1 Hermann Heimpel (1901-1988) : historien, spécialiste du Moyen Âge, il fut dans les années 1950 l’un des intellectuels les plus influents de la République fédérale d’Allemagne. Il fonda en 1956 l’institut d’études historiques Max Planck de Göttingen, qu’il dirigea jusqu’en 1971. Il est mort le 23 décembre 1988.
2 II s’agit de Joseph Nadler (1884-1963), historien de la littérature d’obédience fasciste, proche de l’idéologie du « Blut und Boden ». Adorno fait ici allusion à l’ouvrage Literaturgeschichte der deutschen Stämme und Landschaften (Histoire littéraire des lignées et des pays allemands) paru entre 1912 et 1928, dans lequel Nadler s’efforce de fonder culturellement la suprématie germanique en définissant les Allemands comme « peuple naturel » (« Naturvolk »), apte à assimiler les meilleures qualités des autres « races »… et donc à les soumettre. La littérature est dès lors dépendante dans son déploiement historique des différentes « lignées » qui la portent – le classique se situant du côté des anciennes lignées (les Francs, les Thuringeois), tandis que le romantisme relève du développement des lignées les plus récentes, celles qui ont germanisé les slaves, par exemple. Nadler définit le romantisme comme « l’éveil du sang allemand dans les peuples germanisés » (« Erwachen des deutschen Blutes in den eingedeutschten Völkern »).
3 Anacréontisme : école lyrique du xviiie siècle qui chantait la grâce, la douceur, l’amour et le vin, et se réclamait des fragments poétiques d’Anacréon, poète ionien du vie siècle av. J.-C., redécouvert à la fin du xviie siècle par le biais d’un recueil composé durant la période alexandrine et qui rassemblait une soixantaine de poèmes pastichant le style d’Anacréon lui-même. Ses principaux représentants en Allemagne furent Friedrich von Hagedorn (1708-1754), Johann Wilhelm Ludwig Gleim (1719-1803), Johann Nikolaus Götz (1721-1781) et Johann Peter Utz (1720–1796).
4 Zwielicht : le demi-jour, ou la pénombre du crépuscule ; le mot donne son titre à un poème d’Eichendorff, dans un cycle qui fournit à Adorno une référence privilégiée tout au long de son texte. Dans Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 385 et 420 (n. 3), Gilles Deleuze et Félix Guattari ont insisté sur l’idée de disjonction, de changement de milieu ou de rythme que fait entendre par son préfixe le mot allemand (de la même manière que l’anglais twilight). Le Zwielicht est ainsi l’heure de l’ambiguïté – et de l’inquiétude : ce qui cesse d’être l’objet d’une perception nette menace de se métamorphoser. Tel est justement le motif de l’avant-dernière strophe du poème, où « l’ami », à la parole et au regard avenants, rêve cependant « de guerre dans cette paix sournoise ». Aussi la traduction de Zwielicht indiquée par Deleuze et Guattari, « Entre chien et loup », nous paraît-elle ici particulièrement pertinente : elle suggère le caractère à la fois visuel et psychologique de l’incertitude – -l’indistinction des formes et la duplicité de l’ami –, tandis que la préposition « entre » conserve la notion de « distance séparatrice » évoquée par le préfixe allemand. Elle s’accorde en outre, d’une manière rétrospectivement frappante, avec l’analyse d’Adorno qui, revenant plus loin dans le présent texte sur le même poème, y entend les accents d’une « exhortation schizoïde » (cf. infra, p. 22).
5 Le dernier vers du texte allemand dit : « Der Morgen leicht macht’s wieder gut », où « leicht » sert d’abréviation à « vielleicht ».
