Chapitre 9. De la laïcité de séparation à la laïcité de reconnaissance au Japon ?
p. 169-188
Texte intégral
1Le sens et le concept de laïcité changent suivant l’évolution de la société. Aujourd’hui, tandis que certains « intégristes républicains » en France cherchent à renforcer la laïcité de séparation jusqu’à débarrasser les religions de la sphère publique au nom de la neutralité, d’autres segments de la société prônent plutôt une laïcité de reconnaissance. D’entrée de jeu, nous présupposons que la laïcité de séparation met en valeur la disjonction juridique du politique et du religieux afin de garantir la liberté religieuse, et que la laïcité de reconnaissance participe de l’évolution du droit et est liée d’ailleurs aux mutations des rapports entre le public et le privé. S’il est communément admis que l’enjeu laïque implique le passage de la séparation à la reconnaissance, comment comprendre l’histoire et l’état actuel de la laïcité au Japon en fonction de ce courant général ?
2Pour Alain Rocher (2007 : 185), « la panoplie notionnelle de la laïcité offre une prégnance explicative extrêmement limitée à qui veut se pencher sur l’histoire du fait religieux japonais ». Susumu Shimazono (2009 : 75) note pour sa part que « la notion de laïcité se nourrit en principe du modèle chrétien occidental » et que « l’application de cette notion aux autres civilisations est un peu déraisonnable ». Comme le terme « laïcité » en tant que tel n’est pas utilisé quotidiennement au Japon, ce serait méconnaître les spécificités religieuses japonaises et chose peu pertinente que de calquer le fait japonais sur le modèle français.
3Or, il n’est pas pertinent non plus de se contenter d’une telle différence civilisationnelle. Tout en évitant d’appliquer un modèle, il est nécessaire d’établir un dialogue entre civilisations pour élaborer la notion de laïcité. Comment alors procéder pour évaluer de façon empirique les réalités laïques du Japon ? Nous nous proposons de comprendre cette notion avec ses éléments constitutifs. Jean Baubérot et Micheline Milot (2011) présentent à cet égard un outil heuristique permettant de distinguer six idéaltypes de laïcité : la laïcité séparatiste, la laïcité autoritaire, la laïcité anticléricale, la laïcité de foi civique, la laïcité de reconnaissance et la laïcité de collaboration. La notion de régime de laïcité (Bouchard et Taylor, 2008 ; Bouchard, 2012 : 199 sqq.) est également inspirante. Elle permet en effet de comprendre un régime de laïcité en assortissant ses composantes, mais elle est surtout féconde théoriquement en tant qu’elle attire l’attention sur l’existence des valeurs coutumières ou patrimoniales d’une société donnée. Au Japon aussi, certaines mœurs traditionnelles, quel que soit leur statut religieux dans cette société sécularisée, pèsent parfois assez lourd. Pourtant, il arrive également qu’elles se heurtent à une idée de séparation stricte du politique et du religieux, sinon à la nécessité de protéger les droits de la minorité. C’est ce mode de dédoublement qui nous semble baliser en bonne partie l’orientation et le dynamisme du régime de laïcité au Japon.
4Dans cet article, nous allons tenter de mettre en relief la physionomie de la laïcité japonaise et de mettre en évidence le contexte dans lequel la liberté de conscience risque d’être menacée. La première partie s’attardera sur le grand séisme du 11 mars 2011 et ses suites pour faire un état des lieux de la religion et de la laïcité du pays. La deuxième partie se propose de saisir l’agencement des éléments laïques au Japon à travers des jurisprudences qui oscillent, nous semble-t-il, entre une interprétation rigide et une interprétation élastique du principe constitutionnel de la séparation. Enfin, nous allons mentionner l’hymne national chanté à l’occasion de rites scolaires et le regard porté sur les musulmans, deux cas de figure apparemment éloignés, mais représentatifs au fond pour illustrer la situation où la liberté de conscience risque d’être mise en péril.
Le 11 mars 2011, révélateur de l’état actuel de la laïcité au Japon
5Environ vingt mille personnes sont mortes ou portées disparues à cause du grand séisme du 11 mars 20111. Le tsunami suivi de la catastrophe nucléaire de Fukushima a provoqué l’afflux de nombreux réfugiés dans les villes et les villages non touchés par le séisme, et plus de trois cent mille personnes ne pouvaient toujours pas rentrer chez elles en 20132. Ce drame national, voire même international, a eu pour effet, entre autres, de mettre en relief l’état actuel du paysage religieux japonais. On pourrait ainsi s’interroger philosophiquement, à l’instar de Jean-Pierre Dupuy (2005) ou de Jean-Luc Nancy (2012), sur la théodicée d’une époque de technologie nucléaire et sur l’avenir de la civilisation. On pourrait également étudier, comme le feraient un ethnologue ou un anthropologue, le surgissement d’une nouvelle spiritualité parmi les rescapés. Ceux-ci témoignent en effet de rencontres avec leurs proches disparus. Mais ces deux approches seront mises de côté dans cet article, qui s’intéresse au premier chef aux situations litigieuses liées à des faits religieux.
Faut-il expulser les religieux des cérémonies publiques pour les morts ?
