Introduction. « Trop considérable et peu portatif »
p. IX-XVI (tome second)
Texte intégral
1« Une explication détaillée de tous les objets qui viennent d’être exposés, pour la première fois, au Musée Napoléon, aurait formé un volume trop considérable et peu portatif ; aussi, le Directeur-général des Musées, a-t-il jugé convenable de la restreindre à l’indication des sujets », lit-on dans l’introduction au catalogue des Statues, bustes, bas-reliefs, bronzes, et autres antiquités, peintures, dessins, et objets curieux, conquis par la Grande Armée, dans les années 1806 et 1807 ; dont l’exposition a eu lieu le 14 octobre 1807, premier anniversaire de la Bataille d’Iéna. Il a été longuement question, dans le chapitre x du premier volume, de l’exceptionnelle réunion à Paris, pendant six mois, des œuvres saisies en Allemagne. Contrairement aux confiscations opérées en Italie, celles qui ont affecté les Etats germaniques n’ont pas été entérinées par des traités diplomatiques, et le seul droit du plus fort a rendu possible l’annexion massive des collections dynastiques de Berlin, Potsdam, Brunswick, Cassel, Schwerin et Varsovie. La publication, en octobre 1807, d’une « explication détaillée » des œuvres ainsi exposées en France aurait certes formé un volume « trop considérable et peu portatif » : il n’était d’ailleurs pas dans les habitudes éditoriales du musée Napoléon de produire des catalogues d’envergure, les notices étant conçues avant tout comme un instrument de repérage maniable, destiné à faciliter l’identification des objets dans les salles d’exposition.1 Mais, moins d’un an après la redoutable campagne de 1806, il y avait peut-être aussi une certaine prudence, de la part des administrateurs parisiens, à ne pas fournir dans un ouvrage trop précis le matériel susceptible d’éclairer les revendications éventuelles des souverains lésés. Le catalogue de l’exposition allemande de 1807 se présente ainsi, sur une centaine de pages, comme une simple liste d’œuvres numérotées – précédées, dans le cas des tableaux, du nom de leur auteur. Si la mention des artistes est suivie de quelques informations biographiques, rien n’est dit en revanche de l’origine géographique des œuvres exposées, de leur taille et, pour les tableaux, du support sur lequel ils sont peints.
2Si elles étaient communes à tous les autres catalogues du musée Napoléon, ces omissions ne frapperaient pas. Mais dès avant 1807, et malgré leur brièveté, les notices consacrées aux tableaux pris en Italie précisent généralement la provenance des œuvres. Et en 1814, si elle ne donne pas les dimensions des pièces exposées, la Notice des tableaux des écoles primitives mentionne le support sur lequel elles sont peintes. Parce qu’il reste muet sur l’origine et le format des objets « conquis », rendant leur identification et leur localisation ardues, le catalogue de 1807, dans sa version originale, est une mine difficile à exploiter pour l’historien et l’historien de l’art. D’où le projet, qui est à l’origine de ce second volume, d’en approfondir les termes à la lumière de documents d’archives inédits et grâce aux outils iconographiques et informatiques qui sont désormais à la disposition du chercheur. Il s’agit d’un premier essai : le résultat est encore bien imparfait. Peut-être permettra-t-il néanmoins, en l’état, de donner à la réunion spectaculaire des chefs-d’œuvre saisis en Allemagne la place qui lui revient dans l’histoire du collectionnisme allemand. Peut-être cette reconstitution fournira-t-elle aussi quelques éléments susceptibles d’illustrer l’évolution du goût et des priorités esthétiques, en France, au début du xixe siècle.
Origine géographique des œuvres présentées lors de l’exposition de 1807-1808

Légende : les lignes en gris clair correspondent aux frontières entre États allemands.
