Chapitre 3
Une association, un emplacement, un architecte
p. 105-144
Texte intégral
1Au début des années 1960, l’économie française s’engage clairement dans un régime de croissance soutenue. La planification est plus que jamais à l’ordre du jour ; elle doit maintenant, comme on le voit dans le 4e plan (1962-1965), toucher des secteurs jugés « retardataires » qu’il faut moderniser : secteur hospitalier, autoroutes et télécommunications, éducation. La volonté du gouvernement est de mettre en avant l’enseignement supérieur et la recherche scientifique, afin de contribuer au progrès de la science, à la formation des chercheurs et au développement de la recherche scientifique, littéraire et technique1.
2C’est donc, pour la recherche devenue une « priorité » pour le gouvernement, « une période de mutation et d’expansion tout à fait exceptionnelle » (Wacrenier 2006 : 275-276), avec la création en novembre 1958 du Comité interministériel de la recherche scientifique, présidé par le Premier ministre, et la mise sur pied du Comité consultatif de la recherche scientifique et technique (CCRST) composé de douze personnalités scientifiques, que l’on appellera les « sages ». Parmi les membres de ce comité consultatif, on ne trouve qu’un spécialiste en sciences sociales, le démographe Louis Chevalier, alors professeur au Collège de France2. L’on procède aussi à la nomination d’un délégué général à la recherche scientifique et technique, placé auprès du Premier ministre, et chargé d’animer un secrétariat commun aux deux comités. Le chimiste Pierre Piganiol3, que le général de Gaulle connaît pour son activité dans la Résistance, est nommé délégué général ; il recrute pour le seconder Louis Ziéglé, qui conserve sa fonction de secrétaire général au Conseil supérieur de la recherche scientifique et du progrès technique.
3Puis, en 1959, coup sur coup, on procède à la création de deux nouveaux organismes, le Fonds de développement de la recherche scientifique et technique, avec à sa tête Jean-Didier Dardel, et le Comité national de recherches spatiales dont Pierre Auger est le président. On procède également à la réorganisation du CNRS : fonctionnement, statut des personnels chercheurs et des personnels contractuels, mise sur pied de dix comités d’études chargés de présenter dans chacun des domaines concernés des projets d’action concertée. En sciences humaines et sociales, il y en a deux : l’action « Analyse démographique, économique et sociale » et le comité « Science économique et problèmes de développement ». Qu’il y ait deux actions consacrées aux sciences sociales est l’indice, comme certains l’observent alors, d’un grand changement en France, voire d’un « tournant », tout se passant comme si, laissant derrière soi la métaphysique des philosophies et des religions, l’on voyait la possibilité de construire une science de l’homme qui, il n’est pas utopique de l’espérer, puisse servir de « guide pour le futur » (Trystram 1962 : 92).
4Au comité scientifique de la première action, se retrouvent : Jean Stoetzel, président, Louis Chevalier, Jean Fourastié, Georges Friedmann, Ernest Labrousse, Claude Lévi-Strauss et Alfred Sauvy. L’objectif est de mener une « enquête pilote » de grande envergure portant sur « l’étude du monde agricole et rural français dans son adaptation aux conditions de la vie moderne ». Cette enquête se fera principalement sur une commune du Finistère, Plozévet, sous la direction de Monique et Robert Gessain du musée de l’Homme4. La seconde action concertée réunit de nombreux chercheurs : André Piatier, président, Georges Balandier, Fernand Braudel, René Dumont, Jean Fourastié, Edmond Malinvaud. Cette action, dont le secrétariat est confié à René Marzocchi, va permettre la création de deux centres, le Centre d’études et de recherches mathématiques sur la planification (CERMAP) de Pierre Massé et le Centre d’études de la prospection économique à moyen et long terme (CEPEL) de Claude Gruson5. Enfin, en 1960, Louis Ziéglé se voit confier la direction de l’ORSTOM et procède, avec la collaboration de René Marzocchi, qui occupe le poste de secrétaire général, à sa réorganisation complète. Sans oublier en arrière-plan la participation des membres de ces comités à l’élaboration de programmes de recherches pour le 4e plan (1962-1965). L’une des principales orientations de ce plan est sans conteste l’importance accordée à la recherche scientifique et technique6. René Marzocchi et Claude Gruson seront tous deux, pendant plusieurs années, étroitement associés aux activités de la Maison des sciences de l’homme.
René Marzocchi (1926-2012)
Avant de rejoindre en 1960 la VIe section de l’EPHE en qualité de sous-directeur d’études, René Marzocchi travaille auprès d’Henri Longchambon et de Pierre Piganiol au Conseil supérieur et à la Délégation générale à la recherche scientifique et technique. À la première réunion du conseil d’administration de la MSH, à laquelle il assiste à titre de secrétaire, il est nommé administrateur adjoint, une fonction qu’il occupe jusqu’en 1972. De Marzocchi, François Weil, président de l’EHESS de 2009 à 2012, dira : « Il se voulait un facilitateur de la recherche, aidé en cela par un goût intellectuel très sûr et un sens de l’organisation impressionnant […]. Nous devons beaucoup à l’imagination et à l’intelligence de René Marzocchi » (Weil 2012).
5Ces diverses initiatives et ces nouvelles nominations préparent la mise en place en avril 1961 d’un grand organisme : la Direction générale de la recherche scientifique et technique (DGRST), qui se voit confier la responsabilité de faire les propositions pour la recherche scientifique et technique, de coordonner la politique scientifique et même d’infléchir la recherche avec le lancement et le financement d’actions concertées. C’est là, dira René Marzocchi, une institution qui rapidement acquiert tous les attributs d’une « institution assise et installée » et qui va jouer un rôle « essentiel » dans le développement scientifique du pays, avec un personnel, des services, des missions spécifiques et des subventions (Marzocchi 2006). La mise en place de ce nouvel organisme, qui se fait de façon « empirique », est vécue par ses acteurs comme « un travail de professionnel exécuté par des amateurs », dans un esprit d’équipe et de collaboration avec les diverses instances et les ministères et avec un sentiment d’urgence : tous ces efforts doivent contribuer, comme c’est alors la volonté politique générale, à « assurer l’indépendance nationale par tous les moyens et dans tous les domaines » (ibid.).
6Sur le plan de la collecte et de l’analyse de données statistiques nationales, se mettent alors en place deux nouveaux organismes : l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et l’Institut national d’études démographiques (INED). En 1960, l’INSEE crée l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE), dont la direction est confiée à l’économiste Edmond Malinvaud et à laquelle s’ajoutera deux ans plus tard le Centre de formation des statisticiens-économistes des pays en voie de développement.
7La place des sciences sociales dans la recherche scientifique française demeure cependant « limitée ». Au début des années 1960, l’on dénombre environ 400 centres de recherche dans les diverses sciences sociales, dont la très grande majorité dépend soit de l’Enseignement supérieur, soit du CNRS. Ce dernier dispose d’une bibliothèque, d’un service de documentation et d’équipements pour le traitement des cartes IBM, et il regroupe près de 3 400 chercheurs dans toutes les disciplines7, dont près de 200 (6 %) dans les sections de sciences juridiques et économiques, sociologiques et ethnologiques. L’un de ses plus importants centres de recherche en sciences sociales et humaines est le Centre d’études sociologiques, qui réunit une quinzaine de groupes de recherche, mène plus de 60 projets dans des domaines fort divers et publie la Revue française de sociologie et les Archives de sociologie des religions.
Claude Gruson (1910-2000)
Né en 1910 à Paris, Claude Gruson est un ancien élève de Polytechnique et de l’École nationale supérieure des mines de Paris qui commence sa carrière en 1936 comme inspecteur des finances. En 1939, il est chargé de mission au cabinet de Paul Reynaud puis de Jean Bichelonne jusqu’en avril 1941, et, au lendemain de la guerre, de Maurice Bourges-Maunoury. Il rejoint en 1948 son camarade de promotion de l’inspection, François Bloch-Lainé, alors directeur du Trésor au ministère des Finances, pour créer et organiser le Service des études économiques et financières (SEEF). Il devient en 1961 directeur de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), poste qu’il conserve jusqu’en 1967. Il passe ensuite au privé, comme conseiller économique puis membre du directoire de la Compagnie bancaire, un groupe bancaire spécialisé dans le crédit à la consommation (1967-1976). Il est aussi président du Groupe interministériel pour l’étude de l’environnement (1972-1978) et président du Bureau d’informations et prévisions économiques (BIPE) (1968-1989). Il est enfin directeur d’études à la VIe section de l’EPHE (1957). Sans oublier qu’il est, en 1971, élu coprésident de la Fédération protestante de France. Claude Gruson est enfin l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Renaissance du plan (1971).
8Claude Gruson sera, pendant près de 30 ans, membre du conseil d’administration de la MSH et, pendant 15 ans, son trésorier.
9L’université tente de s’adapter et opère des changements, mais timidement et sans apporter de grandes modifications aux structures administratives. À l’université de Paris, la faculté de droit se transforme en 1957 en faculté de droit et de sciences économiques et l’année suivante, la faculté des lettres devient la faculté des lettres et des sciences humaines. Enfin, dans chacune de ces facultés, l’on crée des centres de recherche : en droit et sciences économiques, l’Institut de criminologie, l’Institut de droit romain et l’Institut des hautes études internationales, et en lettres et sciences humaines, des centres en géographie, sociologie, linguistique, histoire et ethnologie.
10La situation des sciences humaines et sociales dans les universités est d’autant plus critique que le système d’enseignement supérieur est confronté à une crise de croissance : de 147 793 qu’il était en 1950, le nombre d’étudiants passe à 240 000 en 1960, et à partir de 1960, ce sera l’« emballement », avec un taux de progression annuel généralement supérieur à 10 % (Soulié 2012 : 31). L’on prévoit qu’une « vague démographique » va atteindre l’université dans les prochaines années et qu’il y aura un accroissement massif du nombre des inscriptions, surtout en sciences sociales (Trystram 1962 : 77). En 1960-1961, déjà plus de 45 % des 72 245 étudiants de l’université de Paris sont inscrits à la seule faculté des lettres et sciences humaines.
11Parmi les institutions qui jouent alors un rôle dynamique dans le domaine des sciences sociales, la VIe section de l’École pratique des hautes études retient l’attention d’un observateur étranger, Jean-Paul Trystram, par son « originalité » qui tient à son caractère interdisciplinaire, à son ouverture au monde presque entier à travers les aires culturelles et sa volonté de « briser le cadre trop étroit » de l’enseignement par l’introduction d’une plus grande flexibilité dans la sélection des candidats – la qualité des travaux comptant plus que les diplômes. Y sont en outre inscrits de nombreux étudiants étrangers. On y trouve, selon lui, plusieurs groupes de recherche, y compris en sciences économiques8, et aussi de très bonnes revues, comme la Revue économique, les Annales, L’Homme, Études rurales. Particulièrement actif, le Groupe de mathématique sociale et de statistique organise, pendant l’été 1960 et grâce à l’appui de la Fondation Rockefeller (sous la forme d’une subvention de 10 000 dollars), un séminaire sur l’utilisation des mathématiques dans les sciences sociales. Y participent les sociologues américains Paul Lazarsfeld de l’université de Columbia et James Coleman de l’université de Chicago, ainsi que Claude Lévi-Strauss et Georges Guilbaud. Braudel est de ceux qui en France partagent avec Lazarsfeld le souci d’appliquer des modèles mathématiques aux sciences sociales (par exemple pour l’étude du comportement électoral) et la volonté d’y initier les nouvelles générations de spécialistes en sciences sociales (Gemelli 1995 : 310). Tout cela préfigure, selon Trystram, ce qui pourrait devenir « une faculté des sciences humaines qui regrouperait les disciplines traditionnelles d’une nouvelle façon » (Trystram 1962 : 85)9. Deux ans plus tard, en mai 1962, le Centre organise à Paris un grand colloque portant sur « L’enseignement des mathématiques et de la statistique pour les sciences humaines ». L’on y présente un tableau de la situation de l’enseignement de ces disciplines en France. Une longue discussion s’ensuit « sur la façon la plus cohérente d’organiser de tels enseignements dans les facultés de lettres, en particulier en vue de la licence de psychologie et de sociologie » (« Colloque sur l’enseignement des mathématiques et de la statistique pour les sciences humaines » 1962).