6La ville de Sendai (Miyagi) a installé, un mois après le séisme, un lieu pour conserver les cendres des cadavres sans identité, dans un carré du cimetière municipal Kuzuoka. En apprenant cette nouvelle, plusieurs moines bouddhistes du quartier décidèrent de visiter ce lieu afin de célébrer un office pour l’âme des victimes. Or, le service d’hygiène de la ville n’autorisa pas l’entrée de ces religieux, faisant appel au principe de séparation. Voici ce que dit alors le chef du bureau d’hygiène : « Du point de vue de l’administration, il ne faut pas que notre attitude se prête à l’équivoque, en donnant l’impression que nous avons un lien privilégié avec une religion particulière. » La ville de Sendai avait d’ailleurs organisé une cérémonie de crémation sans inviter aucun dignitaire religieux. « Si nous célébrons les funérailles de façon bouddhique, poursuivit-il, cela pourrait vexer un certain nombre de citoyens. Dans la mesure où nous ne connaissons pas la croyance des victimes, nous devons éviter les rites d’une religion particulière » (cité dans Yazawa, 2012 : 192, traduction libre).
7Quant à la ville de Tagajô (Miyagi), elle a déposé les restes dans un temple en acceptant une offre gratuite de location de la part des bouddhistes. Mais c’est parce que cette ville ne dispose pas de morgue municipale ; elle s’est d’ailleurs abstenue, tout comme la ville de Sendai, de procéder à une cérémonie bouddhique.
8En revanche, à Shiogama (Miyagi), la municipalité a clairement affiché sa préférence pour l’organisation de funérailles avec les moines bouddhistes, quelle que soit la croyance des victimes. Cette ville maritime possède sa propre tradition qui consiste à accepter des dépouilles sans identité retirées de la mer et de prier pour leur âme en collaboration avec les bouddhistes (Kyôdô Tsûshin, édition du 14 mai 2011).
9Au Japon, les obsèques se déroulent le plus souvent selon le rite bouddhique. Elles ont, bien sûr, un aspect profondément religieux, mais relèvent, en même temps, de mœurs très largement partagées. La manière bouddhique de consoler l’âme des victimes n’offensera donc pas la majorité des Japonais, mais on ne peut pas assurer pour autant qu’elle ne blessera jamais certaines minorités.
10La Constitution du Japon interdit à l’État et à la municipalité d’exercer une activité religieuse et d’octroyer des privilèges à une religion particulière (art. 20 et art. 89). Or, selon Makoto Oishi, constitutionnaliste à l’université de Kyoto, l’offrande d’encens par un fonctionnaire ne sera pas considérée comme une activité religieuse. Pour lui, une abstention totale est une réaction excessive (Oishi, 2013). Le moins qu’on puisse dire en tout cas, c’est que la ville de Sendai et celle de Tagajô avaient à l’esprit une notion très stricte de la laïcité de séparation, qui les ont conduites à prendre une mesure d’autocensure. On se rend compte ici aisément de la prépondérance des « imaginaires » de la laïcité séparatiste dans l’esprit des fonctionnaires, voire chez un(e) Japonais(e) moyen(ne).
Difficulté du versement de fonds publics aux édifices religieux
11Le principe de séparation rend aussi difficile la reconstruction des édifices religieux. On admet que près de dix mille bâtiments religieux ont été détruits ou endommagés par le séisme. Chaque association religieuse fait des efforts, depuis lors, pour reconstruire ses édifices, mais les moyens financiers à mobiliser pour y parvenir sont colossaux. En outre, l’accès est interdit par décision administrative aux lieux saints (14 sanctuaires, 43 temples et 5 églises) qui se trouvent dans un rayon de vingt kilomètres autour de la centrale de Fukushima (Fujiyama, 2011). Le conseil des associations religieuses de Fukushima a demandé en juillet 2011 à la préfecture de rédiger une directive pour réclamer une indemnité auprès de l’État et de Tepco (Tokyo Electric Power Company). Mais là encore, l’issue est très incertaine. Le financement public des édifices religieux n’est pas autorisé, sauf si ceux-ci sont classés biens culturels. Autre possibilité, la souscription, avec ses mesures d’incitation fiscale, est une disposition dérogatoire qui permet de mobiliser le mécénat populaire en faveur de projets de reconstruction. Une autre est la création d’une fondation privée d’utilité publique, solution qui avait été adoptée lors des séismes d’Hanshin-Awaji et de Chûetsu. Mais ce précédent montre plutôt que la subvention accordée aux religions à partir de ces fonds est loin d’être facile (ibid.).
L’attente envers les religieux et leur fonction sociale
12Le 11 mars et ses suites sont aussi une occasion d’attester le développement d’une laïcité de collaboration, laquelle accorde un rôle public et social plus important aux religions qu’une laïcité séparatiste. Après le séisme, par exemple, de nombreux lieux de culte exempts d’une grande destruction ont fait fonction d’asile provisoire. Des rescapés ont cherché spontanément refuge dans le sanctuaire shintoïste de leur quartier dont ils étaient membres, bien que la plupart ne maintinssent plus de rapport régulier avec la religion. Cependant, il faut noter que beaucoup de temples bouddhistes mais aussi des églises chrétiennes ont ouvert leur porte pour abriter les rescapés, sans se soucier de leur appartenance religieuse. En mettant cela en perspective avec le séisme de Kobe en 1995, Keishin Inaba (2011), sociologue à l’université d’Osaka, souligne l’accroissement du rôle social de la religion.