Crédits/Source : © FPK – Ingenieurgesellschaft mbH, Berlin
Outils
3L’identification des œuvres sommairement décrites dans le catalogue de 1807 résulte de la confrontation et du recoupement de différents types de sources, imprimées et manuscrites :
Le catalogue de l’exposition de 1807 lui-même
4Il a servi de support constant à toute l’entreprise de reconstitution. Attention : sous des couvertures identiques et sans signe distinctif apparent, il existe plusieurs versions de l’ouvrage. La numérotation des œuvres, les indications biographiques, les commentaires divergent parfois nettement de l’une à l’autre. Les deux exemplaires que nous avons pu comparer sont conservés pour l’un à la Staatsbibliothek de Berlin, pour l’autre dans une bibliothèque particulière. C’est le second, plus complet, qui nous a servi de référence et dont nous reproduisons ici certaines pages significatives.
Les inventaires de saisie
5Scrupuleusement dressés par Denon et ses assistants, et malgré de fortes variations dans le degré de précision, ils sont l’outil le plus indispensable à l’identification des œuvres allemandes exposées en France. Il existe généralement plusieurs exemplaires de ces documents, destinés à la fois aux administrations parisiennes et à celles des établissements dépouillés. La plupart d’entre eux sont inédits ; nous les publions intégralement à la fin de ce volume. Les procès-verbaux de confiscation dressés à Brunswick, Schwerin et Cassel sont conservés, entre autres, aux Archives nationales à Paris. Ceux de Berlin et Potsdam, en revanche, semblent perdus : pour les statues et les tableaux tirés des palais de la capitale bicéphale, nous reproduisons ici un inventaire publié entre 1814 et 1816 par l’éditeur et diplomate prussien Friedrich Schoell, qui disposait manifestement des pièces originales et qui tient compte des tableaux saisis à Varsovie et à Dantzig ; l’inventaire des confiscations pratiquées dans le « cabinet des arts » (Kunstkammer) du château royal de Berlin est également perdu, semble-t-il, mais il a été recopié et complété (de mémoire ?) par Jean Henry, directeur des lieux, sur quelques feuillets manuscrits conservés aujourd’hui à Potsdam. Seuls les inventaires mentionnés ici sont utiles pour reconstituer l’exposition de 1807-1808. Nous reproduisons néanmoins la liste des tableaux et des livres saisis à Nuremberg par François-Marie Neveu (déjà publiée), ainsi que celle des tableaux saisis à Munich en 1800, conservée dans les Archives des Musées nationaux. Et puisqu’il aurait été fâcheux, dans ce contexte, de ne pas inclure les grandes collections de Vienne, nous publions également la liste des tableaux du Belvédère saisis par Denon en 1809, conservée elle aussi dans les Archives des Musées nationaux.
L’inventaire Napoléon2
6C’est la mémoire vive – et parfois lacunaire ou approximative – du musée du Louvre avant le démantèlement de 1815. Établi à partir de 1810, il prend en compte les œuvres saisies en Allemagne, qui sont inventoriées, selon leur genre, entre les autres objets conservés par l’établissement. La démarche est systématique ; deux catégories d’informations sont particulièrement utiles pour identifier les objets du catalogue de 1807 : les informations concernant la taille des œuvres, qui – c’est appréciable et nouveau pour le siècle – sont données en centimètres ; et les mentions portées en marge après 1815, qui – malgré quelques inversions et confusions – désignent le nom et les titres des commissaires auxquels les œuvres ont été restituées. Les dix-sept volumes de l’inventaire Napoléon sont conservés dans les Archives des Musées nationaux et sont en voie de publication.
Les inventaires de restitution
7Là encore, il existe plusieurs exemplaires de ces documents, tant en France que dans les villes allemandes spoliées. Pour des raisons pratiques, nous avons utilisé principalement le recueil rassemblé sous la cote *1 dd 53 des Archives des Musées nationaux à Paris. Ces inventaires sont généralement moins précis, et donc moins utiles, que les procès-verbaux de saisie ou que les notices de l’inventaire Napoléon. Ils permettent néanmoins – comme dans le cas des dessins et des majoliques provenant de Brunswick – d’éclairer certains points particuliers.
