Chapitre X. Entre trophées militaires et diffusion du savoir
Publicité des œuvres saisies en Allemagne
p. 343-388 (tome premier)
Texte intégral
La manière dont on traite ici les œuvres d’art qu’on a conquises est honteuse. Quelques tableaux ont disparu, nul ne sait où. Une quantité de pierres précieuses, au lieu d’être conservée au cabinet des antiques, orne le cou des femmes des généraux français.
Heinrich von Kleist, 18011
1Il vient d’être question des mesures de restauration parfois spectaculaires dont bénéficient en France certaines des œuvres conquises en Europe. Menées dans un premier temps à grand renfort de publicité (restauration de la Vierge de Foligno), ces mesures techniques sont restées par la suite une affaire de coulisses, le message politique éventuel étant véhiculé désormais par les expositions et les publications consacrées aux œuvres étrangères. Au-delà de leur dimension politique, ces expositions et publications font entrer un choix d’objets dans le champ international de l’utilité publique, des savoirs historique, esthétique ou archéologique – même si nombre d’œuvres, et notamment les antiques d’Italie, sont loin d’être « scientifiquement » vierges lorsqu’elles arrivent en France. Autour des années 1800, néanmoins, on soupçonne ici ou là qu’une grande masse d’objets annexés par la République se trouve cachée à Paris, recelée par des collectionneurs peu scrupuleux, détournée de sa véritable destination pour satisfaire des instincts ostentatoires. Colportée tout au long du xixe siècle, cette idée a permis maintes manipulations rhétoriques fortes, comme en témoignent ces mots d’Ernst Steinmann relatifs aux colonnes d’Aix-la-Chapelle (1915) : « Quatre d’entre elles, de marbre blanc, furent utilisées dit-on pour soutenir le trône que Napoléon s’était fait construire dans les Tuileries. Lorsque ce trône s’effondra après la bataille de Waterloo, les Prussiens décidèrent aussitôt de reprendre ce qui leur appartenait. »2 Qu’en est-il au juste ? Dans quelle mesure les promesses de visibilité et de libéralité formulées par les commissaires français pour justifier leurs saisies ont-elles été effectivement tenues ? En quoi la réunion à Paris des chefs-d’œuvre européens a-t-elle contribué, ou non, à promouvoir le « progrès des arts » si ardemment voulu par les hommes de la Révolution ? Peut-on, en d’autres termes, vérifier ces propos adressés par Denon à l’une de ses victimes allemandes en 1807 : « Il prétendait que le meilleur usage que l’on saurait faire, à Paris, de tels monuments artistiques, nous consolerait amplement d’avoir dû en faire le sacrifice » ?3
2Pour juger de l’utilisation réelle, par les autorités françaises, des œuvres confisquées en Allemagne, il convient ici d’effectuer un retour rapide sur les mesures de diffusion qui, sous la Convention et le Directoire, avaient accompagné l’appropriation par la France des patrimoines de Belgique, de Hollande et d’Italie.
Donner à voir
3« La commission ne peut oublier sans doute que les tableaux venus de la Belgique sont la propriété de tous les peuples et que c’est les ravir à tous que de les entasser dans des magazins », indique autour de 1794 le brouillon non daté d’un rapport conservé aux archives du Louvre.4 La doctrine élaborée depuis l’an II pour justifier les conquêtes artistiques de la France à l’étranger avait en effet réservé une place centrale au motif du « regard » – regard déshonorant des despotes qui souillait les monuments des arts –, la translation en France des œuvres du génie devant marquer pour elles l’entrée dans un champ visuel de qualité supérieure. Or, pour être vues, encore fallait-il que ces œuvres puissent être montrées : autant que le motif des restaurations, celui de l’exposition des tableaux et sculptures venus de l’étranger occupe donc, dès 1794, une place importante dans le discours technico-administratif produit par les conservateurs du musée central des Arts : les œuvres conquises doivent être offertes à la jouissance du public, ne cessent-ils d’affirmer. Ce projet demeure constant jusque sous l’Empire, sa réalisation variant en fonction des gouvernements en place, du message politique couplé à l’entreprise, des budgets et des locaux disponibles. Une remarque consignée dans les procès-verbaux du conservatoire du Muséum, en août 1794, fait du reste sentir l’authenticité de ces aspirations face aux difficultés pratiques qu’elles suscitent : « Il sera déplacé du Muséum quelques tableaux pour faire place aux tableaux précieux de l’école hollandaise et flamande, attendu que le Conservatoire se sent fatigué de ne pouvoir faire jouir le public de la totalité des tableaux de ces deux écoles. »5
4Si, en 1794, trois des quatre premiers tableaux de Rubens saisis par les armées de la République sont aussitôt présentés aux amateurs français dans le Salon carré du Louvre (le Christ entre les Larrons, le panneau central de la Descente de croix et le panneau central de l’Érection de la croix, tous saisis à Anvers, sont visibles dès le mois de septembre : « Les trois célèbres tableaux de Rubens », note ainsi la Décade du 11 octobre 1794, « sont offerts depuis quinze jours à la curiosité publique dans le salon du Muséum »6), et si leur venue motive quelques aménagements spécifiques, le désir d’assurer la visibilité des œuvres se heurte très vite à l’insuffisance des locaux et des moyens techniques impartis à l’établissement. A en croire l’importante enquête de Gilberte Émile-Mâle, il faut attendre la réouverture partielle de la Grande Galerie, en avril 1799, pour qu’une douzaine de tableaux, sur le groupe d’environ deux cents saisis en Belgique et dans les régions rhénanes, soient accessibles durablement au public. Dans le contexte de réaménagements et d’incessants chantiers qui affecte le musée jusque sous l’Empire et malgré la bonne volonté affichée, l’accès public aux œuvres confisquées hors des frontières nationales – comme du reste à l’intérieur de la France même – n’est assuré d’abord que très partiellement. Après la campagne d’Italie, néanmoins, la question de la visibilité des œuvres les plus célèbres de l’histoire humaine se pose avec une acuité politique et polémique nouvelle. L’impatience des cercles intellectuels européens est particulièrement nette dans les correspondances parisiennes de Guillaume von Humboldt qui écrit par exemple à son ami Christian Gottfried Körner, en novembre 1798 : « Je me trouve toujours à Paris, très cher, et je dois dire en vérité que c’est bien contre mon gré. […] Mais comment voulez-vous quitter la ville tant que l’Apollon et le Laocoon sont toujours emballés, et qu’ils attendent le moment de leur délivrance ? […] Je fais de mon mieux pour passer le temps, je cultive les connaissances que j’ai liées, je jouis des œuvres d’art – les nouveaux tableaux arrivés d’Italie sont justement exposés depuis quelques jours – et je pense à différents travaux dans ma chambre. »7
5Entre 1798 et 1801, en effet, tandis que les statues antiques restent invisibles aux amateurs, plusieurs expositions de peinture italienne sont organisées dans les salles du musée. Mais le rythme rapide auquel elles se succèdent laisse surtout aux visiteurs une impression d’incomplétude, comme le signale le même Humboldt dans une lettre adressée cette fois à Goethe, en mars 1799 : « On ne peut donner du “corps artistique” [Kunstkörper] qui se forme ici, comme vous l’appelez dans vos Propylées, que des informations très fragmentaires. Comme nous avons de très bonnes relations avec les artistes, nous avons, certes, vu tous les tableaux qui sont arrivés ; mais dans la mesure où certains ne sont point encore exposés, et que d’autres le sont à titre provisoire seulement, il est impossible d’avoir dès à présent une vue d’ensemble, et de déterminer combien d’œuvres sont effectivement arrivées, et dans quel état. »8 En avril 1799, la réouverture partielle de la Grande Galerie ne concerne que les écoles flamande et française, et il faut attendre le mois de juillet 1801 pour que l’école italienne y soit également visible. Les antiques venues d’Italie, quant à elles, sont accessibles à partir de novembre 1800. Dans les deux cas – tableaux et statues –, le grand spectacle formé au Louvre aiguise les regards et aiguillonne les ambitions esthétiques ou scientifiques des visiteurs ; il trace l’horizon d’une possible régénération des arts ; il pose le cadre érudit d’une histoire générale du génie depuis l’Antiquité. On a beaucoup insisté ces dernières années sur le lien qui se noue, à l’extrême fin du xviiie siècle, entre le motif des conquêtes artistiques et le devoir d’imitation qu’elles induisent : « Tremblez, peintres français ! vos juges sont arrivés. Le salon actuel est un tribunal devant lequel vous serez tour à tour forcés de comparaître », lit-on dans la presse française d’avril 1798 lorsque les tableaux italiens arrivent à Paris.9 De semblables sentences pourraient concerner les modèles de l’Antiquité. Du point de vue de l’érudition, l’effet stimulant n’est pas moins immédiat : tout récemment, Daniela Gallo a attiré l’attention sur les « remises en question » scientifiques que l’ouverture du musée des Antiques induit dans le champ européen des savoirs archéologiques.10 Plusieurs années avant l’arrivée des œuvres « allemandes », le musée semble donc à même de remplir les promesses d’utilité et de progrès si intimement liées à son existence.
Diffusion
6Outre la présence physique, dans les musées parisiens, des œuvres conquises à l’étranger, leur présence virtuelle et l’ample diffusion que peut leur assurer la reproduction systématique par l’estampe et le moulage comptent parmi les priorités du gouvernement français à la charnière des xviiie et xixe siècles. Aux finalités pédagogique et scientifique s’ajoutent d’évidents desseins commerciaux. Bien avant l’arrivée en France des œuvres conquises en Allemagne, la reproduction et la diffusion des antiques réunies au Louvre sont une entreprise souvent lucrative, menée dans la plupart des cas par des entrepreneurs privés. Florence Rionnet a retracé l’histoire de l’atelier de moulage du musée, fondé en 1794, qui s’empresse à l’arrivée des œuvres italiennes d’effectuer plusieurs empreintes d’après les originaux mis à sa disposition. Même si certains moulages étaient déjà en vente à Rome (mais d’après des formes fatiguées, dit-on), l’affaire est un succès commercial et la diffusion des chefs-d’œuvre transplantés est amplement réalisée : entre 1802 et 1816, les registres de vente de l’atelier parisien mentionnent par exemple deux cent soixante-cinq commandes du Laocoon (groupe entier).11 Si les moulages restent néanmoins un mode de diffusion limité et si leur acquisition est un privilège réservé aux académies et aux amateurs argentés, la présence virtuelle, aux quatre coins de l’Europe, des statues antiques réunies au Louvre est assurée en outre par le biais de la gravure, plus souple et démocratique. Pour satisfaire la demande de la clientèle provinciale ou étrangère, privée des facilités d’une visite « sur place », des publications multiples sont encouragées par des mesures gouvernementales. C’est ainsi par exemple que l’on recense, avant l’arrivée de la moisson allemande, une demi-douzaine de recueils portant sur le musée des Antiques. La précision, la taille et la qualité des planches, d’une part, le degré d’érudition des notices qui les accompagnent, d’autre part, sont fonction du public visé et de l’envergure des volumes : de la simple gravure au trait dans les petits in-quarto des Annales du Musée et de l’Ecole moderne des Beaux-Arts éditées par Charles-Paul Landon (à partir de 1801), aux eaux-fortes de grand format publiées dans le Musée français de Pierre Laurent et de Louis Robillard-Péronville (à partir de 1806).12 Quant aux tableaux, ils sont reproduits également dans les Annales de Landon et le Musée français – qui font alterner sculpture et peinture –, ainsi par exemple que dans la Galerie du Louvre, grand folio richement illustré (1802),13 dans le Manuel du Muséum français (1803),14 ou dans le très populaire recueil de Filhol et Joseph Lavallée, la Galerie du musée Napoléon (à partir de 1802).15
7Phénomène de toute première importance pour la notoriété européenne des œuvres saisies en Allemagne, le rayonnement de ces volumes dépasse amplement le cadre national. A titre d’exemple, Goethe dispose, dans sa bibliothèque particulière ou dans la bibliothèque de Weimar, de la collection complète du recueil de Filhol (11 tomes), du Musée français (4 tomes reliés en 5), et de tous les volumes des Annales de Landon (1re et collections).16 De prix modique et de format maniable, les Annales de Landon sont particulièrement prisées. Éditées périodiquement, elles proposent des gravures au trait soignées et s’adressent explicitement aux amateurs « privés de la facilité de voir les monumens des arts dont Paris offre chaque année un ensemble toujours nouveau ».17 Leur succès et leur circulation sont tels qu’il n’est pas très difficile, à l’heure actuelle, de se les procurer sur le marché des livres anciens en Allemagne. Elles font même l’objet d’une adaptation (et non d’une simple traduction) pour le public germanophone : les Französische Kunst-Annalen (ill. 69), qui paraissent semble-t-il de 1802 à 1809.18 Hors du domaine français, d’autres initiatives éditoriales exploitent la réunion à Paris des chefs-d’œuvre mondiaux. C’est le cas par exemple en Angleterre. C’est aussi le cas en Allemagne, comme le prouve notamment l’existence de ce petit volume à la couverture bleue et au ton critique, Das Museum zu Paris, qui paraît à Cologne en 1801 chez l’éditeur Haas und Sohn et qui offre la description illustrée de plusieurs tableaux de maîtres saisis en Italie, ainsi, par exemple, qu’une reproduction commentée du fameux Martyre de saint Pierre de Rubens enlevé dans la cité rhénane en 1794 (ill. 70).19
69. Charles-Paul Landon : Französische Kunst-Annalen. Eine periodische Schrift, t. 1, 7e et 8e pièces, 1801

