1 Rudolf Borchardt est né en 1877. Après des études de philologie classique, il s’installa en Toscane à partir de 1903. Sa poésie fut profondément marquée par la rencontre, en 1898, de Stefan George et de Hugo von Hofmannsthal, dont il devait rester l’ami. Il partageait également les positions politiques de ce dernier, que l’on désigne habituellement par le terme de « Révolution conservatrice », et que Borchardt définissait pour sa part comme « restauration créatrice » (« schöpferische Restauration »). Son œuvre comprend, outre des recueils de poèmes, des essais, des drames et des proses narratives et autobiographiques. Il eut également une intense activité de traducteur (Platon, Pindare, Horace, Tacite, les troubadours, les poètes anglais du xixe siècle et la Divine Comédie). À la fin de 1944, Borchardt dut quitter l’Italie ; il s’installa dans le Tyrol, où il mourut le 10 janvier 1945.
2 Rudolf Alexander Schröder : écrivain, traducteur, éditeur et architecte né en 1878 à Brème et mort en 1962 à Bad Wiessee (Bavière). Il fut l’ami de Hofmannsthal, Rilke, Hauptmann et Borchardt, dont il partageait la vision du monde conservatrice. En 1899, il fonde à Munich la revue Die Insel, puis, en 1902, la maison d’édition Insel Verlag, ainsi qu’en 1913, en collaboration avec Borchardt et Hofmannsthal, la Bremer Presse. En 1910 parut sa traduction de l’Odyssée. Interdit d’apparition publique par le régime nazi, il se retira en Bavière et se tourna vers l’église évangélique, travailla à l’écriture de psaumes modernes et traduisit Virgile, Racine, Molière, Shakespeare, Eliot, ainsi que plusieurs poètes néerlandais. De 1953 à 1958 parurent les six volumes de ses œuvres complètes. De l’amitié qui le lia à Rudolf Borchardt témoigne une immense correspondance conduite de 1901 à 1945, qui a été publiée en deux volumes (Munich, Hanser).
3 Rudolf Borchardt, Dante deutsch, Munich / Berlin, Bremer Presse, 1930, p. 501 sq.
4 Friedrich Gundolf (de son vrai nom Friedrich Léopold Gundelfinger) : poète et essayiste né en 1880 à Darmstadt et mort en 1931 à Heidelberg. Professeur à l’université de Heidelberg à partir de 1916, il fut surtout l’un des proches de Stefan George, qui, refusant d’accepter son mariage avec Élisabeth Salomon, rompit totalement avec lui en 1926. Gundolf tomba gravement malade en 1927 et mourut d’un cancer en 1931. Ses ouvrages furent interdits dès 1933 par les nationaux-socialistes.
5 Heinrich Schenker (1868-1935), compositeur et théoricien de la musique. Originaire de Galicie, il s’installe à Vienne en 1884 où il étudie l’harmonie, le contrepoint et le piano. Parallèlement à son activité de compositeur, Schenker a eu une intense activité d’édition et de théorisation de la musique classique.
6 Rudolf Borchardt, Gedichte, Stuttgart, Klett, 1957 (œuvres complètes en plusieurs volumes), p. 568 sq.
7 Rudolf Borchardt, Dante deutsch, op. cit., p. 517 sq.
8 Charles Baudelaire, L’Art romantique, in : Œuvres complètes, vol. 3, Paris, Calmann Lévy, 1898, p. 65.
9 Rudolf Borchardt, Ausgewählte Gedichte, poèmes choisis et présentés par Theodor W. Adorno, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1968, p. 52.
10 Volkheit : littéralement, l’essence ou l’« idéalité » du peuple, par opposition au peuple concret. Tout au long du texte, et très nettement dans les dernières pages, Adorno développe l’idée que Borchardt se réfère à un peuple « imaginaire » qui ne correspond, ni à la réalité (thème du retour vers un passé largement « reconstruit ») ni à la conception racialiste du Volk, à l’aune de laquelle Borchardt devait finir par être lui-même rejeté du « peuple ». La majuscule que nous employons dans notre traduction sert ainsi à indiquer une telle « essentialisation » – ce qui nous paraissait moins « barbare » que d’en passer par un néologisme comme « peuplité » par exemple.
