Chapitre III. Les dispositions à la représentation
p. 83-118
Texte intégral
1Analysant le cas des enjeux liés à la protection sociale, Daniel Gaxie souligne que c’est « parce que les problèmes sociaux sont expérimentés dans la vie pratique de tous les jours que certains agents y apparaissent spontanément si sensibles1 ». Le principe de transposition des expériences sociales s’applique-t-il dans le cas des stratégies de représentation parlementaires ? Pourquoi ces processus de socialisation ne concerneraient-ils pas les élus ? L’autonomisation et la spécialisation politique conduiraient-elles à faire des élus des êtres déracinés de toute appartenance sociale ? La réponse ne va pas de soi si l’on prend en considération le fait que les parlementaires sont des agents sociaux placés dans une situation qui les oblige à incarner différents « rôles » et à porter, officiellement, une attention à de très nombreux sujets. La question pourrait alors être appréhendée sous l’angle des ruptures biographiques, l’élection constituant un basculement pour ces agents qui changent parfois soudainement d’univers social pour se concentrer uniquement sur leur mandat. Olivier Fillieule a cependant proposé d’étudier l’engagement individuel de façon processuelle, en considérant que ces ruptures devaient être étudiées en lien avec d’autres expériences sociales en reconstruisant le « déroulement et l’intrication de plusieurs niveaux d’expérience vécus dans plusieurs sous-mondes sociaux2 ». Dans cette optique, le basculement opéré en vivant de et pour la politique constitue plus une étape importante dans la trajectoire biographique qu’une césure avec les expériences passées.
Les effets pluriels des propriétés sociales sur le travail de représentation
2La question de la représentativité des mandataires est une question classique en science politique et a fait l’objet d’une multitude de travaux, dans des perspectives souvent complémentaires. En effet, qu’elles se focalisent sur le croisement de facteurs sociaux tels que l’âge, le genre, les études ou encore la trajectoire professionnelle, dans une perspective française3, allemande4 ou anglo-saxonne5, les études sur les origines sociales des parlementaires semblent toutes converger vers une même conclusion : l’existence d’une réelle « représentation miroir » entre représentants et représentés n’existe pas au sein des démocraties occidentales. En 1973, dans leur ouvrage précurseur sur le député français, Roland Cayrol, Jean-Luc Parodi et Colette Ysmal soulignaient déjà que « 79 % des membres de l’Assemblée nationale [pouvaient être classés] dans les catégories aisées de la population6 ». Les auteurs rajoutaient que, « même si l’on ajoute les artisans, les instituteurs et les cadres moyens, il apparaît que 13 % seulement des députés sont d’origine modeste ». Trente années plus tard, en prenant en compte la baisse du nombre de députés communistes dont les membres étaient parfois issus de la classe ouvrière, les parlementaires français restent très majoritairement issus de ces mêmes catégories aisées puisque, comme le soulignent Olivier Costa et Éric Kerrouche, la XIIe législature de l’Assemblée nationale (2002-2007) ne comptait que 2,4 % d’employés et 0,9 % d’ouvrier7. Qu’en est-il en Allemagne ? La situation y est similaire puisque la XVIIIe législature (2013-2017) ne compte plus que deux ouvriers : un mineur et un fondeur8. Ces statistiques disent évidemment quelque chose du métier politique. Elles ne disent cependant rien des phénomènes d’identification sociale que peuvent développer les élus et de leurs dispositions à la représentation, à moins de supposer qu’une forme d’automaticité s’opère entre appartenance de classe et pratiques de représentation, ce qui n’est pas à exclure. L’attention doit selon nous plus se porter sur les processus de socialisation politique qui permettent de mieux appréhender la genèse de ces pratiques. Loin de s’apparenter à une forme automatique de transposition politique des expériences sociales, notre attention doit se concentrer sur les phénomènes complexes d’assimilations de visions du monde, d’adaptations, de résistances ou de conversions qui viennent rendre plus complexe l’étude des dispositions à la représentation.
3Pour Anne Muxel, « la socialisation politique recouvre l’ensemble des processus d’acquisition et de formation des différents attributs de l’identité politique, et plus largement de la citoyenneté. S’y engendrent et s’y articulent les attitudes, les représentations et les comportements qui forment, dans la chaîne des générations, les systèmes culturels et idéologiques auxquels se rattachent les individus et, par-delà, les groupes sociaux9 ». Ces processus font intervenir de nombreux agents, à différents moments de la vie des individus. Comme le soulignent Jean-Claude Passeron et François de Singly, la classe sociale « constitue un cadre de socialisation particulièrement différenciateur10 », susceptible d’expliquer les comportements sociaux et/ou politiques. L’analyse des archives parlementaires, des entretiens et des biographies d’élus montre assez clairement que la classe sociale dans laquelle naît l’élu peut avoir une influence à plus long terme, y compris sur les pratiques de représentation, sans que l’on puisse établir, au premier coup d’œil, ce qui relève d’une forme de continuité des processus de socialisation ou à l’inverse de réagencements, d’évolutions et de bifurcations sociales.
Des sentiments d’identification sociale renforcés par les socialisations primaires
4L’analyse des processus de socialisation doit prendre en compte le temps long des trajectoires individuelles en accordant une attention particulière à la découverte du monde social « au cours de l’enfance, principalement à travers la famille mais aussi dans le système scolaire ou le groupe des pairs11 », c’est-à-dire durant la socialisation primaire, y compris par le biais de la socialisation religieuse, puisque cette dimension émerge parfois durant les débats en Allemagne.
Des visions du monde structurées par les origines familiales
5Les prises de position des parlementaires français et allemands en matière d’ISF, ainsi que leur propension à se saisir des intérêts de certains groupes sociaux (en particulier des entrepreneurs), peuvent être liées à leurs trajectoires familiales, académiques et professionnelles. Bernard Lahire souligne que « la famille, par l’intermédiaire de laquelle chaque individu apprend à découvrir le monde social et à y trouver sa place, est l’espace premier (primitif) qui tend à fixer objectivement – sans le savoir ni le vouloir – les limites du possible et du désirable12 ». L’auteur rajoute que « les possibilités objectives, statistiquement mesurables par les chercheurs, se manifestent dans la vie quotidienne de multiples façons et engendrent chez les acteurs des intuitions pratiques sur ce qu’il leur semble normal ou anormal, possible ou impossible, raisonnable ou irraisonné de faire, de viser ou d’espérer13 ». Les différences entre les discours des députés PS et ceux du SPD sur les questions liées à l’ISF, ainsi que la tendance des élus SPD à parler plus fréquemment au nom des chefs d’entreprise, nous semblent directement influencées par le rapport plus intense qu’entretiennent les députés allemands avec le secteur privé et pour certains avec le monde de l’entreprise.
6Ce rapport aux affaires économiques se structure très tôt, au sein de la famille. Contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier abord, les députés de droite (CDU/CSU et FDP) ne sont pas les seuls à avoir grandi au sein de familles issues de milieux entrepreneuriaux. Au sein du SPD, des Grünen, et même de Die Linke, les élus ayant été élevés dans des familles où la mère était femme au foyer et le père dirigeant d’une petite entreprise ne sont pas rares. C’est par exemple le cas de cette élue Die Grünen14, dont la famille possède une entreprise de taille moyenne de machines agricoles. Ses frères ont repris la gestion de l’entreprise tandis qu’elle s’engageait en politique, entre autres, selon un de ses collaborateurs, parce qu’en tant que femme elle se heurtait à une forme de défiance dans ce milieu très masculin. Comme nous l’explique encore son collaborateur, « quand elle rencontre ses frères, ce qui arrive plusieurs fois par an, elle leur rend compte de ce qu’elle fait ». Plus étonnant encore, lors de l’élaboration de la taxe sur la fortune, cette élue « a demandé les comptes de l’entreprise de ses frères, quelle était la structure de la société, ce qui relève normalement du secret professionnel, ce n’est pas particulièrement transparent, […] et elle nous a demandé de regarder ce que cette taxe impliquerait concrètement si notre dispositif était appliqué à cette entreprise, qui doit payer combien, est-ce qu’on est seulement redevable, et ça, c’est intéressant de dépasser la théorie pour voir concrètement… ». Le dispositif mis en place en 2012 par le Bundestag puis repris en 2013 dans le programme du parti lors des élections législatives fédérales prévoyait alors une exonération de 5 millions d’euros pour les biens professionnels.
7Même à l’extrême gauche, cette socialisation primaire aux mondes de l’entreprise existe, par exemple dans le cas d’Axel Troost (Die Linke, président du groupe au sein de la commission des finances), qui déclare en entretien « qu’on ne peut pas dire que [le parti] ne connaît pas les questions de l’entreprise ». L’élu souligne immédiatement que la réintroduction de l’ISF – qu’il soutient – pose des problèmes en matière d’imposition du capital des entreprises et juge la proposition de Die Linke d’un impôt avec un taux de 5 % pour les patrimoines supérieurs à 1 million d’euros « complètement folle, beaucoup trop haute, certainement non conforme à la Constitution, […] irréaliste ». Lui-même milite dans son parti pour un taux de 1 % et s’est battu pour la mise en place d’une exonération à hauteur de 5 millions pour les biens professionnels. En entretien, ses propos font régulièrement référence au « Mittelstand » et à la nécessité de prendre en compte ce groupe si un ISF devait être créé. Troost a grandi dans une famille où le père dirigeait une société d’importation et de vente de tapis. Son père l’a fait travailler très jeune en magasin puis l’a poussé à reprendre le commerce lorsqu’il est parti à la retraite, ce qu’Axel Troost a refusé pour se consacrer à son activité politique. Il nous livre en entretien :
« Mon père avait un magasin de tapis dont ma mère avait hérité. Il en a fait quelque chose de très gros dans les années 1960-1970, de sorte qu’il gagnait beaucoup d’argent. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai pu aller en internat… Ma mère est décédée alors que je n’avais que 13 ans. Elle était femme au foyer, c’était vraiment le modèle traditionnel ouest-allemand.
– Et vous ne vouliez pas reprendre le commerce de votre père ?
– Mon père le voulait ! Il voulait absolument que je prenne la suite. Mais à 14 ans déjà je lui ai dit que je ne vendrais pas de tapis pour vivre. (Rires.) Cela l’a vraiment touché, il a mis des années pour s’en remettre. […] Ça a été pour lui une grande déception – déjà que son fils soit de gauche – et que je ne reprenne pas la suite. Bon maintenant il est fier que je sois député…
– Il est de gauche, de Die Linke ?
– Oh non ! non, non, non, non. Il est, il vote CDU, comme beaucoup de commerçants… […] Mais mon père travaillait énormément, c’était un Workaholic [bourreau de travail] : on doit travailler le week-end, on ramène du travail à la maison et il nous faisait travailler à emballer, tirer des cartons, signer des cartes, cela m’a vite montré que je ne voulais pas faire ça.
– Mais vous aussi vous êtes un Workaholic, non ?
– Je suis complètement un Workaholic. Je suis complètement un Workaholic et je suis aussi… disons… un vendeur et un organisateur. J’ai créé trois fondations, j’ai tout organisé. […] Je suis un faiseur, je n’aime pas quand ça parle trop. Quand quelque chose m’intéresse, je fais les choses directement et ça, cela vient de… c’est lié à cette socialisation et à mon père15. »
8La référence à l’esprit commerçant et dirigeant semble indiquer une influence, durant sa socialisation primaire, des modes de pensée liés à l’entreprise que son père lui a transmis. Le fait de se considérer comme un vendeur et un organisateur n’est pas anodin, surtout au sein d’un parti d’extrême gauche. La socialisation familiale d’Axel Troost contribue à l’adoption d’une position modérée, contre l’aile radicale de son parti en matière de fiscalité du patrimoine. Ces références à l’entreprise sont également soulignées en entretien par les élus SPD et Die Grünen et, bien sûr, de façon plus marquée encore, au sein du FDP et de la CDU. Daniel Volk (FDP, avocat, vice-président du groupe au sein de la commission des finances) explique ainsi : « Mon père était cadre commercial indépendant et ma mère employée… Ils m’ont appris à résoudre les problèmes par moi-même avant d’aller demander de l’aide à d’autres, à eux-mêmes, à l’État, ça c’était une influence très forte. » De nombreux parlementaires allemands de la commission des finances, environ un tiers selon nos calculs, ont donc grandi dans des environnements familiaux où le commerce, l’entrepreneuriat et l’esprit d’entreprise étaient particulièrement présents. On constate que le travail de représentation repose en partie sur des processus sociaux qui conduisent les parlementaires à se positionner dans l’espace des luttes autour des enjeux fiscaux et à s’identifier plus ou moins intensément à des groupes sociaux, entre autres sur la base de leur socialisation familiale.
