Chapitre 1
Une conjoncture, une École,une fondation américaine
p. 17-56
Texte intégral
1« Demain, la Maison des sciences de l’homme », s’exclame Fernand Braudel au milieu des années 1950. Il ne cessera de répéter que son projet est simple : il s’agit de « regrouper en un seul ensemble tous les centres et laboratoires valables, à Paris, en ce vaste domaine. Toutes ces forces jeunes, tous ces moyens nouveaux sont à portée de main, alors que nous avons, précieux entre tous, sans doute unique au monde, l’indispensable encadrement de toutes les sciences classiques de l’homme, sans quoi rien de décisif n’est possible. Ne laissons pas passer cette double ou triple chance. Précipitons le mouvement qui, partout dans le monde, se dessine vers l’unité et, si nécessaire, brûlons l’étape, dès que ce sera possible et intellectuellement profitable. Demain, il sera déjà trop tard » (Braudel 1969b : 96).
2La création d’une Maison des sciences de l’homme date du 4 janvier 1963, mais les grandes lignes de ce projet sont dessinées dès le milieu des années 1950. Quant à l’arrivée du personnel dans cette « Maison », au 54 boulevard Raspail, elle ne se fera qu’au début des années 1970.
3À l’origine de la MSH, il y a une conjoncture, une institution, une fondation américaine et des hommes. La conjoncture, c’est la période de grand chambardement qui va de la fin de la Seconde Guerre mondiale au milieu des années 1960. Le cadre institutionnel, c’est la VIe section de l’EPHE, une « petite école » qui occupe une position particulière dans le système universitaire. La fondation, c’est la Fondation Ford. Les hommes, ce sont Fernand Braudel et ses proches collaborateurs : Gaston Berger, Clemens Heller et Charles Morazé.
Une volonté de reconstruction
4L’immédiat après la Seconde Guerre mondiale est, pour la France qui vient d’être libérée, une période de repositionnement sur la scène internationale et, sur le plan intérieur, de reconstruction avec l’indispensable aide américaine. Le général de Gaulle est au pouvoir. C’est vite la guerre froide : une guerre que Raymond Aron qualifie de « limitée » car, dans un monde devenu bipolaire, les belligérants évitent l’affrontement direct. D’où sa formule, qui fait mouche : « Paix impossible, guerre improbable » (Aron 1996 : 255). Les événements se bousculent : Mao Zedong prend le pouvoir en Chine, la guerre de Corée fait rage, la France connaît une défaite en Indochine ; en 1953, Staline meurt. « L’histoire se trouve aujourd’hui, écrit Fernand Braudel, devant des responsabilités redoutables, mais aussi exaltantes […]. Occasion de nous apitoyer, de souffrir, de penser, de remettre forcément tout en question » (Braudel 1969a).
5Dans un système universitaire fortement centralisé et hiérarchisé (de la faculté de province à la Sorbonne) et qui se caractérise par l’opposition entre les grandes écoles et les facultés universitaires et par la séparation de l’enseignement et de la recherche, les sciences humaines et sociales occupent une position inférieure et marginale, avec très peu de postes ; elles demeurent dominées par la « reine des sciences » qu’est la philosophie et, sur le plan institutionnel, elles se trouvent écartelées entre les facultés de lettres et les facultés de droit.
6La situation est d’autant plus catastrophique que dans ces années d’après-guerre s’impose à la classe politique une urgence : celle d’avoir une meilleure connaissance des réalités sociales et économiques et donc de se doter de moyens pour savoir, chiffres à l’appui, ce qui se passe dans la société française. D’aucuns rêvent d’une faculté des sciences sociales…
7Certes les choses bougent. Marcel Mauss mort, le sociologue et juriste Henri Lévy-Bruhl, le fils de Lucien, relance L’Année sociologique (3e série). Exilés et résistants reviennent à Paris : Georges Friedmann, Edgar Morin, Raymond Aron, Claude Lévi-Strauss – qui défend sa thèse de doctorat sur Les Structures élémentaires de la parenté –, Jean Stoetzel, Georges Gurvitch.
8De nouveaux organismes sont chargés de la collecte et de l’analyse des données statistiques et économiques. Le Commissariat général du plan – dont le responsable est Jean Monnet – crée en 1946 l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et l’Institut national d’études démographiques (INED) : le premier, chargé de la collecte de données de base, est rattaché au ministère de l’Économie et des Finances et le second, qui relève du ministère de la Santé publique et de la Population, a pour mission de mener des recherches en matière de démographie. La direction de l’INED est confiée au statisticien Alfred Sauvy dont la devise sera toute sa vie : « Éclairer l’action sans la commander » (Sauvy 1981 : 71). Sans oublier la création d’organismes privés tels l’IFOP (Institut français de l’opinion publique) et l’Institut de science économique appliquée, créé en 1944 par François Perroux (devenu l’Institut de sciences mathématiques et économiques appliquées – ISMEA).
Fernand Braudel (1902-1985)
Fernand Braudel |
Fils d’instituteur, Fernand Paul Braudel est né à Luméville-en-Ornois dans la « simple maison paysanne » de sa grand-mère paternelle, comme il aime le rappeler. Son père enseigne les mathématiques.
Fernand Braudel obtient son agrégation d’histoire en 1923, il a comme professeurs l’historien Henri Hauser, l’helléniste
Maurice Holleaux, le géographe Albert Demangeon. Et parmi ses condisciples, il y a André Aymard qui comme Braudel part en Algérie. Braudel y séjourne pour sa part de 1922 à 1932, d’abord à Constantine puis à Alger, où il enseigne au Grand Lycée. D’avril 1925 à octobre 1926, il interrompt son activité d’enseignant pour faire son service militaire en Allemagne. Puis il revient en Algérie pour reprendre son enseignement au Grand Lycée et ensuite à la faculté des lettres de l’université d’Alger où il fait la rencontre de Marcel Bataillon, normalien, historien de la Renaissance, et depuis longtemps professeur en Algérie. Il y fait aussi la connaissance de Louis Gernet, helléniste, historien et anthropologue, collaborateur à L’Année sociologique, première série, ami de Marcel Mauss et d’Ignace Meyerson, et camarade de Marc Bloch à la Fondation Thiers. Gernet est une personne clé de la faculté dont il devient le doyen.
Puis Braudel revient à Paris en 1932. Mais seulement pour une courte période pendant laquelle il enseigne dans les lycées Pasteur, Condorcet et Henri IV ; il obtient aussi en 1934-1935 une charge de conférences à la Sorbonne, dans un climat universitaire toujours hostile à la « nouvelle histoire » qu’incarnent les Annales. En septembre 1933, il épouse Paule Pradel, qui sera pendant plus de cinquante ans sa compagne de vie, sa précieuse collaboratrice, une lectrice attentive et à l’occasion sa traductrice et son interprète. De 1935 à 1937, Braudel part pour une mission au Brésil, ce pais novo confronté à de profondes transformations économiques et aussi en pleine transition culturelle – l’influence européenne, principalement française, laissant graduellement place à l’influence américaine. Sa femme Paule, qui vient d’accoucher, ira le rejoindre avec leur bébé de deux mois, Marie-Pierre. Braudel y rencontre le géographe Pierre Monbeig, le philosophe Jean Maugüé, disciple d’Alain ainsi que l’anthropologue Claude Lévi-Strauss et l’économiste François Perroux, que Braudel va par la suite retrouver sur son parcours. Cette mission s’inscrit dans ce qu’on peut appeler une « diplomatie des idées », l’éducation et la culture étant la 4e dimension de la politique étrangère. Il s’agit de faire rayonner la civilisation européenne dans le Nouveau Monde (Coombs 1964). L’Amérique latine va garder une place importante dans les travaux de Braudel, qui, par exemple, consacrera en 1946 un cours sur « L’Amérique latine contemporaine » à l’Institut d’études politiques. En 1947, il retournera enseigner au Brésil et donnera une série de conférences en Argentine et au Chili.
Retour à Paris en 1937. Lorsque à la IVe section de l’EPHE, « Sciences historiques et philologiques », le poste de l’historien médiéviste Ferdinand Lot (1866-1952) se libère avec son départ à la retraite, Braudel se montre très intéressé par une direction d’études sur l’histoire des peuples ibériques du Moyen Âge au xviiie siècle. De Ferdinand Lot, dont il a suivi les cours, Braudel tracera un portrait émouvant pour le numéro spécial des Annales qui lui sera consacré : « Pour comprendre vraiment la grandeur de Ferdinand Lot, il fallait le rencontrer à l’École des hautes études : là était son royaume. Le paradis de l’esprit où il accueillait chacun d’entre nous avec bienveillance, même avec humour. Il était détendu, à l’aise, d’une alacrité juvénile […] » (Braudel 1966 : 1177). Mario Roques, alors président de la IVe section et professeur au Collège de France, défend sa candidature. On dit de lui qu’il a « le constant souci de trouver le réel sous les mots », que dans son enseignement il est « brillant » et qu’il démontre « une capacité de joindre à la sévérité de l’érudition le sens de la vie »1. Braudel est élu.
Seconde Guerre mondiale : mobilisé, lieutenant d’artillerie affecté sur la ligne Maginot, Fernand Braudel est fait prisonnier fin juin 1940. Suit une longue période de captivité. Libéré début mai 1945, il regagne Paris et se réinstalle à son poste de directeur d’études de la IVe section. L’année suivante, il accepte, à l’invitation du doyen de la faculté des lettres de la Sorbonne, Pierre Renouvin, de prendre la responsabilité d’un cours sur l’histoire de l’Amérique latine pour les agrégatifs. Il a quarante-trois ans. Les cheveux déjà blancs, une belle éloquence. Il parle d’espace, de cycles économiques. Il séduit les étudiants : « J’ai été conquis en un quart d’heure […]. C’était fantastique », dira plus tard Pierre Chaunu. Marc Ferro est pour sa part ébloui par l’intelligence de Braudel (Daix 1995 : 221). Un succès non pas prodigieux mais « super-prodigieux », dira plus tard Braudel lui-même.
Lorsqu’une chaire d’histoire moderne se libère à la Sorbonne, Braudel pense poser sa candidature. Deux professeurs le pressent : son ami de jeunesse André Aymard et Ernest Labrousse qui vient d’entrer à la Sorbonne et qu’il a connu au comité des Annales. Mais le doyen Renouvin lui conseille, semble-t-il, d’attendre un peu, et appuie la candidature de Gaston Zeller, l’un de ses collaborateurs à l’Histoire des relations internationales. Craignant l’échec, Braudel préfère se retirer : « Sans tambour ni trompettes, je suis en 1947 écarté de la Sorbonne avec mille bonnes paroles, mais écarté » (Braudel 1976). La Sorbonne lui est alors, pour reprendre son expression, « fermée à deux tours » parce qu’on a senti, ajoutera-t-il, « quel danger [il] pouvait représenter pour l’histoire traditionnelle » (cité par Pierre Daix 1995 : 407. Braudel est blessé : « Le grand regret de Braudel, c’est de ne pas avoir été professeur à la Sorbonne. Il en rêvait […] » (Daix 1995 : 225). Il faut dire que Lucien Febvre a connu, vingt ans plus tôt, en 1925, un échec similaire lorsqu’il a présenté sa candidature à la chaire d’histoire moderne et contemporaine jusqu’alors occupée par Charles Seignobos, qui a finalement été offerte à Pierre Renouvin2.
Écarté de la Sorbonne, Braudel, son doctorat en poche, reste à l’EPHE et lorsque la nouvelle VIe section ouvre ses portes à l’automne 1948, il se joint tout naturellement à la nouvelle équipe. À Paris depuis décembre 1947 et plutôt déçu par l’enseignement de l’histoire à la Sorbonne, le jeune Napolitain Ruggiero Romano – il a 25 ans – rencontre en mars 1948 Braudel et, grâce à lui, Febvre et toute l’équipe des Annales : « Un choc ». Parmi les étudiants, peu nombreux, il n’y a qu’un petit nombre de Français, dont Pierre et Huguette Chaunu, la majorité étant d’origine étrangère : Portugal, Suisse, Mexique, Italie. Sans oublier deux Américains, dont Clemens Heller, qui devient rapidement son bras droit. Le séminaire de Braudel se donne tous les jeudis, de 15 à 17 heures : « De véritables feux d’artifice d’intelligence, d’érudition, de critiques de textes […] La salle Gaston Paris se remplissait d’odeurs d’épices, des cris des esclaves, du bruissement des lettres de change. Et le séminaire se poursuivait au café Balzar… » (Romano 1983 : 17).
