Préhistoire : sonder le temps
p. 25-26
Texte intégral
1De toutes les grandes explorations, celle du temps abyssal dans lequel s’inscrit la préhistoire humaine est sans doute l’une des plus dépaysantes. Si le périple désoriente, c’est d’abord en raison des étrangetés que l’on découvre parmi les humanités disparues, avec leurs intelligences et modes de vie oubliés. Mais le trouble vient aussi de la profondeur même du voyage et du vertige qu’il procure (parmi bien d’autres exemples possibles, rappelons qu’il s’est écoulé autant de temps entre les dessins de la grotte Chauvet et les peintures de celle de Lascaux qu’entre ces dernières et nous). Cet abîme demeura longtemps insondable puisqu’on ne savait calculer aucun âge avec fiabilité jusqu’à l’invention de la datation par le radiocarbone autour de 1950. Or, avant que cette « frontière » de la connaissance ne cède bien tardivement, les préhistoriens cherchèrent, dès les débuts de la discipline il y a deux siècles, à jalonner cette immensité temporelle au moyen des repères que constituent fossiles et inventions humaines. Ainsi naquit l’idée d’un temps immémorial précédant l’Histoire, acquérant une épaisseur non encore chiffrée, mais suffisante pour abriter le grand partage entre Nature et Culture qui forme le mythe central de notre modernité. Très vite, les débats surgirent sur la pertinence des divers jalons – accessoirement sur le seuil du grand partage – et, comme on le verra dans les chapitres qui suivent, ils n’ont jamais cessé, gagnant en intensité avec la mondialisation récente des recherches. Celle-ci montre en effet combien les étapes, en particulier les plus récentes, peuvent différer selon les trajectoires (pré-)historiques particulières à chaque grand ensemble géographique. Enfin décomptés et déclinés dans l’espace, les temps très anciens ne paraissent donc plus du tout uniformes si bien que l’évolution des sociétés perd, à la faveur de cette double exploration chronologique et spatiale, la linéarité que lui conférait une autre fiction hiérarchique, celle du progrès continu. La césure entre Histoire et Préhistoire devient par là même très contestable – sauf localement, sauf conventionnellement – alors même que les démarches exploratoires de part et d’autre se rapprochent, les historiens du passé récent intégrant aussi les documents matériels dans leurs enquêtes. Celles des préhistoriens conservent néanmoins leurs spécificités : anonymat des sources, lacunes temporelles, arythmie des temporalités dont le feuilletage est amplifié par la grandeur des échelles, absence d’événements saisissables vu l’imprécision des datations… Les difficultés chronologiques surmontées par nos prédécesseurs furent déjà considérables : périodiser de façon de plus en plus adroite (en tenant compte des multiples temporalités et de la diversité géographique), puis dater véritablement. Les défis qu’il nous revient de relever ne sont pas des moindres : réduire – ou contourner – l’approximation des dates de façon à s’approcher des durées et rythmes vécus par les sociétés préhistoriques ; expérimenter alors de nouvelles mises en récit. Voilà de nouvelles frontières que les sciences préhistoriques ont entrepris de repousser, ce que cette première partie montrera très concrètement sur sa fin.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Penser global
Internationalisation et globalisation des sciences humaines et sociales
Michel Wieviorka, Laurent Lévi-Strauss et Gwenaëlle Lieppe (dir.)
2015
Laïcité, laïcités
Reconfigurations et nouveaux défis (Afrique, Amériques, Europe, Japon, Pays arabes)
Jean Baubérot, Micheline Milot et Philippe Portier (dir.)
2015
Subjectivation et désubjectivation
Penser le sujet dans la globalisation
Manuel Boucher, Geoffrey Pleyers et Paola Rebughini (dir.)
2017
Semé sans compter
Appréhension de l'environnement et statut de l'économie en pays totonaque (Sierra de Puebla, Mexique)
Nicolas Ellison
2013
Musicologie et Occupation
Science, musique et politique dans la France des « années noires »
Sara Iglesias
2014
Les Amériques, des constitutions aux démocraties
Philosophie du droit des Amériques
Jean-René Garcia, Denis Rolland et Patrice Vermeren (dir.)
2015