4. Le début du cycle et la création du mέná-gandjá
p. 143-237
Texte intégral
4.1. Les premières dispositions, les premières circoncisions et l’entrée en forêt
1Les célébrations ordinaires de la circoncision, dont il est question au chapitre précédent, et durant lesquelles on traite soit un seul, soit plus souvent deux ou trois jeunes gens à la fois, se succèdent à un rythme moyen de deux ou trois par année. Toutes s’inscrivent cependant dans une structure rituelle plus complexe. S’étendant en moyenne sur une petite dizaine d’années, bien que nous ayons connu des cas où elle en recouvrait une vingtaine, cette structure présente un aspect cyclique, et cela pour deux raisons. D’abord parce que, débutant par l’investiture du mέná-gandjá ou maître de la circoncision qui devra mener l’ensemble à terme, et s’achevant par la résignation de sa charge, le tout peut être repris une nouvelle fois par la même personne. En second lieu, parce qu’un certain nombre de ces ensembles se déroulent simultanément, successivement ou de manière à se chevaucher, en divers endroits.
2Le cycle lui-même est associé à la forêt, le principal opposé écologique et cosmologique du village. Pourtant cette association n’est pas basée, comme certains pourraient le croire, sur une opposition entre un espace profane, le village, et un espace sacré que représenterait la forêt. S’il est vrai que les ancêtres sont localisés en forêt, du moins en partie (2.2.2.d), ces catégories ne sont pas présentes, comme telles, à la pensée komo. D’ailleurs la plupart des rites se déroulent au village, la forêt étant surtout le lieu de la chasse. L’antagonisme qui est en jeu ici est davantage entre l’espace structuré et socialisé que constitue le village, et celui de la dissolution des liens sociaux, qui précisément va permettre le réajustement opéré par les rites de transition. Ce second endroit est représenté par la forêt, et c’est parce qu’ils ont également quitté la structure sociale que les ancêtres y sont localisés, eux aussi.
3La chasse qui s’y pratique est à son tour intimement liée à la circoncision, comme on l’a vu, bien que ce ne soit pas uniquement en raison de cette coïncidence topologique.
4Le début du cycle sera donc marqué par l’« entrée du gandjá en forêt », comme la fin le sera par sa « sortie de forêt » ; et durant tout son déroulement on dira aussi bien du cycle que de tous ceux qui y sont engagés qu’ils sont « en forêt », même si, pendant la majeure partie du temps, on voit ces gens vivre au village comme tout le monde. C’est précisément le sens des rites qui marquent le début et la fin du cycle que nous chercherons à dégager au cours de cette seconde partie.
4.1.1. Les facteurs qui déterminent l’organisation d’un nouveau cycle1
5a) L’organisation d’un nouveau cycle du gandjá est amenée de manière progressive par la rencontre de deux facteurs dont l’interférence se fait de plus en plus contraignante. L’un d’eux part de la base, l’autre est considéré par les gens comme étant d’ordre transcendant nous dirions plutôt qu’il relève du domaine des principes et des représentations — tandis que la rencontre elle-même s’opère dans l’interprétation donnée par les aînés à certains phénomènes particuliers.
6Tout village de quelque importance aime organiser lui-même les fêtes et réjouissances qui doivent briser quelque peu la monotonie des jours. Devoir se déplacer pour aller à la fête n’est pas la même chose que de pouvoir entendre résonner les tambours et les chants dans son propre village et d’y prendre part aux danses. Or, il n’y a pas de fêtes en dehors des célébrations rituelles et, parmi celles-ci, les célébrations de la circoncision sont de loin les plus grandes festivités. Un village qui ne peut plus organiser de grandes réjouissances parce qu’il n’a plus de mέná-gandjá en fonction aura donc le sentiment de dépérir et on y verra, après quelque temps, les habitants commencer à faire pression sur les aînés afin qu’ils désignent quelqu’un pour remplir la fonction. Il faut savoir qu’un mέná-gandjá qui a résigné sa charge après avoir mené à terme un ou plusieurs cycles conserve son titre et accède même, par rapport à ceux qui en sont encore à leur premier cycle, à un rang supérieur dans la hiérarchie de la confrérie. Mais à ce moment, il ne peut plus organiser de célébrations lui-même. Il faut savoir encore que, en raison des exigences multiples que comporte la fonction, personne n’est spontanément désireux de l’occuper.
7b) C’est ici qu’intervient le second facteur : le devoir de succession et ses implications. La règle veut qu’à un mέná-gandjá défunt succède quelqu’un de sa descendance, et elle est si contraignante que, sitôt qu’une maladie quelque peu tenace ou un malheur frappe un des descendants d’un maître de la circoncision qui n’a pas encore trouvé de successeur, ou une personne de la maison de ce descendant, la chose sera vue comme une manifestation de la volonté du défunt de voir quelqu’un occuper la fonction qu’il exerça autrefois. Les aînés trouveront là une voie leur permettant de canaliser et de faire aboutir la pression exercée sur eux par le village. Ils diront de celui qui a été frappé : Gandjá ambεɗí, « Le gandjá — en tant que force de frappe ésotérique — s’est saisi de lui », ou encore : Okéti ndé ábákέ amɓεɗí, « L’esprit de son père [ou d’un autre parent] s’est emparé de lui. » Ces commentaires se font néanmoins de manière relativement discrète, surtout au début. Il ne faut pas de déclarations officielles, mais plutôt quelques insinuations lâchées d’abord lors de discussions auxquelles ne sont admis que les aînés, de sorte que, doucement, le bruit puisse se répandre, mais au besoin aussi se reprendre. De fait, il importe que les aînés gardent les choses bien en main. Arguant en même temps de leurs rêves, ils manipulent ainsi diverses expressions de la volonté des ancêtres en fonction des intérêts de la communauté villageoise tout entière et des rapports sociaux qui y règnent, comme aussi en fonction d’autres impératifs dont il leur faut tenir compte.
8Pour pouvoir être « maître de la circoncision », il faut, en effet, avoir engendré (3.1.3.b), avoir perdu son père (3.3.2.a) et posséder, en outre, des qualités humaines et morales d’accueil, de partage, de conciliation et de fidélité conjugale, qui soient au-dessus de la moyenne. Ces qualités sont requises également de la part de la femme du mέná-gandjá, celle qui deviendra l’aɓóoi du gandjá. À l’issue du processus interprétatif déclenché par un malheur ou une maladie, la personne frappée en premier lieu ne sera donc pas toujours celle que le défunt est censé poursuivre pour lui succéder. N’empêche que ce sera le successeur escompté qui, par la suite, sous l’effet cumulatif du sentiment de persécution qu’on cherche à lui inculquer et de la pression croissante de son entourage qui le pousse à accepter la succession à la fonction, tombera de malheur en malheur s’il s’obstine à refuser. Cela n’aura de fin qu’une fois qu’il se sera soumis à la volonté commune des ancêtres et des siens, qui a ainsi pris forme autour de lui.
4.1.2. La réunion autour de la bière de banane et la circoncision du premier néophyte
9a) Lorsque les questions posées par la succession sont arrivées à terme, que les aînés sont tombés d’accord aussi sur celui qui sera l’ekoi ou opérateur, pour les cinq premiers circoncis du cycle, et qu’ils ont également en vue celui qui, parmi ceux-ci, pourrait être l’aluta, le premier circoncis, ils se mettent à préparer de la bière de banane. Dès que celle-ci est prête, ils invitent à se réunir autour d’elle celui qui est destiné à être le mέná-gandjá du nouveau cycle, celui qui préside la confrérie régionale des maîtres de la circoncision et devra conférer l’investiture à son nouveau confrère, l’ekoi et, éventuellement, le père du premier circoncis. C’est dans cette réunion que les aînés communiqueront aux autres leur façon de voir, dans la mesure où ceux-ci l’ignorent encore, et que seront prises les dernières dispositions concernant le lancement du nouveau cycle.
10En fait celui-ci comporte toujours un risque. Le cycle est lancé pour obtempérer à la volonté d’un ancêtre, mais on n’est jamais certain d’avoir bien compris celle-ci. De plus, comme l’on cherche généralement à arrêter, par ce lancement, des maux qui ont commencé à s’abattre sur des descendants de cet ancêtre, il est à craindre que si l’on n’interprète et n’exécute pas exactement la volonté de celui-ci, il ne s’ensuive des maux plus grands encore. Il s’ajoute à cela que les circoncis du cycle sont marqués, de par leur assimilation au keɓéndé (3.3. 1.a), comme victimes sacrificielles, et que cette qualification est plus marquée dans le cas du premier circoncis. D’une certaine manière, celui-ci sera donc offert à l’ancêtre en sacrifice propitiatoire, mais alors c’est contre cette première victime aussi que risque de se retourner, en tout premier lieu, le mécontentement de l’ancêtre si l’on a mal interprété sa volonté. Après elle, la personne la plus menacée est le nouveau mέná-gandjá, désigné pour reprendre la succession du défunt. De toute manière, comme c’est sur lui ou sur quelqu’un de sa maison que se sont abattus les maux qui ont conduit à organiser la succession, il est jugé normal que cette première victime soit prise parmi les proches du nouveau mέná-gandjá, et plus encore, qu’elle soit son propre fils. Seulement, on comprend aussi qu’en raison des risques que comporte la chose, le nouveau mέná-gandjá n’hésite pas seulement à accepter la fonction mais ait aussi souvent tendance à refuser d’exposer ainsi son propre fils au danger.
11b) Ces données jettent un jour nouveau sur ce que peut signifier la conceptualisation de la circoncision en tant que lutte avec le kaɓíε et la façon de présenter ce dernier comme relevant de la catégorie des ancêtres malfaisants. Comme nous l’avons montré ailleurs (cf. 1980, pp. 107-108), les rapports avec les ancêtres se ramènent toujours à un besoin d’identifier leur volonté et de découvrir derrière celle-ci la personne de l’ancêtre dont elle émane. Il y a là, en d’autres mots, un processus constant de transformation d’ancêtres inconnus, insatisfaits et malveillants, en ancêtres connus et bienveillants ou, pour respecter les termes de la culture même, une transformation d’ancêtres ɓakéti en ancêtres désignés soit nominalement, soit par un terme de parenté. En tant que risque, ou lutte d’issue incertaine, la circoncision peut donc être vue comme la présentation d’une victime à un ancêtre dont on cherche à identifier la volonté et la personne et qui, dans la mesure où l’on n’est pas encore certain de celles-ci, est appelé kaɓíε. Dans les rites de divination ce processus d’identification est appelé ténà ɓaúma, « couper les ancêtres », et nous sommes enclin à croire que l’expression ténà gandjá trouve là un de ses principaux référents sémantiques (2.1.b). Toute l’élaboration symbolique ultérieure du domaine des kabiε obscurcit la dimension présente qui pourtant paraît plus originelle et plus fondamentale (3.3.2.).
12c) Un mέná-gandjá qui accepte de prendre son propre fils pour en faire l’aluta de son cycle est appelé momɓángá. Renvoyant à une des initiations de l’úmbá, ce terme désigne un homme qui inspire la crainte par sa force et son audace. Par contre, quelqu’un qui n’accepterait de se charger d’un cycle qu’à condition de pouvoir prendre, comme premier circoncis, un fils classificatoire ou un neveu utérin, sera appelé ngbaula. Ce nom est dérivé du verbe gɓaúlá qui signifie ne pas respecter une prescription rituelle, principalement en faisant les choses avant d’avoir rempli les conditions requises. C’est ainsi qu’on se moquera de pareil mέná-gandjá en chantant : Ngbaula aténí gandjá n’a ndé djule, « Ngɓaula a pris sur lui le gandjà alors qu’il est (encore) un incirconcis », c’est-à-dire avant d’être un homme.
13Seulement, il faut voir que le choix de deux personnes, le mέná-gandjá et l’aluta, et les combinaisons qu’il permet, se prêtent également à résoudre certaines difficultés. Ainsi, si c’est un neveu utérin du défunt qui semble poursuivi, alors qu’en fait le fils de ce dernier est tout aussi apte à succéder à son père, ou encore, si le fils aîné du défunt remplit les conditions matérielles pour prendre la succession de son père, mais manque de qualités humaines, de sorte qu’on préfère charger un second fils de la fonction, l’on prendra facilement, comme premier circoncis, le fils de celui qui aurait normalement dû devenir méná-gandjá. Mais dans des cas de ce genre, ce n’est que la suite des événements qui fera savoir si l’ancêtre agrée la solution.
14d) Si, interprétant la volonté des ancêtres, les aînés destinent quelqu’un à la fonction, et que celui-ci s’obstine à refuser, ou même s’ils prévoient que, de toute manière, il refusera, cette réunion autour de la bière de banane prendra une tournure plus particulière. Les aînés feront venir le candidat sans lui dire de quoi il sera question et inviteront aussi celui qu’ils ont choisi pour être le premier circoncis. Ils feront circoncire celui-ci par surprise au début de la réunion et, se tournant vers le nouveau maître, ils lui diront : « L’aluta de ton gandjá, le voilà. » Il est alors impossible à celui-ci de reculer.
15En revanche, si les choses suivent leur cours normal, on réglera, à cette réunion, tout ce qui doit encore l’être en vue de lancer le nouveau cycle, puis on trouvera un prétexte pour envoyer le lendemain quelque part en forêt avec un aîné, celui qui sera le premier circoncis. Les aînés, l’ekoi, le mέná-gandjá président et celui qui reçoit l’investiture iront l’attendre là. Dès son arrivée sur les lieux, le jeune homme sera circoncis. Le nouveau mέná-gandjá veillera à se tenir tout près du néophyte pendant l’opération, de manière à se laisser éclabousser de son sang. Le premier circoncis du cycle étant considéré, de façon toute particulière, comme une victime propitiatoire offerte à un ancêtre, son sang aussi aura, plus que celui des autres, une vertu purificatrice propre à sauver le nouveau mέná-gandjá des maux qui l’affligeaient lui et les siens. De son côté, le mέná-gandjá président recueillera le sang de l’aluta dans une corne de buffle contenant de l’argile blanche. Cette corne portera le nom de mbɔngɔ à gandjá et sera conservée précieusement par le maître du cycle jusqu’au jour où seront célébrés les rites de la sortie de forêt. Cette première opération du cycle est d’ailleurs désignée, en termes ésotériques, par l’expression pheká bá, « construire le lieu de résidence en forêt ». C’est avec elle, en effet, que le cycle du gandjà « entre en forêt ».
16e) Tous ceux qui ont assisté à la circoncision de l’aluta s’en reviennent ensuite au village avec des feuilles rouges de kásá-ándjε (Ataenidia conferta), allusion au sang qui a coulé, et vont les jeter sur le seuil de la case du nouveau mέná-gandjá. Ce faisant, ils clament le « î » prolongé du kúlúɓísíá (3.4.3.a). C’est ainsi que la femme du nouveau maître de la circoncision est informée qu’elle sera l’aɓóí du gandjá et qu’elle aussi « entre en forêt » puisque désormais elle fait partie du groupe des ɓatɔ ésomba, « les gens du rituel initiatique ». Sa première réaction la laissera désemparée devant tout le travail, toutes les responsabilités, toutes les obligations et même les risques que cela comportera pour elle. Non seulement elle devra accueillir et nourrir tous ceux que son mari invitera aux diverses célébrations rituelles, allant leur chercher du bois de chauffage et de l’eau pour se laver, mais elle partagera aussi les responsabilités rituelles de son mari en ce sens que, si jamais il arrive quelque chose à ce dernier, c’est elle qui devra mener le cycle à terme (cf. 1980, pp. 81-84). De surcroît, elle apprendra inévitablement un certain nombre de choses que son sexe lui interdit de savoir et qui risquent d’attirer sur elle, surtout si elle devait en parler à d’autres, la vengeance de l’esomba (2.1.a), vengeance à laquelle elle s’exposerait aussi si elle venait à manquer à la fidélité conjugale. L’idée de tout ce qui l’attend et de ce qui la menace amènera souvent la femme qui apprend ainsi sa désignation comme aɓóí à prendre la fuite, éperdue, et à s’en retourner à son village natal. Il est possible qu’après quelques jours elle revienne en force avec ses frères, ou qu’on envoie ceux-ci protester en son nom, mais, même si la palabre peut durer quelque temps, les choses finiront toujours par s’arranger.
17Le premier néophyte du cycle est donc circoncis d’une manière exceptionnelle et fort discrète : sans viande et sans fustigation, sans chants ni danses, et sans même avoir pu proclamer le nom totémique des clans de son père et de sa mère. Il fallait, en effet, que personne ne l’entende ni ne puisse savoir qu’il était l’aluta du nouveau cycle. Ceci crée quelquefois des difficultés, surtout lorsque l’on n’a pas pris pour premier circoncis le propre fils du mέná-gandjá, la mère du garçon se mettant alors à chercher son fils à grands cris. Autrefois, dit-on, on lui aurait coupé la langue pour l’empêcher de crier, mais nous avons plus d’une fois eu le sentiment que certaines affirmations concernant le passé relèvent du domaine des représentations plus que de la tradition historique proprement dite. Quoi qu’il en soit, de nos jours le grand-père de son mari, s’il est encore en vie, ou à défaut un frère cadet de ce dernier viendra la rassurer, lui disant qu’elle n’a pas à s’inquiéter pour son enfant. Celui-ci restera en forêt, où on lui aménagera rapidement une cabane provisoire en attendant la construction plus définitive de celle du keamba, le lieu de réclusion.
4.1.3. La circoncision des trois néophytes suivants
18a) Immédiatement après la circoncision de l’aluta, le nouveau mέná-gandjá se rend à la chasse, accompagné de quelques hommes de son lignage. Il leur faudra attraper dans leurs filets le gibier nécessaire pour le repas du monanga qui précédera les circoncisions suivantes, tout d’abord celle du deuxième néophyte. Celui-ci est appelé asángɓa dans la région de Kelenga, ɗígíli dans celle d’osáy ό où asángɓa sera le nom du troisième, tandis que dans la région de la Maiko, au nord de Lubutu, digili est le nom donné au premier, et aluta celui du deuxième circoncis du cycle.
19Le père du deuxième circoncis et ceux des deux suivants ne recevront toujours pas de viande. Toutefois, si la circoncision ne s’accompagne pas encore de tout le cérémonial des célébrations ordinaires tel qu’on l’a décrit ci-dessus, elle connaîtra un peu plus de faste déjà que celle du premier néophyte.
20Le soir du jour où il revient de la chasse, le nouveau mέná-gandjá fera venir chez lui le jeune homme qui doit devenir le deuxième circoncis et annoncera sa circoncision en faisant battre le mitε (3.3.2.b) alors que les gens sont déjà allés se coucher. Le rythme, cette fois, ne marque pas la montée des génies de la circoncision, mais sert à réunir dans la case du mέná-gandjá quelques hommes du village qui connaissent les chants du monanga et passeront la nuit à les chanter, après que l’aɓói leur aura servi, avec un plat de bananes cuites, la viande rapportée par son mari. Tôt, le matin, après l’épreuve du betu (la luciole ; 3.3.3.e), le jeune homme est circoncis et va rejoindre l’aluta en forêt.
21b) La circoncision du deuxième néophyte est suivie d’une première « mise en blanc » (síá ɗɔphε) du nouveau mέná-gandjá. Celle-ci se fait sans beaucoup de cérémonie. Après une invocation (3.1.7.b), le mέná-gandjá président prend un peu du kaolin contenu dans la corne mbɔngɔ qui servit à recueillir le sang du premier circoncis et en enduit les avant-bras de son nouveau confrère. Ce geste constitue une première entrée du nouveau maître de la circoncision dans l’esomba, c’est-à-dire dans l’institution rituelle initiatique et thérapeutique, où le fait de traiter d’autres personnes le libérera de ses propres afflictions.
22À partir du moment où il a été traité avec le sang de l’aluta de son cycle, le mέná-gandjá entre avec lui et, à travers lui, avec tous ceux qui seront circoncis durant le cycle, en relation de konsambá. En soi le konsambá est un pacte de paix conclu entre deux clans jusque-là en guerre. Or, ces pactes de paix sont établis au moyen d’un échange impliquant une communion au même sang. Faisant jouer le même symbole dans ses aspects thérapeutiques ou prophylactiques, le rituel du gandjá amène à concevoir les rapports entre ses acteurs selon ces mêmes catégories sociales et imposera à ceux-ci les règles et interdits du konsambá. Ceux-ci seront adaptés à leur situation particulière, mais ils donneront lieu également à des élaborations symboliques secondaires. Une de ces règles stipule que, après avoir communié au même sang, ceux qui sont unis par un pacte de paix ne peuvent plus jamais voir le sang les uns des autres. C’est pourquoi, après avoir été traité avec le sang de l’aluta, le mέná-gandjá ne pourra plus assister à l’opération d’aucun des circoncis du cycle. Il ne pourra pas même être présent aux séquences rituelles durant lesquelles le sang des circoncis est représenté symboliquement, comme c’est le cas pour le lέlέ qui, à la fin du cycle, symbolise l’adieu du sang. Pour les ɓagandjá du cycle, ces normes de comportement ne s’imposeront qu’à partir du moment où, lors des rites de sortie, ils auront été traités à leur tour avec le sang de l’aluta contenu dans la corne mbɔngɔ. Cette interférence entre les rapports établis par la circoncision et ceux du konsambá a fait ailleurs l’objet d’une analyse plus détaillée (cf. 1980, pp. 193-201).
23Après avoir été mis en blanc, le nouveau mέná-gandjá reçoit sur la tête un petit chapeau en cannage, appelé tέtέlε, dans lequel a été enfoncée une baguette surmontée d’une touffe de plumes de poule et nommée mɔtέma. Le sens de ce chapeau doit surtout être cherché dans le contraste que présente sa forme par rapport au couvre-chef du mέná-gandjá accompli. Fait en peau du petit crocodile amá-kεkεa, celui-ci ne peut être touché par aucune femme, alors que le tέtέlε a tout à fait l’apparence, mais en plus petit, du panier djɔ qui, lui, est réservé aux femmes (2.2.2.d). De plus, les plumes qui surmontent le tέtέlε sont des plumes de poule, un volatile de village sans signification particulière dans le rituel de la circoncision, à l’opposé de celles de l’oiseau tótó dont un ou plusieurs plumets sont fixés au chapeau en peau de crocodile du maître de la circoncision accompli. Vivant au bord de l’eau en forêt, cet oiseau accompagne, dit-on, le mokumɔ dans ses déplacements et a un plumage noir parsemé d’ocelles blanches. Ce détail en fait un modèle du tɔndá, la pratique qui consiste à s’orner de la même manière. Nous y reviendrons encore.
24c) Les deux jeunes gens dont la circoncision suivra de près celle du deuxième néophyte portent généralement les noms de asángɓa et de abá-mbisε ou ambítí. Dans la région de Kelenga, où le nom d’asàngba est donné au deuxième néophyte, le troisième sera appelé ɗígíli. Ces deux jeunes gens seront circoncis de la même façon que le deuxième néophyte, c’est-à-dire tôt le matin, sans grande cérémonie, après que le monanga aura été chanté par quelques hommes du village pour lesquels seulement il y aura eu un peu de viande. Progressivement cependant, on voit s’instaurer de légères modifications. Si les parents des jeunes gens à circoncire sont prêts à admettre que le premier d’entre eux, et peut-être encore le deuxième, soient traités selon un rituel simplifié, ils paraissent de moins en moins disposés à admettre la chose pour les deux suivants. Le sens premier de la tradition étant en train de céder la place à une plus grande extériorisation, ils ne tiennent pas compte du fait que le cycle n’est pas encore pleinement lancé et ne voient donc pas pourquoi on les priverait, eux et leurs enfants, des réjouissances qui accompagnent les célébrations ordinaires. Selon les endroits et la pression exercée sur eux, les mέná-gandjá essaient de satisfaire ces revendications. Il s’agit principalement, d’abord du panier de viande qu’habituellement ils remettent au père du jeune homme (3.1.3.c), puis des danses publiques.
4.1.4. Le bá á kantshálshá, campement de chasse en forêt
25a) Après la circoncision, de abá-mbisε le nouveau mέná-gandjá part au loin dans la forêt pendant quelques semaines avec les quatre premiers circoncis du cycle, ceux-ci n’ayant pas encore « parlé » (3.5.2.). Il sera accompagné également de quelques hommes de son lignage ainsi que de sa femme, l’aɓóí, qui, tout en se tenant bien à l’écart de tout ce qui se passe, devra préparer les repas. Tous se rendent, selon l’expression, au bá á kantshátshá, un campement (bá) de chasse en forêt, où il faudra rassembler une abondante provision de viande boucanée, et où seront confectionnés les tambours et tous les instruments ésotériques nécessaires à l’ouverture solennelle du cycle et à la première « montée des génies » (3.3.2.), appelée kantshátshá, qui marquera celle-ci. Le mέná-gandjá devra également y attraper les animaux dont la peau servira à confectionner ses nouveaux insignes : un singe osephe, un écureuil ɓungú et une genette pour son collier, et pour son chapeau une antilope sɔndɔ. La chair des trois premiers sera soigneusement tenue à part, car elle ne pourra être consommée qu’au moment même de l’investiture, et par les seuls mέná-gandjá qui, ayant déjà achevé un premier cycle, n’arborent plus les dépouilles de ces animaux.
26b) Au lieu du campement, on construira généralement deux cabanes, l’une pour le mέná-gandjá, sa femme et ses frères lignagers, l’autre à quelque distance de là pour les quatre premiers circoncis. C’est dans cette dernière que seront cachés les instruments ésotériques. Le mέná-gandjá président sera présent, lui aussi, durant les premiers jours, afin de lancer le camp, et il reviendra à la fin de celui-ci pour le clôturer. Après la confection de la première cabane, il enfouira en terre quelques objets appelés ophéké sous la couche de son nouveau confrère. Dérivé du verbe phékà qui signifie « faire intervenir dans un rite des objets signifiant les effets que l’on attend de celui-ci », le mot ophéké désigne l’ensemble de ces objets. Lorsqu’il s’agit d’objets enfouis en terre, leur identité est généralement maintenue secrète, même vis-à-vis des maîtres du rituel qui n’ont pas encore achevé un premier cycle ; et celui qui les met en terre les enveloppe dans des feuilles afin de les cacher aux regards. Ce n’est donc souvent que par la suite que nous avons pu recueillir des renseignements à leur sujet, et cela grâce à l’amabilité de certains mέná-gandjá qui, placés à la tête de la confrérie de leur région, nous reçurent dans leur confrérie. Il s’avéra ainsi que la liste des ophéké possibles ne comporte en tout qu’une bonne vingtaine d’objets, pour la plupart d’ordre végétal. On voit revenir ceux-ci dans des contextes différents. Le maître président ne les fait jamais intervenir tous à la fois, et son choix est souvent déterminé tout autant par le fait d’en avoir certains sous la main, que par le contexte lui-même. Deux qualités propres aux ophéké sont à la base de cette façon de faire. Bon nombre parmi eux renvoient, soit à l’idée d’abondance, soit à l’opposition entre ouverture et fermeture, et ont donc par là une signification assez générale pour permettre des applications et interprétations plus spécifiques en fonction des contextes. D’autres expriment des notions telles que fécondité, prudence, durée, succès en amour ou succès des célébrations, c’est-à-dire des notions qui concernent le gandjá en général et sont donc toujours applicables (4.2.2.a ; 4.3.3.a ; 5.4.2.d ; 5.5.4.e).
27Sous la couche du nouveau mέná-gandjá, le président cachera habituellement une gousse de l’arbre ɓéká (Pentacletra macrophylla). Éclatant soudain avec un bruit sec, ces gousses projettent aux alentours une série de graines. De ce fait, elles ne font pas seulement penser aux pièges qui sautent (ɓéká signifie sauter), mais elles incarnent également l’opposition entre fermeture et ouverture, ainsi que l’idée d’une abondance jaillissant de cette dernière. Il est clair que c’est une abondance de viande que l’on a en vue ici.
28Un morceau de carapace de la tortue d’eau (ophélé) peut être ajouté à la gousse pour exprimer une idée analogue. L’animal est renommé pour ne pas se déplacer dans le but de trouver sa nourriture. Celle-ci, dit-on, lui arrive d’elle-même. Ce trait se prête cependant à une autre application, sur laquelle on insistera ailleurs (4.4.2.a). On ajoutera également un fruit mbi, provenant de l’arbre (Pachyclasma tessmanii) qui porte le même nom. Employés pour la pêche au ngó, ces fruits servent à empoisonner l’eau et tuent ainsi les poissons en grand nombre (cf. 1980, p. 229). Ils sont donc, eux aussi, des signifiants d’une chasse fructueuse. Seulement ils peuvent signifier tout autant la force de frappe de l’esomba, qui se vengera immanquablement sur tous ceux qui voudraient porter atteinte au nouveau cycle ou à son maître (4.4.2.a). Dans ce sens ils rejoignent la signification du yendji que le mέná-gandjá président enfoncera également en terre sous la couche de son collègue (4.3.3.b).
29Parfois aussi on ajoutera aux ophéké un mélange de maïs ou de sel et de ntutu. Les deux premiers sont des symboles de fécondité, le maïs en raison des nombreuses graines que comporte un épi, le sel à cause de la rapidité avec laquelle se propage la plante dont on l’extrait, tandis que la durée, signifiée par le ntutu, est toujours considérée comme un complément essentiel de la fécondité (3.3.3.g).
30Les ophéké peuvent également être des plantes que l’on pique en terre. La signification de la majorité d’entre elles rejoint celle des ophéké présentés ci-dessus. C’est le cas, par exemple, pour la plante akɔú qui sera plantée au pied de la couche du nouveau maître de la circoncision. Toutefois, les feuilles d’amá-phaphasá aux faces noire et blanche que le président plantera également au pied de la couche signifient davantage, comme le kaolin dont fut enduit le nouveau maître après la circoncision du deuxième néophyte, l’entrée du maître dans l’esomba (3.2.4.b).
31La couche elle-même est faite de feuilles de l’arbre ebombi (Anonidium mannii). Cet arbre est renommé pour son bois doux, signifiant l’affabilité, une des qualités principales requises de la part d’un mέná-gandjá, et il l’est davantage encore pour l’abondance de ses fruits comestibles, qui attirent à lui beaucoup de femmes et d’animaux, et font de lui aussi un symbole de fécondité et de succès. À cela s’ajoute que ces fruits se fendent en deux lorsqu’ils tombent à terre. En raison de l’idée de fécondité qui leur est déjà rattachée, ils en sont venus ainsi à renvoyer à la vulve d’amá-ophása, la mère de jumeaux. Les jumeaux doivent d’ailleurs être lavés rituellement avec de l’eau dans laquelle on a mis ces fruits à tremper.
32c) À la tombée de la nuit qui précède le début de la chasse, le mέná-gandjá président présentera les offrandes aux ancêtres et priera ceux-ci d’accorder à son nouveau confrère une chasse fructueuse (3.3.2.a). Tant que dure la chasse, ce dernier ne pourra manger du gibier attrapé. N’étant pas encore pleinement investi de ses fonctions, il se trouve dans un état liminal, tout comme les quatre néophytes qui habituellement n’ont pas encore passé, à ce moment, l’épreuve du djaɓá (3.5.3.). C’est dire, dans les termes de la culture que, leur corps à tous n’étant pas entièrement « ouvert » (kɔdɔkáná), ils risqueraient de provoquer la « fermeture » des pièges et autres instruments de chasse s’ils mangeaient du gibier que leur livrent ceux-ci. Même si le mέná-gandjá met souvent à profit cette période de chasse en forêt pour initier les néophytes au djaɓá, les nombreux interdits auxquels restent soumis une bonne partie de ceux qui participent au bá á kantshátshá auront pour effet que celui-ci ne se prolongera pas plus qu’il ne faut. Il ne connaît d’ailleurs pas l’ampleur du bà á gandjá, le campement de chasse qui clôture le cycle. Il en va de même pour L’ikándálá et l’aphindia qui, eux aussi, interviennent au début et à la fin du cycle.
4.2. Le retour au village et les premières séquences d’ouverture
4.2.1. L’ikándálá, poursuite de l’oiseau jusqu’au village
33Le dernier soir du bá á kantshátshá, un des adultes du camp prend la fuite avec le mokumɔ, l’instrument fait d’une conque d’escargot dont le nom désigne, dans un contexte profane, le cormoran, tandis que l’instrument lui-même renvoie aux organes sexuels féminins. Dans le contexte présent, c’est surtout sur l’oiseau qu’est mis l’accent et c’est du surnom d’amíta qu’on le désigne de préférence. Amíta ayalí ! « L’amíta s’est envolé ! », s’écrieront les quatre néophytes, dès qu’ils auront perçu son cri en forêt, et, avec quelques autres, ils se lanceront à sa poursuite. Avant qu’ils aient pu le rejoindre, l’homme aura cependant repris la fuite avec son instrument. Ainsi la poursuite, nommée ikándálá, continue pour aboutir finalement au village d’où l’on était parti pour se rendre en forêt. Avant d’y arriver, elle fera toutefois un grand détour, qui la mènera à travers d’autres villages. L’ikándálá ne pourra cependant pas traverser ceux-ci avant que les gens y soient rentrés pour dormir. Il faut éviter, en effet, que l’instrument puisse être vu par les femmes ou les non-initiés.