Le Centre d’études sociologiques (CES)
9Le seul laboratoire public de recherches en sciences sociales dans les années d’après-guerre est le Centre d’études sociologiques que fonde Georges Gurvitch en 1946, avec la collaboration d’Yvonne Halbwachs, la veuve de Maurice Halbwachs. Le CES relève du CNRS et ses deux premiers directeurs sont Georges Gurvitch de 1946 à 1949, puis Georges Friedmann de 1949 à 1951. Leur succéderont, de 1951 à 1956, le géographe Maximilien Sorre, professeur honoraire à la Sorbonne et, à partir de 1960, le sociologue Jean Stoetzel, alors professeur à la Sorbonne.
10Au comité de direction, on trouve Louis Gernet, Maurice Leenhardt et Henri Lévy-Bruhl ainsi que deux universitaires qui, « encore marginaux, peu influents », vont devenir « tout-puissants », présents dans toutes les commissions et tous les comités de la vie scientifique française : l’historien Lucien Febvre et le sociologue Gabriel Le Bras, l’un politiquement rattaché à la gauche modérée et l’autre à la droite catholique modérée (Gottmann 1948, cité par Mazon 1988 : 94-95). Tous deux ont la religion comme objet d’étude mais tout semble les opposer, y compris leur rapport à cette dernière : l’un, issu d’une famille déchristianisée, est militant laïque et athée, et l’autre, catholique et maître en droit canonique, est un « esprit profondément religieux,
discret mais ferme dans ses convictions ».
11Le CES est au cœur d’une véritable relance de la recherche en sciences sociales avec la réalisation de travaux empiriques qui font découvrir de nouvelles réalités sociales, des mondes en pleines transformations : Georges Friedmann et le monde ouvrier (1947), Paul-Henry Chombart de Lauwe et le monde urbain (1952). Puis Henri Mendras et les paysans, Michel Crozier et les employés. De grandes enquêtes sont réalisées par de jeunes chercheurs, dont les travaux sont, dès le milieu des années 1950, publiés dans la collection « Travaux du Centre d’études sociologiques » : L’évolution du travail ouvrier aux usines Renault (1955) par Alain Touraine, Petits fonctionnaires au travail (1955) par Michel Crozier, Travail féminin et travail à domicile (1956) par Madeleine Guilbert et Viviane Isambert-Jamati, La vie quotidienne des familles ouvrières. Recherche sur les comportements sociaux de consommation (1956) par Paul-Henry Chombart de Lauwe, et Les travailleurs algériens en France (1956) par Andrée Michel (Laude, Jamous et Dofny, 1960 : 93-97).
Georges Friedmann (1902-1977)
Né en 1902 à Paris, Georges Friedmann entreprend d’abord des études de chimie pour ensuite s’orienter vers la philosophie. Il entre à l’École normale supérieure en 1923, obtient son agrégation de philosophie, puis enseigne au lycée de Bourges jusqu’en 1931. À l’invitation de Célestin Bouglé, il se joint au Centre de documentation sociale de l’École normale supérieure tout en faisant un apprentissage de mécanique à l’École professionnelle Diderot. Ce qui l’intéresse, ce sont les questions du machinisme et de l’industrie. Fasciné par l’URSS, il apprend le russe et fait en 1932-1933 deux séjours en Russie soviétique. Ses travaux s’inscrivent dans le cadre du marxisme tout en se rattachant au mouvement de la nouvelle histoire, celle de Marc Bloch et Lucien Febvre. Face à la montée du fascisme, inquiet, il participe, tout comme d’ailleurs Marcel Mauss, à la création en 1934 du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes. La déclaration de guerre et la signature du Pacte germano-soviétique l’amènent à s’engager dans la Résistance et il rejoint un petit groupe de la région de Toulouse, où il s’est réfugié parce qu’il est juif. Après la guerre, il demeure un compagnon de route considérant l’URSS « comme un exemple mais pas un modèle ». En 1950, il va rompre avec le Parti communiste français mais sans renoncer à l’espoir d’un socialisme démocratique.
12Au lendemain de la guerre, Friedmann est nommé professeur au Conservatoire national des arts et métiers, participe à la création du Centre d’études sociologiques et commence son enseignement à la VIe section. Friedmann entend dès lors développer un nouveau champ de la sociologie, la sociologie du travail.
13Se retrouveront au CES plusieurs chercheurs qui contribueront de manière significative dans les années 1960-1970 au développement de la sociologie sur le plan de la recherche empirique et de la réflexion théorique : Alain Touraine, Michel Crozier et Viviane Isambert-Jamati, mais aussi Jean Cazeneuve, Joffre Dumazedier, François A. Isambert, Henri Jamous, Henri Lefebvre, Albert Memmi, Henri Mendras, Edgar Morin, Serge Moscovici, Robert Pagès, Émile Poulat, Pierre Rolle, Pierre Naville, Henri Raymond, Jean-René Tréanton. Le CES préfigure, selon Henri Lévy-Bruhl, la VIe section de l’EPHE (Lévy-Bruhl 1946, cité par Mazon 1988 : 80). Plusieurs de ses chercheurs y seront d’ailleurs associés ; certains d’entre eux le seront aussi à la future Maison des sciences de l’homme.
Jean Stoetzel (1910-1987)
Normalien et agrégé de philosophie, Jean Stoetzel fonde l’Institut français de l’opinion publique (IFOP) en 1938, en s’inspirant de l’entreprise de sondage d’opinion du sociologue et statisticien George Gallup, dont il a fait la connaissance aux États-Unis. En 1943, il publie sa thèse intitulée Théorie des opinions. Consultant au Service national des statistiques (SNS) et chef du Service de sondages et statistiques de la Fondation Carrel pendant l’Occupation, il est nommé professeur de sciences sociales à la faculté des lettres de l’université de Bordeaux en 1945 ; lors de sa leçon inaugurale, il déclare : « Il faut oublier Durkheim. » À la création de l’Institut national d’études démographiques (INED) en 1946, Jean Stoetzel prend la tête de la section de psychologie sociale, mais renonce à cette position l’année suivante pour mieux se consacrer à l’enseignement. En 1955, il devient titulaire de la première chaire en psychologie sociale de la Sorbonne, qu’il occupera jusqu’en 1978.
14Depuis leur rencontre au Brésil en 1947, Gurvitch et Braudel maintiennent une relation d’amitié teintée de confrontation intellectuelle. Une telle relation va permettre à la VIe section d’établir une collaboration avec la Sorbonne et le CES. Loin d’être un concurrent, ce centre apparaîtra, aux yeux de Lucien Febvre et de Fernand Braudel, comme un « centre apparenté à notre École » (Febvre 1951, cité par Mazon 1988 : 109). Febvre et Braudel sont présents, aux côtés de Gurvitch et de plusieurs autres chercheurs, à la discussion organisée par le CES le 22 janvier 1951 et consacrée au thème « Mauss et les sciences sociales ». Cependant les divergences entre Gurvitch et Braudel sont nombreuses et profondes, qu’il s’agisse de questions théoriques, par exemple celle de la causalité (Gurvitch 1962 : 224-232 et 1950 : 462-496), ou de questions politico-administratives (le mode d’organisation des sciences sociales). Dans le cadre d’un débat avec Braudel dans les Annales, Gurvitch cantonne l’histoire dans le « continuisme » et attribue à la sociologie le monopole de la démarche « discontinuiste ».
Georges Gurvitch (1894-1965)
Il est né en octobre 1894 à Novorossiisk, en Russie, d’un père banquier. Il fait ses études à Saint-Pétersbourg, complète sa formation en Allemagne, puis revient en Russie. Quand la révolution d’Octobre éclate, il s’enfuit en Tchécoslovaquie où il réside de 1920 à 1925, rédigeant un mémoire sur Johann Gottlieb Fichte et un autre sur Jean-Jacques Rousseau. En 1925, il s’établit définitivement en France où il soutient en 1932 ses deux thèses de droit.
Gurvitch se rapproche des sociologues, en particulier des membres de l’équipe durkheimienne, dont Marcel Mauss qui accepte de l’aider, « malgré son terrible accent russe » ; il obtient un poste de chargé de recherche au CNRS (1931-1935), puis de professeur. Bien que s’opposant à Durkheim sur divers points, il se présente comme le « dernier des durkheimiens ».
Il s’inscrit aussi, tout en le critiquant, en filiation avec Mauss.
Puis il découvre la sociologie empirique américaine et prend conscience de la nécessité de lier théorie et recherche empirique. Même s’il introduit la sociologie américaine en France, Gurvitch se montre très critique à son égard, à ses yeux trop peu théorique, trop éprise de « quantophrénie » et emportée dans un mouvement de technocratisation.
En 1948, il est élu maître de conférences à la Sorbonne puis, en 1950, professeur titulaire à la chaire de sociologie. À la même date, il est nommé directeur d’études à la VIe section de l’École pratique des hautes études.
15Il dirigera la « Bibliothèque de sociologie contemporaine », qu’il a fondée en 1950, jusqu’à sa mort. La même année, il fonde les Cahiers internationaux de sociologie, qui sont jusqu’en 1960 la principale revue de sociologie. En 1958, il crée, avec Henri Janne, l’Association internationale des sociologues de langue française, dont il devient le président (1963-1965). La parution en 1960 du grand Traité de sociologie en deux tomes, qu’il dirige, confirme sa centralité dans le champ de la sociologie. Quiconque veut faire une thèse en sociologie durant les années 1950 est quasi obligé de passer par lui, tant son poids institutionnel paraît important. Il garde cette place privilégiée jusqu’à sa mort le 12 décembre 1965. (Gurvitch 1957 : 73-84, Pécaut 1996 : 165). Enfin, l’un des projets de Gurvitch est de créer un institut ou une faculté des sciences sociales.
Maximilien Sorre (1880-1962)
Détenteur d’un brevet supérieur, d’une licence ès lettres-histoire et d’un doctorat ès lettres, c’est un disciple de Vidal de La Blache, qui fut son directeur de thèse. Mobilisé au début de la Première Guerre mondiale, puis grièvement blessé, il intègre en 1917 l’enseignement supérieur. Il poursuit sa carrière à l’université de Lille, où il devient en 1919 doyen de la faculté des lettres. Il assume, dans les années 1930, des fonctions administratives (recteur de l’académie de Clermont-Ferrand, puis celle d’Aix-Marseille, directeur de l’enseignement du premier degré) avant de revenir à l’enseignement universitaire en 1940 comme titulaire de la chaire de géographie humaine de la Sorbonne. Il prend sa retraite en 1948 et devient professeur honoraire à partir de 1950. Au moment où il prend la direction du Centre d’études sociologiques, Sorre est actif sur le plan national et international, comme vice-président puis président du Comité national français de géographie (CNFG) et comme vice-président (1952-1960) de l’Union géographique internationale (UGI).
16Détenteur d’un brevet supérieur, d’une licence ès lettres-histoire et d’un doctorat ès lettres, c’est un disciple de Vidal de La Blache, qui fut son directeur de thèse. Mobilisé au début de la Première Guerre mondiale, puis grièvement blessé, il intègre en 1917 l’enseignement supérieur. Il poursuit sa carrière à l’université de Lille, où il devient en 1919 doyen de la faculté des lettres. Il assume, dans les années 1930, des fonctions administratives (recteur de l’académie de Clermont-Ferrand, puis celle d’Aix-Marseille, directeur de l’enseignement du premier degré) avant de revenir à l’enseignement universitaire en 1940 comme titulaire de la chaire de géographie humaine de la Sorbonne. Il prend sa retraite en 1948 et devient professeur honoraire à partir de 1950. Au moment où il prend la direction du Centre d’études sociologiques, Sorre est actif sur le plan national et international, comme vice-président puis président du Comité national français de géographie (CNFG) et comme vice-président (1952-1960) de l’Union géographique internationale (UGI).
Une nouvelle institution : la VIe section de l’École pratique des hautes études
17L’histoire de la MSH est étroitement liée à celle de la VIe section de l’École pratique des hautes études (EPHE) créée en 1947.