9Ce mécanisme n’est pas propre au cas allemand. La socialisation professionnelle familiale, souvent du père vers le fils ou la fille (surtout chez les élus de droite) est un phénomène général16. La filiation professionnelle est transmise au sein d’univers sociaux très différents, que l’on pense au cas extrême d’Olivier Dassault (UMP, chef d’entreprise), fils et petit-fils d’entrepreneurs fondateurs du groupe Dassault, ou à Valérie Rabault (PS, rapporteure de la commission des finances), titulaire d’un diplôme d’ingénieure de l’École nationale des ponts et chaussées, et dont le père est lui-même ingénieur et la mère fonctionnaire. Cette filiation est également valorisée par les élus afin d’insister sur leur ancrage social, comme le fait Michel Vergnier (PS, instituteur puis directeur d’école) sur son site en écrivant :
« J’ai grandi dans un petit village de la commune d’Augères auprès d’un père maréchal-ferrant, d’une mère au foyer et de grands-parents ouvriers agricoles. Quelques années plus tard, mon père a rejoint par obligation économique l’entreprise Michelin à Clermont-Ferrand. Il a travaillé en trois-huit le reste de sa vie. C’est donc dans ce contexte familial que je me suis forgé jour après jour des convictions de gauche. J’ai côtoyé ce monde ouvrier à la fois exigeant pour ses conditions de travail, et respectueux de l’entreprise17. »
La dernière phrase est intéressante en ce qu’elle tente de faire le lien entre deux groupes sociaux souvent opposés, conduisant à des prises de parole à destination de groupes dominés, contre les catégories supérieures, et jamais contre les mondes de l’entreprise.
10Lorsque la filiation n’est pas strictement professionnelle, elle peut être directement liée à la classe sociale des parents et disposer certains élus à accorder une attention particulière aux groupes dont ils sont eux-mêmes issus. C’est par exemple le cas de Pierre-Alain Muet et de Dominique Baert, tous deux membres du PS, dont les parents étaient agent de commerce et brodeuse18 pour le premier, et agent des PTT et confectionneuse textile pour le second19. Ces deux élus, surtout Pierre-Alain Muet qui prend très régulièrement position au Parlement, font de nombreuses références aux catégories populaires. De la même manière, on ne sera pas étonné de constater que parmi les députés socialistes les plus actifs pour défendre les mondes de l’entreprise, certains sont les fils et les filles d’agents ayant évolué au sein de ce champ. Le père de Jean-Louis Gagnaire (PS, dirigeant d’une PME) a par exemple été dirigeant d’une PME familiale de matériel agricole, tandis que celui de Christophe Caresche (PS, permanent politique et avocat) était directeur commercial. L’extrait d’entretien suivant illustre toute la complexité de ces processus de socialisation, qui, dans le cas de ce dernier, est marquée par un environnement mêlant à la fois service public et privé :
« En regardant votre profil, je voyais que votre père était directeur commercial.
– Ma mère était quand même fonctionnaire, elle était à l’université. Donc plutôt fonctionnaire, mais ses parents ne l’étaient pas. Et mon père n’était pas fonctionnaire, il y a peut-être de ça, ce n’est pas faux, ça peut jouer. Mais je ne connais pas bien l’entreprise, j’ai toujours été… j’ai quand même une carrière politique. Je suis plutôt un apparatchik, si on veut faire du Gaxie20 ou du Bourdieu, je suis assez représentatif de ça. »
11L’élu semble vouloir contrer l’idée d’un éventuel déterminisme familial, tout en reconnaissant que cette dimension « peut jouer ». Plus simplement, son constat honnête d’une méconnaissance des mondes de l’entreprise (contrairement à d’autres élus, il n’exagère pas la connaissance de ces milieux), couplé à une double filiation mêlant appartenance au service public par sa mère et au secteur privé par son père peut, en partie, expliquer son engagement au service des entreprises au sein d’un parti de gauche.
12Enfin, les origines sociales et familiales ne jouent pas qu’un rôle en matière de dispositions à défendre un groupe social spécifique. Elles sont aussi évoquées, principalement en séance, par les élus pour légitimer leur volonté de défendre certains groupes ou au contraire pour attaquer les députés qui renieraient leurs origines sociales. Ainsi, pour critiquer la position de Jean-Michel Fourgous (UMP, chef d’entreprise) sur l’ISF, Jean-Pierre Brard (GDR, instituteur, secrétaire de la commission des finances) déclare : « Ce qui me choque le plus, c’est qu’il renie ses origines, lui qui est né dans le quartier Bel Air à Montreuil. Décidément ce sont ceux qui renient leurs origines qui deviennent les pires21 ! » La déclaration montre que certains députés accordent une importance particulière aux origines sociales de leurs collègues, car elles sont supposées dire quelque chose de ce qu’ils sont et/ou de ce qu’ils sont devenus.
Des visions du monde social conditionnées par les carrières des députés
13Une hypothèse de cette recherche est que les carrières professionnelles conditionnent en partie les modalités des processus de représentation et/ou de prise de position. Cette idée ne va pas de soi. De nombreux travaux ont étudié l’origine professionnelle des parlementaires en soulignant à juste titre que certaines professions constituaient des filières de recrutement au métier politique, y compris celles liées aux mondes de l’entreprise22. Ce n’est pas exactement la question qui nous intéresse ici. Celle qui nous semble fondamentale est la suivante : que reste-t-il de cette (ou de ces) expérience(s) professionnelle(s) dans l’appréhension des enjeux fiscaux chez les élus ? Comme le souligne Axel Troost (Die Linke, directeur de fondation politique, président du groupe au sein de la commission des finances) en entretien, « on ressent quand même qui a un héritage plus social et qui a un héritage plutôt entrepreneurial […] principalement à la CDU et au FDP ». C’est cette question des effets de l’héritage professionnel qui doit être étudiée en détail.
14Olivier Costa et Anne-Sophie Behm soulignent « qu’une partie des députés [français] a, en fait, toujours vécu de la politique » et « déclarent […] une profession avec laquelle ils n’ont plus réellement de lien », les élus ayant commencé à vivre de la politique assez tôt. Les chercheurs préfèrent alors parler « d’origines professionnelles »23. Ce constat nous semble pertinent mais doit être complété et mis en perspective, le cas allemand différant sur ce point. D’un côté, la part d’élus n’ayant qu’une expérience professionnelle limitée – et souvent éloignée, par exemple, de l’entreprise – constitue effectivement un contingent important des membres des commissions des finances, en particulier en France. Ce contingent est difficile à établir puisque la majorité des députés cherche à mettre en avant une carrière professionnelle de très courte durée. Les statistiques de l’Assemblée nationale ou du Bundestag ne sont ici d’aucune aide. Un député se présentant sur le site de l’Assemblée nationale comme ingénieur mais n’ayant pratiquement pas exercé ce métier du fait d’une carrière politique débutée jeune peut-il réellement être considéré comme tel ? Plutôt que de trancher arbitrairement, nous avons choisi de reprendre la qualification que choisissent les élus pour eux-mêmes. Peu importe si ces carrières ne correspondent qu’à des expériences de très courtes durées – les entretiens permettent de le révéler –, ce qui compte le plus à notre sens est que ces députés cherchent à se présenter sous une identité professionnelle précise, une stratégie dont il convient d’étudier les ressorts et les effets. Par ailleurs, le fait que les députés « surmobilisent » ces (courtes) expériences afin de légitimer leur capacité à agir au nom de certains groupes au Parlement constitue selon nous un enjeu théorique et sociologique fondamental. Les députés mettent ainsi en avant une forme de capital professionnel de substitution ayant vocation à entretenir auprès de leurs différents interlocuteurs l’illusion d’une carrière professionnelle riche en enseignements, caution de leur légitimité à prendre position sur les enjeux débattus.
15La sociologie des groupes professionnels fournit un cadre d’analyse pertinent dans le cadre des processus d’assimilation d’un habitus professionnel chez les élus. Claude Dubar souligne que, pour les tenants d’une approche interactionniste, l’appartenance à un groupe professionnel « s’accompagne nécessairement d’un développement d’une “philosophie”, d’une “vision du monde” incluant les pensées, valeurs et significations impliquées par leur travail24 ». Sur la base de ce postulat, nous soulignons que les carrières professionnelles peuvent avoir pour effet de renforcer la légitimité à parler au nom de groupes spécifiques, surtout lorsque les élus continuent, en parallèle de leur carrière politique, à exercer leur profession.
Les filières professionnelles de la représentation
16Conséquence logique de la plus grande homogénéité des parcours scolaires des parlementaires allemands au regard du cas français, les trajectoires professionnelles sont moins variées au Bundestag (figure 13). Ces statistiques doivent être appréhendées avec prudence, puisque, comme nous le verrons, les carrières professionnelles des élus s’apparentent souvent à des coquilles vides, ce qui n’empêche pas les élus de les « surmobiliser » dans le cadre de leur travail d’élu.
17La comparaison des deux cas montre que l’équilibre entre les différentes catégories professionnelles est davantage respecté en Allemagne, que les catégories supérieures (avocats, chefs d’entreprise) y sont plus présentes qu’en France et que les classes populaires ne comptent pas un seul membre dans les deux pays. Les catégories « ouvriers » et « employés » ne sont pas davantage représentées, et celle des professions intermédiaires compte seulement deux représentants en France et un en Allemagne (figures 12 et 13). En adoptant une approche « classiste », voire descriptive, de la représentation, une hypothèse logique voudrait que les groupes professionnels soient défendus de façon équilibrée en Allemagne et s’opère principalement en faveur des fonctionnaires en France, ou que les entreprises soient peu citées puisque les membres de ce groupe ne représentent que 10 % des élus de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Nous avons pourtant vu qu’il n’en était rien. En France, deux des députés les plus actifs en matière de défense des entreprises sont Charles de Courson (UDI) et Gilles Carrez (UMP), tous deux hauts fonctionnaires sans la moindre expérience dans ce secteur, le premier étant magistrat à la Cour des comptes, le second administrateur civil. Les causes de leur ralliement à ce groupe sont donc à chercher ailleurs, ce qui ne signifie évidemment pas que tous les élus échappent à ces processus de socialisation professionnelle. Parmi le groupe des juristes, nombreux sont ceux qui travaillent en qualité de conseillers fiscaux auprès d’entreprises. De la même manière, les cadres supérieurs ont pu occuper des fonctions de gestion (en ressources humaines ou en finances) au sein d’entreprises. S’ils n’ont pas géré de sociétés, leur socialisation professionnelle est marquée par des considérations entrepreneuriales transposées au Parlement, permettant de renforcer leur légitimité à agir pour ce groupe.
Figure 12 – Origine professionnelle des députés français de la commission des finances, tous partis confondus (AN, XIIIe-XIVe législatures, n = 128)

Figure 13 – Origine professionnelle des députés allemands de la commission des finances, tous partis confondus (DB, XVIIe-XVIIIe législatures, n = 56)

La carrière comme mode de légitimation de la représentativité de l’élu
18Le Parlement est un lieu de paradoxe. Pour un certain nombre d’élus, la carrière professionnelle n’est qu’un lointain souvenir ou n’a même jamais eu lieu. Ces députés sont pourtant contraints de faire vivre l’illusion d’une trajectoire biographique ancrée dans le monde professionnel, sous peine d’être attaqués en procès d’illégitimité quant à leur capacité à prendre position au nom des groupes sociaux sur les enjeux relevant de l’ISF. Ces procès conduisent à des échanges tendus, où la question de la légitimité sociale, professionnelle, politique est souvent évoquée, comme dans le cas suivant, où Aurélie Filippetti (PS, professeure de lettres) répond à Jean-Michel Fourgous (UMP, chef d’entreprise) qui critiquait les prises de position de la gauche en matière de fiscalité du patrimoine :
« Aurélie Filippetti : L’intervention de M. Fourgous est tellement caricaturale et hors de propos que je n’ai même pas envie de lui répondre. Manifestement, il ne supporte pas que des députés, aussi bien élus et aussi légitimes que lui, siègent à la gauche de cet hémicycle.
