Chapitre 1. Esthétique et radiophonie sous la république de Weimar : Walter Benjamin et le microphone
p. 29-51
Texte intégral
« Par le pouvoir de ses mots, tout ce qu’il touchait devenait radioactif. »
Theodor W. Adorno, Sur Walter Benjamin (1968)
1Lorsque Walter Benjamin franchit pour la première fois la porte d’un studio de radio en 1927, il découvre un médium florissant, aux potentiels techniques et artistiques quasi inexploités, qui se trouve également à la croisée de débats abordés par les avant-gardes de la République de Weimar1. En effet, en un sens, le parcours radiophonique de Benjamin pourrait se définir comme l’expérience même de la Modernité et de la complexité qui lui est propre. Durant l’entre-deux-guerres, cette question philosophique et esthétique se trouve placée au cœur de nombreuses controverses : la Modernité est-elle l’expression négative d’un « déclin de l’Occident » ou bien au contraire, celle, positive, d’un monde en progrès dont les avant-gardes constitueraient les prémices ? Avant toute chose, remarquons deux éléments importants à propos des productions artistiques modernes. D’une part, l’art de l’entre-deux-guerres témoigne de ce que nous pourrions appeler un effroi spécifique, produit par le déchaînement d’une forme inédite de violence – la guerre entrée dans son âge technologique –, tout en recelant l’espoir utopique que la création artistique peut contribuer à l’instauration de meilleurs lendemains. D’autre part, l’art weimarien engendre l’opposition irréductible de certaines consciences individuelles et collectives : les avant-gardes allemandes des années 1920-1930 parviennent à s’attirer les foudres aussi bien des fascismes que du stalinisme, qui les considère comme « dégénérées » ou « décadentes ».
2En somme, l’art sous Weimar se caractérise par une impossible séparation entre création et politique. Loin des régimes totalitaires où les œuvres d’art servent d’outils de propagande, la querelle des Anciens et des Modernes connaît une nouvelle version dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres en opposant réactionnaires et progressistes, bourgeois conservateurs et révolutionnaires utopistes, sur fond de luttes idéologiques. Comment alors distinguer les champs respectifs de l’art et de la politique ? Cet engagement de l’artiste sous Weimar constitue-t-il pour autant son idéal ? Autant d’éléments qui nous poussent à constater le changement rapide d’un tournant esthétique de la philosophie en tournant politique de l’esthétique.
3Au lendemain des atrocités de la Grande Guerre, les réflexions philosophiques se développent au sein d’un contexte historique particulièrement agité : révolution soviétique, montée du national-socialisme et des mouvances d’extrême droite, révoltes ouvrières et mouvements sociaux consécutifs aux difficultés économiques. Ainsi les écrits esthétiques allemands du début du xxe siècle vont-ils traduire le regard des artistes des avant-gardes sur la réalité sociale et politique. Au-delà des interprétations contradictoires qu’ils feront de la modernité artistique, tous les philosophes de l’époque puisent dans les mêmes sources, à savoir l’idéalisme et le romantisme allemand. À ce premier élément de convergence s’ajoute celui des thématiques retenues pour leurs réflexions : tous sont affectés par la question du déclin, de la décadence, des crises touchant aussi bien la culture, les sciences, les traditions que les arts. L’enthousiasme et l’optimisme dans lesquels baignait la bourgeoise avant le premier conflit mondial ont laissé place à l’inquiétude du présent et à l’angoisse de l’avenir, d’où un bilan pessimiste de la civilisation occidentale dressé par un certain nombre de philosophes.
4Cependant, on remarque certaines divergences dans la réflexion esthétique des penseurs, en ce qui concerne à la fois l’origine du déclin de la culture occidentale et la signification de l’art moderne et du rôle des avant-gardes. Si Georg Lukács et Martin Heidegger choisissent d’attribuer l’origine de cette décadence à la période qui suit l’apogée de la Grèce antique (ve siècle av. J-C), Walter Benjamin, Herbert Marcuse et Theodor W. Adorno soulignent quant à eux l’apparition d’une raison pervertie dès le siècle des Lumières, dont les premiers symptômes seraient inhérents à la formation de la rationalité. Quant au sens attribué à l’art moderne, il est considéré soit comme un reflet de la décadence de l’Occident (Lukács et Heidegger), soit comme un mode d’expression privilégié grâce auquel les artistes adoptent une position critique vis-à-vis de la réalité et dénoncent précisément ce qu’il est advenu du monde, dans l’espoir de le transformer (Benjamin, Marcuse, Adorno). Ce diagnostic amer de la modernité va inciter certains philosophes à adhérer ou, du moins, à être influencés par les idéologies qui redonnent espoir à l’individu en perdition : Heidegger voit dans la « grandeur » du nazisme une possibilité de salut pour le peuple allemand, Ernst Bloch perçoit dans le communisme la concrétisation de L’esprit de l’utopie contenu dans l’art, enfin Benjamin et Adorno, influencés par la conception marxiste de l’histoire mais farouchement opposés à toute forme de dogmatisme, espèrent un bouleversement des structures de la société capitaliste afin de mettre un terme à l’aliénation des formes de vie contemporaines.
1. Art, politique et médias sous Weimar : du spectacle fasciste à l’éveil benjaminien
5Loin de s’éloigner du marxisme, l’analyse benjaminienne du national-socialisme y puise son principal fondement, à savoir les rapports de propriété. Dans une société en pleine explosion où s’affirment simultanément la prolétarisation de l’individu et l’importance grandissante des masses, le fascisme2 apparaît comme une tentative d’« organiser les masses sans toucher au régime de la propriété3 ». Selon Benjamin, l’idéologie fasciste consiste à laisser les masses s’exprimer sans leur accorder la satisfaction de leurs droits. Ce que Walter Benjamin nomme « esthétisation de la politique » – le moyen permettant au fascisme de perpétuer la violence sur les masses en même temps qu’il prétend les glorifier – représente certainement pour lui l’une des raisons du succès de la propagande nazie. À la question de l’origine de l’idéologie hitlérienne, il ajoute des questionnements plus subtils et encore plus pertinents pour l’époque : comment expliquer l’illusion révolutionnaire que ce mouvement parvient à engendrer auprès de ceux-là mêmes qu’il exploite ? De quelle manière l’esthétisation et la mise en scène du pouvoir nazi lui permettent-elles de dissimuler sa barbarie ?
6S’il s’agit surtout pour le pouvoir hitlérien de stigmatiser les œuvres « étrangères » à sa vision du monde, l’esthétisation singulière développée par sa propagande n’est pas prise en considération comme telle. Or Benjamin est, semble-t-il, l’un des rares penseurs de l’époque à être sensible à cette question. Dès 1928, il entend souligner le lien étroit unissant l’esthétisation de la guerre et le fascisme. Pour cela, il évoque, dans Sens unique, la « tentative pour célébrer de nouvelles noces, encore inouïes, avec les puissances cosmiques4 ». Dans le compte rendu qu’il fait en 1930 de l’ouvrage collectif Guerre et Guerriers de Ernst Jünger, Benjamin remarque que l’esthétisation de la guerre, le culte de la camaraderie des tranchées et du déchaînement des puissances destructrices de la technique proviennent d’une « transposition débridée des thèses de l’art pour l’art au domaine de la guerre5 ». C’est encore ce thème de l’esthétique fasciste qu’il étudiera en 1936 dans son texte André Gide et son nouvel adversaire6. À partir des oppositions entre André Gide et Thierry Maulnier, Benjamin s’efforce de clarifier le concept de culture du point de vue de la théorie fasciste. Pour cette dernière, l’esthétisme constitue le masque de la barbarie. La particularité de l’art fasciste réside dans le fait qu’il ne peut exister autrement que comme instrument de propagande ; Benjamin voit d’ailleurs dans les manifestations esthétiques du fascisme un art à la fois exécuté par les masses et pour les masses. Ces dernières sont censées trouver dans le cinéma, le théâtre et toute autre scène leur propre force. C’est en cela que réside l’originalité de la propagande nazie : elle propose aux masses une image d’elle-même avec les traits de l’éternité, qui exclut non seulement toute idée de transformation sociale mais assure la domination d’une minorité. L’esthétique fasciste est donc un leurre : en apparence révolutionnaire, elle ne fait que glorifier la violence. Benjamin souligne très justement que « tous les efforts pour esthétiser la politique culminent en un seul point. Ce point est la guerre7 ». La théâtralité du pouvoir fasciste semble, selon lui, inséparable de la guerre entendue comme l’exutoire presque naturel de la destructivité technicienne. De par les atrocités et les ravages qu’elle produit, la guerre « a trouvé un nouveau moyen d’en finir avec l’aura8 ». En analysant les particularités de l’esthétisation de la politique sous le IIIe Reich, Benjamin tente donc d’étudier les traits complexes de ce phénomène. Complexes puisque l’esthétique nazie puise à des sources extrêmement variées – mystique du feu, de la nuit largement inspirée du romantisme, défilés militaires impeccables dans la lignée de l’idéal prussien de Frédéric II, la cathédrale de lumières du stage de Nuremberg, etc. – dont il est difficile d’isoler les éléments et leurs mécanismes.
