6. Matériel
p. 203-290
Texte intégral
Tradition orale
1On dispose de peu d’éléments pour reconstituer l’histoire des Guajiros à travers la tradition orale. Il est difficile, sur le terrain, de recueillir des récits racontant ce qu’a dû être l’histoire des Guajiros avant la Conquête. Dans la mythologie, en général, les récits « historiques » se confondent presque toujours avec le mythe d’origine qui relate le commencement du monde et la création de l’humanité ; ce mythe et ses variantes sont toujours les mieux connus et les plus volontiers racontés.
2Tel n’est pas le cas en Guajira. A la suite d’une enquête portant sur la mythologie, Perrin (1976, p. 121) note très justement : « Nous fûmes frappés par le faible intérêt que les Goajiro portaient à ces récits. Peu d’entre eux les connaissaient. La majorité n’en savait que les épisodes les plus frappants... » et, plus loin : « Aujourd’hui, Maleiwa (le démiurge) importe peu aux Goajiro » (id., p. 122). Bien que notre étude n’ait pas été orienté sur la mythologie, nous avons néanmoins eu la même impression et fait la même constatation.
3Mais les mythes d’origine ne sont pas nécessairement les seuls à prendre en compte ; en effet, des informations qui peuvent renseigner sur cette histoire apparaissent parfois dans d’autres catégories de mythes. C’est ainsi que certains détails se référant à un temps différent de celui du mythe d’origine sont contenus dans des récits concernant l’apparition des maladies ou des saisons. Malheureusement, il ne s’agit que de courts énoncés avec des éléments d’ordre très général. Les données que l’on peut obtenir à travers les mythes d’origine ou autres sont donc assez éparpillées et peu nombreuses.
4Si l’on considère l’ensemble des mythes qui peuvent apporter quelque information sur l’histoire, on constate qu’il existe deux types de discours différents. Selon le premier, les Guajiros actuels ont contraint les Indiens arhuacos — terme générique pour désigner les groupes de la Sierra Nevada — qui vivaient dans la Péninsule à abandonner leurs terres et à se réfugier dans la Sierra Nevada de Santa Marta. Cette origine extérieure des Guajiros est également rapportée par Caudmont dans un récit qui explique l’existence des maladies pendant la saison des pluies : « Les Indiens arhuacos vivaient jadis à Taroa et dans les montagnes au nord-est, au sud et à l’ouest de Bahia Honda. Arrivèrent les Guajiros qui chassèrent les Arhuacos qui durent s’enfuir vers la Sierra Nevada » (1953, p. 172). On peut voir la trace de cette fuite vers les montagnes dans un mythe cité par Hernandez de Alba dans lequel quatre frères chassent le tigre vers la Sierra Nevada où il subit les reproches des Arhuacos, ses parents (1936, p. 62).
5Inversement, certains personnages importants de la mythologie guajira sont originaires de la Sierra Nevada : c’est le cas de l’hiver, de l’été et du printemps (Caudmont, 1953, p. 168) qui se dirigent vers la Guajira pour apporter de l’aide à ses habitants souffrant du manque d’eau et d’aliments ; mais eux-mêmes succombent à la sécheresse et se transforment, dans différentes régions, en accidents topographiques caractéristiques.
6Enfin, à propos des Indiens cocinas, Caudmont rapporte un récit dont nous n’avons pas rencontré l’équivalent, selon lequel ces Indiens ont été déplacés de leur terre d’origine située « dans les forêts du fleuve Limon. Ils sont soudain chassés de leurs forêts par d’autres Indiens qui venaient du Sud » (1953, p. 174) ; puis ils s’emparent par la force des terres qu’ils habitent actuellement : « Ainsi s’emparèrent-ils des hauteurs du nord de la Péninsule » (id.) sans que les Guajiros puissent les en empêcher.
7Ce type de discours « historique » fait donc référence à des mouvements de population qui, venant d’ailleurs, envahissent la Guajira et qui, dans les deux cas, contraignent les groupes qui y vivaient à se déplacer, les uns vers le sud et les autres vers des régions non précisées. Il n’est peut-être pas impossible de voir un certain lien entre ces deux récits ; en effet, dans le premier, les Guajiros repoussent les Arhuacos et, dans le second, les Cocinas délogent les Guajiros, ce qui donnerait une succession de mouvements du sud vers le nord (2e récit) puis du nord vers le sud (1er récit). Il est cependant hors de question d’essayer de situer ces morceaux de récits et ces bribes d’information en un point quelconque du temps. Ce que l’on peut en retenir c’est qu’ils soulignent l’existence de flux migratoires, l’instabilité de l’occupation des territoires et qu’ils s’opposent par ces traits à un autre type de discours que les Guajiros tiennent également sur eux-mêmes.
8Selon ce deuxième type de discours, le démiurge Maleiwa a créé l’humanité — les wayu, c’est-à-dire les « gens » — dans la Péninsule même et lui a donné les plantes, les animaux sauvages et domestiques ; il l’a ensuite divisée en différents groupes et a mis le monde en ordre selon le schéma que l’on retrouve dans tous les mythes d’origine. Il s’agit, par rapport au premier, d’un discours figé où il n’est pas question de mouvements de population : dès le début du monde, les Guajiros étaient les seuls occupants de la Guajira avec tous les traits qui les caractérisent aujourd’hui. Si l’on ne peut s’empêcher de considérer le premier de ces discours comme plus « historique » et le deuxième comme plus « idéologique », la coexistence de ces deux discours présente néanmoins une contradiction, atténuée sans doute par le fait que les Guajiros montrent peu d’intérêt à leur égard.
9Il est certain que la presque totalité des sociétés indiennes ont dû adapter leur mythologie à certains événements ; ainsi les Européens ont-ils été intégrés aux mythes relatant la création de l’humanité et ce « bricolage » et cette adaptation ont été nécessaires pour que le groupe puisse survivre et conserver sa compréhension du monde et son pouvoir sur celui-ci.
10Sans préjuger de l’existence dans d’autres sociétés indigènes de discours contradictoires analogues à ceux des Guajiros, il est certain que toutes les sociétés n’ont pas eu à affronter les mêmes forces extérieures, l’impact de celles-ci ayant été très variable selon les cas. Il a fallu que les Guajiros adaptent leur mythologie (c’est-à-dire ce qui légitime l’existence du groupe) à l’économie nouvelle, en faisant, d’une certaine façon, table rase du passé, ce qui est une entreprise plus considérable que de glisser dans un mythe d’origine les Blancs, les Noirs ou la machette. A partir de là, on peut se demander si la restructuration de la mythologie, rendue nécessaire par le changement, n’a pas dépassé les capacités idéologiques de la société guajira, ce qui expliquerait le désintérêt des Guajiros à l’égard du discours qui se rapporte à leur origine. Le « pragmatisme » que l’on observe chez la majorité d’entre eux, la contradiction entre les discours que l’on pourrait nommer « idéologique » et « historique », mais aussi leur coexistence, ne sont peut-être que la conséquence des profonds changements subis par la société guajira et le reflet de son incapacité à intégrer pleinement au niveau de la mythologie ce qu’elle a pu intégrer à celui du système des valeurs et d’une certaine partie de l’idéologie. Que « Maleiwa importe peu aux Guajiros » peut donc signifier qu’ils ont « évacué » toute une partie de la structure idéologique qui posait un problème qu’ils n’ont pas eu la possibilité ou la volonté d’adapter.
11Parmi les groupes indigènes voisins de la Guajira, les Indiens de la Sierra Nevada de Santa Marta, que les Guajiros désignent sous le nom d’Arhuacos, occupent une place à part. On a vu qu’ils étaient considérés comme les premiers habitants de la Péninsule d’où les Guajiros les avaient chassés. Par ailleurs, le tigre, expulsé de la Guajira, se réfugie dans la Sierra Nevada et encourt les reproches des Arhuacos, ses « parents ». Enfin, l’été, le printemps et l’hiver sont originaires de la Sierra Nevada. En de nombreuses occasions, ce rapport privilégié mais aussi ambigu s’exprime dans le discours mythique : les Guajiros apparaissent comme supérieurs — car ils chassent les Arhuacos de la Guajira ; mais, en donnant naissance aux maladies, les Arhuacos dominent, en un sens, les Guajiros ; de la Sierra Nevada partent les saisons pour venir en aide aux Guajiros... Enfin, cette fois dans un temps historique, en 1794 ou 1795, des Guajiros sont allés jusqu’au Valle de Cototama dans la Sierra Nevada, afin d’essayer de convaincre les Kogi de s’allier avec eux et de se révolter contre les Espagnols (Reichel-Dolmatoff, 1951a, p. 111 ; Friede, 1973, p. 140).
12Il est sans doute difficile de caractériser clairement les relations entre les deux groupes. Aujourd’hui, les Guajiros craignent les Arhuacos ; ils leur attribuent certains pouvoirs, comme la maîtrise de la magie et du surnaturel avec lesquels eux-même ne peuvent lutter. Bien que les Arhuacos appartiennent à la catégorie des « autres » et bien qu’un groupe se pense en opposition, aucun des deux mots qui, pour les Guajiros, couvrent les « autres », ne s’applique aux Arhuacos. Le terme de alijuna désigne tous les étrangers non indiens alors que kusina englobe les groupes d’Indiens voisins, comme les Bari ou les Yuko, considérés comme « sauvages » par les Guajiros à cause de leurs coutumes et de leur alimentation. Ce dernier terme désigne également, on l’a vu, une région de la Guajira et ses habitants qui appartiennent pourtant à la société guajira ; il exprime un jugement de valeur : les Cocinas sont plus pauvres, moins « pasteurs », plus agressifs et plus barbares que les Guajiros. Que le même terme soit appliqué à des groupes tout à fait extérieurs et à une fraction du groupe guajiro lui-même n’est pas sans rappeler les sens très différents que peut recouvrir le mot « sauvage » dans notre langue ; et il est évident que, pour les Guajiros, le « sauvage-dans-le-groupe » n’est pas sur le même plan que le « sauvage-hors-du-groupe ».
13De même que la mythologie guajira mentionne les Arhuacos, ceux-ci — et dans le cas présent les Kogi — font état des Guajiros lorsqu’ils localisent les différentes tribus de la Sierra Nevada avant la Conquête (Reichel-Dolmatoff, 1977). D’après certains récits, la réciproque n’est cependant pas complète car ils ne comportent pas de jugement de valeur sur les Guajiros et ne rapportent aucun contact entre les deux ethnies : les Guajiros ne sont qu’un groupe voisin qui ne semble pas avoir joué un rôle quelconque pour les Kogi. D’autres récits, en revanche, soulignent le caractère sauvage et cruel des Guajiros qui a obligé les Arhuacos à les éliminer (Reichel-Dolmatoff, 1949-1950, p. 277). A propos de quelques sous-groupes ou clans kogi, dans lesquels Reichel-Dolmatoff voit les descendants des Guanebucanes, certains passages de ces récits laissent clairement apparaître qu’ils sont venus d’ailleurs, de la côte de Dibulla, qu’ils étaient différents des Kogi et que certaines différences subsistent. Mais ils ne sont pas reliés pour autant aux Guajiros et les Kogi ne semblent pas avoir eu de contact avec les Guajiros à traver les Guanebucanes.
14Comme l’écrit Reichel-Dolmatoff, les données « historiques » des Kogi sont à prendre avec précaution : « Il est évident qu’il faut prendre ces traditions des Kogi cum grano salis mais nous ne pensons pas qu’elles soient dénuées pour autant de toute valeur » (1977, p. 92). Dans leurs récits, les Kogi distinguent deux périodes, l’une mythique et l’autre qu’ils considèrent comme historique. Au cours de la première, parmi tous les groupes de la Sierra Nevada : « Aux sources du Rio Ancho et du Rio Palomino vivaient les Beissi (Beintsi, Beissi-taya), groupe que les Kogi identifiaient comme une tribu de la Guajira » (id., p. 88). Au cours de cette période, les Kogi étaient plus ou moins en guerre incessante avec tous les groupes. Une de ces guerres amena d’ailleurs l’extermination des Beissi : « Au-dessus de San Francisco, à Spafamaque et aussi plus haut que Noavaka, dans la vallée de Hukumeiji, vivaient alors les Beissi (Beintsi, Beissi-taya). C’étaient des Guajiros (Uahiuahi) et ils ne portaient pas de vêtements. Ils étaient “très méchants” et tuaient les femmes kogi quand ils les rencontraient seules. “Un jour ils tuèrent la fille de marna Kakashambanchi et ce dernier tua alors tous les Beissi. Il les prit avec sa lance sous la mâchoire, les souleva et les jeta au sol jusqu’à ce qu’ils meurent. Le Tremblement de terre (kaxshata) vint l’aider et ils les exterminèrent tous” » (Reichel-Dolmatoff, 1949-1950, p. 277). Quand commence la seconde période, les tribus mythiques ont été soumises ou exterminées et seuls les Kogi et les groupes qui leur sont alliés habitent la Sierra Nevada ; parmi ceux-ci, « Encore plus à l’est, sur la côte de Dibulla, vivaient les Duanabuka, et au-delà de ces derniers vivaient les Guahiju (ou Uahiuahi), c’est-à-dire les Guajiros » (id., p. 89).
15On remarque d’abord que le nom de Beissi-taya comporte la suffixation taya (« je », sujet ou objet) propre au guajiro (arawak) qui n’existe pas en kogi (chibcha), ce qui renforce leur identification en tant que groupe de la Guajira. On remarque ensuite qu’entre les Kogi et les Guajiros se trouvaient les Duanabuka et que, si les Kogi ne font que situer les Guajiros, ils précisent en revanche l’origine des Duanabuka : « On dit que la plus grande partie de la tribu se retira de la côte à l’époque de la Conquête (“il y a 22 générations”) et monta vers les vallées de la “Terre d’Aruaka”, c’est-à-dire la vallée du Rio Ancho où ils occupaient les villages de Geija, Jalindua, Bonga, Kagexa, Nitua et Aruaka. Les Duanabuka parlaient une “autre langue” et, en s’établissant dans la “Terre d’Aruaka”, les Kogi de la région commencèrent à épouser leurs femmes (les Nugé-nake et les Mitamdu). Ces groupes de la tribu duanabuka qui émigrèrent vers les pentes de la Sierra reçurent plus tard les noms suivants : ceux de Bonga s’appelèrent “Malabu” et ceux de la région du village actuel de Pueblo Viejo “Ulaba” » (id., p. 91). Un autre clan kogi, celui des Mitamdu, est originaire de la côte de Dibulla : « les Kogi disent que dans le passé, les Mitamdu parlaient une autre langue et ils considèrent ce clan comme un élément étranger qui, selon eux, se distingue aussi par le physique, car ils ont “le visage rond et rouge” et ils sont gros. Ainsi, d’après les traditions kogi, le “dake” actuel (c’est-à-dire un matri-clan) des Mitamdu représente apparemment des vestiges de la tribu ancienne des Guanebucanes » (id., p. 94). De même, le clan des Doana-tuxe « semble représenter les descendants des anciens Guanebucanes réfugiés aujourd’hui chez les Kogi et absorbés par eux » (id., p. 94). Enfin, les Guanebucanes n’ont pas été les seuls à se fondre dans le groupe kogi : « la tribu actuelle des Kogi est donc composée par l’ancien noyau kogi et par des éléments guanebucan, tairo, matuna et même sanka, intégrés dans l’organisation sociale ancienne » (id., p. 95).
16Pour une certaine tradition orale guajira, les Arhuacos de la Sierra Nevada participent donc de l’ordre guajiro, qu’ils soient des adversaires que les Guajiros repoussent ou des agents mythiques qui façonnent le monde guajiro. En revanche, le monde arhuaco semble s’être créé sans les Guajiros mais son histoire s’est faite avec les Guanebucanes. Dès le début du XVIIe siècle, la Sierra Nevada et la Guajira étaient les seules régions réellement indigènes de cette partie du littoral. D’après les Kogi et l’hypothèse faite plus haut, elles auraient servi de zones de refuge à des groupes parfois culturellement et linguistiquement différents, parfois semblables, que la Conquête espagnole a rejetés hors de leur habitat primitif ; et si elles ont, par la suite, évolué de façon différente, elles restent aujourd’hui l’une comme l’autre spécifiquement indigènes.
Données archéologiques
17Les fouilles archéologiques effectuées dans le sud de la Guajira posent le problème de la valeur de l’information qu’elles peuvent fournir pour éclairer le genre de vie des habitants de la Péninsule avant la Conquête. Toutefois, le problème est plus réel pour le premier ensemble archéologique fouillé dans les années 1950 par Reichel-Dolmatoff.
18Il y a, d’un côté, des sites qui sont extérieurs par rapport à la Guajira proprement dite et situés à environ une centaine de kilomètres de son centre et qui, de plus, ont été abandonnés « bien avant la Conquête ». Ils sont plus à proximité du versant nord-est de la Sierra Nevada et de la Serranía de Perijà que de la Guajira et les cultures qui les occupaient se sont étendues vers le sud, dans le bassin du Rio Cesár où elles ont rencontré des cultures de la région du Magdalena avec lesquelles elles se sont mélangées (Reichel-Dolmatoff, 1951, p. 208). Mais, par ailleurs, il est difficile d’écarter ces sites, dans la mesure où ils représentent l’un des deux ensembles archéologiques de la région et où la distance qui les sépare de la Guajira n’est pas si grande : 100 km du centre mais beaucoup moins de régions qui seront territoires guajiros au XVIIIe siècle et même avant. Le bassin du Rio Rancheria est aussi une zone de passage entre la Guajira et le Valle d’Upar et faisait partie de la région occupée par les Coanaos. Enfin, en l’absence de fouilles dans la Guajira même, on ne peut affirmer que les habitants de ce bassin se soient exclusivement dirigés vers le sud et qu’ils n’aient eu aucun lien avec ceux de la Guajira.
19Sur un total de trente-cinq sites reconnus et localisés dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres autour de Barrancas, cinq ont fait l’objet de fouilles stratigraphiques ; ces derniers se trouvent soit sur la rive du fleuve, soit dans la vallée, à proximité immédiate de la ville. Ils ont permis d’établir une chronologie en quatre périodes : Loma, Horno, Cocos et Portacelli qui correspondent à deux occupations des sites par des cultures distinctes, celle des périodes Loma, Horno et Cocos, d’une part, et Portacelli, d’autre part. Entre ces deux cultures, le changement semble s’être fait de façon brusque ce qui suggère, plutôt qu’une lente pénétration, la conquête de la région par les gens de Portacelli.
20En l’absence de datation au carbone 14, les dates que l’on peut attribuer à ces périodes sont très vagues ; pour celles de Loma et Horno, « il s’agit de développements culturels qui ne sont probablement pas antérieurs au début de l’ère chrétienne... » (id., p. 189). Quant à la période Portacelli, elle a disparu « à une époque bien antérieure à la Conquête » (id., p. 208). Elle correspond par ailleurs, dans sa phase la plus récente, à la plus ancienne des trois périodes que Reichel-Dolmatoff distingue dans la Sierra Nevada, celle qui connaît déjà la construction de terrasses pour les cultures mais où n’apparaît pas encore l’architecture lithique.
21L’abondance du matériel céramique de différents styles dont certains dépôts peuvent s’étendre sur plusieurs kilomètres, le grand nombre d’établissements humains dans la région, la présence de métates, de céramiques plates pour la préparation de galettes de manioc ou de maïs et l’absence presque complète d’ustensiles de pêche et de chasse, indiquent que ces sites ont été occupés pendant de longues périodes par des populations sédentaires relativement denses, vivant dans des habitations permanentes groupées en villages importants et que, dans toutes les périodes, l’économie de subsistance se fondait principalement sur l’agriculture (id., p. 191).
22Les indications de relations commerciales avec d’autres groupes sont inexistantes pendant la première période ; des traces apparaissent pendant la seconde — poteries d’origine extérieure — et s’intensifient pendant la période Portacelli : le grand nombre de coquillages marins indiquent des relations avec le littoral.
23A partir de ces éléments et de l’abandon des sites, Reichel-Dolmatoff remarque la différence entre les conditions écologiques passées et présentes. Il existait auparavant d’épaisses couches d’humus sur lesquelles ont été trouvées les céramiques, et les cours d’eau étaient beaucoup plus abondants. Aujourd’hui, cette région se caractérise par une grande aridité ; comme un changement climatique est à la fois improbable et invérifiable, ces conditions suggèrent un assèchement progressif causé par une forte pression biologique (id., p. 193). Une des causes principales de cette aridité serait, d’une part, le type d’agriculture pratiquée sur les pentes de la Sierra Nevada : la culture intensive du maïs et du manioc, avec terrasses et irrigation, a contribué fortement à la déforestation et à l’assèchement des cours d’eau qui descendent vers le Rancheria. Si, d’autre part, on compare les conditions climatiques des différents versants de la Sierra Nevada, on remarque que celui du sud-est offrait les meilleures conditions écologiques ; c’est dans cette zone que l’on rencontre les sites archéologiques les plus anciens et elle est, aujourd’hui, dépourvue de forêts et de terres cultivables. Le versant nord n’offre pas des conditions aussi bonnes, mais c’est dans cette région que les Espagnols ont eu à affronter une population indigène très dense. C’est pourquoi il est probable que les agriculteurs de la Sierra Nevada ont effectué un mouvement semi-circulaire, du versant sud-est — le plus favorable — au versant nord — le moins favorable — en passant par celui du nord-est d’où descendaient les affluents du Rancheria, au fur et à mesure que « leur système parasitaire de déforestation provoqua la formation de zones stériles [...]. La disparition évidente des cultures aborigènes du Rio Rancheria [...] fut la conséquence du développement d’une haute culture dans le voisinage immédiat dans un milieu géographique très différent qui priva les agriculteurs habitant les basses terres de leur artère vitale » (id., p. 197).
24Les conclusions que l’on peut tirer (en suivant Reichel-Dolmatoff) de l’observation de ce premier ensemble de sites sont de deux types. Les premières portent sur l’habitat, la densité et l’économie des populations du cours moyen du Rio Rancheria ; elles montrent notamment que, dans les dix premiers siècles de notre ère, l’agriculture entrait pour une part importante dans l’ensemble des activités de subsistance et que, lorsque les groupes ne pouvaient plus la pratiquer, ils abandonnaient leur habitat plutôt que d’adapter leur économie, dans la mesure, bien entendu, de la disponibilité des terres libres ou à conquérir. Ce point rejoint la discussion sur l’évolution des activités de production et de la « régression » technique. Quand un habitat n’est plus « viable », l’alternative se pose en ces termes : il faut soit trouver d’autres terres équivalentes, soit, quand cela s’avère impossible, adapter son économie. Si, avant la Conquête, le premier choix pouvait être envisagé — encore que l’Amérique du Sud fût loin d’être faiblement peuplée —, après la Conquête, les groupes survivants furent contraints à se reporter sur le second choix mais aussi à trouver d’autres terres. Ce processus de marginalisation — qui devait également exister avant la Conquête — a conduit certains groupes à accroître, par exemple, la part de leur économie consacrée à la chasse et la cueillette au détriment de l’agriculture. Ainsi, l’hypothèse d’un exode vers des terres « libres » (c’est-à-dire pauvres et marginales) se trouve-t-elle renforcée.
25Le deuxième type de conclusions vient nuancer la parfaite adaptation au milieu naturel que l’on attribue volontiers aux techniques agricoles indigènes. L’exemple de la Sierra Nevada suggère que ces techniques ne sont pas nécessairement inoffensives sur le plan écologique et qu’elles peuvent parfois provoquer l’abandon d’un milieu qu’elles ont épuisé.
26Le second ensemble de sites se trouve à l’est de la partie sud de la Guajira. Le premier d’entre eux, dit « Rancho Peludo », est situé sur le Rio Guasare (Rouse et Cruxent, 1963), le second au bord de la lagune du « Gran Eneal », à environ 9 km du littoral (Gallagher, 1976). La datation au carbone 14 permet, à l’inverse des sites de Barrancas, d’obtenir une chronologie beaucoup plus précise.
27L’occupation de « Rancho Peludo » va de 1860 à 445 avant notre ère et, selon la chronologie générale établie pour le Venezuela (Rouse et Cruxent, 1963), elle correspond aux époques méso-indienne et néo-indienne II. La présence de morceaux de deux plaques en terre utilisées pour cuire la farine indiquent « que les habitants de Rancho Peludo avaient déjà commencé à cultiver le manioc dont ils faisaient du pain ou, au contraire, qu’ils pratiquaient la collecte du manioc sauvage. Dans les deux cas, il est improbable que cette plante ait été la nourriture principale car les plaques sont bien moins communes que dans les sites néo-indiens postérieurs. Les Indiens de Rancho Peludo vivaient sans doute principalement de gibier et de végétaux sauvages » (id., p. 49). Il s’agit donc de populations relativement fixes, commençant peut-être à pratiquer l’agriculture qui, de toute façon, ne constituait pas l’essentiel des ressources. La longue durée de l’occupation du site et une économie de subsistance fondée surtout sur la chasse et la cueillette, traditionnellement associées au nomadisme, peuvent sembler contradictoires ; en fait, cette contradiction n’est qu’apparente car, comme le rappelle Lévi-Strauss, par exemple, certains chasseurs-cueilleurs peuvent être considérés comme sédentaires : « certains chasseurs-cueilleurs sont nomades alors que d’autres vivent dans des résidences permanentes » (Lee et De Vore, 1973, p. 344).
28Le site de La Pitia a fait l’objet de fouilles et d’une étude très minutieuses. Situé aujourd’hui au bord d’une lagune et à 9 km environ du littoral est de la Péninsule, il s’étendait, à l’époque de son occupation, à l’embouchure d’un des bras du Rio Limon — que forment les rios Sucuy et Guasare. L’occupation de ce site a été ininterrompue, commençant avant l’an 1000 av. J.C. pour se terminer vers 1550 environ, c’est-à-dire durant plus de vingt-cinq siècles qui se répartissent en trois phases d’inégale durée. La phase kusu appartient à l’époque méso-indienne et se termine vers l’an 1000 av. J.C., quand commence la phase hokomo qui couvre vingt siècles et les périodes II et III de l’époque néo-indienne ; la dernière, la phase siruma (époque néo-indienne, période IV) commence en 1000 ap. J.C. et se termine vers 1550, au moment de l’abandon du site et de l’arrivée des Espagnols. Si ces trois phases correspondent aux trois « styles » de poteries que l’on rencontre à La Pitia, elles coïncident également avec trois économies de subsistance et même, serait-on tenté de dire, avec trois étapes différentes d’une même culture.
29Telles qu’elles ont été établies par Gallagher (1976, p. 154-171), les reconstructions culturelles et écologiques pour les trois phases sont les suivantes. La principale caractéristique de la phase kusu (mot qui signifie « pêcheur » en guajiro) est la grande abondance de débris de poissons de toutes sortes qui sont totalement absents dans les autres phases. Les gens du Kusu n’utilisaient sans doute pas de filet, objet dont l’existence n’est certaine qu’à partir de la phase siruma pour laquelle, paradoxalement, on ne trouve pas de restes de poissons : les filets étaient vraisemblablement destinés à d’autres usages, comme le portage, par exemple. On trouve également des restes d’autres animaux (tortues, reptiles, petits mammifères non identifiables) mais ils sont en relativement moins grand nombre que les poissons. On note, enfin, l’absence de coquillages qui constitueront la ressource principale pendant la phase suivante. Poissons et coquillages étaient certainement présents au cours des deux phases mais semblent s’exclure : cette exploitation exclusive d’une ressource peut se comparer à la préférence des Guajiros actuels pour la viande de bœuf ou de chèvre et leur mépris pour les coquillages ou le poisson. Ce changement de ressource principale est d’autant plus surprenant que le « style » de poterie montre une continuité culturelle entre les deux phases et que l’on doit écarter l’hypothèse d’une conquête des gens de la phase kusu par ceux de l’Hokomo.
30Les maisons, sans doute en argile recouvrant une armature végétale, étaient situées sur la rive du fleuve et non sur le littoral lui-même. Cet habitat et ce type de construction trouvent leur confirmation au cours de la phase suivante. Les gens de la phase kusu, enfin, pratiquaient deux enterrements successifs, le premier en terre, le second généralement dans des urnes, sans présence d’offrandes dans la sépulture, à la différence des phases suivantes.
31La phase hokomo est, sans conteste, la plus riche des trois. La céramique présente une grande variété de formes et de décors : des ornements corporels apparaissent, dont certains sont originaires d’autres régions ; on note également la présence de pierres polies dans les sépultures. La pêche a été complètement abandonnée et a été remplacée en partie par la collecte de coquillages. La présence de métates qui coïncide avec le début de la phase indique en effet soit la pratique de l’agriculture soit la cueillette de plantes sauvages. Comme, d’une part, d’autres travaux archéologiques ont permis de constater que le passage entre la collecte de plantes sauvages et leur domestication peut s’effectuer rapidement et que, d’autre part, la phase hokomo s’est étendue sur une longue période, il est vraisemblable que les gens de l’Hokomo pratiquaient une agriculture rudimentaire (sans doute le maïs) sans que cela exclue toute collecte de plantes sauvages. La chasse, enfin, ne semble pas avoir contribué à l’alimentation si ce n’est de façon tout à fait occasionnelle.
