Chapitre III
Un temps partiel diffusé en entretien
p. 113-155
Texte intégral
1Si le dispositif de cumul n’est évoqué qu’occasionnellement par les conseillers, ils enjoignent pourtant régulièrement les publics à réviser leurs souhaits temporels à la baisse, suivant le diagnostic qu’ils dressent en situation d’interaction. Ainsi, la promotion du temps partiel prend le plus souvent la forme de négociations bilatérales concernant les embauches, plutôt que de discussions financières autour du dispositif de cumul. Ce dernier autorise de telles transactions, car il prévient toute perte financière lors de la reprise d’un emploi dégradé ; mais il ne les motive guère.
2Les conseillers développent leurs propres argumentaires pour pousser certains individus vers le temps partiel. Quand ils reçoivent les chômeurs, ils tentent en effet de proposer des offres d’emploi acceptables et de rehausser l’intérêt des employeurs à l’égard de leurs candidatures. Cependant, ils n’ont aucun contrôle sur les offres elles-mêmes, qui dépendent du bon vouloir et des capacités des employeurs, susceptibles de se tourner vers un autre intermédiaire (exit) ou de les stipendier vigoureusement (voice), pour reprendre les modes de contestation d’Albert Hirschman (1970).
3Ce faisant, les conseillers mènent des opérations géométriques (sur les contours de la candidature de chaque chômeur) pour résoudre un problème arithmétique (le nombre de chômeurs excède celui des offres disponibles). Ce problème se pose dans les deux pays, mais de façon plus aiguë en France1. Aussi l’entretien est-il un moment d’action sur la personne du chômeur lui-même (Orianne 2005) : envoyer de bons signaux, attirer l’œil des recruteurs, correspondre à des offres vacantes… afin de transformer un surnuméraire, inutile au vu des besoins actuels de l’accumulation (Giraud 2015), en candidat attractif. Autant d’objectifs auxquels peut contribuer la recherche d’emploi à temps partiel. Paradoxalement, la dégradation de l’emploi recherché par les chômeurs témoigne du souci de les valoriser sur le marché, pour faire leur bien malgré eux. Le paternalisme « libéral » du dispositif de cumul n’a pas pris le pas sur le paternalisme « clinique » traditionnel (Barbot 2008).
4Dans cette perspective, les représentations des conseillers et leurs conditions d’activité multiplient les « rationnements du travail » (Vincens 1987) au sein des agences, c’est-à-dire une insistance à diminuer le nombre d’heures d’emploi hebdomadaire recherchées. Toutefois, ce processus de rationnement apparaît très ciblé : il touche les individus souvent convoqués en entretien et, parmi eux, ceux que les conseillers associent au salariat à temps partiel. Il s’agit, ainsi, des mères en Allemagne, de chômeuses prises en charge par une conseillère elle-même à temps partiel, ou encore des publics qui appartiennent à une catégorie statistique surexposée à un tel emploi. Ces trois logiques placent les femmes en première ligne. De manière informelle, l’institution d’intermédiation partage donc le marché de l’emploi entre statuts féminins et masculins. Ses agents assurent certes la démocratisation et la mixité de l’emploi, mais, au cours des échanges informels en entretien, ils demeurent susceptibles de renouveler la « ségrégation sexuelle des postes » (Fortino 1999).
5À côté de ces rationnements à caractère identitaire et largement genré, les conseillers s’efforcent également de rationner le temps d’emploi des individus qui évoluent dans un secteur en pénurie ou connaissent des difficultés financières écrasantes. En outre, lorsqu’ils exercent leur rôle de contrôleurs face à des individus passibles de sanctions, ils tentent d’alléger les conséquences de ces dernières en y substituant l’acceptation d’emplois dégradés, comme le temps partiel.
Le public du temps partiel
6Les conseillers reçoivent les chômeurs en entretien, afin d’actualiser leur profil informatique et de chercher avec eux une offre correspondante. Mais ces rendez-vous ont une fréquence variable : certains chômeurs les expérimentent tous les mois, d’autres n’ont posé le pied dans leur agence qu’une seule fois. Le classement administratif des chômeurs, après un tri initial (Benarrosh 2000), détermine la régularité avec laquelle leurs souhaits seront discutés.
7Les conseillers écartent ainsi les groupes peu prioritaires, ceux qui n’ont rien à y gagner et qui leur coûtent un temps précieux ; mais ils retiennent les publics susceptibles d’être aidés, accompagnés, soutenus ou valorisés par des entrevues régulières. Pour cela, ils s’appuient sur les protocoles et les règlements mis à leur disposition pour orienter les choix.
Les raisons du tri
8Les conseillers à l’emploi exercent un métier à base procédurale (Maurel 1998), qui exige de classer les chômeurs dans des bases de données. Différents outils leur imposent d’en passer par là. Le principal est l’outil de profilage, un répertoire de catégories administratives dans lequel les conseillers doivent positionner les chômeurs dès le premier rendez-vous.
9La catégorie choisie détermine le rythme de convocation et l’étroitesse du suivi administratif. Les conseillers concentrent leurs efforts sur les groupes dont ils présument qu’ils ont le plus besoin d’eux et allègent leur action sur les chômeurs présumés mieux placés. En imposant de recevoir intensément les personnes en difficulté, le profilage vise à limiter les effets d’« écrémage » et de « parcage », c’est-à-dire le délaissement des cas difficiles à traiter ou bien leur relégation vers des voies de sortie dégradées (Georges 2006).
10Les profils varient entre les 3 types d’agences, puisque Pôle emploi regroupe l’ensemble des chômeurs, tandis que l’Arbeitsagentur et le Jobcenter se les répartissent selon leur durée de chômage. Les usagers sont ainsi ventilés entre 8 profils au Jobcenter, 6 à l’Arbeitsagentur et 3 à Pôle emploi (tableau 8). Cette pratique a toutefois un double effet : classer les demandeurs d’emploi, puis développer la thérapeutique associée. Ainsi, les diagnostics sont posés par rapport aux ressources disponibles pour garantir un type de traitement. Lors d’arrivées massives, les profils les plus suivis sont attribués au compte-goutte, pour économiser du temps.
Tab. 8 – Profils administratifs des chômeurs
Institutions | Intitulés | Contenu |
Arbeitsagentur et Jobcenter | Profil de marché | Pas de difficulté particulière. Durée anticipée de chômage : 1-6 mois. |
Profil d’activation | Déficit en motivation. Durée anticipée de chômage : 1-6 mois. | |
Profil de support | Déficit en qualification, capacités ou conditions de vie. Durée anticipée de chômage : 1-12 mois. | |
Profil de développement | Deux besoins parmi : motivation, qualification, capacités ou conditions de vie. Durée anticipée de chômage : > 12 mois. | |
Profil de stabilisation | Besoins en capacités et motivation ou qualification ou conditions de vie. Durée anticipée de chômage : 1-12 mois. | |
Profil de soutien | Besoins en conditions de vie et deux autres éléments : motivation, qualification ou capacités. Durée anticipée de chômage : > 12 mois. | |
Profil I | Personne active professionnellement (essentiellement des travailleurs pauvres, s’ils sont éligibles à l’ALG 2 en dépit d’une activité). | |
Profil Z | Personne inactivable (seulement en Jobcenter). | |
Pôle emploi | Accompagnement suivi | Dématérialisé au maximum, concerne les individus proches du marché du travail et capables de rechercher de manière autonome. |
Accompagnement guidé | Niveau intermédiaire. | |
Accompagnement renforcé | Nécessite des entretiens réguliers en présentiel et une stimulation fréquente par les conseillers. |
N.B. : les intitulés de profil et leur contenu sont littéralement traduits depuis l’allemand.
11Ce tri formel est doublé d’une logique de tri informel. Celui-ci ne concerne pas les fréquences de rendez-vous, mais plutôt la durée pendant laquelle sont reçues les personnes et les modes de contact (en présentiel ou par téléphone, notamment). Ainsi, le profilage ne contraint pas l’ensemble des interactions et laisse une marge de manœuvre aux conseillers pour pondérer les cas.
Les méthodes du tri
12En quête d’indices, les conseillers dressent un diagnostic des chômeurs qui leur font face en une demi-heure environ – au maximum en trois quarts d’heure (Lavitry 2015 ; Hielscher et Ochs 2009). Pour identifier les besoins, ils les évaluent à l’aune de leur « employabilité ». Les conseillers utilisent eux-mêmes ce terme, qui désigne l’ensemble des capacités dont dispose une personne pour retrouver un emploi sur le marché (Erhel 2012). Toutefois, autour des individus « employables », que prisent les conseillers, gravitent des « suremployables » (en passe de retrouver un emploi) et des « inemployables » (jugés incapables d’être recrutés). Ces deux catégories de populations représentent un « sale boulot » (Hughes 1996, p. 81-82), une partie du travail dont ils se défont volontiers (figure 6).
Figure 6 – Le tri des chômeurs.

13Le groupe des suremployables concerne les individus totalement autonomes dans leurs démarches, inclus dans des réseaux professionnels, qui n’ont pas besoin de l’aide des conseillers. Pour les détecter de manière préfigurative, le ratio offre / demande dans le secteur concerné est un indice fondamental. Les publics qui ont le plus de valeur sur le marché, c’est-à-dire qui recherchent des offres nombreuses sur un secteur peu concurrentiel, sont systématiquement inscrits dans les profils les plus « autonomes ». Une développeuse informatique séquanodionysienne, un aide-ménager yvelinois ou une ouvrière spécialisée dans l’aciérie sarroise sont jugés dans une situation favorable pour retrouver un emploi. De même, les chômeurs positionnés sur un secteur dont les offres échappent au service public d’emploi sont systématiquement jugés « autonomes », pour la bonne raison que les conseillers ne sauraient les aider à intégrer le marché qu’ils visent faute d’informations sur celui-ci et de débouchés dans leur ordinateur. Cela concerne, par exemple, les chômeurs qui tentent d’intégrer une profession fermée ou soumise à concours, comme instituteur, médecin ou professeur d’université. Au cours des entretiens, l’évocation d’une date pour un prochain contrat pérenne constitue l’indice le plus courant et radical pour classer la personne comme suremployable et se concentrer sur d’autres. Aussi ces différents individus sont-ils peu convoqués et, lorsqu’ils le sont, leurs souhaits sont rarement discutés. Lorsqu’il découvre un tel demandeur d’emploi dans son dossier de chômeurs, Martin déclare ainsi : « les avocats qui viennent s’inscrire à Pôle emploi, moi ça me fait rire, qu’est-ce que tu veux que je leur propose d’intéressant ? Ils se débrouillent2 ! ». Ces propos sont récurrents en Arbeitsagentur et sur le site des Yvelines.
14À l’autre extrémité, les inemployables sont totalement coupés du marché de l’emploi, leurs difficultés sociales insurmontables dans l’immédiat. Chacun de ces individus est considéré comme « perdu » pour la politique de l’emploi, leur profil impossible à valoriser en dépit de tous les efforts envisageables. Certains indices préfiguratifs sont là aussi décortiqués, comme la durée du chômage ou les bilans de formation professionnelle, censés mettre en évidence la motivation et les capacités physiques ou mentales de la personne. Ils sont complétés par des indices interactifs, à chaud, qui concernent notamment les capacités orales et la santé des personnes. « Convoquer des alcooliques pour leur dire de se lever le matin, c’est sans doute une tâche sociale importante, mais ce n’est pas notre travail, tu vois. Moi, c’est du temps perdu, pour d’autres clients, donc on essaie d’identifier ces personnes et de les laisser tranquilles3 », souffle Avetis entre deux rendez-vous, après qu’un chômeur aux mains tremblantes est sorti du bureau. Cet écueil est notamment apparent dans le Jobcenter et sur le site de Pôle emploi de Seine-Saint-Denis.
15Au terme de ce tri préfiguratif et interactif, les conseillers circonscrivent un public avec lequel et sur lequel travailler : des personnes qu’ils peuvent valoriser grâce aux entretiens et qui ont besoin d’eux (Pillon 2017). Ceux-ci reçoivent dès lors des recommandations, des conseils ou des injonctions, qui concernent parfois le temps d’emploi. Néanmoins, le périmètre des « chômeurs valorisables » varie. Il dépend des critères d’évaluation locaux que développent les conseillers (Benarrosh 2006) et de leur territoire, suivant les flux d’emploi et les opportunités d’embauche qu’ils y identifient ou qu’ils y supposent (Pillon, Remillon et Tuchszirer 2019). Le « bon client » d’une agence n’est pas forcément celui de l’agence voisine. Mais ces pratiques professionnelles témoignent bien d’un resserrement de l’expérience du chômage sur la recherche d’emploi, critère central d’évaluation des publics.
« Elle va pas bosser à plein temps » : les bons clients du temps partiel
16Durant les entretiens, les conseillers recommandent à certains « bons clients » de consulter les offres à temps partiel. Recueillant leur consentement dans le cas des « accompagnants » ou satisfaits d’une incertitude dans le cas des « aiguilleurs », ils les invitent à modifier le profil de recherche d’emploi. Le temps partiel apparaît ainsi fermement inscrit dans des catégories de pensée produites et diffusées par les conseillers, qui jouent un rôle idéologique (Smith 1987).
17Les mères forment ainsi un groupe globalement associé au temps partiel, notamment dans les territoires où l’équipement collectif de prise en charge des enfants est lacunaire, comme la Sarre. En outre, certaines conseillères à temps partiel promeuvent le temps partiel auprès de femmes dont le destin social leur semble proche, notamment parmi les « retranchées ». À l’inverse, le reste des agents tend à mobiliser plutôt les statistiques de prévalence du temps partiel disponibles et mémorisées, pour rapprocher les personnes reçues de groupes cibles. Les trois processus comportent une dimension éminemment discrétionnaire, car ils dépendent surtout de l’appropriation de données statistiques par les conseillers, de leur attitude et de leur parcours personnel. Les identités du temps partiel concentrent essentiellement des chômeuses, érigeant les guichets en espace de rappel du caractère genré des statuts professionnels (Angeloff 2012).
La présomption maternelle
18La disponibilité est un aspect essentiel du statut des chômeurs, à côté de la recherche d’emploi. N’est accepté comme chômeur qu’un individu disponible, à la fois pour occuper un poste et pour répondre aux sollicitations bureaucratiques du service public d’emploi. Or, les politiques d’activation ont durci la vérification de la disponibilité des chômeurs sur le marché (Völker 2005 ; Parent 2014). Pour déterminer si l’individu est effectivement disponible, plusieurs indices sont recherchés. Un stigmate essentiel (Goffman 1975), particulièrement appuyé en Sarre mais observé à quelques occasions sur les 2 sites français, est celui de la maternité. Il est matérialisé par des situations d’état civil, les propos de la personne reçue ou des objets (comme venir en entretien avec un landau). Les jeunes mères sont ainsi jugées régulièrement éligibles au temps partiel, au nom de leur disponibilité réduite (Maruani 2011) – présumée ou constatée.