12On voit donc qu’il y a manifestement une volonté d’imposer, par une redéfinition de la « scientificité », une conception des sciences sociales dont la fonction est de contribuer à l’anticipation et à la solution des crises sociales. La politique scientifique est alors, comme le dira si bien Michael Pollak, « un endroit de rencontre entre intellectuels et agents du pouvoir administratif, lieu se prêtant à l’harmonisation des préoccupations scientifiques et des problèmes politiques10 ». Dans un tel contexte de contractualisation de la recherche, une institution comme la VIe section va, sous la direction de Fernand Braudel, tirer profit de sa relative marginalité pour se positionner « entre le pôle intellectuel et celui du pouvoir politique » ; la création de la Maison des sciences de l’homme, qui va lui permettre de consolider cette position, est certes source de tensions mais ô combien stratégique, car elle offre la possibilité de donner aux chercheurs les moyens (bibliothèque, documentation, informatique) de réaliser, en toute indépendance, des travaux de grande qualité.
Crise générale des sciences de l’homme
13À la tête de la VIe section, Braudel devient davantage un administrateur-coordinateur qu’un chercheur : impliqué dans la réforme du système éducatif, il mène une véritable bataille pour la réforme de l’enseignement de l’histoire dans l’enseignement secondaire.
14Jusqu’alors l’objectif principal était de mettre en valeur le récit historique en découpant la chronologie en tranches : de la sixième (Mésopotamie et Égypte) à la terminale (de 1851 à 1939). Sous l’impulsion de Braudel, la réforme qui est finalement adoptée en 1959 est radicale : le premier trimestre de la classe de terminale est certes consacré à « la naissance du monde contemporain (de 1914 à nos jours) », mais les deuxième et troisième trimestres vont permettre d’étudier « les civilisations du monde contemporain » et se terminent par une étude des « grands problèmes mondiaux du moment ». Évacuer l’événement de l’enseignement de l’histoire, ou du moins le reléguer au second plan, même pour une seule année, c’est, comme le dira Maurice Aymard, une « réforme trop brutale » pour être acceptée telle quelle11. Et les résistances ne tarderont pas. En 1963, Braudel publie aux Éditions Belin, en collaboration avec Suzanne Baille et Robert Philippe, un manuel scolaire intitulé Le monde actuel. Histoire et civilisations, dont l’objectif est de présenter cette nouvelle approche de l’histoire aux élèves de terminale : « Atteindre et comprendre notre temps […] à travers l’histoire lente des civilisations », tel est l’objectif central du nouveau programme12.
15Dans le grand article sur « La longue durée » qu’il publie en 1958 dans la rubrique « Débats et combats » de la revue des Annales, Braudel déclare : « Il y a crise générale des sciences de l’homme. » Cette crise tient, selon lui, tout autant à l’accumulation rapide de connaissances nouvelles et à l’absence d’une organisation intelligente du travail qu’à ce qu’il appelle l’« humanisme rétrograde » qui subsiste. Braudel défend l’idée d’une « nécessaire convergence » : « Se rapprocher tout d’abord, l’opération est urgente » (Braudel 1958a : 727). Et comme exemple, il donne celui des area studies aux États-Unis, à savoir ces grandes recherches collectives que mènent les spécialistes en sciences sociales sur les aires culturelles du monde actuel et qui portent sur les « monstres politiques » du temps présent : Chine, Inde, Russie, Amérique latine, États-Unis. « Les connaître, question de vie ! », ajoute Braudel, qui regrette la place réduite de la géographie et de l’histoire dans ces programmes de recherche. Parmi les quelques chercheurs qui organisent des « rapprochements » avec des sciences voisines, Braudel donne une place toute particulière à Claude Lévi-Strauss, dont L’Anthropologie structurale vient de paraître et, tout en se disant non-spécialiste de ces domaines « difficiles », il parle de ce qui se fait de plus neuf dans les sciences sociales, sous le double signe de la « communication » (ou d’une science de l’information) et des mathématiques sociales, s’intéressant même aux recherches en vue de la fabrication d’une machine à traduire. En conclusion, il invite ses collègues à cesser de « tant discuter sur les frontières réciproques » entre leurs disciplines pour se mettre au travail en définissant les orientations et les thèmes de ce qui pourrait devenir un programme de recherche collective, condition d’une « première convergence » (ibid. : 753).
L’association de la Maison des sciences de l’homme
16Braudel n’abandonne pas complètement l’idée de créer, avec le concours de la VIe section et d’autres instituts, une faculté des sciences sociales et économiques : « Tous les éléments nécessaires au fonctionnement d’une telle faculté existent, affirme-t-il. Il ne reste qu’à les rassembler et créer l’institution13. » Mais il se heurte à une levée de boucliers de tous bords : les uns dénoncent l’« impérialisme braudélien », les autres le qualifient de « nouveau Louis XIV » (Dosse 1988 : 159). Par pragmatisme, il concentre alors toute son énergie sur la création d’une Maison des sciences sociales et économiques. Il s’en expliquera longuement au ministre de l’Éducation nationale et à la direction de l’Enseignement supérieur (donc à Gaston Berger) dans une lettre de 15 pages qu’il leur enverra le 4 juillet 195814. La vision qu’il a de l’avenir prochain des sciences humaines est la suivante :
Les sciences humaines forment un ensemble complexe en rapide évolution. Le problème de leur ensemble ou mieux de leur convergence se pose à l’heure actuelle dans le monde entier. Le moment est venu d’une confrontation générale qui dépasse les contestations de frontières et les problèmes internes d’hier […]. De cette confrontation, il est vraisemblable que surgiront de nouvelles méthodes et collaborations […]. Il s’agit aujourd’hui de les réunir et l’enjeu intellectuel de ce regroupement est considérable15.
17Contrairement à ce qui s’est fait dans les universités américaines les plus avancées dans le domaine des sciences humaines, ce regroupement doit, selon lui, inclure les sciences humaines jugées mineures – histoire et géographie – et faire place à la philosophie. Donc ne pas se limiter à la seule « connaissance de l’actuel », mais « partir de tous les temps, du temps long comme du temps court ». « La pensée française pourrait s’y prêter de façon efficace », conclut-il.
18Pour défendre son projet, Braudel mettra en évidence « l’intérêt primordial » des sciences dans le domaine de l’humain pour faire face aux nouvelles réalités, certes en France et en outre-mer mais aussi en Afrique : Afrique noire et Afrique du Nord, qui est « prise en association » avec la France. Braudel parlera de « l’aide » que les sciences humaines pourraient apporter à l’armée pour l’organisation de ses enseignements et de ses services de psychologie et de sociologie.
19Il est, selon Braudel, « raisonnable » de commencer par faire un effort du côté de la recherche : ce serait une solution moins coûteuse, et peut-être plus efficace. D’où la nécessité d’un organisme bâti « sous le signe de la recherche, la vraie recherche, celle des quelques rares équipes valables, qualifiées par leur travail, leur outillage et leur esprit novateur ». Cette « institution pilote » fera place à « des groupes de recherche pure, peu nombreux mais qualifiés par leurs travaux, non tant par les titres de leurs participants »16.
20Braudel rappellera que le « but initial » est de « construire et d’administrer une Maison des sciences économiques et sociales réunissant en libre association les différents centres existants – tout en conservant leur autonomie intellectuelle, administrative et financière – et les groupes dont la formation s’avérera nécessaire, ainsi que des services communs permettant l’utilisation de puissants instruments de travail ». Braudel identifiera enfin les diverses autres activités et les programmes qui devront être développés pour que le nouvel organisme puisse réaliser sa mission : organisation et coordination d’enquêtes et de recherches scientifiques et pratiques en France et outre-mer et à l’étranger dans le domaine des sciences humaines, organisation de bibliothèques et de centres de documentation d’études et de recherches, organisation de conférences et de congrès, institution de bourses d’études et de bourses de voyage à l’étranger17.
21Au printemps 1957, tout est prêt pour la constitution officielle de
l’association de la Maison des sciences de l’homme. Survient alors, pour reprendre l’expression de Gaston Berger, un « fâcheux incident » : le doyen de la faculté des lettres, Pierre Renouvin, a une crise cardiaque « très sérieuse », ce qui retarde l’adoption de la constitution car, comme l’explique Berger à son correspondant américain Shepard Stone, Renouvin est « le seul à pouvoir représenter avec autorité la faculté des lettres de Paris au sein de la nouvelle organisation ». Renouvin est « un homme de haute valeur » pour qui Berger a personnellement « beaucoup d’amitié ». Tout retarde donc la demande de subvention (de l’ordre de 2 millions de dollars) que l’association de la Maison des sciences de l’homme entend faire auprès de la Fondation Ford. Berger se permet même de demander « si la Fondation peut, si bien entendu elle le juge à propos, réserver les fonds destinés à subventionner certains services de la future Maison et notamment ses bibliothèques18 ». Berger rappelle à son collègue américain « l’importance de la chose que nous sommes décidés à réaliser ».
22Les statuts de la nouvelle association dite « Maison des sciences de l’homme », régie selon la loi 1901, sont déposés le 21 mai 1957, et la déclaration est publiée dans le Journal officiel le 6 juin 1957. Selon le 2e article, son objet est de « promouvoir l’étude des sociétés humaines considérées avant tout dans leurs réalités actuelles ou à partir d’elles ». Pour y parvenir, elle abritera des centres de recherche qui, établit-on clairement, vont « conserver leur autonomie du point de vue de la direction scientifique, des publications, des ressources financières et du recrutement de leur personnel ». Mais, s’il est une tâche propre à l’association de la Maison des sciences de l’homme, c’est « avant tout de développer les instruments collectifs de travail (bibliothèque, centre de mécanographie, de cartographie, etc.) qui seront à la disposition de tous les demandeurs qualifiés ». Enfin, l’association de la Maison des sciences de l’homme devra « s’efforcer de favoriser l’entente entre les centres de recherche notamment pour la formation de techniciens hautement spécialisés ».
23Sur le plan de son organisation administrative, la MSH doit comporter trois corps : l’assemblée générale (qui doit comprendre au maximum 30 membres19 et qui a pour missions essentielles « de choisir après avis du conseil les centres qui feront partie de la MSH, de décider de leur exclusion, de déterminer les locaux dont les centres disposeront et de voter le budget »), le bureau (élu pour trois ans par l’assemblée et qui comprend un président, deux vice-présidents, un trésorier et un secrétaire) et le conseil des directeurs (qui comprend les directeurs des centres de recherche faisant partie de la Maison, un représentant des services communs de la bibliothèque et un représentant des services généraux communs) dont la tâche est d’« étudier tous les problèmes communs aux organismes de recherche logés à la Maison ». Élu pour une période de trois ans par l’assemblée générale après avis du conseil des directeurs et choisi parmi les directeurs des centres de recherche hébergés par la MSH, l’administrateur a une place centrale. Il est assisté par le conseil des directeurs qu’il préside et qu’il consulte « sur toutes les mesures propres au bon fonctionnement de la Maison ». Toutefois, s’agissant du premier administrateur, il devra, indique-t-on dans les statuts, être désigné parmi les membres fondateurs.
24Le premier conseil d’administration de la MSH regroupe, en plus de l’administrateur élu Fernand Braudel, et de Gaston Berger, des personnalités de tout premier plan du monde universitaire – en particulier de l’université de Paris – et de l’administration publique. Parmi les membres fondateurs, l’on retrouve Jean Sarrailh, recteur de l’université de Paris, Marcel Bataillon, administrateur du Collège de France, Julien Cain de la Bibliothèque nationale, Jacques Chapsal, directeur de l’Institut d’études politiques, Joseph Hamel, doyen de la faculté de droit, Charles Morazé, directeur d’études à la VIe section et Pierre Renouvin, doyen de la faculté des lettres. Jean Sarrailh et Charles Morazé agissent respectivement comme président et secrétaire de la nouvelle association.
