5. Autres exemples, mêmes questions
p. 103-126
Texte intégral
1. Les jumeaux dogon
1L’exemple nyamwezi nous a montré le rôle important des jumeaux par rapport à la valeur que peut représenter la dualité. Cette dernière n’est pas deux fois l’unité mais une conjonction d’opposés asymétriques. Il est utile alors de compléter cette vue en évoquant rapidement une étude sur la « complémentarité » où celle-ci apparaît également comme une valeur qui organise des niveaux.
2Dans un colloque tenu en 1967 sur « Norme et latéralité », G. Dieterlen invoquait le mythe d’origine dogon pour rappeler que la « complémentarité » est à la base de tout « le système cosmologique soudanais » (Dieterlen 1968). Non pas une complémentarité au seul plan logique, droite + gauche, sacré + profane ou homme + femme. Mais une figure symbolique qui engendre un système et qui doit être définie en termes de valeur. D’un côté, « l’image idéale de l’univers » : deux jumeaux de sexe opposé, « dualité complémentaire non antagoniste ». De l’autre, en position d’englobé, l’unicité comme dualité manquée : la naissance du « prématuré, conçu jumeau mais ayant à jamais perdu sa jumelle ». Cet « antagonisme », cette opposition hiérarchique dirons-nous, donne son sens au récit mythique ainsi qu’à l’organisation rituelle.
3On connaît le récit. La double genèse, d’abord : la première sera manquée, la seconde réussira. Dieu crée « la plus petite chose », sous forme de graine, mais renonce à édifier le monde à partir d’elle : la graine est unique. C’est alors avec deux graines, jumelles et de sexe opposé, que le monde est créé. Puis « l’œuf initial » se scinde : deux placentas donnent naissance à deux poissons jumeaux qui se multiplient, toujours sur le mode du couple gémellaire. Significativement, la complémentarité apparaît dès l’origine en opposition à l’unicité : la graine unique n’est pas créatrice. D’autre part, dans la complémentarité gémellaire qui devient alors le mode de la création, l’asymétrie est déjà là : les jumeaux sont mixtes. Vient alors l’asymétrie fondatrice. Les poissons se multiplient mais l’un d’eux naît avant terme, « avant que Dieu n’ait formé son complément nécessaire, à savoir sa jumelle ». Comme on le sait, il deviendra le Renard, symbole du manque, par son unicité — il sera toujours en quête de sa jumelle —, symbole de la révolte et du Désordre. En face Dieu créera Nommo, Ordre et vie ; pôle supérieur car il y aura eu changement de niveau : c’est un poisson sacrifié puis ressuscité sous forme humaine, c’est aussi un vrai jumeau.
4L’opposition socialement fondatrice est en place : unicité < gémellité. Non pas 1 < 2, mais d’un côté, l’unicité spécifiée comme un manque, de l’autre, la dualité totalisante, conjonction des asymétriques, en quelque sorte l’état-limite du rapport entre le même et l’autre : gémellité et opposition des sexes, « androgynie » (Dieterlen 1968, p. 147). Là encore, il ne s’agit pas de faire un choix, disent les Dogon. La réalité sera la lutte incessante entre Nommo et le Renard, victorieuse pour l’Ordre à chaque lever du soleil, mais remise en cause à chaque tombée de la nuit (p. 147). Dans ce cadre agonistique, les hommes se multiplient.
5Avant l’apparition de l’homme, la totalité était déjà posée, mais la hiérarchie n’avait pas encore sa place explicite : graines d’abord, poissons ensuite se multipliaient dans la complémentarité asymétrique de leur gémellité mixte. Lorsqu’intervient la naissance prématurée, l’asymétrie se fait explicite et devient hiérarchique : ordre/désordre, gémellité/unicité. Une conséquence essentielle : la société devient concevable. En effet, la différence des statuts, les rites de mariage et de sacrifice prennent alors leur sens. Dans la société, s’opposeront évidemment les naissances de jumeaux et les naissances uniques (pp. 147, 150, 152). Dans les clavicules de tout être humain siègent les symboles des huit graines fondamentales, « issues des graines jumelles qui sont à l’origine du monde » (p. 148). Homme et femme d’une part, groupes humains entre eux d’autre part, se hiérarchiseront par l’ordre différent de ce contenu claviculaire et en particulier par des oppositions droite/gauche dans la disposition de ces graines-symboles (pp. 148-149). Le mariage apparaîtra comme la reconnaissance de la loi de la gémellité. Chez les Bambara, l’union permet aux époux, marqués auparavant du manque de n’être pas « né-jumeau », de devenir des jumeaux réels « au moment de l’union sexuelle et par l’échange du contenu claviculaire » (p. 149). L’opposition naissance de jumeaux/naissance unique se raffine. La mère qui porte deux embryons jumeaux mais qui rompt un interdit durant la gestation provoque la fusion des deux foetus. Elle donnera naissance à un gaucher si celui-ci est l’avatar de deux jumeaux mâles et à un albinos si la naissance attendue était celle de jumeaux-mixtes. Gaucher et albinos auront un statut très particulier, différent des jumeaux réels et des non-jumeaux ordinaires.
6La précision de ce statut nous fait aborder un autre problème. Mais on voudrait souligner d’abord ce qui nous importait dans l’exemple dogon trop brièvement abordé1. Relever d’abord que pour l’auteur, les distinctions ne renvoient pas à une complémentarité logique sur le mode de l’addition arithmétique, mais à des niveaux et à des valeurs. Dire ensuite que le mythe n’est pas ici un miroir explicatif du rite, car, dans l’un et l’autre, le symbolisme apparaît immédiatement différentiel. Dans les deux domaines, le principe gémellaire impose un ordre : deuxième genèse / première genèse, jumeau mené à terme / jumeau prématuré, poisson sacrifié-ressuscité / poisson prématuré ; naissance gémellaire / naissance unique, homme/femme suivant le contenu claviculaire, droitier / gaucher, pigmenté / albinos.
7Dans ces deux derniers cas, le statut est remarquable : le gaucher assurera la réussite de la guerre en combattant au premier rang ; l’albinos garantira le succès du sacrifice en étant la victime de choix. On trouve là, semble-t-il, ce qu’on dira à propos de la logique rituelle nyamwezi (voir plus bas). Une opposition hiérarchique (ici jumeau/non-jumeau) crée un écart de niveau dans lequel s’inscrit le rituel. Au centre des rites se trouvent les objets ambigus dont la nature permet précisément un mouvement. Pour le gaucher et l’albinos l’ambiguïté est triple. Ils participent des deux niveaux : à la fois jumeaux et non-jumeaux puisqu’ils sont des avatars de jumeaux. Ils sont le résultat d’une transgression (leur mère a brisé un interdit) qui a provoqué l’impensable fusion : ils représentent à la fois une unité plus forte encore que le couple gémellaire puisqu’ils en sont la fusion ; mais par là même ils sont devenus uniques. Enfin c’est leur mise à mort (suggérée dans la guerre, affirmée dans le sacrifice) qui manifeste leur puissance en accordant la victoire et le succès. Une subdivision distingue le gaucher de l’albinos comme on l’a dit. Le premier est l’avatar de jumeaux mâles, le second l’avatar de la complémentarité parfaite, celle des jumeaux mixtes.