19Cette présomption maternelle révèle souvent des « conventions de genre » (Letablier 2000), c’est-à-dire un accord tacite entre les interlocuteurs sur le rôle social des femmes et des hommes. On l’aperçoit notamment dans les espaces les plus bas des organismes allemands, à savoir l’accueil. Les personnels doivent orienter les personnes en quelques dizaines de secondes, n’ont pas de formation concernant l’intermédiation et tentent de créer des moments de bienveillance. Les femmes qui arborent des signes de maternité, ostensibles et sans information complémentaire, sont alors couramment associées au temps partiel, sans susciter plus de polémique. Dans l’exemple suivant, une usagère d’une vingtaine d’années se rend à l’agence avec une poussette, ce que la conseillère traduit explicitement en potentiel problème de disponibilité horaire :
Usagère – [Elle tire une poussette avec elle, s’assoit.] Je voudrais m’inscrire comme chômeuse.
Anna – Très bien. Vous savez déjà combien de temps vous voulez travailler par semaine ? Vu que… [Elle désigne la poussette du menton en souriant.]
Usagère – Oui, 28 heures, à temps partiel.
Anna – Bien, je vous laisse passer en zone de préinscription ?
Usagère – Ok, merci. (Échange à l’accueil, Anna, conseillère « aiguilleuse », Arbeitsagentur de Sarre, 13 novembre 2015)
20Évaluer la « disponibilité » des chômeurs est cependant compliqué aux yeux de nombreux conseillers, car le terme est bisémique, aussi bien en français qu’en allemand (Verfügbarkeit). D’un côté, il désigne la capacité d’occuper un emploi ; de l’autre, il signifie aussi la volonté de travailler (Marquardsen 2007, p. 259), parfois présumée différente entre chômeuses et chômeurs. À Pôle emploi, Loriane mobilise la disponibilité-capacité, lorsqu’elle estime que « les femmes qui ont un enfant, parfois elles demandent à passer à temps partiel c’est sûr, on comprend, elles ont besoin de temps, moi je fais attention à leur demander à chaque fois si c’est ce dont elles ont envie4 ». Pour Else du Jobcenter, en revanche, la disponibilité-volonté est différente entre femmes et hommes. Elle juge que « les femmes n’ont pas les mêmes besoins de travail que les hommes sur le marché. Les hommes refusent toujours de travailler à mi-temps, alors que les femmes elles l’acceptent plus, c’est le rapport au travail qui n’est pas le même5 ». Quel que soit le sens donné au terme, l’importance accordée à la notion de disponibilité pèse plus particulièrement sur les femmes et se traduit par une injonction courante à lever les exigences temporelles trop élevées.
21Ces conceptions dépendent néanmoins de l’infrastructure matérielle du territoire. Le déficit d’organismes de garde d’enfants oriente notamment la catégorisation des chômeuses par les conseillers allemands. Dans le land de Sarre, 29 % des enfants de moins de 3 ans sont pris en charge dans des dispositifs d’accueil6. La proportion n’est pas beaucoup plus élevée en Seine-Saint-Denis, puisqu’elle atteint 32 %, alors qu’elle s’avère largement supérieure dans les Yvelines, à hauteur de 61 %7. L’arrivée d’un enfant en Sarre ou en Seine-Saint-Denis impose de revoir les équations temporelles, dont la perturbation réduit la disponibilité des chômeuses. Aussi le temps partiel représente-t-il pour certains conseillers le moyen de se centrer sur les offres effectivement accessibles, comme l’expose Heike :
On n’est pas en France, hein ! [rires] Je vois bien, parfois, on reçoit des chômeuses françaises [dans le service transfrontalier d’accompagnement], ça n’a rien à voir. Ici, il y a une place en crèche pour 500 mamans peut-être, c’est presque impossible. Il faut payer quelqu’un ou s’arrêter quelque temps, ou bien avoir un mari qui a un emploi avec lequel c’est possible. Mais, avec les 40 heures par semaine de temps de travail et l’absence de crèches, c’est évident qu’on ne peut pas faire les mêmes propositions aux hommes et aux femmes. (Heike, conseillère « accompagnante », Arbeitsagentur de Sarre, 7 décembre 2015)
22La pénurie d’infrastructures pour les enfants provoque ainsi une autre hésitation chez les conseillers, d’ordre comptable. En effet, la faiblesse des salaires minimums conduit à ce que les dépenses relatives à la garde excèdent parfois les gains d’un emploi à temps plein, comme le documentent plusieurs anthropologues sur la population des mères célibataires états-uniennes (Edin et Lein 1997). Dès lors que les femmes sont moins payées dans leur emploi que les personnels qu’elles rémunèrent ou que les frais horaires de garde, leurs revenus fondent à chaque heure de travail. Plusieurs conseillers abondent en ce sens, soulignant que les dépenses à destination des enfants sont plus élevées que les gains du travail à temps plein, par rapport au travail à temps partiel. Loin d’être réticentes au travail, de nombreuses mères sont stoppées dans leur recherche d’un emploi à temps plein par les calculs financiers de leurs conseillers, dès lors promoteurs du temps partiel. Sabine revient en détail sur cette tension :
Chercheur – Et il y a des problèmes sur le marché du travail ?
Sabine – Je crois qu’un gros problème, ce sont les mères, sans prise en charge de leurs enfants. Le marché du travail détruit les mères qui élèvent seules leurs enfants : 400 € par mois pour une prise en charge ! Et peu de places pour les femmes. C’est toujours dur avec les femmes, cela dure un mois, et à la fin, la grand-mère n’est plus aussi flexible qu’elle l’était au début.
Chercheur – Tu as vu ça ?
Sabine – Oui, j’ai une très bonne amie, par exemple, ça lui est arrivé. À la base, elle travaillait comme assistante dans une compagnie d’assurances. Après elle a eu un enfant. Mais elle s’est séparée de son compagnon quelques années après. Et là, ça a commencé à être dur de travailler, elle a cherché une place pour son enfant, mais ça coûtait très cher : 400 €, plus 700 € de loyer, alors qu’elle gagnait environ 1 600 €, et tous les frais, c’était compliqué. Du coup la grand-mère s’en occupait quand c’était possible. Mais après, elle a dû diminuer ses heures, et en fait, elle gagnait 300 € de moins pour économiser 400 € de dépenses.
Chercheur – Et cet exemple, tu y penses en travaillant ?
Sabine – Ça dépend. Parfois. Quand je reçois une mère isolée, parfois j’y pense et je lui dis qu’elle peut aussi baisser son temps de travail. (Discussion après un entretien, Sabine, conseillère « retranchée », Arbeitsagentur de Sarre, 13 novembre 2015)
23Ainsi, les jeunes mères affrontent des transactions temporelles très singulières, marquées par une présomption de temps partiel. Leur rôle social déclenche un grand nombre de suggestions au titre de leur statut, qui confirme les aspirations de certaines, mais en guide aussi d’autres vers une voie qu’elles n’ont pas forcément anticipée.
Une universalisation décalée
24Si le statut social des publics reçus joue un rôle essentiel dans les recommandations adressées, il en va de même pour celui des conseillers, dont un certain nombre exerce une activité à temps partiel. En effet, ils reconnaissent parfois des points communs entre la trajectoire des chômeurs et la leur, ce qui fonde une partie des conseils. Dès lors, l’invitation au temps partiel correspond à une projection : ce qui a marché pour soi est susceptible de marcher pour des personnes semblables, a fortiori dans un espace administratif où les agents occupent un poste, ce qui est l’objectif des populations reçues. Cette seconde figure du rationnement temporel passe par une projection de sa propre situation sur celle des autres – une transformation des prétentions personnelles en loi universelle, stratégie classique des acteurs dominants dans un système social (Bourdieu 1994, p. 234-236).
25La prégnance du « rationnement projeté » dépend du nombre de conseillers à temps partiel dans les agences observées (tableau 9) ; le phénomène est à son point culminant dans l’agence des Yvelines (tableau 1). Le métier de conseiller à l’emploi est en effet très féminisé, notamment au niveau des guichets et des bureaux (70 % à l’Agence fédérale du travail, 75 % à Pôle emploi8), ce qui est moins le cas des fonctions d’encadrement (41 % de femmes à l’Agence fédérale du travail, 52 % à Pôle emploi). Si le temps partiel est une forme d’emploi largement féminine dans les deux pays, il est bien moins répandu chez les salariées françaises qu’allemandes, puisque ces dernières occupent la seconde place européenne pour sa prévalence (derrière les Pays-Bas), depuis que « le sous-emploi et les rémunérations d’appoint sont venus se substituer à l’assignation au foyer » dans la seconde moitié du xxe siècle (Giraud et Lechevalier 2013, p. 193). Toutefois, les identités institutionnelles modèlent aussi les temporalités professionnelles et les inversent dans le cas observé, car les conseillères françaises constituent une des rares professions où le temps partiel féminin est plus courant en France qu’en Allemagne, même s’il recule sur les dernières années (de 40 % en 2015 à 35 % en 2017).
Tab. 9 – Prévalence du temps partiel des conseillères et des conseillers
Temps partiel féminin | Temps partiel total | Conseillères et conseillers suivis | |
France (2018) | 30 % | 18 % | |
Allemagne (2018) | 47 % | 27 % | |
Pôle emploi (2017) | 35 % | 30 % | |
Agence fédérale du travail (2018) | ? | 35 % | |
Agence de Pôle emploi des Yvelines (2015) | 40 % | 31 % | Maxence (« retranché ») Capucine (« accompagnante ») Flore (« retranchée ») |
Agence de Pôle emploi de Seine-Saint-Denis (2015) | 34 % | 21 % | Amira (« retranchée ») Sakina (« retranchée ») |
Arbeitsagentur (2015) | 33 % | 22 % | Anette (« aiguilleuse ») Kerstin (« retranchée ») |
Jobcenter (2015) | 22 % | 15 % | Barbara (« retranchée ») |
N.B. : nombres arrondis à l’unité près. Sources : Eurostat (2015), Geschäftsbericht 2010 der Bundesagentur für Arbeit, Bilan social Pôle emploi (2017), questionnaires distribués (2015).
26Sur chaque site, des conseillères à temps partiel revendiquent ce statut et l’affichent comme la voie d’accès sine qua non à leur poste de travail. Plus nombreuses en France qu’en Allemagne dans le cadre des agences observées, elles concentrent ainsi nettement ce type de « rationnement projeté » sur l’agence des Yvelines, où 40 % des conseillères exercent moins de 35 heures par semaine. Ces conseillères s’inscrivent généralement dans une division sexuée du travail et revendiquent l’éducation des enfants, dans un couple où le conjoint exerce une activité à temps plein – de façon symétrique aux quelques cas de chômeuses désireuses d’être employées à temps partiel, vues au chapitre II.
Chercheur – Ah, tu ne travailles pas à plein temps en fait ?
Anette – Ici, j’ai une activité à temps partiel. Je suis à 60 %. J’avais arrêté deux ans lorsque j’ai eu mon enfant… enfin ma fille. J’ai repris petit à petit. Peut-être que je reviendrai au temps plein plus tard, dans quelques années. Mais bon, on a pris la décision d’avoir un enfant en sachant que je travaillerai moins pour m’en occuper. (Anette, conseillère « aiguilleuse », Arbeitsagentur de Sarre, 25 novembre 2015)
27Le rapport au travail en est même transformé, car elles limitent aussi leur investissement émotionnel dans l’activité. Elles sont majoritairement proches d’une identité « retranchée » et, à ce titre, défendent un temps partiel associé à la préservation de soi, qui correspond à la « tactique du dédoublement » (Dubois 2015, p. 256-260), soit une limitation de sa présence et de son engagement émotionnel pour contenir la dureté des relations de guichet. Cela ne va pas sans leur occasionner des difficultés : informées les dernières, absentes lors de réunions importantes, elles méconnaissent aussi certains « habitués » des agences ou découvrent parfois les urgences le matin même, en arrivant après un ou deux jours d’absence, ce qui les empêche de s’y préparer en amont.
Chercheur – Tiens, on ne s’est pas croisé depuis plusieurs semaines [grand sourire]9…
Amira – Je travaille à mi-temps. Avant j’étais à l’ANPE, depuis 2004, donc là j’ai 10 ans d’expérience. Mon mari est pompier. Le temps partiel, ça a un avantage, d’élever ses enfants, de prendre du recul sur son travail aussi. Ça, pour moi c’est important. Mais l’inconvénient, c’est qu’on est toujours à la pêche aux infos. (Discussion avant un entretien, Amira, conseillère « retranchée », Pôle emploi de Seine-Saint-Denis, 6 mai 2014)
28Les rares hommes qui ont opté pour du temps partiel travaillent généralement plus de 25 heures. Ils développent rarement des arguments familialistes, mais se concentrent plutôt sur leur confort de vie personnel. La plupart résident loin de l’agence et ont pu réorganiser leurs horaires pour accomplir de longs trajets moins épuisants. Florian, de l’Arbeitsagentur, explique ainsi son choix par le souci d’« avoir du temps libre, je fais de la musique à côté, j’ai un petit orchestre, ça prend du temps10 ». Son collègue français, Mehdi, abonde de façon similaire : « j’habite loin, donc je ne pourrais pas bosser si je devais en plus rouler 2 heures chaque matin et chaque soir, alors ça me permet d’avoir un long week-end tranquille, en échange du stress de la semaine11 ». Ces propos incarnent deux orientations genrées vis-à-vis du temps partiel ; la première, féminine, est marquée par des logiques de défection et vise à articuler des dimensions de la vie quotidienne entrées en tension ; la seconde, masculine, est imprégnée de loyauté vis-à-vis de l’institution qui accorde cette dérogation favorable à la qualité de vie (Lallement 2000).
