Chapitre VI. Patrimoine d’adoption et patrimoine réel
L’opinion publique allemande et les « conquêtes artistiques » de la France en Europe 1794-1807
p. 199-238 (tome premier)
Texte intégral
Le Jugement dernier venait d’arriver au musée, les frères Olivier m’y conduisirent ; Ferdinand jubilait, les yeux humides de larmes. Il pleurait le vol commis en Allemagne et se réjouissait à la vue de ce chef-d’œuvre ancien.
Helmina von Chézy, souvenirs de 18071
De l’indifférence au traumatisme
1Telles qu’elles s’engagent en juin 1794 au lendemain de la victoire de Fleurus (26 juin 1794), les saisies françaises d’œuvres d’art et de science opérées en Belgique et dans les régions rhénanes ne suscitent pas, dans les milieux éclairés allemands, de réaction spécifique : le montage justificatif élaboré en France depuis l’an II – les œuvres d’art, fruit du génie de la liberté, doivent séjourner au pays de la liberté – n’est pas encore diffusé en Allemagne et l’attitude souvent désinvolte des commissaires français coïncide mal, sur le terrain, avec la glorieuse rhétorique parisienne. Mise en présence d’un phénomène nouveau mais que rien ne distingue encore clairement, en pratique, de banales prises de guerre, l’opinion publique des villes allemandes conquises, lorsqu’elle s’exprime, le fait en termes de droit et de mœurs militaires. En témoigne l’extrait d’une requête adressée par la municipalité de Cologne au Comité de salut public en avril 1795 : « Ce n’est pas chez aucun de nos voisins que vous pouviez trouver 107 pièces de canons d’airain, obus ou mortiers, et nos livres et nos estampes et ce tableau chef d’œuvre de Rubens aussitôt enlevés, et ces caisses de numéraire échangées en assignats, et les propriétés même de la veuve et de l’orphelin remplacées par la monnaie républicaine, et toutes ces fournitures gratuites de vêtements, d’habits, de besoins de tout genre, et tant de réquisitions livrées avec tant de soins, de peines, de fraix, de profusion. »2 Enjeu privilégié et pivot de la doctrine française, les « objets de sciences et d’art » ne font ici qu’allonger, aux yeux des magistrats de Cologne, la liste pléthorique des contributions militaires imposées au vaincu.
2A l’échelle locale, les conquêtes artistiques de la Convention sont donc appréhendées dans une logique martiale. A plus vaste échelle, semble-t-il, elles ne sont pas même prises en compte. Ni en 1794 en effet, ni en 1795, ni au cours des mois suivants, les revues littéraires, artistiques et politiques allemandes de grande diffusion, notamment celles des cercles de Weimar, ne paraissent prendre note du démantèlement artistique qui affecte les régions du Nord.3 Aucune, à ma connaissance, ne commente l’inouïe transhumance imposée aux Rubens de Belgique, aux colonnes d’Aix-la-Chapelle ou aux trésors bibliographiques de Cologne. Aucune n’évoque le trouble que l’opinion publique française manifeste à Paris lors de l’arrivée en septembre 1794 des chefs-d’œuvre conquis dans les Flandres, au premier rang desquels ces tableaux de Rubens, « hideux crucifiements […] destinés à être vus dans un lointain magique ».4 A vrai dire, le silence des milieux éclairés d’Allemagne est tel qu’on se demande si l’affaire des saisies est connue au-delà de l’espace rhénan. Certes, la nature des objets visés, leur lieu d’extraction – surtout des établissements religieux –, le caractère encore flottant du discours justificatif français et la méconnaissance manifeste, mêlée d’indifférence ou de répulsion, que les esprits d’Allemagne, tout juste convertis pour certains au canon classique de la beauté hellène, témoignent à l’égard des monuments de l’art rhénan, expliquent sans doute ce silence. Il est d’autant plus remarquable et riche de sens que, d’une part, il précède de quelques mois la virulente campagne de presse et les débats publics suscités, dans le domaine allemand, par les exactions officiellement menées sur ordre du Directoire en Italie ; et que, d’autre part, c’est précisément autour de ces œuvres saisies dans les régions rhénanes, et tout particulièrement autour du Martyre de saint Pierre de Rubens, que se cristallisera vingt ans plus tard, en 1814 et 1815, l’énergie des patriotes allemands, soucieux de reprendre à la France ces œuvres désormais perçues comme constitutives du patrimoine national.
3Même si elles ne portent pas sur les conquêtes subies par l’Allemagne, ou justement pour cette raison, les réactions allemandes aux saisies pratiquées par la France en Italie méritent d’être examinées en détail. Elles ont déjà été étudiées par Edouard Pommier et, pour ce qui touche plus précisément Goethe, par Élisabeth Décultot ;5 il ne s’agit donc pas de paraphraser ici leurs conclusions, résultat de sondages précis et fins, mais d’en conforter le sens à la lumière de quelques documents complémentaires. Perçues comme un acte d’agression par transitivité, les « conquêtes artistiques » françaises en Italie font en effet l’objet outre-Rhin d’un grand débat public qui permet aux acteurs de la vie culturelle de s’approprier la terminologie et la doctrine justificatrice françaises et de s’en démarquer dans un même mouvement. Par la suite, aucune autre campagne de conquêtes artistiques ne sera discutée aussi intensément en Allemagne. Le poids de la censure et la provenance dynastique des œuvres transférées à Paris au cours des années 1800-1809 expliquent peut-être ce silence. Mais sa véritable cause est plus profondément culturelle : meurtris dans leur identité italienne en 1796, les cercles éclairés d’Allemagne ne le sont pas encore dans leur identité « germanique » quand les confiscations touchent leurs propres collections. Et pourtant, lorsque au moment des réclamations de 1814 et 1815 c’est bien l’identité nationale qui est en jeu, ce qui est allemand (« teutsch ») et non plus l’Italie, le discours des patriotes ressemble de manière frappante, en bien des points, à celui des années 1796-1798. Dans les deux cas, il s’agit de défendre et d’affirmer, à défaut d’identité politique, une identité culturelle fraîchement acquise et mise en péril par le voisin français.