8On se souvient, à propos des Nyamwezi, de la subdivision, dans le domaine supérieur, entre nés-inversés et nés-jumeaux. Et les rites qui accompagnent la naissance de ces êtres sont également la mise en scène de l’ambiguïté où se mêlent le « deux » et le « un ». On entrevoit le champ d’analyse qu’ouvre la vue hiérarchique quand l’opposition dualiste est replacée dans l’ordre des valeurs, quand, dans le cas présent, l’opposition 2/1 est entendue comme la conjonction face au manque. Les jumeaux donnés comme valeur renvoient par contraste au niveau englobé de l’unicité. Les jumeaux considérés comme l’ambiguïté maximale du rapport entre le même et l’autre créent le mouvement du rite. La hiérarchie entendue comme une construction symbolique et comme un principe rituel est alors au cœur du système des croyances et des pratiques2.
2. La droite et la gauche en Chine
9On abordera maintenant la dernière étape de l’analyse en se tournant vers le texte de Granet (1953) sur La droite et la gauche en Chine et vers celui de La Flesche (1973) qui traite du même sujet chez les Osage. Plusieurs raisons motivent cet intérêt.
10La première est de ne pas restreindre la discussion au domaine africain. La hiérarchie n’est pas le propre d’une zone géographique ni même d’une civilisation ; mais elle caractérise, à des degrés divers sans doute, toute société « holiste », selon les termes de Dumont, c’est-à-dire un grand nombre de sociétés non modernes. De plus, le texte de Granet, écrit en 1933, et celui de La Flesche, écrit en 1916, forment avec l’analyse de Hertz l’ensemble des textes historiques sur la question, et il nous importe de dire que ces deux textes ne sont pas moins riches que celui de Hertz. Mieux encore : le problème de l’inversion et celui de la référence y sont clairement posés. Prémonition remarquable ? Il faudrait plutôt dire l’inverse. Dès le début du siècle, ces deux textes indiquaient la simplicité du problème droite/gauche ; c’est ensuite que cette clarté fut obscurcie et cette simplicité oubliée. Ces qualités étaient dues chez les deux auteurs au respect de l’ordre des videurs dans la présentation de leurs exemples, et l’on a souligné déjà le caractère indispensable que présente cette démarche.
11Cette question des valeurs rend précieuse l’étude de La Flesche quand on prolonge la discussion du cas osage à l’aide des pages que lui a consacrées Lévi-Strauss. Celui-ci s’interroge sur « l’illusion dualiste » à partir du cas winnebago (proche de la structure osage) et analyse d’autre part, à travers les faits osage, le concept de « totalisation » dans les schèmes classificatoires. Ces réflexions éclairent notre propos. Chez les Osage comme chez les Nyamwezi, l’addition mathématique — la totalisation — fait intervenir des niveaux ; et l’on observera la hiérarchie 13 > 6 + 7 (la société/les deux moitiés) comparable à celle qui caractérisait la valeur royale nyamwezi : 2 > l + l et 5 > 2 + 3.
12Les développements de Lévi-Strauss sur les taxinomies que met en œuvre la « pensée sauvage » nous permettent aussi de poser la question qui est au fond du débat sur les classifications droite/gauche. L’« illusion dualiste » des tenants de la méthode binaire consiste-t-elle à prendre la pensée non moderne pour un balbutiement des classifications scientifiques, capable seulement d’envisager les schèmes à deux pôles alors que des figures de toutes sortes et de toutes dimensions sont à l’œuvre ? Ou bien n’est-ce pas également une illusion que de voir même dans une construction étagée en divers plans un code universel, un réseau d’interconnexions logiques, c’est-à-dire un modèle certes plus efficace que le tableau binaire, mais qui n’envisage pas davantage la hiérarchie ? On verra que Lévi-Strauss signale le problème en spécifiant que, dans une société, chacun ne dispose pas d’une liberté dans le choix des diverses représentations qu’il peut mettre en œuvre. Cependant, en analysant de façon autonome le rapport logique qui relie entre eux les différents niveaux de représentation, l’auteur ne ferme pas la porte à l’illusion rationaliste toujours prompte à surgir dans les analyses actuelles du symbolisme. Selon cette rationalité, les notions d’opposition et de complémentarité n’ont qu’un seul sens que l’on soit dans le contexte de la pensée mathématique de notre société moderne, où prédomine le mode « équistatutaire », ou dans celui des sociétés traditionnelles où la hiérarchie a sa place.
13Considérons d’abord l’exemple chinois. Le texte de Granet est souvent cité pour son apport sur le problème de l’inversion. Alors que Hertz recherchait l’universalité de la prééminence de la droite, Granet montre clairement « l’alternance de la prééminence » à l’intérieur d’une même société. Mais cet aspect n’est pas l’essentiel, si du moins on ne veut y voir qu’une démonstration logique selon laquelle tout schème binaire peut se retourner. Granet n’a pas seulement substitué à un modèle mécaniste et statique un modèle structural qui, certes, fait place à l’inversion, mais dont la cohérence demeure celle d’un système logique. Si l’inversion apparaît, c’est que le tout social est constitué de « positions et qualités corrélatives » qui imposent de nombreuses combinaisons : en passant d’une position à une autre, les directions peuvent s’inverser ; plusieurs oppositions peuvent entrer en jeu simultanément (gauche/droite + haut/bas par exemple ; voir plus bas). Mais surtout, ces « positions » diverses sont données dans les « représentations » (les valeurs) qui organisent le système, et qui sont multiples : les positions pures ou impures, profanes ou sacrées seront diverses et ne pourront se regrouper dans la dichotomie de la « polarité religieuse » que suggérait Hertz. Mauss ne s’y est pas trompé comme le montre l’intervention qu’il fit à la suite de l’exposé de Granet : « Le progrès que fait Granet est de mettre de la mythologie et de la représentation en tout ceci... cette considération est en effet explicative par rapport à celle des rites » (Mauss 1968, pp. 144, 146).
14L’auteur s’attache donc à préciser la situation des contextes et à relever le tout dont chaque opposition procède, ainsi que la nature de la référence dont chacune relève. On n’est donc pas étonné de trouver des exemples précis d’oppositions hiérarchiques, même si le terme n’est pas employé par Granet. Nous examinerons une partie des exemples, en les regroupant selon un ordre particulier correspondant à notre investigation de la hiérarchie. On passera de l’observation de l’inversion à l’étude des combinaisons d’oppositions qui provoquent cette inversion pour analyser ensuite des hiérarchies de niveaux.
15La démonstration principale, si l’on en juge par l’introduction et la conclusion, porte sans doute sur l’inversion comme alternance. Mais ce n’est pas le seul aspect à considérer, et nous ne retiendrons ici que deux exemples. D’un côté, on relève l’association Yin-droite-femelle opposée à celle qui relie Yang-gauche-mâle. Pour saluer, les garçons couvrent la main droite de la main gauche tout en s’inclinant : « Ils cachent la droite et présentent la gauche ». Les filles font l’inverse. Mais en période de deuil, les hommes inversent l’ordre des mains et recouvrent la gauche de la droite. La valeur est du côté du Yang qui engendre (englobe) le Yin ; de façon corollaire la gauche domine dans la cosmologie générale. Mais le sorcier sera Yin et engendrera le Yang. Les danses de sorcellerie auront un pas où le pied droit prédominera.
