Comment la préhistoire s’est imposée au musée d’Archéologie nationale
p. 385-391
Remerciements
Mes plus vifs remerciements vont à mes collègues du service des Ressources documentaires et du laboratoire de Restauration du musée d’Archéologie nationale.
Texte intégral
1Depuis son ouverture en 1867, le musée d’Archéologie nationale présente des collections préhistoriques. La salle consacrée au Paléolithique est aujourd’hui considérée comme primordiale, dans tous les sens du terme. Mais il est intéressant de rappeler que le musée créé par Napoléon III ne devait être dédié, à l’origine, qu’à la Gaule celtique et romaine.
2Le « Musée de Saint-Germain », instauré en 1862 et inauguré en 1867 par l’empereur Napoléon III, ne devait être consacré, à l’origine, qu’aux civilisations gauloise et gallo-romaine. C’est l’émergence, au même moment, de deux nouvelles disciplines scientifiques, l’anthropologie et l’archéologie préhistoriques, qui bouleverse la destination et la dénomination du futur établissement.
La création d’un musée sur Jules César
3Napoléon III, empereur des Français, souhaite écrire la biographie de Jules César, imperator, dont il se veut l’héritier. En 1858, il crée la Commission de topographie des Gaules (CTG), chargée de dresser des cartes et de rédiger des dictionnaires archéologiques, essentiellement pour les périodes gauloise et romaine. C’est d’ailleurs cette commission qui joue un rôle déterminant dans la localisation du site d’Alésia à Alise-Sainte-Reine (Côte-d’Or). De 1862 à 1865, la direction des ouilles archéologiques sur le célèbre champ de bataille est confiée au polytechnicien Eugène Stoffel. Ce dernier rédige la troisième partie, en deux tomes, de l’Histoire de Jules César, à la suite des deux premiers volumes publiés en 1865 et 1866, et signés par l’empereur en personne. Afin de présenter au public le mobilier archéologique issu de ces fouilles, Napoléon III décide, en 1862, de l’installation d’un musée au château de Saint-Germain. Dans le décret de création du musée, daté du 8 mars 1862, le premier article mentionne expressément un musée gallo-romain, tandis que, dans le numéro 72 (p. 360) du Moniteur universel – Journal officiel de l’Empire français, daté du jeudi 13 mars 1862, il n’est déjà plus question d’un musée seulement gallo-romain mais d’un musée d’antiquités celtiques et gallo-romaines. Le spectre est donc plus large, surtout si l’on considère que le terme « celtique » peut, à l’époque, être appliqué à l’ensemble de la Protohistoire et même à la Préhistoire récente, c’est-à-dire au Néolithique. Or, en ce milieu du xixe siècle, la révélation de la très haute antiquité de l’homme vient bouleverser le récit des origines. Et l’arrivée, au musée de Saint-Germain, des premières collections attribuées à la Préhistoire ancienne modifie la destination et la dénomination du futur établissement (Schwab 2021).
La collection offerte par Jacques Boucher de Perthes
4Jacques Boucher de Perthes (1788-1868) publie les deux premiers tomes des Antiquités celtiques et antédiluviennes en 1849 (avec la date de 1847) et en 1857 – le troisième et dernier volume étant édité en 1864. L’auteur expose les résultats de ses investigations dans les terrasses fluviatiles de la Somme à Abbeville et à Saint-Acheul, alors faubourg d’Amiens. Il démontre la contemporanéité entre des outils de pierre taillée et des ossements d’espèces animales préhistoriques disparues dans des couches géologiques très anciennes. En 1859, après de longues années de persévérance, son travail est enfin reconnu par les géologues et paléontologues, anglais puis français.
5En 1860, cela fait déjà près de vingt ans que Boucher de Perthes essaie en vain de donner ses collections de bifaces et de « pierres-figures » préhistoriques aux musées nationaux – les pierres-figures, considérées comme des sculptures figuratives par leur inventeur, sont en réalité de simples outils de silex taillé, voire des cailloux érodés par la nature. Après les refus du Louvre et de Cluny, le Muséum national d’Histoire naturelle de Paris en accepte enfin une partie (Orliac 2012), sur l’initiative du paléontologue et archéologue Édouard Lartet, autre pionnier de la préhistoire.
6En novembre 1862, Napoléon III convie Jacques Boucher de Perthes au château de Compiègne. L’empereur lui propose d’acquérir ses collections pour le futur musée de Saint-Germain et lui demande de participer à la commission d’organisation de l’établissement. Il est intéressant de mentionner ici qu’Édouard Lartet siège également au sein de cette commission et qu’il n’est donc pas étranger à l’affaire. Boucher de Perthes reçoit toutes ces offres comme autant de marques de reconnaissance officielle de ses découvertes. À partir de l’automne 1865, des dizaines de caisses, contenant des centaines de pièces lithiques, majoritairement acheuléennes (cf. Paléolithique ancien), font le voyage depuis l’hôtel particulier de Chepy à Abbeville jusqu’au château de Saint-Germain-en-Laye.
