Chapitre IX. Du gâchis ?
Le traitement à Paris des œuvres saisies en Allemagne 1794-1814
p. 317-342 (tome premier)
Texte intégral
Je suis autant affligé que surpris d’apprendre par votre lettre que les tableaux que vous avez reçus ont tous sans exception plus ou moins souffert dans le transport. Cependant je n’ai à me reprocher aucune négligence, malgré les circonstances dont il seroit trop long de vous entretenir, malgré la disposition d’esprit de certaines personnes, et les nombreuses difficultés que j’ai éprouvées, j’ai apporté tous les soins possibles soit à l’emballage des caisses, soit à leur construction, j’ai suivi moi-même tout ce travail, j’ai fait opérer sous mes yeux le chargement des caisses, après avoir fait changer une première voiture sur laquelle elles étaient déjà chargées, contre une seconde plus solide et toute neuve, que j’ai fait abondamment envelopper de paille, et recouvrir d’une bonne couverture.
François-Marie Neveu
à l’administration du musée central des Arts,
novembre 18001
1« Vous expédiez de-ci, de-là des tableaux / perdus et acquis / et de ces convois en tous sens / que nous reste-t-il ? – du gâchis ! » Dans l’effervescence des années 1815-1816, doublement marquées par le rapatriement triomphal de plusieurs milliers d’œuvres d’art « reconquises » en France et par la conclusion de ventes spectaculaires à la faveur desquelles la Prusse (collection Giustiniani), la Bavière (collection Boissérée, antiquités Albani) ou la Russie (tableaux de la Malmaison) font acheminer chez elles des collections entières ; à une époque où l’œuvre d’art véhicule donc, au sens propre, des passions et des enjeux dont il réprouve le caractère patriotique et national, Goethe s’inquiète du sort des œuvres mêmes.2 Il interpelle dans cette épigramme de 1816 ceux qui en diligentent le transfert (« Vous expédiez de-ci, de-là des tableaux perdus et acquis ») et s’interroge avec les vrais amateurs d’art (« que nous reste-t-il ? ») sur le sort de ces tableaux soumis aux outrages de convoyages intempestifs. Si la réponse est sans appel (« du gâchis »), elle n’est pas tout à fait neuve : elle s’inscrit dans la lignée des polémiques européennes suscitées par les confiscations françaises en Italie et fait notamment écho aux accusations d’incompétence alors adressées aux commissaires du Directoire, soupçonnés de malmener les œuvres saisies. En 1796, à une époque où rien n’annonçait encore les mesures de conservation et de diffusion qui encadreraient en France les chefs-d’œuvre transplantés, ces accusations trahissaient l’inquiétude de voir le patrimoine déplacé disparaître purement et simplement du paysage culturel européen. Deux décennies plus tard, après les glorieuses années du musée Napoléon, le verdict tranchant de Goethe a une tonalité bien différente. Indirectement, il invite à un examen qui s’efforcerait d’évaluer, à l’échelle européenne et en termes d’« utilité publique » – puisque c’est elle qui justifie officiellement la politique d’appropriation française en pays vaincu –, les effets de ces déplacements d’œuvres d’art et de science menés au profit du vainqueur.
2Un tel examen, en faisant glisser l’attention des sujets spoliés aux objets transplantés, permettrait peut-être de dépasser un schéma historiographique durablement marqué par les raidissements nationalistes du xixe siècle, et par les accusations réciproques de barbarie ou de perfidie. Après avoir culminé en 1915 et dominé jusqu’en 1945, ces schémas continuent souvent en effet de peser, de manière discrète, certes, et comme en creux, sur l’écriture récente de l’histoire des saisies. Au milieu des années 1970, le conservateur en chef du département des manuscrits de la Staatsbibliothek à Berlin se sent encore tenu de préciser, lorsqu’il suggère l’établissement « par un collègue français » de la liste des ouvrages conservés actuellement à Paris et provenant des saisies opérées en Allemagne autour de 1800 : « Il s’agit ici d’une aspiration purement scientifique, tout ressentiment national doit rester à l’écart. »3 Du côté français, on trouve encore en 1989 des commentaires aigres sur « la perfidie du duc de Brunswick, qui avait subrepticement fait mettre en caisse un grand nombre des tableaux confisqués [par Denon] afin de les détourner sur l’Angleterre ».4 Même dans les travaux les plus objectifs, l’effort vise souvent, en France, à se démarquer de la politique révolutionnaire et impériale, à souligner son caractère cynique, agressif ou impérialiste, à dénoncer par exemple « une perversion du langage au service d’une perversion de la pensée ».5 Dans tous les cas – affirmation bruyante d’un nationalisme blessé ou référence négative à ce nationalisme –, le discours rétrospectif sur les saisies reste bien souvent assujetti à la catégorie de la nation.
3Or cette catégorie n’est peut-être pas la plus opérationnelle pour examiner le champ des relations interculturelles européennes autour de 1800. Vers 1816, passé la fièvre gallophage des années 1813-1815, plusieurs voix s’étaient élevées outre-Rhin pour rappeler combien le transfert à Paris des œuvres saisies en Allemagne avait pu servir leur publicité et celle des galeries dont on les avait tirées. Rapidement étouffée par la rhétorique des patriotes, cette lecture « culturelle » des événements n’a connu aucune résurgence ultérieure. Les chapitres qui suivent, auxquels fait écho le catalogue raisonné du tome II, se proposent donc d’essayer de la réactiver et d’examiner dans quelle mesure les œuvres transférées en France ont réellement profité, ou au contraire souffert, de leur expatriation forcée. A suivre modestement le destin parisien de quelques œuvres de provenance allemande, tant dans leur dimension physique (mesures de restauration, de conservation, d’inventorisation) que dans leur dimension virtuelle (diffusion de leur image, expositions, réception), on devrait pouvoir préciser les propos généraux sur la « libéralité du gouvernement français » et sur la qualité du traitement réservé en France aux œuvres d’art conquises à l’étranger. L’intéressante question de la restauration des œuvres, généralement passée sous silence dans les études consacrées au sujet, fera l’objet d’une attention particulière. Plus difficile à cerner pour un non-spécialiste, la question des imprimés et des manuscrits, de leur mise en état et de leur communication aux lecteurs européens en visite à Paris fera l’objet de remarques marginales, susceptibles peut-être de guider des recherches ultérieures.
Rituels d’appropriation
Premiers gestes
4Le tout premier convoi d’œuvres saisies à l’étranger atteint Paris en septembre 1794.6 Il s’agit d’une voiture chargée de caisses renfermant quatre tableaux de Rubens pris en Belgique, dont l’arrivée suscite une série de gestes qui, bientôt répétés, forment pour plusieurs années le canevas d’un rituel d’appropriation assez constant : le 22 septembre 1794, trois jours après l’arrivée de ce premier chariot, le conservatoire du Muséum est informé par la Commission d’instruction publique « qu’elle a nommé les citoyens Le Brun et Lavallée commissaires, pour s’entendre avec le citoyen Hubert et le Conservatoire pour procéder au déchargement et ouverture des dites caisses et constater par un procès-verbal l’état des tableaux qu’elles peuvent contenir ».7 Acheminées en France par voie terrestre ou par voie fluviale (elles sont alors débarquées au port Saint-Nicolas, à proximité immédiate du Louvre), les caisses d’objets confisqués en Belgique et dans les régions rhénanes sont en effet livrées, selon leur contenu, à la Bibliothèque nationale ou au Muséum, où l’on procède respectivement à leur ouverture. Cette étape-seuil dans le processus d’intégration au patrimoine national français est menée sous la surveillance de personnels compétents : dans les deux établissements, une commission d’experts assiste au déballage, parmi lesquels Van Praet pour la Bibliothèque nationale et, pour le Muséum, Jean-Baptiste Pierre Lebrun, marchand de tableaux, l’un des hommes les plus érudits de son époque en matière de peinture flamande.8 L’un et l’autre supervisent pendant plusieurs années l’arrivée et l’examen initial des livres et des tableaux conquis en Europe : Van Praet jusqu’à la dissolution de l’Empire, Lebrun jusqu’en 1801 au moins.9 Le déballage des caisses donne lieu à la rédaction de procès-verbaux dont la longueur et le degré de précision, certes, s’estompent sensiblement à mesure que les œuvres confisquées affluent, mais qui livrent de précieux renseignements sur leur état de conservation à l’arrivée et sur les enjeux liés à leur passage dans les collections françaises. Sous la Convention – et encore sous le Directoire –, ce passage est indissociable du formidable mouvement de réorganisation et de spécialisation qui affecte les établissements nationaux d’instruction publique.
