Conclusion générale
p. 263-265
Texte intégral
1Fouillées dans le cadre de ce qu'il est désormais convenu d'appeler l'archéologie préventive, les nécropoles du Castrais, explorées entre 1987 et 1995, ont livré une masse de données très importante concernant bien sûr les assemblages funéraires (céramique, métal, associations et exclusions type) mais aussi les vestiges anthropologiques et l'architecture sépulcrale, tant interne qu'externe. La prise en compte de tous ces paramètres, d'abord par ensemble, puis de façon globale, permet d'éclairer d'un jour nouveau nos connaissances des usages funéraires protohistoriques de cette région du Midi de la France et, au-delà, d'appréhender l'organisation sociale des communautés. Un des atouts majeurs a été de bénéficier des expériences menées antérieurement en Languedoc dans la continuité d'une longue tradition de recherche. En effet, depuis le xxe s., les ensembles funéraires protohistoriques de France méridionale ont fait l'objet d'études scientifiques de qualité. L'œuvre de plusieurs chercheurs, tels Jean Jannoray, Odette et Jean Taffanel et plus récemment André Nickels, témoigne de l'engouement jamais freiné pour l'étude des nécropoles languedociennes de la fin de l'âge du Bronze et de l'âge du Fer.
2Certes, ces nécropoles n'ont pu être fouillées dans leur totalité et c'est sans doute là un des points à rappeler ; mais la quantité relative des sépultures explorées pour chaque complexe funéraire fait de ces ensembles une série de références puisque ce sont au total plus de 1 200 tombes qui forment le corpus initial de cette étude. Et même si toutes ne sont pas intactes, eu égard aux destructions, parfois très anciennes, liées aux travaux culturaux ou à l'aménagement du territoire, chacune apporte son lot de données qui, au final, constituent le ferment de cette réflexion collective. Est-il besoin de souligner qu'une telle étude n'a pu aboutir que grâce à une segmentation du travail et une confrontation progressive des résultats de chacun. Pour analyser une telle masse de documents, on a bien sûr utilisé, parfois en les modifiant, les outils mis au point précédemment. Il en a été ainsi de l'étude générale du mobilier composé notamment de près de 5 300 vases et 1 400 objets métalliques et divers.
3La céramique a fait l'objet d'une analyse désormais classique visant à établir une typologie raisonnée se fondant sur des acquis performants ; il n'était pas question de proposer une nouvelle classification, isolément de celles établies pour l'étude d'autres ensembles funéraires méridionaux. Et si la plupart des formes recueillies s'inscrivaient parfaitement, ou peu s'en faut, dans les classements existants, on a parfois dû amender ceux-ci de nouveaux types. Ces compléments ont permis une uniformisation des définitions que les comparaisons effectuées dans un cadre plus général ont largement avalisée. La série céramique des ensembles du Castrais s'inscrit en définitive parfaitement dans le lot commun des productions indigènes non tournées du début de la Protohistoire du Midi de la France, sans pour autant être dépourvue d'originalités et de spécificités. C'est vrai pour les formes mais également pour les décors, dont la variété et la richesse ont permis, entre autres, de préciser à terme l'identité de la culture matérielle de cette région. Il en a été de même des séries métalliques, abondantes et tout aussi variées, pour lesquelles le recours aux études antérieures a été constant ; là aussi, des conformations particulières et des objets « nouveaux » ont nécessité le prolongement des typologies existantes. On retiendra de cette étude la diversité du mobilier funéraire qui s'inscrit bien dans une ambiance méditerranéenne mais dont les particularités sont une marque identitaire indéniable, conférant aux séries du Castrais une valeur de référence pour le Languedoc et, au-delà, la Méditerranée occidentale.