7Autre élément important, le fascisme apparaît également comme l’une des premières expériences décisives pour tirer parti des moyens de reproduction, du pouvoir des images et de leurs effets sur les masses. Benjamin remarque que l’un des principaux caractères de la propagande nazie, à travers l’usage qu’elle fait de l’art, c’est sa conscience qu’à « la reproduction en masse correspond […] une reproduction des masses9 ». Cette instrumentalisation des médias permet de diffuser plus largement l’idéologie du pouvoir en place. D’abord, la caméra, avec ses travellings et ses différents types de plans, parvient à suggérer la puissance de la masse. Puis la radio, qui retransmet les discours de Mussolini et Hitler, ajoute à la voix et aux applaudissements une orchestration qui crée un effet unique à travers la retransmission instantanée en tous lieux10. « Nous n’aurions jamais conquis l’Allemagne sans les haut-parleurs11 », se serait exclamé Hitler. L’Italie fasciste donne également, durant la Seconde Guerre mondiale, une véritable puissance à la voix : le Duce ordonne la distribution d’un poste de radio à tous les ménages, surtout dans les provinces les plus reculées et les plus pauvres. Certains artistes, à l’instar du poète Ezra Pound12, vont participer de manière active à la propagande des forces de l’Axe en diffusant sur les ondes des émissions empreintes d’un antisémitisme radical. À travers l’exploitation effrénée de tous les moyens techniques de diffusion et de reproduction, le national-socialisme et le fascisme sont parvenus à atteindre une efficacité redoutable. Face à cette spectacularisation de la politique, quelle réponse Benjamin apporte-t-il ?
8À la fin de son essai sur la reproductibilité qui, rappelons-le, a été écrit deux ans après l’accession de Hitler au pouvoir, Benjamin défend l’idée d’un art politique qui soit à la fois une arme et un instrument d’éveil. Cette réponse témoigne tout d’abord de l’héritage de toute une tradition artistique qui n’a cessé de se développer sous la république de Weimar. Elle est aussi pour le moins paradoxale : la culture politisée dans laquelle Benjamin s’inscrit s’est avérée incapable de faire obstacle à la victoire du national-socialisme qui l’a anéantie en quelques semaines. Il suffit de se remémorer la « purification » des musées, l’arrestation des opposants, la violence avec laquelle les représentants de cette culture ont été traités pour se rendre compte du divorce tragique entre les espoirs, les illusions, les utopies qu’elle a fait naître et le peu de poids qu’elle a eu face à la détermination des nazis. Cet échec du pouvoir de l’intelligence face à la barbarie remet effectivement en cause non seulement la portée de l’intelligentsia progressiste de l’Allemagne de l’entre-deux-guerres mais également le sens de la culture de Weimar dans laquelle Benjamin s’inscrit. Opposer, comme il le fait, une « politisation de l’art » à l’« esthétisation de la politique » par les nazis, sans tenir compte de l’échec tragique que cette même politisation de l’art vient de subir en Allemagne, n’est-ce pas, au fond, perpétuer la même illusion ? Non seulement il ne tire aucune conséquence théorique de l’élimination de cet « art politisé » ayant marqué la culture de Weimar, mais surtout il ne semble pas réaliser que cette « politisation de l’art » n’a certainement pas été en mesure de répondre à l’esthétisation de la politique pratiquée par les nazis. Pour autant, il est peut-être envisageable, à partir de ses textes et de ses différentes expériences antérieures, de mieux comprendre ce que Benjamin attendait d’une telle « politisation ».
9Premièrement, il a été témoin, au cours de son séjour à Moscou de décembre 1926 à février 1927, à travers les expériences culturelles soviétiques et les débats qu’elles ont suscités13, de l’impact inédit des questions artistiques sur un large public. Ces débats ne lui ont pas semblé se limiter à une élite mais concernaient un public beaucoup plus vaste, contrairement à ce qui se faisait en Allemagne. Les questions culturelles étaient abordées à partir de leur véritable dimension politique, à l’inverse des usages du régime fasciste, qui lui apparaîtront toujours comme indissociables de la théorie de « l’art pour l’art ». Ensuite, dans son article de 1934 intitulé « L’auteur comme producteur », il laisse entrevoir la possibilité d’un rapport informatif et critique de l’écrivain à la réalité, avec l’abolition de la distinction entre auteur et lecteur. L’importance qu’il accorde à l'idée d'un public « actif » est alors aux antipodes de l’effet hypnotique de l’esthétique nazie. Puis la figure brechtienne – sa tentative de changer radicalement le mode de production du théâtre, d’en faire un instrument didactique, s’adressant à l’intellect et non au sentiment – constitue à ses yeux un antidote à la conception fasciste de l’art, avec sa réduction de l’image à une illustration au service de la propagande. Enfin, cette « politisation de l’art » peut également prendre forme dans l’usage inédit et novateur que fait Benjamin du médium radiophonique à partir de 1927, en s’adressant notamment aux enfants et en leur proposant des émissions didactiques. Or c’est justement cette conception fondamentalement politique de la radio entendue comme instrument d’éveil qui nous intéressera à présent.
Reproductibilité, sonorité, immatérialité et ubiquité de l’œuvre d’art
10Si la modernité se définit sur les plans artistique et politique, il ne faut pas pour autant oublier la dimension technique qui la caractérise également, élément que Walter Benjamin va lui-même expérimenter au travers de la radio. En effet, les œuvres d’art de l’Allemagne de l’entre-deux-guerres semblent témoigner d’une nécessaire réévaluation de la traditionnelle séparation de l’art et de la technique, et les artistes de l’époque intègrent dans leurs réalisations ces différentes avancées. Si les dadaïstes interviennent, à l’aide des possibilités désormais offertes par l’enregistrement et le montage sonore, dans le champ des arts plastiques, de la poésie et de la littérature (Kurt Schwitters, Raoul Hausmann), les artistes de la Nouvelle Objectivité explorent quant à eux de nouvelles voies de création à travers le cinéma (Walter Ruttmann, Béla Balázs, Alfred Döblin). Désormais, la technique n’est plus qu’une simple auxiliaire : elle se retrouve au cœur de la créativité de l’artiste en devenant le principe générateur de l’œuvre. Cette reconsidération de la technique prend notamment forme dans un engouement pour le montage et le collage. À l’époque où de nouveaux moyens de reproductibilité technique voient le jour, les artistes s’emparent de ces pratiques récentes afin de proposer des œuvres radicalement nouvelles. L’apparition de celles-ci dans les disciplines artistiques et les médias (photographie, cinéma, radiophonie) se caractérise tout d’abord par leur mode d’inscription et leur champ d’expérimentation. Les œuvres montées et collées appartenant à diverses disciplines, ce qui fonde l’originalité du montage – c’est-à-dire travailler à partir d’une masse de matériaux hétérogènes, sélectionner, agencer, etc. – n’oblige-t-il pas l’artiste à tenir la place d’un véritable producteur, autrement dit à travailler une matière à l’aide d’une technique ?