18Fondée en 1868 par Victor Duruy (1811-1894), ministre de l’Instruction publique, l’EPHE couvre à l’origine quatre domaines pour autant de sections : mathématiques, physique et chimie, histoire naturelle et physiologie, sciences historiques et philologie. Voilà, dira Claude Lévi-Strauss, une institution « modeste ». Il s’agit en effet d’une institution qui se démarque par l’accent mis sur la recherche. Les directeurs d’études sont invités non seulement à faire le bilan des connaissances acquises mais aussi et surtout à montrer comment s’acquièrent les connaissances et comment elles progressent. L’École ne s’adresse qu’à un petit nombre d’élèves, elle n’exige, à l’entrée, aucun diplôme, et ceux qu’elle décerne sont purement honorifiques, n’ouvrant sur aucun débouché spécifique.
19Une Ve section est créée en 1886, à l’initiative de Louis Liard, directeur de l’Enseignement supérieur : il s’agit de la section des sciences religieuses dont l’ouverture crée une vive polémique, car elle a pour contrepartie la suppression de la faculté de théologie catholique de la Sorbonne. On voit en cette nouvelle section « une machine diabolique, destinée à combattre les croyances et à propager je ne sais quelle doctrine d’athéisme officiel » (Lévi 1932 : 143).
20Il est question, dès la fondation de l’EPHE, de la création d’une section des sciences économiques qui embrasserait, comme l’indique le décret du 30 janvier 1869, l’économie politique, les finances, le droit public et la statistique. Mais le temps manque à Victor Duruy, alors destitué de son ministère, pour finaliser ce projet qui doit contribuer au développement industriel tout en assurant la paix sociale (Mazon 1988 : 23-24). L’idée n’est cependant pas abandonnée. Au tournant du xixe siècle, il apparaît de plus en plus nécessaire de créer une nouvelle institution afin de réunir les jeunes sciences sociales qui sont alors dispersées et de surmonter l’opposition entre faculté des lettres et faculté de droit. Cette opposition entraîne la dispersion de l’enseignement des sciences sociales entre les facultés, le Collège de France, le Conservatoire des arts et métiers et l’EPHE. La générosité de quelques mécènes va permettre, dans les années d’après la Première Guerre mondiale, la réalisation de quelques initiatives, dont le Centre de documentation sociale de l’ENS (École normale supérieure) financé par Albert Kahn, qui se veut un moyen indispensable à la formation des élites et à l’étude scientifique des problèmes sociaux. On y retrouve d’anciens collaborateurs de Durkheim, dont Célestin Bouglé.
21Pour sa part, Marcel Mauss, le neveu et plus proche collaborateur de Durkheim, se préoccupe de l’organisation de la recherche, de l’enseignement et de la diffusion en sciences sociales : relance de L’Année sociologique, création avec Lucien Lévy-Bruhl et Paul Rivet de l’Institut d’ethnologie de Paris. À son retour d’un court séjour d’études en 1926 aux États-Unis à l’invitation de la Fondation Laura Spelman Rockefeller (Fournier 1994 : 526-532), Mauss suggère, dans son rapport « Projet de création d’un Institut des sciences sociales », rien de moins que la création d’une VIe section de sciences économiques et sociales à l’EPHE. Cette section est déjà, précise-t-il, en voie de formation et autorisée par la loi. Enfin, s’agissant de l’Institut, Mauss souligne le besoin impératif d’une bibliothèque de fonds et la nécessité d’un bâtiment central avec, insiste-t-il, « pignon sur rue » (Mauss 1985 : 343-352). Une Maison des sciences de l’homme ?
22On se méfie chez les Américains d’un Marcel Mauss trop à gauche. Son rapport est mis de côté et, comme « antenne » de la Fondation en France, on lui préfère Charles Rist, un économiste. Ce n’est pas l’EPHE, mais trois autres institutions en sciences sociales qui finalement obtiennent dans les années 1930 un financement de la Fondation : l’Institut de recherches économiques et sociales, que dirige Charles Rist, le Centre d’études de politique étrangère qu’anime Louis Joxe et le Conseil universitaire de la recherche sociale, rattaché à l’université de Paris. Parmi les grandes enquêtes que finance la Fondation, citons : Enquêtes rurales-géographie (Albert Demangeon) et Folklore (Lucien Febvre), Tendances nationales-psychologie des peuples (Célestin Bouglé) et Pratiques religieuses (Gabriel Le Bras), Questions sociales-niveau de vie (Bouglé) et Organisation des consommateurs (Maurice Halbwachs et Paul Fauconnet), Ethnologie et colonisation (Lucien Lévy-Bruhl, Robert Montagne et René Maunier). Sans oublier, en 1939-1940, une série d’enquêtes sur la guerre : rôle des femmes, déplacement d’industries, budget de consommation ouvrière, pratiques religieuses.
23La VIe section de l’EPHE est la section des sciences économiques et sociales. Parlant du « démarrage » de cette petite École, Charles Morazé, qui y sera associé pendant de nombreuses années, s’exclame : « Quelle amusante comédie ! » Et il ajoute : « Appels téléphoniques, déchirements, grincements de dents, déchaînements de passions et ambitions universitaires de tout genre. Quel curieux phénomène que d’observer la naissance, dans ce vieux pays intellectuel, d’une nouvelle institution qui veut sortir un peu des habitudes établies ! » (Morazé 1948, cité par Mazon 1988 : 93).
Une fondation américaine
24Créée en 1913 par l’homme d’affaires américain John D. Rockefeller et dotée d’un capital de 100 millions de dollars, la Fondation Rockefeller a pour devise de « Promouvoir le bien-être de l’humanité à travers le monde ». Ses deux principaux champs d’intervention sont la médecine et l’éducation. Au milieu des années 1920, l’intervention s’élargit au champ des sciences sociales : l’un des objectifs est alors de promouvoir, dans une perspective humaniste, le développement des sciences sociales et de favoriser la mise sur pied d’institutions de recherche bien établies et efficaces. Parmi ses initiatives, il y a un programme de bourses d’études pour de jeunes chercheurs étrangers et l’élargissement de ses interventions du côté des sciences sociales en Europe.
25Depuis l’ouverture en 1917 de locaux de la Fondation à Paris au 20 rue de La Baume, la capitale française est la « plaque tournante » des missions et des opérations européennes de la Fondation. Son intervention se concrétise avec un programme de bourses. À partir de 1929, la Fondation Laura Spelman Rockefeller – créée en 1918 par John D. Rockefeller à la mémoire de sa femme et dont l’action se déploie en direction des femmes et des enfants – est intégrée à la Fondation Rockefeller et l’action qu’elle menait se poursuit au sein de la nouvelle division des sciences sociales (Mazon 1985 : 311-343). À la sortie de la crise économique, il s’agit pour la Fondation non plus d’aider au développement d’institutions en sciences sociales mais de subventionner des programmes de recherche spécifiques portant soit sur l’économie soit sur les relations internationales.
26Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Fondation Rockefeller évacue ses locaux de la rue de La Baume pour s’installer d’abord à La Baule puis à Lisbonne. Elle continue d’appuyer les programmes pour l’étude des langues étrangères dans les universités américaines et surtout elle aide les universitaires et les intellectuels européens à fuir l’Allemagne
d’Hitler et l’Espagne de Franco, permettant ainsi à des universitaires français d’émigrer aux États-Unis où plusieurs vont se retrouver à l’École libre des hautes études, véritable « université en exil » abritée par la New School for Social Research : Georges Gurvitch, Alexandre Koyré, Claude Lévi-Strauss. Invité par la Fondation, Marc Bloch va décider pour sa part de rester en France et de s’engager dans la Résistance.
27Dans l’histoire de la VIe section, la Fondation Rockefeller va jouer un rôle important en lui fournissant une aide financière substantielle. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la nouvelle géopolitique européenne oblige les fondations américaines, tantôt sollicitées, tantôt critiquées, à redéfinir leur action. La Fondation Rockefeller va pour sa part intensifier les échanges culturels et éducationnels entre les États-Unis, le Japon et la Russie. Mais on n’oublie pas l’Europe dévastée par la guerre. Il y a une grande inquiétude : comment, se demande-t-on, assurer la renaissance des structures démocratiques des pays européens ? Coincée entre le communisme et la démocratie occidentale, la France a « besoin de nous », pense-t-on à la Fondation Rockefeller (J. H. Willits 1946, cité par Mazon 1988 : 76)3. Les chercheurs et universitaires, qui sont allés aux États-Unis grâce à la politique dite de la « fertilisation par croisement4 » de la Fondation, se font insistants : « Donnez-nous les moyens d’acheter des livres, des périodiques, des éléments de documentation de toutes sortes » (Mazon 1988 : 76).
28La Fondation Rockefeller se montre donc disposée à soutenir en Europe le développement de ce qu’elle appelle les « idées neuves ». Et l’une de ces idées est, pour la France, la création de la section des sciences économiques et sociales de l’EPHE. Deux hommes sont, du côté français, des acteurs clés de cette histoire : le physicien Pierre Auger et l’historien Charles Morazé.
29Pierre Auger et Charles Morazé ont, en 1946 et 1947, de nombreux contacts avec la Fondation Rockefeller, que ce soit à New York ou à Paris5. Lors des premiers échanges, la Fondation semble privilégier l’idée de regrouper les sciences sociales en une nouvelle faculté. Du côté français, on est plutôt de l’avis de créer, en plus de deux Instituts de sciences politiques, l’un à Strasbourg et l’autre à Paris, une « École supérieure de sciences sociales, comprenant l’économie6 ».
30La solution qui est finalement retenue, relativement simple et peu coûteuse, est la mise sur pied d’une section des sciences économiques et sociales à l’EPHE : il suffit, pour constituer le noyau de la nouvelle équipe, de détacher certains directeurs des IVe et Ve sections vers la nouvelle section et de créer quatre ou cinq nouvelles directions d’études. Donc seulement quelques mesures administratives avec, espère-t-on pendant les premières années, l’appui financier de la Fondation Rockefeller.
31Le premier projet d’une telle VIe section doit comprendre des directions d’études qui relèvent principalement de trois disciplines : l’histoire, la géographie (y compris la cartographie) et la sociologie. Les autres disciplines sont la démographie, les statistiques et la théorie économique. Des noms de directeurs d’études sont aussi avancés : Alexandre Koyré (histoire des sciences), Georges Friedmann (histoire des techniques), Émile Coornaert (histoire économique du Moyen Âge), Fernand Braudel (histoire économique de la Renaissance), Ernest Labrousse (histoire économique contemporaine), Roger Dion (géographie historique comparée), Charles Morazé (cartographie générale), Maurice Leenhardt (sociologie primitive), Gabriel Le Bras (sociologie contemporaine). Ce projet, à l’état de brouillon, reçoit les commentaires suivants : 1) certes beaucoup d’histoire économique et technique mais pas assez d’économie, comme l’aurait souhaité la Fondation Rockefeller ; 2) dans cette première liste, est absent Lucien Febvre ; 3) la distinction, si chère à la Fondation Rockefeller, entre les sciences sociales et les sciences humaines (qui regroupent philosophie, beaux-arts et histoire) n’est pas maintenue.
32Au moment où les discussions se poursuivent d’un côté avec le gouvernement et de l’autre avec la Fondation Rockefeller, Charles Morazé entend exécuter le testament verbal que lui a confié Marc Bloch et qui concerne la création d’une Société pour l’étude des civilisations, l’« Association des amis des Annales ». Il s’agit de rendre hommage à Marc Bloch, universitaire et figure héroïque de la Résistance, d’établir une plus grande unité entre les historiens et de donner une assise institutionnelle plus forte aux Annales. La nouvelle association entend, à ses débuts, réunir des enseignants de l’Université française et du Collège de France pour promouvoir les nouvelles sciences sociales et associer Français et étrangers à ces progrès.
Charles Morazé (1913-2003)
Né en Allemagne et fils d’un officier de l’armée française, Charles Morazé entreprend d’abord des études supérieures d’histoire à l’université de Paris, puis il obtient en 1936 son agrégation d’histoire et de géographie. Mobilisé dans l’Intendance, Morazé se porte, pour échapper à la démoralisation de la « drôle de guerre », volontaire et prend part aux combats de Lorraine de l’automne 1939. Pensionnaire de la Fondation Thiers en 1941 et 1942, il commence en 1942 une étude sur « La méthode de François Simiand » et, à partir de l’automne 1942, il donne une série de conférences à l’École libre des sciences politiques puis, en octobre 1943, un cours général qui va durer plus de vingt ans. À la Libération, il entre à l’EPHE (IVe section).