16Passons aux aspects plus complexes. L’exemple du serment est révélateur d’une perception qui est déjà structurale. Il y a deux formes de serments. Dans le premier, deux partenaires se serrent la main droite ; l’idéogramme correspondant est constitué de deux mains droites. C’est le cas du serment conjugal ou militaire, et l’on fera ensuite, parfois, un pacte de sang en pratiquant une saignée au bras droit. Dans le second cas, il s’agit d’un serment « solennel », « devant les dieux », où l’on fait un sacrifice ; on prendra un peu de sang tout près de l’oreille gauche de la victime (l’oreille est importante en relation au « souffle vital »).
17Dans le premier cas, la droite prévaut ; dans le second, c’est la gauche. Mais, dit l’auteur, la raison en est l’intervention d’une autre opposition qui distingue le haut et le bas du corps (les mains appartiennent au bas du corps). Cette dernière opposition est elle-même reliée aux autres oppositions Ciel/Terre et est/ouest. Non que ces diverses oppositions conduisent à une même dichotomie ; mais leur combinaison explique l’inversion. Le Chef fait face au sud et détermine ainsi les rapports gauche-est et droite-ouest : l’est se trouve à sa gauche. D’autre part Ciel et Terre qui, à l’origine étaient l’un au-dessus de l’autre, comme il se doit, ont subi un déplacement qui fit apparaître une asymétrie par rapport à Taxe. La structure du monde est celle de la maison du Chef : un toit, rond comme le Ciel, un sol, rectangulaire comme la Terre, et une ou plusieurs colonnes qui relient l’un à l’autre ; une colonne unique représente le Chef, quatre colonnes sont les ministres ou les montagnes situées aux quatre coins du monde. Mais dans un mythe célèbre, un ministre déracine une colonne : Ciel et Terre furent déséquilibrés, s’inclinèrent et se déplacèrent légèrement l’un par rapport à l’autre. Une hiérarchie est/ouest apparut alors dans le Ciel, et une hiérarchie inverse ouest/est pour la Terre. Il faut ajouter enfin le rapport au corps : la tête, ronde, est le Ciel ; les pieds qui dessinent à eux deux un carré sur le sol sont la Terre. On peut alors revenir aux serments : pour le haut du corps, la gauche est préférée (haut-Ciel-est-gauche) ; les bras et les mains quant à eux sont déjà dans la partie basse du corps et Ton préfèrera alors la droite.
18On pourrait ajouter un point. Ce détour par les « représentations » montre la cohérence du système et explique la forme de l’inversion. Mais en elle-même, celle-ci traduit le changement de niveau qui apparaît là. Nous verrons que le rapport entre haut et bas, Ciel et Terre, souffle et sang est un rapport entre englobant et englobé. La différence entre haut et bas du corps, correspondant à une différence de contexte rituel (serment de paix → serment « solennel »), est donc un changement de niveau (puisque Ciel englobe Terre), et l’inversion qui l’accompagne est alors attendue.
19Développons rapidement cette opposition Ciel/Terre. Il serait aisé de faire là une liste binaire : Ciel = haut = sud = lumière = Yang = avant, etc., en face de Terre = bas = nord = obscurité = Yin = arrière. Mais Granet s’attache encore à restituer la représentation dans sa structure globale. On a vu que l’asymétrie entre Ciel et Terre — et, pour chacun de ces pôles, entre est et ouest — relevait de la structure de la maison du chef et de l’introduction du désordre qu’entraîna la colonne déterrée. De la même façon, Granet dit que l’image du monde est une reproduction fidèle de la scène rituelle de l’assemblée où le Chef reçoit ses vassaux. Le Chef se tient le dos au nord et regarde le Ciel ; les vassaux se prosternent vers le nord et pressent le front contre la Terre. Face au sud, le Chef reçoit la totalité des rayons du soleil (la lumière Yang) sur le visage qui, en opposition à l’arrière, devient également Yang. Il faut ajouter les mythes fondamentaux : le Ciel (Yang et mâle) « recouvre, enlace » (englobe) et presse contre sa poitrine la Terre ; celle-ci présente au contraire l’arrière et « porte sur son dos » ; la Terre, mère, donne le sang ; le Ciel, père, donne le souffle. Cette opposition générale, présentée dans sa hiérarchie, permet alors toutes sortes d’inversions (dans un fameux livre de médecine, l’arrière devient Yang et le cœur quitte corollairement la poitrine).
20Comment se présente la totalité dans ces diverses oppositions où seuls deux termes sont en présence ? Le souffle et le sang font évidemment référence au corps, et l’un est présenté comme plus vital que l’autre. Mais ici les représentations n’insistent pas sur le niveau particulier de cette totalité corporelle. En effet le souffle et le sang sont comme le Ciel et la Terre, et ces derniers sont une totalité dyadique hiérarchisée : l’un englobe l’autre. Il faut retenir cependant que la société se définit dans la liaison de ces deux pôles, au plan de l’autorité : le Chef est la colonne qui relie le Ciel et la Terre. Mais la relation est ambiguë : une colonne fut brisée (déterrée) et l’ordre (de l’asymétrie) fut ainsi établi. Enfin cet englobement Ciel/Terre implique que Yang et Yin ne s’opposent pas de façon binaire. Et l’on n’est pas étonné de lire que le Yang est en fait un composé du Yang et du Yin. De même l’ordre numérique impair est un composé du pair et de l’impair.
21On se souvient par ailleurs que les exemples africains ont montré plus d’une fois une autre figure : celle où deux termes renvoient à un corps référentiel qui apparaît comme tel dans la représentation en étant situé à un niveau supérieur. On retrouvera largement ce problème de la figure « triadique » avec l’exemple osage, mais l’on sait déjà que droite, gauche et « centre » ne sont pas situés au même niveau et que le « centre » peut être la totalité du corps. Le Chef chinois n’ignore pas bien entendu ce schème classique où il est l’axe, ou plutôt le tout — le niveau supérieur — qui hiérarchise des termes inférieurs. Les hommes se placent à l’ouest et font face au soleil levant ; ils sont donc associés à l’est. Les femmes se placent le dos à l’est et sont associées à l’ouest. Le Chef qui est toujours face au sud a donc les hommes à sa gauche (à l’est) et les femmes à sa droite (à l’ouest). On dit aussi par ailleurs que le Chef est Yin et Yang.
22Le Chef comme « centre » qui répartit et hiérarchise par rapport à lui les catégories est une figure classique du symbolisme royal. Mais on a cité cet exemple pour le contraster avec d’autres schèmes ternaires qui sont particuliers et qui manifestent clairement la hiérarchie gauche/droite. Le Chef est un archer qui voyage sur un char, en prenant soin de toujours regarder le sud. Les mouvements que nécessitent les campagnes militaires seront cependant possibles, car il suffira d’un drapeau rouge pour figurer le soleil et le sud. Sur le chariot se trouvent deux hommes, outre le Chef : le conducteur, placé au milieu, et un lancier qui est un vassal. Le lancier est droitier ; il est placé sur le côté droit du char. Le Chef est à gauche, à la place d’honneur. Granet ne commente pas cependant cette intéressante combinaison de la hiérarchie sud/nord et gauche/droite. Le char, qui roule vers le sud, et qui est le char royal, est ainsi le corps référentiel. Comme le Chef lui-même dans d’autres cas, le char hiérarchise gauche et droite, et le Chef se place à gauche. Le « centre » n’est pas en fait le personnage central (le conducteur), et le côté gauche englobe le reste, c’est-à-dire à la fois le centre géométrique (le conducteur) et le côté droit (le lancier).