11Si les pratiques du montage et du collage occupent une place majeure dans les recherches esthétiques, n’est-ce pas parce que la réalité objective et les possibilités de sa figuration en forment précisément les enjeux théoriques et pratiques ? C’est notamment dans cette optique que l’œuvre de Brecht s’inscrit. Si le réel se doit d’être transformé par l’homme, la technique du montage s’oppose alors à la linéarité du récit, à l’unicité des personnages et à la totalité harmonieuse d’un monde clos. C’est d’ailleurs à partir de l’esthétique brechtienne que Walter Benjamin écrira L’auteur comme producteur et L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. En permettant notamment à l’art sonore d’émerger, les nouvelles possibilités d’enregistrement et de reproduction technique vont bouleverser la conception traditionnelle de l’œuvre d’art. La dématérialisation progressive de l’objet artistique, sa reproductibilité infinie, ou bien encore la disparition de l’œuvre originale sont autant de nouveaux phénomènes que de nouvelles problématiques auxquels l’esthéticien va être confronté. Pour ainsi dire, la création sonore pose dans l’Allemagne de Weimar la question de la postmodernité. Le développement de la radio, alors émergente, et les diverses réalisations artistiques dans le champ du sonore proposent une nouvelle expérience esthétique, fondée sur une écoute non-musicale. Le Bauhaus ainsi que les auteurs du Théâtre politique viennent également confirmer cette réconciliation de l’art et de la technique. En se réappropriant la technique, jusqu’ici conçue comme source d’exploitation, les représentants de ces différents mouvements artistiques entendent désaliéner l’individu par le biais de productions artistiques fondées sur un nouveau modèle de pédagogie (Walter Gropius), ancré dans une réalité sociale singulière, à partir desquels une pensée critique peut voir le jour (Erwin Piscator et Bertolt Brecht). Dès lors, la beauté et l’autonomie de l’art se voient remplacées par de nouveaux critères et de nouvelles utopies. Qu’elle soit pièce de théâtre, œuvre architecturale ou bien création plastique, la production artistique répond désormais à une fonction profondément sociale et politique, ancrée dans une réalité en mutation qui ne peut laisser l’artiste indifférent. Les avant-gardes donnent ainsi un nouveau sens à l’œuvre d’art, que ce soit en substituant au critère de beauté celui d’utilité, lui-même fondé sur l’alliance de l’artiste et de l’artisan (le Bauhaus), ou en la concevant comme l’expression d’une révolte politique contre l’art bourgeois et l’économie capitaliste qui ne fait que mutiler et aliéner l’individu (l’expressionnisme, les dadaïstes berlinois, le théâtre de Brecht et Piscator).
12La question des effets d’une telle reconsidération de la technique à l’égard de la création artistique ne va pas laisser indemne la pensée de Benjamin. Bien au contraire, l’expérience qu’il va faire de la radio à partir de la fin des années 1920 va lui permettre d’acquérir une pratique d’un média alors florissant, et surtout, d’être sensibilisé aux nouveaux problèmes esthétiques et philosophiques posés par ce qui fait l’essence même de la radio, à savoir la reproductibilité technique. La radio ne contribue-t-elle pas à la dématérialisation de l’œuvre ainsi diffusée ? Par ailleurs, ne peut-on pas voir dans l’expérience radiophonique que mènera Benjamin de 1927 à 1933 les germes d’une réflexion esthétique future sur l’aura ? Cette redéfinition du statut de la technique au sein de la production artistique, qui préoccupe les artistes de Weimar, trouve également sa place dans l’expérience journalistique du philosophe berlinois. En effet, la radio pose notamment la question de l’ontologie de l’œuvre. S’il y a art radiophonique, alors l’ubiquité de la création radiophonique vient bouleverser les critères esthétiques jusque-là admis. Même s’il n’analyse pas précisément la question de la radio dans son essai sur la reproductibilité technique, Benjamin cite néanmoins en introduction – et ceci est un élément significatif de l’intérêt porté par le philosophe à l’égard de la radio – un extrait de La conquête de l’ubiquité (1928), écrit par Paul Valéry, dans lequel ce dernier traite de la multiplication de « présences à distance » simultanées qu’induit le développement des techniques de diffusion opérant en temps réel. Dans ce texte, Valéry relate l’expérience qu’il fait, au début des années 1930, de la première retransmission radiophonique d’un concert de musique classique donné à New York. Il s’agit alors pour l’écrivain français de s’interroger sur le fait qu’une œuvre d’art peut désormais, grâce à des moyens techniques adéquats, être détachée des conditions de sa performance, multipliée, et que son écoute peut être dispersée aux quatre coins du monde. Cette possibilité de reproduction infinie et de diffusion disséminée des phénomènes sonores va de la même manière intéresser Benjamin. Au fond, ce changement fondamental de l’être de l’œuvre, dont la radio représente un exemple significatif, va aboutir à une remise en cause de la notion d’« original ». Où se trouve l’œuvre radiophonique ? Dans le script, dans ce que j’entends grâce à mon poste de radio, dans l’esprit du speaker ? Nous retrouvons ici la distinction établie par Nelson Goodman entre œuvres autographique et allographique14 : autographique désigne des œuvres consistant en des objets matériels, se manifestant d’eux-mêmes avec la présence d’un original (peinture, sculpture, architecture…) ; allographique se rapporte à des œuvres consistant en des objets idéaux, se manifestant par d’autres objets, sans la possibilité de faire un faux (littérature par le livre, musique par la partition, l’exécution ou l’enregistrement, etc.). Le théoricien de la littérature Gérard Genette prolongera d’ailleurs cette distinction en développant le concept d’immanence15, c’est-à-dire les façons dont une œuvre peut consister en un objet. L’objet d’immanence d’une œuvre autographique est matériel et possède une identité numérique (ce tableau), tandis que l’objet d’immanence d’une œuvre allographique est idéal (je ne possède pas tel roman mais un livre me permettant de le lire). Telles sont les questions que Benjamin rencontrera lors de son passage dans les radios de Francfort et Berlin et qui détermineront sa réflexion sur la reproductibilité.
3. 1927-1933 : « Am Mikrofon: Dr. Walter Benjamin »
1. Les chemins de la radio
13Bien que Benjamin ne semble y attacher que peu d’importance, sa pratique de la radio ne peut-elle pas se concevoir comme le foyer de plusieurs influences déterminantes ? Au-delà d’un simple moyen économique de subvenir à ses besoins, n’est-elle finalement pas l’épanouissement d’expériences et de réflexions capitales des chemins de sa pensée ?
a. Tragédie universitaire et féeries radiophoniques
14C’est, dans un premier temps, l’échec de son habilitation à l’université de Francfort qui conduit Benjamin à intervenir sur les ondes. En effet, sa thèse sur L’Origine du drame baroque allemand16 reçoit un accueil des plus hésitants. N’ayant accepté qu’avec réticence la responsabilité de l’habilitation de Benjamin, Hans Cornelius, alors directeur du département d’Esthétique, se heurte à l’obscurité de ce travail sur le Trauerspiel – le théâtre baroque. Ayant prié Benjamin de synthétiser sous la forme d’un bref exposé l’aboutissement de ses recherches, Cornelius se voit remettre un texte qui ne fait que confirmer ses premières impressions. Dans l’appréciation qu’il adresse à l’université en février 1925, ce dernier fait part de son incapacité à restituer le sens des recherches de Benjamin par suite de l’imprécision du vocabulaire, et ce même s’il y reconnaît la quantité de matériaux historiques réunis avec soin et pertinence. Cependant, aucun apport théorique précis ne se dégage, selon lui, du travail présenté. Afin de se tirer d’une situation aussi délicate, Cornelius transmet à Max Horkheimer l’exposé de Benjamin, qui jugera également ce travail de manière négative. Réuni au mois de juillet 1925, le conseil de la faculté prie Benjamin de renoncer à son habilitation tout en précisant qu’au cas où il ne tiendrait pas compte de cet avertissement, il ne recevrait pas le titre de docteur. Benjamin s’exécutera sur-le-champ, préférant préserver son titre universitaire.
15Les raisons objectives de ce refus sont néanmoins compréhensibles : la thèse de Benjamin se trouve aux antipodes des travaux classiques d’habilitation. Gershom Scholem confiera d’ailleurs à ce propos qu’il y « a peu de pages dans son œuvre littéraire qui méritent ce reproche [d’incompréhensibilité] autant que ladite introduction17 ». La thèse présentée par Benjamin ne s’inscrivait dans aucune discipline précise, d’où l’hésitation de l’université à classer ce travail en germanistique ou en histoire de l’art dont dépendait l’esthétique.