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70. Gravure d’après le Martyre de saint Pierre de Rubens, in : Das Museum zu Paris, Cologne 1801, pp. 50-51

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8Avant la nomination de Denon à la tête du Louvre, donc, et avant l’arrivée des collections allemandes en 1807, les conditions techniques et éditoriales sont réunies à Paris pour assurer la publicité des œuvres et leur notoriété à vaste échelle. Par ailleurs, les aménagements du musée, s’ils se poursuivent sous l’Empire, offrent à partir des années 1801-1802 une infrastructure relativement stable, permettant notamment d’accueillir les flux croissants de visiteurs européens. Plusieurs projets éditoriaux lancés avec l’ouverture du musée des Antiques se poursuivent bien au-delà de l’époque napoléonienne ; l’activité de l’atelier de moulage, réinstallé dans des locaux indépendants en 1807, ne faiblit pas jusqu’aux restitutions de 1815. Dans ce contexte, les conditions paraissent réunies pour assurer aux collections dynastiques d’Allemagne une publicité inédite à Paris. Il sera surtout question dans les pages qui suivent des œuvres saisies lors de la campagne de 1806-1807, puisque les confiscations infligées auparavant aux territoires germaniques avaient surtout porté sur des livres (régions rhénanes) ou sur des tableaux jugés « inutilisables » dès leur arrivée (mission de Neveu en Allemagne du Sud : « De ces soixante-douze tableaux, neuf seuls peuvent être utilisés […]. Les autres ne sont que des productions médiocres ou des copies qu’on n’aurait point dû enlever »,20 notent les conservateurs ; jugement confirmé rétrospectivement par Denon : « Leur peu de mérite engagea l’administration […] à se défaire de la plus grande partie de ces tableaux pour les envoyer dans les musées que l’on formait dans les départemens et pour la décoration des églises de la capitale et des environs. Il ne resta au musée que les tableaux qui, par leur excessive médiocrité, ne pouvaient être employés »).21
L’exposition de 1807
9On est frappé, en 1807, de la vitesse à laquelle les œuvres confisquées par Denon en Allemagne sont présentées au public français. Expédiées pour la plupart au printemps, arrivées à Paris en mai, elles sont soumises au regard des amateurs dès le mois d’octobre, après avoir été nettoyées, parfois restaurées, dotées de cadres et de socles adéquats, répertoriées dans un catalogue de cent pages environ. Le tour de force muséographique est certes motivé par le calendrier symbolique des exploits napoléoniens, puisque l’ouverture de l’exposition marque l’anniversaire de la débâcle prussienne à Iéna ; il n’en prouve pas moins l’efficacité des personnels et des techniques employés par le « plus grand musée de l’Univers ». On ne saurait trop insister sur l’importance de cette exposition des « statues, bustes, bas-reliefs, bronzes, et autres antiquités, peintures, dessins et objets curieux, conquis par la Grande Armée » en Allemagne, qui marque de manière déterminante – hors des territoires germaniques – l’histoire des collections et de la conscience patrimoniale allemandes. Cet événement est mieux connu depuis que le Louvre s’est intéressé, en 1999, aux activités de son premier directeur. Et pourtant les archives du musée ne conservent aucun dossier qui permettrait de reconstituer avec exactitude les préparatifs et la scénographie de la manifestation. A défaut de correspondances détaillées et de plans d’accrochage, trois types de documents permettent d’évaluer la gestion symbolique de l’espace et l’effet produit sur les visiteurs ; de mesurer, en d’autres termes, l’efficacité de l’institution muséale, à la fois vitrine des chefs-d’œuvre de l’art et « espace du triomphe », selon l’expression de Dominique Poulot.22 Il s’agit d’abord de deux gravures au trait réalisées par Charles Normand d’après des dessins de Benjamin Zix, gravures largement diffusées, variées et complétées après l’ouverture de l’exposition. Il s’agit ensuite d’articles de presse et de témoignages privés relatant l’événement. Il s’agit enfin et surtout du catalogue officiel qui accompagne la manifestation, vendu un franc à l’entrée du musée et tiré semble-t-il à plus de dix mille exemplaires, puisque Denon note en 1808 que douze mille volumes ont déjà été vendus.23
10Aujourd’hui difficile à trouver, ce précieux livret recense et décrit de manière succincte le millier d’œuvres « allemandes » exposées aux regards publics entre le 14 octobre 1807 et le mois de mars 1808 environ. A en croire la correspondance administrative de Denon, en effet, l’exposition des tableaux « allemands » occupe pendant près de six mois les salles du Louvre habituellement consacrées à d’autres écoles : « Je suis bien de l’avis de Votre Excellence », écrit ainsi le directeur du musée au grand maréchal du palais le 5 mars 1808, « de terminer l’exposition des tableaux de la dernière conquête et d’y faire succéder la vue de quelques chefs-d’œuvre de l’école italienne, dont le public et les artistes seroient absolument privés sans cette opération ».24 Si les premières œuvres belges avaient été accrochées sans cérémonie particulière, si l’énergie du gouvernement avait davantage porté, après la campagne d’Italie, sur l’organisation de festivités processionnelles que sur celle d’une vaste exposition, les conquêtes opérées en Allemagne du Nord sont l’occasion d’une démonstration politico-artistique sans précédent, où les savoir-faire muséologiques et l’effort de propagande se mêlent plus intimement qu’ils ne l’avaient jamais fait. Le caractère exceptionnel de l’événement justifierait de longs développements. On tentera simplement ici de poser quelques repères destinés à rendre sensibles la singularité des collections exposées et le double impact de l’exposition sur les cercles éclairés d’Allemagne et sur la notoriété mondiale des œuvres prises aux princes germaniques.
Glorieuses dépouilles
11Deux gravures offrent d’importants renseignements sur la mise en scène parisienne de ces conquêtes allemandes. Elles présentent, pour l’une, les œuvres exposées dans la rotonde d’Apollon, au premier étage du musée (ill. 71) ; et, pour l’autre, les antiques rassemblées au niveau inférieur, dans la salle de Diane (ill. 72).25 D’après les Annales de Landon, deux autres salles du premier étage accueillent par ailleurs les « fruits de la conquête » : le Salon carré et la galerie d’Apollon qui le jouxte.26 S’il n’existe pas, semble-t-il, de vues présentant leurs aménagements respectifs, le précieux guide du musée Napoléon établi par Philippe Malgouyres permet néanmoins de se figurer la place occupée par l’exposition au sein de l’établissement.27 Quant aux deux gravures existantes, elles font immédiatement sentir l’ambivalence du projet muséologique qui sous-tend les opérations, entre exhibition de trophées choisis par les experts de l’administration et souci authentique de promouvoir l’étude des modèles anciens, le progrès des arts et le goût du beau.
71. Benjamin Zix et Charles Normand : Vue de la Salle de la Victoire, lors de l’exposition des objets d’art conquis en Allemagne, vue du nord au sud, 1807, gravure au trait, in : Charles-Paul Landon : Annales du Musée et de l’École moderne des beaux-arts, 1807, t. XV, pl. 7, 8 et 9

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72. Benjamin Zix et Charles Normand : Vue de la salle de Diane, lors de l’exposition des objets d’art conquis en Allemagne, 1807, gravure au trait, in : Charles-Paul Landon : Annales du Musée et de l’École moderne des beaux-arts, 1807, t. XV, pl. 1, 2 et 3

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12La rotonde d’Apollon, rebaptisée pour l’occasion « salle de la Victoire », avait abrité jusqu’en 1806 la bibliothèque de l’Institut. Sa dévolution au musée et l’expulsion des « indésirables » (Geneviève Bresc) marque une date importante dans la transformation du Louvre en musée de l’Empereur.28 Victoire symbolique pour les promoteurs du musée, l’« annexion » de cette nouvelle salle est marquée par l’ouverture de l’exposition allemande. Le titre de cette exposition (objets « conquis par la Grande Armée, dans les années 1806 et 1807 »), la symbolique des dates (« dont l’exposition a eu lieu le 14 Octobre 1807, premier anniversaire de la Bataille d’Jéna »), certains passages du catalogue (« cette immense collection, si fréquemment et si richement augmentée par la victoire »), la gravure de Normand d’après Zix en témoignent : il s’agit bien là d’une opération politique. Laissons du reste à Charles-Paul Landon le soin de décrire les lieux : « Le buste colossal en bronze de S.M. l’Empereur a été placé au milieu des divers trophées qui attestent sa gloire. Une couronne d’or est suspendue au-dessus de sa tête. De chaque côté du buste on remarque […] deux statues de la Victoire ; elles sont ailées et absolument semblables […]. Au-dessus du buste colossal de Napoléon est un superbe tableau de Rubens, représentant Mars couronné par la Victoire. »29 La métaphore militaire se poursuit sur le mur opposé, comme le signale Landon, où sont exposées « l’armure de François 1er [et] l’armure de Rodolphe de Hapsbourg. Les deux héros sont montés sur des chevaux bardés. Entre ces deux figures est un trophée ou monceau d’armes de toutes espèces, surmonté d’une petite statue de la Victoire se couronnant elle-même ».30 Les trois Victoires ici évoquées ont été saisies dans les collections du roi de Prusse (tome II, nos 75-76). Le « superbe tableau de Rubens » (tome II, n° 551) provient des collections de Cassel. Le long des murs sont alignées en outre dix statues en marbre tirées du « temple des antiques » du château de Sans-Souci à Potsdam, censées représenter le plus brave et le plus puissant guerrier du siège de Troie, Achille, pendant son séjour chez le roi Lycomède (tome II, n° 71). Au centre de la salle, la Joueuse aux osselets (tome II, n° 72), issue des collections du roi de Prusse à Potsdam, contraste par le calme de sa pose avec les symboles de guerre qui l’entourent – à moins qu’elle n’incarne une sagesse supérieure : « Le temps de vie est un enfant qui s’amuse, joue au trictrac. Royauté d’un enfant. »31
13S’il en était encore besoin, la correspondance administrative de Denon confirme le sens lourdement politique et courtisan de cette mise en scène, destinée à ce que « les Français, en admirant les glorieuses dépouilles de ses ennemis, puissent adresser en même temps l’hommage de leur respect et de leur reconnoissance au héros à qui la victoire les a cédées ».32 Adressé aux citoyens de la Grande Nation, le message n’échappe évidemment pas aux visiteurs étrangers, et tout particulièrement aux Allemands qui l’interprètent sans difficulté aucune : « Certes, ces objets ne firent pas à Paris l’objet de défilés triomphaux, comme c’était autrefois le cas à Rome dans des circonstances semblables », écrit par exemple le Berlinois Friedrich Rabe, qui ne semble connaître l’exposition – c’est significatif – que par les vues de Zix, « mais la manière dont ils furent présentés dans la galerie du Louvre le 14 octobre 1807, c’est-à-dire le jour du premier anniversaire de la triste bataille, n’était pas dénuée d’une vanité toute française et de flatteries rampantes : au milieu des statues de la famille de Lycomède et entre les deux victoires du jardin de Sans-Souci trônait le buste colossal en bronze de Napoléon, au-dessus duquel flottait une couronne de lauriers en or et, surplombant le tout, un tableau de Rubens, Mars couronné par la victoire ».33
Publicité des collections allemandes, progrès des arts et des sciences
14Malgré son ostentatoire dimension héroïque et militaire, l’exposition de 1807 marque une date importante, et probablement sous-estimée, dans l’histoire de la réception européenne des œuvres conservées dans les villes d’Allemagne du Nord. Loin de se limiter à une démonstration politique, en effet, elle présente dans plusieurs autres salles le caractère d’une exposition « moderne », à triple dessein pédagogique, esthétique et délectatoire. La seconde gravure de Normand d’après Zix, dont il a déjà été question, est consacrée à la salle de Diane, au rez-de-chaussée du Louvre. Là encore, l’ouverture au public de cette salle « reprise » à l’Institut et réaménagée à partir de 1799 coïncide avec la venue des œuvres conquises. Mais ici le message politique est absent. Trente-neuf statues antiques, presque toutes saisies dans les collections du landgrave de Hesse-Cassel et dans celles du roi de Prusse, sont assemblées ici, seize d’entre elles seulement étant visibles sur la planche. Ces statues sont ordonnées le long des murs selon des principes de symétrie et d’iconographie : dans l’axe central, contre le mur du fond, l’observateur découvre la grande statue de Minerve saisie à Cassel (tome II, n° 15) et, de part et d’autre de la statue, deux bustes identifiés comme ceux de l’épouse et de la nièce de l’empereur Trajan, saisis à Potsdam pour l’un (tome II, n° 14 : Plotine, épouse de Trajan) et à Berlin pour l’autre (tome II, n° 16 : Matidia, nièce de Trajan). Ces deux bustes sont flanqués de deux statues juvéniles moindres que nature (tome II, n° 13 : Mercure, et n° 17 : Athlète), saisies respectivement à Potsdam et Cassel, qui côtoient à leur tour les bustes de deux empereurs romains (tome II, n° 12 : Germanicus, et n° 18 : Claude), le second ayant été saisi dans les collections du duc de Brunswick. A chaque extrémité de la paroi, enfin, deux grandes statues de femmes drapées achèvent de donner à l’ensemble son harmonie spéculaire (tome II, nos 11 et 19). Le même principe est respecté le long du mur de gauche, où l’accent iconographique porte sur le motif du reptile : deux statues d’Hygie (tome II, nos 4 et 7), provenant pour l’une de Berlin et pour l’autre de Cassel, encadrent le bel Antinoüs (tome II, n° 5) saisi devant le « Palais-Neuf » de Potsdam. On pourrait continuer d’énumérer en détail les statues antiques exposées dans la salle de Diane, mais peut-être suffit-il ici de renvoyer au second tome du présent ouvrage (nos 1-39), et d’attirer simplement l’attention sur la présence sensationnelle, au centre de la salle, du très célèbre Orant de bronze saisi à Berlin (tome II, n° 36), dont la notoriété européenne est bien antérieure à ce séjour forcé à Paris. Par sa précision documentaire et par les groupes de spectateurs qu’elle fait évoluer dans la salle de Diane, la gravure de Normand d’après Zix est donc intéressante à trois titres. Elle atteste d’abord que l’exposition allemande de 1807-1808 est bien destinée à favoriser l’étude et la comparaison de modèles regroupés selon des critères « scientifiques ». Elle signale ensuite, en mettant en scène plusieurs groupes de visiteurs des deux sexes évoluant à leur gré, que la culture française du musée assure effectivement la « libre jouissance » du public. Elle se plaît enfin – dans la version colorée de la gravure (ill. 73) – à souligner la fréquentation internationale de l’exposition : grâce à cet exil parisien, semble vouloir dire Zix, la publicité des statues, bustes et bas-reliefs tirés des lointaines collections hessoises et prussiennes est assurée jusqu’en Perse ou dans les Indes, publicité renforcée par l’existence même de ces gravures et de ces dessins diffusés dans toute l’Europe.
73. Benjamin Zix et Charles Normand : La salle de Diane, vue prise d’ouest en est, 1807, gravure reprise à l’aquarelle par Zix, 17 × 26 cm, Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques, Inv. 33407