Jean-Michel Fourgous : Quelle légitimité avez-vous ? Vous n’avez aucune compétence économique ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Julien Dray (PS) : Et vous, quelle légitimité avez-vous ? Celle de licencié ? […] »
[AN, XIIIe législature, 3e séance du vendredi 10 juin 2011 à 21 h 30.]
19Par ces quelques mots, les trajectoires biographiques font irruption au Parlement, le député UMP faisant implicitement un lien entre la supposée déconnexion des élites socialistes des mondes de l’entreprise (que lui est censé connaître du fait de son expérience professionnelle, à l’inverse de son opposante qui est fonctionnaire), tandis que Julien Dray le renvoie à une trajectoire scolaire supposée délégitimer la pertinence de ses propos. Il nous faut donc accorder une importance particulière à ces trajectoires professionnelles, réelles ou artificiellement gonflées, car elles peuvent orienter les prises de position des élus, mais également avoir des effets politiques sur les débats, en servant en particulier à les (dé)légitimer, comme lorsque la députée Lisa Paus (Die Grünen, collaboratrice d’élu) attaque la motion de Die Linke sous l’angle des compétences de ses membres :
« Le groupe Die Linke a un économiste en chef, M. Schlecht. Le groupe Die Linke compte dans ses rangs un professeur émérite en sciences économiques, M. Schui. Le groupe Die Linke compte un docteur en économie qui siège à vos côtés, M. Axel Troost. Cette concentration de compétences en arrive au résultat qu’un impôt sur la fortune à hauteur de 5 % rapporterait 80 milliards de recettes. Quand on raconte de telles bêtises – cela me fait de la peine de le dire – les limites du débat sont atteintes. »
[DB, XVIIe législature, 65e séance, Berlin, jeudi 7 octobre 2010.]
20Ces expériences peuvent en effet donner aux élus un savoir-faire pratique mobilisé principalement pour juger les conséquences et la portée des politiques fiscales élaborées en commission. Hans Michelbach (CDU, chef d’entreprise) nous expliquait ainsi en entretien que lorsqu’il travaillait sur la fiscalité des entreprises il savait « concrètement comment le texte voté [allait] toucher [sa] propre entreprise ». C’est particulièrement le cas des députés allemands qui ont parfois continué à exercer leur emploi jusqu’à leur entrée au Bundestag, et qui entretiennent des rapports continus avec leur milieu professionnel d’origine par le biais d’appartenances à des syndicats ou à des organisations intrapartisanes professionnelles25. La situation est différente en France, bien que l’entrée au Parlement de jeunes députés ayant une réelle expérience de l’entreprise, comme Karine Berger ou Valérie Rabault, toutes deux membres du PS, change quelque peu la donne. La première a été économiste à l’INSEE avant d’être directrice des études de la société Euler Hermes puis directrice du pilotage et de la prospective au sein du groupe Canal+. La seconde, qui deviendra rapporteure de la commission des finances de l’Assemblée nationale, est une ancienne inspectrice de la Société générale, devenue par la suite responsable de la surveillance des risques chez BNP Paribas.
21Les élus mettent souvent en avant leur légitimité professionnelle à parler au nom de leurs clientèles politiques lorsqu’ils prennent position sur l’ISF. Jean-Michel Fourgous (UMP, chef d’entreprise) ponctue régulièrement ses argumentaires contre l’ISF par : « étant issu du secteur privé ». De la même manière, à gauche, Olivier Faure (PS, cadre dirigeant de PME) contrecarre les critiques sur l’absence de légitimité des élus socialistes à parler au nom des entreprises en rappelant en séance qu’il a lui-même dirigé une entreprise. Plus généralement, les députés évoquent spontanément en entretien l’expérience professionnelle comme une ressource politique mobilisable dans le cadre des débats liés à l’ISF. Philippe Marini (UMP, haut fonctionnaire), ancien président et rapporteur de la commission des finances au Sénat, insiste sur l’importation des savoir-faire professionnels dans le travail politique, importations qui tendent selon lui à se raréfier, par exemple dans le cadre de la commission des lois (on peut cependant penser que la critique du sénateur vise implicitement sa propre commission) :
« Je pense que le personnel politique est en train de s’appauvrir, et que nous avons de plus en plus de gens du système politique [comme] l’assistant parlementaire qui va devenir parlementaire, qui y parvient, et que ceci appauvrit le Parlement, oui. Très, très sincèrement. Très sincèrement. Et j’applique notamment ça à la commission des lois. J’en parlais ce matin avec quelqu’un qui a une belle expérience d’avocat, qui a été député et qui va devenir sénateur, probablement au mois de septembre, qui est Jérôme Bignon [ancien député UMP], et nous parlions de la commission des lois d’autrefois. Et quand je suis entré au Sénat, et d’ailleurs dans les périodes précédentes c’était probablement encore plus riche, la commission des lois était très très professionnelle sur les questions de droit des entreprises, de droit commercial, de droit des procédures collectives et il y avait beaucoup de praticiens. Aujourd’hui il y en a encore quelques-uns mais en proportion beaucoup moins. Beaucoup moins. Alors certes, il est important qu’il n’y ait pas de conflits d’intérêts, ça c’est important, mais il y a une technicité qui ne peut naître que de la pratique des choses et encore une fois il est important que le Parlement comporte cette diversité. […] en France on est très pudique sur ces sujets, c’est même heu… parfois mal vu, ça laisse entendre qu’il peut rester des adhérences… et des questions d’intérêts privés susceptibles de se mêler à l’intérêt public… bon. Je pense qu’on a une vision, vraiment, à la fois hypocrite et naïve de ces sujets. »
22Cette déclaration est révélatrice d’au moins trois enjeux théoriques. D’une part, elle fait le lien, de façon euphémisée, entre intérêts professionnels et intérêts défendus dans le cadre du mandat, ce qui semble effectivement se produire dans le cas des députés chefs d’entreprise. Ensuite, elle s’inscrit dans le prolongement d’une vision descriptive de la représentation, appréhendée principalement sous l’angle de techniciens appartenant de fait aux catégories supérieures. Enfin, elle souligne que la carrière professionnelle reste un prérequis aux yeux de l’élu qui renforce la légitimité même de l’institution.
23L’impératif professionnel s’observe également lorsque les élus ne pouvant pas mettre en avant une appartenance à un groupe professionnel valorisé au sein de la commission des finances cherchent par de nombreux moyens à présenter leur trajectoire biographique en proximité avec ces groupes. C’est ce que fait ce député (UMP) expliquant en entretien qu’il connaît bien les mondes de l’entreprise car il s’est « marié avec la fille d’un industriel prospère », « un type étonnant » qui lui « a donné sa fille », qui l’a accueilli « comme un vrai fils ». La déclaration illustre le fait que la socialisation professionnelle ne s’opère pas seulement par la pratique d’un emploi valorisé au Parlement, mais qu’elle se renforce parfois dans l’entourage familial de l’élu, lui fournissant une légitimité et un capital professionnel de substitution. C’est également le cas au PS où les chefs d’entreprise sont peu nombreux en commission des finances. Comme l’explique Dominique Lefebvre (PS, assistant social puis magistrat à la Cour des comptes, président du groupe au sein de la commission des finances) en entretien : « Est-ce qu’il suffit d’être chef d’entreprise de base pour avoir une culture éco ? Je ne suis pas certain. » De nombreux élus, y compris à droite, semblent se poser cette question rhétorique. Contrairement à d’autres élus ou collaborateurs d’élu qui vont chercher à mettre en avant les quelques entrepreneurs socialistes pour prouver que le parti est proche de ce groupe, Dominique Lefebvre souligne encore que « ceux qui aujourd’hui sont les plus proentreprises sont des gens qui n’ont pas forcément de culture d’entreprise, des gens comme Caresche26 [qui étaient] aux affaires européennes, Gagnaire27, vice-président du développement économique28, mais c’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de chefs d’entreprise à la commission des finances ». La déclaration est intéressante car elle montre qu’un capital de substitution permet de se rapprocher des mondes de l’entreprise sans y avoir appartenu. Comme le soulignent Olivier Costa et Anne-Sophie Behm, « on peut contester l’idée selon laquelle seuls les députés qui ont eux-mêmes une expérience de l’entreprise seraient capables d’en défendre les intérêts. Autrement dit : connaître le monde de l’entreprise et ses besoins ne suffit pas pour agir efficacement en sa faveur et n’avoir jamais évolué dans le monde de l’entreprise ne s’oppose pas en soi à la défense de ses intérêts29 ». On remarquera simplement que l’expérience en entreprise renforce la légitimité et le sentiment d’auto-habilitation à pouvoir agir pour ce groupe, tandis que ceux qui en sont socialement éloignés parviennent à contourner ce stigmate s’ils s’engagent dans un processus de reconversion sociale et politique afin de renforcer leur légitimité à agir pour ce groupe. Ainsi, les entreprises parviennent à la fois à être représentées par des élus issus du champ économique et par des agents extérieurs à ce champ, mais qui entendent en devenir les porte-parole en survalorisant certains attributs jugés proches du groupe en question.
Des appartenances professionnelles prolongées au sein du champ politique en Allemagne
24La comparaison des deux contextes nationaux fait apparaître une tendance générale similaire en matière d’importation de la culture professionnelle antérieure (lorsque celle-ci existe), mais également une différence majeure liée aux spécificités de la structuration du champ politique en France. Pour plusieurs raisons, les carrières politiques françaises et allemandes ne s’organisent pas de la même manière. Un point en particulier permet de mieux comprendre pourquoi de nombreux élus français disposent d’une carrière professionnelle plus courte que leurs homologues allemands : le cumul des mandats. Le cumul est chronophage30. Il conduit à un abandon forcé des élus de leur carrière professionnelle pour se focaliser uniquement sur leur carrière politique. Cela conduit à deux situations très différentes en matière de prolongement entre la carrière professionnelle antérieure et la carrière politique en Allemagne et en France.
La poursuite des activités professionnelles en Allemagne
25L’analyse des déclarations d’intérêt des parlementaires allemands est riche en enseignements. Elle confirme d’abord que le prolongement de la carrière professionnelle durant le mandat parlementaire est plus fréquent à droite qu’à gauche et que la proximité avec les mondes de l’entreprise se poursuit après l’élection pour une partie des députés. Nous nous focalisons ici sur l’ensemble des députés ayant siégé au sein de la commission des finances durant les XVIIe et XVIIIe législatures31.
26Schématiquement, trois profils de députés sont observables, indépendamment des appartenances partisanes : ceux qui continuent à exercer leur métier, ceux qui s’affilient toujours à leur métier d’origine mais ne gagnent plus d’argent par ce moyen et ceux qui ne font plus aucune mention à leur métier d’origine (tableau 6).
Tableau 6 – Poursuite d’une activité professionnelle en parallèle du mandat, par parti (DB, commission des finances, XVII-XVIIIe législatures, n = 53)
Député exerçant toujours un métier avec rémunération | Député toujours affilié à un métier, sans rémunération | Député ne déclarant plus de métier | |
CDU/CSU | 8 sur 22 (36,5 %) | 6 sur 22 (27 %) | 8 sur 22 (36,5 %) |
SPD | 2 sur 16 (12,5 %) | 3 sur 16 (18,8 %) | 11 sur 16 (68,7 %) |
FDP | 1 sur 6 | 3 sur 6 | 2 sur 6 |
Die Linke | 1 sur 5 | 1 sur 5 | 3 sur 5 |
Die Grünen | 1 sur 4 | 0 sur 4 | 3 sur 4 |
27Le tableau montre que plus d’un tiers des élus allemands CDU/CSU continue à exercer son métier d’origine tout en siégeant au Parlement. Ce sont principalement des avocats, des dirigeants d’entreprise, des exploitants agricoles et des conseillers fiscaux. Ces rémunérations peuvent atteindre de très fortes sommes. La proportion de députés-travailleurs chute drastiquement chez tous les partis de gauche, dont la grande majorité des élus se focalise uniquement sur leur mandat.