5Lorsqu’ils sont confrontés à l’arrivée des œuvres saisies en Belgique et dans les régions rhénanes, à l’hiver 1794-1795, les administrateurs de la Bibliothèque nationale et du Muséum sont en effet occupés à sélectionner, dans le grand désordre de leurs magasins et des dépôts de la capitale, les œuvres qui doivent entrer dans leurs collections respectives. En compliquant leur tâche, l’afflux soudain de tableaux, de livres et d’autres objets conquis par les armées de la République rend une nouvelle fois manifeste, sur le plan des pratiques, la parenté extrême du processus de nationalisation affectant les objets de provenance nationale et les œuvres conquises hors des frontières. La double intégration qui s’opère au profit de la République est menée dans un élan commun, marqué surtout par un important effort de sélection : dès l’ouverture des caisses venues de l’étranger, un tri sommaire est effectué, qui permet aux administrateurs de la Bibliothèque ou du Muséum central de ne retenir que les articles qui relèvent directement de leurs compétences : « Sur l’observation d’un membre », lit-on ainsi dans les procès-verbaux du Muséum des arts à propos d’un convoi venu d’Aix-la-Chapelle en mai 1795, « le conservatoire arrête qu’il sera écrit en son nom aux conservateurs d’histoire naturelle pour les prévenir que, parmi les objets précieux envoyés de la Belgique et remis au Muséum des arts, il existe trois petites caisses contenant des objets qui paraissent être du ressort du Conservatoire d’histoire naturelle : qu’il est invité d’envoyer reconnaître, recevoir et faire transporter ces objets après-demain ».10 Comme celles qui arrivent de Cologne un peu plus tard, ces collections d’histoire naturelle rejoignent rapidement le Muséum d’histoire naturelle et seules les œuvres d’art susceptibles de rester au Musée (tableaux, sculptures, colonnes antiques…) sont entreposées provisoirement, après expertise, dans certaines salles, dans les magasins, voire dans les jardins du Louvre. A la Bibliothèque nationale, les tris s’opèrent de manière semblable : aussitôt déballés, les manuscrits et imprimés conquis par les armées de la République sont répartis entre le dépôt même de l’établissement et d’autres dépôts littéraires, notamment l’hôtel Montmorency-Luxembourg, rue Saint-Marc, qui accueille les œuvres rhénanes. En témoigne l’extrait de ce procès-verbal rédigé en août 1795, qui permet de suivre le parcours caractéristique des livres conquis lorsqu’ils arrivent à Paris, « le tout en assez mauvais état, […] et attaqué de l’humidité. Desquels objets les manuscrits ont été transportés le jour même au Dépôt littéraire national de la rue Marc, et les autres sont restés provisoirement à la Bibliothèque ».11 Dans ce contexte général de tri, le cas particulier des deux cent huit volumes d’estampes et de dessins saisis dans l’ancien collège jésuite de Cologne rend sensibles les rivalités qui accompagnent la spécialisation des établissements parisiens, ainsi que l’émergence de critères scientifiques qui, en favorisant la répartition raisonnée des œuvres et leur appréhension dans une perspective érudite, gomme leur spécificité historique ou leur cohérence organique – en un mot : les neutralise.
Effort de discrimination : les estampes et dessins de Cologne
6Arrivés d’abord à la Bibliothèque nationale, où ils sont déballés, reconnus et entreposés quelque temps, ces volumes précieux d’estampes et de dessins saisis à Cologne sont transférés ensuite, pour partie, au dépôt littéraire de la rue Saint-Marc.12 Quelques semaines après leur arrivée, le conservatoire du Muséum décide de les intégrer à ses collections : dès le 1er juin 1795, il confie ainsi à l’un de ses membres la mission de réclamer les ouvrages, « environ 200 volumes grand atlas d’estampes et dessins venus de Cologne » selon les termes de l’ordre de mission.13 Le Muséum n’obtient satisfaction que partiellement : sur les deux cent huit volumes, seuls cent soixante-dix-sept lui sont remis, qui sont aussitôt transportés au Louvre, les autres n’ayant jamais quitté, lui dit-on, les dépôts de la Bibliothèque nationale.14 Or, quelques semaines plus tard, au milieu de l’été 1795, la direction de la Bibliothèque nationale décide à son tour d’intégrer les estampes et dessins de Cologne à ses propres collections : le 20 août 1795, le conservatoire du Muséum rapporte en effet qu’« un citoyen, sous-garde du cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale, se présente et [lui] remet un arrêté de la commission exécutive d’instruction publique portant que le citoyen Joly, garde des estampes, est autorisé à retirer au Louvre 208 volumes d’estampes qui y ont été déposés et venus de Cologne ».15 Le président de la commission du Muséum observe qu’il n’a jamais reçu la collection entière et que plusieurs volumes comportent des dessins « qui doivent rester au muséum des arts, la remise demandée par la commission exécutive n’étant que des volumes d’estampes ».16 Un tri est finalement effectué le surlendemain : cent quarante-trois volumes d’estampes sont effectivement « restitués » à la Bibliothèque nationale, le Louvre gardant les trente-quatre volumes de dessins.17 Dans les deux cas, les volumes reliés sont démembrés et les pages qu’ils contiennent réparties dans des portefeuilles par nom d’artiste, ce qui explique les difficultés rencontrées par les commissaires chargés d’obtenir leur restitution en 1815 et le maintien en France du contenu de la plupart de ces volumes après la chute de Napoléon.18 Le recours à des critères scientifiques discriminants, la répartition des estampes et dessins selon leur genre, ainsi que le démembrement des volumes reliés sont autant de manifestations concrètes des processus normatifs qui affectent toutes les œuvres (qu’elles soient de provenance nationale ou étrangère) lors de leur entrée au musée. Dans le cas de nombreux objets transférés des régions rhénanes à Paris, cette « normalisation » est d’ailleurs souvent synonyme de dévaluation.
Comparaisons, dévaluations, désacralisation
7Le destin des échantillons d’histoire naturelle et autres outils agricoles saisis dans les régions rhénanes et adressés au Muséum d’histoire naturelle est difficile à appréhender dans le détail, mais un jugement rétrospectif d’André Thouin, formulé au nom de son conservatoire lors des restitutions de 1815, fournit quelques indices sur l’utilisation faite à Paris d’articles saisis notamment à Cologne et dans la région de Trèves. A propos du « corps desséché ou momie naturelle » enlevé à Sinzig en 1796 – où il faisait depuis des siècles l’objet d’un culte populaire –, Thouin note qu’il ne présente « aucun intérêt pour la science » et il le restitue sans hésitation aux réclamants.19 A propos de « la collection de marbres et de minéraux venue […] d’un séminaire ou d’un collège de Cologne », il écrit à son ministre de tutelle en 1815 ces phrases déjà citées : « Les marbres sont […] dans nos magazins ; ce sont de petits échantillons de nulle valeur et que nous pouvons remettre sans faire tort à notre établissement où l’on ne les a jamais exposés. Quant aux minéraux nous ne les avons point, ce n’étaient aussi que de petits échantillons, il est probable qu’ils auront été adressés à quelque Ecole centrale. »20 Extraites de leur contexte religieux ou de cabinets où elles faisaient sens par référence aux autres objets collectés, ces pièces perdent leur intérêt dès lors qu’elles entrent en concurrence et en comparaison avec les objets déjà conservés à Paris. Particulièrement éclatant dans le domaine des sciences naturelles, où prévalent des critères objectifs d’utilité et de curiosité, le phénomène affecte également les « monuments des arts », comme en témoigne l’exemple des éléments d’architecture antique saisis dans l’octogone sépulcral de Charlemagne à Aix-la-Chapelle.