32Le type de maison est le même que celui déjà entrevu à la phase précédente mais la zone habitée a considérablement augmenté. Selon Gallagher, le type d’établissement de cette phase correspond à un type intermédiaire entre le village semi-permanent et le village permanent, ce qui implique l’existence d’une certaine stabilité des ressources ou même d’un surplus économique. Ressources stables, mais aussi économie diversifiée qui permettent une occupation permanente du site et un certain développement de la culture. Tous ces éléments tendent à indiquer qu’il s’agissait d’une société qui possédait des ressources plus que suffisantes, permettant l’existence d’une spécialisation dans certaines activités comme le suggèrent la variété et la distribution des poteries.
33Vers la fin de la phase commence à disparaître ce qui en faisait sa spécificité : la poterie s’appauvrit et on ne trouve plus d’ornements corporels. Il semble que la cause en soit l’assèchement progressif de la rivière qui, en affectant la pratique de l’agriculture, a provoqué ce rétrécissement de la « culture » hokomo qui laisse la place à la phase siruma.
34Les tendances observées vers la fin de la phase hokomo ne font que se préciser durant la phase siruma ; outre la disparition des traits déjà mentionnés, les sépultures ne comportent plus d’offrandes et l’orientation de l’économie change. Sans qu’il soit possible d’affirmer que l’agriculture n’est plus pratiquée, certaines ressources inutilisées jusqu’alors commencent à être exploitées. Coquillages marins et escargots de rivière disparaissent mais on trouve en revanche des escargots terrestres ainsi que des restes de cervidés, de pécaris et un grand nombre d’os de mammifères non identifiables. Dans les niveaux supérieurs de la phase, on trouve également des fragments d’os d’animaux domestiques (chèvres, vaches et porcs), ce qui permet de situer l’abandon du site vers 1550. L’absence d’objets espagnols dans ce niveau indique que ces animaux ont été volés ou chassés et non pas échangés ce qui confirme l’importance de la chasse et donne des indications sur la nature du contact entre Indiens et Espagnols.
35Cette dernière phase marque donc le début de l’histoire ; l’abandon du site est certainement dû au bouleversement du milieu naturel mais l’arrivée des Espagnols ne lui est sans doute pas étrangère. Il faut noter, enfin, que des tessons de céramique de style colonial et des poteries guajiras faites par des clans autres que ceux qui habitent aujourd’hui les environs du site ont été trouvés dans la couche de sable qui recouvre le site mais ces poteries ne signifient pas une réelle occupation de l’endroit.
36L’analyse des conclusions des fouilles effectuées dans ces deux sites permet d’éclairer la nature des établissements et l’économie de subsistance des populations du sud de la Péninsule avant la Conquête. Que les sites du Rio Rancheria aient été occupés par deux populations successives pendant une période relativement courte et que La Pitia l’ait été beaucoup plus longtemps par une même population, donne des informations sur la mobilité des groupes et les raisons qui ont provoqué ces mouvements. Dans le premier cas, l’abandon du site est peut-être dû au type d’agriculture des populations de la Sierra Nevada et, dans le second, à l’ensablement progressif d’une rivière auquel est venue s’ajouter l’arrivée des Espagnols. S’il est difficile de voir dans les groupes du Rancheria les « ancêtres » des Guajiros, ceux de La Pitia en revanche, peuvent être assimilés aux Eneales, Aliles ou Paraujes des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles dont certains ont pu devenir éleveurs et d’autres conserver la pêche comme ressource principale.
37Au moment de la Conquête, si l’on en croit les chroniqueurs, la Guajira était habitée par des bandes de chasseurs-cueilleurs nomades qui ne restaient que deux ou trois jours au même endroit ; sans mettre en doute ces textes, on ne peut caractériser les Guajiros comme étant exclusivement des chasseurs-cueilleurs nomades car, à la même époque, existaient des villages permanents dont les habitants pratiquaient l’agriculture. Il est vrai que, dans le cas de La Pitia, la part de la chasse dans l’économie avait augmenté et que celle de l’agriculture avait diminué au moment de la Conquête, ce qui pouvait amener les gens de La Pitia à effectuer des expéditions de chasse et à devenir nomades pendant quelques jours. Tel était peut-être le cas de ces Indiens nomades mentionnés par les chroniqueurs.
38Si l’on considère cependant l’hypothèse de la Guajira devenant zone de refuge, l’existence de ces bandes de chasseurs nomades paraît moins improbable pour des groupes chassés de leur habitat traditionnel par la Conquête et devant faire face à des conditions nouvelles. Que ces nomades soient des groupes déplacés ou qu’ils soient des habitants de la Guajira (ces deux hypothèses ne s’excluant nullement), l’essentiel est qu’ils sont devenus chasseurs-cueilleurs nomades, que ce soit à cause de la Conquête — ou d’une conquête — ou d’un changement du milieu naturel dans lequel ils vivaient. Passer de l’agriculture à la chasse et à la cueillette est un changement d’économie de subsistance mais aussi une régression technique, non pas dans un sens issu de l’évolutionnisme qui, précisément, nie cette possibilité, mais parce que les activités techniques sont moins nombreuses, moins complexes, moins diversifiées et que la culture s’en ressent, comme le montre le passage de la phase hokomo à la phase siruma.
39Certains groupes de la forêt tropicale — ou, devrait-on dire, qui habitent actuellement cette forêt —, ont perdu la poterie alors que d’autres ne pratiquent plus l’agriculture que comme activité d’appoint. Les habitants de la Guajira ont sans doute également connu cette régression avant que l’élevage des animaux domestiques amenés par les Espagnols ne constitue une solution de rechange permettant à une population assez nombreuse de survivre et d’augmenter.
40Avant que la chasse et la cueillette ne prennent de l’importance, ces groupes exploitaient des ressources stables et vivaient dans des villages. A partir de là, la matrilinéarité actuelle des Guajiros, anormale à double titre puisque chasseurs-cueilleurs et pasteurs-nomades sont très rarement matrilinéaires, est moins surprenante. Il s’agit de la survivance d’un trait de l’organisation sociale de groupes dont l’économie se fondait sur des ressources stables et fixes — comme l’est l’agriculture associée à la collecte de coquillages — et cette filiation s’est maintenue lors des deux changements d’économie qu’ont successivement connus ces groupes.
41L’information que livre la phase siruma s’arrête au moment de l’arrivée des Espagnols dans la Péninsule. C’est maintenant les documents écrits qu’il faut considérer pour pouvoir poursuivre cette ethnohistoire des Guajiros.
Textes écrits
Du premier contact à la Mission capucine : 1500-1694
42On ne sait avec précision quel a été le premier Européen à fouler le sol de la Guajira ; est-ce Alonso de Ojeda ou Rodrigo de Bastidas entre 1499 et 1502 ou les « gouverneurs » allemands du Venezuela, Ambrosio Alfinger en 1528 ou Nicolas Federman en 1534 ? Il est d’ailleurs fort possible que le premier Européen ait été un navigateur venu des Antilles pour se procurer des esclaves sur la Terre-Ferme et dont l’histoire n’aura pas retenu le nom.
43Chercher à savoir quel a été cet homme présente à la foi peu d’intérêt et un certain danger : danger de tomber dans l’anecdote qui détourne de l’histoire. L’important, dans le cas présent, est de déterminer où et avec qui s’est fait ce contact et ce qu’en disent les documents espagnols disponibles.
44Il semble, en fait, qu’avant 1502, Rodrigo de Bastidas et Alonso de Ojeda avaient déjà reconnu la Guajira et ses côtes. Le but de ces voyages était d’explorer les côtes de la mer des Caraïbes, à la recherche d’un passage vers la mer du Sud et vers les Indes : les péninsules de la Guajira et de Coro étaient considérées comme des îles et les golfes du Venezuela et de Maracaibo comme l’ouverture conduisant à cette mer du Sud. Mais tout en reconnaissant les côtes, les navigateurs, Ojeda comme Bastidas, se livraient au commerce de l’or, des perles et des esclaves. Bastidas avait même laissé un de ses lieutenants dans la province de Seturma (ou Citurma), c’est-à-dire la région de la Guajira comprise entre Riohacha et la Sierra Nevada, pour qu’il apprenne les langues indigènes (Friede, 1960, p. 11) et Ojeda le rencontrera dans le port de Santa Cruz où il avait décidé de fonder la Gobernación de Coquibacoa en 1502.
45Le lieutenant Juan de Buenaventura est sans doute le premier à avoir reconnu la Péninsule et à l’avoir, sans doute, traversée car, parti de Seturma, qui est « Tierra Nevada » à cause des neiges éternelles de la Sierra Nevada que l’on voit de cette région, il trouve Ojeda à Santa Cruz que Ramos (1962 et 1976) situe à l’est de la Guajira, vers la lagune de Cocinetas, et non pas, comme d’autres auteurs, dans la région de Bahia Honda à laquelle la description que fait Ojeda ne correspond pas. Malheureusement, il ne semble pas que Buenaventura, seul pendant plusieurs mois dans la Guajira, ait laissé un récit de son séjour. Il aurait pu en être de même pour la période qu’Ojeda et ses hommes ont passée à Santa Cruz ; heureusement, les associés d’Ojeda lui intentèrent un procès en l’accusant de n’avoir pas respecté ses engagements.
46Certaines pièces de ce procès permettent d’obtenir quelques informations sur les habitants du nord-est de la Péninsule de la Guajira. Le choix de la côte est de la Guajira pour y fonder un des premiers établissements espagnols de cette région tient essentiellement aux conceptions géographiques de l’époque : la Guajira était une île et occupait une position stratégique à l’entrée du golfe du Venezuela et du passage vers la mer du Sud et les Indes et, par conséquent, Santa Cruz permettait de contrôler l’entrée de ce passage. Mais l’intérêt stratégique de cette côte s’est évanoui dès que les Espagnols se sont aperçus que ce passage ne menait pas vers les Indes.
47En 1502 donc, Ojeda fait construire un fort et quelques maisons par ses hommes qui, plus tard, se révolteront contre lui. Selon ses déclarations, « dans ladite terre, il y avait maïs, ajos et manioc en abondance, de façon qu’on pouvait tout avoir quand on le voulait1 (Torres de Mendoza, 1883, t. 39, p. 82). Pour la construction des maisons et du fort, Ojeda n’utilisa pas la main-d’œuvre indigène « pour éviter que des mesures autoritaires ne provoquent la fuite des indigènes ou leur hostilité » (Ramos, 1976, p. 99), mais seulement les gens qui l’accompagnaient et « dans ces constructions et ces travaux il fatigua beaucoup de gens, les faisant travailler alors qu’ils étaient malades sans leur fournir l’alimentation à laquelle ils avaient droit, si bien que beaucoup moururent tout simplement de faim »2 (id., p. 89, accusations contre Ojeda).
48Il existe une contradiction entre la description de cette terre où l’on trouve du maïs, du manioc (casaba) et de l’ajo (cf. plus loin) en abondance, d’une part, et la construction forcée du fort et le manque d’aliments qui cause la mort de certains Espagnols, d’autre part. Malgré les précautions prises par Ojeda qui ne force pas les Indiens à travailler, un problème de ravitaillement se pose. Sans doute, au début, les Indiens ont-ils échangé des aliments contre ce que les Espagnols pouvaient leur donner ; mais la situation se bloque assez vite, les Indiens ne voulant plus fournir ni maïs ni manioc et les Espagnols doivent se protéger en construisant le fort... « et que s’il les faisait travailler ainsi, c’était à cause du grand danger dans lequel ils se trouvaient et parce que les Indiens les combattaient chaque jour »3 (Torres de Mendoza, 1883, t. 39, p. 82). Même si Ojeda arrive à établir des relations d’échange avec « deux caciques » et « obtenir un peu d’or par rescate » (Ramos, 1976, p. 99), le problème que pose la nourriture est tel qu’il envoie une caravelle à la Jamaïque pour y chercher des vivres. Ojeda connaissait bien le problème que posait l’intendance des expéditions, surtout lorsqu’il s’agissait de fonder des établissements permanents : il pensait en effet faire cultiver des terres à Saint-Domingue pour approvisionner ses expéditions futures.
49Ce problème de l’alimentation des Espagnols peut sembler n’être qu’un détail, mais il a conditionné la nature des contacts avec les indigènes. Il est évident que ces derniers, aussi bien disposés qu’ils l’aient été à l’égard des Espagnols, ne pouvaient tirer de leur agriculture un surplus susceptible de nourrir une population soudain beaucoup plus nombreuse. Et si, pendant les premiers jours, le troc permit à Ojeda et à ses gens de s’alimenter, très vite les indigènes se virent dans l’impossibilité de fournir maïs et manioc ; la situation qu’Ojeda voulait éviter se produisit alors : tout d’abord, le repli des Indiens puis leur hostilité déclarée. A peine Ojeda fut-il fait prisonnier par ses hommes que ceux-ci essayèrent de tirer de la région tout ce qu’elle pouvait donner, mais devant sa pauvreté, ils furent assez vite contraints de quitter Santa Cruz et de retourner à Saint-Domingue. Santa Cruz aura duré à peine cinq mois, de mai à septembre 1502.
50Dès les premières années du XVIe siècle, les ressources de la Guajira sont déjà connues : très peu d’or, des problèmes d’eau et de nourriture et peu d’habitants. Son seul attrait pour les Espagnols reste les perles, découvertes très tôt : Bastidas s’en procure et c’est peut-être pour étendre ce commerce qu’il laisse Buenaventura dans la province de Seturma. C’est par ce dernier qu’Ojeda en apprendra l’existence qu’il veut faire confirmer par un de ses bateaux : « et efforcez-vous de vous renseigner sur les perles »4 (au Cabo de la Vela) (Torres de Mendoza, 1883, t. 39, p. 38).
51Le peu que l’on puisse entrevoir des Indiens de la région de Santa Cruz, c’est-à-dire des versants sud-est de la Macuira et nord-est de Cocinas, montre une économie où la culture du maïs, du manioc et des ajos semble jouer un rôle important, produisant même un léger surplus qui permet aux Indiens de fournir des aliments aux Espagnols pendant quelque temps. Si, dans la déclaration d’Ojeda, maiz et cazaba ne posent pas de problème, ajos en revanche, est plus difficile à identifier car il ne s’agit certainement pas d’ail (ajo) ni de piment (aji). Le mot ajos n’apparaît pas parmi les produits agricoles de la région de Santa Marta mais on trouve des ages ou aji (c’est-à-dire la patate douce) dans les Antilles (Burkill, 1954) et notamment dans l’agriculture taino (Sturtevant, 1961). Il est difficile de déterminer avec précision ce que sont ces ajos : selon J. Barrau (communication personnelle) « ce pourrait être la patate douce (cf. I.H. Burkill Aji) ou Ipomoea batatas (L) Lamk. de la famille des convolvulacées mais il pourrait s’agir aussi d’autres plantes à tubercules féculents, comme Xanthomona (aracées), mais aussi Maranta et autres marantacées qui eurent une certaine importance vivrière dans cette région » (c’est-à-dire celle des Caraïbes).
52Les autres informations sont très fragmentaires : ces Indiens ont des chefs puisqu’Ojeda traite avec des caciques par l’intermédiaire desquels il obtient un peu d’or (les guanines). Dans la province de Seturma et la région de Santa Cruz, les Indiens parlent la même langue car Ojeda charge un de ses associés qui doit s’enquérir des perles de ramener, en les traitant bien, deux ou trois Indiens de cette province à Santa Cruz ; enfin, en 1504, le Roi permet à Ojeda d’emmener comme interprète Juan de Buenaventura qui avait donc dû apprendre la langue de la région (Ramos, 1976, p. 93).
53Il faut attendre environ une vingtaine d’années pour retrouver trace de la Guajira. Cette absence de données ne signifie pas qu’aucun Espagnol ne se soit approché de la Guajira ni même qu’aucun document n’existe sur la région. Mais il est certain que d’autres zones plus riches ou plus prometteuses attiraient les conquistadores. En 1520, un fonctionnaire de Saint-Domingue décrit les populations indigènes et leurs dispositions vis-à-vis des Espagnols et dit : « Les Unotos qui actuellement ne laissent pas savoir ce qu’ils sont, jusqu’à ce qu’à leur propos on puisse réunir plus d’informations »5 (Torres de Mendoza, 1869, t. 11, p. 324), c’est-à-dire qu’il ignore leurs dispositions et manque de données les concernant.
54On risque ainsi de trouver des informations éparses dont certaines se réfèrent à la Guajira, tel ce passage de la Suma de Geografia de Martin Fernandez de Enciso que rapporte Ramos (1976, p. 202-203). Décrivant le littoral de la Terre-Ferme, il parle de Coquibacoa et du Cabo de la Vela et mentionne un « endroit de maisons d’Indiens » près de la lagune de Cocinetas qui vers 1515, époque où écrit Enciso, s’ouvrait directement sur la mer. Plus loin, à propos du Cabo de la Vela, il écrit : « on a trouvé ici balance et pierre de touche pour l’or dans cette région qui est vaste ; les Indiens disent qu’ils vont chercher l’or jusqu’à 25 lieues à l’intérieur des terres ; et quand ils y vont, ils emportent balance et pierre de touche pour savoir ce qu’ils ramènent ; dans toutes les Indes du Ponant, on n’a trouvé de balance qu’ici »6 . Cette observation montre les liens commerciaux qui unissaient les habitants du nord de la Guajira à ceux de l’intérieur des terres qui peuvent être ceux du Valle d’Upar ainsi que leur niveau technique (à cause du peso e toque = balance et pierre de touche) et l’importance que devaient avoir ces liens.
55Dans sa relación, Esteban Martin situe les Coanaos du Valle d’Upar à 25 lieues du Cabo de la Vela ; que cette distance soit la même et que le point de repère soit le Cabo semblent être le signe d’une route habituelle. Ces Coanaos troquent du sel contre de l’or et ramènent des vêtements et des bonnets de coton : « de là au Cabo de la Vela, il y avait 25 lieues, habitées par des Coanaos avec lesquels on fit la paix ; avec ceux qui vivaient au pied de cette montagne et jusqu’à la mer il n’y eut aucun problème. Ces Coanaos sont de haute taille et courageux et ils couvrent leurs parties honteuses et ils ont beaucoup de relations avec l’intérieur des terres ; ils emmènent du sel qu’ils troquent contre de l’or et ils ramènent des robes de coton, couvertures et bonnets de la même matière et, d’après ce qu’on a vu, ce sont réellement des gens »7 (Nectario Maria, 1959, p. 494-495). Ce texte laisse toutefois subsister des ambiguïtés : il semble que ces Coanaos du Valle d’Upar aillent échanger le sel contre de l’or et rapportent également des vêtements et bonnets de coton. Ce sel qu’ils troquent contre de l’or vient sans doute du littoral guajiro et a donc déjà fait l’objet d’un échange ; et cet or aboutirait là d’où est parti le sel... Il est en fait difficile, d’après ces quelques données, de saisir avec précision les mouvements de ces biens, leurs points de départ et d’arrivée. Elles révèlent cependant les relations complémentaires entre les différentes régions occupées par un groupe — les Coanaos s’étendent du Valle d’Upar au Cabo de la Vela — mais aussi entre des groupes différents comme le souligne le fait « qu’ils ont beaucoup de relations avec l’intérieur des terres ».
56Cet isolement de la Guajira des grands axes de la Conquête pendant le premier quart du XVIe siècle est confirmé par les demandes que font Diego Caballero en 1525 et Juan de Ampiès en 1526 pour que le Roi leur accorde l’autorisation de découvrir, conquérir et commercer dans la région comprise entre le Cabo de la Vela et la presqu’île de Coro.
57Juan de Ampiès, établi à Saint-Domingue, puis gouverneur des îles de los Gigantes (Aruba, Curaçao, Bonaire), connaissait très bien le littoral de la région de Coro. Il avait établi des relations commerciales avec les Caquetios et tous les textes soulignent l’amitié qui le liait au cacique caquetio Manaure. Il n’avait pas fondé d’établissement fixe dans cette région mais plutôt des sortes de comptoirs où il commerçait avec les indigènes. En 1528, dans une lettre adressée au Roi, il fait état de ses relations privilégiées avec les Indiens des îles des Géants et de la côte : « en raison de la bonne façon dont, au nom de Votre Majesté, je traitais les Indiens de ces îles et ceux de cette côte qui souvent se rendaient dans ces îles pour se divertir avec eux... »8 (Torres de Mendoza, t. 1, 1864, p. 431). Cette remarque sur les relations entre les populations des îles et du littoral montre l’unité, tant linguistique que culturelle, de cette région. La même année, lorsque l’Espagne attribue aux Welser la colonisation du Venezuela, c’est-à-dire le territoire compris entre le Cabo de la Vela et Maracapana et « sans limites vers le Sud », Ampiès voit ses privilèges menacés et propose un arrangement selon lequel les Welser recevraient la région de Santa Marta au Cabo « parce que ce qui est riche se trouve entre Coquibacoa et Santa Marta, et c’est le plus abondant et le meilleur », et lui-même celle de Coquibacoa à Macarao, localité à l’est de Coro : « Que Votre Majesté me fasse grâce de Coquibacoa [...] et parce que je suis très ami avec les Indiens de Coquibacoa et du golfe jusqu’à Macarao... »9 (Torres de Mendoza, t. 37, 1882, p. 401). En raison de la disproportion du pouvoir respectif de la maison Welser et de Juan de Ampiès, un tel arrangement n’avait aucune chance de se réaliser ; de plus, seule une colonisation à grande échelle, comme celle que projetaient les Welser, pouvait apporter aux caisses de l’Espagne l’or nécessaire. Les Welser commencent donc la colonisation du Venezuela et Ampiès disparaît de la région et meurt en 1533.
58Dans la région comprise entre Coro et Coquibacoa, le système des comptoirs qui n’affectait guère la population indigène mais ne remplissait pas non plus le trésor royal, fit place à la véritable Conquête et à la colonisation qui provoquèrent la chute verticale de la population.
59La fin de la deuxième décennie du XVIe siècle marqua donc pour l’est du Venezuela,mais aussi pour la région de Santa Marta (car la ville fut fondée en 1525), le début de la présence réelle des Espagnols. Après vingt ans de calme relatif, ces régions deviennent le point de départ d’expéditions d’exploration de l’intérieur des terres qui ne peuvent se réaliser sans mettre à contribution la population indigène, que ce soit comme porteurs ou pour approvisionner les villes — Santa Marta et Coro — d’où partent ces expéditions. La pression espagnole va être si forte sur ces régions que, vers 1550, elles sont vidées de leur population indigène et les quelques Espagnols qui y vivent réduits à une grande pauvreté.
60A partir de Santa Marta, les expéditions se dirigeaient en général vers la Sierra Nevada, la région de La Ramada, sur le littoral et de là, obliquaient vers le sud et la vallée du Rio Cesár, le Valle d’Upar. Les Espagnols n’entraient que rarement dans la Guajira proprement dite — que les gens de Santa Marta appelaient province d’Orino et qui commençait une fois passé le Rio Rancheria. La plupart des contacts avec les Guajiros se faisaient à l’époque plutôt par mer car il ne s’agissait pas de coloniser mais de « commercer » avec les Indiens.
61En 1528 toutefois, une expédition dirigée par Pedro Badillo passe le Rancheria et « en Orino ils répartirent le butin ramassé jusque-là » (Restrepo-Tirado, 1975, p. 48), c’est-à-dire le butin provenant de la région comprise entre Santa Marta et La Ramada. Puis ils descendent vers le sud. Deux ans avant, G. de Vides avait armé un bateau à Cuba et était parti à la recherche d’or et d’esclaves dans les Caraïbes. Après avoir longé le littoral de la Péninsule, il est arraisonné par les gens de Santa Marta ; il est accusé de s’être conduit cruellement dans cette « terre de paix » mais aussi, et c’est sans doute le vrai motif du procès, d’avoir fait du commerce sans licence sur cette terre de la juridiction de Santa Marta. On accuse Vides d’avoir pris « par la force sept ou huit caciques de la côte dans les lieux et ports de Vipa, Zazarebo, Seturma et Orino » (Friede, 1955, vol. 1, p. 188) ; on l’interroge pour savoir si, du Cabo « ce capitaine et ses gens étaient descendus à terre deux nuits et s’étaient emparés de plus de trente-cinq Indiens et Indiennes [...] et s’ils tuèrent et poignardèrent certains de ces Indiens »10 (id., p. 195) ; on l’accuse enfin d’avoir pris de l’or et volé des vêtement en Seturma, biens qui évoquent les Coanaos décrits par Esteban Martin. Dans sa réponse, Vides reconnaît le rescate (c’est-à-dire la prise d’otages et leur libération contre de l’or) mais nie qu’il a tué des Indiens. Il souligne même sa conduite désintéressée : « Lorsque nous étions à l’ancre au Cabo, ils nous avisèrent qu’ils voulaient venir, ce qu’ils firent, et sans y avoir avantage, moi, Vides, je leur ai donné quatre charges de pain »11 (ibid.).
62D’après ces documents, le littoral entre le Cabo et La Ramada était habité ; les Indiens avaient de l’or mais, au Cabo, demandent de la nourriture — à moins que cet épisode soit une invention de Vides. Il n’est pas fait état des perles qui ne semblent pas avoir de valeur pour les Indiens.
63Depuis leur découverte au début du siècle, l’information sur les perles ne semble pas avoir progressé : en 1532, il s’agit toujours de se renseigner sur leur existence réelle, comme le demandait Ojeda à l’un de ses bateaux, trente ans auparavant. Dans une lettre au Roi, le gouverneur de Santa Marta, G. de Lerma, écrit : « j’ai envoyé une caravelle armée de tout le nécessaire pour les trouver » (Friede, 1955, vol. 2, p. 268). Cette caravelle ne revint pas et, un an plus tard, on en connaît la raison : « On croit que pendant qu’Antonio Insarte de Melo cherchait les perles, lui et dix autres hommes ont été assassinés, là ou dans la province de Seturma ; on n’a jamais pu savoir ni connaître ce qui leur était arrivé »12 (id., vol. 3, p. 45). Une autre lettre précise que « Le gouverneur envoya des gens pour trouver les perles du Cabo de la Vela [...] ceux-là furent dans l’obligation de prendre de l’eau dans une province qu’on appelle Seturma. Et comme les Indiens entre eux étaient déjà révoltés, ils s’emparèrent des chrétiens et les surprirent pendant la nuit et les tuèrent »13 (ibid., p. 62). Aussi de Lerma envoie-t-il, par terre cette fois, une expédition de quinze hommes à cheval et de vingt-cinq hommes à pied — ce qui suffit dans cette région, dit-il — pour connaître le sort d’Insarte. Ces hommes « trouvèrent en la possession des Indiens les vêtements d’Antonio Insarte et ils brûlèrent le cacique principal qui était coupable et châtièrent d’autres de ces Indiens ; il fut impossible de punir plus pour ne pas bouleverser la région »14 (ibid., p. 63).
64Avec la certitude de l’existence des perles, la colonisation progresse vers la Guajira. Les Espagnols s’implantent à La Ramada, non sans rencontrer une assez forte résistance qui s’étend sur le littoral jusqu’au Cabo. Finalement, La Ramada est colonisée et les indigènes — les Guanebucanes — doivent se retirer. Au nord, vers le Cabo, le littoral reste cependant libre de tout établissement espagnol.
65Du côté de Santa Marta, l’avance espagnole s’arrête donc à la frontière sud de la Guajira. Mais, du côté du Venezuela, commencent les expéditions de ceux qu’on a appelé les « gouverneurs allemands », c’est-à-dire les hommes de la maison Welser. Elle concernent directement la Guajira à deux reprises et la seconde donnera naissance à la fondation de la pêcherie de perles et au port du Cabo de la Vela dont l’importance ne sera qu’intermittente à cause des attaques des Indiens, des pirates et de l’épuisement des bancs d’huîtres à certaines époques.
66Lors d’une de ces expéditions en 1530, Alfinger s’avance dans la Province de Zarara (ou Jarara) au nord de la Péninsule. Les informations sur ce voyage proviennent, comme c’est souvent le cas, des pièces du procès intenté par l’Espagne à Alfinger. On l’accuse de s’être conduit avec une extrême cruauté avec les Indiens qui, pourtant « se montrèrent amicaux avec les Espagnols, leur apportant même des présents »15 (Friede, 1961, p. 230). Cependant, selon différents témoins, Alfinger ne fit que punir les Indiens de la région d’avoir tué des Espagnols dont le bateau avait sombré près des côtes et de ne pas avoir voulu livrer trois femmes chrétiennes qu’ils détenaient. Un autre, enfin, précise que tout ce qui est arrivé est la faute de l’interprète qui n’avait pas compris les Indiens. Quelle que soit la cause réelle, « toute cette région se souleva et les Indiens abandonnèrent leurs villages et se retirèrent dans les lagunes »16 (ibid.). L’opposition entre le lieu habité d’ordinaire et le lieu de refuge (les lagunes), difficilement accessible aux Espagnols, permet d’avoir une idée de l’habitat, du terrain et même de l’économie. Se retirer dans les lagunes signifiait certes l’abandon des cultures mais aussi que les Indiens pouvaient subsister de la pêche ou de la collecte de coquillages dans ces lagunes, soit régulièrement, soit quand cela était nécessaire. La nature de ce terrain a posé pendant très longtemps un problème aux Espagnols : le seul accès possible était par des canots légers et c’est de cette façon qu’ils parvinrent à contrôler, au début du XVIIe siècle les Indiens du nord de Maracaibo.
