à établir avec les centres, 2) la section s’occupant des études sémiologiques et documentaires (établissement de méthodes analytiques et de langages pour la mise en forme (processing) automatique de données bibliographiques dans les divers champs avec la collaboration de spécialistes, 3) enfin la section technique composée principalement de programmeurs responsables de l’exécution du travail requis dans des buts soit pratiques (bibliographies), soit théoriques (recherche sémiologique). Ce qui, pour les trois sections, pose le problème de la formation du personnel compétent.
94Jean-Claude Gardin va contribuer à systématiser les méthodes d’analyse et de classification documentaire des données scientifiques, en élaborant notamment un système d’exploitation automatisée des découvertes archéologiques : le SYNTOL (Syntagmatic Organization Language) (Gardin 1964). Avec l’analyse conceptuelle des textes et la recherche de leur formalisation, ses travaux s’élargissent à l’ensemble des constructions discursives en archéologie, depuis l’observation empirique jusqu’à la formulation des hypothèses en passant par l’analyse des raisonnements propres aux disciplines relevant des sciences de l’homme105. Gardin publiera en 1979 Une archéologie théorique.
95Des relations qu’il a alors avec Clemens Heller, dont il n’est pas un proche ami, Gardin en fera la description suivante :
En un mot, Clemens Heller a été longtemps pour moi un personnage inexplicable ; et c’est ce que j’ai bien aimé dans notre relation. Ainsi, au début, je ne m’expliquais pas l’appui qu’il apportait presque sans discuter aux projets assez éparpillés que je lui soumettais. C’était il y a 30 ou 40 ans ; en ces temps-là, dans les décennies 1960-1970, les idées de recherche me paraissaient aller un peu dans tous les sens, boulevard Raspail comme ailleurs (mais pas plus qu’ailleurs) ; et cela était vrai en tout cas des miennes, disparates à mes propres yeux. Je tenais bien sûr à les incarner dans des travaux concrets, mais je dois avouer que je n’étais alors guère capable d’expliquer de façon convaincante les rapports logiques entre mes différents projets, ni l’objectif commun vers lequel ils tendaient. C’était embarrassant… Or, Clemens Heller, lui, n’en paraissait pas gêné ; on aurait dit même que ce désordre lui plaisait, comme me plaisait aussi le fourmillement d’idées et de projets bien plus considérables qui étaient les siens, à son niveau, tels qu’ils ressortaient de nos entretiens trop rares et toujours pressés.
Pour tout vous dire, mes rendez-vous avec Clemens Heller se sont passés pour la plupart entre deux portes et plusieurs téléphones, et nous échangions là peu de mots, moi pour exposer, demander, lui pour acquiescer. Et voilà, c’était fini… sauf que parfois Clemens terminait en me demandant d’un air distrait, déjà ailleurs, si j’étais libre à déjeuner. Je l’étais, bien sûr, et alors nous parlions, abondamment, mais de tout sauf de mes projets ou des siens. Nous causions des événements de la planète, de mes voyages sur la mer Égée ou dans les déserts afghans, ou encore des dernières acquisitions musicales de Clemens, dont j’avais la surprise de trouver parfois quelques traces dans mon sac, après le repas – et voilà, c’était tout. Un “tout” certes délicieux, mais qui ne m’éclairait nullement sur ce que Clemens Heller avait eu en tête une ou deux heures plus tôt lorsque après m’avoir écouté quelques minutes, il avait décidé de m’accorder l’aide que je lui demandais.
Bref, je ne m’expliquais rien, ni M. l’administrateur de la MSH et sa politique, ni ses visées avec moi, sur moi, pour moi, je ne sais pas comment dire. Mais je n’étais pas moins ravi, doublement : d’abord, sans doute, à cause de l’appui reçu, mais aussi et surtout à cause de ce mystère qui l’entourait. Je me souviens m’être alors rappelé un mot de Karl Kraus, “je ne sais pas où je vais, mais je m’en tire en allant vite”. J’ai compris plus tard que si le Clemens toujours pressé que j’avais connu allait si vite en affaire, c’était au contraire parce qu’il avait une idée ou des sentiments plus clairs que les miens quant à la destination lointaine des entreprises hétéroclites dont je lui parlais106. »
96Chacun des nouveaux services de la MSH multiplie ses activités mais tous se voient rapidement confrontés à des problèmes de locaux et de personnel. C’est particulièrement le cas pour la future bibliothèque. Il y a, se plaint-on, « embouteillage des magasins ». Une fois les ouvrages inventoriés – plus de 3 000 commandes pour l’année 1966 –, il faut en effet les cataloguer et les entreposer en attendant l’emménagement rue du Cherche-Midi. Ils iront provisoirement dans les sous-sols du lycée Saint-Louis, mais même pour cela, il n’y a pas assez de personnel pour effectuer, en plus du catalogage et du prêt d’ouvrages aux centres de recherche, le dépouillement bibliographique pour l’élaboration de fichiers et assurer la rédaction de comptes rendus d’ouvrages en sciences humaines. Responsable de l’organisation de ce service, Germaine Lebel est continuellement confrontée à de « nombreuses difficultés matérielles », à un point tel qu’elle demande à « être déchargée de ses fonctions107 ». C’est Heller qui, à la requête de l’administrateur, accepte d’« assumer l’intérim de ce service jusqu’à la nomination de son remplaçant108 ». Une responsabilité qu’il assumera jusqu’au printemps 1967.
97Les centres de documentation constituent ce que la MSH appelle ses « actions extérieures », à savoir que chacun d’entre eux est spécialisé dans une aire culturelle (Russie et pays slaves, Afrique noire, Extrême-Orient, Méditerranée)109. Ces centres font aussi face au manque de ressources : il s’agit en effet d’un « travail de longue haleine »110 qui exige des outils documentaires sophistiqués et des financements plus conséquents que prévu. Il faut donc, avec des moyens limités et dans des locaux souvent exigus, tout à la fois réunir des ouvrages de référence (bibliographies, dictionnaires, encyclopédies), acquérir des ouvrages spécialisés et des revues, faire des échanges, réaliser des enquêtes et des études bibliographiques, faire des fiches innombrables (analytiques, signalétiques, d’ouvrages), constituer de véritables fichiers (par exemple des ethnies ou des contes africains) et enfin, comme c’est le cas pour le Centre sur la Russie et les pays slaves, publier des documents inédits ou difficilement accessibles111. Les centres de documentation se trouvent, comme on le voit au CARDAN, en possession d’une documentation massive, qui se révèle tout simplement « difficile à dominer ».
98Le centre de calcul acquiert une importance d’autant plus grande que la multiplication des recherches quantitatives en sciences humaines et sociales entraîne un recours beaucoup plus fréquent à l’informatique, comme on le voit dès la fin des années 1960 en archéologie112, en histoire113, en psychologie ou en sociologie114. Les chercheurs du centre de calcul mènent des recherches en étroite collaboration avec ceux des autres centres de la MSH. Par ailleurs, dans le cadre d’un contrat avec l’Office franco-allemand de la jeunesse et en collaboration avec l’Institut pédagogique national, Jacques Perriault anime un séminaire sur l’enseignement programmé ; il participe aussi à une mission aux États-Unis organisée par la DGRST. Enfin, en collaboration avec l’Institut Blaise Pascal, on élabore un programme de calculatrice qui servira au dépouillement d’enquêtes en sociologie et, à la demande du CNRS, on enquête auprès des laboratoires en sciences humaines afin de déterminer les caractéristiques de l’ordinateur qui doit être installé dans le futur bâtiment de la Maison.
99Entre documentation et programmation, le centre de calcul cherche à devenir une interface. Ce qui amène les membres de son personnel, dont Jacques Perriault, un jeune apprenti ingénieur passionné par les nouvelles technologies de l’information, à poursuivre leurs activités de documentation, dont l’étude, dans le cadre d’un contrat de la DGRST avec l’Association Marc Bloch, d’une chaîne documentaire automatisée, étude qui pourrait, espère-t-on, aboutir à l’écriture d’un programme de composition de textes, permettant d’effectuer celle-ci d’une façon entièrement automatique. De plus, on réalise la première version d’une bibliographie indexée sur les applications des ordinateurs en sciences humaines (700 références). Enfin les membres du centre participent régulièrement à divers enseignements : séances d’exercice et cours d’initiation au calcul automatique dans le cadre de l’initiation à la recherche à l’EPHE.
100L’importance que prennent les mathématiques et la méthodologie quantitative dans les sciences sociales est telle qu’à l’automne 1967 la VIe section de l’EPHE lance, à l’initiative de Fernand Braudel et de Clemens Heller, un nouveau programme, le programme d’enseignement préparatoire à la recherche approfondie en sciences sociales (EPRASS). Ce projet obtient l’appui du directeur de l’enseignement supérieur Pierre Aigrain, qui vient d’entreprendre en 1966 la réforme des premier et deuxième cycles universitaires (réforme Fouchet), et reçoit aussi une aide financière relativement modeste de 150 000 francs de la Fondation Ford (Gemelli 1995 : 348-349). Le ministre Christian Fouchet, peu avant de quitter sa fonction, signe le décret pour la réforme de l’Enseignement supérieur. Le Centre de mathématique sociale115, un centre CNRS qui doit être hébergé à la MSH, est chargé du tronc commun de mathématiques et statistique de ce nouveau programme, qui, d’une durée de deux ans, s’adresse à des étudiants de quatre disciplines, la psychologie, la sociologie, la linguistique et l’ethnologie : l’objectif est de fournir une formation méthodologique à de futurs chercheurs (Chenu 2002 : 46-61). Ce dispositif s’inscrit dans la stratégie de la VIe section, qui souhaite intégrer la recherche à la formation et apparaît comme précurseur de l’ensemble maîtrise-DEA qui sera mis en place au cours des années suivantes. Une chose est certaine : s’impose de plus en plus la nécessité d’une réforme de l’enseignement supérieur, dont un important élément est la création d’une faculté en sciences sociales. Élu en 1967 secrétaire général du SNESup, Alain Geismar revendique « une petite révolution culturelle à l’université ».
L’« antenne » Bordeaux
101L’on pense très tôt à des « extensions provinciales », dont celles d’Aix et de Rennes. Cette question est soulevée dès mai 1960 lors d’une séance du conseil d’administration. Lorsque, dans une perspective de décentralisation, il est sérieusement question d’« antennes » de la MSH en province, Bordeaux apparaît, au printemps 1964, comme le « lieu envisagé116 ». On se demande s’il ne conviendrait pas de « réserver un terrain à Bordeaux pour une construction ». Une décision qui semblerait devoir être prise rapidement, car les demandes dans le cadre du 5e plan doivent être faites, rappelle Jean Babin, recteur de l’académie de Bordeaux, avant le 15 juin. Cependant une telle décision relève, précise Fernand Braudel, non pas de la MSH mais de la direction de l’Enseignement supérieur. Par ailleurs il semble évident que cette future Maison ne peut devenir « objet de référence » qu’une fois en fonctionnement117.