Crédits/Source : © RMN-Grand Palais (musée du Louvre, voir https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl020210795 et https://www.photo.rmn.fr/archive/95-006351-2C6NU0NONH4U.html)
15Si la recherche n’a pas encore mis au jour d’autres vues de l’exposition de 1807, on peut néanmoins tenter une reconstruction virtuelle des deux autres salles qui, selon Landon, abritaient au premier étage le reste des œuvres allemandes présentées au public. A regarder de près le dessin de la salle de la Victoire par Zix (ill. 71), se profilent en effet, au fond, certains des objets réunis dans la galerie d’Apollon. L’entrée de cette galerie est gardée par un chevalier en armure semblable à ceux dont il a été déjà question et probablement flanqué, sur sa gauche, d’un autre chevalier en armes ; des tableaux de petit format sont accrochés aux murs sur deux ou trois rangées ; plusieurs bustes montés sur des socles rythment la succession des peintures, tandis qu’un nombre important de figures plastiques est regroupé sur des tables. Grâce au catalogue, nous savons que l’exposition comporte, outre la cinquantaine d’antiques réunies dans la salle de Diane et la rotonde d’Apollon, une dizaine d’autres statues de grande taille (tome II, nos 40-50), une quantité notable de têtes, de bustes et d’hermès de personnage connus ou inconnus (tome II, nos 51 et 54-70), plusieurs bas-reliefs (tome II, nos 52 et 53) et une demi-douzaine de camées antiques (tome II, n° 685 par exemple : L’empereur Commode debout sur un char, connu alors pour être le plus grand camée de la collection du roi de Prusse). Lorsqu’elles ont été tirées des palais du roi de Prusse, ces antiques proviennent souvent des collections de Wilhelmine von Bayreuth ou du cardinal Melchior de Polignac. Mais la véritable sensation est sans doute constituée par la présence à Paris, en cet hiver 1807-1808, d’un impressionnant contingent d’œuvres issues de la très célèbre collection romaine de Giovan Pietro Bellori, à laquelle Gerald Heres a consacré d’importants travaux et dont il a été beaucoup question à Rome en l’an 2000.34 Acquise par l’électeur de Brandebourg – futur roi de Prusse – à l’extrême fin du xviie siècle et conservée depuis cette date, avec une visibilité toute relative, dans les palais du roi de Prusse à Berlin et Potsdam, cette collection jouit effectivement à Paris, en 1807-1808, d’une publicité inédite dans son histoire.
16Dans la mesure où il est possible de les identifier, il semble qu’au moins soixante-dix pièces issues de l’ensemble réuni par Bellori aient été présentées en France. Quand on lit chez Gerald Heres que la collection initiale, à la mort de celui qui l’avait réunie, comportait moins de deux cents articles, l’importance du groupe exposé à Paris apparaît avec clarté, la qualité primant donc sur le volume, comme le notaient déjà les voyageurs de passage à Rome à la fin du xviie siècle : « Le nombre des pièces curieuses qui s’y voyent, n’est pas des plus grands ; mais il n’y a rien qui ne soit choisi ; tout est du plus rare et du plus parfait. »35 Au musée Napoléon, il s’agit évidemment de certains de ces petits bronzes antiques provenant de Berlin, « bien connus par l’estampe et délices de plusieurs générations d’antiquaires »,36 qui forment avec les bronzes saisis à Brunswick et Cassel l’étonnant groupe de cent quarante-cinq statuettes, inscriptions et ustensiles antiques offerts à l’admiration publique (tome II, nos 81-226). Mais parmi les pièces qui ont appartenu à Bellori, on trouve aussi dans cette exposition allemande de 1807-1808 un grand nombre de lampes antiques en terre cuite (tome II, n° 227, 233, 234, 238, 241, 242 par exemple), plusieurs bas-reliefs ornementaux ou votifs (tome II, nos 259-265), entre lesquels cette « tête d’Isis » peinte de différentes couleurs et coiffée d’une peau de bouquetin (tome II, n° 262) ; ou encore de petites sculptures en marbre de couleur jugées particulièrement précieuses (tome II, nos 247, 269, 270 par exemple), des objets égyptiens ou égyptisants, tels ce « masque en linge collé » d’une rareté exceptionnelle (tome II, n° 256) ou le célèbre fragment d’un cynocéphale (tome II, n° 248). Au total, les antiques du cabinet de Bellori occupent une place de choix dans l’exposition parisienne, même si – il faut le souligner – il n’est fait nulle part mention de leur prestigieuse origine.
17Remarquable par le nombre et la qualité des antiques présentées, l’exposition de 1807-1808 se distingue aussi par la place qu’elle accorde aux objets d’art et d’artisanat de la Renaissance et de l’époque moderne. A ce titre, elle rend compte – là encore sans le souligner – des traditions du collectionnisme dynastique allemand tel qu’il s’est notamment déployé à partir du xvie siècle dans les Kunstkammern (cabinet de curiosités) des landgraves de Hesse-Cassel, des ducs de Brunswick ou des électeurs de Brandebourg. A côté de bustes modernes, on trouve dans l’exposition de 1807-1808 un groupe important de portraits du xvie siècle sculptés sur bois et attribués à Dürer (tome II, nos 691-692), une cinquantaine d’objets sculptés en ivoire entre les xive et xvie siècles (tome II, nos 695-696), des vases précieux et autres merveilles de l’orfèvrerie allemande du xviie siècle (tome II, nos 697-705), les objets en ambre sculpté, spécialité de Prusse orientale (tome II, nos 706), à propos desquels le catalogue indique : « Les Vases de cette matière précieuse étaient rares en France, et manquaient à la magnifique collection que le Musée Napoléon possède en objets de ce genre. » A ces raretés s’ajoutent des curiosités inclassables, tels l’autel médiéval dit « de Crodo » (tome II, n° 273), tiré d’une église de Goslar en Basse-Saxe, ou ce manuscrit de l’Edda en langue scandique (tome II, n° 274). Par ailleurs, la collection de mille deux cents majoliques (tome II, n° 708) et d’émaux (tome II, n° 709) saisis dans les galeries du duc de Brunswick a certainement dû, ne serait-ce que par son ampleur, faire sensation auprès du public parisien. Au total, si l’on reconstituait aujourd’hui – et pourquoi pas ? – l’exposition parisienne de ces objets conquis outre-Rhin, on aurait une démonstration exceptionnellement parlante de ce qu’étaient les collections allemandes avant la généralisation des musées modernes, qui éclipsent au cours du xixe siècle les formes traditionnelles du collectionnisme d’apparat. D’autant que l’exposition de 1807-1808 présente un choix de plus de trois cent cinquante tableaux d’une qualité et d’une nouveauté qui frappent les esprits.
18Sur le millier de tableaux saisis à Berlin, Potsdam, Brunswick, Cassel, Schwerin, Dantzig et Varsovie, un tiers environ est en effet temporairement offert aux visiteurs du Louvre. Ces trois cent soixante-sept œuvres relèvent pour la grande majorité des écoles nordiques, l’école italienne étant représentée seulement par une petite quarantaine de pièces. Pour souligner la nouveauté des prises, le catalogue signale par une rosace « les Peintres dont le Musée ne possédait aucune production »,37 attirant ainsi l’attention sur une cinquantaine de maîtres parmi lesquels Lucas Cranach, représenté par un important groupe de treize tableaux (tome II, nos 333-345) ; Jan Van Eyck, identifié alors comme « l’inventeur de la peinture à l’huile », et représenté par le célèbre Jugement dernier de Dantzig (tome II, n° 389, désormais attribué à Memling) ; Marteen Heemskerck, représenté par le grand panneau mythologique de Berlin (tome II, n° 416) ; Martin Schongauer, auteur alors présumé du tableau acheté par Denon auprès de Schadow en 1807 (tome II, n° 570). Outre ces peintres alors identifiés comme « primitifs », au sens où l’entendait l’époque, le catalogue signale la présence de nombre d’artistes des écoles flamande et hollandaise jusqu’alors absents des collections encyclopédiques du musée Napoléon. Il suffit de feuilleter la version reconstituée du catalogue de 1807 (tome II) pour sentir la qualité et l’accent nordique de l’exposition. Que l’attention soit particulièrement attirée sur ces trois points : forte présence – toutes proportions gardées – de ces maîtres nordiques anciens encore fort mal connus en Europe (voir aussi les tableaux attribués à Dürer, tome II, nos 358-361, et les anonymes de l’« école allemande ancienne », nos 368- 371), présence renforcée par l’exposition d’une trentaine de dessins de l’école allemande ancienne, tous tirés des prestigieuses collections des ducs de Brunswick (tome II, nos 651-683) ; forte présence, ensuite, de Rembrandt et de son école, représentés par dix-neuf tableaux (tome II, nos 527-545) ; forte présence, enfin, de petits tableaux de l’école hollandaise. Au total, comme le signale Denon dans l’avertissement qu’il donne au catalogue : « La Peinture, à côté des productions de Maîtres déjà connus, présente celles de quarante Artistes au moins, qu’on désirait y rencontrer, ou dont les noms et les talens ignorés en France, méritaient d’être admis dans le Musée Napoléon. […] La plupart des nouveaux Tableaux des Maîtres déjà connus, offrent des beautés particulières, soit par la singularité des sujets et de l’exécution, soit par le développement de talens dans quelques parties de la Peinture dont ils ont laissé peu d’exemples, et qu’on ne rencontrait point dans le Musée. »38 Le critère de nouveauté est manifestement le critère de choix numéro un.
Regards croisés
19Dans quelle mesure la nouveauté radicale des pièces exposées à Paris a-t-elle été perçue, et goûtée, par le public du Louvre ? « Vous avez été informé par les journaux », écrit Denon à l’intendant général de la Couronne, « du succès qu’a eu l’exposition des monuments conquis en Allemagne. Paris a admiré avec étonnement une si grande quantité de chefs-d’œuvre ».39 Le motif de l’étonnement et l’attraction exercée par l’événement sont en effet attestés par la presse, et notamment – c’est moins paradoxal qu’il n’y paraît – par la presse allemande, qui lui consacre d’importants comptes rendus. Preuve de l’intérêt suscité par l’exposition et de son importance en termes de stratégie éditoriale, elle fait l’objet du côté français, dès son ouverture, d’un reportage illustré en deux parties inséré dans le quinzième volume des Annales de Landon, année 1807. L’objectif est clairement formulé, il s’agit de satisfaire l’impatience présumée du public : « En attendant que nous puissions décrire en particulier les objets de cette magnifique et immense exposition, nous avons cru faire une chose agréable à nos lecteurs en leur donnant un aperçu de la distribution générale. »40 Deux planches dépliantes, reproduisant les dessins déjà cités de Benjamin Zix, montrent les salles de Diane et d’Apollon ; elles sont accompagnées de la liste des objets présentés. La publication précoce de ces planches et de ces listes, qui circulent très rapidement, on l’a vu, contribue au moins autant que l’exposition elle-même à diffuser l’image des œuvres saisies. Du côté allemand, selon un mécanisme bien connu de ceux qui étudient les transferts culturels, on prend un soin particulier à rendre compte de l’effet produit par la manifestation sur le public international du Louvre, cherchant dans le regard de l’autre ce qui pourrait aider à se considérer soi-même.
20De manière significative, l’attention des chroniqueurs allemands se focalise en particulier sur les écoles de peinture considérées comme « allemandes », reléguant au second plan les œuvres antiques – et notamment les merveilles de Bellori – qui n’ont pourtant pas dû laisser les observateurs indifférents. A partir de 1807, l’exposition des « fruits de la conquête » aiguillonne en effet la conscience patrimoniale embryonnaire des Allemands qui, par transitivité du regard, sont incités à réévaluer les productions du « génie national ». En novembre 1807, la revue Morgenblatt note à propos des Rembrandt de l’exposition : « Les Français sont bouleversés par l’audace et la force du pinceau et ils avouent que, jusqu’à présent, ils ne connaissaient pas du tout Rembrandt » ;41 un peu plus tard, la même revue signale une visite de l’ambassadeur de Perse : « Dans la galerie de peinture, il a remarqué surtout les tableaux de Paul Potter et de Van Huysum […]. [Il a dit] devant le Jugement dernier de Van Eyck : “Il n’est pas bon de s’attarder trop longtemps sur ce sujet ; nous sommes ici pour cinq jours seulement ; il faut, pendant ces cinq jours, profiter de la vie. Dieu est grand et miséricordieux”. »42 Ou encore, à propos des peintres anciens : « Certains tableaux, comme ceux de Cranach, étaient jusqu’ici complètement absents du musée, et l’école hollandaise est désormais entièrement complète. Les Parisiens ne se lassent pas de rendre hommage à la vérité et à la vie qui emplit ces ouvrages, même lorsque l’enfance de l’art y a représenté des idées et des formes bizarres avec des couleurs saisissantes. »43 Si ces remarques procèdent d’une évidente logique de réévaluation, elles rendent compte aussi d’un « étonnement » et d’un enthousiasme bien réels : en témoigne par exemple, incontestable signe de succès populaire, la diffusion en 1807 d’une gravure colorée (ill. 74 a et b) inspirée des ablutions affermissantes de la Fontaine de Jouvence de Cranach saisie au château de Berlin (tome II, n° 345).44
74 a. N. Morret et N. Paquet, Arrivée à la Fontaine de Jouvence, imitation libre du tableau de Cranach, faisant partie des peintures, dessins, etc. conquis par la Grande Armée en 1806 et 1807, vers 1807, gravures rehaussées d’aquarelle, 31 × 40,4 cm, vers 1807, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des estampes et de la photographie, Inv. Ef. 249

