Chapitre 2
Une faculté, un institut ou une maison ?
p. 57-104
Texte intégral
1955-1956 : Pour une politique scientifique
1Les discussions sur l’organisation de la recherche, alors fort nombreuses dans les milieux universitaires et politico-administratifs, s’inscrivent dans une conjoncture marquée par la volonté d’élaboration d’une véritable politique scientifique pour la France lorsque, au milieu des années 1950 sous la IVe République et pour une courte période seulement (de juin 1954 à février 1955), Pierre Mendès France (1907-1982) devient président du Conseil des ministres. Pour cet homme politique, un radical-socialiste formé en droit et sciences politiques (École libre des sciences politiques de la rue Saint-Guillaume), la recherche scientifique est une véritable priorité : « La République a besoin de savants ; leurs découvertes, le rayonnement qui s’y attache et leurs applications contribuent à la grandeur d’un pays. Or les crédits de recherche sont dérisoires », déclare-t-il (Mendès France 1985 : 439). Sa volonté est de mobiliser le monde universitaire et scientifique afin d’élaborer une politique scientifique nationale tout en l’inscrivant dans « une mission de redressement et de rénovation sociale ».
2Les premières actions du nouveau gouvernement consistent à mettre sur pied un secrétariat d’État à la Recherche scientifique et au Progrès technique, rattaché au Premier ministre, puis à créer le Conseil supérieur de la recherche scientifique et du progrès technique (CSRSPT), dont la première tâche est de définir des orientations pour le 3e plan de modernisation et d’équipement (1957-1961) dans le domaine de la recherche. Henri Longchambon se voit confier la responsabilité du secrétariat et préside le nouveau CSRSPT (Mendès France 1985). Parmi les membres de ce conseil, on retrouve en décembre 1954, du côté des sciences humaines et sociales, Fernand Braudel, Gabriel Le Bras, Alfred Sauvy et Jacques Soustelle, du CNRS. S’y joignent aussi Lucien Febvre et Claude Lévi-Strauss.
3La présence de Lucien Febvre et de Fernand Braudel au nouveau CSRSPT est une indication de la place que prend déjà la VIe section et aussi de l’influence que peuvent exercer ses administrateurs sur les orientations de la recherche en sciences humaines. L’institution qu’ils dirigent se veut « de son temps » en se positionnant comme une interface entre l’enseignement supérieur, la recherche, le monde des affaires et de la haute administration publique.
Le grand colloque de Caen
4Sous l’égide de Pierre Mendès France et de la revue qu’il vient de créer, Les Cahiers de la République1, se tient à Caen du 1er au 3 novembre 1956 un grand colloque sur l’enseignement et la recherche. Se trouvent alors réunis à l’université de Caen plus de 250 scientifiques, industriels, administrateurs, fonctionnaires, parlementaires et journalistes. À part Gaston Berger, Alfred Sauvy, Jean Stoetzel et Julien Cain, alors à la tête de la Bibliothèque nationale, peu d’entre eux viennent du secteur des sciences humaines2. Dans le volet « Situation de la recherche en France », la seule communication qui porte sur les sciences humaines est présentée par Gaston Berger.
5C’est le moment d’une vaste réflexion collective organisée autour de douze grands thèmes, les « douze points de Caen » qui sont les suivants : plan décennal, extension de la formation technique dans l’enseignement du second degré, réforme de l’enseignement supérieur scientifique, réformes de l’administration et des cadres de l’enseignement supérieur, définition d’un statut pour le personnel du CNRS, création de mesures destinées à favoriser les études supérieures scientifiques, revalorisation de certaines carrières scientifiques, construction d’universités et de laboratoires, réforme de l’enseignement médical, création d’un Fonds national de la recherche, création d’un comité agronomique interministériel, définition des compétences du ministère chargé de la Recherche scientifique.
6Chaque point est l’objet d’une discussion, qui se conclut par l’adoption de suggestions ou propositions tantôt générales, tantôt très précises : augmentation, de la sixième à la première, du nombre d’heures consacrées aux sciences, multiplication des écoles d’ingénieurs en province, réforme du troisième cycle visant à en faire un enseignement spécialisé comportant un travail expérimental au sein d’une équipe d’un institut universitaire de recherche, attribution aux universités d’une autonomie plus large (morale, administrative et financière), élaboration d’un statut valable pour le personnel du CNRS, bonne allocation aux étudiants de troisième cycle préparant un doctorat de science et se destinant à la recherche, revalorisation des carrières de la recherche et de l’enseignement scientifique, adoption de mesures pour remédier de toute urgence à la vétusté des bâtiments universitaires, réforme de l’enseignement médical et création d’une caisse autonome pour la recherche médicale, création d’instituts dans les hôpitaux, création pour la recherche appliquée d’un fonds national collectant des ressources financières, nomination d’un membre du gouvernement spécialement responsable de la recherche scientifique.
7Mais faut-il, se demande-t-on, créer un ministère de la Recherche scientifique ? Certains hauts fonctionnaires craignent qu’une telle initiative dépossède le ministère de l’Éducation nationale d’une partie de ses prérogatives. Pierre Mendès France propose une solution de compromis qui serait de confier à un ministère l’ensemble des problèmes liés à la recherche sans spécifier qu’il ne serait chargé que de cela.
8L’objectif du colloque est donc de « stimuler l’opinion et de créer au Parlement et dans le pays un climat favorable à la mise en œuvre, par le gouvernement, de cette grande politique de la recherche ». L’on craint cependant que ce colloque soit « un geste sans lendemain », aussi souhaite-t-on qu’un autre colloque soit organisé deux ans après dans une grande ville universitaire d’outre-mer pour « mesurer le chemin parcouru ». En conclusion, Pierre Mendès France souhaite que les « 12 points » établis par le colloque de Caen aient « un grand retentissement tant dans l’opinion publique qu’auprès des pouvoirs publics ».
9Ce colloque permet, comme le rappellera Mendès France, de mesurer la gravité de la situation et de prendre conscience de l’urgence de se doter d’une politique pour la recherche scientifique, car il en va de « la survie de la France en tant que grande puissance ». Mendès France est de ceux qui reconnaissent qu’« une politique nationale de la recherche a pour condition sine qua non l’expansion massive et la réforme de l’enseignement » (Mendès France 1958 : 380-381)3.
10Ces « douze points de Caen » deviennent la base d’un ambitieux programme de modernisation de la recherche et de l’enseignement universitaire, conduisant à l’élaboration de tout un ensemble de réformes que le général de Gaulle, revenu au pouvoir en 1958, va mettre en œuvre.
11Au lendemain de ce colloque où il a été très actif, Henri Longchambon, président du Conseil supérieur de la recherche scientifique et du progrès technique, se voit confier le soin de réaliser une étude concernant « les besoins et les solutions de la recherche scientifique » en France. Il présente en juin 1957 un rapport bien documenté et minutieux de plus de deux cents pages. Une partie porte spécifiquement sur les sciences sociales4, qui comprennent, en plus de la sociologie ou de l’ethnographie, la recherche opérationnelle depuis l’entrée en scène des mathématiques dans le domaine dit « littéraire ». C’est là, selon Longchambon, « le plus gros événement de ces vingt dernières années ».
12La situation des sciences sociales est fort différente de celle des disciplines traditionnelles : alors que dans celles-ci, « nous sommes assez brillants », dans le cas des sciences sociales, encore en formation, « nous ne sommes pas aussi fiers de nous ». Longchambon parle même de sous-développement au sujet de ces nouvelles disciplines, pourtant indispensables à toute grande nation, ce qui expliquerait les « retards » de la France. Il en va de même pour la « prospection du monde actuel », essentielle mais difficile, et exigeant une collaboration aussi large que possible entre les disciplines. Longchambon donne l’exemple des area studies (aires culturelles), déjà mises en place aux États-Unis et fort coûteuses. L’enjeu central est donc celui du « regroupement systématique » des sciences sociales, mais à condition de ne pas écarter, comme ce fut le cas aux États-Unis, les disciplines comme l’histoire, la géographie et la philosophie. Autres problèmes : les effectifs insuffisants de chercheurs et de techniciens, de ceux qu’on appelle des « ingénieurs sociaux » et qui sont « réclamés de tous les côtés », le manque de locaux, les salaires trop bas du personnel, directeurs et maîtres de recherches.
13Parmi les nombreuses propositions faites par Longchambon, il y a celle de la création d’une Maison des sciences sociales à Paris. Il s’agit, précise-t-il, d’un « projet déjà largement discuté » et « sur le point d’aboutir », visant à mettre en place une structure devant abriter non seulement une vingtaine de centres de recherche mais aussi – c’est « la priorité » – une bibliothèque scientifique consacrée aux sciences sociales (avec plus d’un million d’ouvrages). Cependant le principal problème demeure, selon lui, d’ordre structurel : non seulement les sciences humaines occupent des « places étroites » dans les universités, mais en outre elles n’y ont pas été pensées comme « un ensemble ». De plus, il faut prévoir une augmentation considérable du nombre d’étudiants, particulièrement à Paris, de l’ordre de 100 000 à assez brève échéance : ce sont des effectifs énormes, « une masse d’étudiants très difficiles à satisfaire ».
14Comme réforme à long terme, Longchambon pense spontanément à la création d’une faculté des sciences économiques, sociales et politiques, qui offrirait plusieurs avantages. Mais la création immédiate pose, on le sait bien, divers problèmes en raison de l’opposition des facultés de droit et de lettres. Lorsque Longchambon s’intéresse à l’idée d’une Maison des sciences sociales, il pense évidemment au projet de Fernand Braudel.
Première esquisse d’une Maison des sciences de l’homme
15Institut, faculté, maison de la recherche : les années 1950 sont marquées par la multiplication des initiatives et des projets, dont certains sont abandonnés et d’autres ne sont réalisés que plusieurs années plus tard.
16Un premier projet de Maison des sciences de l’homme est esquissé en 1954 dans un texte d’une dizaine de pages intitulé « Pour une Maison des sciences humaines5 ». L’auteur en est Robert Pagès.
Robert Pagès (1919-2007)
Né en 1919, élève de Canguilhem au lycée de Toulouse, formé en psychologie6, ancien résistant et homme de gauche, il entre au CNRS en 1951 comme attaché de recherche. L’année suivante, il crée le Labo–ratoire de psychologie sociale qui est rattaché à la nouvelle chaire de psychologie de la Sorbonne dont le titulaire est Daniel Lagache. Il se préoccupe très tôt des problèmes de documentation et du langage documentaire artificiel (CODOC). Il sera avec Éric de Grolier et Jean-Claude Gardin l’un des pionniers des sciences de l’information et de la communication.
17S’appuyant sur sa courte expérience de directeur d’un nouveau laboratoire, Robert Pagès est convaincu que la solution pour la recherche en sciences humaines réside dans l’obtention de locaux et dans la création de services communs. Les locaux sont, selon lui, « quelque chose de vital et il en faut de toutes sortes » : depuis ceux où les chercheurs peuvent s’isoler, en passant par les laboratoires d’expérimentation, les locaux pour la lecture (« pas des bibliothèques cathédrales mais des loges silencieuses »), ceux réservés aux travaux en commun ou à l’administration et au secrétariat, jusqu’à ceux des futurs services : mécanographie, reprographie, documentation, etc.
18Faiblement diffusé, le texte de Pagès n’a guère d’écho. Il n’y a pas de suite à ce projet. Il est vrai, faut-il dire, que son auteur, ni docteur d’État ni professeur d’université, a un statut marginal dans le système de l’enseignement supérieur et de la recherche. De plus, il n’identifie ni les sources de financement ni la forme concrète que pourrait prendre cette future Maison. C’est donc moins une question de timing que de capacité de mobilisation et de persuasion. Il ne sera d’aucune façon associé au projet que lance, à peu près au même moment, Fernand Braudel et qui apparaît, aux yeux de plusieurs, comme une urgence. Dans les années suivantes, Pagès interviendra à plusieurs reprises dans les débats sur l’organisation de la recherche, tantôt comme spécialiste en documentation, tantôt comme psychosociologue des organisations.
Une faculté ou un institut ? L’entrée en jeu de Gaston Berger
19La création d’une faculté des sciences sociales à Paris demeure un « vieux rêve », pour reprendre l’expression de Clemens Heller, alors très impliqué dans la négociation avec la Fondation Rockefeller. Il en discute avec Edward D’Arms, rencontré à Vienne quelques années auparavant, et avec lequel il est en contact régulier. Heller l’informe que « la jeune génération est maintenant prête, et [que] pour la première fois depuis la guerre il semble possible de former le personnel d’une telle faculté ». Il lui confie aussi que Lucien Febvre et Fernand Braudel pensent qu’un tel projet est réalisable, même s’il y a une forte opposition du côté des bastions traditionnels – à savoir la Sorbonne –, mais nécessite une aide extérieure, peut-être sous la forme d’une subvention permettant de construire le bâtiment qui abriterait une telle institution7, ainsi que l’aide de Gaston Berger, alors directeur général de l’Enseignement supérieur ; il lui écrit en juin 1955 pour lui dire que sur ces « choses », il a absolument « besoin de [se] mettre d’accord avec [lui] ». Et il ajoute : « Il ne faut pas que la VIe section, tout ce qui gravite autour d’elle, toutes les espérances qu’elle suscite à l’étranger plus encore qu’en France, il ne faut pas que tous ces efforts n’atteignent pas les buts que vous proposez : organisation ou réorganisation des sciences sociales en France, intégration de nos forces dans des organismes nouveaux8 ».
Gaston Berger (1896-1960)
Gaston Berger est un self-made-man : « Je suis un autodidacte », confie-t-il un jour à Robert Escarpit (Escarpit 1960). C’est un industriel qui devient philosophe, passant du monde de l’entreprise à celui des sciences humaines après une formation en philosophie et une spécialisation en psychologie appliquée (de Pesloüan 1961).
De sa vie, on dira qu’« elle dessine les arabesques d’une légende. Tout y est hors du commun » (Demonque 1961). Né à Saint-Louis au Sénégal, Gaston Berger interrompt ses études secondaires pour raisons familiales. Tout jeune, il doit prendre un emploi dans une petite huilerie d’Aix-en-Provence (qu’il finira par diriger), puis participe à la Première Guerre mondiale, d’où il revient avec la Croix de guerre.