102Les choses bougent rapidement : à la séance du 19 décembre 1964, Braudel parle « de contacts avec l’académie de Bordeaux permettant d’avoir dès maintenant une “antenne” de la Maison en province118 ». Et quelques mois plus tard, une délégation de la Commission scientifique du 5e plan se rend à Bordeaux et l’on parle alors de l’implantation de l’antenne de la MSH tout en évoquant le déblocage de crédits pour son éventuelle construction119. Quant à l’installation de la future MSH-Bordeaux, elle devrait d’abord se faire dans des locaux disponibles de l’ancienne faculté de droit et sciences économiques.
103Mais s’il est une question centrale qui va rapidement se poser, c’est celle de l’autonomie du futur organisme. Braudel estime « que la Maison de Bordeaux doit avoir une indépendance scientifique, son programme étant déterminé par le développement des recherches qui s’effectueront dans les instituts locaux. Les centres logés doivent, comme à Paris, conserver leur autonomie et leurs ressources propres120 ». Des membres du conseil se demandent s’il n’est pas nécessaire de préciser les liens entre la MSH-Paris et celle de Bordeaux, voire de modifier les statuts de cette dernière afin de reconnaître l’indépendance des antennes qui seraient créées. Babin exprime pour sa part le souhait de conserver des liens étroits entre Paris et Bordeaux. « La Maison est, observe Charles Morazé, une institution unique qui aura probablement plusieurs antennes. La nature des liens entre ces organismes sera à étudier à la lumière de l’expérience. » Et Braudel de conclure : « Il n’existe aucune difficulté avec la Maison de Bordeaux. Elle constitue une précieuse expérience en ce domaine et permettra de déterminer les modalités de la politique à suivre121. »
« Une prison pour la science ». Les débuts de la construction
104Des changements importants se font à la Fondation Ford, à la suite de la nomination en février 1966 de McGeorge Bundy comme président de la Fondation. Historien et spécialiste de sciences politiques, professeur à Yale et membre de l’équipe des conseillers du Président Kennedy, Bundy manifeste lui-même « un intérêt bien plus actif que ses prédécesseurs pour aider les recherches originales et d’avant-garde réalisées en Europe » et il souhaite être informé du « programme splendide qu’a développé la VIe section122 ». La Fondation Ford se donne alors une nouvelle orientation : polarisation plus forte sur l’Europe, valorisation du secteur des sciences économiques et sociales, tant sur le plan de la recherche que de l’enseignement (Voir Richard Magat 1979).
105En juin 1966, la Fondation Ford verse finalement une somme de 180 000 dollars (881 000 francs) correspondant pour une large part à sa participation annoncée au budget de 1965, ce qui permet à la MSH de « faire face à ses problèmes de trésorerie, notamment pour la rémunération du personnel dans les périodes d’attente des versements ». Il restera un solde de 110 000 dollars, mais qui ne sera versé à la MSH que lors de son inauguration123.
106À cette bonne nouvelle s’en ajoute une autre : l’annonce que les travaux « vont commencer d’ici peu » : en novembre 1966, croit-on. Par contre, les longues « tractations » avec le ministère de la Justice ne sont pas encore terminées. On garde l’espoir qu’« à plus ou moins long terme, il accepte de céder l’ensemble de ses locaux au ministère de l’Éducation nationale ». Une telle entente permettrait, rêve-t-on, à la fois de « donner aux centres (déjà sélectionnés) les surfaces dont ils ont réellement besoin » et d’« installer des unités de recherche dont on n’a pu envisager le logement124 ». Une question demeure en suspens : l’installation de l’annexe de la bibliothèque qui pourrait, comme cela a été prévu dans les premiers projets, se faire en banlieue125.
107Enfin, en janvier 1966, La MSH signe la convention avec le ministère de la Justice, même si celle-ci est loin de satisfaire sa direction, car elle entraîne une diminution considérable du « programme primitif » de la Maison. « C’est insuffisant », s’exclame-t-on126. Mais, moins d’un mois plus tard, il y a, à la grande surprise de tous, un revirement : l’immeuble tout entier serait, apprend-on, réservé à la MSH et l’évacuation des locaux qu’occupe le ministère de la Justice se ferait en février et mars pour laisser place aux autres services127. Tout est encore au conditionnel.
108La démolition des bâtiments du ministère de la Justice commence le 18 avril 1966 ; quant à celle de la station-service, elle devrait, la notification d’expropriation128 ayant été faite, avoir lieu fin juin. Cependant, concernant le partage du bâtiment entre la Maison et la Justice, « rien de nouveau ». Les membres du conseil ne cachent pas « leur inquiétude au sujet de l’incertitude du règlement129 ».
109Lorsque à l’été 1966 la construction du futur édifice devient imminente, la presse parisienne annonce que « la Maison des sciences de l’homme va enfin sortir de terre ». L’article qui paraît dans Combat présente l’histoire du projet, depuis l’idée originale de Gaston Berger et Fernand Braudel jusqu’au choix d’un emplacement en passant par l’obtention de la subvention de la Fondation Ford, et donne une idée précise des grandes orientations de la nouvelle institution qui se veut « un outil technique pour les sciences humaines », mettant au service des chercheurs de « nouveaux instruments » : une bibliothèque non traditionnelle avec des collections spécialisées et des centres de documentation spécialisés, un service d’échange d’informations scientifiques, un centre de calcul. Enfin, l’article présente le caractère très novateur de l’architecture par rapport à la norme des constructions universitaires : nouveau procédé de construction avec ossature métallique à dalles de béton, façades entièrement vitrées avec volets rétractables pour régler la lumière, système d’air conditionné, meilleure insonorisation, cloisons mobiles permettant de varier la forme et les dimensions des bureaux et des salles. On indique que la construction doit être terminée avant fin 1968 (Combat 1966 : 5).
Originalité architecturale et innovations techniques
110Le bâtiment est construit autour d’une grande bibliothèque et doit héberger environ 1 000 personnes : chercheurs, membres de la direction et du personnel, invités extérieurs. De la conception à la construction, on peut dire que les grandes lignes du programme ainsi que l’orientation scientifique du projet sont respectées.
111Les principales caractéristiques de l’architecture sont les suivantes :
- Structure métallique et béton. Le bâtiment est réalisé en métal et ses planchers sont en béton armé. La lutte contre le feu est assurée par le flocage à l’amiante de l’ensemble des poutres et poteaux métalliques. Ce système de construction est mis au point par Léon K. Wilenko. Ce dispositif permet de réaliser un gain financier appréciable de 20 % par rapport aux structures métalliques traditionnelles et d’au moins 50 % par rapport à l’acier. L’ordinateur joue un rôle clé dans les calculs de cette structure qui devait être la première au monde de cette taille.
- Centralité de la bibliothèque. Au premier étage du grand bâtiment, les espaces de lecture, de travail et les services techniques s’organisent autour d’un noyau central où se trouve, entre les deux escaliers, le magasin de livres. Du deuxième au neuvième étage, au centre du bâtiment, il y a les rayonnages de livres et, tout autour, les centres de recherche. Les gaines pneumatiques et le monte-charge permettent les échanges de documents entre les différents niveaux. L’idée, avec cette implantation au cœur même de la MSH, est de permettre leur diffusion de toutes parts.
- Façades entièrement vitrées et climatisation. Dans le choix des installations techniques et des matériaux, il y a manifestement la volonté d’offrir aux chercheurs un environnement propice au travail intellectuel et à la recherche. D’abord en cherchant à atténuer le bruit, en particulier celui de la rue. Certains peuvent regretter de ne pas pouvoir ouvrir les fenêtres, mais on peut ainsi installer des façades totalement étanches et, de ce fait, permettre une climatisation complète du bâtiment. Ce système d’air conditionné est l’un des premiers de cette ampleur en France. Quant à la luminosité, elle est assurée par une large fenestration et l’installation de volets en aluminium qui s’ouvrent et se ferment de l’intérieur. Grâce à ce système, les usagers du bâtiment modifient eux-mêmes l’apparence des façades au rythme des journées et des saisons.
- Grand escalier à double croisée au centre et ascenseurs.
- Cloisons mobiles. Fini, selon l’architecte Marcel Lods, le temps des « bâtiments-tyrans » qui contraignent l’organisation du travail. Il faut, selon lui, aller maintenant vers des « bâtiments-serviteurs » qui vont pouvoir se monter et se démonter en fonction des besoins et des évolutions. Dès la conception du bâtiment, la solution des cloisons amovibles est retenue afin de permettre de répartir l’espace en fonction des besoins. Ces cloisons, réalisées en panneaux de particules de bois, sont simples et rapides à monter ou à démonter, ce qui permettra à la MSH d’adapter, au gré des programmes de recherche, son espace pour accueillir des équipes variées en nombre et surtout temporaires.
112La philosophie du bâtiment est, comme on le rappellera plus tard, de « rationaliser les espaces et rythmer les circulations ». Le projet de Lods-Depondt-Beauclair se signale en effet par sa logique rigoureuse :
[…] Le principe structurel retenu libère au maximum les plateaux intérieurs de tout point porteur. La façade exprime clairement un choix de rigueur méthodique en rejetant à l’extérieur la structure porteuse. Une sous-trame supportant la paroi vitrée subdivise l’intervalle entre porteurs de la structure primaire en 6 modules de 1,25 m. Cette trame se propage sur la totalité des plateaux pour servir de support à l’organisation interne. Les noyaux centraux sont les seuls points durs de la composition. L’escalier à double croisée est par ailleurs un élément remarquable de l’organisation : il facilite la gestion des flux en gommant la coupure entre plateaux ; l’espace de circulation verticale devient attractif.
Dans la même logique, les circulations horizontales sont largement dimensionnées. Ce concept d’origine a pour fonction de faciliter les liaisons et les échanges entre les utilisateurs. Les espaces de travail et de recherche sont clairement isolés en périphérie, tandis que les lieux de desserte sont regroupés au centre130.
113« Une prison pour la science » est le sous-titre d’un article signé Michèle Léry, et qui présente la MSH comme une « usine du savoir », avec bibliothèque, salle de projection et centre de calcul. L’article est illustré d’une photographie de la maquette de la future MSH, avec deux immeubles, l’un de 3 étages et l’autre de 9, réunis par une troisième construction. La journaliste souligne le caractère « très moderne » de l’architecture : murs d’acier et de verre entièrement transparents, air conditionné perfectionné qui maintiendra une « atmosphère agréable à l’intérieur ». Elle parle aussi d’une installation sanitaire avec douches, d’un parking de 75 places et de jardins qui achèveront de donner à l’ensemble un « confort exceptionnel ». Il s’agit donc, conclut-elle, de quelque chose d’« unique en Europe » qui servira de « point de rencontre aux savants du monde entier », offrant aux chercheurs les outils de travail « les plus modernes et les plus efficaces ». « Le premier coup de truelle est pour bientôt, annonce-t-elle, et les travaux vont durer, prévoit-on, 24 mois131. »
114Un autre article, très court, paraît en septembre dans le Figaro, avec une grande photographie de l’enceinte de la prison du Cherche-Midi (où, précise-t-on, « séjournèrent tant d’otages promis à un destin tragique »). Le texte s’intitule « La Maison des sciences de l’homme remplace la prison » et annonce que le projet de construction de la MSH, qui est « au moins théorique depuis plusieurs années », va donc se réaliser prochainement et ainsi « rendre concrète une idée chère » à Gaston Berger, qu’on présente comme philosophe et ancien directeur de l’Enseignement supérieur (Le Figaro, 16 septembre 1966 : 26).
