IX. La composition allégorique
p. 93-112
Texte intégral
1Au revers du dessin acquis par le musée de Nantes se trouvent des annotations relevées par Prat dans sa notice publiée en 2022 (ill. 25). Par rapport au canevas communiqué par anticipation à Crucy, on s’attendrait à trouver des notes pouvant servir de légende explicative, mais en réalité il est malaisé de les lier directement à la scène tracée sur le recto : « un sceptre de fer à la main / le despotisme porté sur un pavois par les rois [;] / le préjugé et / la Superstition fuyant à l’aspect de la Raison / [après un blanc sans texte :] représenté / par une seule figure ayant à elle seule [initialement : les 3 pouvoirs] l’attribut des 3 pouvoirs. le législatif par les ta[bles] / de loix et le stilet. le pouvoir exécutif par le glaive[.] le pouvoir judic[iaire] par la Balance118 ». L’annotation qui évoque la Superstition entretient l’ambiguïté soulevée par les remarques de Chennevières concernant les nombreuses études de David qui représentent des personnages prenant la fuite : s’agit-il des victimes ou de leurs persécuteurs vaincus ?
Ill. 25 Jacques Louis David, Allégorie de la Révolution à Nantes (verso), 1790, 30,4 × 43,9 cm, Nantes, musée d’Arts de Nantes, inv. 11.2.1.D

Crédits/source : Photo © Musée d’arts de Nantes
2L’analyse iconographique de la composition proposée par Prat est un bon point de départ. Il considère que le dessin de Nantes « relie des thèmes en rapport avec l’affranchissement de l’esclavage social (et des chaînes qui le symbolisent) : la justice accordée tardivement, et ce que l’on pourrait caractériser comme le “consensus retrouvé” face aux abus du pouvoir absolu119 ». Il relève des « thèmes de libération et de solidarité » à propos du groupe central autour de l’homme drapé à l’antique sur la passerelle du navire. Ce serait pour lui un plaidoyer en faveur du nouvel équilibre constitutionnel espéré au début de la Révolution. Il reconnaît que la composition « est loin d’être claire » dans la mesure où « toutes les figures semblent être “du même côté” », c’est-à-dire que sont absentes les figures de l’oppression – les vampires, le fort, le Despotisme, la Superstition – qui pourtant retiennent l’attention de David. Le sauveur vêtu à la romaine à droite pourrait être Kervegan selon Prat, qui avoue sa perplexité : « Ou s’agit-il d’une figure allégorique censée évoquer la Raison, la Liberté, la Charité ou même Brutus lui-même120 ? » Ces incertitudes quant au sens précis de la scène sont encore plus sensibles dans la partie supérieure de la composition, à peine dessinée :
« [La partie supérieure] semble représenter un orbe ou un globe surmonté par une figure d’Atlas, devant lequel est un nu féminin, les bras écartés, contemplant la scène en bas. Dans la main droite, elle tient deux torches allumées, qui pourraient faire allusion à la Vérité et à la Liberté, mais rappellent aussi la déesse grecque Hécate, qui a pour attributs de telles torches. À sa gauche se trouve un homme barbu, assis, qui apparemment enregistre l’événement sur une tablette, tandis qu’à droite une figure couronnée – peut-être la personnification de la ville de Nantes – tient ce qui paraît être un rouleau. Encore plus à gauche sont des joueurs de trompette, célébrant peut-être la libération du peuple de Nantes, et un jeune homme observant le déroulement de la scène par-dessus les nuages. Plus à droite sont des scribes, qui enregistrent également la scène121. »
3Afin de mieux percevoir cette partie de la composition, on peut se reporter à la reproduction du dessin dont les traits légers ont été repris par une graphiste (ill. 26). On saisit alors pleinement le caractère déroutant de la composition pour laquelle David, tout en indiquant certaines directions de sa pensée, n’a pas fourni de véritable clé d’interprétation.
Ill. 26 Jacques Louis David, Allégorie de la Révolution à Nantes (détail), avec mise en évidence du dessin au crayon dans la partie supérieure de la feuille réalisée en 2022 par la graphiste Marie Ève Roques, 1790, 30,4 × 43,9 cm, Nantes, musée d’Arts de Nantes, inv. 11.2.1.D

Crédits/source : Photo © Musée d’arts de Nantes / graphisme Marie Ève Roques
4Il faut rappeler la destination probable du tableau : une salle d’apparat du siège de la municipalité de Nantes, ville portuaire identifiée par le paysage urbain qui s’étend dans le fond de la scène et occupe la moitié inférieure de la composition. Cela peut expliquer pourquoi le projet de David est passé d’une allégorie célébrant l’exemple avant-coureur des Nantais à une réflexion plus générale sur les suites inouïes de leur acte de courage – une succession d’événements que les contemporains ont objectivés par le terme de Révolution française et célébrés comme un phénomène historique d’une importance sans précédent dans les annales. Tout en situant son sujet sur les bords de la Loire à Nantes, par respect de la commande municipale qu’il espérait, l’imagination de David évolue vers une interprétation plus distanciée des événements particuliers et la caractérisation de l’impact de l’année 1789 pour l’humanité, au moyen d’un langage allégorique grandiloquent emprunté à la pensée utopiste des Lumières122.