13N’oublions pas d’ailleurs que de nombreuses organisations étrangères ont porté secours sur place aux sinistrés. Parmi ces organisations humanitaires, les unes sont inspirées par l’esprit religieux, tandis que les autres le sont par un esprit séculier.
14Ajoutons que plusieurs chercheurs en études religieuses ont élaboré dans ce contexte avec les religieux des réseaux de soutien. Ainsi s’est construite sur Facebook la page « Faith-based Network for Earthquake Relief in Japan » (Shûkyôsha Saigai Kyûen Network)3. À l’université du Tohoku, qui se trouve au sein des régions ravagées, une « chaire pratique » (Jissen Kôza) a été fondée, où les chercheurs ont fréquemment des contacts avec les sinistrés4. Dans le même esprit, ce qu’on appelle le « café de monk » se développe dans la région5. Il est à remarquer un jeu de mots : en japonais, monku veut dire « plaintes » ; les moines (monks en anglais) écoutent donc les sinistrés se plaindre dans ce café et s’engagent ainsi dans un travail psychothérapique et/ou spirituel.
La méfiance vis-à-vis du prosélytisme religieux
15Cependant, l’attente envers ces activités sociales des religieux va de pair avec une méfiance vis-à-vis des religions. La laïcité de collaboration marche ainsi avec la laïcité anticléricale, quoique l’épithète « anticlérical » ne corresponde pas vraiment à la situation japonaise, de par sa connotation chrétienne. Selon le constitutionnaliste Yôichi Koizumi (2008), l’« affirmation stricte » de la séparation dictée dans la Constitution « ne signifie pas pour autant l’hostilité [de l’État] à l’égard des religions et des Églises ». La « laïcité japonaise n’est pas militante ni combattante, dit-il, mais libérale ». Cela étant, le Japon est une société profondément sécularisée dans laquelle les religions et les faits religieux se trouvent en marge, bien qu’une certaine spiritualité soit abondante dans le domaine de la subculture, et ceci au point que le mot « religion » (syûkyô) n’a pas bonne presse dans l’opinion publique, jusqu’à faire naître en elle une suspicion de dérive sectaire. On le voit, l’affirmation des identités religieuses est de peu d’importance dans cette société, où il se dit assez souvent : « À quoi bon la religion ? »
16En effet, exonéré d’impôts dans une période de récession économique, le groupe religieux est susceptible de devenir la cible des critiques. Le prix du kaïmyô fait souvent débat à cet égard. Il s’agit du nom posthume que le moine donne au disparu, dont les frais peuvent être parfois très conséquents. Encore une fois, la plupart des funérailles au Japon sont organisées de façon bouddhiste, et cela même quand le défunt n’est pas pratiquant. Ces mœurs perdurent jusqu’à aujourd’hui, à quelques nuances près ces dernières années. C’est pourquoi, avant le 11 mars, certains plaidaient pour simplifier les funérailles, voire les supprimer (Shimada, 2010). Or, plusieurs chercheurs observent depuis la catastrophe un changement de cap : ces zones déjà dépeuplées qui ont été frappées, cette « société aux liens dissociés » (muen shakai), redécouvrent la nécessité de célébrer les funérailles, et le slogan « solidarité » (kizuna) est lancé. Les aides matérielle et spirituelle sont très demandées dans ces régions dévastées (Yoshimizu, 2012 ; Okada, 2012). Mais en même temps, il faudrait rester vigilant contre le prosélytisme et éviter qu’une religion n’abuse du chagrin des sinistrés.
La fonction symbolique de l’empereur
17Examinons maintenant le rôle de l’empereur. Celui-ci a pris la parole cinq jours après le séisme, exhortant le peuple à travailler ensemble et l’encourageant à surmonter cette situation difficile. Adressé à l’ensemble des Japonais et diffusé par la chaîne nationale, ce message impérial est souvent comparé à celui du 15 août 1945, le plus célèbre, dans lequel l’empereur Showa a annoncé la défaite de la Seconde Guerre mondiale. Notons d’ailleurs que le 11 mars 2011 est souvent considéré comme une « seconde défaite ». En effet, à l’instar de son prédécesseur qui se déplaça dans un pays ravagé par la guerre, l’actuel empereur Akihito, accompagné de l’impératrice Michiko, a visité plusieurs lieux sinistrés pour consoler le peuple. Rappelons qu’avant 1945, l’empereur Showa était toujours considéré comme un dieu vivant et que sa figure pouvait être cachée au peuple pendant les déplacements. Après 1945, il se montrait au public en s’habillant dans un style occidental, mais en présence du peuple il gardait toujours une certaine distance, un côté intouchable. Quant à l’actuel empereur, sa femme et lui ont visité plusieurs refuges pour exprimer leur sympathie aux survivants, devant qui ils se sont agenouillés pour tenir leurs mains et croiser leur regard. Ce comportement a provoqué une émotion profonde chez les réfugiés ainsi que chez certains téléspectateurs. Cette image a souvent fait contraste avec celle des hommes politiques, à qui l’on reproche leurs mesures tardives et inefficaces.