Crédits/Source : Bibliothèque nationale de France
74 b. N. Morret et N. Paquet, Effets merveilleux de la Fontaine de Jouvence, imitation libre du tableau de Cranach, faisant partie des peintures, dessins, etc. conquis par la Grande Armée en 1806 et 1807, vers 1807, gravures rehaussées d’aquarelle, 31 × 40,4 cm, vers 1807, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des estampes et de la photographie, Inv. Ef. 249

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21Nouvelles pour le public français, les œuvres des anciens Allemands le sont aussi pour le public étranger et elles attirent particulièrement les regards d’outre-Rhin. Sensibilisée sur un mode littéraire, depuis les études de Friedrich Schlegel, Wackenroder ou Tieck, à l’esthétique médiévale, l’attention des Allemands s’était principalement portée jusque-là sur le Quattrocento italien. Avec l’exposition parisienne de 1807, les modèles archaïsants deviennent un objet d’étude et d’imitation, l’horizon d’une possible régénération artistique. On a souvent dit que le polyptyque de l’Agneau mystique par Van Eyck, venu de Belgique en 1794 et présenté à Paris, a pu influencer la réalisation par Ingres, en 1805-1806, de l’étrange et célèbre portrait de Napoléon trônant. Comme le soulignent les spécialistes, il s’agissait là d’une démarche parfaitement novatrice : « Aucune œuvre comparable notoire n’a précédé ni suivi celle qu’accomplit Ingres. »45 Exactement à la même époque, dans le domaine allemand, le goût pour les antiquités médiévales est excité par la visibilité et l’accessibilité nouvelles dont jouissent les peintres « bizarres » à Paris. En témoigne cette commande que le duc d’Anhalt-Dessau passe aux frères Ferdinand et Heinrich Olivier en 1808 : « Le mieux serait à mes yeux que vous choisissiez, comme modèle, deux originaux de l’école allemande ancienne, par exemple parmi ceux qui, dans le musée, sont accrochés à peu près en face des Raphaël. »46 Un laissez-passer, signé par Denon en 1808, autorise en effet les deux jeunes gens à circuler librement dans toutes les salles du Louvre.47 Et finalement les frères proposent au prince, plutôt qu’une simple copie, une imitation « libre » et « fervente » des modèles de l’école allemande ancienne.48 Entre accumulation de trophées et présentation publique de tableaux méconnus, l’exposition des œuvres conquises en Allemagne marque donc, à partir de l’automne 1807, un moment important dans l’intérêt que l’on commence à manifester, en Europe, pour les motifs et l’art « gothiques ». Cet intérêt coïncide en France avec la profusion de références officielles à Charlemagne, destinées à signaler le départ d’une dynastie nouvelle. Du côté allemand, il en a déjà été question, cet intérêt est bientôt instrumentalisé à des fins patriotiques et identitaires.
Bilan de l’exposition
22Événement inédit par son ampleur et par l’efficacité des moyens muséographiques mis en œuvre, l’exposition des œuvres allemandes de 1807-1808 remporte un succès qui ne saurait néanmoins masquer trois points importants pour l’évaluation objective de la réception en France des œuvres conquises dans les États germaniques. Cette exposition, d’abord, présente les « fruits de la conquête » sans jamais préciser l’origine exacte des œuvres saisies, sans même nommer rapidement, dans l’avant-propos du catalogue par exemple, le nom des villes et des souverains spoliés. A ce titre, si elle donne une vue d’ensemble exceptionnelle du patrimoine dynastique allemand autour de 1800, elle ne contribue aucunement à accroître le rayonnement particulier de telle ou telle collection. Le visiteur n’apprend ni dans l’exposition, ni dans le catalogue, que le célèbre Orant de Berlin appartenait il y a peu de temps encore au roi de Prusse ; il n’apprend rien de la très riche collection de dessins du duc de Brunswick ; rien du Fridericianum de Cassel ; rien de la provenance majoritairement hessoise des tableaux de Rembrandt ; rien de l’origine des majoliques, des émaux et des ivoires saisis à Brunswick. Par prudence politique, sans doute plus que par négligence scientifique ou par ignorance, presque rien ne perce de l’origine géographique des pièces exposées. A moins, bien sûr, qu’elle ne revête une évidente signification politique : « Frédéric II, roi de Prusse, dormant dans une église. Tableau tiré de la bibliothèque du roi, à Berlin » ; « Portrait de Gustave Adolphe, roi de Suède, tiré de la chambre à coucher de Frédéric II, à Sans Souci ». Dans le catalogue comme dans l’exposition, l’absence d’informations géographiques est d’autant plus remarquable que les notices consacrées aux tableaux d’Italie comprenaient généralement, pour leur part, des indications de provenance assez précises.
23Autre point non négligeable : les œuvres allemandes exposées à Paris en 1807 ne représentent qu’un choix parmi le butin amassé sous les auspices de Denon en Allemagne. Il suffit, pour se convaincre de la sélectivité de l’entreprise, de comparer les inventaires de saisie au catalogue final de l’exposition : un tiers seulement des tableaux pris en Allemagne bénéficient des honneurs publics à Paris ; la proportion est bien moindre encore pour les dessins saisis dans les collections du duc de Brunswick (33 sont exposés sur 243) ; plusieurs catégories d’objets ne sont pas représentées du tout – c’est le cas par exemple, et c’est bien dommage, des objets ethnologiques inventoriés dans le second supplément du procès-verbal établi à la Kunstkammer de Berlin (tome II, inventaire Kunstkammer, second supplément : « La collection des curiosités des Sauvages »), ou plus généralement des objets « indiens et chinois » confisqués dans presque toutes les villes visitées. Dans ces conditions, l’exil forcé des collections allemandes ne confère une publicité nouvelle qu’à un nombre d’œuvres finalement assez modeste, la grande majorité des pièces allemandes n’étant visibles à aucun moment en France – à commencer par le fameux quadrige de la porte de Brandebourg, restauré à grands frais, mais auquel aucune destination adéquate n’est trouvée pendant son séjour à Paris.
24Élément aggravant : l’exposition des « fruits de la conquête » est une manifestation temporaire, on l’a vu, si bien que la grande majorité des œuvres exposées disparaissent à leur tour après six mois passés dans la vitrine du monde. C’est le sens de ce témoignage de Dacier, administrateur de la Bibliothèque nationale, consigné par Jean Henry en 1814 et relatif aux médailles antiques : « Il avait répondu d’après la vérité qu’elles ont été exposées quelque temps, il y a cinq ans, avec tous les objets d’art conquis dans le salon particulier ouvert au public par Denon, et que depuis qu’elles sont déposées dans le bureau du musée des Antiques, elles ont été visitées par quelques savants. »49 Si le caractère temporaire de l’exposition compromet la publicité des œuvres au sens physique du terme, elle compromet également – c’est plus grave – leur publicité virtuelle, et en particulier leur diffusion par la gravure qui dépend de l’intégration des œuvres aux collections permanentes du musée. Dans ce contexte, le cas des sculptures antiques diffère néanmoins de celui des tableaux et des objets de curiosité : la salle de Diane, par exemple, continue de présenter les œuvres saisies en Allemagne exactement dans la même disposition jusqu’en 180950 et, avec quelques variantes, au-delà de cette date, comme en témoigne l’édition de 1815 de la Notice des statues du musée des Antiques qui reprend presque exactement l’ordre de l’exposition de 1807-1808.51 L’agencement des salles du premier étage, quant à lui, n’est pas maintenu : les œuvres d’Allemagne qui s’y trouvaient depuis l’automne 1807 sont soustraites aux regards publics dès le printemps suivant. Tandis que la réception des antiques peut donc continuer sans césure au-delà de la fermeture de l’exposition, pour la majorité des tableaux, en revanche, pour les objets de la collection Bellori, pour les vases, majoliques, émaux, ivoires et autres curiosités, cette fermeture marque l’achèvement définitif d’une brève carrière internationale.
Répartir le « superflu impérial »
25Si les quelque trois cent soixante tableaux exposés à l’automne 1807 ne représentaient qu’un tiers de la moisson effectuée par Denon en Allemagne du Nord, plus de la moitié d’entre eux disparaissent de la scène publique après 1808 ou, ce qui revient presque au même, de la capitale de l’Empire. Une lettre de Denon adressée en mai 1808 à l’architecte Fontaine rend sensible de manière éclatante le mécanisme à la faveur duquel certains tableaux saisis en Allemagne, puis exposés provisoirement au Louvre, finissent par trouver une place hors de l’établissement : « Au nombre des tableaux que j’ai apportés d’Allemagne, lui écrit Denon, il en est quatre, Monsieur, qui pourroient faire un ameublement de salon ; ils sont exposés en ce moment dans le grand salon et représentent les quatre saisons. Ces tableaux, d’une exécution précieuse et d’une harmonie agréable, sont du chevalier van der Werff : ils faisoient un très bon effet dans le salon qu’ils décoraient précédemment, ce qui me détermina à les envoyer à Paris pour être employés à un pareil usage. S’ils peuvent trouver place, je les mets à votre disposition » (voir tome II, n° 623).52 Entre musées de province, palais impériaux ou ministériels, églises ou établissements militaires, une quantité d’œuvres saisies en Allemagne au nom de l’histoire de l’art et de la diffusion publique du savoir trouvent ainsi, sous l’Empire, une utilité de second ordre, provinciale ou de pur ornement.
Envois dans les musées de province
26L’opération consistant à envoyer des œuvres de peinture dans les musées de province – opération politique s’il en est (« Les habitants verront sans doute dans cet acte de munificence de S.M. un témoignage bien flatteur de l’intérêt qu’elle daigne porter à cette ville »)53 – est qualifiée par Denon lui-même de « répartition des tableaux formant le superflu de la collection impériale ».54 Six villes bénéficient de l’opération – Lyon, Dijon, Grenoble, Caen, Toulouse et Bruxelles – qui reçoivent par exemple, en avril 1811, deux cent neuf tableaux issus pour l’essentiel des conquêtes napoléoniennes. Le « superflu impérial » comprend donc un bon nombre d’œuvres saisies en Allemagne du Nord, comme le montre par exemple cet état des tableaux « provenant de Brunswick et envoyés dans les départements », qui illustre l’ampleur de la munificence impériale : Lyon reçoit deux œuvres tirées des collections du duché ; Toulouse six ; Caen, cinq ; Grenoble, deux ; Bruxelles, quatre.55
27Parmi ces tableaux confisqués en Allemagne et expédiés dans les musées de province, un grand nombre n’a jamais été restitué. Certains sont aujourd’hui catalogués avec beaucoup de transparence dans des bases de données accessibles au grand public ;56 les autres attendent encore d’être identifiés avec précision. Les sources documentaires actuellement disponibles, et notamment les sources informatisées, attestent ainsi la présence dans les collections françaises – Louvre compris – d’une quarantaine de tableaux conquis en Bavière sous le Consulat, en Allemagne du Nord et à Vienne sous l’Empire. Signalons par exemple que le musée des Beaux-Arts de Caen abrite non seulement le fameux Abraham et Melchisedech de Rubens saisi à Cassel, dont il a déjà été question dans le chapitre viii du présent volume, mais encore une Écaillère attribuée à Willem Drost et saisie à Brunswick ; un Cheval dévoré par des loups de Paul de Vos et la Continence de Scipion de Moeyert venus l’un et l’autre de Bavière (voir tome II, inventaire des saisies effectuées à Munich, nos 4 et 70) ; auxquels s’ajoutent plusieurs tableaux confisqués à Vienne en 1809 (voir tome II, inventaire des saisies effectuées à Vienne, nos 240, 231, 27, 67) : un Duel musical d’Apollon et de Marsyas de Pietro Novelli, des Soldats jouant aux cartes d’après Bartolomeo Manfredi, un Saint Sébastien d’après Andrea del Sarto, un Portrait de dame âgée de Frans Floris. De même, on trouve au musée des Augustins de Toulouse, parmi sept tableaux provenant du duché de Brunswick, un Autoportrait attribué à Largillière ; Le Christ présenté au peuple de Coebergher ; un Saint Jean Baptiste de Sébastien Bourdon, ou encore un tableau représentant Démocrite et Héraclite de Crespi, tous mentionnés dans l’inventaire dressé par Denon à Brunswick en 1807 (voir tome II, inventaire des saisies effectuées à Brunswick-Salzdahlum, p. 4, n° 26 ; p. 13, n° 22 ; p. 14, n° 15 ; p. 12, n° 97). Et il faudrait ajouter encore, à Lyon, une Vierge du Rosaire d’après Dürer provenant du château du Belvédère à Vienne (voir tome II, inventaire des saisies effectuées à Vienne, n° 56) ; à Rennes une Sainte Famille dans un paysage de Sandrart et La femme adultère de Johann Cari Loth, prises l’une et l’autre à Munich (voir tome II, inventaire des saisies effectuées à Munich, nos 25 et 24). Qu’ils aient été restitués ou non, les tableaux de provenance allemande répartis entre les départements sous l’Empire, tout en restant dans le domaine public et en apportant les lumières de l’instruction aux quatre coins de la nation française, sortaient du circuit traditionnel des voyageurs européens, et quittaient du même coup l’espace d’une possible diffusion, les entreprises éditoriales engagées dans la publication des chefs-d’œuvre européens étant concentrées à Paris.