115Les travaux de construction débutent en novembre 1966 et, la durée des travaux étant estimée à 28 mois, on prévoit l’achèvement du bâtiment en mars ou avril 1969. Quelques mois plus tard, fin février 1967, les membres du conseil d’administration font une première visite du chantier, suivie d’un déjeuner à l’hôtel Lutetia. Le coulage des fondations se fait en mai, puis les mois suivants c’est l’« exécution béton » du 2e et 1er sous-sol. Enfin, en octobre, débute l’« exécution ossature métallique » pour le petit bâtiment.
116Cependant, même si l’« intention » du ministre de l’Éducation nationale est que « l’immeuble tout entier soit réservé à la Maison des sciences de l’homme132 », il n’y a toujours pas d’entente définitive entre les deux ministères à propos de la répartition des espaces133, si ce n’est le protocole du 7 janvier 1966 qui prévoit : en étages et en sous-sols, 11 261 m2 pour le ministère de l’Éducation nationale et 8 665 m2 pour le ministère de la Justice, auxquels il faut ajouter 1 285 m2 pour la circulation et les locaux techniques134. Or si un tel protocole était appliqué, il ne pourrait, s’insurge Braudel exaspéré, y avoir de MSH car « l’ensemble du bâtiment ne suffi[rait] pas à répondre aux besoins exprimés par les centres de recherche et par les services techniques à créer ». Il y a bien eu, rappelle-t-il, un « accord oral » entre les deux ministères, le ministère de la Justice renonçant alors à bénéficier d’espaces dans l’immeuble en construction mais « contre compensation »135.
Jean Viet (1920-1987)
Né à Auray en Bretagne, Jean Viet obtient une licence en philosophie à la Sorbonne, mais, à la suite d’un accident de santé, ne se présente pas au concours de l’agrégation. Jeune marié, il part pendant la guerre, en 1943, pour l’Espagne et s’installe à Madrid où il enseigne pendant deux ans au lycée français de Madrid. Puis en 1945, il revient en France où il reprend pendant quelques années le commerce de son père avant de se lancer dans la traduction d’une douzaine d’ouvrages en espagnol, dont ceux de García Lorca et de Camilo José Cela. Jean Viet se tourne ensuite vers la documentation pour collaborer à partir de 1951 à un groupe qui deviendra le Comité international pour l’information et la documentation en sciences sociales (CIDSS) ; il compile alors ses premières bibliographies internationales : d’abord la sociologie, ensuite la science politique et l’économie (Meyriat 1988 : 5-10). Son grand projet est la rédaction, avec l’aide de l’UNESCO, d’une bibliographie internationale des sciences sociales.
Par ailleurs, Viet s’intéresse aux méthodes structuralistes en sciences sociales, auxquelles il consacre en 1965 sa thèse de 3e cycle qu’il publie sous le titre Les méthodes structuralistes dans les sciences sociales (Viet 1965). Jusqu’en 1971, il se voit aussi confier à l’Institut d’études politiques une série de conférences sur des questions politiques et sociales. Ses talents seront aussi utilisés par les Nations unies, l’UNESCO et le Conseil de l’Europe. Viet publiera de nombreux rapports et articles ; il voyagera beaucoup, principalement à New York mais aussi en Amérique latine, notamment au Brésil où il partira régulièrement en mission.
Premiers grands programmes de documentation et de recherche. Le centre de calcul
117Malgré l’incertitude persistante, les démarches se poursuivent, les initiatives se multiplient et des décisions se prennent : élaboration du budget pour l’exercice 1967 qui est de l’ordre de 3 290 000 francs, élargissement du conseil d’administration avec la nomination de six membres rattachés à des institutions de province136, réunions sur la répartition des tâches entre les divers centres de documentation137, développement de premiers grands programmes, l’un dans le domaine de la documentation-bibliographie et l’autre en sociologie de l’administration publique.
118La mise en place du premier programme coïncide avec la nomination de Jean Viet comme directeur du SEIS.
119Devenu bibliographe professionnel et déjà connu dans les milieux internationaux, Viet se voit donc offrir en 1964 la direction du nouveau SEIS ; conscient de l’importance centrale d’une indexation rigoureuse dans le domaine de la bibliographie-documentation en sciences sociales, il entend élaborer un langage documentaire approprié pour indexer les très nombreux documents produits par les grandes organisations internationales, dont l’OCDE. Ce qui va le conduire à publier de véritables thesaurus documentaires, qui permettent le traitement de l’information : un premier en sociologie, un second dans le domaine du développement économique et social (qui paraîtra en six langues), d’autres en éducation, en communication de masse ou pour le développement culturel et qui vont le conduire à la mise à jour permanente d’un Macrothesaurus (Viet 1971, Viet 1985 : 31-38).
120Sous la direction de Jean Viet, le SEIS. se donne quatre priorités : 1) analyse de la littérature courante, 2) inventaires, 3) périodiques spécialisés et 4) analyse documentaire approfondie (tendances et organisation de la recherche selon les disciplines, méthodes et techniques de recherche et analyse conceptuelle). Les réalisations sont nombreuses et diverses : préparation de bibliographies spécialisées pour la revue Information sur les sciences sociales, inventaire des unités de recherche en sciences humaines et sociales en France, enquête auprès des chercheurs français en sciences humaines et sociales138, repérage de tous les périodiques scientifiques dans les sciences de l’homme139, enfin l’état des lieux de la recherche dans diverses disciplines (d’abord la psychologie sociale et la démographie, maintenant la sociologie) (Viet et Tabah 1966) et la mise au point d’une étude sur un concept fort controversé, celui d’aliénation (Papon 1967), l’accumulation de telles études ou notices sur des concepts pouvant conduire, espère-t-on, à la publication d’un « véritable » dictionnaire des sciences sociales et humaines.
121Sous la direction d’Alain Darbel, le deuxième grand programme de recherche porte sur l’administration publique et comprend sept projets qui sont les suivants : 1) Le comportement des fonctionnaires comme révélateur des structures profondes de l’administration (Alain Darbel), 2) Haute administration, haute société et grandes écoles (Pierre Bourdieu), 3) La production et la circulation de l’information économique comme révélateur de la signification des divisions institutionnelles à l’intérieur de l’administration centrale (Jacques Lautman), 4) Information, prévision et décision. Une étude de cas, 5) Les facteurs structurels dans la résistance au changement dans les administrations centrales (Michel Crozier), 6) Le rôle de l’administration dans la formation des politiques sociales (Alain Touraine) et 7) L’innovation dans les processus de décision administrative : l’exemple des décrets de réforme administrative de mars 1964 (Michel Crozier). Les différentes enquêtes sont réalisées dans trois centres : le Centre de sociologie industrielle, le Centre européen de sociologie et le Centre de sociologie des organisations. Le budget de ce programme est de l’ordre de 757 070 francs.
Alain Darbel (1932-1975)
Statisticien formé à l’École nationale de la statistique et des études économiques, Alain Darbel découvre la sociologie en Algérie après son service militaire grâce à sa nomination à la Statistique de l’Algérie qu’il doit à Pierre Bourdieu. Une collaboration féconde s’ensuit : Travail et travailleurs en Algérie, Les héritiers, L’Amour de l’art. De retour en France en 1962, il obtient un poste à mi-temps au Centre de sociologie européenne. De 1969 à 1972, il occupe le poste de chef du département « méthodes et sondages » dans le service des études statistiques du ministère de l’Éducation nationale, puis revient en 1972 à l’INSEE. « Sa carrière administrative l’avait conduit en 1963 à travailler auprès d’un grand administrateur […] qui fut, en partie grâce à lui, un commanditaire éclairé de la recherche sociologique et un protecteur de la Maison des sciences de l’homme naissante, Raymond Martinet, alors directeur du budget » (Lautman 1975 : 419-420).
122Tout comme la constitution de bibliographies, la réalisation de ces enquêtes exige le recours à de nouvelles technologies et aussi l’engagement d’un personnel de spécialistes. On prévoit pour le 1er octobre 1967 la création de sept nouveaux postes dont quatre pour le centre de calcul. L’installation de ce centre (qui est prévue dans le 5e plan) va se faire en collaboration avec le CNRS140.
123Fin 1967, la MSH se retrouve avec plus de 65 postes : 7 à l’administration, 25 à la bibliothèque, 11 au service d’échange d’informations scientifiques, 20 au centre de calcul et 3 à la MSH de Bordeaux. Il faut, pour améliorer son fonctionnement, repenser l’organisation de la bibliothèque-documentation, dont les activités sont « croissantes » : plus de 15 000 ouvrages venant d’achats et de dons en 1967, commande annuelle de plus de 3 000 ouvrages par exemple141. Le service est dorénavant divisé en quatre sections distinctes : acquisition, références bibliographiques, périodiques et service technique (prêts auprès des centres, reliure, reproduction). On se félicite du nouvel équipement qui rend de « nombreux services » : une Rotaprint R. 40, une Gestetner et une assembleuse-relieuse Multiplex.
124L’installation de la MSH dans le bâtiment du Cherche-Midi/Raspail est toujours prévue pour le 2e trimestre 1969, espère-t-on. Une telle « perspective proche » oblige à penser aux dépenses de fonctionnement et d’exploitation du bâtiment : frais d’entretien, consommation d’eau, électricité, téléphone, etc. Et il faut prévoir des frais de chauffage dès l’automne 1968 (ibid. : 4).
Une « opération courageuse et rationnelle »
125La sélection des centres est toujours en discussion. La difficulté du projet initial est, reconnaît-on, de vouloir réunir dans un même bâtiment des centres appartenant à différentes disciplines de sciences humaines. Or parmi les demandes reçues, toutes les disciplines ne sont pas représentées. N’y aurait-il pas intérêt à « opérer une sélection en fonction de disciplines qui seraient jugées prioritaires » ? Mais quels pourraient être les critères de sélection, si ce n’est l’efficacité et le niveau de travail ?, se demande-t-on142.