Julien Cain (1887-1974)
Fils d’un imprimeur juif d’origine lorraine, Julien Cain est l’élève du philosophe Alain (Émile-Auguste Chartier) au lycée Condorcet. Il poursuit des études d’histoire à la Sorbonne. Après l’obtention de son agrégation d’histoire en 1911, il enseigne au lycée de Toulon. Mobilisé en 1914 dans l’Infanterie, il est grièvement blessé en 1916 et, déclaré inapte au service actif, il est affecté en 1917 au service de documentation étrangère commun au ministère de la Guerre et à celui des Affaires étrangères, dont il en prendra la tête en 1919 après sa démobilisation et où y il travaille jusqu’en 1927. Il devient alors directeur du cabinet de Fernand Buisson, président (SFIO) de la Chambre des députés. Sur la recommandation de Léon Blum, Julien Cain est nommé en 1930 administrateur général de la Bibliothèque nationale avec pour mission de réorganiser l’institution. En 1936-1937, il est étroitement associé à la politique culturelle du Front populaire et il est chargé par Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale, de promouvoir une action en faveur du livre et des bibliothèques.
En 1940, Cain se voit révoqué de ses fonctions d’administrateur général de la Bibliothèque nationale par le gouvernement de Vichy, qui nomme à sa place l’écrivain collaborateur Bernard Faÿ, professeur au Collège de France. Il s’installe quelque temps à Clermont-Ferrand, en zone non occupée puis il regagne Paris et où il est arrêté en février 1941 et incarcéré à la prison de la Santé, puis transféré au fort de Romainville. Le 24 janvier 1944, il est déporté par les Allemands au camp de Buchenwald ; il sera libéré par les Américains le 11 avril 1945. Rapatrié, Julien Cain retrouve son poste d’administrateur général de la Bibliothèque nationale. Le 12 mars 1946, il est nommé directeur des bibliothèques de France et de la lecture publique. Il cumule cette charge avec celle d’administrateur général de la BN. Cain a aussi participé après la guerre à la création de l’Unesco, dont il a été en 1946 élu vice-président du conseil exécutif. Il devient en 1958 président de la Commission française de l’Unesco. Haut fonctionnaire sous trois républiques, Julien Cain joue un rôle d’éminence grise auprès du pouvoir politique, grâce à ses réseaux ; homme de gauche, il préside l’association des Amis de Léon Blum de 1966 à sa mort ; il apporte son soutien à l’action du général de Gaulle comme président de la Cinquième République.
25
Joseph Hamel (1889-1962)
Né à Vendôme (Loir-et-Cher), Joseph Hamel entreprend, après ses études à la faculté de droit de l’université de Paris et l’obtention d’une licence en lettres et d’un diplôme de l’École de sciences politiques, des études de doctorat qui sont interrompues pendant 8 ans par le service militaire (1911). Après la guerre, Joseph Hamel soutient sa thèse en 1920 et il est reçu premier à l’agrégation de droit privé. Il entreprend une carrière dans l’enseignement universitaire, d’abord à Caen, ensuite à Lille, enfin à Paris. Il exerce aussi une fonction de conseiller juridique auprès des banques. Il propose en 1945 à l’université de Paris la création à la faculté de droit d’un Institut d’études juridiques et financières appliquées dont il assume la direction pendant 6 ans. En 1947, il est élu membre de l’Académie des sciences morales, dont il deviendra président en 1960. En 1955, il est nommé doyen de la faculté de droit, fonction qu’il assume jusqu’à sa retraite en 1959. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont le premier tome d’un Traité de droit commercial (1954) en collaboration avec M. Lagarde aux Éditions Dalloz.
Belle chevelure un peu argentée, regard vif, taille toujours droite, allure rapide, esprit précis, Joseph Hamel se plaît dans l’action et y apporte toujours la même ardeur, la même conscience, la même efficacité20. Il bénéficie, auprès des grandes entreprises, industrielles ou bancaires, d’un grand prestige. On le consulte privément, on lui confie aussi des responsabilités : président de la Commission juridique consultative du Conseil national de crédit, membre du Comité consultatif juridique de la Banque de France, membre et président du Comité du contentieux du ministère des Finances.
26
Marcel Édouard Bataillon (1895-1977)
Né à Dijon, normalien, agrégé d’espagnol en 1920 et docteur ès lettres en 1935, Marcel Bataillon, après avoir participé à la Première Guerre mondiale, enseigne à l’université de Lisbonne de 1923 à 1925, au lycée de Bordeaux, puis à l’université d’Alger de 1929 à 1937. Il devient professeur de langue et littérature espagnoles à la faculté des lettres de Paris de 1937 à 1945, date à laquelle il est élu au Collège de France et devient titulaire de la chaire des Langues et littératures de la péninsule Ibérique et de l’Amérique latine. Dix ans plus tard, il est nommé administrateur du Collège de France.
27
Jacques Chapsal (1909-1990)
Né à Villeneuve-sur-Yonne, Jacques Chapsal fait ses études de droit à la faculté de droit de l’université de Paris, où il soutient sa thèse en 1934. En 1936, il devient bibliothécaire au Sénat ; il se voit aussi confier la charge d’une conférence de méthodes en économie sociale à l’École libre des sciences politiques, où il devient en 1939 secrétaire général de l’École.
Après la guerre, il négocie avec André Siegfried et le directeur Roger Seydoux la nationalisation de l’École, qui devient l’Institut d’études politiques de l’université de Paris, administré par la Fondation nationale des sciences politiques nouvellement créée. En 1947, il devient directeur de l’IEP en remplacement de Seydoux, puis en 1950 administrateur de la FNSP ; il occupera ces deux fonctions jusqu’en 1979. On le considère comme « le second fondateur de l’institution après Émile Boutmy ». Il est l’auteur de La Vie politique sous la Ve République, 1987).
Une longue négociation avec la Fondation Ford
28La Fondation Ford est disposée à accorder un financement de l’ordre de 2 millions. Cependant, il n’est pas possible, pour la nouvelle association, de recevoir des dons et des legs, car elle n’en a pas la capacité juridique. Seul un organisme de statut privé pourrait le faire : il s’agit de la Fondation nationale des sciences politiques, qui par ailleurs est déjà associée au projet de la MSH par la présence de son président et de son directeur au sein de l’association. Braudel pense, pour sa part, à une autre solution : la création d’une autre fondation, la Fondation nationale des sciences économiques et sociales, dont l’objet serait « d’édifier et d’administrer la Maison des sciences de l’homme et de coordonner des enquêtes et des recherches, scientifiques et pratiques, en France, en outre-mer et à l’étranger, dans le domaine des sciences humaines21 ».
29La vision qu’a Braudel des sciences humaines est celle d’une double nécessité : d’abord celle de la place indispensable des sciences humaines avec leurs nouvelles méthodes dans une société en changement, ensuite celle de leur nécessaire regroupement, de la sociologie à l’économie et à la psychologie sociale jusqu’à la mathématique sociale et la recherche opérationnelle. Ce regroupement doit, selon lui, se faire non seulement, comme c’est le cas aux États-Unis, sur « l’expérience de l’actuel », mais aussi en référence au temps court comme au temps long, ce qui inclut l’histoire. Enfin, le pari de Braudel est de commencer « par un effort qui mette en cause la seule recherche », car c’est, selon lui, « la moins coûteuse des solutions, et peut-être aussi la plus efficace ». Donc il défend énergiquement l’idée de « la nécessité d’un organisme bâti sous le signe de la recherche, précisons de la vraie recherche, celle des quelques rares équipes qualifiées par leur travail, leur outillage et leur esprit novateur ». Et s’il est une chose dont manquent ces quelques équipes, c’est très souvent, note-t-il, de locaux et d’équipements. Braudel propose, primo, de loger ces différents centres, secundo de les obliger, « par la cohabitation », à s’interpénétrer et, tertio, de leur offrir des « services communs » avec des moyens matériels et techniques « modernes ».
Pierre Renouvin (1893-1974)
Né à Paris, Pierre Renouvin entreprend, après ses études au lycée Louis-le-Grand, une licence de droit pour ensuite bifurquer vers l’histoire et réussir l’agrégation d’histoire et géographie en 1912.
Alphonse Aulard, historien de la Révolution française, dirige son diplôme d’études supérieures.
Mobilisé et blessé pendant la guerre – il perd un bras –, Pierre Renouvin se spécialise dans l’étude de la Première Guerre mondiale, il est nommé en 1920 conservateur de la bibliothèque d’Histoire de la guerre (bibliothèque de documentation internationale contemporaine) à Vincennes et devient le secrétaire général de la Revue d’histoire de la guerre mondiale. Professeur au lycée d’Orléans, il travaille à sa thèse : « Les Assemblées provinciales en 1787 ». Docteur d’état en 1921, il devient professeur à l’université de Paris-Sorbonne (1931-1964).
De 1955 à 1958, il est doyen de la faculté des lettres de Paris. Il est aussi membre de l’Académie des sciences morales et politiques (élu en 1946) et président de la Fondation nationale des sciences politiques de 1959 à 1971.
Pierre Renouvin est l’auteur de plusieurs ouvrages. On le dit influencé par l’École des Annales, privilégiant l’analyse des « forces profondes » à celle des seuls événements.
30Pour la défense du projet d’une Maison des sciences de l’homme, Braudel argumente à nouveau que sa création va être le moyen de « porter remède aux maux fondamentaux qui gênent, en France, le plein développement des sciences de l’homme et leur application efficace aux besoins du pays ». Et de conclure : « Le rayonnement de notre pays ne peut qu’y gagner »22.
31Braudel donne enfin quelques informations sur les « autres moyens » qui pourraient être mis à la disposition de la Maison pour qu’elle réalise pleinement sa mission : organisation et coordination d’enquêtes et de recherches scientifiques et pratiques dans le domaine des sciences humaines, organisation de conférences et de congrès, mise en place d’un programme de bourses d’études et de bourses de voyage à l’étranger.
32En plus de s’attribuer les postes d’administrateur et de président du conseil d’administration, Braudel identifie les personnes qui seront ses principaux collaborateurs : Louis Velay, secrétaire général chargé de la direction des questions techniques et assurant la conduite des tâches administratives et financières ; Jean Meyriat, chef des services de documentation ; Pierre Lelièvre, chef des services de bibliothèque ; enfin Clemens Heller, chargé des relations extérieures et avec l’étranger. Une équipe des plus solides et des plus fidèles.
Pierre Lelièvre (1903-2005)
Né à Rennes et archiviste de formation, il a été directeur des bibliothèques municipales de La Rochelle et de Nantes, puis de la bibliothèque d’art et d’archéologie de l’université de Paris. En 1944, alors que se mettait en place le Service du livre et de la lecture, Lelièvre y devint l’adjoint de Julien Cain, puis participa alors à une grande œuvre de refondation des bibliothèques : création de bibliothèques de prêt, révision du statut des personnels, fondation de l’École nationale supérieure de bibliothécaires. En 1964, il devient recteur de l’université de Dakar ; il enseigne l’histoire de l’architecture à l’École nationale supérieure des beaux-arts de 1956 à 1964 avant même de devenir professeur d’histoire de l’art à l’université de Tours (1967-1974).
33Le projet est toujours d’installer la Maison au 7 rue de la Chaise et d’y loger, en plus de deux bibliothèques (Langues orientales et Documentation contemporaine) et des séminaires de l’EPHE, plusieurs centres et instituts de recherche23, dont six centres de recherche sur le monde actuel : Chine (Étienne Balazs et Vadime Elisseeff), Islam (Jacques Berque), Afrique noire (Claude Lévi-Strauss et Georges Balandier), Russie (Henri Chambre), Inde (Louis Dumont) et Monde juif (Simon Schwarzfuchs)24. Ce premier projet de fondation n’a pas de suite.