5Une place prépondérante est accordée à l’imposante proue du navire sur le bord droit de la composition, présenté comme le refuge des malheureux. L’homme en toge capte l’attention par la prééminence qu’il exerce sur les autres figures, au-devant desquelles il vient, bras ouverts, avec une autorité qui rappelle celle du père des Horaces. Peut-être David avait-il l’intention de lui donner les traits de Kervegan, mais le haut degré d’allégorisation de sa composition incite à voir en lui la figure du Législateur qui depuis la Révolution pilote le vaisseau de l’État – une métaphore récurrente dans l’imaginaire politique depuis Platon. Elle est employée aussi bien par des caricaturistes populaires, qui font subir au vaisseau les intempéries politiques (ill. 27), que par des peintres d’histoire, tel Antoine François Callet qui le retient comme motif central du Tableau allégorique du 18 Brumaire an 8, ou la France sauvée, composé en 1800 pour faire valoir le coup d’État de Bonaparte (ill. 28)123. Dessinant au pinceau et peu soucieux de détails, David a inséré à droite du Législateur la figure d’un homme qui paraît sortir du bateau à la hâte, vraisemblablement pour venir en aide au magistrat. En contrebas, une colonne d’hommes avance dans des attitudes qui suggèrent un rôle de renforts pour sauver les malheureux. Le Législateur tend les bras en direction d’une femme également empressée, embrassant précairement trois enfants telle une Charité affolée, entourée de jeunes filles et de jeunes gens, en groupes serrés, qui se précipite vers lui (ill. 29). David renoue ici avec la séparation des sexes dans l’espace scénique pour contraster leurs vertus et leurs sentiments, procédé dramatique qui lui avait réussi dans le Serment des Horaces. Son hommage à la Mère protectrice, une mère de la patrie, résonne avec les actions de bienfaisance envers les miséreux dont se chargeaient des associations mondaines dans les années 1780. Elles attiraient avant tout la haute société parisienne, dont des proches de David – les frères Trudaine et Marie Anne Paulze, l’épouse de Lavoisier –, et entrèrent en relation avec la Société des Amis des Noirs124. L’intérêt que David exprima pour le Massacre des Innocents de Raphaël dans son carnet devient clair avec ce groupe qu’il place au cœur de la scène. Il fait l’éloge des sauveurs de l’humanité, la Mère protectrice et le Législateur, et, par l’allusion explicite aux œuvres de miséricorde, il intègre à sa vision de la Révolution une ferveur religieuse.
Ill. 27 Anonyme, Les Efforts patriotiques, Nous l’avons renversé pour mieux le relever, 1790-1791, gravure à l’eau-forte coloriée, 24 × 30,5 cm, Paris, Bibliothèque nationale de France

Crédits/source : Photo © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b69439853
Ill. 28 Antoine François Callet, Tableau allégorique du 18 Brumaire an 8, ou la France sauvée, 1800, huile sur toile, 101 × 125 cm, Vizille, musée de la Révolution française, inv. MRF 1995-37

Crédits/source : Photo © coll. Musée de la Révolution française – Département de l’Isère, collections.isere.fr/fr/museum/document/tableau-allegorique-du-18-brumaire-an-viii
Ill. 29 Jacques Louis David, Allégorie de la Révolution à Nantes (détail), 1790, Nantes, musée d’Arts de Nantes, inv. 11.2.1.D

Crédits/source : Photo © Musée d’arts de Nantes / Pauline Betton, museedartsdenantes.nantesmetropole.fr/home/au-cur-du-musee/les-collections/toutes-les-collections-en-ligne.html#/artwork/110000000064226
6Toute la partie de la composition ordonnée pour mettre en valeur le magistrat est dessinée sur une feuille collée en plein qui remplace une première idée perdue de David. Il en reste une faible trace : sous le bras gauche du Législateur, on peut percevoir son double. David a choisi de ne pas s’attarder sur les forces qui sont à la source de l’affolement général et des souffrances endurées, estimant que les représenter, sauf à les caricaturer, serait une forme d’hommage. Il appliquera ce principe trois ans plus tard lorsqu’il écartera la figure de Charlotte Corday de son tableau de Marat à son dernier soupir (Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts), un assassinat sans assassin125.
7Le premier plan est occupé à gauche par un groupe de figures qui complète la tripartition de la scène (ill. 30). David tient à le détacher de celui au centre en introduisant une échappée vers un enclos où se tiennent deux figures et qui aboutit plus loin à une palissade de planches et à une vue de la ville. Ce sont des hommes nus entremêlés que domine une femme à la stature imposante, hissée au même rang que la Mère et le Législateur, trois figures dont David établit l’importance en les vêtant à l’antique dès cette étape préliminaire de son travail. Penchée en arrière, mais sans céder de terrain, cette femme dans une attitude d’affliction et d’imploration porte son regard vers le ciel, vers la femme nue qui resplendit au centre de la partie supérieure de la composition. Son rôle déterminant est renforcé par la construction perspective de l’ensemble de la scène qui fait converger les lignes de fuite au droit de sa position. En se remémorant la toute première idée que David formula dans sa lettre à Crucy, on peut reconnaître en elle la personnification de la France telle qu’elle était avant qu’advienne la Révolution de 1789. Qu’elle soit privée de couronne ne doit pas étonner après la virulence de sa critique du despotisme dans les remarques relatives à son projet126.