S’intéressant à la philosophie, Berger reprend des études au début des années 1920 et obtient le baccalauréat, une licence ès lettres et un diplôme d’études supérieures. Il songe en 1925 à préparer le concours de l’agrégation, puis en 1935 à entreprendre des études de médecine. Son intérêt pour la philosophie l’amène à fonder en 1925 la Société d’études philosophiques du Sud-Est, dont le siège est chez lui à Marseille, et à créer la revue Études philosophiques. En 1938, il organise le premier congrès des Sociétés de philosophie de langue française. Il défend deux thèses de doctorat, l’une sur la connaissance, l’autre sur la phénoménologie d’Husserl et en 1941 – il a 45 ans –, obtient un poste à la faculté des lettres d’Aix-Marseille.
De 1941 à 1944, il s’engage dans la Résistance, et à la Libération il est nommé directeur régional des services d’information de la région du Sud-Est. Il cumule alors trois fonctions : son enseignement à la faculté, la gestion de son usine et la direction de la radiodiffusion et de la presse régionales. En 1948, il est professeur invité (Visiting Professor) à l’université de Buffalo, aux États-Unis. De 1949 à 1952, il est secrétaire général de la Commission franco-américaine d’échanges universitaires. En 1952, il se retrouve directeur général adjoint de l’Enseignement supérieur. L’année suivante il est nommé directeur général. Il le reste jusqu’en octobre 1960, date à laquelle il se démet volontairement de sa charge pour retrouver des possibilités de travail personnel. Une chaire de prospective est créée pour lui à la VIe section de l’EPHE.
Ses hautes fonctions au ministère de la rue de Grenelle, sa réputation, sa courtoisie, son dévouement lui valent de nombreuses distinctions : membre de l’Académie des sciences morales et politiques, président de la Société française de philosophie, du Centre universitaire
international, du Centre international de prospective, directeur de la Revue de l’enseignement supérieur, d’Études philosophiques, commandeur de la Légion d’honneur, docteur honoris causa de plusieurs universités étrangères. Outre ses thèses, il publie un Traité pratique d’analyse du caractère, un Questionnaire caractérologique (d’utilisation commode pour tous les éducateurs), le petit livre Caractère et personnalité, une soixantaine d’articles, de communications et de notices.
Animé par une double exigence, « l’incarnation de la pensée dans l’action et l’ordination de l’action par la pensée » (Morot-Sir 1961 : 5), Gaston Berger est loin d’être un technocrate exclusivement préoccupé par la gestion optimale des moyens, il a toujours pensé les problèmes humains à l’échelle des valeurs universelles. Dans une conférence qu’il donne à l’université de Lille en 1955, il déclare que « dans un monde qui change sans cesse et dont le rythme de transformation ne cesse de s’accélérer, l’université, où se fait 80 % de la recherche fondamentale, l’université, qui ne suit pas la mode mais qui ouvre toutes les voies nouvelles, doit rester souple et vivante, pour être constamment à même de s’adapter à des circonstances imprévues ou à de nouveaux besoins de la société ». Et dans le même mouvement où il reconnaît que « l’université française a pour tradition essentielle le respect de la liberté », il affirme que « les structures et les programmes de l’Enseignement supérieur doivent être constamment adaptés aux exigences du progrès scientifique et aux besoins de la nation ». Et d’ajouter : « Préparer les jeunes gens qui nous sont confiés à remplir dans le pays certaines fonctions définies, mais sans cesse modifiées, suppose que nous restions étroitement en contact avec la vie industrielle, agricole, commerciale et administrative de ce pays – que nous soyons attentifs aux besoins réels des professions et des carrières – que nous tenions le plus grand compte des conditions particulières de temps et de lieu dans lesquelles devra s’exercer l’activité future de nos étudiants. Notre finalité nous est extérieure. Notre vocation est de servir » (Guignet 2001 : 577-586). Par sa trajectoire, Gaston Berger incarne, pourrait-on dire, un mode de production de la connaissance qui s’appuie sur la dynamique université-industrie-gouvernement et qui fait de l’innovation la condition du développement économique9.
Le voyage de Braudel aux États-Unis
20En septembre 1955, de retour des États-Unis, Clemens Heller sent les hésitations de la Fondation Rockefeller et fait une démarche10, qu’il veut exploratoire et confidentielle, auprès de B. Berelson de la Fondation Ford : « L’intention est de créer maintenant, en 1956, par décret ministériel, un Institut national des sciences sociales, installé à la VIe section. Cet Institut aurait le droit de décerner la licence, ce qui lui donnera les caractéristiques essentielles d’une faculté des sciences sociales. Il y aura un nouveau bâtiment, une nouvelle bibliothèque, une nouvelle faculté, etc.11. »
21Heller précise toutefois que cette décision rencontre encore des « résistances de toute sorte ». Aussi le succès d’une telle opération exige, croit-il, que toutes les décisions soient prises rapidement : « Les arrangements définitifs devraient être faits au cours de cet hiver ou au début du printemps prochain. » Il informe enfin Berelson que Braudel va se rendre à New York en octobre prochain à titre d’invité de la Fondation Rockefeller : « Je ne suis pas certain qu’il serait approprié qu’il prenne contact avec vous de sa propre initiative. Si vous vouliez le contacter, le mieux serait pour vous de le joindre à la Fondation Rockefeller. » Et en post-scriptum, il ajoute : « Je dois vous demander, et c’est d’une grande importance, de tenir cette information “top secret”, et en particulier d’éviter que cette information ne s’ébruite en France avant qu’une annonce officielle n’ait été faite12. »
22Quelques jours plus tard, Heller écrit à nouveau à Berelson pour lui donner plus d’informations au sujet du projet de création d’une faculté des sciences sociales ou plutôt, corrige-t-il, d’un Institut des sciences sociales qui, selon lui, « n’est plus une affaire de vague spéculation, mais une affaire déjà décidée par M. Berger et M. Berthoin13 ». Heller explique à son collègue américain pourquoi l’aide des États-Unis est nécessaire pour ce projet non tant sur le plan financier que sur le plan moral. Il y a, selon lui, de l’argent disponible pour la création d’un tel institut en France, mais le problème est l’opposition à ce projet des « forces traditionnelles », à savoir les facultés des lettres et de droit.
23Or seule l’obtention d’une subvention américaine avec « l’appui moral qu’implique une telle subvention » peut, ajoute Heller, permettre de « vaincre rapidement toutes les oppositions ». La conjoncture politique lui apparaît par ailleurs « unique » – (an unique situation) – car en France on commence sérieusement à penser qu’une faculté des sciences sociales est nécessaire. Et si échec il y a, cela va signifier la victoire des « immobilistes et des impossibilistes », comme les appelle Heller. Il faut donc, selon lui, tout faire pour que se réalise le projet de la faculté afin de créer un « esprit de mouvement » à un moment où « le désappointement après les grands espoirs de 1945 semble prévaloir ».
24Pour montrer le sérieux de la demande, Heller présente ensuite une liste d’« items » que Gaston Berger a déjà lui-même identifiés et pour lesquels l’aide de la Fondation est « désirable » :
- pour le bâtiment, 500 millions de francs, l’autre moitié devant être pris en charge par le gouvernement français ;
- une bibliothèque moderne avec accès aux stocks, et possibilité de travail dans des cubicules, etc. ;
- un financement de l’ordre de 10 millions de francs par an pendant les trois premières années pour couvrir diverses dépenses ;
- un programme de bourses pour trois cents étudiants boursiers français et étrangers chaque année. Il va de soi, conclut Heller, que le gouvernement français assumera la création des postes (enseignement, recherche et administration) et s’occupera du « maintien et développement » de l’Institut et de la bibliothèque.
25Enfin, Heller termine sa lettre en rappelant à Berelson que tout cela doit demeurer « confidentiel » : « Aucune allusion à ce projet ne doit être faite à des représentants du gouvernement français ici (à Paris) ou à New York, avant d’en parler à Berger, Braudel ou moi14. »
26À l’automne 1955, Braudel est invité par la Fondation Rockefeller pour étudier l’organisation, dans les universités américaines, des area studies. Pour ce voyage qui doit durer six semaines, il est accompagné de sa femme, qui parle bien l’anglais ; ils arrivent à New York le 6 octobre et ils descendent à l’Abbey Hotel. L’accompagnent aussi deux spécialistes de la Russie, Jean Train et le père Henri Chambre15. Le 13 octobre, Braudel se rend avec D’Arms aux bureaux de la Fondation Rockefeller. Il présente sa demande de subvention : 130 000 francs sur un budget prévisionnel de deux milliards de francs, qui doivent couvrir les dépenses d’installation et d’organisation du futur Institut.
27Braudel ne cache pas qu’il y a de grandes oppositions à ce projet. Il défend la formule de l’Institut en mettant en évidence les divers avantages qu’elle offre, que ce soit la possibilité d’être en lien non pas avec la seule université de Paris mais aussi avec celles de province, ou encore la liberté de choix dans le recrutement du corps enseignant (accueil d’étrangers, engagement de chercheurs français dépourvus d’agrégation ou de doctorat d’État, possibilité de cumul de fonctions)16.
28Ce voyage va aussi permettre à Braudel de se familiariser avec le mode d’organisation des area studies aux États-Unis. Il visite diverses universités sur la côte Est (Columbia, Harvard, Chicago et Washington) et Berkeley sur la côte Ouest. Il rencontre de nombreux professeurs, dont Alexander Gerschenkron de l’université Harvard, un historien de l’économie d’origine russe ayant fuit la Révolution bolchevique, puis le nazisme. Gerschenkron admire son livre La Méditerranée (Gemelli 1995 : 206).
Les area studies
29Les area studies programs sont lancés dans les années 1930 dans les universités américaines. Il s’agit de l’une des principales contributions de la Fondation Rockefeller à l’éducation supérieure. Ce sont des programmes interdisciplinaires qui visent à réunir diverses sciences humaines et sociales, par exemple l’apprentissage des langues, la géographie, l’anthropologie, l’histoire, l’économie et la science politique, afin d’étudier les diverses cultures du monde. L’idée de base des area studies est donc, comme l’explique Charles B. Fahs, directeur de la division des humanités de la Fondation Rockefeller17, « l’application de plusieurs ou de toutes les disciplines des sciences humaines et sociales et parfois aussi de disciplines venant des sciences naturelles pour mieux comprendre une seule région, bien définie dans l’espace et le temps, avec de préférence une attention à des problèmes spécifiques ». Donc un objet précis, mais aussi, ajoute Fahs, une méthode qui est d’amener étudiants et professeurs sur le terrain (down to earth), de l’élaboration de principes théoriques et abstraits à l’étude de « la vraie vie dans sa complexité concrète » (from the elaboration of theoretical and abstract principles to the studies of real life in its practical complexities). De telles études sont, de son point de vue, très utiles à « une meilleure compréhension internationale, que ce soit en temps de guerre comme en temps de paix ». Et sa conclusion est : la comparaison est essentielle18. Aux États-Unis, ces programmes connaissent un grand succès pour les pays d’Asie, d’Amérique latine et pour l’URSS.
30Dans les années d’après la Seconde Guerre mondiale, le concept même d’area studies fait l’objet d’un débat au sein de la Fondation : le Social Science Research Council propose qu’aucune université ne devrait être reconnue si un area program ne comprend pas au moins cinq disciplines différentes. Ne serait-il pas préférable, se demande-t-on, que ces professeurs soient intégrés dans un institut ou un département spécial ? La Fondation Rockefeller refuse de s’enfermer dans des « dogmes » ou des cadres réglementaires trop rigides, appuyant tantôt des individus, tantôt des institutions, et préférant favoriser l’interdisciplinarité entre humanités et sciences sociales.
Charles Burton Fahs (1908-1980)
Détenteur d’un doctorat en sciences politiques de la Northwestern University, il s’est spécialisé en études internationales, en particulier sur le Japon. Dès 1946, il entre au service de la Fondation Rockefeller comme assistant pour devenir ensuite, de 1950 à 1962, directeur de la Division of Humanities. Il mène par la suite une carrière diplomatique.
31Les nouveaux area programs aux États-Unis ont comme priorité les études sur l’Inde, le Pakistan et l’Afrique ou l’appui d’actions à l’étranger. La Fondation Rockefeller se demande s’il ne vaut pas mieux laisser aux Fondations Ford et Carnegie les études sur l’Afrique, car elles ont déjà montré leur intérêt pour cette partie du monde. L’ajout d’aires est certes une bonne façon d’élargir « nos horizons intellectuels », mais elle n’est pas, selon Fahs, la seule ; il est aussi possible d’injecter de nouvelles idées ou de nouveaux matériaux sur l’Asie ou l’Afrique dans les cours de philosophie, de littérature ou de politique des universités américaines.
32Alors, approche disciplinaire ou approche area studies ? Ce sont là, reconnaît Fahs, deux approches valides et nécessaires. Mais il est clair que la seconde vient bousculer la première, traditionnellement à la base de l’organisation des cours universitaires, avec l’idée qu’elle est universellement applicable à l’expérience humaine, même si l’on reconnaît qu’il existe des différences culturelles. Cette seconde approche se définit comme une approche « en profondeur », qui combine les techniques de diverses disciplines et prend en compte les faits concrets de la vie en mettant le focus sur des temps et des espaces limités. Bref, au général s’opposent le particulier et l’universel, mais il s’agit ici d’un particulier qui vient bouleverser l’idée que l’on se fait de l’universel. Des disciplines comme l’anthropologie et la linguistique sont, selon Fahs, « raisonnablement universelles ». L’anthropologie, avec sa préoccupation pour les sociétés relativement primitives, a déjà exploré les coins perdus de l’humanité (isolated corners and backwaters of mankind). La place actuelle (present scope) de la linguistique tient largement à son association étroite avec l’anthropologie. Fahs donne deux exemples : la « découverte » moderne, d’un point de vue européocentrique, du sanskrit, a révolutionné l’analyse des langues européennes ; l’analyse de langues africaines et indo-américaines faite par des anthropologues en étroite collaboration avec des linguistes a bousculé la tradition indo-européenne en linguistique et obligé à « un changement complet de méthodes ».
33La question que l’on se pose à la Fondation est la suivante : quelle universalité pour l’université ? (How universal must a University be ?) Si les universités ont cherché et cherchent non sans difficulté à couvrir l’ensemble des disciplines en sciences sociales et dans les humanités, comment chacune d’elles peut-elle aujourd’hui, se demande Fahs, couvrir toutes les aires ? Cela exigerait d’avoir des institutions colossales, d’accroître le nombre de professeurs et d’avoir un corps étudiant énorme pouvant justifier une aussi grande variété d’enseignements. Sans oublier les problèmes qui se posent déjà aux bibliothèques, dont la taille double tous les dix ans. Une gestion d’autant plus difficile que l’ouverture de chaque aire pose de nouveaux problèmes bibliographiques.