67Avec Nicolas Federman s’achève l’époque des incursions rapides et commence celle d’une présence espagnole plus soutenue dans la Guajira. En 1535, deux expéditions partent de Coro. La première dirigée par J. de Espira durera trois ans et suivra, à l’aller comme au retour, le versant oriental des Andes ; elle atteindra la latitude du haut plateau chibcha mais sans pouvoir y accéder. La seconde, celle de Federman, part vers Maracaibo, ou plutôt Ciudad Rodrigo qui commence à peine à exister ; une partie de la troupe y reste, l’autre continue vers le Cabo de la Vela pour prendre possession de la région et y fonder un fort. Federman doit ensuite suivre la route de l’intérieur et rejoindre Espira en Xerira, soit l’Eldorado, entrevu par Alfinger. Les gens de Santa Marta interdiront le chemin de l’intérieur à Federman qui suivra plus ou moins les pas d’Espira mais arrivera à Bogota en 1539.
68L’expédition qui part vers la Guajira est assez importante : deux cents soldats, soixante-dix cavaliers et environ un millier d’indios de servicio et de porteurs auxquels ils faut ajouter une partie des cinquante hommes venant de Santa Marta pour surveiller les incursions des gens du Venezuela. Au début de 1536, la troupe est réunie au Cabo où arrivent également deux des trois navires venant de Saint-Domingue chargés d’hommes et de provisions.
69Cette expédition a été qualifiée d’échec retentissant (Friede, 1961, p. 284) : de nombreux Espagnols, plus de cent vingt, un grand nombre de porteurs indiens y trouvèrent la mort, en raison du manque d’aliments et d’eau et de l’hostilité des Indiens. Il n’est pas certain toutefois qu’il ait été impossible de se procurer de la nourriture dans la Guajira. En effet, les Espagnols accusaient Federman de ne pas avoir voulu « qu’ils aillent dans les régions où il y avait de quoi manger »17 (id., p. 297) ce qui signifie qu’il y avait des lieux où les Indiens cultivaient la terre.
70A partir du Cabo de la Vela, Federman envoya cinquante ou soixante hommes pour fonder un village dans la province de Macuira qui, rapporte un témoin, « n’était pas une terre colonisable parce qu’il n’y avait ni nourriture ni eau »18 (Nectario Maria, 1959, p. 234). Ces conditions et les continuelles attaques des Indiens font que cet essai se solde par un échec. Il existe, en fait, une contradiction entre ces attaques incessantes des Indiens et l’absence de nourriture. A propos de cette expédition, Castellanos (1972, p. 56) trace un tout autre tableau : la terre était cultivée, les Indiens étaient des Guanebucanes et des Caquetios qui étaient munis d’armes espagnoles prises certainement sur les épaves des navires qui s’échouaient assez fréquemment sur les côtes de Coquibacoa.
71Le fait le plus marquant de la présence de Federman et de ses hommes en Guajira pendant un an est certainement la découverte — où plutôt, l’évaluation précise — des bancs d’huîtres perlières entre l’embouchure du Rancheria et le Cabo de la Vela. Federman essaya de les exploiter mais n’y réussit pas en raison du manque de main-d’œuvre locale. En 1538, ces perles commencèrent à être exploitées par des Espagnols venus de Cubagua (est du Venezuela) où existaient également des perles qui commençaient à s’épuiser. Ces pêcheurs (que l’on appelle dueños ou señores de las canoas) possèdent une main-d’œuvre et un matériel spécialisés — les canots et les esclaves indiens plongeurs — et se mettent sous la juridiction de Santa Marta, et l’exploitation des perles échappe à l’autorité des gouverneurs du Venezuela.
72Quatre ou cinq ans après leur installation, les pêcheurs de perles du Cabo de la Vela demandent au Roi l’autorisation de transférer la ville de Nuestra Señora Santa Maria de los Remedios del Cabo de la Vela plus au sud, à l’embouchure du Rio Rancheria. La plupart des habitants du Cabo déclarent en effet « que la sécheresse de ce village du Cabo de la Vela est insupportable »19 (Friede, 1955, vol. 7, p. 152) ; que quant au maïs « on ne peut en récolter au Cabo ; à certaines époques on peut récolter quelques légumes arrosés à la main, mais le maïs ne pousse à aucun moment de l’année parce que la terre est très salée et on y ramasse beaucoup de sel »20 (id., p. 157). En revanche, dans la région de Riohacha « on a semé beaucoup de maïs et on en récolte une grande quantité »21 (ibid.); qu’elle est « très bonne pour élever du bétail » (id., p. 158) et « très fertile pour les cultures de légumes ou pour élever du bétail » (id., p. 162)22 Les avis sur les Indiens de Riohacha sont partagés : certains pensent qu’ils sont pacifiques car « ceux qui ont des fermes au Rio de la Hacha ont été jusque-là en contact avec les Indiens et comme ces derniers savent qu’ils ne sont pas captifs, qu’ils sont libres et qu’on ne les combattra pas, ils obéiront plus volontiers, commerceront avec les chrétiens et leur donneront des vivres qu’ils ont, car on dit qu’ils en ont une grande abondance »23 (id., p. 158) ; d’autres, en revanche, pensent que « les Indiens de cette terre ont toujours été rebelles et sont d’avis que même si l’on y place le village, cela ne changerait rien à l’attitude des Indiens car ils sont très marrons et ennemis des chrétiens et il a été impossible jusqu’à présent de les faire vivre en paix »24 (id., p. 160). Un habitant du Cabo, cependant s’oppose au transfert de la ville en invoquant que « il y a beaucoup d’eau douce [...] que l’on amène facilement » (id., p. 155) et que l’approvisionnement du Cabo ne pose pas de problème puisque « à partir de ce même village, on peut avoir des cultures dans le Macori et ailleurs, qui est plus éloigné que ledit village du Rio de la Hacha »25 (id., p. 156).
73Le transfert de la ville — et donc du centre administratif — est autorisé mais le Cabo n’est pas déserté pour autant et la région comprise entre celui-ci, Riohacha et La Ramada est sous contrôle espagnol.
74Vers 1550, l’image des rapports entre Indiens et Espagnols dans la Guajira que l’on peut avoir à travers les différents documents est assez imprécise. C’est à la fois une région assez vide et sûre, comme le prouve le voyage de Castellanos « Avec seulement mon cheval et un domestique, j’allai et revins du Cabo de la Vela »26 (1914, p. 255), mais aussi dangereuse et habitée comme le montre la traversée d’est en ouest que fut contraint d’effectuer l’évêque de Santa Marta en 1544 à la suite de son naufrage sur la côte est : « en courant de grands dangers à cause des Indiens caribes qui ont tué et mangé beaucoup d’autres qui abordèrent ce rivage »27 (Friede, 1955, vol. 7, p. 188). Les habitants du Cabo ont des estancias dans la région de Riohacha, Macuira et ailleurs mais partout la pression et l’hostilité des Indiens rendent ces établissements précaires « dans la région il y a beaucoup d’Indiens qui ne sont pas en paix mais qui pourraient l’être avec l’aide de Dieu et de Votre Altesse »28 écrit le même évêque au Roi en 1545 (Friede, 1955, vol. 8, p. 32).
75La Péninsule est-elle peuplée ou vide ? La Macuira est-elle une région où l’on ne peut s’établir — comme le disaient les gens de Federman — ou, au contraire, est-elle fertile et cultivée et donc « para poblar » ?
76La clef de ces contradictions réside sans doute autant dans la mobilité des Indiens qui se retiraient devant les Espagnols que dans la nature même des reconnaissances très brèves effectuées par ces derniers. En fait, les deux images sont vraies : le littoral est sûr quand Castellanos fait son voyage mais ne l’est plus après que Pedro de Ursua ait « pacifié » la région de Santa Marta quelques années plus tard. Il y a des Indiens dans la Péninsule mais les Espagnols manquent de main-d’œuvre locale. Parmi les esclaves indiens employés dans les pêcheries de perles — quatre cents (Friede, 1955) ou huit à neuf cents (Restrepo-Tirado, 1941), les estimations varient selon les documents —, quelques-uns seulement sont originaires de la Guajira — deux sur soixante pour lesquels est mentionné le lieu d’origine. Pour assurer les travaux agricoles et d’élevage, ils ont acheté « beaucoup de nègres à des prix excessifs [...] pour les cultures et les élevages et les autres choses dont ils ont besoin »29 (Friede, 1955, vol. 8, p. 14). Cette absence d’esclaves guajiros est davantage due à l’hostilité des Indiens de la Guajira, à leur organisation et à leur façon de combattre qu’à un quelconque respect des lois indigénistes.
77C’est donc grâce à une main-d’œuvre indienne ou africaine mais, de toute façon, extérieure à la Guajira, que les estancias ou hatos (les fermes) situées le long du Rancheria ou vers Riohacha ou encore dans la Macuira, pouvaient produire de quoi faire vivre la population assez nombreuse des pêcheries de perles. Parlant de ces « fermes », Castellanos écrit : « Il y a déjà grande abondance de bétail »30 (1914, p. 250). Hernandez de Alba (1936, p. 14-15), qui place le début du pastoralisme des Guajiros vers 1550, a interprété ce passage de façon un peu hâtive — comme le souligne également Aschmann (1960, p. 412). Il s’agissait bien — et le texte est clair — de bétail appartenant à des Espagnols, tel Miguel de Castellanos dont les esclaves marrons, vers 1564, préoccuperont beaucoup les autorités.
78Ce bétail, présent en différents points de la Guajira, a certainement fait l’objet de raids de la part des Indiens mais ils devaient le chasser comme ils le faisaient pour les animaux sauvages et non pas s’en emparer pour constituer des troupeaux. Il est bon, à cet égard, de rappeler les conclusions de Gallagher sur la dernière couche de la phase siruma où l’on trouve des restes d’animaux domestiques. Il est sûr que certains Guajiros ont progressivement commencé à voir que ce bétail offrait d’autres possibilités que la seule chasse. Situer ce « moment » décisif pour la Guajira est bien entendu impossible. On peut cependant concevoir qu’il doit se placer après les révoltes de la fin du XVIe siècle qui forcèrent les Espagnols à abandonner nombre de leurs fermes. Au cours des incendies ou des attaques des différents établissements, le bétail devait, selon toute possibilité, échapper à tout contrôle et retourner, pour un temps, à la vie sauvage. Tel fut, par exemple, le cas du bétail abandonné par l’expédition de Luis de Lugo vers 1540, dans la région du cours moyen du Rio Rancheria (Restrepo-Tirado, 1975, p. 209). Il ne s’agissait plus alors d’animaux isolés, mais de troupeaux qu’il était facile de contrôler. C’est donc plutôt après ces révoltes et le recul des Espagnols qu’au moment de leur plus grande domination en Guajira qu’ont pu être réunies les conditions favorables au début de l’adoption de l’élevage par les Guajiros ou, plus exactement, par certains groupes de la Guajira. Si tous les Guajiros partagent aujourd’hui une « culture pastorale », les textes montrent que tel n’était pas le cas au début du XVIIIe siècle : la différence entre Guajiros et Cocinas, entre les éleveurs et les « autres », se place sans doute à ce niveau.
79Ces différents rythmes d’acquisition de l’élevage par les divers groupes de la Guajira sont dus à l’existence de l’élevage espagnol dans certaines régions et aux conditions écologiques ; mais le morcellement de la population indigène en une multitude de groupes peut également avoir joué un rôle. Ainsi Aguado, écrivant en 1575, avait souligné le nombre et la division de ces Indiens : « Ces Indiens, bien que divisés, sont très nombreux »31 (1956, p. 151). Ce morcellement devient d’ailleurs de plus en plus net à mesure que le temps s’écoule et que les documents se multiplient. Il aide, rétrospectivement, à comprendre ces attaques incessantes sur l’ensemble du territoire de la Guajira entre lesquelles les Espagnols essayaient désespérément d’établir un lien ; en fait, il n’y en avait pas et les Guajiros ne seront jamais tous en guerre ni tous en paix avec les Espagnols. Il fallait, en un sens, que ces derniers aient autant de politiques et de stratégies que les Guajiros comptaient de groupes.
80Avec le dernier quart du XVIe siècle commence une période troublée en Guajira. En 1572, une trentaine d’esclaves noirs se soulèvent du côté de Riohacha et l’on craint que les cinq cents autres ne suivent leur exemple (Restrepo-Tirado, 1975, p. 172). En 1577, dans la région de la Macuira, les Indiens attaquent Santiago ; en 1583, ils brûlent Santa Ana, s’approchent du Cabo et obligent les habitants à s’enfuir. Au cours de toutes ces attaques, des Espagnols sont tués. Les représailles sont assez violentes si bien qu’en 1592 les « guajiros, macuiras et autres » (id., p. 188) menacent Riohacha, s’éloignent, mais reviennent l’année suivante.
81Afin de contenir les incursions des Guajiros, les Espagnols fondent une ville en un lieu stratégique, Pedraza, située à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Riohacha et protégeant cette ville du côté des montagnes du nord et de l’est de la Péninsule. La garnison compte cent vingt soldats et trente archers noirs ; les terres sont « splendides » et la région comprend environ six mille Indiens macuiras qui sont répartis entre les habitants. Il faut noter que Pedraza est située à plus de 100 km des montagnes de Macuira et l’expression « Indiens macuiras » désigne donc plus un type d’économie — l’agriculture — qu’une origine géographique. Quelques années plus tard Pedraza est abandonnée mais sera repeuplée peu après. Comme toutes les « villes » de la Guajira (Riohacha mise à part), elle ne sera en fait habitée que pendant les périodes où les Guajiros seront en bons termes avec les Espagnols.
82Lors de la demande du transfert de la ville du Cabo à Riohacha, deux opinions sur les Indiens s’affrontaient. Quarante ans après, en 1584, les « optimistes » ne tiennent plus le même langage. L’insécurité des colons espagnols due aux attaques constantes des Indiens est telle dans tous les points colonisés de la Péninsule qu’ils demandent, à l’unanimité, au Roi et au Conseil des Indes, non pas que les Indiens soient répartis en encomiendas, mais « leur extermination et déportation, de telle façon qu’il n’en reste aucun dans la région parce qu’avec eux il ne pourra jamais y avoir de sécurité ». Ces Indiens sont « si adroits dans les choses de la guerre qu’ils ne veulent jamais sortir à découvert mais en embuscades. Et bien souvent, sans pouvoir voir un Indien, ils tuent de nombreux Espagnols »32 (Friede, 1961, p. 280) et ils ont déjà tué plus de deux cents Espagnols et même quelques religieux. Les colons demandent également que le Roi se charge de la pacification et qu’il dédommage les colons des préjudices subis. Deux siècles plus tard, on reparlera de la déportation des Guajiros vers Haïti, Cuba et la région de Carthagène à la suite du soulèvement de 1769. Mais, tout comme celui de 1584, ce projet restera lettre morte.
83Les Indiens n’étaient pas les seuls à menacer le Cabo et Riohacha. Les flibustiers des Caraïbes, dans leurs incursions vers Santa Marta, Carthagène ou Maracaibo, assiégèrent plusieurs fois le Cabo, au début, et Riohacha par la suite. Ainsi voit-on des Français au Cabo en 1544 et des Anglais à Riohacha en 1565 et 1596. Les perles attiraient bien évidemment ces flibustiers, mais ils ne cherchaient pas systématiquement à les obtenir par la force et préféraient les échanger contre les marchandises qu’ils apportaient, tissus, aliments et esclaves. Plus que de piraterie, il s’agissait en fait de contrebande, avantageuse pour les deux parties. Les habitants de Riohacha furent d’ailleurs accusés de s’entendre avec les pirates pour échapper aux impôts sur les perles et sur les importations. Ces marchandises n’étaient pas seulement destinées à la Guajira mais à tout le pays : ainsi John Hawkins arrive-t-il en 1568 au Cabo pour vendre mille cinq cents esclaves et se diriger ensuite vers le Venezuela (Troconis, 1969, p. 33). Ces « pirates-marchands » commerçaient également avec les Indiens : vers 1572, ceux de la Sierra Nevada échangèrent de l’or contre des armes à feu (Restrepo-Tirado, 1975, p. 171). Ces contacts entre pirates et indigènes devaient être assez fréquents mais échapper au regard des Espagnols ; c’est pourquoi les preuves, dans les documents espagnols du moins, en sont rares.
84Enumérer tous les incidents entre Guajiros et Espagnols n’équivaudrait qu’à dresser une liste de révoltes et d’incursions pour les uns et de lettres de plaintes et d’expéditions punitives pour les autres. Ils suivent tous le même schéma : attaque rapide, incendie de maisons, quelques morts de part et d’autre, puis retrait des Indiens. Selon les disponibilités de troupes et de fonds du moment, s’ensuit une expédition punitive qui peut se solder par un échec (les Indiens se retirent ou défont les Espagnols) ou la capture de quelques caciques, encore qu’il ne soit pas certain que ces prisonniers soient bien les coupables des attaques.
85En contraste avec cette résistance qu’ils opposent aux Espagnols (qu’ils contraignent même à reculer), les Guajiros ou les différents groupes que recouvre ce nom s’ouvrent à l’extérieur. Il n’est peut-être pas prématuré de faire remonter au début du XVIIe siècle des relations d’échange avec des navires de pirates ou de marchands qui deviendront habituelles au XVIIIe siècle. A partir des années 1600, l’or, et même les perles, commencent à s’épuiser. Les indigènes ne peuvent plus s’en servir comme principale monnaie d’échange. Un des graves problèmes qu’avaient à affronter les bateaux — quels qu’ils soient — était celui des approvisionnements en nourriture. Les îles des Caraïbes ne suffisaient pas toujours à les ravitailler et, de plus, pour lutter contre les flibustiers, les Espagnols les empêchaient de s’y pourvoir. C’est ainsi qu’au début du XVIIe siècle, le cheptel de Saint-Domingue fut sévèrement réduit pour affamer les pirates, notamment ceux de la Tortue, et paralyser leurs courses. Cette mesure les obligea à chercher d’autres endroits où se procurer les animaux nécessaires.
86Il semble bien que la Guajira ait été l’un deux. Drake, en 1596, s’empare à Riohacha de tous les objets de valeur mais aussi de bétail (bovins et quatre cents caprins et ovins) (Restrepo-Tirado, 1975, p. 190). Ces animaux provenaient certes des élevages espagnols mais il est tout à fait vraisemblable que dès que les Guajiros ont eu des troupeaux ils soient devenus les fournisseurs des navires de pirates ou marchands. Il est peut-être même possible que leurs raids sur les fermes espagnoles aient eu aussi pour objet de se procurer ces animaux et de les vendre, hors de tout contrôle espagnol, aux navires étrangers. Il est certain que ces échanges n’auront une réelle importance que plus tard ; mais un des traits importants de l’élevage en Guajira se dessine très tôt : ce n’est pas une activité uniquement orientée vers l’auto-subsistance car elle a également un débouché extérieur.
87Cette caractéristique n’est pas surprenante quand il s’agit de l’élevage que pratiquent les Espagnols mais la production d’un surplus permettant cette ouverture vers l’extérieur par une société indigène l’est beaucoup plus. A mesure que l’élevage envahira l’économie traditionnelle, cette tendance ne cessera de s’affirmer pour aboutir à la dépendance de la société guajira actuelle à l’égard de la société qui lui fournit les produits agricoles et les biens de consommation. Ainsi, en un premier temps, l’élevage a été pour les Guajiros le garant de leur liberté mais il est devenu par la suite, le lien qui, d’une certaine façon, les assujettit.
88Cette ouverture vers l’extérieur des Guajiros ne s’est pas limitée au commerce avec les Européens car ils ont également essayé de s’allier avec d’autres groupes pour lutter contre les Espagnols. Au début du XVIIe siècle, les documents mentionnent trois tentatives d’actions concertées : en 1600 avec les esclaves marrons, en 1606 avec les Indiens de Maracaibo et en 1620 avec les Tupes du Valle d’Upar (Restrepo-Tirado, 1975, p. 191-192 et 196).
89Il est en réalité bien difficile de savoir ce qu’étaient ces alliances et s’il ne s’agissait pas tout simplement d’un procès d’intention que leur faisaient les Espagnols — ce qui semble être le cas pour l’alliance avec les Tupes. C’est à la faveur d’un soulèvement en 1606 des Indiens de la lagune de Maracaibo qu’apparaît la menace d’une alliance avec les Guajiros. D’après les documents concernant la campagne de pacification de ces derniers lancée à partir de Maracaibo en 1607, il ne semble pas que les Guajiros soient intervenus et que cette alliance ait été effective. Pour éviter l’extension de ce soulèvement, le gouvernement de Santa Marta déclara aux caciques guajiros que le Roi ordonnait de les traiter en hommes libres, bien qu’il pensait, quant à lui, que « mieux on les traite, plus ils se révoltent »33 (Restrepo-Tirado, 1975, p. 192).
90L’accord avec les esclaves noirs fugitifs est plus improbable. Il s’agissait, pour les Guajiros, de mettre à profit une possible révolte de ces esclaves pour attaquer les établissements espagnols. Les relations entre ces Noirs et les groupes indiens en général et les Guajiros en particulier étaient en fait plutôt antagoniques. Les Noirs qui s’étaient enfuis en 1573 de Riohacha avaient des esclaves indiens des deux sexes dont ils s’emparaient de force : « ils font du mal et tuent les naturels »34 (Nectario Maria, 1959, p. 357), notamment des Indiens de la région de Perijà, Cumanagotos et Aratomos, dans les terres desquels ils avaient fondé un village surnommé par les Espagnols la « Nouvelle Troie ». Ils en seront finalement chassés en 1581. Mais au cours des années suivantes d’autres esclaves s’enfuiront, établissant des villages (palenques) à l’intérieur des terres et, en 1721, on estimait le nombre de ces fugitifs, dont certains étaient repris, à vingt mille.
91Il ne semble pas que des communautés noires se soient établies en Guajira. La région n’était pourtant pas contrôlée par les Espagnols mais, soit pour trouver des terres plus clémentes, soit en raison de l’hostilité des Guajiros, les fugitifs de 1573 durent effectuer un long voyage pour arriver chez les Aratomos. Les informations sur les relations entre Guajiros et Noirs sont assez rares. Dans une relation de 1639, le dépeuplement de Riohacha et des pêcheries de perles est attribué « à ces Indiens guajiros qui ont causé la mort des nègres qui ramènent l’eau des sources pour ceux qui pêchent les perles à l’exploitation »35 (Arellano Moreno, 1964, p. 357). Un siècle plus tard, les Guajiros ne tuent plus les Noirs mais « les achètent et les gardent comme esclaves » (Julian, 1951, p. 228) ; il n’est pas rare, en effet, de voir un chef guajiro accompagné de ses esclaves : « le cacique se présenta au rendez-vous avec deux nègres comme laquais » (ibid.). Julian fait état du mélange qui s’est opéré entre les Guajiros et les Noirs : « la diversité de races redoutables de métis, mulâtres et de zambos se multiplie... »36 (ibid.) alors que les travaux de Layrisse et Wilbert (1966) indiquent au contraire que le mélange de races a été apparemment faible (Wilbert, 1975).
92Il n’est pas indifférent de tenter de préciser la nature des relations entre les Noirs et la société guajira dans la mesure où certains auteurs (Wilbert, 1975, par exemple) pensent que les Noirs ont pu jouer un rôle prépondérant dans la transmission des techniques d’élevage. Les esclaves noirs des Espagnols péchaient les perles — surtout après la Cédula Real de 1585 interdisant d’y employer des Indiens —, assuraient une partie des tâches domestiques et la culture et l’élevage dans les « fermes ». S’il y a eu transmission des techniques d’élevage des Noirs aux Guajiros, ce n’est sans doute pas directement (puisque tout le lexique de l’élevage est emprunté à l’espagnol et que le mélange racial est faible), ni grâce à des communautés indépendantes noires établies dans la Péninsule, car aucune information n’en indique la présence. Il faudrait donc imaginer que les Guajiros avaient des esclaves noirs en nombre suffisant pour que ces derniers assurent l’élevage et leur transmettent les techniques. On peut se demander si une telle hypothèse n’inverse pas l’ordre des facteurs et si la possession d’esclaves par les Guajiros n’est pas plutôt la conséquence que la cause de l’acquisition des techniques d’élevage. Outre les raisons indiquées plus haut, il faut noter qu’au milieu du XVIIe siècle les Guajiros ne paraissent pas avoir d’esclaves mais, qu’au contraire, ils tuent ces Noirs, et que Julián précise qu’au XVIIIe siècle, ils « achètent » ces esclaves aux trafiquants étrangers.
93Ils obtenaient ces esclaves comme les armes et les autres marchandises en les échangeant contre ce que produisait la Péninsule c’est-à-dire surtout le bétail et le bois brésil. Certains groupes de la Guajira ont pu apprendre, adapter et, dans une certaine mesure, réinventer ces techniques au contact des élevages espagnols notamment pendant les époques calmes, comme a dû l’être la troisième décennie du XVIIe siècle : les caciques acceptent de laisser s’établir « comme avant, les élevages de bovins et de chevaux dans les plaines (de Orino) » (Restrepo-Tirado, 1975, p. 214), les pêcheries de perles recommencent à être exploitées et une Cédula Real recommande de traiter « avec christianisme le problème des Guajiros, en évitant la guerre et sans les réduire en esclavage » (id., p. 222).
94Ce calme dura jusqu’en 1645 lorsque le gouverneur de Santa Marta prétextant une rébellion des Cocinas et des Guajiros envoya des soldats pour y mettre un terme. Ceux-ci s’emparèrent de plus de cent cinquante Indiens et en tuèrent plus d’une centaine alors que quelques caciques, invités par le gouverneur à parlementer, étaient faits prisonniers. Cette rébellion, imaginée de toutes pièces, permit au gouverneur de s’attribuer les fonds destinés à la pacification, et la vente des prisonniers comme esclaves lui rapporta de grosses sommes. Il fut destitué en 1647 après une enquête et un procès, mais les Guajiros s’étaient déjà réellement soulevés, avaient tué et blessé une trentaine de soldats, volé du bétail et brûlé des fermes. Les pêcheries durent être abandonnées, la route entre Riohacha et Maracaibo par voie de terre fut de nouveau coupée et les Guajiros, se détournant des Espagnols, traitèrent presque exclusivement avec les Hollandais qui s’étaient installés à Curaçao en 1634.
95Pendant un demi-siècle environ, les documents ne mentionnent plus les Guajiros. Espagnols et Indiens semblent s’ignorer dans cette région. Ce silence correspond sans doute à un recul des Espagnols, consécutif à la réaction indigène après les événements de 1645 mais, de façon générale, il y a peu de textes sur l’ensemble de la province de Santa Marta. Les onze gouverneurs et les sept évêques de Santa Marta et de Riohacha entre 1648 et 1693 ne paraissent pas s’être beaucoup souciés d’adresser des rapports au Roi sur l’état de la Province.
96Seuls les Indiens chimilas inquiètent les autorités vers 1687, mais leur principale préoccupation reste la contrebande, le commerce avec les navires étrangers et les incursions des bateaux de pirates ou de guerre sur le littoral. Entre 1655 et 1692, Santa Marta a été attaquée et pillée dix-neuf fois. A Riohacha et sur toute la côte de la Guajira, les Indiens, mais aussi les Espagnols, commercent avec les Hollandais.
97La Guajira vit donc, en marge du pouvoir, une période d’équilibre où rien ne semble déranger le statu quo et qui marque l’échec de l’expansion colonisatrice. L’absence de contrôle sur la Péninsule et l’accroissement constant du commerce avec les étrangers rendent alors nécessaire la mise en place d’une autre technique colonisatrice, d’un autre type de conquête : en 1694, une Cédula Real attribue l’évangélisation des Guajiros aux missionnaires capucins.
De l’évangélisation au soulèvement guajiro : 1694-1769
98L’action des missionnaires capucins ne commencera qu’en 1696 mais le début de l’évangélisation se situe en 1691 lors d’une « reconnaissance » effectuée par un curé de Santa Marta en Guajira. La date de 1694 correspond à la décision officielle de l’Espagne d’entreprendre une telle action, décision à laquelle l’expérience positive de 1691 a fortement contribué. La seconde date, 1769, correspond à un soulèvement important qui a vu la presque totalité des indigènes de la Guajira s’opposer aux Espagnols et il se différencie en cela des autres « guerres » qui étaient plutôt le fait de groupes locaux dans certaines régions de la Péninsule. Mais elle correspond aussi à l’incendie d’un des villages fondés par les capucins d’où ont disparu tous les registres et archives qu’ils avaient tenus jusqu’alors. Certes, l’action des capucins continuera après 1769 mais cette date marque, surtout pour un travail d’histoire, la fin d’une période et annule, en un sens, toute l’œuvre accomplie depuis le début du XVIIIe siècle. Si les éléments les plus importants des archives des missions sont irrémédiablement perdus, les archives générales des capucins de la Maison de Valence contiennent cependant des documents sur les missions de la Guajira qui viennent s’ajouter aux sources utilisées jusqu’ici. Ces documents offrent de multiples perspectives mais nous limiterons l’analyse à ce qui touche plus particulièrement à l’économie et à la diversité des groupes de la Guajira.
99En 1691 donc, le curé de Santa Marta arrivant « à environ deux lieues de Riohacha, au sud, dans un endroit appelé Soldados, peuplé par des Guajiros, parvint à baptiser deux adultes et plusieurs enfants »37 (Alcacer, 1959, p. 52). Les Indiens sont très impressionnés et lui demandent de rester ou de leur envoyer un curé. En 1694, une lettre du Roi ordonnant l’établissement des missions fait état de ces baptêmes, mais le ton n’est pas celui du texte d’Alcacer.. « arriva à un endroit nommé Soldados, région où habitent des Indiens rebelles de la nation guajira et, après leur avoir intimé de se convertir à notre Sainte Foi, parvint à baptiser douze personnes et neuf enfants... »38 (Lettre du Roi..., 1694).