28Un autre indicateur permet de mesurer la proximité professionnelle entre élus et entreprises : les fonctions exercées dans des sociétés. Ces fonctions sont essentiellement de deux natures : soit membre (ou président) d’un conseil de surveillance, soit membre (ou président) d’un conseil consultatif. Dans le groupe CDU/CSU, ce sont treize élus, soit 60 %, qui occupent une de ces fonctions. Trois d’entre eux cumulent ces postes qui sont en général non rémunérés mais qui garantissent des rétributions symboliques : Fritz Güntzler et Olav Gutting sont membres de conseils au sein de trois entreprises chacun, tandis que Matthias Hauer siège au sein de différents conseils de cinq sociétés. L’un d’entre eux, Norbert Schindler, a gagné entre 22 000 et 45 000 euros de jetons de participation à ces conseils en 201532. Cette pratique est ici aussi beaucoup plus rare à gauche, où les quelques élus exerçant une fonction dans une entreprise le font généralement dans des sociétés travaillant dans l’économie solidaire (5 sur 16 au SPD [31 %], 1 sur 5 chez Die Linke et 1 sur 4 chez Die Grünen). Clairement, ce prolongement de la carrière professionnelle et/ou la proximité sociale avec certains groupes favorise les dispositions à la représentation des groupes sociaux (et des entreprises en particulier) à droite et les prises de position sur l’ISF.
L’arrêt des activités professionnelles en France
29En comparaison du cas allemand, la situation varie assez clairement en France. Là où un nombre important d’élus allemands, surtout de droite, continue à exercer une profession durant le mandat, ce n’est que très rarement le cas en France, y compris pour les élus de droite. Cette analyse se fonde sur une étude des quatre-vingt-quatre déclarations d’intérêt remplies par les députés de la commission des finances de la XIVe législature. Cinq indicateurs nous semblent particulièrement utiles pour comprendre l’articulation entre carrière professionnelle et politique :
- L’exercice d’un emploi rémunéré au moment de l’élection ;
- L’exercice ou non d’un emploi rémunéré durant les cinq années précédant la déclaration d’intérêt ;
- La participation aux instances dirigeantes d’une société privée ;
- La poursuite d’activités rémunérées durant le mandat ;
- La participation au capital d’une société.
30Le croisement de ces différents indicateurs permet de mieux saisir le degré de proximité et d’articulation entre métier politique, appartenance à un groupe professionnel et éventuelle représentation de ces groupes (tableau 7).
Tableau 7 – Situation professionnelle avant et pendant le mandat, par parti (AN, commission des finances, XIVe législature, n = 73)
Exercice d’un métier au moment de la dernière élection | Exercice d’un métier durant les cinq années précédentes | Poursuite d’une activité rémunérée | Participation aux instances dirigeantes d’une société | Participation au capital d’une société | |
PS | 14 sur 42 (33 %) | 15 sur 42 (36 %) | 1 (très partiel) sur 42 (2 %) | 3 sur 42 (7 %) | 10 sur 42 (24 %) |
UMP | 5 sur 23 (22 %) | 5 sur 23 (22 %) | 5 sur 23 (22 %) | 2 sur 23 (8,5 %) | 7 sur 23 (30 %) |
UDI | 1 sur 4 | 2 sur 4 | 1 sur 4 | 1 sur 4 | 4 sur 4 |
Les Verts | 2 sur 2 | 2 sur 2 | 0 sur 2 | 0 sur 2 | 1 sur 2 |
GDR | 0 sur 2 | 0 sur 2 | 0 sur 2 | 0 sur 2 | 0 sur 2 |
31Le tableau est riche en enseignements mais peut également être générateur de nombreux contresens. Une lecture trop rapide des chiffres donnés par les élus pourrait nous pousser à conclure que les députés socialistes et verts poursuivent plus longtemps leur carrière professionnelle que les élus UMP. Ces derniers ne sont que 22 % à avoir exercé un emploi au moment de leur élection contre 33 % au PS et 100 % chez Les Verts. Mais ce résultat est un trompe-l’œil. À la faveur d’une nouvelle législature voyant arriver une nouvelle majorité et de nouveaux élus, vingt députés PS élus vont siéger pour la première fois au sein de la commission des finances, contre seulement un au sein du groupe UMP. Ces élus socialistes sont donc logiquement dans une phase de transition professionnelle contrairement aux députés UMP, plus expérimentés (3,1 mandats en moyenne contre 2,3 au PS). Logiquement, ils sont donc plus nombreux à avoir exercé une profession durant les cinq années précédant leur élection. Surtout, ces élus socialistes cessent presque tous d’exercer une activité en parallèle de leur mandat. Au final, on peut penser que les situations sont relativement proches dans les deux camps, du fait de l’impossibilité pour les élus français de gérer un agenda politique – qui plus est souvent marqué par le cumul des mandats – en parallèle d’un métier classique. Le fait que les élus qui continuent à travailler soient généralement des professions libérales (avocats ou médecins) n’est pas un hasard, ces emplois permettant une certaine flexibilité. Plus généralement, et en comparaison du cas allemand qui voit environ un quart des élus, tous partis confondus, continuer à exercer un autre emploi, les députés français ne sont que 10 % à mener une carrière parallèle. Ils sont aussi moins nombreux à participer aux instances dirigeantes de sociétés : moins de 10 % contre 43 % pour les députés allemands. Enfin, 30 % des députés français participent au capital de sociétés. Ce chiffre doit également être appréhendé avec prudence car la très grande majorité n’a investi que quelques centaines d’euros, parfois quelques milliers, dans une société civile immobilière qui ne leur rapporte généralement rien. Trois d’entre eux, Olivier Dassault et Véronique Louwagie du groupe UMP, et un élu MoDem, Thierry Robert, ont cependant investi plus de 1 million d’euros dans une ou plusieurs entreprises. Le premier est un des héritiers de Serge Dassault, une des plus grandes fortunes de France, industriel dans l’armement, l’aéronautique et les médias. La seconde explique sur son site personnel avoir exercé la « profession d’expert-comptable et de commissaire aux comptes, en société avec [sa] sœur, au sein d’un cabinet créé en 1988 et qui compte aujourd’hui une quarantaine de collaborateurs33 ». Le troisième, Thierry Robert, a pris les rênes de l’entreprise de construction familiale et dispose d’un patrimoine immobilier de 9 millions d’euros. En 2013, il déclarait : « J’en ai un peu ras-le-cul d’en payer autant [d’impôts]. Et si ça continue comme ça, je ne resterai pas en France34. » Tous trois sont de féroces adversaires de l’ISF.
32Dès lors, que conclure de ces phénomènes de (non-)prolongement de la carrière professionnelle durant la carrière politique en France ? Comparativement au cas allemand, les députés de droite sont professionnellement moins proches des mondes de l’entreprise. Leur propension à porter les intérêts de ce groupe durant les débats sur l’ISF s’opère donc principalement par d’autres facteurs sociaux, ce qui ne signifie pas que la carrière ne joue aucun rôle. C’est également le cas des députés de gauche, bien qu’une nouvelle génération de députés occupant des positions centrales dans la commission des finances – comme Valérie Rabault ou Karine Berger – ait accompli une brillante carrière en entreprise ; ce qui peut également expliquer que le PS se saisisse plus régulièrement des intérêts de ce groupe que lors de la XIIIe législature. Mais l’analyse statistique masque d’autres réalités sociologiques, en particulier le fait que les élus ne pouvant pas mettre en avant une carrière professionnelle tentent, par d’autres moyens, d’en proposer une de substitution ou de façade, et que les rares ou courtes carrières sont érigées en argument et engendrent un mécanisme surgénérateur de symboles, d’expériences et de légitimité. Dès lors, face à une forme d’injonction, les élus surjouent régulièrement la carte de l’expérience professionnelle, au point d’influencer leurs rapprochements avec certains groupes sociaux et d’adopter des visions du monde socialement situées, bien qu’ils n’aient eux-mêmes que rarement eu l’occasion d’observer le monde depuis cette position.
La carrière professionnelle, productrice de visions du monde, de savoir-faire et de ralliements sociaux
33Différents auteurs ont appréhendé l’analyse de groupes socioprofessionnels sous l’angle de leur « identité professionnelle ». La sociologue de l’éducation Tizou Pérez souligne que
« l’identité professionnelle prend appui sur le “socle” de l’identité personnelle et y intègre des composantes professionnelles : pour trouver un équilibre, l’individu se représente la discipline, le métier, les pratiques professionnelles. En effet, envisagées comme des formes de connaissances porteuses de valeurs, les représentations sociales donnent sens à la pratique et légitiment une vision du monde35 ».
Si le terme d’« identité » peut faire débat, il nous semble acquis que l’expérience professionnelle est génératrice de savoir-faire, de représentations du monde, d’adhésions (ou de rejets) à certaines valeurs ou encore de positionnement au sein de la hiérarchie sociale. De nombreux travaux ont également montré comment l’expérience professionnelle contribuait à la socialisation des individus, qu’il s’agisse des enseignants, des policiers municipaux36, des journalistes37, ou même des dresseurs de fauves38. Il nous semble difficile de penser que les élus échappent à ces processus de socialisation professionnelle, à compter du moment où leur carrière (ou l’image qu’ils se font de leur carrière) a permis l’assimilation de schèmes de pensées propres à leur groupe professionnel d’origine. Les députés sont cependant des agents ayant effectué une transition biographique sur le plan professionnel, mais également social et institutionnel. Ils ont souvent quitté un métier pour un autre et l’on peut légitimement penser qu’ils ont importé, au moins en partie, leur habitus professionnel (ou adopté un habitus professionnel de substitution) durant cette transition, comme le montre l’extrait d’entretien réalisé avec le député Hans Michelbach (CDU, chef d’entreprise) :
« Il est toujours très important que les parlementaires utilisent leur métier et leur expérience professionnelle, parce qu’on est alors naturellement plus précis, plus authentique. On peut alors intervenir par des exemples, grâce à l’expérience. C’est évidemment, pour les discussions, pour les décisions, pour de meilleures conditions générales économiques, très important. »
34En Allemagne, les parlementaires CDU et FDP sont clairement ceux qui mettent le plus en avant le prolongement existant entre leur carrière professionnelle et leur travail politique en commission des finances. Le cas du ministre régional des Finances du Land de Saxe, membre du Bundesrat et de la commission des finances de cette institution, Georg Unland (CDU), est particulièrement représentatif des phénomènes de transposition des modes de pensée entrepreneuriaux durant l’exercice de la carrière politique de ces élus. Unland est docteur en génie mécanique. Pendant treize années, il a occupé différentes fonctions au sein d’une grande entreprise allemande dans le secteur de l’aciérie, puis a pris la tête de la société sœur aux États-Unis. Il a par la suite été professeur d’université et recteur de l’université technique de Freiberg. Son parcours est donc marqué par une succession d’expériences professionnelles – comme cela est par ailleurs le cas de nombreux autres élus, français et allemands39 – où s’alternent service privé et service public. Dans son cas, ses expériences en entreprise puis à l’université sont systématiquement citées conjointement et sont toutes deux valorisées :
« Est-ce que cette expérience en tant que dirigeant d’entreprise vous aide dans l’exercice de vos fonctions ?
– (Silence.) Cela m’aide énormément. Je ne le vois pas négativement quand on a connu d’autres secteurs de la société. Quand on a travaillé dans une entreprise, quand on y a eu des responsabilités, on sait comment fonctionne l’entreprise, on comprend les soucis, les besoins, mais aussi les opportunités et les marges de manœuvre qui existent dans l’économie. De la même manière, quand on a travaillé dans le monde académique, on sait comment fonctionne la recherche, comment l’enseignement supérieur et l’université fonctionnent, et cela aide énormément dans le travail au quotidien.