Envois dans les palais impériaux
28Moins compatible encore avec le discours officiel ayant servi, jusque sous l’Empire, à justifier l’appropriation martiale du patrimoine étranger, l’envoi d’importants contingents de tableaux dans les châteaux et palais impériaux des environs de Paris, d’une part, ainsi que dans plusieurs hôtels ministériels, d’autre part, trahit la banale logique d’enrichissement qui préside aussi aux saisies françaises. Enlevées à des princes pour être mises à disposition du public, de nombreuses œuvres finissent en France par décorer les palais des puissants. Une rapide traversée de la correspondance administrative de Denon, lorsqu’il s’agit de restituer les œuvres dispersées, met en lumière l’ampleur du phénomène : 3 août 1815, au concierge du palais de Fontainebleau : « La plupart des tableaux qui sont dans les appartements du palais de Fontainebleau provenant de Brunswick, de Cassel et de Mecklembourg-Schwerin sont redemandés. »57 Le même jour, au gouverneur du palais des Tuileries : « Je vous prie d’autoriser M. Mogé, concierge du palais des Tuileries, à me remettre 16 tableaux provenant de ces collections [de Brunswick et Schwerin] qui sont placés dans une pièce attenante aux appartements de Son Altesse royale Madame la duchesse d’Angoulême. »58 Toujours le 3 août, au ministre de la Police : « Étant obligé de remettre […] les tableaux apportés en 1806 de Brunswick et de Schwerin, je vous prie de donner des ordres pour que les 27 tableaux qui ont été placés le 5 juillet 1810 dans les appartements du ministère de la Police soient remis aux gardiens du musée pour être rapportés et rendus aux commissaires de ces diverses puissances. »59 On pourrait continuer longtemps : 26 août 1815, à Madame du Bouzet, surintendante de la maison des orphelines de la Légion d’honneur à Saint-Denis : « Des ordres supérieurs m’obligent de remettre aux commissaires des puissances alliées les tableaux et autres objets d’art enlevés en 1806 de la Prusse. Dans le nombre de ces objets se trouve un tableau de l’Assomption de la Vierge que j’ai eu l’honneur de vous délivrer il y a environ 3 ans pour la décoration de la chapelle de la maison de Saint-Denis ; il vient de Berlin et je suis obligé de le restituer. »60 2 septembre 1815, au concierge de l’hôtel de l’Empire, rue Cerruti : « Un ordre du roi porte que les objets d’art provenant de la Prusse, de la Hesse, du Mecklembourg, de Brunswick et de l’Autriche seront remis aux commissaires de ces puissances. Je vous ai envoyé un tableau représentant un vieillard écrivant et trois portraits d’hommes qui sont placés en dessus-de-portes dans les appartemens de l’hôtel de l’Empire et qui font partie des tableaux appartenant à ce souverain ».61 5 septembre 1815, au prince de Bénévent, premier ministre d’Etat : « J’ai fait placer dans l’hôtel qu’occupait autrefois le prince Kurakin rue d’Artois les quatre tableaux suivants qui m’avaient été demandés pour des dessus de portes […]. Ces tableaux proviennent de la conquête de 1806 et doivent être rendus. »62 Restituées pour la plupart, ces œuvres retournent en Allemagne aussi peu connues du public mondial qu’elles l’étaient en quittant le pays, et leur transfert ne fait somme toute que répéter le principe antique de l’exportation des œuvres d’art d’une capitale soumise dans une capitale victorieuse. En fait, les seules œuvres de provenance allemande qui profitent véritablement de leur séjour parisien, en termes de notoriété et d’histoire, sont celles qui sont intégrées aux collections permanentes du musée Napoléon.
Œuvres allemandes au musée Napoléon
29Sur le millier de tableaux saisis en Allemagne en 1806 et 1807, un tiers, on l’a vu, est exposé provisoirement à son arrivée en France. A l’issue de cette exposition temporaire, environ cent soixante tableaux sont retenus pour être montrés définitivement dans les salles du musée Napoléon, soit, au total, à peine un sixième de la moisson récoltée sous les auspices éclairés du directeur. Dès lors cependant que l’on renverse la perspective, le bilan paraît moins maigre : à considérer les œuvres effectivement exposées au Louvre – et non plus la masse totale des pièces confisquées –, il apparaît que les tableaux saisis en Allemagne complètent de manière déterminante les collections du musée Napoléon, en particulier ses écoles nordiques : le catalogue des œuvres exposées dans la galerie de peinture (édition de 1814) comporte ainsi, sur environ six cents tableaux des « écoles allemandes, flamandes et hollandaises », près de cent cinquante œuvres venues d’Allemagne en 1806, soit un quart de l’ensemble. Les trois tableaux de Dürer (ou prétendus tels) qui sont visibles dans les salles du musée Napoléon proviennent de Berlin (voir tome II, nos 359-361). Sur la trentaine de Rembrandt – ou considérés comme tels –, treize sont dus aux saisies pratiquées outre-Rhin (voir tome II, nos 527-529 ; 531-537 ; 541-543). Denon souligne par ailleurs dans sa correspondance administrative l’importance cruciale des tableaux saisis à Cassel pour l’équilibre de son musée, mettant en garde les autorités françaises, lors des réclamations de 1815, contre le danger qu’il y aurait à « obtempérer aux demandes de la Hesse [qui feraient] disparaître la majeure partie des petits tableaux, les plus gracieux de l’école hollandaise ».63 Organiquement intégrés au grand corps du musée Napoléon, ces tableaux bénéficient, à Paris, de l’afflux de visiteurs et d’amateurs d’art venus du monde entier, mais aussi et surtout d’un appareil éditorial diversifié et efficace, qui assure la publicité de leur image à l’échelle internationale.
Reproduction, circulation, diffusion
30Si en effet les Notices publiées à l’initiative même du musée restent assez sommaires, l’accroissement de ses collections incite les éditeurs à prendre en compte à partir de 1807 les œuvres venues d’Allemagne. Quatre recueils au moins jouent un rôle déterminant à cet égard : les Annales de Landon, le Musée français et la Galerie du musée Napoléon, déjà cités, ainsi que le Musée des antiques du peintre Pierre Bouillon à partir de 1810.64 Consacré aux seules collections antiques, ce dernier ouvrage se démarque des trois autres, qui pour leur part, on l’a vu, font alterner les gravures de tableaux et de statues. A quelques exceptions près, c’est donc à partir du moment où elles sont définitivement retenues pour l’exposition permanente du Louvre que les œuvres de provenance allemande apparaissent dans ces recueils périodiques, autrement dit à partir de 1809-1810. A cette date, Landon lance la « seconde collection » de ses Annales et il note en préface : « Cette seconde collection contient plusieurs ouvrages précieux dont les auteurs, peu connus en France, n’avaient point encore été cités dans le catalogue du musée Napoléon, et ces chefs-d’œuvre sont le fruit des conquêtes de Sa Majesté, dans les mémorables campagnes de 1805 et 1806. »65 Pris ensemble, les deux premiers volumes de cette seconde collection (1810 et 1811) offrent ainsi, entre autres gravures, la reproduction d’une trentaine de tableaux, d’une soixantaine de statues, bustes et bas-reliefs saisis en Allemagne, soit un cinquième environ des tableaux et la presque totalité des antiques de provenance allemande exposés à Paris. A partir de 1811, le luxueux Musée des antiques de Bouillon publie à son tour une douzaine de gravures d’après les statues saisies en Allemagne. Entre 1809 et 1814, les volumes de Filhol présentent eux aussi un large choix de statues et plus d’une cinquantaine de tableaux confisqués outre-Rhin. En 1816 et 1818, enfin, malgré le démantèlement du musée Napoléon, une demi-douzaine d’antiques et au moins vingt tableaux de provenance allemande, désormais restitués, sont publiés dans le Musée royal. Au total, la diffusion iconographique des œuvres transférées des capitales allemandes à Paris, puis intégrées à l’exposition permanente du musée Napoléon, est donc plutôt bonne, même si les sculptures antiques font l’objet d’une documentation plus exhaustive et plus précise que les tableaux. Mais dans ces catalogues illustrés, comme dans l’exposition de 1807-1808, l’origine exacte des œuvres continue généralement d’être tue, le seul qualificatif de « produit de la conquête » fournissant un indice suffisamment flou pour éviter les revendications intempestives (« provient des conquêtes de 1806 » ;66 « on le doit aux conquêtes de 1806 » ;67 « ce joli tableau est dû aux conquêtes de 1806 »,68 etc.).
31Sur le contingent de tableaux allemands retenus pour être exposés en permanence au musée Napoléon, soixante-dix environ sont gravés, parfois à plusieurs reprises, dans l’un des recueils susmentionnés. Conformément au goût du moment, les scènes de genre hollandaises ainsi que les paysages flamands sont les plus nombreux à être reproduits, comme c’est le cas par exemple ici de l’une des cascades de Ruisdael, saisie à Cassel (voir tome II, n° 556), gravée à la fois dans le recueil de Filhol et dans le Musée royal de Laurent (ill. 75-76). Aucun peintre n’est toutefois privilégié, à l’exception peut-être de Rembrandt, qui focalise plus particulièrement l’attention : parmi les dix-sept tableaux du maître saisis outre-Rhin et exposés en 1807-1808, dix au moins ont été gravés pendant leur séjour parisien, au premier rang desquels Jacob bénit les enfants de Joseph (tome II, n° 527), disponible à la chalcographie du musée, et reproduit à la fois dans les Annales de Landon, le Musée royal (ill. 77) et le recueil de Filhol. Parmi les autres artistes « découverts » par Denon en Allemagne, ou dont le musée Napoléon ne possédait aucune œuvre avant la campagne de 1806-1807, ce sont surtout quelques Hollandais, Flamands et Italiens qui font l’objet d’une diffusion par l’estampe. En revanche, les « primitifs » des écoles nordiques, que Denon a confisqués avec tant de passion en Allemagne et dont l’exposition en France, en 1807-1808, avait été une véritable première européenne, restent exclus de ces recueils. Il est vrai que seuls le Jugement dernier attribué à Van Eyck (tome II, n° 389), les trois tableaux attribués à Dürer (tome II, nos 359-361), un Cranach (tome II, n° 333) et les Œuvres de miséricorde, alors attribuées à un maître allemand inconnu (tome II, n° 370), restent visibles dans l’exposition permanente du musée, tandis que les autres « primitifs », malgré leur succès populaire, n’y sont plus présentés (ou à peine) jusqu’à leur restitution en 1815.
75. D’après Jacob Izaaksz van Ruisdael : Le torrent, gravure de De Villiers, in : Antoine Filhol : Galerie du musée Napoléon, t. VI, Paris 1809, pl. 424