126À sa réunion de décembre 1967, le conseil va, après un long examen du document « Regroupement des centres de recherche à la MSH143 » que présente Fernand Braudel, procéder à une première « élimination » de centres sur la base de l’examen d’un premier critère, à savoir l’ouverture des activités aux différentes disciplines. Se retrouvent en position « prioritaire » des centres tels le Centre de mathématiques sociales et de statistique, le Laboratoire de cartographie et les centres de documentation des aires culturelles. Quant à d’autres, assez nombreux, ils sont, sans commentaires, écartés : le centre de sociologie de la littérature144, le laboratoire de sociologie de la connaissance, le centre des objets de civilisation, le centre de psychiatrie sociale, le centre de recherche en psychologie comparative, le centre interfacultés de recherche et d’aménagement de Paris, la commission internationale d’histoire, le groupe de recherche sur l’évolution des prix, le conseil international des sciences sociales. Il en est de même, mais sous réserve d’informations complémentaires, pour le laboratoire de psychologie du travail, le centre d’études des relations entre groupes ethniques et le centre d’étude de planification socialiste. Pour ce qui est de la question des surfaces, le conseil demande à Fernand Braudel de rencontrer les responsables des centres pour « examiner les réductions pouvant être apportées […] en fonction des possibilités145 ». Idéalement, le conseil devrait tenter de classer les demandes par ordre de priorité même s’il peut y avoir « difficulté à prendre une décision dans chaque cas ». Il faut aussi penser à « donner aux centres retenus des moyens de travail décents ».
127Un examen plus attentif du projet d’installation des centres doit se faire à la réunion du bureau du conseil d’administration du 20 mars 1968. Entre-temps, on apprend la (bonne) nouvelle, si longtemps attendue, au sujet de l’attribution à la Maison de l’ensemble du bâtiment : le ministère de l’Éducation nationale vient en effet d’« obtenir toutes les assurances à ce sujet et pourra régler officiellement cette situation avec le ministère de la Justice à la fin de cette année à l’occasion du regroupement des services du ministère dans les bâtiments de l’OCDE ». Les membres du conseil se montrent plus que satisfaits : voilà une « décision raisonnable146 » !
128C’est donc avec enthousiasme que les membres du conseil examinent, lors de la séance du 9 mars, les propositions budgétaires pour l’année suivante, à savoir l’exercice 1969147. Ce sera, espère-t-on, « l’année d’ouverture de la MSH ». Signe que les choses se consolident, Clemens Heller se voit nommé administrateur adjoint. Braudel reconnaît qu’« Heller assure auprès de [lui] depuis le début des fonctions de conseiller technique, plus particulièrement dans les domaines de la documentation et des relations avec les organismes internationaux et les organismes étrangers ». C’est donc « une situation de fait », et l’on garde la même division du travail au sein de l’équipe administrative, Charles Morazé continuant de s’occuper principalement des problèmes administratifs généraux et, en liaison avec le secrétaire général Jean Barin, des questions relatives au centre de calcul et des relations avec les organismes français.
129La séance du bureau du conseil d’administration du 20 mars 1968, qui se tient maintenant au 131 boulevard Saint-Michel, est entièrement consacrée à l’examen du projet d’installation des centres de recherche. Fernand Braudel ouvre la discussion en rappelant qu’« un éventail des différentes disciplines figure dans ce projet afin d’assurer à la Maison son caractère interdisciplinaire ». Il tient à dire qu’il a présidé à ce travail « avec un souci d’objectivité et d’équité ». Une tâche d’autant plus difficile, observe pour sa part Jacques Chapsal, que « les demandes étaient nombreuses et présentaient toutes un intérêt certain. C’est une opération courageuse et rationnelle qui a été menée à bien, avec la volonté, conformément aux vœux du comité, d’installer de grandes unités plutôt qu’une multitude de petits centres148 ».
130Lorsque Charles Morazé présente la demande du Centre d’études sociologiques qui veut obtenir une surface plus importante pour ses activités bibliothèque-documentation, c’est l’étonnement, car le CES n’a jamais jusqu’à cette date fait une telle demande. Par ailleurs, on craint de donner « une trop grande importance à la sociologie », ce qui déséquilibrerait l’ensemble du projet. Pour sa part, Braudel regrette qu’« aucune place n’ait été réservée à l’économie dont la présence lui semble importante ». La seule solution qui s’impose est la réduction des surfaces prévues pour la sociologie (100 m2 pour le Laboratoire de sociologie industrielle et la même chose pour celui de sociologie européenne) et pour l’histoire (100 m2 pour le Centre de recherches historiques). Une décision qui permet de libérer de l’espace pour des centres économiques qu’il faudra désigner ultérieurement.
131La proposition que présente Braudel est finalement la suivante :
- D’abord des surfaces plus grandes pour les centres dont les services sont ouverts aux autres disciplines, comme le Centre de mathématiques sociales et de statistique dirigé par Georges Guilbaud et Marc Barbut, qui se verrait octroyer 325 m2 ; le Centre de cartographie dirigé par Jacques Bertin, 430 m2 ; les centres de documentation des diverses aires culturelles : 960 m2 répartis entre les aires URSS et pays slaves (Alexandre Bennigsen et Georges Haupt, 310 m2), Extrême-Orient (Jacques Guillermaz, 210 m2) et Afrique noire (440 m2)149.
- Ensuite viennent les diverses disciplines. La sociologie se voit attribuer la plus grande surface (1 400 m2) : sociologie industrielle (Alain Touraine, 430 m2), communication de masse (Georges Friedmann et Roland Barthes, 120 m2), sociologie européenne (Raymond Aron, 420 m2), sociologie des organisations (Michel Crozier, 310 m2) et Centre d’études sociologiques (120 m2). Vient ensuite la psychologie avec 600 m2 : Laboratoire de psychologie (François Bresson, 350 m2), Centre d’études psychosociologiques (Serge Moscovici, 250 m2). Pour chacune des deux autres disciplines, les sciences politiques et l’histoire, un seul centre est sélectionné : le Centre d’étude des relations internationales dont les directeurs sont Jean-Baptiste Duroselle et Jean Meyriat (surface non spécifiée) et le Centre de recherches historiques (Fernand Braudel et Emmanuel Le Roy Ladurie, 230 m2). Une surface de 300 m2 est mise « en réserve » pour l’économie.
132Quant à la surface attribuée aux comités et commissions, relativement petite (185 m2), elle est répartie entre le Comité international pour la documentation en sciences humaines (Jean Meyriat, 110 m2) et la Commission nationale d’étude des relations interethniques (Georges Fischer, 75 m2).
133On garde en réserve 170 m2 pour cinq bureaux aux 2e et 3e étages, et une salle de travail au 4e.
134Ce qui donne, pour les centres, des espaces d’un peu plus de 5 000 m2 (sur un total, pour la MSH, de 9 945 m2)150.
135On s’en tient donc, comme on le rappellera, au projet initial qui est de « maintenir l’éventail des disciplines, en tenant compte des volumes des différents centres » : seront présentes sur le site du 54 boulevard Raspail la sociologie, la psychologie, les sciences politiques, l’histoire. Mais cette répartition se fait aussi, notera Guy Herzlich, en fonction de l’évolution des méthodes en sciences humaines, en particulier du développement des recherches quantitatives et de l’utilisation des ordinateurs (Herzlich 1970 : 14). Enfin, l’analyse de la sélection (toujours provisoire) par rapport aux demandes permet de voir que les décisions tiennent compte des individus, des disciplines, des spécialités, mais aussi des affiliations institutionnelles : École pratique des hautes études, Fondation nationale des sciences politiques, Sorbonne ou encore CNRS. Parmi les directeurs des centres il y a des chercheurs de générations et de trajectoires différentes, mais, il convient de le noter, aucune femme.
136Aires culturelles, interdisciplinarité, ouverture internationale, place aux nouvelles techniques de collecte de données : tout est rassemblé au 54. Les zones de recouvrement entre la VIe section et la MSH sont nombreuses, à tel point qu’« elles obscurcissent jusque dans les archives la division du travail entre les deux institutions durant de longues années » (Lagrave 1996 : 429). L’essentiel est d’ailleurs dans la concrétisation du projet scientifique de Braudel.
137Quelques jours plus tard, c’est le « 22 mars », un groupe d’étudiants, dont Daniel Cohn-Bendit devient le porte-parole, occupe le 8e étage du bâtiment administratif de l’université de Nanterre. La discussion sur la sélection des centres est interrompue : « Aucune décision ne peut être prise dans la situation actuelle », note-t-on151. On ne reprendra la discussion que huit mois plus tard, fin novembre.
Notes de bas de page
1 « Note sommaire sur la MSH », Annexe à MSH, note d’information, n° 2, 11 avril 1962 : 2.
2 Clemens Heller (pour l’administrateur et par ordre), le 29 août 1961. Association de la Maison des sciences de l’homme.
3 Procès-verbal de la réunion du 25 janvier 1961 de l’assemblée générale de l’association de la Maison des sciences de l’homme (archives FMSH).
4 Compte rendu de la réunion du comité technique du 7 juillet 1960 : 3-4 (archives FMSH).
5 Compte rendu de la réunion du comité technique du 7 juillet 1960 : 1. Dans une note : « Maison des sciences de l’homme. Services généraux » (non datée), sont identifiés, en plus du secrétariat et de la mécanographie, divers services généraux possibles : restaurant ou cantine, faculty club, crèche, centre d’accueil pour chercheurs étrangers, tennis sur le toit, piscine, musée des sciences sociales, cinéma (en raison des « conditions déplorables » de logement de la Cinémathèque).
6 Dans son témoignage, Dominique Schnapper ajoute : « Ses convictions étaient profondes et c’est pourquoi il communiquait aux autres son enthousiasme. Clemens Heller savait mener les hommes, parce qu’il les respectait profondément et qu’il voulait les associer à ses projets innombrables. Ce n’était pas pour lui, pour son intérêt personnel qu’il les utilisait ou même, parfois, les exploitait, mais dans l’intérêt général. Son jugement sur les êtres et sur les projets scientifiques était aussi lucide et clair que ses propos, qui empruntaient volontiers dans un même discours aux trois grandes langues européennes, et pouvaient apparaître obscurs aux esprits superficiels. Clemens pensait juste et son cœur était généreux. Il appartenait aux quelques-uns dont la tête est froide mais le cœur chaud. Il a apporté dans cette maison la culture de la Vienne du début du siècle dernier, la richesse intellectuelle des universités américaines et il y a suscité les échanges entre tous les savants européens. Nous le savons. Mais il y a plus, je voudrais insister sur sa générosité. Comme nous tous, il a pu se tromper sur l’avenir d’un chercheur, être déçu ou surpris par l’évolution de l’un ou de l’autre, constater l’échec de l’un de ses projets, trop nombreux pour pouvoir être tous réalisés. Mais ce qui me paraît admirable, c’est qu’en près d’un demi-siècle de relations directes ou indirectes, je ne l’ai jamais surpris en flagrant délit de médiocrité, d’envie ou de petitesse. » Dominique Schnapper, « Hommage à Clemens Heller », témoignage prononcé à l’occasion de la cérémonie organisée à la mémoire de Clemens Heller, le 27 novembre 2002 à la Maison des sciences de l’homme (archives FMSH).