Paris, capitale européenne des sciences sociales
34Braudel organise le 17 février 1958 une autre réunion non officielle à laquelle participent plus de 25 chercheurs, et réussit à mobiliser des chercheurs d’institutions (Collège de France, université de Paris, EPHE, CNRS) et de disciplines différentes (anthropologie, droit, économie, géographie, histoire, psychologie, sociologie, statistiques) : de Raymond Aron et Jean Stoetzel à Robert Pagès (qui avait proposé en 1954, comme on le sait, la création d’une telle MSH) et François Perroux en passant par Georges Balandier, Georges Friedmann, Georges Gurvitch, Gabriel Le Bras, Claude Lévi-Strauss. Gaston Berger, Clemens Heller et Charles Morazé sont aussi présents.
35On y discute d’abord de la question de l’emplacement et aussi des projets de construction. S’offrent maintenant deux autres possibilités : d’un côté, un terrain de 5 900 m2 près du Jardin des plantes, probablement situé rue du Fer-à-Moulin sur lequel il est possible de construire un édifice de 9 étages, permettant de loger une immense bibliothèque pouvant abriter 2 millions de volumes et de nombreux bureaux, et de l’autre, le projet « grandiose » de Châtenay-Malabry, à l’américaine avec maisons ou appartements pour les professeurs. Cette deuxième solution a comme désavantage la cohabitation, à la longue lassante, entre les professeurs et l’organisation de transport pour les déplacements entre Paris et la banlieue. Puis la discussion porte sur l’organisation de services communs, dont la bibliothèque (avec Pierre Lelièvre, inspecteur général des bibliothèques) et l’atelier de cartographie (avec Jacques Bertin de l’EPHE). Braudel s’interroge pour sa part sur le mode de fonctionnement d’un éventuel centre de mécanographie ; il parle aussi de la nécessité de prévoir un centre de photographie et une section de microfilms de livres rares. Sans oublier, ajoute-t-il, deux ou trois amphithéâtres, dont un de 300 places.
36Enfin l’on aborde la délicate question de la sélection des centres : lesquels doivent être accueillis ? Combien de mètres carrés sont-ils nécessaires ? Les demandes sont précises : 850 m2 pour le Centre d’études économiques, 500 m2 pour le Centre de psychologie sociale (plus 60 m2 pour les recherches psychanalytiques, avec possibilité d’extension de 20 %), 50 bureaux pour le Centre d’études sociologiques, 350 m2 pour le « prolétariat scientifique », dixit Gurvitch25 qui exige aussi d’avoir sa propre bibliothèque, 1 500 m2 pour le Centre d’ethnologie comparée (avec transfert de la bibliothèque du musée de l’Homme et de ses 200 000 livres). Certains s’inquiètent que des centres doivent être coupés en deux : « Personne ne l’envisage », répond Morazé. En conclusion, Braudel rappelle qu’« aucun centre n’est admis. Les jeux ne sont pas faits26 ».
37En mars 1958, paraît dans Le Monde un article dont le titre est : « Paris sera-t-il la capitale européenne des sciences sociales ? » Gaston Berger se montre, fin juin, exaspéré : « Les pourparlers ont traîné trois ans sans aboutir. » Les raisons qu’il invoque sont nombreuses : l’absence de consensus parmi les chercheurs et les administrateurs sur le choix d’un emplacement ; la volonté de la direction de l’enseignement supérieur de créer un campus universitaire sur la ligne de Sceaux, un emplacement périphérique qui ne semble pas plaire aux Américains, les sciences sociales étant, à leurs yeux, « peut-être la seule discipline à ne pouvoir se passer d’une implantation urbaine » ; enfin, la non-prise de « décision ultime » pour la réalisation du projet sur un terrain du quartier du Jardin des plantes.
38Berger craint que l’offre de la subvention de 2 millions (dont 1 million pourrait être versé en octobre 1958 et l’autre million attribué à l’exercice 1959) de la Fondation Ford ne soit retirée. Son inquiétude est d’autant plus grande que le représentant de la Fondation, Shepard Stone, doit venir en France le 6 juillet. Il se fait alarmiste : « Il est très probable qu’il ne renouvellera pas son offre de 1955 si la question n’est pas réglée lors de son passage à Paris. C’est donc une question de jours. »
39Que faire, se demande-t-il, pour que la situation se débloque en moins d’une semaine ? Il suggère que dès son arrivée à Paris, Shepard Stone soit reçu par André Malraux : « [Stone] en serait personnellement très flatté. Et s’il pouvait revenir en Amérique avec le sentiment qu’il a suffi au gouvernement du général de Gaulle de prendre en main le dossier de la Maison des sciences de l’homme pour faire aboutir en quelques jours ce qui traînait depuis trois ans, le prestige du gouvernement français en serait hautement rehaussé aux yeux de beaucoup d’Américains27. » Lorsqu’il rencontre Shepard Stone au nom du général de Gaulle, André Malraux exprime le souhait de voir la Maison des sciences de l’homme faire partie de la faculté que l’on projette alors d’installer à Versailles28. Une intervention qui, semble-t-il, rassure la Fondation.
40Cependant un seul terrain semble alors « convenable » pour la future Maison des sciences de l’homme : c’est celui de la rue du Fer-à-Moulin, alors occupé par des HLM. Dans une lettre qu’il écrit à Labarthe au lendemain de la visite de Stone de la Fondation Ford à Paris, Clemens Heller affirme que cet emplacement serait le choix même du général de Gaulle, qui voit la réalisation de la Maison des sciences de l’homme à cet endroit comme « un exemple symbolique qui montrerait que son gouvernement est capable de réaliser rapidement des projets qui ont traîné pendant des années29 ». Heller précise que seul ce terrain permettrait « une construction rationnelle à une échelle souhaitable qui répond tant aux besoins futurs qu’aux besoins immédiats ». Et d’ajouter : c’est aussi « le seul site qui peut intéresser la Fondation Ford ». Mais il s’agit d’un terrain très convoité et qui a, comme le dit l’architecte Albert Laprade, « beaucoup d’amateurs » : « Il semble, ajoute-t-il, que l’intérêt de la France et de Paris serait de “reconquérir” des terrains dans le triangle Halle aux vins, Halle aux cuirs, Panthéon, au profit de l’Enseignement supérieur30. »
41Un autre emplacement est aussi envisagé : celui de l’ancienne prison du Cherche-Midi.
L’ancienne prison militaire du Cherche-Midi
42Du début du xixe à la moitié du xxe siècle, la rue du Cherche-Midi a été le centre de la justice militaire à Paris, avec une prison militaire construite en 1853 au no 38 et des tribunaux militaires en face au no 37 de la rue du Cherche-Midi. C’est dans ces tribunaux que les conseils de guerre eurent notamment à instruire l’affaire Dreyfus. Quant à la prison, elle fut placée en 1940 sous commandement allemand jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Des hommes et des femmes y ont été jugés et écroués, dont Honoré d’Estienne d’Orves, Léon-Maurice Nordmann, Paul Langevin, Agnès Humbert, assistante au musée des Arts et Traditions populaires et membre du réseau du musée de l’homme. Après la libération de Paris, la prison accueille des prisonniers de guerre allemands, dont Otto Abetz, Serge Gerstein (mis en scène par Costa-Gavras dans le film Amen) et Otto von Stülpnagel, qu’on retrouve pendus dans leur cellule31. Vidée de ses prisonniers en 1947, la prison devient le siège d’un tribunal militaire. En décembre 1947, le Cherche-Midi passe sous contrôle du ministère de la Justice et sert de simple maison d’arrêt jusqu’en mars 1950. Insalubre et délabrée, la bâtisse est rasée en 196432.
43Deux plaques seront réalisées en mémoire de ces hommes et de ces femmes et placées dans le jardin de la Maison des sciences de l’homme. Sur la première, on peut lire : « Prison militaire du Cherche-Midi. Le 1er novembre 1940, ici furent incarcérés des lycéens et des étudiants qui, après l’appel du 18 juin, se dressèrent les premiers contre l’occupant. » Sur la deuxième : « Ici s’éleva de 1853 à 1964 la prison militaire du Cherche-Midi. Le capitaine Dreyfus y fut condamné en 1894. Le capitaine de corvette d’Estienne d’Orves, héros de la France libre, fut interné en 1941 avant d’être fusillé. Des étudiants furent incarcérés et torturés » (Tronel 2009).
44Cette hypothèse est d’abord rejetée car elle exigerait l’achat de terrains supplémentaires et le transfert de l’École de la magistrature à un autre endroit, ce qui apparaît comme « une solution partielle et temporaire33 ». Les deux « inconvénients sérieux » de cet emplacement seraient, aux yeux de Braudel et Heller, sa petitesse et, selon l’avis du Service technique d’études architecturales, sa proximité avec un croisement d’intense circulation – d’où un « bruit incessant », source d’irritation possible pour les usagers d’un édifice de cette nature34. Gaston Berger n’est pas en désaccord, mais son projet à lui prévoit deux éléments ou deux pôles : une structure légère à Paris et un grand complexe universitaire pour les sciences humaines à Châtenay-Malabry, qui serait une sorte de campus à l’américaine en banlieue. Pour le pôle Paris, l’hypothèse du Cherche-Midi demeure ouverte.
45Lassé de toutes ces tentatives qui avortent les unes après les autres, le ministre de l’Éducation nationale, Jean Berthoin, est pour sa part décidé à « faire prévaloir une solution qui, même si elle ne doit pas donner satisfaction à tous les points de vue, aura le mérite de mettre un terme aux hésitations et de regrouper les bonnes volontés sur un objectif enfin défini ». L’on cherche « une formule immédiatement réalisable35 ».
46Tout en poursuivant la négociation avec la Fondation Ford pour la future Maison des sciences de l’homme, Heller envoie à D’Arms un plan « révisé » de la Maison36, et Fernand Braudel et ses collaborateurs obtiennent des appuis financiers de la fondation américaine pour des activités et des programmes de la VIe section : une subvention de 10 000 dollars pour le programme d’études polonaises pour les années 1959 et 196037, un appui aux étudiants algériens musulmans en France38, une étude de la demande d’une subvention de 7 millions de francs pendant deux ans pour le programme de recherche du Centre d’études maghrébines dirigé par Germaine Tillion et Jacques Berque dans le cadre des programmes régionaux de l’EPHE39.
47Les choses bougent au printemps 1959 : d’un côté, les décisions se prennent à Paris, et de l’autre, les vraies négociations avec la Fondation Ford s’engagent. Le 2 mai 1959, les membres de l’association de la Maison des sciences de l’homme se réunissent dans le bureau de Jean Sarrailh, recteur de l’université de Paris. Plusieurs décisions importantes sont arrêtées : 1) la Maison sera bâtie sur l’emplacement offert par le ministère de la Justice, à l’angle de la rue du Cherche-Midi et du boulevard Raspail. En contrepartie, il faudra assurer le logement de l’École de la magistrature ; 2) la surface de la Maison sera de l’ordre de 10 000 m2, ce qui est une surface insuffisante pour assurer le fonctionnement de la bibliothèque souhaitée, d’une capacité supérieure à un million de volumes. Il faudra donc édifier un bâtiment annexe, au plus près de la cité universitaire d’Antony sur les terrains réservés à cet effet ; 3) La première attention de l’administration sera réservée aux services communs, à savoir la bibliothèque (avec des salles d’usuels selon les spécialités, un stock d’environ 200 000 volumes rue du Cherche-Midi et une réserve à Châtenay-Malabry), le centre de documentation (contenant un catalogue général tenant compte de toutes les ressources parisiennes et largement ouvert sur l’information mondiale), le centre de mécanographie (avec outillage élémentaire et le strict nécessaire à l’utilisation des ordinateurs IBM 70440 et 705 mis à la disposition de la future Maison) et le centre de cartographie.