16Cet échec humiliant, et surtout matériellement désastreux, retire à Benjamin tout espoir de carrière universitaire et va coïncider avec la détérioration croissante de ses conditions d’existence18. Hormis la rédaction d’une chronique régulière dans la Literarische Welt et la traduction d’Anabase de Saint-John Perse, rien ne lui permet de sortir de ce qu’il appelle « la collusion profondément affligeante des projets littéraires et économiques19 ». Suite à l’échec de son habilitation, Benjamin songe dans l’immédiat à poursuivre des études sur la beauté des contes pour enfants, à réaliser une anthologie thématique de légendes et de contes populaires allemands, qui conduiraient à une théorie de l’interprétation à partir « de l’essence langagière de la légende20 ». Un tel élément est d’autant plus significatif qu’il est à rapprocher à la volonté de collaborer à la radio de Francfort – la radio pour laquelle il écrira à partir de 1929 des contes radiophoniques à destination de la jeunesse – dont fait part Benjamin à Scholem le 19 février 1925 : « Je viens […] d’offrir mes services pour la rédaction d’un périodique de radio […]. Tous les universitaires radotent ici21. » Ami de longue date de Benjamin, Ernst Schoen, directeur des programmes de la Südwestdeutschen Rundfunk A. G. de Francfort, va ainsi permettre à ce dernier d’expérimenter un nouveau champ de création littéraire tout en lui permettant de subvenir à ses besoins : « Les quelques années d’aisance relative que [Benjamin] connut après l’échec de ses projets universitaires et l’avènement du fascisme, remarque Adorno, il les doit en grande part à la solidarité de Schoen qui lui offrit […] la possibilité d’une collaboration fréquente et constante22. »
17Durant les années 1920, le parcours philosophique de Benjamin semble ainsi placé sous le signe de l’inquiétude et de l’instabilité : comment ne pas considérer comme paradoxal, voire contradictoire, son souhait de passer d’une étude sur le Trauerspiel à une activité de journaliste radiophonique ? Cette apparente incohérence pourrait peut-être se clarifier si nous revenions brièvement sur les questions abordées dans sa thèse sur l’Origine du drame baroque allemand. Dans celle-ci, la position benjaminienne consiste en une critique de la conception romantique de l’art en vertu de laquelle toute œuvre d’art renvoie à l’Idée d’art, l’universalité de cette dernière étant l’infini. C’est en opposition à cette conception de l’art que l’œuvre d’art baroque constitue, pour Benjamin, l’origine de la modernité. Si le baroque dénude le réel, l’allégorie va mettre en question ce qui enveloppe l’art, le beau, le voile et le mystère. Autrement dit, le baroque anticipe et préfigure le passage de la valeur cultuelle de l’art à sa valeur d’exposition. Dès lors, nous comprenons mieux l’attitude de Benjamin. En explorant les nouvelles possibilités offertes par le médium radiophonique, il va retrouver les questions esthétiques caractéristiques d’une modernité dont il s’efforce d’être l’« archéologue ».
b. Usages brechtiens du microphone
18La rencontre avec Bertolt Brecht en 1924, lequel devient son proche ami, semble avoir joué un rôle fondamental dans la pratique radiophonique de Benjamin. L’œuvre du dramaturge sert ici encore de référence permanente. Pour le philosophe comme pour Brecht, la radio serait un moyen d’intervenir dans l’actualité23. La conception brechtienne du théâtre épique et didactique détermine également la fonction que Benjamin assigne à la radio. Ce dernier semble, sur ce point, avoir nourri à l’égard des possibilités culturelles du nouveau médium un optimisme que ne partageait pas Brecht, qui en attendait « quelque chose de vraiment démocratique », capable de cerner les événements réels :
« L’homme qui a quelque chose à dire se désole de ne pas trouver d’auditeurs, mais il est encore plus désolant pour des auditeurs de ne trouver personne qui ait quelque chose à leur dire24. »
19Préconisant des « débats contradictoires entre grands spécialistes » mais aussi la création d’œuvres – théâtrales, musicales – écrites spécifiquement pour la radio, Brecht évoquait même l’expérimentation du « roman radiophonique ». Revenant sur ces thèmes dans un écrit de 1930, il envisagera une union insolite de l’art et de la radio au sein de « projets didactiques ». Partant du principe qu’« il ne faut pas approvisionner la radio, mais la changer25 », Brecht assigne aux pièces didactiques radiophoniques la mission de favoriser la révolte de l’auditeur et sa transformation en producteur.
20Quant au « Discours sur la fonction de la radio26 » (1932), Brecht y radicalise les remarques critiques formulées dans ses essais antérieurs. À la radio « substitut du théâtre, de l’opéra, du café-concert, des pages locales de la presse », simple appareil de distribution, il oppose sa transformation en « appareil de communication », capable de susciter de vraies discussions, d’évoquer la vie de chacun, les débats au Reichstag ou l’augmentation du prix du pain. Une telle radio n’éduquera pas seulement le public, elle le rendra éducateur. Brecht prévoit même que « l’application à la radio des travaux théoriques de la dramaturgie moderne, c’est-à-dire de la dramaturgie épique, donnerait des résultats extraordinairement féconds27 ». Comme pour Benjamin, le style de la radio semble à Brecht extrêmement proche du style épique. Mais le projet politique qu’il formule – ébranler sa base sociale, l’arracher des mains d’une minorité, la mettre aux mains des dominés –, projet que Brecht reconnaît incompatible avec la société existante, contraste tragiquement en cette année 1932 avec la réalité politique qui va rapidement asphyxier cet espace de liberté et de création que la radio avait connu sous la république de Weimar.
21Les idées exprimées par Brecht sont symptomatiques des rêves que fait naître la radio au tournant des années 1920-1930. Ces idées sont inséparables de celles que Benjamin exprimera dans ses essais sur la reproduction (L’auteur comme producteur) et que Brecht a formulées à propos du théâtre épique. Loin de mépriser la radio ou de sombrer dans un fétichisme de la technique, Brecht, tout comme Benjamin, voit dans ce médium un moyen révolutionnaire de modifier le rapport du public à la culture, à la politique, à la vie quotidienne si on transmet à travers elle un savoir vivant et critique.
c. Éducation prolétarienne et théâtre pour enfants
22L’année 1924 représente un véritable « tournant » philosophique et politique dans le parcours intellectuel de Walter Benjamin. À l’origine de celui-ci, on trouve une rencontre. Alors qu’il séjournait à Capri pour assister à un congrès international de philosophie, il fait la connaissance d’une « Lettone, bolchevique, de Riga, qui fait du théâtre et de la mise en scène », la qualifiant de « personne la plus remarquable28 ». Cette jeune femme, Asja Lacis29, jouera, malgré l’hostilité d’une certaine partie de l’entourage de Benjamin30, un rôle décisif dans sa vie et son évolution politique – notamment en lui permettant de rencontrer Brecht –, à tel point qu’il lui dédiera, en 1928, Sens unique31. Conquise par les idées bolcheviques, Asja Lacis avait associé, dès l’adolescence, ses convictions politiques et sa pratique artistique, marquée par les mises en scènes de Vsevolod Meyerhold et les pièces futuristes de Vladimir Maïakovski. À partir de 1918, à Orel, elle s’efforça notamment de réintégrer à la vie collective des enfants orphelins ou abandonnés, devenus pour la plupart délinquants, au moyen du théâtre. C’est justement l’évocation par la jeune femme des principes de ce théâtre prolétarien pour enfants qui suscitera un vif enthousiasme chez Benjamin.