34Sur le point d’arriver à un village, « l’oiseau » se laisse rejoindre par ses poursuivants, de manière à ce que tous traversent le village ensemble ; et lorsqu’ils passent devant la demeure d’un méná-gandjá, ils s’arrêtent pour faire chanter l’oiseau. Le méná-gandjá se lèvera et leur donnera un peu d’argent (phéndá, indemniser), qu’ils remettront de sa part à son nouveau confrère. Ce dernier le remettra, à son tour, à celui qui lui confère l’investiture. Le petit groupe ne pénétrera pas dans le village du nouveau méná-gandjá·. « l’oiseau ira se percher sur un arbre » en forêt à quelques centaines de mètres à l’est du village, tandis que ses poursuivants monteront la garde auprès de lui jusqu’au matin (voir infra). On notera au passage que ce retour du campement de chasse, effectué en poursuivant l’amíta qui ne peut être vu des femmes, constitue le correspondant inverse du retour de pêche des femmes lors du maningé. Elles aussi suivaient un objet qui, au début du moins, ne pouvait être vu par les hommes (3.2.4.c).
35Entre-temps le nouveau mέná-gandjá, sa femme et ceux des adultes qui n’ont pas pris part à l’ikándálá, sont revenus au village par un chemin plus court, rapportant la viande, les tambours et les instruments ésotériques du gandjá. Ces derniers sont cachés en forêt, à l’endroit où sera construit le keamba, le lieu de réclusion des ɓagandjá. Après son retour, le nouveau mέná-gandjá devra trouver un jeune homme qui sera circoncis le jour même de son installation officielle, l’aphandja du cycle. En fait, dès qu’ils apprennent que le nouveau maître est revenu avec de la viande, les hommes qui ont des fils en âge d’être circoncis viennent d’eux-mêmes entamer des pourparlers avec lui.
4.2.2. L’aphindia, arbre recourbé
36a) Si la nuit n’est pas trop avancée lorsque, avec ses poursuivants, l’amita est arrivé à proximité du village, les hommes du village vont chercher les nouveaux instruments ramenés par le mέná-gandjá, et vont se joindre à l’oiseau symbolique, tandis que les tambours battent le mitε, le rythme qui accompagne normalement la montée des génies et maintient les non-initiés à distance. S’il est trop tard, ils ne s’y rendront que le lendemain matin — ce qu’ils feront de toute façon. Ce jour-là ils joueront des instruments, tandis que, sous la direction du mέná-gandjá président, les premiers circoncis du cycle débroussaillent l’endroit où l’amíta est venu « se perpercher». Un espace doit y être aménagé pour dépecer le kebéndé et ériger l’aphindia.
37Parmi la viande ramenée du campement, il faut en effet qu’il y ait une pièce de gibier qui, tuée en dernier lieu, n’a pas encore été dépecée, le kebéndé. Après une invocation, on y porte le couteau de la façon rituelle décrite plus haut (3.3.1.), à l’emplacement même où est venu « se percher » l’oiseau, et la viande est mise dans des pots. Là où a coulé le sang de l’animal, on creuse un trou, le « nombril » de l’aphindia. Au fond de celui-ci le président enfouit quelques ophéké enveloppés dans des feuilles d’amáphaphasá qu’il retire de sa besace. Parmi ceux-ci, il y a un fruit ndimba, provenant de l’arbre désigné du même nom (Symphonia gabonensis). Cet arbre se caractérise par ses nombreuses fleurs rouges qui attirent les colibris. Or ceux-ci sont avant tout des symboles sexuels féminins. En ce sens, ces fruits se prêtent à signifier un des effets que l’on attend du rituel de la circoncision : l’attrait exercé par les hommes sur les femmes. Seulement, on sait que le colibri renvoie également au prépuce (3.3.2.f). Cela permet de faire jouer, en ce début de cycle, d’autres connotations du fruit ndimba et d’y voir un souhait que le nouveau cycle puisse attirer beaucoup d’incirconcis qui viendront s’y faire traiter. Par contre, lorsque le même fruit sera appliqué, à la fin du cycle, aux ɓagandjá sortants, on verra le premier sens reprendre le dessus (5.5.2.d).
38Certaines des attentes signifiées par les ophéké seront formulées ensuite dans une invocation adressée aux ancêtres par le mέná-gandjá président. Il sera surtout demandé à ceux-ci que le nouveau cycle du gandjá puisse se dérouler heureusement, que ses célébrations connaissent le succès d’une nombreuse assistance, que le mέná-gandjá qui en a la charge puisse y trouver le bien-être physique, surtout si c’est sous l’effet d’afflictions répétées qu’il a accepté celle-ci, que tous ceux qui y seront circoncis ou traités y trouvent la fécondité, et enfin que les rites eux-mêmes puissent raffermir (« ouvrir ») les membres de tous ceux qui y prendront part.
39Après cette prière, tous les hommes qui auront une fonction particulière dans le cycle et les quatre néophytes qui y ont déjà été circoncis sont invités à mâcher un peu de la chair du champignon ntutu, qui signifie la durée (3.3.3.g), et à venir cracher celle-ci sur les ophéké, au fond du trou. C’est en effet à la durée du cycle que sera mesuré son succès. Il n’est que juste, dès lors, que l’on demande à tous ceux qui y auront une fonction qu’ils s’engagent à faire durer les effets des ophéké.
40b) On s’en va ensuite chercher un jeune arbre de quelque huit mètres de haut. Après l’avoir abattu et dépouillé de ses branches, mais non de sa cime, on le ramène et on le plante solidement en terre, à l’est du trou, puis on le recourbe entièrement vers l’ouest, de manière à en ramener la cime à un mètre du sol environ, tout juste au-dessus du trou. Un bâton crochu est fixé en terre pour le retenir dans cette position. Après une nouvelle invocation des ancêtres, dans laquelle le président demande cette fois que le gandjá soit préservé de toute forme d’ensorcellement, on referme le trou, tout en plantant, dans la terre dont on le remblaie, des feuilles rouges de kásá-ándjε (4.1.2.e) et des feuilles d’akɔú. Les premières renvoient au sang du kebéndé qui y a été immolé et annoncent par là aussi celui des ɓagandjá du cycle ; les autres signifient la fécondité et la durée (3.2.4.b).
41Les quatre premiers circoncis du cycle doivent alors nouer, de leur seule main gauche, un peu de terre sortie du trou dans une feuille d’akɔú et faire pendre celle-ci au tronc de l’arbre recourbé, à côté de feuilles d’amáphaphasá nouées, elles, de manière à ce que le côté clair se trouve à l’extérieur. Ces feuilles sont appelées ɓoíngíá. Puis ils ornent le tronc de l’arbre de taches blanches, que l’on dit être de la fiente de l’amíta, l’oiseau qui s’était perché dessus. C’est bien sur lui, expliquera-t-on en effet aux femmes et aux non-initiés lorsque plus tard ils verront l’arbre, que s’est posé l’oiseau et tout le reste de l’aménagement leur sera présenté comme un effet de sa présence.
42L’ensemble aménagé de la sorte est nommé aphindia, un terme dérivé de l’applicatif du verbe phindá, qui signifie « baisser, recourber pour ou vers ». De façon plus générale, ce terme renvoie à des constructions similaires érigées en forêt au début de célébrations rituelles importantes. Les rites ɓotúmá, par exemple, célébrés par les chasseurs d’éléphants, débutent par la confection, au moyen de branches, de deux éléphants, mâle et femelle. Avant d’analyser la signification de l’aphindia, il nous faut présenter quelques détails encore au sujet de la préparation et de la consommation du kebéndé, et de la fin de la séquence.
43c) Sitôt la construction de l’aphindia achevée, la viande du kebéndé est cuite sur place par les hommes, tandis que les instruments du gandjá continuent à jouer de manière à tenir les non-initiés à distance. Un des récipients est réservé à la cuisson de la part du kebéndé qui sera servie aux mέná-gandjá de la confrérie. Ceux-ci sont arrivés entre-temps pour prendre part à la célébration ; certains même étaient déjà présents à l’érection de l’aphindia. Un autre récipient est réservé à la préparation des animaux dont la peau devait servir à la confection des insignes du nouveau mέná-gandjá. La chair de ces derniers ne pourra être mangée que par les maîtres du rituel qui, ayant déjà achevé un premier cycle, ne portent plus ces insignes. C’est d’ailleurs l’un d’eux qui aura été chargé de la faire cuire. Pendant que les hommes s’occupent de la préparation de la viande au pied de l’aphindia, la femme du nouveau mέná-gandjá, aidée par quelques autres femmes, fait cuire, à mi-chemin environ entre l’arbre et le village, des bananes ou du manioc.
44Lorsque le repas est prêt, la part des mέná-gandjá leur est servie à l’intérieur de la case rituelle, tandis que le reste est consommé sur l’emplacement même de l’aphindia par tous les hommes qui auront un rôle à jouer dans le nouveau cycle et par les premiers circoncis. Avant de manger, les mέná-gandjá prélèvent un peu de nourriture pour l’offrir aux ancêtres après le repas. Les restes devront être rassemblés avec soin et jetés au loin en forêt, afin d’éviter que quelqu’un ne s’en serve pour ensorceler le nouveau cycle.
45Les détenteurs du rituel reviennent alors déposer au pied de l’aphindia les offrandes destinées aux ancêtres puis, après une invocation dans laquelle ils demandent une nouvelle fois à ceux-ci que le gandjá puisse se dérouler heureusement et sans souffrir de sorcellerie, ils vont conduire l’oiseau avec les autres instruments du gandjá en forêt à l’endroit, situé derrière la case du nouveau maître de la circoncision, où sera aménagé le keamba, le lieu de réclusion qui hébergera les circoncis du cycle et où seront conservés les instruments. Pour s’y rendre ils traversent le village en procession, tandis que les hommes jouent des instruments et que les tambours, battant le mite, font fuir les femmes et les non-initiés.
46d) Il reste à mentionner un dernier détail qui nous mènera à un premier plan de signification de l’aphindia, comme l’expliquent les spécialistes du rituel. Le lendemain de l’aménagement de cet ensemble, ou après trois jours en certains endroits, on enlève le crochet qui retenait la cime de l’arbre au-dessus du trou. Se redressant, l’arbre doit alors normalement reprendre vie. C’est d’ailleurs pourquoi on n’utilise pour l’aphindia que certains arbres qui, comme le pεkε (Ricinodendron africanum) ou le ɓɔɔgáni, le quinquina, repoussent même si on les transplante sans leurs racines. Seulement on dira que c’est parce que la cime a été maintenue durant un temps au-dessus du trou contenant les ophéké qu’elle a pu puiser, en ceux-ci, la force de revivre. L’aphindia constitue donc, en premier lieu, une preuve de l’efficacité des ophéké du nouveau cycle et garantit, si l’arbre repousse, le succès du cycle lui-même.
47On se trouve amené, par là, à un niveau plus profond de significations, celui où la circoncision se conceptualise elle aussi en termes de mort et de résurrection. Il est vrai que seul le premier de ces deux termes intervient dans les thématisations des initiés (3.5.1.b), mais pouvant faire revivre un arbre coupé, les ophéké auront le même effet revivifiant sur ceux qui, durant le cycle, auront le prépuce — ou le pénis coupé (nténé, le pénis, est relié étymologiquement au verbe téná, couper). Ici intervient, pour refermer à nouveau le cercle des significations (3.2.4.b), le symbolisme du kebéndé, l’animal ramené entier, c’est-à-dire « comme vivant », pour être dépecé, c’est-à-dire immolé symboliquement, sur place. C’est son sang qui, ayant coulé à l’endroit même où l’on creusera le trou, rendra les ophéké efficaces. Or le kebéndé représente aussi les circoncis du cycle (3.3.l.a). À travers lui leur circoncision devient une mort sacrificielle et c’est cette mort qui, en fin de compte, est à l’origine de leur propre résurrection et assure celle-ci. Cette assurance, on l’assume ou on se l’approprie personnellement par la consommation du kebéndé à l’endroit même où il a été immolé. Il est vrai que l’animal n’est pas consommé uniquement par les circoncis du cycle (s’il ne s’agit ici que des premiers circoncis ; lors de l’aphindia qui marque la fin du cycle tous les ɓagandjá y auront part), il l’est également par le nouveau mέná-gandjá et ses confrères et par tous les hommes qui auront une fonction rituelle dans le cycle. Cependant les gestes et paroles rituels nous ont déjà fait voir que la circoncision-sacrifice est censée étendre ses effets au-delà de ceux qui seront immolés. Le sang du premier circoncis sert à guérir le nouveau mέná-gandjá des afflictions qui le frappent et, dans les prières et invocations qu’ils adressent aux ancêtres, les aînés parmi les maîtres du rituel demandent constamment que tous ceux qui sont engagés dans le cycle y trouvent la santé et le bien-être. On y voit, en effet, revenir sans cesse les formules terminales, ɓέlamέ, « que nous soyons guéris » ; nyam’ású ákóɗókánέ, « que notre corps s’ouvre » ; ɓé... phɔ nsaló, « que nous fassions (ceci ou cela) de manière à être sains et saufs ». Ainsi, communiant par la consommation du kebéndé à la mort rituelle des néophytes, tous espèrent avoir part au renouvellement de vie garanti par le sacrifice de ceux-ci.
48Sur cet ensemble de significations vient s’en greffer un autre, de caractère plus sexuel, qui semble préciser davantage le sens tant de la mort que du renouvellement de la vie. C’est après avoir couru toute une nuit derrière un oiseau qui symbolise les organes sexuels féminins que l’immolationcirconcision a lieu à l’endroit même où l’on a fini par l’attraper. Il est manifestement signifié par là que l’homme ne peut prendre possession de la femme à moins d’être circoncis ou, pour respecter davantage le symbolisme qui est en jeu, ici comme ailleurs, c’est aux organes sexuels de la femme que ceux de l’homme sont immolés. Les feuilles noires et blanches d’amáphaphasá, et plus encore les taches de fiente blanche de l’oiseau, dont est orné l’aphindia, signifient la même chose, bien que d’une autre manière. À travers elles c’est l’entrée dans l’esomba qui est posée comme condition (4.1.4.b ; 3.2.5.f), mais il s’agit bien de l’esomba de la circoncision.
49De plus, le trou et la terre qui en est retirée sont désignés comme « le nombril de l’aphindia ». Or, les Komo établissent un rapport explicite entre le nombril et le pénis2. La proéminence du premier est un signe de puissance sexuelle. Ce rapport se retrouvera, visualisé, dans d’autres séquences rituelles encore (5.2.1.b). D’autre part, on voit revenir ici les feuilles nouées d’akɔú, dont nous avons montré plus haut (3.2.4.b) comment elles renvoient à l’intimité et à la fécondité féminines. Introduire un peu de terre du « nombril-pénis » à l’intérieur de ces feuilles nouées et fixer celles-ci à l’aphindia, l’arbre qui doit reprendre vie, comme l’ont fait les premiers circoncis du cycle, signifie donc avoir accès à cette intimité et que c’est précisément en cet accès que consistera le renouvellement de la vie. L’emploi de la seule main gauche pour introduire la terre dans les feuilles ne fait que confirmer la chose, puisque c’est de cette main, appelée « main de la femme » que l’homme se sert dans ses rapports sexuels.
50e) Enfin, on voit interférer avec toutes ces significations deux structures symboliques qui, tout en étant plus visuelles, pourraient être qualifiées de résiduelles ou de paradigmatiques (Ardener 1978, p. 107). Un vers de la devise (magómbó) de Kɔlɔsɔ, un des principaux mέná-gandjá de la région de Kelenga, nous mettra sur la voie de la première : Amá-djú aogɓúta, ḿbέ aokaba kúbú âkέ, « Si le (petit rongeur) amá-djú se recourbe, c’est qu’il cherche son trou. » Référant, comme chacun des vers de la devise que doit avoir tout homme, aux événements les plus marquants de sa vie, celui-ci faisait allusion, au dire de son auteur, à son désir d’avoir des rapports sexuels avec une de ses femmes, alors que celle-ci se refusait à lui. L’image de l’arbre recourbé au-dessus du trou paraît donc évoquer l’acte de copulation. Ici aussi un détail vient confirmer la chose, à savoir que, dans les arbres qui entourent l’endroit où a été aménagé l’aphindia, les jeunes circoncis taillent des trous représentant les organes sexuels de la femme, et y enfoncent de gros bois taillés en forme de pénis. Toutefois cela se fait davantage à l’aphindia qui marque la fin du cycle. Nous y reviendrons donc plus loin. Et nous verrons aussi que la séquence rituelle durant laquelle l’arbre mbáú est planté dans un trou évoque clairement la même image.
51D’autre part, l’arbre retenu par un crochet au-dessus d’un trou rappelle la manière dont sont placés certains pièges. Une autre actualisation de cette même structure se retrouve dans le rituel de chasse abandja, où un arbre plus grand encore est planté en terre et recourbé au-dessus de la case du chasseur qui se fait initier. Ainsi, dans son aspect, l’aphindia réunit des champs d’expérience divers, notamment la chasse, la copulation et la fécondité, que nous avons déjà vues reliées entre elles sur d’autres plans, principalement à travers les notions antithétiques d’ouverture et de fermeture.
4.2.3. Le fùà ndábɔ, balayage de la case rituelle
52a) Après avoir conduit le cortège des instruments en forêt, à quelque deux cents mètres derrière la case du nouveau mέná-gandjá, à l’endroit destiné à devenir le keamba, le lieu de réclusion des bagandjá du cycle, les maîtres de la circoncision laissent les premiers circoncis s’occuper, avec l’aide de quelques adultes, de l’aménagement de celui-ci et de la construction, en son milieu, de la cabane moémbe où les reclus passeront la nuit. Eux-mêmes s’en retournent vers la case rituelle pour inaugurer celle-ci, si l’on peut s’exprimer de la sorte. Cette inauguration se rend par l’expression fúá ndábɔ, « balayer la case », qui se justifie du fait que celle-ci n’a pas été occupée pendant toute la période que son propriétaire, le nouveau mέná-gandjá, a passée au campement de chasse en forêt. Il est vrai que plusieurs des gestes qui constituent ce « balayage » ont davantage de sens après le séjour plus long en forêt qui marque la fin du cycle. Mais comme les rites qui ouvrent un cycle et ceux qui le clôturent sont peu fréquents, on conçoit qu’une structuration analogue de certaines séquences qui reviennent aux deux moments permet de garder plus sûrement à la mémoire la tradition de tout ce qui doit s’y faire.
53Le mέná-gandjá président commence donc par faire enlever par un de ses principaux assesseurs, à l’aide d’un balai, les toiles d’araignées de la base du toit. Puis, après avoir ajouté quelques cendres incandescentes à des feuilles sèches prises en forêt et introduites dans une grande feuille verte roulée en entonnoir, il se met à souffler dans ce dernier, orientant la fumée qui sort par le bout étroit vers les différents coins de la case. Provenant du lieu où résident les ancêtres, et cueillies ou ramassées à leur instigation durant la célébration des rites, les feuilles et la fumée qu’elles dégagent sont toujours censées avoir un effet bénéfique (cf. 1975, pp. 129-130). Le président prend alors quelques baguettes de bois sec, y met le feu, et les promène le long des parois de la case. Ce geste rituel reprend la pratique consistant à faire un grand feu dans une case qui n’a plus été habitée pendant un certain temps, dans le but d’en faire partir l’humidité et toutes sortes d’insectes. Après cela le mέná-gandjá responsable présente un peu de miel apoma à chacun de ses confrères, les invitant à le recracher tous ensemble sur leur assemblée et vers les parois de la case afin de marquer leur détermination à maintenir entre eux des rapports suaves, comme on l’a vu plus haut (3.1.7.b). Ce geste est d’ailleurs précédé d’une invocation dans laquelle le président en paraphrase le sens et reprend un certain nombre de souhaits concernant le nouveau cycle et ceux qui y sont engagés ou qui y seront traités. Enfin, les mέná-gandjá réunis procèdent à l’érection de l’ophémbé, reliant leurs bâtons en un faisceau autour du poteau central. Nous en connaissons également la signification (3.1.7.b).
54b) Après avoir achevé l’aménagement du keamba, les quatre premiers circoncis du cycle seront invités à « parler » (yɔngá), c’est-à-dire à faire leur première réapparition en public. Jusque-là, en effet, personne parmi les non-initiés n’avait encore pu les voir. Cette réapparition se fera autrement que dans les célébrations ordinaires (3.5.2.). Sans qu’on s’en aperçoive, les jeunes gens montent tous sur un arbre situé quelque part en bordure du village, mais bien visible à partir de celui-ci. Ils y prendront place selon leur ordre, le premier circoncis sur une branche plus élevée que le deuxième et ainsi de suite. Un des maîtres du rituel attirera alors l’attention des femmes vers l’arbre. Les néophytes, à ce moment, se mettent à crier tous ensemble (yɔngá), ce qui provoquera au village un débordement de joie, surtout de la part des femmes et des enfants. Ainsi, bien que la manière de « parler » soit différente de l’ordinaire, on retrouve le principe de la manifestation par le haut.
4.2.4. L’arrivée de l’aphandja, cinquième circoncis, et des ɓantεndε, pères qui seront initiés
55a) Dans la soirée de ce même jour, on voit arriver le jeune homme qui sera circoncis au moment même où le nouveau mέná-gandjá est officiellement investi de ses fonctions. Cinquième néophyte du cycle, il est aussi celui dont la circoncision marque, comme telle, l’ouverture officielle du cycle. Il est d’ailleurs le premier pour qui la cérémonie suivra, dans ses grandes lignes, le déroulement des célébrations ordinaires, telles qu’on les a décrites. Accueilli au village comme on l’a dit (3.1.4. ; 3.1.7.e), le jeune homme recevra le nom rituel d’aphandja. Signifiant « celui-qui-disperse », cette appellation est due à un ensemble de raisons, la principale étant, comme on vient de le voir, que sa circoncision marque l’ouverture du cycle ; mais il nous faudra revenir plus loin sur les éléments de dispersion que cela comporte (4.4.2.f). On ne retiendra pour l’instant que le fait que, au moment où il entre lui-même dans l’esomba, les quatre premiers circoncis, qui viennent de « parler », se dispersent pour rentrer chacun chez soi.
56b) L’installation d’un nouveau mέná-gandjá comporte également, durant la première nuit des célébrations, nuit que se réservent les maîtres de la circoncision (3.1.8.), certaines séquences rituelles auxquelles ne peuvent assister que les hommes qui ont engendré. Tout homme est d’ailleurs invité à y assister, au moins une fois, sitôt qu’il a engendré. Ces séquences, dont la principale est le yendji3, fonctionnent donc en tant que rites initiatiques ou de passage, introduisant ces hommes dans la classe des pères. Nous avons traité ailleurs (cf. 1980, pp. 57-58 ; 86-87) des difficultés qu’entraîne le caractère initiatique double du rituel de la circoncision, difficultés d’autant plus sujettes à tensions et à conflits qu’il existe, pour introduire les hommes dans la classe des pères, un rituel de passage spécifique, l’úmbá, avec ses propres confréries de maîtres, les abá-káumba. Úmbá signifie « rester sur place ». L’expression úmbá kaɓogé qui désigne, de manière globale, l’initiation des pères au gandjá, connote donc l’interférence entre les deux types de rituels, puisque kabogé renvoie aux éléments ésotériques du rituel de la circoncision. Les hommes qui viennent se faire initier sont désignés du terme de ɓantεndε (sing. : ntεndε).
57On voit donc arriver, durant cette même soirée, un certain nombre de jeunes pères, jusqu’à une dizaine quelquefois, du moins s’il y a longtemps que ces séquences initiatiques n’ont plus eu lieu dans la région. Ils ne sont pas accueillis, comme les jeunes gens à circoncire, à l’orée du village, mais se présentent directement à la case rituelle. Là, un des assesseurs du mέná-gandjá président s’informe du cas de chacun d’eux et en informe à son tour son supérieur. Ce dernier résume alors la situation particulière de chaque nouveau venu dans une invocation qu’il termine en demandant aux ancêtres et à l’assemblée tout entière que le candidat puisse être initié sans en éprouver le moindre préjudice. Deux exemples d’invocations de ce genre ont été présentés ailleurs (cf. 1980, pp. 93-94).
58Un des mέná-gandjá trace alors, avec du kaolin, une ligne blanche sur chaque bras des ɓantεndε, marquant ainsi leur entrée dans l’esomba. Chaque fois que le kaolin a touché le corps de l’un d’eux, toute l’assistance clame « yóɓá ê » pour marquer l’acquiescement de la communauté, comme à toute étape importante d’une initiation.
59À partir du moment où ils sont « mis en blanc », ces hommes sont soumis à des interdits plus stricts encore que ceux que doivent observer les jeunes gens à circoncire (3.1.7.e). Non seulement ils ne pourront ni se laver à l’eau froide, ni en boire, ni même marcher dans de l’eau ou en des endroits humides, tout cela pour ne pas attirer la pluie, mais encore, ils ne pourront plus manger de nourriture préparée par leur femme, et celle que leur prépare l’aboi, la femme du mέná-gandjá responsable, devra leur être mise en bouche par un garçon, ou par une fillette impubère, comme dans les rites úmbá (4.3.3.i ; 214/-228/). Ces dernières prescriptions n’ont d’autre but que de souligner le caractère absolu de l’interdit sexuel qu’ils auront à respecter également. Comme le montrent les rites de mariage (cf. 1980, p. 219), le don de nourriture et, plus encore, la nourriture mise dans la bouche de l’homme par la femme, sont vus comme la réciproque de l’acte de fécondation et, fermant le circuit de l’échange conjugal, mettent celui-ci en mouvement. Or, lorsqu’un homme entre dans l’esomba pour y être initié à des choses que la femme ne peut absolument pas connaître, sous peine d’être frappée par l’esomba (2.1.a), il importe au plus haut point d’interrompre ce circuit, et même de souligner cette interruption. Les ɓantεndε devront d’ailleurs passer leurs nuits à l’intérieur de la case rituelle.
60Le premier de ces hommes qui se sera présenté à la case rituelle en vue de recevoir l’initiation sera désigné comme aluta á kabogé. On le considérera comme le responsable du groupe et c’est à lui que s’adresseront les mέná-gandjá pour les menues corvées que comporte la préparation des rites.
61c) En plus de leur dimension initiatique, les rites de transition ont toujours aussi une fonction thérapeutique. Non pas tant parce que, situé dans l’optique de la fécondité, un rituel comme celui de la circoncision est censé pouvoir guérir d’autres formes de stérilité ou d’impuissance que celles que les représentations rattachent à l’incirconcision, mais bien plus parce qu’une institution rituelle est toujours la seule instance à pouvoir guérir des maux qui sont censés résulter de la transgression des prescriptions et des interdits qui lui sont rattachés et qu’elle sanctionne. Ainsi, en plus des ɓantεndε qui viennent se faire initier, on voit arriver certaines personnes, hommes et femmes, qui veulent se faire traiter d’un mal dont ils attribuent la cause à quelque faute en rapport avec le rituel de la circoncision. Les fautes les plus fréquemment alléguées sont la transgression, souvent par inadvertance, d’un interdit alimentaire portant sur un des animaux symbolisés dans le rituel, l’omission d’une disposition à prendre après avoir tué un de ces animaux à la chasse — ainsi un homme s’accusa un jour d’avoir éventré un éléphant avant d’avoir été initié au kabogé (4.3.1.b) — le fait d’avoir été en contact avec quelque objet ésotérique relevant du rituel du gandjá, de s’être disputé avec un des maîtres de ce rituel, de ne pas s’être fait purifier après la mort d’un de ceux-ci avec qui on était lié soit par des liens de parenté, soit parce qu’on a exercé une fonction dans un cycle qu’il organisait, ou encore le fait de ne pas avoir respecté un interdit sexuel à l’égard de personnes ayant une fonction dans le rituel ou qui s’y faisaient traiter.
62Les personnes qui viennent se faire traiter pour avoir commis une de ces fautes sont accueillies de la même manière que les ɓantεndε. De plus l’invocation par laquelle le mέná-gandjá qui préside demande leur guérison sera souvent suivie d’une première aspersion purificatrice. Pour se soumettre à celle-ci, elles seront placées tour à tour contre le poteau central de la case tandis que, se groupant autour d’elles, les mέná-gandjá présents recracheront en leur direction une gorgée d’eau. Après l’aspersion, l’assemblée reprend en choeur la formule terminale de l’invocation : álamέ, « qu’il/elle soit guéri(e) ». Nous avons analysé ailleurs le symbolisme en jeu dans ces aspersions (cf. 1980, p. 95). Lorsque le cas est vraiment bénin, le mέná-gandjá qui préside décrétera que cette seule aspersion peut suffire. Des traitements de ce genre peuvent d’ailleurs être demandés aussi à d’autres moments du rite. Toutefois, ces aspersions isolées ou indépendantes auront plus facilement lieu à la fin de la célébration, de manière à profiter davantage des effets de celle-ci. Si, par contre, le mal est plus sérieux, la première aspersion sera suivie d’une « mise en blanc » de la personne affligée. Pour les hommes, celle-ci sera semblable à celle des bantende, tandis que l’on mettra aux femmes du kaolin en demi-cercle sur la partie droite du visage (3.1.7.e). Ces personnes devront, en effet, entrer dans l’esomba et s’y soumettre à une purification prolongée.
4.3. Le premier soir et la première nuit : le dévoilement des yendji et la danse rituelle des maîtres de la circoncision
4.3.1. Le repas rituel du makpatíma et la révélation de la signification de la viande
63a) Vers dix heures du soir, pendant que la jeunesse du village s’adonne encore à la danse devant la case rituelle, l’aɓóí, femme du nouveau mέná-gandjà, apporte à l’intérieur de celle-ci quelques pots de viande cuite. Ils sont recouverts chacun d’une grande feuille qu’une fine liane retient autour du rebord du pot. l’aɓóí apporte également une ou deux bassines de bananes cuites ou de manioc. Pendant que les pots de viande sont déposés par un mέná-gandjá au pied du poteau central, on prie les femmes qui sont venues se faire traiter et l’aphandja, le jeune homme qui sera circoncis, de sortir de la case rituelle.
64Le mέná-gandjá président entonne alors une invocation dans laquelle il est demandé aux ancêtres et à l’assistance que la cloison qui divise la case rituelle et deux parties (3.1.7.a) puisse être retirée provisoirement. Pendant toute la durée de cette première nuit on aura besoin, en effet, de tout l’espace de la case, tant pour les initiations que pour les danses rituelles des maîtres de la circoncision, le makpatíma ou kaɓogé (3.1.8.b). Toutes ont lieu autour du poteau central. L’argument, présenté dans l’invocation, s’exprimera en termes symboliques. Basú ɓákú kâ mɔni, « les poissons sont morts dans les nasses », dira le mέná-gandjá, en renvoyant métonymiquement au sens premier de iɓíá, l’appellation par laquelle on désigne la cloison.
65Après qu’on a enlevé cette dernière, le mέná-gandjá président s’approche des pots de viande ; il s’accroupit et invite les ɓantεndε à s’approcher à leur tour, à s’accroupir comme lui et à l’écouter. Il va leur révéler (ngoɗéa), en effet, le sens de la viande du makpatíma, ou kaɓogé. Cette révélation peut être soit adaptée aux circonstances, soit en être entièrement indépendante. Nous donnerons un exemple du premier cas — il offre certainement plus d’intérêt — et indiquerons, à partir de lui, comment se présente la révélation lorsqu’elle n’est pas mise en contexte. Cette façon de faire s’impose pour une autre raison encore, à savoir que ces révélations sont particulièrement difficiles à enregistrer. Le secret absolu qui les entoure exige qu’elles se fassent avec une extrême discrétion. C’est pourquoi elles ne sont jamais faites que par petites phrases chuchotées. De plus, pendant qu’elles se font, on entend résonner à l’extérieur de la case les cris, les chants et le bruit des tambours. C’est ainsi que nous n’avons pu enregistrer distinctement et complètement qu’une seule révélation du sens de la viande du kaɓogé, et celle-ci eut lieu non pas lors de la création d’un nouveau mέná-gandjá, mais lors d’une résignation de charge à la fin d’un cycle. Cependant, pour une meilleure compréhension et organisation de l’ensemble, il nous paraît préférable de la présenter ici plutôt que d’attendre que nous soyons arrivés aux rites qui marquent la fin du cycle.