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76. D’après Jacob Izaaksz van Ruisdael : Le Torrent, gravure de Haldenwang, in : Henri Laurent : Le Musée Royal, t. I, Paris 1816, pl. 52

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77. D’après Rembrandt : Jacob bénissant les enfants de Joseph, gravure de Claessens d’après un dessin de Bouillon, in : Henri Laurent : Le Musée royal, t. I, Paris 1816, pl. 22

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32Monica Preti-Hamard a consacré d’importantes recherches au statut de l’école primitive au sein du musée Napoléon, et notamment au projet avorté de Denon de réunir en un heu les « tableaux anciens et des premiers maîtres ».69 Faute de temps, en effet, Denon ne parvient pas, avant la chute de l’Empire, à réaliser ce projet qu’il mûrit pourtant depuis longtemps. En 1811, il accorde à Notre-Dame de Paris huit tableaux de Cranach saisis à Berlin : « Conformément à votre demande », écrit-il au cardinal administrateur du diocèse de Paris, « je viens de faire une recherche dans les tableaux destinés aux Eglises de la capitale pour voir si je pourrais y trouver les six Christs que Votre Eminence désire avoir pour les salles du concile. Mes recherches ont été vaines, je n’ai trouvé qu’une suite de tableaux représentant la passion de Jésus-Christ en huit tableaux peints par Lucas Cranach, célèbre peintre allemand ; ils portent environ 4 pieds de haut sur 3 de large. Je pourrais les confier à Votre Eminence » (tome II, nos 337-344).70 Quelques mois plus tard, après sa mission italienne, Denon formule explicitement son projet de réunir tous les tableaux anciens, y compris ceux qu’il vient de confisquer dans la péninsule : « Lorsque ces peintres seront arrivés à Paris, Monseigneur, je les réunirai à plusieurs beaux tableaux de l’école allemande et flamande des 14 et 15e siècles qui sont déjà au musée, et je ne doute point que leur exposition dans une pièce particulière n’intéresse vivement les artistes en ce qu’elle leur indiquera le point d’où la peinture est partie pour produire des merveilles et l’époque de la splendeur des arts en Italie. »71 Finalement, ce projet n’est pas réalisé. L’exposition des Tableaux des Écoles primitives de l’Italie, de l’Allemagne et de plusieurs autres tableaux de différentes écoles, organisée in extremis pendant l’été 1814, procède en partie du désir de Denon d’exposer des œuvres jusqu’alors non exposées, pour esquiver les demandes de réclamation qui pourraient les affecter, ce qui explique par exemple que l’on trouve un grand nombre de tableaux de l’école espagnole au milieu des peintres « primitifs ». Si cette exposition présente des œuvres saisies en Italie et à Vienne, elle ne comporte au reste presque aucun tableau provenant des collections de Prusse ou des petits Etats d’Allemagne du Nord, et elle ne suscite aucune diffusion par l’estampe. A certains égards, on peut donc considérer le séjour à Paris des œuvres de l’école allemande ancienne comme une sorte de faux départ dans l’histoire de leur réception européenne.
Les antiques
33Presque toutes les statues antiques saisies en Allemagne et exposées au Louvre ont été gravées pendant leur séjour parisien, et la plupart l’ont même été deux, trois ou quatre fois. C’est le cas de l’Hygie de Cassel (tome II, n° 4), gravée dans les quatre recueils les plus importants (ill. 78-79) ; c’est le cas du bel Antinoüs de Potsdam (tome II, n° 5) ou de la statue de Didius Julien (tome II, n° 30), gravés eux aussi à quatre reprises ; c’est le cas évidemment de l’Orant de Berlin (tome II, n° 36), gravé dans trois recueils au moins. Par ailleurs, au moins cinq statues antiques de provenance allemande font l’objet de moulages, complets ou partiels, exécutés dans les ateliers du Louvre et commercialisés dans toute l’Europe : l’« Hygie de Berlin » (tome II, n° 7) ; l’ Orant de bronze (tome II, n° 36) ; un bas-relief représentant les Forges de Vulcain, saisi à Berlin et demeuré au Louvre après 1815 (tome II, n° 37) ; une Nymphe appuyée sur un dauphin (tome II, n° 44) ; la Joueuse aux osselets de Potsdam (tome II, n° 72). Grâce aux travaux récents de Tamara Préaud, on sait aussi que plusieurs statues antiques venues d’Allemagne ont servi de modèle pour la réalisation de figures réduites d’une quarantaine de centimètres, en plâtre, comprises dans le spectaculaire surtout du « service particulier de l’Empereur » réalisé par la manufacture de Sèvres à partir de novembre 1807.72 Il s’agit de la Minerve, de la statue de Didius Julien et de l’Hygie de Cassel évoquées à l’instant, et de deux des « filles de Lycomède » saisies à Potsdam.73 A titre anecdotique, il n’est peut-être pas indifférent de noter que l’un des chevaux du quadrige de la porte de Brandebourg à Berlin – entreposé, faute de destination héroïque, dans les magasins des Menus-Plaisirs à partir de 1808 – fait également l’objet d’un moulage à Paris, mais d’un moulage d’un genre particulier et dont il sera question plus loin.
78. Hygie de Cassel, gravure de Pierre Bouillon, in : Pierre Bouillon : Musée des antiques, Paris 1810-1827, t. I, pl. non numérotée

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79. Hygie de Cassel, in : Antoine Filhol : Galerie du musée Napoléon, t. VI, Paris 1809, pl. 402

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34L’appareil de diffusion par la gravure et, dans une moindre mesure, par la réalisation commerciale d’empreintes ; la réunion précoce, en un heu unité, des antiquités confisquées dans les palais de Berlin et Potsdam, ainsi que dans le musée Fridericianum de Cassel ; leur prise en charge scientifique par certains des plus grands savants de l’époque, au premier rang desquels Ennio QuirinoVisconti, l’un des archéologues les plus érudits et les plus reconnus du moment : tous ces éléments marquent une étape importante dans l’histoire de leur réception européenne. Mais là encore toutefois, pour être vraiment juste, il est indispensable d’opérer une distinction entre les œuvres venues du musée Fridericianum et celles qui ont été tirées par Denon des résidences du roi de Prusse. Avant leur séjour à Paris, les statues antiques de Cassel n’avaient encore fait l’objet d’aucune description détaillée : trois courtes études en langue latine, faiblement diffusées et dépourvues d’illustrations, leur avaient été consacrées à la fin des années 1770,74 et les rares fois où elles avaient été évoquées, de lourdes coquilles s’étaient glissées dans les dénominations : dans une livraison du Musée de Meusel, par exemple, la statue présentée dans l’exposition parisienne de 1807 sous le nom de Thésée (voir tome II, n° 25), alors nommée Hercule filant (« spinnender Herkules »), avait ainsi été transformée en Hercule nageant (« schwimmender Herkules »), ce qui ne fait pas très bonne impression.75 Dans ce contexte approximatif, le déplacement des statues antiques de Cassel à Paris signifie véritablement leur entrée sur la scène archéologique internationale. Il suffit pour s’en convaincre de consulter les travaux érudits consacrés à ces statues avant et après la césure de 1807 : avant cette date, la Minerve de Cassel (tome II, n° 15) avait été évoquée une fois seulement, dans l’un des trois opuscules latins mentionnés ci-dessus ; quelques semaines après son arrivée en France, elle est gravée et citée dans la « première collection » des Annales de Landon en 1807, puis, plus en détail, dans la « seconde collection » des mêmes Annales en 1810, puis, dans le Musée des antiques de Bouillon en 1811 et dans le Musée royal en 1816 (ill. 80-81). Par ailleurs, celle dont Visconti salue la « finesse », le « goût » et le « travail exquis » fait l’objet d’une description relativement longue dans la Notice du musée des Antiques, qui sert de référence à plusieurs autres travaux archéologiques.76
80. Minerve de Cassel, gravure de Laugier d’après un dessin de Granger, in : Henri Laurent : Le Musée royal, Paris 1816, t. I, pl. 68

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81. Minerve de Cassel, gravure de Pierre Bouillon, in : Pierre Bouillon : Musée des antiques, Paris 1810-1827, t. I, pl. non numérotée