100La confrontation de ces sources, l’une indirecte (Alcacer) l’autre directe (la Lettre du Roi), permet d’éclairer des points qui peuvent sembler anecdotiques. Elle illustre en fait la méthode suivie, soit le contrôle de l’information grâce à la confrontation de deux catégories différentes de documents à propos d’un même événement. Il y a, dans le cas présent, deux erreurs dans Alcacer. La première vient de la transcription et de la confusion entre dos et doce. Soldados est à douze lieues (cf. Simons, 1885, p. 781) de Riohacha — et non à deux — et douze Indiens — et non deux — ont reçu le baptême. La seconde erreur, peut-être moins nette, concerne la facilité avec laquelle le curé a obtenu ces conversions. Enfin, la présence de « Guajiros rebelles » si loin de Riohacha, à plus de 60 km au sud, dans le piémont est de la Sierra Nevada, renseigne sur l’extension du territoire des Guajiros.
101En 1693 (Romero, 1693) un texte d’un religieux expose les avantages et les difficultés de l’évangélisation des Guajiros : « J’ai trouvé certains d’entre eux, déjà adultes, baptisés ; je les ai confessés car tous les Indiens du Rio del Hacha savent bien la langue espagnole [...] toute la terre est riche en viande et maïs et les Indiens élèvent beaucoup de bovins et les fermes espagnoles sont très proches desdits Indiens »39 ; certains d’entre eux semblent souhaiter d’ailleurs la venue des religieux et leur offrent même du bétail : « un roitelet nommé D. Francisco offrait au Licenciado Juan de Campo beaucoup de bétail et d’autres aides et de lui fabriquer une église »40 (ibid.).
102Mais la présence de missionnaires dérange les échanges entre les Indiens et les Espagnols de la région : « comme ceux-ci achètent aux Indiens les perles, le bétail et les chevaux contre des colifichets et de la verroterie ils persuadent, ce faisant, les Indiens »41 (ibid.), c’est-à-dire que les Espagnols s’opposent à la venue des missionnaires qui seraient témoins de l’inégalité des échanges. Les capucins se plaindront très souvent de l’attitude de la population non indienne de la Guajira dont il ne faut pas sous-estimer le rôle dans l’échec de la Mission. Les capucins troublent l’« ordre » de la Guajira et ils sont, de plus, placés directement entre le Roi et les Indiens et ne sont pas soumis aux autorités locales.
103Les débuts de la Mission capucine se passent dans la confusion : des missionnaires de la Maison d’Andalousie partent de Caracas et arrivent à Riohacha où ils rencontrent ceux de la Maison de Valence officiellement chargés du territoire de Santa Marta et de la Guajira. Sur les onze missionnaires, sept meurent de fièvres en Guajira ; deux des survivants partent en Espagne en 1697 pour chercher de nouveaux missionnaires.
104En 1696, les capucins et l’évêque de Santa Marta rivalisent de zèle pour baptiser les Guajiros. Les uns baptisent un cacique « très rusé et sociable avec les Espagnols » du nom de Juan Mariscoti ainsi qu’une centaine d’Indiens dans un endroit appelé Menores. Ces Indiens « étaient utilisés comme plongeurs dans les pêcheries de perles » (Buenaventura, 1964, p. 448). A cette époque, les Guajiros exploitent eux-mêmes les pêcheries de perles que les Espagnols avaient abandonnées. Avec les bovins et les chevaux, les perles entrent dans ce que les Guajiros échangent avec les Espagnols. Il n’est pas surprenant que les premiers Indiens à être baptisés soient ceux qui ont des contacts commerciaux avec les Espagnols : tant pour les uns que pour les autres, il était important que ces relations soient maintenues. Quant à l’évêque de Santa Marta, il rapporte, dans une lettre au Roi de 1696 (Lettre au Roi, 1696) qu’il a baptisé deux caciques : « à force de persuasion et de stratagèmes, j’ai persuadé Don Juan de Moscotigui et Dona Luisa de Velasco (caciques, seigneurs et roitelets des Indiens appelés guajiros) de recevoir le baptême [...] ainsi qu’onze fils et neveux »42 ; il ajoute « avec la réduction de ces gens sont aussi réduits un nombre infini d’Indiens guajiros et une Province de plus de 40 lieues ».
105Avec le baptême de ces deux caciques qui sont frère et soeur, et celui des Guajiros de la région de Menores, village situé à une trentaine de kilomètres au nord-est de Riohacha, commence toute une série de documents qui permettent de reconstituer les liens de parenté unissant les personnes qui ont successivement occupé la position de cacique. Le fils de la fille de Dona Luisa, Cecilio López Sierra, né en 1698, sera le cacique dont le nom reviendra le plus souvent dans les documents. Tout comme son grand-oncle maternel, il avait « un penchant pour Votre Majesté, notre Sainte Loi et les Espagnols »43 comme l’écrit l’évêque de Santa Marta à propos de Juan de Moscotigui. Il sera toujours du côté des Espagnols, et les Indiens dont il est le chef le seront presque toujours aussi.
106Mais en dépit de sa « coopération » avec les Espagnols, cette famille n’en suit pas moins la règle guajira pour l’héritage de la charge de cacique. Si, à la mode espagnole, Cecilio López Sierra porte le nom de son père Jacintho López Sierra, il devient cacique parce que sa mère est la fille de Dona Luisa. Il tentera, en 1769, de démissionner de sa position pour y mettre un de ses fils, Antonio Joseph ; mais ce sera un autre de ses fils, issu d’un autre mariage, Joseph Francisco, qui lui succèdera, « non pas parce qu’il était fils légitime du cacique antérieur Don Cecilio, mais parce que, par le sang du côté maternel, cette charge lui correspondait »44 (Cacicazgo de la Guajira, 1788, fol. 941 v). De la même façon, Joseph Francisco aura d’un mariage avec une espagnole, un fils Pablo qui ne pourra être cacique puisque la ligne maternelle guajira s’arrête avec lui.
107La tentative de Cecilio López Sierra pour briser la filiation matrilinéaire est donc un échec ; mais c’était également une façon de se placer définitivement du côté espagnol. Cette tentative se situe en 1769, date du soulèvement presque général de la Guajira et moment où sa position vis-à-vis des autres chefs guajiros était extrêmement délicate. Comme conséquence de cette rupture avec la société guajira ou, en tous cas, de l’ambiguïté de sa position, il mourra très pauvre, comme l’attestent les dettes que ne peut rembourser une de ses épouses (Dona Maria Gil..., 1777, fols 194-198 v), la mère de celui qu’il voulait installer à sa place.
108Entre 1696 et 1769, le prestige et la richesse de certains membres d’une « famille » se trouvent réduits à néant pour avoir voulu se situer à la fois dans les sociétés guajira et espagnole. Le titre de cacique reste dans le matriclan mais change de matrilignage car, comme l’écrit un lieutenant de Riohacha, « bien qu’il y ait à Cienfuegos et Boronata (qui sont des villages) des neveux du dernier cacique, ils sont très pauvres et personne ne leur prête attention »45 (Cacicazgo de la Guajira, 1788, fol. 947 v).
109Le pouvoir d’un cacique est donc bien fonction du degré d’intégration à la société guajira et de la richesse, et il est vraisemblable que le premier facteur détermine le second. En 1769, Cecilio Lopez Sierra n’a presque plus de pouvoir sur ses gens ; il réunit avec peine quelques dizaines d’Indiens, alors que son grand-oncle paraissait commander « à un nombre infini d’Indiens guajiros ».
110Il y a très certainement une erreur d’appréciation — mais est-elle involontaire ? — de la part de l’évêque de Santa Marta. Que d’innombrables Guajiros et une province de plus de 40 lieues, c’est-à-dire la Guajira tout entière, soient sous l’autorité de Juan de Moscotigui et sa soeur, sera très vite infirmé par les révoltes des Indiens, comme celle de 1701 où la population de Menores et son cacique Amoscotegui (= Moscotigui) doivent se replier à Moreno, situé dans une région plus au sud, plus espagnole et donc plus sûre : « les habitants durent se retirer précipitamment avec leurs biens dans la région de la ville de Valle Dupar et laisser derrière eux tout le petit bétail, les meubles et les maisons »46 (Amaya, 1788, fol. 647 v). On retrouve cette limitation du pouvoir ne s’exerçant que sur un groupe défini localement dans le cas de Cecilio López Sierra qui devra combattre avec les Espagnols contre les Guajiros et les Cocinas.
111En baptisant ces deux caciques, l’évêque de Santa Marta croyait assurer la conversion de toute la Guajira alors qu’il ne s’agissait en fait que d’une infime partie de la Péninsule puisque des villages situés à 10 ou 15 km autour de Menores (Cruz, Orino, el Toco) se liguèrent contre Menores au cours de la révolte de 1701 : soit parce qu’ils obéissaient à d’autres chefs, soit parce que ces trois villages avaient cessé d’obéir à Juan de Moscotigui.
112L’extension du pouvoir qu’exerce un chef guajiro au XVIIIe siècle dépendait de sa richesse et de son prestige mais aussi des circonstances et du jeu des alliances avec d’autres groupes locaux : ce pouvoir pouvait être sans cesse remis en question lorsque les intérêts des groupes divergeaient. On peut considérer que les caciques de Menores, dans leurs moments de « pouvoir maximum », exerçaient une certaine autorité sur une région approximativement comprise dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres autour de Menores. Aux moments de « pouvoir minimum », seul Menores et ses environs immédiats restaient sous leur autorité.
113Les Espagnols, qu’ils soient militaires ou religieux, ont eu beaucoup de difficultés à comprendre et à accepter les incessants changements d’attitude des Guajiros : tous les textes font état de « l’inconstance de ces Indiens », parfois unis mais divisés le plus souvent. Les Espagnols ont répété tout au long du XVIIIe siècle l’erreur commise par l’évêque de Santa Marta en 1696 : bien que formant une unité linguistique et, dans une certaine mesure, culturelle, les Guajiros étaient divisés en nombreux groupes locaux dont beaucoup étaient liés par des alliances (mariages, par exemple) qui pouvaient se muer en conflits. Un incident minime entre deux groupes pouvait, tout comme cela se passe actuellement en Guajira, dégénérer en conflit armé. Ce sont cette unité, d’une part, et cette instabilité d’autre part, que les Espagnols ne pouvaient comprendre. Il leur aurait fallu traiter avec autant de chefs qu’en comptait la Guajira ou, plus exactement, avec tous les Guajiros qui se considéraient comme tels pour pouvoir arriver à contrôler la Péninsule.
114S’il est possible d’affirmer, à la fin du XVIIe siècle, que la Guajira présentait une unité linguistique, l’unité culturelle est cependant moins évidente dans la mesure où tous ses habitants n’avaient pas la même économie de subsistance, tout en étant liés par des relations d’alliance. Dans un rapport adressé au Roi, le capucin Mauro de Cintruenigo relate, en 1696, son premier contact avec les Guajiros. Il y rencontre les capucins arrivés depuis peu : certains étaient morts et aucun n’était en bonne santé à cause de l’air malsain et. de la corruption des eaux des lagunes. Selon eux « ces terres étaient stériles puisqu’il fallait aller très loin pour faire pousser un peu de maïs, que les Indiens étaient insoumis et qu’ils ne voulaient pas se réunir en villages... »47 (Cintruenigo, 1696, p.3). Les missionnaires ne trouvent, pour y établir un centre, qu’un seul endroit avec de l’eau en permanence, situé à onze lieues de Riohacha sur les berges d’une rivière : il s’agit sans doute de Camacho, sur un affluent du Rancheria, mais sa localisation est difficile à préciser. Les cultures de maïs doivent se faire à dix lieues de là, à Guaçara, c’est-à-dire à l’est de la Guajira. Les difficultés mentionnées pour établir un village et surtout pour la culture du maïs sont contredites par les champs existant dans la région de Riohacha ; mais il est fort possible que les terres cultivables aient été déjà occupées et que les missionnaires aient dû se contenter de celles de Guaçara, région où ils établiront les missions d’Indiens ailles.
115Le problème de l’eau est sans cesse évoqué : « il y a un tel manque d’eau pour boire que les naturels vont la chercher très loin et c’est pourquoi ils changent leurs maisons d’endroit l’hiver et l’été ; l’eau de pluie qu’on recueille dans les lagunes en hiver fait plus de mal qu’elle ne rafraîchit à cause de sa corruption [...]. La cause d’une telle corruption est que l’on élève quelque bétail dans cette région et les bœufs viennent boire et gâtent cette eau qui n’est pas courante »48 (id., p. 4).
116A propos du maïs, le texte dit (ibid.) : « les habitants de Riohacha vont à seize lieues pour semer un peu de maïs à l’endroit même où vont les Indiens parce qu’ils ne peuvent faire autrement »49 . Cette distance de plus de 80 kilomètres peut correspondre soit aux régions du sud ou du sud-est de la Guajira, soit à celle de l’actuelle Maicao, favorable à la culture du maïs (de maiki = maïs). Quoi qu’il en soit, ces lignes sont en contradiction avec la description de la fin du XVIe siècle des alentours de Riohacha où étaient situées de nombreuses cultures de maïs. On peut se demander pourquoi, en 1696, cela n’est plus le cas : les terres se sont-elles épuisées ou bien étaient-elles sous le contrôle des Guajiros ce qui obligeait les gens de Riohacha à cultiver le maïs très loin, là où le faisaient des Indiens qui ne sont pas nécessairement les Guajiros de Riohacha. On peut enfin formuler une troisième hypothèse : cette carence de terres cultivables peut provenir du développement de l’élevage qui était d’un meilleur rapport sur ces terres ; on serait alors en présence d’une situation analogue à celle des Antilles au début de la Conquête où le bétail espagnol avait privé les indigènes de leurs terres et de leurs ressources, avec la différence qu’en Guajira, il pourrait s’agir du bétail des indigènes.
117A l’image des problèmes que le milieu pose aux missionnaires, le contact avec les indigènes ne va pas sans difficultés : « Nous avons réussi à amadouer les Indiens en leur donnant des couteaux, de la verroterie et d’autres petites choses, mais nous n’avons pu les persuader d’aller habiter là où ils avaient leurs cultures ni par la douceur, des cadeaux ou des menaces ; la raison qu’ils invoquent était qu’il y avait beaucoup de moustiques et de vers pour le bétail »50 (ibid.).
118Les Indiens acceptent les cadeaux mais refusent d’aider les missionnaires à construire les maisons et l’église même lorsque ceux-ci les paient : « quand on demandait aux Indiens de nous aider à couper le bois, ils refusaient ; ceux qui acceptaient demandaient qu’on les paient d’abord et, une fois le paiement reçu, ils se cachaient le long du fleuve et ne voulaient rien faire »51 (ibid.).
119Ils se laissent cependant baptiser volontiers, trop volontiers même : « la plupart d’entre eux ont été baptisés huit ou neuf fois : ils se présentent et demandent qu’on les baptise car ils sont très intéressés par ce que leur donnent les parrains »52 (Cintruenigo, 1696, p. 5).
120Fray Mauro de Cintruenigo donne ensuite des éléments généraux sur les Guajiros : « Tout d’abord, la nation des Guajiros est peu nombreuse ; tous réunis, ils n’arrivent pas à deux cents familles ; ils sont tellement corrompus par la relation et le contact qu’ils ont et ont eu avec les mulâtres, nègres et métis, gens de peu de parole qui ne craignent pas Dieu et qui leur conseillent de ne pas se laisser convertir à notre sainte loi [...]. Les Guajiros sont une nation très intéressée ; à tel point que lorsque l’on a appelé leurs enfants à venir à la prière, les parents viennent ensuite nous trouver pour qu’on leur paie les jours où les enfants sont venus. Si l’on demande à un Indien d’ici ou d’un autre endroit de faire quelque chose et qu’il lui arrive quelque malheur comme tomber, se blesser avec une épine ou quelque autre accident, outre le paiement du travail, il demande un dédommagement en disant que ce mal lui est arrivé à cause de nous et de ce qu’il a fait pour nous »53 (id., p. 5-6).
121Les capucins sont assaillis de demandes de cadeaux et ont peur de refuser : plus ils donnent aux Indiens, plus ceux-ci sont nombreux à demander tout en refusant de rendre quelque service que ce soit en disant : « je ne suis pas ton nègre ni ton esclave ; cela nous est arrivé très souvent »54 (id., p. 5).
122Lorsque arrive l’époque de la pêche des perles, un grand nombre d’Indiens se rassemblent au Cabo de la Vela et se conduisent avec insolence à l’égard des Espagnols qui achètent les perles ; « si un Espagnol fait quelque chose contre ces Indiens ils convoquent les Indiens cocinas et les Indiens arhuacos qui se trouvent dans le Valle d’Upar et, parce qu’ils sont si nombreux ils alarment toute la région »55 (id., p. 6).
123« Ces Indiens sont distribués en un grand nombre de maisons ; dans chacune d’elles vivent seulement deux ou trois familles et pas plus car la nourriture et l’eau ne le permettraient pas. Les deux maisons principales font exception, l’une étant celle du cacique et l’autre d’un capitaine qui vit près du Cabo de la Vela en un endroit appelé Orino ; ces maisons sont plus peuplées et elles sont permanentes. Les autres sont comme celles de gitans qu’il est impossible de persuader de vivre rassemblés ; quand meurt l’un d’entre eux, ils mettent le feu à la maison et quittent l’endroit sans qu’il soit possible de les en empêcher.
124On ne peut à aucun moment de l’année cathéchiser ces Indiens car la moitié du temps ils sont dans la pêcherie de perles et le reste occupés à leurs cultures qui sont tellement dispersées qu’on reste longtemps sans les voir car, comme des sauvages qu’ils sont, ils affectionnent les bois. Nombre d’entre eux refusent de semer : ce sont ceux qui vivent près de la mer ; ils ne vivent que de pêche. Les Indiens qui sont voisins des Cocinas se nourrissent de lézards, serpents, caïmans et autres choses analogues : ils ne font grâce à aucun animal, aussi immonde soit-il. Il y a d’autres Indiens, vers la montagne, qui cultivent le sol et ont quelques bœufs et ce sont ceux qui sont les mieux lotis.
125Et parce que le cacique nous avait reçu chez lui, six capitaines parmi les plus proches, se sont soulevés contre lui, disant qu’ils devaient le tuer, qu’ils ne voulaient pas de religieux, que leurs parents n’en avaient pas eu [...] ce qui nous stupéfie est qu’il se soit trouvé des gens pour en avoir convaincu les Indiens, à des fins que je ne saisis pas »56 (id., p. 7-8).
126En conclusion, Fray Mauro de Cintruenigo demande au Roi l’autorisation d’aller porter l’Evangile dans d’autres régions, chez des Indiens plus dociles comme les Aratomos et les Macuira, par exemple, de la Sierra de Perijà.
127Le ton de ces quelques extraits est très pessimiste sur l’avenir de la Mission guajira. Il ne variera pas, à quelques rares exceptions près, tout au long des XVIIIe et XIXe siècles. Quant aux capucins présents aujourd’hui dans la Guajira, ils ont une vision quelque peu résignée de leur action : les Indiens reçoivent le baptême mais aussi et surtout les cadeaux de leurs parrains, ils se font payer les services qu’ils leur rendent et personne n’est à l’abri d’une demande de compensation si quelque accident survient à l’Indien qui rend ce service.
128L’évêque de Santa Marta, dans une lettre au Roi en 1699, non seulement critique très vivement ce pessimisme des capucins mais aussi le fond et la véracité des informations qu’ils donnent : « je suis resté pâmé de la relation sinistre et fausse [...] je mentionne ce cas pour que l’on n’accorde aucun crédit à quoi que ce soit sans un rapport des prélats ecclésiastiques »57, c’est-à-dire de l’Eglise séculière (Lettre au Roi... 1699, p. 4).
129La vision de la Guajira qu’avaient les curés et les évêques de Santa Marta était tout autre ; à la différence des capucins, ils ne restaient pas dans la Péninsule, ce qui peut expliquer leur optimisme, tout aussi exagéré. Il ne faut pas, non plus, oublier la rivalité des deux clergés qui, tout en n’étant pas l’une des raisons de ces différences, n’en reste pas moins une cause importante.
130Quelles que soient les critiques que l’on peut faire des deux côtés, ce texte reste le plus ancien et le plus complet de ceux dont nous disposons sur la Guajira. L’élevage que pratiquent certains Indiens semble déjà bien installé : ils se refusent à s’établir de façon permanente et d’occuper certains endroits où les conditions ne sont pas bonnes pour le bétail. La mobilité des Guajiros se réduit en fait à une double morphologie saison des pluies/saison sèche, mobilité sans doute causée par les besoins du bétail. Ils vivent aussi de la culture du maïs et les champs peuvent être fort éloignés de l’un des endroits où ils habitent. Une troisième composante de leur économie est la pêche des perles qui, par le troc, leur permet d’obtenir des produits espagnols. La chasse et la cueillette, enfin, ne sont pas mentionnées à propos des Indiens qui ont du bétail mais on peut penser que, tout en n’étant pas essentielles à la subsistance, elles devaient faire partie de l’économie.
131La « nation guajira », ces deux cents familles dont parle le texte, semble correspondre aux Indiens qui vivent dans la région du sud (autour de Riohacha) et du centre de la Guajira. Les régions du nord et de l’est sont habitées par des groupes qui reçoivent des noms différents et qui apparaissent dans les textes de la même époque : ce sont les Indiens macuiras, cocinas, apiesi, parauje, etc. Au fur et à mesure que les Espagnols connaîtront mieux la Guajira, ils étendront le terme guajiro à un nombre croissant d’Indiens.
132Certains groupes ont une économie différente de celle des «Guajirosros » : ceux qui vivent près de la mer subsistent essentiellement de la pêche et ceux qui sont voisins des Cocinas vivent de la chasse de petits animaux, complétée certainement par la cueillette ou même un peu d’agriculture. Mais, dans les régions favorables, les Indiens pratiquent une économie dans laquelle l’élevage et l’agriculture sont associés.
133D’après ce texte, les économies de subsistance apparaissent comme très tranchées. Mais les différents groupes ont des relations entre eux. Les Guajiros peuvent appeler à l’aide les Cocinas ainsi que les Aruacos (groupe certainement différent des Arhuacos de la Sierra Nevada) du sud de la Guajira, sans doute de la région de Soldados et des villes actuelles de Barrancas et Fonseca. Les liens entre les habitants des différentes régions sont précisés dans des textes du milieu du XVIIIe siècle : il s’agit non seulement de liens d’alliance par le mariage (entre Guajiros de l’ouest et Cocinas de l’est) mais aussi de gens de la Haute-Guajira (Macuira), vivant dans les alentours de Riohacha. Il y a donc des relations entre les différentes régions mais aussi une mobilité des Indiens sur l’ensemble de la Péninsule malgré l’opposition des économies qui n’est peut-être pas aussi nette que le dit le texte.
134C’est à cause de ces relations et de cette mobilité de l’individu entre des régions où l’essentiel de l’économie était différent que nous avons caractérisé l’unité culturelle de la Guajira comme partielle. On serait tenté de dire que cette unité était en train de se faire : les Cocinas, en effet, adopteront peu à peu l’élevage et, à la fin du XVIIIe siècle, tous les habitants de la Guajira qui le pouvaient faisaient partie de la même « culture pastorale ».
135Une dernière information que l’on peut relever dans ce texte apparaît à propos de la présence des capucins dans la maison du cacique, ce qui provoque la rébellion de capitaines — ou chefs — qui lui sont très proches. Cet incident confirme l’instabilité et la constante remise en question qui entourent le pouvoir et l’autorité du cacique guajiro. Un des problèmes de l’interprétation des textes espagnols qui décrivent les Indiens est le sens qu’il faut donner au mot capitán par rapport à celui de « cacique » : ces deux mots désignent-ils des fonctions différentes, le capitán est-il un chef de guerre et le « cacique » un chef de paix — comme on l’a écrit de certaines sociétés amérindiennes ? Il est difficile, dans le cas des Guajiros, de se prononcer avec certitude : il semble toutefois que ces deux mots dénotent non pas deux fonctions séparées mais plutôt une hiérarchie relative, le « cacique » étant supérieur au capitán. Le cacique conduit d’ailleurs les Indiens armés et capitán signifie « capitaine » mais aussi « chef ». Les textes laissent enfin appraraître la difficulté que les Espagnols avaient à nommer les Indiens importants et, par conséquent, à nommer le pouvoir : l’abondance de mots qui le signifient — cacique, roitelet, petit roi, grand seigneur, capitaine, Indien principal, etc.58 — témoigne de cet embarras.
136La révolte de 1701 qui a vu l’alliance de différents villages contre les Espagnols et contre le village du cacique Amoscotegui a été provoquée par la réaction des habitants de la Province face aux vols incessants que commettaient les Cocinas : « et les habitants, croyant que seuls les Cocinas étaient des voleurs, voulant contenir ces excès, les Guajiros se soulevèrent... »59 (Amaya, 1788, fol. 647). La frontière entre les Cocinas et les Guajiros devient assez floue d’autant plus que le texte précise que les genres de vie des deux groupes était le même et que les Guajiros, comme les Cocinas, se sont mis à voler le bétail pour le diriger ensuite — et c’est peut-être là que se différencient les deux groupes — vers la Haute-Guajira, ce qui explique les grands troupeaux que possèdent les Guajiros en 1788, à l’époque où est écrit ce texte.
137En 1701, « commencèrent les vols des Cocinas dans les fermes opulentes de cette province, si agréables et si grandes car il n’existe pas d’animal féroce qui puisse les menacer. Jusqu’à cette époque, ils n’avaient pas de bétail, ne mangeaient pas de viande de bœuf et s’alimentaient seulement de celle de chevreuil et de cerfs qui abondent dans cette région, de racines et de fruits sauvages. Voyant cela, les Guajiros qui vivaient de la même façon firent de même, éloignant vers le haut les troupeaux qu’ils volaient : de là proviennent les grands troupeaux qu’ils ont »60 (ibid.).
138Ce texte présente des contradictions avec celui de 1696 puisqu’il décrit les Guajiros (ou peut-être seulement certains d’entre eux, le texte est en fait ambigu), comme vivant de chasse et de cueillette en 1700. Il est certain que celui de 1696, puisqu’il a été écrit sur le moment, rapporte la situation réelle. Mais il ne faut pas pour autant écarter l’autre. Il prend certes des libertés avec la chronologie mais l’important est précisement cette confusion entre Cocinas et Guajiros. Voulant punir les uns, les Espagnols voient les autres se soulever aussi contre eux ; cette confusion dans un texte écrit quatre-vingts ans après les événements montre que la frontière entre les deux groupes n’était pas tout à fait nette et qu’on assistait sans doute, au début du XVIIIe siècle, à l’adoption progressive de l’élevage par tout un secteur de la population de la Guajira qui, de « cocina » devenait « guajira ».
139A la suite de cette révolte, les Espagnols font une expédition avec l’aide d’Amoscotegui et des Indiens de Menores et de Moreno, puis « treize sorties, avec le même bonheur que la première ; sans verser une goutte de sang, les Guajiros et les Cocinas vivant le long du chemin de Maracaibo demandèrent la paix »61 (id., fol. 649 v).
140En 1710 survient un nouveau soulèvement des Indiens d’Orino, aidés par les Cocinas. Les « sorties », « dont je n’ai pas le nombre présent à l’esprit » (id., fol. 650 v), se succèdent et alternent avec les révoltes. Si bien, qu’en 1715, « les Guajiros étaient complètement abandonnés » par les capucins (Alcacer, 1959, p. 63) qui s’étaient retirés de la région et « depuis Maracaibo suivaient les vicissitudes de la nation guajira » (ibid.). En 1721, on trouve trois missionnaires (à Menores, à La Cruz et à Toco) dans la Guajira. Mais ils devront partir renforcer la Mission de Maracaibo. Ils reviennent timidement en 1727 et, en 1744, l’évêque de Santa Marta, dans sa visite à la Guajira, ne trouve que deux missionnaires, l’un à Boronata et l’autre à Rincón, à quelques kilomètres de distance.
141Entre 1715 et 1739, la province de Santa Marta est le théâtre d’une lutte entre les gouverneurs, Caicedo notamment, l’évêque Monroy et les capucins. L’évêque est le plus virulent et s’oppose aux gouverneurs et aux capucins qui ne faisaient qu’appliquer les ordres du Roi. Il excommunie les capucins et le Cabildo de Riohacha, accusant les premiers de vouloir évangéliser les Guajiros par la force et le Cabildo de les soutenir. Il demande que « cesse l’usage des armes et qu’il effectuera lui-même avec ses abbés la réduction des Guajiros et des Cocinas »62 (Amaya, 1788, fol. 652). Il fonde un village au lieu-dit Salado « d’Indiens barbares Cocinas, sur le chemin de Maracaibo, à vingt lieues de cette ville » (ibid.) ; il y attire les Indiens « à force de cadeaux, en leur donnant chaque jour du maïs, de la viande, du hayo (c’est-à-dire de la coca) qui est la feuille qu’ils mâchent chaque jour avec le poporo (calebasse remplie de chaux) [...] en les ayant habillés de mantas comme le font les Guajiros, vêtement qu’ils n’avaient jamais utilisé car cette espèce de gens vivent et meurent nus, les hommes portent une petite calebasse et les femmes seulement un court tablier de palmes souples sur le devant qui cache leur honnêteté »63 (id., fol. 652 ν). Il fonde ensuite les villages de Parauje et Calabazo — sur la côte est de la Guajira, bien en vue des capucins de Maracaibo — tous deux également d’Indiens cocinas.