23Il accorde, tout d’abord, la plus grande valeur au fait que l’enfance prenne sa place dans le mouvement communiste, mais non en se soumettant à des objectifs déterminés par les adultes : l’enfant doit être en mesure de se réaliser pleinement comme tel, l’idéologie étant mise à distance. Dès lors, l’apprentissage devient le processus au terme duquel l’enfant s’épanouit sur scène, et devient capable d’actions et de gestes qui lui permettent ainsi d’acquérir une véritable autonomie. Lorsqu’en 1918, Asja Lacis expérimente son atelier théâtral à Orel, elle se propose de ramener à une vie commune deux catégories d’enfants : les uns apathiques, sous le coup du choc de la guerre ; les autres agressifs, ces « besprisorniki » que l’on présente généralement comme sauvages et violents. En travaillant avec eux sur une pièce de Meyerhold dans laquelle, de façon caractéristique, un vilain garçon tartare nommé Alinur offense sa mère et malmène ses jeunes amis, Lacis promeut une activité ludique et éducative qui ne sépare pas l’entente sociale de la productivité individuelle et collective, ni celle-ci de l’improvisation. C’est à partir de cette pratique novatrice du théâtre que Benjamin rédige son « Programme pour un théâtre d’enfants prolétarien32 », en le destinant au mouvement communiste berlinois des années 1930 qui tente de développer une contre-culture offensive dont les techniques d’agit-prop33 constituent un élément. Sensible aux nouvelles formes pédagogiques, Benjamin puise dans l’engagement de Lacis une profonde inspiration en matière d’éducation communiste. Celle-ci inclut solidarité, polyvalence, spontanéité, sans oublier une certaine « praxis politique du communisme [entendue comme] conduite qui engage34 ». Cette influence de la pédagogie communiste se retrouve d’ailleurs dans un compte rendu de l’ouvrage d’Edwin Hoernlé L’éducation bourgeoise et l’éducation prolétarienne35 que publie Benjamin durant la même période, et dans lequel il insiste sur une nouvelle universalité à venir, « non pas humaniste et contemplative, écrit-il, mais active et pratique ; l’universalité de la disponibilité (das Bereitsein)36 ».
24Néanmoins, il s’en faut de beaucoup que Benjamin soit devenu « marxiste ». Les rapports que le philosophe entretient avec cette doctrine sont particulièrement difficiles à cerner. S’il est indéniable qu’à partir de 1924 il se sent concerné par la perspective d’un « communisme radical », sa connaissance des écrits de Karl Marx ou de Lénine reste limitée : hormis quelques textes de l’auteur du Capital, la lecture benjaminienne de thèses marxistes se restreint à certains textes de Georg Lukács (Histoire et conscience de classe), Friedrich Engels, Rosa Luxembourg, Nikolaï Boukharine, ou bien encore Léon Trotsky. C’est moins la théorie officielle communiste que la pratique qui intéresse Benjamin. De même, ce n’est pas tant le rapport infrastructure-superstructure qui lui importe, mais la possibilité, à travers le marxisme, d’une critique plus vaste de la pensée bourgeoise activée durant les Lumières, triomphante à l’ère du développement industriel, et à laquelle le marxisme institué n’allait pas suffire. Autrement dit, dans un contexte politique de plus en plus désespéré comme l’était celui de Weimar, le communisme apparaît à Benjamin comme la seule voie permettant le renversement de l’ordre bourgeois. Pour autant, cette prise de conscience politique n’aboutira jamais à une adhésion au parti communiste, et ce, même s’il fut à plusieurs reprises tenté de le faire.
25La théorie marxiste, qui influencera également de manière notable ses écrits esthétiques sur la reproductibilité de l’œuvre d’art, ne va donc pas laisser indemne la conception benjaminienne du médium radiophonique. Transformer cet outil de divertissement en véritable moyen de communication populaire, permettre aux dominés une réappropriation du médium, expérimenter une pédagogie novatrice issue des travaux d’Asja Lacis et Edwin Hoernlé à l’égard des jeunes auditeurs, proposer un renouveau de l’émission culturelle à la radio sont autant de chemins possibles que Benjamin s’efforcera d’emprunter. Toutefois, c’est à partir d’une pratique singulière de ce qu’il nomme « communisme radical » et d’une relecture des thèses marxistes que Benjamin va redéfinir la production au sein du médium radiophonique.
2. Les travaux radiophoniques de Benjamin : un difficile inventaire
26Délicate tentative que celle de vouloir répertorier les écrits radiophoniques de Walter Benjamin. Si ce dernier est pourtant bien connu pour avoir fait l’inventaire de presque tout ce qu’il possédait ou avait lu, il en va différemment de ses émissions. Ni Benjamin37, ni Adorno, pourtant premier éditeur de son œuvre posthume, ni même Rolf Tiedemann, le coéditeur des Gesammelte Schriften chez Suhrkamp, n’ont réalisé d’inventaire de ses interventions sur les ondes. C’est la raison pour laquelle nous suivrons les indications proposées par l’ouvrage minutieux de Sabine Schiller-Lerg, Walter Benjamin und der Rundfunk38, ainsi que celles, plus récentes, de Thomas Küpper et Anja Nowak39, responsables de l’édition des œuvres complètes consacrées au parcours radiophonique de Benjamin.
27L’étroite collaboration de Benjamin avec les stations allemandes couvre quatre années pleines. Sa première intervention a lieu le 23 mars 1927 sur les ondes de Francfort. Consacré aux jeunes poètes russes, le script de ce programme a malheureusement été perdu ou détruit mais il est tout à fait possible de penser qu’il reprenait en grande partie les observations que Benjamin avait publiées à la suite de son séjour moscovite, dans son article dédié à la « Nouvelle poésie en Russie40 ». Dans une lettre adressée le 15 mars 1927 au philosophe Martin Buber, Benjamin insiste sur le travail que réclame cette première intervention : « Le 23, je parlerai à la radio de Francfort de la nouvelle littérature russe et j’ai encore beaucoup à travailler sur cet exposé41. » Un silence de plus de deux années sépare cette première expérience des autres occasions qui seront données au philosophe de s’adresser aux auditeurs allemands. Entretemps, son épouse Dora Sophie Kellner donnera, les 23 et 30 janvier 1928, deux conférences à la radio de Berlin consacrées à la psychologie enfantine42. À vrai dire, le parcours radiophonique de Benjamin ne débute véritablement qu’au mois d’août 1929 et prendra brutalement fin en 1933, quelques jours avant la nomination d’Adolf Hitler au poste de chancelier du Reich. Durant l’année 1929, Benjamin produit treize émissions. Les deux années suivantes seront très certainement les plus intenses avec la réalisation de trente-sept émissions en 1930 et vingt-et-une en 1931. À partir de 1932, les interventions du philosophe sur les antennes de Berlin et Francfort se font moins fréquentes (treize émissions en 1932 puis deux seulement, en janvier 1933), et ce en raison, d’une part, de la restructuration globale du système radiophonique allemand, et d’autre part, de l’arrivée des nazis au pouvoir. On dénombre ainsi près de quatre-vingt-dix émissions réalisées par Benjamin entre 1927 et 1933. Impossible donc de le considérer comme un intervenant occasionnel au sein des programmes radiophoniques allemands.
28Au sein de ce parcours, deux principales catégories de réalisations43 sont à distinguer. On note, d’une part, les émissions littéraires durant lesquelles le philosophe officie en tant que journaliste-chroniqueur. Pour rappel, la première intervention de Benjamin sur les ondes se fait lors d’une émission littéraire consacrée aux jeunes poètes russes et diffusée le 23 mars 1927. Ces programmes radiophoniques ne sont, pour la plupart, que la simple transposition et adaptation de formes littéraires aux contraintes exigées par le médium sonore. Toujours est-il que nous pouvons dénombrer près d’une trentaine d’émissions littéraires réalisées par Benjamin parmi lesquelles on trouve aussi bien des lectures de nouvelles, des conférences consacrées à des écrivains célèbres, des entretiens et des émissions de critique littéraire. D’autre part, Walter Benjamin s’attelle à créer des genres radiophoniques et expérimente alors, de façon radicalement nouvelle, avec le matériau sonore. En tant que Hörspielmacher, Benjamin écrit et produit une trentaine de contes radiophoniques pour enfants, rassemblés en partie sous le nom de Lumières pour enfants44, quatre Hörspiele (pièces radiophoniques expérimentales) pour adultes et enfants, mais aussi plusieurs Hörmodelle (modèles radiophoniques) dont deux seulement seront diffusés en 1931, sans oublier les Funkspiele (jeux radiophoniques) qui se limiteront à une seule et unique émission en 1932.