8Le 8 mai 1795, le Muséum accuse réception de la caisse contenant « trois petites caisses renfermant des objets d’histoire naturelle », on l’a vu, ainsi que le « tombeau antique de marbre blanc recueilli dans la chapelle de Charlemagne » et « deux colonnes de marbre venant d’Aix-la-Chapelle »,21 bientôt suivies de « six colonnes de différents granités, six bases, six chapiteaux, une louve, une pomme de pin, le tout en bronze, plus une caisse contenant une figure en carton de Charlemagne »22 – autant d’objets saisis par les commissaires Faujas, Thouin, Leblond et Dewailly. Les premières mesures alors adoptées à Paris visent la réparation des dommages occasionnés par le transport : à son arrivée au Louvre, par exemple, le « sarcophage antique dit tombeau de Charle magne [sic] orné sur trois faces d’un bas-relief représentant l’enlèvement de Proserpine » est « fracturé en divers endroits » (inventaire du 6 juillet 1795) et le conservatoire ordonne rapidement sa restauration, confiée à l’entrepreneur marbrier François-Joseph Scellier. Pourtant, jusqu’à sa restitution en 1815, le prestigieux monument n’est exposé ni dans les salles du Louvre, ni ailleurs en France. Privé du génie des lieux et mis en concurrence avec les autres monuments antiques « recueillis » en Italie, il est à Paris, semble-t-il, un objet de second ordre, qui dans la terminologie même des administrateurs passe en 1795 de « tombeau de Charlemagne » à « tombeau antique présumé avoir contenu autrefois les cendres de Charlemagne » (1815).23 Les colonnes qui entouraient ce sarcophage dans la cathédrale d’Aix-la-Chapelle subissent un destin semblable et leur passage en France les transforme en objets de simple ornement.
9Transportées sur des voitures « d’une grande solidité »,24 les colonnes d’Aix-la-Chapelle arrivent à Paris par convois successifs à partir du 6 mai 1795, et elles sont d’abord entreposées dans le « jardin du muséum ».25 Jusqu’à l’automne, aucun projet d’utilisation ne se dessine pour elles. En novembre 1795, dans le cadre des aménagements architecturaux envisagés au Louvre, l’administration prévoit la construction d’une galerie destinée à recevoir, entre autres objets d’étude, des statues antiques et des vases : « Cette galerie sera adossée au mur de la cour, écrit-elle, elle sera formée de colonnes venues d’Aix-la-Chapelle : elle sera surmontée d’une corniche architravée et recouverte d’un toit plat. »26 Le plan, confié à l’architecte du musée, Auguste Cheval de Saint-Hubert, n’est finalement pas exécuté et il faut attendre six ans avant qu’une partie de ces colonnes extraites de la rotonde carolingienne trouve à Paris une forme d’utilité, purement décorative, conforme aux vues esthétiques formulées beaucoup plus tard par Denon (1811), sur lesquelles Daniela Gallo a attiré l’attention : « Tout marbre antique et principalement des colonnes de cette proportion conviennent essentiellement au musée et […] dussent-elles n’être exposées que comme décoration, il faut saisir avec empressement toutes les occasions de s’en procurer. Les marbres précieux tels que le porphire, le granit rose, le vert antique sont déjà par leur nature une richesse et ont le plus bel ajustement que l’on puisse donner aux statues antiques. »27 Huit colonnes de granit gris provenant d’Aix-la-Chapelle sont ainsi intégrées à la longue enfilade du musée des Antiques, inaugurée en novembre 1800, où elles séparent la salle des Hommes illustres de la salle des Saisons et de la salle des Romains (ill. 63). Deux autres colonnes, de granit rouge, flanquent quant à elles la niche de l’Apollon du Belvédère et supportent des bustes (ill. 64). Toutes les autres colonnes antiques provenant d’Aix-la-Chapelle sont entreposées dans les magasins du musée, d’où elles ne ressortent qu’au moment des restitutions de 1815. Au total, l’utilisation parisienne de ces monuments antiques saisis à grands frais dans un sanctuaire ne semble pas relever d’un souci direct de promouvoir l’instruction publique et le progrès des arts.
63. Hubert Robert : La salle des Saisons vue du nord au sud, 1802-1803, huile sur toile, 38 × 46 cm, Paris, musée du Louvre, département des peintures, Inv. rf 1964-35

Crédits/Source : © RMN-Grand Palais (musée du Louvre, voir https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010065667 et http://www.photo.rmn.fr/archive/08-551303-2C6NU0TUUIIW.html)
64. Hubert Robert : La Salle de l’Apollon du Belvédère, vue d’est en ouest, 1802-1803, huile sur toile, 64 × 82 cm, Pavlosk, château, Inv. 1780-III

Crédits/Source : Archives de l’auteur
10En matière de peinture, l’effet neutralisant du passage au musée est lisible dans les rapports des experts français, qui dès l’arrivée des premiers envois opèrent une stricte distinction entre les tableaux susceptibles d’intéresser l’histoire et l’étude de l’art (« Les objets ci-après sans être aussi beaux ni aussi importans offrent encore des beautés de l’Art qui mériteront les suffrages des hommes éclairés »)28 et les autres, dont ils vont jusqu’à regretter explicitement le transfert en France (« Ceux ci-après auroient pu rester dans le pays, ils eussent été un témoignage du goût et des lumières de la Nation française. Je ne décrirai ni leur état ni leur médiocrité »).29 Les tableaux jugés précieux sont promis, du moins dans l’ordre du discours, à des restaurations soigneuses et à une publicité rapide, tandis que les autres disparaissent bientôt dans des magasins d’où ils ne ressortent, dans quelques rares cas, que pour être envoyés ultérieurement dans les musées créés en province, ou pour être restitués à leurs propriétaires d’origine à partir de 1815. C’est le cas par exemple des trois tableaux saisis à Aix-la-Chapelle à l’automne 1794, jugés « peu méritants »30 à leur arrivée à Paris, qui pour deux d’entre eux seront restitués en 1816 sans avoir été ni restaurés ni montrés en France, tandis que le troisième, déposé au musée de Rouen,31 est remplacé au moment des restitutions par un tableau provenant de la ville de Malines, jugé « très médiocre » par les experts parisiens.32 Le quatrième tableau saisi dans l’Allemagne rhénane (où les conquêtes, rappelons-le, ont porté avant tout sur des objets d’histoire naturelle, des éléments d’architecture antique et des livres) fait partie, en revanche, de ce groupe d’œuvres qui retiennent l’attention des experts : le Martyre de saint Pierre de Rubens, pris à Cologne, arrive à Paris avec un ensemble de soixante-quinze tableaux environ, qualifiés de « chefs-d’œuvre » par l’expert Lebrun, qui estime que la plupart d’entre eux « ont besoin d’une prompte réparation, soit de rentoilage ou autres, la plus grande partie étant sans châssis, décolés de leurs toiles et souffriroient si on differoit leur réparation ».33
Réparer les fruits de la victoire
La gloire de conserver. Entre polémique et pénurie
11L’arrivée des chefs-d’œuvre saisis à l’étranger doit laver la République de tout soupçon de négligence à l’égard des arts.34 Or, au moment où les premiers tableaux saisis hors des frontières font leur entrée en France, une grave polémique vient de mettre en cause les compétences de la commission du Muséum et d’entraîner la suspension de tous les travaux de restauration en cours : au début de l’année 1794, en effet, David avait accusé l’administration du Louvre d’être responsable de la détérioration de tableaux de maîtres confiés à des restaurateurs incapables ; le 7 avril de la même année, les ateliers de restauration, tous situés dans le Louvre, avaient été fermés et les Comités de salut public et d’instruction publique avaient élaboré un projet de « Concours pour la restauration des monuments formant la collection du Muséum national », concours destiné à faire émerger des restaurateurs compétents. Lancée le 24 juin 1794 – deux jours seulement avant que la victoire de Fleurus n’ouvre la Belgique aux appétits français –, la première épreuve devait durer six mois. Dès septembre pourtant, l’arrivée en France des tableaux confisqués en Belgique avait exigé la reprise du travail dans les ateliers de restauration. En témoignent les termes prudents de cet arrêté du Comité de salut public en date du 27 septembre 1794 : « Le Comité, sur les observations faites par le Conservatoire national des arts, considérant qu’il est urgent de faire quelques réparations provisoires aux tableaux de Rubens arrivés de la Belgique, consistant à nettoyer légèrement ces tableaux et à réadapter les parties qui sont détachées et qui forment des écailles prêtes à tomber, arrête que les citoyens Picault et Lebrun sont chargés de faire promptement ces réparations seulement, et sous la surveillance du Conservatoire du Muséum. »35 D’emblée, donc, les tableaux conquis à l’étranger sont placés entre les mains de personnels sensibilisés à leurs responsabilités particulières depuis les accusations lancées par David. De même que l’entreprise des saisies avait été justifiée par la nécessité de soustraire les œuvres du génie aux regards des tyrans, de même le motif des restaurations devient-il pour les conservateurs français un moyen tangible de prouver leur respect des arts.