142Ces trois villages que l’évêque voyait comme la preuve de la réussite de son action, se révoltent, et il n’échappe à la mort que parce que des Indiens le préviennent de l’imminence de la violence et lui laissent — peut-on penser — le temps de s’éloigner.
143Il y a donc réussite apparente lors de la fondation de villages — vers lesquels on attire les Indiens par des cadeaux et de la nourriture ; puis la pression espagnole se relâche, la révolte éclate soudain et les villages doivent être abandonnés. C’est le schéma classique, vrai dans presque tous les cas, des implantations espagnoles en Guajira quelles que soient les méthodes utilisées.
144La stratégie employée par l’évêque pour attirer les Cocinas est remarquable : il les nourrit et habille comme des Guajiros. Tentative de colonisation hors du commun en ce sens qu’il ne cherche pas à hispaniser les Cocinas mais à les « guajiriser », considérant peut-être cette étape comme nécessaire et plus proche de la « civilisation ». Mais, et l’on revient à la différence entre Guajiros et Cocinas, le maïs (cf. le site de La Pitia), la viande de bœuf, la coca et les montas étaient-ils des éléments étrangers et incompatibles avec la culture cocina ? La réponse violente pourrait le laisser penser mais c’est celle qui a été faite à toutes les tentatives de fondation, tant chez les Guajiros que chez les Cocinas. Ce que faisait l’évêque allait dans le sens de ce que l’on pourrait considérer comme « l’évolution » des Cocinas qui se rapprochaient peu à peu du « modèle » guajiro.
145Cette tentative de « réduction » des Cocinas est un échec. Mais les Guajiros se font aussi très pressants si bien que les habitants de Riohacha demandent l’autorisation de transférer la ville « dans le site de Camacho, à dix lieues de là, dans des terres amènes, saines et fertiles, à l’abri des pirates, où il leur sera plus facile de protéger les troupeaux contre les Guajiros qui, en une seule année, avaient volé plus de dix mille bœufs »64 (Restrepo-Tirado, 1975, p. 327). Les Guajiros volent le bétail et rendent impossible le travail des capucins : « ils sont trop nombreux et opposés à la doctrine de l’Evangile et ont un caractère si mauvais qu’à partir de motifs anodins ils déclarent la guerre »65 écriront les capucins réunis en chapitre à Maracaibo en 1730 (Armellada, 1960, p. 233).
146Mais les Guajiros sont aussi « inconstants ». La preuve en est l’incident qui oppose certains d’entre eux, vers Pedraza en 1721, à l’escorte qui, sur l’ordre du Vice-Roi conduit les capucins qui se trouvaient jusqu’alors en Guajira vers les missions de Maracaibo. Environ deux cents Indiens guajiros, de Menores, La Cruz et du Toco, « certains à pied et d’autres à cheval » (Armellada, 1960, p. 236) « et encore d’autres venant des montagnes qu’ils avaient convoqués »66 (Alcacer, 1959, p. 98), refusent de laisser partir les capucins, en disant qu’ils n’avaient pas été consultés, qu’ils voulaient les garder, que le Roi les leur avait donnés et que seul un ordre du Roi pourrait les leur retirer. Finalement, les capucins sont dirigés vers Mancornado (à 50 km à l’ouest de Pedraza) chez le capitaine qui les conduisait, où ils attendent que le Vice-Roi prenne une décision.
147Durant cette époque, les Espagnols effectuent de très nombreuses expéditions en Guajira, tant militaires et punitives — le père de Amaya y Buitrago a fait « quarante et une sorties de guerre contre les Cocinas » (Amaya, 1788, fol. 653) — que pacifiques. L’évêque et le gouverneur rivalisent de zèle dans ce domaine. Les endroits visités sont presque toujours les mêmes et les informations que l’on peut en tirer concernent presque uniquement le recensement des populations habitant dans les villages. Il s’agissait, pour l’évêque, au cours de ces voyages, de prouver l’action nulle et même négative des capucins et, pour le gouverneur (sans doute plus objectif), d’appliquer les ordres du Roi et d’évaluer les positions espagnoles en général dans la Guajira.
148Aussi nombreuses que soient ces visites, elles n’ont lieu que dans la région comprise entre Riohacha et Manaure à l’ouest et s’étendent à l’est jusque vers les deux tiers de la Péninsule avec, parfois les trois villages fondés par l’évêque. Elles ne dépassent jamais la ligne qui part de Manaure et passe entre le Cerro de la Teta et le sud de la Serrania de Cocina ; elles ne concernent donc qu’un sixième environ de la Guajira. De la région comprise entre Riohacha, Menores et Manaure, l’évêque dit : « tous ces Indiens parlaient espagnol. Certains gardaient du bétail, d’autres se livraient à la pêche des perles qu’ils vendaient contre de la coca, de la verroterie et de la viande de bœuf »67 (Garcia Benitez, 1953, p. 179).
149Trois ans plus tard, Caicedo fait un recensement de six villages (La Cruz, Orino, Manaure, Menores, Palmarito et Rincon) qui comptent au total 1 784 habitants. Pour trois d’entre eux (Orino, Menores et Palmarito), il note qu’il y a chaque fois une centaine d’absents (le quart pour Menores, village le plus peuplé, et la moitié pour les deux autres). A Menores et Palmarito, les habitants cultivaient les « terres fertiles » et tissaient hamacs et mantas ; à Rincon, ils pratiquaient aussi l’élevage. Tous ces villages sont décrits comme « villages d’Indiens » comme ils le seront en 1761 et 1773, d’après les textes et les cartes de B. Ruiz de Noriega et d’A. de Arévalo respectivement. Caicedo se dirige ensuite à l’est, vers les villages de Cocinas fondés par l’évêque ; il est reçu à Parauje par des Indiens en armes. Le conflit n’éclate pas, mais à peine est-il parti qu’ils brûlent ce qui restait de l’église.
150Caicedo évalue la population indigène de la Guajira à environ 30 000 habitants, « nation belliqueuse comprenant plus de 14 000 guerriers » (Restrepo-Tirado, 1975, p. 349) : l’une des estimations (et sans doute la seconde), est forcément fausse mais permet d’apprécier l’image que les Espagnols avaient ou voulaient donner de la puissance des Guajiros. Ils sont « attachés à leur liberté, rites et superstitions » (ibid.). Caicedo est partisan de les réduire par la force et de les réunir dans des villages qu’il faudrait établir sur la côte, comme Bahia Honda où se trouve « la faction la plus noble et riche » (ibid.) et Chichivacoa (versant nord-est de la Macuira) d’où pourrait commencer la conquête de la Guajira qui était, en 1724, toujours à faire.
151La localisation dans la Haute-Guajira de la « partialité (ou faction) la plus noble et la plus riche » est à relier au rôle de cette région comme lieu d’accumulation du butin provenant des raids contre les fermes espagnoles. D’une part, cette région est restée hors d’atteinte des Espagnols — jusqu’à 1750 environ, avec la fondation de Bahia Honda — et, d’autre part, son littoral était le lieu des échanges entre les Guajiros et les navires étrangers, surtout hollandais en raison de la proximité de Curaçao. Que le bétail ait été accumulé dans cette région n’est donc pas un hasard mais suppose une volonté commerciale. Que ce bétail ait été volé dans le Sud, accumulé et échangé dans le Nord impliquait également des relations d’échange entre les deux régions, entre Guajiros du Sud et du Nord, mais aussi entre Guajiros et Cocinas.
152Un des moyens de lutter contre les vols incessants de bétail commis en Basse-Guajira était de contrôler la Haute-Guajira. Tel sera le but des fondations de Bahia Honda, Apiesi, Sabana del Valle, etc., au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. C’est pourquoi les habitants de la Province veulent « envoyer une expédition à Chimare, sachant les grands biens qu’y possèdent ces Indiens qui sont également fort nombreux, que ce sont ceux qui commercent le plus avec les étrangers et que ces derniers les ont rendus habiles au maniement des armes à feu [...] mais comme ils sont à plus de cinquante lieues de la ville ils ne causent aucun tort bien qu’ils abritent les voleurs qui déposent dans cette région ce qu’ils dérobent... »68 (Amaya, 1788, fol. 658 ν et 659). Une telle expédition — qui sera d’ailleurs un échec — est délicate et « demandait beaucoup de réflexion »69 (id., fol. 659) puisqu’elle vise des Indiens qui ne causent pas directement de tort aux Espagnols de la Guajira. Ces tentatives de contrôle auront pour résultat de dresser ouvertement les Indiens de la Haute-Guajira contre les Espagnols et d’étendre ainsi le conflit à toute la Péninsule.
153Sans tomber dans les accusations exagérées de l’évêque de Santa Marta, il est certain que les résultats obtenus par les capucins en Guajira ne correspondaient pas à ce qu’attendaient les autorités espagnoles. De tous les Indiens, les Guajiros étaient ceux qui posaient le plus de problèmes aux capucins. Dans la Sierra Nevada, la région de Maracaibo et celle du Valle d’Upar les missions étaient plus stables et si les conversions n’y étaient pas extrêmement nombreuses, du moins les capucins n’étaient-ils pas obligés de se réfugier ailleurs — comme c’était le cas pendant les révoltes guajiras. A l’inverse de ce que l’on attendait d’eux, à savoir que leur action permette une implantation et un contrôle espagnols, ils ne développent leur action que dans des zones où la présence espagnole le leur permettait.
154Vers les années 1740, les autorités de la Nouvelle-Grenade étaient très préoccupées par cette situation. Pour tenter d’y remédier, dès 1744, on envisage de diviser la mission existante — Santa Marta et Maracaibo — en deux missions distinctes. Cette décision est prise en 1749 : les capucins de Valence conservent la Mission de Santa Marta et ceux de Navarre sont chargés de celle de Maracaibo.
155Bien que cette division entraîne un accroissement du nombre des missionnaires, certains sont d’avis que là n’est pas la solution du problème. L’évêque de Santa Marta, Arauz, dans une lettre au Roi, écrit en 1747 (Arauz, 1747) : « J’ai parcouru également les terres des Indiens guajiros, j’ai vu, j’ai pleuré et je me suis lamenté de leur état [...] Je déclare seulement pour décharger ma conscience que si l’on n’y place pas d’autres missionnaires que les capucins, ou d’autres qui ne soient pas vénaux et si Votre Majesté, avec sa force temporelle, n’aide pas à réduire cete idôlatrie... »70 et insiste ensuite sur la grande efficacité des missions jésuites.
156Confier les Guajiros aux jésuites semble de plus en plus souhaitable et, en 1749, trois mois après la division de la Mission capucine, le Roi informe le Vice-Roi du départ de sept jésuites pour la Mission de la Guajira. Mais la Cédula Real qui doit confirmer l’affectation des jésuites n’est jamais envoyée ; au contraire, ils sont dirigés sur le Darien et les capucins restent en Guajira. En 1767 les jésuites sont interdits dans le Nouveau Monde.
157Vers 1750 deux livres sont consacrés à la description de la province de Santa Marta dont l’un est écrit par le Père A. Julián, un des sept missionnaires jésuites. L’autre est l’œuvre de l’Alférez (sous-lieutenant) José Nicolas de la Rosa qui écrit vers 1730. Il consacre une dizaine de pages aux Guajiros qui « sont ceux qui habitent sur la côte de la mer, de la ville de Rio de la Hacha à celle du Sucuy »71 (N. de la Rosa, 1945, p. 276). Il souligne leur grande habileté dans les combats, leur mobilité, leur adresse et leur rapidité à rassembler dix ou douze mille guerriers dont un grand nombre sont montés.
158Les différents groupes qui composent la société guajira « sont toujours en guerre civile les uns avec les autres »72 (id., p. 286). Tant au niveau de la vengeance que pour réunir le montant de la compensation à la suite d’une dispute, le groupe est solidaire ; si le coupable ne peut la réunir « il doit mendier dans sa parentèle pour ce paiement et chacun doit lui donner selon ses moyens, jusqu’à ce qu’il ait rassemblé le nombre de têtes qu’il doit fournir »73 (id., p. 280). Mais cette responsabilité du groupe est appliquée également aux non-Guajiros : « Car, pour que ces Indiens tuent quelqu’un, il suffit qu’il appartienne à la population, partie ou lieu qui, selon eux, les a offensés »74 (id., p. 278). Les compensations s’évaluent en bétail : « Le prix est fixé à un certain nombre de têtes de bovins, chevaux, mules ou poules »75 (id., p. 280) ; « ils appellent une tête dix unités, que ce soient des bovins, porcs, chevaux, mules ou poules »76 (id., p. 281).
159Celui qui a le pouvoir est le cacique : « est seulement cacique celui qui a le plus de biens [...] et comme pendant les guerres civiles que se font les factions entre elles, ils se volent les biens, le pouvoir n’est donc pas permanent et passe ensuite à celui qui, ayant volé le plus, est devenu le plus riche [...] est riche celui dont les biens se composent de bétail (id., p. 278) [...] car ni les perles, ni l’argent ne constituent pour eux la richesse »77 (id., p. 279).
160Les Guajiros ne mangent pas de viande de bœuf tous les jours « pour ne pas tuer leur bétail ». De façon courante, ils mangent du poisson et autres produits de la mer, des chevreuils, des tatous, des tortues terrestres et, « comme pain », du manioc et des racines et des baies sauvages. « Ils ont la chance d’élever les meilleurs chevaux de la région et estiment par-dessus tout ceux dont la robe a le plus de couleurs parce qu’ils les croient plus résistants et plus fougueux »78 (ibid.).
161Telle qu’elle est décrite par N. de la Rosa, la société guajira est en grande partie celle qui existe aujourd’hui : l’héritage en ligne maternelle, la résolution des conflits par le paiement de compensations, les différents constants qui opposent les groupes entre eux et surtout la position centrale qu’occupe le bétail qui seul est signe de richesse. En revanche, certains éléments ont changé : le vêtement s’est modifié et l’usage de la coca a disparu. Entre ce texte et les documents de la même époque apparaissent certaines divergences : de la Rosa insiste sur l’absence de maisons et l’incessante mobilité et, au chapitre de l’alimentation, il ne mentionne pas le maïs, la seule plante cultivée étant le manioc. Mais il précise la part de la chasse et de la cueillette dans l’économie. Les animaux domestiques qu’il mentionne sont les mêmes que ceux que les Guajiros possèdent aujourd’hui avec, toutefois, une différence notable. Ni N. de la Rosa ni les autres textes ne citent les ovins et les caprins : est-ce une omission générale, ou bien les Guajiros n’en avaient-ils pas ? Les Espagnols en possédaient, si l’on en croit un court passage de Amaya (1788, fol. 647 v) où il mentionne le ganado menor (petit bétail) qui peut comprendre les ovins et les caprins. Ces animaux ne figurent pas dans les échanges avec les navires étrangers, bien que Drake en 1596 s’empare, en plus des bovins, de quatre cents chèvres et moutons dans les fermes espagnoles de Riohacha. Le petit bétail est donc présent en Guajira mais, semble-t-il, les Guajiros s’en désintéressent.
162A propos des Cocinas, de la Rosa écrit : « Ces Indiens (d’après ce qu’en disent les Guajiros) sont plus barbares qu’eux et par conséquent moins traitables, plus colériques, effrayants et fiers. Personne ne connaît leurs coutumes ; mais, puisqu’ils font presque un avec les Guajiros, elles doivent être de ce fait identiques aux leurs »79 (p. 286).
163Ecrit vers 1750, l’ouvrage du Père Julián contient surtout des généralités à propos des Guajiros. Se voulant synthétique et critique, le discours est ponctué de comparaisons et de jugements de valeur. S’il est certain que Juliân a vu des Guajiros à Riohacha, il semble que les informations qu’il donne viennent du frère du cacique Cecilio López Sierra avec qui il s’était lié d’amitié. Ce frère est, précise-t-il, un « ecclésiastique et un prêtre (frère seulement par la mère dudit cacique) » (Julián, 1951, p. 222). Julián est le seul à mentionner les voyages effectués tant à Santa Fe de Bogota qu’en Espagne par le cacique et il insiste sur le souci permanent qu’avait López Sierra de mener à bien la réduction des Guajiros. Ce dernier s’était même associé avec un commerçant espagnol et tous deux avaient conçu un plan de conquête « sans que le trésor ait à débourser un seul maravedi » (id., p. 245). En échange, ils ne demandaient que la licence du commerce d’esclaves et de l’importation de farine libre d’impôts pour les côtes de Santa Marta et de la Guajira. Le Vice-Roi savait qu’une fois la licence concédée les importations ne seraient pas uniquement constituées par des esclaves et de la farine mais par des produits plus précieux ce qui ruinerait très vite le commerce de la région et les finances de la Province. Aussi ce projet ne fut-il pas autorisé, dans ces années du moins. Car en 1761, le Vice-Roi ayant changé, un commerçant espagnol procède à une campagne de pacification des Guajiros qui ressemblait étrangement au projet décrit par Julián.
164C’est, en fin de compte, sur Cecilio López Sierra que Julián apporte le plus d’informations. A la fois Guajiro, et comme tel voulant soumettre les autres groupes, mais aussi très proche des Espagnols (par son père et son frère), intéressé par des projets commerciaux, sa stratégie s’avèrera finalement malheureuse puisque la position de cacique, tout en restant dans le même clan, échappera à son lignage.
165Dans l’attente de pouvoir mener à bien ses projets de conquête, C. López Sierra participe à toutes les expéditons punitives contre les groupes coupables de vols ou d’agressions contre des Espagnols. Au cours de ces expéditions, il agit plus en tant que Guajiro que comme Espagnol : si, de son point de vue, il ne fait que « récupérer » du bétail, du point de vue des Indiens victimes de l’expédition, il s’agit d’un vol. Par vengeance, ces Indiens s’attaqueront aux Espagnols et à leurs biens, puisque C. López Sierra leur est assimilable. Le résultat de ces expéditions est donc à l’opposé de ce qu’attendaient les Espagnols : au lieu de pacifier la région, elles ne font que la rendre plus agitée.
166López Sierra est sans cesse sollicité pour exercer son pouvoir sur ses voisins. Par exemple, le gouverneur de Riohacha écrit en 1753 au Vice-Roi, au moment où les Espagnols pensaient recommencer à exploiter les perles, pour lui demander d’écrire au cacique « pour qu’avant de commencer à pêcher les perles, il menace les seigneurs indiens qui vivent à Chimare et Sabana del Valle, qui sont Capariache et Maxusare »80 (Moreno et Tarazona, 1975, p. 32).
167Certains Espagnols voyaient cependant le rôle de Cecilio López Sierra comme ambigu et même néfaste ; c’est le cas du gouverneur de Riohacha — différent du précédent — qui informe le Vice-Roi en 1766 des actes commis par le fils de Sierra, Joseph Antonio, qui continuait l’action de son père. Le gouverneur s’est opposé à ses projets de représailles et (Joseph Antonio) « partit au mépris de mes recommandations [...] ; il passa par le village de Laguna de Fuentes et commença sa visite par les bœufs des Indiens pour satisfaire sa faim et sa gloutonnerie ; ce à quoi s’opposèrent deux Indiens — les armes à la main d’après lui, mais je ne sais si cela est vrai ; je sais en revanche, qu’ils ne nous ont causé aucun tort ; il s’empara d’un, l’attacha à un poteau et ordonna qu’on lui tire deux balles... » (id., p. 150) ; (à la suite de quoi) « j’ai cru bon de l’avertir à nouveau de ne pas se livrer à ces violences [...] » (et à ces) « vols qui sont la cause de l’insécurité »81 (id., p. 151).
168Au cours des fréquents conflits qui opposaient les différents groupes guajiros les uns aux autres, les caciques de Menores, et Cecilio López Sierra en particulier, n’étaient pas les seuls à se faire aider par les Espagnols pour augmenter pouvoir, richesses et territoire. C’est également le cas, en Haute-Guajira, « des principaux de cette nation, Coporinche et Maqusare ; ils se trouvent opposés l’un à l’autre avec leurs factions et veulent que nous protégions l’un pour éliminer l’autre »82 (id., p. 35) écrit, en 1753, le gouverneur de Riohacha.
169En 1775, cette stratégie sera toujours en vigueur : le cacique Sarara guide les Espagnols jusqu’à un endroit où habitent des Indiens rebelles « bien qu’ils soient apparentés » (Tarazona, 1975, p.39-40). Les groupes qui s’opposaient pouvaient être en même temps liés et l’alliance même une source de conflit : Juan Jacinto, Indien important vivant à Carrizal, ayant maltraité sa femme, parente des Indiens riches de la Haute-Guajira, est menacé par ces derniers (id., p. 38).
170Dans les documents, les références à ces conflits sont nombreuses : un capitaine de Menores, Lorenzo, qualifie les Indiens de Salado de « traîtres » (Restrepo-Tirado, 1975, p. 348) et, « en raison de vieilles haines de famille, le capitaine d’Indiens Salguero, du village de San Nicolas de los Menores, était ennemi du capitaine Paulito, qui vivait dans une des rares maisons qui restaient au Salado »83 (id., p. 353).
171Le jeu des alliances et des oppositions entre les groupes va de pair avec la mobilité des individus entre les différentes régions. C’est ainsi que Patricio Rodriguez à qui revient la position de cacique de Menores est « petit-fils d’une Indienne cocina prise à la guerre » (Altea, 1788, p. 5). Son frère, Martin se mariera avec une Indienne cocina et ira vivre chez elle (id., p. 9). Enfin, on retrouve Juan Jacinto, qui vivait à Carrizal, en Haute-Guajira « parce que, pour eux, quand ils se sentent en danger, ils s’arrangent pour mourir là où ils sont nés »84 (Moreno et Tarazona, 1975, p. 157).
172C’est dans ce contexte qu’apparaît en 1760 Bernardo Ruiz de Noriega, « aventurier qui, en compagnie de son père et de ses frères s’était livré au commerce des esclaves » (Restrepo-Tirado, 1975, p. 421). Il obtient du Vice-Roi l’autorisation d’effectuer la conquête de la Guajira. Il n’est pas impossible qu’il s’agisse de la personne dont parle Julian et que, comme Cecilio López Sierra, il ait dû attendre la nomination d’un nouveau vice-roi pour que son projet soit accepté.
173En janvier 1761, il entreprend son expédition, accompagné d’une centaine d’hommes à cheval et de huit ou dix missionnaires capucins. Il se rend d’abord à Boronata où résidait alors C. López Sierra. Ce dernier, souffrant, est remplacé par son « neveu de chair » (fils d’une soeur) Juan Francisco de Medina (Ruiz, 1761, p. 2). La troupe passe par les villages d’Orino, La Cruz, Rincón et s’arrête à Soledad, « village d’Espagnols », d’où Ruiz envoie un détachement de trente hommes vers la Haute-Guajira, en Chimare et Macuira, et un autre vers la côte du Cabo de la Vela. Cinq capitaines — ou cabezas (chefs) — accompagnés de trois cents Indiens arrivent à Soledad où Ruiz leur soumet une capitulación (traité) en dix-sept points qu’ils « acceptèrent et promirent avec plaisir et joie »85 (id., p. 5). Un autre Indien, Juan Jacinto, ne participa pas à cette rencontre mais avait volontiers offert « son obéissance au Roi Catholique » (id., p. 2 et 3).
174Ce sont donc cinq « capitaines » : Caporinche et Majuraré de la Haute-Guajira et Moscote, Santiago et Baltasar de la côte auxquels il faut ajouter les « Indiens » Juan Jacinto (resté chez lui) et Parauje (arrivé plus tard et venant du sud-est de la Guajira) qui signent ce traité le 28 janvier. L’ordre dans lequel les Indiens acceptent le traité n’est pas indifférent car il semble refléter une hiérarchie et une certaine stratégie.
175« La sortie qu’effectua le “Sefior Cabo” eut pour conséquence la réduction et la pacification de plus de dix mille Indiens »86 (id., p. 6). Parmi les conditions stipulées, certaines obligent les signataires à ce que leurs « factions se gardent entière et réciproque amitié, en se pardonnant les offenses » et que, « si une parcialité se rebelle, les autres doivent accourir, avec leurs armes et biens, pour soumettre et châtier les rebelles »87 (id., p. 5, conditions 14 et 16).
176Ce qui est décrit par Ruiz comme un succès complet n’est en fait que la première partie d’un plan qui comprend la fondation d’une ville à Bahia Honda et dans le site de Pedraza, la pacification avec mille hommes de la Guajira entière et le contrôle des côtes pour lutter contre la contrebande. Ruiz demande alors le titre de gouverneur de Riohacha au Vice-Roi et écrit en même temps au Roi pour qu’il le lui accorde. Cette erreur de tactique et le contenu des innombrables lettres et rapports provoquent auprès du Roi et du Conseil des Indes l’effet contraire : le Roi annule la « capitulation » accordée par le Vice-Roi et ses projets sont jugés si fantastiques que le Conseil des Indes est d’avis que Ruiz « avait quelque lésion ou faiblesse du cerveau » (Restrepo-Tirado, 1975, p. 422). Il passe néanmoins en Espagne pour faire valoir ses projets, mais il est condamné pour avoir utilisé des titres ne lui appartenant pas et continué son action après que le Roi ait annulé la capitulation.
177Dans une carte de la Guajira datée de 1766, Ruiz évalue le nombre d’Indiens « réduits et pacifiés » à 19 950 (Ruiz, 1766) ; il donne également la localisation d’environ huit « lagunes et puits d’eau douce », des principaux villages et groupes d’Indiens et le nom de leur chefs. Il n’est pas fait mention, malheureusement, dans tous ces détails, des noms que portaient ces groupes.
178Ruiz ne cessait de dénoncer — de façon peut-être trop appuyée — la contrebande et la vénalité des autorités de la Guajira. C’est pourquoi aussi bien ceux qui se sentaient menacés dans leur commerce illégal avec l’étranger que ceux qui pensaient que cette conquête n’était qu’un prétexte pour s’assurer le contrôle de la Guajira et le monopole de la contrebande s’opposèrent à l’action de Ruiz et influencèrent l’attitude du Roi, du Conseil des Indes et du Vice-Roi à son égard.
179De leur côté, les Guajiros ne semblèrent pas accorder trop d’importance au traité qu’ils avaient signé avec tant d’enthousiasme ; c’est ainsi qu’en avril 1761, le gouverneur Piñero annonce au Vice-Roi « nous avons appris que l’Indien Maxusare a déserté de la capitulation qu’il avait faite avec Ruiz... »88 (Moreno et Tarazona, 1975, p. 67).
180Alors que s’effectuait la fondation de Pedraza, le préfet de la Mission capucine, le père Alcoy, met à profit la tranquillité de la Péninsule pour évaluer les possibilités d’envoyer des missionnaires en Haute-Guajira où, jusqu’alors, les capucins ne s’étaient aventurés que très rarement. Ce voyage dure du 13 au 30 avril 1762 dont dix jours en Haute-Guajira. Il est accompagné par un autre capucin, trois Espagnols et Cecilio López Sierra. Alcoy est reçu partout avec respect et les Indiens montrent une grande ferveur religieuse ; ils laissent leurs maisons pour en faire des églises et réclament des missionnaires que le Roi, leur maître, leur avait promis pour leur enseigner la foi, les protéger des métis, des mulâtres et des étrangers qui les trompent.
181A Carrizal, le capitaine Baltasar signale à Alcoy qu’à une lieue, à Rincón, vit un Indien riche, Francisco Bermudez : « cet Indien ne s’entendait pas bien avec lui et il serait bon qu’on l’appelle et l’oblige à venir s’établir, avec ses gens, à Carrizal »89 (Alcacer, 1959, p. 150-151). Bermudez arrive, Alcoy lui explique l’avantage de constituer un seul village pour que ses gens profitent du missionnaire qui allait venir à Carrizal. Bermudez répond « qu’il était riche et gentilhomme, que le capitaine Baltasar également, et qu’ainsi les deux ne pouvaient bien s’entendre »90 (ibid.). Aussi, pour le convaincre, Alcoy le nomme Alcade Mayor (maire) de Carrizal ; Bermudez en demande la preuve écrite, après quoi il accepte.
182Le groupe d’Alcoy passe ensuite par Hipapa, chez Juan Jacinto qui leur laisse sa maison et, en leur montrant les endroits où il serait possible de fonder une mission, les emmène « à une demi-lieue où il y avait une maison qu’il avait habitée deux ans auparavant »91 (Armellada, 1960, p. 242) et, à propos des sources, Alcoy remarque : « dans quelque ruisseau qu’ils creusent, ils trouvent tout de suite de l’eau »92 ; les Indiens vont ensuite « préparer les sources, les entourer d’une barrière et les couvrir pour protéger l’eau du soleil »93 (ibid.).
183Poursuivant son voyage, Alcoy arrive à Bahia Honda, chez Santiago Maparaure, cousin germain de Juan Jacinto, qui lui prête des montures pour reconnaître les environs. Santiago promet de donner « des Indiens et des chevaux pour accompagner le père à l’autre village, car il avait des animaux et tous les Indiens lui obéissaient »94 (Alcacer, 1959, p. 243).
184Alcoy, malade, ne peut poursuivre son voyage jusqu’à Macuira chez les capitaines Camporinche et Magusares qui font dire à Alcoy de leur envoyer un religieux aussitôt que possible. Sur le chemin du retour, il est reçu à Yripua, chez le capitaine Bernardo Moscote, oncle de Cecilio López Sierra et de Juan Jacinto et cousin de Santiago. Il est, lui aussi, disposé à faire construire des maisons pour abriter un missionnaire. A partir de là, Alcoy suit le même itinéraire qu’à l’aller et retourne à Boronata.