Appelé à l’UNESCO dès sa fondation en 1946, il travaille, sous la présidence de Julian Huxley, au projet d’une Histoire du développement scientifique et culturel de l’humanité, première encyclopédie historique moderne, qui doit porter sur tous les continents et tous les peuples. Morazé obtient que soient créés les Cahiers de l’histoire mondiale et que leur direction soit confiée à Lucien Febvre. La même année, il codirige la revue des Annales avec Fernand Braudel, Georges Friedmann et Lucien Febvre. Entre 1947 et 1951, il fait plusieurs voyages aux États-Unis et au Brésil. C’est lui qui met en relation Febvre et la Fondation Rockefeller, d’où le rôle essentiel qu’il joue aussi dans la création de la VIe section (Morazé 2007).
En 1952-1954, au temps du ministère Mendès France, en pleine période de décolonisation en Afrique du Nord, alors même que son ami Christian Fouchet est nommé ministre des Affaires maritimes et tunisiennes, Charles Morazé est chargé de mission. Lorsque Christian Fouchet entreprend la réforme de l’enseignement supérieur, Morazé devient l’un de ses conseillers et propose divers « remèdes » : des collèges dans tous les chefs-lieux de canton et la création d’instituts universitaires de technologie (IUT). Il accepte de prendre la direction de l’Institut d’étude du développement économique et social (IEDES).
Charles Morazé, servi par une culture encyclopédique, s’intéresse aussi à l’épistémologie et à la science.
33La première assemblée de l’Association se tient à Paris début janvier 1947 et réunit une trentaine de participants. Lors de la séance suivante, Lucien Febvre est élu président et Gabriel Le Bras vice-président. La principale tâche de l’Association est de publier les Annales et les Cahiers des Annales, mais à partir de 1954, elle va devenir un prolongement « commode » de la VIe section : elle jouera en effet un « rôle de relais gestionnaire », recevant et gérant les subventions de la Fondation Rockefeller pour la VIe section sans les contraintes bureaucratiques de l’administration française (Mazon 1988 : 89-90, note 51).
Pierre Auger (1899-1993)
Ancien élève de l’École normale supérieure, titulaire d’un doctorat ès sciences physiques (1926) et professeur à la faculté des sciences de l’université de Paris et à l’ENS, Pierre Auger est un physicien de renommée internationale, spécialiste de la physique quantique. Pendant la guerre, avec l’aide de la Fondation Rockefeller, il séjourne à New York où il participe aux activités de l’École libre des hautes études, section des sciences ; de 1941 à 1943, il est associé de recherches à l’université de Chicago, où il travaille sur les rayons cosmiques. Puis, entre 1943 et 1944, il se rend à Montréal pour prendre la direction du laboratoire de physique du groupe anglo-canadien de recherche sur l’énergie atomique. À son retour en France en 1945 et pour trois ans, il est nommé directeur de l’Enseignement supérieur, et parmi les projets qui lui tiennent à cœur, il y a la création d’une chaire en génétique à l’université de Paris et le développement des sciences sociales. Auger incarne alors, tout comme le fera aussi Gaston Berger, un nouveau type de directeur de l’Enseignement supérieur : il possède le capital social et les compétences du savant formé dans les deux cultures (nord-américaine et française) et il est en relation avec les fondations américaines (Guiader 2002 : 53). Il joue un rôle important dans l’obtention par la VIe section, en mars 1947, d’une première subvention de l’ordre de 30 000 dollars.
34Son épouse, Monique Morazé (1922-2007), fut la présidente de l’Association France Union indienne (AFUI), qui œuvre pour une meilleure compréhension de l’Inde indépendante. Grâce à ses contacts en Inde, elle aidera la MSH à mettre en place le programme de coopération franco-indien en sciences sociales. Elle publiera les mémoires de son mari : Charles Morazé. Un historien engagé (2007).
Le tandem Febvre-Braudel
35Le conseil de la nouvelle section tient sa première réunion le 17 mars 1948. On y trouve Lucien Febvre, Gabriel Le Bras, Pierre Petot, Ernest Labrousse et Charles Morazé. Febvre est professeur d’histoire de la civilisation moderne au Collège de France depuis 1933 et depuis 1943, directeur d’études (histoire de la Réforme et du protestantisme) à la IVe section de l’EPHE. C’est, semble-t-il, Morazé qui le convainc de prendre la direction de la nouvelle section. Morazé connaît depuis plusieurs années Lucien Febvre, qui lui a été présenté par Marc Bloch. Ancien boursier de la Fondation Rockefeller, il convainc facilement ses collègues de faire des démarches auprès de la Fondation américaine qu’il sait disposée à donner un appui financier à la nouvelle section de l’EPHE.
36Dès son entrée en fonction à la IVe section de l’EPHE, Lucien Febvre écrit à la Fondation Rockefeller pour faire la demande d’une subvention qui permettrait d’« organiser en France, sous forme d’École de haut enseignement, un centre directeur capable de former aux meilleures méthodes et aux meilleurs procédés de recherche les chercheurs attirés par l’étude des questions économiques et sociales ». Il se fait insistant : « Surtout au début. Une aide substantielle venue du dehors paraît indispensable à sa réussite7 ».
37Pour assurer le démarrage de la section, la Fondation offre une somme de 30 000 dollars par an sur trois ans (du 1er janvier 1948 au 31 décembre 1950). Cette somme va représenter un peu plus du quart du budget de la section (1 200 000 francs sur 3 200 000 francs) et permettre la création d’une nouvelle direction d’études à plein temps et l’engagement de trois directeurs d’études cumulants8.
38L’obtention de cette subvention suscite de vives réactions : on parle des « millions d’Amérique » qui risquent de « subjuguer la pensée française ». Mais cette subvention contribue, comme le note Jean Gottmann, à augmenter considérablement « le prestige et la puissance » de nouveaux responsables de l’institution9.
39Lorsque, quelques années plus tard, Lucien Febvre fera la demande de renouvellement de subvention, il reconnaîtra clairement que cette première subvention a été « très utile pour la mise en marche de l’École et nous a procuré, en dehors d’un budget strictement officiel, une liberté d’allure sans laquelle nous n’aurions pas pu donner à l’École la place qu’elle occupe présentement ». Et il ajoutera : « Je pense – et je l’écris en pesant mes mots – que tout l’avenir des sciences sociales, en France, dépend de notre École10 ».
40Par ailleurs, fort occupé par sa participation à de nombreux comités et commissions, par la publication de la grande Encyclopédie française et par son étude sur le protestantisme – son ouvrage Le problème de l’incroyance au xvie siècle. La religion de Rabelais paraît en 1947 –, le nouveau directeur veut s’adjoindre un secrétaire pour la section. Son choix se porte sur Fernand Braudel, chez qui il a décelé des qualités d’organisateur (Dosse 1988 : 157). Un choix stratégique : le tandem Febvre-Braudel incarne en effet la nouvelle histoire, une histoire vivante et profonde – en opposition à l’histoire « historisante ». Febvre se trouve ainsi doublement bien secondé : d’un côté Morazé et de l’autre, Braudel.
Lucien Febvre (1878-1956)
Fils d’un agrégé de grammaire et professeur de l’enseignement secondaire, Lucien Febvre est normalien, agrégé d’histoire (1902) et docteur ès lettres. Il entreprend une carrière dans l’enseignement secondaire puis à l’université, d’abord à la faculté des lettres de Dijon en 1912 puis à celle de Strasbourg en 1919. Avec Marc Bloch, Lucien Febvre fonde en 1929 la revue Annales d’histoire économique et sociale (qui devient par la suite les Annales, Économies-Sociétés-Civilisations). Il est le directeur de la fameuse Encyclopédie française, dont onze volumes vont paraître entre 1935 et 1940.
Lucien Febvre est, entre 1944 et 1950, membre de plusieurs comités et commissions : membre du directoire du CNRS et président de la commission d’histoire de cet organisme (1946), membre du conseil d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques et du conseil de perfectionnement du CNAM (1945), membre de la Commission d’histoire de l’Occupation et de la Libération de la France (1944), membre et vice-président de la Commission Langevin-Wallon de réforme de l’enseignement (1944), délégué de la France aux différentes conférences de l’UNESCO (1945-1950).
41Febvre est de gauche : dreyfusard, socialiste jaurésien et, dans les années 1930, membre du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes. Mais il est farouchement antimarxiste et anticommuniste, et, pendant la guerre, très patriote et gaulliste. Il sera déçu par l’absence de réformes après la guerre (Charles et Telkès 1988 : 70-73).
42Febvre et Braudel se connaissent depuis une dizaine d’années. Ils se sont rencontrés en 1937 lors d’une traversée de l’Atlantique sur le bateau La Campana qui les ramenait du Brésil en France. C’est le début d’une profonde amitié. Vingt-trois ans les séparent. Febvre encourage le jeune Braudel et lui donne des conseils précieux à un moment où celui-ci, terminant la collecte de sa documentation, doit élaborer le plan de sa thèse de doctorat.
Gabriel Le Bras (1891-1970)
Né à Paimpol, fils de marin, élève de la Ve section de l’EPHE, Gabriel Le Bras est d’abord un historien du droit canonique et des institutions chrétiennes médiévales. Il défend en 1920 sa thèse de doctorat en sciences politiques et économiques et deux ans plus tard, il obtient le doctorat en droit. La même année, l’agrégation de droit en poche, il entreprend sa carrière de professeur d’abord comme chargé de cours en 1929, et deux ans plus tard comme titulaire de la chaire d’histoire du droit canonique. Il est aussi directeur d’études de droit canonique à l’EPHE (Ve section).
Médaillé de la Résistance, grand universitaire, esprit sage, courtois et ferme (Gaudemet 1970 : 9-11), d’une curiosité intellectuelle universelle, il possède des dons incomparables dans l’art d’enseigner, cherchant la perfection dans tous les domaines où il s’engage. C’est l’ami des historiens et en particulier de Lucien Febvre, ce qui ne l’empêche pas de côtoyer des sociologues : Marcel Mauss, Maurice Halbwachs, Célestin Bouglé, Georges Gurvitch et Henri Lévy-Bruhl. Jugeant l’apport de l’histoire indispensable à la sociologie, il invite à l’alliance entre les deux. Il reconnaît sa dette envers Durkheim et Mauss dont il contribue à faire connaître les travaux. Il participe également au Traité de sociologie de Gurvitch.
Succédant à Louis Canet, il est, à partir de 1946, conseiller du ministère des Affaires étrangères pour les Affaires religieuses ; il est aussi, de 1945 à 1952, membre du directoire du CNRS. Il sera enfin membre du Conseil consultatif de l’enseignement supérieur et doyen de la faculté de droit de l’université de Paris. C’est aussi un amateur de peinture, de sculpture et de musique et un grand voyageur.
43Dix ans plus tard, le 1er juin 1947, Braudel va soutenir cette dernière à la Sorbonne, qui porte sur La Méditerranée et le monde méditerranéen sous Philippe II et qu’il a rédigée en grande partie en captivité. Une thèse « plus que remarquable » qui, sur le plan de la méthode, apporte – dit alors Lucien Febvre – quelque chose de « tout nouveau », voire de « révolutionnaire » (Febvre 1952 : 432-433). « Un événement unique, un événement choc », précise Ernest Labrousse, alors rapporteur. Très conscient de l’enjeu de la soutenance, à savoir l’opposition entre « l’histoire diplomatique traditionnelle » et une histoire « nouvelle », voire « révolutionnaire », celui-ci conclut : « On voit l’originalité et la force de cette œuvre magistrale11 ».
44Le jury est composé de Roger Dion (président), spécialiste de géographie historique, d’Émile Coornaert, professeur au Collège de France, de Marcel Bataillon, hispaniste et également professeur au Collège de France, et de Gaston Zeller, qui joue le rôle de l’opposition et se montre critique. La délibération est unanime : voilà qui va compter « parmi les grands livres de notre époque ». Le doyen Pierre Renouvin contresigne le rapport. « La Méditerranée : un des livres les plus importants des cinquante dernières années », dira plus tard l’un des premiers étudiants de Braudel, Ruggiero Romano. Opposé de façon virulente à l’histoire traditionnelle, qui est celle des hommes politiques et des événements, Braudel est dès lors identifié à cette nouvelle histoire dont il devient le principal porte-parole : « L’histoire événementielle […] est, écrit-il dans les premières pages de sa thèse qui paraît en 1949, une agitation de surface […]. Méfions-nous de cette histoire brûlante encore […] » (Braudel 1949 : XIII). 1949 : c’est aussi la date de création du Centre de recherches historiques dont il devient le premier directeur, alors qu’il vient d’entrer à la toute nouvelle VIe section de l’EPHE.