48L’informatique représente un nouvel enjeu pour la recherche lorsqu’en 1963, IBM mettra au point un appareil qui peut regrouper les fonctions assurées jusque-là par la complémentarité des différentes machines électromécaniques : tabulatrice, trieuse, interclasseuse. C’est la naissance de l’ordinateur (mot inventé en 1955 par le professeur de philologie Jacques Perret pour remplacer le mot « calculateur », à la demande d’IBM France) et de l’informatique (mot forgé en 1962, puis adopté par l’Académie française en 1967) et conséquemment, la fin progressive de la mécanographie classique qui survivra parallèlement à l’informatique jusque vers 1970. Cette révolution va bouleverser l’ensemble des sciences humaines et sociales.
Jean Sarrailh (1891-1964)
Né à Monein dans le Béarn, Jean Sarrailh entre à l’École normale supérieure de Saint-Cloud, puis devient agrégé d’espagnol en 1919 et docteur ès lettres en 1930. Il est recteur de l’Académie de Paris et président du conseil de l’université de Paris de 1947 à 1961. Il est le fondateur, avec Paul Rivet, de l’Institut des hautes études d’Amérique latine en 1954 et de la Société des hispanistes français en 1962. Il est élu membre de l’Académie des sciences morales et politiques en 1955. Historien spécialiste de l’histoire et de la culture hispaniques aux xviiie et xixe siècles, il publie en 1954 L’Espagne éclairée de la deuxième moitié du xviiie siècle.
49Autour des services communs, on prévoit d’installer des locaux de travail répartis entre des bureaux administratifs (en principe deux par centre), des salles de colloque et des cellules de travail. S’il y a une idée que partagent les membres de la MSH, c’est que les centres admis puissent répondre à un but essentiel : rapprocher les disciplines nécessaires à une meilleure connaissance de l’homme et de ses activités. Par ailleurs, il ne semble pas possible de loger la totalité des membres de chaque centre dans les locaux de la Maison des sciences de l’homme.
50La discussion porte enfin sur l’organisation du travail de la future Maison. Il est convenu qu’elle se fera selon une double classification : par discipline (anthropologie, économie, psychologie, sociologie) et par société ou aire (Afrique, Amérique, Chine, Inde, Islam, Russie, éventuellement Amérique et Europe). Tout cela ne peut, observe l’un des membres, se faire en vase clos : il faut déjà penser aux liens à établir avec la nouvelle Maison de l’Asie, l’Institut de l’Amérique latine et le Centre de documentation. Une liste de centres est établie : le Centre d’études anthropologiques, le Centre d’études sociologiques, quatre centres d’études de psychologie, le Centre d’études économiques de la VIe section (ISEA), le Centre d’études géographiques, le Centre d’études de l’Institut de préparation aux affaires, le Centre de mathématique sociale, sans oublier les centres nécessaires pour couvrir le programme d’aires culturelles préparé par la VIe section ainsi que le Centre d’études islamiques de Régis Blachère41. Des membres de l’assemblée contestent le caractère définitif de la liste des disciplines et veulent notamment que le cas de l’histoire fasse l’objet d’une nouvelle délibération42.
Le choix d’un architecte : Marcel Lods
Marcel Lods (1891-1978)
Né à Paris, Marcel Gabriel Lods suit d’abord des études à l’École nationale supérieure des arts décoratifs puis à l’École nationale supérieure des beaux-arts à Paris (atelier Bernier) où il est admis en décembre 1911. Appelé sous les drapeaux en 1912, il reprend ses études en 1918, rentre à l’atelier Pontremoli en 1922 et obtient son diplôme en 1923. Il travaille alors à l’agence d’Albert Beaudouin, et s’associe avec le neveu de celui-ci, Eugène Beaudouin.
Marcel Lods et Eugène Beaudouin travaillent ensemble jusqu’en 1939. Les logements sociaux qu’ils construisent dans le 15e arrondissement de Paris et en banlieue (Vitry, 1928-1929), ainsi que la relation de confiance qu’ils établissent avec Henri Sellier, militant socialiste, maire de Suresnes et sénateur, leur valent d’importantes commandes à partir de 1930 : cité du Champ-des-Oiseaux à Bagneux (1930-1939), cité de la Muette à Drancy (1931-1934, présentée à l’exposition du MOMA à New York en 1939). Lods devient membre en 1933 des Congrès internationaux d’architecture moderne (CIAM) et, en 1934, de l’Union des artistes modernes (UAM).
Pionnière dans le domaine de la préfabrication, l’agence construit, avec la collaboration d’ingénieurs et de constructeurs comme Bodiansky et Prouvé, des bâtiments qui vont faire pendant longtemps référence : école de plein air de Suresnes (1934-1935), Maison du peuple et marché couvert de Clichy (1935-1939), pavillon de l’aéroclub Roland-Garros de Buc, maison démontable BLPS (1938).
Marcel Lods est un défenseur de l’industrialisation intégrale du bâtiment. Il tente d’imposer ses idées dans une étude radicale (sans suite) pour la reconstruction de Mayence, puis pour celle de Sotteville-lès-Rouen, où il construit, en collaboration avec Marc Alexandre, une unité de voisinage de mille logements.
Pendant les deux guerres mondiales, Lods sert dans l’armée française, se passionnant pour l’aéronautique. La pratique de l’aviation et aussi de la photographie fait partie intégrante de sa démarche. Dès le début des années 1930, il fait un premier vol au-dessus de la région parisienne : « La crasse de Paris », s’exclame-t-il. Pour ses projets, il survole les terrains à construire et les chantiers et, équipé de deux appareils photo, l’un chargé en noir et blanc et l’autre en couleur, il prend des milliers de photographies, qui font état, comme le souligne Pieter Uyttenhove, « de ses prouesses, des innovations et des progrès de la technologie du bâtiment mis au point en équipe avec les meilleurs ingénieurs et constructeurs de sa génération » (Uyttenhove 1991).
Après la guerre, Lods travaille pour l’administration militaire française sur un plan de reconstruction de la ville et nouvelle ville allemande de Mayence détruite à plus de 80 % par les bombardements. Désavoué dans ses idées, il retourne à Paris en 1948 où il travaille comme architecte indépendant sur de grands projets pour différentes collectivités.
Au début des années 1950, il succède à Auguste Perret à la tête de son atelier d’architecture à l’École nationale supérieure des beaux-arts. Nommé architecte-urbaniste conseil du gouvernement général de Guinée au début des années 1960, il réalise en collaboration avec Rémi Le Caisne, à Conakry et dans plusieurs autres villes, des immeubles d’habitation et de bureaux ainsi que des équipements collectifs. De retour en France, en collaboration avec André Malizard, il travaille sur d’autres grands ensembles et groupes scolaires, comme à Saint-Étienne-du-Rouvray ou à Sotteville-lès-Rouen.
À partir de 1964, Lods s’associe avec Henri Beauclair et Paul Depondt, il fonde le GEAI (Groupement d’études pour une architecture industrialisée) et il réalise un prototype de quatre bâtiments intégralement usinés à Aubervilliers entre 1962 et 1966 (en partenariat avec les industriels Pechiney, Saint-Gobain, Aluminium français, OTUA) et le grand ensemble de La Grand’Mare (500 logements) à Rouen, à la demande d’Edgard Pisani. Marcel Lods réalise là son idéal en matière de construction industrialisée. Avec les mêmes collaborateurs, il construit entre 1962 et 1964 un grand bâtiment académique : la faculté des sciences à Reims pour le ministère de l’Éducation nationale (en collaboration avec André Dubard de Gaillarbois) (Lods 1976 : 206).
Titulaire de plusieurs grands prix nationaux et internationaux d’architecture, Lods obtient en 1968 le Grand Prix d’architecture et deviendra en 1971 membre de l’Académie d’architecture. En 1976, il publiera Le Métier d’architecte (Lods 1976, Uyttenhove 1999).
En mai 1968, Lods se montre plutôt critique face au mouvement étudiant, tout au moins dans les écoles d’architecture. De son point de vue, et il n’hésite pas à le dire, l’enseignement qui y est donné aussitôt après les événements de mai 1968 est « lamentable ». Certes les revendications des étudiants ne sont pas « sans fondement », elles sont même « logiques» mais « la chienlit que les étudiants ont provoquée a quand même perturbé l’enseignement de l’architecture pendant plusieurs années » (Lods 1976 : 160). Les réformistes ont été débordés par des agitateurs d’abord préoccupés de semer le trouble dans la société.
Lods dessine en 1974 sa villa personnelle, la maison « La Mare », à Sérigny (Orne), qui est un concentré des techniques de fabrication utilisées par l’architecte.
51Le choix de l’architecte pour le futur immeuble se porte sur Marcel Lods. Celui-ci travaille alors, avec Jean-Jacques Honegger, à la construction de l’ensemble des Grandes Terres à Marly-le-Roi : il s’agit d’un groupe d’habitations (environ 1 500 logements) en béton vibré préfabriqué et dont les façades sont réalisées en usine. Entre 1958 et 1966, il est aussi architecte en chef de la ZUP de la plaine à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), dotée de 6 430 logements, et il dessine avec ses associés Paul Depondt et Henri Beauclair une partie de ce grand ensemble – 8 tours de 18 étages avec dalle et centre commercial (928 logements).
52Il y a entre l’architecte et l’institution une homologie de position : Lods est à l’architecture française ce que la Maison des sciences de l’homme veut être à l’université française. Membre de l’Union des artistes modernes (UAM) dans les années 1930 puis, de 1940 à 1944, avec Le Corbusier, de l’Association pour la rénovation architecturale (ASCORAL), Lods parle de Le Corbusier dit Corbu comme de son maître et de son ami. Il partage avec lui beaucoup de choses : « L’architecture a pour devoir, dans une époque de renouvellement, d’opérer la révision des valeurs, la révision des éléments constitutifs de la maison. »
53Lods est résolument du côté de la modernité, des nouvelles technologies, du progrès. De 1928 à 1940, il réalise, en collaboration avec Eugène Beaudouin, de nombreuses constructions, utilisant des matériaux et des méthodes industrielles, en particulier le préfabriqué. Il choisit des matériaux rendant les bâtiments toujours plus légers pour l’école de plein air de Suresnes avec ses murs externes déplaçables ou pour la Maison du peuple de Clichy, réalisée en collaboration avec Jean Prouvé et l’ingénieur Vladimir Bodiansky. Il y a chez Lods un idéal d’architecture tendant vers l’immatérialité comme on le voit dans le club-house, dit « club Roland-Garros », de l’aérodrome de Buc (1937), qui fut démonté en 1940 par les Allemands, et le projet (jamais réalisé) du grand Palais des expositions à la Défense, principalement fait de verre et d’acier, qui devait avoir un toit métallique accessible aux voitures par l’intermédiaire de rampes s’étendant le long de façades de verre.
54Lods promeut et expérimente lui-même l’utilisation de nouveaux matériaux : le béton vibré, l’acier pour les charpentes, le verre pour les façades. Enfin, si la fonction (d’un mur, par exemple) demeure incontournable, il faut aussi et surtout se préoccuper de la « réalisation » en faisant appel aux méthodes de l’industrialisation, c’est-à-dire, précise-t-il, « à l’utilisation de la machine », de ce qu’il appelle le « multiplicateur-machine » (Lods 1976 : 139). Tout ne se fait plus directement sur le chantier : il est aujourd’hui possible de fabriquer en usine les « pièces » ou éléments d’un bâtiment qu’on assemble par la suite, par exemple à l’aide de grues.
55Lods manifeste par ailleurs une grande sensibilité à la fois pour les questions d’urbanisme et d’aménagement du territoire et pour les questions sociales : « L’objectif numéro un de notre époque doit être, déclare-t-il, la création d’un cadre bâti et non bâti conforme aux besoins de la majorité et non pas au profit d’une minorité » (ibid). Il n’hésite pas à parler des deux « drames » qui guettent Paris : la pollution – « Paris est empoisonné. Nous risquons tous de périr, bientôt, d’asphyxie » – et la surpopulation. Il invite donc à un effort de décongestion de la ville et aussi de décentralisation en constituant « des pôles attractifs pour de véritables métropoles régionales » ; il se fait aussi le promoteur de la construction en hauteur (avec un seuil à ne pas dépasser : 15-20 étages). Il est résolument tourné vers l’avenir. « Une notion à bannir : le respect du passé », s’exclame Lods qui défend l’idée d’une « architecture évolutive ». Il entend donc ajouter aux notions traditionnelles en architecture celles de la « mobilité » et de la « transformabilité ». Plus question d’un bâtiment éternel ! Évolution, mobilité, modulation : ce sont ses mots-clés.