185Pour les capucins, ce voyage signifie l’établissement en Haute-Guajira de quatre missions et de trois missionnaires — puisque celles d’Ypapa et de Bahia Honda sont à la charge d’un même père. Quant aux deux missionnaires promis aux deux capitaines de la Macuira, il semble qu’ils ne seront jamais envoyés.
186L’objet de ce journal de voyage, adressé au gouverneur de Santa Marta est, avant tout, de montrer l’accueil favorable qui est fait aux capucins et l’utilité de la Mission. Il apporte toutefois certaines informations sur les relations de parenté qui lient certains des capitaines entre eux ainsi que celles qui existent entre Cecilio López Sierra, Moscote et Juan Jacinto, relations qui dépassent donc un cadre purement local. Il apporte également des informations sur la façon de se procurer de l’eau, d’entretenir les sources, sur les changements de résidence, ainsi que sur les frictions entre deux Indiens riches et les difficultés que rencontraient les capucins pour concentrer la population de la Guajira dans des villages.
187Mais l’optimisme d’Alcoy est de courte durée ; dans une lettre de 1764, il se plaint au gouverneur « des innombrables excès que commettent ces Indiens »95 et qui rendent impossible toute évangélisation (Moreno et Tarazona, 1975, p. 133). Sans qu’éclatent de réels conflits, la situation se dégrade peu à peu et l’on revient très vite à celle qui précédait la « pacification » et le traité de Ruiz avec les principaux capitaines.
188D’après l’ensemble des documents des années 1760, seuls les Indiens résidents ou attachés aux quelques villages qui existent semblent vivre en paix avec les Espagnols. Mais tel n’est pas le cas des Cocinas qui continuent à voler le bétail et à rendre impraticable la route reliant Riohacha à Maracaibo sauf à ceux qui acceptent de payer un « droit de passage » aux Cocinas ou qui se font escorter par des hommes armés.
189Aussi les expéditions punitives contre les Cocinas continuent-elles. Cecilio López Sierra, bien que vieillissant, participe à certaines d’entre elles. En 1764, au voisinage du littoral est de la Guajira, il attaque des Indiens cocinas de la faction de Seraza : trente-sept sont tués, cinq garçons et une fille sont faits prisonniers et il se saisit de bovins : « j’ai distribué les uns et les autres parmi les gens, comme c’est la coutume depuis longtemps »96 (Moreno et Tarazona, 1975, p. 141). Le butin distribué aux membres de l’expédition comprenait donc et les prisonniers et le bétail. Les enfants capturés étaient, la plupart du temps, envoyés — ou vendus — comme domestiques — ou comme esclaves — dans les villes ou les missions : ainsi à Maracaibo et à la mission de Punta de Piedras (Rio, Alonso del, 1768). Quant aux prisonniers adultes, quand le cas se présentait, les chefs des expéditions devaient « faire en sorte que tout Indien qui serait pris ou qui se rendrait soit envoyé à cette ville (Riohacha) afin de servir le Roi à Bocachica »97 (Carthagène) (Moreno et Tarazona, 1975, p. 141) où ils devaient être utilisés comme esclaves. Ainsi, à l’inverse des enfants, les adultes ne profitaient pas aux gens faisant partie des expéditions. Le bétail, enfin, était réparti entre les Espagnols et les Indiens puisque la troupe se composait aussi d’Indiens prélevés dans les villages fondés par les Espagnols.
190La capture de bovins chez les Cocinas est en contradiction avec l’image que les documents donnent de façon presque unanime de ces Indiens. On les décrit comme ne pratiquant pas l’élevage, vivant de chasse et de cueillette mais aussi du vol du bétail élevé dans les fermes espagnoles. Or, la présence chez des Cocinas d’animaux domestiques suggère qu’ils commençaient sans doute à pratiquer l’élevage et qu’ils ne considéraient pas ces derniers seulement comme des animaux sauvages qu’ils chassaient et consommaient, d’autant plus que le nombre de morts entraînées par l’échauffourée mentionnée ci-dessus et le type d’habitat — rancherias — dénotent une certaine permanence de l’établissement.
191Mais les troubles ne sont pas seulement le fait des Cocinas, encore qu’il faille, en ce point, émettre des réserves, car la frontière entre Cocinas et Guajiros est de plus en plus imprécise : pour les Guajiros (et donc pour les Espagnols), les Cocinas sont ceux qui volent, ceux qu’il faut punir, les « autres » et, par conséquent, l’application à un groupe du terme « cocina » dépend en grande partie de celui qui l’utilise.
192Les Indiens des pêcheries de perles de Carrizal posent des problèmes en 1768. A la mort du capitaine Baltasar, due, sans doute, aux rescatadores c’est-à-dire aux Espagnols qui exploitent les perles, son frère Francisco lui succède mais la pêche des perles reste paralysée et les Espagnols n’arrivent pas « à ce qu’ils se consacrent au travail »98 (id., p. 152). Ils doivent prendre, « pour que continue la pêche et qu’ils restent tranquilles et pacifiques »99 (ibid.), des mesures sévères, que le texte ne précise pas, mais il s’agit sans doute de l’envoi d’une troupe de miliciens armés, comme lors des expéditions punitives contre les Cocinas. La fin du document adressé au Vice-Roi par le gouverneur de Riohacha, Mendoza, laisse transparaître une grande inquiétude à propos de l’attitude des Indiens, non plus seulement de Carrizal, mais de la Guajira tout entière : « les menaces continuelles qu’ils font de vouloir avancer jusqu’à cette ville comme aux autres lieux de cette juridiction [...] auxquelles s’ajoute le bruit général qui court que toute les parcialités sont en train de se rassembler pour ce faire, bruit que l’on ne peut, en aucun cas écarter compte tenu de la grande audace qu’ils montrent... »100 (ibid.).
193Carrizal n’est donc qu’un endroit parmi d’autres où, fin janvier 1768, les Indiens se montrent hostiles aux Espagnols. Cette hostilité, à Carrizal et ailleurs, ne cessera de croître et aboutira, au début du mois de mai 1769, au soulèvement général des Indiens de la Guajira.
Du soulèvement guajiro à la fin du XIXe siècle
194« Le premier jour de mai de l’année soixante-neuf, le village de Rincón se souleva... »101 (Amaya, 1788, fol. 664). Il est difficile d’établir la chronologie et la séquence exactes des différentes étapes de ce soulèvement. Tous les documents concordent, en revanche, pour affirmer qu’un an après, la ville de Riohacha était encerclée par les Guajiros et ses habitants ne pouvaient sortir pour aller chercher de quoi s’alimenter.
195Le fait marquant, sinon le point de départ de l’insurrection, semble cependant être l’invasion de Rincón par les Indiens d’Orino au cours de laquelle une troupe d’une vingtaine d’Espagnols, venue protéger et escorter le missionnaire capucin en route vers Riohacha, est surprise par les Guajiros ; certains Espagnols arrivent à s’enfuir mais leur chef, J.A. de Sierra, est frappé d’un coup de lance et de plusieurs balles. Les Guajiros incendient ensuite l’église et le village, s’acharnant sur « les vases sacrés, ornements et reliques » (Moreno et Tarazona, 1975, p. 167) et brûlent « l’archive de la Mission ancienne et moderne » (Altea, 1788, p. 1).
196La mort de J.A. de Sierra, Espagnol qui avait peut-être des liens de parenté avec C. López Sierra, le père de ce dernier étant regidor (conseiller municipal) à Riohacha, a sans doute été un des facteurs déterminants de la suite des événements. Il était « le plus haï des Indiens de Rincon depuis l’emprisonnement de l’Indien Mateo de la Laguna de Fuentes »102 (Amaya, 1788, fol. 661 v) et sa mort a pu, pour les Guajiros, être un signe encourageant.
197Quoi qu’il en soit, les villages d’Indiens ou d’Espagnols tombent et sont incendiés les uns après les autres : Mancornado, Laguna de Fuentes, Soledad, Orino, Camarón, à l’exception de Boronata où résidait C. López Sierra. De nombreux Espagnols, sans compter les esclaves, trouvent la mort au cours de ces attaques et « plus de quarante sont morts des suites des blessures reçues » (Moreno et Tarazona, 1975, p. 171).

Figure 13. Localisation des principaux villages de la Guajira (ΧVIe-ΧVΙΙIe siècles)
198La situation est telle, quatorze mois après le début des hostilités que le cabildo (conseil municipal) de Riohacha supplie le Vice-Roi d’envoyer du secours et « de nous aider de la façon qui lui paraît la plus opportune et convenable pour arrêter le châtiment adapté à la nation guajira soulevée, rebelle et barbare ; ils ont, par leur blocus, vols, meurtres et insultes, réduit cette ville aux dernières extrémités ainsi que son voisinage et sont même allés jusqu’au Valle d’Upar »103 (id., p. 165). Après un compte rendu concernant tous les villages attaqués, les incendies et les embuscades, la lettre continue : « Ces Guajiros insoumis ne sont pas aujourd’hui dans l’état de barbarie où étaient leurs ancêtres [...] et ils ne peuvent être considérés que comme rebelles à Dieu. Pendant de longues années ils ont prêté obéissance au Roi et aujourd’hui ils la lui refusent totalement, blasphémant qu’il faut conquérir entièrement cette Province et passer ensuite au Valle d’Upar car ils se rendent compte que les Espagnols ne peuvent plus les contenir »104 (id., p. 171). Enfin, le cabildo demande « qu’il nous soit permis de nous rattacher à une des villes voisines car, pour le moment, nous ne pouvons espérer rien d’autre que la ruine totale »105 (ibid.). Cette révolte est d’autant plus grave qu’il ne s’agit plus de barbares et d’idolâtres mais d’Indiens qui ont reçu le baptême, les rudiments de la religion, qui parlent et comprennent l’espagnol ; le rejet de la foi et de la culture chrétienne après les avoir connues et, semblait-il, acceptées est le pire des crimes.
199Tous les Indiens de la Guajira paraissent agir dans cette rébellion de façon concertée : « Le 2 mai 1769, les capitaines se réunirent en conseil et se mirent en guerre »106 (Restrepo-Tirado, 1975, p. 432). Sans que l’on puisse nier une certaine unité dans cette insurrection, il est difficile de croire que l’une des caractéristiques principales de la société guajira, à savoir les oppositions entre les groupes qui la constituent, ait brusquement disparu et que cette société ait agi comme un tout. Il est plus vraisemblable que le succès de Rincón ait provoqué, par une sorte de réaction en chaîne, les attaques contre les autres villages. Les Guajiros de la Haute-Guajira ne participaient pas, en 1769, à la révolte ; ce n’est que vers la fin de 1770 qu’ils commencèrent à prendre part aux combats.
200Quant aux Cocinas, certains restent à l’écart et vont même jusqu’à offrir d’aider les Espagnols. Pendant la révolte, à un moment que les documents ne permettent pas de préciser, « se présenta dans le village de Boronata (qui n’avait pas été attaqué) un Cocina d’une faction importante et d’un grand calme, appelé Sarara, accompagné de deux capitaines de Parauje qui est sur la route de Maracaibo... »107 (Amaya, 1788, fol. 663). Après avoir fait écarter les autres Indiens, ils déclarent aux Espagnols et au cacique Sierra « que les dommages causés par les Guajiros insurgés sont très grands, brûlant les églises, tuant les femmes et les enfants, volant tous les biens et tuant tous les animaux des Blancs. Il sera fait part de tout cela au Roi et, irrité, il dira qu’il faut tuer tous les Indiens. Mais eux n’ont pas pris part à tout cela ; aussi faut-il envoyer le cacique rassembler dix têtes de Blancs (qui sont cent hommes) pour, tous ensemble, attaquer les insurgés qui se trouvent tous à Pedraza, leur enlever leurs biens et ceux qu’ils ont volés puis suivre leurs traces dans les montagnes car c’est l’endroit où ils s’enfuiront »108 (id., fol. 663 v). Après quoi, ils ajoutent qu’ils reviendront dans six jours pour savoir ce qui aura été décidé, mais que tout doit rester secret. Averti de la proposition, le gouverneur de Riohacha répond négativement, craignant qu’il ne s’agisse d’un piège, ce qui n’était pas nécessairement le cas si l’on tient compte des oppositions entre les groupes. De même que les Guajiros participaient avec les Espagnols aux expéditions contre les Cocinas, de même ceux-ci offraient leur aide pour attaquer les Guajiros qui sont, cette fois, ceux qui volent et qui tuent et qu’il faut punir.
201A la lecture de la plupart des textes se rapportant au soulèvement de 1769, celui-ci apparaît comme spontané, inexplicable et comme l’expression pure et simple de la sauvagerie des Guajiros. Il faut attendre, pour qu’en soient exposées les raisons, le rapport d’Antonio de Arévalo qui sera appelé en 1772 pour pacifier la Guajira. Selon lui, le principal coupable est le gouverneur de Riohacha, Mendoza qui multipliait les expéditions pour punir les vols ; la répression était tellement sauvage qu’elle ne faisait que susciter chez les Indiens, non plus des vols, mais des représailles.
202Mendoza confiait la direction de ces expéditions à des hommes cruels et avides de butin. C’est ainsi que, prenant des libertés avec les ordres du gouverneur, certains d’entre eux ne se dirigeaient pas vers les terres des Cocinas mais vers celles, riches en bétail, de la Haute-Guajira. Les Guajiros qui participaient à ces expéditions aux côtés des Espagnols, désertaient les uns après les autres afin de défendre leurs parents et leurs biens. Les soldats envoyés « pour contenir les désordres étaient eux-mêmes les agents de ceux-là »109 écrivait Arévalo (Restrepo-Tirado, 1975, p. 431). Le gouverneur, mis devant le fait accompli, laissait continuer ces agressions, déclarant qu’il fallait que les Guajiros soient pauvres pour les maintenir obéissants.
203On a vu que ceux qui dirigeaient les expéditions avaient pour consigne de ramener les prisonniers adultes à Riohacha d’où ils étaient envoyés à Carthagène comme esclaves (notamment pour la construction des fortifications). De nombreux Guajiros furent donc faits prisonniers et c’est là une des raisons de la révolte que donnent, non plus un Espagnol aussi « pro-indigène » soit-il, mais les Guajiros eux-mêmes. En novembre 1769, sept mois après le début de la guerre, « arrivèrent au village de Boronata les capitaines des Indiens plongeurs, qui étaient restés neutres, appelés Pachogamez et Gobernadorcito [...] et, dans un long discours que m’expliqua le cacique, me déclarèrent [...] que comment pouvons-nous tolérer que le gouverneur Don Geromino dévaste (notre terre), que si leurs parents qui se trouvaient à Carthagène où le gouverneur les avait envoyés, ne revenaient pas, la guerre ne cesserait pas jusqu’à ce qu’il ne reste plus un seul d’entre eux ou que tous les Blancs disparaissent ; qu’il n’y avait pas d’autre arrangement possible que de voir leurs parents »110 (Amaya, 1788, fol. 664 et 664 v).
204Ces Indiens, dont l’un « Pachogamez » est Francisco Gamez de Carrizal, proposent une paix de trois mois jusqu’à ce qu’arrivent leurs parents.La proposition est acceptée par le gouverneur de Riohacha, la trève respectée, mais, une fois les Indiens prisonniers revenus, « recommencèrent les mêmes hostilités, avec pour chef l’Indien déjà cité Mateo... »111 (id., fol. 666 v). Il y a désaccord entre les documents qui mentionnent cette paix de trois mois et ses conditions. Insistant sur la mauvaise foi des Indiens, la lettre du cabildo déjà citée indique qu’à l’arrivée des captifs, « s’établirait la paix et ils vivraient en villages »112 (Moreno et Tarazona, 1975, p. 170), clause qui n’est pas respectée. En revanche, le texte d’Amaya ne spécifie rien de tel.
205Après la trève, la guerre reprend et s’étend. Des Indiens restés neutres jusque-là prennent part à l’insurrection. Ceux de Camarones « commencèrent à passer du côté de leurs parents ennemis »113 (Amaya, 1788, fol. 666 v), tout comme Juan Jacinto qui jusqu’alors entretenait de bonnes relations avec les Espagnols. Si la date de son entrée dans le conflit est connue (3 septembre 1770), ses motifs et la façon dont il y a participé restent inconnus car ce n’est que de façon indirecte que le nouveau gouverneur de Riohacha, Baraya, rapporte « ce qui est arrivé le 3 avec l’Indien Juan Jacinto, nous a obligés à prendre les armes contre lui ; ce qui a eu pour résultat, d’après ce que l’on me dit, mais ce sont là des nouvelles certaines dont on ne peut douter, qu’en plusieurs endroits, différentes factions sont en train de se rassembler afin de marcher sur cette ville »114 (Moreno et Tarazona, 1975, p. 173). La menace qui pèse sur Riohacha est d’autant plus grande que Juan Jacinto « a même envoyé un de ses frères pour avertir les Paraujanos de la route de Maracaibo pour qu’ils empêchent toute communication entre les villes »115 (ibid.).
206Les appels à l’aide de Riohacha sont enfin entendus à Santa Marta et, un an et demi après le début du soulèvement, une centaine de soldats arrivent par bateau à Riohacha ainsi que 25 000 pesos envoyés par le Vice-Roi pour la conquête des Guajiros. Un seul village, La Cruz, situé à une dizaine de kilomètres de Riohacha, accepte de se soumettre à condition que les Espagnols rendent des prisonniers. Tout le reste de la Péninsule est hors du contrôle des Espagnols et les Guajiros se préparent à marcher sur Riohacha. Aussi le Vice-Roi ordonne-t-il au gouverneur de Carthagène d’envoyer une véritable armée, (au total 1 200 hommes environ, dont 500 arrivés récemment d’Espagne) commandée par le Colonel Encio : « pour l’époque et l’endroit, le rassemblement de forces militaires à Riohacha à l’automne 1771, était impressionnant »116 (Kuethe, 1970, p. 472).
207Mais, à la surprise générale, Encio n’entreprend rien, jugeant sa troupe insuffisante par rapport à la nature du terrain, au nombre des Indiens — environ dix fois plus nombreux — et à leur armement — de nombreux Indiens avaient des fusils anglais. D’après son analyse, il faudrait au moins deux mille soldats d’élite pour conquérir la Guajira après avoir bloqué l’accès aux montagnes où les Guajiros vont se réfugier. D’après le rapport d’Encio de 1772 (Moreno et Tarazona, 1975, p. 208-216), on peut se demander s’il connaisssait bien la Guajira, car il ne semble pas avoir beaucoup bougé de Riohacha ; il écrit, en effet, « à l’exception de l’Indien Paredes de la faction dite de Chimares, qui a un peu de bétail [...] aucun autre, dit-on, n’a de bétail »117 (id. p. 214). Affirmation surprenante : soit elle est fausse, ce qui est certainement le cas, soit les Guajiros ont perdu tout leur cheptel entre 1762 et 1772 et l’ont reconstitué en 1779, date à laquelle ils fournissent six cents bœufs aux navires de guerre anglais. En revanche, Encio fait preuve de perspicacité à propos de Cecilio López Sierra dont il dit : « je suis persuadé que ledit cacique non seulement ne sert pas bien le Roi, ni aime les Espagnols, mais qu’il est nuisible en tout »118 (id., p. 213).
208A son arrivée en 1772, le nouveau Vice-Roi Guirior relève Encio de ses fonctions et le remplace par Antonio de Arévalo en disant être « satisfait de son intelligence et adéquation pour cette tâche »119 (Garcia, 1869, p. 164). Arévalo arrive en novembre à Riohacha. Sa stratégie diffère, à cette époque, fondamentalement de celle d’Encio ou des gouverneurs de Riohacha. Il réunit les capitaines guajiros, un peu à la façon de Ruiz dix ans auparavant, en leur offrant des cadeaux et en promulgant un pardon général. Les villages sont reconstruits et la paix revient.
209Ce changement abrupt de méthode n’est pas le fait du hasard. Suivant les instructions de Guirior, il semble que le colonel Arévalo n’ait pas traité le problème de façon purement militaire mais ait cherché à s’informer du fonctionnement de la société guajira. Les cadeaux, décrits par les Espagnols comme « présents de paix » (Kuethe, 1970, p. 434) ou « dons » (Restrepo-Tirado, 1975, p. 434) étaient en fait, pour les Guajiros, des compensations. Arévalo n’est pas arrivé seul à Riohacha : il est accompagné « d’un zambo guajiro de ceux que le gouverneur Mendoza avait envoyés aux chantiers de Carthagène, et qui n’avait pas voulu revenir et était resté de son plein gré »120 (Amaya, fol.. 667v et 668). Arévalo « commença à appeler les Indiens en les attirant avec des cadeaux, écoutant leurs doléances, et après s’être informé des coupables auprès d’eux comme d’après l’enquête qui suivit, il fit emprisonner ceux qui étaient vivants car les plus atteints étaient morts, il en envoya beaucoup à Carthagène et les propriétaires terriens à la juridiction du Valle, en les frappant d’amendes évaluées en bétail qu’il répartit parmi les Indiens principaux tel un paiement dont ils sont coutumiers »121 (ibid.).
210Arévalo résout donc le conflit selon le système guajiro. Comme mesure d’apaisement, mais aussi par économie, la plupart des forces armées sont renvoyées à Carthagène et il ne reste à Riohacha qu’une centaine de soldats. Pour que la paix soit durable et pour lutter contre le commerce et le contact des Guajiros avec les étrangers, le Vice-Roi et Arévalo décident la création ou la reconstruction des établissements de Bahia Honda, au nord, de Sinamaica, au sud-est et de Pedraza, dans le centre. Les deux premiers communiquent presque uniquement par mer, l’un avec Riohacha, l’autre avec Maracaibo ; quant à Pedraza, sa principale fonction est de contrôler la route entre Riohacha et Maracaibo. En plus de leurs garnisons, ces fondations abritaient des familles de colons, recrutées à grand-peine ; par exemple, les déserteurs qui acceptaient d’aller s’y établir étaient pardonnés et on leur fournisssait le bétail et les outils dont ils avaient besoin pour s’installer. San José de Bahia Honda et Pedraza comptaient, vers 1775, 356 habitants selon Guirior (Garcia, 1869, p. 165) et, si l’on y ajoute Sinamaica qui dépendait en fait de Maracaibo, un total de 231 familles (Kuethe, 1970, p. 474). Enfin, les côtes étaient surveillées par des navires à faible tirant d’eau qui luttaient efficacement, semblait-il, contre la contrebande.
211Les positions espagnoles ainsi assurées, un contingent de vingt missionnaires capucins arrive en Guajira pour recommencer l’évangélisation. Ils sont répartis dans les anciens villages et les nouvelles fondations ; trois capucins sont affectés à la Haute-Guajira : Rincón del Carpintero (vers le Cabo de la Vela), Ipapa et, à deux lieues de là, San José de Bahia Honda. Du côté des Cocinas, le village de Parauje est également réoccupé mais le missionnaire doit en partir très vite pour ne pas être assassiné.
212Les capucins en place, Arévalo décide de fortifier les positions en Haute-Guajira en fondant le village d’Apiesi. Le moment lui semblait choisi car il pensait « les Guajiros pacifiés comme le lui assuraient les interprètes, et le démentaient les habitants de Riohacha [...] mais n’écoutant que les interprètes [...] le commandant général décida d’effectuer la fondation. Cet exemple et d’autres encore me permettent d’assurer à Votre Majesté que les interprètes sont la perdition de cette province et la cause du retard des missions »122 (Altea, 1788, p. 4).
213Arévalo charge Galluzo, gouverneur de Riohacha, de conduire l’expédition. Il part de Bahia Honda le 3 décembre avec trois cents hommes, un missionnaire et plusieurs interprètes dont Miguel et Gabriel Gomez et arrive le 7 décembre au site approprié. Galluzo envoie alors les Gomez aviser les chefs de la région, Arguazi et Sapatare, de ses intentions, « leur offrant des cadeaux, qu’ils allaient leur amener un Père et faire une fondation d’Espagnols pour qu’ils vivent comme les Indiens d’en bas »123 (Amaya, 1788, fol. 669v). La réaction des deux chefs est immédiate : « ils ne veulent pas de village, ni voir la figure de Galluzo, qu’il s’en aille avec ses gens, en les injuriant et menaçant même de les tuer »124 (Altea, 1788, p. 5). Les Gomez s’échappent mais, selon Altea, ne rapportent pas l’incident à Galluzo. Le texte d’Amaya est moins formel : « Ils dirent qu’ils lui avaient dit mais j’en doute »125 (Amaya, fol. 670). A propos du rôle des interprètes, Altea (p. 4 et 5) souligne que Gabriel Gomez (neveu de Miguel), vivant à Riohacha était passé en 1769 du côté des Guajiros et y était resté deux ou trois ans jusqu’à ce que Galluzo lui pardonne en échange de certains services.
214Galluzo, sachant ou non l’accueil qui lui est fait, ordonne de commencer la fondation. A ce point, les sources diffèrent : selon le journal de Galluzo, les deux chefs guajiros essaient de l’intimider mais il reste ferme ; brusquement, ceux-ci changent d’attitude et proposent d’aider à la construction d’Apiesi. Le 15, l’essentiel des bâtiments est terminé et Galluzo se retire, laissant le capucin, un interprète et quatre-vingt-dix hommes, passe à Bahia Honda et de là à Riohacha. Selon Altea et Amaya, Galluzo part le lendemain matin du jour où il a envoyé les interprètes en ambassade et revient directement à Riohacha. Quelque temps après son départ, « à la fin de janvier [les Indiens] attaquèrent après avoir écarté l’interprète qu’avait laissé Don Josef Galluzo appelé Juan Josef de Oñate ; dans cet assaut périrent soixante soldats et miliciens, le sergent commandant, le curé, Frère Buenaventura et mon fils aîné ; on ne peut voir plus clairement ce que sont les interprètes, car il n’avertit pas ceux de la fondation [...] par leur intermédiaire les Indiens savent les ordres des supérieurs et nous ignorons leurs idées »126 (Amaya, 1788, fols. 670 et 670v).
215Quel que soit le véritable déroulement des faits (le revirement soudain des Guajiros dans la version de Galluzo n’étant pas invraisemblable) en juin 1776, Arévalo décide immédiatement d’envoyer une expédition de six cents hommes pour châtier les coupables : « Nous leur livrâmes quelques batailles, leur enlevant par les armes toutes leurs cultures, mais, manquant de provisions, nos ne pûmes continuer l’expédition et les Indiens étaient retirés dans les régions élevées de la montagne où nous n’entrâmes pas »127 (Amaya, ibid.). Selon les ordres reçus, cette expédition fonde alors Sabana del Valle « à la fin de la terre ferme et à l’entrée du Saco de Maracaibo »128 (golfe du Venezuela) (ibid.), sur le littoral au pied du versant est de la Macuira, à quelque distance de la langue de Tucacas et non loin de l’endroit où Ojeda avait établi la fondation de Santa Cruz en 1502. Les Guajiros se trouvaient ainsi « au centre de quatre fondations fortifiées et déjà privés du commerce clandestin avec les étrangers d’où provient l’orgueil de leur arrogance »129 (id., fol. 671).
216De ces quatre fondations, trois étaient sur le littoral et une à l’intérieur des terres. Après quelques mois d’existence, Sabana del Valle semblait devoir prospérer. Les consignes laissées par Arévalo étaient « de bien traiter les Indiens de paix, de leur faire des cadeaux, les Pusarinas tout particulièrement, qui ont le plus de biens et d’importance et dont on n’avait jamais eu à se plaindre »130 (Amaya, fols. 671 et 671v).
217Une Indienne pusarina, Chepa, dont les deux nièces étaient mariées à Juan Jacinto, vient demander à Amaya qui était en garnison à Sabana del Valle d’intervenir auprès de Galluzo pour qu’il pardonne à Juan Jacinto « qui avait été un ennemi tellement tenace des Espagnols au temps du soulèvement »131 (Altea, 1788, p. 6). Amaya ne peut refuser car « Juan Jacinto, dans sa loi et à cause de mes ancêtres, me tient pour son égal et m’appelle frère »132 (Amaya, 1788 ; fol. 672) et il rédige donc une lettre à Galluzo sollicitant ce pardon. Sabana del Valle était par ailleurs à court de provisions, le bateau qui devait les transporter depuis Maracaibo n’étant pas arrivé.
218Amaya fait informer Juan Jacinto qu’il a écrit la lettre mais que, manquant de nourriture, il leur fallut acheter trois gros bœufs et aller chercher de la farine à Bahia-Honda car « les Créoles ne voulaient pas manger de viande salée et le Père qui venait d’Espagne ne pouvait manger des gâteaux de maïs et il était très triste »133 (Amaya, 1788, fol. 672v). Juan Jacinto envoie son beau-frère qui se fait lire la lettre puis arrive le lendemain avec les bœufs, cinq mules et deux chevaux pour aller s’approvisionner à Bahia Honda. Juan Jacinto, son beau-frère, Amaya et d’autres vont à Bahia Honda, chargent les provisions et partent en laissant Juan Jacinto qui, souffrant « d’une fluxion aux yeux, disait qu’il ne voulait pas être soigné par les Piaches mais les Espagnols car il était devenu Blanc et milicien du Roi »134 (Amaya, 1788, fol. 673v). Le commandant de Bahia Honda envoie la lettre à Galluzo « et la réponse fut qu’il fallait lui ôter la vie, tyrannie qui fut exécutée vers sept heures du soir alors que Juan Jacinto était dans son hamac »135 (ibid, et 674).