– Vous pourriez me décrire votre travail dans l’entreprise que vous dirigiez ?
– C’est une entreprise de construction de machines sous un angle d’ingénieur. […] en tant que dirigeant, il faut s’occuper de tout. Trouver des clients, trouver des solutions pour les clients, il faut respecter les contrats, aller au bout des contrats, faire attention à respecter dans le budget, il faut respecter les délais, vraiment s’occuper de tout. Il faut veiller à ce que le client soit content et dans le même temps veiller à ce qu’on gagne de l’argent.
– Et ce travail dans le domaine économique vous manque ?
– Je dois reconnaître que j’ai vraiment apprécié faire cela. Tout comme j’ai apprécié travailler à l’université. Dans les deux cas, j’y ai pris beaucoup de plaisir. […]
– Vous avez encore des contacts avec vos collègues au sein de votre entreprise ?
– Oh oui, très régulièrement. Je me tiens informé. »
35L’extrait d’entretien montre bien que l’expérience en entreprise est mobilisée par l’élu pour se rapprocher et comprendre les attentes de certains groupes. De même, dans le cadre d’un débat sur l’enseignement supérieur, cet élu serait sensibilisé et disposé à prendre position sur ces questions en s’appuyant sur son expérience universitaire qui renforce sa légitimité à le faire, aux yeux de ses collègues. Dans cette mouvance, le député Manfred Zöllmer (SPD, directeur d’école) prend quatre fois la parole en faveur du service public et des communes, ne s’engageant qu’une seule fois pour un autre groupe (les entreprises). Si cet effet de transposition des expériences sociales entrepreneuriales en dispositions politiques peut paraître quasi mécanique, c’est parce que, dans les deux pays, les élus sont incités à valoriser des attributs entrepreneuriaux sur les questions fiscales et économiques. Ceux qui disposent de ces attributs sont invités à les mettre en avant lors des débats, tandis que ceux qui n’en possèdent pas cherchent à se présenter comme proches, à l’écoute des attentes et des difficultés de ce groupe.
36Daniel Volk, qui n’est lui-même pas chef d’entreprise mais avocat, souligne d’ailleurs que la « culture de l’entreprise est omniprésente dans la commission. Et ceux qui ne la possèdent pas au départ l’acquièrent très vite », principalement par le biais d’interactions répétées avec des élus eux-mêmes sensibilisés à cette question et par la répétition des sujets débattus durant lesquels les entreprises sont au cœur des discussions. Au sein même de la gauche allemande, cette culture et ces codes entrepreneuriaux sont également représentés. Manfred Kolbe (CDU, juge et notaire) reconnaît d’ailleurs en entretien qu’au sein même du SPD et des Grünen « il y a des gens qui comprennent très bien l’entreprise ». Le cas de Thomas Gambke (Die Grünen) est particulièrement intéressant. Le député n’a pas grandi dans une famille issue des milieux entrepreneuriaux et sa socialisation primaire ne semble pas avoir été marquée par les mondes de l’entreprise. Après ses études (doctorat en physique), il accomplit une longue carrière dans une entreprise multinationale spécialisée dans les technologies des verres spéciaux et quitte son entreprise un an avant d’entrer au Bundestag. Lui-même se qualifie comme un entrepreneur indépendant. Lorsqu’il parle de l’ISF – qu’il soutient officiellement –, ses craintes à ce sujet se focalisent immédiatement sur les effets d’un tel impôt sur les entreprises allemandes, le conduisant à préférer d’autres formes d’imposition du capital (droits de succession). Tout en mobilisant ses propres expériences, il expose les risques qui pèsent sur les entreprises allemandes et sur la nécessité de protéger les entreprises allemandes si un impôt sur la fortune était réintroduit. Sa participation est d’ailleurs très faible lors des débats sur ce sujet au Bundestag. Dernier élément prouvant que la carrière professionnelle en entreprise occupe une place centrale dans la trajectoire biographique des députés allemands, nous avons rencontré trois députés (deux FDP et un CDU) qui ne se représentaient pas aux élections de septembre 2013. Ces trois députés nous ont expliqué qu’ils allaient quitter la politique et retourner au sein de leur entreprise, ce dont ils se réjouissaient par ailleurs. On peut en effet formuler l’hypothèse que, pour certains parlementaires allemands, l’appartenance au monde économique n’est jamais entièrement rompue lorsqu’ils commencent une carrière politique. Cela est d’autant plus vrai que le cumul des mandats est très rare en Allemagne. Aucun des députés que nous avons rencontrés ne disposait d’un autre mandat.
37L’expérience professionnelle joue selon les élus eux-mêmes un rôle déterminant dans leurs capacités à s’engager dans un travail politique technique, comme le souligne le sénateur Philippe Marini (UMP, haut fonctionnaire, ancien président et rapporteur de la commission des finances au Sénat) en entretien, faisant de l’expérience professionnelle – surtout lorsqu’elle prend place dans des univers sociaux dominants – une ressource technique au service du métier politique :
« Chacun arrive avec son passé, son vécu… […] chacun met à profit les ressources de son expérience personnelle. Serge Dassault nous parle souvent des questions de l’entreprise, bon, d’un type d’entreprise un peu particulier, bon sa vision de la participation, oui il est assez naturel qu’elle soit issue de ce qu’il a créé, pratiqué dans son propre groupe. Bon, ça, c’est l’expérience qui lui vient de ses tripes et de toutes sortes de choses. Bon, un collègue qui vient de l’enseignement de la formation professionnelle sera sensible à ce type de problématique, bon, une collègue qui est avocate on évoquera les questions relatives aux professions libérales, eh bien, oui, elle y sera sensible. Chacun va exprimer sa sensibilité et c’est une très bonne chose, d’ailleurs, c’est la vertu du Parlement par définition que d’agglomérer des gens qui ont des expériences différentes. […] »
38Ainsi, l’influence éventuelle de la carrière antérieure sur les prises de position des élus conduit très régulièrement les parlementaires à mobiliser leur groupe professionnel d’appartenance lors les débats pendant lesquels ils interviennent. Christian Eckert (PS, professeur agrégé de mathématiques, rapporteur de la commission des finances) cite souvent les difficultés des enseignants et de l’école en contraste avec la situation des redevables à l’ISF :
« Rendez-vous compte, mes chers collègues : au moment où toute la population, enseignants, parents d’élèves, se mobilise contre les 1 500 fermetures de classe, quand ce ne sont pas des fermetures d’écoles, vous avez l’occasion, par un seul geste, en levant la main pour voter au bon moment, de sauver 3 300 emplois publics en remplacement d’une disposition qui n’est absolument pas incitative pour l’investissement dans notre pays. »
[AN, XIIIe législature, 1re séance du mercredi 8 juin 2011 à 15 h.]
39De la même manière, à droite, la connaissance des mondes de l’entreprise est également mise en avant pour justifier d’une capacité à comprendre les enjeux, les attentes de ce groupe dont l’élu peut faire profiter la commission. L’expérience sert alors de principe de distinction politique valorisée en séance, comme le fait Jean-Michel Fourgous (UMP), lui-même ancien dirigeant d’une entreprise de développement de logiciels :
« Jean-Michel Fourgous : Parlons un peu de cette élite qui dirige le pays depuis trente ans.
Jean-Marc Ayrault (PS) : Vous, ça ne fait que six ans !
Jean-Michel Fourgous : Quinze personnes au total ont assumé les postes de président de la République et de Premier ministre depuis trente ans. Quand on regarde le profil culturel de cette élite qui veut absolument diriger le pays, on constate que 60 % de ces quinze personnes ont fait cette fameuse école de fonctionnaires qu’est l’ENA.
Jean Mallot (PS, énarque) : Encore un qui ne se remet pas d’avoir raté le concours…
Jean-Michel Fourgous : 80 % sont des hauts fonctionnaires qui, n’ayant jamais vu un acte marchand, ne comprennent pas l’économie de marché. Dès lors, ils ne peuvent que diaboliser les entreprises et véhiculer une culture de défiance à leur égard.
Jean Gaubert (PS) : N’importe quoi ! (Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche : Caricature !)
Jean-Marc Ayrault : C’est trop beau ! Nous allons diffuser votre discours partout ! […]
Jean-Michel Fourgous : Comment en est-on arrivé à une situation aussi délirante, et qui peut enrayer la mécanique ? Outre la “course aux dépenses sociales” érigée en sport national, la dette actuelle est l’héritage d’une conception intellectuelle bien particulière, une conception très française, des dépenses publiques. La tolérance pour des dépenses publiques élevées est le fruit de notre culture administrative, monsieur Hollande, vous qui avez osé déclarer que pour comprendre le monde de l’entreprise, un mois de stage suffisait ! Si vous étiez un jour candidat à la présidence de la République, vous pouvez compter sur moi pour assurer votre communication personnelle sur ce point !
François Hollande (PS) : Ne me découragez pas, je vous en prie… (Sourires.)
Jean-Michel Fourgous : Il est intolérable que des élites prétendent diriger un pays tout en méprisant à un tel point la compréhension du monde de l’économie ! »
[AN, XIIIe législature, séance du jeudi 27 mars 2008 à 9 h 30.]
40Dans toutes ces déclarations, il est difficile de ne pas voir l’influence d’une précédente carrière professionnelle sur les prises de position de l’élu. Cela ne signifie pas que l’origine professionnelle détermine mécaniquement les processus de représentation des élus de tous bords dans les deux pays. En complément d’autres facteurs, elle contribue à la structuration de dispositions à la représentation.
L’impératif entrepreneurial comme impératif représentatif ?
41La carrière professionnelle jouant un rôle à la fois en matière de socialisation politique et de légitimité parlementaire, les élus sont contraints d’atténuer le stigmate que peut constituer l’absence d’expérience professionnelle, surtout en entreprise. C’est d’autant plus le cas que de nombreux élus, principalement de droite et dans les deux pays, tentent d’instaurer une forme d’injonction entrepreneurial légitimant les prises de parole au Parlement, comme le montre la prise de parole de Gilles Carrez (UMP, haut fonctionnaire), alors rapporteur général de la commission des finances, critiquant l’amendement défendu par Victorin Lurel (PS, fonctionnaire territorial, ancien ministre de l’Outre-Mer) et signé par une centaine de députés socialistes visant à supprimer le pacte Dutreil, un dispositif souvent lié aux questions relatives à l’ISF40 :
« Gilles Carrez : J’ai rarement entendu autant d’énormités en si peu de temps. Elles témoignent d’une ignorance totale…
Pascal Clément (UMP, avocat) : Une ignorance crasse !
Gilles Carrez : … de l’économie et du monde de l’entreprise. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Laure de La Raudière (UMP, diplômée de l’École normale supérieure, directrice de France Télécom dans l’Eure-et-Loir puis dirigeante de sociétés de conseil) : Bravo !
Gilles Carrez : Je le dis d’autant plus gentiment que je suis moi-même fonctionnaire d’origine. Ce qui manque à la plupart de nos collègues, c’est de n’avoir jamais mis les pieds dans une entreprise.
Jean-Pierre Door (UMP, cardiologue) : Eh oui !
Gilles Carrez : Je vais sortir de ce verbiage général pour vous parler de façon concrète de ce qui se passe dans une entreprise familiale. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Vous n’avez cessé de nous faire la leçon. Acceptez d’écouter une histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) [Le député raconte les difficultés d’une entreprise familiale et l’intérêt des pactes Dutreil.] »
[AN, XIIIe législature, 2e séance du vendredi 10 juin 2011 à 15 h.]
42L’extrait est d’une grande violence symbolique et politique. Les élus socialistes sont ici attaqués sur un double plan, à la fois politique et professionnel. Gilles Carrez, qui n’est lui-même pas entrepreneur, atténue ici ce stigmate en exposant par un exemple concret la réalité d’un groupe professionnel dont il veut montrer qu’il connaît les difficultés. Dans le cas présent, c’est le métier politique et ses implications (visites en circonscription, rencontre avec des représentants d’intérêt, etc.) qui permettent de compenser l’absence de carrière professionnelle en entreprise, en facilitant le développement d’un habitus entrepreneurial de substitution, comme le montre l’extrait d’entretien suivant :
« Marini me disait qu’en France il n’y avait pas cette culture de l’entreprise, vous le pensez aussi ?