Ill. 30 Jacques Louis David, Allégorie de la Révolution à Nantes (détail), 1790, Nantes, musée d’Arts de Nantes, inv. 11.2.1.D

Crédits/source : Photo © Musée d’arts de Nantes / Pauline Betton, museedartsdenantes.nantesmetropole.fr/home/au-cur-du-musee/les-collections/toutes-les-collections-en-ligne.html#/artwork/110000000064226
8Comme le signalent les chaînes auxquelles est assujetti l’homme protégé par la France, qui s’accroche instinctivement à elle, David déploie ici la métaphore de l’esclavage, ou plus exactement d’un esclavage Noir-Blanc qui se visualise par son collier (celui d’un Noir) et l’apparente couleur de sa peau (celle d’un Blanc). Dans l’usage de l’époque, ce mot recouvre deux sens distincts, l’un métropolitain, l’autre colonial, dont l’intrication sémantique et ses conséquences sont finement analysées par Darcy Grimaldo Grigsby :
« L’identification rhétorique du peuple français avec les corps esclavagés s’accompagnait d’une opération de répression profonde et intenable. Avant la Révolution, nonobstant l’engouement rencontré par le trope de l’esclavage, les Français étaient parvenus à développer un fragile double langage nourri d’amnésie : l’esclavage classique et l’esclavage colonial avaient en partage le mot, mais rarement la politique. […] La Révolution a fait échouer la conception abstraite de l’esclavage et de la liberté, associés à l’Antiquité, contre le fait concret de l’esclavage colonial sur lequel reposent en vérité cette subjectivité et cette politique. Durant la Révolution, la diffusion soudaine et générale de la définition des citoyens français comme des esclaves nouvellement libérés les avait entraînés à s’arroger la position occupée par les vrais esclaves qu’ils exploitaient. Tandis que les vrais esclaves furent ainsi (temporairement) relégués dans les recoins de la rhétorique française, le trope de l’esclavage lia imprudemment une abstraction classique à une vraie condition coloniale. En plus, cela attacha malaisément les corps des citoyens français à leur Autre vilipendé et réprimé : l’esclave Noir127. »
9La condition d’esclave devint un lieu commun employé constamment par les patriotes dans leurs écrits et leurs discours pour décrire la soumission des Français au despotisme et à l’arbitraire des privilégiés. Le citoyen libéré de ses chaînes grâce à la Révolution fut un motif récurrent dans les compositions allégoriques. À partir de celles récupérées dans les cachots de la Bastille, Pierre Palloy, l’entrepreneur en charge de démolir la forteresse, élabora une liturgie fétichiste destinée à célébrer l’ère nouvelle de liberté sans jamais tenir compte de la signification des chaînes comme instrument du système colonial128. L’exemple le plus fameux de cette sémantique à usage métropolitain serait le titre de la publication de Jean-Paul Marat en l’an 1er de la République, Les Chaînes de l’esclavage, ouvrage destiné à développer les noirs attentats des princes contre les peuples ; les ressorts secrets, les ruses, les menées, les artifices, les coups d’État qu’ils emploient pour détruire la liberté, et les scènes sanglantes qui accompagnent le despotisme. Marat reprenait pour un lectorat français un écrit publié en anglais en 1774 sur le thème de l’esclavage économique des citoyens, et non sur la servitude des Noirs. Il ne se désintéressait pas du sujet, mais le traitait à part, comme en décembre 1791 dans son journal, L’Ami du peuple, quand il exprima une position hardiment anticolonialiste : « Pour secouer le joug cruel et honteux sous lequel ils [les esclaves Noirs] gémissent, ils sont autorisés à employer tous les moyens possibles, la mort même, dussent-ils être réduits à massacrer jusqu’au dernier de leurs oppresseurs129. » Dans le monde des arts, l’aboutissement de l’emploi de la métaphore à l’usage des Blancs fut le « tableau allégorique » exposé par Jean Bonvoisin lors du Salon de 1800, L’Homme délivré de l’esclavage, sans le moindre rapport avec l’imagerie consacrée à l’affranchissement des Noirs (voir plus loin)130. Cette appropriation politique de la notion d’esclavage ne s’accompagnait pas forcément de la conscience politique que manifesta Marat. Bien au contraire, elle pouvait aller de pair avec une ignorance ou de l’indifférence à l’égard du sort des Noirs dans les colonies. Comme le montre la confusion qui entoura si souvent les débats sur les colonies durant les séances de l’Assemblée constituante, la majorité des représentants rejetaient la question coloniale loin du champ de leurs préoccupations prioritaires.
10Sensibilisé par les échanges avec son entourage à Paris et par ses observations lors de son séjour à Nantes, David était en mesure d’aborder le sujet de l’esclavage avec clairvoyance et œcuménicité. À l’époque de sa visite, sur une population d’environ 80 000 habitants, la ville comptait plus de gens de couleur que toute autre ville française, environ 700, dont les deux tiers étaient libres et les autres maintenus dans l’esclavage domestique par leurs propriétaires, dans la perspective d’un retour dans les colonies. Un tiers des Noirs et gens de couleur étaient en effet des domestiques et seuls quelques-uns étaient parvenus à s’intégrer dans le petit commerce urbain au cours du siècle. Toutefois, à partir des années 1770, en réaction à leur présence croissante en métropole, leur situation se dégrada : ils furent « malmenés par les autorités locales comme par le pouvoir royal, privés de reconnaissance sociale et finalement même d’existence civile131 ».