219L’engagement d’Amaya avec les Pusarinas et Juan Jacinto, le manque de provisions à Sabana del Valle et les goûts alimentaires des créoles et du père capucin ont eu de funeste conséquences. La mort, ou plutôt l’assassinat de Juan Jacinto provoquera un nouveau soulèvement qui sera d’abord local puis s’étendra à toute la Guajira. Il ne faut cependant pas voir en cet événement la seule cause de la reprise des hostilités et accorder trop d’importance aux accidents de l’histoire. Le retrait espagnol des années 1779-1780 obéira à des impératifs extérieurs : la guerre avec l’Angleterre obligera l’Espagne à reporter ses efforts militaires sur d’autres fronts et, malgré le développement des milices locales, la pression espagnole en Guajira s’affaiblira considérablement.
220Erreur de Galluzo au niveau local, impératifs politiques extérieurs de l’Espagne mais aussi politique de certains groupes Guajiros vis-à-vis des Espagnols : le pardon de Juan Jacinto est demandé par les Pusarinas qui, à une époque où les échanges avec les navires étrangers étaient difficiles, commerçaient avec les Espagnols de Sabana del Valle ; tel est le contexte entourant la mort de Juan Jacinto et ses conséquences.
221Juan Jacinto était « un Indien de grande importance pour tous les Guajiros de cette époque par sa valeur [...] riche, sans mélange de Cocina qui les avilit... »136 (Amaya, 1788, fol. 671v) ; « il était devenu, par sa valeur, oracle des Guajiros et par ses ordres, nous avait causé de grands dommages ; le tuer au combat aurait été glorieux, mais avoir tué un homme malade qui, pour servir Votre Majesté Royale et Catholique, avait donné tant de vies ne peut plaire à personne ; le commandant intérimaire (c’est-à-dire Galluzo) n’en tira rien d’autre que de mettre fin à toute la pacification »137 (id., fol. 674). Pour les fondations de Haute-Guajira, en effet, cet assassinat a eu pour conséquence de violents combats : « rendus furieux par cet outrage, les Indiens avancèrent de façon si précipitée que beaucoup périrent »138 (ibid.), mais aussi des problèmes de subsistance : « la mort de Juan Jacinto provoqua le retrait des Pusarinas de Sabana del Valle qui nous approvisionnent de viande fraîche, de lait et de nourriture »139 (ibid.).
222La description des causes, circonstances et conséquences de la mort de Juan Jacinto sur lesquelles Amaya insiste longuement dépasse le cadre de la seule « petite histoire ». Cet événement presque anecdotique montre en fait les relations étroites et faites d’obligations réciproques qui unissaient souvent les Espagnols vivant en Guajira — tel Amaya — avec certains Indiens. Ces alliances, parfois très contraignantes, pouvaient être remises en question par des personnes extérieures — tel Galluzo — intervenant souvent à contretemps. Ces relations, du point de vue des Guajiros, devaient être constamment réactivées, comme c’est toujours le cas aujourd’hui. Le lien entre Amaya et Juan Jacinto, d’une part, et le rapport de Galluzo à ce lien, d’autre part, illustrent l’opposition entre la relation sociale vécue et sans cesse signifiée et une relation sociale déterminée une fois pour toutes, entre le texte écrit, la signature d’un traité et la mise en œuvre de son contenu. C’est ainsi que s’explique la dégradation des relations entre Espagnols et Guajiros après les succès de Ruiz et d’Arévalo, par exemple. Lorsque les Espagnols qualifiaient les Guajiros « d’inconstants », c’était en fait leur incompréhension — peut-être inévitable — de la société indigène qu’ils caractérisaient ainsi.
223Galluzo, dont la décision n’a pas été heureuse, se retire « laissant toute la région du haut de la Guajira dans un état pire que celui que trouva Don Antonio de Arévalo, devenu Brigadier à l’époque »140 (Amaya, 1788, fol. 674v). Arévalo lui-même présente sa démission au Vice-Roi successeur de Guirior en 1777. Sa conception de la pacification des Guajiros a changé : dans le plan qu’il propose au Vice-Roi, il souligne que seule la force est efficace, qu’il faut traiter les Guajiros avec rigueur, « sans croire les soumissions ni les larmes d’aucun parce qu’elles ne sont pas véritables »141 (Restrepo-Tirado, 1975, p. 444). La pacification a été illusoire : « il n’y a jamais eu de pacification des Guajiros mais seulement une trève obtenue à force de cadeaux »142 (Amaya, 1788, fol. 678). Arévalo envisage même la déportation vers la région de Carthagène des deux tiers de tous les villages conquis.
224A la suite de la mort de Juan Jacinto, les villages de Haute-Guajira et des environs du Cabo de la Vela furent incendiés et les capucins durent se réfugier à Bahia Honda. Lorsque le gouverneur de Santa Marta, Narvaez, à cause de la guerre avec les Anglais, ordonne en 1780 de détruire et d’évacuer Sabana del Valle et Bahia Honda, le nombre des missions se trouve réduit à sept. En 1783, à cause de l’hostilité des Guajiros, il ne restait que trois villages où résidait un missionnaire : Pedraza, Boronata et Sinamaica (Moratalla, 1793, p. 8-9). Cinq ans plus tard, Pedraza devenant un refuge de contrebandiers et étant sans cesse menacé par les Cocinas (Pedraza sera démantelée en 1790), le missionnaire qui y vivait passe à Camarones.
225Mendoza écarté, Arévalo ayant démissionné, Antonio Narvaez y la Torre est nommé en 1777 gouverneur de Santa Marta et de Riohacha. Dans le rapport sur l’état de la province qu’il rédige dès 1778, il traite de l’élevage, de la pêche des perles et de la pacification des Guajiros. Les Espagnols qui possèdent des élevages résident en fait à Carthagène et y dépensent le produit de la vente des animaux élevés dans la région. Quant aux Guajiros, ils commercent toujours avec les étrangers et « ne consomment ni nos marchandises ni nos produits sauf ceux qu’on leur donne, ni ne cultivent ni ne ramassent de fruits qui puissent servir à notre commerce »143 (Cuervo, 1891, p. 186-187). La pêche des perles sur laquelle les Guajiros exercent une sorte de monopole ne s’effectue que de septembre à la mi-octobre parce que la mer y est plus claire et « parce qu’à cette époque de pluies abondantes naissent des puits d’eau qui leur fournissent de quoi boire »144 (id., p. 184). Pendant ces deux mois, les habitants de Riohacha se déplacent vers les pêcheries pour échanger avec les Indiens des perles contre « des vivres, des tresses, des tissus du pays, du corail et d’autres marchandises dont ils ont besoin ou envie »145 (id., p. 185). Selon Narvaez, les perles pourraient rapporter beaucoup plus en forçant les Indiens à travailler, en pratiquant le forage de puits et en exerçant un contrôle sur la production.
226Narvaez voit la réduction des Guajiros comme très difficile en raison de leur nombre, de leur armement et de leur valeur. Les contacts soutenus qu’ils ont depuis longtemps avec les Espagnols et les étrangers leur ont donné de l’expérience et une grande hostilité et méfiance vis-à-vis des Blancs. Ils semblent toutefois vouloir vivre en paix, surtout ceux de la région de Riohacha qui sont plus « dociles » ; mais il est dangereux de leur faire confiance comme le montre le sort cruel qu’ils ont réservé à quelques déserteurs espagnols des places de Bahia Honda et Sabana del Valle. Pour que persiste cette paix, « j’ai le plus grand soin qu’on ne leur cause aucun dommage, même le plus léger, ni qu’eux-mêmes n’en causent, sans que, de part et d’autre, il soit réparé et puni »146 (id., p. 189).
227Le principal souci de Narvaez est que le calme existe dans la Guajira pour pouvoir « persuader les habitants (espagnols) de recommencer à cultiver la terre et à élever du bétail et j’espère arriver à de bons résultats »147 (ibid.). Tout au long de ce rapport Narvaez insiste sur l’économie très peu développée de la région et les façons d’y remédier. L’évangélisation, la « civilisation », la « barbarie des sauvasauvages» sont des mots et des idées qui n’apparaissent pas dans ce texte. En revanche, le contexte économique de l’époque, les relations commerciales entre la Province et les Antilles et surtout les expériences de développement de certaines productions ou de réglementation du commerce sont analysées à fond. Si l’ordre doit régner à l’intérieur des terres pour que se développe l’économie, il faut aussi surveiller le littoral pour éviter la contrebande ou l’approvisionnement des ennemis de l’Espagne : « au cours de la dernière guerre, les Anglais ont pris de cette côte six mille bouvillons provenant des Indiens guajiros et de ceux qui n’étaient pas Indiens »148 (id., p. 197).
228Pour éviter que la production locale n’enrichisse d’autres régions — qu’elles soient étrangères ou espagnoles — il faut créer une activité commerciale dans la Province. Une des premières mesures prises par le Roi pendant le mandat de Narvaez est l’octroi de « la grâce du commerce libre » pour les ports de Santa Marta et Riohacha, ce qui provoque, surtout pour ce dernier, un appréciable développement économique. Quant à la Péninsule, il était de plus en plus évident que les barrières fiscales remplissaient moins les caisses du royaume que ne l’aurait fait un commerce tout à fait libre. Aussi le successeur de Narvaez reprendra-t-il cette idée pour l’étendre au commerce entre Espagnols et Guajiros, seul moyen de lutter contre la contrebande.
229Dans sa politique avec les Guajiros, Narvaez fait preuve d’une grande habileté. Dans une lettre au Vice-Roi de 1778, il relate les contacts qu’il entretient avec les principaux capitaines. Il discute avec eux de la culpabilité respective des Indiens et des Espagnols dans les événements de 1769, ceux d’Apiesi ou l’assassinat de Juan Jacinto. Les capitaines disent qu’ils ont toujours protégé les capucins — ce qui est attesté par des documents — sauf à Apiesi. Narvaez écrit : « J’essaie de les satisfaire, de réfuter dans la mesure du possible leurs arguments ; mais comme certains sont vrais et que je les crois fondés... »149 (Moreno et Tarazona, 1975, p. 303).
230Pour lutter contre les vols, Narvaez souligne l’exemple de Cejudo, gouverneur de Riohacha, qui n’entreprit pas une expédition punitive mais exigea des capitaines de la faction coupable que les animaux soient rendus. Il agira de la même façon lorsque des neveux de Juan Jacinto « qui à cause de la mort de leur oncle à Bahia Honda ont été les plus irréconciliables »150 (Blanco, 1875, p. 188), voleront des animaux appartenant au Roi à Sinamaica. Il fera une enquête et trouvera les coupables. « Je leur ai offert de leur pardonner pourvu qu’ils paient ce qu’ils ont volé »151 (ibid.). Les neveux de Juan Jacinto s’exécuteront : « ils sont en train de demander à leurs parents pour ce faire (telle est leur coutume, bien qu’ils aient eux-mêmes de quoi payer, parce qu’il semble que se soumettre à cette humiliation soit une espèce de pénitence publique et de signe de repentir) »152 (ibid.). Narvaez ajoute : « parce que je sais que si je vais les punir, ils pourraient s’enfuir ou se rebeller, leur parentèle qui est considérable et d’autres Indiens suivre leur exemple et cela aurait des conséquences néfastes dans la situation actuelle »153 (ibid.).
231En conclusion, Narvaez écrit : « tout cela me fait espérer qu’en suivant leurs principes, méthode que j’ai suivie jusqu’à présent [...] ils perdront peu à peu leur ressentiment et leur amitié s’affirmera [...] mais, comme leur caractère est inconstant [...], il me faut vivre avec la même méfiance et prudence que s’ils étaient ennemis »154 (ibid.).
232Effectivement, les relations entre Guajiros et Espagnols sont bonnes tant que ces derniers ne cherchent pas à dépasser la ligne qui va de Sinamaica à Riohacha en passant par Pedraza, et qui constitue une frontière de fait. En 1783, une expédition de 100 hommes part de Pedraza pour refonder Bahia Honda et Sabana del Valle ; elle est attaquée par les Indiens et quelques Espagnols parviennent à s’enfuir. Une expédition punitive est lancée, mais les Indiens se dérobent. Les Indiens de Bahia Honda sont, depuis la mort de Juan Jacinto, hostiles aux Espagnols mais cette hostilité s’est aggravée « avec l’arrivée du colonel Don Anastasio Cepeda et les préparatifs de guerre qu’ils voyaient se faire, les Indiens étaient méfiants »155 (Moratalla, 1793, p. 2v).
233Les Indiens de cette région seront toujours hostiles en 1789. Le gouverneur de Santa Marta, Astigarraga, dans ses instructions concernant les relations avec les indigènes, écrit : « les indigènes de Bahia Honda sont ceux dont on doit se méfier le plus, parce que chaque fois qu’ils ont pu, ils ont montré leur rancœur et les capitaines n’ont pas voulu venir jusqu’à la ville bien qu’ils aient renouvelé les vivres de navires garde-côtes avec des vaches, des citrouilles et d’autres fruits »156 (Moreno et Tarazona, 1975, p. 329).
234A part quelques escarmouches que les documents ne rapportent que de façon indirecte, le calme règne dans la Guajira au cours des quinze dernières années du XVIIIe siècle. Les Espagnols limitent leur présence au sud de la Péninsule et assurent surtout la liberté du trafic entre Maracaibo et Riohacha. Il n’est plus question de pacification, encore moins de conquête et, lorsque des incidents se produisent, comme en 1790 en raison de la conduite maladroite du gouverneur de Riohacha, ce dernier est démis de ses fonctions et le Vice-Roi fait appel à Narvaez qui règle la situation et rétablit la paix (Moreno et Tarazona, 1975, p. 347-350).
235Il est donc impératif pour les Espagnols d’éviter tout conflit avec les Guajiros qui assurent leur emprise sur une région qui dépasse de beaucoup la ligne Riohacha-Sinamaica, tant sur le littoral ouest qu’à l’intérieur des terres. C’est ainsi qu’ils se trouvent sur la côte de Dibulla — l’ancienne La Ramada du XVIe siècle. Le curé qui évangélise les Arhuacos du Valle de Cototama, dans la Sierra Nevada, veut les transférer pour que son action soit facilitée. Sa demande est refusée car le voisinage des Guajiros est jugé dangereux et parce que ces derniers « ne les aimaient pas du tout »157 (Reichel-Dolmatoff, 1951, p. 111). Inimitié surprenante puisque huit ans plus tard, à propos des mêmes Arhuacos, des documents rapportent que des Guajiros ont tenté de les convaincre « de se rebeller contre les Espagnols et de ne plus payer de tribut et qu’ils devaient vivre libres comme eux »158 (ibid.). On peut donc douter de la raison avancée et penser plutôt que les autorités ne souhaitaient pas rapprocher les Arhuacos des Guajiros, entre lesquels pouvaient exister des différends mais qui risquaient de faire cause commune contre les Espagnols, à la manière des différentes factions guajiras.
236La Mission capucine suit le retrait des Espagnols : en 1793, on ne trouve en Guajira qu’un seul capucin, le père Moratalla vivant à Camarones, village de 300 habitants, Espagnols pour la moitié. A sa mort, il n’y aura plus un seul missionnaire dans la Guajira et, en 1800, l’Espagne ordonnera la sécularisation des missions de la province de Santa Marta.
237Au début du XIXe siècle, le commerce clandestin sur les côtes de la Guajira semble florissant en l’absence d’un contrôle continu des autorités espagnoles. La surveillance commerciale de la Péninsule est principalement assurée par des troupes de miliciens qui, ne faisant pas preuve de tout le zèle nécessaire, restent assez peu efficaces.
238Anglais et Hollandais continuent à enlever d’importantes quantités de bétail et de bois du Brésil, non seulement dans la Guajira mais également dans la région du Valle d’Upar. Au bétail de provenance indigène s’est en effet ajouté celui des élevages espagnols du Valle d’Upar. En 1801, le gouverneur de Riohacha écrit au Vice-Roi qui l’avait chargé de faire une enquête sur ce commerce : « ladite extraction d’animaux se faisait par certains confidents des Indiens qui, sous prétexte de conduire ces animaux vers cette ville, les introduisaient dans la Guajira d’où ils étaient certainement vendus aux Anglais »159 (Moreno et Tarazona, 1975, p. 355).
239Ces sorties illégales de bétail prennent des proportions inquiétantes : il ne s’agit plus seulement du troc (animaux contre tissus, armes, munitions ou verroterie) auquel procédaient les Indiens pour leurs besoins, mais de vente illicite et de réelle contrebande puisqu’il y a revente des marchandises dans l’intérieur du pays : les Anglais achètent ces animaux « en échange de tissus et d’alcool et comme lesdits Indiens ne se servent manifestement pas de tels tissus, il est évident qu’eux-mêmes — ou leurs confidents qui leur fournissent le bétail — vendent ces marchandises dans le Royaume et il en sera de même d’une partie de l’alcool, car bien qu’eux-mêmes en consomment beaucoup, il paraît improbable qu’ils utilisent les grandes quantités qu’ils reçoivent »160 (id., p. 361).
240Du côté des étrangers, le commerce du bétail semble le fait des Anglais alors que le bois du Brésil est plutôt acheté par les Hollandais qui, comme l’écrivait Narvaez en 1778, sont « les seuls à posséder le secret d’extraire la substance ou couleur du bois ou de le réduire en poudre... »161 (Cuervo, 1891, p. 181). Mais ces bateaux anglais « ont des équipages hollandais [...] car les Hollandais ont entretenu ce même commerce depuis longtemps, comprennent la langue barbare et connaissent leurs caractéristiques »162 (Moreno et Tarazona, 1975, p. 360).
241Lutter contre ce commerce est extrêmement difficile : il faut des hommes et du matériel pour surveiller les côtes et l’intérieur des terres mais la difficulté vient surtout du fait que « la plus grande partie de cette côte est habitée par les Indiens guajiros qui, n’étant pas sujets à nos lois, ne peuvent être contraints de les observer »163 (id., p. 356). Tel est en fait le véritable problème : ces échanges illicites s’effectuent en territoire guajiro, territoire « étranger » de l’aveu même du gouverneur de Riohacha. Il est difficile — et même contradictoire — de vouloir lutter contre la contrebande dans un territoire espagnol de droit mais étranger de fait.
242Il faudrait pouvoir contrôler les Espagnols qui se livrent à ce commerce, car eux sont soumis aux lois ; mais il semble que l’interdépendance entre Espagnols et Guajiros dans ces circuits de contrebande rende la chose sinon impossible, du moins dangereuse. Il se trouve, en effet que « beaucoup d’Espagnols pratiquent ces sorties et entrées clandestines sous le couvert de ceux-là » (c’est-à-dire des Indiens), « et je ne peux rien faire [...], car si un quelconque dommage est causé aux Indiens, ou qu’ils le présument (ce qui suffit), nul ne peut savoir jusqu’où ils étendraient leur vengeance »164 (ibid.). Aucune action n’est possible : « si, par malheur, un Espagnol se voyant menacé, se défend et tue ou blesse l’un d’entre eux, il s’ensuivra une autre demande de prix du sang ; et, d’un incident à l’autre, nous aboutirons finalement à la situation de guerre que nous avons connue »165 (id., p. 363). Ayant examiné toutes les possibilités et n’en ayant pas trouvé qui soient réalisables, le gouverneur demande à la fin de sa lettre des instructions pour que « sans causer de dommage aux Indiens, se détruise le commerce clandestin »166 (id., p. 364), souhait irréalisable si l’on se fonde sur l’analyse qu’il a faite de la situation.
243Avec l’approche des guerres d’Indépendance, la Guajira et ses habitants indigènes disparaissent presque totalement de la scène de l’histoire. Le monde que décrivent les documents semble s’arrêter à Riohacha, Valledupar et Maracaibo. On peut cependant entrevoir parfois les Guajiros à la faveur d’un texte concernant Riohacha, par exemple. C’est ainsi que « les indigènes étaient inconsciemment défenseurs de la religion qu’ils connaissaient à peine et du Roi qu’ils avaient considéré parfois comme usurpateur de leurs terres »167 écrit Restrepo-Tirado (1975, p. 502) à propos des Indiens de la province de Santa Marta. En fait, la Province tout entière reste fidèle à la royauté, surtout Riohacha qui est divisé en deux partis mais dont chacun veut se montrer plus royaliste que l’autre. Lorsque Valledupar est pris par les républicains, « le commandant Andres de Medina, petit-fils du cacique des Guajiros », rassemble deux cents hommes à Barrancas et aide à reconquérir la ville (id., p. 543).
244Puis, entre 1813 et 1820, l’ardeur royaliste de la Province s’atténue ; Riohacha est occupé en 1818 par le républicain Mac Gregor dont les troupes « commirent tant d’excès que les habitants unis aux Guajiros se soulevèrent » (id., p. 560). En 1820, enfin, Riohacha tombe définitivement aux mains des républicains et Santa Marta subit le même sort quelques mois plus tard.
245A partir de 1772, sous l’impulsion d’Antonio de Arévalo et du Vice-Roi Guirior, la politique de l’Espagne et du Nouveau Royaume de Grenade vis-à-vis des Guajiros commence à changer. Mobiliser les troupes nécessaires pour pacifier la Guajira représentait un effort économique et militaire que le Royaume pouvait difficilement consentir et, par ailleurs, l’usage de la force risquait d’avoir des conséquences désastreuses. Aussi, pour arriver à ce que le calme s’installe et se maintienne dans la Guajira, Arévalo doit-il résoudre le conflit selon les règles des Guajiros. A part quelques tentatives de retour à la force qui s’avèrent malheureuses, les Espagnols doivent se plier à cette stratégie. Narvaez, en 1779, comme le gouverneur de Riohacha vingt ans plus tard, considèrent les problèmes qui leur sont posés en Guajira en termes guajiros, seule façon de ne pas déclencher une réaction en chaîne qui détruirait la paix dans la Péninsule. Et lorsque des Guajiros sont en conflit entre eux et que l’une des parties demande justice au gouverneur, « celui-ci l’administre selon leurs lois parce qu’ils ne s’accommodent pas des nôtres »168, écrit le gouverneur de Santa Marta, Astigarraga en 1789 (Moreno et Tarazona, 1975, p. 329).
246Cette attitude imposée aux Espagnols par les Guajiros est celle des autorités colombiennes actuellement : dans ce département, le code civil colombien ne s’applique pas à la majorité de la population. Tout comme les clans aujourd’hui, les différentes factions qui composaient la société guajira à la fin du XVIIIe siècle étaient souvent en conflit entre elles mais faisaient front commun face aux Espagnols.
247Certains aspects de la société guajira se sont en revanche quelque peu modifiés entre la fin du XVIIIe siècle et aujourd’hui. A propos du pouvoir des chefs sur les Indiens de leur faction, Astigarraga écrit : « bien qu’il manque entre eux une parfaite surbordination, ils les respectent néanmoins parce qu’ils dépendent d’eux pour leur subsistance »169 (id., p. 328) : la « parfaite subordination » fait toujours défaut, mais le respect qui subsiste ne saurait être attribué à la dépendance économique des Indiens vis-à-vis des chefs car, sans doute depuis le début du XXe siècle, presque tous les Guajiros possèdent des animaux et ont accès aux pâturages, ce qui ne semble pas avoir été le cas auparavant. Il en va de même pour le commerce avec les étrangers : le bétail guajiro n’est plus dirigé vers les Antilles mais vers Maracaibo et le marché local des villes colombiennes de Guajira.
248D’après les documents étudiés, les Guajiros restent donc hors d’atteinte pendant une cinquantaine d’années. Il est presque certain que cette absence d’information n’est que le reflet de la distance entre la société blanche et la société guajira. Les positions acquises au début du XIXe siècle se maintiendront jusqu’à la fin du siècle : Riohacha restera une ville frontière, tout comme Sinamaica qui, elle, devra se protéger contre les attaques des Indiens, comme en témoignent le décret de mai 1845 qui ordonne la construction de défenses contre les incursions fréquentes des Indiens guajiros (Armellada, 1977, p. 127) et le raid effectué en février 1886 par quatre cents Guajiros que rapporte Plumacher (1887, p. 422). Ces incursions des Guajiros avaient pour objet de voler du bétail, d’empêcher l’établissement d’élevages sur leurs terres et de maintenir les frontières de leur territoire.
249La société guajira qui disparaît de l’histoire vers 1810 ne subit donc pas de grands changements jusqu’à sa réapparition dans la seconde partie du XIXe siècle. De cette époque datent les « souvenirs » des voyages qu’effectua le général Rafael Benitez dans la Guajira (Vila, 1957) et les quelques lignes que consacre Appun (1961) aux Guajiros. Puis viendront, avant le début du XXe siècle, les descriptions beaucoup plus précises et déjà ethnographiques de Simons (1885) et d’Ernst (1959) ou celles quelque peu romancées de Reclus (1881) ou de Candelier (1893).
250A la fin du XIXe siècle, les contacts entre Blancs et Guajiros s’intensifient. Si la description du système de résolution des conflits ou de l’organisation sociale que fait Simons en 1885, par exemple, est toujours valable aujourd’hui, certains changements se sont toutefois opérés chez les Guajiros. Ainsi l’usage de la coca (le hayo), dont tous les textes du XVIIIe siècle font état, disparaît dans les dernières années du XIXe siècle. Uricoechea rapporte que les Guajiros « mâchent du hayo » (1878, p. 21) et Simons que les Guajiros faisaient pousser de la coca dans la Serranía de Macuira (1885, p. 783) et s’en procuraient aussi chez les Arhuacos en échange de coquillages et de rhum (1881, p. 722). Ernst, enfin, note que « l’emploi de la coca est à présent sur son déclin [...] ; les anciennes cultures de Macuire dans la péninsule Guajira, n’existent plus ; la sécheresse les a détruites » (1890, p. 336). L’habillement des Guajiros a également subi des transformations : la manta de coton que portaient les hommes a été remplacée par la chemise européenne et, sauf en de très rares occasions, comme certaines fêtes, elle a complètement disparu de la Guajira.
251Bien qu’il soit difficile d’établir une hiérarchie dans la disparition des traits — matériels ou sociaux — d’une société, d’autres changements paraissent cependant revêtir une plus grande importance. La disparition des liens de dépendance économique entre les Guajiros et les chefs des clans a fait place à la dépendance de tous les Guajiros à l’égard des produits agricoles ou manufacturés des sociétés colombienne ou vénézuélienne. De nos jours, la vente du bétail et l’accès aux produits blancs ne passent plus par les chefs mais sont possibles pour tous les Guajiros, phénomène qui entraîne un contact beaucoup plus prononcé et qui s’applique à toute la population guajira.
252A partir du XXe siècle en effet, la présence blanche s’affirme de plus en plus dans la Guajira. A leur retour vers 1890, les capucins établissent autour de Riohacha et en Haute-Guajira des « internats indigènes » pour assurer l’alphabétisation et l’éducation religieuse des enfants guajiros, et des populations non indiennes s’installent en plein territoire guajiro. Mais, en un mouvement inverse, la présence guajira s’affirme elle aussi en territoire non indigène, comme dans la région et la ville de Maracaibo. La société guajira qui apparaît alors est celle que nous avons observée sur le terrain ; à ce moment s’arrête l’ethnohistoire et commence la description du « présent ethnographique » des Guajiros.