7 Ibid. : 5.
8 Maison des sciences de l’homme, « Programme pour l’édification d’un bâtiment à l’emplacement de la prison du Cherche-Midi », 6 pages (archives FMSH). Il s’agit d’une copie du programme approuvé le 26 septembre 1960 et signé par P. Carpentier, directeur général de l’Enseignement scolaire et sportif. En note, sont identifiés à titre illustratif les centres selon les disciplines : en sociologie, le Laboratoire de sociologie industrielle (Alain Touraine), le Centre d’études sociologiques (Jean Stoetzel), le CECMAS (Georges Friedmann), le Groupe d’ethnologie sociale (Paul-Henry Chombart de Lauwe) et le Centre de sociologie européenne (Raymond Aron) ; en économie, le Centre de recherches économiques appliquées (François Perroux), le Centre d’études économiques (Pierre Coutin), le Centre Condorcet (Georges Guilbaud) et l’Institut d’études de développement économique et social ; en psychologie, le Centre de recherches et d’études psychanalytiques (Daniel Lagache), le Laboratoire de psychologie sociale (Serge Moscovici), le Laboratoire de psychologie appliquée (Raymond Bonnardel), le Laboratoire de psychologie expérimentale et comparée (Paul Fraisse), le Groupe français d’études de scientométrie (Juliette Favez-Boutonier) et l’Institut d’ethnologie (Claude Lévi-Strauss et André Leroi-Gourhan). Pour ce qui est des « aires culturelles », on cite l’Institut d’études islamiques, le Centre d’études des relativités (Jean Meyriat), le Laboratoire d’anthropologie sociale (Claude Lévi-Strauss) ainsi que plusieurs centres travaillant sur différentes aires (Amérique, Afrique, URSS et pays slaves, l’Arctique, etc). Enfin, en histoire, le Centre de recherches historiques (Fernand Braudel) et en démographie, l’INED que l’on aurait intérêt à incorporer à la MSH mais qui, note-t-on, pourrait « provisoirement rester dans ses locaux actuels » (ibid : 6).
9 Compte rendu de la réunion du comité technique du 6 septembre 1960, p. 2 (archives FMSH). La réunion se tient chez Pierre Lelièvre.
10 Né en 1936, Paul Depondt est un fervent utilisateur du métal dans la construction. Cet attrait résulte d’une formation aux États-Unis à l’Institut de technologie de l’Illinois (1951-1954) où il a suivi des cours de Mies van der Rohe ; il a poursuivi ses études à l’École supérieure de design de l’université Harvard (1955-1956) pour l’obtention d’un master en architecture sous la direction de Josep Lluís Sert, architecte d’origine espagnole, ancien collaborateur de Le Corbusier et successeur de Walter Gropius à la direction de l’École supérieure de design. Il a été, au cabinet de Lods, directeur des études sur les travaux suivants : Collège scientifique universitaire de Mulhouse, cité universitaire de Mulhouse, faculté des sciences de Reims, ensemble d’habitation de Meaux.
11 Compte rendu de la réunion du Comité technique du 6 octobre 1960 : 2 (archives FMSH).
12 Compte rendu de la réunion du comité technique du 8 mai 1961 : 12 (archives FMSH). Paule Braudel est présente.
13 Compte rendu de la réunion du comité technique du 7 novembre 1960 : 1 (archives FMSH).
14 Compte rendu de la réunion du comité technique du 8 mai 1961 : 12 (archives FMSH).
15 Compte rendu de la réunion du comité technique du 6 octobre 1960 : 2 (archives FMSH).
16 Une discussion s’ensuit sur les « méthodes Gardin », qui sont, selon Pierre Lelièvre, « excellentes sur un sujet précis et limité mais qui ne résolvent pas le problème de la documentation en général ». É. Bauer ajoute pour sa part : « Ce qui est important c’est que M. Fussler voie le Centre Gardin même s’il n’est pas convaincu de ses méthodes » (ibid. : 4).
17 Compte rendu de la réunion du comité technique du 7 novembre 1960 : 3 (archives FMSH).
18 Compte rendu de la réunion du comité technique du 30 novembre 1960 : 1 (archives FMSH).
19 Ibid. : 2.
20 Ibid. : 3.
21 Compte rendu de la réunion du comité technique du 7 novembre 1960 : 3 (archives FMSH).
22 Compte rendu de la réunion du comité technique du 18 janvier 1961 : 1 (archives FMSH).
23 René Marzocchi , « Hommage à Clemens Heller (1917-2002) » (archives FMSH) (www.archivesaudiovisuelles.fr/115/textes/t_marzocchi.htm).
24 Le sous-titre de l’article est : « Construite à Paris avec treize ans de retard ».
25 Lettre dactylographiée de Fernand Braudel à Monsieur et Cher Collègue, s. d. (1958) (archives FMSH, centres et institutions hébergés). L’adresse du secrétariat provisoire de la MSH est le 54 rue de Varenne. Pierre Renouvin, doyen de la faculté des lettres, répond à Braudel pour lui faire part des demandes que lui ont adressées des professeurs pour installer leurs centres à la MSH (lettre de Pierre Renouvin à Fernand Braudel, le 28 mars 1958, archives FMSH, centres et institutions hébergés). Pour sa part, Claude Lévi-Strauss, de l’École pratique des hautes études (sciences religieuses), joint une courte note sur l’ethnologie à sa lettre à Braudel : « Cher ami, ci-jointe la note promise. Cordialement » (lettre de Claude Lévi-Strauss à Fernand Braudel, le 2 juin 1958, archives FMSH).
26 Lettre de Dominique Schnapper à G. Frouin, le 11 février 1960. Schnapper répond que l’administrateur (Braudel) considère que le projet ne cadre pas avec les objectifs de la MSH qui sont « uniquement scientifiques (archives FMSH).
27 Lettre de J. Chapsal à Clemens Heller, le 28 janvier 1960. Dans cette lettre qu’Heller transmet à Braudel, Jacques Chapsal, directeur de l’institut d’études politiques, fait part des demandes du directeur adjoint du centre, M. Meyriat : les « besoins réels » sont, pour son centre, de 532 m2 plutôt que de 295 m2 (archives FMSH).
28 Lettre de l’administrateur du Collège de France à Fernand Braudel, le 5 mars 1960. Sachant « que la discipline de Monsieur Lévi-Strauss est de celles qui peuvent normalement prétendre à l’hospitalité de la MSH », l’administrateur du Collège demande à Fernand Braudel (qui est aussi professeur au Collège de France) de « bien vouloir envisager d’accueillir le laboratoire d’anthropologie sociale soit dans le bâtiment dont la construction va commencer, soit dans les locaux de la rue de la Baume lorsqu’ils se trouveront libérés par la mise en service du bâtiment » (archives FMSH).
29 Procès-verbal de la séance du 11 mars 1960 du conseil d’administration de la MSH.
30 Né à Sorgues (Vaucluse), Jean Roche (1901-1992) est docteur en médecine, docteur ès sciences et pharmacien. Il entreprend sa carrière universitaire comme professeur à la faculté de médecine de Marseille, est élu en 1947 professeur au Collège de France, devient recteur de l’académie de Paris de 1961 à 1969, est élu à l’Académie nationale de médecine en 1954, puis devient membre de l’Académie des sciences en 1963.
31 Robert Escarpit rédige la notice nécrologique pour Le Monde : « M. Gaston Berger, ancien directeur de l’enseignement supérieur, trouve la mort dans un accident d’automobile » (Le Monde, 15 novembre 1960). Voir Morot-Sir 1961, un recueil d’articles de G. Berger publié à titre posthume, avec une introduction d’Édouard Morot-Sir.
32 Le vrai nom de Maurice Béjart est Maurice-Jean Berger, né à Marseille le 1er janvier 1927. Voir Béjart et Berger 1991.
33 Procès-verbal de la réunion du 25 janvier 1961 de l’assemblée générale de la MSH (archives FMSH).
34 Ibid.
35 Source Maison des sciences de l’homme, « budget 1960-1961 », s. d. (archives FMSH).
36 Source Maison des sciences de l’homme, « état des subventions 1960-1965 » (1965) (archives FMSH).
37 Procès-verbal de la réunion du 22 mars 1961 de l’assemblée générale de l’association de la Maison des sciences de l’homme, s. d. (archives FMSH).
38 Compte rendu de la réunion du 22 novembre 1961 du conseil d’administration de l’association de la Maison des sciences de l’homme (archives FMSH).
39 Compte rendu de la réunion du 22 novembre 1961 du conseil d’administration de l’association de la Maison des sciences de l’homme (archives FMSH).
40 « Rapport succinct sur l’utilisation des fonds versés par la Fondation Ford de 1960 à 1963 à la MSH », 9 janvier 1964 (archives FMSH).
41 Il y a d’abord les études qui, réalisées en collaboration avec la direction générale des Bibliothèques de France, portent sur la description des stocks et du matériel dans les principaux centres de recherches en sciences sociales. M. de Grolier, directeur du Centre français d’échange et de documentation technique de Milan, prépare un rapport général sur la documentation en sciences humaines. L’on procède aussi, pour la conception d’un système linguistique pour l’analyse et la recherche automatique des informations en sciences humaines, à l’étude des équipements automatiques spéciaux et à de premières expérimentations : l’une sur ordinateur visant à juger de la validité du langage proposé aux chercheurs et portant sur 5 000 documents extraits des Psychological Abstracts et des Sociological Abstracts de l’année 1960 ; une autre, pilote, sur la codification et le traitement mécanique des bibliographies internationales en sciences sociales.
42 Diplomate et militaire de carrière, Jacques Guillermaz (1911-1998) crée en 1958 le Centre de recherche et de documentation sur la Chine contemporaine ; il publie la même année un « Que sais-je ? » sur La Chine populaire, pour ensuite écrire une Histoire du parti communiste chinois (1968).
43 Les deux premiers thèmes retenus sont les suivants : critères de choix de fabrication d’un même produit ; insertion du rôle de l’État dans les modèles économiques. Le budget prévu pour ces projets pour l’année budgétaire 1960-1961 est de 20 000 francs et de 54 066 francs.
44 Le comité scientifique de l’Institut d’ethnopsychopathologie est composé de : M. Hampatê Bâ, directeur de l’Institut de recherche scientifique de Bamako, Georges Balandier, Henri Collomb, chargé de cours de neurologie psychiatrique à Dakar et fondateur d’une grande école d’ethno-psychiatrie, Solange Faladé, psychanalyste béninoise attachée de recherche de sociologie au CNRS, Jacques Lacan, Daniel Lagache, Claude Lévi-Strauss, Denise Paulme, Jean Stoetzel. Voir Faladé 1964 : 603-620.
45 Procès-verbal de la réunion du 17 février 1962 de l’assemblée générale de l’association de la Maison des sciences de l’homme.
46 Procès-verbal de la séance du 29 juin 1962 du conseil d’administration de l’association de la Maison des sciences de l’homme. Né en 1929, Ernest-Raymond Chevalier, élève à l’ENS (1950-1954), agrégé de lettres (1953), diplômé de l’École pratique des hautes études (1956), rédige une thèse sur le centurion et les problèmes de la colonisation romaine en Cispadane, sous la direction de Jacques Heurgon. Professeur de lycée (1955-1956), puis chargé de cours en histoire ancienne à l’ENS (1959-1962), il devient chargé de conférence à l’EPHE en 1961 ; membre de l’Association internationale d’archéologie classique, il est associé au projet de création d’un Centre français de photo-interprétation archéologique à l’École pratique et sa collaboration est envisagée avec le laboratoire de cartographie de l’École pratique des hautes études.