11L’homme enchaîné qui recherche la protection de la France, dessiné par David, représenterait-il malgré tout un esclave Noir ? Certes, David n’a pas recouvert son corps d’un lavis sombre. Aurait-il craint de compromettre la lisibilité de la figure ou de provoquer les édiles nantais qui n’avaient toujours pas confirmé la commande du tableau pour l’hôtel de ville ? Ceux-ci avaient presque tous un intérêt personnel au maintien de la traite et de l’esclavage, et auraient certainement désapprouvé la charge critique qu’aurait portée la figure déplorable d’un esclave Noir enchaîné. Dans une notice parue en 1857, un biographe de François Mellinet fait allusion à de possibles tensions lors des dîners auxquels David fut convié durant son séjour, « où des contestations très vives s’élevèrent aussi ; et il fallut toute la prudence de Mellinet pour qu’elles n’eussent pas de fâcheux résultats132 ». Le peintre se trouva plongé dans l’entre-soi des armateurs et négociants nantais, obligé de subir des soirées au cours desquelles, comme il le confia à Sedaine, il s’ennuyait, et l’on peut se demander si une prise de position critique à l’égard de la traite et de l’esclavage ne fut pas la source de tension que Mellinet dut désamorcer.
12Deux détails permettent d’affirmer que David voulut donner une place primordiale à la souffrance des Noirs au sein du groupe censé évoquer le malheur de l’humanité tout entière. Le plus probant est l’attache de la chaîne au collier de servitude que porte le malheureux, une pratique indissociable de l’iconographie des esclaves Noirs133. Ce moyen de contrainte était plus dégradant encore que l’enchaînement par les chevilles auquel Daniel Nikolaus Chodowiecki soumit Jean Calas dans sa célèbre composition – prise de corps que David retint pour illustrer les conditions d’emprisonnement de Socrate dans son tableau pour Trudaine de Montigny. Il montre le philosophe affranchi de ses chaînes avant de devoir mettre fin à ses jours, mais avec des chevilles qui portent la marque du frottement du métal. L’autre détail à noter est la chevelure de l’enchaîné. Tout comme l’homme derrière lui qui s’accroche aux cheveux de la protectrice, il est représenté avec la tête enfouie dans l’ombre que David matérialise par un lavis presque opaque. Son visage n’est pas visible, seulement l’amas de petites boucles de sa chevelure – la façon conventionnelle de traiter les cheveux des Noirs, par exemple la tête féminine modelée par Jean Antoine Houdon vers 1781 pour une fontaine dans le parc Monceau (ill. 31)134. David a coiffé de chevelures semblables toutes les figures du groupe de gauche, tandis qu’au centre elles sont ondulées et qu’à droite le Législateur porte une coupe courte dite à la Brutus. Aucune lueur d’espérance ne se dégage des attitudes désordonnées de ces damnés, incapables d’échapper à leur sort, à la différence des fuyards au centre qui trouvent un refuge. Sur le bord, la tête d’une des figures a disparu avec une déchirure du papier : elle semble être une femme qui donne à boire à l’infortuné à terre, vu de dos, la tête penchée en arrière – un motif qui vient en écho à la miséricorde que célèbre la scène centrale.
Ill. 31 Jean Antoine Houdon, Tête de femme Noire (fragment), c. 1781, plâtre peint, H. 31 cm, D. 25 cm, Soissons, musée municipal de Soissons, inv. 93.7.2766

Crédits/source : Photo © Musée municipal de Soissons / Bertrand Coutellier, voir aussi : commons.wikimedia.org/wiki/File:Buste_de_la_Femme_Noire_%C2%A9_Coutellier_Bertrand.jpg
13David connaissait probablement le groupe figurant la traite des Noirs que Jean-Baptiste Claude Robin avait inséré dans sa fresque au plafond du Grand Théâtre de Bordeaux. Étant à Rome, il n’avait pas pu en voir l’esquisse exposée au Salon de 1777, mais il pouvait aisément connaître la gravure imposante de Noël Lemire qui sortit des presses cinq ans plus tard (ill. 32). La légende signale ainsi le groupe de Robin : « Un Capitaine qui tient des Nègres à sa suite », une formulation plus allusive que celle du livret de 1777 qui le désigne explicitement comme « La traite des Nègres »135. On observe chez les deux peintres la même conjonction entre une figure d’autorité debout et des esclaves qui rampent derrière elle, mais le sens dont ils chargent le motif est absolument opposé : Robin célèbre les bienfaits commerciaux de la traite tandis que David en dénonce l’inhumanité. Cette divergence n’empêcha pas ce dernier de flatter Robin en septembre 1789, à un moment où il avait besoin d’alliés pour entreprendre la réforme de l’Académie, dans un courrier chaleureux déclarant son envie de renouer avec lui136.
Ill. 32 Noël Lemire d’après Jean-Baptiste Claude Robin, Plafond de la salle de spectacle de Bordeaux (détail), 1782, gravure en taille-douce, D. 55,7 cm, Paris, Bibliothèque nationale de France

Crédits/source : Photo © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52508966p
14Une scène à peine visible, tracée sommairement, remplit la partie supérieure du dessin de David (voir ill. 26). Elle comprend un grand nombre de personnages répartis dans les nuées, une ordonnance céleste disciplinée par le recours à une symétrie empreinte d’archaïsme. David a pu se ressouvenir des fresques de Raphaël dans les Chambres du palais du Vatican, en particulier la Dispute du Saint-Sacrement ; mais, dans un sens plus général, pour régler l’ensemble, il adopte une organisation bipartite courante dans l’iconographie religieuse, qui sert à ordonner la relation entre la vision de l’au-delà et l’action terrestre. Au centre, il a dessiné une jeune femme nue dans une attitude rigoureusement frontale et, plutôt que la Vérité, figure passive dévoilée par le Temps si chère aux Encyclopédistes, il faudrait y voir une allégorie de la Raison, à laquelle le texte au verso du dessin fait référence. Elle est figurée en tant que force active, tenant le flambeau par lequel elle apporte la lumière au monde – en réalité deux flambeaux, car David se montre indécis quant à la bonne inclinaison à donner à cet attribut qui se trouve ainsi dédoublé. Derrière elle se tient un vieillard barbu qui, en l’absence des attributs du Temps, pourrait renvoyer au mythe cosmique d’Atlas, ainsi que l’a proposé Prat. Par sa position, il semble jouer un rôle de protecteur de la Raison et, tel le Grand Architecte de l’Univers souvent invoqué depuis les Anciens, il pose la main gauche sur un vaste cercle – l’univers – et l’autre sur un petit globe terrestre. S’agissant d’un hommage à l’avènement de l’empire révolutionnaire de la Raison, de nombreuses figures consignent les récents événements mémorables dans leurs annales, tandis que d’autres trompettent à travers les cieux les bonnes nouvelles. David dessine sur la droite de la Raison la figure d’un roi couronné qui déchire ses vêtements dans un accès de vive émotion en voyant que le temps des monarchies absolues est révolu. C’est une autre manière de formuler la critique du despotisme monarchique qu’il exprime dans le texte au revers de la feuille. Malgré tout, la présence de cette figure royale placée auprès de la Raison signale son acceptation du régime de monarchie constitutionnelle.