L’arrivée des premiers objets d’art préhistoriques
7Après ses travaux paléontologiques – notamment sur le site de Sansan (Gers) – qui assoient sa notoriété, Édouard Lartet s’intéresse à l’archéologie préhistorique, d’abord dans les grottes des Pyrénées, puis dans celles du Périgord. En 1860, il fouille la grotte d’Aurignac, en Haute-Garonne, gisement important pour l’histoire de la préhistoire. La même année, il recueille dans la caverne de Massat (Ariège) un chef-d’œuvre magdalénien, le fameux bâton percé à l’ours crachant (Musée d’Archéologie nationale, n° d’inv. : 3582) (fig. 2). À partir de 1863, Édouard Lartet explore les principaux sites préhistoriques de la vallée de la Vézère, avec Henry Christy, archéologue et mécène anglais. Si la plupart de ces gisements livrent des objets d’art, les abris de la Madeleine et de Laugerie-Basse s’avèrent particulièrement riches. De plus, le mammouth gravé sur un fragment d’ivoire de mammouth découvert à la Madeleine prouve définitivement la coexistence entre l’homme et les animaux préhistoriques disparus (Muséum national d’Histoire naturelle, collection de Paléontologie, n° d’inv. : 1920-15). Entre 1865 et 1875, malgré la disparition prématurée de Henry Christy en 1865 et le décès de Lartet en 1871, les résultats de leurs recherches en Dordogne sont publiés, en anglais, sous la forme de dix-sept fascicules intitulés Reliquiæ Aquitanicæ, being contributions to the Archaeology and Paleontology of Perigord and the adjacent provinces of Southern France.
8Lartet donne ses collections à des musées français (muséum d’Histoire naturelle de Toulouse, Muséum national d’Histoire naturelle à Paris et musée des Antiquités nationales à Saint-Germain-en-Laye) tandis que Christy offre les siennes au Bristih Museum à Londres. Lartet fait également don au musée de Saint-Germain du mobilier provenant d’Aurignac et de Massat. Après l’ouverture du musée, il continue d’envoyer des collections issues des grottes du Périgord et des Pyrénées.
La salle I ou salle des époques « anté-historiques »
9L’arrivée au musée de Saint-Germain des collections paléolithiques entraîne très rapidement une évolution du projet par rapport à l’intention première. En 1864 et 1865, Auguste Verchère de Reffye, membre et secrétaire de la Commission consultative pour l’organisation du musée, rédige deux rapports, dans lesquels il précise la nouvelle étendue chronologique de l’établissement. Le « musée gallo-romain » devient le « musée des Antiquités nationales » et doit désormais retracer l’histoire de la Gaule « depuis les temps les plus reculés jusqu’au règne de Charlemagne ».
10La salle I, conçue pour être le point de départ du musée, est donc consacrée à la première des époques préhistoriques, dites « anté-historiques », l’âge de la « pierre simplement taillée ». Elle est abondamment décrite par Gabriel de Mortillet dans le premier guide officiel du musée, Promenades au Musée de Saint-Germain, édité en 1869. Des espèces animales préhistoriques éteintes sont exposées : le crâne de mégacéros, acquis par l’intermédiaire de Lartet, y accueille déjà les visiteurs. La première moitié de la salle I est dédiée aux « dépôts quaternaires », avec les séries données par Boucher de Perthes, qui sont présentées dans quatre vitrines et accompagnées de deux coupes stratigraphiques, peintes à l’huile sur toile. Dans la seconde moitié de cette même salle, les collections offertes par Lartet et Christy permettent d’évoquer les grottes plus récemment occupées par les hommes préhistoriques. Une carte de La Gaule à l’époque des cavernes, réalisée par de Mortillet dans le cadre de la Commission de topographie des Gaules, permet de les localiser. Enfin, les bustes de deux de ces généreux donateurs, Boucher de Perthes et Christy, sont disposés sur la cheminée (fig. 1). Le buste de Christy sera très rapidement remplacé par celui de Lartet.
Fig. 1

Vue de la salle I avec, sur la cheminée, derrière le crâne de mégacéros, les bustes d’Édouard Lartet (1801-1871) et de Jacques Boucher de Perthes (1788-1868). Photographe anonyme, années 1880.
© Photothèque du musée d’Archéologie nationale.
Fig. 2

Bâton percé en bois de renne gravé figurant un oiseau et une tête d’ours crachant ; dim. : 14,5 × 2,3 × 2,0 cm ; grotte de Massat à Massat, Ariège ; Magdalénien, entre -19 000 et -11 000 ans environ ; fouilles Édouard Lartet, 1860 ; cons. musée d’Archéologie nationale
à Saint-Germain-en-Laye (n° d’inv. : MAN 3 582).