12Dans les constats d’état dressés à l’ouverture des caisses, les experts parisiens dénigrent ainsi systématiquement les réparations effectuées à l’étranger. Par contrecoup, ils s’assignent une grande mission de sauvegarde au nom de la République, comme en témoignent par exemple les termes de ce procès-verbal établi à l’arrivée du quatrième envoi de Belgique – qui comprend le Martyre de saint Pierre de Rubens saisi à Cologne : « [Ces tableaux] ont pour la plupart souffert des nettoyages peu soignés qui ont été faits au savon. Il était temps pour la gloire de ces hommes immortels que la République enlevât leurs chefs-d’œuvre que l’insouciance de ceux qui les possedoient menait à leur ruine, aux François était donc encore réservée la gloire de conserver aux générations futures les productions de ces hommes d’un génie inimitable. »36 Le motif pratique des restaurations sert à justifier idéologiquement, une fois de plus, le transfert en France du patrimoine pictural flamand, et les gestes techniques des professionnels parisiens doivent donc être compris aussi dans une logique politique de démonstration : « Toutes ces observations scrupuleusement faites », notent-ils dans le premier rapport établi à l’arrivée des œuvres conquises, « prouveront à la postérité que nous étions dignes d’aprécier de telles conquêtes et l’on ne pourra pas nous attribuer les dégradations que ces tableaux ont éprouvées par les mésoins des moines faineans qui les possédaient ».37 Ces précautions sont accompagnées d’appels insistants et répétés au Comité d’instruction publique pour qu’il autorise les interventions les plus indispensables : remise sur châssis des œuvres arrivées roulées et renforcement des toiles usées.38
13A y regarder de près, en effet, les mesures souhaitées en 1794-1795 visent moins la correction des restaurations prétendument maladroites effectuées à l’étranger que la réparation des dommages occasionnés par le transport des œuvres à Paris. Derrière l’hommage répété aux convoyeurs (« on a que lieu d’être satisfait des citoyens qui ont été chargés de nous faire parvenir ces chefs-d’œuvre »)39 affleurent des réserves discrètes (« les légers accidents ne sont qu’une suite du peu d’habitude du maniement de ces objets ») ou des directives qui en disent long sur l’état de certaines caisses à l’issue du voyage : « La caisse est arrivée mouillée […] il est important de laisser un peu de jeu autour [des tableaux roulés dans les caisses] et de ne jamais mettre pour le garnir du foin, du chanvre ou autres objets qui une fois imprégnés d’eau conservent une humidité préjudiciable. »40 Les marques du voyage (« fatigué d’un pli sur la tête du Christ »)41 doivent être effacées les premières et la politique volontariste de restauration est fixée par un arrêté daté de décembre 1794, qui prévoit d’équiper de châssis « tous les tableaux venus de Liège et de la Belgique » arrivés roulés, puis de les transporter dans les salles du musée au fur et à mesure de leur sortie des ateliers de restauration, « de manière à en procurer la jouissance au public ».42 Pour ce qui concerne les statues, en revanche, il est décidé à l’été 1794 « que les plus beaux ouvrages de sculpture doivent être conservés dans leur état de vétusté ».43
14Très présentes dans l’ordre du discours, les restaurations réclamées sous la Convention restent pourtant modestes dans l’ordre des faits et l’on est frappé du rythme lent des interventions effectivement entreprises sur les tableaux saisis.44 A la fin de l’année 1795, le Conservatoire dresse la liste des œuvres sur lesquelles il lui paraît urgent d’opérer, mais il se plaint en juillet 1796 de n’avoir toujours pas obtenu les autorisations sollicitées six mois plus tôt.45 L’entreprise est gênée par l’exiguïté des locaux impartis aux restaurateurs : « Le Conservatoire arrête qu’il sera demandé au Comité d’instruction publique d’être mis en possession des salles de la ci-devant académie française comme étant utiles pour suppléer au peu d’atteliers propres aux restaurations des tableaux et particulièrement ceux de la Belgique. »46 Elle est gênée aussi par les difficultés d’approvisionnement qui frappent les matériaux utiles, toile et bois pour les châssis, la toile étant parfois cédée par les services des armées, et le bois récupéré sur les caisses de transport. Dans ce contexte, les recherches effectuées par Gilberte Émile-Mâle montrent que la grande majorité des tableaux saisis en 1794 doivent attendre au moins 1798 pour être traités, en prévision de l’ouverture de la grande galerie du Louvre. C’est le cas du Martyre de saint Pierre de Rubens, saisi en octobre 1794, qui arrive à Paris au début du mois de novembre, mais qui n’est effectivement rentoilé qu’en septembre 1798, avant d’être « restauré et nettoyé » en novembre, soit plus de quatre ans après son extraction de l’église Saint-Pierre de Cologne.47 Dans bien des cas, la restauration des tableaux conquis sous la Convention intervient même seulement sous l’Empire.
Émergence d’une profession
15Malgré la lenteur de ces interventions, la période des conquêtes artistiques marque une étape déterminante dans l’histoire européenne des techniques de restauration.48 A l’arrivée des premiers Rubens de Belgique, en pleine polémique sur l’incompétence des restaurateurs français, des voix s’étaient élevées en Europe pour mettre en garde contre les dégâts irréparables qui pourraient être commis à Paris : « L’école flamande n’a jamais eu qu’un homme qui ait excellé [à la restaurer] et cet homme c’est le citoyen Donckers de Bruxelles. Au nom des Beaux-Arts ne permettez pas qu’un autre artiste que lui retouche les Rubens ; il est peut-être le seul qui connoisse parfaitement le faire et la magie du mélange des couleurs de ce grand peintre », notait par exemple un réfugié belge nommé Gruyer en 1794.49 Progressivement toutefois, l’afflux de peintures flamandes puis italiennes permet aux restaurateurs français d’acquérir une expérience inédite en Europe. Les années 1794-1800 sont ponctuées en effet par des polémiques souvent passionnelles, où questions techniques, vindictes et enjeux politiques se mêlent pour créer un climat d’émulation favorable aux inventions et aux progrès. A partir de 1797, la coordination des opérations est explicitement confiée à l’expert Lebrun qui décide des interventions, vérifie les mémoires des restaurateurs et propose des tarifs pour les différents types de travaux. Un événement technique remarqué fait basculer la profession dans une ère nouvelle : la transposition sur toile de la Vierge de Foligno de Raphaël, venue d’Italie et confiée aux soins du restaurateur François-Toussaint Hacquin en 1799. Cette transposition est autorisée par une sorte de commission de contrôle pluridisciplinaire – la première commission de restauration du Louvre –, qui publie un rapport rapidement connu au-delà des frontières nationales. Destinée sans doute à promouvoir l’image de marque des restaurateurs français, la publication de ce document éclipse la pratique du « secret » qui avait dominé l’histoire de la restauration jusqu’à la fin du xviiie siècle et, en assurant la publicité des techniques, elle offre le socle d’un savoir-faire commun à une profession naissante.
16A partir de la transposition réussie du tableau de Raphaël, Paris devient en effet le centre le plus important d’Europe en matière de restauration, la presse et les voyageurs étrangers relayant les exploits des restaurateurs français, notamment en Allemagne. En témoigne la publication d’un long article consacré à François-Toussaint Hacquin dans le périodique Französische Kunst-Annalen en 1802 : « Hacquin entreprit de restaurer le tableau de Raphaël évoqué ci-dessus, et de le séparer du support de bois pour le mettre sur toile, et son travail a parfaitement réussi. »50 Ou encore le chapitre presque entier que le voyageur Caspar Heinrich von Sierstorpff consacre en 1804 à la virtuosité des restaurateurs parisiens sous la direction de Denon et à la description de leurs techniques : « J’ai moi-même assisté à une scène où Denon, directeur du musée et de tous les instituts de beaux-arts, recommandait la plus grande prudence et la plus grande délicatesse dans les restaurations, faisant preuve de toutes les connaissances techniques nécessaires, et d’une grande compétence dans le jugement des travaux effectués. »51 Le rentoileur Hacquin, qui se partage avec le rentoileur Fouque la restauration de la grande majorité des tableaux saisis dans les collections d’Allemagne du Nord à partir de 1806,52 est donc nominalement connu et reconnu outre-Rhin. Sous l’Empire, les campagnes de restauration prennent une envergure inédite en Europe.