23De même voit-on le Chef être représenté par trois dignitaires : celui « de gauche », celui « du centre » et celui « de droite ». Et c’est le dignitaire « de gauche » qui sera le plus honoré. Cela permet aussi d’entreprendre une étude du rapport entre classifications et symbolisme royal ; on a vu que le Chef était parfois du côté de l’englobant, le Yang, qu’il était l’ambiguïté d’une médiation (la colonne entre Ciel et Terre), qu’il pouvait être un centre (entre est et ouest, entre hommes et femmes) et un tout (le Yin et le Yang). En fait la nature de l’englobant nous a montré que, dans l’opposition hiérarchique a/b, a est à la fois a et b : le Chef est Yang et Yin-et-Yang. Dans les oppositions homme/femme ou droite/gauche, le tout est le corps de référence, placé à la fois entre les deux pôles et à un autre niveau qui les inclut tous deux. Quant à la colonne déterrée, elle introduit au plan du mythe la temporalité de l’action, destructrice de symétrie et créatrice d’asymétrie, qui articule ainsi les niveaux.
24Ainsi « l’alternance » conduit aux oppositions hiérarchiques englobant/englobé et au symbolisme de l’autorité, pour peu que les divers termes ne soient pas isolés des contextes mythiques, rituels ou littéraires où ils apparaissent. Et c’est le mérite de Granet que d’avoir montré que « ... au moment où ce qui règne c’est un complexus de positions, de puissances et de puretés à la fois — non pas celle de puissance sans la pureté ou de puissance sans la position — alors la simple division droite-gauche s’emploie comme un élément du tout » (Mauss 1968, p. 147).
3. La droite et la gauche dans les cérémonies osage
25Les exemples africains et chinois ont montré la diversité des niveaux classificatoires en même temps que la profonde unité des principes structuraux sous-jacents. On achèvera avec l’exemple osage l’examen du principe qui agence ces niveaux en contrastant le rapport logique (dans la vue universaliste) et le rapport hiérarchique.
26On a rappelé l’importance de l’exemple sioux dans les travaux de Lévi-Strauss et on relèvera les indications sur le système osage qui se trouvent au chapitre V de la Pensée sauvage (Lévi-Strauss 1962) :
- la classification générale est tripartite : « Les Osage répartissaient les êtres et les choses en trois catégories respectivement associées au ciel (soleil, étoile, grue...), à l’eau (moule, tortue...), et à la terre ferme (ours...) » (p. 79) ;
- certains contextes s’organisent en oppositions duelles : « Le soleil levant répand 13 rayons, qui se répartissent en un groupe de 6 et un groupe de 7, correspondant respectivement au côté gauche et au côté droit, à la terre et au ciel, à l’été et à l’hiver » (p. 80) ;
- en fait, des schèmes divers se rencontrent, binaires, ternaires, quaternaires etc., qui se constituent à partir de « l’opposition majeure » de la pensée osage. Il s’agit de la relation entre les deux moitiés Ciel et Terre, cette dernière étant subdivisée en Terre Ferme et Eau (p. 188). On a déjà indiqué les oppositions pair/impair et droite/gauche. Les orients, quant à eux, intègrent les subdivisions de la moitié Terre : nord et sud s’opposent comme Ciel et Terre, est et ouest comme Terre ferme et Eau (p. 189).
27Les faits osage sont l’occasion pour l’auteur de faire plusieurs remarques. On n’insistera pas sur la démonstration principale, reprise dans tout l’ouvrage, à propos de « la convertibilité réciproque des classificateurs concrets et abstraits » (p. 187) et sur la critique du « totémisme ». L’importance de ces pages est bien connue.
28Un autre thème, qui nous concerne directement, occupe une partie de la discussion. Prolongeant son interrogation sur l’existence des organisations dualistes (Lévi-Strauss 1958), l’auteur montre que chez les Osage aussi, le dualisme n’est souvent qu’apparent et recouvre un principe ternaire. Comme les Winnebago ou les Omaha, ils ont un campement circulaire qu’un diamètre idéal divise en deux moitiés. Mais une moitié winnebago a deux fois plus de clans que l’autre, une moitié omaha a deux chefs et l’autre un seul ; chez les Osage, on l’a dit, une moitié est subdivisée en deux sous-moitiés (Lévi-Strauss 1962, p. 186). Ainsi, selon les circonstances, un même groupe peut-il mettre en avant l’aspect binaire ou ternaire (p. 187), et on peut étudier comment sa pensée surmonte les problèmes logiques du passage entre schèmes dotés d’un nombre différent de pôles.
29Dans la perspective générale de l’ouvrage, la démarche est claire et la pensée sauvage débarrassée de la gangue « pré-logique » dans laquelle on prétendait l’enfermer. Mais en suivant la ligne directrice du présent travail, il faut poser la question de la spécificité des niveaux où se situent chaque pôle des relations envisagées et, plus généralement, analyser la différence entre les domaines d’application des différents modes, « ternaire », « binaire », etc. L’exemple africain nous avait suggéré que cette dernière différence pouvait être radicale, hiérarchique, dans la mesure précisément où l’opposition des modes apparaissait en fait comme la différence entre le niveau de la totalité (5//2/3) et celui de la mise en œuvre de certains de ses éléments (pair/impair, droite/gauche).
30Les indications que donne Lévi-Strauss sur ce problème, au début du chapitre V, sont trop générales pour notre propos. Réagissant contre le choix arbitraire du niveau des espèces qu’ont opéré les tenants du totémisme, l’auteur insiste, comme on l’a dit, sur le caractère interchangeable des niveaux. Mais ce faisant, il ne ferme pas assez nettement la porte à une utilisation systématique des relais logiques entre niveaux, dont on a vu le caractère abusif dans le traitement du symbolisme meru. Le « niveau » ne prend pas ainsi le sens hiérarchique qui est le sien quand on considère le classement comme une opération éthique que gouverne l’ordre des valeurs.
31Le problème peut être éclairé en considérant directement la question du passage entre plans différents et en analysant le concept de « totalisation » dont Lévi-Strauss nous montre l’importance dans les mêmes pages de la Pensée sauvage : c’est par « détotalisations et retotalisations » successives (p. 193) que le système progresse, change de plans, et peut, à partir d’une opposition binaire, par exemple, atteindre n dimensions. Ainsi en est-il du chiffre treize pour les Osage :
- le treize totalise les deux moitiés (l’une étant associée au six, l’autre au sept), la droite et la gauche, le sud et le nord (p. 191). Il a une valeur mystique (p. 80) ;
- le soleil levant a treize rayons, répartis, comme on l’a dit, en un groupe de six et un groupe de sept, avec les associations qui en découlent : moitiés, orients, saisons (p. 191) ;
- les actions d’éclat du guerrier accompli doivent être au nombre de treize et sont représentées par les treize empreintes de l’ours, pour le guerrier de la sous-moitié Terre ferme, et par treize saules pour le guerrier de l’Eau.