3. La voix perdue de Walter Benjamin
29De Benjamin, nous connaissons la silhouette corpulente au sourire affable. Ce visage rond aux cheveux grisonnants et taillés en brosse, affublé de petites lunettes cerclées de métal, que nous donnent encore à voir les photographies de Gisèle Freund et de Jean Selz, et dont Georges Bataille disait très justement qu’il ressemblait à celui d’un « enfant à qui l’on aurait collé des moustaches45 ». L’écriture « minuscule et pointue » de Benjamin nous est également bien connue, celle-là même que renferment ses innombrables carnets de notes, dans lesquels il aimait à dresser l’inventaire de ses collections de cartes postales, de jouets et de livres pour enfants. Mais il en va tout autrement de sa voix. Comble du sort ou geste ultime de liberté, le dispositif radiophonique n’est pas parvenu, semble-t-il, à capturer la moindre de ses paroles. Une mince consolation peut être trouvée dans les brefs échos que ses amis en ont gardés. Ces témoignages sur la voix aujourd’hui éteinte de Benjamin laissent entrevoir chez ce dernier un orateur hors pair, dont la maîtrise de l’art de la parole aurait été comme magnifiée par les ondes. Un talent exceptionnel décelé très tôt par Gershom Scholem. En 1913, les séances du « Club des débats » auquel les deux amis participaient activement avaient été pour Benjamin le lieu d’une initiation, voire d’une révélation, quant à la pratique de l’art oratoire. Aux dires de Scholem, la « grande intensité » et l’aisance avec lesquelles son ami s’exprimait contrastaient avec la façon singulière qu’il avait de détourner son regard du public venu l’écouter. Lors de ses interventions, Benjamin préférait, disait-il, « se concentrer en permanence [sur] un coin du plafond de la salle » comme si son « auditeur [était] bizarrement placé à cet endroit46 ». Sans doute y avait-il déjà en germe chez lui ce désir de s’abstraire du corps pour ne devenir qu’une voix, un désir qui préfigurait la fameuse « écoute aveugle » mise au jour, une décennie plus tard, avec l’invention de la technique radiophonique. « Quand on veut entrer au pays des voix, il faut se faire modeste, se dépouiller de toute parure et de toute beauté extérieure, si bien qu’il ne subsiste de vous que la voix47 », allait écrire par la suite Benjamin dans l’une de ses émissions.
30Collectionneur d’histoires et de contes de fées, Benjamin savait bien de quelle manière exprimer une idée et la faire « en quelque sorte jouer entre les lèvres et la bouche » pour en restituer « toute la force48 », se souvient Stéphane Hessel. C’est peut-être d’ailleurs cette façon de parler, proche de celle, selon Adorno, d’un « joueur de poker49 », qui a peut-être permis à Benjamin d’occuper la place de conteur radiophonique pour enfants et adolescents. « Par le pouvoir de ses mots, disait encore Adorno, tout ce qu’il touchait devenait radioactif50 ». Qu’il s’agisse d’adultes ou d’enfants, Benjamin accordait en effet une grande importance à l’usage qu’il faisait de langue allemande ; comme le remarque Adrienne Monnier dans son portrait : « La parole […] était pour lui une chose importante qu’il soignait presque autant qu’une écriture51. » C’est d’ailleurs avec une exigence similaire que Benjamin préparait ses interventions sur les ondes, n’hésitant pas à annoter jusqu’à la dernière minute ses textes tapés à la machine.
31Reste toutefois la douloureuse et énigmatique absence de la voix de Benjamin. À ce jour, aucun enregistrement de ses prises de parole ne semble avoir été conservé ou identifié comme tel. Ce silence s’avère d’autant plus redoutable lorsqu’on mesure la fréquence de ses interventions sur les stations allemandes : sur près de quatre-vingt-dix émissions diffusées, Benjamin se serait exprimé à plus de soixante reprises. Pour autant, le doute demeure quant au contenu des deux seules archives sonores dont nous disposons actuellement, en raison, principalement, du témoignage apporté en 2011 par Stéphane Hessel. Lors d’un entretien pour France Culture, le fils de l’écrivain et ami de Benjamin Franz Hessel a déclaré avoir formellement reconnu la voix de celui-ci après avoir écouté les fragments de la pièce radiophonique « Charivari autour de Kasperl » (enregistrée et diffusée à Cologne le 9 septembre 1932). Selon lui, le philosophe aurait subtilement modifié sa voix pour incarner le personnage principal de l’émission – le seul d’ailleurs pour lequel aucun nom de comédien n’a été donné par la presse radiophonique de l’époque. Or, malgré la précision et l’assurance de Stéphane Hessel, la plupart des spécialistes germanophones restent réservés sur le sujet, avançant, d’une part, l’accent bavarois de la voix de Kasperl qu’aurait été incapable d’imiter, selon eux, Benjamin, et d’autre part, le fait que ce dernier n’aurait pas participé à la mise en ondes de Cologne52.
32Mais tout espoir n’est pas perdu. La voix de Walter Benjamin pourrait avoir été enregistrée lors de lectures radiophoniques des œuvres de l’écrivain Robert Walser. Au cours de ses recherches, l’historien Gregor Ackermann a découvert qu’en raison de l’état de santé de Walser, alors interné dans une clinique psychiatrique, Benjamin avait été invité par la station de Francfort à le remplacer au pied levé dans le cadre d’un programme consacré à son œuvre53. Une recherche en ce sens parmi les archives de la radio allemande pourrait donc être menée, et, qui sait, s’avérer concluante. Dans l’ouvrage qu’il consacre à Benjamin, Bruno Tackels n’hésite pas à lancer un « appel international » : « Recherchons toute trace, tout signe, tout document qui permettra de faire entendre sa voix54. » Espérons, comme nous y invite Tackels, que l’on puisse retrouver, dans un proche avenir, inscrites dans les sillons d’un vieux disque, quelques phrases prononcées par celui dont Werner Kraft disait qu’il se distinguait par une « façon extatique de présenter les choses55 ».
4. État de la recherche
33La réception des œuvres radiophoniques de Walter Benjamin est pour le moins hésitante, et ce aussi bien en France que de l’autre côté du Rhin. Si aucune étude francophone n’avait encore été consacrée jusqu’ici à ce sujet – exception faite des articles de Jean-Marc Lachaud56 et Mathilde Lévêque57, et des chapitres rédigés par Jean Lacoste58, Jean-Michel Palmier59, et Bruno Tackels sur la question –, on ne dénombre guère plus de publications dédiées à l’étude des réalisations radiophoniques de Benjamin outre-Rhin. Sabine Schiller-Lerg est la première universitaire à avoir analysé précisément les rapports entretenus par le philosophe avec la radio. Publiée en 1984, sa thèse intitulée Walter Benjamin und der Rundfunk (Walter Benjamin et la radio) constitue, en effet, un travail de recherche pionnier en la matière. En soulignant pour la première fois l’importance du travail radiophonique du philosophe, la thèse de Sabine Schiller-Lerg a contribué, dans une certaine mesure, à inciter les chercheurs à repenser l’expérience que fit Benjamin dans les stations de Berlin et Francfort, souvent considérée à tort comme un simple travail alimentaire. Ce travail érudit et fouillé a d’ailleurs permis d’attirer l’attention des spécialistes anglophones de l’œuvre benjaminienne. Ainsi, on doit à Jeffrey Mehlman la première étude américaine sur le parcours radiophonique du philosophe allemand60. Les recherches de Schiller-Lerg ont permis d’approfondir l’analyse amorcée quelques années plus tôt par Reinhard Döhl61, Christian Hörburger62 et Helmut Heissenbüttel63. Plus récemment, un certain regain d’intérêt pour les émissions du philosophe allemand a pu être observé. En Italie, tout d’abord, avec l’ouvrage de Giulio Schiavoni Walter Benjamin. Il figlio della felicità64, dans lequel l’auteur propose une mise en lumière des Illuminismo per ragazzi (Lumières pour enfants) à travers le prisme de la narration. Outre-Atlantique, citons notamment ceux de Lecia Rosenthal65, à qui l’on doit également la première édition en anglais des écrits radiophoniques66, Nicola Gess67, Brian Hanrahan68, Melissa Dinsman69, Tom Wilkinson70, Daniela Caselli71, Tyson E. Lewis72, ou bien encore Robert Ryder73. Enfin, il convient de souligner le travail remarquable réalisé en 2017 par Thomas Küpper et Anja Nowak74, directeurs de la publication, sous une forme entièrement revue et augmentée, de l’ensemble des textes radiophoniques de Walter Benjamin. Publiés chez Suhrkamp dans le cadre des œuvres complètes du philosophe, les deux volumes qui composent cette édition constituent actuellement la référence la plus précise sur le sujet, en proposant notamment un appareil critique extrêmement détaillé sur l’origine et le contexte de rédaction des émissions de Benjamin. Le lecteur francophone, quant à lui, trouvera dans les recueils Lumières pour enfants75, Écrits radiophoniques76 et Sur la littérature. Inédits radiophoniques77, l'intégralité des textes mis en ondes par le philosophe allemand.