Jean Gottmann (1915-1994)
Pionnier de la géographie urbaine et politique, il crée le néologisme Mégalopolis. Disciple entre autres d’Albert Demangeon, il publie nombre d’ouvrages sur la géographie de l’Europe et des États-Unis, notamment sur la mégalopole américaine (BosWash). Très lié aux États-Unis, où il séjourne dès 1935 et s’exile durant la guerre, il rejoint l’École libre des hautes études à New York et travaille comme chercheur à l’Institute for Advanced Study ainsi qu’à l’université Johns Hopkins, où sa collaboration avec le géographe Isaiah Bowman influencera durablement sa pensée. Entre 1945 et 1955, il revient en France où il sera entre autres chargé de recherches au CNRS et enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris. Directeur des études et des recherches du Conseil social des Nations unies durant sept ans, il termine sa carrière à Oxford comme directeur de l’École de géographie.
45Parmi les directeurs d’études qui passent de la IVe ou Ve section à la VIe section, il y a, en plus de Fernand Braudel et de Charles Morazé, Alexandre Koyré et Claude Lévi-Strauss. Quant aux deux premières directions à plein temps, elles sont confiées en mars 1948 à l’économiste Charles Bettelheim qui va donner un séminaire dit « semaine d’enquête » sur « l’Allemagne en 1948 (problèmes économiques et sociaux) » et, en octobre suivant, à un historien économiste, Maurice Lombard. Ce sont deux spécialistes aux profils académiques différents, pour l’un plutôt « classique » (agrégation, thèse) et pour l’autre, hétérodoxe, et aux orientations politiques différentes, voire opposées. Ces deux choix indiquent déjà la politique de recrutement de la nouvelle section : la jeunesse, la compétence dans de nouvelles voies de recherche, la spécialité d’économiste. Ce sera là l’une des caractéristiques de recrutement du corps professoral de la VIe section.
46En 1948 se joignent à la VIe section à titre de cumulants des collègues de la faculté des lettres de Paris : Ernest Labrousse et Georges Gurvitch ; de la faculté de droit de Paris : Henri Lévy-Bruhl, Gabriel Le Bras, Jean Lhomme, Pierre Petot et Jean Weiller, ainsi que d’autres institutions : Georges Friedmann du CNAM, André Piatier, directeur du département « Conjoncture » de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), Pierre Francastel, conseiller culturel à l’ambassade de France en Pologne. Enfin s’ajoutent treize chargés de cours12, dont certains deviendront directeurs d’études. Toujours directeur de l’Enseignement supérieur, Pierre Auger donne un séminaire sur les « sciences et civilisations ».
47Les thèmes des séminaires sont fort diversifiés, des méthodes (cartographique, statistiques, comptable, bibliographique) aux études de civilisation (les usages traditionnels, les religions – dont la religion primitive –, l’islam et le christianisme, les idéologies) en passant par l’étude des sociétés (démographie, systèmes juridiques et moraux), de l’économie et évidemment la géographie et l’histoire (sociale, économique, géographique), avec une grande sensibilité pour la base matérielle, économique et technique des sociétés. La seule présence de Febvre, Braudel et Morazé au conseil de la VIe section atteste de la centralité de l’histoire, qu’il s’agisse de l’enseignement, de la recherche et des publications.
48Donc, au premier plan, l’histoire, une histoire qui fait une grande place à la géographie et à l’économie. L’heure est à l’histoire économique : cela vaut non seulement pour Braudel, mais aussi pour Morazé, Labrousse, Lombard. Morazé s’active de son côté pour mettre sur pied le Centre d’études économiques (qui voit le jour en 1951 et dont le secrétaire général est Jean Meynaud, également secrétaire général de la Fondation nationale de sciences politiques) et pour créer chez Armand Colin la Revue économique afin de regrouper les économistes français et de replacer l’économie dans le cadre général des sciences sociales. On veut donc faire une place à l’économie. En juin 1951, se joint à la section comme directeur non cumulant Jean Fourastié, spécialiste des questions de planification.
Charles Bettelheim (1913-2006)
C’est un économiste et historien français marxiste, membre du Parti communiste français et spécialiste de l’URSS et de l’économie planifiée. Dès 1944, il entre au ministère du Travail, où il fonde le Centre de recherches sociales et des relations internationales. Au moment de son élection à la VIe section – il a 34 ans – dirige la revue Problèmes de planification et est l’auteur de plusieurs ouvrages : La Planification soviétique (1945), L’Économie allemande sous le nazisme, un aspect de la décadence du capitalisme (1946), Bilan de l’économie française, 1919-1946, (1948).
49C’est un économiste et historien français marxiste, membre du Parti communiste français et spécialiste de l’URSS et de l’économie planifiée. Dès 1944, il entre au ministère du Travail, où il fonde le Centre de recherches sociales et des relations internationales. Au moment de son élection à la VIe section – il a 34 ans – dirige la revue Problèmes de planification et est l’auteur de plusieurs ouvrages : La Planification soviétique (1945), L’Économie allemande sous le nazisme, un aspect de la décadence du capitalisme (1946), Bilan de l’économie française, 1919-1946, (1948).
Maurice Lombard (1904-1965)
Né en Algérie, agrégé d’histoire, c’est un médiéviste, spécialiste de l’islam et professeur d’histoire économique ; il collabore aux Annales où paraît en 1947 son article sur « Les bases de la suprématie économique : l’or musulman du viie au xie siècle ». De cet excellent professeur qui se distingue par sa courtoisie, son charme et son élégance, Fernand Braudel dira : « Il est le plus doué, le plus brillant historien de notre génération, le seul qui fût incontestablement de la classe d’un Marc Bloch ».
50Très tôt, on trouve à la VIe section des fonctionnaires, des chefs d’entreprise et des directeurs de banque. Il y a manifestement un engouement pour la science économique appliquée à la croissance et à l’organisation industrielle de la nation. Sur l’affiche de la section apparaissent, en plus des noms de François Perroux, spécialiste d’économie politique et fondateur de l’Institut de sciences économiques appliquées (qui deviendra l’Institut de sciences mathématiques et économiques appliquées), et d’Edmond Malinvaud, spécialiste d’économie mathématique et administrateur à l’INSEE depuis 1946, ceux de Claude Gruson, inspecteur des finances, directeur de l’INSEE, du mathématicien Georges Guilbaud, directeur adjoint de l’Institut de science économique appliquée (ISEA) et auteur d’un ouvrage sur Le raisonnement mathématique, de Victor Rouquet La Garrigue, professeur à la faculté de droit de Bordeaux et fonctionnaire du Quai d’Orsay et de l’ONU, et de Jean Bénard, professeur à Poitiers, chercheur à l’Institut de science économique appliquée (ISEA) et spécialiste de la planification.
51Même s’il n’y a pas avant 1958 de centre de recherches sociologiques propre à la VIe section, on y trouve dès 1948 trois directeurs cumulants qui jouent alors un rôle important dans le développement de la sociologie en France : Georges Gurvitch, Georges Friedmann et Gabriel Le Bras. Sans oublier Pierre Francastel.
52Enfin, l’anthropologie a une place non négligeable grâce à un directeur d’études cumulant, Claude Lévi-Strauss (religion primitive), et trois chargés de cours : André Leroi-Gourhan (outillage technique), Robert Montagne et André Varagnac (usages traditionnels). Viennent se joindre à ce groupe comme directeurs d’études, en 1951, Roger Bastide et l’année suivante, Jacques Soustelle.
53Si l’on tient aussi compte d’Ignace Meyerson en psychologie historique et comparée qui fut un proche de Marcel Mauss dans les dernières années de sa vie, il existe donc à la VIe section une « filière Mauss ». D’ailleurs, lorsqu’il lança le projet de la revue des Annales, Lucien Febvre, qui cherchait alors l’appui de sociologues, invita, même s’il le critiquait sévèrement, Marcel Mauss, alors professeur au Collège de France, à faire partie du comité de rédaction. C’est finalement Maurice Halbwachs qui accepta de se joindre à l’équipe.
Le Centre de recherches historiques (CRH)
54Tout comme la création de la VIe section, celle du CRH s’inscrit (avec cinq autres centres de recherche historique) – comme le montre Lutz Raphael (199313) – dans le mouvement de réorganisation de la recherche scientifique qui s’opère dans l’immédiat après-guerre et qui obtient le soutien des administrations politiques, en général hostiles aux facultés universitaires.
Pierre Francastel (1900-1970)
Il fait des études littéraires classiques à la Sorbonne et soutient sa thèse de doctorat en 1930 sur la sculpture du domaine royal de Versailles. Il quitte la France pour occuper un poste à l’Institut français de Varsovie où il assure l’histoire de l’art. De retour en France, il est nommé en 1936 maître de conférence à l’université de Strasbourg. Pendant l’Occupation, réfugié dans le maquis en 1943, il participe activement à la Résistance. En 1945, il est nommé conseiller culturel à l’ambassade de France en Pologne où il organise plusieurs expositions. Historien et critique d’art, il s’intéresse également à la sociologie historique, publiant, en 1948 – année où il est nommé directeur d’études à l’EPHE – l’ouvrage Art et sociologie.
55Fernand Braudel prend, dès sa création, la direction de ce « premier laboratoire de recherche historique » en France. Un organisme qui pendant les premières années est très modeste : il n’y a en 1949 qu’un seul chercheur, Ruggiero Romano, étudiant de Braudel qui est, comme il le racontera, tout à la fois garçon de courses, standardiste et dactylo. Puis viennent Marc Bouloiseau comme secrétaire et administrateur et comme chercheurs, Vital Chomel et sa future femme, Marie-Ange Boucher. Romano signe avec Braudel l’ouvrage Navires et marchandises à l’entrée du Port de Livourne (1547-1611), qui est le premier de la collection « Ports. Routes. Trafics » et pour lequel la collaboration de Mme Braudel a été « une aide énorme ». « Ce sont alors, pour reprendre l’expression de R. Romano, des années d’exaltation » (Romano 1983 : 17).
François Perroux (1903-1987)
Diplômé de la faculté de droit de Lyon, agrégé en 1928, il obtient une bourse de la Fondation Rockefeller en 1934 pour se rendre à Vienne, où il devient l’élève de Joseph Schumpeter et où il rencontre le mathématicien Oskar Morgenstern. Il enseigne à la faculté de droit de Lyon de 1929 à 1938, puis à celle de Paris de 1939 à 1945. Ami d’Emmanuel Mounier et de Jean Lacroix, il collabore à la revue Esprit. Sous l’Occupation il codirige la revue maréchaliste La Communauté française en 1941 et 1942, collabore à Idées, revue de la Révolution nationale, puis crée en 1942 un groupe de réflexion, « Renaître », avec Yves Urvoy. À partir de 1945, Perroux enseigne à Sciences Po, à l’université de Paris, puis au Collège de France.
56
Jean Fourastié (1907-1990)
Ingénieur de Centrale, diplômé de l’École libre des sciences politiques et docteur en droit, il entreprend une carrière dans l’administration publique comme commissaire contrôleur, puis commissaire contrôleur général des assurances. À la Libération, il entre au Commissariat au plan, d’abord comme chef du service économique, puis comme conseiller économique au plan. En 1950, il est nommé vice-président du Comité des questions scientifiques et techniques à l’Organisation européenne de coopération économique (OECE). Côté enseignement, Fourastié est en 1939 chargé du cours d’assurance au Conservatoire national des arts et métiers, puis en 1947 professeur à l’Institut d’études politiques de Paris. Le premier séminaire que donne en 1948 Jean Fourastié à la VIe section porte sur la comptabilité.
57
Edmond Malinvaud (1923-2015)
Ancien élève de l’École polytechnique (promotion 1942), il aura une carrière à la fois administrative (administrateur puis inspecteur général de l’INSEE (1946-1987), directeur de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (1962-1966), directeur de la direction de la Prévision au ministère de l’Économie et des Finances (1972-1974), directeur général de l’INSEE (1974-1987), et académique (directeur d’études à l’EPHE puis à l’EHESS (1957-1993), puis professeur au Collège de France (1988-1993).