6 Friedrich Ludwig Jahn et Jakob Friedrich Fries sont deux figures majeures du nationalisme politique allemand du début du xixe siècle. Friedrich Ludwig Jahn (1778-1852) fut le promoteur infatigable de la gymnastique comme moyen d’éducation populaire et de préparation des guerres de libération nationale qu’il appelait de ses vœux depuis la victoire de Napoléon à Iéna en 1806 et auxquelles il participa en s’engageant, en 1813, dans les corps francs de Lützow. Parallèlement, il œuvra intensément, en collaboration avec Fichte, à la constitution des associations étudiantes (« Burschenschaften »), dont la première vit le jour à Iéna, en 1815. Suspecté par la Prusse d’agitation politique – ses textes ne cessaient d’appeler à la réalisation de l’unité nationale allemande –, il fut contraint, en 1819, de mettre un terme à son activité et fut incarcéré en 1825. Sa peine d’emprisonnement fut commuée en exil, jusqu’à sa réhabilitation en 1840. En 1848, il fut élu député à l’Assemblée de Francfort. Jakob Friedrich Fries (1773-1843) : philosophe s’inscrivant dans la tradition kantienne, il enseigna à Iéna, après avoir été pressenti pour remplacer Fichte (mort en 1814) à Berlin, mais écarté de la chaire (elle revint à Hegel) pour ses activités politiques. S’opposant, au nom d’un idéal libéral et républicain d’unité nationale, mais qui était aussi fortement teinté d’antisémitisme, à l’ordre restauratif qu’avait imposé le congrès de Vienne, il fut proche des Burschenschaften et participa en octobre 1817 au rassemblement de la Wartburg (château situé à Eisenach, en Thuringe, où, trois siècles auparavant, Luther avait placardé ses thèses) au cours duquel furent brûlés par les étudiants des symboles de la tyrannie, mais également les épreuves de livres considérés comme réactionnaires et antiallemands.
7 Cagliostro (Giuseppe Balsamo, dit Alexandre, comte de) : aventurier italien né à Palerme en 1743 et mort à San Léo en 1795. Il parcourut l’Europe à partir des années 1760, se taillant une réputation d’alchimiste, de guérisseur et de voyant, en particulier dans les cercles de l’aristocratie. À l’occasion de son entrée dans une loge maçonnique, il prit cette identité d’Alexandre, comte de Cagliostro. Compromis dans l’affaire du Collier (1785), il fut expulsé de France en 1786. Introducteur du rite égyptien dans la franc-maçonnerie, accusé d’hérésie par l’Église, il fut arrêté en 1789 à Rome et condamné en 1791 à la peine de mort, peine commuée par le Pape en emprisonnement à vie. Personnage déjà devenu presque une légende de son vivant, il est emblématique de cette période de confusion des valeurs et de « dislocation » que décrit Eichendorff dans le texte cité par Adorno. C’est manifestement dans le même ordre d’idées que s’inscrit la référence au comte de Saint-Germain. Aventurier dont on ne connaît ni la date de naissance ni l’origine, personnage brillant qui parlait un grand nombre de langues et qui pratiquait l’alchimie et la magie, ce dernier fascina lui aussi l’aristocratie européenne et, en particulier, l’aristocratie française entre 1750 et 1760 (au point d’avoir été le confident de Louis XV). Il aurait initié Cagliostro à la franc-maçonnerie. Il eut également une activité importante de diplomate plus ou moins occulte, et vraisemblablement d’espion. Ce « grand illusionniste » cristallise en quelque sorte la contradiction entre le rationalisme des Lumières et les passions irrationalistes agitant la fin du siècle. Il est mort en Allemagne, à Eckernförde, en 1784.
8 Friedrich Melchior von Grimm (Ratisbonne, 1723 – Gotha, 1807) : écrivain allemand d’expression française. Lié avec les « philosophes » qu’il rencontrait dans le salon de son amie, Mme d’Epinay, traducteur de Voltaire, il tint de 1753 à 1783, avec Diderot et l’abbé Raynal, une chronique manuscrite de la vie intellectuelle parisienne, qu’il adressait à des princes étrangers (notamment à Catherine II). Il contribua, par de nombreuses notices littéraires, à l’Encyclopédie. Il eut également une importante activité diplomatique, représentant, à partir de 1776, le Duc de Sachsen-Gotha auprès du Roi de France. Il rentra en Allemagne au moment de la Révolution.