32Commentant le deuxième point, l’auteur indique bien sûr l’union du Ciel et de la Terre (6 + 7) que réalise le soleil levant (treize rayons). Mais le soleil est aussi un astre, affecté comme tel à la moitié Ciel, et le treize est associé par là directement à cette moitié. Le troisième point nous montre à travers la guerre, affectée à la moitié Terre, l’association du treize à cette moitié. En outre, ce treize suit la subdivision de la moitié et vient caractériser le guerrier de chaque sous-moitié Terre ferme et Eau. Ainsi, le treize, expression de la totalité (premier point), sous forme duelle (gauche + droite, etc.), est-il aussi « démultiplié sous l’effet du schème ternaire » (p. 192) — moitié Ciel et sous-moitiés Terre ferme et Eau — pour être affecté en propre au ciel, à la terre et à l’eau : « Il y aura un ”treize” de ciel, un ”treize” de terre, un ”treize” d’eau » (p. 192).
33L’étude se prolonge en citant d’autres « codages », comme celui des espèces, où deux groupes, utilisant toujours l’opposition du six et du sept, se dédoublent et portent ainsi à vingt-six « le nombre des unités ». Ces différents codages sont autant de « grilles préconçues » appliquées sur toutes les situations empiriques (p. 197). Mais il nous semble que cette conception générale fait perdre une dimension essentielle aux « outils totalisants » — comme ici le treize : celle qui précisément leur confère un pouvoir de totalité et qui fait d’eux des signes de référence. La discussion privilégie, en effet, la comparaison des différents codages — nombres, espèces, etc. — à travers la nature ou la quantité des unités et à travers les dimensions des schèmes de base (binaire, ternaire, etc.). Et si l’on oublie le contexte dans lequel ces propos sont tenus — critique du privilège accordé au niveau des espèces —, on court un risque important, dans l’analyse symbolique d’une société particulière : se dire structural et ne considérer, dans un ensemble symbolique, que la nature de ses éléments et son cardinal (nombre des éléments), alors qu’un tel ensemble ne peut être défini sans comporter une relation d’ordre large (≤). On a vu que certains travaux critiqués plus haut n’échappaient pas à ce danger.
34On voudrait donc ici, devant le nombre treize du symbolisme osage, poser l’hypothèse d’un niveau supérieur englobant ; et dire que, si le treize est cette totalité (premier point), ses autres manifestations, même si elles ne concernent qu’une partie de la société, sont aussi l’affirmation de la référence suprême. Il n’y aurait pas un « treize » d’ensemble et un « treize » de ciel ou de terre dans la mesure où, entre un ensemble et telle de ses parties, la relation est hiérarchique. Il nous faut, à ce point, nous tourner vers le texte de La Flesche (1973) qui nous renseigne, dans son investigation du dualisme, sur les treize rayons du soleil levant et les treize actions d’éclat du guerrier accompli.
35La disposition cérémonielle des deux moitiés, lors des grands rituels, est toujours la suivante :

Les membres des deux moitiés sont assis face à face en deux lignes parallèles de direction est-ouest. L’espace intermédiaire, « entre ciel et terre », est « le chemin du soleil » (p. 33). L’officiant se tient dans cet espace, face à l’est, et, ajoute La Flesche, symbolise l’unité de la tribu, ayant à sa gauche la moitié Ciel, à sa droite la moitié Terre
36D’une manière générale, le soleil est aussi le principe créateur. L’homme qui le contemple à son lever vénère en lui la source de toute vie. La vie, dit aussi l’auteur, procède de l’union dynamique des forces du ciel et de la terre. Le soleil est bien ce trait d’union, symbolisé par le chemin central de la disposition cérémonielle. Et la direction du soleil levant est la direction sacrée par excellence, que l’officiant doit toujours regarder (l’ouest est au contraire le lieu des ennemis). Le soleil représente un niveau supérieur ; l’est est ainsi marqué par le nombre treize des rayons du soleil.
37D’autres rites montrent également cette symbolique du soleil où celui-ci n’est plus seulement un astre affecté comme tel à la moitié Ciel. A son lever, il n’est ni « du ciel », ni « de la terre » mais ce qui englobe ciel et terre, leur donne sens en les démarquant comme en les reliant. Dans les cérémonies d’initiation, une plume du duvet de l’aigle est portée par le maître initiateur. « Elle symbolise l’un des oreillers du soleil, que l’on voit parfois des deux côtés [nous soulignons] de l’astre quand celui-ci commence à s’élever au-dessus de l’horizon. Cette plume est appelée l’oreiller de droite ou de gauche du soleil suivant la moitié à laquelle le maître et le candidat appartiennent » (p. 34).
38Qu’en est-il alors du treize qui indique le nombre d’exploits du guerrier accompli ? La guerre est affectée à la moitié Terre. Mais le guerrier accompli n’accède-t-il pas à un ordre supérieur qui transcende la division dont il relève ? Celui qui a fait treize exploits ne s’est-il pas rapproché de ce lieu « solaire » prestigieux où six et sept, ciel et terre se rejoignent ? Une partie récitée des rites d’initiation du guerrier développe le mythe de l’ours et du castor. Ils nous disent comment ces deux animaux (associés respectivement aux sous-moitiés Terre ferme et Eau) ont indiqué aux hommes le nombre d’exploits à accomplir.
39On les résumera à l’extrême : à la fin de l’été, l’ours cherche une grotte pour hiberner. Il la trouve et y entre, en longeant le côté droit. Il y reste sept mois lunaires. Au réveil, il se traîne vers la sortie, prenant soin de rester du côté droit. Fortifié par l’air du printemps, il sort et fait sept pas. Contemplant les empreintes qu’il vient de faire, il dit : « Quand mes enfants, les Wazhazhe et les Tsizhu [c’est-à-dire les gens des deux moitiés (p. 149)] iront combattre leurs ennemis, ils s’efforceront de gagner des honneurs guerriers en nombre égal à ces pas ! »3. Puis il retourne dans la grotte, longe cette fois le côté gauche et s’éloigne en faisant six pas. Il prononce alors les mêmes paroles. Il se dirige ensuite vers la demeure d’un castor. Débute alors le second récit : le castor, surmontant de nombreuses difficultés, va découper et rapporter chez lui treize jeunes saules. En les découpant, il prend soin de les faire tomber dans la direction des ennemis des Osage (l’ouest). Les ayant tous apportés, il en place sept à droite de la porte de sa maison et six à sa gauche. Pendant son travail il dit : « Mon labeur n’est pas gratuit. Mes enfants, les Tsizhu et les Honga, utiliseront ces saules pour compter leurs exploits guerriers ! ».
40Ainsi l’ours et le castor, certes animaux de la terre ferme et de l’eau, ont pris ici une valeur supérieure, totalisante : les membres de la tribu entière deviennent leurs « enfants ». La conjonction des marques « gauche » et « droite » (les deux côtés de la grotte de l’ours et de la demeure du castor), la réunion du six et du sept indiquent bien un niveau qui n’est plus le seul niveau « du ciel » ou « de la terre ». Le « treize » des exploits guerriers est le même que celui des rayons du soleil levant et celui qui symbolise la réunion des deux moitiés. On est, à chaque fois, au niveau de la totalité. C’est bien ce que dit la suite du récit de La Flesche : l’ours et le castor, animaux de la Terre, ont indiqué le nombre des exploits. Mais le Ciel n’est pas de reste, car il a aussi précisé ce nombre, en « prenant » au soleil treize rayons, sept à droite et six à gauche, « à l’usage du guerrier comptant ses exploits » (p. 39). Et le guerrier, ainsi triplement investi de cette valeur globale, peut alors se placer au centre, et rejoindre, dans la cérémonie, « le chemin du soleil » : on le place au milieu, face à l’est, et l’on dépose à ses pieds treize saules, sept à sa droite et six à sa gauche.