58Le CRH s’engage en 1951 dans une activité ambitieuse de publication avec trois collections : « Affaires et gens d’affaires », « Ports. Routes. Trafics » et « Monnaie. Prix. Conjoncture », comptant huit ouvrages dès la première année. Braudel sait faire preuve, comme le dira Romano, d’un « sain empirisme » : son but est de « rassembler le plus grand nombre de données d’histoire économique, de les interpréter ; de voir les structures profondes – non événementielles – de l’histoire ». On appelle alors ce travail « histoire quantitative » (ibid.). Ce qui est certes le cas pour la documentation qui réunit une masse énorme de données sur « les rythmes et les courants de la vie matérielle » de l’Europe du xve au xviiie siècle. Mais il y a aussi une « histoire qualitative », comme on peut le voir avec l’édition des lettres de marchands. Le premier ouvrage de la collection « Affaires et gens d’affaires » est celui d’Armando Sapori, Le Marchand italien au Moyen Âge, qui paraît avec une préface de Lucien Febvre et dont les chapitres s’intitulent « Physionomie du marchand », « Les marchands au travail », ou « Les Italiens dans le monde ». Le 9e volume de la collection est l’édition, par un jeune disciple de Fernand Braudel, José Gentil da Silva, de lettres des marchands (1956). Jamais on n’a pris aussi au sérieux ce type de documents, leur donnant une place centrale, voire les « théorisant » : c’est, conclura Peter N. Miller, l’histoire économique vue au jour le jour, expliquée par les acteurs (Romano 1983 : 17). Braudel apparaît, aux yeux de Miller, comme un de ces rares administrateurs universitaires qui ont une vraie vision intellectuelle, comme on peut le voir à travers le grand projet de publication de séries de monographies. Plusieurs de ces ouvrages s’appuient sur les documents intimes : correspondances, mémoires et chroniques, etc.
59Cet ensemble de publications permet par ailleurs de découvrir un Braudel « différent » : celui qui fait de l’histoire économique mais qui ouvre les fenêtres sur la vie en mettant le focus sur la dimension culturelle de la vie économique. On voit aussi se mettre en place un grand projet de collaboration et d’échanges scientifiques internationaux. Cette ouverture internationale est l’une des caractéristiques principales des activités que va développer le CRH dans les années 1950 et 1960 et dont le point de départ est le « réseau méditerranéen » de Braudel, qui va faire venir à Paris des professeurs et chercheurs débutants espagnols, italiens, portugais ou yougoslaves (ibid.)14.
60En 1952, la deuxième phase du financement de la VIe section par la Fondation Rockefeller est lancée, permettant le démarrage de nouvelles activités de recherche au CRH. En raison même de la politique de subventions de la Fondation Rockefeller qui se base sur la séparation entre les humanités (dont l’histoire) et les sciences sociales, la VIe section se trouve en porte-à-faux. Braudel aimerait bien abolir cette distinction, mais ce n’est guère possible. Il obtient cependant pour le CRH une importante subvention (de l’ordre de 4,5 millions de francs pendant trois ans) pour mettre en place un programme de recherches s’inspirant de la problématique des travaux en cours. L’activité centrale du CRH sera l’histoire économique et sociale, sur la base de données statistiques et quantitatives.
61Le mode d’organisation du CRH préfigure celui qui caractérisera la future MSH avec le travail en équipe (Schneider, Braudel, Labrousse et Renouvin 1959 : 46), la mise en place de grands projets à caractère comparatif et interdisciplinaire (histoire, économie, etc.) et l’obtention de financements pour la réalisation d’enquêtes, l’engagement de techniciens, la publication de séries ou collections d’ouvrages et les échanges internationaux. Un tel lien entre une forme organisationnelle et des impératifs de recherche spécifiques produit, pour reprendre l’expression de Pierre Bourdieu, un « effet d’institution ». On peut même parler, comme on le voit avec Febvre, d’un « patriotisme d’institution » (Bourdieu 1984 : 101).
Clemens Heller et le Salzburg Seminar
62« Place aux irréguliers, aux sans-galons », répète Braudel, en pensant à ceux et celles qui vont faire la VIe section et la MSH (cité par Daix 1995 : 268). Et de celui qui deviendra son plus proche collaborateur, il dira : « L’éclat de la France n’est pensable qu’à travers son ouverture sur le monde, et particulièrement sur l’Europe […]. J’ai fait la Maison des sciences de l’homme avec quelqu’un qui est né à Vienne, qui a fait ses études aux États-Unis (ibid. : 407).
63Ce « quelqu’un », c’est Clemens – « l’homme à trois cultures », selon l’expression d’Anne Kwaschik (2016 : 71-91) –, l’un des fondateurs du Salzburg Seminar. « Figurez-vous », dira Braudel dans son discours de réception à l’Académie française, « qu’il travaille à mes côtés, faisant l’essentiel de ma tâche depuis quarante ans. Il le fait avec une sorte d’élan, d’enthousiasme, d’intelligence, d’intelligence supérieure assez rare » (Braudel 1986a : 106 sq.).
64C’est à l’hiver 1946 que naît le projet du futur Salzburg Seminar, à l’initiative de trois étudiants d’Harvard : Scott Elledge (le plus académique du triumvirat, qui deviendra professeur à Cornell University), Richard « Dick » Campbell Jr et Clemens Heller. Clemens Heller, toujours à la course, téléphonant aux uns et aux autres, est l’homme des relations publiques.
65Lorsqu’il parle de son projet au professeur Matthiessen, celui-ci l’encourage, acceptant même de donner des conférences ou d’animer des sessions. Complètement indigné devant la dévastation intellectuelle qui fait suite à l’occupation nazie, Heller souhaite réunir de jeunes intellectuels afin de « revitaliser » la vie intellectuelle en Europe (Ryback 1987 : 67-72). L’idée est de créer un lieu de rencontre international dont l’objectif serait de favoriser une meilleure compréhension entre l’Europe et les États-Unis, et de contribuer à la reconstruction intellectuelle d’une Europe déchirée par la guerre15. Il s’agit d’une sorte de « Plan Marshall de l’intelligence ». « Salzburg Seminar is the best thing America does in Europe », déclarera le vice-chancellor (président) de Cambridge University, Lord Ashby (ibid. : 67).
66Ne réussissant pas à convaincre le président d’Harvard, qui considère son projet comme « impractical », Heller se tourne vers le Harvard Council qui accepte de le financer à hauteur de 2 000 dollars (sur un budget total de l’ordre de 23 000 dollars). La légende veut que le Salzburg Seminar soit né un jour d’hiver dans le métro de New York lorsque, début 1947, Clemens Heller y rencontre Helene Thimig, la veuve de l’imprésario autrichien Max Reinhardt, qui a fait fortune à Hollywood. Clemens Heller a été l’élève de Thimig au Max Reinhardt Seminar for Performing Arts à Vienne et son père, Hugo, fréquente régulièrement les Reinhardt au Schlotz Leopoldskron dans les années 1920 et 1930. En 1947, Helene Thimig offre au Salzburg Seminar l’hospitalité du château de Leopoldskron sur les hauteurs de Salzbourg, un palais rococo du xviiie siècle où elle a vécu pendant l’entre-deux-guerres. À la question : quoi y enseigner ? La réponse est toujours la même : « American civilization ». C’est une matière que des professeurs américains connaissent bien et qui devrait intéresser de jeunes Européens.
67Le château étant au lendemain de la guerre sous juridiction américaine, Heller doit convaincre les hauts fonctionnaires du département de la Guerre, parmi lesquels se trouve Edward F. D’Arms (qui rejoindra plus tard la Fondation Rockefeller) ; il va aussi, pour collecter des fonds, frapper aux portes des fondations américaines : il obtiendra de la Fondation Rockefeller 13 000 dollars en 1948 et 15 000 dollars en 1949. Le Seminar est ainsi « sauvé » (Eliot et Eliot 1987 : 25).
Francis Otto Matthiessen (1902-1950)
À Harvard, l’un des professeurs de Clemens Heller est Francis Otto Matthiessen (1902-1950). Ce spécialiste de la littérature américaine et critique littéraire est une star de l’université. Son ouvrage le plus connu est American Renaissance : Art and Expression in the Age of Emerson and Whitman (Oxford University Press, 1941). Sur le plan politique, Matthiessen est socialiste ; sans être un marxiste dogmatique, il donne une partie d’un héritage qu’il reçoit (15 000 dollars) à son ami, l’économiste marxiste Paul Sweezy, pour fonder la revue The Monthly Review ; sur le campus, il appuie toutes les causes progressistes ; il est aussi actif sur le plan syndical et est en 1940 élu président du Harvard Teachers Union, syndicat affilié à l’American Federation of Labor. Lors de la convention du Progressive Party à Philadelphie en 1948, Matthiessen appuie la nomination d’Henry Wallace comme candidat du parti à la présidence des États-Unis. À Boston, Matthiessen apparaît comme un activiste faisant partie du Communist front group. Gay, Matthiessen se suicide en 1950 en se jetant du 12e étage d’un hôtel à Boston. Martyr du maccarthysme ? se demandera-t-on (Levin 1978 : 42-46).
68D’une durée de six semaines, la première édition du Salzburg Seminar, dont le nom officiel est « The Harvard Student Council’s Salzburg Seminar in American Civilization », se tient en juillet 1947. F. O. Matthiessen est chargé de la conférence inaugurale : « Our age has had no escape from an awareness of history. Much of that history has been hard and full of suffering. But now we have the luxury of an historical awareness of another sort, of an occasion not of anxiety but of promise. We may speak without exaggeration of this occasion as historic, since we have come here to enact anew the chief function of culture and humanism, to bring man again into communication with man16 » (Eliot et Eliot 1987 : 25). Parmi les professeurs qui acceptent de participer bénévolement au séminaire, il y a Benjamin F. Wright, professeur de droit constitutionnel américain, l’économiste Wassily Leontief, futur prix Nobel, l’historien italien très connu Gaetano Salvemini, et la grande anthropologue Margaret Mead. Une étudiante américaine en philosophie à Radcliffe College, Mathilda Coster Mortimer, qu’Heller a connue à Harvard, s’invite au Schloss (château) pour y jouer le rôle d’hôtesse. Née en 1925, elle est la fille de Stanley et Mathilda Mortimer de Litchfield. Ses parents ont divorcé peu après sa naissance et elle a été élevée par ses grands-parents à Paris.
Max Reinhardt (Max Goldmann) (1873-1943)
Max Reinhardt, né en 1873 à Baden en Autriche, est le premier d’une famille juive de 7 enfants. Son nom original est Max Goldmann. Il acquiert comme acteur et directeur de théâtre d’une grande créativité une très large reconnaissance, travaillant à Berlin, Vienne et Salzbourg, où il aide à la création du festival annuel de Salzbourg. Il émigre en 1938 aux États-Unis et s’installe Hollywood où il ouvre un studio. Il meurt à New York en 1943.
69L’objectif est de former les futurs « leaders » en organisant des séries de « petits cours informels pour jeunes Européens ». Ces séminaires acquièrent rapidement une visibilité du fait de la participation de chercheurs très connus internationalement (Gemelli 1995 : 250-251)17. Quarante ans plus tard, Clemens Heller dira : « We didn’t want to create an institution. This was not time to create an institution.[…] we created an occasion, we created a situation […]18. »
70C’est la période du maccarthysme aux États-Unis, et là-bas, une telle initiative suscite de la méfiance : on craint que des participants, étudiants ou professeurs américains, ne soient des communistes ou des partisans de Wallace. Heller, un « agitateur rouge » ? (Gemelli 1995 : 251).
Clemens Heller serait lui-même « fiché » par le FBI comme « communiste ». Le Séminaire est aussi suspect du côté européen : on craint que ça ne soit que de la propagande américaine. La participation de chercheurs telles Margaret Mead et, quelques années plus tard, Florence Kluckhohn fera tomber les réticences.
71Heller n’agit à titre de directeur du Salzburg Seminar que de 1946 à 1948. Interdit de séjour en Autriche, il ne participe pas, tout comme d’ailleurs Matthiessen, à la seconde édition du Séminaire en 1948. L’enquête que mène alors l’armée américaine permet de disculper Heller, qui aurait été « victime de calomnie ». S’agissant du professeur Matthiessen, les avis sont plus partagés : certes c’est un excellent professeur fort admiré sur le plan professionnel mais on lui reproche d’être devenu « un féroce admirateur des démocraties populaires » et un propagandiste de l’« école de Wallace », mais malgré tout, est-ce une bonne idée, se demande-t-on, de « discriminer un homme seulement sur la base de ses opinions » ? Bref, parmi les étudiants qui organisent le Séminaire et les professeurs qui y participent en 1948, il n’y a ni communistes ni supporters de Wallace. L’image qui s’en dégage est plutôt positive : c’est « la démonstration que la liberté de parole et la liberté académique existent réellement aux États-Unis ». En d’autres termes, c’est une bonne façon de vendre la démocratie – la démocratie constitutionnelle réelle – aux Européens qui participent à ce Séminaire.