© MAN / Loïc Hamon.
11Un musée plus préhistorique que gallo-romain
12Le 12 mai 1867, le musée de Saint-Germain est inauguré, en même temps que s’ouvre l’Exposition universelle à Paris. Napoléon III arrive en gare vers 15 heures, parcourt le musée avec les architectes et les conservateurs pendant une heure environ, puis reprend le train vers 16 heures. Si les pluies diluviennes, relatées par les journaux, ne favorisent certes pas la promenade, elles ne suffisent cependant pas à expliquer la brièveté de la visite impériale. Une autre hypothèse peut être avancée, celle d’une véritable déception, voire d’un réel mécontentement… Alors que Napoléon III avait souhaité un musée gallo-romain, c’est un musée pré- et protohistorique qui lui est présenté. En effet, sur les sept salles achevées, les trois premières sont consacrées aux âges de la pierre – plus précisément au Paléolithique, au Néolithique et au mégalithisme – et les trois dernières, aux âges des métaux – l’âge du Bronze, à travers les cités lacustres, le premier et le second âge du Fer. Seule la salle IV, des inscriptions et médailles, évoque l’époque romaine et la salle destinée à l’histoire de la conquête, qui devait illustrer son Histoire de Jules César, n’est même pas terminée !
13Il est d’ailleurs intéressant de souligner que c’est la salle dédiée à la préhistoire ancienne, discipline totalement inédite, qui reçoit la faveur des visiteurs, des journalistes et des illustrateurs. Une superbe gravure, signée de Valère Morland, montre Napoléon III devant le Mégacéros, à la une du numéro 645 de L’Univers illustré, daté du 29 mai 1867. Dans le numéro 561 du Monde illustré, daté du 11 janvier 1868, un autre graveur, Auguste Deroy, nous donne à voir la même salle I fréquentée par un public nombreux.
14L’importance croissante des séries préhistoriques au sein des collections du musée de Saint-Germain justifie l’emploi, comme vacataire dès 1866, puis comme attaché de conservation à partir du 1er janvier 1868, d’un des premiers spécialistes de ces périodes : Gabriel de Mortillet.
15Alors qu’il décide, en 1862, la création d’un musée celtique et gallo-romain, l’empereur Napoléon III voit donc s’ouvrir, cinq ans plus tard, un établissement archéologique majoritairement consacré à la Préhistoire et à la Protohistoire. Aujourd’hui encore, les séries paléolithiques représentent plus des trois quarts du volume des collections du musée d’Archéologie nationale.
Bibliographie
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Beaune Philibert, 1867. Musée impérial de Saint-Germain-en-Laye, Saint-Germain-en-Laye, Lancelin.
Boissay Charles, 1867. « Inauguration du Musée Gallo-romain », Le Figaro, 4 mai 1867. En ligne : <https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k270746w/f3.item>.
Boucher de Perthes Jacques, 1849 [1847], 1857 et 1864. Antiquités celtiques et antédiluviennes : mémoire sur l’industrie primitive et les arts à leur origine, Paris, Treuttel et Wurtz, 3 vol.
Langeac Théodore de, 1867. « Bulletin », L’Univers illustré, 29 mai 1867.
Lartet Édouard & Christy Henry, 1865-1875. Reliquiæ Aquitanicæ ; being contributions to the Archaeology and Paleontology of Perigord and the adjacent provinces of Southern France, Londres, Williams and Norgate.
Mortillet Gabriel de, 1869. Promenades au Musée de Saint-Germain. Catalogue illustré de 79 figures par Arthur Rhoné, Paris, Reinwald.
Napoléon III, 1865 et 1866. Histoire de Jules César, Paris, Imprimerie impériale, 2 vol.
Orliac Rachel, 2012. « L’invention de la préhistoire par les objets », Les Nouvelles de l’Archéologie, 129. DOI : <10.4000/nda.1871>.
10.4000/nda.1871 :Schwab Catherine, 2021. « L’émergence de la notion de préhistoire au musée d’Archéologie nationale », in A. de Beaune Sophie et R. Labrusse (dir.), La Préhistoire au présent, Paris, CNRS.
Stoffel Eugène, 1887. Histoire de Jules César, Paris, Imprimerie nationale.
Vauvert Maxime, 1868. « Le Musée de Saint-Germain », Le Monde illustré, 11 janvier 1868.
Verchère de Reffye Auguste, 1864. « Note sur l’organisation du musée historique, composée à l’attention de l’empereur, 5 octobre 1864 », Archives nationales, Musées nationaux, 20144782/3.
Verchère de Reffye Auguste, 1865. « Projet d’organisation du musée de St Germain, avril 1865 », Archives nationales, Musées nationaux, 20144782/3.
Auteur
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