4A l’été 1796, alors que la rive gauche du Rhin subit une seconde vague de spoliations menée par le commissaire Keil, les esprits éclairés d’Allemagne s’émeuvent publiquement du démantèlement des collections italiennes. Leur émotion n’est pas un phénomène isolé, puisque partout en Europe, y compris en France, les esprits humanistes et cosmopolites, nourris de voyages en Italie, de culture latine ou de lectures winckel-manniennes, condamnent la violation sacrilège de l’espace italien, romain en particulier, comme un crime contre l’humanité éclairée et contre la religion universelle des arts. « Vous le savez », écrit Quatremère de Quincy dans le célèbre essai qu’il publie au milieu de l’été 1796 (Lettres à Miranda), « les arts et les sciences forment depuis longtemps en Europe une République, dont les membres, liés entre eux par l’amour et la recherche du beau, qui sont leur vrai pacte social, tendent beaucoup moins à s’isoler de leurs patries respectives qu’à en rapprocher les intérêts sur le point de vue si précieux d’une fraternité universelle ».6 En France, l’idéal humaniste ainsi formulé se heurte à la concurrence percutante de l’« égoïsme national », qui voit pour sa part dans le transfert à Paris des chefs-d’œuvre italiens une occasion unique et confortable d’encourager le progrès et l’éducation du peuple français : « Les arts ont une fin plus utile et plus grande, c’est d’instruire une nation, de former ses mœurs, son goût. »7
5En Allemagne, où aucun avantage tangible et compensatoire ne s’esquisse, le démembrement des collections romaines est vécu comme un lourd traumatisme, violence physique infligée au pays des idéaux. Pour cette Allemagne de 1796 en effet, et pour une longue tradition avant elle, l’Italie est un espace dépouillé de détermination nationale, un lieu neutre et universel.8 La virulence et la longueur du débat qui s’engage à l’été 1796 en témoignent : c’est en citoyens du monde et en esprits cosmopolites que les intellectuels de Weimar, mais également de Berlin, fustigent la politique d’appropriation française en Italie. Mais c’est aussi et surtout, à une époque où cosmopolitisme et intérêts nationaux entrent en conflit, en citoyens allemands d’adoption italienne qu’ils réagissent, blessés plus que les autres Européens dans leur identité culturelle extra-territoriale, élective et un peu virtuelle. En 1796, le classicisme est en voie d’épanouissement en Allemagne et les artistes à peine revenus d’Italie, leurs amis et certains théoriciens de l’art s’emploient à faire entrer dans la tradition germanique les œuvres de la plastique grecque et de la grande peinture italienne. Le projet est celui d’une renaissance artistique et littéraire nourrie d’émotions hellènes et de souvenirs pré-baroques. Le démembrement par la France des collections romaines compromet son cours et suspend sa réalisation.
Les Gaulois à Rome : transmission et diffusion de l’information
Les informateurs
6On est frappé, à lire certaines correspondances et la presse du printemps 1796, de la vitesse à laquelle circule l’information relative aux saisies pratiquées en Italie. Alors que les cercles éclairés de Weimar semblent ignorer les enlèvements menés à quelques centaines de kilomètres de chez eux dans les villes rhénanes, ils sont informés presque en temps réel des confiscations imposées aux ducs de Parme et de Modène, puis au pape. Les informateurs sont issus de la colonie allemande d’artistes ou d’amateurs installés à Rome, Naples ou Florence, qui continuent d’entretenir des relations suivies avec leur pays d’origine.9 Parmi eux, le théoricien Carl Ludwig Fernow (1763-1808) (ill. 45), futur bibliothécaire de la duchesse Anna Amalia à Weimar, personnalité centrale de la colonie nordique de Rome, joue un rôle clé dans la transmission d’informations. Installé en Italie depuis 1793, il est en effet non seulement l’auteur de longues lettres particulières,10 mais aussi et surtout le correspondant du mensuel Neuer Teutscher Merkur, largement lu et diffusé dans tout le domaine allemand. Croisées aux articles qu’il écrit de Rome, ses lettres privées éclairent très précisément, presque au jour le jour, les mécanismes à la faveur desquels l’information sur les saisies est produite pour le public allemand. A Weimar, une remarque de Caroline Herder, épouse du philosophe, témoigne du chemin que parcourent certaines de ces missives italiennes et de l’importance qu’on leur accorde : « Excusez-moi de vous restituer si tard la lettre de Fernow. Les nouvelles intéressantes en provenance d’Italie doivent être lues à table et en famille […] Ah ! les artistes qui vivent en Italie doivent être bien troublés de cette mise en bière [c’est-à-dire de l’encaissage des œuvres antiques par les commissaires français] ! »11
45. Gerhard von Kügelgen (d’après) : Portrait de Carl Ludwig Fernow, sans date, gravure, in : Georg Luck, Carl Ludwig Fernow, Berne 1984, p. 29

Crédits/Source : Archives de l’auteur
7L’examen chronologique des saisies menées sur ordre du Directoire en Italie, comparé à celui des correspondances allemandes de provenance romaine, montre en effet que l’affaire est immédiatement connue et prise au sérieux par les milieux allemands.12 Dès le 19 mai 1796, soit dix jours seulement après le début des opérations en Italie du Nord, Fernow écrit de Rome à son ami Johann Pohrt : « Le bruit court ici que les Français ont fait emballer le beau Corrège de Parme et plusieurs autres tableaux, et qu’ils les ont déjà envoyés en France, mais je ne suis pas absolument certain que ce soit vrai. »13 Édouard Pommier a relevé qu’au début du mois de juin, à Weimar, Friedrich Schiller est alarmé de l’affaire par une lettre de son ami Christian Gottfried Körner, qui est au courant des opérations dès le 7 juin ;14 et que Goethe, pour sa part, est informé par une correspondance de Heinrich Meyer, envoyée d’Italie le 15 juin.15 Avant même que la polémique suscitée par les enlèvements du Directoire ne se déploie pleinement dans la presse quotidienne française, les personnalités les plus éminentes de la vie culturelle allemande sont donc au courant du sort réservé aux collections d’Italie septentrionale, comme en témoigne aussi la publication, dès juin 1796, de la liste des œuvres saisies par les Français, à Milan et dans les États du duc de Parme, dans le mensuel Europäische Annalen.16 A ces sources de première main s’ajoute, dès l’été 1796, le traitement d’informations recueillies dans la presse française.