Hugo Heller (1870-1923)
Né en Hongrie le 8 mai 1870, Hugo a décidé d’être libraire très tôt. Il quitte donc l’école précocement et commence à 15 ans à travailler dans une librairie de Vienne. Et bientôt, il devient l’âme du magasin. Grand lecteur, il peut prodiguer des conseils aux clients. Il dévore en effet Giordano Bruno, la littérature socialiste, les philosophes politiques, la littérature contemporaine. Un peu plus tard, il part à Stuttgart, pour se former davantage aux métiers de la librairie. Les meilleures années de sa vie, dira-t-il plus tard, pour l’épanouissement de sa personnalité. Il fonde ensuite une librairie à Vienne avec son ami Ignace Brand, à l’issue de leur formation. Hugo Heller mettra dans cette librairie tous ses idéaux politiques. Auprès de sa femme Hermine Ostersetzer (1874-1909), peintre de grande renommée, il approfondit ses connaissances et affine son goût pour l’art. Ses premières éditions ont pour objet les gravures de sa femme.
Après quelques années, Hugo Heller est las des nombreuses attaques politiques qui lui sont adressées, en tant que libraire engagé. Il décide alors de quitter cette librairie, avec le projet de fonder ultérieurement la sienne propre, qui sera plus spécifiquement dédiée à l’art et à la littérature. Il retourne en Allemagne travailler dans la presse en 1902, pour le journal Neue Zeit, organe de la Deutschen Sozialdemokratie. Il s’intéresse beaucoup à l’expression de la politique dans l’art, mais déplore l’instrumentalisation de l’art. Ce qu’il apprécie d’abord, c’est la façon sensible dont l’artiste parvient à exprimer les souffrances de l’autre, la compassion d’une Käthe Kollwitz, par exemple. Autour de 1905, il crée enfin sa propre librairie qui est aussi une maison d’éditions. Il dispose de faibles moyens financiers pour le faire, c’est donc vraiment grâce à ses qualités d’adaptation, d’organisation, et à ses relations qu’il y parvient.
En 1906, il fonde la revue Neue Blätter für Literatur und Kunst et demande à diverses personnalités connues du monde littéraire et scientifique de Vienne de désigner leurs dix livres préférés. Et de préciser ainsi sa demande : il s’agit des livres les plus nécessaires, notamment aux jeunes, pour se construire, pour entrer dans la vie. Ainsi vont être sollicités Hoffmansthal, Schnitzler, Freud, Masaryk, Wasserman, etc.
La librairie d’Hugo Heller se situe dans un quartier animé de Vienne. Y sont organisés des expositions, des conférences et des concerts. Hugo Heller édite Thomas Mann ; Rilke y lit ses propres poèmes.
Hugo Heller a cette qualité particulière de découvrir les talents, et ainsi de contribuer à lancer les mouvements d’avant-garde. Il publie périodiquement la brochure Buch und Kunstschau, dans laquelle il y a des contributions d’écrivains, brochure envoyée à tous les clients pour les fidéliser et leur donner des ouvertures sur la littérature contemporaine. Hugo Heller joue aussi un rôle important dans la vie théâtrale et intellectuelle viennoise. Ainsi, lorsque la pièce de Wedekind La Boîte de Pandore est censurée, il se débrouille pour la produire dans un théâtre viennois, dans le cadre d’une soirée privée. Pendant la guerre, c’est la pièce interdite de Schnitzler Professeur Bernardhi qu’il produit également par ses propres moyens. Un salon d’art jouxte la librairie. Hugo Heller fait connaître les estampes japonaises, montre des eaux-fortes de Käthe Kollwitz, expose des livres pour la jeunesse, ce qui est nouveau pour l’époque. Il édite également Klimt, dont il a repéré le talent très tôt. Très intéressé par la psychanalyse, Hugo Heller fait partie du petit cercle des fondateurs de la Wednesday Society et édite deux revues de psychanalyse : Die Internationale Zeitschrift für (ärtzliche) Psychoanalyse et Imago. Freud, dont il est très proche, est l’un des clients réguliers de la librairie ; il vient y faire une conférence en 1907 sur « Der Dichter und das Phantasieren » (Creative Writers and Day-Dreaming). La librairie publie ses premiers ouvrages, ainsi que ceux de ses élèves.
Freud et Victor Adler l’ont soutenu toute sa vie. Il est également très lié à Karl Emil Franzos, intellectuel juif, qui est un peu son père spirituel. Hugo soumet toujours à Emil les projets importants de sa vie avant de les mettre en œuvre. Pendant la guerre, il ne renonce pas à ses activités, malgré les difficultés. Ainsi il produit des concerts, fonde une agence de théâtre et organise des soirées avec ses amis écrivains dans son appartement.
En conclusion, nous pouvons dire qu’Hugo Heller est allé toute sa vie jusqu’au bout de ses possibilités. (…). C’est donc ce beau profil paternel que Clemens Heller a reçu comme héritage et comme modèle.
La femme d’Hugo Heller décède en 1909, lui laissant deux fils, Peter et Thomas. Il se remarie en 1916 avec Hedwig Neumayr, et de ce mariage naît Clemens en 1917. Quand Hugo Heller meurt en 1923, son fils cadet n’a que 6 ans. C’est sa femme qui reprend alors, non sans difficulté, la gestion de la librairie.
72Ne pouvant donc pas y participer, Heller s’occupe alors du recrutement des étudiants européens. Parmi les conférenciers invités, il y a le poète Randall Jarrell et le sociologue Talcott Parsons, de même que Francis Sutton de la Fondation Ford. Sutton et Heller se connaissent bien. Un des événements de ce Séminaire est, pendant l’été 1948, la célébration du mariage de cet administrateur américain dans une église de Salzbourg.
Un nouveau tandem : Braudel-Heller
73En 1948 également, Heller épouse Mathilda Coster Mortimer et tous deux s’installent à Paris19. L’aisance financière de Mathilda leur permet d’acquérir un grand appartement 5 rue Vaneau, où ils tiennent salon dans la plus pure tradition parisienne. On y trouve des scientifiques, des historiens, des diplomates, des littéraires et des architectes. S’y croiseront au cours des années 1950 René Marzocchi, Marcel Jouhandeau, Ernst Jünger, Fernand Braudel, André Aymard, Jean Paulhan, les historiens polonais Marcin Kula et Léon Kominsky. L’un de ces invités, Wilton S. Dillon, docteur émérite du Smithsonian Institute aux États-Unis, dira qu’il a retrouvé dans ces soirées le climat qu’avaient tant apprécié Benjamin Franklin et Thomas Jefferson lors de leurs séjours à Paris au xviiie siècle. L’anthropologue et philosophe Claude Lévi-Strauss va fréquenter ce salon tout comme sa collègue l’Américaine Margaret Mead, lorsqu’elle sera de passage à Paris : « Un petit groupe de citoyens engagés et réfléchis est capable de changer le monde. D’ailleurs rien d’autre n’y est jamais parvenu », tient-elle à dire.
74Lorsque le Salzburg Seminar connaît en 1950 des difficultés financières, Heller se rend en Autriche où il passe deux mois à tout faire pour le « sauver ». Reconnu comme entité juridique le 20 avril de la même année20, le Salzburg Seminar se voit attribuer par la Fondation Rockefeller une subvention pour trois ans : 50 000 dollars en 1950, 40 000 dollars en 1951 et 30 000 dollars en 1951. Le Salzburg Seminar bénéficie à partir de 1955 de l’appui financier d’une autre fondation, la Fondation Ford (Magat 1979 : 135)21.
Clemens Heller (1917-2002)
Clemens Heller |
Né à Vienne en 1917, Clemens grandit donc dans un milieu d’intellectuels, d’artistes et de musiciens. Il gardera toute sa vie un grand intérêt pour la littérature et les arts visuels et une grande passion pour la musique, en particulier pour la musique classique, se constituant une collection de disques qui fera l’admiration de ses amis et collègues.
En 1938, l’année où Hitler annexe l’Autriche, la famille Heller émigre aux États-Unis. Clemens y poursuit des études universitaires, d’abord à Oberlin University pour un B.A. (1940) et à Ohio State University pour une maîtrise (M.A., 1942), puis, à partir de 1946, à Harvard University pour un doctorat (Ph.D.) en histoire, qu’il ne termine pas. Pour le doctorat, il choisit comme sujet de thèse « le crédit dans l’Antiquité et au Moyen Âge »22.
Il adopte la nationalité américaine.
Il crée le Séminaire de Salzbourg en 1947 avec deux autres étudiants de Harvard, mais se voit obligé de démissionner de sa fonction de directeur exécutif du Séminaire pour des raisons politiques dès l’année suivante, année où il épouse Mathilda Coster Mortimer. De ce mariage naîtront trois fils, Michel (1949-), Yvon (1949-) et Alexis (1953-1974).
La famille Heller s’installe à Paris en 1949 où il commence une thèse sur l’histoire du commerce en Méditerranée avec comme directeur de thèse Fernand Braudel. Il devient chargé de conférences, puis sous-directeur, et enfin directeur de l’EPHE, qu’il contribue à ouvrir sur le monde.
Le couple Heller reçoit beaucoup, notamment des intellectuels (Margaret Mead, Claude Lévi-Strauss, Braudel, Jouhandeau, Paulhan, etc.). Clemens et Mathilda divorcent en 1961.
Il est pendant dix ans expert auprès de l’Unesco.
Il fonde en 1962 la revue Information sur les sciences sociales/Social Science Information, qu’il dirigera jusqu’à son départ en 1992.
Il épouse Marie-Louise Dufour en 1965.
Comme on le sait, Clemens participe activement à la création de la Maison des sciences de l’homme, à qui il apportera énormément. Il sera l’adjoint de Braudel de 1965 à 1985, puis dirigera la Maison des sciences de l’homme de 1986 à 1992. En 1990, il crée la Maison Suger. Il quittera la direction de la Maison des sciences de l’homme en 1992, après avoir fait un AVC.
En devenant le bras droit de Braudel à l’EPHE, puis l’administrateur de la MSH, il va suivre les traces de son père, s’inscrivant dans la tradition du Kunstkabinett d’Hugo Heller : « Il vient en effet du monde des livres, des auteurs, des lecteurs et des éditeurs de livres. Toute sa carrière s’explique par son désir de promouvoir la composition de livres » (Janik et Veigl 1998 : 14).
Lui qui voulait devenir metteur en scène de théâtre – il a d’ailleurs travaillé quelque temps avec Max Reinhart – a, à la place, contribué à donner aux sciences humaines leurs lettres de noblesse.
Il était officier de l’ordre national de la Légion d’honneur, officier de l’ordre des Palmes académiques et commandeur le l’ordre du Mérite de la République de Pologne.
Il est mort en 2002 en Suisse.
75Bien installé à Paris, Clemens Heller entre d’abord en contact avec Lucien Febvre qui lui présente Fernand Braudel. Braudel et Heller partagent un même intérêt pour l’histoire économique. Braudel connaît aussi deux spécialistes de l’histoire américaine, Earl J. Hamilton et Frederic C. Lane, qui, tous deux détenteurs d’un doctorat d’Harvard, sont très proches de la Fondation Rockefeller. Professeur à la Johns Hopkins University et auteur de l’ouvrage Venise, une république maritime, Lane connaît bien l’historiographie française. L’un de ses étudiants, Robert Foster, prépare un doctorat en France sur la noblesse de Toulouse au xviiie siècle. Entre 1951 et 1954, Lane est le représentant de la Fondation Rockefeller à Paris pour les sciences sociales, et se montre alors très admiratif devant le travail qu’a réalisé la VIe section avec la subvention qu’elle a obtenue, reconnaissant que celle-ci a atteint son objectif de donner une assise institutionnelle aux sciences sociales en obtenant aussi la reconnaissance et le financement du ministère de l’Éducation23.