66b) Voici donc comment Moisɔ, mέná-gandjá d’ɔbɔngέna, un village situé au kilomètre 64 de la route de l’Ituri, révéla aux ɓantεndε la signification de la viande, au moment où Olumbɔ, mέná-gandjá d’okaɓe, village sis au kilomètre 72 de la même route, résigna sa charge ou « mourut », pour respecter les termes rituels qui sont à l’origine de certaines images de la révélation. Tirant à lui le plus grand des pots de viande, il dit :
1/ Baníkí ámɔ, | Mes enfants, |
2/ ekénde ? | qu’est-ce ? |
3/ Eké mɔ ndê ? | Qu’est-ce donc que ceci ? |
4/ Ndé ɓemáotangaga. | C’est bien ce que nous nous demandons avec étonnement. |
5/ Mamba mɔ úndɔ ? | Ne serait-ce pas une montagne ? |
6/ Mamba sínámbe ? | Quelle montagne ? |
7/ Olumbɔ, | Est-ce Olumbɔ, |
8/ agǐ mɔ ta béndê ? | qui a arrangé ça de la sorte ? |
9/ Eleka ndé mɔnɔ ? | Seraient-ce des champignons eleka ? |
10/ Bibilέngέ má yέ ? | N’est-ce pas plutôt le mont Bibilέngέ ? |
11/ Bibilέngέ yέ. | Oui, c’est le Bibilέngέ. |
12/ Oɗu-à-Masεngε yέ. | Ou plutôt, c’est le mont Oɗu-á-Masεngε. |
13/ Amá-ɓolóngo ǎmbê ? | Ne serait-ce pas l’Amá-bolóngo ? |
14/ Amǎnde mamba ɓáte ? | Et puis, est-ce bien une montagne, pensez-vous ? |
15/ Úgukútu ǎmbê ? | Ne serait-ce pas un hibou ? |
16/ Nǎ nàkè úgukútu. | Non, ce n’est pas un hibou. |
17/ Kákέ ebundu úndé, | N’est-ce pas de la brume, |
18/ aundé aotámba k’ású kámamba, | que nous voyons se mouvoir ainsi autour de cette montagne, |
19/ aundé akambí mamba ndê ? | qui enveloppe cette montagne ? |
20/ Kákέ eɓundu undé ? | Oui, n’est-ce-pas de la brume ? |
21/ N’amǎnde eɓundu ɓáte ? | Et encore, serait-ce bien de la brume, croyez-vous ? |
22/ Nǎ nak eɓundu. | Non, ce n’est pas de la brume. |
23/ Eké pha ma ndê ? | Mais qu’est-ce alors ? |
24/ Ekénde ? | Oui, qu’est-ce ? |
25/ Mɔngɔ édɔ aúndé ; | C’est le bois rond du cerceau de pêche ; |
26/ eɓí, | le cerceau, |
27/ aúndé ɓalíkíti mono. | qu’on a recourbé sur lui-même. |
28/ Ν’amǎnde ndɔ ɓáte ? | Et serait-ce bien cela, pensez-vous ? |
29/ Nǎ nák’êɓí. | Non, ce n’est pas un cerceau. |
30/ Nǎ na mɔngɔ έdɔ. | Ce n’est pas un cerceau de pêche. |
31/ Asúnga n’Olumbɔ. | C’est aussi grand qu’Olumbɔ. |
32/ Kákέ bót’á mέná-gandjá úndé ? | Alors, n’est-ce pas la tombe d’un mέná-gandjá ? |
33/ Olumbɔ abέdí esau, | Olumbɔ a pris de la boue, |
34/ áɓaɔɔngεa ká mbeká ; | et en a fait un pot ; |
35/ áɓaodoa, | il l’a pilée, |
36/ Άbika ɔɔngεa ká mbekái. | et en a fait ce pot. |
37/ Áɓaogea : « Bamέná-gandjá babiké ɓáleε, | Puis il a dit : « Que les mέná-gandjá viennent et mangent, |
38/ ɓábikέ ole’ábɔ ndê. » | qu’ils viennent manger ceci. » |
39/ Esau úndê. | Oui, c’est de la boue. |
40/ Νa ndé esau ? | Et est-ce bien de la boue ? |
41/ Nǎ nak’esau. | Non, ce n’est pas de la boue. |
42/ Esau aundé ɓáte ? | Vous pensiez que c’était de la boue ? |
43/ Eké pha má ndê ? | Mais qu’est-ce alors ? |
44/ Kákέ nkúá á mέná-gandjá undé ? | Ne sont-ce pas les os d’un mέná-gandjá ? |
45/ Aúndé, mǒmba atú mɔnɔ | C’est cela ; un rat de Gambie a percé un trou |
46/ bótà mέná-gandjá, | dans la tombe d’un mέná-gandjá, |
47/ nkúá aúndé amáɔphέlεa; | et ce sont ses os qu’il emmène l’un après l’autre ; |
48/ nkúá aúndé amáɔbέta kúbú á ka u. | ce sont ces os avec lesquels il cogne les parois du trou. |
49/ Nǎ náké ndɔ. | Et puis non ; ce n’est pas cela. |
50/ Abá-ndjεkέɗe ǎmbê. | C’est une araignée. |
51/ Leké ábá-ndjεkέɗε aúndê. | Et là, ce sont les oeufs de l’araignée. |
52/ Aúndé aogea tu-tu-tu-tu. | C’est pourquoi elle fait tou-tou-toutou. |
53/ N’amǎnde ndɔ ɓàte ? | Mais, est-ce bien cela, pensez-vous ? |
54/ Nǎ nàkè ndɔ. | Non, ce n’est pas cela. |
55/ Ekénde ɓemáotangaga ndé ? | Quelle est alors cette chose qui nous intrigue ainsi ? |
56/ εngá á mbongó aúndê. | Ce sont les traces d’un éléphant. |
57/ Káké εngá á mbongó aúndé ? | Ne sont-ce pas là les traces d’un éléphant ? |
58/ Múkúá bati yέ anyέní mono wáni ndé. | Oui, c’est un éléphant mâle qui est passé par ici. |
59/ Ԑng’ákέ má u, | Voici ses traces, |
60/ εngá á bati ndɔ. | les traces de cet éléphant mâle. |
61/ N’amǎnde ndô ɓàte ? | Et serait-ce bien cela, pensez-vous ? |
62/ Nâ nákέ εngá á bati. | Non, ce ne sont pas les traces d’un éléphant mâle. |
63/ Kákέ bót’á Lingambe aúndé ? | N’est-ce pas là la tombe de Lingambε ? |
64/ Bót’á Lingambe ú. | Oui, c’est là la tombe de Lingambε. |
65/ N’a ndé bôt’à Lingambe ɓáte ? | Et serait-ce la tombe de Lingambε, pensez-vous ? |
66/ Nâ na bôt’à Lingambe. | Non, ce n’est pas la tombe de Lingambε. |
67/ Aliga ǎmbê. | C’est un éléphant solitaire. |
68/ Ǎmbɔsí amámíma, | Le voilà qui s’est levé, |
69/ aténékíma, | et qui soudain décampe, |
70/ Áɓaoga mɓango. | et prend la fuite. |
71/ Áɓaongíá ká mulɔ, | Il s’enfonce dans les broussailles, |
72/ ábaobota múlɔ ndɔ. | et entraîne celles-ci à sa suite. |
73/ Múkú-á-tεbε | Or, voilà qu’un singe tεbε mâle |
74/ áɓaopúdua, | en sort |
75/ áɓaɔɗεtεa kákálá. | et met le pied sur un arbre calciné par la foudre. |
76/ Kákálá ndo áɓaoténeka, | Cet arbre se casse |
77/ áɓaoguia | et tombe |
78/ k’óiɓayo, | dans l’oiɓayo, |
79/ kà túma ndó. | cette eau débordante. |
80/ Yéy áni phɔ kaɓogé ! | Acclamez un peu le kaɓogé ! |
81/ Tous : Íê.. ! | Tous : Íê.. ! |
1/-4/ C’est là l’entrée en matière ordinaire des révélations. Elle doit suggérer que l’on a affaire à quelque chose d’inhabituel, de mystérieux. Le fait que toute révélation est faite à voix basse renforce encore cette impression et éveille d’autant plus la curiosité et l’attention.
5/-14/ Recouvert d’une feuille qui s’est bombée sous la pression de la vapeur, le pot de viande peut faire penser à une montagne. Or, la montagne représente, pour les Komo, le lieu symbolique des guerres et des luttes, en particulier celui de la lutte contre le génie de la circoncision (3.3.3.f). Celui qui fait la révélation évoque alors quelques monts situés dans les alentours.
7/-8/ Puisque c’est au mέná-gandjá qui reçoit, à qui incombe, même lors de la résignation de sa charge, l’organisation matérielle des rites, c’est Olumbɔ qui a dû rassembler la viande et veiller à sa préparation.
9/ Allusion aux bâtonnets yendji qui feront l’objet de la révélation suivante et qui, en raison de leur forme particulière, seront souvent comparés à certaines espèces de champignons (4.3.3.i ; 14/-24/).
15/ La comparaison avec le hibou est suggérée par la couleur foncée et la forme ramassée du pot, mais aussi par son aspect intrigant et l’impression de danger que cherche à évoquer ou à susciter celui qui fait la révélation. Hôte de la nuit, le hibou est, en effet, un oiseau dont on n’aime pas les allures bizarres, et dont le cri, reproduit par son nom, en komo, annonce toujours quelque malheur. Il n’a cependant pas de fonction particulière au gandjá.
17/30/ L’image de la brume est suggérée par les vapeurs qui s’échappent du pot et l’entourent ; celle du cerceau de pêche, renvoyant au maningé (3.2.4.) l’est par la forme ronde du pot et la feuille bombée qui fait songer au filet attaché au cerceau.
31/-42/ De l’image de la montagne évoquée plus haut, on est amené, à travers la remarque que le pot est aussi grand que le mέná-gandjá « sortant », à celle du monticule que constitue une tombe. Les rites de sortie lors desquels cette révélation a été prononcée comportent, en effet, une ritualisation de la mort du mέná-gandjá. Et l’image de la tombe sur laquelle on amasse de la glaise boueuse suggère à son tour celle de la confection d’un pot, pétri de la même glaise. Puisque c’est le mέná-gandjá sortant qui accueille et nourrit ses hôtes, la confection du pot et l’invitation à venir manger sont attribuées à Olumbɔ.
43/-44/ Faisant alors, par une sorte de retour en arrière, la synthèse entre les deux images, celle de la tombe du mέná-gandjá dont on célèbre la mort rituelle et celle du pot dans lequel Olumbɔ sert la viande, celui qui fait la révélation en arrive à considérer que la viande servie ne peut être que la chair d’Olumbɔ lui-même.
44/-48/ La manière dont, après la révélation, celui qui l’a faite percera un trou en enfonçant sa main dans la feuille qui recouvre le pot, tandis qu’un autre retirera avec sa bouche le premier morceau de viande, évoque l’image du rat de Gambie qui, par une galerie souterraine, vient vider la tombe dont il vient d’être question.
50/-52/ La comparaison entre le pot et une araignée est évoquée par la feuille-couvercle qui, pendant la cuisson, se lève et s’affaisse d’un mouvement rapide et régulier. L’araignée, paraît-il, fait de même lorsqu’elle pond. La viande peut donc être considérée comme ses œufs.
56/-60/ Le creux du pot évoque, par ailleurs, les traces laissées par l’éléphant. Bati désigne l’éléphant mâle, plus grand et plus puissant que les autres, qui mène le troupeau. Il représente, dans de nombreux contextes, le mέná-gandjá ou d’autres dignitaires.
63/-66/ On voit revenir l’image de la tombe. Il ne s’agit plus de celle d’Olumbɔ mais bien de Lingambε ou Ingambε, un frère aîné, décédé quelques années plus tôt, dont Olumbɔ avait dû reprendre la fonction. Or, cette succession n’avait pas été sans provoquer de sérieuses difficultés, auxquelles il sera encore fait allusion plus loin (5.1.5.a).
67/-79/ L’image de l’éléphant est reprise en fonction d’un conte qui, dans la région de Kelenga, revient toujours à l’occasion de la révélation du sens de la viande, mais qui est raconté de manière bien plus circonstanciée dans les cas où la révélation n’est pas rapportée au contexte. Dans ces cas, ce sont les différents éléments du conte lui-même qui, suivant le même procédé d’interrogations successives, se trouvent tour à tour identifiés au pot de viande. On commence par identifier celui-ci à un serpent ingina qui, enroulé sur lui-même, se chauffe au soleil sur une roche. Les mouches qui volent autour de lui — comme autour du pot — l’exaspèrent. Il se décide pour en finir à aller se réfugier dans le terrier, identifié au pot, d’un rat de Gambie. Effrayé, le rat prend la fuite et grimpe sur un arbre. Un singe múkú-á-tεbε, occupé à grignoter des fruits sur celui-ci, est tellement saisi de voir un rat de Gambie se promenant en plein jour sur un arbre, qu’il en perd l’équilibre et tombe sur le dos d’un éléphant aliga (le pot recouvert d’une feuille bombée). Aliga (67/) est le terme dont on désigne les vieux éléphants mâles qui ont été éjectés du troupeau et se rencontrent seuls en forêt ; leur agressivité fait qu’on les craint bien plus que les autres. L’éléphant s’effraie, prend la fuite et entraîne dans sa course les broussailles et lianes qui l’entouraient. Ces dernières provoquent la chute d’un arbre desséché qui a été touché par la foudre. En tombant, celui-ci s’enfonce en plein dans un endroit profond (le pot) du petit cours d’eau oiɓayo. En narrant ce dernier détail du conte (77/-79/), celui qui fait la révélation laisse tomber le bras, les doigts pointés vers l’avant, de manière à transpercer la feuille qui recouvre le pot.
La fin du conte noue à nouveau un ensemble d’images et de significations qui ont leur importance dans le contexte culturel du gandjá et même au-delà. Commençons par celles qui concernent le poteau central de la case rituelle. On se souvient que celui-ci aussi est identifié à un arbre desséché sur lequel est tombé la foudre, un kákálá (3.1.7.b), et que c’est là le signe d’un lien particulier avec les ancêtres. Or pour la révélation, le pot de viande est placé à côté de ce même poteau. C’est donc lui qui, symboliquement, tombe dans le pot, et qui, de ses bâtonnets latéraux — imités par la position des doigts du mέná-gandjá transperce la feuille qui le recouvre. Ceci explique l’invitation qui termine la révélation : « Acclamez un peu le kabogé » ou le makpatíma. Ce terme, en effet, désigne non seulement les danses rituelles des maîtres de la circoncision, mais avant tout le poteau central autour duquel celles-ci ont lieu (3.1.8.b). De plus, ce poteau représente également le mέná-gandjá qui fait, lui aussi, le lien entre la communauté des vivants et les ancêtres. Laissant tomber son bras dans le pot de viande, le mέná-gandjá reprend donc, de surcroît, cette identification. Enfin, l’image des broussailles qui entourent le kákálá renvoie aux bâtons des maîtres de la circoncision, liés en faisceau autour du poteau central, l’ophémbé. C’est ainsi que l’image d’un éléphant entraînant des broussailles dans sa course (77/-72/) sera évoquée à nouveau lorsqu’à la fin des célébrations on détruira l’ophémbé.
D’autre part, l’oibayo est un petit cours d’eau mythique qui, tout comme le petit crocodile que les représentations lui rattachent, revient sous plusieurs noms lors des révélations ésotériques. On trouve ainsi, à côté d’oiɓayo, oibayonga et oyonga ou encore itεmbε-itεmbε. Il s’agit, pour le dernier nom surtout, du « pays des sources », situé quelque part à l’orient, et pour les trois autres, du petit ruisseau qui le traverse. C’est de là, dit-on, que proviennent les rites initiatiques, et c’est là que doivent remonter symboliquement, au début de chaque célébration, les maîtres de ces rites, pour les y quérir à nouveau. On retrouve donc ici le thème du mokunɔ et des autres instruments ésotériques qu’on va chercher dans l’eau, à l’est du village, au commencement de chaque célébration (3.3.2.b) et on retrouvera les mêmes représentations développées plus amplement dans une révélation suivante (4.3.3.i, 76/ sv.). De toute manière, le pot de viande, identifié ici à l’oiɓayo, renvoie, lui aussi, aux origines du rituel.
67La perforation rituelle de la feuille qui recouvre le pot, sur laquelle s’achève la révélation du sens de la viande, paraît revêtir une importance particulière. En effet, ce n’est qu’après avoir assisté à ce geste et été initié aux significations qui se nouent en lui, qu’un homme est habilité à éventrer un éléphant abattu. La vapeur et l’odeur qui sortent par la feuille percée suggèrent, en effet, les odeurs et les gaz qui s’échappent du ventre de l’animal. C’est là le sens de l’accusation relative à l’éléphant mentionnée plus haut. Toutefois, il y a d’autres analogies encore qui jouent ici et font que les maîtres de la circoncision détiennent la chasse à l’éléphant en leur pouvoir. Nous avons relevé ailleurs (cf. 1980, p. 235) le rapport qui existe entre le piège à éléphant « ε, fait d’une lance fixée à un poids tombant d’en haut, et la pénétration sexuelle. Dans la mesure où le bras, et le poteau central qu’il représente, peuvent tous deux être vus comme des symboles sexuels mâles (3.1.7.e ; 5.1.5.c), la perforation de la feuille-couvercle met ici aussi la même analogie en jeu.
68c) Si l’on considère la révélation dans son ensemble, certaines questions se posent, tant sur le plan du contenu que sur celui de la forme. Quant au contenu, il faut bien reconnaître qu’on ne trouve révélée là aucune vérité importante. Il en sera de même des révélations qui suivront, et on en vient à se demander si la forme particulière qu’elles revêtent toutes, à savoir leur façon de procéder par interrogations répétées qui suggèrent un sens possible pour le nier ensuite ou le mettre en doute en en proposant un autre, n’est pas un simple stratagème devant soutenir la curiosité et l’attention de ceux qu’on initie, alors qu’en fait on ne leur apprend rien de sérieux.
69Mais pareille façon de voir risque bien d’être propre au chercheur, de n’être qu’une expression de la déception de quelqu’un qui croyait qu’il allait tenir en main la clef de bien des mystères ; elle ne paraît rejoindre en rien les sentiments de ceux qui sont initiés. Jamais nous n’avons remarqué chez ceux-ci le moindre désappointement, bien au contraire, et leur satisfaction apparente peut s’expliquer de plusieurs manières. Il y a d’abord une donnée d’ordre général, à savoir qu’une initiation pour les Komo porte sur la vue d’objets ésotériques bien plus que sur la révélation de leur sens (cf. 1980, p. 73). Une deuxième remarque, d’allure plutôt fonctionnaliste, est que ce qui importe dans le secret n’est pas tant son contenu que les distinctions qu’il permet de maintenir ; dans le cas présent celles qui séparent des classes d’âge différentes (Perrois 1968, p. 70 ; La Fontaine 1977, p. 424). Dans cette optique, le fait d’être promu à une classe supérieure par la révélation d’un secret satisfait davantage le désir de prestige lié à cette promotion que ne le fait la connaissance du secret lui-même. En troisième lieu, il convient de souligner le caractère essentiellement intégratif des révélations qui, comme celle-ci, articulent des significations. Nous entendons par là qu’elles contribuent à unifier non seulement le système de significations qui sous-tend le complexe rituel de la circoncision, mais encore celui bien plus large qui porte et constitue la culture tout entière. On y voit intervenir, en effet, un grand nombre d’éléments les montagnes des environs, la brume, le hibou, le cerceau de pêche, des champignons, une tombe, la glaise à poterie, l’araignée, etc. qui, d’une part, font tout simplement partie de l’environnement journalier et qui, de l’autre, font l’objet de représentations diverses et ont, à partir de là, leur place dans différents ensembles rituels. Or, dans la révélation, tous ces éléments se trouvent mis tour à tour en rapport, mais cette fois, avec des données que les initiés ne connaissaient pas encore ou ne connaissaient que très imparfaitement. On peut même dire que la révélation ne fait pas autre chose, de sorte que, à mesure qu’un homme progresse dans la hiérarchie sociale, tout ce qui l’entoure se fait plus lourd de sens (Zuesse 1978, pp. 65-66 ; Fernandez 1980, pp. 47-54). La même chose vaut pour le conte narré lorsque la révélation n’est pas circonstanciée. On le raconte aussi aux enfants le soir autour du feu. Ce que les enfants ne savent pas, c’est que chacun des éléments du conte a un rapport précis avec la viande du makpatíma. Les spécialistes sont d’ailleurs les premiers à reconnaître, et même à souligner que les éléments ésotériques de leurs rites ont été empruntés soit aux femmes, comme c’est le cas pour le mokumɔ, soit, et plus encore, au monde des incirconcis. C’est ainsi qu’ils expliquent certaines expressions qu’on entend souvent, telles que mέná-gandjá ndé nk’âkέ, « le maître de la circoncision c’est sa femme » ; moúó ndé mέnágandjá, « l’incirconcis est maître de la circoncision » ; moúó ndé mέn’ésomba, « l’incirconcis est le maître des rites initiatiques » (cf. 1980, pp. 48, 82, 255-256).
70La révélation suivante nous fournira d’autres données encore concernant la forme narrative que peut prendre une révélation. Nous reviendrons donc à celle-ci, mais il est clair déjà que, pour un Komo, être intégré davantage dans sa culture ne signifie pas tant apprendre de nouvelles choses que découvrir des connections plus profondes entre celles qu’il connaît. Seule une analyse sémantique poussée de la révélation permettrait de mettre en lumière tout le réseau des significations qui sont en jeu. Nous sommes conscient de n’en avoir présenté qu’une ébauche. Il faut cependant noter deux choses. D’abord que présenter une analyse exhaustive demanderait de passer à chaque fois toute la culture en revue (Eco 1975, pp. 12-15 ; 1977, pp. 21-28), ensuite, et comme le montrera encore la révélation suivante pour laquelle nous disposons de plus de matériaux de comparaison, que le choix des éléments mis en connection pour réaliser cette intégration culturelle est fort relatif.
71Après la révélation, et la perforation de la feuille qui recouvre le pot, un des principaux assesseurs du mέná-gandjá président vient retirer entièrement cette dernière et sort, avec la bouche, un morceau de viande qu’il tend à celui qui a fait la révélation. Ce geste n’a d’autre sens, croyons-nous, que de souligner une nouvelle fois, aux yeux de ceux qui viennent d’être initiés, le caractère inhabituel de cette viande. Une des façons les plus évidentes d’inculquer l’importance d’un objet est, en effet, de renverser à son égard les comportements ordinaires. L’homme qui a ainsi sorti la viande du pot partage ensuite le reste entre tous les mέná-gandjá présents, tandis que les bananes ou le manioc sont partagés par celui qui a la fonction d’agaba. Pendant tout ce partage on observe le silence. Celui-ci ne sera rompu qu’au moment où, ayant prélevé une partie de la nourriture qui sera offerte aux ancêtres après le repas, le président commencera à manger.
4.3.2. Les offrandes aux ancêtres et la montée des génies
72Sitôt le repas terminé, quelques mέná-gandjá se dirigent vers la forêt avec leur président pour y apporter les offrandes et pour adresser leur prière aux ancêtres. Ils le font de la manière décrite plus haut (3.3.2.). Il se peut que leur prière soit suivie d’une montée des génies de la circoncision, mais ce n’est généralement pas le cas. Comme ceux-ci étaient déjà présents la nuit précédente et l’étaient aussi durant une grande partie de la journée auprès de l’aphindia, il semble superflu de demander encore aux ancêtres de les envoyer.
4.3.3. La séquence initiatique des yendji
73a) Au retour de ceux qui sont allés présenter les offrandes, les mέná-gandjá s’habillent tous pour la danse du makpatíma (3.1.8.b). Lorsqu’ils sont prêts, leur président invite le maître de la circoncision qui va être investi à « planter ses yendji » autour du poteau central et demande à quelques-uns des plus jeunes parmi les mέná-gandjá présents d’y ajouter les leurs. Comptant parmi les éléments les plus secrets du gandjá ou de l’institution rituelle à caractère initiatique (esomba), et désignés par conséquent eux aussi comme esomba, mais dans le sens plus restreint d’éléments ésotériques du rituel (cf. 1980, pp. 73-74), les yendji sont des bâtonnets difformes, d’une vingtaine de centimètres de long. Ils sont taillés en pointe à l’un des bouts ; autour de l’autre, une corde enroulée en spirale maintient ensemble quelques ingrédients symboliques. Le principal parmi ceux-ci est de la poudre de la racine taphá (Strychnos icaja) dont on se sert pour soumettre à l’épreuve du poison ceux que l’on soupçonne d’avoir commis quelque méfait. Mais la corde enveloppe encore une plume rouge de la queue d’un perroquet et une épine de porc-épic. La première intervient dans les rites de déclaration de guerre (cf. 1980, p. 249, n. 3). De plus, elle provient d’un oiseau dont le plumage combine les deux couleurs antagoniques, le rouge et le blanc, et qui, pour cette raison, a été intégré dans la catégorie des nyama esomba, les animaux qui occupent une place centrale dans les rites initiatiques et sur lesquels portent, de ce fait, les interdits les plus sévères (cf. 1980, pp. 37-41). Or, les éléments ésotériques les plus secrets, les chasse-mouches rituels avec lesquels on « tue le yáɓá » (5.3.6.e) et les planchettes qui servent à « tuer le mbáú » (5.2.3.a) que l’on appelle les « lances » (ekongá) du yábá et du mbáú, sont eux aussi peints en ces deux couleurs. Avec sa plume rouge, le yendji suit le même principe, car son bois est peint en blanc. N’empêche qu’il n’est pas désigné comme « lance ». C’est l’épine de porc-épic, qu’on lui ajoute également, qui est désignée de la sorte.
74Le bois des yendji provient de l’arbre phusá. Celui-ci porte de très gros fruits qui, lorsqu’ils sont mûrs, s’écrasent lourdement sur le sol. Ils en sont venus par là à évoquer l’image de l’ennemi qui s’affaisse sous la lance de son vainqueur.
75Ainsi, si par leur apparence extérieure les yendji, plantés en terre et vus à la lueur vacillante d’une torche, rappellent certaines espèces de champignons et sont désignés comme tels dans le langage ésotérique, leur signification tient avant tout à leur composition symbolique. Tout en eux est menace et expression de danger : la plume rouge avec laquelle se déclare la guerre, l’épine qu’on désigne comme lance, le poison qui dépiste et tue les malfaiteurs, et le phusá qui suggère la façon dont ceux-ci vont être terrassés. De plus, la couleur blanche dont ils sont recouverts renvoie à la maladie et à la mort, tout en évoquant la force de frappe de l’esomba. Les yendji constituent de la sorte la concentration d’agressivité la plus dense que comporte le gandjá. Cependant, il s’agit d’une agressivité dirigée uniquement contre ceux qui veulent ou qui voudraient faire du tort au gandjá lui-même ou à tout ce qui, de près ou de loin, est en rapport avec lui. Ils ont également une connotation sexuelle sur laquelle nous reviendrons plus loin (§f).
76Chaque mέná-gandjá en fonction possède trois ou quatre yendji qu’il a confectionnés lui-même ou qu’il a hérités d’un prédécesseur ou d’un confrère plus âgé. Ils sont inaugurés à la séance initiatique qui a lieu lors de son investiture. En dehors de leur premier usage, il n’y a jamais, en effet, de bénédiction ou de sacralisation préalable des objets. Par la suite, leur possesseur les gardera soigneusement emballés dans un morceau d’étoffe traditionnelle en écorce battue, au fond de la besace qui contient ses autres objets secrets. Les maîtres de la circoncision qui ont achevé leur cycle passent généralement leurs yendji à un nouveau confrère, n’en gardant plus qu’un seul pour les usages qu’on va voir. Celui-ci porte alors le nom de kaíkó, dans la région de Lubutu, de mɔsɔmbí, dans celle de Kelenga.
77b) En dehors des séances initiatiques, pour lesquelles on fait appel aux plus jeunes parmi eux, les mέná-gandjá seront invités à planter un de leurs yendji aux endroits où l’on craint plus particulièrement les effets d’un envoûtement ou quelque autre influence néfaste, comme là où un nouveau confrère installe sa couche au campement de chasse, là où on va construire le moémbe, la case qui abritera les nouveaux circoncis en forêt, là ou l’on met un piège à éléphant du type isε, ou encore lors de la pêche au ngó, qui se fait en empoisonnant l’eau (4.1.4.b). Si un mέná-gandjá ne peut se rendre personnellement là où on le demande, il confiera un de ses yendji à un homme qui, ayant engendré et ayant été initié à la signification de ceux-ci, ira le planter à sa place. De toute façon, les yendji plantés de la sorte devront être bien cachés et on ne les laissera jamais que peu de temps dans le sol, afin de prévenir toute indiscrétion.
78Pour la révélation dont ils vont faire l’objet en ce moment du rite, les yendji sont enfoncés dans un petit monticule aménagé au pied du poteau central, qui est appelé « le crâne ». Le poteau central lui-même, du fait que les yendji — après avoir été sortis des besaces qui pendent aux bois latéraux fixés à son sommet — sont plantés tout autour de sa base, est souvent désigné comme munyá yendji, « l’époux des yendji », ou aussi, tout simplement, comme yendji. Dans la région de Kelenga on ajoute, parmi les yendji, quelques conques d’escargot qui, comme on sait, représentent le mokumɔ, et quelques coquilles de la grande moule kenkamba. Du fait qu’elle s’ouvre et se ferme, celle-ci incarne la double notion, fondamentale pour les Komo, sur laquelle nous avons insisté et renvoie plus particulièrement dans le contexte présent à la force de frappe et à la fonction libératrice de l’esomba. On y place également quelques « dents de la foudre » (minyɔ á mbua). C’est ainsi qu’on désigne les traînées de matière fondue puis coagulée que l’on trouve dans le sol ou au pied de certains arbres, là où est tombée la foudre (Daumas 1957, pp. 1407-1408). Blanchâtres et vaguement transparentes, elles ont la forme d’une grosse carotte d’une quinzaine de centimètres de long. Comme on peut s’en douter, ces dents de la foudre sont un symbole du membre viril et associent ainsi l’orage à l’acte de fécondation et, à un niveau plus élevé, les ancêtres, en tant qu’origine de la vie, à l’orage. Chaque mέná-gandjá cherche donc à en avoir une parmi ses attributs secrets. Seulement comme ces dents ne sont pas faciles à trouver, nous croyons — à en juger d’après la différence de poids — que certains parmi eux s’en fabriquent avec de la résine.
79Déposées ici à côté des mokumɔ, ces dents de la foudre ont certainement une signification complémentaire par rapport à ces derniers. Ensemble, ces deux types d’objets expriment la rencontre des sexes que la circoncision rend possible et, dans la mesure où chacun d’eux comporte un renvoi aux origines, ils situent cette rencontre elle-même à l’origine du gandjá. Ainsi, leur signification reprend exactement celle des deux mythes d’origine analysés au début de cet ouvrage. La révélation du sens des yendji, au milieu desquels ces objets ont été placés, se présentera d’ailleurs comme une remontée aux sources du gandjá. De plus, leur signification reprend également le thème, rencontré à plusieurs reprises déjà, du rôle des sexes en tant qu’origine et effet ou que sujet et objet de la circoncision.
80La présence des dents de la foudre parmi les yendji fait ressortir un autre rapport encore. Comme elles, les yendji sont dits provenir du ciel. En effet, selon l’expression consacrée, ceux-ci ne sont pas « plantés » (tshúmá) mais on les « fait descendre » (kísá, causatif de kíá qui signifie tomber de manière violente et pénétrante). L’image est d’ailleurs reprise par le mouvement même qui, pour les enfoncer dans le sol, doit d’abord faire descendre les yendji du haut en bas du poteau central, qui justement représente un kákálá, un arbre touché par la foudre.
81Pour ne pas trop démentir cette façon de se représenter les choses, et éviter que les ɓantεndε ne voient les yendji avant qu’on les découvre à leurs yeux, il faudra que ceux-ci passent inaperçus. On retire donc, vers un coin de la case, la torche de résine qui normalement brûle à même le sol au pied du poteau central et, sitôt les yendji plantés, on les recouvre de maphɔdε, ces grandes feuilles comestibles appelées vulgairement « oreilles d’éléphant » en français. Le choix de ces dernières n’est pas arbitraire, ni dicté uniquement par leur grandeur. La tige bien droite et bien raide qui les porte lorsqu’elles sont vertes se ramollit complètement à la cuisson, de sorte qu’on déconseille vivement d’en manger aux hommes en âge de procréer. Comme la coquille de moule, mais en rapport plus net avec le domaine de la procréation, ces feuilles signifient donc la double faculté inhibante et libératrice de l’esomba, le rituel initiatique.
82c) Dès que tout est prêt, le mέná-gandjá président entonne une nouvelle invocation, dans laquelle il est demandé aux ancêtres et aux initiés présents que les ɓantεndε puissent voir l’esomba, l’élément ésotérique du rituel, tout en restant « sains et saufs ». Selon les circonstances et selon le nombre des ɓantεndε, cette invocation peut se faire pour chacun d’eux en particulier ou pour tous ensemble. Dans le premier cas elle sera assez semblable à celle qui marqua l’entrée des ɓantεndε dans la case rituelle (4.2.4.b). Dans le second, elle sera plus brève et d’allure plus générale.