56Lods rédige en décembre 1957 un rapport « concernant la construction d’un immeuble », qui porte sur la construction d’un immeuble de 9 étages (et éventuellement un 10e : le club), d’environ 345 bureaux, comprenant des services généraux (hall d’entrée, groupe sanitaire à chaque étage, ascenseurs, parking) à l’angle de la rue du Cherche-Midi et du boulevard Raspail. L’espace total43 (sans compter l’éventuel 10e étage) prévu est de l’ordre de 10 835 m2.
57Marcel Lods prépare immédiatement les premiers plans. Son objectif est, comme il le rappellera plus tard, d’« assurer le maximum d’espace sur un terrain restreint, étant donné l’importance du programme ». Son premier projet, qui ne prévoit que 10 000 m2, est critiqué par l’architecte en chef de la ville de Paris, M. Marin : celui-ci accepte que « le bâtiment puisse monter sur le boulevard Raspail » mais à la condition de « rester discret sur la rue du Cherche-Midi ». Lods doit donc se remettre au travail pour proposer un autre plan : deux bâtiments reliés par un élément léger de telle sorte que « le coin soit ainsi dégagé, la visibilité pour la circulation étant assurée grâce aux pilotis44 ».
Une dotation d’un million de dollars
58Fernand Braudel écrit, le 21 avril 1959, au président de la Fondation Ford, Henry T. Heald, pour lui soumettre, au nom de l’association de la Maison des sciences de l’homme, une demande de subvention de 1 million de dollars (800 000 $ pour l’équipement de la Maison et 200 000 $ pour les travaux préparatoires), dont la construction, rue du Cherche-Midi, est, selon lui, « la condition essentielle au plein développement des sciences de l’homme en France ». Il précise que, si le gouvernement français doit « apporter des crédits importants pour la réalisation de cette entreprise », l’aide de la Fondation est néanmoins « indispensable » et « de la plus haute utilité ». Elle doit dans un premier temps se limiter aux « opérations préparatoires », puis, une fois la construction terminée, financer l’équipement de la Maison, dont l’achat des ouvrages de la bibliothèque, à raison de 30 000 ouvrages par an sur cinq ans45.
59Le 5 mai suivant, c’est au tour du recteur de l’université de Paris, Jean Sarrailh, d’écrire au président de la Fondation pour lui transmettre un « rapport explicatif » au sujet de la demande de subvention d’un million de dollars « pour l’organisation et l’équipement du secteur de la rue du Cherche-Midi ». Il rappelle dans sa lettre l’échéancier des travaux prévus et les sommes dont il serait « utile de disposer » : 1) pour la seconde moitié de l’année 1959, 30 000 dollars pour les travaux préparatoires (secrétariat, services bibliographiques, voyages d’études, invitations d’experts étrangers) et pour l’achat de matériaux indispensables (ex. : la collection Human Relations Area Files), 2) en 1960 et 1961, 75 000 dollars par an pour les mêmes fins, et 3) vers la fin de 1961, 820 000 dollars pour l’équipement de la Maison après sa construction.
60Dans le « rapport explicatif » qu’il joint à sa courte lettre et qui, espère-t-il, va montrer « l’ampleur du projet », le recteur Sarrailh présente la Maison des sciences de l’homme comme « une libre fédération de centres de recherche autour de services communs qui permettra l’utilisation de puissants outils de travail ; elle propose d’orienter les sciences humaines vers des méthodes et des problématiques nouvelles, de les attacher à des tâches communes46 ». L’objectif est de remédier à des lacunes d’ordre matériel et intellectuel (manque de locaux et d’instruments de travail ; dispersion des efforts et absence de coordination), ce qui, précise-t-il, « gêne depuis longtemps le plein développement des sciences de l’homme et leur application aux besoins du pays ». Et il ajoute : « Ces besoins sont impérieux47. »
61Habilement, le recteur Sarrailh laisse entendre que le projet a l’accord de tout le monde, qu’il s’agisse du ministre de l’Éducation nationale, de la direction de l’Enseignement supérieur, des autorités universitaires de l’académie de Paris ou des directeurs des divers centres relevant de la faculté des sciences, de la faculté de lettres, de l’École pratique des hautes études, de l’Institut d’études politiques ou d’initiatives privées. Il précise aussi que la création de cette Maison ne va pas « résoudre tous les problèmes que posent les sciences humaines, mais qu’elle permet une action immédiate dans un secteur-clé, celui de la recherche ».
62L’hypothèse retenue pour la demande de subvention est celle des « deux éléments » que défend Gaston Berger : l’un, plus « léger », le centre de recherche et de documentation, rue du Cherche-Midi, et l’autre, plus « lourd » pour la recherche et l’enseignement, à Châtenay-Malabry en banlieue parisienne. Cette hypothèse semble être aussi celle privilégiée par le gouvernement, notamment au ministère de la Construction, car, même si on s’interroge sur l’opportunité d’une implantation à Paris plutôt qu’en banlieue, on est loin d’être assuré que « la rue du Cherche-Midi permette une réalisation immédiate48 ». Pour le recteur d’académie, une telle solution peut paraître paradoxale, mais elle s’explique par « deux impératifs contradictoires », qui sont d’un côté la nécessité d’être proche des futurs utilisateurs de la Maison à Paris et de l’autre, d’être en rapport constant avec les institutions d’enseignement qui vont, peut-on prévoir, se développer, en raison du besoin de terrains vastes, dans ce qu’on appelle déjà la nouvelle banlieue universitaire sur la ligne de Sceaux. Très optimiste, le recteur Sarrailh annonce que pour le premier « élément » du projet, rue du Cherche-Midi, qui est prioritaire, « tout est à pied d’œuvre » et qu’on peut prévoir le début de la construction de l’édifice pendant l’été 1959 et sa fin pendant l’hiver 1961, au plus tard au printemps 1962. Il annonce aussi que le gouvernement français assumera le financement de l’opération (achat du terrain et construction) à hauteur de 5 milliards de francs et que, dans les années à venir, il assurera les fonds nécessaires au « fonctionnement efficace » de la Maison. Quant à l’aide financière demandée, elle porte sur trois ans, ne concerne que les « études et travaux préparatoires » et cela uniquement pour la bibliothèque et le service de l’information documentaire49.
63Dans le préambule à la décision que prend le 11 décembre 1959 le conseil d’administration de la Fondation Ford, il est fait explicitement référence aux besoins de la France depuis la Seconde Guerre mondiale : « Les progrès rapides de l’industrie française de l’après-guerre et la détermination de nombreux dirigeants des secteurs publics et privés dans l’accélération du processus de modernisation entraînent une demande d’économistes, de sociologues et autres spécialistes des sciences sociales50. » L’engagement financier général de la Fondation pour les activités du futur Center of Human Sciences (Maison des sciences de l’homme) subit une réduction très substantielle, passant des deux millions de dollars prévus en 1957 à un million de dollars, et correspond à la demande de M. Sarrailh, mais pour une période non pas de trois ans mais de cinq ans. De plus, il n’est plus question pour la Fondation de « couler du béton ». Les quatre programmes auxquels doit être consacrée la donation sont les suivants : 1) le développement des ressources de la bibliothèque, 2) la venue en France d’experts américains et étrangers, 3) des bourses de recherche, et 4) la stimulation de projets de recherches communs (aux différents organismes compris dans le centre)51. La Fondation accorde une « subvention initiale » de 100 000 dollars pour les activités du « Center » durant l’année 1960. Cette somme sera, comme l’indique le secrétaire de la Fondation dans sa lettre du 8 janvier 1960, remise non pas à l’association de la Maison des sciences de l’homme qui n’a pas l’autorisation du gouvernement de recevoir des subventions, mais à la Fondation nationale des sciences politiques. Le secrétaire informe finalement le recteur Sarrailh que le directeur de l’International Affair Program de la Fondation, Shepard Stone, sera à Paris fin janvier ou début février pour rencontrer le recteur Sarrailh, Gaston Berger et Louis Ziéglé pour leur fournir des informations supplémentaires52. Louis Ziéglé est alors secrétaire général du Conseil supérieur de la recherche scientifique et du progrès technique.
64Entre la demande de la MSH et la réponse de la Fondation Ford, on voit quelques différences, dont la plus importante est la grande place que la Fondation accorde aux échanges franco-américains et aussi à l’interdisciplinarité. Sans oublier que l’accord implique que la Maison des sciences de l’homme ne va abriter que des activités de recherche, non d’enseignement, et qu’elle n’est pas réservée à la seule VIe section mais ouverte aux autres institutions universitaires.
65Lors de l’assemblée générale de l’association de la Maison des sciences de l’homme qui se tient le 1er février suivant sous la présidence de Gaston Berger dans le bureau du recteur Sarrailh, l’on prend d’abord acte de la dotation d’un million de dollars accordée par la Fondation Ford pour ensuite adopter le principe de la modification des statuts, afin de transformer l’association en fondation. Le mandat est confié à Charles Morazé et Gabriel Le Bras qui prennent la responsabilité de cette tâche. Fernand Braudel intervient pour parler de l’ouverture des postes de secrétaire général et de bibliothécaire ; il insiste en particulier sur « l’urgence » de la nomination d’un secrétaire général et après avoir communiqué les renseignements relatifs à la candidature de Louis Ziéglé, il conclut : « Sauf avis contraire, la nomination sera faite. » Et à la question que plusieurs se posent, « À quand la construction ? », la réponse est : « On ne peut pas compter que l’immeuble soit achevé avant la fin 196253. »
66C’est Gaston Berger qui annonce officiellement l’octroi de la subvention de la Fondation Ford. Un article paraît début janvier 1960 dans Le Monde sous le titre : « Une Maison des sciences de l’homme va être construite à Paris ». Le sous-titre de l’article fait explicitement référence à la subvention : « La Fondation Ford accorde 1 million de dollars pour son équipement ». Le journaliste Bertrand Girod de l’Ain présente les objectifs de la MSH et décrit les efforts de ses « pères » pour mener le projet à terme : choix d’un emplacement, obtention de subventions, et maintenant construction d’un immeuble, dont l’avant-projet a été dessiné par l’architecte Marcel Lods et qui doit comprendre une bibliothèque contenant 300 000 livres. « La conception de cette Maison est originale », conclut Girod de l’Ain qui souligne l’idée de cohabitation-rapprochement de centres et d’aires culturelles ainsi que le caractère provisoire de l’attribution des locaux aux centres de recherche. Lorsque le journaliste demande à Gaston Berger, qu’il présente comme l’un des membres fondateurs, s’il va prendre la direction de la nouvelle institution, celui-ci répond qu’« il n’aspire nullement à remplir des fonctions de directeur dans cette institution » et qu’il quitte – ce qu’il fera en juillet 1960 – son poste de directeur de l’Enseignement supérieur pour redevenir « un professeur comme les autres » (Girod de l’Ain 1960, cité par Mazon 1988 : 161). Berger va se retrouver directeur d’études à la VIe section de l’École pratique des hautes études où il se voit confier la responsabilité d’un nouveau séminaire sur les « études prospectives », dont la première partie doit être consacrée à la « prospective : méthodes et précurseurs » et la seconde à la « phénoménologie du temps, du rêve au projet ». Son séminaire se tient dans les locaux de la Sorbonne.