76Clemens Heller suit les cours de Braudel et, à partir de 1952, est rattaché à la VIe section de l’EPHE à titre de chargé de conférences. Le cours qu’il donne les lundis entre 16 et 17 heures, et qui porte sur les « problèmes du crédit au Moyen Âge », s’inscrit dans le cadre du séminaire de Braudel sur l’histoire géographique24.
77En 1955, Clemens Heller se voit confier à la VIe section la responsabilité de la mise en place du programme des aires culturelles ; il est toujours responsable de la préparation du séminaire de Braudel où interviennent en 1956-1957 Germaine Dieterlen, Denise Paulme, Jacques Gernet, Jacques Vernant et Isac Chiva du CNRS ; il participe aussi aux conférences que l’EPHE organise sur l’Extrême-Orient et auxquelles participent R. Romano sur l’Asie et l’Afrique, D. Djaparidze sur la Russie et F. Borlandi sur l’histoire économique et sociale de la Méditerranée. Titre phare de l’historiographie d’après-guerre, La Méditerranée est, comme le note Rose-Marie Lagrave, un lieu de collaborations multiples autour de Braudel, et la revue des Annales sert plus que jamais de « pivot au dialogue scientifique international » (Lagrave 1996 : 424).
Le projet de collaboration Goitein-Braudel
78Il y a un projet de collaboration qui nous apprend beaucoup sur le mode d’organisation et de fonctionnement du CRH et en particulier sur le rôle qu’y joue Clemens Heller : c’est celui qui met en relation, au milieu des années 1950, Fernand Braudel et Shelomo Dov Goitein (1900-1985), qui travaille alors à Oxford à la Bodleian Library sur les Geniza documents25. Un travail qui va le conduire à publier A Mediterranean Society en cinq volumes (Miller 2103). Goitein envoie à Heller un article qu’il vient de publier en octobre 1954 : « From the Mediterranean to India: Documents on the Trade to India, South Arabia and East Africa from the Eleventh to Twelfth Centuries ». Heller le trouve tout simplement « excitant », d’autant plus que ce texte est proche, dit-il, des travaux du CRH. C’est le début d’une intense correspondance : plus de 120 lettres sur deux ans (1955-1957).
79Il est d’abord question d’un projet d’ouvrage sur le commerce indien : « Obviously, écrit Heller, le commerce juif va constituer un problème majeur de recherche. » Il lance aussi l’idée d’une coopération, parlant même de la publication possible des documents eux-mêmes. Goitein ne cache pas son enthousiasme même s’il n’a jamais écrit, tient-il à préciser, d’histoire économique. Heller lui propose alors une somme de l’ordre de 60 000 francs par mois pendant deux mois afin de travailler sur son livre, dont le titre pourrait être « The Jewish India Merchants of the Middle Ages ».
80Un peu plus tard, convaincu de l’« immense intérêt » que présentent pour le CRH les Geniza documents, Heller propose à Goitein de lui offrir, sur le budget de 1956, la somme de 120 000 francs pour la période de l’été, ce qui permettrait de couvrir le coût de la traduction des documents de l’hébreu et de leur publication. La réalisation d’un tel projet pourrait, selon Goitein, comprendre huit volumes et se faire sur douze ans. La réponse immédiate d’Heller est tout à fait positive. Par ailleurs, Goitein souhaite rencontrer Braudel à Paris, mais au moment de son voyage à Paris, celui-ci est aux États-Unis où il doit discuter de subventions avec la Fondation Rockefeller.
81La rencontre entre ces deux grands spécialistes de la Méditerranée que sont Braudel et Goiten n’a donc pas lieu et le grand projet de coopération n’a pas de suite. Pour Peter N. Miller, qui raconte cette histoire, c’est « un des plus grands ratés du xxe siècle dans la pratique de l’histoire » (one of the great near-misses in the history of twentieth-century practice) (Miller 2013).
82Cette histoire permet de voir qu’on perçoit alors Braudel comme non seulement « un grand universitaire » (a famous scholar) mais aussi « un administrateur hors pair » (a famous administrator) », dont la force est de pouvoir, dès le milieu des années 1950, compter sur la collaboration étroite de Clemens Heller pour coordonner le programme de publications, solliciter les collaborations, organiser les rencontres et trouver les financements. Lorsqu’il s’agit de présenter des projets à la Fondation Rockefeller dans le cadre du programme des area studies, c’est en effet Clemens Heller qui discute directement avec des représentants de la fondation américaine. Certes plusieurs des projets à caractère trop historique, apparemment trop traditionnels – « old style » et pas suffisamment novateurs26–, n’intéressent pas la Fondation Rockefeller, mais aux yeux des représentants de la Fondation qui cherchent en France « un regroupement efficace de ressources » (efficient pooling of resources), la VIe section apparaît de plus en plus comme un partenaire crédible et fort : on croit qu’elle peut devenir « le vigoureux défenseur d’un style universitaire nouveau sur la scène française, caractérisé par une collaboration interdisciplinaire » (vigorous proponent of a style of scholarship new to the French scene, which is characterized by an interdisciplinary approach and group cooperation) (Kwaschik 2016 : 86).
83Nommé en 1957 sous-directeur d’études (EPHE-VIe section), tout en s’occupant du programme de publications du CRH, Heller prendra la charge du secrétariat et de la coordination de la division des aires culturelles, fonction qu’il occupera jusqu’en 1972.
Notes de bas de page
1 « Avis de la commission chargée d’étudier la mise à la retraite de M. Lot », dossier Fernand Braudel, archives de la IVe section de l’EPHE (cité par Gemelli 1995 : 66).
2 Selon Gemelli, il fut l’un des plus « farouches adversaires » de Braudel (Gemelli 1995 : 52).
3 Joseph H. Willits est directeur de la division des sciences sociales à la Fondation.
4 Cette politique consiste à faire venir aux États-Unis de jeunes chercheurs de talent à l’École libre des hautes études (qui bénéficie de subventions de la Fondation Rockefeller), et à envoyer en Europe des chercheurs et des universitaires éminents. Les membres fondateurs de l’École libre sont Jean Wahl, Jacques Maritain et Gustave Cohen, et le premier secrétaire est Alexandre Koyré. On y retrouve un Institut de sociologie dont l’initiative revient à Georges Gurvitch. Cet institut va servir, pour reprendre l’expression de Brigitte Mazon (1988), de « creuset » pour le recrutement des membres de la VIe section de l’École pratique : Georges Gurvitch, Claude Lévi-Strauss, Jacques Soustelle, Jean Weiller, etc. Voir aussi Chaubet et Loyer 2000 : 939-972 ; Zolberg 1998 : 921-951.
5 Pour la division des sciences humaines, ce sont le directeur Joseph H. Willits et ses assistants, dont Robert T. Crane, et pour la division des sciences sociales, le directeur David H. Stevens et ses assistants, dont John Marshall (Mazon 1988 : 82).
6 Lettre de Pierre Auger à la Fondation Rockefeller, avril 1947, Archives Fondation Rockefeller, cité par Mazon 1988 : 86. La lettre d’Auger est accompagnée d’un rapport, probablement rédigé par Charles Morazé.
7 Lettre de Lucien Febvre, 18 novembre 1947, Mexico (archives Fondation Rockefeller), citée par Mazon 1988 : 91. Febvre est alors à Mexico pour une réunion de la Commission des sciences sociales de l’UNESCO, dont il est membre à titre de représentant de la France. Sa lettre accompagne la demande officielle qui est faite par Pierre Auger, directeur de l’Enseignement supérieur.
8 Il s’agit de directeurs d’études qui cumulent leurs fonctions tout en conservant leur poste principal dans une autre institution, que ce soit de recherche (CNRS) ou d’enseignement supérieur (université de Paris).
9 Lettre de Jean Gottmann à Robert T. Crane, 21 juillet 1948 (archives Fondation Rockefeller), citée par Mazon 1988 : 95.
10 Rapport de Lucien Febvre à la Fondation Rockefeller, 28 août 1950 (archives Fondation Rockefeller), cité par Mazon 1988 : 96-97).
11 Rapports de thèse de doctorat d’État et d’universités, 1935-1957. Archives nationales (AN), (cités par Gemelli 1995 : 144).
12 Parmi ces chargés de cours, il y a le cartographe Jacques Bertin, l’écrivain et sociologue Roger Caillois, l’ethnologue et archéologue André Leroi-Gourhan, l’historien Georges Lefebvre, l’anthropologue Robert Montagne, le folkloriste et conservateur de musée André Varagnac, le linguiste Joseph Vendryes.
13 Mis en ligne le 16 mars 2009, consulté le 26 juillet 2016. URL : http://ccrh.revues.org/2783 ; DOI : 10.4 000/ccrh.2783. Il s’agit d’un numéro spécial, sous la direction de Lutz Raphael, consacré au Centre de recherches historiques de 1949 à 1975.
14 Ces jeunes chercheurs sont pour la plupart étrangers et pour un grand nombre d’entre eux inscrits en thèse avec Braudel : au CRH, entre 1950 et 1957, plus de quarante ont Braudel comme directeur de thèse. Certains réussissent à prolonger leur séjour de recherche à Paris grâce au CNRS.
15 Clemens Heller a eu comme premier projet d’organiser à Harvard une série de conférences sur les Nations unies en invitant des ministres des Affaires extérieures de différents pays.
16 « Notre époque n’a pu s’échapper d’une conscience de l’histoire, et d’une histoire qui a été pour une large part difficile et pleine de souffrance. Mais maintenant, s’ouvre la possibilité d’une conscience historique d’une autre sorte, celle non pas d’angoisse mais de promesses. Nous pouvons parler sans exagération d’une chance historique, car nous pouvons adopter ici un nouveau style de leadership culturel et humaniste, et mettre à nouveau l’homme en communication avec l’homme. »
17 Giuliana Gemelli a pu interroger Clemens Heller lors de son séjour à la MSH en janvier 1988.
18 « Nous n’avons pas voulu créer une institution. Ce n’était pas le temps de créer une institution. […] Nous avons créé une occasion, nous avons créé une situation. » Clemens Heller, Allocution, s. d. (1988). Il s’agit d’un texte sans titre, de 5 pages, dactylographiées à double interligne (Fonds Heller, archives de l’EHESS).
19 Clemens Heller et Mathilda Coster Mortimer ont trois enfants : Yvon, Michel et Alexis Heller. Lorsqu’ils divorcent en 1962, Mathilda Coster Mortimer se remarie avec Lord Ian Campbell et devient la duchesse d’Argyll. Lord Campbell meurt dix ans plus tard en 1973. Mathilda Mortimer vit entre l’Écosse et Paris, au 54 rue de Tournon. Elle meurt en juin 1997 à l’âge de 70 ans (New York Times, 7 juin 1997).
20 Dexter Perkins, Frederick Muhlhauser, Herbert Gleason, Clyde et Florence Kluckhohn, Wassily Leontief et Richard Campbell signent les « papers » du Salzburg Seminar in American Studies.
21 Magat estime à 1 045 000 dollars le montant des subventions accordées à ce programme depuis 1955. Le concept des « études américaines » change à partir des années 1960 pour passer des « institutions américaines » aux « problèmes communs » qui intéressent Européens et Américains. Pendant plusieurs années, Henry Kissinger va tenir un séminaire d’été à l’université Harvard pour introduire les jeunes leaders étrangers à la culture et aux institutions américaines.
22 « Clemens Heller, biographie », s. d. (archives FMSH). Il s’agit d’un texte fait à partir d’un CV (d’une page dactylographiée) qui a dû être rédigé au début des années 1970 lorsque Heller occupait le poste de directeur d’études à l’EPHE, VIe section.
23 Lettre de F. Lane à J. H. Willits, 9 avril 1952 (RFCA, RG 1.2, EPHE, 1947-1955, citée par Gemelli 1995 : 281).
24 Annuaire de l’École pratique des hautes études, VIe section, 1956-1957.
25 Geniza, aussi appelé Cairo Genizah, est une collection de plus de 200 000 manuscrits juifs datant de 870 à 1880 qui comprennent des registres de tribunaux rabbiniques et permettent de mieux comprendre la vie économique, culturelle et religieuse des communautés juives de l’Afrique du Nord et des régions de l’est de la Méditerranée. Ils ont été retrouvés dans la geniza ou entrepôt de la synagogue Ben Ezra dans le Vieux Caire en Égypte.
26 Voir la correspondance entre Clemens Heller et Edward D’Arms en février-mars 1955, archives Fondation Rockefeller in Kwaschik 2016 : 84-85.
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