83Ensuite on éteint toutes les lumières, de manière à ce que l’obscurité soit complète, puis, comme dans toute initiation rituelle importante, les mέnágandjá se mettent à chanter pour écarter les curieux qui pourraient rôder aux alentours de la case : Ká phiεphiεngε ɓεkɔkɔna kó, « À travers les fentes nous te voyons là-bas. » Après cela, c’est le silence, pendant un petit moment. Par-ci, par-là on perçoit alors un petit sifflement, très faible d’abord, ensuite de plus en plus fort et comme venant de partout. Ce sifflement s’éteint, puis de nouveau on entend croître, de la même manière, un bruit de succion émis avec les lèvres ou avec la langue que l’on détache des alvéoles supérieures. C’est, dit-on, le bruit que fait le soir en forêt l’amá-kodεdiε, une sorte d’escargot qui s’entoure de bave pour se protéger des fourmis. Ce second bruit est suivi, dans un ordre qui peut varier quelque peu d’une région à l’autre, par le cri du chimpanzé, du potamochère, des singes osephe et tεbε et de tous les autres (nsaɓá, nsaɓíá, angɓɔkɔ, εntέ) qui font partie du motoanga, un attroupement régulier de singes d’espèces différentes, rassemblés, dit-on, par l’osephe (2.2.2.b). Viennent alors le cri de la pintade des bois, du cynocéphale, du daman arboricole, puis celui des oiseaux kephíphi, amá-kεkεaɔ et des républicains, et enfin le chant du coq et le gloussement de la mère poule. Entonné chaque fois par le mέná-gandjá président, chacun de ces cris est repris ensuite par tous ses confrères présents.
84Arrêtons-nous un moment à ces premières données de l’initiation. Leur signification est déterminante pour la compréhension de celles qui suivront. On se souviendra que, selon la cosmologie des Komo, la nuit réinstaure la confusion qu’avait supprimée le jour. Celui-ci sépare, en effet, les ancêtres des vivants et maintient les premiers loin du village, en forêt, le lieu de l’obscurité et de la mort (3.3.2.g ; 3.5.1.d). Établir l’obscurité complète est donc une façon explicite de faire monter les ancêtres au village et, plus précisément, de les faire venir dans la case rituelle. De fait, leur présence lors des célébrations est nécessaire, car ce sont eux qui, en dernière instance, garantissent l’efficacité des rites qu’ils ont instaurés, et c’est justement dans les éléments les plus secrets du rituel, comme les yendji, qu’est censée se concentrer sa puissance opérante.
85Les premiers bruits émis par les mέná-gandjá, après que tous sont restés plongés un moment dans l’obscurité et le silence, sont des sifflements. Or, on sait que c’est en sifflant que les ancêtres manifestent leur présence et s’adressent aux vivants. Pour tous ceux qui sont réunis dans la case rituelle afin de se faire initier ou d’assister à l’initiation, il est clair, à ce moment, que c’est cette présence qui s’actualise.
86Le second bruit confirme le sens du premier. Désigné par le verbe tshɔɗá, il constitue une autre façon non verbale (3.5.1.d) d’interpeller les gens. De plus, il fait le lien entre le premier et les cris d’animaux qui suivent. Vivant en forêt avec les ancêtres, les animaux sont souvent considérés comme les représentants ou comme une incarnation de ceux-ci. Cela ressort de l’emploi du même terme pour désigner les aïeux et les totems claniques, et aussi d’autres pratiques et représentations (cf. 1975, pp. 128-129). On peut donc concevoir que l’arrivée des ancêtres s’accompagne d’une sorte de passage des animaux.
87Seulement, n’interviennent pas n’importe quels animaux. Certains sont choisis parce qu’ils représentent les ancêtres plus que d’autres. C’est le cas pour l’oiseau kephíphi (3.1.7.b), le potamochère (cf. 1980, pp. 40-41), le chimpanzé et le cynocéphale (cf. 1975, pp. 128-129). D’autres le sont parce qu’ils soulignent l’idée d’affluence, qui marque l’arrivée des ancêtres. Ainsi en est-il de l’osephe qui rassemble tous les autres singes au motoanga et des républicains, oiseaux qui, sortant de forêt, envahissent tout à coup un des arbres du village et viennent y construire leurs nids. Cependant, la majorité des animaux retenus ont ceci de particulier qu’ils font entendre leur cri au lever du jour, ou à la tombée de la nuit, ou encore aux deux crépuscules. Ce sont l’escargot amá-koɗεɗíε, la pintade des bois, le daman arboricole, l’oiseau amá-kεkεaɔ, le coq et, de nouveau, le chimpanzé. Ces animaux, dit-on, « reconnaissent » le jour, c’est-à-dire qu’ils font la distinction entre le jour et la nuit et marquent la transition entre les deux. Or cette distinction est des plus importantes. Le lever du jour s’exprimant précisément par le terme kɔɗɔkáná, s’ouvrir, cette distinction est une de celles sur lesquelles peut venir s’articuler métaphoriquement, comme sur la coquille de moule, l’opposition fondamentale entre ouverture et fermeture qui sous-tend, chez les Komo, la vision du monde et de l’homme, et qui permet de se représenter, à l’intérieur de celle-ci, l’action ambivalente de l’esomba. C’est pour cette raison d’ailleurs que les temps forts des célébrations rituelles débutent le soir et doivent se prolonger jusqu’à l’aurore (kέísá ; 3.2.5.c), de manière à rattacher le jour au jour, et que tous ceux qui sont « enfermés » dans l’esomba pour y être traités, c’est-à-dire pour passer de l’état de fermeture à celui d’ouverture, doivent répondre le matin comme le soir aux cris des animaux qui marquent la transition entre la nuit et le jour. Comme il leur est interdit de parler, c’est en frappant sur le petit tambour à fente ɔkɔtɔ qu’ils leur répondent. Or on sait que ce petit tambour assure, lui aussi, une liaison avec les ancêtres (3.3.3.b), présents déjà derrière les animaux.
88Si la mère poule a été ajoutée avec ses poussins à cet ensemble d’animaux, c’est, au dire des spécialistes, pour représenter le nouveau mέná-gandjá et les premiers ɓantεndε de son cycle. Ce sont eux, en effet, qu’il convient, en tout premier lieu, de mettre en rapport avec les ancêtres.
89d) Le passage des animaux est suivi d’une série de chants qui permettent de préciser davantage comment doit se comprendre cette présence des ancêtres. Ayant eu à traiter déjà de la place de ces derniers dans les rites et des rapports qu’ils y entretiennent avec les maîtres de ceux-ci, nous avons présenté et analysé ailleurs les deux principaux parmi ces chants (cf. 1980, pp. 104-105). Il suffira donc de reprendre ici l’essentiel de leur signification.
90Le premier de ces chants est le ɓeímé. Chanté lui-même dans l’obscurité, il présente les ancêtres comme des êtres dangereux, qui passent ensemble dans l’obscurité, sans qu’il soit possible de les identifier. Le fait qu’il est chanté par les seuls mέná-gandjá et qu’en chantant les ancêtres ceux-ci passent constamment de la troisième personne à la première semble devoir suggérer une identification des deux groupes.
91Les maîtres de la circoncision entonnent alors un second chant, nommé agonga. Comme les autres, il est chanté comme le sont habituellement les chants rituels (3.1.6.a). En voici d’abord les paroles :
1/ Agonga, o, | Ô, agonga, toi qui allumes, |
2/ nk’âbέ, | femme de mon père, |
3/ bik’óngongέ nsa. | viens allumer le feu. |
4/ Agonga, o, | Ô, agonga, toi qui allumes, |
5/ mέnέi, o, | ô, toi qui en est le maître, |
6/ mέná mokosó, | la maîtresse du foyer, |
7/ amégongeaga, | toi qui allumes pour toi-même, |
8/ bik’ókotshέ nsa, | viens nous donner du feu, |
9/ motúá káolímbε. | le foyer ne flambe pas encore. |
10/ Nk’âbέ, máe, | Hélas, femme de mon père, |
11/ mokosó áolέ ye. | que le foyer puisse brûler. |
12/ Agonga, o, | Ô, agonga, toi qui allumes, |
13/ mέnέi ndé agonga, | celle qui en est maître, c’est celle qui allume, |
14/ mέná mambasa ; | la maîtresse de la cuisine ; |
15/ ɓókógongέ mambasa ; | ne faites pas flamber la cuisine ; |
16/ ɓókógongέ k âphé. | n’incendiez pas la route. |
17/ Agonga, o, | Ô, agonga, toi qui allumes, |
18/ motúá áolέ ye, | que le foyer puisse brûler, |
19/ ɓaníkí básí na ndja. | car les enfants meurent de faim. |
20/ Nk’âbέ ma, | Ho, la femme de mon père, |
27/ mokosó áolέ phɔ ; | que le foyer brûle un peu ; |
22/ sákέ ândja ; | le bon bois sec ; |
23/ kéɓolε bangíphó, | je ne brûlerai pas (celui où) les fourmis ongíphó (ont fait leur nid), |
24/ kéɓolε ɓampaphá. | je ne brûlerai pas les insectes. |
25/ Agonga, o, | Ô, agonga, toi qui allumes, |
26/ nk’âbé, | femme de mon père, |
27/ kamánágá na nsa ; | viens vite avec du feu ; |
28/ ɓangudjá ɓángóé nyama, | les vers ont envahi la viande, |
29/ nyama ndé lendó. | la viande de l’antilope lendó. |
92Dérivé du verbe gonga, agonga désigne la personne qui allume le feu. Bien qu’en principe ce travail soit réservé aux femmes, comme il ressort du texte, l’accès à la case rituelle leur est strictement interdit au moment de l’initiation. C’est donc le mέná-gandjá responsable qui, dès qu’on entonne le chant, sortira pour chercher un tison ardent qu’il prendra à l’un des feux hors de la case, et viendra remettre à celui qui dirige les rites.
93Le feu constitue véritablement le centre de toute forme de communauté, lorsque les gens se réunissent le soir ou la nuit. Faire du feu devant quelqu’un qui arrive est plus qu’un signe de bienvenue. C’est une manière de l’intégrer dans la communauté. C’est là aussi le sens de la séquence du feu, agonga, qui ouvre toute célébration rituelle (3.2.5.d). Elle s’accompagne du même chant, bien que certaines des formules stéréotypées qui le composent puissent être ajoutées ou omises selon les circonstances. Dans ce cas-ci, les gestes rituels sont également adaptés, ou prédéterminés par les gestes qui accompagnent le chant suivant, dans lequel on demandera de la lumière pour voir clair. Ainsi, plutôt que de présenter le feu à l’assistance comme on le fait aux autres célébrations, le mέná-gandjá président promène le tison qu’on lui a donné le long du toit, à l’intérieur de la case, puis le fait passer à plusieurs reprises autour du poteau central.
94Voici quelques éclaircissements de détail :
7/ Lorsqu’elle allume le feu pour cuisiner, comme c’est habituellement le cas, la femme est seule à se tenir auprès de lui. Un contraste est recherché entre cet isolement et le sens communautaire du feu.
22/-23/ À partir d’ici le chant fait allusion à la circoncision. On se souvient que l’opération est souvent désignée par l’expression « faire brûler » (3.4.3.e). Poursuivant l’image, le pénis est comparé ici à du petit bois sec. Si l’on refuse de brûler le bois dans lequel les fourmis ongíphó ont construit leur nid, c’est parce que c’est à elles que l’on donne à dévorer le prépuce des circoncis, et qu’il existe une idée tenace selon laquelle il ne faut jamais rien mettre au feu de ce qui a appartenu au corps, comme des cheveux, des bandages imbibés de sang, etc.
28/-29/ Avant que le gibier attrapé dans les pièges soit rapporté au village, il a souvent eu le temps d’être envahi par les vers. Pour éliminer ceux-ci, on commence par tourner la viande dans la flamme. Il y a ici comme au v. 22/une allusion à l’opération.
95Le troisième chant, qui lui aussi a été présenté ailleurs (cf. supra), débute par les paroles : Τόɓόáni, ο, nέɓοnε ká ɓabέ, « Ô, allumez, que je voie mes pères. » Elles en indiquent le thème. On notera d’abord que si gonga signifie allumer pour cuisiner ou pour se chauffer, tóɓóá veut dire allumer une torche pour voir clair. Toute l’importance du chant, du moins en ce qui concerne la façon dont doit se comprendre la présence des ancêtres, se dégage alors des gestes qui en orientent la signification. En effet, après avoir allumé une torche au moyen du tison ardent, et tandis que tous reprennent, sous différentes formes, le thème « que je voie mes pères », les mέná-gandjá passent, tour à tour, la torche autour du poteau central, puis au-dessus des feuilles qui recouvrent encore les yendji, pour s’éclairer enfin eux-mêmes en se la passant autour du corps et entre les membres. Arrivés dans l’obscurité, les ancêtres se sont donc manifestement incarnés et peuvent « se voir » dans le poteau central qui comme on sait fait le lien entre le monde des vivants et le leur, dans les yendji, éléments ésotériques du rituel, et aussi dans les maîtres de celui-ci. Toutefois, les ancêtres qui interviennent ici ne sont pas les ancêtres claniques comme tels, mais bien des membres du clan de chacun des mέná-gandjá, auxquels ces derniers ont succédé. Ce sont d’ailleurs ceux-là aussi que l’on invoque dans les prières. En d’autres termes, il s’agit des ancêtres qui furent à l’origine de l’institution. Sur le plan des ancêtres aussi, l’initiation est donc une remontée aux sources.
96En l’honneur de la torche, on ajoute parfois au précédent le petit chant suivant :
Kasokó, o, | Ô, la torche, |
mέná-gandjá, | celle qui détient la vue des objets ésotériques, |
kádú béi, | si elle n’avait pas été là, |
kaɓɔngέ, | ce ne serait pas heureux, |
ngá mέnέi ndé kasokó ; | car celle qui détient la chose, c’est la torche ; |
ngà kasokó mono ndé mέná-ɓeia. | car c’est la torche qui détient la vue des objets ésotériques. |
97e) Après cela on voit, dans la région de Lubutu, quatre ou cinq parmi les plus anciens méná-gandjá s’avancer vers le monticule où sont plantés les yendji. S’étant accroupis, ils se mettent à danser autour de celui-ci en se tenant par la main et en chantant, accompagnés des autres maîtres de la circoncision :
Kákà, o, | Ô, la poule, |
kákà, kingɔma ; | la poule étranglée ; |
akú katatε, | elle est morte sans crier, |
ká tshiko á aɓóí. | dans le champ de l’aboi. |
Kɔɔngánέ, | Si tu veux avoir la vie sauve, |
kɔkɔɗέ kpɔngbɔ | ne cueille pas de tomates |
ká tshiko á méná-gandjá ; | dans le champ du mέná-gandjá ; |
kákà, o, | ô, la poule, |
kákà ndé kingɔma. | la poule qui s’est étranglée. |
98Au moment où on les chante, les deux premiers vers, dont les mots ne font pas partie du vocabulaire usuel, ne sont compris que des seuls initiés. Leur sens ne se révélera aux autres que plus loin, et encore de façon fort imparfaite. Il faut savoir en effet, que, pendant que les mέná-gandjá dansent ainsi autour du monticule, l’un d’eux — normalement le président, mais il peut se faire remplacer par un assesseur s’il est trop âgé pour participer à ce type de danse — doit étrangler une poule qu’il tient cachée sous son pagne, sans qu’on l’entende crier, et la glisser ensuite sous les feuilles qui recouvrent les yendji. On imagine qu’elle aura été étranglée d’avance. Découverte au moment où l’on retirera les feuilles, elle provoquera l’étonnement des nouveaux initiés.
99Pendant qu’on le chante, le chant ne peut donc être compris par les ɓantεndε que comme une mise en garde contre toute tentative de s’approprier quoi que ce soit parmi les biens du nouveau méná-gandjá. La tomate, un fruit précieux que sa femme, l’aɓóí, cultive dans ses champs, ne figure ici que comme symbole de l’ensemble de ces biens, symbole d’autant plus significatif que, chantée au monanga, la tomate représente aussi la fille du mέná-gandjá (3.3.2.e). À elle non plus on ne pourra toucher impunément. De fait, en raison de leurs fonctions rituelles, les maîtres de la circoncision disposent de moyens puissants pour défendre leurs biens. L’εɔphi, par exemple, une protection symbolique dont ils entourent leurs champs, provoquera immanquablement la mort de celui qui y pénétrerait pour voler. Cependant c’est surtout la force de frappe des yendji, dans lesquels se sont incarnés les ancêtres, que l’initiation se doit de démontrer ici. C’est pourquoi, découvrant par la suite la poule « qui s’est étranglée » à côté de ceux-ci, les ɓantεndε conclueront que c’était elle la voleuse de tomates et que le sort qu’elle a subi annonce celui que réservent les yendji à d’autres voleurs éventuels.
100Les mέná-gandjá, en revanche, s’en tiennent entre eux à une interprétation différente, qui s’écarte de la signification du chant, et est rendue possible par l’imprécision des termes, mais ne s’exprimera que dans l’invocation qui suivra la révélation de la signification des yendji. Anticipons donc. La révélation s’achève sur une historiette qui établit un parallélisme entre le nouveau mέná-gandjá et la poule qui s’est étranglée ; elle est suivie par une invocation que le mέná-gandjá président prononce sur son nouveau confrère, et dans laquelle celui-ci est mis en garde contre tout abus de pouvoir qui l’amènerait à faire du tort aux autres. « Mέná-gandjá, lui est-il dit, si tu es un sorcier, tu mourras de la même façon que cette poule, au pied du poteau central de ta case. » S’étrangler, en effet, est une forme de suicide. Or ce que l’on veut montrer au nouveau maître de la circoncision, c’est que s’il ne respecte pas les nombreuses prescriptions que comporte sa fonction ou s’il abuse des pouvoirs qu’elle lui confère, ceux-ci se retourneront contre lui. De plus, l’investiture elle-même se rend par deux expressions qui distinguent deux moments rituels importants : l’une, síá ɗɔphε, « enduire de kaolin », souligne l’entrée dans l’esomba (4.1.3.b), l’autre, makέá masámba, « jeter le collier autour (du cou) », marque davantage la communication des pouvoirs, comme le montreront les ingrédients qui entrent dans la composition du collier. Si c’est donc le collier qui est ressenti comme l’attribut principal conférant les pouvoirs, l’image de l’auto-strangulation comme résultant de l’abus des pouvoirs, ne peut que faire appel à nouveau au collier, qui sera vu alors comme l’objet par lequel s’opère cette strangulation. Cette façon de voir se trouve confirmée par les divers moments au cours du rituel où le collier du nouveau méná-gandjá, ou du mέná-gandjá sortant, est suspendu par une corde au poteau central (4.4.2.c ; 5.3.2.a, c). C’est ici qu’intervient l’imprécision des termes : kingɔma n’ayant pas, ou n’ayant plus, de référent nettement défini est ressenti par un certain nombre de mέná-gandjá comme renvoyant au collier. De toute manière, on voit comment un seul chant et la pratique rituelle qu’il commente donnent lieu à des interprétations pratiquement opposées, mais qui toutes deux ont pleinement leur place dans le contexte de la présente initiation et des rites d’investiture dans lesquels elle s’inscrit. En fait, cette double interprétation pourrait être due uniquement à ce que le chant et la pratique auraient été conçus séparément.
101Dans la région de Kelenga la pratique ne se rencontre pas comme telle. Cependant, avant de déblayer la terre du monticule (le « crâne ») dans lequel sont plantés les yendji, le lendemain de la séquence qui leur est consacrée, on égorge une ou deux poules, akákanáka de leur nom rituel, au-dessus de celui-ci, en sacrifice aux ancêtres. De fait, il arrive souvent, lorsque des pratiques sont fort secrètes, que, d’une région à l’autre, on en apprenne vaguement l’existence et qu’on essaie alors de les intégrer chez soi, mais sans en avoir pleinement saisi le sens. Aux deux endroits, cependant, les plumes des poules devront être brûlées pour servir de médecine, tandis que leur chair ne pourra être préparée et consommée que par les mέná-gandjá.
102f) Après le chant de la poule étranglée, les mέná-gandjá se mettent à traverser en tous sens la case rituelle en dansant l’un derrière l’autre. Ils accompagnent leur danse de quelques chants, comme celui de l’oiseau gɓékúsé (5.2.3.b). Puis, s’étant rapprochés du monticule, ils poursuivent leur danse autour de celui-ci, chacun d’eux retirant à son tour une des feuilles qui recouvrent les yendji. Celles-ci sont déposées sur un tas près du siège du mέná-gandjá président. La danse s’accompagne soit du chant atondoaga (3.1.6.a), soit du chant suivant qui paraît plus approprié :
Νtúlú, maɓembe, | Pagne de danse, pagne gonflé, |
mabembe á gɔa, | pagne gonflé de la cascade, |
ntúlú á ɓabέ. | pagne de danse de mes pères. |
Pagne de danse en écorce battue que les mέná-gandjá se passent entre les jambes, le ntúlú, bouffant de par sa raideur, donne l’impression de recéler bien des choses. C’est la raison pour laquelle les feuilles qui cachent les yendji lui sont comparées. Seulement, ce que cache le pagne lui-même, c’est la puissance de fécondation que les mέná-gandjá détiennent au compte de tous et possèdent aussi pour eux-mêmes. Celle-ci est souvent rendue par l’image de la cascade (voir le chant de 3.5.3.b). À travers cette assimilation des feuilles au pagne et l’évocation de la cascade, les yendji paraissent donc revêtus d’une dimension sexuelle.
103g) Lorsque les yendji sont entièrement découverts, le mέná-gandjá président invite les ɓantεndε à venir s’accroupir autour du monticule et, prenant place au milieu d’eux, il s’apprête à leur en révéler le sens. L’expression par laquelle se désigne cette révélation n’est cependant pas ngoɗéá yendji, mais ngoɗéá gandjà, « révéler le (sens du) gandjà ». Cela indique que les yendji sont considérés comme ce en quoi s’est hypostasiée et à travers quoi s’exprime toute la signification de l’institution rituelle de la circoncision. Il va de soi que cette révélation est vue par les Komo, les hommes du moins, comme un des moments les plus importants de leur accession à la classe des pères ; mais ils la considèrent certainement tout autant comme une espèce de condensé de leur culture tout entière. C’est pourquoi, dans le but de maintenir cette révélation dans une fidélité absolue à la tradition, celui qui la fait s’adjoint, dans la région de Kelenga, un assesseur qui, de la même voix basse, en répétera chaque bout de phrase. Il doit ainsi se rendre à même de la reproduire aussi exactement que possible après la mort du président.
104En raison de leur importance, nous ferons suivre deux exemples de ces révélations. Cela nous permettra de voir combien elles peuvent différer, d’une région à l’autre, au-delà de ce qu’elles ont de commun. La première provient de la région d’osáyó, près de Lubutu. On se souvient que les habitants de cette région sont considérés comme les détenteurs originels du kentende, la tradition de la circoncision qui nous occupe ici. Cette révélation fut faite par le nommé Michaeli, maître de la circoncision du clan obabaénga et le plus ancien des mέná-gandjá en titre de la région. Elle se fit lors de l’investiture de Ndji-á-Makua du segment clanique d’onakina.
105h) En voici le texte :
1/ Baníkí ámɔ, | Mes enfants, |
2/ Ekéndé aúngǎni ndé ? | Qu’est-ce, ici, de si nombreux ? |
3/ Ekéndé aungǎni ? | Qu’y a-t-il ici, en si grand nombre ? |
4/ Ńáké gandjá úndé ? | N’est-ce pas là le gandjá ? |
5/ Gandjà. | Oui, le gandjà. |
6/ Gandjà ú. | C’est cela le gandjà. |
7/ N’a ndé gandjà ɓàte ? | Et est-ce bien le gandjà, pensez vous ? |
8/ O, ɓaníkí ámɔ, | Ô, mes enfants, |
9/ Ńákέ mbuà ndé aɔɔka ndé ? | N’est-ce pas là la pluie qui tombe ? |
10/ Mbúá. | Oui, la pluie. |
11/ Aundé aɔɔka. | C’est elle qui tombe. |
12/ N’a ndé mbúá ? | Et est-ce bien de la pluie ? |
13/ Ńáké gandjá ? | N’est-ce pas plutôt le gandjá |
14/ ńákέ mutete ndɔ ? | Ou ne seraient-ce pas là des fruits mutete ? |
15/ Mutete. | Oui, ce sont des mutete. |
16/ Mbúá áɔɔka, | Comme la pluie tombe, |
17/ ɓɔɔdεkεana k’íso á ndaɓɔ. | vous serez mouillés, si vous restez près de l’entrée de la case. |
18/ Mutete ú. | Ce sont bien là des fruits mutete. |
19/ Mutete. | Oui, des mutete. |
20/ N’a ndé mutete ɓàte ? | Et sont-ce vraiment des mutete, croyez-vous ? |
21/ Nǎ nàkὲ gandjá ? | Ne serait-ce pas plutôt le gandjá ? |
22/ Baníkí ámɔ, | Mes enfants, |
23/ Ńákέ ɓímbá aundé ? | N’est-ce pas un monticule que vous voyez là ? |
24/ Bímbá. | Un monticule. |
25/ Ńákέ míkí á mamba undé ? | N’est-ce pas là une petite montagne ? |
26/ N’a ndé ɓímbá ɓàte ? | Et est-ce bien un monticule, pensez-vous ? |
27/ Nǎ nákὲ gandjá ? | Ne serait-ce pas simplement le gandjá |
28/ O, ɓaníkí ámɔ, | Ô, mes enfants, |
29/ Ndké ɓasέsέ báúndé ? | Ne sont-ce pas là des colibris ? |
30/ Basέsέ ; | Des colibris ; |
31/ ɓáoéa ndimba to. | mangeant les fleurs de l’arbre ndimba. |
32/ Basέsέ. | Oui, ce sont des colibris. |
33/ N’a ndé ɓasέsέ ɓàte ? | Et encore, sont-ce bien des colibris, croyez-vous ? |
34/ Ńàké gandjá ? | N’est-ce pas tout simplement le gandjá ? |
35/ O, ɓaníkí ámɔ, | Ô, mes enfants, |
36/ kakálá ámbé amé ; | voyez cet arbre calciné qui s’élève ; |
37/ kakálá. | un arbre calciné. |
38/ N’a ndé kakálá ɓâte ? | Et est-ce bien un arbre calciné, pensez-vous ? |
39/ Ńàké gandjá ? | N’est-ce pas tout simplement le gandjá ? |
40/ Baniki ámɔ, | Mes enfants, |
41/ Ekénde aúngǎni ndé ? | Qu’est-ce, ici, de si nombreux ? |
42/ Ekénde aúngǎni ndé ? | Qu’y a-t-il, ici, en si grand nombre ? |
43/ Ńákέ ɓěsénde ɓàundé ɓàoéa ? | Ne sont-ce pas là des escargots d’eau qui mangent ? |
44/ Bàoéa mbuk’à ɓelembe ndê, | Qui mangent des fruits belembe, |
45/ ká iɓo ndê ? | dans cette eau-ci ? |
46/ Běsénde. | Des escargots d’eau. |
47/ Běsénde ɓa ú. | Oui, ce sont des escargots d’eau. |
48/ Na ńà go phá ɓěsénde. | Et non, ce ne sont pas des escargots d’eau. |
49/ O, ɓaniki ámɔ, | Ô, mes enfants, |
50/ ndaoɓá kágea ɓeonyέna, | lorsque nous, les mέná-gandjá, nous passons quelque part, |
51/ ɓóosogea éndê : « Ńda nyama aúndé atúmí ká ɓǔku ndé ? | vous nous dites : « N’est-ce pas du gibier là, dont est remplie cette besace, |
52/ Mέná-gandjá ndɔ agǎnde n’akén-gétáni ? | que porte le mέná-gandjá en marchant tout courbé ? |
53/ Nyama ayé ta wándɔ búbui ? » | Il ne doit y avoir là que du gibier ? » |
54/ Nǎ ńà go pha nyama aúndɔ ; | Et non, ce n’est pas du gibier qu’il y a là ; |
55/ a ndé gandjá ú. | C’est tout simplement le gandjá. |
56/ O, ɓaníkí ámɔ, | Ô, mes enfants, |
57/ Ekénde aúgǎni ndé ? | Qu’y a-t-il, ici, en si grand nombre ? |
58/ Ɔmɔɔní εsέkέ, | Si tu vois une canne à sucre, |
59/ ká tshiko á mέná-gandjá, | dans le champ d’un mέná-gandjá, |
60/ n’atshígí ta motí ká u, | et qu’il n’en reste plus qu’une seule, |
61/ ɓaníkí ámɔ, n’oúbapha, | mes enfants, si vous êtes sages, |
62/ kogéέ mɔnɔ te : « Nétenε εsέkέ ndɔ », | ne dites pas : « Je vais cueillir cette canne à sucre », |
63/ koténέmɔnɔ ndɔ atshígí ká tshiko tshiko á mέná-gandjá, n’atshígí tɔ motí. | ne cueillez pas la canne à sucre qui reste dans le champ d’un mέná-gandjá, lorsqu’il n’en reste plus qu’une seule. |
64/ O, ɓaníkí ámɔ, | Ô, mes enfants, |
65/ na ndé εsέkέ ɓate ? | pensez-vous vraiment que ce soit une canne à sucre ? |
66/ Ńákέ gandjá ? | N’est-ce pas tout simplement le gandjá ? |
67/ Baníkí ámɔ, tsha, tsha, tsha, | Mes enfants, holà, là, là, là, |
68/ oonkóɗa ndjiko, | si tu attrapes un porc-épic, |
69/ no ɓo n’abákɔ bîbí, | et que ton père est proche, |
70/ na ndé mέná-gandjá, | et qu’il est mέná-gandjá, |
71/ óéá gàkε ntábe á ndjiko ákɔ, | alors, tu mangeras, toi, la cuisse de ton porc-épic, |
72/ phúíá k ‘ákέ nkondó ákέ, | mais tu lui couperas la queue, |
73/ g’ómophέ, | tu iras la lui donner, |
74/ óogea : « Abέ, eá ndɔ. | et tu lui diras : « Père, mange ceci, |
75/ Ntítií ndɔ nedjibí ndɔ, | parce que ce à quoi j’ai été initié, |
76/ a ndé nkondó á ndjiko. » | c’est la queue du porc-épic. » |
77/ N’a ndé nkondó á ndjiko ɓâte ? | Et serait-ce bien la queue du porc-épic, croyez-vous ? |
78/ Ńákέ gandjá ? | N’est-ce pas tout simplement le gandjá ? |
79/ O, baniki ámɔ, | Ô, mes enfants, |
80/ Ńákέ ngandó ámbé aɓandi ndé ? | N’est-ce pas un crocodile qui gît là, les pattes écartées ? |
81/ Ngandó. | Un crocodile. |
82/ Ngandó ámbé aɓandi. | Un crocodile étendu, les pattes écartées. |
83/ Ngandó ; | Oui, c’est un crocodile, |
84/ ǎmbé ɓamá-kiphóphó-iphó ɓáon-téea. | vers lequel affluent les papillons. |
85/ N’a ndé ngandó ɓàte ? | Et encore, est-ce bien un crocodile, pensez-vous ? |
86/ Na ńákέ ngandó. | Non, ce n’est pas un crocodile. |
87/ Ńàké gandjà ? | N’est-ce pas tout simplement le gandjà ? |
88/ A ndé gandjá. | C’est le gandjà |
89/ O, ɓaníkí ámɔ, | Ô, mes enfants, |
90/ nàké ɓakenkamba ɓáúndé ɓáɓaɓí ndé ? | ne seraient-ce pas des mollusques, serrés les uns contre les autres ? |
91/ Bakenkamba ; | Oui, des mollusques, |
92/ bàúndé bàbabi k’étai ? | là, serrés les uns contre les autres sur cette roche ? |
93/ Bakenkamba. | Ce sont des mollusques. |
94/ N’a ndé ɓakenkamba ɓàte ? | Et puis, seraient-ce vraiment des mollusques, croyez-vous ? |
95/ Nǎ nákέ gandjà ? | Ne serait-ce pas tout simplement le gandjá ? |
96/ A ndé gandjà. | Oui, c’est le gandjà. |
97/ O, ɓaníkí ámɔ, | Ô, mes enfants, |
98/ ńákέ muna Mokúphé ǎmbé aomá ndɔ ? | n’est-ce pas le fils de Mokúphé, là, qui se lève ? |
99/ Muna Mokúphé âmbé aomà. | C’est le fils de Mokàphé qui se lève. |
100/ Badákέ ɓáɓaolá na makáná ndɔ. | Ses amis se sont couchés, laissant fermenter la bière de banane. |
101/ Ábaogea : « Negě ndéámɔ, nénwe makànà ndéámɔ. » | Il se dit : « Moi, je m’en vais ; il faut que je boive ma part de bière. » |
102/ Áɓaonɗóá ǹk ákέ wa, | Il laisse là sa femme, |
103/ na ǹk’ákέ aikí to wá, | alors que sa femme était assise là, |
104/ áoga k’áphé à makànà ndɔ, | et il s’en va vers la bière, |
105/ áɓaoga οnόá makáná ndɔ. | il s’en va boire cette bière. |
106/ Atókí na makáná ndɔ, | Il s’en revint d’avoir bu de la bière, |
107/ n’áòsembeaga na makáná ndɔ : | tout en se glorifiant, sous l’effet de sa bière : |
108/ « O, and, míkí ámɔ, | « Ô, qui donc, mon enfant, |
109/ abákɔ âmbê ! | c’est ici ton père ! |
110/ Nenúmá ká sɔphɔ andjá, e ! » | Ce que j’ai bien bu dans mon ventre ! » |
111/ Abikí okidianaga, | Lorsqu’il fut revenu, |
112/ áɔbéɗa mbátá ndéâkέ. | il prit son tabouret. |
113/ Ńk’ákέ ǎmbɔ áongíá ká ndaɓɔ ndɔ, | Sa femme, elle, rentre dans la case,, |
114/ áɔbέɗa mosaba ndɔ, | prend un restant de nourriture, |
115/ ábika omophá ndɔ. | et vient le lui donner. |
116/ Ămbô áongíá gotó ká ndaɓɔ ndɔ | Puis elle entre à nouveau dans la case, |
117/ áɓaɔbέɗa ntɔkε á ɓambongε, | prend un petit sachet de silures, |
118/ ábika obísa ká ntií. | et vient le déposer auprès de la nourriture. |
119/ Áɓaokóɗa mosaɓa ndɔ, | Il ouvre alors le sachet de nourriture, |
120/ áɓaokóɗa mbonge ndɔ, | il ouvre ensuite le sachet de silures, |
121/ áophúia ká mbonge ndɔ ímotí. | et sort un des silures. |
122/ Áɓaotshoa pháe’á mbonge ndɔ. | Il en arrache la moitié. |
123/ Áɓaonkoka mosaba ndɔ, | Il mord d’abord dans sa nourriture, |
124/ áɓaonkoka mbongε ndɔ. | et mord ensuite dans le silure (et s’étrangle). |
125/ Ńákέ kɔkɔ ǎmbé ankú na kekuáphili ? | N’est-ce pas là la poule qui est morte avec un insecte kekuáphili dans la gorge ? |
126/ Yéyáni phɔ gandjá ! | Acclamez un peu le gandjá ! |
127/ Tous : Íê... ! | Tous : Íê... ! |
9/ Puisqu’on les considère comme tombés du ciel, où résident les ancêtres connus, les yendji sont fréquemment comparés à la pluie ou à l’orage, deux phénomènes qui, étant généralement concomitants, se désignent par le même terme. On les compare également à la grêle ou aux étoiles filantes.