Les diffuseurs
8La grande rapidité avec laquelle la presse allemande rend compte, au cours de la décennie révolutionnaire (et plus particulièrement à partir de 1792), des débats qui animent la presse française sous la Convention et le Directoire a été mise en évidence avec force par les travaux de Rolf Reichardt.17 Loin de démentir le diagnostic, on s’en doute, l’affaire des saisies d’œuvres d’art en confirme la formule. A l’été 1796, le « rapatriement » imposé aux œuvres d’Italie suscite une vive polémique en France. Elle a été étudiée en détail par Edouard Pommier : échanges d’articles de presse, de plaidoyers patriotiques et cosmopolites nombreux. La polémique culmine avec la parution déjà citée des Lettres à Miranda de Quatremère de Quincy, à la fin de juillet 1796. Elle est suivie le 17 août par la publication, dans le Journal de Paris, d’une pétition signée par cinquante artistes français hostiles à la politique d’appropriation du Directoire en Italie, contrée elle-même, le 3 octobre 1796, par la parution d’une contre-pétition progouvernementale dans le Moniteur universel. Les va-et-vient de cette polémique parisienne sont soigneusement suivis en Allemagne, où l’on se familiarise avec la terminologie et les enjeux liés à l’affaire au cours de l’été et de l’automne 1796. Deux noms sont étroitement liés à l’importation outre-Rhin du débat parisien : celui de Johann Wilhelm von Archenholz (ill. 46), éditeur à Hambourg de la revue Minerva, très largement diffusée,18 et celui de Carl August Böttiger (ill. 47), responsable simultanément à Weimar, pendant l’été et l’automne 1796, de la rédaction du Journal des Luxus und der Moden et du Neuer Teutscher Merkur, deux des revues culturelles les plus lues dans le domaine allemand.19
46. Anton Graff (d’après) : Portrait de Johann Wilhelm von Archenholz, sans date, 14,1 × 9 cm, gravure, Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Inv. A 498

Crédits/Source : Herzog August Bibliothek Wolfenbüttel (voir http://portraits.hab.de/werk/1928/bild/)
47. Friedrich August Tischbein : Portrait de Carl August Böttiger, 1795-1796, huile sur toile, 47,5 × 39 cm, Halberstadt, Gleimhaus, Literaturmuseum

Crédits/Source : Gleimhaus – Museum der deutschen Aufklärung, Halberstadt
9L’un après l’autre, sur deux modes distincts, Archenholz et Böttiger informent donc leurs lecteurs de l’évolution du débat français. Archenholz le premier, sur un ton neutre et modéré, en publiant très tôt dans sa revue un article inspiré des thèses de Quatremère de Quincy,20 suivi d’une traduction de la pétition du 16 août,21 de celle des Lettres à Miranda,22 puis de celle d’autres textes ayant alimenté la polémique française.23 Böttiger, un peu plus tard, en novembre 1796, par le biais d’une offensive simultanée dans les deux revues qu’il dirige. Pendant près de deux ans, ces revues dominent le débat, ce qui explique le caractère à la fois cohérent et parfois redondant de l’argumentation.24 Contrairement à Archenholz, dont la revue est spécialisée dans les traductions, Böttiger adopte pour traiter la question un ton critique et tranchant. Professeur de philologie antique et archéologue, il dispose d’une solide culture littéraire et artistique, ainsi que d’un vaste réseau de correspondants européens qui lui permettent de traiter avec efficacité et précision les informations en provenance d’Italie et de France. Ses articles sont émaillés de références aux articles les plus récents de la presse internationale,25 et il est important, on le verra par la suite, de noter que Böttiger porte sur l’affaire un regard professionnel : après avoir consacré deux essais musclés au vandalisme révolutionnaire français en 1795,26 il s’était vainement porté candidat, la même année, au poste de gardien de la collection d’antiquités de Dresde, et il publie ensuite plusieurs essais relatifs à ce qu’il estime être la « bonne muséographie » (Über Museen und Antikensammlungen, publié en 1808, par exemple) avant d’être finalement nommé inspecteur principal de la galerie de Dresde en 1814. Avec la publication successive des traductions d’Archenholz et des articles de Böttiger, tout se passe comme si l’opinion publique allemande s’appropriait d’abord les termes du débat français pour adopter ensuite une position singulière et virulente – selon un mécanisme courant de « transfert culturel ».
Le grand corps démembré
Identification douloureuse
10La singularité du discours allemand sur les confiscations françaises est d’abord liée à la force des images et métaphores employées pour les décrire. Dès le mois de novembre 1796, la presse allemande se démarque de la terminologie officielle française et qualifie alternativement les enlèvements d’œuvres d’art de « pillage artistique » (Kunstplünderungen), de « rapines » (Raub), d’« opération de vidage » (Ausleerungsgeschäft), d’« atroce vandalisme » (scheußlicher Vandalismus), de « spoliation » (Spolierung) ou de « dilapidation » (dilapidiert), entre autres (ill. 48-49).27 Rédigées sur le terrain, « à chaud » pour ainsi dire, les lettres romaines de Carl Ludwig Fernow donnent la température affective d’un événement décrit en termes d’impuissance et d’irrépressible douleur. Irrépressible douleur du pape, d’abord, dont Fernow atteste « qu’il pleure souvent des heures durant sur son sort, car le musée est presque exclusivement son œuvre ».28 Irrépressible douleur, ostentatoire et élégiaque, de l’amateur d’art Fernow, ensuite, qui adresse à ses amis la liste des œuvres choisies par la France dans les collections romaines : « Si vous êtes encore capables de pleurer ; si vos larmes ne se sont pas taries dans la vapeur des bains d’Ischia, alors laissez couler à flots les aqueducs des sentiments ! Chantez des élégies et des odes de douleur ! Lisez et pleurez ! »29 Douleur silencieuse du grand corps métaphorique que forment les arts en Italie, corps supplicié par l’acte d’arrachement que sont les confiscations françaises. Si l’image du corps européen de l’art n’est pas neuve, comme l’a souligné Élisabeth Décultot, et si la vision de son démembrement traverse déjà avec insistance le débat français sur les saisies italiennes (« C’est un colosse dont on peut briser quelques membres pour en emporter des fragments » écrit par exemple Quatremère de Quincy),30 ces motifs trouvent dans la discussion allemande une vigueur particulière avec l’emploi fréquent des deux verbes « arracher » (entreißen) et « déchirer » (zerreißen), mobilisés notamment par Goethe à la fin de l’introduction aux Propylées, qu’il rédige en mai 1798 : « Lorsqu’il sera possible de donner une vue générale de ce corps, on pourra aussi prendre la mesure de ce que le monde est en train de perdre, maintenant que tant de parties se trouvent arrachées [abgerissen] à cette grande et antique totalité. Ce qui a péri par l’acte de l’arrachement lui-même [Abreißen], on ne le saura sans doute jamais. »31