34Dans son Memorandum (1954), Charles Fahs dessine deux grandes lignes de développement :
- l’extension des area studies menées aux États-Unis en direction d’aires négligées du monde, notamment l’Inde, l’Asie du Sud-Est et l’Asie centrale et aussi d’autres aires de très grande importance telles l’Afrique et l’Australie ;
- le développement de programmes d’études semblables (similar patterns of area studies) dans des universités étrangères. Il donne comme exemple les programmes d’études slaves dans des universités canadiennes (Toronto et Colombie-Britannique), ceux d’études islamiques à l’université McGill et ceux d’études chinoises à Stockholm et Leiden. En conclusion, il suggère que ces programmes se fassent en collaboration avec d’autres organismes (Fondation Carnegie ou Ford)19.
35Loin d’être fasciné, Braudel jette sur l’université américaine un regard critique : « Les différentes sciences sociales commencent à apparaître à leurs usagers comme de simples instruments. Il s’agit de les utiliser, certes, mais ensuite de les dépasser, de les soumettre à une problématique nouvelle, qui sera à la fois unité provisoire, puis divergence d’avenir. » Braudel parle même des « échecs américains ». Parmi les faiblesses qu’il observe, il y a « l’insuffisance de sciences jugées mineures (l’histoire, la géographie) » car le focus est mis uniquement sur « l’expérience de l’actuel », sur le « temps court ». Force est de reconnaître, conclut-il, qu’il y a, « par contraste, des supériorités françaises insoupçonnées20 ».
36Pendant l’absence de Braudel, Lucien Febvre s’entretient à Paris avec Kenneth Thompson de la Fondation Rockefeller au sujet du projet de l’Institut des sciences sociales. Gaston Berger est présent. De cette rencontre, Febvre rend compte à Braudel en ces termes :
« […] Ne croyez pas qu’il y ait chez Berger le désir d’être d’accord avec nous. Nous lui faisons peur, nous sommes des trouble-fête. Il craindrait non pas moi qui dirai ouf le jour où je m’en irai, mais une candidature de Braudel que personnellement j’appellerais de tous mes vœux […]. À la main tendue d’hier, il n’a répondu que par une dérobade […]. Vous voyez que je suis tombé ici dans un assez beau guêpier ; le Souget est envahi par des nids de frelons, animaux redoutables, je ne pensais pas en retrouver ici dans la paisible rue de Grenelle21. »
37Febvre défend devant Berger et Thompson l’idée qu’il se fait – et qu’il partage avec Braudel, pense-t-il – du futur Institut national des sciences sociales :
[Cet Institut] devrait répondre à trois objectifs ; l’un universitaire : doter l’enseignement technique de cadres suffisants, cadres que l’actuelle École normale technique ne suffit pas à lui donner ; l’autre concerne l’industrie, le commerce, la banque et autres activités similaires, à qui il devrait donner un personnel de techniciens, statisticiens, psychologues du travail, etc., que – je m’en suis assuré à Nancy – les industriels accepteraient avec plaisir si ce personnel était de qualité (ne pas oublier la “scientification” croissante de la technique) […]. Par-dessus enfin, le troisième objectif concerne la recherche : une recherche qui est l’âme de toute chose et sans qui il n’y a pas de culture valable dans le domaine des sciences sociales […]. En somme, ce serait la réunion au sein de cet Institut d’une école des sciences sociales et d’une école de formation de cadres d’enseignement en particulier et de cadres des affaires et des industries, avec la recherche au-dessus22.
38Donc des visées ambitieuses, avec la transformation de la VIe section en institution d’enseignement supérieur capable à la fois de répondre aux nouvelles demandes économiques et sociales et de respecter les exigences de la recherche universitaire.
39Situation encore plus curieuse : au moment où Braudel revient à Paris, Gaston Berger part à son tour en novembre 1955 pour les États-Unis. Un voyage apparemment imprévu. Braudel, surpris de n’avoir pas été informé, est complètement déconcerté. À ses collègues américains, Berger ne cache pas que le projet d’une faculté des sciences sociales est l’objet de nombreuses critiques dans les milieux universitaires parisiens. Afin de préserver les susceptibilités des uns et des autres, il se montre pour sa part favorable à la création d’un Institut national des sciences sociales, mais qui serait « une sorte d’institut fédéral plutôt qu’à commandement unique » (Gemelli 1995 : 326, note 2). Il n’est donc pas question, selon lui, de changer le système de l’enseignement supérieur français qui se caractérise par la séparation de l’enseignement et de la recherche. Il insiste par ailleurs pour qu’il y ait au conseil d’administration du nouvel organisme des représentants de la haute administration et du patronat afin que ses objectifs correspondent aux « intérêts de la Nation » ; il souhaite aussi que le projet puisse donner plus de poids aux institutions et aux groupes de recherche de province. Enfin, il reconnaît que ce projet n’est pas une panacée, car il ne peut y avoir de véritable solution à la « crise » sans une augmentation des budgets pour les sciences sociales et la création de diplômes (par exemple en sociologie) (Gemelli 1995 : 329).
40Braudel et Berger ne sont donc pas tout à fait sur la même longueur d’onde. Opposé au projet d’Institut à la Berger, Braudel lance, au printemps 1956, l’idée d’une « Maison des sciences sociales », un projet certes moins ambitieux mais qui aurait l’avantage de ne pas froisser les doyens et les membres du corps professoral des facultés universitaires de lettres et de droit.
41La formule juridique alors mise en avant est celle d’une fondation, la Fondation nationale des sciences économiques et sociales, dont la mission serait de « susciter » des enquêtes et des recherches dans le domaine des sciences sociales et de gérer la Maison des sciences sociales, sise à Paris. Sur le plan administratif, on prévoit d’un côté un comité de patronage et de l’autre un conseil d’administration : le comité de patronage, présidé par Gaston Berger assisté de deux vice-présidents, le recteur de l’université de Paris et le président de la VIe section, serait composé de vingt membres ; le conseil d’administration, présidé par l’administrateur de la Maison, comprendrait exclusivement les directeurs des centres et instituts hébergés par la Maison23. L’administrateur serait élu par ses collègues parmi les membres du conseil et nommé par le ministre de l’Éducation nationale pour une période renouvelable de cinq ans. Il est clairement établi que chaque centre ou institut garderait son autonomie. Enfin, la Maison devrait, en plus des centres, loger deux bibliothèques, l’une consacrée aux langues orientales et l’autre à la documentation contemporaine, et mettre à la disposition de la VIe section des salles pour ses séminaires. Mais la VIe section demeurerait une « unité autonome » et serait représentée au conseil d’administration de la Maison par son président.
42Le doyen de la faculté des lettres de Paris, Pierre Renouvin, est férocement opposé à la création d’une faculté des sciences sociales, mais que pense-t-il du projet de Braudel ? Braudel peut-il se faire un allié de celui qui s’était opposé à son entrée à la Sorbonne ? Renouvin soutient immédiatement Braudel dans son projet, mais l’intitulé l’agace car, de son point de vue, l’histoire n’est pas une science sociale : elle traite d’événements et de développements concrets. Le terme de sciences sociales est trop restreint pour englober l’histoire et celui de sciences humaines, trop vaste, ces dernières englobant par exemple la philologie qui ne sera pas représentée dans la « Maison ». C’est pour cela que l’on choisira un terme moins familier : celui de « sciences de l’homme24 », approuvé par Berger.
43Febvre et Braudel mènent donc simultanément deux négociations, l’une avec la Fondation Rockefeller pour le programme des areas studies de la VIe section, et l’autre, avec la Fondation Ford, pour deux projets distincts : la transformation de la VIe section en une faculté des sciences sociales, et la création d’une Maison de recherche étroitement associée à cette dernière. Des négociations qui risquent, dans l’un et l’autre cas, d’être d’autant plus difficiles que du côté américain, les deux fondations ont des exigences propres et des programmes bien définis, et que du côté français, il existe comme on le sait une vive opposition venant des facultés de droit et de lettres, mais aussi de nombreuses divergences entre les porteurs mêmes du projet.
44Il semble que les arguments de Braudel sur l’importance d’introduire une dimension historique ont été entendus :
La force de la tradition humaniste française, voire européenne, est d’être ancrée dans la connaissance du passé. Les universitaires américains, au contraire, ignorent souvent le passé […]. S’il y avait une façon d’approfondir notre connaissance du présent par une conscience du passé, ce serait bénéfique pour le monde académique en général. Le programme français semble offrir une telle opportunité25.
45Mais s’il y a un « problème » que n’a pas prévu Braudel en ce début de guerre froide, c’est la montée du maccarthysme aux États-Unis et la chasse aux sorcières qui s’ensuit et qui vise principalement les communistes. Or, à la Fondation Ford, on s’inquiète de la présence sur la liste des directeurs d’études de la VIe section de communistes ou de compagnons de route du Parti communiste, en particulier de Jean Chesneaux. Spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Asie orientale, notamment du Vietnam et de la Chine – où il séjourne pour la première fois en 1948 –, Chesneaux (1922-2007) est militant au PCF26 et il fait paraître en 1955 un ouvrage, Contribution à l’histoire de la nation vietnamienne, aux Éditions sociales. Face à de telles inquiétudes, la stratégie de Braudel, qui craint d’être accusé d’être « à la solde des Américains », est de défendre l’autonomie de l’institution tout en faisant preuve de pluralisme, incluant des chercheurs d’orientations politiques différentes, y compris un jésuite, Henri Chambre (1908-1994), philosophe devenu soviétologue et auteur de l’ouvrage Le marxisme en Union soviétique : idéologie et institutions, qui paraît aux Éditions du Seuil en 1955. À la Fondation Ford, on est, comme le dit D’Arms, convaincu que les responsables de la VIe section, Braudel en tête, sont « conscients du danger d’une domination communiste sur le programme », qu’ils ont « une connaissance précise des orientations et croyances politiques de leurs collègues » et qu’ils offrent « une garantie contre le placement de diplômés gauchistes du programme dans des postes clés dans d’autres universités » (to be guarantees against the placing of leftist graduates of the program in the key position in other universities)27.
46Du côté français, dans les milieux intellectuels et universitaires, le voyage de Braudel aux États-Unis soulève des inquiétudes, mais tout à fait différentes : déjà perçu comme « proatlantique », celui-ci se verra accusé, s’il obtient des subventions d’une fondation américaine, d’être à la solde de l’empire capitaliste américain. Faut-il en conclure que son projet d’importer le modèle des area studies participe de ce qu’on a pu appeler la « cold war social sciences (la guerre froide des sciences sociales) » ? Certes Braudel est fasciné par ce modèle, mais il manifestera des réserves et imposera certaines conditions. À son retour des États-Unis, il est, comme le note Rose-Marie Lagrave, surtout convaincu d’une chose : de ce qu’il ne faut pas faire (Lagrave 1996 : 425 ; Kwaschik 2016 : 74).
Le « Rapport » Braudel28
47Au printemps 1956, Braudel et Heller élaborent un vrai premier projet d’une « Maison des sciences sociales » conçue comme une fédération de groupes de recherches autour de services communs (bibliothèque…).
48En juin, Braudel s’adresse à plus d’une vingtaine de ses « chers collègues » pour les inviter à une « série de réunions d’information autour d’un dîner froid, seule solution au problème que posent nos horaires respectifs ». Parmi ses collègues, se retrouvent Aron, Febvre, Fourastié, Friedmann, Gurvitch, Le Bras, Lévi-Strauss, Perroux, Sauvy, Stoetzel, Velay, Vernant29. Il les informe qu’il est chargé, par le Conseil supérieur de la recherche scientifique, de « rédiger, à titre personnel et confidentiel, un projet de rapport général qui servira de base aux discussions sur l’organisation des sciences humaines en France […] dans les cinq prochaines années ». Tout cela s’inscrit donc dans le 3e plan quinquennal (1957-1961), qui se veut un plan de « modernisation ». L’attention doit, selon Braudel, porter sur les sciences humaines que l’on considère comme « sous-développées30 ».
49S’agissant de « défendre vigoureusement l’avenir des sciences humaines », il importe, selon lui, d’« exprimer, au départ, plus que des idées personnelles, un programme qui puisse refléter une opinion générale, signaler l’ensemble des besoins et apporter, à cette première résolution, la force irremplaçable de l’acquiescement de toutes les bonnes volontés ». Conscient des difficultés d’une telle opération, Braudel demande à ses collègues de « présenter un plan idéal de ce que nous souhaiterions réaliser, si nos moyens n’étaient pas limités ». Le plan de discussions qu’il propose et qu’il veut « contradictoires » comprend trois parties :
- les principes généraux,
- les revendications particulières (selon les disciplines ou selon les institutions),
- l’ordre d’urgence des différents projets31. Les réunions, au nombre de trois, se tiennent au 54 rue de Varenne.
50À la suite de ces réunions, Braudel rédige un rapport d’une vingtaine de pages (+ annexes) qui comprend trois parties :
- programme de recherches à créer ou à développer,
- institutions existantes, leur rôle, leurs lacunes,
- propositions de réforme.
51La description des sciences humaines qu’il fait d’entrée de jeu est sévère : « Leur développement a été anarchique. » Et s’il y a, selon lui, une nécessité, c’est dans le dépassement des anciennes frontières : « Un rapprochement global s’impose. » C’est là, déclare-t-il, « la condition de la victoire32 ». Son attention se pose principalement sur les sciences humaines « sous-développées » qu’il oppose aux sciences humaines « traditionnelles » (à savoir la philosophie, la philologie, les études littéraires, l’histoire, les sciences juridiques), qui sont « mieux nanties ». Il croit que ces disciplines, à quelques exceptions près, peuvent « être abandonnées sans danger à elles-mêmes », mais à la condition qu’« un développement normal soit prévu en leur faveur » avec un accroissement des crédits.