14/-20/ Les fruits mutete attirent bon nombre de singes et d’autres animaux qui en sont friands. C’est pourquoi on les qualifie d’isέngέ, un terme qui s’applique à une série d’objets se prêtant à signifier le succès ou l’attrait et employés symboliquement pour cette raison. Celui qui fait la révélation voit une analogie entre ces fruits, les yendji qui ont attiré les ɓantεndε. et les célébrations de la circoncision qui attirent beaucoup de monde, elles aussi.
16/-17/ L’image de la pluie se trouve tout à coup transposée dans la réalité, mais une réalité imaginaire, qui sert de prétexte à celui qui fait la révélation, pour inviter ceux qui l’écoutent à se serrer davantage autour des yendji.
23/-26/ L’image de la « lutte contre le kaɓíε » (l’opération de la circoncision) qui, selon les représentations, a toujours lieu sur une montagne (3.3.3.f) est certainement présente ici.
29/-33/ Les colibris, on l’a vu (3.3.2.f), constituent, eux aussi, un des symboles en lesquels se nouent plusieurs significations primordiales concernant la circoncision. Et les fleurs de l’arbre ndimba (Symphonia gabonensis), du suc desquelles ils se nourrissent de préférence, sont isέngέ, tout comme les fruits mutete.
36/-38/ Celui qui fait la révélation passe ici des yendji au poteau central de la case qui, s’élevant au milieu d’eux, est souvent désigné comme leur époux et qui, renvoyant à un arbre touché par la foudre, fait le lien entre le monde des vivants et celui des ancêtres (3.1.7.b).
43/-48/ De par sa forme allongée et le trou qui la termine, la coquille des escargots d’eau ésénde ressemble fort au prépuce. Par là, ces animaux renvoient aux incirconcis (3.5.3.b). De plus, ils sont attirés par les fruits belembe de l’arbre ɔtεa (Uapaca sp.) lorsque ceux-ci tombent à l’eau. Ces fruits sont donc isέngέ et symbolisent le gandjá auquel les incirconcis arrivent en grand nombre pour se faire traiter.
49/-55/ Le mέná-gandjá révèle ici que les maîtres de la circoncision conservent les yendji, force de frappe du gandjá, dans leur besace et les emportent avec eux quand ils se déplacent. C’est ce qui fait d’eux des hommes dangereux qu’il s’agit de respecter. Cet avertissement implicite permet d’en venir à deux prescriptions qui doivent être observées à l’égard des mέná-gandjá et dont la signification peut s’éclairer dans le contexte présent. Elles concernent, l’une, la canne à sucre, l’autre, la queue du porc-épic.
58/-65/ Une canne à sucre, restée seule dans le champ d’un maître de la circoncision, évoque, avec la touffe de feuilles raides qui la couronne, le poteau central de la case rituelle surmonté de bâtonnets latéraux, le kakálá avec ses moignons (3.1.7.b) et aussi le bâton du mέná-gandjá. C’est par respect pour ces objets auxquels il est intimement lié, et qui d’ailleurs le représentent, que le maître de la circoncision n’a pas voulu la couper. Il serait donc plus inconvenant encore que quelqu’un d’autre le fasse. De manière analogue, il était demandé aux ɓantεndε, lors d’une autre initiation, de ne jamais cueillir tous les champignons qu’ils pourraient trouver quelque part en forêt. Il leur fallait toujours en laisser quelques-uns « à cause des yendji » dont ils avaient appris la signification et qui, comme on sait, sont souvent comparés à des champignons en raison de leur forme.
67/-77/ Droite, raide, et se terminant par une touffe de poils durs ou de piques, la queue du porc-épic ressemble, elle aussi, au poteau central de la case rituelle, comme d’ailleurs à la canne à sucre et au chasse-mouches des dignitaires, maîtres des institutions rituelles. C’est pourquoi aucun de ceux qui ont été initiés à la séquence des yendji ne peut manger de cette queue en présence d’un mέná-gandjá. Les non-initiés ne peuvent jamais en manger, mais ils n’en connaissent pas la raison.
79/-86/ La façon dont les yendji sont disposés sur le monticule peut faire penser aussi aux saillies de la carapace du crocodile, d’autant plus que celui-ci est le principal symbole animal de la circoncision. Il y a pourtant une distinction à faire, comme le signale le mythe auquel il est fait allusion ici. Celui-ci raconte comment le grand crocodile (ngandó) refermait régulièrement sa gueule, qu’il laisse souvent béante, sur les nombreux papillons qui venaient s’y poser. Or ceux-ci représentent les incirconcis qui venaient se faire traiter par lui (§i, 255/-259/). Remarquant donc qu’il avalait tous les jeunes gens dont on lui confiait la circoncision, les ancêtres décidèrent de retirer celle-ci de ses attributions et de la confier au petit crocodile amá-kεkεa (Osteolaemus tetraspis). En compensation on confia l’úmbá, le rituel de passage pour les hommes qui ont engendré, au grand crocodile.
Pourquoi les crocodiles symbolisent-ils les rites de passage ? Leur caractère amphibie d’une part les rapproche du rituel, qui a son origine symbolique dans l’eau et se célèbre sur terre, d’autre part les fait échapper aux deux catégories par lesquelles les Komo distinguent les poissons (ɓasú) des quadrupèdes terriens (ɓanyama). Les crocodiles sont ainsi particulièrement aptes à symboliser des personnes en transition rituelle entre deux classes d’âge (§i, 90/ et suiv.).
Nous avons cherché ailleurs à dégager la signification de ce mythe en tant qu’expression de certaines modifications dans les rapports entre les deux institutions rituelles du gandjà et de l’úmbá (cf. 1980, pp. 86-87). Réservée aux hommes qui ont engendré, alors qu’elle se situe dans le rituel de la circoncision, la présente révélation justifie donc le rappel de ce mythe.
90/-93/ Nous avons souligné plus haut (§b) l’importance de ces mollusques, due au fait qu’ils incarnent les notions antithétiques fondamentales de « s’ouvrir » et « se fermer ». On place parfois leurs coquilles parmi les yendji.
98/-99/ Mokuphé est le nom du père du mέná-gandjá qui reçoit ici l’investiture. C’est aussi le nom de la principale constellation que connaissent les Komo (1.b).
100/ Allusion à la bière de banane dont la préparation accompagne la désignation du nouveau mέná-gandjá au début du cycle.
107/ Au sujet de la pratique de l’ésembea qui consiste à faire rejaillir sur ses ascendants ou descendants directs la gloire de ses propres hauts faits, voir 3.4.3.e ; cf. 1980, pp. 144-145.
97/-125/ Le sens de la petite scène qui clôt la révélation a été présenté plus haut (§e). Elle rejoint finalement la poule étranglée que l’on avait trouvée au pied des yendji, mais la relation n’est que suggérée. La conclusion de la révélation surprend, en effet, par son caractère elliptique. Il n’y est pas dit que le mέná-gandjá s’étrangle. Présenter la chose de la sorte dans la révélation eût certainement été compris comme une malédiction. Seule une invocation plus nuancée, et faite sur le mode conditionnel après la révélation ; pouvait clarifier le rapport sans risquer d’être blessante. On notera que le mέná-gandjá s’étrangle avec un silure, et la poule avec l’insecte kekuáphili, appelé aussi kúkúáphindi. Le premier contient beaucoup d’arêtes ; le second, que les gens n’ont pas pu nous montrer, a vraisemblablement été retenu en raison de son composant -kúá- par lequel on désigne la mort.
106i) La seconde révélation du sens des yendji et du gandjá que nous donnons en exemple fut prononcée à Kelenga par le même Moisɔ dont nous avons reproduit plus haut la révélation des significations de la viande. Elle atteste que, pour les Komo, le sens dernier des choses ne peut se trouver que dans leurs origines. Le sens des yendji et du gandjá y est cherché par un retour aux sources, cette fois dans le sens littéral de l’expression.
1/ Baníkí ámɔ, | Mes enfants, |
2/ Eké ndê ? | Qu’est-ce que ceci ? |
3/ ‘Bodú mono ɔɔnaga kinde ? | Aviez-vous déjà vu des choses pareilles ? |
4/ Bodù ɔmɔɔnaga ká u ? | Aviez-vous déjà vu cela ? |
5/ Aoɓá na ɓodú omoonaga ká u, | Au cas où vous l’auriez déjà vu, |
6/ ɓógéέ phɔ bodù oonaga ká u ; | dites seulement que vous l’avez déjà vu ; |
7/ ɓógéɔ : « Děɓεɔní ká u. » | dites : « Nous avons déjà vu ça. » |
8/ Mɔ á gandjà ú. | L’origine du gandjá, c’est cela. |
9/ Esomba à ka itεmbε-itεmbε, | L’esomba qui vient du pays des sources, |
10/ a ú. | c’est lui. |
11/ Yendji ndɔ mono ú. | Ces yendji dont on parle, les voici. |
12/ Kákέ eɓímbíka aúndé ? | N’est-ce pas là un monticule ? |
13/ N’amǎnde ebimbika ɓáte ? | Et est-ce bien un monticule, pensez-vous ? |
14/ Nsέsέnisέ aúndê. | Ce sont là les champignons nsέsέnisέ. |
15/ Nsésénisé aúndé atókí k’éɓimbika ndê. | Ce sont ces champignons qui surgissent de ce monticule. |
16/ Ν’amande nsésénisé ɓáte ? | Et seraient-ce bien des champignons nsésénisé, croyez-vous ? |
17/ Kúlúsoso ú. | Non, ce sont les champignons kúlúsoso. |
18/ N’amânde kúlúsoso ɓáte ? | Et encore, sont-ce bien des kúlúsoso, pensez-vous ? |
19/ Eleka aúndé agit. | Ce sont plutôt des champignons eleka, tombés du ciel. |
20/ Na kama k eleka. | Et puis non, ce ne sont pas des eleka. |
21/ Ephobe it. | Ce sont les champignons ephobe. |
22/ Amá-tshin’á mpɔkɔ. | Ceux qui surgissent au pied des bananiers. |
23/ N’amǎnde ndɔ ɓáte ? | Et serait-ce bien cela, croyez-vous ? |
24/ Nǎ nákέ ηώ. | Non, ce n’est pas cela. |
25/ Eké pha má ndê ? | Mais qu’est-ce alors ? |
26/ Eké ndê ? | Qu’est-ce donc ? |
27/ Ekénde beolélénga ? | Qu’est-ce que nous sommes en train de regarder ? |
28/ Mɔ à gandjá ú. | C’est l’origine du gandjá. |
29/ Bót’à kpengɓú. | La tombe de la couronne solaire. |
30/ N’amǎnde bót’à kpengbit ɓáte ? | Et est-ce bien la tombe de la couronne solaire, pensez-vous ? |
31/ Nd na bót’à kpengbit. | Non, ce n’est pas la tombe de la couronne solaire. |
32/ Songé ǎmbé adit, | C’est la lune qui se lève, |
33/ n’adú n’okómɔ, | et qui se lève à l’orient, |
34/ mání áɓaotóka mpasɔ. | tandis que le soleil sort à l’occident. |
35/ Bootangalaga má u. | Ce que vous regardez avec étonnement, c’est ça. |
36/ N’amǎnde ndô ɓáte ? | Et, est-ce bien cela, croyez-vous ? |
37/ Eké pha má ndê ? | Qu’est-ce alors ? |
38/ Eké ndê ? | Qu’est-ce donc ? |
39/ Bësénde ɓaúndé baoddala. | Ce sont des escargots bésénde qui rampent. |
40/ N’amǎnde bësénde ɓáte ? | Et, sont-ce bien des escargots ɓěsénde, pensez-vous ? |
41/ Kákέ bësénde. | Ce ne sont pas des bësénde. |
42/ Ndɔngε aúndé atóí. | C’est une termitière qui s’est déplacée. |
43/ Ndɔngε ndé ɓî atóí ndé, | Or, cette termitière, lorsqu’elle s’est déplacée ainsi, |
44/ kántɔmiέ k’éphali, | n’a pas averti l’endroit où se cache le lézard, |
45/ áongea : « Ephálí, | disant : « Demeure du lézard, |
46/ neotóla mbene. » | je déménage aujourd’hui. » |
47/ N’amǎnde ndɔ ɓáte ? | Et puis, serait-ce bien cela, croyez-vous ? |
48/ Nǎ kákέ ndɔ. | Non, ce n’est pas cela. |
49/ Eké pha ma ndê ? | Mais, qu’est-ce alors ? |
50/ Eké ndê ? | Qu’est-ce donc bien ? |
51/ Νdé ɓemáotangalaga. | C’est cela qui nous intrigue. |
52/ Kákέ mɔ á gandjá ? | N’est-ce pas là l’origine du gandjá ? |
53/ Yendji u. | Les yendji, c’est cela. |
54/ Ndɔ ɔɓmɔɔɔka yendji a yé. | Les yendji dont vous entendez parler, les voici. |
55/ Yendji ndɔ y έ. | C’est bien cela, les yendji. |
56/ Ooba ntúmá, | Si tu es un chasseur d’éléphants, |
57/ óoga okpatikisa isέ, | et que tu vas placer un piège, |
58/ no kóntákání mέná-gandjá, | sans avoir rencontré un mέná-gandjá, |
59/ no kóndondí mέná-gandjá... | sans que tu sois allé trouver un mέná-gandjá... |
60/ áɓaokopá mɔsɔmbí ; | c’est lui qui te donnera un de ces yendji ; |
61/ óoga okúkília ne, | tu iras l’enfoncer en terre avec ton piège, |
62/ onkúsǎnde mbongó ; | et tu tueras un éléphant ; |
63/ a ú. | (ce yendji) c’est ceci. |
64/ Obânde ḿkpá, | Si tu es un homme, |
65/ óphokisa ngó ndéákɔ, | et que tu organises une pêche au poison, |
66/ no kóntákání mέná-gandjá, | sans avoir rencontré un mέná-gandjá, |
67/ no kôndondi mέná-gandjá... | sans que tu sois allé trouver un mέná-gandjá... |
68/ áokopá yendji ; | c’est lui qui te donneras un yendji ; |
69/ ôoga okúkília ; | tu iras l’enfoncer en terre ; |
70/ na ngô ndô, | et alors ton poison, |
71/ ngô ndɔ akúánde ? | tu crois qu’il restera sans effet ? |
72/ Ngô ndô kákú’âkέ. | Ce poison ne sera pas sans effet. |
73/ Νǎ kákέ ndɔ. | Et pourtant, ce n’est pas cela. |
74/ Eké pha ma ndê ? | Mais qu’est-ce alors ? |
75/ Eké ndê ? | Qu’est-ce donc ? |
76/ Kákέ mókó ndɔ y é âmbé, | N’est-ce pas lui, cet homme, |
77/ ándjɔndjɔ, | le crustacé àndjjndjâ, |
78/ mbɔ aténí mâ gandjà ? | celui qui a fait passer la circoncision ? |
79/ Agǐ : « Eme, | Il se dit : « Moi, |
80/ ne ndé kɔmέ ngbaula : | je suis vraiment quelqu’un qui ne tient compte d’aucune prescription : |
81/ neotén’ámɔ gandj’ámɔ ! | j’organise moi-même mon gandjà ! |
82/ Eké ndji amootambaga ne ? » | Pourquoi le village se décharge-t-il sur moi de cette fonction ? » |
83/ À mâ oténa gandj’âkέ. | Et il organise son gandjà. |
84/ Aɓaɔmbέda aɔángá, | Il s’en va donc chercher la loutre, |
85/ àbaondidisa. | et lui fait descendre le courant. |
86/ Agǐ : « G’ɔbεdε basày í ! » | Il lui dit : « Va chercher les gens d’osáyó ! » |
87/ Âoga ɔbεɗaɓasáy ó ; | Elle s’en va donc, chercher les gens d’osáyό ; |
88/ έbέdí mɔnɔ basày à, | et lorsqu’elle eut rassemblé le peuple d’osáyó, |
89/ áɓa otáia n’âbɔ. | elle remonta le courant avec eux. |
90/ Ay é mɔ ká táli’âɓɔ, | Or, tandis qu’ils étaient ainsi en train de remonter le courant, |
91/ ngúma agǐ : « Neotshíga ndéámɔ wá, | le python dit : « Moi, je reste ici, |
92/ ká ɔandjá ndê. » | dans ce creux au pied de cet arbre. » |
93/ Bagǐ : « Ngúma, ndéákɔ ndêké ? » | Les autres dirent : « Python, dis-nous ton histoire. » |
94/ Ngúma agi : « Eme, | Le python dit : « Moi, |
95/ ḿkpá aɔmɔɓεnga k’êké ? | pourquoi les gens ont-ils besoin de me suivre ? |
96/ Aoɓá n’ɔɗεtí to leké áni, | Il suffit que tu marches sur mes œufs (sans le savoir), |
97/ no kómokúsí amo, | même si tu ne me tues pas, |
98/ kákέ na nyongo, | ça ne fait rien, |
99/ óoga to, | va ton chemin, |
100/ óɓimbagaléká mɔ to, | seulement tu seras couvert de boursouflures, |
101/ nkeke ákɔ búbúí ákɔ. | sur ta peau, de toutes parts. |
102/ Óɓa okáɓa bi oku : gɓá. » | Tu chercheras où tu as pu attraper cette maladie : ce sera peine perdue. » |
103/ Baɓaongea : « Tshígá ndéákɔ wá. » | Ils lui dirent : « Bon, toi, reste ici. » |
104 / Báɓaotáia. | Puis ils se remettent à remonter le courant. |
105/ Ayé mɔ ká tali’âɓɔ, | Or, tandis qu’ils étaient ainsi en train de remonter le courant, |
106/ εgεmbέ | le pangolin |
107/ agi : « Neotshiga ndéámɔ wá. » | dit : « Moi, je reste ici. » |
108/ Agi : « Nέ phɔ ɔmɔɔna ká nɔkɔ wá. » | « J’ai à visiter mon oncle, ici », dit-il. |
109/ Báongea : « Νɔkɔ ákɔ ndé áni ? » | Ils lui disent : « C’est qui, ton oncle ? » |
110/ Âogea : « Nɔkɔ ndé ntúmba. » | « Mon oncle c’est l’oryctérope », dit-il. |
111/ Ntúmba a mono opudua. | Voici l’oryctérope qui apparaît. |
112/ Ԑgembέ áɓaoduia | Le pangolin sort alors de l’eau, |
113/ kúɓéí, ntúmba a kúɓéí | à l’endroit où se trouve l’oryctérope, |
114/ áoga ontakana nɔkɔ âkέ. | et va à la rencontre de son oncle. |
115/ Andondí ntúmba. | Il rejoint l’oryctérope. |
116/ Baongea : « Bî ogé, | Les autres lui disent : « Puisque tu t’en vas, |
117/ bî ɔmέí ntúmba, | puisque tu te rends chez l’oryctérope, |
118/ ndéákɔ ndêké ? », | dis-nous ton histoire. » |
119/ Agi : « Eme, | Il dit : « Moi, |
120/ oomokúsa, | si tu me tues, |
121/ n’o ndé ḿkpá, | et que tu es un être humain, |
122/ no kóomobísa ká ntangá, | et si tu ne m’exposes pas sur la place publique, |
123/ ɓáoɗuaga ngɔngɔ ákɔ, | on te grattera le dos, |
124/ mangulubata, | au rite manguluɓata, |
125/ kolamέ ákɔ. | et tu n’en guériras pas. |
126/ Oomokúsa, | Si tu me tues, |
127/ n’omobisa ká tshin’ésaká, | et que tu me déposes au pied du poteau central de la case rituelle, |
128/ ɓatuái, | les mέná-gandjá |
129/ ɓáɔmɔandjɔa, | me reconstitueront |
130/ ɓáɓaongoɗa nyɔngɔ ndéámɔ. | et te raconteront mon histoire. |
131/ Wáúndɔ óɓaolama. | Alors tu auras la vie sauve. |
132/ Kángá ogǐ bo, | Si tu ne le fais pas, |
133/ etshíndjí ákɔ, | tes pieds, |
134/ ndjág’ákɔ | tes mains |
135/ áɓaoɓimhaga. » | se mettront à gonfler. » À leur retour, |
136/ Ԑgεmbέ a mɔ oduia, | Le pangolin sort de l’eau, |
137/ áoga ontakana na nɔkɔ âkέ. | et va à la rencontre de son oncle. |
138/ Ayé bî akidi ndɔ, | Lorsqu’il arriva auprès de lui, |
139/ nk’á nɔkɔ âké | la femme de son oncle |
140/ agí : « Εá, | lui dit : « Oui, |
141/ míkí ámɔ, | mon enfant, |
142/ ndɔngε ndéâmo âmbe a mɔ wáni. | ma termitière est toujours ici. |
143/ Âmbé alíkí wâni. | Elle est ici, bien dure. |
144/ Âmbé amolíkí ndê ; | La voici, trop dure pour moi ; |
145/ na be y é kâ keapha. » | et nous sommes déjà dans l’obscurité. » |
146/ Ayé mâma, | Le lendemain, |
147/ ɓáɓaoga | ils s’y rendent, (le pangolin) |
148/ na nk’à nɔkɔ âké. | avec la femme de son oncle. |
149/ Baoga ophonga | Ils s’en vont faire sortir |
150/ ndɔngε ndɔ. | les termites. |
151/ Ndɔngε âokua mono | Les termites périrent |
152/ lερεlερε. | en très grand nombre. |
153/ Ayé kâ kiɗíán’âbɔ, | |
154/ bî ɓáokiɗía wá, | lorsqu’ils furent revenus sur place, |
155/ ɓáɓaɔɔmbanaga. | ils se mirent à les cuire. |
156/ Nk’á nɔkɔ âké | La femme de l’oncle |
157/ áɓaɔbέɗa ká ndɔngε ndɔ | prit alors une partie des termites |
158/ áɓaoléa. | et les mangea. |
159/ Nk’á nɔkɔ âkέ | Mais la femme de l’oncle |
160/ á mono to okúa. | en mourut. |
161/ Baɓaomkpátága | On lia alors |
162/ εgεmbέ : | le pangolin (et on lui dit) : |
163/ « Phúíágá elemba á kà u ! » | « Retire le charme nocif qui a provoqué cela ! » |
164/ Aundé aotámba n’aotóngágá odo. | C’est pourquoi le pangolin se promène toujours en creusant la terre. |
165/ N’amǎnde ndɔ bate ? | Et serait-ce cela, pensez-vous ? |
166/ Νǎ kákέ ndɔ. | Non, ce n’est pas cela. |
167/ Bákáotái’âbɔ ? | Les autres ne se mirent-ils pas à remonter le courant ? |
168/ Ay é kà tai’âɓɔ, | Or, tandis qu’ils remontaient ainsi le courant, |
169/ ay omba | l’iguane |
170/ áogea : « Neotshíga ndéámɔ wá. » | dit : « Moi, je reste ici. » |
171/ Báongea : « Ɔmέí âni ? » | Ils lui dirent : « Chez qui te rends-tu ? » |
172/ Áogea : « Nεmέí moɓélé. » | Il dit : « Je vais vers l’arbre moɓélé. » |
173/ Báongea : « Ndéákɔ ndêké ? | Ils lui dirent alors : « Quelle est ton histoire ? |
174/ Ósongoɗea. » | Raconte-la nous. » |
175/ Aogea : « Eme ámbé, | Il dit : « Moi, que voici, |
176/ eme ámbé neokùsa ɓakpá ? | moi que voici, est-ce que je fais mourir les gens ? |
177/ Kéámɔ n’otáɔ. | Je ne fais l’objet d’aucun interdit. |
178/ Atâ míkí, | Que ce soit un enfant, |
179/ ángá kɔbε ákɔ âni, | qui que tu sois, |
180/ atá na múna sína, | ou de quelque façon que ce soit, |
181/ omolí tɔ. | mange-moi sans crainte. |
182/ Lakini nεɓɔkɔtǎnde ! » | Seulement, je vais mettre au monde ! » |
183/ Áɓaotáia ká moɓélé ndo, | Le voilà donc qui grimpe sur l’arbre moɓélé, |
184/ áɓaonɗúága mobélé ndo. | et qui se met à gratter l’arbre. |
185/ Mobélé ndo, magiss-l-âkέ, | De cet arbre, la sève, |
186/ magiá á mobélé ndo | la sève de cet arbre |
187/ áɓaodida ; | se met à couler vers le bas ; |
188/ áobika, áɔɓɔkɔta phέmbá. | elle descend et donne naissance au kaolin. |
189/ Báogea ; abá-phεmba y έ ámbé. | C’est pourquoi on dit que le père du kaolin, c’est lui. |
190/ Amá-phεmba yέ ámbé, | La mère du kaolin, c’est l’autre, |
191/ ayomba, y έ ámbé amɓɔkɔti ; | l’iguane, celui qui l’a enfanté, |
192/ abákέ ndé mobélé, | tandis que son père, c’est l’arbre mobélé, |
193/ ǎmbé amɓɔkɔtí mono phεmba, | celui qui a engendré le kaolin, |
194/ ndɔ aoɓá k’ésomba. | l’argile blanche qui intervient dans les rites initiatiques. |
195/ Amá-mosá-mosá | En tout premier lieu, en effet, |
196/ ɓáɓaosia phemba, | on vous y enduit de kaolin, |
197/ na ndé ayomba y é ámbé. | et cela, c’est précisément l’iguane. |
198/ Báongea : « Tshígá ndéákɔ wá. » | Ses compagnons de route lui dirent : « Bon, toi, reste ici. » |
199/ Báɓaotáia. | Puis ils se remirent à remonter le courant. |
200/ Ayé mono ká tali’âbɔ, | Or, tandis qu’ils remontaient ainsi le courant, |
201/ ɓî ɓátáí to wá, | durant leur remontée, |
202/ kaɓánga | le petit pangolin |
203/ áɓaogea : « Neotshíga ndéámɔ wá. » | dit : « Moi, je reste ici. » |
204/ Báongea : « Ndéàko ndêké ? | Les autres lui dirent : « Quelle est ton histoire ? |
205/ Osongodea ndéákɔ. » | Raconte-nous ton histoire. » |
206/ Áogea : « Eme ámbé neotúmá ndji ! | Il dit : « C’est bien moi qui fais du tort au village ! |
207/ Ḿkpá káɔmɔnyέn’ámɔ. | Personne ne passe à côté de moi (sans me ramasser). |
208/ Mkpà káomoɓáng’ámɔ. » | Personne ne me craint. » |
209/ Báongea : « Ɔmέí âni ? » | Ils lui disent alors : « Et chez qui te rends-tu ? » |
210/ Aogea : « Nεmέí mbédjé. » | Il leur dit : « Je vais à la termitière mbέdjέ. » |
211/ Abaoduia ká mbεdjε. | Et il sortit de l’eau pour aller à la termitière. |
212/ Báongea : « Thsígá ndéákɔ wá. » | Les autres lui dirent : « Bon, toi, reste là. » |
213/ Báɓaotáia. | Puis ils se remirent à remonter le courant. |
214/ Ay é kà tai’âɓɔ, | Or, tandis qu’ils remontaient ainsi le courant, |
215/ akpέɗu | le potamogale |
216/ aogea : « Neothsíga ká goa ú. » | dit : « Moi, je reste à cette cascade. » |
217/ Báongea : « Ndéákɔ ndêké ? » | Les autres lui dirent : « Quelle est ton histoire ? » |
218/ Agǐ : « Eme, | Il dit : « Moi, |
219/ nεmέí tɔ etái, | je me rends seulement vers ces rochers, |
220/ ngá ne ndé Keanga. | car je suis la fille Keanga. |
221/ Ο gákέ omokúsa, | Mais, si tu me tues, |
222/ na ne to osa-osa, | alors que je suis celui-qui-reste-surplace, |
223/ kéámɔ na nyɔngɔ, | pour moi, ça ne fait rien, |
224/ omolí to, | mange-moi seulement, |
225/ lakini ta á djɔ, | mais le cul du panier, |
226/ y έ ámbé ɓosákanaéka to na y έ ! » | c’est avec lui que vous aurez à vous pratiquer mutuellement des incisions ! » |
227/ Mbɔ áɓaotshíga ndéâkέ, | Il resta donc là, |
228/ ngá ǎmbɔ a ndé Keanga. | car c’est lui la fille Keanga. |
229/ Bá mɔnɔ otáia. | Les autres continuent à remonter le courant. |
230/ Nkέngέ | L’antilope nkέngέ |
231/ à mɔnɔ otáia. | continue, elle aussi, à remonter le courant. |
232/ Nkéngé áogea : « Neoduia wá. » | L’antilope dit alors : « Moi, je sors ici. » |
233/ Báongea : « Ɔmέí âni ? » | Les autres lui disent : « Chez qui te rends-tu ? » |
234/ Áogea : « Nεmέí otéphá, | Elle leur dit : « Je me rends chez l’arbre otéphá, |
235/ noko otéphá. | mon oncle otéphá. |
236/ Nέmɔɔnέ ká y ε wá. » | Il faut que je lui rende visite ici. » |
237/ Báongea : « Ndéákɔ ndêké ? » | Ils lui disent alors : « Quelle est ton histoire ? » |
238/ Áogea : « Eme wáni, | Elle dit : « Moi, que voici, |
239/ nεmέí to otéphá. | je me rends seulement chez l’otéphá, |
240/ Ḿkpá aomokúsa, | mais, l’homme qui me tue, |
241/ atá na ɓámɔgɔtí, | ou encore, quand on m’a dépecé, |
242/ n’oobika ɔmɔɗεtεa, | et que tu viens marcher sur moi, |
243/ ká bî bàmogoti mono, | ou là où on m’a dépecé, |
244/ kákέ na nyɔngɔ, | pour moi, ça ne fait rien, |
245/ nekodjiliânde mono, | je te laisserai retourner chez toi, |
246/ otánágǎnde ká nkeke ákɔ búbui ! » | mais toi tu deviendras rouge sur ta peau tout entière ! » |
247/ Báongea : « Tshígá ndéákɔ wá. » | Les autres lui dirent : « Bon, toi, reste ici. » |
248/ Báɓaotáia. | Puis ils se remirent à remonter le courant. |
249/ Ay é mono ká tali’âbɔ, | Or, tandis qu’ils remontaient ainsi le courant, |
250/ ɓáobika odjúa ká isεlε, | ils arrivent soudain à un endroit sablonneux, |
251/ ká nsεa. | à du sable. |
252/ Ngandó | Le crocodile |
253/ áɓaobanda. | s’installe, les pattes écartées, |
254/ Âogea : « Neotshíga ndéámɔ wá. » | et dit : « Moi, je reste ici. » |
255/ Ábaosáma, | Puis il ouvre toute large sa gueule, |
256/ ɓamá-kiphóphó-iphó | et les papillons |
257/ ɓáongíá k’áphέnɔkɔ. | lui entrent dans la gueule. |
258/ Áɓaoge’âɓɔ : gbô, | Il les attrape alors en faisant : gɓó |
259/ gɓó, gɓó, gɓó. | (le bruit de refermer la gueule) gɓó, gɓó, gɓó. |
260/ Baongea : « Ndéákɔ ndêké ? » | Les autres lui disent : « Quelle est ton histoire ? » |
261/ Áogea : « Nεmέí to wáni, | Il dit : « Je me rends seulement ici, |
262/ tá á djɔ | au fond du panier ; |
263/ tá á dp ú ; | et le fond du panier, c’est ici ; |
264/ nεmέí to ta á dp. | je me rends seulement au fond du panier. |
265/ Ɔmɔɔn’ámɔ, | Moi, que tu vois, |
266/ bákáɔmɔgɔt’ámɔ bá-á-t’endju, | on ne me dépèce pas derrière la case, |
267/ ɓá to ɔmɔgɔta kà ntangá. | on me dépèce uniquement sur la place publique. |
268/ Lakini, | Mais, |
269/ aoɓá n’omokúsí, | si tu me tues, |
270/ kángá ogǐ bo, | sans faire ainsi, |
271/ kákέ na nyongo, | pour moi, ça ne fait rien, |
272/ ɓukɔkɔ áɓaokotoaéká ká ngɔngo ! » | seulement les champignons ɓukɔkɔ te transperceront le dos de toutes parts ! » |
273/ Báɓaonɗeketa ngandó, | Ils abandonnent alors le crocodile, |
274/ ɓáɓaotáia. | et se remettent à remonter le courant. |
275/ Ay é mɔnɔ kà tali’âbɔ, | Or, tandis qu’ils remontent ainsi le courant, |
276/ nsïbi | la loutre |
277/ aogea : « Badáni, | dit : « Mes amis, |
278/ neotshíga ndéámɔ wá, | moi, je reste ici, |
279/ ká kiba ndê. | dans cette eau profonde. |
280/ Ne phi ongílága k’áni wá. » | Il faut que je pêche un peu pour moi-même en cet endroit. » |
281/ Âogea : « Neongílága wá. » | Elle dit « Je reste pêcher ici. » |
282/ Báongea : « Nsïbi, ndéákɔ a bo ? | Les autres lui disent : « Loutre, et ton histoire, c’est comment ? |
283/ Ndéàko ndêké ? » | Quelle est ton histoire ? » |
284/ Âogea : « Eme, | Elle dit : « Moi, |
285/ ḿkpá aomokúsa, | si quelqu’un me tue, |
286/ no kómopudisi | et que tu ne me fais pas paraître |
287/ ká tshin’ésaká, | au pied du poteau central de la case rituelle, |
288/ kákέ na nyongo, | pour moi, ça ne fait rien, |
289/ atá n’omolí, | même si tu me manges, |
290/ kéámɔ na nyongo, | moi, ça ne me fait rien, |
291/ bondima | mais la grossesse |
292/ akɔbέɗǎnde ; | va s’emparer de toi ; |
293/ óɓaokúmba léme, | tu seras enceint, |
294/ no ko ákɔ na léme, | alors que tu n’es pas enceint, |
295/ atá n’o ndé moko. » | même si tu es un homme. » |
296/ Báongea : Tshígá ndéákɔ wà. » | Ils lui disent alors : « Bon, toi, reste ici. » |
297/ Mókó ndɔ, | Notre homme alors, |