29Si leurs homologues masculins demeurent réservés sur le sujet, plusieurs conseillères à temps partiel exposent leur temps d’emploi aux chômeuses reçues pour entretien, et le transforment en un argument d’intermédiation. C’est explicitement le cas dans 3 de nos observations sur les 8 agents à temps partiel, en l’occurrence avec Flore, Kerstin ou Barbara, qui ont témoigné face aux individus convoqués des perspectives ouvertes par l’emploi à temps partiel, qu’il s’agisse de libérer du temps pour soi, de combiner ses horaires avec ceux des cohabitants, de s’adapter à des contraintes familiales, de retrouver un emploi après une période de chômage, d’incapacité physique ou de grossesse. En somme, lorsqu’elles retrouvent chez leur interlocutrice des difficultés qui résonnent avec leur propre biographie et qu’elles ont le sentiment d’avoir résolues via le temps partiel, elles en font alors la promotion. Cette logique est illustrée par le discours de Barbara, conseillère depuis 12 ans, entrée en Jobcenter à temps plein, au terme de quelques années marquées par des emplois de faible intensité horaire en parallèle de sa formation professionnelle et de sa grossesse. Elle reconnaît des signes similaires chez son interlocutrice – une mère jeune qui a travaillé à temps plein avant de tomber enceinte – et en déduit des problématiques identiques aux siennes à l’époque : besoin d’heures libres pour le travail domestique et stigmate face aux employeurs réticents à employer une femme enceinte.
Barbara – Vous voulez du temps plein ou partiel ?
Usagère – Heu… je sais pas, je…
Barbara – Moi je suis à temps partiel, et contente de l’être ! Quand j’étais au chômage, j’ai eu du mal à retrouver un emploi, mais avec le temps partiel, j’ai eu accès à plus de choses qu’en restant juste sur le temps plein.
Usagère – Ah ?
Barbara – Et puis ça m’a permis de ne rien changer ou négocier pour avoir un enfant. Enfin, à mon avis pour moi c’était un bon choix !
Usagère – Heu si je coche là, ça peut changer ?
Barbara – Naturellement. Je ne dis pas ça pour vous forcer ! C’est juste pour dire, que ça a aussi des avantages, auxquels on ne pense pas forcément.
Usagère – Bien, alors temps partiel. (Observation d’un entretien de suivi conduit par Barbara, conseillère « retranchée », Jobcenter de Sarre, 18 novembre 2015)
L’entrée [sur le marché du travail] en temps partiel, c’est une bonne solution. Évidemment, beaucoup de gens ne disparaissent pas [du Jobcenter], mais c’est un jalon. Et moi, c’est ce que j’ai fait après la grossesse et l’école, pour m’y remettre, et revenir à l’emploi […] Parce que c’est très difficile quand même l’année qui suit de trouver du travail, parce que tu dois rester un peu flexible pour l’enfant, parce qu’on pense aussi que tu vas peut-être en avoir d’autres si tu es jeune. (Entretien avec Barbara, conseillère « retranchée », Jobcenter de Sarre, 21 décembre 2015)
30Ces bribes d’échanges et leur récurrence permettent de formuler l’hypothèse d’un lien entre la trajectoire des conseillères et leur catégorisation des publics. La biographie est une boîte à outils dans laquelle puiser des solutions au cours des convocations, mais l’atypicité et la féminisation du temps partiel créent un véritable canal de recommandations de certaines femmes vers d’autres ; autant d’interactions qui maintiennent la « fragmentation genrée » du marché de l’emploi (Betzelt et Bothfeld 2011), par le biais de discussions paisibles en face-à-face. Notons toutefois que les conseillères « aiguilleuses » ne se projettent pas dans le parcours des chômeuses reçues, privilégiant nettement la directivité à la persuasion biographique.
31Aussi peut-on qualifier d’« universalisation décalée » le rapport ambigu qu’entretiennent certaines conseillères à temps partiel et certaines chômeuses, les premières prônant l’adoption de leur propre forme d’emploi par les secondes, mais en transposant leur condition sociale et leur cadre professionnel à l’ensemble des offres à temps partiel, comme si la caractéristique saillante de leur poste était sa durée hebdomadaire, plus que le niveau de salaire ou la sécurité contractuelle. Exercé à la demande après embauche, réversible à tout moment, avec un taux salarial garanti par convention collective, l’emploi à temps partiel des conseillères est très différent des caractéristiques traditionnelles de cette forme d’activité dans les services peu qualifiés (Concialdi et Ponthieux 1999) ou les secteurs peu rémunérés (Brenke 2012).
32Or, la signification du temps partiel pour chaque individu est largement tributaire de la classe sociale ou de la branche d’activité (Ulrich 2009), de la rémunération et de la structure horaire (Bué 2002 ; Pericka et Stadler 2006), du diplôme (Angeloff 1999) ou de l’organisation familiale (Jaehrling, Thorsten et Mesaros 2014) – la recommandation de s’ouvrir au temps partiel mène vers une pluralité de destins sociaux potentiels, parfois très éloignés de celui des conseillères. Ainsi, les statuts et la trajectoire des conseillères comptent pour comprendre la déflation horaire qui frappe les salariées, reconduite quotidiennement dans le service public d’emploi au nom du secours aux chômeuses.
Le recours aux statistiques
33Pour exercer leur jugement, les conseillers reçoivent régulièrement des informations et des données d’analyse : courriels, brochures en papier, rapports en ligne sur l’espace intranet… Ces documents fournissent une typologie (Berger et Luckmann 1986) de diverses catégories de populations et de leurs emplois – les « jeunes », les « migrants », les « non-qualifiés »… – sur lesquelles ils s’appuient pour délivrer des recommandations.
34Les données, presque exclusivement quantitatives, proviennent le plus souvent de la Dares (service ministériel sur le marché de l’emploi) et de l’Unedic (organisme paritaire d’indemnisation des chômeurs) en France, ou de l’Institut für Arbeitsmarkt- und Berufsforschung (institut de recherche affilié à l’Agence fédérale du travail) en Allemagne. Une conseillère comme Camila y prête particulièrement attention :
Camila – Ben toi, tu bosses sur les activités réduites. Tu as vu passer le dernier truc là, des économistes je crois, enfin je sais pas s’ils sont économistes, de l’Unedic ? Mon rep’ [responsable d’équipe] me l’a envoyé y a plusieurs mois.
Chercheur – Oui, je crois… tu me montres, que je vérifie que c’est la même chose ?
Camila – Oui, tiens. Mets ton mail, je te le transfère ! Et aussi, tu regardes parfois, sur le site d’accueil… Enfin, je sais pas si tu as accès, on a une page pour le personnel, on a des brèves. Les brèves Pôle emploi. Regarde hier, la brève du 05/05, ça s’appelle… je l’ai noté pour le relire plus tard, c’est important, pour faire un boulot de placement, de se tenir au jus… ça s’appelle « les formes de l’emploi changent de plus en plus12 ». (Discussion avant un entretien, Camila, conseillère « accompagnante », Pôle emploi des Yvelines, 6 mai 2014)
35De telles études sont toutefois rejetées par certains conseillers. Les agents « retranchés », désinvestis de leur mandat, n’entendent pas accomplir d’effort supplémentaire dans la relation de service pour orienter les chômeurs. D’autres semblent plus volontaires mais demeurent rebutés par la longueur, la complexité ou les calculs des études. On retrouve ici les conseillers les moins dotés en capital scolaire, à l’instar de Mariva, arrivée de Russie 3 années auparavant, gênée à l’évocation des documentations écrites qu’elle ne lit pas. En conséquence, elle ignore totalement les analyses statistiques de l’institution au moment de conseiller les chômeurs.
[Elle désigne un courriel dans sa boîte de réception, soit une longue synthèse statistique sur l’emploi en Sarre.] De toute façon, moi j’y comprends rien… Des trucs de 50 pages… Enfin, mon mémoire déjà [à l’université], j’ai tout copié-collé et c’était bon. Je l’ai eu. Je n’arrive pas à lire des choses trop longues, et j’ai l’impression de retourner à l’école [rires], et si je suis ici c’est bien parce que je ne voulais plus y être ! (Mariva, conseillère « accompagnante », Arbeitsagentur de Sarre, 22 décembre 2015)
36Les populations placées aux deux extrémités de la pyramide des âges, les plus jeunes et les plus âgées, sont surexposées à l’emploi à temps partiel dans les deux pays13. Mais cette observation statistique produite par des instituts nationaux ne descend qu’exceptionnellement au niveau des guichets allemands. En revanche, elle apparaît régulièrement du côté français où elle pèse sur l’action des conseillers, après que les responsables d’équipe des 2 agences étudiées ont envoyé les statistiques Insee du bassin local d’emplois, où l’âge et la proportion d’emploi à temps partiel sont croisés14. On rencontre la perspective inverse concernant les statistiques d’individus réfugiés et migrants, très détaillées en Allemagne depuis juillet 2016, sans équivalent français. Ces séries descriptives sont toutefois converties en probabilités par les conseillers, qui se muent en entrepreneurs de risque (Borraz 2008) et classent les usagers selon leur exposition probable au temps partiel, afin de prendre les devants sur le futur qu’ils devinent. Cette colonisation de l’institution par les risques, que l’on retrouve dans de nombreux organismes de prise en charge des populations, peut être illustrée par l’échange suivant, où une chômeuse de 19 ans, d’origine sri-lankaise, s’inscrit pour la première fois à Pôle emploi après l’expiration de son CDD de 5 mois comme standardiste. À sa main, une feuille remplie de notes, d’une écriture minuscule et dense, témoignant d’une préparation initiale intense.
Nada – Dans votre profil de recherche, on met tous les temps de travail ?
Usagère – C’est-à-dire ?
Nada – C’est-à-dire le temps plein comme le temps partiel.
Usagère – Heu, le temps partiel…
Nada – C’est le cas de beaucoup d’embauches pour les salarié(e)s de votre âge dans le département. Dans quelques années, vous serez sortis de la catégorie des embauches à temps partiel. Et je vous souhaite d’avoir un temps plein, si c’est ce que vous désirez ! Mais dans un premier temps, je vous conseille de vous adapter au marché pour maximiser vos chances. C’est plus d’un tiers des embauches à votre âge qui ont lieu en temps partiel [41 % des salariées entre 15 et 24 ans du département travaillent à temps partiel15]…
Usagère – Bon, ok… (Observation d’entretien conduit par Nada, conseillère « aiguilleuse », Pôle emploi de Seine-Saint-Denis, 29 avril 2014)
37Les conseillers sont donc traversés par une contradiction entre dénaturalisation et singularisation des populations (Lefrançois 2013). D’un côté, leur mission consiste à lutter contre les discriminations et lever les préjugés qui bloquent l’accès de certains groupes de personnes à des emplois ; de l’autre, pour aider ces mêmes personnes à trouver un poste, ils peuvent mettre en scène leurs « singularités » et réactiver ces mêmes discriminations. L’âge, par exemple, est à la fois un critère de sélection illégitime qui discrimine des chômeurs aux yeux des conseillers, mais peut être retourné comme un signe de compétence et d’expérience, à invoquer dans les entretiens pour arracher un recrutement. Jonas, dans l’exemple ci-dessous, conseille un chômeur de 61 ans, qui a exercé 28 années d’affilée dans le même restaurant comme cuisinier et plongeur. Depuis sa faillite, deux mois plus tôt, il est inscrit à Pôle emploi. Il s’exprime avec un fort accent du Sud-Est et semble abattu, fixant ses pieds durant tout l’entretien. Soucieux de limiter la discrimination d’âge tout en valorisant l’expérience de la personne, Jonas résout la tension par les « petits boulots », moins attentifs aux propriétés individuelles des candidats et moins compétitifs, donc plus accessibles à un salarié expérimenté, dont l’urgence consiste à accumuler des semestres de cotisation rapidement avant un départ en retraite.
Jonas – Oui l’âge est une barrière, mais justement, cela exige… heu… plus d’efforts ! Pour passer, par rapport aux petits jeunes ! Là vous écrivez une formation, mais avec la retraite qui approche ça sert à rien monsieur… Mieux vaut envisager des petits boulots avant.
Usager – Ah…
Jonas – Oui, on ne va pas se mentir, c’est plus compliqué après 50 ans. Mais vous avez de l’expérience, vous connaissez le secteur, ça vous aide quand même. Un mal pour un bien […]
[après l’entretien, à moi] Jonas – C’est sûr qu’à son âge c’est dur, on regarde les chiffres qui tombent chaque mois, on voit bien qu’il est pile dans les gens pour lesquels c’est presque impossible de revenir au travail. Mais raison de plus pour s’accrocher. (Observation d’un entretien de suivi conduit par Jonas, conseiller « aiguilleur », Pôle emploi des Yvelines, 3 juin 2014)
38Le découpage institutionnel du marché de l’emploi en secteurs ou en professions fournit une autre grille de lecture des avantages inégaux à exposer chaque individu au temps partiel. Les rapports trimestriels de dynamique de l’emploi reprennent ces découpages pour rendre intelligible le marché. Les nomenclatures divergent entre les outils de Pôle emploi et de l’Agence fédérale du travail, mais servent à juger la proximité des individus au temps partiel, en fonction de leur dernier poste occupé16. En constituant une base de données à partir des offres proposées par les 4 agences dans leurs environs, nous pouvons objectiver et comparer la prévalence du temps partiel dans chacun de ces secteurs (tableaux 10, 11 et 12). La nomenclature parfois morte saisit la force de travail toujours vive, tiraillant les individus entre la vérité objectivée que leur adresse le logiciel de classement (ce qu’il les invite à accepter pour revenir à l’emploi) et la vérité incorporée qu’ils entendent défendre (à savoir leurs espoirs personnels d’embauche), tension d’autant plus aiguë qu’ils ont longtemps occupé leur dernier emploi (Bourdieu 1980). Ainsi, par syllogisme, si un chômeur a longtemps œuvré dans un secteur où la proportion d’emploi à temps partiel est élevée, ses conseillers l’invitent régulièrement à s’ajuster au plus grand nombre.
Tab. 10 – Sectorialisation des offres à temps partiel dans les 2 agences de Sarre en 2019
Secteurs | Proportion d’offres à temps partiel dans ce secteur | Nombre d’offres à temps partiel |
Sécurité, nettoyage et entretien | 23 % | 35 |
Commerce de détail ou de gros | 59 % | 30 |
Santé et social | 48 % | 24 |
Biens de consommation | 48 % | 22 |
Logistique et transport | 32 % | 12 |
Denrées alimentaires | 83 % | 10 |
Éducation, formation, enseignement | 63 % | 10 |
Management, conseil, droit, fiscalité | 39 % | 10 |
Hôtellerie et restauration, tourisme, arts, culture et loisirs | 50 % | 8 |
Banques, finance, immobilier, assurances | 50 % | 4 |
Électricité, mécanique de précision, optique | 33 % | 4 |
Service et organisations publics | 18 % | 4 |
Agriculture, sylviculture, horticulture | 17 % | 4 |
Informatique, télécommunications | 11 % | 4 |
Publicité et relations publiques | 33 % | 2 |
Médias et informations | 100 % | 2 |
Transformation de matières premières | 14 % | 2 |
Bâti, architecture | 9 % | 2 |
Lecture : sur 900 offres analysées en Sarre, ce tableau ne traite que des 190 dont le temps d’emploi est déclaré à temps partiel, rapportées aux 405 enregistrées à temps plein. Nous n’intégrons pas les 305 offres sans temps d’emploi indiqué, ni les secteurs où nous n’avons pu récolter plus d’une offre à temps partiel. Par exemple, parmi les offres en « sécurité, nettoyage et entretien », 23 % sont à temps partiel, soit un volume de 35.