15En juillet 1792, David sollicita la médiation d’un correspondant nantais auprès de la municipalité afin qu’elle le dédommage des six mois de travail que « la composition du tableau projeté » et ses études lui auraient coûtés. Au regard de ses difficultés à arrêter le programme iconographique, il est possible qu’il ait fixé ses idées sur le dessin seulement après son retour à Paris. Pour effectuer les découpages et les collages qui lui auraient permis de réviser sa composition, il aurait certainement été plus à son aise dans son propre atelier137. Avant même d’avoir terminé son travail, David le recouvrit d’une mise au carreau – une grille nécessitée peut-être par des reprises d’études, ou alors le signe de son impatience à passer au format plus considérable du tableau. Puis il décida à un moment de ne pas pousser plus loin son dessin, tout en continuant à remplir les feuilles vierges des carnets qu’il avait emportés avec lui à Nantes. Il demeura cependant imprégné par les promesses du projet visiblement élaboré dans un état d’exaltation, car, dans ses dessins et ses tableaux réalisés plus tard, on peut repérer des réminiscences de certaines configurations qu’il avait conçues, comme les jeunes gens se tenant fraternellement par les épaules ou l’adresse à une allégorie en surplomb.
16L’abandon du dessin dans son état actuel d’inachèvement, notamment dans la partie supérieure à peine travaillée, peut s’expliquer par des facteurs externes, l’incertitude quant à la confirmation de la commande, mais aussi par un facteur interne, le sentiment de ne pas être sur la bonne voie. L’interaction entre des personnifications allégoriques, des figures types, peut-être aussi des citoyens reconnaissables, cela dans un site topographié, a pu finir par lui paraître un amalgame confus, de même que l’assemblage hétéroclite de corps nus, d’habits contemporains et de vêtures à l’antique. La rhétorique métaphorique et allégorique possède une amplitude dramatique qui pouvait convenir à l’évocation du moment historique ; mais, à force de vouloir hisser sa composition au niveau des idées les plus sublimes, David perdait de vue sa visée initiale consistant à célébrer l’action des Bretons. Son « tableau de Nantes » était devenu autre chose : le « tableau de la Révolution ».
17Malgré cela, deux éléments de la composition maintiennent le lien avec Nantes : le site de l’action bien identifiable comme la ville portuaire et, implicite dans l’hommage à la Raison et explicite dans le groupe des enchaînés, l’idée de l’abolition inéluctable de la traite et de l’esclavage. David ne pouvait pas ignorer cette portée de la Déclaration des droits de l’homme, ni son incidence néfaste sur la prospérité des citoyens nantais. Il aborda le thème de l’esclavage en s’efforçant, autant que possible, de le détacher des sordides réalités commerciales qu’occultaient les raffinements domestiques de la haute société nantaise, par le recours à l’allégorie et à l’imaginaire religieux traditionnel représentant les damnés accablés sous le poids du châtiment infernal. D’autres voies, moins tortueuses, existaient pourtant.
18Lors de sa visite au Salon en 1787, David n’avait sûrement pas manqué de remarquer l’Allégorie du commerce par Anicet Charles Lemonnier, une esquisse sur le thème des quatre continents qui annonçait un grand tableau commandé par la Chambre de commerce de Rouen et livré en 1791. Par la suite, dans la reprise qu’il exposa en 1793, Lemonnier crut opportun de donner un ton plus révolutionnaire à certains détails de sa composition (ill. 33). Plus éclairés que les Nantais, les édiles rouennais acceptèrent en 1787 que Lemonnier représente l’Afrique par une femme qui, « dans l’attitude de l’esclavage et de l’abattement, repousse loin d’elle avec horreur ses propres enfants, qui ne naissent que pour la servitude138 ». Un anonyme loua encore plus fortement cette dimension critique de la composition, en juin 1791, dans le Mercure de France, avec l’accent des plaidoyers de la Société des Amis des Noirs :
« Mais quel spectacle cruel et touchant vient déchirer l’âme ! Une mère… c’est l’Afrique ; une mère désolée repousse avec horreur les fruits de sa tendresse, condamnés à la servitude ; sa main égarée par le désespoir, semble vouloir leur interdire le jour qui éclairera leur misère. Son attitude, ses traits, sa douleur touchante, tout imprime aux cœurs sensibles cette compassion généreuse, apanage heureux de l’humanité, tant les droits de la Nature sont éloquents, lorsque le talent sait les produire sous des formes intéressantes ! Si jamais l’Afrique relève sa tête opprimée à côté des Nations policées, elle devra beaucoup au pinceau de M. le Monnier139. »
Ill. 33 Anicet Charles Lemonnier, L’Esprit du Commerce, 1791, huile sur toile, 77 × 130 cm, collection particulière

Crédits/source : Photo © Talabardon & Gautier, Paris / Guillaume Benoit
19Plus discrètement, Lemonnier mit également en évidence un exemplaire de l’Histoire des deux Indes de Raynal au pied de l’allégorie de l’Europe.