Les formalités administratives
67Lors de la séance du conseil d’administration de l’association de la Maison des sciences de l’homme, le 11 mars 1960, le recteur Sarrailh remercie et félicite Gaston Berger « grâce à qui la très importante contribution de la Fondation Ford nous est arrivée54 ». L’entente prévoit un premier versement de 50 000 dollars en 1960 et un deuxième du même montant en 1961, pour un total de 491 056 francs. C’est la Fondation nationale des sciences politiques qui prend en charge les fonds versés par la Fondation Ford en attente de la reconnaissance d’utilité publique de la MSH.
68Une fois la subvention en poche, il faut mettre en branle le projet de la Maison des sciences de l’homme. Une opération qui n’est pas, on le verra, facile, car il faut, tout en s’occupant de la construction de l’immeuble, à la fois définir les statuts de la nouvelle institution, sélectionner les instituts et les centres de recherche qui pourront y être logés et lancer des programmes d’activité. Ce sont là les grandes préoccupations de Fernand Braudel et de ses collaborateurs qui se lancent fréquemment dans de nombreuses discussions, souvent très longues, pendant le conseil d’administration ou l’assemblée générale de l’association de la Maison des sciences de l’homme.
69La première question, celle des statuts et de la structure administrative de la nouvelle institution, se révèle d’emblée complexe. À la séance du 11 mars 1960, à laquelle participent, en plus des membres élus, l’architecte Lods et le juriste Raymond Poignant, membre du Conseil d’État, Fernand Braudel identifie trois possibilités : passer par la VIe section, créer un établissement public autonome ou passer une convention entre l’État et l’association de la Maison des sciences de l’homme. Comme il s’en explique devant les membres du conseil d’administration, il rejette les deux premières solutions pour privilégier la dernière, qui n’a pas les inconvénients des deux autres et qui permettrait d’avoir un personnel composé soit de fonctionnaires détachés, soit de contractuels recrutés par l’association de la Maison des sciences de l’homme55. Intervenant en tant que « conseiller juridique officieux », Raymond Poignant tranche aussi pour la troisième solution : on pourrait, argumente-t-il, rédiger des statuts (qui sont actuellement ambigus) en fonction même de la convention à passer avec l’État, donnant ainsi la possibilité à l’association de la Maison des sciences de l’homme de recevoir sous forme de subvention la totalité des crédits accordés pour le fonctionnement de la Maison, l’État ne gardant que le rôle de gérant de l’immeuble, et que soit nommé un administrateur proposé par l’association de la Maison des sciences de l’homme parmi les membres de son bureau et désigné par le ministre56. Jacques Chapsal cite pour sa part l’expérience de la Fondation nationale des sciences politiques et de l’Institut d’études politiques : « Une convention entre l’université et la Fondation remet à cette dernière la gestion de l’Institut d’études politiques. La Cité universitaire et l’Université de Paris sont également liées par une convention du même genre. » On le voit, la troisième solution reçoit rapidement l’assentiment général.
70Lors de l’assemblée générale de l’association de la Maison des sciences de l’homme du 30 mai suivant, les membres acceptent, à l’unanimité, de demander pour la MSH la « reconnaissance d’utilité publique57 », puis adoptent les nouveaux statuts. Il y est clairement spécifié, comme le souhaitait Gaston Berger, que les centres installés à la Maison ont leur autonomie administrative et financière et que le choix d’un administrateur peut se faire parmi les chercheurs des centres et instituts de recherche hébergés dans les locaux de la MSH (article 8). Par ailleurs, il est reconnu dans ces statuts que l’assemblée aura la charge de la gestion de l’institution, que les fonctionnaires de tous ordres pourront y être détachés et qu’enfin l’immeuble mis à la disposition de la Maison fera l’objet d’un bail emphytéotique (ou de longue durée) avec les « Domaines58 ».
Raymond Poignant (1917-2011)
Il est membre du Conseil d’État. Cet ancien instituteur entreprend après la seconde guerre mondiale et à la suite d’études à l’École nationale d’administration une longue carrière dans l’administration publique, principalement dans le domaine de la planification scolaire et universitaire : conseiller technique au cabinet d’André Marie, ministre de l’Éducation nationale, au cabinet de René Billères, secrétaire d’État chargé de la Fonction publique et ministre de l’Éducation nationale, maître des requêtes (1956), rapporteur général de la commission de l’équipement scolaire et universitaire au commissariat au Plan (1956-1964), secrétaire général du Comité interministériel d’étude des problèmes de l’enseignement médical, de la structure hospitalière et de l’action sanitaire et sociale (1958-1970). En 1960, il est nommé conseiller juridique et administratif de la Délégation générale à la recherche scientifique et technique et expert auprès du président de la Communauté européenne de l’énergie atomique. De 1969 à 1974, il deviendra directeur de l’Institut international de planification de l’éducation (Unesco). Il est l’auteur des ouvrages suivants : L’enseignement dans les pays du marché commun (1965), La planification de l’éducation en URSS (en collaboration avec K. Nojko et als, 1967), L’enseignement dans les pays industrialisés (1973).
71En vue de la constitution du dossier de reconnaissance d’utilité publique de l’association de la Maison des sciences de l’homme, le ministère de l’Éducation nationale se dit « disposé à conclure avec l’association, la chargeant d’assurer la gestion des services communs aux divers centres et instituts de recherche installés à la MSH59 ».
72Mais quel « sort » sera réservé à la future École nationale de la magistrature ? se demande-t-on. Cette école, qui relève du ministère de la Justice, devait s’installer rue du Cherche-Midi mais, suite à la décision du Comité de décentralisation, elle devra aller à Bordeaux. Si la solution « BDX » l’emporte, ce sera, note Braudel, une bonne chose car le ministère de l’Éducation nationale, qui certes serait amené à participer aux frais de cette installation, pourrait occuper la totalité de l’emplacement du Cherche-Midi, à moins qu’à la place de l’École nationale de la magistrature, le ministère de la Justice ne cherche à installer un centre régional pénitentiaire. Une telle éventualité semble « détestable » à l’unanimité du Conseil.
73Lors de la séance du conseil d’administration du 23 mai 1960, à laquelle n’assiste pas Gaston Berger, alors en mission aux États-Unis, Fernand Braudel donne quelques informations supplémentaires sur la situation : l’École nationale de la magistrature (qu’on appelle aussi l’Institut des hautes études judiciaires) étant transférée de Paris à Bordeaux, cela diminuera de 2 000 m2 la surface que la MSH doit mettre à la disposition du ministère de la Justice60. Mais persiste un « important malentendu » qui, rappelle-t-il, a fait croire à l’Éducation nationale que « c’était la totalité des bâtiments du Cherche-Midi qui lui était livrée. En réalité, le ministère de la Justice se réservait des immeubles en arrière-cour qu’elle venait d’aménager pour le prix de 800 000 francs, et indispensables à l’extension des services de la place Vendôme […]. Le ministère de la Justice exige une indemnité de 800 000 francs et la mise à disposition d’une surface de plancher entre 2 000 et 3 000 m2 ». On craint par ailleurs qu’au lieu de l’École nationale de la magistrature, ce soit des unités (non déterminées) de l’administration pénitentiaire qu’on y loge. « Cette dernière cohabitation est, à tout prendre, moins pertinente que celle qui avait été prévue61. »
74Les « formalités administratives » ne se règlent pas rapidement. Il faut d’abord procéder à une nouvelle rédaction des statuts de 1957 afin de les mettre en harmonie avec le statut type des associations reconnues d’utilité publique établi par le Conseil d’État : composition du bureau de l’association de la Maison des sciences de l’homme (un président, deux vice-présidents, un trésorier, un secrétaire et l’administrateur, nommé par le ministère de l’Éducation nationale), et enfin la participation aux réunions des chefs de service avec voix consultative.
Notes de bas de page
1 Article 40 du décret no 59-57 du 6 janvier 1959.
2 Deux ans plus tard, en 1960, sont nommés, parmi les douze « sages », Robert Gessain, anthropologue et sous-directeur du musée de l’Homme, et Robert Goetz, professeur à la faculté de droit et de sciences économiques de Paris. Vont les remplacer en 1964 Jean Hyppolite, philosophe et professeur au Collège de France et en 1966, Jean Cazeneuve, sociologue et directeur scientifique au CNRS puis professeur à la Sorbonne.
3 Normalien et agrégé de chimie, Pierre Piganiol (1915-2007) se consacre d’abord à la recherche pour ensuite occuper diverses fonctions administratives : il est délégué général au Comité consultatif de la recherche scientifique et technique (CCRST) dont il devient le président et qui est à l’origine de la future Direction générale de la recherche scientifique et technique (DGRST). Il est aussi actif au sein de divers organismes et associations : le conseil d’administration de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) ou encore l’Association internationale futuribles. Enfin, Pierre Piganiol publie en collaboration avec Louis Villecourt l’ouvrage Pour une politique scientifique (1963). Louis Villecourt est rédacteur-fondateur de la revue de la DGRST, Le Progrès scientifique.
4 Voir : Morin 1967 et Burgière 1975.
5 Ces centres fusionneront pour donner naissance au CRPREMAC. Voir Chartriot 2006 : 174-179.
6 Voir Commissariat général du plan d’équipement et de la productivité 1961 et Bezes 2009.
7 Au début des années 1960, sont actifs 820 chercheurs au CNRS, 2 000 enseignants-
chercheurs dans les universités et moins de 300 dans les grands établissements (Collège de France, École pratique des hautes études, École des chartes, etc.), soit un total d’à peine 3 000 personnes (Charles 2008 : 80-97).
8 La division d’études économiques de la VIe section réunit les groupes de recherche suivants : 1) le Groupe de mathématiques sociales et de statistique (appelé Centre Condorcet, dirigé par Marc Barbut, Claude Gruson, Georges Guilbaud, Edmond Malinvaud et André Nataf ; 2) le Centre d’études économiques, dirigé depuis la scission de 1955 par Pierre Coutin ; 3) le Centre d’études de développement économique et social, dirigé par André Piatier ; 4) le Centre de recherches quantitatives et d’économie
appliquée, dirigé par François Perroux, Jean Weiller et Henri Chambre ; 5) le Centre de planification socialiste, dirigé par Charles Bettelheim ; et 6) le Groupe de recherche sur l’évolution des prix et les effets économiques de la productivité, dirigé par Jean Fourastié, en liaison avec l’INSEE.
9 En conclusion de son étude, Trystram parle d’une institution nouvellement créée, la Maison des sciences de l’homme, qu’il nomme the Foundation for the Study of Man, qui a un « lien très étroit » avec la VIe section et qui dans un avenir proche doit réunir, dans un même bâtiment, la plupart des centres de recherche en sciences sociales de Paris : « Ce regroupement est plus qu’un symbole, car il permettra d’établir des contacts plus étroits entre chercheurs et d’aller chercher des subventions de grandes fondations américaines » (Trystram 1962 : 86).
10 Voir Pollak 1976 : 105-121.
11 Voir Aymard 1987 : 5-18.
12 L’ouvrage est réédité chez Flammarion en 1987 sous le titre Grammaire des civilisations.
13 Dans une courte note de 4 pages rédigée quelques jours plus tôt, le 30 juin, Braudel démontrera qu’« à l’heure actuelle il y a, à la VIe section, un nombre suffisant de directeurs pour un enseignement de premier cycle » et que pour les second et troisième cycles (séminaires, centres de recherche), il y a « pratiquement en place ce qu’il faut », que ce soit à l’École pratique des hautes études, à l’Institut d’études politiques ou dans certains grands instituts parisiens (Braudel 1958b).
14 Lettre de Fernand Braudel à Monsieur le ministre de l’Éducation nationale, direction de l’Enseignement supérieur, le 4 juillet 1958 (archives FMSH). À sa lettre, Braudel joint une « Note sur la création d’une Fondation nationale des sciences économiques et sociales. Exposé des motifs », datée du 30 juin.
15 Fernand Braudel, « Création d’une Fondation nationale des sciences économiques et sociales », 9 juillet 1958 : 1 (archives EHESS).