– Mais bien sûr. Attendez… (Long soupir.) Enfin… c’est… c’est… ahurissant ! Mais ça je le pense depuis toujours. Bon, moi-même je n’ai pas de culture de l’entreprise. Mais j’ai fait HEC [École des hautes études commerciales]. Bon, à l’époque, je crois qu’aujourd’hui encore, c’était un enseignement intelligent, méthode des cas. Donc stage en entreprise, et après quand j’ai travaillé aux villes nouvelles, bon, pour bâtir une ville nouvelle, c’étaient des entreprises, elles étaient peut-être publiques, établissements publics [à caractère] industriel et commercial, mais il n’y avait pas de subventions, et il fallait équilibrer les chiffres d’affaires, les coûts, et si vous n’étiez pas capable d’équilibrer vos dépenses et recettes tout seul, donc c’était des entreprises ! Donc je me suis occupé du projet Disney, c’était un projet d’entreprise. Donc j’ai quand même eu dans mon activité de fonctionnaire toujours cette occupation. Mais quand j’étais haut fonctionnaire, je sentais que c’était un des rares endroits dans l’administration où on avait cette préoccupation et puis, quand je suis arrivé ici, ça a été mon premier étonnement. Comment ce monde, politique, peut être aussi éloigné de l’entreprise ? »
43Dans cet extrait, Gilles Carrez, tout en reconnaissant n’avoir aucune culture de l’entreprise, tente au maximum d’utiliser une expérience de haut fonctionnaire afin de présenter celle-ci comme étant similaire à celle d’un chef d’entreprise, soumis aux mêmes préoccupations, aux mêmes contraintes. La capacité à faire parler son passé pour se présenter comme proche du groupe représenté constitue bien une ressource que les élus n’hésitent pas à mettre en avant, au prix de nombreux efforts de réécriture de leur histoire personnelle. Dans le même temps, certains élus, comme Gilles Carrez, cherchent à stigmatiser leurs adversaires politiques en critiquant ce qu’ils sont autant que ce qu’ils font. Le lien entre trajectoires biographiques des élus socialistes et leurs appréhensions du monde social est formulé sous un angle critique, en entretien :
« À gauche ça s’est aggravé. Parce qu’en 1997 et 2002 ils étaient beaucoup plus proches de l’entreprise qu’ils ne le sont aujourd’hui.
– Ah bon vous trouvez ?
– Ah oui, ah oui. Les jeunes, c’est terrifiant. Le prototype du jeune député, du nouveau député socialiste, c’est quoi ? Il a été militant lycéen, dans une association lycéenne contre les patrons, ensuite il a continué comme porte-serviette d’un chef de cabinet d’une mairie ou je ne sais où, puis il a été promu comme sous-secrétaire de je ne sais pas quoi au PS, puis comme assistant parlementaire, et puis bâton de maréchal, et puis député. C’est génétique. Et c’est un gros, gros, gros, gros problème.
– Et c’est quelque chose que vous essayez d’instaurer cette culture de l’entreprise ?
– Oui, oui. Je n’arrête pas de leur dire, allez voir vos entreprises dans votre circonscription, faites-vous inviter, au besoin allez passer deux-trois jours dans une entreprise.
– Vous-même c’est un travail que vous faites dans votre circonscription ?
– Oui. Oui, oui. Moi c’est le message que je leur fais passer sans arrêt. »
44La déclaration de Gilles Carrez soulève plusieurs enjeux politiques et théoriques. D’abord, sur l’instrumentalisation de la carrière professionnelle au service de la carrière politique. Ensuite, sur les savoir-faire pratiques censés être requis pour comprendre les intérêts des groupes ciblés par les dispositifs discutés. Enfin, de façon plus théorique, le propos de Gilles Carrez – mais il n’est pas le seul – s’inscrit dans le prolongement d’une conception de la « représentation descriptive41 », où les représentants sont censés partager les propriétés sociales des représentés, ce qui suppose d’ailleurs que les classes populaires, absentes du Parlement, ne puissent y être défendues effectivement au vu des analyses sociobiographiques existantes sur cette institution et la disparition de députés d’origine ouvrière ou employée. Ne partageant souvent pas les propriétés des groupes représentés, surtout en France dans le cas des entreprises, les élus se rapprochent alors socialement et politiquement de certains groupes en multipliant les interactions avec leurs membres ou leurs représentants.
Renforcer sa légitimité par des interactions avec les groupes représentés
45Multiplier les contacts avec des membres ou des représentants des groupes défendus permet aux députés de renforcer le phénomène de délégation entre mandants et mandataires, de recueillir des doléances et enfin d’afficher sa proximité sociale avec le groupe. La profession politique étant par ailleurs un métier de réseaux, les élus doivent donc systématiquement entretenir ces relations et afficher aussi fréquemment que possible leur proximité sociale avec les membres du groupe représenté, comme en témoignent les propos du député Franck Gilard (UMP, consultant) :
« Moi je suis très proche de mon… le président du MEDEF de Haute-Normandie et de l’Eure avant, ce sont tous des amis, je vais à l’assemblée générale du patronat tous les trois mois. Et c’est bien parce que, dans mon secteur, ils font une prise de température. C’est-à-dire qu’il y a six ou sept branches, banque, intérim, ventes automobiles, etc., et chaque membre de sa branche est chargé de faire un petit point très court et ça se termine généralement par l’avis du directeur départemental de la Banque de France. Y a des banquiers aussi qui sont là, et donc ça permet d’avoir si vous voulez une espèce de climat très très fin et à l’échelon très micro de la situation économique du secteur.
– Et vous, vous utilisez cette expertise dans le cadre de votre…
– Ben, moi, j’y vais avec gourmandise et j’y suis accueilli comme un ami. Je suis des leurs. Par contre dans les HLM ou dans les champs je suis aussi considéré comme des leurs. C’est ça le métier. »
46Ces multiples rencontres avec les représentants des groupes dont il entend être le porte-parole au Parlement permettent de consolider à la fois le lien de confiance entre mandataire et mandant et la légitimité du premier à parler au nom du second. Cette stratégie renforce alors la légitimité de l’élu lorsqu’il prend la parole en séance ou en commission. Les élus peuvent également être membres d’associations professionnelles. L’échange mené avec Daniel Volk (FDP, avocat, vice-président du groupe au sein de la commission des finances) montre bien l’étroitesse des liens entre certains députés allemands et des groupes corporatistes :
« Est-ce que vous êtes membre de clubs, d’associations ou de groupes ?
– Je ne suis pas membre de clubs… mais j’étais déjà, avant mon mandat, membre de certaines associations… Vous voulez savoir lesquelles ?
– Oui, oui, s’il vous plaît.
– L’Association des contribuables allemands [Bund der Steuerzahler Deutschland] et l’Association des professions libérales de Bavière [Verband Freier Berufe Bayern], puisque je suis moi-même avocat.
– Et aujourd’hui vous n’êtes plus membre ?
– Si si ! Mais un simple membre, sans responsabilité ou poste.
– Vous avez toujours des contacts avec ces associations ?
– Oui. Oui.
– Vous utilisez cette appartenance à ces associations dans le cadre de votre mandat pour recueillir des arguments ou…
– Oui, l’Association des contribuables allemands entre effectivement pile dans mon domaine de travail en tant que député de la commission des finances. C’est un partenaire très compétent qui a l’objectif de défendre et de rappeler le point de vue des contribuables, et c’est aussi mon objectif de porter la parole des contribuables face à l’administration. Les professions libérales, l’Association des professions libérales, ils sont également concernés par les questions fiscales. Toutes les professions libérales sont concernées par l’impôt mais, eux, ils sont plus concentrés sur le droit des professions libérales et le développement économique, et moins sur l’impôt en particulier. »
47Si Daniel Volk, du fait de son expérience d’avocat, adhère à une association relevant de cette profession, d’autres élus appartiennent à des syndicats d’enseignants, à des associations médicales, à des syndicats de salariés (par exemple Ver.di, le principal syndicat allemand qui compte plus de 2 millions de membres dans le secteur des services, pour certains élus Die Linke), d’entrepreneurs, etc. Leur adhésion produit un double effet : d’une part, il s’agit d’un acte officiel et souvent publicisé de ralliement institutionnel à un groupe social et, d’autre part, cette adhésion permet de renforcer les liens, les attentes, les demandes des mandants. On peut penser que ces espaces de socialisation jouent un rôle important dans la prise en compte de certains intérêts. En France, ces appartenances existent aussi, bien qu’elles semblent moins publicisées. Certains cependant, comme Jean-Michel Fourgous (UMP, chef d’entreprise) avec son cercle de réflexion Génération Entreprise, ont fondé leur propre structure leur permettant de rencontrer des membres du groupe défendu. En prolongeant par là les contacts et les signes de ralliement, ils accumulent autant de témoignages qui ont vocation à donner plus de poids à leurs prises de position. En séance plénière, Marc Le Fur (UMP, sous-préfet) peut ainsi déclarer : « Je peux en effet vous dire que, dans les quelques jours qui ont précédé ce débat, j’ai reçu de multiples soutiens de personnes assujetties à l’ISF alors qu’elles ont fondé leur entreprise, qu’elles y ont placé leur argent, qu’elles ont pris des risques et ont créé des emplois42. » L’intérêt à analyser ces rencontres ne se limite pas à leurs effets sur les dispositions à la représentation. Elles peuvent également servir de principe de légitimation de ces phénomènes de représentation ou au contraire d’argument critique, lorsque les groupes rencontrés sont clivants. Dans le premier cas, on peut donner l’exemple de Jean-Michel Fourgous qui déclare : « Je préside, à l’Assemblée nationale, le groupe d’études sur les PME et je rencontre de nombreux entrepreneurs qui souffrent et qui vont être contraints de partir43. » Ici, ces interactions sont le résultat d’un mécanisme surgénérateur de ralliements sociaux.
48À l’inverse, ces rencontres peuvent également servir à critiquer les fréquentations des adversaires, comme le fait Jean-Pierre Brard (GDR, instituteur, secrétaire de la commission des finances), qui oppose ses propres rencontres avec les milieux populaires à celles de la droite avec les catégories supérieures :
« Lorsque nous allons dans nos cités HLM, nous sommes confrontés à la réalité qui contredit vos propos. Parfois, je me demande dans quel monde vous vivez et qui vous fréquentez – je ne parle évidemment pas de votre vie privée, mais de la sphère publique. Je suis sûr que nous ne fréquentons pas les mêmes personnes. En tout cas, nos sympathies ne vont pas dans la même direction. »
[AN, XIIIe législature, 2e séance du mardi 29 novembre 2011 à 21 h 30.]
De la même manière, l’élu insiste sur la proximité sociale des élus UMP avec les « riches » lorsqu’il déclare : « Vous [les] connaissez d’ailleurs beaucoup mieux que nous parce que vous les fréquentez, coupe de champagne à la main, dans les cocktails44. » Si la proximité sociale entre catégories supérieures et certains élus est avérée – soit parce que ces élus sont eux-mêmes fortunés, soit parce qu’ils sont élus dans des circonscriptions comptant de nombreux redevables à l’ISF, les deux étant possibles –, ces contacts répétés doivent donc être appréhendés à la lumière de leur mobilisation par les élus.
49Par ailleurs, comme le souligne Yves Sintomer, « la légitimité des élus dépend très largement de la façon dont ils incarnent le groupe qu’ils sont censés représenter, de la manière dont ils participent à la construction symbolique de ce groupe et dont ils exhibent leur propre personne, ou encore des modes par lesquels ils ressemblent ou se distinguent des représentés45 ». Les députés cherchent en effet à s’afficher comme membre du groupe défendu, à l’incarner, principalement en circonscription. À cette fin, les élus multiplient les signes de ralliement par une multitude de détails, y compris vestimentaires en s’habillant en fonction du groupe rencontré, à l’instar des députés CDU Fritz Güntzler et Philipp Murmann, qui affichent leur proximité avec le groupe des agriculteurs et des employés (figures 14 et 15).