Notes de bas de page
1 Les historiens s’accordent pour désigner, sous ce nom, la période couvrant les années 1918 à 1933 en Allemagne, marquée notamment par de nombreux conflits sur le plan politique et un véritable bouillonnement dans le champ culturel et artistique. Ce dernier sera analysé plus longuement dans le chapitre suivant.
2 Si Benjamin emploie le terme de « fascisme », son analyse concerne toutefois plus spécifiquement le national-socialisme.
3 Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », in : id., Œuvres, t. III, Paris, Gallimard, 2004 [1936], p. 313.
4 Walter Benjamin, Sens unique, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988 [1928], p. 227.
5 Walter Benjamin, « Théories du fascisme allemand », in : id., Œuvres, t. II, Paris, Gallimard, 2005, p. 201.
6 Walter Benjamin, « André Gide et son nouvel adversaire », in : id., Œuvres, op. cit., t. III, p. 152-169.
7 Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », op. cit., p. 314.
8 Ibid., p. 316.
9 Ibid., p. 315.
10 Voir sur ce point : Carolyn Birdsall, Nazi Soundscapes: Sound, Technology and Urban Space in Germany, 1933-1945, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2012. Voir également : Martin Kaltenecker, « “What Scenes! What Sounds!” Some Remarks on Soundscapes in Wartimes », in : Étienne Jardin (dir.), Music and War in Europe from the Napoleonic Era to WW1, Turnhout, Brepols, 2016, p. 3-26.
11 Cité in : Murray Schafer, « Radical Radio », in : Dan Lander et Micah Lexier (dir.), Sound by Artists, Toronto, Art Metropole et Walter Phillips Art Gallery, 1990, p. 208.
12 Voir sur ce point : Pierre Rival, Ezra Pound en enfer, Paris, L’Herne, 2019.
13 Benjamin a passé deux mois à Moscou, du 6 décembre 1926 aux derniers jours de janvier 1927, pendant lesquels il tente de séduire Asja Lacis, directrice de théâtre lettone. Les observations et réflexions de Benjamin sont réunies dans son Journal de Moscou, publié dans la foulée de son séjour. De l’aveu de Gershom Scholem qui en signe la préface, « c’est incontestablement le document de loin le plus personnel, complètement et impitoyablement sincère, que nous possédions sur une tranche importante de sa vie ». Ce que Benjamin retient de son séjour moscovite, c’est avant tout « son rythme, son expérience du temps tel que les hommes la vivent là-bas ». Les impressions qu’il consigne dans son Journal rapportent ainsi certaines scènes révélatrices du contexte politique et culturel de la Russie communiste d’alors : les différents aspects de l’activité de colportage, très présente dans les rues, la persistance de la mendicité, le culte voué à Lénine, la beauté des jouets exposés dans les musées, les conditions de travail dans les usines ou bien encore la crise du logement. Sensible à l’accueil que réserve les Russes à leurs auteurs de théâtre, Benjamin tente de mesurer l’enjeu que représente la mise à disposition pour tous des richesses culturelles. Contrairement à d’autres intellectuels allemands, Benjamin ne témoigne pas d’une grande ferveur pour la réalité soviétique, dont il n’hésite d’ailleurs pas à qualifier l’avenir d’« incertain ».
14 Nelson Goodman, Langages de l’art : une approche de la théorie des symboles, traduit par Jacques Morizot, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1998, p. 153.
15 Gérard Genette, L’œuvre de l’art. Immanence et transcendance, Paris, Seuil, 1994.
16 Walter Benjamin, Origine du drame baroque allemand, traduit par Sylvie Muller, Paris, Flammarion, 1985.
17 Gershom Scholem, Walter Benjamin…, op. cit., p. 146.
18 L’été 1925 représente pour Walter Benjamin le début d’une « prolétarisation » de son existence : il n’a aucun revenu fixe et dépend toujours de ses parents ; par ailleurs, l’éditeur Littauer avec lequel il avait conçu différents projets et qui lui versait des avances fait faillite.
19 Walter Benjamin, Correspondance, op. cit., t. I, p. 349.
20 Ibid., p. 360.
21 Ibid., p. 341 sq.
22 Theodor W. Adorno, Sur Walter Benjamin, traduit par Christophe David, Paris, Allia, 1999, p. 59.
23 Voir sur ce point : Philippe Baudouin, « Brecht et Benjamin au microphone : une approche esthétique du théâtre radiophonique », Théâtre/Public, n° 199 « Dire l’acoustique », 2011, p. 72-78.
24 Bertolt Brecht, « Discours sur la fonction de la radio », in : id., Écrits sur la littérature et l’art, t. I « Sur le cinéma », Paris, L’Arche, 1970, p. 129.
25 Bertolt Brecht, « Notes pour Vol au-dessus de l’océan », in : id., Écrits sur la littérature et l’art, t. II, Paris, L’Arche, 1976, p. 133.
26 Bertolt Brecht, « Discours sur la fonction de la radio », op. cit., p. 128-137.
27 Bertolt Brecht, « Notes pour Vol au-dessus de l’océan », op. cit., p. 129.
28 Walter Benjamin, Correspondance, op. cit., t. I, p. 318.
29 Voir sur ce point : Asja Lacis, Profession : révolutionnaire. Sur le théâtre prolétarien, Meyerhold, Brecht, Benjamin, Piscator, traduit par Philippe Ivernel, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1989, et Antonia Grunenberg, Walter et Asja. Une histoire de passions, traduit par Olivier Mannoni, Paris, Payot, 2022. Voir également : Bruno Tackels, « Portrait d’une amazone : Asja Lacis et les privés d’enfance », Strenæ, n° 16, 2020. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/4448.
30 Pour des raisons différentes, Scholem et Adorno vouaient à la jeune révolutionnaire une franche hostilité. Scholem la rendait responsable de l’abandon par Benjamin du projet d’émigrer en Palestine et d’avoir, à travers la séduction qu’elle exerçait sur lui, « converti » Benjamin au communisme. Adorno, qui nourrissait peu de sympathie pour ce « communisme radical », s’efforça de minimiser l’importance de leur relation. Dans Walter Benjamin. Histoire d’une amitié, Scholem discrédite les souvenirs laissés par Asja Lacis en leur déniant toute exactitude et qualifie leur relation, dans sa préface au Journal de Moscou de Benjamin, d’« infiniment problématique ». Quant à Adorno, il n’a pas hésité à supprimer en 1955 dans l’édition de Sens unique la dédicace de Benjamin à Lacis. Il mettra également en doute l’affirmation de Benjamin selon laquelle son portrait de Naples aurait été écrit en collaboration avec elle.
31 Walter Benjamin, Sens unique, op. cit.
32 Asja Lacis, Profession : révolutionnaire…, op. cit., p. 50-57.
33 Né après la révolution bolchévique de 1917, l’agit-prop est un terme issu du russe agitatsia-propaganda, qui renvoie d’abord à la mission de communication politique du Département d’agitation et de propagande créé en 1920 au sein du Parti communiste de l’Union soviétique. Pendant la guerre civile russe, l’art d’agit-prop se déploie principalement sous la forme de performances, avant de s’organiser grâce à un vaste réseau de théâtres, plus ou moins institutionnels, qui vont essaimer d’abord en Allemagne dans les années 1920, pour ensuite influencer de nombreuses troupes de théâtre en Europe, qu’il s’agisse du théâtre ouvrier en France ou du théâtre de propagande pendant la guerre civile espagnole.
34 Walter Benjamin, Correspondance, op. cit., t. I, p. 325.
35 Cet ouvrage a été traduit en français en 1933 et publié aux Éditions sociales internationales.
36 Walter Benjamin, « Une pédagogie communiste », in : id., Enfance. Éloge de la poupée et autres essais, traduit par Philippe Ivernel, Paris, Payot & Rivages, 2011, p. 140.