Le musée Napoléon et les grandes campagnes de restauration
17« On vient de débarquer, au port Saint-Nicolas, 80 ou 100 caisses énormes renfermant les antiquités de Berlin, de Potsdam, et le quadrige que l’on voyoit sur la porte de Brandebourg à Berlin. Ce convoi est indépendant de 150 caisses précédemment arrivées au musée Napoléon ; et qui contiennent les magnifiques tableaux de la galerie de Hesse-Cassel, ainsi que les objets précieux de celle de Brunswikc [sic] de Shalsthalen [sic] et de Wolfenbuttel », lit-on dans la presse française en mai 1807,53 information reprise terme à terme, entre autres, dans une correspondance du 17 mai adressée au Journal de Francfort – signe du retentissement européen provoqué par l’affaire. A la mi-mai 1807, en effet, l’« ample moisson de superbes choses » opérée par Denon en Allemagne arrive à destination dans la capitale française. Contrairement aux œuvres conquises en Italie sous le Directoire, et malgré leur très grand nombre, ces objets ne sont pas accueillis en France par des festivités spectaculaires. Du port Saint-Nicolas, ils sont aussitôt transportés dans la cour du musée Napoléon et, pour certains, déballés en plein air. Un dessin à la plume de Jacques-François Swebach a fixé la scène (ill. 65) :54 tenue en respect par des gendarmes, une foule de badauds peu disciplinée assiste aux opérations ; des caisses encore fermées sont portées à l’intérieur du Louvre, d’autres sont déjà ouvertes et les œuvres qu’elles contenaient sont déposées à même le sol sur des lattes de bois. Sur une version plus détaillée du même dessin (par Benjamin Zix), on distingue clairement, à droite, les chevaux, le char et la victoire du quadrige de la porte de Brandebourg ; derrière le char, trois statues antiques, dont la Minerve de Cassel au bras gauche levé (tome II, n° 15) ; devant les naseaux du premier cheval, un groupe d’antiques parmi lesquelles une muse agenouillée (tome II, n° 71) ; à quelques mètres de là, l’Orant de Berlin (tome II, n° 36) qui implore le ciel parisien tandis qu’Amour et Psyché (tome II, n° 41) s’enlacent sur sa droite, dans le dos du pape Sixte Quint (tome II, n° 277). Au centre du dessin, avec son serpent à la main, se trouve couchée l’une des deux Hygées allemandes (tome II, n° 4 ou 7) ; on voit aussi, aux pieds d’Amour et Psyché, l’un des deux bas-reliefs en terre cuite saisis dans la Kunstkammer de Berlin et issus de la collection romaine de Bellori (tome II, n° 259).
65. Jacques-François Swebach : L’arrivée au musée Napoléon des œuvres saisies à Berlin, 1808 (?), plume et encre brune, lavis brun, 26,3 × 44,5 cm, Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques, Inv. rf 6061

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18Aussitôt déballées, avant même le retour en France de Denon, plusieurs de ces œuvres rejoignent les ateliers de restauration attachés au musée, et l’on aurait mauvaise grâce à dénigrer les soins dont certaines d’entre elles bénéficient alors. Ils sont menés par des professionnels dont les compétences et les talents sont désormais reconnus à l’échelle internationale ; les budgets investis et les interventions pratiquées témoignent d’une conscience aiguë du devoir de sauvegarde ; le discours des hommes de la Convention (« Conservez les monuments des arts, des sciences et de la raison […], ils sont l’apanage des siècles et non votre propriété particulière : vous n’en pouvez disposer que pour en assurer la conservation »)55 semble donc se réaliser sous l’Empire. Pourtant, la campagne est loin de porter sur toutes les œuvres saisies en Allemagne : elle privilégie en effet les monuments à valeur de trophée ou à valeur symbolique – comme le quadrige de la porte de Brandebourg ou la statue de l’empereur Trajan saisie à Berlin (tome II, n° 46) –, les œuvres dont la notoriété européenne est assurée depuis longtemps déjà – comme l’Orant de Berlin ou Léda et le cygne du Corrège (tome II, n° 330) ainsi que, plus généralement, les pièces destinées à être exposées, voire à entrer définitivement dans les collections françaises. La restauration de ces œuvres est confiée à des équipes de restaurateurs professionnels, entrepreneurs privés placés sous la surveillance du Louvre qui dispose, on l’a vu, d’une sorte de commission de contrôle.56
19Alors que sous la Convention les difficultés d’approvisionnement en bois et toile avaient gêné les campagnes de restauration, elles sont menées sans restriction sous l’Empire. Signe de l’importance réelle accordée à la remise en état de certaines œuvres conquises, un fonds extraordinaire de 36000 francs est alloué sur le budget du musée Napoléon pour l’année 1807, fonds légèrement revu à la baisse (30000 francs) mais reconduit annuellement, semble-t-il, jusqu’en 1810.57 Si les restaurations visent en partie les dommages occasionnés par le transport – « réparation d’objets précieux de curiosité de la conquête de 1806, […] réparation de vases de Mayolica fracturés dans le voyage [tome II, n° 708], […] réparation du tableau en coquilles »58 venu de Brunswick (tome II, n° 684) –, elles visent aussi, plus généralement, la consolidation d’œuvres fragiles, ou l’amélioration de restaurations anciennes. Le programme de remise en état inclut toutes les catégories d’objets saisis : tableaux bien sûr, certaines statues antiques prises à Berlin, Potsdam ou Cassel, ainsi qu’une partie des dessins saisis à Brunswick par exemple. Ces derniers sont confiés aux soins d’un artisan nommé Renault,59 qui procède à leur montage sur papier de couleur cartonné, selon la pratique habituelle du musée Napoléon, qui, de manière significative, sera reprise et adoptée par les conservateurs du musée de Brunswick après 1815.
20Dans le domaine des tableaux, les travaux de mise en état sont répartis pour la plupart entre les rentoileurs Fouque et Hacquin, d’une part, et la maison Delporte, de l’autre, qui fournit les bordures. Les factures et notes d’honoraires parfois détaillées établies par ces artisans sont de précieux documents pour l’histoire des techniques de restauration. En 1807, la maison Delporte livre par exemple cent quatre-vingt-cinq cadres destinés aux œuvres conquises outre-Rhin.60 La même année, Fouque restaure quarante-neuf tableaux de provenance allemande pour une somme totale avoisinant 1 600 francs, tandis que Hacquin traite trente-huit tableaux de même provenance pour environ 800 francs.61 Un peu plus de la moitié de ces œuvres reçoivent un châssis neuf. Presque toutes sont « rentoilées », voire « rentoilées deux fois », un procédé qui vise à doubler d’une toile neuve les toiles fatiguées. Dans la plupart des cas, ce rentoilage est effectué selon la méthode ordinaire, c’est-à-dire à la colle, et Fouque applique systématiquement « une couche de couleur derrière » les tableaux restaurés, probablement pour les protéger de l’humidité.62 De son côté, Hacquin pratique dans cinq cas le rentoilage au « marouflage à l’huile », dont bénéficient par exemple deux tableaux de Rembrandt : le Prisonnier en colère saisi à Berlin (tome II, n° 540) et le Portrait d’un guerrier confisqué à Cassel (tome II, n° 542).63 Plus coûteux que le simple recours à la colle, le marouflage au gras, procédé inventé par Hacquin, fait intervenir une légère couche d’huile permettant de rentoiler les tableaux plus solidement qu’avec le procédé traditionnel. Sur les quatre-vingt-sept tableaux de provenance allemande ainsi restaurés à leur arrivée en France, une dizaine fait par ailleurs l’objet d’interventions complexes : à quatre reprises, Fouque doit passer plusieurs journées à « démaroufler » les œuvres avant de les rentoiler, c’est-à-dire à supprimer par des produits ou des actions mécaniques les couches de colle très tenaces appliquées par le passé à l’arrière des toiles (« Un tableau peint par Van Dyck, représentant La Descente du Saint-Esprit [tome II, n° 363], quatre journées pour le démaroufflé, ensuite rentoilé […]. Avoir mis une couche de couleur derrière »).64 Les quelques tableaux peints sur bois qui lui sont par ailleurs confiés sont équipés de lattes transversales, ou « parquets », destinées à assurer la stabilité des différents panneaux, comme dans le cas du Marquis de Spinola de Rubens (tome II, n° 550), saisi à Brunswick en janvier 1807, puis « recolé et parquetté » par Fouque, à Paris, six mois plus tard.65 Dans le cas des antiques, une équipe d’ouvriers payés à la journée est mobilisée à titre exceptionnel, en septembre et octobre 1807, pour procéder au nettoyage et à la mise en état des « statues de la conquête ».66 Parallèlement, quelques œuvres fragiles ou particulièrement précieuses sont confiées aux soins spécifiques de personnalités émergentes, comme en témoignent les exemples qui suivent, évoqués suffisamment en détail pour rendre sensible le réel investissement financier, technique et humain lié à la restauration de ces œuvres de provenance allemande. On n’exagère pas en considérant que, parmi les œuvres confisquées par la France en Allemagne, celles qui ont fait l’objet de réparations à Paris ont bénéficié de traitements de pointe – traitements dont elles n’auraient sans doute pas pu profiter, à la même époque, dans leurs villes d’origine.