41On préférera donc la vue suivante : plutôt que d’envisager une démultiplication de la totalité le long de la chaîne que composent ses éléments — ce qui laisserait au même niveau l’ensemble et l’élément —, on dira que les deux moitiés, dans leur rapport au soleil levant ou à l’état de guerrier accompli, affirment l’une et l’autre leur appartenance à la totalité (6 + 7=13), en même temps qu’elles désignent le niveau supérieur de cette dernière, au plan cosmologique et statutaire. Le soleil cérémoniel est plus que le soleil astre du Ciel, le guerrier accompli, du moins dans le rituel où Ton compte ses exploits, est plus qu’un représentant de l’action guerrière de la Terre. La grammaire symbolique de la pensée osage a sa référence. Les règles de passage entre niveaux, entre schèmes binaires et ternaires, indiquent un horizon référentiel. Les outils « totalisants », comme ici le « treize », sont une voie d’accès privilégiée à l’observation de cet horizon.
42Le texte de La Flesche est ainsi précieux ; il éclaire la notion importante de « passage par totalisation ». Mais on voudrait souligner, pour terminer, que cette étude est également fondamentale au plan particulier de la droite et de la gauche. Avant Granet, et à l’inverse des études africanistes, pourtant bien postérieures, ce texte montre que l’opposition des deux mains n’a de sens que si on la rapporte à un corps et si, lorsque Ton fait intervenir à côté de droite/gauche l’opposition des orients, on spécifie vers quelle direction le corps est tourné.
43Si on peut parler de gauche et de droite, si on peut dire que la moitié Ciel est « gauche » (et « nord ») et la Terre « droite » (et « sud »), c’est parce que, au plan rituel, dans la disposition cérémonielle, est défini un chemin central « du soleil » (est-ouest), où se place l’officiant face à Test : Ciel et Terre sont alors respectivement à sa gauche et à sa droite. C’est aussi et d’abord parce que, au plan cosmologique, la tribu est « un homme » dont le corps « réunit » les deux côtés ciel et terre : « Aux temps anciens où fut créée l’organisation tribale, les Osage firent une répartition des clans en deux groupes qui représentaient le ciel et la terre, qui sont interdépendants. Puis ils unirent ces deux parties en un tout indivisible (inseparable body) et donnèrent à ce dernier la forme symbolique d’un homme debout, face au soleil » (p. 40). Quoi d’étonnant à cela ? De même que la représentation des champs électro-magnétiques impose depuis longtemps, aux élèves du secondaire, de dessiner « le bonhomme d’Ampère » qui orientera le schéma, de même une organisation symbolique bilatérale est inconcevable sans un corps de référence, sans une image du tout.
44On peut alors comprendre les inversions. Quand on examine, chez les Osage, le domaine englobé qu’est l’activité guerrière (au plan général et non à celui du statut du guerrier accompli), on aperçoit un retournement. Dans la cérémonie qui précède le départ à la guerre, « l’homme symbolique » et les officiants, ici les chefs de guerre, se tournent vers l’ouest. Les membres des deux moitiés maintiennent une disposition duelle avec chemin central mais inversée : les membres du Ciel se placent au sud, et ceux de la Terre au nord. En effet, les Osage n’ont pas simplement conçu « l’homme symbolique » comme un principe statique de conjonction : « Ils n’en ont pas fait une statue immobile mais lui ont attribué un esprit, une pensée et un corps capable de se mouvoir, comme on le voit dans les mouvements de la tribu lors de la grande cérémonie de la guerre » (p. 40). Quel meilleur exemple trouver pour illustrer le propos selon lequel la classification ne peut s’entendre sans référence, selon lequel aussi le caractère opératoire de la taxinomie impose la présence de mouvements c’est-à-dire, au plan du modèle, l’existence de changements de niveau !
4. « Les organisations dualistes existent-elles ? »
45Nous avons évoqué, à propos du texte de La Flesche, les analyses que contient la Pensée sauvage et tenté de montrer comment les données de l’un et l’autre texte faisaient de l’exemple osage, toutes proportions comparatives gardées, un répondant à l’exemple nyamwezi. Il faut aussi préciser que, six années avant la Pensée sauvage, Lévi-Strauss avait souligné, à propos de « l’organisation duelliste », l’urgence d’une recherche qui se placerait à un niveau plus général que celui du seul dualisme et qui montrerait alors l’illusion, le « subterfuge logique » que ce type d’organisation représente (Lévi-Strauss 1958, p. 170).
46Plusieurs exemples lui permettaient de montrer que nombre d’antithèses sont « faussement symétriques » : les moitiés sioux, outre l’asymétrie Ciel/Terre + Eau déjà décrite et les schèmes ternaires qui en découlent —, s’opposent parfois selon le caractère univoque/ambivalent de leurs fonctions mythiques et rituelles (p. 170) ou selon des oppositions comme être/devenir, synchronie/diachronie, etc. (p. 169). Quant aux nombreuses antithèses « homogènes », droite/gauche, été/hiver, haut/bas, elles sont souvent accompagnées par des hiérarchies : aîné/cadet, noble/plébéien, etc. (p. 155). Souvent, en effet, le dualisme cache mal un système « concentrique », où les deux éléments représentés par des cercles concentriques, sont « ordonnés par rapport à un même terme de référence : le centre » (p. 155). De façon générale, dit l’auteur, le dualisme se présente comme un mélange inextricable de formules dyadiques — symétriques ou hiérarchiques (« concentriques ») — et de formules triadiques. Il convenait de rappeler cette mise en garde contre l’illusion dualiste, parue quatre ans avant l’étude de Needham sur les Meru.
47Cependant, le rapport qu’entend établir Lévi-Strauss entre ces formules, et qui annonce les analyses de la Pensée sauvage, ne permet pas de développer la perspective hiérarchique qu’introduisait l’une des formules, la structure concentrique. L’auteur distingue, dans les représentations qu’il étudie, le dualisme « diamétral », le dualisme « concentrique » et la triade (p. 156). La première structure, dite « diamétrale » d’après l’exemple-type du campement circulaire winnebago divisé en deux parties égales, est, dans sa nature, « imprégnée de réciprocité » (fig. 1). Elle est conçue comme le résultat d’une dichotomie symétrique, équilibrée. Elle peut conserver globalement cet aspect ; mais le cas est très rare. Le plus souvent, les deux termes sont connotés de façon inégale : aîné/cadet, etc. Il y a contradiction apparente avec la nature de réciprocité (p. 155). La structure concentrique, quant à elle, laisse apparaître d’emblée l’asymétrie : tel ce village des Trobriand (pp. 150-151). Au centre, la place sacrée : aire de danse, hutte du chef, grenier du chef. Autour, un premier cercle : tous les greniers à ignames, « de caractère sacré et investis de toutes sortes de tabous » (fig. 2). Une allée, puis un second cercle, plus grand : celui des huttes des couples mariés ; partie profane, selon Malinowski. L’opposition centre/périphérie → sacré/profane s’étend aux oppositions cru-préservé/cuit-consommé, célibataires/mariés, lieu du chef/lieu des autres, principes mâle/femelle, etc. Enfin les schèmes ternaires sont souvent liés aux deux premières structures. Ainsi, le centre sacré du village bororo (p. 163) est d’une part le pôle central d’une opposition de même type que celle appliquée ci-dessus au village trobriandais. D’autre part, ce centre est lui-même divisé en trois parties : deux intègrent l’opposition « diamétrale » des moitiés — elles sont réservées respectivement à chaque moitié —, et la troisième partie symbolise l’unité de tout le village.