16 Ibid. : 2.
17 ibid. : 5
18 Lettre de Gaston Berger à Shepard Stone, Paris, 21 mars 1957 (archives FMSH).
19 Selon le 3e article des statuts, ces membres sont désignés par l’assemblée générale sur proposition du bureau, 22 au plus choisis parmi les professeurs et chercheurs spécialisés dans l’étude des sciences de l’homme et 8 au plus parmi les représentants de l’activité générale du pays.
20 L. Julliot de la Morandière, « Nécrologie. Joseph Hamel », Revue internationale de droit comparé, vol. 14, no 3, 1962 : 597-603
21 Lettre de Fernand Braudel à Monsieur le ministre de l’Éducation nationale, direction de l’Enseignement supérieur, le 4 juillet 1958 (archives FMSH).
22 Fernand Braudel, « La création de la Fédération nationale des sciences économiques et sociales. Exposé des motifs », op. cit.
23 Ces centres sont : l’Institut de statistiques (Georges Darmois), l’Institut de psychologie (Daniel Lagache), le Centre d’études sociologiques (Jean Stoetzel), le Centre d’études des relations internationales (Jean Touchard), le Centre de recherches historiques et son laboratoire de cartographie (Jacques Bertin), le Centre d’études économiques (Pierre Coutin), l’ISEA (François Perroux), le Centre d’ethnographie (Claude Lévi-Strauss), le Centre de recherches sociales (Raymond Aron). Il y a aussi l’Association des sciences politiques (Charles Morazé).
24 Dans un autre document, « Projet de création d’une Maison des sciences sociales », annexé à une lettre de Braudel au ministre de l’Éducation nationale datée du 4 juillet 1958, il n’est plus question du Centre sur le Monde juif.
25 Gurvitch fait probablement référence aux chercheurs, techniciens, documentalistes.
26 Compte rendu de la réunion du 17 février 1958 (archives FMSH).
27 « Le Projet de la Maison des sciences de l’homme et la Fondation Ford », note dactylographiée de 2 pages et signée G., s. d. (archives FMSH).
28 Lettre d’André Malraux à Shepard Stone, 12 septembre 1958 (archives Fondation Ford), citée par Mazon 1988 : 156.
29 Lettre de Clemens Heller à Monsieur Labarthe (aux bons soins de Monsieur Merlot), 10 juillet (1958) (archives FMSH). Dans cette lettre, Heller dit que le choix de cet emplacement est, pour Stone, la condition pour que la demande de subvention de 1 million de dollars pour la MSH soit soumise à la Fondation Ford.
30 Lettre de M. Albert Laprade à Monsieur le 12 décembre 1957 (archives FMSH).
31 En 2002, la Fondation de la MSH appuiera la mise sur pied d’un programme de recherche sur l’histoire de la Maison des sciences de l’homme : l’étude de la prison militaire du Cherche-Midi. Ce programme sera dirigé par Jean Barin, ancien résistant, témoin de la démolition des bâtiments de l’ancienne prison ainsi que de la construction de la MSH. Il sera coordonné par Jacky Tronel, historien, membre du comité scientifique de la revue Histoire pénitentiaire et du comité de rédaction de la revue d’histoire Arkheia.
32 D’après Jacky Tronel : http://prisons-cherche-midi-mauzac.com/recherches/la-prison-militaire-de-paris-face-a-la-debacle-de-juin-1940-15616.
33 Lettre de Clemens Heller à Monsieur Labarthe (aux bons soins de Monsieur Merlot), 10 juillet (1958), op. cit.
34 Lettre de l’inspecteur général des bâtiments civils et palais nationaux et chef du Service technique général d’études architecturales (ministère de l’Éducation nationale) à Monsieur le ministre de l’Éducation nationale, Paris, le 10 avril 1958 (archives FMSH). Il s’agit d’une lettre de 6 pages écrite après consultation de Clemens Heller, de Pierre Lelièvre de la direction des bibliothèques et de plusieurs architectes (Grange, Rey, Carpentier). Divers problèmes sont soulevés dont la proximité d’un monument historique, l’église des Carmes, et de bâtiments tels la Banque de France et l’hôtel Lutetia, qui ont une hauteur d’environ 20 m. L’on suggère par ailleurs de prévoir un parking, compte tenu du caractère de cet édifice.
35 Lettre de G. Morlot, cabinet du ministre de l’Éducation nationale Jean Berthoin, à Fernand Braudel, 26 août 1958 (archives EHESS).
36 Heller joint à sa lettre le programme de la VIe section ainsi que le dernier numéro de la revue des Annales (archives EHESS).
37 Le montant est transféré à l’association Marc Bloch. En novembre 1960, Heller écrit à Stone pour le renouvellement-élargissement du programme : 10 bourses (scholarships) pour les universités, en plus des 10 bourses déjà données à l’Académie des sciences (archives EHESS).
38 « Une situation extrêmement difficile » car la Fondation Ford veut éviter « tout ce qui peut être interprété comme un acte inamical avec la France ». Aussi décide-t-on, comme l’écrit Stone à Heller, « de ne rien faire », mais celui-ci ne pense pas que la Fondation puisse « rester longtemps dans cet état passif » (« Note d’une discussion de Heller avec Stone le 12 septembre 1958 », archives EHESS). Début septembre 1959, la Fondation Ford accorde des bourses à 96 étudiants algériens, principalement en médecine, science et droit. C’est l’ethnologue Germaine Tillion (1907-2008), chercheuse au CNRS et depuis peu directrice d’études à l’École, qui s’occupe avec Heller de ce dossier pour la VIe section.
39 Lettre de Fernand Braudel à Monsieur le Président de la Fondation Ford, 5 décembre 1958 (archives EHESS). En février suivant, la Fondation verse une subvention de 15 000 dollars pour l’étude des problèmes nord-africains. Le montant est versé à l’association Marc Bloch qui agit alors comme « fiscal agent » (agent financier) de l’EPHE.
40 Introduit en 1954 par IBM, le 704 est le premier ordinateur muni de capacité d’arithmétique en virgule flottante. C’est initialement pour cet ordinateur que sont développés les langages de programmation Fortran et LISP.
41 Assemblée de l’association de la Maison des sciences de l’homme, le 2 mai 1959 (archives FMSH).
42 Lettre de Charles Morazé à tous les destinataires, s. d. (début mai 1959) (archives FMSH).
43 Marcel Lods, « Rapport concernant la construction d’un immeuble », 2 décembre 1957, 4 pages. Il s’agit d’un rapport « à usage administratif » (archives FMSH).
44 Compte rendu de la réunion du comité technique du 8 mai 1961 : 1 (archives FMSH).
45 Lettre de Fernand Braudel à Henry T. Heald, 21 avril (1959) (archives FMSH).
46 Jean Sarrailh, « Rapport explicatif », p. 1. Ce rapport de 4 pages est joint à la lettre que le recteur écrit au président de la Fondation Ford, le 5 mai 1959 (archives FMSH). L’en-tête de la lettre est : ministère de l’Éducation nationale, Maison des sciences de l’homme, adresse provisoire : 54 rue de Varenne, 7e.
47 Ibid.
48 F. B. d’Harambure, inspecteur de la construction, « Note sur le projet de création d’une Maison des sciences de l’homme à Paris, Inspection générale, ministère de la Construction, mars 1960 : 3 (archives FMSH). Si crainte il y a, c’est que les négociations avec le ministère de la Justice soient longues, sans exclure, comme le remarque d’Harambure, la possibilité que « le ministère renonce à offrir ce terrain au ministère de l’Éducation nationale ».
49 Ibid. : 2. La liste de ces « études et travaux préparatoires » est longue : constitution d’un catalogue collectif des ouvrages possédés par les bibliothèques de Paris spécialisées en sciences humaines, établissement des programmes d’acquisition pour la bibliothèque centrale (ouvrages fondamentaux de référence, collections de périodiques, etc.), acquisition d’instruments de travail fondamentaux dans le domaine bibliographique et documentaire, voyages d’études et enquêtes auprès des bibliothèques étrangères, invitation d’experts étrangers. On évalue aussi avec précision le besoin en personnel et le budget qui seront nécessaires : pour la bibliothèque, une douzaine de personnes, dont 4 bibliothécaires bibliographes, 4 sous-bibliothécaires, et un budget de l’ordre de 12 millions par an ; pour les acquisitions et les voyages, un budget de 7 millions de francs sur 3 ans ; enfin pour le service d’information, une dizaine de personnes pouvant disposer de locaux d’environ 100 m2.
50 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la Fondation Ford du 11 décembre 1959 (archives Fondation Ford, cité par Mazon 1988 : 157).
51 Lettre du secrétaire de la Fondation Ford à Jean Sarrailh, 8 janvier 1960 (archives FMSH). Dans le compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la Fondation, la définition des activités que doit mener la future MSH est plus précise : la bibliothèque doit comprendre une collection importante d’ouvrages américains en sciences sociales ; les bourses s’adressent à des chercheurs et universitaires tout autant français qu’étrangers pour permettre aux premiers de « poursuivre leurs travaux à l’étranger » et aux seconds de « participer aux projets d’enseignement et de recherche du Centre ».
52 Lettre du secrétaire de la Fondation Ford à Jean Sarrailh, 8 janvier 1960 (archives FMSH).
53 Compte rendu de l’assemblée générale de l’association de la Maison des sciences de l’homme du 1er février 1960 (archives FMSH).
54 Procès-verbal de la séance du conseil d’administration de l’association de la Maison des sciences de l’homme du 11 mars 1960 (archives FMSH). Sont présents : Jean Sarrailh, André Aymard, Marcel Bataillon, Gaston Berger, Fernand Braudel, Julien Cain, Jacques Chapsal, Gabriel Le Bras, Marcel Lods, Raymond Poignant, Pierre Renouvin.
55 L’avantage de la première solution, qui a la préférence du ministère des Finances, serait de « rendre immédiatement mobilisables les crédits et les postes figurant au budget général », mais cela ne serait pas sans inconvénients. En effet « le chef hiérarchique de l’organisme serait inévitablement le président de la VIe section, même si cette personne est distincte de l’administrateur de la Maison ». Une confusion qui dans l’immédiat pourrait « créer un malaise au sein de l’École ». Quant à la seconde solution, elle remet en question l’utilité même de l’association : « Mais que devient alors, se demande Braudel, le rôle de notre association ? » (ibid. : 29).
56 Compte rendu de la séance du conseil d’administration de l’association de la Maison des sciences de l’homme du 11 mars 1960 (archives FMSH).
57 Compte rendu de l’assemblée générale du 20 mai 1960 (archives FMSH).
58 Ibid. D’autres articles spécifient que le nombre de directeurs des centres et instituts choisis par l’assemblée pour faire partie du conseil des directeurs est de 10 au minimum et de 15 au maximum.
59 Lettre du directeur de l’Enseignement supérieur au recteur Jean Sarrailh, le 17 août 1960 (archives FMSH).
60 Voir la copie de la lettre d’Edmond Michelet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, à Monsieur le ministre de l’Éducation nationale le 19 mai 1960 (archives FMSH).
61 Compte rendu de la séance du conseil d’administration du 23 mai 1960 (archives FMSH).
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Penser global
Internationalisation et globalisation des sciences humaines et sociales
Michel Wieviorka, Laurent Lévi-Strauss et Gwenaëlle Lieppe (dir.)
2015
Laïcité, laïcités
Reconfigurations et nouveaux défis (Afrique, Amériques, Europe, Japon, Pays arabes)
Jean Baubérot, Micheline Milot et Philippe Portier (dir.)
2015
Subjectivation et désubjectivation
Penser le sujet dans la globalisation
Manuel Boucher, Geoffrey Pleyers et Paola Rebughini (dir.)
2017
Semé sans compter
Appréhension de l'environnement et statut de l'économie en pays totonaque (Sierra de Puebla, Mexique)
Nicolas Ellison
2013
Musicologie et Occupation
Science, musique et politique dans la France des « années noires »
Sara Iglesias
2014
Les Amériques, des constitutions aux démocraties
Philosophie du droit des Amériques
Jean-René Garcia, Denis Rolland et Patrice Vermeren (dir.)
2015