52Ce sont donc les sciences humaines dites « sous-développées » qui, « d’une importance centrale pour le pays », doivent, selon Braudel, « supporter des choix préférentiels ». Selon l’ordre décroissant de leurs besoins immédiats, ces disciplines sont : l’économie politique ; la psychologie sociale au sens le plus large – y compris la psychologie industrielle – ; l’ethnographie avec toutes ses divisions et ses applications ; la sociologie et avant tout l’enquête sociale sur le terrain ; la géographie humaine et économique, et enfin la recherche opérationnelle. Ce que Braudel entend par recherche opérationnelle est « l’entrée en scène, dans notre domaine “littéraire”, des mathématiques », qui est, selon lui, « sûrement le plus gros événement de ces vingt dernières années ». D’où la nécessité, croit-on, de « penser très sérieusement à la formation statistique ou mathématique des chercheurs dans le domaine des sciences humaines ». Et Braudel d’ajouter : « Si l’économie est aujourd’hui la science sociale novatrice, c’est que, plus qu’une autre, elle s’est prêtée à une efficace mathématisation de ses méthodes33. » Sur le plan de ce qu’il appelle les « activités nouvelles » en recherche, la France souffre d’un retard, observe Braudel, qui donne comme exemple de recherches d’un grand intérêt et d’une grande utilité mais sous-financées celles de Pierre Coutin sur les régions françaises sous-développées et celles de psychologie industrielle de Georges Friedmann et de ses élèves.
53Enfin, un des rôles essentiels des sciences humaines », est, selon Braudel, « la prospection du monde actuel », une prospection d’autant plus difficile qu’elle exige la collaboration la plus large possible des différentes disciplines (sciences politiques, économie, linguistique, géographie, histoire, sociologie, ethnographie) et qu’elle doit porter non plus sur tel ou tel pays mais sur les grands espaces politiques et culturels du monde. Il s’agit donc de faire, comme on le fait aux États-Unis, des études de type area studies, qui sont, précise Braudel, des « opérations coûteuses ». Braudel, qui s’y intéresse depuis son voyage aux États-Unis l’année précédente, tente d’ailleurs d’orienter les activités du CRH qu’il dirige vers ces « nouvelles recherches nombrées » portant sur de grands espaces politiques tels la Chine et l’Islam. Il faut en prévoir d’autres, par exemple sur la Russie et l’Afrique noire. Il y a là « urgence » : si on ne mène pas de recherches analogues en Afrique noire ou à Madagascar, on risque, prévient Braudel, d’avoir des « surprises amères ». D’ailleurs, d’aucuns à la Sorbonne recommandent la création d’une École française d’Amérique latine à Mexico.
54Donc, pour Braudel, l’enjeu est clair, et c’est le regroupement des sciences humaines. Et si sur certains points la France accuse, par rapport aux États-Unis, des « retards évidents », elle n’en a pas moins des avantages, des forces qui lui permettraient même de « prendre une avance ». Braudel reprend l’analyse qu’il a faite des area studies américaines, qui, trop centrées sur l’étude de l’« instantané », refusent le concours d’historiens, de géographes ou de philosophes. Or la France peut corriger cette négligence et apporter des « solutions neuves », comme on peut le voir en histoire avec la notion de mouvements profonds et de longue durée (une tendance nouvelle peu goûtée aux États-Unis)34. Mais s’il est un problème auquel sont confrontés tous ceux qui veulent introduire un changement dans la recherche en France, c’est « le compartimentage féroce et l’autoritarisme des institutions ». Et Braudel de dire : « Les problèmes majeurs des sciences humaines doivent passer avant les institutions et les vanités individuelles. »35
55Braudel fait, ce qui n’est pas une tâche facile, l’inventaire des institutions d’enseignement et de recherche pour ensuite faire une critique de la situation existante. Pour l’inventaire, il établit une classification qu’il qualifie de « sommaire » et qui distingue trois types d’institutions : les institutions traditionnelles d’enseignement (les universités), les institutions traditionnelles en dehors des cadres universitaires (Collège de France, Conservatoire national des arts et métiers, EPHE avec ses diverses sections) et les institutions neuves dirigées à la fois vers l’enseignement et la recherche (instituts, services d’enquête, centres de recherche36).
56Les critiques que Braudel formule à l’encontre de ce système d’enseignement et de recherche sont sévères :
- dans les universités, malgré l’augmentation rapide des effectifs étudiants, les sciences humaines nouvelles ou « sous-développées » occupent toujours « des places étroites, marginales, souvent inefficaces », bref elles sont traitées « en parents pauvres », et ne disposent ni d’enseignement suffisant ni de considération au sein de l’Université37 ;
- les institutions dites « de complément » (EPHE, FNSP) ont pris une place considérable dans la vie intellectuelle du pays, mais leur place dans l’enseignement reste mineure, et limitée à la formation de chercheurs hautement qualifiés. Les universités gardent le monopole de l’attribution des diplômes et, de ce fait, contrôlent le recrutement. « Le recrutement des étudiants français souffre du fait qu’elles [les institutions « de complément »] ne dispensent pas les diplômes universitaires normaux. Et pourtant la preuve de leur efficacité est leur immense succès auprès des étudiants étrangers » ;
- il y a insuffisance de chercheurs et de techniciens en sciences sociales. C’est là, conclut Braudel, une situation indéfendable si l’on songe à « la demande pressante que le pays entier adresse à ces sciences nouvelles38 ».
57Les propositions de Braudel sont nombreuses et diverses. D’abord, qu’il s’agisse de l’enseignement ou de la recherche, il faut plus de locaux et un personnel plus important payé convenablement39. Mais certains s’interrogent, comme le note Braudel, sur les « dangers » qui guettent la recherche lorsqu’on lui applique le statut général des fonctionnaires, avec emploi à vie40. Ensuite, Braudel suggère de développer ce qui est en place : création de chaires, de directions, de postes d’assistants et de chefs de laboratoires ; mise sur pied de « gros » centres de recherches dans les universités, principalement en province41, consolidation des centres qui existent hors des universités, par exemple à l’EPHE ou à la FNSP ; création d’un troisième cycle. Enfin, Braudel présente un projet « déjà largement discuté, mais peut-être sur le point d’aboutir » : la fondation d’une Maison des sciences sociales, qui correspond à l’idée de regroupement de la recherche qu’il vient de défendre et que partagent aussi, précise-t-il, plusieurs directeurs de recherche d’institutions parisiennes diverses.
58Ce projet est manifestement très cher à Braudel. La priorité doit être, rappelle-t-il, donnée à une bibliothèque scientifique consacrée aux sciences sociales, avec une salle de lecture à Paris et un lieu de stockage au château de Versailles, « un cycliste assurant le va-et-vient ». Braudel la présente comme une « bibliothèque modèle » avec une collection des catalogues des autres bibliothèques parisiennes et un personnel qualifié : « Une construction certes coûteuse mais nécessaire42. »
59L’autre principale caractéristique de cette future Maison des sciences sociales sera le regroupement de centres de recherches, mais pas de n’importe quels centres : ce seront, précise Braudel, « les centres les plus qualifiés par leur personnel, leur activité et leurs publications » (à l’exception de quelques-uns qui, trop grands et déjà bien installés, prendraient « trop de place » dans les nouveaux locaux). On peut penser ici au Centre d’études sociologiques. Braudel se fait le porte-parole des directeurs de centre qu’il a consultés et qui insistent pour avoir « une organisation souple, libre, qui préserve la liberté de chacun et l’autonomie des institutions », tout en créant des liens étroits sur le plan de la recherche interdisciplinaire.
60La dernière proposition de Braudel s’intitule « Pour la connaissance du monde actuel ». Il reprend ici son idée des area studies, à savoir l’étude de grands espaces politiques : Russie, Chine, États-Unis, Inde, Amérique latine, Afrique noire. Les conditions de réussite de telles études sont, selon Braudel, la collaboration entre divers organismes et équipes afin d’éviter la dispersion et le double emploi : « Une nécessité et une urgence intellectuelles », s’exclame Braudel43. Braudel suggère enfin la multiplication des « missions de terrain », qui sont, selon lui, « un des moyens de connaissances les plus puissants, mais à la condition qu’il s’agisse non pas de vagues missions d’informations avec quelques conférenciers brillants mais de véritables missions de recherche avec des équipes de spécialistes de la région, décidés à consacrer plusieurs années de leur vie à exploiter les résultats44. Idéalement, il devrait s’agir de « missions multiples » regroupant des chercheurs de diverses disciplines capables d’analyser tous les aspects d’un ou de plusieurs problèmes.
61Puis Braudel passe à un dernier point : les réformes à long terme. Il entend exprimer ici ses idées personnelles45 tout en se montrant visionnaire : « La recherche n’a pas à s’adapter, c’est-à-dire à suivre, à se modeler sur ce qui existe. Il faut devancer les événements, être imaginatif, flamme neuve, audace – audace réfléchie et consciente46. »
62S’il y a une réforme qu’il considère comme « la plus urgente et la plus payante », mais qui, en raison de diverses difficultés et résistances, ne peut, à son avis, se réaliser à court terme, c’est, dans le cadre du prochain Plan quinquennal, la création d’une faculté des sciences économiques, sociales et politiques. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la population étudiante à Paris devrait passer dans les prochaines années de 60 000 à 100 000, ce qui implique de prévoir un dédoublement des facultés et leur implantation hors de Paris, où « elles étouffent ». Pour la future faculté des sciences économiques, sociales et politiques, Braudel présente le projet qu’il a, dit-il, exposé plusieurs fois au cours des deux-trois dernières années et qui repose sur l’idée d’une institution à trois étages : au premier, un enseignement très précis, à base de mathématiques sociales et à caractère interdisciplinaire, qu’il faudrait maintenir à la pointe des dernières nouveautés techniques et qui devrait inclure l’étude des langues vivantes par la méthode directe et intensive ; au deuxième, un enseignement supérieur orienté vers une spécialisation de plus en plus poussée, avec des cours et des séminaires, un peu à l’image de ce qui se fait à la VIe section ; enfin, au dernier, les centres de recherche, ceux-là mêmes qui sont en train de se grouper autour de la Maison des sciences sociales, ce qui permettrait d’associer enseignement et recherche pour la formation spécialisée des meilleurs étudiants. Braudel croit qu’il serait possible de mettre en place une telle faculté « dans un minimum de temps et avec un maximum d’efficacité » : il suffirait de faire « l’addition et la refonte » de trois organismes : l’Institut d’études politiques de Paris qui deviendrait le noyau de la nouvelle faculté, la VIe section de l’EPHE qui pourrait offrir une partie de ses séminaires, et la Maison des sciences sociales associée aux grands instituts parisiens de recherche qui n’auraient pas été logés dans la Maison. La création d’une telle faculté ne devrait pas, selon Braudel, entraîner la disparition des enseignements dits « sociaux » dans les facultés de droit ou dans celles de lettres : « Il n’est pas nécessaire de porter atteinte à ce qui existe, mais de rapprocher ce qui, pour être fort et efficace, doit être obligatoirement rapproché47. »
63Dans son « Rapport », Fernand Braudel fait plus que de présenter un certain nombre de propositions. Il élabore aussi une véritable politique de la recherche en sciences humaines et sociales : « Il faut, pour les sciences humaines, réagir contre l’émiettement des crédits et des recherches. Les universitaires ont tendance, de par la modestie des moyens dont ils disposent eux-mêmes, à voir petit, mais dix, vingt petites entreprises ne servent à rien et sont une énorme perte d’argent et de travail humain […]. » Et il conclut en citant les propos d’Henri Laugier (1888-1973), l’éminent physiologiste devenu secrétaire général adjoint de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture : « Car il ne suffit pas de distribuer des fonds en fonction de demandes totalement anarchiques qui viennent de toutes les directions, il faut avoir une action directe sur l’orientation de la recherche et créer des priorités. » Braudel propose d’ailleurs la création d’une sous-commission au Conseil supérieur de la recherche qui, sous la présidence d’Henri Laugier, aurait la responsabilité de la sélection des demandes et de la coordination des efforts pour la réalisation de telles missions multiples en France métropolitaine ou d’outre-mer. Cette sous-commission pourrait aussi décerner « une sorte de prix annuel », ce qui pourrait avoir une « influence décisive » sur la recherche. Braudel s’inscrit ainsi dans un nouveau mouvement d’organisation et de planification de la recherche. Il souhaite d’ailleurs que le Conseil supérieur de la recherche scientifique puisse disposer de budgets plus élevés et qu’il établisse, dans le domaine de la recherche, « les priorités, avec l’avantage d’une action réfléchie par rapport à un ensemble, puissante et localisée ». En conclusion, il aborde la question des chiffres et il demande un doublement des crédits pour la recherche et l’enseignement supérieur, tout en soulignant la nécessité de la « modernisation » des sciences humaines : il s’agit là, selon lui, « à coup sûr d’un problème aussi important, pour la vie du pays, que [la modernisation] de sa physique et sa chimie ». Et de conclure : « La pensée française ne restera dominante dans le monde de demain que si l’espoir des sciences de l’homme n’est pas déçu48. »
64Le 16 juillet, Fernand Braudel envoie son « Rapport préliminaire sur les sciences humaines » à Monsieur le ministre. Il reçoit en novembre suivant l’appui de Longchambon, président du Conseil supérieur de la recherche scientifique et du progrès technique : « Vos projets me paraissent devoir retenir l’attention du Conseil supérieur. » « Il me semble, ajoute Longchambon, de la plus grande importance, d’une part, de coordonner les recherches en sciences économiques et sociales et, d’autre part, d’organiser de façon systématique les études d’ensembles régionaux. » Et de conclure : « Je ne puis qu’appuyer les efforts que vous faites […] et vous promettre d’apporter toute l’aide possible à la réalisation de tels projets49. »
65Et en août suivant, Clemens Heller adresse à Berelson la première mouture du projet de la Maison50.
Henri Longchambon (1896-1969)
Normalien, agrégé de physique en 1921 et docteur ès sciences (1925), il est nommé en 1925 maître de conférences à la faculté des sciences de Montpellier, puis professeur à l’université de Lyon et titulaire de la chaire de minéralogie théorique et appliquée, et enfin, quelques années après, doyen de la faculté des sciences. Président de la section lyonnaise de l’Union rationaliste, Longchambon lance en 1934 avec Alain, Paul Rivet et Paul Langevin, l’appel fondateur du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes. En 1939, au moment de la création du CNRS, il devient directeur de la section recherche. En 1940, il quitte la France pour le Maroc et il se rend ensuite à Londres avant de revenir en France où il entre dans la Résistance. Au lendemain de la guerre, en 1947, il est élu par l’Assemblée nationale à l’un des trois sièges de conseillers de la République – on leur donne aussi le titre de sénateur – représentant les Français établis à l’étranger. Il conservera son mandat de sénateur pendant 22 ans (Dosso 2006 : 62-74). Les acteurs de la nouvelle politique scientifique sont souvent au carrefour de la vie universitaire, intellectuelle et politique. Longchambon est tout à la fois un scientifique, un universitaire, un homme politique et un administrateur.