Figure 1

Figure 2
48La démonstration principale consiste alors à montrer que la structure concentrique possède un aspect binaire (centre-périphérie ; petit cercle-grand cercle) et un aspect ternaire (les deux cercles + le centre ou les deux cercles + l’extérieur) qui lui permet de jouer le rôle d’intermédiaire logique entre le dualisme diamétral et le triadisme. Mais alors, le « centre », qui déterminait l’asymétrie, devient un terme parmi d’autres : l’un des trois. Il n’est plus une référence. La notion de « transformation logique » prédomine et l’attention se porte surtout sur le nombre de pôles mis en œuvre et peu sur les niveaux où ceux-ci se placent.
49A côté du rappel sur la distinction absolue qui sépare les rares symétries des faux dualismes (p. 170), la notion de triade est maintenue pour des figures où les pôles peuvent être aussi bien le tout, l’ensemble, que telle de ses parties. Dans le cas winnebago, la triade est Ciel/Terre + Eau (comme chez les Osage) (p. 170) : opposition hiérarchique car l’auteur rappelle que s’opposent là une fonction univoque (maintien de la paix) et une fonction bivalente (guerre + police), mais surtout opposition entre éléments de l’ensemble, ici absent, qu’est la société ; cet ensemble était, dans l’exemple osage, le « treize » et « l’Homme symbolique ». Au contraire, dans l’exemple trobriandais, le centre (ici l’image du tout), lieu public et sacré, s’oppose aux deux cercles des greniers et huttes individuelles, en même temps que, par son caractère sacré et par la présence du grenier central, il hiérarchise les deux circonférences : plus proche celle des greniers, plus lointaine celle des huttes. Et dans l’ensemble que constitue le centre du village bororo, la partie que symbolise l’unité (le tout), le boróro, enveloppe sur le schéma, et englobe symboliquement, les deux autres parties associées aux deux moitiés (p. 157)4.
50Il y a deux ordres de problèmes. Le premier consiste dans la nécessité de démontrer, comme cet article le fait, qu’il n’y a pas d’illogisme dans la pensée d’une société qui manie des schémas diamétraux, concentriques et ternaires. Ceux-ci sont reliés structurellement entre eux, et les membres de la société, suivant la situation et le groupe auquel ils appartiennent, peuvent mettre en avant l’une ou l’autre représentation. Il y a là des règles : Lévi-Strauss note que parfois, tel type de représentation est plutôt utilisé par tel groupe de la société (pp. 149 et 162), et qu’il n’y a pas « liberté indifférente » de choix (p. 162).
51Mais précisément, s’il n’y a pas indifférence dans le choix de la représentation, la démonstration précédente suppose une hypothèse : les structures symboliques utilisées ne se distinguent pas seulement suivant le contexte temporaire ou suivant le statut de celui qui les utilise ; elles sont hiérarchisées dans leur propre configuration et dans leurs rapports de l’une à l’autre. Elles sont transformables l’une dans l’autre sur le plan de la logique de la pensée mais irréductibles l’une à l’autre au regard de la hiérarchie. Mettre en avant une opposition diamétrale ou un schème concentrique c’est accentuer la vue égalitaire (type diamétral) ou bien, au contraire, suggérer une hiérarchie (type concentrique). C’est, tout au moins, accentuer le caractère implicite ou explicite de la référence : implicite dans le type diamétral où la référence est sur la circonférence totale, explicite dans le type concentrique où la référence est matérialisée en un « centre ». Suivant le « profil » du système global de valeurs de la société, c’est faire ou non une inversion, c’est choisir un niveau. Il faut donc classer les formules.
52Le dualisme diamétral pur (1), très rare, nous dit-on, ne peut être caractéristique, en position dominante, que d’idéologies absolument égalitaires, comme le type moderne, restreint peut-être même à certains domaines. Un exemple serait l’opposition mathématique des entiers positifs et des entiers négatifs. Le centre, zéro, devient simple point de partage, milieu sur une droite. Il faut distinguer cette formule de toutes les autres. Le dualisme diamétral (2), courant, de type droite/gauche, est généralement une opposition hiérarchique, avec référence implicite, comme l’ensemble de ce travail tente de le montrer (à moins d’une accentuation explicite, massive dans la pensée de la société, sur la simple symétrie qui relierait droite et gauche ; ce qui nous ramènerait au type précédent du « diamétral pur »).
53Le dualisme concentrique (3), qui oppose le centre à la périphérie, avec un ou plusieurs cercles, explicite la référence ; il la représente. Figurée dans la circonférence enveloppante, elle correspondra à l’idée symbolique d’englobant ; matérialisée au centre, elle créera un « champ d’attraction ». Il faut en fait distinguer entre le modèle géométrique de l’opposition hiérarchique et les représentations spatiales indigènes. Le premier peut prendre la forme de cercles concentriques ordonnés par rapport à un centre, à condition de préciser qu’il n’y a pas un ordre linéaire d’éloignement à ce centre, ce qui remplacerait la hiérarchie par une gradation. Ou plutôt, l’opposition hiérarchique simple (englobant/englobé) sera représentée par deux cercles circonscrits. La figuration précise du centre n’importe pas. Elle est plutôt la limite, par définition hors d’atteinte, où les deux cercles se rejoignent après un jeu de miroirs infini, définissant par une série de dichotomies hiérarchiques successives une multitude de niveaux inférieurs où la netteté de la hiérarchie s’amenuise peu à peu. En revanche, les représentations spatiales du groupe, du village ou de la société que l’observateur peut rencontrer auront fréquemment la forme nette de l’opposition centre/périphérie : opposition hiérarchique dont la forme dépendra du contexte. La totalité sera constituée du centre et de la périphérie ; comme à chaque fois, elle ne sera pas la somme logique des deux pôles, mais la globalisation des écarts centre/périphérie où les combinaisons des mouvements rituels d’intégration et d’expulsion réaffirmeront dans les moments cruciaux la totalité. L’intronisation royale en Afrique interlacustre consiste à la fois à amener le roi au centre du pays, à la cour, et à l’y enfermer, et d’autre part, à envoyer aux frontières des doubles du roi qui resteront toujours là, avec l’interdiction de revenir vers la cour royale. Ces oppositions centre/périphérie ne posent pas un problème différent des oppositions droite/gauche.
54On revient ainsi à ce qui nous paraît constituer la distinction majeure entre « formules » dualistes : d’un côté le « diamétral pur » (1), qu’il soit précisé en termes d’« opposition distinctive », « opposition symétrique », « opposition binaire » ; de l’autre, l’opposition hiérarchique, qu’elle prenne la forme simple et majeure : ensemble/éléments, ou la forme complexe élément/élément, (l’un et l’autre élément n’étant pas dans le même rapport au tout), qu’elle apparaisse comme concentrique (3) (englobant/englobé) ou comme diamétrale (2) (droite/gauche ; diamétral asymétrique opposé au « diamétral pur » (1)). La triade enfin n’est pas autre : opposant deux niveaux, elle rejoindra (2) dans le cas winnebago ou osage des moitiés/sous-moitiés, Ciel/Terre + Eau ; ou (3) dans l’exemple des nombres osage 13/6 + 7 et dans l’exemple de la valeur royale nyamwezi où le « deux » est plus et autre chose qu’une somme de deux unités (2 > 1 + 1).