20On sait que, dans les années 1780, François André Vincent, Pierre Peyron et Jean-Baptiste Regnault ont tous fait les frais de l’esprit de compétition qui incitait David à reprendre les sujets des tableaux de ses rivaux ou même à imiter leur manière afin de démontrer la supériorité de son pinceau. À l’époque où il réfléchissait à son « tableau de Nantes », il a sûrement songé au grand projet commandé par une autre ville portuaire à son collègue de l’Académie royale. L’exemple de Lemonnier a pu encourager David non seulement à vouloir le surpasser dans le domaine de la composition allégorique, mais aussi à ne pas esquiver la question de l’esclavage et de la traite.
21Certes, il comprit, ou ses amis lui firent comprendre, qu’il ne pouvait pas s’exprimer à Nantes avec autant de franchise que Lemonnier à Rouen et appeler clairement à la libération des esclaves. Préférant s’en tenir à l’évocation d’une réalité douloureuse qui restait à révolutionner, il ne se projeta pas non plus dans un avenir rêvé comme le fit vers 1791-1792 Samuel Jennings, un peintre né à Philadelphie puis établi à Londres, où il se lia avec son compatriote Benjamin West. Jennings reçut de la Library Company de Philadelphie, avec l’appui de Franklin – le fondateur de cette institution tenue par des abolitionnistes –, la commande d’un tableau, La Liberté présentant les arts et les sciences ou Le Génie de l’Amérique encourageant l’émancipation des Noirs (ill. 34)140. Il reprit à son compte l’esprit paternaliste du médaillon de Wedgwood pour la scène principale et ajouta dans le cadre bucolique au fond une danse joyeuse d’affranchis autour d’un arbre de la Liberté, aux sons d’un musicien. À l’encontre du drame révolutionnaire imaginé par David, la scène apaisante qu’offrait Jennings était propre à rassurer les Blancs, inquiets à l’idée que se propagent les insurrections des esclaves à Saint-Domingue.
Ill. 34 Samuel Jennings, La Liberté présentant les arts et les sciences ou Le Génie de l’Amérique encourageant l’émancipation des Noirs, 1792, huile sur toile, 153 × 185,5 cm, Philadelphie, Library Company of Philadelphia

Crédits/source : Photo © The Library Company of Philadelphia, digital.librarycompany.org/islandora/object/digitool:37990
22Trois mois après le retour de David à Paris, le 21 juillet 1790, Anne Louis Girodet écrivit de Rome à son camarade d’atelier François Gérard au sujet de leur ancien maître, ayant découvert par sa lecture de la presse française qu’il était devenu une personnalité publique et se plaignant de ne pas recevoir de ses nouvelles : « Je pense même que, loin d’avoir du temps du reste pour écrire, il n’en a pas même pour travailler à son tableau de la Révolution. » À nouveau, il questionna son ami le 11 août : « David a-t-il commencé son tableau de la Révolution141 ? » Les historiens du peintre se sont demandé s’il s’agissait de l’allégorie nantaise ou de la scène du serment du Jeu de Paume, qui vraisemblablement attisa sa curiosité à l’occasion des célébrations et commentaires suscités par le premier anniversaire de l’événement, le 20 juin 1790142. Le changement de cap alors opéré par David fut profond : il s’attela à reconstituer un événement historique récent au lieu de développer une conception allégorique ; il s’intéressa à un élan d’unanimité au lieu d’un moment de crise sociale et politique ; il se focalisa sur la capitale et des célébrités nationales au lieu d’une lointaine ville de province et de ses figures locales. On a vu que David fut déçu par l’inculture et surtout l’indécision de ses interlocuteurs nantais au sujet des deux commandes qui l’avaient décidé à se déplacer. Retrouvant ses amis parisiens, il a dû se sentir mieux compris et mieux soutenu. Le parti qu’il avait pris d’allégoriser la Révolution, bien que nourri d’idées sublimes, a pu finir par paraître étrangement décalé par rapport à l’actualité politique et aux mesures concrètes adoptées à l’Assemblée constituante, qui s’était substituée à la cour comme le vrai théâtre du pouvoir. Commémorer le serment juré à Versailles à l’époque des États généraux était une façon de se rapprocher des députés de la nation à l’œuvre. Lorsqu’il reconstitua la scène qui avait eu lieu dans la modeste salle du jeu de paume de Versailles, David remisa les personnifications allégoriques, mais non l’idée que les principaux acteurs de la Révolution puissent les incarner143. La dramatisation par laquelle il avait magnifié les événements bretons avait été considérablement dévaluée par le retentissement des insurrections populaires de juillet et d’octobre 1789, et plus généralement par la radicalisation des positions. Comme l’opposition des parlementaires et d’autres privilégiés, celle des Rennais et des Nantais au despotisme royal finit par sembler bien limitée, voire motivée par des intérêts particuliers. Leurs actions furent victimes d’une marche en avant sur tous les fronts qui ne cessa d’étonner les contemporains et de capter leur attention.