4Dans un second temps, ces assemblages funéraires ont dû être classés chronologiquement ; il est en effet rapidement apparu que tous n'étaient pas contemporains mais qu'ils pouvaient, dans deux nécropoles, s'inscrire sur une relative longue durée, de la fin de l'âge du Bronze au milieu du premier âge du Fer, soit près de trois siècles et demi. S'inspirant des travaux antérieurs, on a donc tenté une mise en séquences chronologiques des sépultures, sans tenir compte au départ de l'appartenance à l'une ou l'autre des nécropoles. Le résultat, obtenu avec deux méthodes légèrement différentes de calcul matriciel, a confirmé ce qui avait été par ailleurs proposé. Le Bronze final IIIb, d'un faciès périphérique du groupe Mailhac I, présente des originalités régionales incontestables. Mais c'est surtout la mise en évidence, en aveugle, d'une phase de transition Bronze/Fer pure qui marque la réalité des découpages chronologiques effectués. Ce concept, aujourd'hui généralement compris pour le bas Languedoc, avait en effet souvent été mis en avant par manque d'outils ou indigence des séries étudiées. Les travaux menés sur le littoral languedocien, occidental comme oriental, ont trouvé ici une précision, sinon une confirmation de leur probabilité. Cette période chronologique se distingue aisément du Bronze final IIIb de faciès Mailhacien I classique et du début de l'âge du Fer. Repérée sans grand problème dans les nécropoles du Castrais, cette étape est marquée par une évolution sensible de la forme des récipients et surtout de leur décoration. Le mobilier métallique suit une progression parallèle et s'inscrit enfin dans une logique européenne probante. Loin donc d'être une pure construction intellectuelle, encore moins une facilité conceptuelle, la notion de transition Bronze/Fer trouve ici toute sa force et confirme, non pas une rupture comme certains l'entendent trop souvent, mais bien une étape intermédiaire entre deux époques se distinguant nettement par leur métallurgie. Il faudra certes préciser cette démarcation en sollicitant, le moment venu et lorsque les sites le permettront, les séries issues de contextes d'habitat assimilables à des ensembles clos.
5Au-delà de la sériation chronologique, on a aussi proposé de dater les séquences définies. Pour cette étape, on s'est à nouveau fondé sur les hypothèses émises dans les régions voisines, sériant les groupes définis donc les traditionnels quarts de siècles utilisés par ailleurs. Certes, le manque d'importations de céramique tournée méditerranéenne, relativement nombreuses en bas Languedoc occidental, a été un handicap mais les analogies dans les formes des productions non tournées, le mobilier métallique et dans les associations de mobilier nous ont permis de faire ces propositions. Elles demeurent des hypothèses de travail qu'il conviendra bien sûr d'affiner ultérieurement. On retiendra cependant que les datations des phases l à V s'inscrivent parfaitement dans ce qui est actuellement admis en Europe méditerranéenne.
6Une des nouveautés résidant dans la fouille de ces nécropoles a été sans conteste la mise en évidence d'une architecture funéraire complexe, tant dans sa forme que dans sa diversité. Pour la première fois en effet, à l'exception de la nécropole du Peyrou à Agde, des aménagements bien conservés de structures sépulcrales ont été mis au jour. Les entourages des tombes, qui marquaient probablement les limites de tumulus aujourd'hui disparus, sont légion dans le Castrais, et principalement dans la nécropole du Causse. Leur étude morphologique et l'analyse de leur distribution ont abouti à une meilleure compréhension de la gestion des complexes funéraires protohistoriques. Il est vrai que le relatif degré de conservation des ensembles s'y prêtait et on peut dès lors mieux imaginer quelle devait être la configuration des nécropoles de l'époque. Mieux, grâce à la sériation chronologique des sépultures, on a aussi mis en évidence une évolution de la forme de ces structures, du « rond » au « carré », pour laquelle aucune explication sérieuse ne peut être aujourd'hui proposée. La distinction faite avec la nécropole d'Agde doit être soulignée ; il s'agit de deux conceptions différentes de l'espace funéraire et la position du cimetière héraultais, sur le littoral, doit probablement expliquer cette différence. Depuis, d'autres fouilles ont recensé de semblables aménagements et les séries castraises serviront, à n'en pas douter, de comparaisons indispensables.