47 Procès-verbal de la réunion du 17 février 1962 de l’assemblée générale de l’association de la Maison des sciences de l’homme (archives FMSH).
48 Procès-verbal de la réunion du 17 février 1962 de l’assemblée générale de l’association de la Maison des sciences de l’homme (archives FMSH).
49 « Problèmes méritant un examen et un appel en vue de l’édification d’une bibliothèque », s. d., 2 pages (archives FMSH).
50 Ibid. Voir aussi la lettre de Jean Bleton à Clemens Heller, Paris, le 13 décembre 1961 (archives FMSH). À sa lettre, Bleton joint une liste d’une dizaine de bibliothécaires américains spécialisés dans la construction et l’aménagement de bibliothèques.
51 Il s’agit du compte rendu de la réunion qui se tient le 17 mars 1962 à l’International Hotel à Idlewild et à laquelle participent les membres de la délégation française ainsi que les deux organisateurs du séjour aux États-Unis (Marcel Lods, « Rapport sur la réunion du 17 mars 1962 à l’International Hotel d’Idlewild, 23 mars 1962 », 11 pages, archives FMSH).
52 Fernand Braudel, « Ordre de mission », 5 février 1962 (archives FMSH).
53 Lettre de Fernand Braudel à S. Stone, 9 avril 1962 (archives FMSH).
54 Lettre de Fernand Braudel à H.H. Fussler, 6 avril 1962 (archives FMSH).
55 Isac Chiva, « Note pour l’aménagement de l’espace « sociologie » de la MSH » et « Note pour l’aménagement en sous-sol de la MSH », 4 juillet 1962. Ces notes sont adressées à F. (Fernand) B. (Braudel) (archives FMSH).
56 Journal officiel du 5 janvier 1963.
57 Sont absents Gabriel Le Bras et Jean Sarrailh.
58 Ancien élève de l’École nationale d’administration, Georges Amestoy est inspecteur général de l’administration de l’Éducation nationale. Il publie en 1968 Les universités françaises.
59 Docteur et agrégé de droit, Georges Vedel (1910-2002) est professeur de droit public ; auteur d’un Manuel de droit constitutionnel, il vient d’être nommé doyen de la faculté de droit et de sciences économiques de Paris.
60 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 19 janvier 1963 (archives FMSH).
61 Sur le budget 1964, les dépenses suivantes sont prévues : 600 000 francs pour l’achat de 10 000 ouvrages, 250 000 francs pour l’équipement de la bibliothèque-documentation (machines à écrire, ronéo, rayonnage, mobilier) et 40 000 francs pour le centre de calcul.
En 1964, la bibliothèque commande 4 573 volumes, en plus des abonnements aux périodiques. Figurent des ouvrages de référence d’un prix fort élevé : catalogues du British Museum, de la School of Oriental and African Studies de Londres, de la Library of Congress de Washington. Enfin, aux 260 périodiques de la bibliothèque centrale reçus en 1963, viennent s’ajouter 150 abonnements nouveaux, soit un total de 410, dont la moitié sont des périodiques en langue française et les autres, des périodiques anglo-américains (25 %), allemands (10 %) et autres (15 %).
62 Réunion du conseil d’administration de la MSH du 23 mars 1963. À la bibliothèque, le personnel comprend alors : un directeur, un bibliothécaire, six collaborateurs techniques de 2e catégorie, deux collaborateurs techniques de 1re catégorie. Les prévisions budgétaires de 1964 impliquent les demandes suivantes : un conservateur, trois bibliothécaires (banque de prêt), huit sous-bibliothécaires (catalogage, périodiques, bibliographie, prêt et reliure), huit dactylos (pour la reproduction des fiches, environ cinq par ouvrage) et six autres employés (manipulation des ouvrages, estampillage…). L’« ordre d’urgence » ou la priorité est la suivante : conservateur, dactylos.
63 En plus du chef de service, le personnel comprend en 1964 : 4 analystes, 1 programmeur, 2 bibliographes et 4 secrétaires. Sans oublier des collaborateurs techniques payés sur vacations. Les premiers travaux sont de deux ordres : 1) les uns concernent les méthodes modernes de documentation et d’information en sciences sociales, ce qui se fait en collaboration avec le CNRS, et implique l’utilisation d’un système général de documentation, le SYNTOL ; 2) les autres concernent l’emploi des machines électroniques pour la recherche en sciences sociales.
64 Ce nouveau personnel doit comprendre : 1 attaché d’administration académique (administration et gestion du personnel, contentieux), 1 secrétaire d’intendance (comptabilité), 1 commis d’administration académique (service de courrier, inventaire) et 1 sténodactylo (secrétariat). Voir « Projet de budget 1964 » présenté lors de la réunion du conseil d’administration du 23 mars 1963.
65 Jean Barin, « Hommage à Clemens Heller », 2002. (http://www.archivesaudiovisuelles.fr/115/textes/t_barin.htm)
66 Entreprise l’année précédente, cette étude est menée en collaboration avec le Centre d’études sociologiques (directeur : Jean Stoetzel) et le Centre de sociologie européenne (directeur : Raymond Aron).
67 Fondation de la Maison des sciences de l’homme, « Exécution du budget pour l’exercice 1963 », annexe au rapport d’activité 1963 (archives FMSH).
68 Les surfaces de l’immeuble se divisent en deux parties : d’un côté, la MSH avec des espaces en étage et en sous-sol pour les services dits généraux (3 440 m2), les centres de recherche (7 040 m2) et divers services dits spécialisés (1 760 m2), pour un total de 12 340 m2 ; de l’autre, le ministère de la Justice, avec des espaces en étage (4 350 m2). À cela, s’ajoutent les espaces communs en sous-sol : installations techniques (310 m2), parking (3 700 m2). Pour un total de 20 600 m2 (rapports d’activité pour l’année 1964, archives FMSH).
69 Archives FMSH.
70 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 7 mars 1964 (archives FMSH).
71 Il y a alors un renouvellement des membres du conseil d’administration, que ce soit à la suite de démissions ou de décès : décès en août 1964 d’André Aymard, doyen de la faculté des lettres et des sciences humaines de Paris, qui sera remplacé par Marcel Durry ; décès du recteur Jean Sarrailh, cooptation de Jean Babin, recteur de l’académie de Bordeaux ; Étienne Dennery remplace en septembre 1964 Julien Cain en tant que directeur général des bibliothèques de France. Cain reste membre au titre de membre fondateur.
Par ailleurs la modification des statuts des 7 mars et 23 mai entraîne une augmentation du nombre de membres, qui passent de 18 à 24. De plus, pour répondre au Comité de décentralisation qui souhaite que « la vocation de la Fondation soit élargie de manière à ce que ses activités ne soient pas limitées à la seule région parisienne », on favorise l’entrée au conseil d’administration de membres représentant les facultés de province. Viendront se joindre au conseil : Bernard Guyon, doyen de la faculté des lettres et sciences humaines d’Aix-en-Provence, Paul Imbs, recteur de l’académie de Nancy, Joseph Lajugie, doyen de la faculté de droit et sciences économiques de Bordeaux, Pierre Léon, professeur de la faculté des lettres et sciences humaines de Lyon, Louis Papy, doyen de la faculté des lettres et sciences humaines de Bordeaux, Alex Weill, doyen de la faculté de droit et de sciences économiques de Strasbourg.
72 Ibid.
73 Lettre de Jacques Chapsal à Fernand Braudel, le 2 juin 1964 (archives FMSH). J. Chapsal s’étonne que sur la liste remise récemment au Comité de décentralisation de la région parisienne et qui comprend une cinquantaine de centres, ne figure aucun centre de la Fondation nationale des sciences politiques, alors même qu’en mai 1960 le conseil avait retenu les quatre demandes émanant d’elle : le Comité international pour la documentation des sciences sociales, l’Association française de science politique, l’Association internationale de science politique et le Centre d’études des relations internationales. « Il m’est naturellement impossible d’accepter une telle omission, tant comme administrateur de la Fondation nationale des sciences politiques que comme membre fondateur de la Maison des sciences de l’homme. Le respect des règles de droit et des engagements antérieurs est notre commune sauvegarde […]. » Parmi les règles de droit, Chapsal rappelle à Braudel celle qui est inscrite dans les statuts mêmes de la MSH (art. 10) et selon laquelle c’est le conseil d’administration qui choisit les centres, détermine l’importance des locaux à attribuer à chacun et décide de leur exclusion.
74 Source : annexe au compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 19 juin 1964 (archives FMSH).
75 Pierre Bourdieu : Curriculum Vitae (candidature à un emploi de directeur d’études non cumulant), 2 p., s. d. (1963) (archives EHESS).
76 Lettre de Raymond Aron à Fernand Braudel, Paris, le 6 décembre 1963. Aron s’adresse à Braudel en disant « Mon Cher Président et Ami » (archives EHESS). Aron consacre une série de ses leçons à la Sorbonne au thème « Paix et Guerre entre les nations » qui conduit en 1962 à la publication d’un article, dont Braudel fait un compte rendu élogieux, voir Braudel 1963 : 119-132.
77 Lettre de Pierre Bourdieu à Cher Ami (Clemens Heller), Paris, le 24 avril 1967 (dossier : Centre européen, archives EHESS). Le Centre de sociologie européenne dépose aussi le projet de « création dans le cadre de la Maison des sciences de l’homme d’un Centre de documentation concernant les problèmes de sociologie et d’économie de la culture » (s. d., 2 p., dossier : Centre européen, archives EHESS). Ce document est probablement rédigé par Luc Boltanski, qui s’occupe alors de cette question (voir la lettre de Pierre Bourdieu à Cher Ami (Clemens Heller), 14 mars 1967, dossier : Centre européen, archives EHESS). L’objectif est de « rassembler et de systématiser les résultats (d’enquêtes) dispersés dans des organismes de recherche officiels ou semi-publics (INSEE, CREDOC, IFOP), dans des organismes d’enquêtes privés (SEMA, etc.) et aussi dans des services de recherche des administrations ». Le Centre devrait de plus comporter une cartothèque et un fichier de documentation sur les problèmes de sociologie de la culture.
78 Lettre de Pierre Bourdieu à Cher Clemens (Heller), Chère Marie-Louise (Dufour), s. d. (dossier : Centre européen, archives EHESS). S’agissant de la publication du Métier de sociologue en poche, Bourdieu ajoute : « Je vous prie de faire très vite de façon à donner le plus tôt possible la réponse à Maspero ».