Notes de fin
118 Cat. exp. New York, 2022 (note 4), p. 178, notice du no 49 (L.-A. Prat). La principale révision à sa lecture des annotations se trouve à la deuxième ligne, qu’il transcrit ainsi : « le despotisme porté sur un pavois par l’envie ». Le glaive attribué au pouvoir exécutif est une idée chère à Rousseau, selon lequel la « force publique » est nécessaire pour faire appliquer les lois ; voir Blaise Bachofen, « La notion d’exécution chez Rousseau. Une psychopathologie du corps politique », Revue française d’histoire des idées politiques, 2011/2 (no 34), p. 275-298.
119 Ibid., p. 178, notice du no 49 (L.-A. Prat). Le dessin de Nantes « combines themes related to delivrance from social slavery (and the chains symbolic of it): justice belatedly delivered, and what we might characterize as “consensus regained” in the face of the abuses of absolute power ».
120 Ibid., p. 180-181, notice du no 49 (L.-A. Prat). Ce sont des « themes of liberation and solidarity ». Mais la composition « is far from clear » dans la mesure où « all of the figures seem to be “on the same side” ». Quant à la figure à la romaine, peut-être Kervegan selon Prat : « Or are we dealing with an allegorical figure meant to evoke Reason, Liberty, Charity or even Brutus himself? »
121 Ibid., p. 181, notice du no 49 (L.-A. Prat). « It seems to represent an orb or globe surmounted by a figure of Atlas, in front of which is a female nude with open arms who contemplates the scene below. In her right hand she holds two lit torches, which might allude to Truth and Liberty, but also bring to mind the Greek goddess Hecate, for such torches are her attribute. To the left of her is a bearded, seated male figure, apparently recording the event on a tablet, while to the right a crowned figure – perhaps a personification of the city of Nantes – holds what appears to be a scroll. Still further left are trumpeters, perhaps celebrating the liberation of the people of Nantes, and a young man peering over the clouds at the unfolding spectacle. Further right are scribes, who also record the scene. »
122 Il existe une bibliographie abondante sur ce thème ; voir notamment Bronislaw Baczko, Lumières de l’Utopie, Paris, Payot (Critique de la Politique), 1978, et Dictionnaire critique de l’utopie aux temps des Lumières, éd. par B. Baczko, Michel Porret, François Rosset, avec la collaboration de Mirjana Farkas et Robin Majeur, Chêne-Bourg (Genève), Georg Éditeur, 2016.
123 Callet exposa le modello illustré au Salon de 1800 et, l’année suivante, la version de grand format commandée par le gouvernement, qu’il jugea nécessaire d’accompagner d’une longue explication du sujet dans le livret.
124 Catherine Duprat, Pour l’amour de l’humanité. Le temps des philanthropes, t. 1, Paris, CTHS (Mémoires et documents/Commission d’histoire de la Révolution française, 47), 1993, p. 59, 80, 132. Dorigny et Gainot, 1998 (note 12), p. 370. Sur l’émergence de la notion de « mère de la patrie », voir Anne Verjus et Jennifer Heuer, « Les mères de la patrie révolutionnaire : entre représentation et incarnation du politique (1792-1801) », dans Les Mères de la Patrie. Représentations et constructions d’une figure nationale, éd. par Laura Fournier-Finocchiaro, Cahiers de la MRSH-Caen, no 45, novembre 2006, p. 101-135, URL : <halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00145862> [dernier accès : 22.02.2023].
125 Voir la belle réflexion de Guillaume Mazeau, Le Bain de l’histoire. Charlotte Corday et l’attentat contre Marat 1793-2009, Seyssel, Champ Vallon (La chose publique), 2009, p. 171-173, et passim.
126 Signe d’adhésion à la monarchie constitutionnelle, une allégorie de « la France ayant brisé ses fers » coiffée d’une petite couronne apparaît en haut de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dessinée par Jean-Jacques François Lebarbier et gravée par Louis Laurent – une estampe largement diffusée, dédiée aux députés de l’Assemblée nationale, à laquelle le graveur offrit la première épreuve le 5 novembre 1790.
127 Darcy Grimaldo Grigsby, Extremeties. Painting Empire in Post-Revolutionary France, New Haven / Londres, Yale University Press, 2002, p. 17-18, ici p. 18 : « The rhetorical identification of the French people with enslaved bodies entailed a profound, untenable act of repression. Before the Revolution, as popular as the rhetorical trope of slavery may have been, the French had managed uneasily to speak an amnesiac double talk: classical and colonial slavery shared a word but seldom politics. […] The Revolution abruptly slammed the abstract conception of slavery and liberty associated with antiquity up against the material fact of colonial slavery on which that subjectivity and politics actually relied. During the Revolution, the sudden pervasive definition of French citizens as newly freed slaves had entailed an arrogation of the position occupied by the real slaves they exploited. While real slaves were thereby (temporarily) relegated to the shadows of French rhetoric, the trope of slavery recklessly linked a classical abstraction to a real colonial condition. It also uncomfortably tethered the bodies of French citizens to their vilified and repressed other: the black slave. »
128 Héloïse Bocher, Démolir la Bastille. L’édification d’un lieu de mémoire, Paris, Vendémiaire, 2014, p. 121, 135.
129 L’Ami du peuple, ou le Publiciste parisien, no 624, 12 décembre 1791, p. 3-4 ; cité par Patrick Andrivet, « L’inspiration romaine dans Les Chaînes de l’esclavage de Marat », Dix-huitième siècle, no 27, 1995, p. 243 n. 4.