7Un des axes majeurs de l'étude des nécropoles de Gourjade, du Martinet et du Causse a résidé dans la mise en place d'une analyse performante des restes humains brûlés. D'emblée, la quantité de lots à étudier pouvait paraître un écueil incontournable : là encore, les expériences antérieures pouvaient laisser craindre le pire et contraindre à des choix drastiques et irréversibles. De plus, l'étude anthropologique des incinérations en était, au départ de l'entreprise, à ses débuts. Les choix opérés et la mise en place d'une réflexion collective sur cet épineux problème ont permis de gommer progressivement ces obstacles. D'une part, les méthodes d'analyse se sont rapidement précisées et elles ont été adaptées aux nécessités. D'autre part, les séries de Gourjade ont servi de base à une recherche fondamentale sur les protocoles à mettre en œuvre pour mener à bien l'étude anthropologique de très nombreux ossuaires. Le résultat obtenu sur près de 1 200 lots montre combien il convient d'adapter sans cesse la méthode aux buts escomptés, sans pour autant négliger la raison d'être de la tombe. Enfin, suivant les pistes défrichées auparavant, les observations relatives à l’évolution des modes de dépôt des restes humains brûlés dans les ossuaires ont confirmé le rôle indispensable dévolu à l'analyse anthropologique et la nécessité impérieuse de ne pas négliger ce paramètre fondamental de l'archéologie funéraire.
8Un des regrets qui pourraient être émis est sans doute la mauvaise conservation et le faible nombre des inhumations identifiées. Ces sépultures, installées au cœur même de la nécropole du Causse, soulèvent de nombreux problèmes et les réponses qu'on a apportées sont loin d'être satisfaisantes. Cette pratique, originale dans le contexte protohistorique languedocien, ne trouve aujourd'hui aucune explication tangible et les rares hypothèses émises reposent il est vrai sur un ferment fragile. Une distinction ethnique des sujets paraît cependant la plus plausible... D'autres raisons ne manqueront certainement pas d'être exposées.
9Un autre paramètre des sépultures castraises est le dépôt régulier d'offrandes alimentaires carnées dont seuls les restes osseux nous sont parvenus. L'étude menée sur les trois ensembles a d'abord montré leur présence récurrente, quelle que soit la période chronologique considérée. C'est encore un rapprochement indéniable avec les nécropoles du bas Languedoc occidental et une distinction forte avec les ensembles des vallées de l'Aveyron et du Lot. Les convergences dans le type de dépôt, les espèces recensées et les portions représentées sont à relever, principalement entre Gourjade et le Causse. Leur multiplication et l'évolution de leur composition au fil du temps, entre les phases I-II et les phases III-IV, sont également à noter, tout comme les choix opérés dans les assemblages retrouvés. On soulignera aussi la régularité des dépôts spécifiques à Gourjade et au Causse.
10Enfin, l'approche sociologique des nécropoles qui a été tentée à partir des seules sépultures n'a pas conclu à une hiérarchie affirmée des communautés: aucun groupe ne se détache réellement au sein des ensembles. C'est là une différence notable par rapport aux nécropoles du bas Languedoc pour le début de l'âge du Fer. En revanche, l'importance respective des trois complexes funéraires en regard d'autres ensembles méridionaux suggère une hiérarchisation des groupes humains entre eux. Ainsi, il semble que des communautés d'inégale importance puissent cohabiter au sein d'un espace somme toute restreint.
11Cette étude confirme la proximité culturelle du Castrais et du bas Languedoc audois et ouest héraultais, d'autant plus logique si l'on considère finalement le faible éloignement géographique de ces deux entités. Certes, on a relevé ici et là d'inévitables particularismes régionaux, qui ne sauraient assourdir le caractère résolument méditerranéen des nécropoles du Castrais.