18En mars 2012 et 2013, le gouvernement a organisé la cérémonie anniversaire de ce drame. Cette commémoration officielle a commencé avec l’entrée de l’empereur et de l’impératrice et s’est terminée avec leur sortie. Sur la scène était érigé un autel dédié aux victimes, devant lequel l’empereur a donné un discours. Ni l’autel ni le discours n’étaient ceux d’une religion particulière, même si un certain degré de religiosité pourrait apparaître aux yeux de certaines personnes. Quoi qu’il en soit, au niveau juridique au moins, ce rôle joué par l’empereur dans la cérémonie n’est considéré ni comme religieux ni comme politique, mais comme symbolique. La prière de l’empereur devant l’autel sera qualifiée de laïque, dans la mesure où il s’y est présenté dans un habit de style occidental et n’a utilisé aucun mot qui laisserait songer à une religion spécifique – alors qu’au sein du palais impérial, il célèbre quotidiennement des rituels selon le culte shintoïste en portant un costume traditionnel. Avant 1945, ce shintoïsme impérial faisait partie des choses publiques, mais il relève aujourd’hui des affaires privées de la famille impériale et reste en temps normal invisible aux yeux du peuple. L’empereur lui-même respecte ainsi, dirait-on, la laïcité de séparation.
Le principe de séparation et la logique de préséance
19Jusqu’ici, nous avons présenté quelques exemples liés au drame national récent. Aussi disparates soient-ils, ces éléments permettent de dessiner les contours de la physionomie laïque du Japon d’aujourd’hui. Maintenant, nous allons remonter un peu le temps pour apporter un éclairage plus historique sur la situation actuelle.
20Ce qui est essentiel au sujet des rapports entre l’État et les religions au Japon, c’est que le sanctuaire shinto (jinja) n’était pas classé juridiquement parmi les religions avant 1945. Il y a plusieurs façons de définir le shinto d’État, mais celui-ci s’imposait comme une morale nationale ou était considéré comme faisant partie des mœurs traditionnelles en surplomb de toutes les autres religions ou spiritualités. C’est après 1945 que le sanctuaire shinto est devenu religieux au niveau juridique. La Constitution du Japon de 1946 prône en effet une laïcité séparatiste très radicale6.
21Cette Constitution a été promulguée au lendemain de la défaite sous occupation américaine. Ce contexte est d’importance, car il induit, schématiquement parlant, deux lectures concurrentes de la laïcité du point de vue de son adaptation au contexte japonais. D’un côté, il y a ceux qui défendent l’idée que le principe de séparation devrait s’appliquer à toutes les religions et notamment au shinto, car le lien privilégié entre cette religion et l’État aurait rendu celui-ci fanatique et conduit le Japon et le monde à de grands malheurs. De l’autre côté, il y a ceux qui considèrent que les mœurs nationales seraient dispensées du principe strict de séparation, notamment le shinto, qui relèverait d’une tradition anciennement ancrée dans le pays, dont la Constitution imposée par les États-Unis méconnaîtrait l’originalité.
22Le différend entre ces deux camps met aux prises la laïcité séparatiste et la laïcité de collaboration ou de foi civique, entendue comme permettant à l’État de coopérer avec une religion particulière et d’imposer au peuple une adhésion. Il n’est pas surprenant que, au Japon comme ailleurs, le principe strict de séparation finisse par prêter corps à de plus souples interprétations. Comme Gérard Bouchard le remarque, « les valeurs coutumières ou patrimoniales » bénéficient parfois d’« une sorte de préséance ad hoc sur les autres ». En d’autres termes, « le critère des valeurs coutumières peut acquérir parfois un poids important » (Bouchard, 2012 : 199-200). Dans le cas du Japon, le shintoïsme et le bouddhisme notamment, sans exclure d’autres religions, font partie de ces valeurs coutumières ou patrimoniales.
Le procès de Tsu Jichinsai
ou l’installation du nouveau critère de la séparation
23Le premier procès à mentionner le principe de séparation concernait la dépense du budget public pour une cérémonie jichinsai. Ce rituel shintoïste a pour but de purifier le terrain avant la construction d’un édifice. En 1965, la ville de Tsu (Mié) a organisé cette cérémonie pour mettre en chantier un gymnase municipal. La première instance saisie juge constitutionnelle cette initiative municipale en considérant ce rituel shinto comme une coutume traditionnelle areligieuse. La cour d’appel la juge en revanche non constitutionnelle en qualifiant cet acte de religieux. En 1977, enfin, la Cour suprême déclare constitutionnelle cette cérémonie, en introduisant dans ses attendus ce qu’on appelle « le critère de l’objectif et de l’effet » (mokuteki koka kijun). L’idée est la suivante : la séparation complète n’est pas réelle, et c’est lorsque les activités de l’État ont un but religieux et procurent à une religion des moyens effectifs qu’elles s’avèrent non constitutionnelles. Or, la cérémonie dont il s’agit, selon la Cour suprême, malgré son origine religieuse, est devenue avec le temps un acte séculier. Néanmoins, cinq juges sur quinze sont restés en faveur de l’opinion dissidente, et le président de la Cour a rédigé un second avis dans lequel il souligne l’importance de protéger la liberté de celui qui appartient à la minorité religieuse (Higuchi, 2001 : 498). Ceci étant, cet arrêt de 1977 ouvre la voie à des interprétations plus souples que la conception rigide de la laïcité constitutionnelle.