79 « Le Centre européen », sans date (archives EHESS). Le projet original est celui d’un Centre européen (d’études et de recherches) dont l’originalité serait « son caractère doublement européen : non seulement il s’appliquerait à étudier l’Europe […] mais il serait européen en ses activités et par la composition de ses équipes de travail ». Les enquêtes devaient être comparatives, comme on peut le voir dans les projets d’enquête que présentent les responsables : étude de la conscience européenne dans différents pays européens, étude comparative d’institutions et en priorité l’université, étude de milieux sociaux (ou classes sociales). Ce nouveau centre comprend deux sections dont l’une se consacre à des tâches d’organisation, des synthèses d’études et des rassemblements de données en vue d’un approfondissement de la culture, et l’autre à des problèmes qui relèvent spécifiquement de la sociologie. Cette section deviendra le Centre de sociologie européenne. Dans le comité scientifique, on retrouve, en plus de Raymond Aron, Thomas B. Bottomore de la London School of Economics, Ralf Dahrendorf de l’université de Tübingen, Michel Crozier du CNRS et Éric de Dampierre de l’EPHE. Le programme de recherche du Centre porte sur cinq thèmes : 1) étude comparée des administrations et systèmes politiques, 2) les classes intellectuelles en Europe, 3) analyse des conflits considérés comme phénomène caractéristique des sociétés industrielles, 4) enquête sur le transfert d’institutions européennes dans les pays anciennement colonisés et 5) les attitudes européennes à l’égard des guerres entre puissances impériales et nationalistes revendiquant l’indépendance. Voir Aron et Bourdieu 1962 : 325-328.
80 Éric de Dampierre (1928-1998) est licencié ès lettres, licencié en droit et diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris. Après avoir effectué son service militaire, il part aux États-Unis poursuivre ses études à l’université de Chicago pendant deux ans, de 1950 à 1952. À son retour, il se voit confier, aux Éditions Plon, le rôle de directeur de la collection « Recherches en sciences humaines ». En 1954, l’ORSTOM lui propose une enquête sur les causes de la dénatalité chez les Nzakara de République centrafricaine. Il part effectuer une première campagne en Afrique, et va dès lors consacrer ses recherches à l’étude de la civilisation nzakara-zandé. En 1965, il est nommé professeur à l’université de Paris X ; il crée le Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative (CNRS) qu’il dirige jusqu’en 1980. Voir Chemillier 1998 : 205-214.
81 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 7 mars 1964 (archives FMSH).
82 Lettre de Marcel Bataillon au président du Comité de décentralisation, 25 juin 1964 (archives FMSH). Les centres identifiés sont : ceux dépendant du CNRS, le Centre d’études sociologiques, ceux dépendant du ministère de la Santé publique, ainsi que l’Institut national d’études démographiques.
83 Ibid.
84 Selon les propos de Julien Cain lors de la séance du 19 juin précédent. Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 19 juin 1964 (archives FMSH).
85 Voir le bel hommage que Serge Moscovici rend à Adriana Touraine : « Visages d’Adriana », MSH Informations, no 66, 3e trimestre 1991 : 5-8.
86 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 12 décembre 1964 (archives FMSH).
87 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 13 mars 1965 (archives FMSH, 1963-1979).
88 Fernand Braudel, « Note sur la justification des demandes de créations d’emplois », en date du 22 février 1965 », document en annexe au compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 13 mars 1965 (archives FMSH). Les demandes de postes sont très précises : une dizaine de postes en tout, trois sous-directeurs du labo (le 1er, chargé de la préparation et de la coordination méthodologique des recherches ; le 2e, de la préparation et de l’exploitation statistique ; et le 3e, d’élaborer le contenu sociologique des recherches), des chefs de travaux licenciés pour la participation aux recherches sur le plan technique, en passant par deux analystes et un programmeur.). Pour la mise en œuvre de ce bureau, le crédit supplémentaire demandé est le suivant : 380 250 F.
89 Rapports d’activité pour l’année 1964 (archives FMSH).
90 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 12 décembre 1964 (archives FMSH).
91 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 23 mars 1965 (archives FMSH).
92 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 7 mars 1964 (archives FMSH).
93 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 11 décembre 1965 (archives FMSH).
94 Lettre de Pierre Bourdieu à un destinataire inconnu (Clemens Heller ?), 14 novembre 1965 (archives EHESS). Il s’agit de 5 postes, dont celui de chef de travaux (Jean-Claude Combessie) et de 3 postes de vacataires, dont 2 postes d’adjoints techniques.
95 Lettre de Pierre Bourdieu à « Cher Clemens » (Heller), s. d. (1966), p. 1-2 (archives EHESS).
96 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 11 décembre 1965 (archives FMSH).
97 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 12 février 1966 (archives FMSH).
98 Voir aussi Gardin 1958 : 335-357, Gardin et Garelli 1961 : 837-876, Gardin 1962a : 84-92. Gardin donne une très bonne idée du travail qu’il fait dans les années 1950-1960 dans son texte « Formalisation et simulation des raisonnements », in Revel et Wachtel 1996 : 185-208.
99 Ibid.
100 Ce local comporte une grande salle pouvant servir à la préparation de la bibliothèque : un espace qui est, observe Julien Cain, « remarquablement utilisé (ibid.).
101 Les activités du SEIS sont plus nombreuses que jamais : analyse terminologique et conceptuelle, examen des différents dictionnaires en sciences humaines, répertoire des périodiques spécialisés, 3e édition de la Liste mondiale des périodiques en sciences sociales en collaboration avec l’UNESCO, édition de deux ouvrages complémentaires, l’un pour la psychologie et l’autre pour la philosophie, constitution de la liste descriptive des nouveaux périodiques pour la revue Informations sur les sciences sociales, établissement d’un répertoire des unités de recherche, par voie de questionnaires et en collaboration avec la Direction générale de la recherche scientifique et technique, lancement en 1967 – toujours à la demande de la DGRST – d’une nouvelle enquête, cette fois directement auprès des chercheurs (constitution de 2 000 dossiers) et, en relation avec l’UNESCO et l’OCDE, réunion d’une documentation sur les politiques scientifiques mises en œuvre pour les sciences de l’homme dans différents pays.
102 Le centre de calcul sera l’année suivante transféré dans le 17e arrondissement, au 13 cité de Pusy, dans un ancien garage précédemment occupé par un cabinet d’architecte. Les aménagements permettent un « fonctionnement satisfaisant » des activités du centre.
103 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 11 décembre 1965, p. 3. À cette réunion est renouvelé le mandat des membres du Conseil pour trois ans : président : Jean Roche, vice-présidents : Marcel Bataillon et Gabriel Le Bras, trésorier : Jacques Chapsal, secrétaire : Charles Morazé, administrateur : Fernand Braudel.
104 Compte rendu de la réunion du Conseil d’administration de la MSH du 12 février 1966 : 4 (archives FMSH).
105 Ibid.
106 Jean-Claude Gardin, « Hommage à Clemens Heller (1917-2002) », 2002 (archives FMSH).
107 Germaine Lebel quitte son emploi le 15 novembre 1966 pour se consacrer à l’enseignement dans le cadre de l’EPHE (ibid. : 6).
108 Lettre de Fernand Braudel à Clemens Heller, le 15 octobre 1966 (archives FMSH). Le détachement de M. Bayle doit d’abord se faire en janvier, mais début avril, ça n’a pas encore eu lieu.
109 Sans oublier l’ethnologie comparée, dont la situation est particulière depuis l’installation du Laboratoire d’anthropologie sociale au Collège de France. Le Centre de documentation d’ethnologie comparée dispose d’une salle de 80 m2, avec équipement mobilier complet et une photocopieuse électrostatique à grand débit.
110 MSH, rapport d’activité pour l’année 1966 : 27-28.
111 Par exemple les documents concernant l’histoire de la IIe Internationale : Documents du Bureau socialiste international (4 vol.) par G. Haupt, assisté de Claudie Weill.
112 Il s’agit de la détermination des classifications naturelles des objets en fonction de leurs propriétés. Une convention passée avec la DGRST va permettre en 1967 au centre de calcul de réaliser, sous la direction de son fondateur Bernard Jaulin, ingénieur des Arts et Métiers, l’étude et la programmation des algorithmes de classification.
113 Il y a mise au point de programmes de calculatrices pour faciliter le dépouillement d’archives de l’Académie royale de médecine relatives au climat de la France entre 1788 et 1796 (en collaboration avec Emmanuel Le Roy Ladurie) et à la répartition géographique des maladies à la même époque (en collaboration avec Jean-Pierre Peter). Deux autres études seront entreprises l’année suivante, cette fois-ci par Philippe Richard dans le domaine de l’anthropologie : l’analyse formelle de la parenté et l’étude de la mythologie, visant une mécanisation éventuelle de la manipulation de ces données.
114 En psychologie, il y a deux études : l’étude des modèles stochastiques d’apprentissage (avec Henri Rouanet, Serge Régnier et Philippe Courrège) et celle des variables dites psychologiques (ex. échelle d’attitude) avec Israël-César Lerman. Cette dernière fait l’objet d’un contrat de 18 mois de la DGRST, avec utilisation de l’ordinateur UNIVAC de la faculté d’Orsay.
115 Il s’agit de l’ancien Centre de mathématiques sociales et de statistique (CMSS), fondé en 1962 par Marc Barbut, et qui vient en 1967 d’être transformé en CMS.
116 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 19 juin 1964 (archives FMSH).
117 Ibid.
118 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 12 décembre 1964 (archives FMSH). C’est en début de cette séance que Braudel annonce le décès d’André Aymard que « chacun connaissait et appréciait ». Il sera remplacé au conseil par Marcel Durry, doyen de la faculté des lettres et des sciences humaines. On apporte un autre changement à la composition du conseil avec la nomination de Pierre Monbeig, directeur adjoint du CNRS. Braudel est le premier à s’en réjouir, car cette nomination va permettre de « renforcer les liens entre la Maison et le CNRS ». Il souhaite d’ailleurs que cette liaison, lors d’une éventuelle modification des statuts, « soit officialisée », et que le représentant du CNRS devienne un « membre de droit » (ibid.).
119 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 13 mars 1965 (archives FMSH).
120 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 25 février 1967. Lors de cette réunion, on envisage les services qui pourraient être développés à Bordeaux (centre de calcul et centre de reprographie) ainsi que la possibilité d’y installer deux centres parisiens (centre de cartographie et centre de cartographie de l’Afrique noire).
121 Ibid.
122 Lettre de Richard T. Mosely à Clemens Heller, 27 septembre 1967 (Gemelli 1995 : 244). Mosely est un officiel de la Fondation Ford.
123 Maison des sciences de l’homme, rapport d’activité pour l’année 1966 : 2-3 (archives FMSH). La Fondation Ford avait annoncé, dans une lettre datée du 8 mars 1965, sa décision de suspendre le versement de sa donation.
124 « Informations sur les différentes questions relatives à la construction de la MSH », 30 mars 1965 (archives FMSH). La liste des centres à regrouper comprend : l’INED, le Bureau de sociologie appliquée, le Centre d’études sociologiques, l’Institut de criminologie, le bureau parisien de la BDIC. Il est cependant clair que « le total des besoins excédant les nouvelles possibilités, il conviendra encore de faire un choix ».