298/ yέ, mókó ndɔ, | lui, notre homme, |
299/ kà mɔ otáia ? | ne continue-t-il pas à remonter le courant ? |
300/ Alíbɔndjá ábaotáia. | Oui, alíbɔndjá, le petit crocodile, continue à remonter le courant. |
301/ Áobíka mɔnɔ to okúa. | Seulement, il est arrivé dans une situation désastreuse. |
302/ Âogea : « Âi, ɓadáni ɓátshígímá to ɓɔbú ! » | Il se dit : « Hélas, mes compagnons sont tous restés ! » |
303/ Áɓaɔɓɔεa kókó, | et il se mit à lier ensemble un radeau, |
304/ áogea ssmakéέ masámba. | pour aller conférer le collier de mέná-gandjá à quelqu’un. |
305/ Áɓaotáia. | Puis il continue à remonter le courant. |
306/ Bî aɓɔí kókó, | Après qu’il eut lié ensemble son radeau, |
307/ áɔmɔɔna | il vit |
308/ k’ámâkέ. | sa mère. |
309/ Âogea : « Ay í âmbé a mɔnɔ wáni, | Il se disait, en effet : « Ma mère doit être ici, |
310/ ká itεmbε-itεmbε wá. » | ici, au pays des sources. » |
311/ Ay é mɔnɔ ká tali’âkέ, | Or, voici que, pendant qu’il est en train de remonter le courant, |
312/ atái mɔ to wá, | tandis qu’il remonte ainsi le courant, |
313/ ákoɗá | l’écureuil ákoɗá |
314/ áɓaoɓeka : | vient lui faire un signe d’acquiescement : |
315/ nkέ-kέ-kέ-kέ-kέ. | nkέ-kέ-kέ-kέ-kέ. |
316/ Aogea : « Ai, moto, | Il lui dit : « Hélas, mon petit frère, |
317/ komoɓékéέ mono ; | n’acquiesce pas ainsi ; |
318/ negë ɔmɔɔna k’ây í. » | je vais voir ma mère. » |
319/ Amàké ndé âni ? | Alors, sa mère, c’est qui ça ? |
320/ Amàké ndé nkanyankɔε. | Sa mère, c’est le crustacé nkanyankɔε. |
321/ Ayé mɔ to ɓî agě wá, | Puis, tout en continuant sa route, |
322/ áontakana tôtô | il rencontre l’oiseau tótó |
323/ ká sese à mík’íɓο : | à la source d’un petit ruisseau : |
324/ tó-tó-tó-tó-tó. | tó-tó-tó-tó-tó. |
325/ Áongea : « Tótó eké pha má ? | Il lui dit : « Alors, tôtô, qu’y a-t-il ? |
326/ Ndɔ ο má ká u amá-ɓo ? » | Ce que tu es en train de faire, c’est quoi ? » |
327/ Aogea : « Neomphópha ḿkpá ndéámɔ. » | Celui-ci répond : « Je cherche mon homme. » |
328/ Ńá ḿkpá ndɔ aonkáɓa ndo, | Et le petit bout d’homme qu’il cherchait, |
329/ a y ámbé, | c’est elle, |
330/ mokútu. | la conque. |
331/ Mokiitu y έ. | La conque la voici. |
332/ A y’ámbɔ. | C’est elle. |
333/ Ndɔsí bemôogea | Ce que nous appelons |
334/ gandjá, | le gandjá, |
335/ a ndé mokiitu. | c’est la conque. (Il s’adresse à la conque qu’il a prise en main.) |
336/ Baké ɓakɔɔní mono | Ce sont les femmes qui t’ont trouvée |
337/ kà ngia, | à la pêche, |
338/ k ‘áphé á ngia ; | en allant à la pêche ; |
339/ a y έ, | c’est elle, |
340/ a y'ámbɔ. | la voici. |
341/ Tótó, | L’oiseau tótó, |
342/ mɔgεí, | aux plumes décorées, |
343/ y’ámbé aɓɔngísí mono ndê, | c’est lui qui est venu arranger cela, |
344/ mokiitu ndê ; | cette conque ; |
345/ tótó y’ámbɔ, | c’est l’oiseau tótó, |
346/ έsɔmεání wáni, | qui est venu la cacher ici, |
347/ ká kas’andjε-kas’andjε, | parmi ces feuilles rouges de kás’ándjε, |
348/ ká tshinéi, | à leurs pieds, |
349/ kà tshin’á phôphô ndê, | aux pieds de ces feuilles de phôphô, |
350/ ká bot’á mέná-gandjá, | sur la tombe du mέná-gandjá, |
351/ kà kas’ándjε. | parmi les feuilles rouges de kàs’ándjε. |
352/ Óotamba k’ísimɔ, | Si tu te promènes sur les lieux d’un village abandonné, |
353/ n ɔɔní kás’á phôphô, | et que tu vois des feuilles de phôphô, |
354/ na ɓáɓíngígí, | que l’on a liées ensemble, |
355/ bót’á mέná-gandjá ú. | c’est qu’il y a là la tombe d’un mέná-gandjá. |
356/ N’a ndé bot’à mέná-gandjá ? | Et est-ce bien la tombe d’un mέná-gandjá ? |
357/ N’amânde ndɔ ɓáte ? | Serait-ce bien cela, croyez-vous |
358/ Eké pha má ndɔ ? | Que serait-ce alors ? |
359/ Ká phá m’ákέ mbέá-mbέá má undo ? | Ne sont-ce pas là les fruits mbέá-mbέá ? |
360/ N’amânde mbéà-mbéà ? | Et seraient-ce bien des fruits mbέá-mbέá ? |
361/ Eké pha mà ndê ? | Qu’est-ce alors ? |
362/ Ekénde ? | Oui, qu’est-ce ? |
363/ Ndé ɓemáotangaga. | C’est cela qui nous intrigue. |
364/ Ndé be mà ká u. | C’est cela qui nous préoccupe. |
365/ Akémá ámbé aonóa. | Ce doit être un arc-en-ciel qui boit. |
366/ A mà undo. | Oui, c’est cela. |
367/ N’amânde akémá ? | Et, serait-ce un arc-en-ciel ? |
368/ Eké pha má ndê ? | Qu’est-ce donc bien ? |
369/ Ekénde ? | Oui, qu’est-ce ? |
370/ Ndé bemàotangaga. | C’est cela qui nous intrigue. |
371/ Ái ! | Ho ! |
372/ Ai, ɓáyá, | Ho, mes frères, |
373/ mbúá aúndé atóɓókí ; | voilà l’orage qui éclate ; |
374/ matánda aúndê ; | et voici les grêlons ; |
375/ matánda aúndé aogua. | voici les grêlons qui sont tombés. |
376/ Ν’amǎnde matánda ? | Et seraient-ce des grêlons ? |
377/ Eké pha ma ndê ? | Qu’est-ce alors ? |
378/ Ká m’àké mpáɗá má úndé ? | Ne sont-ce pas ces bulles, |
379/ Ndɔ ɓî mbúá aɔɔka ndà, | qui, lorsque la pluie se met à tomber, |
380/ áɓaopúdua, | font leur apparition, |
381/ áɓaotóphoa ; | gonflent et éclatent, |
382/ ɓaníkí ɓákáɓέ ndéáɓɔ ká u ? | tandis que les enfants cherchent à les saisir ? |
383/ Ν’amǎnde ndà ɓáte ? | Et serait-ce bien cela, pensez-vous ? |
384/ Ká m’ákέ mpáɗá, | Non, ce ne sont pas des bulles, |
385/ Ndé ɓemáotangaga. | ces choses qui nous intriguent ici. |
386/ Eké pha mà ndê ? | Qu’est-ce donc bien ? |
387/ Ekénde ? | Oui, qu’est-ce ? |
388/ Ká m’àké ngó úndé ɓáɗukímá ndé ? | N’est-ce pas le poison ngó que l’on a déversé dans l’eau ? |
389/ Kà m’àké ngà úndé ɓáɓindí ndé ? | N’est-ce pas le poison ngó que l’on a battu pour l’extraire ? |
390/ Fúlu à ngà adúma wá. | C’est l’écume du ngó qui apparaît ici. |
391/ Fúlu à ngà ú, | Oui, c’est l’écume du ngó, |
392/ à mbi ndɔ. | provenant du fruit mbi. |
393/ Aúndê, | C’est elle, |
394/ aúndɔ aoy oka. | qu’on voit là, emportée par le courant. |
395/ Ν’amânde ndɔ ɓáte ? | Et serait-ce bien cela, croyez-vous ? |
396/ Alíphóngá mà u, | Non, c’est le petit tuyau en terre, |
397/ ndɔ à ɓadjule ; | celui des incirconcis ; |
398/ ndɔ ɓá mô oɓúna, | celui qu’ils brisent, |
399/ ndô ɓá mô osúa, | et dans lequel ils sifflent, |
400/ ɓáolophia : pho-pho-pho, | en soufflant : pho-pho-pho, |
401/ ɓɔtɔmbá. | le tuyau en terre ɓɔtɔmbá. |
402/ Yéyáni phɔ gandjá ! | Acclamez un peu le gandjà\ |
403/ Tous : Íê... ! | Tous : Íê... ! |
9/ L’origine mythique de la circoncision est située au pays des sources en Orient. Celui-ci est désigné de plusieurs manières (4.3.1.b, 67/-79/).
12/-13/ Cf. §h, 23/-26/
14/-24/ Moisɔ énumère ici plusieurs espèces de champignons évoquées par la forme des yendji (cf. §a, §h, 58/-65/).
29/-31/ Le monticule, appelé crâne, dans lequel sont plantés les yendji, peut aussi faire penser à une tombe. Il sera donc régulièrement désigné comme la tombe des yendji. Parfois on verra en lui, surtout lors des rites de résignation à la fin du cycle, le tombeau du mέná-gandjá sortant (355/-356/). Nous avons signalé déjà que, considérés comme venant du ciel, les yendji évoquent des phénomènes célestes (§h, 9/) aussi insolites qu’eux. C’est ainsi que, plantés dans un cercle autour du poteau central, il font songer à la couronne solaire dans laquelle les gens voient un arc-en-ciel qui s’est enroulé autour du soleil.
32/-34/ Nous croyons que, cherchant à expliquer un phénomène insolite par un autre, celui qui fait la révélation a interverti ici le cours normal des deux astres puisque la nouvelle lune apparaît le soir à l’occident. Toutefois, le verbe tóká, sortir, appliqué au soleil, est ambigu, et il n’a pas été possible d’élucider ce point.
39/-41/ Cf. §h, 42/-48/.
42/-46/ Le monticule est comparé ici à une termitière. L’ephálí est un amas de terre plus petit que la termitière, « le cadet » de celle-ci. C’est là que se cache, dit-on, le lézard amá-kitondo et que la tortue pond ses oeufs. Toutes ces données, il est vrai, n’interviennent pas directement dans la signification du texte. Ce qui joue, c’est d’abord que les termitières constituent la principale représentation des défunts en forêt et sont employées comme telles lors des commémorations funéraires. Une termitière que l’on voit soudainement s’ériger comporte donc l’annonce d’un décès, même si elle est due à ce que tout à coup, « sans avertir » (44/), les termites se sont déplacés et se sont mis à la construire. Comparé à une termitière, le monticule des yendji peut donc, par son aménagement soudain, faire songer à un décès. Tout ceci évoque le décès inopiné de Lingambε. Il mourut « sans avertir » Olumbɔ, son cadet, qui dut reprendre sa fonction comme mέná-gandjá sans y être trop bien préparé. La présente révélation, en effet, fut faite, comme celle concernant la viande du makpatíma (4.3.1), lors de la résignation de sa charge par ce dernier.
56/-72/ Voir §b.
60/ Mɔsɔmbí est le nom dont se désigne l’unique yendji que conservent les mέná-gandjá qui ont achevé leur cycle (§a).
76/ À partir d’ici, la révélation se poursuit par un conte. Voulant organiser, lui aussi, son cycle de la circoncision, le crustacé ándjɔndjɔ, une espèce de crevette qui vit surtout dans les marais et les petits cours d’eau, et renvoie ainsi au « pays des sources », invite les autres animaux ayant une signification particulière dans le gandjà, ou dans l’umbá (§h, 79/-82/) à venir lui conférer l’investiture en lui remettant le collier de mέná-gandjá (304/). Ces animaux représentent l’ensemble des maîtres de la circoncision et sont désignés dans le conte comme basày ó, les gens d’osáyó, qui sont, on le sait, les détenteurs originels de la tradition du kentende. Seulement, de tous les animaux qui se mettent en route pour aller conférer, au pays des sources, l’investiture à l’àndjjndjɔ, seul l’alíɓɔndjá parviendra au but. C’est là un des nombreux noms dont se désigne le petit crocodile amá-kεkεa, symbole par excellence du mέná-gandjá accompli, qui seul peut investir un nouveau confrère (5.5.4.d, e). Les autres animaux s’arrêteront l’un après l’autre au cours de cette remontée aux sources, chacun pour des raisons en rapport avec certains interdits le concernant. Comme on le verra, le conte n’est pas toujours parfaitement clair, ni dans son déroulement, ni dans son dénouement. Il nous a d’ailleurs fallu entendre d’autres versions pour en reconstituer la trame.
82/ Ngbaula désigne quelqu’un qui prend des libertés dans le domaine rituel, qui n’attend pas d’avoir rempli les conditions requises pour accomplir certains actes (4.1.2.c). La liberté prise ici par l’ándjɔndjɔ consiste à organiser son propre cycle de la circoncision avant d’avoir reçu l’investiture. C’est afin de se mettre en règle qu’il enverra par la suite la loutre chercher les gens d’osáyó.
84/ Aɔángá est un nom que l’on donne souvent à la loutre (nsǐɓi) dans les rites. Celle-ci a sa place dans le rituel de la circoncision apparemment pour les mêmes raisons que le crocodile (§ h, 79/-86/).
86/ Basáyó, les gens d’osáyó, désigne les mέná-gandjá.
90/-103/ Le python peut être chassé et mangé. Il fait cependant l’objet de plusieurs interdits, et cela en raison, d’abord, de représentations qui le rattachent simultanément à l’eau et à la terre et en font ainsi un symbole de transition, comme les autres animaux amphibies. Il vit, en effet, toujours auprès d’un point d’eau. De plus, restant fixé au même endroit, il concrétise la signification même de l’institution rituelle úmbá, dont le nom veut dire « rester sur place ». Comme il fait partie des animaux rituels (nyama ésomba) réputés dangereux et qu’il « reste sur place », son ventre — c’est-à-dire ce avec quoi il reste sur place — ne peut être mangé que par les hommes qui ont passé l’épreuve du manguluɓata (5.4.3) ; de même, il est fort dangereux de marcher là où il se tient d’habitude ou là où il a caché ses oeufs, si l’on n’est pas passé par le même rite. Quelqu’un qui le ferait, fût-ce par inadvertance, aura le corps tout couvert de boursouflures. Ce mal est vraisemblablement suggéré par le gonflement très marqué du corps du python lorsqu’il a englouti une proie. Comme ces interdits ne valent pas pour d’autres reptiles, ils ne nous semblent pas devoir être mis sur le compte de quelque incompatibilité entre marcher et ramper.
98/ L’expression est euphémique. C’est le contraire qui est vrai.
104/-164/ Avec ses écailles, le grand pangolin εgεmbέ (199/-212/), qui est un mammifère, se situe, lui aussi, de façon ambiguë entre la classe des poissons (ɓasú) et celle des quadrupèdes (ɓanyama) et constitue, de ce fait, un symbole de choix pour les rites assurant la transition entre deux classes d’âge. Les interdits qui le concernent portent d’ailleurs d’une part sur ses pattes et la partie de son corps qui fait transition avec la queue, un ensemble, nommé ɓokútu, qu’il a de trop pour être un véritable poisson, et d’autre part sur ses écailles, qu’il a de trop pour être un vrai mammifère. (Pour les crocodiles, qui n’ont pas d’écailles, les interdits alimentaires portent sur le seul ɓokútu.) Il est vrai que l’exégèse ne fournit jamais de justifications de ce genre, basées sur la dimension métaphorique des symboles. Celles qu’elle donne pour rendre compte de la présence d’un animal dans un rituel sont elles-mêmes symboliques ou mythiques, c’est-à-dire que l’exégèse procède soit par l’accumulation de symboles, soit par des références de type métonymique. Elle insistera, par exemple, sur le danger que comporte toute forme de contact avec l’animal, comme on l’a vu pour le python. Pour le pangolin, on fera généralement valoir que ses écailles dentées servent aux mέná-gandjá pour disposer en lignes parallèles le kaolin dont ils s’enduisent les bras et les jambes, ou que les écailles qui recouvrent aussi les grosses pattes de l’animal ressemblent aux chevilles des mέná-gandjá lorsque ceux-ci ont revêtu leurs guêtres de danse munies de graines sábè ; ou encore que le chapeau des mέná-gandjá qui ont achevé leur premier cycle, bien que confectionné avec la peau du petit crocodile amá-kεkεa, a la forme du museau du pangolin, ce qui donnera lieu à la séquence rituelle qui porte le nom de celui-ci (5.3.2.b), et que le chasse-mouches fait d’un faisceau de brindilles, qui est un des principaux attributs des maîtres des rites, reproduit les longues griffes de l’animal. Dans la révélation elle-même, l’importance du pangolin est mise en lumière d’abord par une narration du genre étiologique qui encadre tout ce qui sera dit à son sujet, et qui s’achève sur la mention de quelques détails assez secondaires dans la symbolisation de l’animal. Ce sont le fait qu’il se promène en fouillant le sol, à la recherche de charmes qu’il aurait placés lui-même en tant que sorcier (161/-164/), et sa mise en rapport avec l’oryctérope, présenté comme son oncle, du fait que tous deux se nourrissent de termites et de fourmis. Ce dernier animal n’occupe cependant, dans le symbolisme rituel komo, qu’une place fort accessoire.
Mais le mέná-gandjá qui fait la révélation met également sa narration à profit pour évoquer deux pratiques rituelles qui concernent le pangolin d’une façon plus particulière. Il faut savoir que la capture de certains animaux, plus lourds de sens, peut donner lieu à des pratiques spécifiques, et que les institutions rituelles les plus en vue, telles le gandjà ou l’úmbá, cherchent alors à intégrer chacune ces pratiques, ou à leur donner forme dans leurs propres célébrations. Il s’ensuit inévitablement une certaine incohérence ou une prolifération de ces pratiques rituelles, comme en témoignent les deux exigences auxquelles la révélation fait allusion ici. Lorsque sont capturés un aigle, un python ou un pangolin, ils doivent être dressés entre deux piquets sur la place publique (120/-125/). À leurs pieds, les hommes qui ont engendré et qui sont passés par l’úmbá — personne d’autre n’est autorisé à assister au rite — sont soumis à une série d’épreuves par lesquelles ils se rachètent des interdits portant sur la chair de ces animaux. Une des épreuves consiste à se laisser gratter le corps jusqu’au sang avec de grandes épines qu’on dit être les longues griffes du pangolin. Désignée comme mangulubata, cette épreuve a donné son nom à l’ensemble de la pratique. Celle-ci est également appelée saga, « laisser », du fait que les hommes se rachètent, en outre, de tous les autres interdits en choisissant, chacun pour soi, une viande à laquelle ils ne toucheront plus désormais. Comme les gens n’ont pas toujours la patience d’attendre la capture d’un de ces animaux, ou ne trouvent pas la possibilité d’être sur les lieux à ce moment pour être libérés des interdits qui leur sont imposés, la séquence du mangulubata, dont l’organisateur principal est le maître de l’úmbá, a été introduite aussi dans le rituel de la circoncision, où elle se fait au pied du mbáú, l’arbre érigé lors des rites de sortie, avec quelque substitut de ces animaux. Nous y reviendrons donc plus loin (5.4.3.).
D’autre part, l’importance qu’il a pour le gandjá fait du pangolin un nyama ésomba, un « animal rituel » ou un nyama ǎkpέ, un « animal dangereux », au même titre que le petit crocodile amá-kεkεa (cf. 1980, pp. 38-41 et 52 où il fut montré que tous les animaux symbolisés, pour des raisons d’ordre structural ou classificatoire, font partie de cette catégorie). C’est pourquoi toute personne qui a tué un pangolin ou un petit crocodile doit l’apporter, en entier, au mέná-gandjá de l’endroit. Celui-ci placera l’animal au pied du poteau central de sa case (126/-131/). Dans un rite purificatoire nommé úlíá, il l’enfumera là, au moyen de feuilles prises en forêt (4.2.3.a), en même temps que celui qui l’a attrapé et les gens de sa maisonnée.
168/-198/ Une nouvelle séquence narrative nous révèle ensuite l’origine du kaolin dont on enduit les gens pour marquer leur entrée dans l’esomba. Le produit est associé à la sève blanche de l’arbre mobélé ou agímá (Alstonia apocynaceae) dont on se sert, entre autres, pour stimuler la lactation chez les femmes. Comme l’iguane se tient volontiers sur cet arbre, c’est à lui qu’on attribue l’origine du kaolin. Il n’est pourtant pas tout à fait exact de dire que l’iguane ne fait l’objet d’aucun interdit, comme l’affirme Moisɔ, dans le but vraisemblablement de souligner un certain illogisme. La viande de cet animal fait normalement partie de celles réservées aux vieux (cf. 1980, p. 45).
199/-212/ Pour des raisons que nous nous expliquons difficilement, le petit pangolin kaɓánga (Manis tricuspis et Manis longhicaudata) n’est revêtu d’aucune signification symbolique particulière et ne fait l’objet d’aucun interdit (207/-208/). On vient de voir qu’il en est tout autrement du grand pangolin l’εgεmbé (Manis gigantea). Pourtant, selon l’usage qui consiste à qualifier d’aîné et de puîné des animaux ou même des objets (42/-46/) d’espèce semblable, mais de grandeur différente, il est désigné comme le cadet de l’autre et devrait bénéficier de prérogatives similaires. Ce n’est pas le cas et, comme le montre la révélation, cette anomalie étonne tout autant les porteurs mêmes de la culture. La même distinction se retrouve d’ailleurs chez les Lega (Biebuyck 1953, pp. 908-909 ; 1973, p. 28, nn. 4, 6). Relevant ce nouveau manque de logique, Moisɔ présente le petit pangolin comme se vengeant de ce manque d’égards. En fait, c’est peut-être bien lui qui cause du tort aux gens alors que ceux-ci ne s’en doutent pas et attribuent leurs maux à d’autres transgressions (206/).
214/-228/ Mammifère aquatique, le potamogale, ou fausse loutre, se prête, tout comme le pangolin et d’autres, à figurer comme symbole des rites de transition, et cela d’autant mieux que sa forme particulière a fait naître, chez les Komo, la conviction qu’il est en fait un silure se métamorphosant en mammifère. Comme il se fixe toujours auprès d’une cascade, et que celles-ci sont l’endroit sous lequel vivent les ancêtres impersonnels, le potamogale a été rattaché à l’institution rituelle úmbá dont le nom, on le sait, tout comme le verbe osa, dont est dérivé osa-osa (222/), signifie « rester sur place ». Tout détenteur de l’úmbá porte toujours une série de peaux de potamogale à sa ceinture, lorsqu’il exerce ses fonctions rituelles. Autrement, il garde ces peaux « tout au fond de son panier » (225/). De fait, les maîtres de l’úmbá se distinguent encore par le port d’un petit panier djɔ, alors qu’en principe le panier est réservé aux femmes. Aussi les appelle-t-on indistinctement abá- ou amá-ka-umba, père ou mère de l’úmbá. Nous croyons qu’il faut voir là une application du même principe structural dégagé plus haut. Tout comme les animaux qui ont la signification la plus importante dans les rites sont ceux qui échappent aux classifications, ou comme les objets ésotériques qui se situent au coeur du rituel et en incarnent la puissance, les « lances », transcendent l’opposition entre les couleurs blanche et rouge (4.3.3.a), ainsi les détenteurs des rites doivent-ils transcender l’opposition des sexes. De façon analogue et inverse, on voit d’ailleurs les principales dignitaires du kɔmpɔmbɔ, une institution rituelle féminine, porter une besace ɓǔku, attribut typiquement masculin. D’ailleurs elles sont appelées amá-bǔku, « mère de la besace masculine », alors que, à côté des deux noms mentionnés ci-devant, le maître de l’úmbá est aussi souvent appelé abá-djɔ, « père du panier féminin » (de Heusch 1971, pp. 174-175 ; Devisch 1978 ; pp. 181-182).
Cette ambiguïté concernant les sexes se prolonge dans l’úmbá par une autre pratique : on enferme avec les hommes qu’on traite, quelques filles impubères, appelées Keanga, qui doivent leur rendre les menus services qu’ils demanderaient normalement à leur femme (4.2.4.b). Le nom comme la fonction de ces filles sont expliqués par les spécialistes à partir du mythe d’origine de l’institution. Selon celui-ci, Keanga fut la femme qui révéla à son mari, de la part des ancêtres situés sous l’eau des cascades, les principes initiatiques et thérapeutiques (226/) de l’úmbá. On comprend pourquoi le potamogale, qui réside près des cascades, s’identifie à Keanga (220/-228/) et pourquoi ces filles impubères portent, comme les maîtres du rituel, une peau de potamogale et un petit panier à la ceinture.
Malgré son importance en tant que symbole de l’úmbá, le potamogale ne fait l’objet d’aucun interdit, sauf qu’il relève, comme l’iguane, de la catégorie des viandes réservées aux vieux. Comme celui-ci aussi, il se sent frustré de ce manque de considération (224/) et en appelle au « fond du panier » pour sauver son honneur. C’est là, en effet, que se trouvent les médecines avec lesquelles un homme qui veut épouser une fille qui servit de Keanga doit se faire traiter en même temps que celle-ci, s’il veut ne pas être frappé dangereusement par l’esomba (225/-226/). 223/-224/ sont pur euphémisme.
230/-247/ L’antilope nkέngέ (Boocercus euricerus) se caractérise par son pelage roux traversé de larges raies blanches. Elle allie donc, elle aussi, les deux couleurs antithétiques et occupe, de ce fait, une place importante dans l’úmbá. Sa capture est suivie de la séquence rituelle yáɓá (5.3.6.c), dans laquelle la santé, symbolisée par le rouge, est rendue à des personnes affligées, au corps peint en blanc, au moyen d’un dépassement rituel de l’opposition des couleurs. Puisque c’est son pelage qui en fait un « animal dangereux » (nyama ǎkpέ), on interdit à toute personne qui n’a pas passé par l’úmbá de toucher à celui-ci, et, comme dans le cas du python, même ceux qui marcheraient là où cette antilope a été couchée pour être dépecée (l’animal lui-même meurt toujours debout, dit-on ; cf. 1980, p. 39) seront « frappés » par elle et auront la peau toute rouge (246/). Ces endroits portent le nom de kebúndjá-búndjá. Ce même animal est friand, dit-on, des feuilles de l’arbre otéphà (Trema guineensis). Il semble que d’autres raisons jouent dans ce rapprochement. Cet arbre a une sève d’un rouge vif comme celui du pelage de l’antilope. C’est pourquoi, dans la révélation, celle-ci le désigne comme son oncle (235/). De plus, les jeunes pousses de cet arbre sont employées, à cause de leur forme particulière et de la sève rouge qui en découle, comme lances symboliques pour préfigurer rituellement le dépeçage du keɓéndé (3.3.1.b) et de l’antilope nkéngé elle-même.
249/-274/ On a rencontré plus haut (§ h, 79/-86/) le mythe des deux crocodiles, dont on retrouve ici un fragment (250/-259/), et nous connaissons aussi les raisons qui ont présidé à leur symbolisation à l’intérieur des deux institutions rituelles dans lesquelles ils interviennent. Ici c’est du grand crocodile, rattaché à l’úmbá, qu’il s’agit. C’est pourquoi il est fait allusion, comme dans le cas du potamogale, au « fond du panier » du maître de cette institution ou abá-djɔ, « le père du panier », comme on le nomme souvent. C’est là, en effet, que celui-ci garde, s’il ne les porte pas autour du cou, quelques dents du saurien, symbolisant la force de frappe de son esomba. Cette force se déchaînera, selon des modalités analysées ailleurs (5.3.2.a), contre tous ceux qui refusent ou négligent de se soumettre aux prescriptions de l’institution, en particulier à celles qui concernent l’animal lui-même. La révélation relève, comme pour l’antilope nkέngέ, la prescription relative au dépeçage du crocodile en présence des seuls hommes qui ont engendré.
Une analogie présumée entre la cause et l’effet fait dire aussi que ceux qui ont été frappés par les dents de l’animal auront la peau toute percée. Cependant, avoir des fistules sur tout le corps peut aussi être considéré comme un effet des aspérités de la crapace du saurien. Or, on l’a vu, celles-ci sont comparées aux yendji (§h, 79/-86/) et ces derniers le sont à diverses espèces de champignons (14/-24/).
275/-296/ La loutre en tant qu’amphibie constitue en quelque sorte le pendant, au sein du rituel de la circoncision, du potamogale dans l’úmbá. À l’opposé du potamogale, qui vit toujours au même endroit, la loutre se déplace. Or cette distinction démarque nettement, au niveau des représentations, les maîtres de l’úmbá — terme qui, on s’en souvient, signifie rester sur place — de ceux du gandjá. Et ces qualités distinguent davantage encore ceux qui se font traiter dans chacune de ces institutions que les maîtres de celles-ci (cf. 1980, p. 90).