Fernand Braudel, président de la VIe section
66Lucien Febvre meurt brusquement le 26 septembre 1956 dans sa propriété du Souget à Saint-Amour dans le Jura. Dans la notice nécrologique qu’il rédige pour les Annales, Braudel pleure « l’homme aimable, souriant, grand seigneur, le bon compagnon » ; il salue le « révolutionnaire », celui qui a ouvert « les portes lourdement barricadées » de l’histoire pour faire une « vaste et très diverse révolution dans les sciences sociales », réussissant à « allier cet esprit révolutionnaire et presque romantique à un humanisme traditionnel, à une sagesse issue du fonds spirituel de notre monde occidental » (Braudel 1956 : 289-290). Une formule résume, rappelle Braudel, la perspective de Febvre : « L’histoire, c’est l’homme. » Et de l’homme, qu’il présente comme « le plus grand, peut-être le seul grand historien de langue française depuis Michelet », il dit, dans la « note biographique » qu’il publie, toujours dans les Annales, qu’il n’était pas, comme on l’a souvent décrit, « l’autoritaire chef de file, le chef d’école ou de chapelle » : il était avant tout « un prince de l’esprit » (Braudel 1957 : 182).
67Tout en gardant la direction du CRH, Braudel prend la présidence de la VIe section où il exerce déjà depuis quelques années une grande influence ; il va aussi, comme le dira R. Romano, « manifester pleinement » son rôle aux Annales. CRH, EPHE et les Annales : un triangle dont Braudel est le centre.
68À la VIe section, le nouveau président s’entoure de deux secrétaires : Charles Morazé et Maurice Lombard, qui sont tous deux historiens et directeurs d’études. La VIe section change rapidement avec l’arrivée d’une nouvelle génération de chercheurs : par exemple, en sociologie, Alain Touraine est chef de travaux en 1957-1958 et Michel Crozier, chargé de conférence dans le cadre du séminaire de sociologie industrielle de Georges Friedmann.
69La politique intellectuelle générale de Braudel se résume en un mot : l’ouverture.
70D’abord, l’ouverture géographique ou le comparatisme avec la mise en place à la VIe section de plusieurs area studies, de la Chine au monde musulman, de l’Inde à l’Asie du Sud-Est, de l’Afrique du Nord à l’Afrique noire. L’Amérique est certes négligée mais cela ne saurait trop tarder, tout au moins en ce qui concerne l’Amérique latine. Les élections des directeurs d’études, de la moitié des années 1950 au début des années 1960, témoignent, comme le souligne Rose-Marie Lagrave, de « la priorité donnée à la consolidation des aires culturelles. Principalement des historiens, des géographes, anthropologues, plus marginalement des sociologues, des économistes » (Lagrave 1996 : 426)51. Durant cette période, sont créés plusieurs centres de recherches : le Centre d’études indiennes (1955), le Centre d’études arctiques (1957), le Centre d’études maghrébines, le Centre d’études et de documentation sur l’URSS et les pays slaves, le Centre d’études sur la Chine contemporaine (1957) et finalement le Centre de documentation et de recherche sur l’Asie du Sud-Est et le monde insulindien (1962)52.
71Le souci est de ne pas reproduire les impasses des area studies où travaillent, pour reprendre l’expression de Braudel, « une armée de sociologues et de spécialistes en sciences politiques » ; il s’agit plutôt de « croiser les regards disciplinaires, pour mieux connaître, pour mieux comparer » ; tel est l’objectif du développement de ce que que l’on appelle déjà en France les aires culturelles (Lagrave 1996 : 427)53.
72Ensuite, l’ouverture interdisciplinaire, avec la création de nouveaux enseignements et de centres de recherche en linguistique, sémiologie, mathématiques sociales et anthropologie. Le problème le plus urgent est, selon Braudel, de faire converger les sciences sociales vers un point de rencontre commun, permettant à la fois, sur le plan théorique,
de formuler un jugement synthétique, et sur le plan pratique, d’agir sur la réalité sociale.
73Enfin, l’ouverture internationale avec la mise en place d’échanges avec plusieurs pays : Paris et la VIe section doivent devenir un véritable carrefour pour les chercheurs en sciences humaines du monde entier54.
74Sans oublier l’ouverture aux techniques nouvelles de collecte et d’analyse de données. Le CRH va rapidement se doter d’un outillage moderne pour la série d’études portuaires et routières, permettant ainsi, pour reprendre l’expression de Febvre, qui est aussi l’un des premiers, dès le milieu des années 1930, à défendre l’idée de la « recherche collective » en histoire, de traiter « scientifiquement » le problème des échanges économiques internationaux à la fin du xve et au début du xvie siècle55.
75Le CRH intensifie ses activités de publication : entre 1951 et 1961, le nombre de publications passe de huit à trente, et plus de 50 % du budget du centre est consacré à ces publications. Une situation qui inquiète très tôt les responsables, car le CRH court ainsi le risque de « manquer à sa vocation de recherche pour devenir une véritable maison d’édition56 ». Il faudra donc penser à ralentir le rythme des publications. Dans ce travail, Braudel est assisté par ses proches collaborateurs, dont Clemens Heller, qui devient rapidement son bras droit.
76Laboratoire d’une nouvelle histoire, le CRH se veut à l’avant-garde, et entend innover par ses méthodes de recherche, ses techniques d’enquête et les types de documents à dépouiller. En se servant de l’ordinateur, le CRH va, à partir du milieu des années 1960, orienter de plus en plus ses activités vers le dépouillement systématique des données quantitatives de l’histoire et la mise au point de procédures d’exploitation plus sûres et plus rapides57. Donc histoire économique et sociale et usage de données statistiques et quantitatives : telles sont les deux grandes orientations des recherches menées au CRH.
77Braudel poursuit les négociations avec la Fondation Rockefeller, dont la politique de subventions, qui continue à se fonder sur la séparation entre les humanités (dont l’histoire) et les sciences sociales, agace Fernand Braudel et met la VIe section en porte-à-faux. Même si elle fait tout à fait confiance à Braudel58, la Fondation n’entend ni financer un programme qui ne relèverait pas clairement des sciences sociales ni appuyer le programme des area studies si celui-ci est associé à une stratégie institutionnelle visant la création d’une faculté des sciences sociales. En raison de l’ambiguïté qui persiste, le financement accordé par la Fondation Rockefeller à la VIe section est moins important que prévu : 60 000 dollars (au lieu des 130 000 dollars demandés) pour 1956-1957 et 80 000 dollars pour 1958-196059. Pour la réalisation du programme des area studies, la VIe section doit donc compter aussi sur des financements du ministère de l’Éducation nationale, du CNRS et d’une fondation italienne, Istituto italiano per il medio ed estremo oriente60. Les aires que va appuyer la Fondation Rockefeller sont principalement la Chine, la Russie, l’Islam et l’Inde.
78Dans les années qui suivent, ce programme de la VIe section soulève de nombreuses questions : programme trop ambitieux en termes de nombre d’aires culturelles, intérêt excessif pour le passé lointain, insatisfaction face au choix des personnes responsables du secteur de l’Extrême-Orient. Donc un projet, dira-t-on, « trop important pour être abandonné mais pas assez satisfaisant pour être soutenu sans réserves61 ».
79La Fondation Rockefeller fera don des bureaux de son siège social à Paris à la VIe section, par le relais de l’association Marc Bloch62, mais il n’est pas question qu’elle finance la construction d’une grande Maison des sciences de l’homme.
Oppositions et alliances
80Directeur du CRH, professeur au Collège de France depuis 1950, président de la VIe section : Braudel occupe une position de plus en plus forte au sein des sciences humaines et sociales. À la Sorbonne, on craint, non sans raison, qu’il ne veuille faire de la VIe section une faculté ou un institut universitaire pour les sciences sociales. L’historien Pierre Renouvin s’oppose, on l’a dit, à une telle idée, car il ne considère pas l’histoire comme une science sociale. Il défend plutôt le projet de création d’une licence en sciences sociales à la Sorbonne.
81Braudel doit donc se trouver des « alliés » dans la grande institution universitaire parisienne qu’est la Sorbonne. Il connaît bien Georges Gurvitch mais celui-ci apparaît comme un « concurrent » car il souhaite, selon une rumeur, créer son propre Institut des sciences sociales. Braudel se tourne donc plutôt vers Raymond Aron même si celui-ci critique la qualité – bonne mais pas exceptionnelle – de la recherche à la VIe section et qu’il redoute l’ambition impérialiste de Braudel. Aron a beaucoup de respect pour l’auteur de La Méditerranée63 et surtout il manifeste de l’intérêt pour le projet d’une Maison des sciences de l’homme, souhaitant même que le Centre de sociologie européenne, qu’il crée en 1960, puisse y être hébergé. Tout juste élu professeur de sociologie à la Sorbonne, il est une figure centrale du milieu intellectuel et universitaire.
82Du côté de la Fondation nationale des sciences politiques, il y a de la défiance, pour ne pas dire de la résistance, face à la volonté expansionniste de la VIe section. Comme l’affirme Daniel Lerner, membre du comité scientifique de l’Institut des études européennes, on se montre sceptique à l’idée de créer une faculté de sciences sociales. Lerner lui-même critique la VIe section qui lui semble encore trop dominée par la faculté de droit, que ce soit dans le contenu de ses cours ou dans le recrutement des enseignants. Il manifeste par ailleurs plusieurs réserves à l’égard de Berger qui, certes, a des qualités scientifiques et administratives, mais qui, à son avis, n’a pas la force de caractère nécessaire pour « tenir tête aux mandarins64 ». Même pessimisme chez Nathan Leites, qui a longuement séjourné à Paris comme consultant de la Rand Corporation65.
83Toutes deux opposées à la création d’une faculté de sciences sociales, la Fondation nationale des sciences politiques et la faculté de droit s’allient pour proposer la mise en place d’un binôme droit/sciences-po afin d’offrir aux futurs cadres supérieurs une formation en sciences sociales. Il s’agit donc de mettre en place « une série de passerelles entre différentes institutions existantes », pour reprendre la formulation de Jacques Chapsal, directeur de l’Institut d’études politiques et administrateur de la Fondation nationale des sciences politiques, pour qui l’idée d’une faculté de sciences sociales n’est qu’« une pure vue de l’esprit » (Chapsal 1979a et 1979b : 67-73 , cité par Gemelli 1995 : 312). Il se ralliera plus tard au projet d’une MSH, dont il deviendra un ardent défenseur.
Raymond Aron (1905-1983)
Normalien et agrégé de philosophie (1928), Raymond Aron entreprend, après son service militaire et un séjour de deux ans en Allemagne, sa carrière dans l’enseignement au lycée du Havre (1933-1934), puis à l’École normale supérieure de Saint-Cloud (1934-1939) tout en occupant le poste de secrétaire du Centre de documentation sociale. La publication en 1935 de son premier livre La sociologie allemande contemporaine en fait un spécialiste de Max Weber en France. Trois ans plus tard, il défend une thèse de doctorat ès lettres sur la philosophie de l’histoire (1938) et il poursuit sa carrière comme maître de conférences en philosophie sociale à la faculté des lettres de Toulouse.
Mobilisé en septembre 1939, il décidera de gagner Londres pour rejoindre le général de Gaulle et pour s’engager dans les Forces françaises libres. À la Libération, il accepte un poste de conseiller au ministère de l’Information dirigé par André Malraux. Il crée en 1945 avec Jean-Paul Sartre la revue Les Temps modernes et, tout en se lançant dans le journalisme, d’abord à Combat avec Albert Camus, puis au Figaro comme éditorialiste (qu’il ne quittera qu’en 1983), il reprend sa carrière universitaire comme professeur à l’École nationale d’administration de Paris (1945-1947) puis à l’Institut d’études politiques de Paris (1948-1954) avant d’être nommé en 1955 chargé d’enseignement à la faculté des lettres et sciences humaines de l’université de Paris. En 1960, Aron est élu professeur à la Sorbonne. La même année, il accepte l’invitation à devenir directeur d’études cumulant à la VIe section de l’EPHE et il crée le Centre de sociologie européenne.
Aron n’hésite pas à se lancer dans la polémique, comme en témoigne son ouvrage L’Opium des intellectuels (1955). Très prolifique, il publie au début des années 1960 de nombreux ouvrages, dont Paix et guerre entre les nations (1962), ses fameuses Dix-huit leçons sur la société industrielle (1963) à partir de ses notes de cours en sociologie à la Sorbonne et son ouvrage classique, Les Étapes de la pensée sociologique (1967), dans lequel il présente Comte, Montesquieu, Tocqueville, Marx, Durkheim, Pareto, Weber. Éditorialiste réputé, Aron apparaît comme un « spectateur engagé », tentant de concilier l’étude et l’action
Aron est élu en 1970 professeur au Collège de France, où il est titulaire de la chaire de sociologie de la civilisation moderne (1970-1978). Le titre de sa leçon inaugurale est « De la condition historique du sociologue ».
Le choix d’un premier emplacement : le 5-7 rue de la Chaise
84Braudel abandonne l’idée de transformer la VIe section en faculté des sciences sociales pour concentrer ses efforts sur le projet de construction d’un bâtiment pour la recherche en sciences sociales et humaines, non sans rencontrer de nombreuses difficultés et devoir faire face à de vives oppositions. L’économiste François Perroux, pourtant proche de Braudel, craint que ce projet ne fournisse pas de garanties suffisantes d’indépendance scientifique aux organismes de recherche qu’il entend rassembler66.
85Dès l’été 1956, il est question de l’acquisition d’un terrain pour la construction d’un immeuble. Une belle occasion s’offre : il s’agit d’une clinique, connue sous le nom de « Maison de santé Velpeau67 », au 5-7 rue de la Chaise dans le 7e arrondissement, à proximité de la Fondation nationale des sciences politiques. Braudel ne veut pas la laisser passer : il pose une option et, en novembre 1956, il demande aux architectes Albert Laprade et Bruno Philippe de dessiner les plans du nouveau bâtiment, qui doit comprendre :
- une bibliothèque (avec salles de lecture) ;
- des salles pour la VIe section de l’EPHE : 2 amphithéâtres dont l’un de 300 places, au rez-de-chaussée et au premier étage, 10 salles de cours, la salle du conseil, les bureaux de l’administration et le secrétariat ;
- des locaux pour 5 centres sur 5 étages (études économiques, sociologie, autres centres à créer), une salle de dessin, une salle de photographie, des laboratoires. Pour chaque centre, on prévoit : une salle de réunion, un bureau pour le directeur, un bureau pour le secrétariat et 8 autres bureaux ;
- des appartements (secrétaire général, bibliothécaire en chef, surintendant, concierge) et un parking.