130 « Comme ce n’est qu’à l’aide de la Raison et du génie de la Liberté, que l’Homme, asservi par le Despotisme, peut retrouver dans la Nature ses droits usurpés, et sortir enfin de l’esclavage, le peintre a tâché de rendre sensible, par une allégorie, cette vérité à laquelle nous devons notre révolution, en représentant l’Homme esclave, conduit vers la Nature, par la Raison et le génie de la Liberté ; la Nature lui montre les Droits de l’Homme ; la Raison les lui fait connaître, en soulevant le bandeau qu’il a sur les yeux ; et le Génie de la Liberté lui donne la force de briser ses fers. Le fond représente le séjour de la Nature, et les quatre Éléments y sont indiqués par un volcan en éruption, un aigle planant dans l’air, une chute d’eau, et diverses productions de la terre. » Explication des ouvrages de peinture et dessins, sculpture, architecture et gravure, des artistes vivants, exposés au Muséum central des arts […], Paris, an 8 [1800], p. 8, no 42.
131 L’Abîme. Nantes dans la traite atlantique et l’esclavage colonial, 1707-1830, éd. par Krystel Gualdé, cat. exp. Nantes, château des ducs de Bretagne/musée d’Histoire de Nantes, 2021-2022, Nantes, Éditions du Château des ducs de Bretagne/Presses universitaires de Rennes, 2021, p. 211-213. Les chiffres reposent sur les travaux d’Érick Noël, dont « Noirs et gens de couleur dans les villes de l’ouest de la France au xviiie siècle », dans Villes atlantiques dans l’Europe occidentale du Moyen Âge au xxe siècle, éd. par Guy Saupin, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 217-226 ; et aussi « Être Noir à Nantes », Dix-huitième siècle, no 35, 2003, p. 341-358 (citation, p. 357).
132 Prosper Levot, Biographie bretonne […], Vannes, Cauderan, 1852-1857, t. 2, p. 447 (notice rédigée par P. Levot).
133 Madeleine Pinault-Sørensen, « Le regard de quelques membres de l’Académie de Rouen sur les Noirs au temps des Lumières », Revue du Philanthrope, 1, 2009, p. 86-87. Lafont, 2019 (note 15), p. 75-78.
134 Louis Réau, Houdon, sa vie et son œuvre, 2 vol., t. 2, Paris, F. de Nobele, 1964, p. 14-15, no 11. James Smalls, « Exquisite Empty Shells: Sculpted Slave Portraits and the French Ethnographic Turn », dans Slave Portraiture in the Atlantic World, éd. par Agnes Lugo-Ortiz et Angela Rosenthal, Cambridge (G.-B.), Cambridge University Press, 2013, p. 289-290. Adrienne L. Childs, « The Vanquished Unchained. Abolition and Emancipation in Sculpture of the Atlantic World », dans cat. exp. New York, 2022 (note 6), p. 28-30. Le groupe, signalé dans le livret du Salon de 1783, se composait d’une baigneuse assise dans la vasque de la fontaine, sculptée dans le marbre, tandis qu’une femme Noire lui versait de l’eau sur les épaules, exécutée en plomb. Après 1794, Houdon aurait repris en petit le buste de la statue de femme Noire, agrémenté d’un socle portant l’inscription éloquente : « RENDUE À LA LIBERTÉ / ET À L’ÉGALITÉ / PAR LA CONVENTION NATIONALE / LE 16 PLUVIÔSE / 2ME DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE / UNE ET INDIVISIBLE », dont on connaît un exemplaire en bronze (Paris, musée Nissim de Camondo) et un autre en terre cuite peinte (New York, Metropolitan Museum of Art). Reste à préciser leurs statuts respectifs, car la qualité de la gravure de l’inscription sur le premier en fait un objet de luxe, et celle, grossière, du second en fait un objet prétendument populaire.
135 Ce détail du plafond de Robin est signalé par Pinault-Sørensen, 2009 (note 133), p. 99.
136 Gabriel Vauthier, « Le peintre Robin (1734-1818) », Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1926, fascicule 1, p. 12, lettre du 17 septembre 1789 (sans indication de localisation).
137 David rajoute fréquemment des pièces à ses dessins ; voir les remarques probantes de Perrin Stein dans cat. exp. New York, 2022 (note 4), p. 28-30.
138 Explication des peintures, sculptures et gravures de Messieurs de l’Académie royale […], Paris, De l’imprimerie des Bâtiments du roi et de l’Académie royale de peinture, 1787, p. 42, no 116. Hans Villette rédigea en 2016 une notice très complète sur la version illustrée lorsqu’elle appartenait à la Galerie Talabardon & Gautier, à Paris. Christine Le Bozec, Lemonnier. Un peintre en révolution, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2000, p. 47-55 ; et Pinault-Sørensen, 2009 (note 133), p. 98-105.
139 Mercure de France, 25 juin 1791, p. 152 ; cité par Pinault-Sørensen, 2009 (note 133), p. 103.
140 Robert C. Smith, « A Philadelphia Allegory », The Art Bulletin, 31, no 4 (décembre 1949), p. 323-326 ; id., « Liberty Displaying the Arts and Sciences: A Philadelphia Allegory by Samuel Jennings », Winterthur Portfolio, 2 (1965), p. 84-105. Outre la version finale et une réplique réduite signalées par ce dernier, il existe une petite esquisse, acquise en 2016 par le Metropolitan Museum of Art de New York.
141 Cosneau, 1983 (note 2), p. 263 n. 33 ; Bordes, 1983 (note 2), p. 39, 103 n. 123.
142 Bordes, 1983 (note 2), p. 31-32.
143 Ibid., p. 55-67.
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