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35Présentées en France à proximité immédiate d’autres statues antiques, les œuvres saisies à Cassel, pour la première fois de leur (courte) histoire muséale, se prêtent donc désormais à ces comparaisons jugées si nécessaires aux progrès du savoir archéologique. La simple lecture de la Notice des statues (édition de 1815) rend sensible l’importance de ces jeux de renvois, qui émaillent les articles consacrés aux œuvres allemandes : à propos de l’Apollon lycien saisi à Cassel (voir tome II, n° 2), Visconti fait référence à la posture semblable d’un autre Apollon du musée Napoléon, provenant pour sa part des jardins de Versailles ;77 à propos de la grande statue de Minerve saisie également à Cassel (voir tome II, n° 15), il rappelle le portrait le plus célèbre de la déesse, la Pallas de Velletri.78 On pourrait multiplier les exemples en entrant dans le détail des essais érudits publiés dans les recueils évoqués plus haut. Par effet de ricochet, du reste, la réunion en un lieu des chefs-d’œuvre antiques ne profite pas seulement aux érudits parisiens, mais encore à leurs anciens gardiens : en 1817, le directeur du Fridericianum salue, dans son étude de 1817, la pertinence d’une notice que Jean-Baptiste de Saint-Victor a rédigée sur la Minerve hessoise : « Son jugement est digne d’attention […] car il a eu la possibilité de comparer entre elles plusieurs bonnes représentations de cette déesse, en particulier la plus célèbre, la Pallas de Velletri » ;79 après 1815, le conservateur de Cassel fait en outre systématiquement référence aux recueils de gravures français lorsqu’il étudie les statues restituées à son musée (« 8. Portrait de l’Empereur Didius Julianus en toge, 6 pieds de haut, marbre de Carrare : assez bien rendu dans le Musée des Antiques, livr. XIV, à part le visage qui n’est pas fidèle. Dans la Galerie du musée Napoléon, par Filhol, t. X, pl. 678, les plis ne sont pas figurés correctement »80) et il se souvient avec précision des salles du musée Napoléon lorsqu’il se penche sur le célèbre Apollon restitué à sa ville : « Si l’on n’avait pas trouvé le carquois et son appui lors des fouilles, […] les restaurateurs auraient certainement fait de lui une autre divinité, ou une autre personne, dont j’ai vu un exemple clair au musée de Paris. Juste à côté de notre Apollon, en effet, il y avait dans la salle des Fleuves une statue si semblable à lui que l’on aurait pu croire qu’il s’agissait de deux moulages d’une même œuvre, s’ils avaient été de bronze. »81
36Au total, donc, l’exil parisien des antiquités d’Allemagne sert effectivement leur identification et leur inscription dans le champ de l’érudition archéologique en Europe. Au-delà des questions de pure érudition et d’interprétation, le transfert à Paris des statues de Berlin, Potsdam et Cassel – et leur inscription hiérarchisante dans les collections du Louvre – est aussi, pour certaines, le moment d’une réelle consécration. Dans la Notice du musée des Antiques, Visconti souligne ainsi la valeur exceptionnelle de la statue de Didius Julien, saisie à Cassel : « Les portraits en sculpture de cet Auguste sont de la plus grande rareté. Il n’en existe aucun d’aussi authentique et certain que celui-ci, comme on peut s’en convaincre par les médailles » (tome II, n° 30). La qualité de plusieurs statues confisquées en Allemagne est désormais reconnue et attestée par de grands spécialistes et, comme l’indique Völkel, « certaines œuvres inconnues ou trop peu considérées acquirent la célébrité qu’elles méritaient ».82 Si ce passage de l’ombre à la lumière est sans doute déterminant dans le cas des œuvres saisies à Cassel, son importance mérite pourtant d’être pondérée pour les œuvres de provenance prussienne.
37« 190. Septime Sévère. Tête. Elle est gravée dans le Recueil de Cavaceppi » ; « 194. Antinous […] cette statue est de la plus grande manière ; on la voit gravée dans le Recueil de Cavaceppi » ; « 194b. Bacchus, Dieu des saisons. Bas-relief. […] Il a été gravé par Pietro Santi, dans l’Admiranda » ; « 210. Livie, femme d’Auguste. Ce beau buste est gravé dans le Recueil de Cavaceppi » ; « 237. Jeune athlète en bronze […] Winckelmann a parlé de ce bronze dans l’Histoire des Arts ». A la simple lecture du catalogue de l’exposition allemande de 1807-1808, il apparaît avec clarté que plusieurs statues saisies à Berlin et Potsdam ne sont pas complètement inconnues lorsqu’elles arrivent à Paris. Plusieurs étaient gravées depuis 1768 dans le recueil du restaurateur et marchand romain Bartolomeo Cavaceppi.83 Un grand nombre d’entre elles étaient répertoriées et commentées dans la Description et explication des groupes, statues […] qui forment la Collection de S.M. le Roi de Prusse, catalogue en langue française de Matthias Oesterreich (1774).84 D’autres encore, tels les petits bronzes tirés de l’ancienne collection Bellori au château royal de Berlin, ont été gravées dès 1701 dans le troisième tome du Thesaurus Brandenburgicus de Lorenz Beger.85 Lors de leur confiscation par Denon en 1806, un certain nombre de statues antiques connaissent une importante diffusion et d’autres sont sur le point d’accéder à la notoriété.
38Le phénomène est particulièrement frappant dans le cas du groupe nommé « Famille de Lycomède », acquis par Frédéric le Grand en 1742 et exposé depuis 1770 dans le « temple des antiques » (Antikentempel) à Sans-Souci.86 Bien avant son transfert à Paris – où il sera exposé pendant six mois seulement –, la popularité de ce groupe est telle que plusieurs copies de taille naturelle en ont été réalisées, en stuc, pour décorer la rotonde de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg (1792), le Nouveau Jardin à Potsdam (copies aujourd’hui disparues), ou encore, toujours à Potsdam, la villa du conseiller aulique Ritz (construite en 1796).87 Au château de Ludwigslust, près de Schwerin, la grande salle est elle aussi ornée de copies en papier mâché de ces statues. Par ailleurs, la manufacture royale de porcelaine de Berlin (kpm) commercialise dans les années 1790-1795 de petites reproductions colorées et dorées de la « Famille de Lycomède »,88 qui n’attend donc pas son transfert à Paris pour sortir de l’anonymat. D’un point de vue plus strictement scientifique, le groupe avait fait l’objet, deux ans avant sa confiscation par Denon, d’une étude approfondie due à l’archéologue berlinois Konrad Levezow (1770-1835), alors professeur d’archéologie et de mythologie à l’Académie des beaux-arts de Prusse. Intitulé De la famille de Lycomède [Über die Familie des Lycomedes] (1804), son essai analysait une par une les dix statues du groupe pour arriver à la conclusion – confirmée depuis – selon laquelle elles n’avaient jamais formé un ensemble homogène.89 Dans le catalogue de l’exposition parisienne de 1807, Visconti ne mentionne pas l’essai de Levezow et affirme qu’il est « évident que ces statues ont été faites pour être ensemble » (tome II, n° 71), affirmation reprise notamment dans les Annales de Landon (« elles appartiennent évidemment à une seule et même famille »).90
39Au-delà du débat érudit sur la provenance et la destination d’un groupe antique, cette divergence d’interprétation suggère qu’à la veille des saisies napoléoniennes, l’archéologie berlinoise est soucieuse d’offrir aux collections antiques du roi de Prusse un cadre scientifique élaboré. Le programme est d’ailleurs posé dès le début de l’essai sur la Famille de Lycomède, qui doit être considéré, explique Levezow, comme la première pierre d’un grand monument éditorial. Il s’agit en effet, précise-t-il, de faire connaître au public toutes les antiques de marbre et de bronze conservées à Berlin, en en publiant les gravures, accompagnées de notices explicatives, dans un recueil accessible à tous les amateurs, même peu fortunés. Formulé en 1804, ce projet de « Musée des monuments de l’art ancien des collections royales de Prusse » doit être mené sur plusieurs années. Or, dès 1806, la confiscation par Denon des principales statues antiques conservées dans les palais de Berlin et Potsdam étouffe prématurément l’entreprise. En 1808, Levezow publie néanmoins deux études consacrées à des statues prussiennes transférées en France : à l’Antinoüs de Potsdam,91 mais aussi et surtout, à l’Orant de Berlin dans une étude rédigée en latin et dédiée à Millin : De iuvenis adorantis.92 Dans cet essai, considéré par l’historiographie comme le premier travail scientifique suscité par la statue de bronze, Levezow arrive à des conclusions proches de celles que Visconti formule pour sa part, à Paris, dans le quatrième tome du Musée français (1809). Mais l’archéologue berlinois prend soin de le préciser dans l’introduction : ses thèses ne sont pas nouvelles, et elles ne sont pas liées aux travaux des érudits français, puisqu’il les avait déjà rendues publiques, en 1803, dans une revue d’amateurs.93 Contrairement aux antiques saisies à Cassel, celles de Prusse sont donc déjà publiées, ou en voie de publication imminente, lorsqu’elles sont transférées de force à Paris. Il n’en reste pas moins que la réunion extraordinaire, en France, des plus grands chefs-d’œuvre antiques alors connus en Europe invite les érudits à affiner leurs classements, leurs vues chronologiques et, plus généralement, leur perception des canons de la beauté hellène et romaine. Entre trophées militaires et membres uniques d’un grand corps idéal où l’humanité éclairée cherche ses modèles depuis plusieurs décennies, les statues antiques saisies en Allemagne bénéficient de l’institution française dans toute son efficacité, de manière plus évidente que les tableaux et, a fortiori, les objets curieux ou d’artisanat qui ne trouvent pas de place dans la « vitrine Louvre », telle qu’elle est configurée entre les années 1807 et 1815.
Le cheval blanc d’Henri IV
40L’histoire de l’exil parisien subi par les chevaux et la victoire de Berlin, descendus en décembre 1806 de la porte de Brandebourg, démontés, encaissés et transportés en France par voie d’eau, restaurés à Paris et finalement rendus aux Prussiens en 1814 sans avoir jamais été exposés, mériterait un livre à elle seule. Qu’elle soit simplement effleurée ici, en guise d’appendice symbolique à un chapitre qui s’est efforcé d’évaluer dans quelle mesure la visibilité des œuvres conquises en 1806-1807 a véritablement été assurée en France sous l’Empire. Saisi explicitement à titre de trophée, et non pour sa valeur esthétique ou historique, le quadrige de Schadow ne saurait évidemment être confondu avec les milliers d’œuvres d’art sciemment choisies par Denon dans les galeries des souverains germaniques. Et néanmoins sa destinée franco-allemande cristallise un faisceau de petits événements qui, perçus dans leur dimension symbolique, sont riches d’enseignements pour l’intelligence des « conquêtes artistiques », des mécanismes d’appropriation et de réappropriation dont elles procèdent, des efforts de conservation qu’elles induisent, des problèmes de visibilité et d’utilité qu’elles posent, et peut-être aussi, finalement, de l’étrange absurdité que l’opération revêt, lorsqu’elle devient le vecteur de démonstrations politiques en mal de symboles frappants. Il a été dit dans le chapitre précédent que la restauration du quadrige de la porte de Brandebourg a été menée de manière précoce et professionnelle à Paris, qu’elle a coûté fort cher, et qu’elle n’a débouché sur aucune exposition du spectaculaire trophée berlinois, tous les lieux pressentis ayant fini par être rejetés, et le char, les quatre chevaux, la pauvre victoire rangés dans les entrepôts des Menus-Plaisirs, où se trouvaient aussi des décors d’opéra. Pendant ce temps, à Berlin, où la nudité de la porte de Brandebourg était quotidiennement et cruellement ressentie par les sujets du roi de Prusse, l’absence du quadrige était devenue un signe d’humiliation nationale.
41Dès l’entrée de l’armée prussienne à Paris, en 1814, une priorité avait donc été la reprise du groupe de Schadow. Rapidement localisé, le quadrige avait été mis en caisse et attendait sa réexpédition à Berlin lorsque les responsables parisiens des festivités prévues pour le retour de Louis XVIII s’étaient très symboliquement avisés d’ériger une statue d’Henri IV sur le Pont-Neuf, en place de la statue équestre victime en 1792 de l’iconoclasme révolutionnaire :
« Le Roi étoit attendu », indique un mémoire conservé aujourd’hui aux archives de l’École des beaux-arts, « il alloit arriver, et l’on pensa qu’il seroit touché de revoir sur le Pont-Neuf l’image de Henri, ne fût-elle qu’en plâtre. Le projet avait été conçu par M. Bellanger, architecte, et approuvé le 18 avril. Le Roi devoit faire son entrée dans la capitale le 3 mai ; plusieurs artistes furent consultés : l’exécution étoit trouvée impraticable dans un si court espace de temps. M. Roguier, sculpteur […] entendit le projet, promit de l’exécuter dans le terme fixé, et tint parole. On l’établit dans un atelier aux Menus-Plaisirs. Il se procura sur le champ une estampe qui représentoit l’ancien monument, ainsi qu’un buste en bronze très ressemblant […]. Le quadrige de Berlin, conduit à Paris par les armes françaises, venoit de nous être repris par les armes réunies de l’Europe. Il étoit emballé, gardé par un piquet de Prussiens, et prêt à partir. On obtint de S.M. le roi de Prusse l’autorisation de laisser dévisser et mouler un des chevaux de ce quadrige. Trois jours furent accordés pour le moulage, au bout desquels le cheval fut replacé dans la caisse, et partit avec les trois autres. […] On composa le bâti du cavalier d’une tige de fer, finissant au milieu de la tête par un anneau qui devoit servir à l’enlever avec un mouffle […]. M. Roguier, dirigé par les conseils d’un habile statuaire, M. Houdon, et assisté par un nombre suffisant d’ouvriers sculpteurs, mouleurs, charpentiers et serruriers, se livra, sans désemparer, à un travail qui étoit un véritable impromptu ».94
42Parmi ces ouvriers, le tout jeune architecte d’origine rhénane Jacob Ignaz Hittorff (1792-1867), qui fera par la suite une carrière fulgurante à Paris, et dont le bel exemple d’intégration a déjà attiré l’attention de plusieurs générations de spécialistes penchés sur les transferts culturels franco-allemands, Jacob Ignaz Hittorff, donc, à qui nous devons la gare du Nord, a réalisé en 1814 une série de croquis aussi curieux qu’éloquents. Ils sont conservés actuellement aux archives de l’Ecole nationale des beaux-arts à Paris et témoignent du travail de moulage effectué in extremis sur le quadrige de la porte de Brandebourg. L’un d’entre eux est intitulé « Moulage du cheval et de la statue d’Henri IV pour le Pont-Neuf. Fête du 3 mai 1814 » (ill. 82) : on y voit, découpés en quartiers roses numérotés, la queue en plusieurs pièces, la croupe, une cuisse, un bout de jambe arrière, un bout de jambe avant, les fesses, la moitié de l’encolure, oreille comprise, et la tête du cheval. Au-dessous, en bleu, plusieurs armatures en fer, parmi lesquelles celle d’Henri, vue de face et de profil. Le deuxième croquis (ill. 83) est intitulé « Plan du Quadrige de Berlin transporté à Paris avant 1814 » et représente la statue de la victoire de face et de dos, mais surtout l’emplacement du char et des sabots des chevaux au sol. Le troisième croquis, enfin (ill. 84), sans titre, présente une vue élaborée, de profil, du groupe entier et de quelques détails ornementaux, rosace des essieux, feuilles de la guirlande du char, poitrail des chevaux. Au total, le trophée n’est donc pas resté totalement inutile à Paris. La statue d’Henri IV en plâtre, terminée dans les délais, est visible sur plusieurs gravures documentant le retour de Louis XVIII à Paris. Le commissaire prussien Jean Henry, qui semble ignorer l’origine berlinoise du cheval, note lorsqu’il entre dans la capitale française : « Passé le Pont-Neuf où la statue en gyps de Henri IV faisait au clair de la lune le plus singulier effet »,95 et le monument provisoire reste exposé sur le terre-plein du Pont-Neuf jusqu’à être remplacé, en 1818, par le groupe de bronze encore visible aujourd’hui. Louis XVIII souhaitant que la version en plâtre soit conservée « comme le premier hommage offert à la légitimité des Bourbons par la bonne ville de Paris »,96 le groupe est alors transféré au Louvre, dans la galerie du rez-de-chaussée de la Colonnade où il est également visible sur plusieurs gravures (ill. 85). Aujourd’hui disparu, le cheval de la porte de Brandebourg monté par le plus populaire des Bourbons semble avoir été détruit pendant les troubles de 1830.97 Difficile de trouver dans l’histoire des « conquêtes artistiques » françaises lieu de mémoire plus chargé politiquement que ce cheval blanc. D’autant qu’à son retour en Prusse, c’est connu, le quadrige fait l’objet de manifestations patriotiques bruyantes, bien éloignées de sa destination première, qui était simplement ornementale. Le séjour en France des œuvres conquises en Allemagne modifie la vue que l’on porte sur elles, et n’est pas sans effet sur les politiques allemandes du patrimoine récupéré.
82. Ignaz Hittorff : Moulage du cheval et de la statue de Henri IV pour le Pont-Neuf. Fête du 3 mai 1814, 1814, mine de plomb et aquarelle, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, Carnet Hittorff, pl. 6, inv. pc 43234.12

Crédits/Source : Photo © Beaux-Arts de Paris, Dist. RMN-Grand Palais (n° 14-574916, https://www.photo.rmn.fr/archive/14-574916-2C6NU0AWHOZ8V.html) / © image Beaux-arts de Paris (inv. PC43234-06, Fêtes de la restauration. Détails du moulage de la statue équestre d’Henri IV, Carnet de dessins, Jacques Ignace Hittorff (1792-1867), architecte)
83. Ignaz Hittorff : Plan du quadrique de Berlin transporté à Paris avant 1814, 1814, mine de plomb et aquarelle, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, Carnet Hittorff, pl. 4, inv. pc 43234.12