Autour de l’incorporation de l’âme d’un ancien officier
24Le deuxième procès à mentionner le principe de séparation est celui engagé autour de l’incorporation de l’âme (gôshi) d’un officier des forces d’autodéfense (jieitai) à un gokoku jinja de Yamaguchi7. Cet officier est mort en 1968 pendant son service public. Son épouse, de confession chrétienne, a refusé de voir l’âme de son mari défunt intégrer le sanctuaire shinto, contestant de fait les autorités publiques. Le tribunal de Yamaguchi et la cour d’appel de Hiroshima ont donné gain de cause à cette veuve, en invoquant « le droit au respect de la personnalité dans le domaine religieux ». Pourtant, en 1988, la Cour suprême a cassé l’arrêt de la cour d’appel et a jugé constitutionnel cet acte d’intégration, car celui-ci ne donnerait pas de privilège à une religion particulière si l’on tient compte du critère de l’objectif et de l’effet. L’idée est la suivante : l’incorporation de l’âme a été faite à l’initiative d’une association privée d’anciens officiers (taiyûkai), qui peut bénéficier de la liberté religieuse. La priorité est ainsi donnée à la liberté religieuse d’une association, au détriment de celle d’un individu. En d’autres termes, la tolérance est requise auprès de la veuve envers un acte religieux collectif. Sur ce point, le constitutionnaliste Yôichi Higuchi remarque à juste titre que ces arguments sont constitutionnellement douteux. Il y a en l’occurrence un abus de l’emploi du mot « tolérance », car cette dernière commande ici la « patience servile d’un individu au profit de la majorité des membres de la société », au lieu de protéger le droit fondamental de la minorité (Higuchi, 2001 : 500). Si la finalité principale de la laïcité consiste à permettre à tous de jouir sans discrimination de la liberté de conscience, l’imposition de cette « tolérance » contredirait cette finalité. Cette laïcité mystificatrice ressemble à la laïcité de « foi civique » dans la mesure où elle appelle une logique d’« allégeance » (Baubérot et Milot, 2011 : 105).
Deux procès jugés inconstitutionnels
25Ce régime de laïcité à la japonaise qui tend à accorder une préséance ad hoc au shintoïsme a cependant des limites. Ainsi, pour prendre un troisième exemple, la Cour suprême a jugé en 1997 inconstitutionnel l’acte du préfet du département d’Ehimé qui a dépensé des fonds publics à l’occasion de la fête annuelle du sanctuaire Yasukuni. La Cour précise, en se référant au critère de l’objectif et de l’effet mentionné plus haut, que cette dépense (tamagushi-ryô) a un sens religieux et s’avère favorable à une religion particulière. Elle dénonce ainsi les rapports privilégiés entre la préfecture et le sanctuaire. Cette sentence a été difficilement admise par la droite nationaliste, tandis qu’elle a été chaleureusement accueillie par la gauche (Tanaka, 1997). En effet, c’est la première fois que la Cour suprême a prononçé un arrêt d’inconstitutionnalité au sujet de la séparation de la politique et de la religion.
26En 2010, la Cour suprême s’est prononcée sur l’inconstitutionnalité d’une initiative pour la deuxième fois sur le même sujet. Cette décision concernait le prêt gratuit d’un terrain public à un sanctuaire shinto (Sorachibuto jinja) attribué par la ville de Sunagawa (située à Hokkaido)8. Ce procès dit de Sunagawa a fait d’autant plus de bruit qu’il s’est avéré que de nombreux édifices religieux se trouvent sur des terrains publics un peu partout dans le pays. Pour ceux qui réclament l’application stricte du principe de séparation, l’arrêt de 2010 qui fait suite à celui de 1997 marque un pas en avant. En revanche, pour les partisans de l’adaptation flexible, cette tendance de la jurisprudence néglige la réalité.
27Ces exemples permettent de montrer la concurrence entre les interprétations souples et strictes de la laïcité de séparation. Ils visent moins à dénoncer l’incohérence des arbitrages effectués qu’à suggérer l’importance d’analyser de près chaque situation spécifique. On comprendra en tout cas que le régime de laïcité au Japon, comme celui d’autres pays, n’est pas exempt de tensions et d’antinomies. On comprendra également l’attitude réticente de la part des fonctionnaires publics qui prennent la plus grande distance possible par rapport aux faits religieux, tout en souhaitant ne pas être impliqués dans un procès long et compliqué.
28Tous les cas que nous venons de traiter relèvent des rapports entre l’État et le shintoïsme, mais il en va de même, en gros, pour le bouddhisme. Là encore, il est difficile de tracer une fois pour toutes une ligne de partage entre la religion et les mœurs. C’est sur ce point que notre argument rejoint les anecdotes mentionnées plus haut, cas dont l’enjeu était – pour rappel – d’accepter ou non des moines bénévoles dans une morgue ou un ossuaire municipaux afin qu’ils effectuent une commémoration avec ou sans les religieux.
29Il n’est pas anodin à cet égard de mentionner l’arrêt de 1993 de la Cour suprême concernant les funérailles bouddhiques organisées par la municipalité de Yashimata (Chiba). Cette commune a mis en place, à l’initiative du maire en poste dans une salle de réunion publique, une cérémonie commémorative rendue à ses deux prédécesseurs, en convoquant deux supérieurs de temples aux frais de la municipalité. Le tribunal régional se réfère au critère de l’objectif et de l’effet, et, tout en admettant le caractère religieux de cette cérémonie publique, affirme que le but des funérailles consiste moins à effectuer un rite religieux qu’à rendre hommage aux défunts qui ont beaucoup contribué au développement de la commune. Cette sentence de la première instance est confirmée par la cour d’appel puis par la Cour suprême (Yazawa, 2012 : 194-197).