39Ces éléments d’observation permettent de tirer un premier résultat : la porosité entre les stratégies patronales d’organisation de leur secteur et les recommandations adressées par les conseillers, qui adoptent la documentation descriptive comme un guide en matière de temps d’emploi. Ces stratégies patronales divergent cependant nettement, non seulement d’un pays à l’autre mais également entre les 2 sites de Pôle emploi. Les services aux entreprises sont fortement imprégnés d’offres à temps partiel sur tous les territoires étudiés, de façon presque hégémonique dans les Yvelines et en Seine-Saint-Denis, de façon plus diffuse en Sarre, où d’autres secteurs émettent des besoins en main-d’œuvre partielle. À l’inverse, la recherche d’un poste dans la vente expose deux fois plus au temps partiel en Sarre qu’en Seine-Saint-Denis, et près de deux fois plus dans ce dernier territoire que dans les Yvelines. Cette présence hétérogène du temps partiel guide l’action des conseillers et leurs réflexes au moment où ils consultent le secteur d’activité de la personne reçue. Comme le précise Camila en préparant la convocation d’une chômeuse de 45 ans, ex-agente d’entretien dans des écoles, « lorsque je vois quelqu’un s’inscrire dans le domaine “services à la personne ou à la collectivité”, automatiquement dans la tête ça flashe sur temps partiel possible, quoi qu’on en pense17 ». À l’inverse, un jeune soudeur, qui hausse les épaules d’un air indifférent à propos du nombre d’heures hebdomadaires souhaitées, provoque une réaction protectrice de sa conseillère, Mariva, laquelle précise tout en l’écrivant que « temps plein, ce sera aussi bien, ça évite juste quelques missions franchement pourries18 ». Ainsi, les positions professionnelles constituent un référentiel de jugement, pour trier les chômeurs selon leur valorisation possible via les temporalités.
Tab. 11 – Sectorialisation des offres à temps partiel dans l’agence de Seine-Saint-Denis en 2019
Secteurs | Proportion d’offres à temps partiel dans ce secteur | Nombre d’offres à temps partiel |
Services à la personne ou à la collectivité | 85 % | 94 |
Hôtellerie et restauration, tourisme, animation | 78 % | 14 |
Commerce, vente | 36 % | 9 |
Achats, comptabilité, gestion | 67 % | 4 |
Santé | 31 % | 4 |
Installation, maintenance | 6 % | 4 |
Transport, logistique | 8 % | 3 |
Lecture : sur 1 350 offres analysées en Seine-Saint-Denis, ce tableau ne traite que des 135 dont le temps d’emploi est déclaré à temps partiel, rapportées aux 232 enregistrées à temps plein. Nous n’intégrons pas les 983 offres sans temps d’emploi indiqué, ni les secteurs où nous n’avons pu récolter plus d’une offre à temps partiel.
40Deuxièmement, cette observation souligne le rôle singulier des nomenclatures elles-mêmes pour délivrer des conseils individualisés. Entre l’Allemagne et la France, les univers professionnels imaginaires utilisés pour classer les emplois sont parfois très éloignés. Un même type d’emploi semble en effet étroitement lié au temps partiel dans un pays mais en devient fort distinct lorsque l’observateur franchit la frontière, selon le secteur d’activité global dans lequel il figure. Les nomenclatures publiques pèsent sur les destins sociaux, comme l’illustre le traitement inégal des secrétaires sur les sites allemands et français. Les secrétaires au chômage en Allemagne sont rattachés par leur service public d’emploi à la branche d’activité de l’employeur auprès duquel ils exercent (« management, conseil, droit, fiscalité » s’ils travaillent dans un cabinet d’avocats, « banques, finances, immobilier, assurances » s’ils œuvrent dans une agence immobilière…) ; alors qu’ils sont autonomisés dans un domaine spécial « secrétariat, assistanat » en France. En conséquence, les secrétaires ne suscitent pas un réflexe uniforme d’éligibilité au temps partiel du côté allemand, mais apparaissent en première ligne de ce type d’offres du côté français (« c’est plus que probable, comme secrétaire, que certains employeurs cherchent à temps partiel19 »). Cela oriente les recommandations des conseillers dans deux directions opposées, alors que la proportion de postes à temps partiel est plus élevée parmi les postes sarrois de secrétariat collectés par l’Agence fédérale du travail (39 % en 2017) que dans les deux départements français. À l’inverse, les artistes sont agrégés avec l’« hôtellerie et restauration » du côté allemand, ce qui les associe au temps partiel (répandu à hauteur de 11 %), ce que ne connaissent pas leurs homologues français, affectés au domaine professionnel « arts ». Ainsi, les nomenclatures professionnelles ne sont pas qu’un outil de visualisation du marché mais aussi d’arbitrage dans les luttes de classes (Neyrat 2001).
Tab. 12 – Sectorialisation des offres à temps partiel dans l’agence des Yvelines en 2019
Secteurs | Proportion d’offres à temps partiel dans ce secteur | Nombre d’offres à temps partiel |
Services à la personne / à la collectivité | 56 % | 73 |
Santé | 56 % | 25 |
Commerce, vente | 22 % | 16 |
Installation, maintenance | 23 % | 14 |
Hôtellerie et restauration, tourisme, animation | 45 % | 9 |
Secrétariat | 40 % | 6 |
Industrie | 10 % | 6 |
Transport, logistique | 38 % | 3 |
Informatique, télécommunications | 100 % | 2 |
Lecture : sur 800 offres analysées dans les Yvelines, ce tableau ne traite que des 156 dont le temps d’emploi est déclaré à temps partiel, rapportées aux 290 enregistrées à temps plein. Nous n’intégrons pas les 354 offres sans temps d’emploi indiqué, ni les secteurs où nous n’avons pu récolter plus d’une offre à temps partiel.
41Mais certains groupes sociaux ne sont pas étudiés de façon isolée au sein du service public d’emploi, et leurs caractéristiques ne sont donc pas associées au temps partiel par les conseillers. Par exemple, le lien entre l’âge et l’emploi à temps partiel n’est nulle part souligné dans la documentation institutionnelle des agences sarroises, aussi les conseillers n’y mobilisent-ils jamais cet argumentaire, contrairement à leurs homologues français.
42L’usage de savoirs quantifiés par les conseillers conduit à une « reproduction statistique » du marché : les individus singuliers sont invités à régulariser leurs souhaits au vu des groupes auxquels ils appartiennent, par l’intermédiaire « d’analogies douteuses » (Passeron 2000, p. 22). Le parcours probable est alors transformé en parcours nécessaire. La quantification joue un rôle performatif, influençant l’action des conseillers, dont les pratiques la modifient à leur tour (Desrosières 2014). La chômeuse suivante, âgée de 27 ans, en atteste au cours de ses échanges avec Rocco, alors qu’ils complètent son profil de recherche. Récemment tombée enceinte, elle répond aux interrogations du conseiller, soucieux de délimiter les activités envisageables au temps partiel, pour conformer l’usagère aux probabilités statistiques d’une telle voie.
Rocco – Bon, dans les 2 semaines qui viennent vous n’aurez pas de rendez-vous. Vous allez en revanche recevoir par la poste une convocation. Et concernant votre disponibilité ? Vous êtes disponible pour 15, 20, 25 ou 30 heures ?
Usagère – Heu… 20…
Rocco – Bien. Rappel par SMS ?
Usagère – Oui, volontiers.
Rocco – Ok !
Usagère – Merci ! [Elle se lève, range ses affaires dans son sac et quitte la salle avec les politesses d’usage.]
[quelques minutes plus tard] Chercheur – Pourquoi tu lui as demandé les heures par tranche de 5 ?
Rocco – Parce qu’en dessous de 15 heures recherchées, je ne peux pas l’inscrire au chômage.
Chercheur – Oui, mais pourquoi tu précises des montants horaires ?
Rocco – Ah… ben, elle est enceinte [d’un mois], donc elle va pas bosser à plein temps, alors bon, autant que j’aide en lui donnant les horaires par lesquels on peut l’inscrire, et puis après, je sais pas si elle va vouloir bosser à plein temps, souvent c’est pas le cas, si tu regardes les chiffres, les femmes qui ont un bébé, ben elles arrêtent la plupart du temps. (Observation d’un entretien conduit par Rocco, conseiller « aiguilleur », Arbeitsagentur de Sarre, 5 novembre 2015)
43Les conseillers se heurtent néanmoins parfois à des savoirs d’expérience, portés par des chômeurs contrariés ou en désaccord. À l’instar du champ médical, caractérisé par une profusion de savoirs populaires au statut contesté (Corburn 2005), l’emploi est un domaine de connaissances ponctuellement mises en cause. Rares, de telles situations mettent notamment en scène des individus qui soit refusent de concevoir les secteurs ou les branches professionnelles dans les termes de l’institution, soit revendiquent des connaissances professionnelles dans le domaine du recrutement qui subordonnent le jugement des conseillers au leur. La situation de cette comptable d’entreprise illustre les deux types de situation, lorsqu’elle arrive au guichet, visiblement furieuse :
On me propose un job dans une bibliothèque municipale, c’est une blague ? Vous ne savez pas faire la différence entre le service aux entreprises privées et les collectivités ? C’est grave hein, ce n’est pas la même chose [le logiciel de catégorisation des offres classe son dernier emploi dans « achats, comptabilité, gestion », sans distinction de secteur public ou privé] ! […] Moi j’ai traité des embauches à la compta d’entreprise, j’en ai vu passer des feuilles de paie et des statuts, donc je sais quand même de quoi je parle sur les recrutements20.
44Ces rationnements « maternel », « projeté » et « expert » ne concernent cependant que la composition des profils de recherche. On peut les contourner lorsqu’on navigue en solitaire sur le moteur de recherche du service public d’emploi, en lançant une recherche libre avec les critères que l’on souhaite. Cependant, en dehors des recherches conduites au cours des entretiens, les profils constitués avec les conseillers permettent de formaliser des engagements susceptibles d’être rappelés à un prochain rendez-vous et permettant aux employeurs de contacter les personnes. C’est lors des entretiens suivants qu’émerge un second processus de tri.
« Je décide pas de l’état du marché » : le temps partiel comme pis-aller
45Au cours de la discussion entre chômeurs et conseillers, un deuxième type de rationnement émerge parfois, à caractère conjoncturel. Celui-ci ne dépend pas de l’identité de la personne reçue, telle qu’elle peut être lue sur son profil ou appréhendée par sa trajectoire, mais plutôt d’une analyse immédiate de ses besoins urgents de retrouver un emploi. Les conseillers entendent ainsi préserver le public de certaines difficultés conjoncturelles grâce à l’exposition au temps partiel, mis en scène comme une béquille marchande susceptible d’augmenter leur attractivité auprès des employeurs.
46La première conjoncture problématique est la pénurie. Parfois, les offres à temps plein manquent simplement dans la base de données, et les temporalités sont tirées vers le bas pour une raison arithmétique. La seconde est la gestion des urgences. Elle tient aux informations livrées par les chômeurs eux-mêmes, notamment leurs besoins financiers. Pris à la gorge, endettés ou en urgence budgétaire, ils se dirigent alors vers les offres d’emploi les plus rapides à pourvoir et bradent la valeur de leur force de travail pour rapprocher l’échéance du paiement. Ces deux caractéristiques marquent des différences majeures entre les agences françaises et allemandes, entre Arbeitsagentur et Jobcenter, mais aussi entre les 2 agences de Pôle emploi.
Un raisonnement arithmétique
47La confrontation entre les vœux des chômeurs et la base de données est à l’origine des transactions temporelles les plus récurrentes. Le nombre d’offres produit par le logiciel est-il suffisant aux yeux des conseillers ? Si la réponse est négative, abaisser les revendications permet-il d’augmenter les résultats, notamment en s’ouvrant au temps partiel ? Il est exceptionnel que des profils de recherche débouchent sur des listes d’appariement totalement vides, mais il se peut qu’elles soient faméliques. Toute recherche restreinte aux emplois à temps plein fournit moins de résultats qu’une recherche sans aucune préférence temporelle (tableau 13).
Tab. 13 – Exemples de recherches d’emplois avec et sans paramètre temporel
Nombre d’offres « coiffeur, coiffeuse » | ||
Uniquement à temps plein | Tous temps de travail confondus | |
Arbeitsagentur + Jobcenter (entre le 20 mai et le 22 mai 2018) | 68 | 84 |
Pôle emploi (entre le 21 mai et le 22 mai 2018) | 109 | 157 |
48Modifier les temporalités recherchées par le chômeur représente une transaction temporelle, entre heures d’emploi (abaissées) et quantité d’offres (augmentée), mais elle est inégalement saisie par les différents conseillers. Peu de conseillers « retranchés » interviennent en cas d’absence d’offres. Ils renoncent plutôt à la poursuite du mandat. Les « accompagnants » et les « aiguilleurs », quant à eux, tolèrent bien moins l’échec professionnel et essaient avec persévérance d’intermédier les publics. Cependant, leurs ressentis divergent quant au nombre d’offres à partir duquel l’opération est jugée comme un « échec ». Ce nombre tourne autour de 10 pour les « aiguilleurs », de 5 pour les « accompagnants », à partir duquel ils suggèrent aux usagers de réviser à la baisse leurs souhaits d’emploi. Le cas suivant montre comment se déroule le processus. Jugée éligible au temps partiel par sa conseillère, la chômeuse de 55 ans, inscrite depuis 8 mois, cède à la proposition de Sakina (elle-même à temps partiel), consistant à rechercher des offres d’au moins 25 heures hebdomadaires plutôt que 35, dans le domaine de l’aide scolaire, la restauration collective ou l’administration territoriale. Ici, la dégradation des souhaits temporels est paradoxalement présentée comme un tremplin vers l’emploi à temps plein, car l’exercice d’un petit boulot à temps partiel est censé aider à nouer de nouveaux contacts, accéder à plus d’informations et candidater ailleurs. Le consentement formel de la chômeuse s’accompagne d’une protestation parallèle, révélant la « violence symbolique » de certaines requalifications (Bourdieu 1997, p. 245).