12Au terme de cette étude, plusieurs enseignements peuvent être dégagés. En premier lieu, nous tenons à souligner que cette entreprise collective, débutée en 1996 à l'initiative du service régional de l'Archéologie de Midi-Pyrénées et de son conservateur d'alors, Michel Vidal, n'aurait pu aboutir sans l'encouragement et le soutien incessants de tous les acteurs de l'archéologie méridionale. L'ensemble des chercheurs du SRA de Toulouse, au premier rang desquels M. Barrère et J. Jaubert, n'a jamais manqué de nous accorder sa confiance ; certes, l'enjeu était de taille, tant la masse de données à traiter était importante et tant l'implication, notamment financière, du ministère de la Culture et en particulier de la sous‑direction de l'Archéologie, paraissait à l'époque extraordinaire. Plus récemment, Michel Vaginay, nouveau conservateur régional de l'Archéologie, a repris le flambeau et a irrémédiablement soutenu ce projet jusqu'à son aboutissement. Inscrit dès 1995 sur la liste des sites d'intérêt national, ce projet collectif de recherche a évidemment bénéficié des remarques, critiques et conseils des membres du Conseil national de la recherche archéologique en les personnes de MM. Patrice Arcelin, Claude Mordant, Daniel Mordant et Jean-François Piningre. Être « parrainés » par de tels chercheurs n'a pu que nous inciter à aboutir et nous a ouvert de multiples horizons dont les pages qui précèdent sont, nous l'espérons, l'écho. Dans le même temps, il convenait aussi de formaliser des collaborations scientifiques jusque-là restées officieuses. Dans cette optique, l'engagement résolu de l'Association pour les fouilles archéologiques nationales n'a jamais faibli et les efforts consentis ont également permis de mener à terme cette publication. C'est dans le même esprit que le Centre national de la recherche scientifique a favorisé cette entreprise en facilitant la disponibilité de ses chercheurs.
13Chose peu courante, deux des principaux signataires de cet ouvrage profitent de l'occasion qui leur est donnée pour exprimer leur reconnaissance à J.-P. Giraud sans qui cette entreprise n'aurait pu aboutir. C'est sous son impulsion et surtout sous sa direction qu'a été relancée la recherche archéologique sur les gisements Funéraires protohistoriques du Castrais. Son implication dans les fouilles de Gourjade puis du Martinet a facilité et largement abondé les discussions relatives au fonctionnement des sociétés protohistoriques. Sa rigueur scientifique, jamais démentie, a facilité le travail de l'équipe en charge de la publication et orienté les décisions finales. Enfin, participant efficace au projet collectif de recherche H02, devenu depuis le programme P16 « Archéologie funéraire protohistorique du midi de la France » dont il fut l'un des coordonnateurs, il militait déjà activement pour une collaboration interinstitutionnelle et avait notamment proposé que des ossuaires de la nécropole de Gourjade soient exploités dans le cadre du stage : « Approche anthropologique des sépultures à incinération ».
14Dans un second temps, il convient aussi de rappeler que cette équipe, au départ très hétéroclite, constituée à une époque où le statut des fouilles préventives n'était pas encore définitivement fixé, se composait de chercheurs provenant d'institutions très diverses : Afan, CNRS, MCC, Université. C'est sans doute cette association de compétences et cette volonté commune qui a permis, cinq années durant, de mener un travail collectif respectant les attributions de chacun. Depuis, les expériences n'ont cessé de se multiplier et les publications récentes en sont sans doute le meilleur reflet.
15Enfin, que retenir de cette expérience collective ? Il est acquis que seules les associations de chercheurs permettent, au-delà de la fouille, d'aboutir à l'expression finale de la recherche, à savoir la publication. Il n'est plus besoin désormais de revendiquer une unicité de protocole, de recherche donc de sérieux, pour pouvoir participer à l'expansion des sciences humaines et sociales. La juxtaposition des capacités, confrontées mais pas opposées, ne peut que livrer un bilan positif des connaissances sur un sujet donné : les nécropoles protohistoriques de la région de Castres en sont un exemple.
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