Les anciens catalogues imprimés des collections allemandes
8Il a déjà été question de ces catalogues dans le chapitre iv du premier volume. Publiés généralement au cours des trente dernières années du xviiie siècle, parfois en langue française, ils permettent surtout de s’assurer de l’existence de telle œuvre, de sa dénomination et de sa taille (en pieds et pouces) dans les collections allemandes au moment du passage de Denon. Dans certains cas, comme à Brunswick, les inventaires de saisie renvoient explicitement aux numéros du catalogue imprimé (ici : Eberlein 1776), ce qui facilite le travail d’identification.
Les recueils de gravures du musée Napoléon
9Plusieurs de ces ouvrages ont été évoqués en détail dans le chapitre x du premier volume. Recueils sélectifs et plus ou moins élaborés, ils fournissent un complément d’information iconographique très précieux pour identifier avec certitude des œuvres que les autres sources – inventaires de saisie, de restitution, inventaire Napoléon, catalogues imprimés – se contentent de décrire littéralement. Parmi les recueils de gravures publiés à Paris sous l’Empire, les Annales de Landon et la Galerie du musée Napoléon de Filhol rassemblent le plus grand nombre d’œuvres saisies en Allemagne. Elles signalent généralement qu’il s’agit de fruits « de la conquête de 1806 », sans toutefois préciser l’origine exacte des œuvres reproduites.
Les catalogues actuels des collections
10La plupart des établissements qui gèrent aujourd’hui, en Allemagne, les patrimoines dynastiques partiellement transférés en France en 1806 et 1807 disposent de catalogues imprimés exhaustifs et largement illustrés, même si les tableaux sont généralement mieux servis que les autres catégories d’œuvres (avec une exception notable : les objets précieux de la Renaissance et de l’époque baroque conservés à Cassel et Brunswick, remarquablement documentés grâce au travail de Rudolf-Alexander Schütte). Dans la mesure où presque toutes les œuvres exposées à Paris en 1807 ont été restituées à leurs propriétaires légitimes entre 1814 et 1816, il est normal de retrouver leur trace dans les collections actuelles, même si la Seconde Guerre mondiale a entraîné de nouveaux déplacements et de nouvelles pertes. A cet égard, les catalogues « négatifs », où sont recensées les œuvres disparues, jouent un rôle important dans la localisation des tableaux saisis par Denon à Potsdam, Berlin et Schwerin. Dans certains cas, lorsque les catalogues les plus récents sont trop anciens (c’est le cas, notamment, de l’inventaire des bronzes antiques conservés à Berlin, publié en 1871, qui ne reflète plus l’état actuel des collections), on a eu recours à des catalogues d’exposition ou à des articles ponctuels. Et bien souvent, faute de littérature critique, ce sont le professionnalisme et les compétences des conservateurs en poste qui ont permis de faire progresser l’enquête.
Parti pris éditorial
11La présente version du catalogue de 1807 reprend les termes de l’édition originale. Toutes les indications, explications, descriptions, tous les numéros et toutes les particularités typographiques de l’original sont respectés et reproduits ici en caractères gras. Le résultat des recherches complémentaires, pour sa part, est composé en maigre. Quelques remarques :
Le titre des œuvres
12Pour ne pas compliquer l’identification des objets exposés – qui ont été confisqués sous un titre, montrés sous un autre, restitués parfois sous un troisième –, on a choisi de reprendre à la lettre les désignations qui apparaissent dans les catalogues des musées où ils sont conservés actuellement (le plus souvent en allemand, donc). Les informations concernant la date d’exécution et la taille de ces œuvres sont, pour la plupart, empruntées également à ces catalogues.
Localisation
13L’objectif du présent travail n’a pas été de dresser l’historique particulier de chaque œuvre « allemande » exposée à Paris en 1807-1808, mais de déterminer où elle se trouvait au moment de sa saisie, où elle a été conservée pendant son séjour en France, et où elle se trouve désormais. Le lieu de confiscation est généralement donné par les procès-verbaux d’enlèvement (la notice mentionne alors, entre crochets, la source concernée). L’inventaire Napoléon ou les notices du musée Napoléon (également cités entre crochets) permettent de déterminer le lieu où les œuvres furent conservées en France sous l’Empire. Les institutions qui en ont désormais la garde se déduisent quant à elles des catalogues de musée récents (et la notice précise, toujours entre crochets, le numéro d’inventaire actuellement attribué aux œuvres). Dans le cas des objets disparus, volés ou détruits pendant la Seconde Guerre mondiale, on s’est efforcé de préciser, lorsqu’ils sont connus, le lieu et le moment de la disparition.