11 William Adolf Carl Sternheim. Dramaturge et romancier allemand né en 1878 à Leipzig et mort en 1942 à Bruxelles. Rattachée à l’expressionnisme, son œuvre se caractérise par une dimension de critique et de satire féroce de la société et de la langue bourgeoises. Proche en cela du travail de Karl Kraus, il s’efforce de mettre à nu les clichés et les formules toutes faites de ce qu’il appelait l’« idiome trompeur du bourgeois ». De là l’aspect rugueux et agressif de sa langue : suppression des articles et adjectifs, renversement des constructions génitives, etc. Ses œuvres, qui connurent un important succès durant les années de Weimar, furent interdites par les nationaux-socialistes dès 1933.
12 Rudolf Borchardt, Ausgewählte Gedichte, op. cit., p. 98.
13 Ludwig Klages (1872-1956). Philosophe et psychologue allemand, féru de caractérologie et père de la graphologie, il développe, dans le sillage de Nietzsche, une pensée vitaliste. On y trouve des thèmes habituels dans ce courant de pensée, comme l’opposition entre l’intelligence « parasitaire », « desséchante », etc., et la créativité polymorphe de la vie, mais aussi la vision très pessimiste du destin de la civilisation occidentale (en « déclin », pour reprendre le terme de Spengler, avec lequel Klages a sans doute plus d’un point commun). Sa réflexion est susceptible de produire le meilleur, dans la mesure où elle a tôt attiré l’attention sur les menaces croissantes de destruction de l’environnement par une technique non maîtrisée ; mais elle est aussi (« hélas », ajouterait Adorno en français dans le texte) apparentée au pire : dénonciation unilatérale de la raison, survalorisation des instincts, voire, pourquoi pas, de la force, etc. – autant de thèmes par lesquels cette pensée néoromantique, qui se constitua progressivement en métaphysique de la nature, put verser dans la « critique de la culture » d’extrême droite et, par là, inspirer les conceptions du monde fascistes et nationales-socialistes.
14 Poème publié dans Algernon Ch. Swinburne, Poems and Ballads, Londres, J. C. Hotten, 1866.
15 Nationell : Il semble qu’Adorno utilise ce terme (que l’on rencontre déjà chez Hölderlin) pour désigner « ce qui est relatif à l’idée de nation » (nous utilisons cette périphrase dans la ligne suivante, pour rendre la deuxième occurrence, dans le texte original, du même terme), distinct de ce qui est relatif à une nation, de la même manière que, plus haut, Volkheit désigne le peuple « idéel » de Borchardt (cf. supra, note 10). Un rapprochement avec le texte « Nation », dans l’Introduction à la sociologie de la musique (traduit par Vincent Barras et Carlo Russi, Genève, Contrechamps, 1994) fournit sur ce point un éclairage utile : Adorno y oppose le « moment nationel » de la musique aux divers avatars du « nationalisme » musical. Le premier, en tant qu’ensemble d’« idiomes » populaires et folkloriques « restés intacts » et susceptibles d’« aboutir », par exemple chez Bartok, « à une force productive musicale » (comme la plastique nègre interprétée par Carl Einstein fut, précise Adorno, une inspiration novatrice dans le cubisme). Le second, au contraire, « développe les implications réactionnaires du folklorisme […] jusqu’au sérieux sanglant et fasciste d’une mentalité de la musique qui foule aux pieds l’universalité et impose avec barbarie, comme loi supérieure, sa propre limitation, sa manière d’être ainsi et pas autrement » (art. cit., p. 170).
16 Rudolf Borchardt, Ausgewählte Gedichte, op. cit., p. 41.
17 Ibid., p. 47.
18 Ibid., p. 51.
19 Ibid., p. 72.
20 Ibid., p. 56.
21 Ibid., p. 94.