48. « Über Kunstplünderungen in Italien und Rom », in : Der neue Teutsche Merkur, novembre 1796, p. 249

Crédits/Source : Berlin, Staatsbibliothek, Preußischer Kulturbesitz
49. « Italisches Ausleerungsgeschäft », in : Der neue Teutsche Merkur, 3 février 1798, p. 129

Crédits/Source : Berlin, Staatsbibliothek, Preußischer Kulturbesitz
11Preuve verbale du traumatisme que représente pour les amateurs d’art allemands le démantèlement des collections romaines, la référence constante au motif de la douleur et du déchirement trouve une expression plus lourdement symptomatique encore dans l’extrait d’une lettre que Fernow adresse à son ami Pohrt quelques jours après avoir été témoin des opérations d’enlèvement au musée Pio-Clementino. Il écrit le 22 août 1796 : « Ces jours-ci, je suis retourné plusieurs fois au musée : jusqu’à présent, rien n’avait été encore emballé ni déplacé, mais ça y est. Ils ont commencé hier par le Guerrier Spartiate, que les antiquaires appellent aussi Phocion, et dont tu te souviens sûrement. […] J’ai vu comment il a été descendu de son socle et transporté hors du musée, jusqu’au temple, sur des cylindres de bois. J’avais l’impression que c’était mon frère, ou mon ami, qu’on roulait ainsi jusqu’à sa tombe, et tous ceux qui assistent à ces atrocités [Gräuel] partagent cette impression avec moi. »32 Ressentie comme un préjudice collectif, la dépouille de Rome affecte des œuvres identifiées à des êtres chers ; leur disparition subite est une mort, elle suscite des réactions de deuil. L’osmose familiale de l’artiste allemand avec la cité romaine n’est, au reste, qu’un pas vers l’identification totale : « Nous subissons ici l’étrange destin de voir Rome nous quitter, écrit Fernow le 26 août, et l’amertume que j’en ressens n’est pas moins grande que si c’était moi qui devais partir. »33 Au milieu de l’été 1796, sous le coup des saisies d’œuvres d’art imposées par la France à l’Italie, la biographie de l’amateur d’art venu parfaire ses connaissances à Rome et le sort de la ville martyre finissent par se confondre : la mort de l’une est aussi un peu la mort de l’autre.
Liberté contre liberté
12Le désarroi qui s’exprime ici est essentiel pour comprendre la mobilisation de l’opinion publique allemande lors du démantèlement de Rome, alors qu’elle n’a pas réagi à la spoliation des établissements ecclésiastiques de Cologne, par exemple. « École centrale de l’Europe », selon l’expression de Quatremère de Quincy,34 Rome est aussi le lieu où règnent les conditions d’autonomie sociale et institutionnelles propres à l’épanouissement d’artistes venus de latitudes moins libérales.35 Quelques semaines à peine avant l’entrée des Français à Rome, le 20 février 1796, le peintre Asmus Jacob Carstens (1754-1798), ami intime de Fernow, avait adressé de Rome au ministre d’État prussien von Heinitz, qui exigeait son retour à Berlin, la célèbre et radicale déclaration d’indépendance de l’artiste moderne, peu disposé à se laisser régenter par les fonctionnaires d’une institution féodale : « Il faut en outre que Son Excellence sache que je n’appartiens pas à l’Académie de Berlin, mais à l’humanité ; et qu’il ne m’est jamais venu à l’idée – je n’ai d’ailleurs jamais rien promis de tel – de m’asservir à tout jamais à une académie pour prix d’une pension versée pendant quelques années afin que je perfectionne mon talent. Je ne peux me perfectionner qu’ici, entre les meilleures œuvres d’art qui existent au monde, et je vais continuer, de toutes mes forces, à me justifier aux yeux du monde par mes travaux. »36 Quelques mois plus tard, la confiscation à Rome des « meilleures œuvres d’art qui existent au monde », modèle pour les uns, objet d’étude ou de contemplation pour les autres, marque une rupture brutale dans la carrière de ces Allemands qui, depuis quelque temps, théorisent et justifient en termes d’autonomie, de liberté et d’émancipation studieuse leur présence en Italie : « Ma vocation est d’être en Italie, écrit par exemple Fernow le 19 mai 1796, et d’y vivre pour l’étude de l’art, et aucun Français n’a intérêt à me chasser de mon poste, aussi longtemps que l’on ne me dérobe pas aussi ma personnalité, ce dont je ne crois pas capables les apôtres de la liberté. »37
13Mis en présence à Rome, en 1796, de deux conceptions antagonistes de la liberté – également vénérées pendant les années d’étude en Allemagne, mais que l’épreuve du terrain fait violemment entrer en collision –, pris entre l’idéal d’une existence autonome et entièrement vouée à l’art, et la réalité d’une liberté dominatrice, conquérante et nationale, les artistes et théoriciens allemands installés en Italie sont d’abord déroutés. Dans un premier temps, leurs réactions à l’égard des saisies françaises, en particulier les réactions de Fernow, sympathisant déclaré de la Révolution française depuis son séjour à Iéna, oscillent entre affliction douloureuse et référence plus ou moins confiante aux valeurs républicaines. Avant même l’entrée des Français à Rome, dans sa lettre du 19 mai, Fernow formule l’espoir que les « apôtres de la liberté » reconnaîtront la vocation unique et irremplaçable de la capitale européenne des arts : « La réunion, en ce lieu, de tout ce qu’il y a de grand et de beau dans l’art n’est possible et ne se réalisera en aucun autre lieu au monde. Fasse Dieu que les Français le comprennent ! »38 Le 22 août, après avoir décrit l’enlèvement de Phocion, roulé comme un frère jusqu’à sa tombe, Fernow ajoute : « Si l’être plus raisonnable, qui pressent la vie jusque dans la mort, n’avait l’espoir de voir un jour ressusciter l’art sur les rives de la Seine, et de le voir fleurir avec plus d’éclat qu’il n’en avait à Rome, alors il tomberait dans un désespoir profond de voir cette ville ainsi défigurée. »39 La métaphore du deuil paraît convenue ; elle n’est pas anodine. Elle permet en effet de concilier la violence infligée au patrimoine italien avec le champ des idéaux révolutionnaires, d’envisager dans un même élan la mort des arts (à Rome) et leur possible résurrection (à Paris). Car la question centrale, qui motive tout le débat allemand sur les saisies italiennes jusqu’au printemps 1798 – alors que la polémique s’est tue depuis longtemps à Paris –, est bien de savoir si les Français seront capables d’insuffler une vie nouvelle aux œuvres arrachées à leur contexte romain, et de se racheter ainsi aux yeux du monde ; ou si, par de mauvais traitements, ils prouveront que l’affaire des conquêtes artistiques n’a été qu’une vaste et vulgaire entreprise de rapine. « L’avenir, écrit Fernow le 22 août 1796, nous dira si les Français sauront dédommager l’humanité du vol qu’ils lui infligent. »40 Près de deux ans plus tard, lorsque Goethe rédige l’introduction à la revue Propylées, qu’il vient de créer avec Heinrich Meyer, la question est toujours en suspens.