Par ailleurs la loutre, se secoue vivement en sortant de l’eau et évoque par là les danses trémoussantes du makpatíma, exécutées par les mέná-gandjá. C’est parce qu’elle est leur « compagnon danseur », comme le disent ceux-ci, que toute loutre attrapée doit être déposée au pied du poteau central de la case rituelle, autour duquel se danse le makpatima. Elle n’y sera pas soumise avec celui qui l’a prise au rite de purification úlíá, comme c’est le cas pour le grand pangolin, mais avant qu’on puisse la dépecer, les mέná-gandjá devront danser durant toute une nuit le makpatima autour d’elle. Celui qui n’aurait pas apporté sa prise à la case rituelle, ou toute personne qui mangerait d’une loutre n’ayant pas été honorée de la sorte, contractera un ventre ballonnant comme le sien. On notera que, comme le potamogale, la loutre fait partie de la catégorie des viandes réservées aux vieux.
Sur le plan de la narration, la loutre, envoyée par le crustacé ándjɔndjɔ pour chercher les mέná-gandjá qui devront lui conférer l’investiture, est la dernière à abandonner l’alíɓɔndjí, le petit crocodile, le principal parmi ceux-ci.
297/-305/ Le petit crocodile poursuit donc seul la remontée vers le pays des sources. La narration se poursuit de manière plus embrouillée.
306/-310/ La mère du petit crocodile n’est pas l’écureuil ákoɗá, comme on pourrait d’abord le croire (313/), mais le crustacé nkanyankɔε dont il est question plus loin (319/-320/). Il y a, en effet, certains petits crustacés de l’ordre des décapodes, comme l’ándjɔndjɔ (77/), le nkanyankɔε et le nkóngonokó que l’on voit déambuler sur le sable dans le lit de petits ruisseaux et dont la démarche lente et raide intrigue les Komo. Ceux-ci voient un rapport entre ces animaux et le petit crocodile qui se promène également au fond des petits cours d’eau. Seulement, puisque ces crustacés se rencontrent plus près des sources, on voit en eux comme une forme plus originelle du saurien et du gandjá qu’il incarne.
313/-317/ L’écureuil ákoɗá appelé couramment abéngà, joue au gandjá, un rôle assez important pour justifier sa présence ici. On sait qu’il a une place toute particulière dans l’épreuve du djaɓá (3.5.3.c) et qu’il intervient souvent aussi comme symbole sexuel féminin (3.4.2.d). Pourtant il n’y a pas ici d’allusion à ces traits, mais plutôt à une autre caractéristique attribuée à l’animal, qui préviendrait par son cri les gens en forêt de la présence d’un serpent ou de quelque autre danger. S’il est vraisemblable que cet écureuil crie lorsqu’il voit quelqu’un, il nous semble que le rapport entre son cri et le serpent s’inscrit plutôt dans le symbolisme sexuel dont relèvent les deux animaux, le serpent mâle et l’écureuil femelle.
316/ Mɔtɔ désigne un cadet de même sexe que Ego. Comme nous le verrons plus loin, le petit crocodile a des connotations féminines évidentes, tout comme l’écureuil aɓéngá. Toutefois, celles-ci ne suffisent pas pour justifier une traduction en termes de « petite sœur ». Ce serait là, croyons-nous, forcer le système symbolique.
321/-351/ L’oiseau tótó que le petit crocodile rencontre ensuite doit son nom à son cri, comme l’atteste 324/. Il vit effectivement au bord de l’eau, et on dit de lui qu’il y accompagne le mokumɔ, le cormoran, dont le nom désigne aussi l’instrument ésotérique du gandjá fait d’une conque d’escargot. C’est pour cette raison qu’il est présenté dans la révélation comme celui qui est venu cacher la conque parmi les yendji. La révélation fait cependant aussi allusion au fragment mythique qui attribue aux femmes la découverte du mokumɔ (336/-338/) et qui est ainsi à l’origine du maningé (3.2.3.d).
Le tótó se caractérise par son plumage noir orné d’ocelles blanches. Il constitue de ce fait le modèle de la pratique du tɔndá, qui consiste à orner de façon similaire des personnes ou des objets introduits dans une activité rituelle. Or, le fait que l’on dit souvent que les taches blanches ornant des personnes ou des choses sont de la fiente du mokumɔ constitue une raison de plus pour faire aller de pair les deux oiseaux. Notons encore que tout mέná-gandjá qui a achevé un premier cycle fixe un plumet fait de plumes de tótó au chapeau en cuir de petit crocodile qu’il reçoit à ce moment ; il ajoutera un tel plumet à chaque nouveau cycle qu’il mène à terme. Bien que nous n’ayons jamais noté leur présence parmi les yendji, les feuilles de kás’ándjε et de phɔphɔ interviennent fréquemment dans le rituel du gandjá. Les deux plantes relèvent de la même espèce (Ataenidia conferta), mais la première se caractérise par le rouge violacé du dessous de ses feuilles, et sert, de ce fait, à signifier le sang qui coule au gandjá. On se souvient que c’est par le dépôt d’un tas de ces feuilles sur le seuil de sa case que l’aɓóí est avertie de la désignation de son mari comme mέná-gandjá (4.1.2.e). Entièrement vertes, les feuilles de phɔphɔ servent, en revanche, à bander la plaie de la circoncision. C’est le sang lui-même qui, dans ce cas, en rougit une face. Ainsi, si le symbolisme de ces deux plantes est moins complexe que celui des animaux qui précèdent, leur signification et l’usage qu’on en fait les situent néanmoins au coeur du gandjá et justifient leur présence dans la révélation.
C’est en raison de cette signification également que l’on plante des feuilles de phɔphɔ sur la tombe des mέná-gandjá. Ce détail amène l’image suivante, celle de la tombe (350/-356/), évoquée aussi par le monticule dans lequel sont plantés les yendji (29/-31/).
352/-401/ Avec la mention de la tombe du mέná-gandjá on sort presque imperceptiblement de la narration pour retrouver l’allure plus classique, si l’on peut dire, des révélations, à savoir des suggestions mises en question successivement.
359/-360/ Une première suggestion concerne les fruits mbέá-mbέá. Pas plus que les différents objets qui seront évoqués ensuite, ceux-ci n’ont de rapport direct avec le gandjá. De couleur rouge, on les trouve aux endroits marécageux. Rappelant le pays des sources, ce dernier détail pourrait être responsable de leur association aux yendji. Nous croyons cependant que c’est leur nom, qu’il faut traduire par « mensonge-mensonge », qui est à l’origine de celle-ci. Il semble destiné à qualifier tout ce que, avant leur initiation présente, les bantεndε ont pu entendre ou s’imaginer au sujet des yendji.
Appliqué au fruit lui-même, ce nom doit se comprendre en relation avec l’usage qu’on en fait. Ce fruit, en effet, est donné à mordre à des enfants qui apprennent difficilement à parler, et l’on dit qu’il fera d’eux d’habiles meneurs de palabres, aptes à manier non seulement la vérité mais aussi le mensonge. Cela fait songer aux théories de Peirce reprises par Eco (1975, p. 12 ; 1977, pp. 6-7). Selon ces auteurs le propre de la signification est de créer la possibilité de mentir. Reste à savoir si l’usage est à l’origine du nom ou si c’est l’inverse.
365/-382/ Moisɔ, qui fait la révélation, revient aux images cosmiques du début (29/-34/). Il suffira de préciser ici que l’arc-en-ciel est considéré comme un serpent à deux têtes et que, comme la plupart des animaux présentés ci-dessus, il fait lui aussi le lien entre des catégories opposées. Son corps, dit-on, est de feu, tandis que par chacune de ses deux têtes il boit de l’eau (pour plus de détails, cf. 1975, pp. 238-239).
388/-394/ Moisɔ revient également au ngó, mais non plus pour révéler, comme au début (64/-72/), le rôle des yendji lorsqu’on organise une pêche par empoisonnement de l’eau, mais pour comparer cet ensemble de yendji blancs, avec leurs sommets irréguliers, à l’écume qui flotte sur l’eau après qu’on y a jeté le produit extrait des fruits de l’arbre mbi. Ce poison dévastateur évoque d’ailleurs celui qui est incorporé aux yendji eux-mêmes (§a).
396/-401/ La révélation se termine par une comparaison entre les yendji et les tourelles creuses, nommées aliphóngà ou ɓɔtɔmbá, qui surmontent certaines termitières et que les incirconcis font résonner en soufflant dedans. On sait que ces derniers sont souvent présentés comme les véritables détenteurs des esomba, du fait que plusieurs objets ou actes ésotériques auraient été empruntés à leurs jeux (4.3.1.c). La même idée se retrouve ici. Seulement le lien entre les yendji et ces tuyaux passe par les sifflets rituels ngɓε des mέná-gandjá, utilisés de la même manière que les tuyaux, et vraisemblablement aussi par le kaɓíε dont la forme ressemble assez à celle des yendji. Même s’ils ne sont pas explicités, ces intermédiaires sont pour le moins vaguement présents à la conscience des ɓantεndε au moment où sont évoquées ces dernières images de la révélation.
107j) Comparant ces deux révélations, on est amené à découvrir que les similitudes qu’elles présentent se situent davantage sur le plan formel, les divergences, sur celui du contenu. La seconde révélation pourrait faire croire, en effet, que l’on a affaire à un véritable mythe initiatique, alors qu’il n’en est pas ainsi de la première. Seulement, ce n’est là qu’une impression créée par le procédé narratif auquel elle recourt, du moins dans sa partie centrale. L’absence d’un dénouement quelconque ne permet de parler ni de mythe ni de conte. Mise en mouvement par la demande du crustacé ándjɔndjɔ que les animaux-mέná-gandjá viennent lui conférer l’investiture, demande qui rejoint la situation du nouveau mέná-gandjá en ce début de cycle, la narration s’arrête, sans qu’il soit davantage question de l’ándjɔndjɔ ni d’investiture, au moment ou celui qui fait la révélation prend en main la conque du mokumɔ, placée parmi les yendji. L’on retrouve, à partir de là, comme au début et dans la révélation précédente, le développement par identifications successivement suggérées et mises en question.
108La narration relève donc avant tout du procédé. Celui-ci doit permettre à l’homme qui en use de se détacher quelque peu de l’objet immédiat de la révélation, les yendji, et de faire intervenir dans son discours certains animaux qui ont une importance primordiale dans le gandjà mais se laissent moins facilement identifier aux yendji, tout en faisant valoir pour chacun d’eux — en termes de prescriptions, et des sanctions qu’entraînerait une éventuelle transgression de celles-ci — les raisons de son insertion dans le rituel. On se souvient, en effet, que c’est par l’expression « révéler le gandjá » que se désigne l’ensemble de la révélation, et que c’est le gandjà encore qui est « acclamé » à la fin de celle-ci. D’ailleurs, même dans la première révélation on trouve un retour au gandjà après chaque remise en question. Dans la seconde c’est la question des origines du gandjá (8/, 28/, 52/) qui constitue le fil conducteur, et ici encore la narration permet, par son thème même, de fournir une réponse symbolique. C’est ce thème du retour aux sources, rencontré déjà sur le plan des activités rituelles dans le maningé, la pêche des femmes, qui permet de comprendre pourquoi la narration, tout comme la pêche, pouvait s’arrêter au mokumɔ, la conque reconnue à maintes reprises comme étant l’origine même du gandjá.
109Il faut remarquer cependant — et nous en arrivons ainsi au contenu — que, parmi les animaux présentés comme mέná-gandjá dans la seconde révélation, la moitié environ, le python, le potamogale, l’antilope nkέngέ et le grand crocodile, jouent un rôle symbolique important dans l’úmbá, et non pas dans le gandjá. D’ailleurs, même pour ce qui regarde plus directement les yendji, la plupart des objets auxquels on les trouve identifiés n’entretiennent avec eux, et même avec le gandjà, aucun rapport immédiat de signification, en dehors du contexte même de la révélation. C’est le cas des champignons, de la couronne solaire, de la lune et du soleil, de la termitière, de la tombe, des fruits « mensonge-mensonge », de l’arc-en-ciel, des grêlons et des bulles formées par la pluie, pour nous en tenir à la seconde révélation.
110Cela étant, il devient inévitable que d’une révélation à l’autre nous n’ayons que fort peu d’éléments communs. En effet, à part l’allusion au monticule, qui d’une certaine manière s’imposait, on n’en trouve pas plus de trois dans l’ensemble des éléments que comportent les deux révélations présentées : la pluie ou l’orage, les escargots d’eau et le grand crocodile. Pourtant nous avons fait écouter la seconde, provenant de la région de Kelenga, à Mbidika, le président de la confrérie des mέná-gandjá de la région d’osáyó, ceux qui détiennent la tradition originelle et dont nous tenions la première révélation. Nous voulions connaître sa réaction. Or il ne put qu’exprimer son admiration pour la fidélité à la tradition qu’il y trouvait. Dans une autre révélation encore, faite par Tótó, un des plus anciens mέná-gandjá de la région de la Maiko, au nord de Lubutu, région dont les habitants entretiennent de fréquents rapports avec ceux d’osáyó, nous n’avons compté, sur les dix-huit objets auxquels les yendji étaient associés selon le seul procédé de la métaphorisation interrogative, que deux qui reviennent dans les deux révélations précédentes, l’orage et le crocodile, et un qui n’intervient que dans la seconde, le fruit mbi servant à empoisonner l’eau pour la pêche. Les autres étaient l’arbre phɔyɔ (3.1.7.b), les étoiles, des souches d’arbustes, des hommes partageant un repas après avoir aménagé un champ ensemble, des plants de bananier, des poissons amá-kikita, des poissons muséphé, des abattis brûlés pour faire un champ, des courges, des calebasses, du maïs, des fruits εɓɔkε, des arachides, des silures et des grenouilles. Il est vrai que la liste n’est pas complète (l’enregistrement n’était pas des plus clairs).
111Tout cela rend évident que ce n’est pas tant le contenu spécifique de la révélation qui importe, mais bien plutôt les connections qu’elle établit entre un grand nombre de phénomènes et d’objets qui, à partir des significations dont les a investis la culture, chargent le rituel de sens, et dont la signification est nourrie en retour par celui-ci. Les révélations permettent ainsi au rituel de plonger ses racines dans l’ensemble de la culture vue comme système de significations. Et l’initiation dont elles font partie ne peut que laisser le sentiment d’une intégration plus profonde au sein de celle-ci. Une remarque mise dans la bouche de l’initié dans la première révélation (§h, 75/-76/) est des plus éloquentes à ce propos. Celui-ci ne dit pas : « Ce à quoi j’ai été initié, c’est la signification des yendji (ou) du gandja », mais bien : « C’est la queue du porc-épic. » Même si la perspective qui nous menait à distinguer des animaux et des objets dont la signification est plus centrale par rapport au rituel, et d’autres chez qui elle est plus périphérique, peut se justifier dans certains cas, elle doit être relativisée dans celui-ci. La révélation n’est pas là seulement pour dévoiler le sens des choses qui se situent au coeur du gandjá, mais certainement tout autant pour donner un sens au gandjá en le situant au coeur des choses (voir Da Matta 1979, p. 589).
112Il reste vrai cependant que le réseau de significations créé de la sorte peut varier selon les régions et se resserrer davantage autour de certains thèmes. Les accentuations différentes qui constituent la culture au niveau régional se reflètent effectivement dans le rituel. La première révélation, par exemple, accordait assez d’importance au poteau central de la case, qui se dresse au milieu des yendji ; elle le comparait à un arbre calciné, à une canne à sucre solitaire, à la queue du porc-épic. La seconde révélation, par contre, ne comportait aucune allusion au poteau. Or nous savons que cela répond de fait à des différences entre les rituels de la région d’osáy ó et de Kelenga (3.1.8.b). D’autre part, la seconde révélation faisait intervenir un grand nombre d’animaux, alors que, parcourant rapidement les objets de la révélation faite par Τótό, tels qu’on les a mentionnés ci-dessus, on est frappé par la récurrence d’éléments relevant du domaine agricole. Dans la région de la Maiko l’agriculture occupe effectivement une place bien plus importante que dans celle de Kelenga.
113k) La révélation du sens des yendji est généralement suivie d’une invocation, faite par le mέná-gandjá président sur celui au bénéfice de qui se déroulent les rites, rites d’investiture ou de résignation de charge selon les cas. Un seul exemple de pareille invocation pouvant suffire, nous préférons le réserver pour la sortie de charge (5.1.5.a). Nous ne retiendrons de l’invocation qui a lieu lors des rites d’investiture que son contenu général qui, pour la clarté, a été présenté plus haut (§e).
4.3.4. Le makpatíma, danse rituelle des maîtres de la circoncision
114a) Après cette invocation, les mέná-gandjá dont les yendji ont été plantés emballent à nouveau soigneusement ceux-ci, pour les cacher au fond de leur besace, et ils rependent cette dernière aux baguettes latérales (makpatíma) fixées en haut du poteau central. On fait alors entrer les personnes venues se faire traiter mais qui n’étaient pas autorisées à assister à l’initiation au sens du gandjá. Toujours badigeonnées de blanc, comme les ɓantεndε qui viennent d’être initiés, elles vont s’asseoir à côté de ceux-ci au pied du poteau central. De son côté, l’aphandja, le jeune homme qui doit être circoncis au moment de l’investiture, va reprendre sa place sur la litière aménagée contre le mur du fond, derrière le siège du mέná-gandjá président.
115Les mέná-gandjá entament ensuite, autour du poteau central et du groupe assis à sa base, leurs danses rituelles makpatima (3.1.8.b). On le sait, celles-ci doivent se prolonger jusqu’au matin. Il y aura donc un grand nombre de danses. Nous n’en présenterons que quelques-unes, de quoi donner une idée du genre. L’ordre selon lequel elles se suivent n’est pas très strict et les chants qui les accompagnent sont faits de quelques formules stéréotypées recombinées à volonté par celui qui mène la danse et reprises en choeur par les autres4.
116b) Généralement les maîtres de la circoncision commencent par reprendre, cette fois en dansant et en se faisant accompagner des tambours, certains des chants qui précédaient le dévoilement des yendji. Ce sont le ɓeímé, par lequel ils s’identifient de nouveau aux ancêtres, l’agonga, dans lequel ils chantent le feu, et le tóɓóáni phɔ, où ils demandent de faire de la lumière.
117Vient ensuite une série de danses dans lesquelles ils se servent des grandes feuilles dont étaient recouverts les yendji, et qui ont été placées près du siège du président. Après avoir déposé leur chasse-mouches rituel, les mέná-gandjá s’en vont chercher chacun deux de ces feuilles et, tout en dansant et en imitant le vol maladroit de l’oiseau kpákpánde, ils en frappent ceux qui sont assis au pied du poteau central et aussi les autres membres de l’assemblée. Entre-temps ils chantent :
Kpákpánde, o, muna nɔkɔ, | Ô, oiseau kpákpánde, enfant de mon oncle, |
ookíɗíá ɓáɓáokokónda ; | lorsque tu arrives, on t’aime bien ; |
ooíphía k’íongo, | mais si tu t’installes, toi, l’étranger, |
ɓáɓáokoy á. | on te rejettera. |
118Kpákpánde est le nom rituel de l’amá-nkεnda-nkεnda ou mɔmpɔpɔ, un oiseau qui, vers la fin du mois d’août ou le début de septembre, se manifeste au village en battant lourdement des ailes sur le sol. Il annonce ainsi le temps des chenilles ɓakányá qui marquent la fin de l’année komo (cf. 1973a, pp. 6-7) et dont les gens sont fort friands.
119On dit même que c’est lui qui les fait venir, ce pourquoi « on l’aime bien ». Seulement, il ne faut pas qu’il reste, sinon il les mangerait lui-même. De la même manière, ces feuilles ont fait venir « sous leurs ailes » les yendji ; mais il ne fallait pas qu’elles continuent à les cacher.
120Trempant ces mêmes feuilles dans un récipient d’eau, les mέná-gandjá en aspergent l’assemblée en chantant :
Tshá, tshá, kás’á mbua, | Asperge, asperge, feuille pour la pluie, |
kolé, kolé, tshá, tshá. | trempée, trempée, asperge, asperge. |
121Kás’á mbua renvoie aux feuilles de la plante gɔgɔ (Afromomum subsericeum) dont les gens se servent en guise de parapluie. On sait que, manifestant le mécontentement des ancêtres, la pluie est toujours un signe de malédiction si elle se met à tomber lors des célébrations rituelles. Elle l’est surtout si elle tombe au moment où il faut procéder à la mise en rouge des personnes traitées, qui marque la réalisation des objectifs du rituel. À ce moment elle va à rencontre de la structure cosmologique du rituel luimême (cf. 3.1.6.b, 8/-9/). C’est pourquoi les gens qui s’en vont assister à une célébration emportent souvent une de ces tiges de gɔgɔ, dont ils ont noué les feuilles pour exprimer leur désir de « lier » ou retenir la pluie (Lienhardt 1961, pp. 282-283).
122Toutefois, il n’est pas toujours possible de prévenir la pluie, et c’est cette impossibilité qui donne son sens à la danse présente. Celle-ci doit servir d’antidote à une pluie éventuelle. Les transgressions symboliques anticipées d’une prescription ou d’un interdit ayant pour but de prévenir les effets néfastes de transgressions réelles relèvent d’une structure de pensée qui est à la base d’un grand nombre de pratiques rituelles chez les Komo, principalement de celles qui ressortissent des catégories nommées kǎkondo (3.5.l.c) et εmbánísá (5.5.5.). Le même principe d’inversion du sens des choses est mis en oeuvre dans la séquence rituelle nommée « tuer le mbáú » (5.2.3.f), et lors des purifications (4.4.2.b).
123Souvent l’aspersion sera poursuivie au cours d’une autre danse, dont les paroles que voici rattachent de nouvelles significations aux précédentes :
Mbeye, mbeye, íɓó atóɓókí. | Mbeye, mbeye, l’eau a percé. |
124Certains expliquent qu’il s’agit de la pluie. On se sert, en effet, du verbe tóɓóká lorsque celle-ci se met à tomber à verse. Seulement ici, il est question d’eau et non pas de pluie. Le mot mbeye pourrait fournir la clef de l’explication, mais les gens ne sont pas unanimes quant à son sens. Pour les uns c’est un cri d’alarme poussé par les femmes lorsque, pour pêcher à l’écope, elles ont arrêté un petit cours d’eau au moyen d’un barrage, et que celui-ci cède tout à coup. Si l’explication est exacte, on n’a qu’une image de plus pour désigner la pluie dont il était question dans le chant précédent.
125D’autres voient en mbeye un nom voilé pour désigner l’incirconcis. À ce moment le chant constitue une allusion aux premières éjaculations — le sperme est toujours appelé l’eau (ίɓό) du gandjá (2.1.a) — qui demandent que l’on procède à la circoncision du jeune homme. Cette seconde explication qui fait de ce chant des mέná-gandjá, une sorte de justification de leur fonction, et qui pourrait d’ailleurs rejaillir sur la signification du chant précédent, nous paraît s’inscrire mieux dans l’ensemble des significations du rituel. Elle se trouvera d’ailleurs confirmée par d’autres chants du makpatíma.
126Après cette aspersion, les mέná-gandjá reprennent le chant ntúlú maɓembe (4.3.3.f) pendant qu’ils partagent les feuilles dont ils se sont servi entre ceux qui sont venus se faire initier ou traiter. Chacun de ceux-ci est invité à cracher sur le morceau de feuille qu’il a reçu et à déposer celui-ci sur quelques tisons ardents introduits dans la case. Tous viennent tour à tour se tenir dans la fumée qui s’en dégage, une pratique purificatoire et thérapeutique désignée par le verbe úlíá. Entre-temps le mέnágandjá président entonne une invocation dans laquelle il est demandé que tous ceux qui sont venus se faire initier n’aient à souffrir d’aucune des afflictions qui les auraient frappés s’ils n’avaient pas été en droit d’être initiés, et que tous ceux qui sont venus pour se faire traiter soient libérés de leurs peines.
127La façon similaire dont sont traités ici et dans la suite, les ɓantεndε et ceux qui sont venus pour être soignés montre qu’une initiation prend toujours la forme d’une thérapie préventive et qu’une thérapie comporte, en principe du moins, une dimension cognitive ou initiatique. Nous en avons exposé ailleurs les raisons (cf. 1980, p. 78). Pour la pratique présente on notera que, selon les représentations, la puissance contenue dans les yendji et qui doit permettre d’agir contre d’éventuels agresseurs s’est communiquée aux feuilles dont ils étaient recouverts, de façon qu’elles puissent être utilisées à leur tour à des fins thérapeutiques. Le fait de cracher sur les feuilles, avant de les jeter au feu implique un engagement personnel dans cette recherche d’un bien-être commun, le crachat signifiant, négativement, le rejet de toute intention mauvaise que l’on pourrait porter en soi et, positivement, une bénédiction.
128c) D’autres danses et chants du makpatíma renvoient aux yendji euxmêmes ou aux origines du gandjá. La révélation qui précède nous a montré que les deux choses sont étroitement liées et qu’elles le sont, de plus, à travers le symbole du petit crocodile. C’est ce qu’atteste le chant suivant :
Báumángá, yendji ámɔ ; | Petit crocodile, mon yendji ; |
yendji á ɓaɓέ. | le yendji de mes pères. |
129Báumángá est un des nombreux noms ésotériques par lesquels est désigné le petit crocodile. Le choix de ce nom n’est pas sans rapport avec l’assimilation de l’animal au yendji. Ce nom évoque, en effet, celui de kaúmanga, un bois tordu de manière bizarre que chaque maître de l’úmbá, le rituel de passage pour les hommes qui ont engendré, compte parmi ses attributs les plus importants. Ce bois renvoie à la force de frappe de son esomba avec ce que celle-ci a de plus spécifique : le pouvoir de rendre difforme (ɗɔtísá). Or on sait que les yendji sont eux aussi des morceaux de bois de forme bizarre. Les nombreux emprunts qu’il y a eu entre les deux institutions rituelles du gandjá et de l’úmbá, et dont témoigne le mythe des deux crocodiles (4.2.4.b ; 4.3.4.h, 79/-86/) ne laissent d’ailleurs subsister aucun doute quant au rapport, médiatisé ici par le petit saurien, entre les yendji et les kaúmanga.
130Dans la seconde révélation, la loutre, envoyée par le crustacé ándjɔndjɔ, descendait le courant pour aller chercher les animaux-mέná-gandjá, désignés du nom de ɓasáyó, puis le remontait avec eux. Elle fait, en effet, partie de leur groupe (4.3.3. i, 84/ ; 275/-296/). La danse suivante souligne encore davantage le rapprochement entre l’animal et ceux qui sont considérés comme les détenteurs originels du rituel, et cela parce que, comme elle, les ɓasáyó sont renommés pour s’être déplacés le long des cours d’eau durant leurs migrations (2.2.1). Tout en chantant
Aɔángá, o ; | Ô, la loutre ; |
aɔángá aɔdjɔmba líkɔ, | la loutre remue la boue à l’endroit où se lavent, |
líkɔ á ɓasáy ó. | où se lavent les ɓasáyó. |
131les mέná-gandjá promènent devant eux sur le sol, à la manière dont la loutre se comporte dans l’eau, des espèces de raquettes allongées qui se terminent par deux tiges garnies de plumets, représentant les pattes de devant de l’animal.
132d) Un certain nombre de chants et de danses ont trait aux mέná-gandjá eux-mêmes, à leur fonction, ou à l’un ou l’autre de leurs attributs. Celui-ci, par exemple, chante leur bâton, en le comparant à celui que l’on appuie, en le penchant, contre la conque du mokumɔ pour la faire résonner. La conque étant un symbole du sexe féminin, le bâton qu’on tient contre elle et, par suite, le bâton aussi du mέná-gandjá sont du sexe masculin.
Ekátá, mombi, | Bâton du mέná-gandjá, bois du mokumɔ, |
abá-y ega-yega ndé ko ; | c’est bien toi qui es toujours penché ainsi ; |
mɔmbi kámέ nkíli. | que jamais le bois du mokumɔ ne s’élève tout droit. |
133Un autre chant rappelle aux maîtres de la circoncision qu’ils ne peuvent manger de la mangouste kεnsεngε. Comme elle montre toujours les dents, d’un air menaçant, lorsqu’on l’approche, on dit que, s’il en mangeait, le mέná-gandjá provoquerait, de la part des gens qu’il approche, des réactions similaires, et que ceux-ci ne lui confieraient plus de jeunes gens à circoncire.
Mέná-gandjá, kεnsεngε, o, kεnsεngε, | Mέná-gandjá, la mangouste kεnsεngε, ô, le kεnsεngε, |
mέná-gandjá koniέ kεns εngε. | mέná-gandjá ne mange pas de kεnsεngε. |
134Un autre chant encore évoque la puissance sexuelle que confèrent les maîtres de la circoncision :
Aula kekéba, | Le fruit aula, |
kángá ngɔa, | même sans fer, |
kokúíέgέ ; | n’en meurs pas ; |
oboma ndéákɔ ! | vas-y, fends-le ! |
Bábomí n’eoká, | Ils l’ont fendu à la hache, |
ɓábomí na mínyɔ. | (mais) ils l’ont (aussi) fendu avec les dents. |
135Fruit d’un arbre du même nom, l’aula est un aphrodisiaque dont se servent les femmes. Il est très difficile à fendre. Il n’en faut pas davantage pour mettre l’imagination symbolique en branle. Notons que le pénis est fréquemment comparé à une dent (4.3.3.b ; cf. 1980, p. 245).
136e) Un dernier chant, avec la danse et les gestes rituels qui l’accompagnent, nous permettra de présenter quelques données encore concernant la manière dont les mέná-gandjá mettent, durant le makpatíma, leurs facultés thérapeutiques au service de ceux qui sont venus se faire traiter ou initier5. Á un certain moment, ceux-ci sont invités à s’étendre sur le dos, faisant semblant d’être inanimés. Deux des mέná-gandjá viennent alors les soulever, tour à tour, l’un par les jambes et l’autre par les bras ; ils les font balancer en l’air, puis les remettent sur pied, revivifiés. Pendant ce temps tous les maîtres de la circoncision chantent :
Amá-ngáyáni | L’arbre dont on a changé l’orientation |
asikí na nyέnέ. | est tombé en arrière. |
137En fait, il n’y a pas beaucoup de rapport entre le chant et les gestes rituels, si ce n’est que ceux qui doivent être traités gisent d’abord sur le dos, évoquant l’image d’arbres abattus. Encore faut-il, pour comprendre exactement le rapprochement, savoir que tout arbre a ses « yeux » (íso), c’est-à-dire le sens dans lequel il penche et dans lequel il tombera normalement lorsqu’on l’abat, et aussi son dos (nyέnέ), le sens opposé. Si donc un arbre s’abat normalement sur sa face, le sens dans lequel progresse le travail, lorsqu’on aménage un champ, demande parfois qu’on le fasse tomber dans une autre direction, par exemple sur le dos. C’est ce qu’exprime le verbe gáyá. Cependant, plus que le fait d’être couché sur le dos, auquel s’attarde le chant, c’est le geste de revivification qui importe ici. Des gestes analogues interviendront à d’autres moments. Ainsi, on verra l’un des principaux mέná-gandjá prendre deux palettes obámbá, dont les chanteuses du maéndé se servent pour rythmer leurs chants, et venir frapper chacune de ces mêmes personnes sur la poitrine et sur le dos.
138Les possibilités, dans ce domaine, sont illimitées. Comme c’est avant tout le rituel lui-même qui possède cette dimension thérapeutique, chacun des éléments qui y ont une place quelque peu importante peuvent être convertis en signifiants performatifs de mieux-être. Les aînés parmi les mέná-gandjá voient cependant cette prolifération d’instruments symboliques d’un oeil moins favorable. Pour eux — et la chose mérite d’être soulignée — c’est la danse du makpatíma, durant laquelle les maîtres du rituel incarnent les ancêtres ou se laissent posséder par eux d’une façon toute particulière, qui constitue le canal opérateur ; et c’est la transpiration qu’ils exsudent à ce moment et dont durant des arrêts réguliers de leurs danses, ils massent aux endroits douloureux de leur corps, ceux qui sont venus se faire traiter, qui communique la force thérapeutique du rituel (pour l’analyse d’un cas cf. 1980, pp. 92-93).
139On notera que, lorsque le nouveau maître de la circoncision a été amené à accepter la fonction par suite d’une affliction attribuée au gandjá (4.1.1.b), il prendra place, lui aussi, avec sa femme, parmi ceux qui sont venus se faire traiter, et sera soigné comme eux avec la sueur de ses confrères. Ndji-á-Makua, un mέná-gandjá à l’investiture duquel nous avons assisté à onakina, souffrait de violents maux de tête. Ses aînés dans la fonction le massèrent alors sur tout le corps, en partant de la tête et en repoussant progressivement le mal vers les pieds. Beotúla wá, dit-on, « c’est là que nous nous terminons pour revenir sur nous-mêmes ». C’est donc par là aussi que les maux doivent être chassés hors du corps.