9 Walter Benjamin, Schriften, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1955, vol. 1, p. 523 sq.
10 Wolfdietrich Rasch, né le 20 avril 1903 à Breslau, mort le 7 septembre 1986 à Merano. Professeur de littérature allemande, successivement aux universités de Halle, Wurtzbourg et Munster, il fut membre du parti national-socialiste. Il fut l’un des principaux commentateurs et éditeurs des œuvres d’Eichendorff.
11 Puisqu’il s’agit d’une fête de mariage. La phrase allemande, moins explicative que notre traduction, joue sur l’homophonie du substantif das Fest (la fête, pour laquelle existe aussi le mot die Feier) et de l’adjectif fest (solide, immuable, permanent) et parle ainsi, mot à mot, de « l’éphémère de la fête, qui pourtant signifie durée ».
12 Theodor. A. Meyer, Dos Stilgesetz der Poesie, Leipzig, Hirzel, 1901, p. 8.
13 La phrase d’Adorno joue de la proximité phonique et étymologique entre Rauschen (murmure) et Geräusch (bruit). Das Rauschen pourrait aussi être traduit par « le bruissement ». Les lignes suivantes, selon lesquelles le thème allégorique d’une « nature » devenant « pour l’homme mélancolique un langage signifiant » est « porté » par la « langue » d’Eichendorff « en ce qu’elle a d’éloigné de la signification », aident à comprendre ce qu’Adorno entend par un « bruit plus apparenté à la langue qu’au son ». Ce « son » (Klang), qui est le son musical (le terme Klang peut aussi signifier « consonance » voire, dans certains contextes, « harmonie ») est en quelque sorte « discipliné » : si nul « signifié » ne lui correspond, il est néanmoins signifiant pour une oreille accoutumée à la musique et à ses codes culturellement déterminés. Au contraire, le « bruit » du « murmure » touche par sa dimension pour ainsi dire « hors culture » – dans la mesure où, selon les motifs plus systématiquement développés et différenciés dans la Théorie esthétique, il relève, non d’un « langage signifiant » mais d’un « langage mimétique » et éveille ainsi « le souvenir de la nature dans le sujet ». Enfin, puisqu’il est ici question de « parenté », signalons celle que le « murmure » adornien entretient manifestement avec le « bruissement de la langue » et autre « écriture à haute voix » chers à Barthes – en particulier lorsque celui-ci évoque, en consonance étonnante avec le présent passage, « l’articulation du corps, de la langue, non celle du corps, du langage » et cherche à « entendre dans leur matérialité, leur sensualité, le souffle, la rocaille, la pulpe des lèvres, toute une présence du museau humain » (Le Plaisir du texte, Paris, Éditions du Seuil, 1973, rééd. coll. « Points Essais », 1982, p. 89 [nous soulignons]).
14 II s’agit du poème « Legende von der Entstehung des Buches Taoteking auf dem Weg des Laotse in die Emigration », écrit en 1938.
15 « Entbrennte » est en effet mis à la place de « entbrannte ». Est ainsi conservé le radical qu’on trouve à l’infinitif (entbrennen) et, surtout, au présent de l’indicatif (entbrennt). D’où la remarque d’Adorno sur ce « passé » qui en quelque sorte « ne passe pas », et qui est restitué par le poète comme une expérience présente. Nous essayons de rendre cela en basculant, pour ce vers, de l’imparfait (duratif) au passé simple (soudain)
16 Liederkreis, cycle composé par Schumann en 1840.
17 Bar : terme d’origine obscure, synonyme de lied dans le vocabulaire des maîtres chanteurs de la fin du Moyen Âge. Pour plus de précisions, cf. Marc Honegger, Science de la musique, Paris, Bordas, 1976.
18 Die anschlagende Wiederholung des Horns. Adorno veut dire qu’au « son du cor », dont il est question dans le troisième vers de la première strophe du poème, correspond dans la composition de Schumann une « répétition scandée » au piano (on pourrait presque traduire par « répétition d’accords plaqués »)