[avant l’entretien] Sakina – Avec cette dame, c’est difficile. On galère à trouver des offres qui peuvent lui aller, et en général elle n’est pas prise. Donc faut limiter tout ce qui exclut des offres tu vois, sinon je la grille […].
[L’entretien a déjà débuté depuis une dizaine minutes et l’on discute des candidatures adressées.] Usagère – J’ai tout fait, 11 demandes, conseil général, académie, tout […] je fais ce que je peux, même les maisons de retraite ne veulent pas.
Sakina – [Elle lance l’appariement, sans précision horaire.] Parce qu’il faut un diplôme… Tenez, une offre à Aubervilliers donc dans vos cordes.
Usagère – Oui mais le contrat là, c’est 20 heures.
Sakina – Ah oui, c’est un contrat aidé, c’est normal…
Usagère – Mais moi je voudrais un bon travail, à plein temps.
Sakina – Oui je sais, mais ces types d’offres, c’est aidé, il y a peu de temps plein dans le domaine.
Usagère – Parce que moi j’ai 50 ans, déjà que c’est dur, alors des temps partiels…
Sakina – Je crains que vous soyez trop fermée… peut-être vous allez faire des rencontres… Ça fait 6 ans sans travailler.
Usagère – Mais je demande que ça ! Je veux juste un contrat en plein.
Sakina – Certes, mais moi je décide pas de l’état du marché du travail. Bon, on met un emploi à 25 heures minimum ?
Usagère – Pfff… ok. [Finalement, elles ne trouvent pas d’offre correspondante, même à temps partiel, et la conseillère abandonne.] (Observation d’un entretien conduit par Sakina, conseillère « retranchée », Pôle emploi de Seine-Saint-Denis, 24 juin 2014)
49En protestant de son impuissance face à « l’état du marché du travail », la conseillère sépare radicalement l’espace du marché de ses propres choix, qui y apparaissent subordonnés plutôt qu’en interrelation. Cette rupture conceptuelle entre « économie » et « politique » anime les discours entrepreneuriaux ou apologétiques sur l’accumulation capitaliste depuis la Révolution industrielle (Wood 1995, p. 19-48). Mais elle n’est pas partagée par tous les conseillers : les « aiguilleurs » assument ouvertement le geste politique de privilégier leur analyse aux souhaits du public. Si le temps partiel apparaît comme l’instrument adéquat, alors il n’est même pas évoqué au cours de l’échange, et l’offre correspondante est remise au chômeur sans mention de cette caractéristique particulière. La combinaison de cette directivité et de la faiblesse des droits des chômeurs en Jobcenter, astreints d’accepter toute offre compatible avec leur état de santé, explique que ce type de situation y soit nettement localisé. En témoigne l’entretien avec cette femme de 48 ans, ancienne conseillère à temps plein dans un magasin d’ameublement, au chômage depuis 2 ans, qui sera orientée au terme de la convocation vers un poste de vendeuse en boulangerie à temps partiel. Après un déménagement, elle découvre Gerhard, son nouveau conseiller. Ce dernier est très directif, comme à son habitude. Ici, il mobilise le temps partiel afin d’atténuer le sentiment de déqualification de la chômeuse reçue et le présente comme un compromis en sa faveur, susceptible de lui accorder le temps nécessaire pour continuer à chercher dans son domaine – mais hors de l’entretien, il demeure très sceptique sur ses chances de retrouver un tel poste.
Gerhard – Alors vous travailliez avant en magasin de meubles, vous étiez vendeuse ?
Usagère – Oui je conseillais les clients pour l’équipement de leur cuisine ou de leur chambre… Ce qui paraissait adapté pour eux.
Gerhard – Ok, donc votre compétence de base, c’est la vente. Ça fait deux ans que vous touchez l’aide sociale, je suis sûr qu’on peut sortir de là moi.
Usagère – Et le conseil en ameublement aussi. Que j’ai comme compétence.
Gerhard – Oui, oui, je voulais dire la vente en ameublement.
Usagère – Et je postule à des emplois. Je m’entretiens aussi, je continue à consulter les magazines professionnels de décoration d’intérieur ou à conseiller mes amis, par exemple.
Gerhard – Bien sûr, je ne dis pas que vous ne savez pas faire ! Mais si on élargit un peu la recherche, mais toujours dans la vente d’ameublement hein, je suis sûr qu’on peut… Regardez, là, en élargissant un peu niveau horaire [Il a retiré toute exigence temporelle.], on tombe sur plusieurs offres, et il me semble que vous seriez capable de toutes les occuper. Là, y en a une chez « Team double sport », le spécialiste de vente de matériel de sport collectif…
Usagère – Heu, mais moi le sport…
Gerhard – Ou ici, chez « Turix », qui conseille des particuliers pour leurs travaux de rénovation. C’est pas très loin de l’aménagement d’intérieur.
Usagère – Ben, c’est à propos de la maison, mais ce n’est pas si proche non plus !
Gerhard – L’avantage avec cette offre-là, c’est qu’elle est à temps partiel [celle d’avant également], du coup vous pouvez toujours chercher à côté. On essaie ? Plus vous passez de temps sans emploi, moins vous avez la chance d’en retrouver de toute façon.
Usagère – Ben, ça ne me correspond pas trop…
Gerhard – Je pense que c’est une chance. Je vous propose qu’on tente. Si jamais ça ne va pas du tout, la prochaine fois, on voit pour évoluer ailleurs [Il imprime la fiche de poste et signale informatiquement à l’employeur la candidature.]. (Observation d’un entretien conduit par Gerhard, conseiller « aiguilleur », Jobcenter de Sarre, 22 décembre 2015)
50Ce type d’injonctions prend le plus souvent pour objet les chômeurs assistés en Jobcenter ou leurs homologues du Pôle emploi de Seine-Saint-Denis. En effet, tous souffrent de pénurie relative d’offres. Les chômeurs de Jobcenter partagent la bourse d’emplois avec leurs homologues d’Arbeitsagentur et entrent ainsi en compétition avec des chômeurs inscrits plus récemment et plus qualifiés. Les chômeurs de l’agence de Pôle emploi en Seine-Saint-Denis ont une ancienneté élevée, et les allocataires de l’ASS (allocation de solidarité spécifique) ou du RSA y sont surreprésentés. Dans les deux cas, cela pousse leurs conseillers à redoubler les « efforts », c’est-à-dire les compromis vis-à-vis des souhaits initiaux, pour identifier des offres susceptibles de ne soulever qu’un intérêt modéré chez leurs concurrents mieux dotés.
51Ces deux groupes de chômeurs reçoivent un revenu d’assistance, qui ne découle pas (ou plus, lorsque leur assurance chômage a expiré) d’une cotisation antérieure. Ils ne sont donc pas des ayants droit jouissant d’une partie socialisée de leur salaire (Friot 2012). C’est au nom d’une institution totale, celle de la propriété (Brunhoff 1976, p. 23-24), que les chômeurs sont hiérarchisés entre propriétaires financiers d’un droit (récipiendaires de l’ARE ou de l’ALG 1) et récipiendaires contingents d’une dotation. Ce statut subalterne concentre sur eux les injonctions les plus vives – il rappelle, en creux, que le principe d’assurance cotisée représente un gage de légitimité aux yeux de la plupart des agents, alors que l’assistance perpétue la redevabilité vis-à-vis des contribuables. C’est ce que souligne Sabine, à propos du système dual allemand qui juxtapose Arbeitsagentur et Jobcenter : « en Arbeitsagentur, les gens sont assurés. Naturellement, ils ont un droit à avoir l’emploi qui correspond. En Jobcenter, les impôts doivent être pris en compte. Ils ont donc un devoir21 ».
52Il est frappant que cette logique arithmétique ne connaisse pas d’envers et semble irrépressible, sur tous les terrains. La pénurie d’offres et l’importance placée sur la recherche d’emploi sont telles que même en situation où les offres à temps plein abondent, les conseillers ne poussent qu’exceptionnellement leur public22 vers une élévation des durées hebdomadaires d’emploi souhaitées. « Si elle est prête à travailler à temps partiel, je ne vais pas la couper de certaines offres23 » souffle Mariva. Qu’ils soient « accompagnants », « aiguilleurs » ou « retranchés », dans les 4 agences étudiées, les conseillers ouvrent bien plus souvent les profils à de nouveaux types d’offres qu’ils n’envisagent de les fermer, par crainte de nuire au mandat d’intermédiation.
53Les chômeurs ne sont toutefois pas à la merci de leurs interlocuteurs (Messu 1990) et contestent parfois les diagnostics. Pour cela, ils réfutent le fondement des négociations, c’est-à-dire l’inégalité de savoirs entre conseillers et chômeurs (Strauss 1992). Il s’agit essentiellement d’individus capables de revendiquer un savoir spécialisé en matière de recrutement – d’où le caractère exceptionnel de telles résistances. La chômeuse suivante représente bien cette logique, lorsqu’elle mobilise sa propre expertise pour contredire la conseillère. Âgée de 40 ans et inscrite depuis 4 mois seulement, elle exerçait comme responsable des ressources humaines d’une entreprise d’entretien, où elle chapeautait une centaine de salariés. Sa tentative d’invalider les préconisations de la conseillère a d’autant plus de succès que cette dernière appartient au pôle des agents « retranchés » et n’entre pas dans la controverse.
Séverine – [en consultant le menu déroulant des offres appariées] Mmmh… vous avez ici, une offre… [responsable qualité, 30 heures hebdomadaires].
Usagère – [Elle lit sur l’écran.] Mouais, c’est quand même… pas terrible. En dessous des 35 heures, ça va pas me faire grand-chose !
Séverine – Alors, pour les offres, vous savez, l’important, c’est de se positionner hein, ensuite…
Usagère – Heu… de mon expérience, il vaut mieux être clair sur ce qu’on veut plutôt que d’espérer une augmentation, des salaires ou des horaires !
Séverine – Bon, regardons les autres offres… (Observation d’un entretien conduit par Séverine, conseillère « retranchée », Pôle emploi de Seine-Saint-Denis, 1er avril 2014)
54De la même manière, les individus face à des listes interminables d’emplois ou sans concurrents – notamment les plus spécialisés, à l’image de ce chômeur expert en e-réputation sur le site des Yvelines, ou son homologue sarrois community manager24 – demeurent préservés des invitations au sous-emploi.
55Ainsi, le temps partiel est traversé d’une logique arithmétique : il constitue un outil entre les mains des conseillers afin d’élargir les opportunités accessibles aux publics reçus. On voit bien ici comment le mécanisme de l’armée de réserve, issu du domaine de la production, s’impose au travail des agents du service public d’emploi. Lorsque les offres patronales se raréfient dans un secteur par rapport aux chômeurs disponibles, les conditions de travail se dégradent et les salaires se bloquent pour les chômeurs. « Le degré d’intensité de la concurrence qu’ils se font entre eux dépend lui-même entièrement de la pression exercée par la surpopulation relative [les autres demandeurs d’emploi] » (Marx 1993, p. 718) ; plus le collectif d’individus en prospection d’offres s’accroît, plus ils dégradent individuellement leurs vœux initiaux, accompagnés en cela par des conseillers tiraillés entre l’abandon de leur mandat ou l’injonction à la reprise d’emploi. Ils fournissent ainsi les conditions nécessaires à ce que le secteur reparte à la hausse, grâce à la mobilisation de nombreux individus dans des conditions dégradées.
La gestion des urgences
56Si les profils renseignent les conseillers sur l’identité administrative, la carrière professionnelle ou l’état civil des personnes reçues, ils découvrent aussi des informations pertinentes au cours des entretiens. Les difficultés financières, jugées pressantes et dramatiques, motivent ainsi de nombreuses transactions temporelles. Dans ces cas, les conseillers invitent à élargir fortement l’espace des offres recherchées, y compris en matière temporelle, afin d’accéder rapidement à des revenus supplémentaires. Ils troquent alors des heures d’emploi (en moins) contre des délais de prise de poste (raccourcis).
57Comme le savent les conseillers, la durée d’intermédiation d’une offre dépend largement de sa qualité. Les rapports statistiques qu’adressent l’IAB en Allemagne ou le service prospectif de Pôle emploi en France le rappellent : plus la qualité d’emploi est élevée, plus la durée d’embauche s’allonge. Pour le cas français, à titre d’exemple, l’enquête OFER (Offre d’emploi et recrutement) de 2005 montrait un écart de 2 semaines entre la durée moyenne de recrutement d’un emploi à temps plein (6 semaines) et d’un emploi à temps partiel (4 semaines) – les postes à temps partiel demeurent « mieux pourvus et à moindre coût » (Bergeat et Rémy 2019, p. 742) pour les employeurs. Aux yeux des conseillers, cette réalité est confirmée par les discours patronaux et les récits d’entretiens d’embauche que rapportent les chômeurs, rappelant le caractère plus exigeant et sélectif des recrutements sur un emploi de bonne qualité, notamment à temps plein. En outre, elle est attestée par le moteur informatique de recherche d’emploi allemand. Un onglet permet d’y trier les offres selon la date de prise de poste, révélant que 74 % des annonces à temps partiel sont à pourvoir dans un délai de 2 semaines, contre 61 % des annonces à temps plein. Leurs collègues français à Pôle emploi ne disposent en revanche pas d’une telle information sur la base de données25.
58L’acceptation d’emplois dégradés représente ainsi pour de nombreux conseillers un pis-aller dans les situations d’urgence. La lutte que représente le budget familial en temps de crise (Blavier 2019) est exportée vers les guichets de l’État social, où elle informe les pratiques discrétionnaires des agents. Face à une personne en situation d’insolvabilité, ces derniers n’ont pas la capacité de décréter des versements monétaires ; mais ils mobilisent les offres d’emploi à cette fin et transforment la « carrière économique » des endettés (Perrin-Heredia 2009) en une carrière professionnelle dans le sous-emploi, afin d’assouplir leurs difficultés.
Christina – Vous devez aussi continuer à participer aux prestations, sinon le loyer sera suspendu aussi.
Usager – Oui, bien sûr, volontiers.
Christina – Et… pas d’excuse possible, police ou je ne sais pas quoi…
Usager – Oui, ça marche.
Christina – Et votre problème de dette ?
Usager – Oui, 4 000 € toujours, que je dois rembourser.