86Braudel va écrire de longues notes pour démontrer que l’acquisition du bâtiment peut « marquer un tournant décisif dans l’histoire des institutions françaises liées au développement des sciences humaines68 ». Un tournant d’autant plus décisif que « les diverses institutions françaises sont aujourd’hui peu capables de répondre aux besoins du pays en matière de sciences sociales ». Toutes les grandes administrations publiques et privées, y compris l’Administration du plan, gagneraient à « être aidées pour la formulation des problèmes par des groupes compétents dans la recherche théorique ». Il y a aussi la question, non moins importante, de la formation, à un rythme accéléré, de nombreux nouveaux chercheurs, aujourd’hui insuffisants en nombre et en qualité.
87L’argumentation de Braudel comprend deux parties : le problème, la solution. Le problème des sciences sociales, c’est certes celui des locaux pour les chercheurs. Braudel montre, témoignage d’un médecin à l’appui, qu’il s’agit d’un problème qui se pose d’« une manière aiguë » : Il y a déjà trois cas de tuberculose dus à des installations défiant les règles les plus élémentaires d’hygiène. Mais le problème plus général est celui – c’est le trait de caractère français dans le domaine intellectuel – de l’individualisme des chercheurs et du particularisme excessif des institutions. « Nous souffrons d’un mal qui nous ronge : la dispersion », s’exclame Braudel. Et il ajoute : « Le drame de la coordination de nos études est un drame national. » Se joue l’avenir de la France qui risque d’être condamnée à un « état de stagnation » : « La France perdra vite son autorité politique, économique et culturelle si elle ne défend pas son autorité scientifique69. »
Le financement : la Fondation Ford
88Côté solution, Braudel croit qu’il est possible d’amorcer un regroupement en offrant aux institutions et à leurs animateurs à la fois des locaux convenables et convenablement regroupés et des moyens de travail utiles et communs à tous (centres de documentation, centre de mécanographie, centre de cartographie et surtout bibliothèque). Pour pallier ce sous-équipement, il est d’autant plus urgent d’agir que certaines conditions semblent réunies, dont la possibilité d’obtenir de fondations américaines, notamment Ford et Rockefeller, d’importantes subventions de l’ordre d’un milliard de francs. Mais il faut pour cela obtenir un immeuble qui soit « convenablement situé et judicieusement aménageable ». Même si le prix d’achat semble « manifestement excessif » – de l’ordre de 400 millions70 –, Braudel défend le projet de la rue de la Chaise en raison de sa localisation au centre de Paris, à proximité de grands organismes d’État (la présidence du Conseil, la rue de Varenne), de l’École nationale d’administration, rue des Saints-Pères, de la Fondation nationale des sciences politiques, rue Saint-Guillaume, et à une distance convenable des grands établissements universitaires et de divers centres de recherche. Sont aussi mis en évidence « le calme du quartier et l’agrément du Jardin des Plantes ». Enfin le déplacement en banlieue de la Halle aux cuirs dans un avenir proche va rendre disponible un terrain, permettant ainsi des extensions ultérieures. Quant à une localisation en banlieue, elle lui apparaît tout simplement inacceptable : « Tout projet excentrique sera voué à une activité désertique71. »
Shepard Stone (1908-1990)
Docteur en histoire de l’université de Berlin et marié à l’Allemande Charlotte Hasenclever, Shepard Stone est, de 1933 à 1943, journaliste au New York Times ; en 1942, il rejoint l’armée américaine et fait partie de l’Agence de renseignement durant la guerre. Il sert aussi en 1945 le gouvernement militaire, rétablissant la presse libre dans la zone d’occupation américaine en Allemagne. En 1952, Stone devient directeur des Affaires internationales à la Fondation Ford, un poste qu’il occupe jusqu’en 1967. Il est responsable du développement de programmes en Europe de l’Ouest et de l’Est et des échanges de chercheurs entre les États-Unis et le bloc communiste. Il dirige les programmes des aires liées à la coopération atlantique, développe des projets en rapport avec les mass media et voyage aussi en Asie pour ouvrir de nouveaux projets sur ce continent. Stone quitte la Fondation en 1967 pour devenir président de l’International Association for Cultural Freedom, une réinvention du Congress for Cultural Freedom, qui avait été discrédité en raison de son financement par la CIA. Stone est l’auteur d’un petit ouvrage, The Shadow Over Europe – The Challenge of Nazi Germany (1939).
89Dans la lettre qu’il écrit le 24 novembre 1956 à Shepard Stone de la Fondation Ford, Gaston Berger fait pour sa part explicitement référence à ce projet d’achat de terrain. Il rappelle d’abord l’importance qu’il accorde à ce projet :
Je ne voulais vous écrire que lorsque j’aurais quelque chose de précis à vous dire. Je crois que ce moment est venu. Dans le domaine des sciences sociales j’ai tout sacrifié à la réalisation d’un projet qui me paraît capital et dont je vous ai entretenu, celui de la création d’une Maison des sciences sociales à Paris, dans laquelle travailleraient, sans réticence, tous les individus et tous les groupes72.
90Il informe son collègue américain de deux choses : primo il a enfin obtenu l’accord de tous les chercheurs intéressés, qu’ils soient de l’Université, de l’École pratique des hautes études, de la Fondation nationale des sciences politiques ou d’autres centres ; secundo, une décision a été prise, à savoir la création d’« une fondation où viendraient travailler tous les chercheurs ». « Dans l’immédiat », pour reprendre son expression, c’est, précise-t-il, l’université de Paris qui ferait l’acquisition des terrains et des bâtiments où s’édifierait la Maison des sciences sociales. Enfin, il informe Shepard Stone que les terrains du 5 et 7 rue de la Chaise sont « admirablement situés », au cœur de Paris, à cent mètres de la Fondation nationale des sciences politiques ; il lui confie qu’il a actuellement posé une option sur ces terrains et qu’il a fait « réserver dans le budget 1957 les 500 millions nécessaires à l’achat ». C’est donc du sérieux.
91Par ailleurs Clemens Heller écrit à André Siegfried, ancien président, en 1945, de la Fondation nationale des sciences politiques, pour lui demander sa « pleine adhésion » à ce projet de regroupement de centres de recherche en sciences sociales et à leur installation dans des « locaux convenables » à proximité de la Fondation nationale des sciences politiques. « La beauté de l’emplacement ainsi que la proximité [de la Fondation] ont été, ajoute Heller, essentielles au choix du site73. »
92Il n’est évidemment pas question, reconnaît pour sa part Berger, de demander à la Fondation Ford quelque argent que ce soit pour l’achat du terrain ou pour la construction. Connaissant l’intérêt que son collègue américain porte à l’« opération », il lui fait la demande suivante : « Vous pourriez singulièrement la faciliter si vous nous indiquiez qu’une fois la Maison aménagée vous envisageriez favorablement l’octroi d’une subvention importante pour développer la bibliothèque74. » En terminant sa lettre, Berger annonce à Shepard Stone qu’il va envoyer Clemens Heller en mission aux États-Unis pour qu’il puisse « vous donner verbalement toutes les explications que vous pourriez désirer ». Celui-ci doit prendre l’avion le mardi suivant.
André Siegfried (1875-1959)
Sociologue, historien et économiste, c’est le « père de la science politique française » et un spécialiste du monde anglo-saxon, auteur de plusieurs ouvrages sur les États-Unis et le Canada. Titulaire de deux licences (en lettres et en droit), il enseigne à partir de 1911 à l’École libre des sciences politiques ; il est élu en 1933 à la chaire de géographie économique et politique du Collège de France. Il collabore pendant plusieurs années au Figaro. Siegfried devient en 1945 le premier président de la Fondation nationale des sciences politiques.
93La Fondation Ford montre un grand intérêt pour le projet, même si certains des responsables du programme se montrent sceptiques à l’idée de financer la création d’une faculté des sciences sociales et qu’ils s’inquiètent, non sans humour, du danger que représente la construction d’un « immeuble centralisateur », car en réunissant sous un même toit les politiciens universitaires français, « un [tel] édifice pourrait bien devenir célèbre en tant que Folie Berger… »75.
94En novembre 1956, le vice-président de la Fondation Ford et l’un des signataires du Gaither Report, Don K. Price, prépare la première version du projet de financement et mobilise toute l’équipe de la Fondation, dont Stone et Sutton, tous deux responsables de la négociation avec les Français76 ; il prévoit d’engager une somme de l’ordre de 5 millions de dollars, avec l’engagement de construire éventuellement de nouveaux bureaux. Une somme exceptionnelle, mais qui se justifie, selon lui, par l’importance de l’enjeu qui est de surmonter, grâce aux sciences sociales, les grands problèmes politiques, économiques et sociaux que rencontre alors la France77.
Fondation Ford
La Fondation Ford a été créée en 1936 grâce à un don de 25 000 dollars d’Edsel Ford, fils d’Henry, fondateur de la Ford Motor Company. La Charte stipule que ses ressources doivent être utilisées « pour des objectifs scientifiques éducationnels et charitables, pour le bien-être public ». Les subventions peuvent être attribuées à plusieurs sortes d’organismes. À la fin des années 1940, au lendemain de la mort d’Henry Ford en 1947, la Fondation devient, sous la présidence d’Henry Ford II, le plus important et le plus riche organisme philanthropique du monde avec des avoirs (assets) de 474 millions de dollars ; il est dédié à l’« avancement du bien-être humain », plus précisément à « la solution des problèmes les plus pressants de l’humanité quels qu’ils soient plutôt qu’à un champ particulier ». Anticipant le changement que va entraîner l’arrivée d’Henry Ford II à la présidence de la Fondation, le conseil d’administration crée un comité dont l’objectif est de définir les domaines et les modes d’intervention de l’institution. Le président de ce comité est H. Rowan Gaither (1909-1961), avocat californien qui aide en 1948 à la création de la Rand Corporation. Il y a prise de conscience des « exigences de la crise mondiale » et de l’urgence de régler plusieurs problèmes politiques et économiques. Les cinq axes ou program areas qu’identifie le comité sont les suivants : 1) l’établissement de la paix, 2) le renforcement de la démocratie, 3) le renforcement de l’économie, 4) l’éducation dans une société démocratique, 5) le comportement individuel et les relations humaines. Les objectifs de la Fondation sont, tels qu’énoncés dans le Gaither Report, les suivants : « Contribuer de façon significative à la promotion de la paix dans le monde et à la mise en place d’un ordre mondial basé sur la loi et la justice ; sécuriser un plus grand respect des principes de liberté et de démocratie dans la résolution des problèmes d’une société en mouvement ; assurer le bien-être économique des peuples partout dans le monde et améliorer les institutions économiques pour une meilleure réalisation des objectifs démocratiques ; renforcer les équipements et améliorer les méthodes éducatives afin de permettre aux individus de réaliser leur potentiel intellectuel, civique et spirituel ; promouvoir une plus grande égalité des chances dans l’éducation ; conserver et accroître les connaissances, enrichir la culture et mieux connaître les facteurs qui influencent et déterminent la conduite humaine, et tout cela au plus grand bénéfice des individus et de la société78. »
La Fondation entend par ailleurs privilégier trois types d’approche : l’avancement de la connaissance par la recherche, l’application pratique de la connaissance et la diffusion de la connaissance par l’éducation et le développement personnel79.
La Fondation Ford s’installe en 1953 à New York dans de nouveaux locaux, au 477 Madison Avenue au coin de la 51e rue. Elle a des bureaux à Karachi, Beyrouth, Rangoon, Djakarta et New Delhi. En 1954, les subventions qu’elle distribue sont de l’ordre de 67 millions de dollars pour plus de 180 projets. Par ordre de priorité, il y a l’éducation, qui reçoit la plus grande partie du budget (34 millions), puis les affaires internationales (18 millions), et enfin, les autres projets – divers programmes en économie, en affaires publiques et en sciences sociales (à savoir les sciences comportementales (behavioral sciences), comme on les appelle à la Fondation) –, se partagent le reste. Les projets sont quant à eux fort divers : mise sur pied de centres de formation en artisanat en Inde, construction et financement pendant cinq ans du Center for Advanced Study of Behavioral Sciences à Palo Alto en Californie, construction de salles de lecture et d’une bibliothèque pour la Free University de Berlin, développement d’un programme juridique international pour cinq écoles de droit américaines, le Fund for Adult Education, l’Institute of Business Administration de l’université d’Istanbul, publication de suppléments d’Atlantic Monthly avec des textes traduits (du grec, de l’indonésien, du brésilien, de l’arabe) (Macdonald 1989 : 8).
De 1953 à 1956, Gaither est président de la Fondation Ford. C’est un homme réservé, amical mais discret, formel sans être pompeux, doté d’une voix basse, bref un homme de relations publiques possédant un grand sens de la discrétion. Un homme peu connu du public, qui a dirigé des laboratoires de recherche et des organismes philanthropiques. « Un génie du travail en équipe», « le parfait président », « l’administrateur complet ». Il est le « Henry’s yes man » ; il rencontre les gens qui recherchent des subventions, sait les écouter patiemment mais sans se compromettre80. Il s’entoure de six vice-présidents dont quatre ont été membres du Report Study qu’il a présidé : Don K. Price et F.F. Hill pour l’axe 1 (international), Dick Brown et Quigg Newton pour l’axe 2 (affaires publiques), Thomas H. Carroll pour l’axe 3 (économie) et William McPeak pour les axes 4 et 5 (éducation et sciences du comportement). Gaither va développer les programmes de la Fondation en Indonésie, en Afrique et en Israël ; il s’intéresse aussi beaucoup à l’enseignement supérieur aux États-Unis.
Le successeur de Gaither, de 1956 à 1965, est Henry T. Heald (1917-2004), ancien président de l’Illinois Institute of Technology et de l’université de New York. Celui-ci accorde une très grande attention à l’enseignement supérieur, plus précisément à la formation des maîtres, à la formation à distance et aux équipements en Europe, en Afrique et en Amérique latine. Sous sa présidence, la Fondation apporte de grandes contributions à l’agriculture (la Révolution verte), à l’aide légale aux pauvres et soutient les arts et les humanités en accordant de nombreuses bourses.