Traitements exemplaires : l’Orant et Léda
Un croisillon et un boulon
21En novembre 1808, un statuaire nommé Cartellier reçoit la somme étonnante de 6000 francs pour « restauration d’une statue impériale très précieuse représentant l’empereur Trajan, provenant de la conquête de 1806 »,67 numéro un sur la liste des œuvres tirées par Denon du « cabinet des arts » (Kunstkammer) de Berlin (« Trajan en pied tiers de nature »), qui sera montrée au public avant et après sa restauration : en 1807 dans le cadre de l’exposition des œuvres conquises en Allemagne (tome II, n° 46) et, par la suite, dans la « salle des fleuves » du musée des Antiques, où elle surmonte une colonne (« petite statue héroïque de Trajan, provenant des conquêtes d’Allemagne, en 1807 »).68 Un an et demi plus tôt, le sculpteur, fondeur et ciseleur Charles Stanislas Canlers, ancien élève de l’Académie royale de peinture et de sculpture de Paris,69 avait pour sa part été chargé de restaurer simultanément le quadrige de la porte de Brandebourg et le célèbre Orant de Berlin. Les travaux de grande ampleur effectués sur le groupe de Schadow – qui ne sera jamais visible à Paris – occasionnent une dépense de plus de 21 000 francs : réparation des dommages dus au transport (« rebouché toutes les gersures et boursoufflures, repoussé et remis à neuf les extrémités des jambes et des bras »), consolidation de la structure générale du groupe (« fourni 4 armatures pour soutenir les cols des chevaux »), remplacement complet de certaines parties (« 4ème cheval. Fait la jambe de derrière côté droit jusqu’à la cuisse, le sabot de celle du côté gauche, les deux trochanters et la totalité du corps ») et amélioration d’autres parties (« la guirlande refaite en totalité et relevée au marteau pour lui donner une meilleure forme »).70 Moins onéreuse, la restauration de l’Orant est remarquablement documentée, puisqu’elle fait non seulement l’objet d’un rapport (inédit) de Canlers, mais qu’elle vient aussi d’être analysée rétrospectivement, dans le cadre d’un projet de la Bundesanstalt für Materialforschung und ‑prüfung (1994), qui s’est efforcée de reconstituer les différentes campagnes de restauration effectuées sur la célèbre statue de bronze.71 La convergence des deux sources donne la mesure quantitative et qualitative de l’intervention pratiquée par Canlers ; elle semble confirmer, hors de toute dimension idéologique, le sérieux avec lequel est menée, sous l’Empire, la restauration des œuvres les plus prestigieuses conquises en Allemagne.
22« Mon travail consiste à avoir vidé le corps de son noyau ainsi que les extrémités, comme la tête était fendue tout autour du cou, j’ai mis un croisillon et un boulon à l’aide d’une traverse, elle est serrée par un écrou qui la tient très solidement sur ses épaules », écrit Canlers le 9 juin 1807.72 Cette réparation robuste est destinée à lutter contre une fissure ancienne qui menace de séparer la tête du reste du corps (ill. 66) ; l’intervention de Canlers n’est pas la première, nous apprennent les analyses de 1994, elle succède à une tentative menée à la Renaissance de cicatriser la fissure grâce à une sorte de pansement de métal. En 1807, cette réparation ancienne n’est manifestement plus viable et la construction de Canlers (ill. 67) assure durablement la jonction de la tête et du corps, puisqu’elle n’est pas remplacée, semble-t-il, jusqu’aux travaux récents de 1995. Par ailleurs, écrit Canlers, « j’ai attaché de même les bras cassés en différents endroits et mis plusieurs pièces pour que l’ajustage soit parfaitement rétabli ».73 Cette opération est destinée à fixer solidement les bras, de facture moderne, au corps antique de la statue. Initialement liés aux épaules par une soudure métallique, ces bras modernes menacent en effet, semble-t-il, de se détacher complètement du corps lorsqu’ils arrivent à Paris. Canlers les fixe grâce à un système de barres de fer et de boulons, probablement tel qu’il est schématisé ici par le restaurateur Uwe Rohnstock (ill. 68), et il y adjoint quelques chevilles de laiton. Contrairement à la fixation de la tête, cet ajustement des bras ne demeure pas intact et il fait l’objet de transformations et d’adaptations ultérieures. « Les pieds étoient crevés », poursuit Canlers, « le noyau a produit par son effet une explosion qui a fait séparer les parties en plusieurs crevasses, j’y ai joint des pièces » ;74 à l’exception de quelques-unes, ces « pièces » sont toujours en place aujourd’hui. Quant au nouveau socle en bronze qu’il réalise en accord avec la direction du Louvre (« Après les avis de Mr Lavallée pour le bien de la chose j’ai substitué un socle carré en bronze qui par les soins que j’ai mis à y adapter les pieds […] ressemble à une plainte [sic] adhérante »), il est remplacé à deux reprises au cours des xixe et xxe siècles. Au total, l’intervention de Canlers est l’une des plus importantes que l’Orant ait connues dans son histoire. Elle rend sensible l’instinct de propriété des nouveaux gardiens français, qui engagent des réparations et des améliorations destinées à durer des siècles. Dans le domaine de la peinture, les deux interventions les plus ambitieuses menées sur des tableaux saisis en Allemagne témoignent d’une logique semblable. Dans les deux cas, il s’agit d’œuvres déjà connues, dont la réputation européenne est assise bien avant le transfert à Paris.
66. Fissure autour du cou de l’Orant de Berlin [état actuel], in : Gerhard Zimmer et Nele Hackländer (éd.) : Der betende Knabe. Original und Experiment, Berlin 1997, pl. 50

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67. Pièces de fer anciennes (non datées) destinées à maintenir la tête. Il s’agit très probablement de la réparation effectuée par Canlers en 1806, in : Gerhard Zimmer et Nele Hackländer (éd.) : Der betende Knabe. Original und Experiment, Berlin 1997, pl. 50

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68. Ancienne réparation des bras (non datée). Esquisse réalisée par le restaurateur Uwe Rohnstock. Là encore, il s’agit très probablement de la réparation effectuée par Canlers, in : Gerhard Zimmer et Nele Hackländer (éd.) : Der betende Knabe. Original und Experiment, Berlin 1997, p. 116

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Une nouvelle tête qui la défigure
23« Adam et Eve. Ce tableau remis sur toile demande de grandes réparations avant d’être exposé au public », indique en 1807 le catalogue des œuvres conquises en Allemagne (tome II, n° 408).75 A cette date, en effet, le tableau saisi à Brunswick et attribué à Giorgione est en attente d’être restauré par Hacquin, qui se met au travail dans le courant de l’année 1808 seulement. Au mois d’avril 1809, la note d’honoraires qu’il rédige à l’attention de Denon nous informe de l’état du tableau à son arrivée à Paris. Ces informations sont précieuses pour qui s’intéresse à l’histoire de la restauration en Europe au début du xixe siècle : « Ce tableau, note Hacquin, était peint sur un coutil plein très épais et sans impression. L’extrême humidité qu’il avait subie avait fait détacher quelques parties de couleurs et on avait essayé de les fixer avec des huiles grasses, vernis, etc. qui ont ajouté à la dureté naturelle du coutil et diverses tentatives faites chez l’étranger pour le rétablir, toutes contraires à ce but, ont rendu cette opération longue et pénible par l’attention minutieuse qu’elle a exigée. »76 L’intervention du restaurateur dure plusieurs mois et implique trois opérations successives (« enlevage », puis « transport du tableau » sur une impression de blanc de céruse, remise sur une toile neuve). Elle s’achève en mars 1809 et elle est facturée 1 200 francs, soit, pour un seul tableau, 400 francs de plus que pour les trente-huit tableaux restaurés par le même Hacquin en 1807.77 Un peu plus tard, une somme tout aussi spectaculaire est investie dans la restauration des deux tableaux du Corrège saisis à Potsdam dont la remise en état, liée à une histoire mouvementée, est manifestement affaire de prestige. Le catalogue de l’exposition de 1807 signale à leur propos : « Ils ont trop souffert pour être exposés avant leur restauration » ;78 le travail n’est pas confié aux restaurateurs du Louvre, mais à l’un des peintres les plus en vue du moment : Pierre-Paul Prud’hon, « le Corrège français ».