Christina – Oh là là ! C’est la priorité des priorités ! Rendez-vous avec le conseiller endettement. Mais… comment je fais… [Elle n’arrive pas à trouver la page des coordonnées du conseiller endettement et appelle une de ses collègues qui passe dans le couloir. Cette dernière entre dans le bureau, nous salue, s’enquiert du problème et identifie en 3 clics la bonne page sur le progiciel. Elle quitte le bureau en lâchant « tu sais comment j’aime le café ! », dans un éclat de rire partagé.] Alors, bon, maintenant, vous recevrez encore un rendez-vous de ma part. Ce serait le 18 janvier à 11 heures. Et jusqu’à là, candidatez, candidatez, c’est le plus important. N’importe quoi, n’importe quoi. Un boulot. Je vois là le temps de travail à temps plein, il faut laisser tomber. N’importe quelle rentrée d’argent, c’est urgent. Prenez le premier truc qui passe et qu’on vous donne. Sans discuter sur le nombre d’heures ou quoi.
Usager – Bien. Je vais le faire, promis. Je vais faire que ça. Au revoir. [Il quitte le bureau.]
Christina – [à moi] Pour ses dettes, c’est urgent. L’intérim serait le mieux, je vais essayer de lui en trouver. Là, il n’aura pas le choix, il faudra qu’il prenne ce que je lui donne. (Observation d’un entretien conduit par Christina, conseillère « aiguilleuse », Jobcenter de Sarre, 9 décembre 2015)
59Les recommandations des conseillers sont aussi le produit des rapports financiers qu’entretiennent les chômeurs et l’institution. L’invitation à dégrader l’emploi recherché répond parfois aux exigences de leurs propres collègues, du côté de l’indemnisation, qui récupèrent des trop-perçus26 notamment. Le principe de trop-perçu (Überzahlung) couvre un grand nombre de situations, de la fausse déclaration volontaire à l’erreur d’inscription dans un formulaire informatique de la part des chômeurs, en passant par des enregistrements erronés des conseillers. Or, résumées sous la catégorie rigide et automatisée de trop-perçu (Bock 2010, p. 199), ces situations génèrent un soupçon automatique de fraude et entretiennent une logique de traitement plus coercitif, quel que soit le profil professionnel des conseillers, renforcée par les discours médiatiques focalisés sur les illégalismes dans l’État social (Guitton 1994 ; Lamnek, Olbrich et Schäfer 2000). Ci-après, l’endettement vis-à-vis de l’institution est converti en une injonction à se diriger vers l’intérim ou le temps partiel, susceptibles de générer rapidement les revenus requis pour s’acquitter du remboursement. L’homme concerné est un ancien ouvrier dans la manutention, licencié 2 ans auparavant d’une entreprise locale agroalimentaire. Il a exercé le métier d’emballeur industriel, de façon ponctuelle mais récurrente, au cours des 20 mois précédents, sans trouver d’emploi durable, mais en commettant des erreurs dans ses déclarations d’activité réduite.
Usager – Bonjour, je viens parce que j’ai eu moins…
Samantha – Ah, un trop-perçu. Vous avez vos identifiants ? [L’usager les lui tend sans un mot.] Merci. Bon, déjà… [Elle plisse les yeux en lisant attentivement l’écran d’ordinateur.] Vous êtes radié, vous le savez hein ?
Usager – Mais… hein ? Comment je vais faire ?
Homme accompagnant l’usager – Comment il va faire ?
Samantha – Ben un échéancier… Houla, 18 mois d’échéancier, normalement au bout de 12 mois, stop, c’est le maximum.
Homme accompagnant l’usager – Mais il touche aucun revenu.
Samantha – Ben faut chercher du travail hein ! Faire les agences d’intérim, prendre tous les petits boulots qui passent… (Accueil, Samantha, conseillère « aiguilleuse », Pôle emploi des Yvelines, 7 avril 2014)
60Loin de constituer uniquement un événement provisoire et solvable à court terme, les crises budgétaires peuvent être pérennes et irréversibles, entraînant une réorganisation totale de la vie quotidienne (Blavier 2018). C’est le cas, par exemple, de l’horizon de la retraite pour des individus qui apprennent ou réalisent que leur pension aura un niveau très faible. Conseillers et chômeurs s’accordent alors sur l’impératif de dégager des revenus en urgence, pour atténuer la perte budgétaire qui se profile, en corrigeant, tant que faire se peut, les salaires sur lesquels sera calculée la pension. Face au chômeur suivant, aide-cuisinier qui a exercé durant 15 années dans le même restaurant de cuisine chinoise, Charlotte invite à accepter le temps partiel, afin de travailler au plus vite durant les 6 mois qui viennent.
Charlotte – Vous avez postulé à combien d’offres ?
Usager – Dix.
Charlotte – Dix en 5 mois, c’est pas beaucoup ! Vous avez postulé où ?
Usager – Dans des collectivités. Mais y a pas grand-chose…
Charlotte – En restauration, y a pourtant beaucoup d’offres !
Usager – Pas dans les collectivités. Parce que physiquement, au niveau des horaires…
Charlotte – Oui. Enfin, si vous avez besoin de travailler… Vous cherchez un CDD de toute façon ?
Usager – Oui.
Charlotte – Regardez, là [désigne l’écran] vous avez une offre.
Usager – Mais c’est à mi-temps…
Charlotte – Dans 6 mois, c’est la retraite, donc si vous voulez travailler… Je vais vous mettre en relation, envoyez votre CV, je vais aussi modifier votre profil, parce que vous êtes inscrit à temps plein uniquement. Prenez pas mal ce que je vais vous dire, mais le temps des démarches, ce sera fini et vous serez retraité. Faudrait que vous enchaîniez les petits boulots courts jusque-là. (Observation d’un entretien conduit par Charlotte, conseillère « retranchée », Pôle emploi des Yvelines, 5 août 2014)
61Le seuil financier déclencheur de « l’urgence » dépend cependant des dispositions des conseillers. Dans l’agence de Pôle emploi des Yvelines, où les insolvabilités sont assez exceptionnelles, un ex-paysagiste confie à sa conseillère qu’il doit 500 € à l’institution. Ancienne agente de l’ANPE, Jessica se saisit immédiatement du problème et l’oriente vers un entretien d’urgence pour organiser un échéancier de paiement et un retour rapide en emploi27. À l’inverse, 3 mois plus tard, au sein de l’agence de Seine-Saint-Denis où se succèdent régulièrement les chômeurs endettés, une pâtissière au chômage expose à Nassima la créance de 510 € dont dispose Pôle emploi à son égard. La conseillère, ex-psychologue scolaire, balaie la question, « ne vous en faites pas, ça se règle en quelques mois de travail, c’est pas la fin du monde28 ». Les effets de lieux ainsi que les trajectoires des conseillères s’entrecroisent pour distribuer différemment les perceptions de l’urgence budgétaire.
62La dégradation des emplois représente donc une stratégie pécuniaire pour sortir de l’indigence ou la prévenir, en obtenant rapidement les revenus nécessaires. Elle souligne le caractère banal du contrôle financier des pauvres, dont les revenus sont largement placés sous contrôle social (Colombi 2020). Ce rationnement temporel transforme la détresse budgétaire en une trajectoire vers le sous-emploi.
« Je ferme les yeux » : le temps partiel comme punition
63Les entretiens en face-à-face constituent aussi l’occasion de contrôler les pratiques de recherche d’emploi des publics, de plus en plus étroitement surveillées depuis les années 1980. Mais les tâches de contrôle et d’intermédiation entrent parfois en collision et constituent deux normes d’activité contradictoires (Lipsky 2010), ce qui impose aux conseillers d’apprécier de façon discrétionnaire leur mise en œuvre respective ou conjointe. À cet égard, l’exposition au temps partiel constitue une sanction informelle occasionnellement mobilisée, pour punir sans abdiquer la tâche d’intermédiation ni s’engager dans de pénibles controverses.
64Ce troisième type de rationnement, à caractère réglementaire, s’observe notamment dans le Jobcenter et l’agence de Pôle emploi de Seine-Saint-Denis. Il est tributaire de la « texture ouverte » du droit (MacCormick 1989) qui s’est imposée dans les services publics d’emploi allemand et français, où le contrôle discrétionnaire des pratiques des chômeurs a remplacé la vérification administrative des statuts. Cette montée du pouvoir discrétionnaire, à son tour, multiplie les scènes de micropouvoir où s’exerce une « orthopédie sociale » (Foucault 1994, p. 593), c’est-à-dire un redressement politique des individus déviants. En effet, plus les obligations de reprise d’emploi se durcissent, plus les conseillers peuvent y déroger aisément pour mettre en scène des « concessions » : lorsque le salaire de reprise d’emploi réglementaire est ramené de 1 400 € à 1 200 €, il permet aux conseillers de proposer un arrangement à 1 300 €, qui les place en situation de bienfaiteur, vis-à-vis d’autrui et surtout d’eux-mêmes. La valeur des « passe-droits » (Bourdieu 1990) est directement indexée sur l’ampleur de la coercition juridique susceptible de peser en cas d’application sourcilleuse et prend régulièrement la forme d’un emploi à temps partiel.
La construction interactive des obligations
65Titulaires de droits assurantiels (en Arbeitsagentur et le plus souvent à Pôle emploi) ou récipiendaires de secours assistanciels (en Jobcenter et parfois à Pôle emploi29), les chômeurs vivent un statut conditionnel. Ils sont soumis à des obligations réglementaires contrôlées par les conseillers ou des équipes spécifiques de contrôleurs, inscrites dans le Code du travail français et dans les volumes II et III du Sozialgesetzbuch allemand : recherche d’emploi, disponibilité, acceptation de certaines propositions, assiduité aux convocations… Ces obligations connaissent un tournant rigoriste depuis les années 1970 en Allemagne et 1980 en France, sur fond de durcissement européen (Dubois 2007). Comme sur le reste du continent européen, on assiste à un accroissement des pratiques obligatoires, à un resserrement de leur contenu (Dean 1995) et à une contractualisation des engagements qui permet d’en constater plus aisément la violation (Willmann 2001). Cette évolution influence les pratiques des agents, fondées sur un « droit des faits » qui leur enjoint d’interpréter la situation personnelle de l’individu reçu, plutôt qu’un droit des statuts, qui consiste à vérifier la qualité juridique de la personne accueillie (Weller 2003).
66Grâce à ces règles, les conseillers disposent d’un instrument impersonnel, qu’ils utilisent ponctuellement de façon discrétionnaire : une même situation n’est pas incriminée à l’identique d’un conseiller à l’autre, tandis qu’un même conseiller se revendiquera plus dur ou plus souple d’un usager à l’autre. En se référant à leur appréciation des règles, les conseillers évaluent donc au quotidien la valeur « réglementaire » des personnes (Pillon 2018). Aucun conseiller n’apprécie particulièrement cette tâche de contrôle, assimilée à du « sale boulot » (Hughes 1996, p. 26), pénible émotionnellement et lourd bureaucratiquement. Cependant, presque tous admettent y recourir en ultime instance, notamment les « aiguilleurs » et les « accompagnants », afin d’exclure les individus déviants qui leur ponctionnent du temps de travail et de l’énergie, en même temps qu’ils menacent de dégrader l’institution, la transformant en un lieu d’accueil indistinct des populations paupérisées – une institution « attrape-tout » (catch-all), pour reprendre le terme de Celeste Watkins-Hayes (2009).
67Toutefois, la réglementation du chômage est aussi une construction interactive qui se joue dans la rencontre entre conseillers et chômeurs, en fonction. En effet, les conseillers composent avec « les formes circonstancielles d’affirmation de la non-dépendance » qu’expriment les chômeurs (Grignon et Passeron 1989, p. 79). Elles reposent essentiellement sur leur faculté – initialement présumée, à tort ou à raison – de contester les sanctions et entamer des contentieux, ce qu’Alexis Spire et Katia Weidenfeld ont baptisé « capital procédural » (2011), soit la compétence de construire un récit cohérent, à partir du vocabulaire légitime, lors des opportunités disponibles. Les conseillers redoutent fortement les « affaires » (Boltanski 1990), les situations de dénonciation publique de leur action par un chômeur qui entraîne des contestations, des polémiques et des médiatisations malvenues. La distribution du capital procédural se concentre néanmoins auprès des publics de l’assurance, au détriment de ceux de l’assistance. Dans l’Arbeitsagentur, les chômeurs les plus qualifiés s’équipent juridiquement en amont des entretiens pour préserver leurs vœux, et des bruits de couloir circulent à propos d’épiques batailles judiciaires engagées par des chômeurs désappointés. Günther cite ainsi plusieurs « candidats qui me menacent avec leur avocat parfois, lorsque j’exige d’eux certaines choses30 ». Ces craintes ne rencontrent pas d’équivalent au Jobcenter, ni à Pôle emploi, face à des populations bien plus démunies en capital procédural, car les cadres et professions intellectuelles supérieures en sont absents (Jobcenter) ou concentrés dans des institutions parallèles (Pôle emploi les transfère en agence spécialisée ou à l’Apec, Association pour l’emploi des cadres).
Le rappel au rôle
68Dans ces configurations juridiques variables, le temps d’emploi est saisi par les catégories réglementaires disponibles. Les trois institutions ont en effet développé une catégorie analogue, « l’offre raisonnable d’emploi » (ORE) en France ou « l’emploi convenable » (zumutbare Beschäftigung) en Allemagne, qui traduisent le type d’emploi théoriquement obligatoire à accepter pour les chômeurs.
69Si cette réglementation est régulièrement invoquée par les conseillers au cours des entretiens, elle vise essentiellement à inculquer ou rétablir des rôles sociaux. Les vœux d’emploi des personnes ne sont qu’exceptionnellement rapportés à leurs obligations vis-à-vis des employeurs via la réglementation sur l’emploi « raisonnable » ou « convenable », mais bien plutôt aux représentations de l’ordre institutionnel tel que l’entendent les conseillers (Weinbach 2012). Ces derniers mobilisent la réglementation comme mise en scène de leur pouvoir de punir, afin de stabiliser l’interaction et obtenir une certaine docilité de la part des publics, dont la conformité aux prescriptions institutionnelles n’est jamais garantie. Mais les réglementations temporelles distribuent des ressources très différentes à cette fin, bien plus élevées en Jobcenter et en Arbeitsagentur qu’à Pôle emploi.