La Fondation Ford prend, au début des années 1950, une nouvelle orientation, qui est celle du « nouveau réalisme des sciences politiques », avec un intérêt marqué non plus pour la théorie politique mais pour les études comparatives portant sur les formes de gouvernement et les comportements politiques, principalement électoraux. L’un des programmes lancés dans les années 1950 s’intitule Individual Behavior and Human Relations, tout se passant comme si les sciences sociales étaient des sciences du comportement et s’inscrivaient dans une perspective non-historique. Les financements sont accordés aux universités américaines les plus importantes et aux grands centres de recherche, dont le Social Science Research Council, selon trois grandes orientations : une plus grande attention portée aux relations de pouvoir, caractéristiques des leaders politiques ; concentration de l’action sur les pays du tiers-monde et sur les pays asiatiques et application d’une idéologie du développement, qui est celle de la modernisation selon laquelle les États-Unis apparaissent comme « première nouvelle nation » selon l’expression de Seymour Martin Lipset (Lipset 1963) et comme modèle (Gemelli 1995 : 271-273).
« Les pourparlers continuent »
95Les principales préoccupations de Braudel et de ses proches collaborateurs sont l’achat d’un terrain ou d’un immeuble et l’organisation de la future Maison. Lors de la réunion du 24 janvier 1957, qui se tient dans les locaux du directeur de l’Enseignement supérieur, on discute d’abord de l’achat de la clinique de la rue de la Chaise (dont le prix demandé est passé de 600 à 400 millions de francs mais dont la valeur est estimée par les Domaines à 200 millions), puis du statut des centres de recherche qui, de l’avis général, doivent « conserver intacte leur autonomie intellectuelle » tout en ayant accès à des services en commun (bibliothèque, mécanographie), et enfin de la composition du conseil d’administration avec deux conseils, le premier réunissant de « hautes personnalités (choisies ès qualités) », le second des représentants de groupes de recherche qui pourront « faire connaître les problèmes et les besoins des chercheurs ».
Don K. Price (1910-1995)
Boursier Rhodes, Price a été journaliste puis politologue, éducateur, membre du personnel de l’U.S. Bureau of Budget (1945-1946), assistant du directeur du Public Administration Clearing House (1946-1953), assistant d’Herbert Hoover pour la Commission on Organization of the Executive Branch of Government (1947-1948), président du Research and Development Board du Department of Defense (1952-1953), directeur du personnel du Committee on Department of Defense Organization (1953), assistant du directeur de la Ford Foundation (1953-1954), vice-président de la Fondation Ford (1954-1958). Il poursuit ensuite une carrière académique et politico-administrative : doyen de la John F. Kennedy School of Government (1958-1977), professeur à l’université Harvard (1958-1980), membre du President’s Advisory Committee on Government Organization (1959-1961), conseiller du roi du Népal (1961), consultant pour l’Executive Office of the President (1961-1972), membre du Conseil d’administration de la Rand Corporation (1961-1971) et enfin professeur à l’université d’Oxford (1985-1986).
96La formule juridique privilégiée pour la future institution est celle d’association loi 1901, mais l’on sait qu’il faudra par la suite créer une fondation. Charles Morazé et Pierre Renouvin se voient confier la mission d’étudier le problème. Pour la sélection des centres, l’on propose de retenir « ceux dont le but est l’étude des sciences qui font comprendre l’homme vivant » et l’on demande à Fernand Braudel de dresser une première liste qui servira « de point de départ pour les discussions ultérieures ». On trouve en annexe du procès-verbal une liste d’une quinzaine de centres ou instituts qui pourraient être soit logés à la MSH, soit associés et logés en dehors de la Maison, avec le nom des directeurs81. Enfin, s’agissant de la dénomination de la Maison, l’on abandonne définitivement le vocable Maison des sciences sociales qui avait été envisagé pour le remplacer par celui de Maison des sciences de l’homme82.
97S’agissant de l’immeuble de la rue de la Chaise, l’idée de Braudel est de demander à la Fondation Ford de se porter au moins caution pour l’achat. Dans l’avis qu’il donne à Shepard Stone, Don K. Price se montre prudent, ne voulant pas faire preuve d’ingérence dans les affaires françaises en « poussant un organisme gouvernemental à contourner les exigences réglementaires en France » ; il rappelle aussi que la politique de la Fondation est de « ne pas prendre part à l’achat de terrain83 ».
98Il semble par ailleurs que les oppositions politiques ou idéologiques face à l’intervention d’une fondation américaine en France s’estompent quelque peu : une telle aide ne devrait pas, pense-t-on, être « gravement stigmatisée comme impérialisme culturel américain ». Une grande partie de l’opinion y serait plutôt favorable : « La rive gauche, bien sûr, grognera, mais cela ne nous importe guère84. » Ce qui ennuie par contre les responsables de la Fondation Ford, qui reconnaissent qu’il y a à Paris des « talents de premier ordre », ce sont la grande difficulté de communication entre les chercheurs français et leur dispersion. Parmi ces talents, on trouve : de Dampierre, Mendras, Touraine, Balandier, Pagès, Chombart de Lauwe85.
99En avril 1957, Francis Sutton rencontre, lors de sa mission en France, une cinquantaine de personnes : le directeur de l’Enseignement supérieur, les doyens des facultés de lettres et de droit, des responsables de grands établissements, des professeurs et des chercheurs de renom. Il lui faut identifier les moyens d’action possibles pour la réalisation rapide du projet de la Maison des sciences de l’homme. Sutton reconnaît que le moyen le plus efficace serait l’achat d’un terrain ou d’un immeuble, mais devant l’impossibilité d’une telle action, il suggère l’octroi de fonds pour le fonctionnement de la nouvelle institution, ce qui permettrait d’avoir une influence sur son orientation ou son « caractère86 ».
Georges Balandier (1920-2016)
Anthropologue, sociologue et écrivain, Georges Balandier est une des grandes figures intellectuelles françaises de la seconde moitié du xxe siècle. Après avoir fait des études d’ethnologie, réfractaire au STO, il rejoint la Résistance en 1943. Recruté, en 1946, par l’Office de la recherche scientifique coloniale, il effectue des recherches en Afrique. À son retour en France, en 1951, il entre au CNRS comme chargé de recherche et enseigne à la Fondation nationale des sciences politiques. Après avoir soutenu, en 1954, son doctorat d’État, il est élu directeur d’études à la VIe section de l’École pratique des hautes études (aujourd’hui EHESS) où il crée, en 1957, le Centre d’études africaines qu’il dirigera jusqu’en 1984. Mais il va aussi poursuivre en parallèle une carrière à l’université. Élu à la Sorbonne en 1962 à la chaire de sociologie africaine, il succède, en 1965, à Georges Gurvitch à la chaire de sociologie générale. En 1971, après la réforme de l’université de Paris, il rejoint, avec ses collègues des sciences sociales, l’université de Paris-V où il restera jusqu’à son éméritat en 1985.
Auteur et codirecteur de plus d’une trentaine d’ouvrages dont certains réédités à plusieurs reprises et traduits dans une dizaine de langues, d’un très grand nombre d’articles, responsable éditorial de revues et de collections prestigieuses, il a occupé une position centrale dans la recherche et encadré de très nombreuses thèses. Il a contribué de façon décisive, dès 1955, avec Sociologie des Brazzavilles noires et Sociologie actuelle de l’Afrique noire, à changer le regard que l’on portait sur l’Afrique (on lui doit avec Alfred Sauvy les notions de « tiers-monde » et de « sous-développement »), et, conjuguant anthropologie et sociologie, il a montré que toutes les sociétés humaines sont des sociétés en mouvement et que notre plus grand défi est de prendre la vraie mesure de ces « nouveaux Nouveaux mondes » dans lesquels nous sommes amenés à vivre.
Notes de bas de page
1 Les communications paraissent dans le numéro 5 de janvier-février 1957 des Cahiers de la République. Parmi les autres « personnalités » qui sont pressenties pour participer à ce colloque, on trouve, du côté des sciences humaines et sociales, Raymond Aron, Fernand Braudel, Jean Dresch, Claude Lévi-Strauss, Charles Morazé.
2 Sont excusés : Claude Gruson, chef du service des études économiques du ministère des Finances, Ernest Labrousse, professeur à la Sorbonne, Claude Lévi-Strauss, directeur d’études à l’EPHE, Paul Rivet, de l’Institut d’ethnologie.
3 Mendès France 1958 : 380-381. Il s’agit du texte intégral de la proposition de résolution déposée à l’Assemblée nationale le 27 décembre 1957 par Pierre Mendès France. On y trouve élaboré un plan quinquennal comprenant entre autres des mesures de démocratisation afin d’orienter le plus grand nombre de jeunes vers les études longues et de développer les études scientifiques et techniques (extension du régime de bourses, allocation d’études pour les étudiants, refonte du régime des allocations familiales). Il est aussi question de revaloriser la fonction enseignante et de réformer les structures de l’université (plus grande autonomie des établissements).
4 Les pages publiées sous la rubrique « Débats et combats » ne concernent que les sciences sociales : « Elles méritent réflexion… et promptes réalisations » (Longchambon 1958 : 94). Le document porte à la fois sur les sciences humaines (philosophie, philologie, histoire, géographie, etc.) et les sciences sociales dites « nouvelles » (économie politique, sociologie, ethnographie, psychologie sociale, biométrie, etc.) (Dardel 2006).
5 Robert Pagès, « Pour une Maison des sciences humaines », novembre 1952, 10 pages, université de Paris et Centre d’études sociologiques, 54 rue de Varenne (archives EHESS).
6 Pour le diplôme d’études supérieures, Robert Pagès rédige en 1942 un mémoire intitulé « Genèse et sens du mythe et de la fabulation » (Demailly 2007 : 285 ; Deconchy 2007 : 257-263). Pagès sera de 1982-1984 président de la Société française de psychologie.
7 Lettre de Clemens Heller à Edward D’Arms, Fondation Rockefeller, 25 mai 1955 (archives EHESS).
8 Lettre de Lucien Febvre à Gaston Berger, le 9 juin 1955 (archives de la VIe section, EPHE, Fonds Heller), citée par Mazon 1988 : 146.
9 Au sujet de ce mode de production de la connaissance qui s’appuie sur la dynamique université-industrie-gouvernement, voir Gibbons et al. 1994.
10 Brigitte Mazon émet l’hypothèse que les responsables de la Fondation Rockefeller (E. D’Arms et K. Thompson) auraient alors conseillé à Braudel et Heller de « s’adresser à la Fondation Ford » (Mazon 1988 : 152).
11 Lettre de Clemens Heller à B. Berelson, Paris, le 27 septembre 1955 (archives FMSH) (The intention is now to create during 1956, by ministerial decret, an Institut national des sciences sociales, based on the VIe section. This Institute would have the right to grant the licence, a feature which will give to it the essential characteristics of a faculty des sciences sociales. There will be a new building, a new library, a new faculty, etc.).
12 Ibid. (All decisions are now made quickly […]. Definite arrangements would have to be made in the course of this winter or early spring […]. I am not sure it would be appropriate for him to contact you on his own initiative. If you should want to contact him, it might be best for you to join him at the Rockefeller Foundation […]. I must ask you, and this is very important, to treat all this information as “top secret”, and especially to prevent that it returns to France, before an official announcement has been made).
13 Jean Berthoin (1895-1979) est alors ministre de l’Éducation nationale.
14 Lettre de Clemens Heller à B. Berelson, Paris, le 1er octobre 1955 (archives FMSH). (No allusions should be made to it towards French government officials here or in New York, before checking with Berger, Braudel or me).
15 Archives Fondation Rockefeller, voir Kwaschik 2016 : 85.
16 Conversation de Fernand Braudel avec Edward D’Arms, le 6 octobre 1955 à New York (archives Fondation Rockefeller), citée par Mazon 1988 : 146.
17 Voir la notice biographique de Fahs ci-dessous.
18 Charles B. Fahs, « Widening our Cultural Horizons », 12 novembre, 1954 : 3. Ce texte figure en annexe du compte rendu de la réunion du conseil d’administration de la Fondation Rockefeller du 12 janvier 1954 (archives Fondation Rockefeller).
19 Charles B. Fahs, « Memorandum. Areas Studies » (archives Fondation Rockefeller).
20 Fernand Braudel, « Rapport préliminaire », 1956, cité par Mazon 1988 : 143.
21 Lettre de Lucien Febvre à Fernand Braudel, Paris, le 20 octobre 1955 (archives VIe section EPHE), citée par Mazon 1988 : 148. Le Souget est la maison de campagne de Lucien Febvre dans le Jura.
22 Ibid. : 148-149.
23 « Projet de création d’une maison des sciences sociales », s. d. (1956). Il s’agit d’un texte dactylographié de trois pages (archives EHESS). Parmi les centres qui pourraient être logés, sont identifiés : l’Institut de statistiques de l’université de Paris (Georges Darmois), le Centre de psychologie sociale (Daniel Lagache), le Centre d’études sociologiques (Jean Stoetzel), l’Association de sciences politiques (Charles Morazé), le Centre d’études des relations internationales (Jean Touchard), le Centre de recherches historiques (Fernand Braudel), le Laboratoire de cartographie (Jacques Bertin), cinq centres de recherches sur le monde actuel : Chine, Islam (Jacques Berque), Afrique noire (Claude Lévi-Strauss et Georges Balandier), Russie (Henri Chambre), Inde (Louis Dumont), l’ISEA (François Perroux), le Centre d’études économiques (Pierre Coutin), le Laboratoire d’ethnographie de la VIe section (Claude Lévi-Strauss), le Centre de recherches sociologiques (Raymond Aron), l’Institut de sciences humaines (Roger Daval). En plus des directeurs des centres, le conseil d’administration devrait compter des représentants de bibliothèques (Langues orientales et Documentation contemporaine), de la Fondation de sciences politiques et de la VIe section).
24 Francis Sutton, « Conversation with Pierre Renouvin », 27 février 1957 (archives Fondation Ford), cité par Mazon 1988 : 149. Voir aussi Sutton 1987 : 41-49.
25 « The strength of the French, indeed of the European, humanistic tradition is rooted in a knowledge of the past. American scholars, on the contrary, often go always their ignorance of the past […]. If a way can be found to deepen our knowledge of the present through an awereness of the past, the results should be beneficial to the scholarly world at large. The French program seems to offer just such an opportunity. » Commentaire d’E. F. D’Arms à propos du projet d’area studies en France (31 août 1955), cité par Mazon 1988 : 125.