24« Je soussigné reconnois avoir reçu de Monsieur Lavallée secrétaire du musée Napoléon et d’ordre de Monsieur Denon la somme de Deux mille francs pour restaurations importantes de deux tableaux du Corrège représentant Léda et l’autre 10, récemment arrivés de Berlin et qui furent mutilés par le Duc d’Orléans fils du régent, lorsqu’ils étoient dans la galerie célèbre dite d’Orléans. Laquelle somme de deux mille francs a été convenue entre nous avant l’opération », note Prud’hon le 22 mai 1809.79 Le parcours épique de ces tableaux – en particulier de Léda (tome II, n° 330), peinte dans les années 1530, passée d’Italie en Espagne, puis d’Espagne à Prague et, lors de l’invasion de la ville par la Suède en 1648, de Prague à Stockholm, puis revenue en Italie avec la reine Christine de Suède et vendue après sa mort au prince Philippe d’Orléans (1721) – mérite sans doute un court rappel :80 son histoire est marquée en effet par l’attentat célèbre que lui inflige le fils du Régent, Louis, qui, révulsé par la posture lascive de Léda, dit-on, lui tranche la tête et lacère le tableau. Le peintre Charles Coypel, directeur de la collection de Philippe d’Orléans, restaure la toile et remplace la tête manquante. Puis le tableau est vendu en 1753 à un collectionneur français, Pasquier, qui à son tour lui fait peindre une nouvelle tête. Rachetée par les agents de Frédéric le Grand en 1755, la Léda du Corrège est ensuite transférée à Sans-Souci, où elle est confisquée par Denon en 1806. Prud’hon, « dont le talent aimable et gracieux a su rappeler le pinceau du maître autant qu’on pouvait l’espérer » (Annales du Musée),81 restaure le tableau à Paris en 1809 et celui-ci est doté la même année d’un cadre d’apparat en plein chêne, à palmettes, réalisé pour la somme de 395 francs par la maison Delporte.82 Intégrée à la collection permanente du musée Napoléon, Léda y côtoie huit autres Corrège jusqu’à sa restitution à la Prusse.
25Phénomène remarquable, les commissaires berlinois qui récupèrent ces deux tableaux du Corrège au mois d’août 1814 en critiquent vigoureusement l’état : « On nous a enfin remis hier les tableaux que Sa Majesté très Chrétienne a fait restituer dès le 4 juin à Sa Majesté le Roi de Prusse. Ce sont 2 tableaux capitaux ; mais l’un avec une tête nouvelle, et l’autre avec des restaurations imparfaites qui le défigurent. »83 S’il est peut-être destiné à minimiser l’ampleur des rétrocessions accordées par Denon, ce jugement sévère est toutefois confirmé une quinzaine d’années plus tard lorsque Léda est confiée à l’un des premiers restaurateurs professionnels du domaine allemand, Jacob Schlesinger, qui annule à Berlin l’intervention de Prud’hon en donnant à son tour un nouveau visage à Léda.84 Dirigées contre un peintre (Prud’hon), les critiques des commissaires prussiens sont pourtant contrebalancées – ce n’est certainement pas un hasard – par les satisfecit adressés aux travaux des restaurateurs professionnels. Lorsqu’ils réintègrent leurs propriétés en 1815, plusieurs directeurs de galeries allemandes saluent explicitement le travail effectué en France, tel Ludwig Völkel, on l’a vu, qui note à propos des antiques de Cassel : « Grâce aux restaurations nouvelles, quelques-unes de nos statues antiques avaient désormais une allure vraiment bien meilleure et plus agréable : les parties modernes avaient été replacées et les joints étaient plus soigneux, de sorte qu’ils se faisaient moins remarquer. Le vernis appliqué sur les statues donnait au marbre neuf et brillant une couleur proche des parties anciennes, et l’ensemble avait ainsi un ton homogène, qui atténuait la différence criante entre les parties modernes et antiques. »85 Emperius, quant à lui, salue en ces termes le sauvetage par Hacquin du tableau de Giorgione restitué à Brunswick : « On nous assura que mille deux cents francs avaient été employés à la restauration, fort bien réussie, de cette pièce. »86
26En l’espace de quelques années, sous l’Empire, d’importantes sommes, des moyens techniques performants et des artisans hautement qualifiés sont donc mobilisés à Paris pour assurer la restauration, parfois menée à grands frais, de quelques œuvres prestigieuses saisies outre-Rhin. Certaines sont traitées en véritables joyaux, d’autres bénéficient d’un traitement plus modeste – rentoilage, toilettage, vernissage –, mais un grand nombre est complètement ignoré. A en croire les rapports des commissaires allemands, plusieurs œuvres sont même restituées en 1814 et 1815 dans un état jugé piteux, comme le suggèrent ces remarques adressées à Denon par les Berlinois Henry et Bussler, qui accusent réception d’une quarantaine de tableaux en août 1814 : « Combien n’avons-nous pas dû être étonnés de l’état où ils se trouvent ! Un grand nombre est dans une dégradation déplorable et même complette – couleurs sautées ou usées par le frottement de planches disjointes ou vermoulues ou brisées – en un mot 6 à 8 de ces tableaux ne sont plus bons qu’à mettre au rebut. »87 Il s’agit là, manifestement, d’œuvres qui n’ont jamais été exposées, puisque le caractère sélectif de la campagne de restauration engagée en 1807 est le reflet fidèle de la politique d’exposition et de diffusion appliquée aux œuvres conquises en Allemagne. Les œuvres restaurées sont celles qu’on envisage de montrer ; les autres ne sont traitées que lorsqu’elles trouvent une destination, notamment lorsqu’elles sont déposées en province, les restaurations s’effectuant alors à Paris. C’est ainsi par exemple, au printemps 1808, qu’avant d’être envoyé au palais impérial de Strasbourg, un groupe de neuf tableaux, dont six au moins de provenance allemande, est confié au restaurateur parisien Michau.88 Auparavant, c’est toutefois l’exposition des « Statues, bustes, bas-reliefs, bronzes, et autres antiquités, peintures, dessins et objets curieux conquis par la Grande Armée, dans les années 1806 et 1807 », inaugurée au mois d’octobre 1807 au musée Napoléon, qui motive la plupart des ordres de restauration.
Notes de fin
1 Lettre de François-Marie Neveu aux administrateurs du Muséum, Munich, 6 frimaire an IX (27 novembre 1800), Paris, amn, P 4 1800, 29 octobre-10 novembre.
2 Johann Wolfgang von Goethe : « Museen », in : Goethe : Werke, Weimar 1887-1919 (Weimarer Ausgabe), t. III, p. 121 : « An Bildern schleppt ihr hin und her / Verlornes und Erworbnes / Und bei dem Senden kreuz und quer / Was bleibt uns denn ? Verdorbnes ! »
3 Knaus 1974, col. 258.
4 Williamson 1989, p. 172.
5 Pommier 1991, p. 231.
6 Voir Gilberte Émile-Mâle : Inventaires et restauration au Louvre de tableaux conquis en Belgique, septembre 1794-février 1795, Bruxelles 1994, pp. 19-26 ; voir aussi Émile-Mâle 1964.