Figure 14 – Incarner les agriculteurs : Fritz Güntzler (CDU, conseiller fiscal)

Figure 15 – Incarner les employés : Philipp Murmann (CDU, chef d’entreprise)

50D’un côté, l’élu assis sur un tracteur semble vérifier que la prise du photographe lui convient (figure 14) ; quand, de l’autre, Philipp Murmann porte le tablier aux côtés d’employés d’une grande enseigne de distribution (figure 15). Aucun des deux n’a évidemment exercé ce métier. Le premier est conseiller fiscal et le second est dirigeant d’une entreprise de systèmes de signalisation pour bateaux et chemins de fer. La mise en scène d’une proximité professionnelle n’a ici vocation qu’à pallier la distance sociale entre les différents protagonistes de ces photographies. Sur ce point les cas français et allemands sont très proches, les mécanismes d’affichage du ralliement aux groupes sociaux étant constitutifs du métier d’élu. À ces phénomènes de socialisation au contact des groupes représentés s’ajoutent enfin des processus de socialisation économique et fiscale qui viennent compléter les dispositions à la représentation des députés français et allemands.
Le rapport à l’argent
51Une analyse sociologique cherchant à comprendre les ressorts des prises de position des élus en matière d’impôt sur la fortune ne peut faire l’économie d’une hypothèse extrêmement simple, avancée spontanément par les acteurs eux-mêmes mais également par le sens commun citoyen : ceux qui sont contre l’ISF sont eux-mêmes riches ou redevables à cet impôt. La situation n’est évidemment pas si simple et doit donc être décrite plus en détail, tant le caractère mécanique de cette assertion pose problème.
52Il semblerait que le seul fait d’être redevable à l’ISF ne constitue pas une variable déterminante, sans le rapprocher d’autres facteurs sociaux. Trop d’exemples contradictoires viennent en effet fragiliser l’intuition d’un effet mécanique entre patrimoine de l’élu et position à l’égard de l’ISF. En France, au sein des gouvernements socialistes successifs (2012-2017), Jérôme Cahuzac défendait cet impôt tout en y étant lui-même redevable – quoiqu’il se rendît coupable de dissimulation et de minoration de déclaration de patrimoine. Christian Eckert, qui dispose d’un patrimoine d’environ 1 million d’euros selon sa déclaration publique, soit un montant inférieur mais assez proche du seuil de déclenchement de l’ISF, est un farouche défenseur de l’impôt sur la fortune. Laurent Fabius, avec ses 6 millions d’euros de patrimoine, ne s’est jamais prononcé contre cet impôt, contrairement à Emmanuel Macron, lui aussi devenu redevable à l’ISF après avoir sous-évalué son patrimoine46, ou à Manuel Valls, qui n’y est pourtant pas soumis selon sa déclaration d’intérêt. À droite, Gilles Carrez (UMP), aujourd’hui redevable à l’ISF, en a également été un défenseur sous certaines conditions tandis qu’Olivier Dassault (UMP) ou Charles de Courson (UDI) y ont toujours été opposés. Ce dernier consacre du reste une énergie considérable à remplir sa déclaration d’ISF, comme il l’explique en entretien :
« Moi, je suis un des derniers à faire ma déclaration d’ISF tout seul comme un grand ! Je m’y astreins. Bon, ça m’a bouffé mes vacances de Pâques, hein, voilà… Mais, parce que je pense que faire soi-même sa déclaration, c’est important. Moi, je mets une dizaine d’heures, 10, 12 heures pour faire ma déclaration. Il manque toujours un papier, un truc, un machin et je m’y astreins. »
Officiellement et en entretien, son opposition se base cependant toujours sur les conséquences économiques de cet impôt, puisqu’il est impossible de justifier son rejet de l’ISF en se basant sur le fait d’y être soi-même redevable.
53Ce rapide panorama montre que, chez les élus assujettis à l’ISF, des prises de position contradictoires existent, y compris au sein de chaque camp. Plus que le fait d’être redevable ou non, il semble plus pertinent d’aborder cette question sous l’angle du rapport à l’argent47. On peut en effet penser que le rapport au capital économique joue un rôle important sur les dispositions qu’ont les députés à se saisir des intérêts de groupes qui occupent, au sein du champ économique, les positions les plus élevées de la hiérarchie sociale. L’épisode du bouclier fiscal en France a été l’occasion pour les parlementaires de droite d’affirmer explicitement que la recherche du capital économique ne devait plus être discréditée. L’échange entre Christine Lagarde (UMP, alors ministre de l’Économie) et Jean-Pierre Brard (GDR, instituteur, secrétaire de la commission des finances) illustre cette tension entre deux rapports au capital économique opposés chez ces élus :
« Christine Lagarde : Cessons d’être aussi pudiques sur notre intérêt personnel, qui, bien souvent, rejoint celui du groupe. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) La lutte des classes est bien sûr une idée essentielle mais, de mon point de vue, essentielle pour les manuels d’histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Jean-Pierre Brard : On va la réactualiser !
Christine Lagarde : Il faudra certainement, un jour, en étudier les aspects positifs, mais elle n’est aujourd’hui d’aucune utilité pour comprendre notre société.
Jean-Pierre Brard : Écoutez le professeur Lagarde ! »
[AN, XIIIe législature, 1re séance du mardi 10 juillet 2007 à 15 h.]
54Étudier le rapport à l’argent permet d’observer que, au sein même du SPD et du PS, certains parlementaires disposant d’un capital économique élevé ne participent pas ou peu aux luttes sur ces questions parce qu’ils entretiennent des relations non conflictuelles48 avec les membres des groupes sociaux qui en sont le plus dotés, auxquels ils appartiennent parfois. À titre d’exemple, lors de notre entretien avec Thomas Gambke (Die Grünen, entrepreneur indépendant), celui-ci nous présentera sa déclaration d’impôt et nous expliquera :
« Regardez, j’ai déclaré cette année environ 90 000 euros. Sur ces 90 000, j’en ai déduit 10 000 en dons au parti et à des associations. Ce n’est pas de l’optimisation fiscale, hein !
– Oui oui.
– Bon. Je gagne beaucoup d’argent donc. Et j’aurais pu en gagner encore plus si j’étais resté dans mon entreprise. Maintenant, moi, je suis prêt à payer plus d’impôts, je trouve même que je n’en paye pas assez. Mais tout le monde ne le comprend pas qu’on puisse gagner autant et beaucoup détestent les riches – je crois que c’est un problème que vous avez encore plus chez vous en France que nous d’ailleurs. Moi, je dis : “Ne détestez pas les riches, à partir du moment où ils versent ce qu’ils doivent donner.” »
55Cet extrait montre que le député n’entretient pas de rapport conflictuel avec les catégories supérieures, auxquelles il s’identifie par ailleurs. Si son rapport au capital économique n’explique pas seul son opinion, critique, à l’égard de l’ISF – il préfère la taxe foncière et les droits de succession à l’impôt sur la fortune –, elle semble en tout cas participer d’une forme de mise à distance de cet impôt. De façon similaire en France, à droite, Charles de Courson s’exprime de façon transparente sur son rapport, là aussi pacifié, à l’argent :
« Moi, je n’ai pas de problème, je suis né dans une famille, mon père était fort riche. Moi, j’aime vivre simplement et j’ai des revenus très supérieurs à mes besoins. Donc ce n’est pas mon problème. Moi je paye l’ISF, un jour j’ai dit à une émission : “Vous savez, moi, je suis un petit riche…” Je n’ai pas des dizaines de millions de fortune, j’ai quelques millions de fortune, hein… bon… Ce n’est pas… voyez ? Et je ne crois pas avoir de mauvaise relation à l’argent. L’argent permet d’être libre, d’être indépendant, de dire “merde” à ceux qui voudraient vous faire chanter, etc. […] [Nicolas Sarkozy] avait certainement une relation malsaine à l’argent, parce qu’il en a manqué jeune. Moi, je n’ai jamais manqué de rien, mon père était fort riche. Mais mon père ne vivait pas comme un riche. Mon père était proche des gens, tout le monde pouvait venir à la maison, voilà, donc il était généreux en plus, il avait une relation saine à l’argent et non pas cette espèce de truc. »
56La référence à Nicolas Sarkozy est un marqueur visant à souligner deux rapports différents à l’argent. Si l’ancien président de la République et le député UDI sont tous deux opposés à l’ISF, la déclaration de Charles de Courson laisse supposer que, contrairement au premier, ses raisons ne se basent pas sur l’argent mais plutôt, selon lui, sur des considérations économiques, fiscales et techniques. Il est vrai que certains élus n’ont aucun problème à exprimer, en certaines circonstances, que l’argent constitue une fin en soi, comme lors des débats relatifs au bouclier fiscal. Mais cette rhétorique est également risquée et les députés cherchent généralement à euphémiser l’importance des enjeux de richesse dans le cadre des débats liés à l’impôt sur la fortune.
57Par ailleurs, nous avons précédemment vu qu’un nombre assez conséquent d’élus allemands poursuivait une carrière professionnelle durant leur mandat. Ces élus, principalement de droite et hostiles à l’ISF, retirent des sommes importantes de ces activités parallèles. Le Bundestag propose une grille composée de dix paliers des montants que les élus perçoivent de leurs activités parallèles. Certains élus continuent ainsi à diriger leur entreprise ou leur exploitation agricole. C’est par exemple le cas de Hans Michelbach (CDU) dont la société lui garantit plus de 250 000 euros par an, ou de l’exploitant agricole Norbert Schindler (CDU, agriculteur et vigneron) qui cumulait entre 2012 et 2016 quinze rémunérations différentes venant d’entreprises, d’institutions et de collectivités, soit sur la période plusieurs centaines de milliers d’euros en complément de son salaire de député49.
58Il ne faut cependant pas confondre la question du rapport à l’argent avec celle du rapport à la richesse. Le rapport à l’argent peut, en effet, être lié à la question du rapport à la pauvreté, comme en témoigne la prise de position, très rare, aussi bien en France qu’en Allemagne, du député Gregor Gysi (Die Linke, avocat du travail, président du groupe au Bundestag) : « 22 % des Allemands vivent avec moins de 860 € de revenus par mois, dont 31 % à l’Est. Je ne dis cela que parce qu’aucun d’entre nous, chez Die Linke ou au FDP, n’est capable de s’imaginer ce qu’est une vie avec 860 € de revenus mensuels. Voilà la vérité. Ici, nous décidons de choses que nous n’aurions nous-mêmes jamais à vivre50. » Ainsi, le capital économique et le rapport à l’argent des élus peuvent expliquer la proximité sociale que certains députés développent avec des groupes généralement situés au sommet de la hiérarchie sociale, mais également au bénéfice de groupes dominés lorsque le rapport à l’argent de ces élus s’ajoute à des dispositions familiales, professionnelles, biographiques susceptibles d’orienter leur attention politique à l’égard des catégories populaires.
59Les parlementaires des deux pays aiment mettre en avant la rationalité de leurs actions, de leurs prises de position et/ou de leurs entreprises de représentation en matière d’ISF. Présenter une prise de position comme le résultat d’un calcul rationnel, d’une réflexion appuyée sur des arguments ayant fait l’objet d’un calcul coût / bénéfice permet aux députés de défendre leurs idées sous un angle pragmatique. Ce chapitre montre que si les prises de position des élus sont généralement mûrement réfléchies, elles résultent aussi de processus sociaux qui structurent de différentes manières les dispositions à la représentation des élus. L’analyse établit que ces dispositions sont le produit de multiples facteurs, interdépendants entre eux. Ces facteurs font système et opèrent à différents niveaux. Ce chapitre s’est concentré sur le niveau microsociologique, par le biais de la socialisation primaire qui contribue à la formation de représentations du monde, de cadres d’interprétation, d’un éventuel sentiment d’appartenance de classe, puis d’une socialisation secondaire, s’opérant chez certains élus par la carrière professionnelle, éventuellement de substitution, mais également, dans certains cas, par l’influence de la circonscription en fonction des propriétés de cette dernière et des ressources politiques et techniques dont disposent les élus. L’examen combiné de ces nombreux facteurs montre qu’aucun ne s’applique systématiquement mais également qu’aucun d’entre eux ne peut être négligé pour comprendre les prises de position et/ou les ralliements sociaux des députés. Isolé, aucun de ces facteurs ne semble déterminant. C’est leur combinaison qui structure les prises de position des élus, celles-ci étant également influencées par des effets de position institutionnelle de contexte.