30Pour résumer tout ce qui précède, la Constitution du Japon stipule une séparation très stricte de la politique et de la religion, mais la mise en pratique de ce principe est assouplie par le critère de l’objectif et de l’effet. Ce critère introduit en 1977 pourrait être regardé soit comme une justification pour laisser survivre ou faire revenir les fantômes du shinto d’État, soit comme un outil d’appui pour reconnaître positivement le rôle social et public du religieux. Il reste à savoir si ce type de religiosité sociale est compatible avec la liberté de conscience de chaque citoyen.
La fragilité de la liberté de conscience sous le régime laïque du Japon ?
31Parmi les exemples cités plus haut, le procès autour de l’incorporation de l’âme d’un officier au sanctuaire de Yamaguchi mériterait d’être repris, car il semble dans ce cas que la logique de préséance en faveur de la majorité l’emporte sur la liberté religieuse de la minorité. Cet exemple suggère que, sous le régime de laïcité du Japon, une sorte de conformisme s’impose parfois en sacrifiant la liberté de conscience d’un individu.
La question de l’hymne national
et la liberté de conscience
32Quand un conformisme domine dans une société, si démocratique soit-elle, la liberté de conscience risque d’être compromise. En japonais, le terme « liberté de conscience » (ryôshin no jiyû) est une expression soutenue, un peu distanciée de la langue courante. Dans les sociétés occidentales, cette liberté est liée au premier chef aux faits religieux, tandis qu’au niveau des discours sociaux du Japon, elle est le plus souvent employée dans le secteur éducatif. Il s’agit de faire chanter ou non l’hymne national (Kimigayo) aux enfants qui ne le veulent pas lors des cérémonies scolaires.
33Dans les écoles du Japon, le calendrier scolaire commence avec une cérémonie d’entrée et se termine avec celle de la remise des diplômes. Les enseignants, les élèves et les parents y sont présents, mais aussi des membres de la commission scolaire et des hommes politiques locaux. Une ambiance conformiste domine ces cérémonies au cours desquelles l’hymne officiel est censé être chanté à l’unisson. Certains perçoivent cet exercice comme imposé plutôt que choisi, alors que d’autres préfèrent y voir le bon déroulement d’une cérémonie disciplinée (Daté, 2012).
34Bien sûr, ces cérémonies ne sont religieuses ni au sens juridique ni selon l’acception ordinaire du terme. Mais une analyse critique pourrait y cerner une certaine religiosité, dont la compréhension relève de la manière d’appréhender la portée et les résidus du shinto d’État. Là où un certain nombre de chercheurs délimitent de façon stricte l’utilisation de la notion de shinto d’État en réduisant celle-ci au shinto des sanctuaires de la première moitié du xxe siècle (Ashizu, 2006 ; Sakamoto, 1994), d’autres élargissent cette notion jusqu’à y inclure le shinto impérial et l’éducation morale enseignée à l’école, voire l’idéologie de l’État-nation japonais, qui ne s’efface pas forcément avec la défaite de 1945 (Murakami, 1970 ; Shimazono, 2010).
35Avant 1945, de nombreuses cérémonies se déroulaient à l’école. On rendait alors un culte au portrait de l’empereur (goshin’ei). Le directeur lisait à haute voix le rescrit impérial (kyôiku chokugo) devant les élèves qui l’écoutaient docilement. Le drapeau et l’hymne nationaux n’y manquaient pas. Après 1945, le portrait de l’empereur et le rescrit impérial ont disparu de l’école, mais le drapeau et l’hymne sont toujours présents dans le rite scolaire et traumatisent une certaine partie de la population, quoique minoritaire.
36En 1999, une loi sur le drapeau et l’hymne nationaux a été promulguée sous le gouvernement conservateur. Cette loi est souvent invoquée par ceux qui veulent ancrer ces deux symboles nationaux dans l’esprit des enfants, et cela au risque parfois de nuire à la liberté de conscience (Nishihara, 2006).
37À Tokyo comme à Osaka, les enseignants sont obligés, par voie de circulaire, de se mettre debout et de chanter l’hymne national. Des enseignants sanctionnés et mécontents résistent en vain : en 2012, la Cour suprême estime constitutionnelle la circulaire de Tokyo. Pour le moment, l’obligation de chanter s’impose seulement aux enseignants de l’école publique et non aux enfants. Mais il semble que la liberté de conscience de ces derniers est également compromise, si indirectement soit-il, lorsque la cérémonie est surveillée par des personnes envoyées par la commission scolaire pour repérer les enseignants récalcitrants.