140Ce traitement s’accompagna d’une invocation faite par le mέná-gandjá qui allait lui conférer l’investiture. En voici les termes principaux : « Bakikóngó, ceux qui sont en forêt et ceux qui sont au village (3.1.7.b), Ndji-á-Makua était pris par la maladie. Il est venu nous trouver. Nous avons pensé que c’était le gandjá qui avait pénétré sa chair. Nous lui avons donc dit qu’il devait’couper le gandjá’’ (2.1.b). À présent il a’coupé le gandjá’’ et les yendji sont’tombés’ (4.3.3.b) dans sa case. Aussi allons-nous lui ‘jeter le collier’ autour du cou (4.3.3.e). Mes amis, ne faut-il pas qu’ils guérisse ? » Et tous de reprendre : « Qu’il guérisse ! »
4.4. L’investiture du nouveau mέná-gandjá
4.4.1. Les deux jours qui précèdent l’investiture
141Sitôt qu’il commence à faire jour, les mέná-gandjá interrompent un moment leurs danses pour permettre à leur nouveau confrère d’aller annoncer officiellement, au rythme de l’akpókpó, le grand tambour à fente, l’ouverture du gandjá (sembéá gandjá, 3.2.1.). Il se fera accompagner, pour cette première annonce, de celui qui doit lui conférer l’investiture. Les mέná-gandjá reprendront ensuite leurs danses durant quelques instants encore, afin de saluer le lever du jour par la danse akɔkɔ, honorant le coq qui l’a fait lever (3.2.2.a) puis, dès qu’il fera clair, ils mettront fin au makpatíma et prendront un peu de repos.
142La journée suivra, pour le reste, le schéma des célébrations ordinaires avec, comme activité principale, la pêche des femmes ou le maningé ; elle se terminera par ce que nous avons appelé la nuit des femmes, le mosimbo (3.2.). Le jour suivant sera relativement calme. La séquence du keɓéndé, pour nous référer au même schéma (3.3.), sera omise, puisque dans les célébrations ordinaires cette séquence ne constitue qu’une simplification de celle qui a lieu ici au pied de l’aphindia (4.2.2.). L’on omettra également les offrandes aux ancêtres et la montée des génies de la circoncision qui ouvrent ordinairement la nuit des hommes ou monanga, par quoi se clôturera la journée. Les génies qui doivent être présents cette nuit-là ont déjà fait leur apparition au même aphindia et n’ont donc pas à être appelés de nouveau. Le lendemain, aux premières lueurs du jour, l’aphandja, le jeune homme qui doit être circoncis, sera soumis à l’épreuve du betu (3.3.3.e).
4.4.2. L’investiture
143a) Dans la matinée qui suit le monanga et le betu, les maîtres de la circoncision qui ont déjà achevé un premier cycle quittent la case rituelle pour aller préparer ensemble, quelque part en forêt — on s’y trouve davantage sous l’influence bénéfique des ancêtres — le collier de leur nouveau confrère. Celui-ci n’assistera pas à la préparation, mais il aura dû fournir les éléments principaux du collier, ou du moins les plus visibles, à savoir : la queue du singe osephe, qu’il aura enfilée déjà sur un cerceau en bois, base du collier, et une peau de l’écureuil ɓungú. La peau d’écureuil sera pendue au collier de sorte que, par son aspect, celui-ci traduira l’un des deux mythes d’origine de la circoncision (2.2.2.a), au point qu’on pourrait se demander si ce n’est pas plutôt le mythe qui constitue une explication du collier. Nous ne le pensons pas et, de toute manière, dans ce genre de reproduction symbolique, la question de l’antériorité importe assez peu. À la peau d’écureuil on ajoutera généralement une peau de genette. Celle-ci marque l’entrée du nouveau mέná-gandjá dans l’esomba et exprime en même temps certains des objectifs majeurs du rituel : conférer les qualités requises pour captiver les femmes, ainsi qu’une fertilité prolongée (3.4.2.b). Cependant, le plus important, dans la préparation du collier, est l’introduction dans la peau d’écureuil, avant qu’elle soit fixée au collier, des ophéké du gandjá, c’est-à-dire des objets symboliques signifiant les effets que l’on attend des rites (4.1.4.b). Ces ophéké comportent, d’une part, des éléments qui expriment la force de frappe de l’esomba. Ainsi on y mettra un fruit mbi, employé pour empoisonner l’eau lors de la pêche au ngó. On se souviendra que cette pêche ne peut jamais être pratiquée sans qu’un mέná-gandjá y soit présent (4.3.3.i, 56/-72/, 388/-394/). Placé ici, ce fruit signifie que le rituel du gandjá a le pouvoir d’éliminer en grand nombre ceux qui voudraient faire du tort aux personnes qui y ont recours ou qui y exercent une fonction. La même idée est signifiée par l’addition d’un peu de poussière de la racine de taphá, dont on se sert pour l’oracle du poison. Cette plante était employée aussi pour la confection des yendji, avec la même signification.
144D’autre part, on introduira dans la peau certains éléments qualifés d’isέngέ, comme l’est tout ce qui doit assurer le succès (3.3.3.g). On prendra surtout, à cet effet, les fruits d’arbres qui attirent de nombreux animaux, et de préférence les fruits du ndimba dont les fleurs sont très recherchées par les colibris. Si ce fruit est choisi ici, c’est parce que les significations rattachées aux colibris interfèrent, elles aussi, avec d’autres qui sont en jeu dans le rituel (4.2.2.a). Les connotations sexuelles de ces oiseaux n’empêchent donc pas les spécialistes d’expliquer l’usage du fruit ndimba comme signifiant non seulement l’affluence d’incirconcis mais, de manière plus générale, le succès que doivent connaître les célébrations qu’organisera le nouveau mέná-gandjá. La raison n’est pas tant qu’une célébration ne peut être pleinement réussie que lorsqu’elle a attiré beaucoup de monde, ce qui se rend par le verbe úmá, mais bien plus, que l’efficacité même des rites dépend de la participation de la communauté entière et de son acquiescement unanime aux invocations (3.1.7.b). Cette façon de voir influe vraisemblablement sur l’interprétation donnée à d’autres éléments encore. Ainsi ajoute-t-on aux ophéké un étui de bâtonnets dont s’entoure la chenille moké, mais alors que celui-ci renvoie habituellement au prépuce (c’est pour éviter que celui-ci ne repousse, qu’il est interdit aux jeunes circoncis de manger de ces chenilles dans les temps qui précèdent et qui suivent l’opération), les spécialistes disent qu’il signifie ici que les gens auront à se serrer nombreux autour du nouveau mέná-gandjá.
145Un autre élément du collier indique le comportement attendu de la part du mέná-gandjá lui-même. Il s’agit d’un morceau de carapace de la tortue d’eau ophélé. Cet animal, dit-on, ne se déplace guère pour chercher sa nourriture, mais se nourrit de ce qui lui est amené par le courant. Il doit en être de même du maître de la circoncision. Il ne sied pas qu’il se mette à courir les villages en quête de jeunes gens à traiter. C’est sa propre réputation de dignitaire qui doit pousser les gens à venir le trouver pour lui confier leurs enfants (4.1.4.b).
146Enfin, on introduira dans la peau d’écureuil un certain nombre d’éléments renvoyant au rituel lui-même, à ses objectifs concrets ou aux principales représentations qui le sous-tendent. On y met ainsi deux fruits exprimant le résultat de l’opération. Le premier, appelé nka, provient de l’arbre ɓɔgɔánέ (Strombosia grandifolia). Sa pointe et sa forme régulière permettent aux enfants de s’en servir comme toupie. Ces détails, y compris son usage dans les jeux, font que certains l’associent au prépuce, la notion de jeu étant étroitement liée à l’incirconcision (4.3.3.i, 396/-401/). Le fruit, dans ce cas, désignerait les incirconcis dont le nouveau mέná-gandjá aura à s’occuper. Il devra en faire des circoncis, ce qui serait signifié par le second fruit. Plus nombreux cependant sont ceux qui voient dans le fruit nka une représentation du pénis circoncis, et leur façon de voir trouve sa confirmation dans des données ayant plus de poids. D’abord, ces fruits servent d’appât dans les pièges placés pour attraper des écureuils aɓéngá, que nous connaissons comme symboles sexuels féminins. Puis, dans le rituel de sortie, à la fin du cycle, les circoncis, qui vont avoir alors à songer à leur mariage, s’identifient au fruit nka dans une de leurs principales danses (5.4.8.a ; 5.1.2.d). Enfin, un des chants du rituel des jumeaux, caractérisé par sa dimension sexuelle, chante le même fruit en ces termes : Bɔgɔánέ, muna mbuka, agú n’eúmbe, « Bɔgɔánέ6, le petit fruit, il est tombé dans une trappe. » Piège en forme de fosse, l’eúmbe symbolise le vagin.
147La signification de l’autre fruit est manifestée par son nom même : ntén’á kaɓíε, « le pénis du génie de la circoncision ». Sa forme arrondie sur laquelle se profile une large fissure en fait, en effet, le modèle du gland des circoncis après leur « lutte avec le kaɓíε » et l’épreuve du djaɓá (3.5.3.). Cependant, comme on verra plus loin (5.1.5.c), il renvoie également à la vulve.
148L’objectif final du rituel est d’assurer la fécondité des circoncis. Celle-ci se trouve signifiée par l’adjonction aux ophéké d’un bout d’écorce de la grosse liane djamba. Renommée à cause de ses nombreuses ramifications, celle-ci intervient également dans une des principales séquences du rituel des jumeaux, où l’on célèbre la fécondité des parents de ceux-ci (3.2.5. f). Nous avons déjà signalé que, chez les Komo, les ramifications sont l’image la plus courante de la notion d’engendrement (3.1.8.b).
149Les ophéké qui représentent les éléments les plus significatifs du gandjá sont d’abord une épine de porc-épic qui, comme la queue de l’animal, représente le poteau central de la case rituelle avec toutes les significations qui se nouent en lui (4.3.3.h, 67/-77/). Elle peut cependant aussi renvoyer à la force de frappe de l’esomba, suggérée par le nom de « lance » donné à l’épine, qui, rappelons-le, intervenait dans la composition des yendji. Il y a ensuite une coquille du mollusque kenkamba, incarnant, comme on sait, les notions antithétiques fondamentales de « s’ouvrir » et « se fermer », et, en troisième lieu, une chenille kányá dont le retour périodique au mois de septembre marque pour les Komo la fin d’une année (ságá) et le début de la suivante. Elle se prête ainsi à signifier cet éternel retour des choses que constitue le mouvement même des cycles de la circoncision.
150Avant d’être introduits dans la peau d’écureuil, tous ces éléments symboliques sont renfermés dans une espèce de poche solide et fort souple que les chenilles endjegú se confectionnent comme demeure et qu’on désigne du même nom qu’elles. Elles la quittent le matin en rang, pour y revenir le soir, toujours en rang. On voit dans cet objet un nouveau moyen d’exprimer le désir que les jeunes gens à circoncire accourent en grand nombre le long des chemins qui conduisent à la demeure du nouveau mέná-gandjá. L’endjegu est enroulé à son tour dans la peau de genette et celle-ci est fixée dans la peau d’écureuil ɓungú que l’on pend alors au collier.
151Les mέná-gandjá qui ont préparé le collier s’en retournent après cela vers la case rituelle où les attendent leur nouveau confrère et les autres qui n’ont pas encore achevé un premier cycle. Ceux-ci, rappelons-le, ignorent la composition de leur collier même s’ils peuvent être au courant de la signification des divers éléments qui y ont été introduits. Cette façon de les maintenir dans l’ignorance n’a d’autres raisons, croyons-nous, que de garantir les distinctions sur lesquelles se fonde la hiérarchie à l’intérieur de la confrérie. À son retour, le mέná-gandjá président pend le collier au poteau central de la case.
152b) Tandis qu’ils s’en revenaient à travers la forêt, les mέná-gandjá ont cueilli, toujours sous l’instigation des ancêtres, un certain nombre de feuilles auxquelles sont attachées diverses significations relatives au gandjá. Elles serviront à purifier (sókóséá) leur nouveau confrère avant son investiture. À leur retour à la case rituelle, tous les maîtres de la circoncision, sauf ce dernier, s’installent en cercle autour du poteau central. Le président, aux pieds duquel ont été déposées toutes les feuilles, en prend tour à tour une poignée et la fait passer dans le cercle, après l’avoir frottée, la première contre son front, la suivante contre ses yeux, la suivante encore contre sa bouche, etc. Il descend ainsi progressivement en parcourant les différents endroits de son corps pour terminer par les pieds. Dans le cercle chacun imite son geste avec la poignée de feuilles qu’on lui passe, puis fait suivre celle-ci. Ces feuilles s’imprègnent ainsi de la force thérapeutique qui, comme on l’a vu à la danse du makpatíma, émane du corps des mέná-gandjá, dans la mesure où ceux-ci incarnent les ancêtres ainsi que la puissance de l’esomba héritée d’eux. Le mouvement descendant, lui, indique le sens dans lequel doit opérer cette force thérapeutique. On l’a vu, elle doit notamment chasser le mal du haut vers le bas pour le faire sortir par les pieds (4.3.4.e).
153Après avoir fait le tour du cercle, toutes les feuilles sont déchirées et mises à tremper dans un pot d’eau. Celui-ci est amené ensuite dans un coin obscur de la case par quelques-uns des plus anciens maîtres du rituel. Ils ont pris avec eux leur besace, d’où ils retirent certains de leurs attributs les plus secrets, un yendji, un bec de calao (3.3.2.c), des serres d’aigle, qui tous signifient la force de frappe (exprimée par le verbe ɓεɗá, saisir) de l’esomba, de même qu’une « dent de la foudre » (4.3.3.b). Ces objets sont trempés un moment dans l’eau afin d’imprégner celle-ci de toute la puissance du rituel. L’eau sera répartie ensuite entre plusieurs récipients afin de pouvoir assurer la purification de tous, ɓantεndε et autres personnes venues se faire traiter.
154Procédant alors à la purification, on commence par placer le nouveau mέná-gandjá et sa femme accroupis contre le poteau central puis, après une invocation du genre de celle notée plus haut (4.3.4.e), on déverse sur eux le contenu d’un des récipients à travers un van. Celui-ci représente le firmament avec ses nombreux trous à travers lesquels tombe, selon les représentations des Komo, la pluie purificatrice et régénérante envoyée par les ancêtres (4.3.4.b, cf. 1980, pp. 95-96). Lorsque le récipient est vide, toute l’assemblée pousse le cri « yóɓá ? », par lequel elle marque son acquiescement à chacun des moments majeurs d’un rituel initiatique. La même purification est reprise ensuite au profit des bantεndε, puis des personnes venues se faire traiter, sur lesquelles on déverse les autres récipients. Pour eux, cette purification marquera la fin de l’initiation ou du traitement qu’ils sont venus chercher, et l’eau qui coule sur leur corps effacera les lignes de kaolin qu’ils portent aux bras. L’invocation par laquelle le président introduit ces dernières purifications sera donc adaptée à la situation de chacun des deux groupes. Tous vont alors rejoindre le public venu assister à la célébration de la circoncision de l’aphandja. Les ɓantεndε auront toutefois à compléter cette première initiation par d’autres, plus poussées, qui se donneront lors des rites de sortie ; mais ils pourront recevoir celle-ci dans d’autres cycles. De toute manière, nous les retrouverons plus loin.
155c) Tous les mέná-gandjá qui ont achevé un premier cycle se mettent ensuite à préparer le kaolin qui servira à l’investiture, ou du moins à celui des deux moments de l’investiture qui marquera l’entrée du nouveau maître de la circoncision dans l’esomba. Il se désigne, en effet, par l’expression síá ɗɔphε, « enduire de kaolin ». Ajoutant un peu d’eau au petit pot dans lequel se conserve le produit, ils diluent celui-ci de la main gauche, appelée « la main de la femme ». On se sert de cette main, soit parce que, étant celle des rapports sexuels, elle renvoie à l’idée de fécondité, soit en raison du lien particulier qui unit le blanc, la lune et la femme (3.1.7.e). Lorsque le kaolin est prêt, il est placé au pied du poteau central, audessous du collier.
156d) L’investiture elle-même a lieu dans l’après-midi. On commence par celle de l’aɓóí. Tout d’abord on lui confectionne son propre collier. Comme celui-ci ne comporte pas d’ingrédients secrets, la chose peut se faire à l’intérieur de la case rituelle. On verra néanmoins intervenir dans la préparation quelques-unes des représentations ou schémas symboliques qui étaient en jeu à propos du collier du mέná-gandjá. D’abord une fine liane, de l’espèce nommée εnda, est tendue horizontalement entre le poteau central de la case et un autre. Elle a été écorcée et débarrassée de ses nombreuses ramifications qui en font, comme de la liane djamba dont un morceau fut introduit dans le collier de son mari, un symbole de fertilité. Le mέná-gandjá qui préside fait alors une invocation en ces termes :
Bakikóngó, o, | Tous : O ! Bakikóngó, ô (3.1 7.b) Tous : Ô ! |
ɓésiá | Tous : Ea ! les galago Tous : Oui ! |
ɓáodjaɓa | Tous : Eá ! vont passer Tous : Oui ! |
ká masámba aɓóí. | Tous : Eá ! le long du collier de l’aɓóí. Tous : Oui ! |
Báyá, ɓákádjaɓέ ? | Tous : Bádjaɓέ, ê ! Frères, ne passeraient-ils pas ? |
157Puis, enserrant la liane à un bout dans une feuille d’amá-nyeɗe, il fait glisser celle-ci jusqu’à l’autre extrémité, où un second mέná-gandjá prend la feuille et revient, de la même manière, jusqu’au point de départ. Là, un troisième la reprend, et l’on se relaie ainsi, allant d’un bout à l’autre, jusqu’à ce que tous aient eu leur tour. On retrouve là, d’une certaine manière, l’image de l’osephe longeant sa branche, qui était à la base du collier des mέná-gandjá. Seulement, il s’agit ici du galago et, de plus, les maîtres de la circoncision s’identifient manifestement à l’animal durant la séquence. Cela ressort surtout du rapport entre leur geste et l’invocation qui introduit celui-ci. Le lecteur se souviendra que, dans le mythe qui fait de l’opération du singe osephe par l’écureuil ɓungú l’origine de la circoncision, l’homme qui assiste à la scène et deviendra ensuite le premier maître de la circoncision se nommait Αtóá-ɔphɔ. Ce nom signifie « Celui-quitransperce-les-feuilles », et s’applique aussi de façon toute particulière au galago qui est un symbole de la défloration (2.2.2.d). Si l’on fait donc intervenir cet animal dans le collier de l’aɓóí, plutôt que l’osephe qui ne renvoie qu’à la circoncision, c’est vraisemblablement parce que sa signification implique une allusion plus directe aux femmes.
158Il y a cependant une autre allusion qui joue à travers la feuille d’amányeɗe et les paroles de l’invocation. Dans cette dernière, il est question de djaɓá, et l’on se rappellera que ladite feuille sert à lubrifier la cordelette que l’on emploie dans l’épreuve qui porte ce nom. Hors l’allusion, il n’y a pas de raison de lubrifier le collier de l’aɓóí (5.3.4.c).
159La liane est ensuite détachée et l’on assied la femme du nouveau maître de la circoncision le dos contre le poteau central, tandis que toutes les aɓoi qui, avec leur mari, ont déjà achevé un premier cycle, prennent place en cercle, autour d’elle. Le mέná-gandjá président fait alors passer la liane tour à tour en dessous des genoux de ces dernières, derrière leur dos, en dessous des bras, derrière leur cou, et enfin devant celui-ci. Il reprend ainsi, mais en sens inverse, le mouvement des feuilles préparées pour la purification. Accumulant la force qui émane des mέná-gandjá, celles-ci devaient chasser le mal par le bas du corps, tandis que le collier doit accumuler celle qui émane des aɓoí pour prendre progressivement sa place au haut du corps de leur nouvelle consœur. De fait, les aɓoí se saisissent à ce moment de la liane et la tressent toutes ensemble sur elle-même, autour du cou de cette dernière. Elles doivent serrer le collier de telle manière que celle-ci ne puisse plus l’enlever en le faisant passer par-dessus la tête. Plus encore que son mari, l’aɓóí est constituée prisonnière de sa fonction. Lorsque le collier est bien en place, toutes les aɓoí acclament leur collègue au cri de « yóɓá ê ».
160Le président de la confrérie vient alors initier la nouvelle aboi au sens de son collier (ngoɗéá masámba). Cependant il ne s’agit pas, cette fois, d’une révélation officielle à laquelle sont invités les ɓantεndε. La nouvelle aɓoí n’est entourée que de ses collègues et la révélation elle-même se fait d’une voix si basse que nous n’avons pu en recueillir que quelques bribes. Nous avons donc dû recourir à des informations complémentaires. À travers une série d’images associant le collier au cerceau de pêche des femmes, et par là au maningé, ou à la sangle ronde (nkɔkɔ) faite d’écorce qui, traversant le front, retient sur le dos le bois à brûler et d’autres lourdes charges que portent les femmes, ou encore à la forme ronde des pots qui servent à cuire et à transporter l’eau, on inculque à l’aɓóí ses devoirs d’hospitalité à l’égard des hôtes de son mari et, par le biais des significations sexuelles du maningé, ses devoirs de fidélité conjugale (4.1.2.e). Son collier l’attache donc à son mari et à sa fonction, et est le garant de ce lien, avec l’ambivalence que cela comporte. S’il confère à l’aɓóí les droits d’exercer sa fonction et les pouvoirs pour le faire, c’est lui aussi qui se retournera contre elle — la force vengeresse de l’esomba — et l’étranglera, si elle ne se soumet pas à toutes les prescriptions de sa charge. La même chose avait été signifiée à son mari, lors de la révélation du sens des yendji (4.3.3.e).
161Après cette initiation, les aɓoí sont invitées à mettre leur nouvelle consœur en blanc. Elles lui appliquent, au cri de « yóɓá ê », une bonne couche de kaolin au milieu de la poitrine, puis étendent celle-ci en deux lignes qui remontent vers les épaules pour redescendre ensuite le long des bras.
162e) Entre-temps les préparatifs pour la circoncision de l’aphandja se sont déroulés normalement, selon l’ordre des célébrations ordinaires. C’est ainsi que, après l’investiture de l’aboi, on vient habiller et orner le jeune homme dans la case rituelle, pour le porter en triomphe à travers le village. Tout le monde quitte la case pour le cortège du gɓungɓúkíti, sauf les mέná-gandjá. Restés seuls à l’intérieur, ils procèdent à l’investiture de leur nouveau confrère.
163Celui-ci est adossé à son tour au poteau central, au haut duquel son collier pend toujours, tandis que les autres mέná-gandjá prennent place en cercle autour de lui, comme le firent les aɓoí pour leur consœur. Le président décroche alors le collier du poteau et le fait également passer sous les jambes, sur les genoux, contre le dos, contre la poitrine et enfin contre le cou de ses confrères, c’est-à-dire en sens inverse du mouvement suivi par les feuilles pour la purification. Le collier est ensuite rependu au poteau et le président prend place à côté du nouveau mέná-gandjá pour l’initier au sens de son collier. Il commence par comparer le poteau auquel il pend au phɔyɔ (Combretodendron africanum), un arbre élevé qui attire facilement la foudre et, se desséchant, devient alors un kákálá, symbole du lien avec les ancêtres (3.1.7.b). Seulement cet arbre héberge aussi deux espèces de parasites. Le premier est un grand scolopendre, mosombo, dont la piqûre est fort dangereuse. On compare à ce mille-pattes, enroulé sur lui-même, le collier qui pend là, au poteau, et qui, en raison de la force ambivalente qui lui est attachée, est considéré comme aussi dangereux que l’animal. Les autres parasites sont les chenilles comestibles phɔyɔ qui ont donné leur nom à l’arbre lui-même. La couleur noire et blanche de celles-ci a pour effet qu’on les compare d’abord aux peaux d’écureuil et de genette du collier, qui présentent les mêmes contrastes, et ensuite aux nombreux jeunes gens qui viendront se faire traiter au nouveau cycle et qui, avant l’opération, sont également peints en noir et blanc.
164Après cette initiation dont certaines images seront reprises dans une révélation analogue faite au moment où le collier sera enlevé, à la fin du cycle, et dont nous présenterons plus loin un texte complet (5.3.2.c), le collier est à nouveau décroché du poteau central. Remontant une fois de plus de bas en haut, le mέná-gandjá président le porte successivement aux chevilles, aux genoux, aux hanches, aux poignets de son nouveau confrère, en demandant chaque fois aux autres : Áɓε wà ? « Faut-il que ce soit ici ? » Chacune de ses propositions est rejetée par un bέndɔ ! « non ! » unanime, jusqu’au moment où, arrivé au cou, tous acquiescent par un vibrant yóbá ê !
165L’attribution du collier (makέá masámba) qui signifie surtout la remise des pouvoirs propres à la fonction et le droit d’exercer celle-ci7, est suivie de la mise en blanc (síá ɗɔphε) du nouveau mέná-gandjá. Celle-ci se fait avec le petit pot de kaolin, qui reposait au pied du poteau central, exactement de la même manière que pour l’aɓóí sauf que ce sont les mέná-gandjá qui, cette fois, appliquent la couleur. Ce geste, comme on sait, renvoie à l’entrée du nouveau maître de la circoncision dans l’esomba. Tout comme les jeunes gens à circoncire (3.3.1.a), ce dernier se présente donc autant comme sujet que comme objet de l’activité rituelle. En d’autres mots, c’est en traitant d’autres personnes qu’il sera guéri lui-même de ses afflictions (4.1.3.b).
166f) Ce principe qui est à la base de l’organisation rituelle s’illustre d’ailleurs immédiatement. Aussitôt après l’investiture du nouveau mέná-gandjá, le président fait battre le rythme du mitε sur le grand tambour à fente, afin de dégager la place publique des femmes et des incirconcis, et, pendant que l’orchestre des ɓakaɓíε fait son apparition, l’aphandja est circoncis au milieu de la place (ká ntangá) — et non plus en forêt comme ses quatre prédécesseurs, mais par le même ekoi qu’eux.
167On peut donc dire que la circoncision de l’aphandja constitue, elle aussi, un élément de cette investiture. D’ailleurs c’est elle qui, comme l’indique son nom, marque l’ouverture officielle du cycle. Elle ouvre celui-ci vers l’extérieur.
168Dérivé du verbe phándjá, aphandja signifie « celui qui disperse », et les spécialistes mentionnent diverses raisons pour lesquelles le jeune homme, circoncis à l’investiture, est appelé ainsi. Pour reprendre celles-ci dans l’ordre inverse de leur importance, il y a d’abord le fait que lorsqu’il arrive au village pour se faire opérer, les quatre premiers circoncis du cycle sont autorisés à « parler », c’est-à-dire à faire leur sortie individuelle de forêt, après quoi ils se dispersent pour rentrer chez eux (4.2.3.b). En outre, sa circoncision n’ayant plus lieu en forêt comme pour ceux-ci, mais sur la place publique, elle exige que l’on disperse les femmes et les incirconcis. Enfin, et c’est là le principal, sa circoncision s’accompagne d’une dispersion des fonctions, puisque c’est au moment où l’on rentre du bá á kantshátshá que sont distribuées les différentes responsabilités qui devront être assumées lors des célébrations plus cérémonieuses organisées à partir de là : responsabilité du monanga, les chants de la nuit des hommes, du maéndé, le choeur des femmes, du mosimbo, les danses de la nuit des femmes ; on désignera également à ce moment l’agaba, celui qui est préposé au partage de la nourriture durant les célébrations rituelles, et une autre personne qui aura à veiller sur les jeunes gens qui viennent se faire circoncire.
169De plus, il y a, à partir de là, une des responsabilités du cycle qui se verra dispersée à son tour mais d’une autre manière. Les cinq premiers circoncis du cycle — et cinq est pour les Komo le nombre parfait (cf. 1979, pp. 429-430) — ont dû être opérés par le même ekoi. Par contre, après la circoncision de l’aphandja, la fonction est ouverte, en principe, à tous ceux qui se proposent. Il est vrai que, pour ne pas mettre sa renommée en danger, le nouveau mέná-gandjá préférera travailler avec un ekoi en qui il a confiance et proposera donc celui-ci aux pères qui viennent discuter de la circoncision de leur fils. Mais les risques que comporte l’opération peuvent avoir pour effet qu’un père propose lui-même un homme en qui il a plus confiance. Le mέná-gandjá, normalement, accédera à sa demande. D’autre part, les prescriptions et interdits qui s’imposent à l’ekoi dans le domaine sexuel, comme ceux qui se rapportent à sa femme (3.4.3.e), entraîneront qu’en certaines périodes — comme lorsque sa femme est en début de grossesse, ce qui demande de fréquents rapports conjugaux (cf. 1980, p. 26), ou lorsqu’elle a ses régies — celui-ci ne pourra exercer ses fonctions. Dans ce cas, le mέná-gandjá devra faire appel à quelqu’autre.
170Par-delà tout cet ensemble de données, ce qui importe le plus, c’est que, avec la circoncision de l’aphandja, le cycle du gandjá est instauré de manière définitive et entre dans le domaine public. Avant elle, il n’était qu’en gestation et pouvait encore avorter. Tout se faisait en forêt, dans le secret, et l’on était prêt à interrompre le cycle sitôt que quelque malheur viendrait signifier que les ancêtres n’accordaient pas leur plein assentiment à la manière dont il avait été lancé. Avec l’aphandja le gandjá se manifeste dans toute la splendeur et la complexité de son rituel, et celui-ci se répétera désormais de la même manière pour tous les jeunes gens qui suivront. C’est ce qui explique, d’une part, pourquoi il faut que l’aphandja soit circoncis sur la place publique, ce qui est une façon plus solennelle et plus honorifique de procéder (3.4.3.d), et, d’autre part, pourquoi ceux qui viendront après lui n’ont plus besoin d’être désignés par un nom spécifique. Ils seront l’objet des célébrations ordinaires décrites au chapitre précédent, sauf les deux derniers qui seront associés aux rites de sortie qui marquent la fin du cycle, à décrire au chapitre suivant. Nous terminerons celui-ci par une note qui ne manque pas d’être révélatrice quant à la façon dont les Komo conceptualisent la circoncision.
171g) Les rites d’investiture auxquels nous avons assisté à onakina, dans la région d’osáyó, comportaient deux aphandja, à moins qu’il ne soit plus exact de dire que l’unique aphandja était deux jumeaux. Les jumeaux, en effet, sont souvent conçus comme ne formant qu’une seule personne et doivent toujours être circoncis en même temps. De plus, leur circoncision fait l’objet d’une ritualisation particulière. Celle-ci reproduit manifestement la coupure du cordon ombilical qui, à leur naissance, les retenait attachés entre eux, à leur mère et même à leur sœur ou à leurs autres siblings. En effet, les siblings, comme on le verra plus loin (5.4.2.e), sont toujours considérés comme reliés entre eux par le même cordon.
172Au moment où les femmes et les non-initiés furent chassés de la place publique pour que l’opération puisse avoir lieu, on banda les yeux et boucha les oreilles de la mère des jumeaux et d’une jumelle qui devait remplacer la sœur de ces derniers. Jumeaux et jumelles sont dits être tous frères et sœurs, même lorsqu’ils relèvent de clans différents. C’est pourquoi ils ne peuvent jamais se marier entre eux.
173Au lieu d’avoir reçu chacun, au moment où on les préparait pour la danse gɓungɓúkíti, un cordon mbuenga autour des reins, pour retenir leur pénis vers le haut après l’opération, les jumeaux furent reliés ensemble par une seule longue corde. On attacha également à cette corde leur mère et leur « sœur », puis, tandis que, tournés dos à dos, les jumeaux encerclaient celles-ci de leurs bras entrelacés, on trancha en même temps les cordes qui rattachaient entre elles ces quatre personnes et le prépuce des jumeaux.
174Il ressort clairement de cette pratique que le lien symbolique existant entre le nombril et le pénis (4.2.2.d) se double d’une analogie entre le sectionnement du cordon ombilical et l’ablation du prépuce. De surcroît, la séparation d’avec la mère, établie par le premier à la naissance, se double à son tour d’une séparation radicale d’avec le monde des femmes lorsque l’homme arrive à l’âge adulte. Cette dernière séparation, comme l’a montré le chapitre précédent, est fortement thématisée dans le rituel (cf. 3.3.2.g ; 3.3.3.c ; 3.5.2.c).
Notes de bas de page
1 Nombre d’éléments résumés ici ont été présentés ailleurs de manière plus circonstanciée (cf. 1980, pp. 64-67, 79-85). Nous nous permettons donc d’y renvoyer le lecteur.
2 La statuaire africaine, celle des Dogon par exemple, atteste par des correspondances plastiques que ce rapport existe également ailleurs.
3 Les rites de sortie qui marquent la fin du cycle en comporteront d’autres.
4 La plupart des chants présentés ci-dessous proviennent de la région de Kelenga.
5 D’autres danses du makpatíma, qui n’ont lieu qu’à la fin du cycle de la circoncision, seront présentées plus loin (5.1.5.b-e).
6 Dans la plupart des cas, un arbre et ses fruits portent le même nom.
7 On notera que, dans l’investiture, il n’est accordé aucune place au chapeau fait de la peau de l’antilope sɔndɔ que le nouveau mέná-gandjá pourra porter à partir de ce moment, alors qu’il en sera tout autrement du chapeau en cuir du petit crocodile qu’il recevra aux rites de sortie. Cette antilope a d’ailleurs si peu d’importance dans la culture que nous n’avons pas pu apprendre ou découvrir les raisons qui ont motivé son choix.
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