Conservation et diffusion
14Dans la perspective d’une étude sur les transferts culturels, l’une des priorités a été de déterminer dans quelle mesure les œuvres transplantées en France ont souffert, ou au contraire profité de leur exil, en termes de conservation et de publicité. Dans la mesure où elles sont attestées par les factures et les rapports des artisans parisiens, les restaurations pratiquées sur les objets « conquis » sont mentionnées dans les notices. On a par ailleurs tenté de recenser les gravures réalisées en France d’après les œuvres venues d’Allemagne, et – dans le cas des statues – de signaler d’éventuelles reproductions plastiques (moulages). Dans tous les cas, les sources mobilisées sont explicitement citées entre crochets.
Bibliographie sommaire
15De même qu’il ne s’agissait pas de dresser ici l’historique complet de chaque œuvre exposée, il ne s’agissait pas non plus d’en fournir la bibliographie exhaustive. Seuls les catalogues des musées où sont actuellement conservées les œuvres (lorsque ces catalogues existent) sont mentionnés ici. Ils comportent généralement une bibliographie complète des œuvres citées. Quelques titres complémentaires ont été ajoutés lorsque les musées ne disposent pas de catalogue de référence, ou que ces catalogues sont vraiment trop anciens.
Illustrations
16Dès la mise en chantier de cette enquête, il a paru que la reconstitution du catalogue de 1807 ne serait réellement efficace et plaisante que si elle était abondamment illustrée. La grande majorité des œuvres identifiées sont reproduites ici. Celles dont la trace s’est perdue ou qu’il n’a pas été possible de localiser ont parfois fait l’objet de gravures antérieures ou contemporaines à leur exil français, gravures que nous reproduisons dans la mesure du possible. Dans certains cas, en particulier dans celui des statues antiques de Cassel, qui ont été dérestaurées en deux vagues successives (en 1913 et 1973), nous avons opté pour une présentation des œuvres dans leur état actuel, têtes et torses séparés, en invitant le lecteur à se reporter aux recueils de gravures témoignant de leur état ancien.
Rosace
17Dans la rubrique des « tableaux », certains noms de peintres sont précédés du signe ❁. Ce signe correspond à la rosace qui, dans le catalogue original de l’exposition, signalait les « peintres dont le Musée ne possédait aucune production » avant la campagne de saisies opérée en Allemagne (voir infra p. 5, « Avertissement »).
18Il est bien évident, puisqu’il s’agit ici d’une première tentative pour reconstituer l’exposition allemande de 1807, qu’un certain nombre d’erreurs n’auront pas été évitées. Il appartient aux spécialistes de les signaler, de les corriger dans la mesure du possible, et peut-être, avec indulgence, de reprendre l’enquête où elle a échoué. Au total, le défrichement présenté ici est avant tout conçu comme une invitation à poursuivre le travail.
Notes de bas de page
1 Voir Isabelle Le Masne de Chermont : « La publication des Notices du musée Napoléon », in : Dominique-Vivant Denon. L’œil de Napoléon, cat. exp., Pierre Rosenberg et Marie-Anne Dupuy (éd.), Paris, Musée du Louvre, Paris 1999, p. 160. Plus généralement, sur le rapport de Denon au livre, du même auteur : « Pour faire vivre un livre qui jamais ne parut », in : Daniela Gallo (éd.) : Les vies de Dominique-Vivant Denon, 2 t., Paris 2001, pp. 381-402.
2 Voir Marianne Hamiaux et Jean-Luc Martinez : « De l’inventaire N à l’inventaire MR : le département des Antiques », in : Daniela Gallo (éd.) : Les vies de Dominique-Vivant Denon, op. cit., pp. 433-460.
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