La liberté de conscience des musulmans au Japon
38Pour évaluer l’évolution et le statut actuel de la laïcité de reconnaissance et de la liberté de conscience au Japon, on ne peut pas ne pas mentionner les religions des immigrants. En effet, au cours de ces vingt dernières années, le nombre d’étrangers qui vivent au Japon est passé en gros d’un million à deux millions, ce qui impose alors la tâche d’élaborer un modèle du vivre ensemble. Or, dans une société sécularisée comme le Japon, les immigrés ne sont pas forcément considérés comme porteurs de religions. Ainsi, malgré l’abondance des études sur le pluralisme culturel lié aux immigrants, celles qui sont spécialisées sur leurs religions sont relativement peu nombreuses. En général, l’affirmation de leur identité religieuse n’est pas très ostentatoire, ou se confirme sans apparaître comme telle, dans la plupart des cas, sur la scène publique. Le cas des musulmans constituerait à cet égard une exception, car, comme on le sait, l’islam est une religion mais aussi un ensemble de normes qui règlent la vie, publique comme privée. Selon le sociologue Hirofumi Okai (2007 : 180), « parmi les nouveaux arrivants au Japon, les résidents musulmans sont les seuls qui arrangent par eux-mêmes les conditions de leur vie religieuse, pour convenir aux exigences de leur religion ».
39C’est à partir de la deuxième moitié des années 1980 que de nombreux immigrés musulmans arrivent au Japon depuis des pays comme le Pakistan, le Bangladesh, l’Iran. À partir des années 1990, les musulmans d’Indonésie sont de plus en plus nombreux. Aujourd’hui, on estime qu’environ cent mille musulmans vivent au Japon9. Dans le processus d’intégration des musulmans, des accommodements sont faits au cas par cas. Dans la mesure du possible, les institutions hospitalières accueillant des stagiaires musulmans leur consacrent une salle de prière ; les enfants musulmans sont autorisés à apporter leur casse-croûte à la place des repas fournis à l’école pour s’assurer d’une alimentation halal, etc. Mais ces aménagements ne sont réalisés que sur place, ce qui incite très rarement les hommes politiques à travailler pour favoriser l’intégration des musulmans (Daté, 2013).
40Les autorités publiques sont plutôt tenues de rester vigilantes face aux musulmans, et cela notamment après le 11 septembre 2001. La préfecture de police a instauré ainsi en 2002 une nouvelle section au sein du service de la sécurité publique pour prendre des mesures préventives contre le « terrorisme international »10. En octobre 2010, une fuite de données personnelles a été inopportunément provoquée sur Internet. Il s’agissait de documents internes de cette section portant sur plusieurs dizaines de musulmans. Ces documents montrent que les forces de police surveillent autour des mosquées les allées et venues des musulmans, les prennent en filature, voire même les inculpent de tentative d’actes terroristes. Des journalistes, avocats, écrivains et universitaires dénoncent ces actes islamophobes commis au nom de la sécurité publique et qui violent gravement la liberté de croyance des musulmans (Aoki, Azusawa et Kawasaki dir., 2011). Il semble en effet que les forces sécuritaires et séculières renoncent ici à la protection de la liberté de conscience et au traitement égalitaire des religions. Un régime de laïcité « à géométrie variable » peut ainsi se décliner, et cela aussi bien au Japon qu’ailleurs.
Remarques conclusives
41Sans intention d’être exhaustif, nous avons essayé de dessiner, à travers plusieurs cas de figure empiriques et illustratifs, les contours actuels du régime de laïcité à la japonaise. Pour conclure, posons cette question : le Japon a-t-il récemment franchi un seuil de laïcisation en faveur de la laïcité de reconnaissance ?
42Dans une perspective de longue durée, le pouvoir politique japonais se situe au-dessus des autorités religieuses, du moins depuis le xviie siècle. À l’époque d’Edo, le bouddhisme avait pour fonction ce qu’on appelle aujourd’hui la gestion de l’État civil, et jouait à ce titre un rôle public. Dans la deuxième moitié du xixe siècle, la Constitution de Meiji a entériné la liberté de religion tant que les sujets ne bouleversent pas l’ordre public. Un concept de laïcité a ainsi pris forme, bien que ce type de séparation impliquât au fond la soumission de toutes les religions au shinto d’État. Le pouvoir politique contrôlait ainsi les religions, distinguait celles qu’il jugeait utiles ou nuisibles et pouvait les mobiliser en cas de besoin. La Constitution de 1946 dicte un véritable régime de laïcité, en défendant d’une part la liberté de conscience et de religion, et en stipulant d’autre part la séparation de la politique et des religions. Pendant que la société se modernise et se sécularise, la politique prend la plus grande distance vis-à-vis des religions, lesquelles pour certaines s’étiolent, tandis que les autres sont en plein essor, quoique plutôt en marge de la société. Un regard soupçonneux vis-à-vis des religions s’imposait déjà pour le Sôka-Gakkai, mais la méfiance a atteint son paroxysme avec l’attentat terroriste de l’Aum Shinrikyô, six ans avant le 11 septembre 2001.
43Le grand tremblement de terre du 11 mars 2011 donne une occasion de réévaluer le rôle social des religions. Rétrospectivement, le régime de séparation reconnaît toujours une portée sociale aux religions, sinon leur portée politique. Dans l’espace public de nos jours, on peut percevoir – quoique cela puisse varier selon les perspectives adoptées – certains résidus du shinto d’État, la présence mais aussi l’évolution des religions traditionnelles, et récemment des religions apportées par les nouveaux arrivants. Ici, nous avons affaire à une laïcité ouverte ou positive, dont il faut préciser le sens. L’essentiel tient alors à l’articulation entre la laïcité de collaboration, la laïcité de foi civique et la laïcité de reconnaissance.