Progrès des arts et question de goût
Les œuvres et les lieux
14Préparé en mai 1798 et publié six mois plus tard, le texte de l’introduction aux Propylées fixe en quelques phrases fermes et pondérées les inquiétudes exprimées par la presse allemande au cours des mois précédents. La disparition subite du Laocoon, de l’Apollon du Belvédère ou de la Transfiguration de Raphaël compromet le séjour romain des artistes ou théoriciens allemands présents en Italie au moment des saisies ; elle compromet plus généralement, et à plus long terme, l’étude de l’art, de la beauté idéale et du goût, telle que la conçoit l’Allemagne classique. L’idée n’est pas neuve : les confiscations françaises bouleversent profondément la géographie mentale et culturelle européenne. Autant que le démembrement brutal du grand corps romain, c’est donc aussi le vacuum créé par la politique d’appropriation française en Italie qui préoccupe les esprits éclairés d’Allemagne. L’embarras exprimé dans les Propylées est bien concret : « Depuis toujours le lieu où se trouvent les œuvres d’art est de la plus haute importance pour la formation de l’artiste, comme pour la jouissance de l’amateur d’art. Il y eut une époque où elles restaient la plupart du temps au même endroit, si l’on excepte des déplacements mineurs. Mais un changement majeur a eu lieu maintenant, changement qui aura des conséquences importantes pour l’art pris dans sa totalité et plus particulièrement pour certaines de ses branches. […] Dans quelques années, on pourra donner une description du nouveau corps artistique qui se forme à Paris. On pourra alors indiquer la méthode selon laquelle un artiste et un amateur d’art doivent profiter [nutzen] de la France et de l’Italie. »41 Entre disparition douloureusement vécue d’un grand corps unique et apparition (probable ou improbable, souhaitée ou redoutée) d’une nouvelle capitale des arts, l’enjeu est double : il s’agit d’envisager, dans le grand vide intermédiaire, la nouvelle géographie culturelle du monde ; il s’agit aussi de se positionner fermement dans le champ européen du débat sur les musées. Très homogènes dans la consternation que leur inspire la politique française en Italie, les prises de position qui se succèdent dans la presse allemande, entre l’automne 1796 et le printemps 1798, se distinguent surtout par le degré d’optimisme ou de pessimisme qu’elles affichent à l’égard de l’avenir parisien des œuvres italiennes, ainsi que par l’usage, ou non, qu’elles font d’arguments patriotiques pour appuyer leurs démonstrations.
15Comme dans le débat français, la question du contexte historique et géographique dans lequel sont enracinées les œuvres d’art constitue l’un des points d’ancrage de la discussion allemande. La ville de Rome, Fernow et Böttiger le rappellent, forme un ensemble singulier : elle permet aux artistes et aux amateurs d’art de vivre en osmose avec l’Antiquité, et elle leur offre une situation d’indépendance politique et sociale unique en Europe. La réunion des arts est propice à leur progrès, leur dispersion funeste. « On a peine à croire, écrit Böttiger, que la transplantation des plus prestigieux monuments de l’art, antiques et modernes, privés du ciel doux et du sol tranquille de la mère patrie », puisse être favorable au développement des arts.42 Jusque dans le choix des termes et des images (la transplantation, le ciel doux, la terre nourricière), la démonstration de Böttiger s’inspire de la lecture de Quatremère de Quincy, ou plutôt de son médiateur allemand Archenholz, dont Böttiger salue dûment les propos. Et pourtant, subrepticement, la discussion allemande se focalise sur un point singulier : si Quatremère en effet ne définit pas précisément l’ennemi (le Directoire, l’ignorance, l’esprit de nationalisme), les Allemands Fernow et Böttiger, eux, ont tôt fait de l’identifier : c’est la France, exemplairement incarnée par son « goût national » (Nationalgeschmack). Le glissement est léger : là où Quatremère de Quincy, par exemple, met en garde contre l’exposition de chefs-d’œuvre à Londres (brouillard et fumée), à Pétersbourg (neige et glace), ou à Paris (pluie et boue),43 le Neuer Teutscher Merkur s’inquiète de savoir que les statues antiques saisies à Rome vont « parader » (paradieren) au Louvre « au milieu du pot-pourri bariolé qu’est le goût français ».44 Confrontés au choc entre deux conceptions de l’art, cosmopolite et idéaliste pour l’une, nationaliste et politisée pour l’autre, les érudits allemands contre-attaquent avec cette arme hybride qui leur est familière : celle du goût, à mi-chemin entre idéal et nation.