60Selon nous, l’analyse atteste aussi que l’idée d’une représentation descriptive s’applique principalement dans le cas des catégories supérieures. Dans un contexte marqué par l’entrepreunarisation du monde politique, certains élus parviennent en effet à mettre en avant leurs trajectoires sociales, influencées par leurs socialisations primaires, secondaires et professionnelles et marquées par le sceau de l’entreprise. Ces élus sont clairement surdéterminés à agir au nom de groupes dont ils sont eux-mêmes issus. Nous pensons par exemple à Olivier Dassault (UMP, chef d’entreprise, fils et petit-fils d’entrepreneurs) ou à Hans Michelbach (CDU, chef d’entreprise, fils d’une « famille de commerçants »), tous deux farouches opposants à l’ISF.
61À l’inverse, d’autres députés cherchent à contourner l’absence d’attributs entrepreneuriaux en développant un capital social, économique et entrepreneurial de substitution visant à renforcer leur légitimité à agir au nom de ce groupe. Il s’agit ici de transfuges de la représentation qui se sont éloignés de leurs milieux sociaux ou professionnels d’origine pour essayer d’en rallier et d’en représenter de nouveaux. Les dispositions sociales à la représentation ne sont cependant que des potentialités. Leur réalisation est en partie déterminée par des facteurs de position qui conditionnent les modalités des pratiques de représentation.
Notes de bas de page
1 Daniel Gaxie et al., Le “social” transfiguré. Sur la représentation politique des préoccupations “sociales”, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Publications du Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie », 1990, p. 154.
2 Olivier Fillieule, « Propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel. Post scriptum », Revue française de science politique, vol. 51, nos 1-2, 2001, p. 199-215, en particulier p. 207.
3 Voir Julien Boelaert, Sébastien Michon et Étienne Ollion, « Le temps des élites. Ouverture politique et fermeture sociale à l’Assemblée nationale en 2017 », Revue française de science politique, vol. 68, no 5, 2018, p. 777-802.
4 Voir Michael F. Feldkamp, Datenhandbuch zur Geschichte des Deutschen Bundestages 1990 bis 2010, Baden-Baden, Nomos, 2011.
5 Voir Heinrich Best et Maurizio Cotta (dir.), Parliamentary Representatives in Europe, 1848-2000: Legislative Recruitment and Careers in Eleven European Countries, Oxford / New York, Oxford University Press, coll. « Comparative European Politics », 2000.
6 Roland Cayrol, Jean-Luc Parodi et Colette Ysmal, Le député français, Paris, Armand Colin, coll. « Travaux et recherches de science politique », 1973, p. 39.
7 Voir Olivier Costa et Éric Kerrouche, Qui sont les députés français ? Enquête sur des élites inconnues, Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Nouveaux débats », 2007, p. 47.
8 Voir Armin Schäfer, « Die Akademikerrepublik. Kein Platz für Arbeiter und Geringgebildete im Bundestag? », Gesellschaftsforschung – Max-Planck-Institut für Gesellschaftsforschung, no 2, 2013, p. 8-13 ; Melanie Kintz, « Die Berufsstruktur der Abgeordneten des 17. Deutschen Bundestages », Zeitschrift für Parlamentsfragen, vol. 41, no 3, 2010, p. 491-503.
9 Anne Muxel, 2001. « Socialisation et lien politique », in : Thierry Blöss (dir.), La dialectique des rapports hommes-femmes, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Sociologie d’aujourd’hui », p. 27-43, en particulier p. 27.
10 Jean-Claude Passeron et François De Singly, « Différences dans la différence : socialisation de classe et socialisation sexuelle », Revue française de science politique, vol. 34, no 1, 1984, p. 48-78, en particulier p. 51.
11 Daniel Gaxie, « Appréhensions du politique et mobilisations des expériences sociales », Revue française de science politique, vol. 52, nos 2-3, 2002, p. 145-178, en particulier p. 148.
12 Bernard Lahire, « La transmission familiale de l’ordre inégal des choses », Regards croisés sur l’économie, no 7, 2010, p. 203-210, en particulier p. 203.
13 Ibid., p. 204.
14 Que nous ne citerons pas afin de garantir l’anonymat de son collaborateur d’élue.
15 Ayant souvent suivis des études poussées, y compris en sciences humaines et sociales chez certains élus de gauche, il n’est pas rare que les élus formulent une forme d’autoanalyse sociologique.
16 Voir Catherine Achin, Le mystère de la chambre basse. Comparaison des processus d’entrée des femmes au Parlement (France-Allemagne, 1945-2000), Paris, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses. Science politique », 2005, p. 104.
17 http://michel-vergnier.parti-socialiste.fr/a-propos/ [consulté en 2016].
18 Sophie Landrin, « Portrait. Pierre-Alain Muet, de la Croix-Rousse à Matignon et retour », Lemonde.fr, 24 mars 2001, disponible en ligne sur http://abonnes.lemonde.fr/archives/article/2001/03/24/portrait-pierre-alain-muet-de-la-croix-rousse-a-matignon-et-retour_4181453_1819218.html [consulté le 10/03/2022].
19 C’est également le cas de Christine Pires Beaune (PS, directrice générale des services, secrétaire de la commission des finances), dont le père était ouvrier aux aciéries et la mère « faisait des ménages ».
20 Précisons que Christophe Caresche a étudié au sein de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et a suivi les enseignements de Daniel Gaxie.
21 AN, XIIIe législature, 1re séance du mercredi 8 décembre 2010 à 15 h.
22 Voir Olivier Costa et Anne-Sophie Behm, « Les députés connaissent-ils l’entreprise ? », Cahier no 52 du cercle de réflexion En Temps Réel, 2013, disponible en ligne sur https://www.entempsreel.com/files/cahier52.pdf [consulté le 10/03/2022].
23 Ibid., p. 29-30.
24 Claude Dubar, La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, 5e éd., Paris, Armand Colin, coll. « U. Sociologie », 2015, p. 134.
25 Voir Sebastian Bukow et Thomas Poguntke, « Innerparteiliche Organisation und Willensbildung », in : Oskar Niedermayer (dir.), Handbuch Parteienforschung [Manuel des études sur les partis politiques], Wiesbaden, Springer VS, 2013 p. 179-209.
26 Christophe Caresche a principalement une expérience de collaborateur politique et d’avocat.
27 Jean-Louis Gagnaire a cependant eu une courte expérience de dirigeant d’entreprise à la mort de son père puis a débuté une carrière d’enseignant. C’est par cette dernière expérience professionnelle qu’il se présente sur le site de l’Assemblée nationale.
28 De la région Rhône-Alpes et non pas de la commission des finances dont il est membre.
29 Olivier Costa et Anne-Sophie Behm, « Les députés connaissent-ils l’entreprise ? », op. cit., p. 72-73.
30 Voir Rémi Lefebvre, « Les élus comme entrepreneurs de temps. Les agendas des cumulants », in : Didier Demazière et Patrick Le Lidec (dir.), Les mondes du travail politique. Les élus et leurs entourages, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 53-70.
31 Le turnover entre la XVIIe et la XVIIIe législature est relativement limité, en particulier à la CDU, chez Die Linke et chez Die Grünen.
32 Chiffres disponibles sur la fiche du député sur le site du Bundestag.
33 http://www.veroniquelouwagie.fr/index.php?pg=Blibre&nbl=1 [consulté le 10/03/2022].
34 « Un député millionnaire menace de quitter la France », Lefigaro.fr, 10 avril 2013, disponible sur http://www.lefigaro.fr/politique/2013/04/10/01002-20130410ARTFIG00670-un-depute-millionnaire-menace-de-quitter-la-france.php [consulté le 10/03/2022].
35 Tizou Perez, « Identité professionnelle des enseignants : entre singularité des parcours et modes d’ajustement aux changements institutionnels », Savoirs, no 11, 2006, p. 107-123, en particulier p. 109-110.
36 Voir Virginie Malochet, Les policiers municipaux, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Partage du savoir », 2007.
37 Voir Denis Ruellan, « Groupe professionnel et marché de travail du journalisme », Réseaux. Communication, technologie, société, no 81, 1997, p. 135-151.
38 Voir Marie Caudal, « Les dresseurs de fauves : une socialisation au risque », in : Didier Demazière et Charles Gadéa (dir.), Sociologie des groupes professionnels. Acquis récents et nouveaux défis, Paris, La Découverte, coll. « Recherches », 2009, p. 175-185.
39 C’est par exemple le cas, en France, de Karine Berger (PS), Valérie Rabault (PS), Jean-Louis Gagnaire (PS), Chantal Brunel (UMP) et Jean-Michel Fourgous (UMP), qui ont tous travaillé dans différents secteurs, y compris en occupant des postes à responsabilité dans des entreprises privées.
40 Le site officiel des notaires de France indique que « le pacte Dutreil permet, sous certaines conditions, de faire bénéficier la transmission d’une entreprise familiale d’une exonération de droits de mutation à titre gratuit à concurrence des trois-quarts de sa valeur ».
41 Voir Anne Phillips, The Politics of Presence, Oxford, Clarendon Press, coll. « Oxford Political Theory », 1995.
42 AN, XIIIe législature, 3e séance du mardi 7 juin 2011 à 21 h 30.
43 AN, XIIIe législature, séance du lundi 26 octobre 2009 à 16 h.
44 AN, XIIIe législature, 2e séance du jeudi 18 octobre 2007 à 15 h.
45 Yves Sintomer, « Les sens de la représentation politique : usages et mésusages d’une notion », Raisons politiques, no 50, 2013, p. 13-34, en particulier p. 33.
46 « Emmanuel Macron devra payer l’impôt sur la fortune », Lemonde.fr, 31 mai 2016, disponible en ligne sur http://www.lemonde.fr/politique/article/2016/05/31/emmanuel-macrondevra-payer-l-impot-sur-la-fortune_ 4929753_823448.html [consulté le 10/03/2022].
47 Voir Damien de Blic et Jeanne Lazarus, Sociologie de l’argent, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2007.
48 Contrairement, par exemple, à des députés venant de milieux plus populaires, comme Jean-Pierre Brard (GDR) ou Pierre-Alain Muet (PS), qui se montrent beaucoup plus critiques à l’égard des catégories supérieures.
49 D’après les chiffres publiés par le Bundestag.
50 DB, XVIIe législature, 58e séance, Berlin, mercredi 15 septembre 2010.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le concert et son public
Mutations de la vie musicale en Europe de 1780 à 1914 (France, Allemagne, Angleterre)
Hans Erich Bödeker, Michael Werner et Patrice Veit (dir.)
2002
Des cerveaux de génie
Une histoire de la recherche sur les cerveaux d'élite
Michael Hagner Olivier Mannoni (trad.)
2008
L’occulte
L’histoire d’un succès à l’ombre des Lumières. De Gutenberg au World Wide Web
Sabine Doering-Manteuffel Olivier Mannoni (trad.)
2011
L'argent dans la culture moderne
et autres essais sur l'économie de la vie
Georg Simmel Céline Colliot-Thélène, Alain Deneault, Philippe Despoix et al. (trad.)
2019
L’invention de la social-démocratie allemande
Une histoire sociale du programme Bad Godesberg
Karim Fertikh
2020
La société du déclassement
La contestation à l'ère de la modernité régressive
Oliver Nachtwey Christophe Lucchese (trad.)
2020
Le pouvoir en Méditerranée
Un rêve français pour une autre Europe
Wolf Lepenies Svetlana Tamitegama (trad.)
2020
La parure
et autres essais
Georg Simmel Michel Collomb, Philippe Marty et Florence Vinas (trad.)
2019