55L’apparition de tel type de formule, dans un cas donné, dans une société particulière, sera un indicateur sociologique fondamental, une fois explicitée la position hiérarchique du type de représentation en question par rapport aux orientations globales de la société. Non que le symbolisme soit un « reflet » (ou une « inversion ») des rapports sociaux, et que tel statut n’autorise que telle représentation. Au contraire. Mais, quel que soit le statut de l’acteur, il faut déterminer, dans les représentations qu’il met en œuvre, le maintien ou le changement de niveau symbolique, et d’autre part, sans un rapport déterminé a priori, la conformité aux valeurs ou leur rejet. L’observation du résultat obtenu alors sur le plan du statut permet, à ce point seulement, de dire quelque chose de plus sur les lois du système idéologique de la société.
56Répétons-le : suivant le profil du système global de valeurs de la société, le choix d’un type de représentations est le choix d’un niveau où l’on se place, qu’on entende s’y placer ou qu’on en ait l’obligation. C’est un acte logique, dans un ensemble cohérent de transformations — l’entreprise structuraliste l’a démontré sans appel — et un acte fonctionnel, on dira « un acte valorisé », qu’il soit positif ou négatif ; il est « fonctionnel » non en termes de « besoins » qu’il faut satisfaire ou de « complémentarité » qui assure l’équilibre, mais parce qu’il est un fait-valeur et une idée-valeur. Dans un contexte hiérarchique, l’apparition en position supérieure de représentations relevant du type « diamétral pur » signalera une inversion. Dans le contexte de la logique égalitaire, au contraire, c’est l’apparition du type « concentrique » qui affirmera un changement de niveau. Dans la rencontre de ces deux plans, celui du sens mais dont la logique devient hiérarchique et celui de la fonction mais dont la loi de la complémentarité devient celle de la valeur, se creuse une voie, peut-être, qui permet d’appréhender directement l’efficacité symbolique.
Notes de bas de page
1 On n’a pu, devant l’ampleur de la tâche, envisager l’ensemble des oppositions gauche/droite, masculin/féminin, etc. On aura une idée de l’extrême richesse du matériel en ce domaine et du traitement qu’il permet en consultant Calame-Griaule (1965, pp. 290 et suiv.). On a préféré s’en tenir au cas particulier des jumeaux, très caractéristique des Dogon, étude qui doit elle-même être étendue et qui peut introduire à une étude d’ensemble.
2 A cette « complémentarité africaine » que nomme et qu’étudie Dieterlen et dont on a vu la hiérarchie qu’elle impliquait, fait écho une proposition récente, appuyée sur une étude ethnographique détaillée : Vincent qui analyse le système des Mofu du Cameroun (1978) invoque une distinction entre classement et hiérarchie. Dans un premier plan, gauche et droite classent et « servent seulement à souligner l’irréductible différence », particulièrement entre homme et femme. Cette distinction devient une grille classificatoire où peuvent entrer les oppositions des nombres, des orients, etc. Le problème de la prééminence disparaît alors, et l’on comprend les nombreux systèmes d’alternance suivant le contexte : l’homme, pour tel acte impur, emploiera une main, la femme emploiera l’autre. Lorsqu’il s’agit d’un acte de valeur contraire, la main change dans les deux cas. Comme le souligne l’auteur, c’est une nouvelle illustration de ce qu’avait montré Granet et il faut « parler avec G. Dieterlen de complémentarité ». La hiérarchie apparaît à un autre plan. « Cependant en certains cas la supériorité du statut masculin fait basculer du côté bénéfique les concepts associés à la qualité d’homme et ce système symbolique apparaît alors comme un système hiérarchisé... » (p. 498). La série mâle, accompagnée d’une caractérisation droite ou gauche selon les contextes (et selon les sociétés) sera supérieure. Cette différence entre le domaine de la distinction et celui de la hiérarchie nous paraît importante, à condition de l’inscrire dans le principe hiérarchique : il y a un englobement mode hiérarchique/mode distinctif ou équistatutaire. Ce n’est pas dire qu’il faut placer dans le domaine « distinctif » les oppositions qui procèdent simplement de la grille classificatoire homme/femme en les distinguant d’autres oppositions qui relèvent de la hiérarchie. On peut, sans doute, analyser certains exemples mofu comme relevant de deux niveaux qui ne sont pas deux modèles distincts que produit l’observateur ni deux principes distincts de taxinomies indigènes. D’une part certaines oppositions binaires mettent en jeu davantage qu’une opposition distinctive homme/femme (le gaucher est invincible à la guerre, la gauche caractérise le deuil et le sacrifice, pp. 488-492). D’autre part, il y a des inversions qui montrent le changement de niveau entre le principe d’alternance et le principe hiérarchique. Dans la divination par les cailloux, la réponse d’ordre impair est bénéfique pour l’homme ; ce sera l’ordre pair pour la femme. Mais si le sujet de la divination est toute une communauté (choix de la date de la fête des récoltes pour un « massif »), l’assentiment des ancêtres sera du côté de l’impair (p. 496). L’est et l’ouest forment aussi un système. Pour l’homme la direction de la chance est l’est et il doit s’endormir la tête vers l’est ; pour la femme, c’est l’ouest. Au moment de la mort, l’alternance subsiste mais le sens s’inverse, et l’homme regardera vers l’ouest. « Certains informateurs disent pourtant que ... tous auraient la face tournée vers l’ouest (hommes et femmes). Par contre le chef de ”massif”, lui, et on insiste beaucoup là-dessus, est enterré face à l’est, ”parce que seul il peut supporter ce côt锫 (p. 497). Si le chef mofu dans sa personne symbolique est, comme le « massif » lui-même, une totalité symbolique placée à un niveau supérieur, nous retrouvons là une figure rencontrée chez les Nyamwezi où le roi, même femme, est « toujours mâle » ; et l’on avait dit que cette opposition hiérarchique Unité/alternance était homologue de celle qui paraissait dominer, Dualité/unicité. Au niveau inférieur, l’inversion prend figure d’alternance, car l’optique est, si l’on peut dire, « réglée » sur l’écart principal entre élément et ensemble (homme-femme/ « massif » ou chef de « massif » ; impair-pair/ toujours impair ; ouest-est/est). Il est peut-être alors possible d’exprimer directement l’ensemble de la construction dans cette forme hiérarchique (est englobe ouest ; niveau supérieur : Ε >O → Chef/autres, niveau inférieur : Ο >E → homme/femme), plutôt que de relever d’abord les distinctions (homme - femme), puis la valeur (du côté homme), pour ensuite analyser le symbolisme du « massif » ou du chef.
3 L’ours, animal associé à la sous-moitié Terre, indique le chiffre à ceux de la moitié Ciel (Tsizhu) et de la sous-moitié Eau (Wazhazhe). Le castor, associé à la sous-moitié Eau, indique le chiffre à ceux de la moitié Ciel et de la sous-moitié Terre.
4 Le fait que le Bororo enveloppe seulement du côté Cera, moitié « supérieure », est ici secondaire (cf. pp. 157 à 162).
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Le roi nyamwezi, la droite et la gauche
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