Question de goût : les Grecs et les Romains
16« Les Français régresseront dans les arts plus qu’ils ne progresseront, ils leur feront plus de mal que de bien, non point tant à cause de leur incapacité (je préfère croire que toutes les nations ont suffisamment de talents), mais parce qu’ils sont sur une fausse route, qui les éloigne de plus en plus de la vérité, et bientôt ils seront complètement égarés. […] Vous trouverez des preuves de ce que j’affirme dans les feuilles publiques, qui reproduisent la liste des statues et des tableaux choisis à Rome. Vous connaissez ces œuvres, qu’en pensez-vous ? » écrit Heinrich Meyer à Goethe dans une lettre adressée d’Italie le 18 septembre 1796. Et il ajoute aussitôt : « Faites donc recopier dans la presse française, bien scrupuleusement, la liste des tableaux, etc. qui ont été transférés de Milan, Parme, Bologne, etc. à Paris et mettez-la de côté pour un usage ultérieur. »45 Passé en effet les premières réactions de stupeur et d’abattement, le transfert à Paris des chefs-d’œuvre italiens, désormais irréversible, est l’occasion pour l’opinion publique et pour les théoriciens de l’art allemands de réactiver un débat général sur le goût, sur la destination et le progrès des arts. Articulé autour de quelques motifs centraux (théorie du contexte, émulation et apprentissage, question des modèles et de la sensibilité artistique), ce débat pourrait ressembler comme un frère au débat français s’il n’était lié, dans le domaine allemand, à la mobilisation d’un topos déjà ancien et éprouvé, celui de la critique du goût français, instrumentalisé depuis le milieu du xviiie siècle pour encourager la production littéraire et artistique autochtone. Il trouve un champ d’application nouveau dans l’affaire des conquêtes artistiques. « Vous connaissez ces œuvres, qu’en pensez-vous ? » : la question que Meyer adresse à Goethe est lourde d’arrière-pensées et occupe avec insistance le débat allemand sur les conquêtes artistiques françaises.
17Quant à la réponse, elle est formulée dans la presse de l’automne 1796, sous la plume conjointe de Fernow et de Böttiger. Fernow : « Le choix de tableaux opéré à Rome témoigne clairement que la révolution dans le goût des Français, pourtant si souhaitable, n’a pas encore eu lieu. »46 Böttiger : « Ce choix [prouve] à lui seul ce que l’on peut attendre du goût national d’un peuple qui semble obéir davantage à sa vanité qu’à son penchant intime pour l’art. »47 Le motif stéréotypé de la vanité et du caractère superficiel des Français, couplé à celui de leur impiété, revient avec insistance. La transplantation des chefs-d’œuvre italiens à Paris ne sera pas utile au public : les saints arrachés à leurs autels ne « donneront pas beaucoup de jouissance aux yeux libidineux et au cœur mécréant de ces Parisiens pourris de raffinement ».48 Elle ne sera pas utile non plus aux artistes : « Tant que le Guerchin, le Caravage, Sacchi, Lanfranco, l’Espagnolet, Vanni, etc. seront leurs héros artistiques, on ne peut attendre d’eux aucun bon fruit. »49 Le progrès du goût et le progrès des arts ne s’achètent pas comme de vulgaires marchandises : l’opinion publique française hostile aux saisies et l’opinion allemande produite à Weimar sont unies sur ce point. Et pourtant, là encore, le discours allemand emprunte une voie légèrement divergente, riche d’implications culturelles et identitaires, lisible notamment dans la réactivation polémique du couple formé par les Grecs d’une part et les Romains de l’autre.
18Du côté français, les conquêtes artistiques ordonnées par le Directoire en Italie sont identifiées à celles que Rome avait fait subir à la Grèce pendant l’Antiquité. Identifiées à elles dans un esprit glorificateur : « En imitant les Romains vainqueurs, nous nous montrons plus justes qu’eux, plus généreux, plus humains. »50 Identifiées à elles dans la perspective d’une mise en garde contre la barbarie contemporaine.51 Cette référence insistante au modèle romain n’échappe évidemment pas à la presse allemande : dès novembre 1796, Böttiger fait remarquer dans le Journal des Luxus und der Moden qu’elle constitue l’un des « ressorts principaux de toute l’entreprise » et que les Français, en « singeant » (nachäffen) les Romains, reproduisent ce que le parangon avait de pire, sa barbarie.52 Loin de servir le « vrai goût » (wahrer Kunstgeschmack), l’engouement subit des conquérants pour les arts est comparé à une « plante de serre chaude, dont toutes les pousses et tous les bourgeons montrent qu’elle ne pourra jamais prendre racine et s’acclimater dans une terre arrosée par les larmes des esclaves et le sang des gladiateurs ».53 Les œuvres conquises risquent tout au plus de produire l’érudition dégénérée, artificielle, ridiculement ostentatoire et de mauvais goût condamnée par Horace, Pline ou Virgile. Voilà bien reposée la question de la sensibilité artistique : elle faisait défaut aux Romains comme elle fait défaut aux Français. Le vrai sens de la beauté est du côté des Grecs et de tous ceux qui, derrière Winckelmann, savent les respecter, les étudier et les comprendre. La question des conquêtes artistiques françaises réactive vigoureusement le topos franco-allemand de l’opposition entre Grecs et Romains, opposition qui trouve du reste, en 1796, une expression singulière dans le domaine littéraire.