125 Il n’y a, au sein du conseil d’administration, aucun consensus sur cette question. Familier du monde des bibliothèques, Julien Cain juge pour sa part plus sage de prendre de nouveau en considération le projet primitif envisagé à Châtenay-Malabry. Dans sa lettre du 25 juin au président du Comité de décentralisation, Braudel dit clairement que la MSH n’entend présenter « aucune demande de construction de locaux complémentaires dans la banlieue de Paris, que ce soit à Châtenay-Malabry ou à Nanterre » (compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 19 juin 1964 (archives FMSH).
126 Cette convention signée en date du 7 janvier 1966 prévoit pour le ministère de la Justice : dans le bâtiment principal, le logement des gardiens, la partie nord du rez-de-chaussée, la partie nord du 4e étage, les 5e, 6e, 7e et 8e étages, ainsi qu’une surface nécessaire à l’installation d’un mess (salle de réception) de 250 personnes en sous-sol (MSH, rapport d’activité pour l’année 1966 : 4, archives FMSH).
127 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 12 février 1966 (archives FMSH).
128 L’acquisition du terrain (dont 320 000 francs pour l’expropriation), propriété de la Banque de France, ainsi que l’indemnité à la société PétroFrance, locataire, avaient fait l’objet d’un arrêté ministériel le 6 mai 1963. Le nouvel arrêté en date du 5 octobre 1966 fait passer la somme due de 570 000 francs à 1 193 750 francs (dont 943 750 pour l’expropriation).
129 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 14 mai 1966. Sont présents Fernand Braudel, Julien Cain, Jacques Chapsal, Pierre Monbeig, Louis Papy (représentant Bordeaux), Pierre Renouvin, Jean Barin, secrétaire général, Clemens Heller, conseiller technique et René Marzocchi, administrateur adjoint et secrétaire de séance. C’est la première fois qu’apparaît le nom de Clemens Heller et qu’on indique son titre de conseiller technique.
130 Commission paritaire d’établissement de la MSH. Projet de protocole. Paris, le 5 mai 2000 (archives FMSH).
131 Michèle Léry, « La Maison des sciences de l’homme », source non identifiée (1966) (archives FMSH). Michèle Léry est rédactrice en chef de La Rpf (Revue pratique du froid).
132 Selon la lettre du directeur des Enseignements supérieurs envoyée le 19 février à Fernand Braudel, compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 12 février 1966 (archives FMSH).
133 Lors de la réunion du 17 décembre 1966, il y a une longue discussion. Jacques Chapsal se dit surpris de voir la surface prévue pour le ministère de la Justice passer de 3 000 à 6 000 m2, avec en plus un logement de gardien et un mess (salle de réception) de 150 personnes. Braudel estime qu’il n’est pas possible de faire la MSH avec 6 000 m2 en étage ». Selon Marzocchi, la surface totale du bâtiment est de 20 000 m2. Si on retire les deux sous-sols et le rez-de-chaussée, la surface disponible en étages est de 12 500 m2. Or, comme 5 700 m2 sont prévus pour la Justice, il ne reste à la Maison qu’environ 7 000 m2, alors que la surface idéale serait de 12 000 m2.
On apporte une précision : le 2e sous-sol doit être affecté à la MSH pour le centre de calcul, le laboratoire de photographie, un service de reproduction et des magasins pour stocker les livres de la bibliothèque.
134 « Répartition entre le ministère de la Justice et le ministère de l’Éducation nationale des locaux édifiés sur l’emplacement de la prison du Cherche-Midi, selon le protocole du 7 janvier 1966 » (archives FMSH).
135 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 17 décembre 1966 (archives FMSH).
136 Cet élargissement donne suite à la modification des statuts de la Fondation approuvée par décret du 19 juillet 1965. Cette modification avait été demandée en 1964 pour répondre au vœu du Comité de la décentralisation. La limitation de la durée du mandat des membres cooptés est fixée à cinq ans. En plus du doyen de Bordeaux, le conseil compte cinq nouveaux membres : le doyen Bernard Guyon de la faculté des lettres et sciences humaines d’Aix, le recteur Paul Imbs de l’université de Nancy, le professeur Joseph Lajugie de la faculté de droit de Lyon, le doyen Louis Papy de la faculté de lettres et sciences humaines de Bordeaux, le doyen Alex Weill de la faculté de droit et sciences humaines de Strasbourg (compte rendu de la réunion du Conseil d’administration de la MSH du 17 décembre 1966, archives FMSH). Par ailleurs, Georges Vedel, doyen de la faculté de droit et de sciences économiques de Paris, est remplacé à partir du 1er juillet 1967 par Alain Barrère.
137 Ces rencontres auxquelles participe Clemens Heller se tiennent à la Bibliothèque nationale sous la présidence de Julien Cain. On reconnaît certes que les centres de documentation associés à la Maison jouent un rôle central, mais ceux-ci doivent fonctionner en liaison avec d’autres organismes : par exemple, en ce qui concerne la Chine, la MSH (Chine moderne) doit fonctionner avec la Sorbonne (Chine ancienne), pour la Russie, avec le Centre de recherche sur l’URSS et la faculté de droit de Strasbourg, pour l’Afrique noire, avec le CARDAN (documentation en sciences humaines) et le CEDAOM (Centre d’études et de documentation sur l’Afrique et l’outre-mer). Le souhait du conseil est, comme le dit Renouvin, que « cette répartition des tâches soit mise “noir sur blanc” ».
138 L’enquête doit toucher plus de 6 000 chercheurs, dont 2 300 ont répondu. L’étude exige un long traitement mécanographique. Elle bénéficie d’un nouveau contrat de la DGRST ; elle a permis de réaliser un premier répertoire (à paraître en septembre 1968) des ethnologues, des linguistes, des psychologues et des psychosociologues. Deux autres répertoires sont en préparation pour 1969. Jean Viet présente une communication « Tendances actuelles de la sociologie française » au premier Congrès des sciences sociales organisé par l’Istituto Luigi Sturzo.
139 Par exemple en collaboration avec le CARDAN, une liste mondiale des périodiques africanistes, et un premier recensement des périodiques en linguistique.
140 L’installation du centre de calcul va, comme pour celle du centre de documentation, impliquer la signature d’une convention, la condition étant, du côté de la MSH, que « l’application des accords soit subordonnée à l’attribution de l’ensemble de l’immeuble à la Maison » (MSH, rapport d’activité 1967 : 3). L’application de ces conventions devrait entraîner la mise à disposition du CNRS des surfaces suivantes : pour la documentation, 737 m2 en étage et 497 m2 en sous-sol, et pour le calcul, 150 m2 au rez-de-chaussée et 700 m2 en sous-sol.
141 Les commandes se font, pour la France, par les PUF et depuis peu à l’étranger par trois fournisseurs principaux : Blackwell, Stechert-Hafner et Harrassowitz.
142 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration du 16 décembre 1967 : 131 (achives FMSH).
143 La liste des demandes d’installation est la suivante :
– Centre de mathématiques sociales et de statistique.
– Centre de cartographie.
– Centres de documentation (aires culturelles) : URSS et pays slaves.
– Sociologie : sociologie industrielle (Alain Touraine), communication de masse (Georges Friedmann et Roland Barthes directeur adjoint), sociologie européenne (Raymond Aron), sociologie des organisations (Michel Crozier), sociologie des religions (Gabriel Le Bras), sociologie de la littérature (Lucien Goldmann), ethnologie sociale et psychosociologie (Paul-Henry Chombart de Lauwe), sociologie de la connaissance (Roger Bastide), sociologie des objets de la civilisation (Pierre Francastel).
– Psychologie : laboratoire de psychologie (François Bresson), centre d’études psychosociologiques (Serge Moscovici), centre de recherche en psychologie comparative (Ignace Meyerson), Centre de recherches psychanalytiques (Daniel Lagache), Laboratoire de psychologie du travail (Jacques Leplat), Institut des sciences humaines appliquées (Roger Daval), Centre international d’étude des relations interethniques (Otto Klineberg).
– Sciences politiques : centre d’étude des relations internationales (Jean-Baptiste et Jean Meyriat), association française de science politique (Jean Touchard).
– Linguistique et anthropologie : centre de linguistique chinoise (Alexis Rygaloff), laboratoire d’anthropologie sociale (Claude Lévi-Strauss), institut d’études iraniennes (Émile Benveniste).
– Géographie : Centre interfacultés d’aménagement de Paris (Jacqueline Beaujeu-Garnier, Roger Bastide).
– Histoire : Centre de recherches historiques (Fernand Braudel et Emmanuel Le Roy Ladurie), centre européen d’études et de recherche (Alphonse Dupront), Commission internationale d’histoire maritime (Michel Mollat).
– Économie : études des techniques économiques (André Piatier), planification socialiste (Charles Bettelheim), évolution des prix (Jean Fourastié), économie régionale du Sud-Ouest (Joseph Lajugie).
– Associations, conseils, comités : comité international pour la documentation en sciences humaines (Jean Meyriat).
Le total de la surface demandée est de 9 945 m2.
144 Dirigé par Lucien Goldmann, ce centre est localisé au domicile de son directeur, 98 rue de Rennes, dans le 6e arrondissement. C’est aussi le cas pour d’autres centres de l’École pratique : Études de planification socialiste, Études de développement économique.
145 Ibid.
146 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la MSH du 9 mars 1968 (archives FMSH).
147 Ibid. Si les demandes sont entièrement satisfaites, on prévoit, pour les services généraux, un personnel d’environ 250 personnes : pour la MSH, 74 plus les 103 demandés, et pour le CNRS-centre de documentation et centre de calcul, 80. Le nombre de postes demandés pour la bibliothèque peut sembler élevé par rapport aux normes habituelles, mais ce serait, pense-t-on, « un précédent favorable indiquant la prise en considération du personnel nécessaire pour le bon fonctionnement de ces institutions ».
148 Compte rendu de la réunion du bureau du conseil d’administration de la MSH du 20 mars 1968 (archives FMSH).
149 Ne sont retenus que les centres ayant une activité documentaire. Si le Centre documentaire d’ethnologie comparée reste, c’est, précise-t-on, en raison de sa situation actuelle : « Il est installé auprès du Laboratoire d’anthropologie sociale de Claude Lévi-Strauss au Collège de France mais fonctionne dans le cadre défini par les activités générales de la Maison » (ibid.).
150 Voir aussi Maison des sciences de l’homme, 1968, rapport d’activité pour l’année 1968 : 5-6.
151 Lors de cette réunion, le bureau va examiner trois nouvelles demandes d’installation qu’il rejette rapidement : la Société internationale de criminologie (3 bureaux et 1 bibliothèque avec salle de réunion pour 20-30 personnes), l’Institut international de sciences économiques (3 bureaux) et la Commission internationale d’histoire maritime (compte rendu de la réunion du bureau du conseil d’administration de la MSH du 28 novembre 1968, archives FMSH).
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