26 Au sujet de son engagement politique, associatif et écologique, voir Chesneaux 2004.
27 Cité par Mazon 1988 : 129. Il ne s’agit cependant pas d’une condition inhabituelle même lorsque les subventions sont attribuées à une institution.
28 Il s’agit du « Rapport préliminaire sur les sciences humaines » de Braudel, que l’on nommera ici plus simplement le « Rapport ».
29 À ces noms s’ajoutent les noms de membres du conseil d’administration de la MSH : Jacques Chapsal, Hamel, Morazé, Renouvin.
30 Lettre de Fernand Braudel à « Mon cher collègue », le 4 juin 1956 (archives FMSH). Pour la première séance, qui doit être consacrée aux principes généraux, Braudel propose l’ordre du jour suivant : proportion entre les dépenses en sciences humaines d’un côté et de l’autre, celles en sciences exactes ; dépenses à long terme vs dépenses à court terme ; sciences humaines développées vs sciences humaines sous-développées, personnel vs outillage, Paris vs province, etc. (lettre de Fernand Braudel à « Mon cher collègue, le 13 juin 1956 (archives FMSH). Il y a finalement trois rencontres : les 14, 18 et 21 juin 1956.
31 Braudel demande à ses collègues de lui répondre à son adresse personnelle, 11 rue Monticelli dans le 14e arrondissement.
32 Fernand Braudel, « Rapport préliminaire sur les sciences humaines », 1956. Il est indiqué qu’il s’agit d’un avant-projet sur l’équipement de la recherche scientifique prévu par le 3e plan quinquennal.
33 Fernand Braudel, « Rapport préliminaire sur les sciences humaines », 1956 : 4.
34 Ibid. : 6.
35 Ibid. : 7.
36 Pour les sciences sociales, Braudel identifie plusieurs organismes : le CRH, l’INSEE, l’INED, le Centre d’études économiques de la VIe section, le Centre d’études de politique étrangère, le Centre d’études islamiques, deux Centres d’études sur la Russie, le Centre d’études sociologiques (CES) du CNRS, l’Institut des sciences sociales du travail.
37 Ibid. : 9. Dans son « Rapport », Braudel note qu’en raison de l’absence de licence de sociologie et d’ethnographie, la sociologie se trouve toujours « prisonnière » de la philosophie. Il cite les propos de Raymond Aron qui suggère la création d’une licence de sociologie.
38 Ibid.
39 On note les traitements très bas donnés par le CNRS. Un avis unanime est de « supprimer, si possible, le régime des vacations, qui fait vivre misérablement des salariés payés au rabais et qui, évidemment, travaillent en conséquence, sauf les habituelles exceptions qui confirment la règle » (ibid. : 14).
40 « Je crois donc, avec plusieurs directeurs de centres de recherches, qu’on devrait donner des avantages substantiels aux employés de la recherche et supprimer l’emploi à vie. La concurrence, indispensable dans ce domaine, s’établirait alors » (ibid.).
41 « J’attire l’attention sur le fait qu’il est plus “payant” de faire un gros centre de recherches que trois ou quatre petits. » Braudel voit comme un « danger » la demande de création de vingt ou trente instituts dans les universités : « [Ces centres] sont généralement conçus pour le service d’un seul professeur, considéré comme chef d’équipe. Je préférerais, pour ma part, des équipes de plusieurs professeurs, qui se verraient attribuer l’ensemble de programmes communs et plus amples » (ibid. : 15). Cela lui semble indiscutable en province : « L’éparpillement de multiples petites entreprises dans chaque université apparaît beaucoup moins souhaitable que la formation dans chacune d’elles d’une ou deux institutions puissantes, axées sur une particularité ou des traditions régionales » (ibid.).
42 Ibid. : 15.
43 Ibid. : 17. Braudel présente aussi le projet au recteur Jean Sarrailh qui, devant la réussite « sans précédent » de l’Institut d’Amérique latine de Mexico, se dit convaincu de la nécessité de créer une École des hautes études de l’Amérique latine. Et pourquoi pas, poursuit Braudel, « envisager de transformer en ce sens un certain nombre d’instituts français à l’étranger, plutôt somnolents » ?
44 Ibid. : 17. Braudel suggère aussi que les missions sur le terrain ne soient pas réservées uniquement aux chercheurs « chevronnés » qui ont atteint « le faîte des honneurs » mais qu’elles engagent aussi de jeunes chercheurs « soigneusement sélectionnés et bien encadrés » et travaillant d’après un plan concerté.
45 Sur le texte dactylographié qui se trouve dans les archives de l’EHESS, Braudel qualifie ses idées personnelles « d’assez pessimistes dans l’ensemble », mais il barre ces quelques mots.
46 Ibid. : 18.
47 Ibid. : 20.
48 Ibid. : 21.
49 Lettre de M. Longchambon à Fernand Braudel, le 27 novembre 1956 (archives FMSH).
50 Lettre de Clemens Heller à Berelson, 12 août 1956 (archives Fondation Ford), citée par Mazon 1988 : 152.
51 Lagrave cite notamment : Georges Balandier, Étienne Balazs, Jean Chesneaux, Louis Dumont, Jean Malaurie, Alexis Rygaloff, Serge Elisseeff, Jacques Gernet, Claude Lévi-Strauss, Pierre Mercier, Denise Paulme, Roger Portal, André Varagnac, Germaine Tillion.
52 Archives EHESS. Voir Kwaschik 2016 : 81.
53 Lagrave cite ici le « Rapport » de F. Braudel adressé à Henri Longchambon.
54 Dans le séminaire de Braudel à la VIe section, on voit défiler : Gino Luzzatto, Ömer Lütfi Barkan, Eliyahu Ashtor, Hugh Trevor-Roper, Ruggiero Romano. Puis ce sont, dès la fin des années 1950, les Polonais : d’abord, Marjan Małowist, Witold Kula, Karol Górski, Tadeusz Manteuffel, Antoni Mączak, Bronisław Geremek, Barbara Grochulska. Fernand Braudel et ses élèves, tout comme Jacques Le Goff, se rendent souvent en Pologne.
55 « Rapport » de Lucien Febvre du 28 mars 1951 : 1 (archives Fondation Rockefeller), cité par Mazon 1988 : 108.
56 Rapport d’activité du Centre de recherches historiques pour l’année scolaire 1952-1953 (archives EHESS).
57 Centre de recherches historiques, « Rapport d’activité 1968-1969 » (archives EHESS), cité par Raphael 1993 : 7, note 17. Les deux principales enquêtes qui utilisent l’ordinateur à partir du milieu des années 1960 sont les suivantes : les archives militaires du recrutement au xixe siècle (dirigée par Emmanuel Le Roy Ladurie et François Furet) et les statistiques générales de la France du xixe siècle (dirigée par Le Roy Ladurie et Furet). Puis s’ajoutent les enquêtes suivantes : les cahiers de doléances de 1789 (dirigée par Furet, 1969-1975), l’alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry (dirigée par Jacques Ozouf, François Furet et Véronique Nahoum, 1970-1975), la catastrophe florentine de 1427 (dirigée par Christiane Klapisch et David Herlihy, 1968-1975), dépouillement mécanographique et analyse de contenu de la correspondance de Rousseau (dirigée par François Furet, Daniel Roche et Michel Launay).
58 Dans la lettre adressée à Lucien Febvre en décembre 1955, il était expressément écrit que « si à un moment ou à un autre le professeur Braudel devait cesser de diriger personnellement le programme, la Fondation Rockefeller ne serait pas engagée pour une période de plus de six mois » (lettre de la Fondation Rockefeller à Lucien Febvre, 8 décembre 1955, citée par Mazon 1988 : 128).
59 Braudel obtient par ailleurs pour le Centre de recherches historiques une importante subvention de l’ordre de 4,5 millions de francs pendant trois ans pour mettre en place un programme de recherches qui, s’inspirant de la problématique de ses travaux en cours, est organisé autour de quatre grands thèmes : « Affaires et gens d’affaires », « Monnaies, prix et conjonctures », « Ports, routes et trafics » et « Démographie et sociétés » (Gemelli 1995 : 284).
60 Fondée en 1933 par Giovanni et Giuseppe Tucci, cette fondation a pour objectif de favoriser les échanges culturels entre l’Italie et les pays asiatiques et d’étudier les problèmes économiques de ces pays.
61 Lettre de John Marshall à Alfred Métraux, le 15 août 1957 (citée par Gemelli 1995 : 324).
62 Lettre de Louis Velay à Fernand Braudel, le 2 juin 1959 (citée par Gemelli 1995 : 323).
63 Aron reproche cependant à Braudel de n’avoir rien fait depuis ce grand ouvrage. Voir l’entretien de Kenneth W. Thompson avec Raymond Aron, 20 octobre 1955 (cité par Gemelli 1995 : 333, note 1).
64 Lettre de Daniel Lerner à B. Berelson, le 1er août 1955 (citée par Gemelli 1995 : 332). Berelson va lancer avec F. X. Sutton, aussi de la Fondation Ford, le projet de rééditer et mettre à jour l’International Encyclopedia of the Social Sciences, dont la première édition est parue dans les années 1930 sous la direction d’Alvin Johnson et Edwin Seligman. Les premiers volumes de la nouvelle édition paraîtront en 1968.
65 Ibid.
66 Lettre de François Perroux à Kenneth Thompson, vice-président de la Fondation Rockefeller, le 10 novembre 1958 (citée par Gemelli 1995 : 313, note 2).
67 Il s’agit d’un groupe de bâtiments (comportant plus de 50 chambres et de nombreuses autres pièces) avec jardin, d’une superficie de 6 000 m2. Le prix demandé est de 500 millions de francs. Louis Velay, « Note à l’intention de M. Berger », 4 juillet 1956, 1 p. (archives FMSH).
68 Fernand Braudel, « Notes à propos de l’immeuble de la rue de la Chaise », s. d. (1956) (archives FMSH).
69 Ibid. : 5. Braudel fait aussi référence à la nécessité d’avoir « une connaissance détaillée et concrète de larges régions d’Asie et d’Afrique ».
70 Ibid. : 6.
71 Ibid. : 8.
72 Lettre de Gaston Berger à Shepard Stone , Paris, le 24 novembre 1956 (archives FMSH). La lettre est écrite en français. Gaston Berger semble très amical avec Shepard Stone. La lettre commence par un « Mon cher Shepard » et se termine par : « Je vous prie de présenter mes hommages à Madame Stone et de croire, mon cher Shepard, à mes sentiments amicaux et dévoués. »
73 Lettre de Clemens Heller à André Siegfried, 12 juin 1957 (archives FMSH). Pour éviter tout malentendu, Heller tient à faire la précision suivante : « Je ne suis personnellement que l’un des collaborateurs de la VIe section et c’est au même titre que mes collègues que le projet qui vise à ériger à Paris une Maison des sciences de l’homme recueille mon attention. Mais je ne suis, ni de près ni de loin, et à aucun titre, le représentant de la Fondation Ford ni d’aucune fondation américaine » (ibid.).
74 Lettre de Gaston Berger à Shepard Stone, Paris, le 24 novembre 1956 (archives FMSH).
75 Memorandum de Kermit Gordon, 07 novembre 1956 (archives Fondation Ford), cité par Mazon 1988 : 156.
76 S. Stone est responsable des affaires internationales et F. Sutton, du programme des sciences du comportement.
77 Lettre de Don K. Price à B. Berelson, s. d. (citée par Gemelli 1995 : 333).
78 « Promise significant contributions to world peace and the establishment of a world order of law and justice; Secure greater allegiance to the basic principles of freedom and democracy in the solution of the insistent problems of an ever-changing society; Advance the economic well-being of people everywhere and improve economic institutions for the better realization of democratic goals; Strengthen, expand and improve educational facilities and methods to enable individuals to realize more fully their intellectual, civic and spiritual potential; to promote greater equality of educational opportunity; and to conserve and increase knowledge and enrich our culture; Increase knowledge of factors that influence or determine human conduct, and extend such knowledge for the maximum benefit of individuals and society. »
79 « Report of the Study for the Ford Foundation on Policy and Program », Détroit, Fondation Ford, novembre 1949, 139 p.
80 Ibid.
81 La liste des centres et instituts qui pourraient être logés à la MSH est la suivante : Institut de statistiques (Georges Darmois), Institut de psychologie sociale (Jean Lagache), Centre d’études sociologiques du CNRS (Jean Stoetzel), Institut de sciences économiques appliquées (François Perroux), Centre d’études économiques de l’EPHE (Pierre Coutin), Centre d’ethnographie comparée de l’EPHE (Claude Lévi-Strauss), Centre de recherches sociales (Raymond Aron), Association des sciences politiques (Charles Morazé), Centre d’études des relations internationales (Jean Touchard), Centre de recherches historiques de l’EPHE (Fernand Braudel), Institut des sciences humaines appliquées (Roger Daval), Bibliothèque des langues orientales vivantes (Jean Meyriat), Centre de documentation contemporaine (Francis Debyser), Bibliothèque générale de la MSH (Pierre Lelièvre), Sixième section de l’EPHE (Maurice Lombard). À cette première liste, s’ajoute une deuxième, plus courte, qui comprend les centres dits associés : Institut national d’études démographiques (Alfred Sauvy), Institut national de la statistique et des études économiques (Clouson), Service des études financières (Claude Gruson), Centre d’études de politique étrangère (Jacques Vernant).
82 Procès-verbal de la réunion du 24 janvier 1957 (archives FMSH). Sont présents : Marcel Bataillon, administrateur du Collège de France, Gaston Berger, Fernand Braudel, président de la VIe section, Julien Cain, directeur des bibliothèques, Jacques Chapsal, administrateur de la Fondation nationale des sciences politiques, Clemens Heller, Gabriel Le Bras, représentant du doyen Hamel, Charles Morazé, secrétaire de la VIe section et Pierre Renouvin, doyen de la faculté des lettres. Absents : Jean Sarrailh, recteur, et Henri Massé, administrateur de l’École des langues orientales vivantes.
83 Lettre de Don K. Price à Shepard Stone, 7 juin 1957 (archives Fondation Ford), citée par Mazon 1985 : 154.
84 Ce sont les propos de Daniel Lerner lors d’une conversation avec F. Sutton, du 16 janvier 1957 (archives Fondation Ford), citée par Mazon 1985 : 154-155.
85 Lettre de Daniel Lerner, 16 janvier 1957 (archives Fondation Ford), cité par Mazon 1985 : 155.
86 Memorandum de Francis Sutton, 14 avril 1957 (archives Fondation Ford), cité par Mazon 1985 : 156.
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