19Édouard Pommier l’a signalé : le démantèlement du patrimoine romain inspire la publication, en Allemagne, de plusieurs poèmes évoquant l’affaire des saisies. En 1797, Schiller publie dans sa revue Die Horen l’un des premiers poèmes thématisant les conquêtes artistiques : « Les Gaulois à Rome » de Johann Diederich Gries, réputé à Weimar pour ses traductions d’auteurs italiens.54 La même année, August Schlegel écrit un poème de quinze strophes, « Le rapt des dieux », publié également par Schiller, cette fois dans l’Almanach des Muses.55 Parallèlement, Schlegel publie dans l’Athenäum une élégie dédiée à Goethe, intitulée « L’art des Grecs », qui s’ouvre aussi sur l’image des conquêtes d’œuvres d’art.56 Mais les vers allemands les plus célèbres et les plus souvent cités restent ceux de Schiller lui-même, « Les antiquités de Paris », écrits probablement en 1800 et publiés en 1802, qui lient avec une sobre efficacité la plupart des images esquissées dans les autres poèmes.57 De manière plus ou moins explicite, tous établissent la jonction entre les saisies infligées par la France à l’Italie et celles que Rome avait imposées à la Grèce antique. Dans les deux poèmes de 1797 certes, celui de Gries et celui de Schlegel, le regard porte davantage sur l’incapacité de Rome à résister à l’assaut du voisin que sur l’acte conquérant lui-même. Mais les préoccupations d’ordre esthétique formulées par la presse culturelle de Weimar sont bien présentes derrière le cryptage littéraire. Schlegel, par exemple, prête sa voix aux statues saisies en Italie, qui apostrophent les Français en ces termes (« Die Entführten Götter ») : « Avez-vous un sanctuaire pour nous ? / Et peut-on conquérir les charmes d’Hellade par la force des armes ? / Les dieux sont-ils aussi propriété des hommes ? » Un élément de réponse est apporté quelques mois plus tard par le même Schlegel, dont « L’art des Grecs » s’ouvre sur un double portrait : celui du fier « Proconsul » qui entasse sans les comprendre les œuvres volées dans ses bateaux et leur impose des défilés pompeux et barbares, et celui de Goethe, esprit calme et familier de la muse hellène, qui dévoile en douceur les beautés de l’art antique. Difficile d’exprimer plus clairement la position du classicisme allemand à l’égard de la politique artistique du Directoire. Les Français, Schiller le formule avec force en 1802, sont incapables d’entendre le message des dieux : les antiques « restent de pierre pour le vandale » (dem Vandalen sind sie Stein). Lié ici au couple polémique des Grecs et des Romains, le motif du vandale joue au reste un rôle essentiel et durable dans le discours sur les saisies d’œuvres d’art.58 Dans les cercles français hostiles aux saisies, comme en Allemagne, le souvenir encore vif du vandalisme révolutionnaire et de la fureur iconoclaste alimente le pessimisme quant à l’avenir parisien des œuvres italiennes, transplantées d’un site serein à une zone volcanique. Version française : « N’est-ce pas vouloir la ruine totale des arts que d’en placer ainsi tous les plus beaux ouvrages au milieu d’un volcan enflammé, tout prêt à les engloutir ? »59 Version allemande : la France est « le théâtre d’incessantes fissions, une terre que ses habitants les plus avisés comparent eux-mêmes à une croûte mince et volcanique ».60 Là encore toutefois, du côté allemand, les dangers supposés auxquels les œuvres de provenance italienne sont exposées à Paris servent de support, jusqu’au printemps 1798, à une réflexion ciblée sur l’incapacité « nationale » des Français à conserver correctement les chefs-d’œuvre de l’art et à entretenir des musées dignes de ce nom.
Bons et mauvais traitements
20Au-delà du différend déjà ancien lié à la question du goût, le transfert à Paris des chefs-d’œuvre italiens soulève dans l’opinion publique allemande ce problème plus nouveau : celui du musée en général, et du bon traitement des œuvres en particulier. Là encore, l’affaire permet de discréditer les pratiques françaises et rejoint la question du goût : car stigmatiser les mauvais traitements infligés aux œuvres, c’est dénoncer l’insensibilité des autres et affirmer sa propre sensibilité. August Schlegel le fait remarquer avec véhémence dans le 312e fragment de l’Athenäum (1798) : « Face au reproche que les peintures pillées en Italie avaient été mal traitées à Paris, le restaurateur a proposé d’exposer un tableau de Carrache, moitié nettoyé, et moitié dans son état d’origine. La belle trouvaille ! »61 En 1797, plusieurs notices contradictoires du Neuer Teutscher Merkur62 sont elles aussi consacrées aux opérations d’emballage et aux compétences des commissaires français qui y procèdent. En août 1797, un correspondant anonyme (peut-être Böttiger lui-même) fait remarquer que les personnels parisiens sont strictement incompétents en matière d’archéologie et que, dans ce domaine, la science française est très en retard. Quatre personnalités seulement se distinguent selon lui : Millin à Paris, Oberlin à Strasbourg, « l’ancien président de Saint-Vincent à Aix » et Troullé à Abbeville.63 A ces critiques d’ordre scientifique, dont la portée et la postérité dépassent amplement le contexte des saisies, s’ajoutent les récriminations plus proprement techniques qui permettent à Böttiger, représentant exact d’une profession en voie d’émergence, de se positionner dans le champ du discours sur la bonne muséographie. En février 1798, il signe un long article de dix-sept pages au titre suggestif : « Et comment tout cela sera-t-il conservé à Paris ? » (ill. 50), brillante synthèse de la presse française la plus récente à laquelle sont annexées la traduction d’une correspondance parue dans le Journal de Paris et la lettre d’« un artiste allemand de Rome », ironiquement qualifiées l’une et l’autre de « documents prouvant l’amour des Français pour l’art ».64 Signe de l’actualité brûlante que l’affaire continue de revêtir en Allemagne, et de l’implication des réseaux de Weimar, l’idée de cet article est due à Schiller, qui en passe commande à Böttiger par l’intermédiaire de Heinrich Meyer. Le 31 janvier 1798, Böttiger répond à Schiller qu’il accepte sa commande : « J’attends de mon ami Millin, de Paris, des informations fiables sur l’arrivée et l’exposition des œuvres volées en Italie. Que tout cela soit publié dans Die Horen ! »65
50. « Und wie wird alles dieß in Paris aufgehoben seyn ? », in : Der neue Teutsche Merkur, février 1798, pp. 129-168 et 199-200, ici p. 144

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21Preuve de la qualité et de la précocité des informations dont dispose Böttiger – il est en effet depuis 1797 correspondant allemand du Magasin encyclopédique de Millin66 –, son article s’ouvre sur l’évocation des festivités ostentatoires que le Directoire projette d’organiser en l’honneur des œuvres venues d’Italie, dont l’auteur fait toutefois remarquer avec insistance qu’elles sont encore bloquées pour partie, depuis plusieurs mois, dans le port de Marseille. Ce retard (comme les négligences qu’il déplore en matière d’emballage) prouve l’inconséquence du gouvernement français qui, après avoir conquis les œuvres, est incapable de leur offrir de bonnes conditions de conservation : incapable, par suite de difficultés financières, de faire procéder à leur encadrement ; incapable de leur offrir un lieu d’exposition adéquat ; incapable de les faire restaurer selon les règles de l’art. Le débat européen sur la compétence des restaurateurs français et la question du bien-fondé de ces restaurations sont pris très au sérieux en Allemagne. Si les pratiques des restaurateurs français augurent mal, selon Böttiger, de l’avenir des œuvres saisies en Italie, elles sont aussi l’occasion pour lui de faire glisser la critique du côté allemand : d’une part, il met en cause le mode d’exposition inadéquat des collections de Berlin et Potsdam ; d’autre part, il déplore que le catalogue des collections de Dresde, achevé depuis dix ans, ne soit pas encore publié. Si l’arrivée massive d’œuvres conquises en Italie constitue donc un important défi muséologique pour les conservateurs parisiens, elle aiguillonne aussi, par ricochet, les personnalités impliquées à Weimar, Dresde ou Berlin dans la politique artistique des cours allemandes.