37 Dans une lettre qu’il adresse le 28 février 1933 à Scholem, Benjamin écrit : « Pour les autres desiderata de tes archives, à savoir mes travaux à la radio, moi-même n’ai pas réussi à les rassembler au complet » (Walter Benjamin, Correspondance, op. cit., t. II, p. 79).
38 Sabine Schiller-Lerg, Walter Benjamin und der Rundfunk, Munich, K. G. Saur, 1984.
39 Thomas Küpper et Anja Nowak (dir.), Rundfunkarbeiten, Berlin, Suhrkamp, 2017.
40 Walter Benjamin, « Neue Dichtung in Rußland », in : id., Gesammelte Schriften, t. II-2, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1972, p. 755-762.
41 Walter Benjamin, Gesammelte Briefe, t. III, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1966, p. 242. Nous traduisons.
42 Intitulées « L’enfant et le mensonge » et « L’enfant et la peur », ces deux émissions furent diffusées dans le cadre du cycle radiophonique « Questions et préoccupations féminines ». Voir sur ce point : Sabine Schiller-Lerg, Walter Benjamin und der Rundfunk, op. cit., p. 434.
43 Nous ne proposons ici qu’un bref état des lieux des travaux de Walter Benjamin pour la radio. Nous invitons notre lecteur à se reporter aux différents tableaux proposés en annexe 3.
44 Walter Benjamin, Lumières pour enfants, traduit par Sylvie Muller, Paris, Christian Bourgois, 2011.
45 Cité in : Jean-Michel Palmier, Walter Benjamin. Le chiffonnier, l’Ange et le Petit Bossu, Paris, Klincksieck, 2006, p. 342.
46 Gershom Scholem, Walter Benjamin…, op. cit., p. 12.
47 Walter Benjamin, Écrits radiophoniques, textes choisis par Philippe Baudouin et traduits par Philippe Ivernel, Paris, Allia, 2014, p. 26.
48 Ces propos ont été recueillis lors de l’enregistrement d’un reportage intitulé « Walter Benjamin à portée de voix » et diffusé dans l’émission Les Passagers de la nuit de Thomas Baumgartner, sur France Culture le 18 janvier 2011 (production par Philippe Baudouin, réalisation par Véronique Lamendour). L’écoute de ce document sonore est proposée en annexe 2 du présent ouvrage.
49 Theodor W. Adorno, Sur Walter Benjamin, op. cit., p. 70.
50 Ibid., p. 7.
51 Adrienne Monnier, « Un portrait de Walter Benjamin », in : Walter Benjamin, Écrits français, Paris, Gallimard, 1991, p. 261.
52 Bien que la pièce ait été diffusée pour la première fois sur les ondes de Francfort, cette version de Cologne est tout à fait différente : sa durée est plus courte, les comédiens ne sont pas les mêmes et la réalisation a été entièrement confiée à Carl Heil. Voir sur ce point : Éveline et Yvan Brès, Carl Heil, speaker contre Hitler, Paris, Les Éditions de Paris, 1994, p. 48-49. Voir également : Sabine Schiller-Lerg, Walter Benjamin und der Rundfunk, op. cit., p. 252-269.
53 Gregor Ackermann, « Walter Benjamin liest Robert Walser », Mitteilungen der Robert Walser–Gesellschaft, 14, 2007, p. 7-10.
54 Bruno Tackels, Walter Benjamin. Une vie dans les textes. Biographie, Arles, Actes sud, 2009, p. 303-304.
55 Werner Kraft, « Über Benjamin », in : Siegfried Unseld (dir.), Zur Aktualität Walter Benjamins, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1972, p. 59. Nous traduisons.
56 Jean-Marc Lachaud, « Walter Benjamin et la radio », Europe, n° 804, avril 1996, p. 90-101.
57 Mathilde Lévêque, « Voyage en “Stimmland” : les textes radiophoniques pour la jeunesse de Walter Benjamin », Strenæ, n° 1, mis en ligne le 15 juin 2010, consulté le 12 janvier 2022. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/86.
58 Jean Lacoste, L’aura et la rupture, Paris, M. Nadeau, 2003, p. 195-198. Dans un chapitre de cet ouvrage, intitulé « Les poèmes radiophoniques », l’auteur propose une réflexion brève mais lumineuse sur les émissions à destination des enfants que réalisa Benjamin au début des années 1930.
59 Jean-Michel Palmier, Walter Benjamin : le chiffonnier…, op. cit., p. 683-695. Dans cette véritable somme d’érudition, Jean-Michel Palmier consacre plus d’une dizaine de pages à l’expérience radiophonique de Benjamin.
60 Jeffrey Mehlman, Walter Benjamin for Children: An Essay on His Radio Years, Chicago, University of Chicago Press, 1993.
61 Radiodiffusé dans un premier temps, le texte de cette conférence fut revu et augmenté en vue d’un colloque de germanistes japonais en 1987 à Sengakuso, avant d’être publié et traduit en français en 2004, aux éditions Kimé : Reinhard Döhl, « Le travail radiophonique de Walter Benjamin », in : Claudia Krebs et Christine Meyer (dir.), Relais et Passages – Fonctions de la radio en contexte germanophone, Paris, Kimé, 2004, p. 73-106.
62 Christian Hörburger, Das Hörspiel in der Weimarer Republik. Versuch einer kritischen Analyse, Stuttgart, Heinz, 1975.
63 Helmut Heissenbüttel, « Walter Benjamin. Medientheorie », in : Klaus Schöning, Hörspielmacher. Autorenportraits und Essays, Königstein, Athenäum, 1983, p. 85-104.
64 Giulio Schiavoni, Walter Benjamin. Il figlio della felicità, Turin, Einaudi, 2001, p. 179-194. On doit également à G. Schiavoni la traduction italienne de Lumières pour enfants, parue en 1993 sous le titre Burattini, streghe e briganti. Illuminismo per ragazzi (Marionnettes, sorcières et brigands. Lumières pour les jeunes).
65 Lecia Rosenthal, Mourning Modernism: Literature, Catastrophe, and the Politics of Consolation, New York, Fordham University Press, 2011.
66 Lecia Rosenthal (dir.), Radio Benjamin, Londres, New York, Verso, 2014.
67 Nicola Gess, « Gaining Sovereignty: On the Figure of the Child in Walter Benjamin’s Writing », Modern Language Notes, vol. 125, no 3, 2010, p. 682-708.
68 Brian Hanrahan, « Radio and Child: Walter Benjamin as Broadcaster », LA Review of Books, n° 26, 2015. URL : https://lareviewofbooks.org/essay/radio-and-child-walter-benjamin-as-broadcaster.
69 Melissa Dinsman, Modernism at the Microphone: Radio, Propaganda, and Literary Aesthetics during World War II, Londres, Bloomsbury Academic, 2015, p. 28-32.
70 Tom Wilkinson, « Art History on the Radio: Walter Benjamin and Wilhelm Pinder, 1930/1940 », The Oxford Art Journal, vol. 39, n° 1, 2016, p. 49-66.
71 Daniela Caselli, « Attack of the Easter Bunnies: Walter Benjamin’s Youth Hour », Parallax, 2016, vol. 22, n° 4, p. 459-479.
72 Tyson E. Lewis, Walter Benjamin’s Antifascist Education: From Riddles to Radio, Albany, SUNY Press, 2020.
73 Robert Ryder, The Acoustical Unconscious. From Walter Benjamin to Alexander Kluge, Berlin, Boston, De Gruyter, 2022, p. 127-154. Voir également l’article que Ryder consacre au texte « À la minute » : « On the Minute – Out of Time: Reading the Misreading of Time in Walter Benjamin’s “Auf die Minute” (1934) », Germanic Review, vol. 91, n° 3, 2016, p. 217-235.
74 Thomas Küpper et Anja Nowak (dir.), Rundfunkarbeiten, op. cit.
75 Walter Benjamin, Lumières pour enfants, op. cit.
76 Walter Benjamin, Écrits radiophoniques, op. cit.
77 Walter Benjamin, Sur la littérature. Inédits radiophoniques, textes choisis par Philippe Baudouin et traduits par Marianne Beauviche, Paris, Payot, 2022.
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