44La laïcité de collaboration se montre favorable à l’égard du rôle public joué par la religion. Or, pour que celle-ci soit assez influente au niveau social, elle devrait l’être au préalable dans une société donnée. Dans la configuration historico-religieuse du Japon, ce sont notamment le shintoïsme et le bouddhisme qui sont aptes à jouer ce rôle, étant donné leur statut traditionnel et patrimonial.
45La laïcité de foi civique se rapporte à une préséance du religieux traditionnel. Elle n’est pas juridiquement religieuse, mais fonctionne souvent comme une sorte de religion invisible au niveau social, voire même politique. Dans le contexte du Japon, on a surtout affaire aux résidus du shinto d’État. Le problème, c’est que ce type de laïcité conformiste risque sinon de se révéler autoritaire, du moins parfois de compromettre la liberté de conscience des minorités.
46En raison de leur proximité lexicale, la laïcité de reconnaissance est susceptible d’être confondue avec la laïcité de collaboration, d’autant plus qu’elle fait songer à l’expression « cultes reconnus », sous le régime desquels certaines religions jouent un rôle public. Mais tandis que la laïcité de collaboration tend à considérer favorablement les religions traditionnelles, la laïcité de reconnaissance s’appuie plutôt sur le pluralisme et les libertés individuelles, ce qui implique la liberté religieuse des minorités.
47Si la liberté de conscience et la reconnaissance des religions minoritaires ont leur fondement dans la Constitution du Japon, une affirmation forte des identités religieuses peut surprendre notre société d’aujourd’hui, fortement sécularisée. C’est dans un tel climat que des tensions s’observent entre une laïcité stricte et une laïcité plus ouverte. Depuis la promulgation de la Constitution japonaise en 1946, il est évident qu’une évolution sociale a eu lieu, qui paraît même correspondre au développement général de la notion de laïcité – de la séparation à la reconnaissance –, mais, bien qu’un seuil de laïcisation soit repérable au Japon, il nous semble néanmoins que manquent des mesures législatives qui garantissent le droit des minorités, a fortiori religieuses.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 15 881 morts et 2 668 disparus, d’après Kahoku Shinpô, le 11 mars 2013.
2 Environ 313 000 réfugiés, d’après l’Agence de la reconstruction, le 7 mars 2013.
3 Voir <https://www.facebook.com/FBNERJ> [consulté le 05/04/2013].
4 Voir <http://www.sal.tohoku.ac.jp/p-religion/top.html> [consulté le 05/04/2013].
5 Voir <http://kokoropress.blogspot.jp/2012/02/1.html> [consulté le 05/04/2013].
6 Voici les deux articles relatifs à la séparation de l’État et des religions : « La liberté de croyance religieuse est garantie à tous. Aucune organisation religieuse ne peut recevoir de privilèges quelconques de l’État, ni exercer d’autorité politique. Nul n’est contraint à participer à aucun acte, rite, culte, aucune cérémonie ou pratique religieuse. L’État et ses organes doivent s’abstenir de l’enseignement religieux et de toute autre activité religieuse » (art. 20) ; « Aucun fonds public ni autre bien d’État ne peuvent être dépensés ou utilisés pour l’usage, le bénéfice ou le maintien de toute institution ou association religieuses ou pour les œuvres charitables, éducatives ou bénévoles échappant au contrôle de l’État » (art. 89).
7 Les gokoku jinjas étaient des succursales du sanctuaire Yasukuni avant 1945. Ce dernier fut créé en 1869 et célèbre aujourd’hui quelque 2 500 000 soldats japonais tombés au service de leur pays.
8 Pour faire un petit historique, ce terrain appartenait d’abord au sanctuaire ; ensuite, les habitants du quartier ont donné ce terrain à la ville ; et quand la ville a érigé une nouvelle maison municipale, elle a fait en sorte que cet édifice inclue une petite partie sacrée ; c’est ainsi que cet édifice municipal fait corps avec un sanctuaire. D’après l’arrêt de la Cour suprême, les habitants du quartier sont considérés comme membres d’une organisation religieuse shintoïste (ujiko), même si leur identité religieuse s’affirme très peu. Cette affaire est renvoyée à la cour d’appel, qui dicte une location pour se conformer à la Constitution.
9 Au fur et à mesure de cette évolution augmente aussi le nombre de mosquées : seulement quatre avant 1990, au moins cinquante-huit en 2009, dont la moitié se trouvent dans le district de Kantô (Tanada et Okai, 2009). La construction des mosquées est assurée de différentes façons : les unes avec le financement des gouvernements étrangers, les autres grâce aux cotisations des nombreux adeptes, les autres encore à l’initiative d’un ou de quelques donateurs importants. Ces espaces essentiels pour les musulmans sont souvent pluriethniques et plurilinguistiques en raison de leur nombre encore restreint dans la société (Sakurai, 2009). Tantôt les musulmans s’intègrent bien dans un quartier, tantôt ils n’attirent pas beaucoup l’intérêt des habitants, tantôt leur présence appelle parfois une contestation viscérale (Numajiri et Miki, 2012 : 246).
10 La création de cette nouvelle section fut précédée par celle d’un service en 1968 qui se montrait méfiant vis-à-vis des communistes.
Auteur
Université Sofia, Tokyo
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