70C’est au Jobcenter que les rationnements temporels par voie réglementaire sont les plus fréquents. Dans cette institution, les publics ont le devoir d’accepter toute offre physiquement et mentalement compatible avec leurs capacités. Les conseillers disposent d’une discrétion officialisée dans le règlement pour imposer un temps d’emploi donné aux publics. Toute activité à temps partiel (puisque la demande exclusive d’un temps plein n’est pas possible), y compris les minijobs ou les « jobs à 1 € », entrent dans le périmètre des offres raisonnables. Aussi, de nombreux conseillers menacent-ils de traduire des comportements déviants en abaissements horaires. Le rationnement est ici un outil disciplinaire, qui convertit la fiction contractuelle en injonction administrative (Bieback 2009), par le biais du temps partiel.
Lui, là, il me rend folle. Il ne devrait plus être ici, c’est pas vraiment un chômeur, il n’est pas capable de retravailler. Et, en plus, il va venir me raconter tous ses malheurs pour la dixième fois… Je le reçois alors que je pourrais recevoir d’autres que, du coup, je reçois pas. Je vais perdre une heure pour rien, c’est pas possible. Le seul moyen que j’ai de le mettre dehors parfois, c’est de lui proposer des occasions de travail [les « jobs à 1 € »]. Là, il se tient tranquille, voire il se désinscrit quelque temps. Tu vois, pour moi, les occasions de travail, c’est moins une question de trouver des emplois qu’une question de rappeler leurs devoirs aux gens. (Discussion en fin de journée avec Grete, conseillère « aiguilleuse », Jobcenter de Sarre, 14 décembre 2015)
71De façon identique, les publics d’Arbeitsagentur sont censés y accepter toute offre qui correspond à leurs facultés. Cependant, ils disposent d’une liste de caractéristiques « déraisonnables », qui permettent de repousser un emploi : salaire trop faible, durée de déplacement ou prix du transport trop élevés31, incapacités physiologiques ou psychologiques. Comme en Jobcenter, la charge de la preuve leur incombe donc pour définir le caractère déraisonnable d’une suggestion, plutôt qu’elle n’oblige les agents administratifs à démontrer le caractère raisonnable de leur proposition (Sedmak 2009) ; à l’inverse du Jobcenter, cependant, plusieurs points d’appui leur sont octroyés pour retoquer des offres. Le temps d’emploi n’y figure pas. Cependant, le critère salarial y tient une place essentielle, ce qui constitue une protection indirecte des temporalités. En effet, dès l’inscription, une décote de 20 % est appliquée sur le dernier salaire du chômeur pour déterminer un revenu « raisonnable » qui peut lui être opposé. Cette décote est portée à 30 % dès le 4e mois. Au 7e mois, le montant de l’allocation-chômage constitue la référence salariale de refus. Le rapport entre les revenus de la nouvelle activité et les revenus de l’ancienne détermine la surface des emplois raisonnables et des temporalités compatibles : une réduction trop importante des heures hebdomadaires entraîne souvent un passage sous le seuil « convenable » de paupérisation. Le critère salarial se traduit en protection temporelle et prévient le maintien de l’ordre par rationnement32. Or, sauf cas improbables d’offres à très hautes rémunérations horaires, il est rare qu’un emploi à temps partiel atteigne le salaire antérieur d’un chômeur inscrit dans une trajectoire d’emploi à temps plein. Kerstin nous l’explique ainsi :
En fait, on ne peut presque jamais imposer du temps partiel à quelqu’un avec les emplois convenables [zumutbare Beschäftigungen]. Enfin, tu vois, il faudrait qu’en faisant 20 heures, il gagne 20 % de moins que son dernier salaire… Comme un emploi de cadre super bien payé ! Ça n’existe pas vraiment ce type d’offres. Du coup, la question ne se pose pas. Elle se pose, pardon, si, uniquement en toute fin d’inscription parfois. En fait, on se contente de leur expliquer ce qui les attend au Jobcenter, et parfois les gens préfèrent un emploi à temps partiel. Mais moi je force pas. (Entretien avec Kerstin, conseillère « retranchée », Arbeitsagentur de Sarre, 21 décembre 2015)
72Dans les agences de Pôle emploi, le cadrage réglementaire des temporalités repose sur une catégorisation dichotomique qui raréfie encore plus les situations de déviance du côté des chômeurs. L’inscription administrative, en ligne ou par téléphone, requiert des demandeurs qu’ils précisent leur recherche d’emploi, à temps plein ou à temps partiel. À la suite du premier rendez-vous, un PPAE (projet personnalisé d’accès à l’emploi) est conclu entre le conseiller et le chômeur, dans lequel les propriétés des emplois recherchés sont formalisées, notamment en matière de durée d’emploi, soit pleine, soit partielle, soit les deux. Il sert de point de repère pour qualifier l’« offre raisonnable d’emploi33 ». En conséquence, la « conscience du droit » (Silbey 2005) des publics est déterminante, puisque leur capacité à exiger un certain type d’emploi et connaître ce qu’ils peuvent refuser influencera toutes les futures interactions, où l’on pourra rappeler leurs engagements initiaux. Ils y sont plus rares que dans les deux autres institutions et essentiellement concentrés sur des populations qui méconnaissent l’existence d’une règle concernant les heures d’emploi prospectées. À l’inverse, les textes réglementaires sont mobilisés par certains chômeurs pour s’inscrire en faux, lorsqu’ils pressentent une pression des conseillers pour diminuer la durée d’emploi recherchée. Ils constituent une ressource pour les publics les plus rompus à la lecture des documents imprimés ou la fréquentation des forums de chômeurs, comme l’illustre cette femme, titulaire d’une licence et auparavant secrétaire dans une entreprise de services à la personne.
Kévin – Ça fait 6 mois que vous êtes inscrite. Il faudra que vous revoyiez un peu les critères du coup, pour les offres qu’on vous proposera…
Usagère – Oui, je sais que ça va être salaire à – 15 %, donc ça fait… j’ai calculé et j’ai écrit… 1 615 €. Ça me va encore. Et je sais que pour le temps de travail, en revanche, c’est écrit que ça reste fixé tout le temps, sur du temps plein ?
Kévin – Oui, tout à fait. La réglementation ne prévoit pas qu’on puisse vous demander de l’abaisser. (Observation au guichet d’accueil tenu par Kévin, conseiller « aiguilleur », Pôle emploi de Seine-Saint-Denis, 11 mars 2014)
73Ainsi, la qualification des offres d’emploi « raisonnables » ou « convenables » ne se traduit jamais dans nos observations en invitation à adopter un emploi à temps partiel. Ses usages visent plutôt à discipliner certains publics pour les rappeler à leur rôle, notamment en Jobcenter.
Un substitut aux radiations
74Cependant, ces relations réglementaires révèlent la contradiction latente entre deux aspects du mandat, à savoir le contrôle étroit des pratiques des chômeurs et leur retour sur le marché de l’emploi. L’application stricte des règles contrarie les aspirations de nombreux conseillers, nuisant par là même à l’objectif d’intermédiation. Le rationnement de l’emploi représente une stratégie récurrente pour dénouer cette contradiction, en troquant une application parcimonieuse de la règle en échange de concessions dans le profil de recherche. Le formalisme égalitaire du droit s’efface derrière le souci éthique antiformaliste des conseillers (Weber 2013, p. 291).
75La réglementation n’est donc pas qu’une ressource pour institutionnaliser les rapports ordinaires, mais aussi un obstacle à certaines missions. Plusieurs conseillers « accompagnants » pointent les conséquences néfastes des sanctions pour leur travail. Mariva déplore ainsi que les sanctions réduisent encore les chances de retrouver un emploi pour les concernés. Si elle ne refuse pas systématiquement d’appliquer les sanctions aux chômeurs, elle juge cependant douteuse leur efficacité pour favoriser l’adoption des « bonnes pratiques ».
La règle, bon, c’est censé leur rappeler leurs devoirs. Mais en même temps, ça a des conséquences, et on ne contrôle pas forcément les conséquences. Parfois des gens se désinscrivent, parfois des gens peuvent devenir SDF. Et ça touche aussi forcément des proches, la mamie qui doit donner de l’argent, ou plus grave, les enfants qui n’ont plus de quoi aller en vacances. C’est donc lourd, si quelqu’un a fait n’importe quoi, ça veut pas dire que je vais directement le sanctionner et faire un rapport, il faut voir un peu ses conditions de vie et sa famille. (Entretien avec Mariva, conseillère « accompagnante », Arbeitsagentur de Sarre, 22 décembre 2015)
76De même, les conseillers « retranchés » hésitent souvent à exercer une sanction. S’ils n’angoissent pas tellement à l’idée des conséquences sur la personne ou ses proches, ils veulent à tout prix éviter leur implication et les soucis supplémentaires au travail. La crainte d’une polémique de longue durée, voire d’une contestation par voie légale, les tient éloignés des sanctions. Ils appréhendent de devoir rédiger des rapports, les annoncer aux concernés et les justifier aux supérieurs – autant de difficultés dont ils soupçonnent certains chômeurs de tirer volontairement profit.
Y a des sanctions qui sont faciles à prononcer. Genre les retards en rendez-vous, c’est facile, il suffit de cliquer avec l’ordinateur. Mais alors si quelqu’un n’accepte pas de bosser, ou bien si quelqu’un refuse obstinément des formations, c’est la galère. Il faut lui dire en face-à-face, et franchement, c’est pas toujours facile. Ensuite, il faut remplir des formulaires, faire un rapport à la direction, qui demande l’accord du préfet… Donc, tu as un chemin de paperasses, en aller-retour, tu en as pour plusieurs semaines. Et les chômeurs le savent aussi, certains, qui sont habitués, ils savent bien que ça nécessite de s’accrocher pour mener tout ça à bien, et du coup ils poussent un peu. Enfin bon, la question, c’est de savoir si on veut perdre une matinée de boulot, avoir tout à rattraper, tout ça pour sanctionner quelqu’un. Moi j’ai pas le temps, ni l’envie. (Entretien avec Fatima, conseillère « retranchée », Pôle emploi de Seine-Saint-Denis, 29 avril 2014)
77De plus, le règlement impose certaines catégories de jugement, que les conseillers peuvent eux-mêmes estimer inadéquates. Ainsi, la hiérarchie des sanctions qui châtie plus durement une absence en entretien qu’un refus d’emploi suscite leur incompréhension à Pôle emploi, de la même manière que les conseillers de Jobcenter désapprouvent une peine plus dure pour une absence à un rendez-vous d’un moins de 25 ans par rapport à l’abandon de poste d’un individu plus âgé (tableau 14).
Tab. 14 – Sanctions réglementaires (actualisées au 1er janvier 2021)
Pôle emploi (régi par le Code du travail) | Arbeitsagentur (régie par le SGB III) | Jobcenter (régi par le SGB II) |
Abandon non justifié d’un poste | ||
Pas de droits à l’indemnisation. | L’indemnisation est supprimée pendant 12 semaines, avec suspension des cotisations à l’assurance vieillesse. | 3 mois de réduction de 30 % de l’allocation, ou 100 % si moins de 25 ans. |
Insuffisance de recherche d’emploi | ||
1 mois de radiation, 2 mois en cas de répétition, 4 mois une 3e fois. | L’indemnisation est supprimée pendant 2 semaines, avec suspension des cotisations à l’assurance vieillesse. | 3 mois de réduction de 30 % de l’allocation, de 60 % puis 100 % si répétition (directement 100 % si moins de 25 ans). |
Refus d’un contrat (emploi, apprentissage, insertion…), d’une formation, d’une prestation, d’actualiser son projet, d’une visite médicale, d’un « job à 1 € » (Jobcenter), d’offres dites raisonnables – au premier refus (Arbeitsagentur, Jobcenter) ou au second (Pôle emploi) –, et motifs divers | ||
1 mois de radiation, 2 mois en cas de répétition, 4 mois une 3e fois. | L’indemnisation est supprimée pendant 3 semaines, 3 autres semaines si répétition, puis 12 semaines, avec suspension des cotisations à l’assurance vieillesse. | 3 mois de réduction de 30 % de l’allocation, de 60 % puis 100 % si répétition (directement 100 % si moins de 25 ans). |
Absence à une convocation ou à une visite médicale | ||
1 mois de radiation, 2 mois en cas de répétition, 4 mois une 3e fois. | L’indemnisation est supprimée pendant 1 semaine, avec suspension des cotisations à l’assurance vieillesse. | 3 mois de réduction de 10 % de l’allocation, puis 10 % à chaque répétition (tolérance d’une violation si moins de 25 ans). |
78Or, l’observation des arrangements quotidiens, face aux chômeurs, permet d’accéder à tout un continent souterrain d’arrangements, où le temps d’emploi occupe une place conséquente. En effet, pour maintenir l’ordre institutionnel sans condamner les chômeurs à l’indigence pour les uns, ni s’investir de façon exagérée dans le processus pour les autres, des transactions temporelles ont régulièrement lieu : tolérance exceptionnelle des déviances réglementaires, en échange d’une dégradation des vœux d’emploi. Ce faisant, les conseillers et les chômeurs construisent une dérogation tacite où l’exposition accrue à des emplois de moindre qualité, comme le temps partiel, permet d’éviter toute sanction administrative. Les chômeurs conservent leur employabilité sans risquer la précarisation, les conseillers continuent d’exercer leur mandat d’intermédiation sans effort supplémentaire à consentir. Ainsi, l’hostilité de certains conseillers aux formes établies de la sanction provoque l’apparition d’un régime informel et statistiquement invisible de sanctions tacites.
79La situation suivante illustre ces transactions temporelles à l’ombre du règlement. Une jeune chômeuse de 26 ans est reçue, 2 semaines après avoir quitté l’emploi trouvé au trimestre précédent durant une recherche conjointe avec Fabian, son conseiller. Or, une telle action est passible de suspension financière. Mais Fabian est réticent à adopter de telles sanctions, car il juge la chômeuse « en difficulté : je sais qu’elle a ses deux filles, si je prononce la sanction, c’est aussi elles qui vont subir, et moi, je trouve que ce n’est pas juste. Mais en même temps, je ne peux pas laisser les gens faire n’importe quoi et venir à l’agence, autant fermer sinon34 ». Il tente un rappel à l’ordre déconnecté du régime des sanctions : du sous-emploi pour effacer la déviance.
Chômeuse – Vous m’avez aidé à trouver un emploi, il y a genre 3 mois.
Fabian – Mais oui ! Et alors, pourquoi vous êtes là du coup ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
Chômeuse – Ben… ça a été horrible. Tout le monde était horrible, j’ai pas pu tenir.
Fabian – C’était de la comptabilité pour les assurances ?
Chômeuse – Tout à fait. Mais pas du tout ce qui était écrit sur la fiche de poste…
Fabian – Attendez, peut-être, mais enfin là, vous êtes déjà de retour après 3 mois, donc disons 2 en emploi… ça ne va pas du tout hein. Vous savez que là c’est un abandon de poste non justifié ?