Crédits/Source : Photo © Beaux-Arts de Paris, Dist. RMN-Grand Palais (n° 14-574914, https://www.photo.rmn.fr/archive/14-574914-2C6NU0AWHOAW6.html) / © image Beaux-arts de Paris (inv. PC43234-04, Fêtes de la restauration. Détail du quadrige de Berlin, Carnet de dessins, Jean-François-Joseph Lecointe (1783-1858), architecte)
84. Ignaz Hittorff : Le quadrige de la porte de Brandebourg à Berlin, 1814, mine de plomb et aquarelle. Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, Carnet Hittorff, pl. 5, inv. pc 43234.12

Crédits/Source : Photo © Beaux-Arts de Paris, Dist. RMN-Grand Palais (n° 14-574915, https://www.photo.rmn.fr/archive/14-574915-2C6NU0AWHO7TJ.html) / © image Beaux-arts de Paris (inv. PC43234-05, Fêtes de la restauration. Détail du quadrige de Berlin, Carnet de dessins, Jacques Ignace Hittorff (1792-1867), architecte)
85. Vue de la Galerie Henri IV lors de l’Exposition des Produits de l’Industrie française au Louvre en 1819, lithographie de F. Villain, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des estampes et de la photographie, Inv. Va 2i8a ; A 16365

Crédits/Source : Bibliothèque nationale de France (voir https://images.bnf.fr/#/detail/900702/8 et https://www.photo.rmn.fr/archive/19-560406-2C6NU0AH9NA9Q.html)
Notes de fin
1 Cité in : Galard 1993, pp. 15-16.
2 Steinmann 1916 (Geraubte Schätze), p. 156.
3 Emperius 1999, p. 26.
4 Cantarel-Besson 1981, t. II, p. 236.
5 Ibid., t. I, p. 76.
6 Ibid., t. I, p. XXXII.
7 Rudolf Freese (éd.) : Wilhelm von Humboldt, sein Leben und Wirken, dargestellt in Briefen, Tagebüchern und Dokumenten seiner Zeit, Leipzig 1953, p. 345 : « Ich sitze noch immer in Paris, mein Lieber, und ich kann es mit Wahrheit sagen, recht sehr gegen meinen Willen. […] Wie kann man weggehen, Solange der Apoll und Laokoon hier eingepackt liegen und immer auf ihre Erlösung harren […] ? »
8 Guillaume von Humboldt à Goethe, cité in : Gerhard Femmel : Goethes Grafiksammlung. Die Franzosen, Leipzig 1980, p. 248 : « Über den Kunstkörper hier, wie Sie es in Ihren Propyläen nennen, ließen sich aufs höchste nur fragmentarische Nachrichten geben. Zwar haben wir, da wir mit den hiesigen Künstlern sehr bekannt sind, die angekommenen Gemälde alle gesehen ; indes, da sie bis jetzt teils noch gar nicht, teils nur provisorisch aufgestellt sind, so ist es nicht möglich, jetzt schon das Ganze zu übersehen, und genau, wie viel und in welchem Zustande hier angekommen ist, zu bestimmen. »
9 Cité in : Pommier 1991, p. 462.
10 Voir Gallo 2001.
11 Florence Rionnet, in : Denon 1999, cat. exp., p. 188 ; voir aussi, du même auteur : L’atelier de moulage du musée du Louvre (1794-1928), Notes et documents des musées de France n° 28, Paris 1996.
12 Voir Gallo 2001, pp. 692-696 ; ainsi que : Daniela Gallo et Monica Preti-Hamard, in : Denon 1999, cat. exp., pp. 163-168, notices nos 177-184 ; Charles-Paul Landon : Annales du Musée et de l’Ecole moderne des Beaux-Arts, Paris 1801-1815 ; 1re collection : 1800 (1801)-1809 ; 2e collection : 1808-1814 ; Pierre Laurent et Louis Robillard-Péronville : Le Musée français, 4 t., Paris 1803-1812.
13 Voir Monica Preti-Hamard, in : Denon 1999, cat. exp., notice n° 185, p. 169 ; Maria Cosway et Julius Griffith : Galerie du Louvre, Paris 1802.
14 François Emman Toulongeon : Manuel du Muséum français avec une description analytique et raisonnée de chaque tableau, indiqué au trait par une gravure à l’eau-forte, tous classés par Écoles, et par Œuvre des grands artistes, par F.E.T. M.D.L.I.N., Paris 1802.
15 Antoine Michel Filhol : Galerie du musée Napoléon, 10 t., Paris 1804-1815.
16 Femmel 1980, bibliographie, pp. 368-373.
17 Le Moniteur universel, cité par Daniela Gallo et Monica Preti-Hamard, in : Denon 1999, cat. exp., p. 165.
18 Französische Kunst-Annalen. Eine periodische Schrift, version allemande augmentée des Annales du Musée de Landon, Mulhouse 1802-1809.
19 Das Museum zu Paris oder Sammlung von Copiien der sich dort befindenden Meisterwerke der Mahlerey, Cologne 1801.
20 Voir tome II, inventaire des saisies effectuées à Munich.
21 Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, p. 1246, n° 3398.
22 Poulot 1997, p. 216.
23 Lettre de Denon à l’intendant général de la Couronne, Paris, an, O2 842.
24 Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, p. 491, n° 1354.
25 Voir Geneviève Bresc-Bautier : « Vue de la salle de la Victoire… », notice n° 157, et « La salle de Diane », notice n° 155, in : Denon 1999, cat. exp., p. 156.
26 Landon 1807, XV, p. 4 : « Outre la salle de Diane […], la grande pièce connue sous le nom de Salon du Louvre, la galerie d’Apollon, qui y est contiguë, et la salle ronde de l’ancienne Académie de peinture et sculpture, sont remplies d’objets dignes d’une [sic] intérêt particulier. »
27 Philippe Malgouyres : Le musée Napoléon, Paris 1999.
28 Bresc 1999, p. 142 ; Malgouyres 1999, p. 36.
29 Landon 1807, XV, pp. 13-14.
30 Ibid., p. 14.
31 Héraclite : Fragments, Roger Munier (éd.), Paris 1991, p. 37, n° 52.
32 Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, p. 386, n° 1001.
33 Rabe 1814, fol. 32.
34 L’idea del bello. Viaggio per Roma nel Seicento con Giovan Pietro Bellori, cat. exp., Rome, Palazzo delle Esposizioni, 2 t., Rome 2000 ; voir en particulier Gerald Heres : « Il Muséum Bellorianum », t. II, pp. 499-501 et les notices afférentes.
35 Cité in : Heres 2000, p. 499.
36 Gallo 1999, p. 189.
37 Statues 1807, cat. exp., avertissement.
38 Ibid.
39 Paris, an, O2 842.
40 Landon 1807, t. XV, p. 4.
41 Morgenblatt 1807, 2 novembre, n° 262, p. 1046 : « Die Franzosen sind von der Kühnheit und Kraft des Pinsels ergriffen, und gestehen, daß sie bisher noch gar nicht Rembrand kannten. »
42 Voir par exemple le récit de la visite par l’ambassadeur de Perse de l’exposition des œuvres conquises, Morgenblatt 1807, correspondance du 6 décembre, p. 1204.
43 Morgenblatt 1807, 2 novembre, n° 262, p. 1046 : « Die Pariser können nicht aufhören, der Wahrheit und dem Leben zu huldigen, die in diesen Meisterstücken herrscht, und selbst in denen, wo die Kindheit der Kunst noch bizarre Ideen und Formen mit einem so eingreifenden Kolorite darstellte ».
44 « Arrivée à la Fontaine de Jouvence » et « Effets merveilleux de la Fontaine de Jouvence », gravure de Paquet d’après des dessins de N. Morret, Paris, bnf, département des estampes et de la photographie, Ef. 249.
45 Hélène Toussaint : Les portraits d’Ingres, peintures des musées nationaux, Paris 1985, p. 35.
46 Becker 1971, p. 413 : « Am liebsten würde mir sein, wenn Sie zu beiden Originale aus der alten deutschen Schule wählten, z. B. von denen welche auf dem Museo den Raffaels ungefähr gegenüber hängen. »
47 Ibid.
48 Voir Becker 1971, p. 414.
49 Henry 2001, p. 98.
50 Voir Geneviève Bresc-Bautier : notice n° 155, in : Denon 1999, cat. exp., p. 156.
51 Notice des statues, bustes et bas-reliefs, de la Galerie des Antiques du Musée, ouverte pour la première fois le 18 Brumaire an 9, Paris 1815, nos 190-210.
52 Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, p. 512, n° 1427.
53 Marcel Destot : « 1799-1946 : cent quarante-sept années de formation d’un fonds de peintures nordiques et allemandes », in : La collection du musée de Grenoble, peintures des écoles du Nord, Marcel Destot (éd.), Paris 1994, p. 28.
54 Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, p. 712, n° 2052.
55 Brunswick, musée Herzog Anton Ulrich, archives.
56 La base « Joconde » informatisée du ministère de la Culture permet notamment de rechercher des tableaux en fonction du critère « statut » : « conquête militaire ».
57 Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, p. 1212, n° 3569.
58 Ibid., pp. 1212-1213, n° 3570.
59 Ibid., pp. 1213-1214, n° 3571.
60 Ibid., p. 1216, n° 3579.
61 Ibid., p. 1217, n° 3584.
62 Ibid., p. 1218, n° 3586.
63 Ibid., p. 1178, n° 3494.
64 Pierre Bouillon : Musée des antiques, Paris 1810-1827.
65 Landon 1810, t. I, dédicace.
66 Landon 1811, t. II, p. 67.
67 Filhol IX, 1813, 103e livraison, p. 3.
68 Ibid., 105e livraison, p. 7.
69 Preti-Hamard 1999, p. 226.
70 Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, p. 728, n° 2103.
71 Ibid., t. 1, p. 764, n° 2233.
72 Tamara Préaud : « Denon et la Manufacture impériale de Sèvres », in : Denon 1999, cat. exp., pp. 294-316.
73 Tamara Préaud, notices nos 289, 292, 299-301, in : Denon 1999, cat. exp., pp. 302-304.
74 Dietrich Tiedemann : De antiquis quibusdam Musei Fridericiani simulacris dissertatio (1779), continuatio (1779), diessertatio ultima (1780), Cassel 1779-1780.
75 Cité in Völkel 1817, p. 154.
76 Notice des statues 1815, n° 198.
77 Ibid., 1815, n° 191 avec un renvoi au n° 142.
78 Ibid., n° 198 avec un renvoi au n° 20.
79 Völkel 1817, p. 156.
80 Ibid., p. 189.
81 Ibid., p. 167 ; voir Notice des statues 1815, supplément, nos 260 et 261.
82 Völkel 1817, p. 154.
83 Voir Bartolomeo Cavaceppi : Raccolta d’antiche statue, busti, bassirilievi et altre sculture, restaurate da B. Cavaceppi, 3 t., Rome 1768-1772. Sur Cavaceppi : Anne-Marie Leander Touati : « Cavaceppi et Piranèse, marchands de marbres », in : La fascination de l’antique, 1700-1770. Rome découverte, Rome inventée, cat. exp., Joselita Raspi Serra et François de Polignac (éd.), Lyon, Musée de la civilisation gallo-romaine, Paris 1998, pp. 127-130.
84 Matthias Oesterreich : Description et explication des groupes, statues, bustes & demi-bustes, bas-reliefs, urnes & vases de marbre, de bronze & de plomb, antiques, aussi bien que des ouvrages modernes qui forment la collection de S.M. le Roi de Prusse, Berlin 1774.
85 Lorenz Beger : Thesauri Regii et Electoralis Brandenburgici Volumen Tertium : Continens Antiquorum Numismatum et Gemmarum, Quae Cimeliarchio Regio-Electorali Brandenburgico nuper accessere, Rariora…, Cölln an der Spree [Berlin] 1701.
86 Voir François de Polignac : « L’Antiquité, prétexte ou modèle ? L’invention des “Filles de Lycomède” », in : La fascination de l’antique 1998, cat. exp., pp. 70-76.
87 Berlin und die Antike 1979, cat. exp., « catalogue », pp. 255-256.
88 Ibid.
89 Konrad Levezow : Über die Familie des Lycomedes, Berlin 1804.
90 Landon 1810, t. I, p. 23.
91 Konrad Levezow : Über den Antinous dargestellt in den Kunstdenkmälern des Alterthums. Eine archaeologische Abhandlung, Berlin 1808.
92 Konrad Levezow : De iuvenis adorantis signo ex aere antiquo hactemus in regia Berolinensi nunc autem Lutetiae Parisiorum conspicuo commentatio, Berlin 1808.
93 Der Freimüthige, 1803, n° 17, p. 67.
94 Charles Lafolie : Mémoires historiques relatifs à la fonte et à l’élévation de la statue équestre de Henri IV sur le terre-plein du Pont-Neuf à Paris, avec des gravures à l’eau-forte représentant l’ancienne et la nouvelle statue ; dédiés au Roi par M. Ch. J. Lafolie, conservateur des monuments publics de Paris, Paris 1819.
95 Henry 2001, p. 18.
96 Pierre François Léonard Fontaine : Journal, Paris 1987, p. 563.
97 Je remercie vivement Madame Geneviève Bresc-Bautier de m’avoir communiqué cette information et l’illustration qui l’accompagne.
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