Notes de bas de page
1 « En la dicha tierra habia raucho maiz et ajos e cazabas, de manera que todo lo podia haber y habia cuando queria. »
2 « En los dichos edificios y labores fatigo mucho a la dicha gente, fasiendoles trabajar estando enfermos, sin les dar el mantenimiento que habian menester, hasta que de pura hambre murieron muchos. »
3 « Y que en los facer trabajar en lo susodicho, lo facia por el grande peligro que tenian, y porque los indios les combatian cada dia. »
4 « Y trabajad por saber lo de las perlas. »
5 « Los Unotos, los cuales al presente no se declaran por ser de la condicion que son, hasta que sobre lo susodicho se pueda haber mayor informacion. »
6 « Aqui se ha hallado peso y toque para el oro en el lugar que es grande ; y dicen los indios que traen el oro de hasta 25 leguas de dentro la tierra ; y que cuando van alla por ello llevan el peso y el toque para conocer lo que traen. En todas las Indias del Poniente no se ha hallado peso sino aqui. »
7 « Desde alli al cabo de la vela hallamos que avia obra de veynte e cinco leguas y todo poblado de coanaos con los quales hezimos paz, digo con los que vibian alli al pie desta syerra que hazia la mar no fuymos ninguna cosa. Estos coanaos es gente crecida y animossa y cubren sus verguenzas y es gente que trata mucho la tierra adentro, llevando sal a vender a trueco de oro, trahen mantas de algodon cubiertos y bonetes de lo mesmo y segund bimos y supimos es gente de verdad. »
8 « Visto el buen tratamiento que yo, en nombre de Vuestra Majestad, hacia a los indios de dichas islas, y a los de dicha costa, que (nuchas veces se pasaban alla a holgar con ellos... »
9 « Porque lo rico es dende Coquibacoa hasta Santa Marta, e lo mas y mejor » « Vuestra Majestad me haga merced de Coquibacoa [...] e porque los indios de Coquibacoa e Golfo hasta Macarao tengo yo mas amistad... »
10 « Por fuerza siete u ocho caciques de la costa en los lugares de Vipa, Zazarebo, Seturma y Orino » « si salto el dicho capitan con su gente dos noches en tierra y si cautivo hasta 35 indios e indias [...] y si mataron y acuchillaron algunos de dichos indios. »
11 « Estando en el Cabo, estando surtos, nos dijeron que se querian venir, y asi lo hicieron y sin ningun interes, yo, el dicho Vides les di 4 cargas de pan. »
12 « Iba Antonio Insarte de Melo a descubrir las perlas por donde se cree que alii ο en la provincia de Seturma lo mataron a el y a otros 10 hombres que nunca mas hemos podido saber ni averiguar qua ha sido de ellos. »
13 « El gobernador [...] envio a descubrir las perlas del Cabo de la Vela [...] los que iban tuvieron necesidad de tomar agua en une provincia que se dice Seturma. Y como ya los indios entre si estaban rebelados, aseguraron los cristianos y dieron en ellos de noche y mataronlos. »
14 « Hallaron en poder de los indios los vestidos de Antonio Insarte y quemaron al cacique principal que lo habia hecho y justiciaron otros indios de ellos ; y no se pudo hacer mas castigo por no escandalizar la tierra. »
15 « Brindaron amistad a los españoles, Ilevandoles inclusive presentes. »
16 « Se alzo toda aquella tierra y los indios desocuparon sus pueblos y se retrajeron a los lagunas. »
17 « Que anduviesen por partes donde habia comida. »
18 « No era tierra para poblar porque no avia comida ni bebida. »
19 « Que no pueden sufrir la esterilidad del dicho pueblo del Cabo de la Vela. »
20 « En el Cabo no se coge si no es en ciertos tiempos en que se coge algunas hortalizas a mano ; pero que maiz en ningum tiempo al ano se coge, porque la tierra es muy salitrosa y se coge mucha sal en ella. »
21 « Se ha sembrado mucho maiz y se coge mucha cantidad. »
22 « Muy buena para criar ganado » « es muy fertil para labranzas asi de hortalizas como para crianzas de ganado. »
23 « Los que ahora tienen haciendas en el Rio de la Hacha se han comunicado con ellos hasta ahora, y que como ahora sepan que no son cautivos y que son libres y no le han de hacer mal por guerra, vendran mas facilmente a la obediencia y trataran con los cristianos y les daran de los bastimentos que tienen, porque se dice que hay mucha abundancia. »
24 « Siempre los indios de aquella tierra andan alzados, y que le parece que aunque alli se pusiese la poblacion no causaria mas alteracion a los dichos indios, porque son muy cimarrones y enemigos de los cristianos, y nunca hasta ahora se han traido a concordia. »
25 « Hay agua alta dulce [...] y se traer con poco trabajo » « desde el mismo pueblo pueden tener granjerias y estancias en el dicho Rio de la Hacha, como lo hacen los vecinos de esta ciudad, que tienen muchos de ellos estancias en el Macori y en otras partes, que es mas lejos que el dicho pueblo del Rio de la Hacha. »
26 « Con solo mi caballo y un sirviente/Fué y vine hasta el Cabo de la Vela. »
27 « A muy grande peligro de los indios caribes que han muerto y comido otros muchos que alli aportaron. »
28 « En la comarca muchos indios que no estan de paz y podran estarlo con el favor de Dios y de Vuestra Alteza ».
29 « Muchos negros a excesivos precios [...] para labranzas y crianzas y otras cosas de que tienen necesidad. »
30 « E ya gran muchedumbre de ganados. »
31 « Estos indios, aunque estan divididos, son en cantidad. »
32 « Su acabamiento y extirpacion, de manera que en la tierra no quede ninguno, porque en ningun tiempo habra seguridad con ellos » ; « tan diestros en las cosas de guerra, que jamas quieren salir al raso, sino en emboscadas. Y muchas veces, sin poder ver ningun indio, matan a muchos españoles. »
33 « Que mientras mejor se les trata se indignan mas. »
34 « Hacen daños y muertes a los naturales. »
35 « Dichos indios guajiros (que) han sido los motores para matar les negros que sirven en traer de las aguas el agua para sustentar los que sacan perlas en la rancheria. »
36 « Los compran y retienen esclavos [...] vino el cacique al encuentro con dos negros de lacayos [...] se multiplica la diversidad de razas temibles de mestizos, de mulatos, de zambos... »
37 « Como a dos leguas de Riohacha, hacia el sur, en un sitio llamado Soldados, de poblacion guajira, consiguio bautizar a dos adultos y varios parvulos. »
38 « llego a un sitio que llaman Soldados, paraje donde abitan indios rebeldes de nacion guajiros y que habiendoles amonestados se redujesen a Nra Sta Fe, consiguio el bautizar a 12 personas y 9 niños... »
39 « Algunos hallé bautizados, y hombres, los confesé por saber bien la lengua española todos los mas indios del Rio del Hacha [...] toda la tierra es abundante de carnes y mais y los indios crian muchos ganados vacunos y estan las granjas espanolas muy cerca de dichos indios. »
40 « Al licenciado Juan de Campo le ofrecia un régulo llamado D. Francisco muchos ganados y otras asistencias y fabricarle una iglesia. »
41 « Estos como compran de los indios las perlas, los ganados y los caballos para burerias y avalorios de poco valor, persuaden asi a los indios... »
42 « A fuerza de mis persuasiones y trazas, he reducido a Dn Jn de Moscotigui y a Da Luis de Velasco (caziques, señores y reyezuelos de los indios Ilamados guaxiros) a que se bauticen [...] y a once hijos y sobrinos » « con la reduccion de estos, estan reducidos infinitos indios guaxiros y una Provincia de mas de cuarenta leguas. »
43 « Inclinado a Va Magd., a nuestra santa ley y a los españoles. »
44 « No fué por ser lexitimo hijo del anterior casique Dn. Secilio, sino por que por sangre por la parte materna le correspondia... »
45 « Aunque en Boronata y los Cienfuegos hay sobrinos del ultimo cacique ; ellos son muy pobres, y nadie les hace caso. »
46 « ... Los vecinos precipitadamte se retiraron con sus haciendas a la Jurisdicion de la Ciudad del Valle Dupar comperdida de todos los ganados menores, ajuares y casas... »
47 « Eran tierras ynfructiferas pues era necesario yr mucha distancia asenbrar un poco de maiz, que los yndios eran yndomitos y que no querian unirsen para açer pueblos. »
48 « Ai tanta necesidad de agua que para beber los naturales las ban a buscar mui lejos por cuia causa mudan las rancherias de hibierno y berano, El agua que se recoge en las lagunas de las que lluebe en el hibierno sirbe mas para daño [...] por su corrucçion que de refrigerio [...], Y la causa de corronperse tanto es que como en aquella tierra se cria un poco de ganado bacuno, acuden a beber las reses y como no es agua coriente se dana luego... »
49 « Los vecinos del Rio de la acha ban diez y seis leguas a senbrar un poco de maiz al proprio sitio que ban los yndios por no poder açer otra cosa. »
50 « Procuramos agasajar los yndios dandoles cuchillos, abalorios y otras cosillas, nunca les pudimos reducir a que fuesen a poblar al sitio donde tenian sus sementeras ni con el cariño, dadivas, ni amenaças, y la causa que dieron fue que abia muchos mosquitos, y gusanos para el ganado. »
51 « Y Ilamando yndios para que nos aiudasen a cortar la madera, y no querian, y si algunos hiban pedian les pagasemos primero y en dandoles la paga se ocultaban por las orillas del rio y no querian açer nada. »
52 « A los mas de ellos les an bauticado, ocho y nuebe beces por que salen a los caminos y piden les echen agua por el ynteres de lo que les dan los padrinos. »
53 « Primeramente la nacion de los Guajiros es mui corta pues entre todos no llegaran a doscientos familias, y estos estan mui resabiados, por los tratos y comunicacion que tienen y an tenido con mulatos, negros y mestiços y estos como gente de pocas obligaçiones y menos temor de Dios, aconsejanles no con fin de que se reduzgan a nuestra santa ley [...] Son los Guajiros naçion muy interesada, tanto que por que llamabamos a los niños arreçar y ban sus padres luego a que les pagesen los dias que an ydo. Si llamabamos algun yndio asi de los familiares como de otras rancherias, para que hiçiesen alguna diligençia si tenia alguna desgraçia como caer, meterse una espina û hotro cualquier accidente, amas de satisfaçerle el trabajo, biene a cobrar diciendo que por nuestra causa y aberle llamado le a benido aquel daño. »
54 « No soi tu negro, ni esclabo, y esto nos a sucedido a nosotros muchas veces. »
55 « Y si algun español açe alguna demostraçion contra los dichos yndios quienes conbocan a los yndios Coçinas, y a los aruacos que estan en el Valle de Upar, y atemoriçan toda la tierra con el copioso numero que se junta. »
56 « Dichos yndios estan repartidos en muchas rancherias y en cada una de ellas, dos ο tres familias por no poder residir mas asi por no tener que comer, como por las aguadas, escepto las dos principales que son la del cacique, y la otra es de un capitan que bibe cerca del Cabo de la bela en un sitio llamado Orino, estas tienen mas numero y son las que permanecen, por que las demas son como xitanos, no es posible reduçirlos a que bivan unidos y en muriendo alguno pegan fuego a la rancheria, y se ban de alli, sin poderles detener.
A estos yndios en todo el año no se les puede dotrinar por que çerca del medio estan en la pesqueria de las perlas, y lo demas del tiempo estan en sus labranças y como estan tan dilatadas, se esta mucho tiempo sin berles, porque como brutos apeteçen los montes, muchos de ellos no quieren açer sementeras, y son los que miran a la mar su sustento es pescado siempre ; los yndios que confinan con los coçinas se sustentan con lagartijas, culebras, caimanes, y otras cosas semejantes, sin perdonar animal por ynmundo que sea, ai otros que se ynclinan ançia la sierra estos procuran senbrar y tienen algunas reses y son los que mejor lo pasan.
Por que el cacique nos abia admitido en su rancheria se lebantaron contra el seis capitanejos de los mas allegados que tenia diciendo que le abian de matar, que ellos no querian padres, que sus parientes abian estado sin ellos [...] lo que si nos asonbra que haia abido jente que les aia ynpuesto en esto a los yndios por algunos fines que yo no alcanço. »
57 « Auiendo y quedado pasmado de la relacion siniestra y falsa [...] refiero este caso para que no se de credito sin ynforme de los prelados eclesiasticos... »
58 « Cacique, régulo, reyezuelo, magnate, capitan, indio principal... »
59 « Y los vecinos en la inteligencia de ser los Cocinas solos los ladrones, por querer los vecinos contener este desafuero, se sublevaron los Guajiros... »
60 « Comenzaron los hurtos de los Cosinas en las haciendas opulentas de esta Provincia que como son tan amenas sin animal feroz que les aga daño, eran tan grandes, y hasta entonces, como ellos no tenian ninguna especie de ganados, ni carne de res savian corner y solo se mantenian con la de benados, ο ciervos, que abunda mucho, raices silvestres y frutas iguales, luego q. los Guajiros que bibian de lo mismo bieron esto, hicieron lo mismo, retirando para ariba las haciendas que robaban de donde bienen las crecidas que tienen... »
61 « A las trece salidas q. se hicieron con la misma felicidad q. la primera sin derramarse gota de sangre pedian los Guajiros, y los Cocinas de la linea del camino a Maracayo la paz... »
62 « Suspendiese el uso de las armas que personalmte. con sus clerigos entrava a la reducion de los Cocinas, y Guajiros... »
63 « A fuerza de dadivas manteniendo diariamente de maiz, carne, hayo que es la oja que mascan con el poporo, [...] aviendolos vestido de manta a usansa de los Guajiros lo q. nunca avian usado por q. esta especie de gentes viven y mueren desnudos en carnes los barones traer una calabacita y las mujeres solo usan una corta esterita de palma docil que les tapa la onestidad... »
64 « Al sitio de Camacho, a diez leguas de alli, “en tierra amena, sana, fertil y al abrigo de los piratas” y donde podrian mas facilmente cuidar los ganados de los guajiros, que en solo un ano habian hurtado mas de 10 000 reses. »
65 « Por ser excesivo el numero de ellos y opuestos a la doctrina evangelica y de tan mala inclinaciones que con leves motivos declaron la guerra... »
66 « Con otros mas que havian convocado de la Sierra adentro... »
67 « Todos estos indios hablaban español. Unos Servian para cuidar ganados, otros se entregaban a la pesca de las perlas, que vendian por avalorios ο por carne de res. »
68 « Despachar una despedicion a Chimaré con la notiflcia de la mucha hacienda que tienen aquellos yndios, sin considerar la muchedumbre de yndios, y que como son los del mayor comercio con los estrangeros, y que estos los han hecho abiles en las armas de fuego, y que como q. estan mas de cinquenta leguas apartados de la ciudad por sino nos hacen daño, aunque amparan a los ladrones, que depositan alla lo q. roban... »
69 « Necesitava de mucha reflexion... »
70 « Corri tambien por las tierras de los indios Guajiros, vi, lloré y me condoli de su estado [...] Solo digo para descargo de mi consciencia que sino se ponen otros que Capuchinos, ο otros que no sean venales, y V. Majestad con su fuerza temporal no coadjuba a la reduccion de esa gentilidad... »
71 « Son los que habitan en la costa del mar, desde la ciudad del Rio de la Hacha hasta la del Sucuy. »
72 « Y traen siempre una guerra civil unos y otros. »
73 « Es obligado a pedir limosna entre su parentela para esta paga, y ellos a darsela como cada uno puede, hasta que recoge las cabezas que ha de dar. »
74 « Pues estos indios no tienen mayor motivo de matar a alguno, que ser de aquella vecindad, parte ο lugar que en su opinion les tiene agraviados. »
75 « Se ajusta en tantas cabezas de ganado vacuno, caballar, mular ο gallinas. »
76 « A una cabeza llaman ellos diez piezas, ya sean de ganado vacuno, ya porcino, caballar, mular ο de plumas. »
77 « Solo lo es el que posee mayor caudal [...] y con las guerras civiles que hacen unas parcialidades a otras, se roban las haciendas, tampoco permanece el dominio, y pasa luego al que se hizo mas rico con el mayor robo [...] y llamase rico el que tiene su hacienda en ganados [...] porque ni las perlas ni el dinero constituye en ellos riqueza. »
78 « Gozan la cria de los mejores caballos de aquella comarca y estiman mas los que pintan en variedad de colores porque los tienen por mas fuertes y briosos. »
79 « Estos indios (segun se sabe por los mismos Guajiros) son mas barbaros que ellos, y por el consiguiente menos tratables, mas colericos, espantosos y soberbios. Sus costumbres no hay quien las haya experimentado ; mas siendo casi unos con los indios Guajiros, han de ser por la misma razon iguales a las de ellos. »
80 « Para que antes que se emprenda el buceo de perlas, amenace a los yndios magnates que viven en Chimare y Sabana del Valle ; que son Capariache, y Maxusare... »
81 « Despreciando mis amonestaciones se fue [...] paso al pueblo de Laguna de Fuentes y empezando la visita pr. las rezes de los yndios para saciar su hambre y glotoneria, resulto que dos yndios se opusieron, el dize que fue con las armas en la mano, pero yo no se la verdad, selo se que no hicieron ningun daño, pero asegurando el casique a el uno de ellos le ato a un palo y le hizo tirar dos balazos [...] hé tenido pr. convente. amonestarle de nuevo que se contenga en sus tropelios [...] robos de donde resultan las inquietudes... »
82 « Los principales yndios de esta Nacion, son, Coporinche y Maqusare estos se hallan opuestos uno a otro con sus parcialidades, y deseosos q. nosotros protexamos a el uno para aniquilar a el otro. »
83 « Por viejos odios de familia, el capitan de indios Salguero, del pueblo de San Nicolas de los Menores, estaba enemistado con el capitan Paulito, que habitaba en una de las pocas casas que habian quedado en el Salado. »
84 « Porque entre ellos en haviendo peligro de la vida procuran acavar donde nacieron. »
85 « Aceptaron y prometieron con mucho gozo y alegria. »
86 « De la salida que hizo el señor Cabo resulto la reduccion y pacificacion de mas de diez mil indios. »
87 « Que todas las parcialidades se guardarian entera y reciproca amistad, perdonandose los agravios hasta aqui recibidos [...] Que siempre que se revele alguna parcialidad han de concurrir las otras con sus armas y haciendas a sujetar, a ir y castigar al rebelde. »
88 « Emos sabido que el yndio Maxusare, a desertado de la capitulacion que hizo con Ruiz... »
89 « Dicho indio no corria muy bien con el, y asi lo llamara y obligara a que viniera con la deraas gente, a fundarse al Carrizal. »
90 « Que el era rico y caballero y el capitan Baltasar tambien, y asi que no podian los dos unirse bien. »
91 « Media legua apartado, donde habia una casa de su vivienda de dos años antes. »
92 « En cualquiera arroyo que cavan hallan las aguas inmediatas. »
93 « Componer los manantiales, cercarlos, y hacer ramadas para librar las aguas del sol. »
94 « Pajes y caballos para acompañar al otro pueblo al Padre, pues tenia bestias y todos los indios a su mandar. »
95 « De los innumerables excesos, q. cometen dhos. yndios. »
96 « Lo que uno y otro distribui en la gente como costumbre qe. es anticuada. »
97 « Operar de modo, que todo el yndio que se cogiere, y se rindiere sea remitido a esta ciudad, para que sirva el rey en Bocachica. »
98 « Que se dedicasen al trabajo... »
99 « Para la conservacion del buceo, y que ellos queden quietos y pacificos... »
100 Las continuas amenazas que hacen de intentar abanzar a esta dha. ciud. y a los demas sitios de su jurisdiccion (...) ademas de las noticias grales. que corren, de estarse combocando todas las parcialidades para este efecto, que en ninguna manera se pueden despreciar por la grande audacia de ellos... »
101 « El dia primero de Mayo del año de sesenta y nueve se lebanto el pueblo de Rincon... »
102 « El mas aborrecido de los Indios del Rincon desde la prision del Yndio Mateo del pueblo de Laguna de Fuentes... »
103 « Nos contribuya al remedio que le parezca mas oportuno, y convent.te a atajar con correspons.te castigo la sublevada, rebelde, barbara nacion guajira ; que con acedios, robos muertes e insultos han dejado en el ultimo exterminio esta ciudad, y vecindario, transcendiendo estos hasta el Valle Dupar.. »
104 « Que esto indomitos guajiros no son oy, en del estado de barbarie de sus pasados [...] por lo que no se pueden reputar sino por rebeldes a Dios [...] al Rey, a quien han dado la obedencia largos anos, y oy la niegan en el todo, blasfemando que ha de conquistar enteramente esta provincia, y despues pasar al Valle Dupar porque ya ven que los españoles no pueden con ellos. »
105 « Que se nos permita el que nos agreguemos a una de la ciudades inmediatas, pues el tpo. pres.te no nos permite otra cosa que una total ruina. »
106 « El 2 de mayo de 1769 los capitanes se reunieron en consejo y se pusieron en armas... »
107 « Se nos aparecieron en el Pueblo de Boronata un Cosina de grande quietud y parcialidad llamado Sarara, y dos capitanes de Parauje que es la via a Maracayo... »
108 « Que los daños de los Guajiros lebantados son muchos quemando yglesias, matando mugeres y muchachos aviendose robado y matado todas las haciendas de los Blancos que esto lo an de escrivir a el Rel y que enojado, dira, maten a todos los yndios que ellos ne se an metido que embien Usted y el Cacique a pedir diez cabezas de Blancos (que son cien hombres) para juntos a saltar a los lebantados que se haltan todos empedrasa quitarles les haciendas robadas y suyas y luego entrar a los montes por sus huellas que donde se han de escarpar... »
109 « Para contener los desordenes, siendo ellos mismos los ejecutores de ellos. »
110 « Llegaron a el pueblo de Boronata los capitanes de los yndios busos que se avian mantenido neutrales llamados Pachogamez, y governadorcito [...] en una difusa palabra q. me explico el Cacique me dijeron [...] que como consentiamos que el Gov.or Dn Geronimo acabar (nra tierra), que sino venian sus parientes que estaban en Cartag.na que avia mandalo el Gov.or no cesaba la guerra hasta que no quedase de ellos ninguno ο los Blancos se acabasen que no avia composicion que ver sus parientes. »
111 « Bolbieron las mismas ostilidades haciendose caudillo el ya citado yndio Mateo. »
112 « Se celebraria la paz, y se fundarian en Pueblos... »
113 « Se comenzaron a pasar a los parientes enemigos... »
114 « Lo acaesido el dia 3, con el yndio Juan Jacinto, y precision en que nos vimos de tomar las armas contra el, y de que ha resultado la combocacion que por noticias siertas, y en que no hai ninguna duda, se me avisa por varias partes esta haciendo de diferentes Parcialidades para abanzar a esta Ciud. »
115 « Hasta ha mandado un hermano suyo a combocar los Paraujanos del camino de Maracaibo, para impedir la comunicacion de aquella ciudad con esta. »
116 « By local standards of the time, the assemblage of military power gathered in Riohacha during the autumn of 1771 was impressive. »
117 « A excepcn. del yndio Paredes de la Parcialidad, que llaman de Chimares, que tienen algun ganado [...] a ningun otro se le conoze ganado alguno. »
118 « Estoy persuadido, que dho. cazique no solo no sirve bien al Rey, ni es afectto a los españoles, sino que es perjudicial en todo ».
119 « Satisfecho de su inteligencia é idoneidad, para su desempeño... »
120 « Un sambo de Guajiros de los que remitio el Gov.or Mendoza a las fabricas de Cartagena que no quiso venir y se quedo boluntario. »
121 « Comenzo allamarlos Yndios atrayendolos con regalos oyendoles sus razones y luego que se impuso de los culpados a si por ellos como por la pesquiza que siguio puso presos a los que avia vivos por que los mas graves avian muerto, remitio muchos a Cartagena y los asendados a la Jurisdiccion del Valle, les multo en ganado vacuno que repartio en los Yndios principales como por paga a su usanza. »
122 « Los Guajiros por pacificados, como le aseguraron los lenguaraces, lo que repugnaron los vecinos de conocimiento [...] pero creyendo solo el comandante gen.l a los lenguaraces [...] determino mandar azer la Fundacion (este y otros casos me ha dado la experiencia de poder asegurar a VM que los lenguaraces es la perdicion de esta Prov.a y el atraso de las Misiones... »
123 « ofreciendoles regalarlos, que iba a llevarles P. y hacer fundaz.on de Españoles para que bibieran como les Yndios de abajo... »
124 « No querian pueblo, ni ver la cara a Galluzo, que se viniese con su gente hauiendolos injuriado de palabras asta en termino de mandar tomar las armas para quitarles la vida... »
125 « Ellos diesen que se lo dijeron pero yo lo dudo. »
126 « Al fin de Enero embistieron aviendo retirado antes a el lenguaraz que les dejo Dn Josef Galluso nombrado Juan Josef de Ofiate ; en cuyo asalto murieron sesenta soldados y milicianos, y sargento Com.te el P. Cura Fr Buenaventura, y mi hijo mayor que mas claro se a de ver lo que son los lenguaraces, pues como no aviso a los de la fundacion [...] por medio de ellos trascienden los Yndios y saben las ordenes de los superiores y nosotros ignoramos sus ideas... »
127 « Les dimos algunas batallas quitandoles por armas todas las sementeras que como faltaron los caudales no se pudo continuar el Rl. teniendolos retirados en lo encumbrado de las Sierras a donde no se hizo entrada. »
128 « En el mismo final de la tierra firme y entrada del saco de Maracaibo. »
129 « En el centro de quatro fundaciones fuertes y ya privados del comercio clandestino con los estrangeros de donde nace el orgullo de su soberbia. »
130 « Que a los yndios de paz se les hiciese buen tratam.to y se le regalase y con particularidad a los Pusarinas que son los mas a cendados y de sequito, yqde estos nunca se avia experimentado mal. »
131 « Hauia sido tan acerrimo enemigo de los españoles en el tiempo de la sublevacion. »
132 « Este en su ley por mis pasados me tiene por su igual y como atal me llama hermano... »
133 « La gente Criolla no querian comer carne salada y que el P. como que era de Espana no savia comer arepa de maiz, que estava mui triste... »
134 « Una fluxion a los ojos diciendo que ya el era Blanco Miliciano del Rey que no queria que lo curasen Piaches sino Españoles. »
135 « Y la respuesta fue que le quitasen la vida ; cuya tirania se executo como a las siete de la noche en su chinchorro.. »
136 « Un yndio de mayor sequito de todos los Guajiros de aquel tpo por su valor [...] rico sin mezcla de Cocina, que en ellos embilece. »
137 « Avia con su valor hechose oraculo de los Guajiros y por su orden se experimentaron danos q. aviendolo muerto sobre las armas seria lauro pero a un hombre enfermo que por servir a VCRM avia dado tantas vidas a nadie puede agradar ; que consiguio el Comandante interino de esto pues no otra que acabar toda la pacificacion. »
138 « Enfurecidos los Yndios de este agravio abanzaron tan precipitadamte. que murieron muchos. »
139 « De la muerte de Juan Jacinto se siguio el retiro de los Pusarinas de Sabana del Valle que nos probeian de carne fresca, leche y viandas. »
140 « Dejando toda la tierra de arriba de Guajiros en peor estado que lo encontro el Brigadier entonces Dn Anto. de Arebalo. »
141 « Sin creer las sumisiones, ni lagrimas de ninguno porque no son verdaderas. »
142 « Nunca ha avido pacificacion de Guajiros sino una suspension en fuerza de los regalos. »
143 « Consumen de nuestros generos ni efectos, sino los que se les da, ni cultivan ni cogen frutos que puedan servir para nuestro comercio. »
144 « Porque entonces las abundantes lluvias formando varias pozas les proporcionan aguas para beber. »
145 « Viveres, coletas, lienzos del pais, corales y otros efectos que necesitan ο apetecen. »
146 « Tengo el mayor cuidado de no permitir se les haga el mas leve agravio, ni que por su parte tampoco le hagan, sin que por una u otra parte se repare y castigue... »
147 « Persuadir a los vecinos vuelvan a dedicarse al cultivo de la tierra y cria de ganados, en que espero lograr buenos efectos. »
148 « En la ultima guerra [...] sacaron de esta costa los ingleses de los indios guajiros, y de los que no eran indios unos 6 000 novillos. »
149 « Yo procuro satisfacerles, y refutarles en los terminos posibles sus razones, pero como algunas de ellas son ciertas y lo creo fundadas... ».
150 « Que por la muerte dada a su tio en Bahia Honda, han sido los mas irreconciliables... ».
151 « He ofrecido perdonarles con tal de que paguen lo que robaron ».
152 « Esta juntando limosna para ello entre sus parientes (que es su costumbre aunque ellos tengan por si con que pagar, porque parece es como una especie de penitencia publica y serial de arrepentimiento sujetarse a esta humiliacion ».
153 « Porque conozco que de salir a castigar a estos, podrian escaparse ο inquietarse su parentela que es considerable y seguir su ejemplo otros indios y traer malas consecuencias en las actuales circunstancias ».
154 « Todo esto me da alguna esperanza de que siguiendo sus mismas maximas y método que hasta aqui he observado [...], iran perdiendo su resentimiento, afirmandose su amistad [...] ; pero como su caracter es inconstante [...], me es preciso vivir con la misma desconfianza y cautela que si fuesen enemigos ».
155 « Con la venida del Coronel Don Anastasio Cepeda y aparatos de guerra que observaron se traian estaban los indios recelosos ».
156 « De los yndios de Bahia Honda, es de quien deve tenerse la maior desconfianza, por que siempre que han podido han mostrado su rencor, y los capitanes no han querido venir a la ciudad, no obstante que ai buques guarda costtas le han refrescado los viveres con vacas, auyamas y otros frutos ».
157 « Que eran nada afectos a ellos ».
158 « A rebelarse contra los Españoles y a no pagar mas tributos y que debian vivir libres como ellos ».
159 « La expresada extraccion de animales se hacia por algunos confidentes de los indios, q. aparentando conducirlas a estta ciudad, las introcian en la Guajira por donde ciertamente se vendian a los yngleses ».
160 « En cambio de ropas, y aguardientes, de que se manifiesta q. no usando los dhos. yndios de semejantes liensos para nada, es preciso que, ο por si mismos, ο por medio de los confidentes qe. les acopian los ganados, vendan estas mercaderias dentro del Rno. y aun lo mismo acontecera con parte del aguardiente, pues aun que ellos consumen mucho este licor, acaso no podran verificarlo de las grandes porciones que se les conducen ».
161 « Solos poseen el secreto de extraer la sustancia ο color del palo ο reducirlo a polvo ».
162 « Tienen tripulaciones Olandesas [...] pues como los Olandeses tuvieron el mismo trato por muchos años entienden el idioma barbaro, y conocen las propriedades de estos ».
163 « La mayor parte de esta misma Costta, esta habitada de yndios guajiros, qe. no esttando sujetos a nuestras leyes, no se les puede obliger a su observancia ».
164 « Muchos españoles baxo el Palio de aquellos hacen extracciones, e introducciones clandestinas, no puedo dar un paso [...] por que si se le hiciera daño a los yndios, ο ellos lo presumieran (que esto basta) quien podra calcular hasta donde extendrian su venganza... ».
165 « Si por desgracia algun espafiol viendose acometido, usa de la natural defensa, y mata, ο hiere a otro, resultara otra demanda de sangre ; y de unas en otras inquietudes vendremos a parar por ultimo en el antiguo esttado de guerra ».
166 « Sin causar dano a los yndios se destruya el clandestino comercio ».
167 « Los indigenas inconscientemente eran defensores de la religion, que apenas si la conocian y del Rey, que unas veces se lo habian considerado como usurpador de sus tierras ».
168 « Estte les administra segun su ley porque no se avienen con las nuestras ».
169 « Aunque enttre ellos falta la perfecta subordinacion, sin embargo los respettan por q. necesitan de ellos para su subcisttencia ».
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