Chômeuse – Oui, je vais pas mentir. Je sais.
Fabian – Et normalement, je dois vous couper… vous avez dépassé 25 ans, ça va, mais sinon je devais vous couper 100 % ! Là je suis censé vous enlever 30 % de l’ALG 2, vous savez aussi ?
Chômeuse – J’ai entendu dire.
Fabian – Bon, écoutez, je vous propose que je n’applique pas ça, on évite de vous couper les aides à la « communauté de besoin » [Bedarfsgemeinschaft], et, en échange, on part sur une recherche avec peu de critères ? Large ? Genre avec du temps partiel, pas le travail de nuit parce que vous avez un enfant [deux en réalité], mais travail le week-end aussi ? Et je ferme les yeux.
Chômeuse – D’accord. J’accepte. (Observation d’un entretien de suivi conduit par Fabian, conseiller « accompagnant », Jobcenter de Sarre, 18 décembre 2015)
80Le rationnement du temps d’emploi au nom du règlement prend aussi parfois une forme indirecte. On l’observe dans le cas suivant, où Jennifer entend sévir face à une personne absente en formation, sans pour autant déclencher le processus bureaucratique de radiation ni s’investir émotionnellement dans une controverse. Le chômeur, qui a exercé de ses 15 ans à ses 26 comme carreleur au Maroc, avant d’occuper des CDD de maçonnerie en Île-de-France, ignore les dispositions du Code du travail concernant son statut de chômeur. Il souscrit donc sans discussion à la suggestion de la conseillère, qui abaisse ses qualifications statutaires (en le transférant de maçon à aide-maçon) afin de dégrader la qualité des offres d’emploi auxquelles il s’expose. Ce faisant, à la place de 11 offres de maçon, toutes à temps plein ou indéterminé, l’écran affiche 12 offres d’aide-maçon, dont 3 à temps partiel. Nulle mention des heures hebdomadaires de travail dans cet échange, mais la déqualification professionnelle vise explicitement à les réduire.
Jennifer – Le français, vous maîtrisez ?
Chômeur – Oui.
Jennifer – À l’écrit ?
Chômeur – Ah non, je peux pas lire.
Jennifer – Des difficultés à l’expression écrite alors.
Chômeur – Oui.
Jennifer – Et je relis l’entretien de la dernière fois, ça fait 16 juillet 2013, presque un an qu’on ne s’est pas vu. Bon, et avant de nous quitter… Vous deviez suivre une formation. Vous l’avez suivie ?
Chômeur – Heu… non.
Jennifer – [Elle souffle brusquement par le nez.] Bon ! Eh bien… on va vous mettre comme aide-maçon ou aide-carreleur [comme profession, dans le profil de demandeur d’emploi], vous trouverez des petits boulots au moins comme ça, puisque…
Chômeur – Oui… (Observation d’un entretien conduit par Jennifer, conseillère « retranchée », Pôle emploi de Seine-Saint-Denis, 8 juillet 2014)
81Ces rationnements réglementaires ont lieu en Jobcenter et dans l’agence de Pôle emploi de Seine-Saint-Denis. Le régime d’assistance aux chômeurs, contrairement à l’assurance, concerne l’ensemble du ménage (la « communauté de besoin »), pris en compte lors du calcul des versements – aussi bien pour majorer le revenu si l’allocataire partage son domicile avec une personne dépendante, que pour le réduire s’il cohabite avec une personne salariée ou dotée en patrimoine. Dans ce régime familialiste où tout le foyer est censé mêler ses revenus35 et où les droits sont désindividualisés, les conseillers affichent plus de scrupules à prononcer des sanctions susceptibles de se répercuter vivement sur des tiers, d’où les négociations qu’y substituent les « accompagnants ». Quant à Pôle emploi, les radiations ne sont pas automatisées dans le progiciel (sauf pour les absences en entretien) et impliquent la rédaction fastidieuse de courriers ainsi que la constitution d’un dossier, ce qui dissuade les agents « retranchés ».
82Ainsi, le rationnement temporel constitue un outil précieux pour les conseillers, qui le mobilisent afin d’atteindre clandestinement les objectifs alloués aux règles formelles (Terssac 1992), maintenant les rôles institutionnels tout en limitant la paupérisation des publics ou l’implication personnelle.
Conclusion
83Les pratiques d’intermédiation produisent de l’emploi à temps partiel. En effet, cette forme d’activité est investie de propriétés marchandes singulières. Elle entre en résonance avec le mandat d’intermédiation sur plusieurs plans : la réduction des heures d’emploi recherchées vise soit à accroître le nombre d’offres disponibles, soit à accentuer la précision des sélections ou encore raccourcir les délais de pourvoi.
84La répartition et l’intensité du temps partiel parmi les populations de chômeurs accueillies dépendent des représentations personnelles des agents, des savoirs produits par l’institution et de leurs caractéristiques individuelles. La promotion du temps partiel s’avère donc inégale et localisée. Elle se concentre notamment sur quelques groupes sociaux : les femmes, les publics identifiés par les statisticiens (jeunes et vieux en France, migrants en Allemagne) ou les secteurs professionnels surexposés dans les répertoires administratifs. Dans la configuration contemporaine de l’intermédiation, l’adaptation des chômeurs aux offres prime sur le mouvement inverse. La logique bidirectionnelle demeure donc très théorique, faute de ressources allouées aux conseillers pour la mettre en œuvre (Sell 2006).
85Le destin temporel des chômeurs est en partie inscrit dans le lieu de leur convocation. En effet, la combinaison des dispositions sociales des conseillers et des chômeurs circonscrit des effets de lieux. Un cadran permet de représenter les requalifications horaires typiques de chaque site et d’identifier la concentration de la plupart des traits sur les 2 agences (figure 7). À cet égard, l’institution nationale s’articule avec la situation socioéconomique des publics pour expliquer la distribution des rationnements. Les sites les plus semblables demeurent l’agence de Pôle emploi de Seine-Saint-Denis et le Jobcenter, tandis que ce dernier et l’agence de Pôle emploi des Yvelines connaissent les situations les plus éloignées. Le Jobcenter apparaît comme le cœur de la diffusion d’offres à temps partiel : la menace latente du sous-emploi y assure la docilité des publics, en même temps que cette docilité permet de promouvoir le temps partiel lorsque nécessaire (Grimmer 2018).
Figure 7 – L’espace des motifs de rationnement, d’une agence à l’autre.

86L’analyse des transactions temporelles conduites par les conseillers rend aussi compte d’une série de décalages, entre la demande sociale adressée et les outils de résolution dont ils disposent. Décalage dans la problématique d’abord, puisque le manque d’emplois, la pauvreté ou les inégalités ne sont pas de leur ressort ; pourtant, ils tentent d’y répondre en utilisant les offres stockées. Décalage dans les solutions ensuite, puisqu’ils délivrent souvent des propositions qui apparaissent inadéquates aux publics.
87Finalement, les observations soulignent l’homologie forte qui unit la relation aux employeurs et la relation aux conseillers. La dégradation du rapport de force entre chômeurs et employeurs entraîne la détérioration du rapport de force entre chômeurs et conseillers. Soucieux d’accompagner les publics vers le marché de l’emploi, les conseillers les invitent par là même à réviser à la baisse leurs aspirations, afin de demeurer concurrentiels par rapport à leurs homologues – qui reçoivent simultanément le même conseil. Dans un jeu de miroirs inversés, la lutte pour la journée de travail au sein du service public d’emploi ne consiste plus à chercher l’augmentation des heures du côté des capitalistes et sa réduction du côté des travailleurs (Marx 1993) ; au contraire, elle mobilise les conseillers pour raccourcir les aspirations horaires des publics36.
Notes de bas de page
1 Sur l’année 2015, le service public d’emploi allemand accueillait en moyenne 1 offre d’emploi pour 5 chômeurs enregistrés et en recherche d’emploi. Son homologue français en recevait 1 pour 11 chômeurs en recherche active. Le rapport s’est resserré début 2020 sans changer de sens : le service public d’emploi n’entrepose qu’une offre pour 3 inscrits en Allemagne et 1 pour 7 en France (Statistik der Bundesagentur für Arbeit, Pôle emploi).
2 Discussion avant un entretien avec Martin, conseiller « accompagnant », Pôle emploi des Yvelines, 24 mars 2014.
3 Discussion après un entretien avec Avetis, conseillère « retranchée », Jobcenter de Sarre, 15 décembre 2015.
4 Discussion de couloir avec Loriane, conseillère « accompagnante », Pôle emploi de Seine-Saint-Denis, 18 mars 2014.
5 Entretien avec Else, « accompagnante », Jobcenter de Sarre, 11 décembre 2015.
6 Kindertagesbetreuung regional 2016. Ein Vergleich aller 402 Kreise in Deutschland, Statistisches Bundesamt (Statistische Ämter des Bundes und der Länder), 2016.
7 DREES, Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, enquête protection maternelle et infantile, 2014.
8 Ces statistiques ne tiennent pas compte du personnel municipal affecté aux Jobcenter, faute de données centralisées.
9 En raison de ma présence discontinue dans l’agence.
10 Discussion au déjeuner avec Florian, conseiller « retranché », Arbeitsagentur de Sarre, 4 décembre 2015.
11 Discussion au déjeuner avec Mehdi, conseiller « accompagnant », Pôle emploi de Seine-Saint-Denis, 18 mars 2014.
12 En l’occurrence Blouard, Costanzo et Muhl 2013.
13 Sauf pour la population féminine ouest-allemande, dont la probabilité de temps partiel est plus élevée durant la quarantaine qu’après 55 ans.
14 Il s’agit de la donnée ACT T3 produite au niveau départemental et subdivisée au niveau infradépartemental pour le périmètre de l’agence.
15 Insee, dossier complet, département de Seine-Saint-Denis, 2014.
16 Avec une limite importante, sur laquelle je reviens au chapitre IV : le nombre croissant d’offres qui n’affichent pas le temps d’emploi effectif, ce qui introduit un décalage entre les représentations des agents, fondées sur les offres codées, et la répartition du temps partiel parmi toutes les offres, y compris celles dont les employeurs ne précisent pas le volume horaire hebdomadaire.
17 Discussion avant un entretien conduit par Camila, conseillère « accompagnante », Pôle emploi des Yvelines, 8 avril 2014.
18 Observation d’un entretien conduit par Mariva, conseillère « accompagnante », Arbeitsagentur de Sarre, 22 décembre 2015.
19 Observation d’un entretien conduit par Daniela, conseillère « retranchée », Pôle emploi de Seine-Saint-Denis, 8 septembre 2014.
20 Observation au guichet avec Joanna, conseillère « retranchée », Pôle emploi des Yvelines, 17 février 2014.
21 Entretien avec Sabine, conseillère « retranchée », Arbeitsagentur de Sarre, 22 décembre 2015.
22 Loriane représente une exception notable, car elle n’hésite pas à tancer gentiment les chômeurs reçus, leur reprochant des précautions excessives et leur enjoignant de rehausser les vœux salariaux.
23 Discussion après un entretien avec Mariva, conseillère « retranchée », Jobcenter de Sarre, 21 décembre 2015.
24 Observations d’entretiens conduits par Martin, conseiller « accompagnant », Pôle emploi des Yvelines, 26 septembre 2014, et par Sabine, conseillère « retranchée », Arbeitsagentur de Sarre, 16 novembre 2015.
25 Observation conduite sur le moteur d’appariement numérique Jobbörse (commun aux Arbeitsagenturen et Jobcenter) le 1er septembre 2021.
26 Des versements excessifs d’allocations par rapport aux droits ouverts.
27 Observation d’entretien conduit par Jessica, conseillère « accompagnante », Pôle emploi des Yvelines, 2 juin 2014.
28 Observation d’entretien conduit par Nassima, conseillère « accompagnante », Pôle emploi de Seine-Saint-Denis, 6 août 2014.
29 Les allocataires du RSA, par exemple, sont admis comme chômeurs parmi le public des agences de Pôle emploi.
30 Discussion après un entretien conduit par Günther, conseiller « accompagnant », Arbeitsagentur de Sarre, 12 novembre 2015.
31 Le SGB III considère explicitement comme déraisonnable toute offre au salaire inférieur de 20 % vis-à-vis du revenu à partir duquel est calculée l’allocation (avant le 4e mois d’inscription), puis de 30 % (à partir du 4e mois), ou même un salaire inférieur au niveau de l’allocation elle-même (au 7e mois), ainsi qu’un trajet de 2 heures ou 2 h 30 pour se rendre au travail (selon que l’activité journalière dure moins ou plus de 6 heures). Une jurisprudence foisonnante a tranché un certain nombre de situations contestées : salaire de 30 % inférieur à la convention collective ou aux normes locales en vigueur, violation des lois sur le travail (congés, durée d’emploi, sécurité…), insuffisantes qualifications du chômeur, allergies alimentaires pour travailler en cuisine, employeur ayant préalablement harcelé le chômeur…
32 Dans la jurisprudence, le tribunal social fédéral (Bundessozialgericht) a jugé qu’une offre qui rapporte plus d’argent que l’allocation, même si elle est accomplie à temps partiel, doit être considérée comme raisonnable par les deux protagonistes (Az. : 7 RAr 150/88, Bundessozialgericht, 1988).
33 « En vertu de l’article L. 5411-6-4 du Code du travail, si le PPAE prévoit que le ou les emplois recherchés sont à temps complet, le demandeur d’emploi ne peut être obligé d’accepter un emploi à temps partiel, quelle que soit son ancienneté d’inscription. De même, si le PPAE prévoit que le ou les emplois recherchés sont à temps partiel, le demandeur d’emploi ne peut être obligé d’accepter un emploi à temps complet ». Circulaire DGEFP no 2008/18 du 5 novembre 2008 relative à la mise en œuvre du projet personnalisé d’accès à l’emploi et à l’offre raisonnable d’emploi, Délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle, 2008.
34 Discussion après l’entretien avec Fabian, conseiller « accompagnant », Jobcenter de Sarre, 18 décembre 2015.
35 Ce qui ne va pas sans controverse dans le cas des colocations, par exemple.
36 Et plaider symétriquement pour un rallongement des offres d’emploi lorsqu’ils s’entretiennent avec des recruteurs au « service employeurs ». Je n’ai toutefois observé celui-ci que du côté français, et il importe de demeurer prudent sur son effet temporel. Ce, d’autant que la proportion massive d’offres ne comportant aucun critère de temps d’emploi (voir le chapitre IV) limiterait toute bonne volonté régulatrice des agents.
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