7 Cantarel-Besson 1981, t. I, p. 95.
8 Émile-Mâle 1994, p. 9.
9 Voir Paris, amn, P 4 1800, 29 octobre-10 novembre : « Rapport du commissaire expert près les musées de la République sur les tableaux arrivés de Munich au Musée central des arts. Le 19 brumaire an IX (10 novembre 1800) ».
10 Cantarel-Besson 1981, pp. 172-173.
11 Tuetey 1912, t. II, p. 326.
12 Cantarel-Besson 1981, p. 186 ; voir aussi Spengler 1993.
13 Cantarel-Besson 1981, p. 182.
14 Ibid., p. 186.
15 Ibid., p. 221.
16 Ibid.
17 Ibid., p. 222.
18 Voir Spengler 1993.
19 Paris, an, F21 574, film 2 : lettre des professeurs administrateurs du Muséum d’histoire naturelle au ministre de l’Intérieur, signée Thouin et Haüy, Paris, 12 août 1815.
20 Ibid.
21 Cantarel-Besson 1981, p. 171.
22 Ibid.
23 Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, p. 1184, n° 3504.
24 Tuetey 1912, t. II, p. 281.
25 Cantarel-Besson 1981, p. 170.
26 Ibid., p. 272.
27 Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, p. 715, n° 20642, partiellement cité in : Gallo 1999, p. 193.
28 Émile-Mâle 1994, p. 29.
29 Ibid., p. 30.
30 Ibid., p. 114 ; il s’agit de deux tableaux de Diepenbeck provenant de la Nikolauskirche et d’un tableau de Rubens provenant de la Kapuzinerkirche.
31 Pierre Paul Rubens : L’adoration des bergers, premier quart du xviie siècle, huile sur toile, 340 × 248 cm, Rouen, musée des Beaux-Arts.
32 Voir Wilkes / Brandts 1940, pp. 47-48, 56-60 et 63-65.
33 Émile-Mâle 1994, p. 64.
34 Poulot 1997, p. 220.
35 Cantarel-Besson 1981, t. II, p. 235.
36 Ibid., p. 64.
37 Ibid., p. 23.
38 Ibid., p. 44 : « Il sera urgent que le Comité d’instruction Publique ordonne le rentoilage de tous ces chefs d’œuvres qui se trouvent sans châssis et qui pourraient s’écailler et se dégrader sans ce secours. »
39 Émile-Mâle 1994, p. 44.
40 Ibid., p. 31.
41 Ibid., p. 61.
42 Cantarel-Besson 1981, t. II, p. 239.
43 Ibid., p. 85.
44 Voir Émile-Mâle 1994, passim.
45 Cantarel-Besson 1981, p. XXVI.
46 Ibid., p. 121.
47 Ibid., p. 83.
48 Voir Cornelia Wagner : Arbeitsweisen und Anschauungen der Gemälderestaurierung um 1800, Munich 1988 ; Das 19. Jht und die Restaurierung, Beiträge zur Malerei, Maltechnik und Konservierung, Heinz Althöfer (éd.), Munich 1987 ; Geschichte der Restaurierung in Europa / Histoire de la restauration en Europe, Actes du Congrès international « Histoire de la restauration », Interlaken, 1989, 2 t., Worms 1991-1993 ; Alessandro Conti : Storia del restauro e della conservazione delle opere d’arte. Milan 1988 ; M. Strübel : « Gemälderestaurationen im 18. Jahrhundert », Der Cicerone, 4/1926, pp. 122-135.
49 Émile-Mâle 1994, pp. 160-161.
50 Französische Kunst-Annalen. Eine periodische Schrift, Mulhouse 1802, t. I, pp. 250-253.
51 Kaspar Heinrich von Sierstorpff : Bemerkungen auf einer Reise durch die Niederlande nach Paris im eilften Jahre der Republik, 2 t., Hambourg 1804, t. I, pp. 270-291, ici p. 289 : « Ich bin selbst einmal Augenzeuge davon gewesen, als der Direktor des Museums und aller Kunstinstitute Denon, beym Ausbessern der Gemälde, die höchste Vorsicht und Behutsamkeit empfahl, wobey er alle dazu nöthige Sachkenntnis verrieth, und die gemachte Arbeit wohl zu beurteilen wusste. »
52 Voir Bresc 1999, pp. 35-36.
53 Magasin encyclopédique, III/1807, pp. 201-202.
54 Denon 1999, cat. exp., p. 152, n° 147.
55 Pommier 1991, p. 157.
56 Voir Bresc 1999.
57 Voir Gallo 1999, p. 192 ; Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, p. 461, n° 1252 ; p. 524, n° 1465, p. 630, n° 1786.
58 Paris, an, O2 839 : « Musée Napoléon. Budget 1807. Encadrement et Restauration des tableaux, statues et du quadrige de la conquête de 1806. État de proposition de payements ».
59 Ibid.
60 Ibid.
61 Paris, an, O2 839 : « Mémoire des travaux faits par moi Fouque pour le musée Napoléon par ordre du Directeur général » et « Note des tableaux rentoilés et enlevés, pour le musée Napoléon, d’après les ordres de Monsieur le Directeur général, pendant le 3ie trimestre de l’an sept, par Hacquin, restaurateur de tableaux ».
62 Ibid.
63 Note Hacquin.
64 Note Fouque.
65 Ibid.
66 Paris, an, O2 839 : « Musée Napoléon. Budget 1807. Encadrement… ».
67 Bresc 1999, p. 135 ; Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, p. 552, n° 1539.
68 Supplément à la notice des antiques du musée contenant l’indication des monuments exposés dans les salles des Fleuves, de Silène, du Gladiateur et des Muses, Paris 1815, p. IV.
69 Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, archives, n° 93, réf n° 45 823-824, microfilm : « Liste générale des élèves de l’Académie royale de peinture et de sculpture de Paris, d’avril 1778 à 1792 ».
70 Paris, an, O2 840 : « Mémoire des ouvrages faits au Quadrige de la porte de Brandebourg à Berlin pour les réparations occasionnées pour la dépose et le transport à Paris ».
71 Gerhard Zimmer et Nele Hackländer (éd.) : Der betende Knabe. Original und Experiment, Berlin 1997.
72 Paris, an, O2 839 : note d’honoraires de Canlers à Denon, Paris, 9 juin 1807.
73 Ibid.
74 Ibid.
75 Statues 1807, cat. exp., pp. 57-58.
76 Paris, an, O2 839 : « Note pour un tableau peint par le Giorgion, enlevé et remis sur toile, suivant les ordres de Monsieur le Directeur général par Hacquin, restaurateur de tableaux ».
77 Ibid.
78 Statues 1807, cat. exp., p. 42.
79 Paris, an, O2 839 : récépissé de Prud’hon contresigné par Lavallée, Paris, 22 mai 1809.
80 Voir Gemäldegalerie Staatliche Museen Preußischer Kulturbesitz Berlin, Katalog der ausgestellten Gemälde des 13.-18. Jahrhunderts, Berlin 1975, pp. 112-113.
81 Charles-Paul Landon : Annales du Musée, 2e collection, t. II, 1811, p. 58.
82 Paris, an, O2 839 : « Mémoire de bordures dorée commandé par Monsieur Vivant Denon Directeur Général du Musé Napoléon faites et fourny suivant prix convenue par la veuve Delporte, doreur sur bois ».
83 Brouillon de la lettre adressée le 23 août 1814 à Vivant Denon, Potsdam, Stiftung Preußische Schlösser und Gärten Berlin-Brandenburg, Akte des Königlichen Hof- bzw. Obermarschallamtes, n° 151.
84 Gemäldegalerie 1975, p. 112.
85 Völkel 1817, ici p. 154.
86 Emperius 1999, p. 40.
87 Brouillon de la lettre adressée le 23 août 1814 à Vivant Denon, Potsdam, Stiftung Preußische Schlösser und Gärten Berlin-Brandenburg, Akte des Königlichen Hof- bzw. Oberhofmarschallamtes, n° 151.
88 Paris, an, O2 839 : « Mémoire des restaurations de tableaux pour le Palais impérial de Strasbourg ordonnée par Monsieur Vivant Denon, directeur général du musée Napoléon ».
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