22En témoigne également ce passage, déjà partiellement cité, de l’introduction aux Propylées de Goethe : « Dans quelques années, on pourra donner une description du nouveau corps artistique qui se forme à Paris. On pourra alors indiquer la méthode selon laquelle un artiste et un amateur d’art doivent profiter [nutzen] de la France et de l’Italie. Parallèlement une autre question, importante et belle, reste à débattre : que devraient faire d’autres nations, en particulier l’Allemagne et l’Angleterre, en ce temps de dispersion et de perte, afin de rendre universellement accessibles les trésors artistiques multiples qui se trouvent dispersés chez elles – ceci afin d’agir dans un esprit de véritables citoyens du monde, esprit qui peut-être s’incarne de la manière la plus pure dans le domaine des arts et des sciences ? Ces nations, que devraient-elles faire afin de contribuer à former un corps artistique idéal qui, à la longue, pourrait peut-être nous dédommager avec bonheur de ce que l’instant présent, sinon nous enlève, du moins disperse en menus morceaux ? »67 En 1798, le lancement des Propylées est donc explicitement lié à l’expérience de la perte et du démantèlement du patrimoine romain. Il s’agit désormais d’entretenir en Allemagne la mémoire de ce corps violenté. Il s’agit aussi, et peut-être surtout, d’encourager en Europe la production d’un contre-modèle muséal, cosmopolite, susceptible d’être opposé aux pratiques artistiques de la France – motivées avant tout, elles, par un nationalisme étroit. La question est de toute première importance : que doivent faire les autres nations afin d’assurer l’utilité publique des œuvres dispersées chez elles ? Entre 1796 et 1798, le choc suscité par le démantèlement de Rome est l’occasion pour l’Allemagne classique de (re)formuler, par référence aux pratiques françaises, ses positions sur deux terrains contigus : celui du goût authentique, d’une part, et celui de l’utilisation idéale des œuvres d’art, de l’autre. A mesure toutefois que les trésors saisis en Italie arrivent à Paris et que progresse l’aménagement du Louvre, le désarroi et l’inquiétude initialement manifestés par les milieux éclairés d’Allemagne sont peu à peu éclipsés par la curiosité que suscite l’émergence de ce « nouveau corps artistique ». En fait, les premiers signes d’apaisement sont perceptibles dès le début de l’année 1798.
Nouvelle géographie des arts en Europe
Paris capitale des arts
23Jusqu’à cette date, en effet, aucun avis modéré n’était venu pondérer la désapprobation générale des milieux éclairés d’Allemagne à l’égard de la politique française. En janvier 1798, l’éditeur Johann Friedrich Cotta lance à Stuttgart un nouveau quotidien, alors intitulé Neueste Weltkunde (future Allgemeine Zeitung), dirigé par Ernst Ludwig Posselt et qui compte Böttiger parmi ses collaborateurs. Dès son troisième numéro, le jeune journal indique dans un article consacré à la République cisalpine : « C’est bien volontiers qu’ils [les Italiens] ont sacrifié leurs richesses artistiques pour faire le premier pas dans le sanctuaire de la liberté. »68 Au mois d’avril 1798, Guillaume von Humboldt adresse à Goethe, depuis Paris, une longue lettre entièrement consacrée à l’évolution du « corps artistique » français. Modéré et soucieux d’objectivité, son rapport est essentiel pour bien comprendre cet infléchissement de l’opinion publique allemande, et plus généralement européenne, qui se manifeste à partir de 1798. Après avoir décrit les salles d’exposition du Louvre, et les travaux d’amélioration dont elles bénéficient, Humboldt aborde la question du nombre exact et du titre des tableaux italiens déjà arrivés à Paris, et il joint pour y répondre « les deux catalogues des dessins et tableaux actuellement exposés ». Mais l’objet central de son propos est ailleurs : « La question la plus importante est de savoir si les tableaux arrivés jusqu’à présent ont souffert, ou non, du transport, des manipulations et des restaurations qu’ils ont connues ici. Pour bien y répondre, il faudrait avoir connu ces tableaux auparavant. Quelques personnes sont dans ce cas, et elles répondent par l’affirmative. Mais il est très difficile, ici, d’évaluer dans quelle mesure l’imagination et l’esprit de parti influencent le jugement. Il y a d’ailleurs une coquetterie bien naturelle à toujours dire qu’une chose n’est plus ce qu’elle était lorsqu’on la connaissait autrefois. Avant d’être nettoyée, Sainte Cécile était extrêmement sale et maintenant elle a un peu viré au rouge. On ne peut donc pas entièrement nier les dégâts. Mais je suis loin de croire qu’ils sont aussi importants que certains veulent bien l’affirmer. »69 Et Humboldt ajoute cette phrase déterminante pour l’intelligence des réactions allemandes aux conquêtes artistiques françaises des années suivantes : « Il est certain que, lorsque tout ce qu’on possède ici sera correctement aménagé, cette galerie sera unique au monde et je ne peux pas nier que l’immense rassemblement de tant d’œuvres d’art a quelque chose de très exaltant [erhebend]. Cela me console en partie de la perte subie par l’Italie. »70
24A partir du mois de mai, ces informations apaisantes touchent en Allemagne un vaste lectorat : le nouveau mensuel fondé par Böttiger, London und Paris, informe régulièrement le public éclairé des aménagements entrepris au Louvre, des mesures de nettoyage et de restauration appliquées aux œuvres d’Italie, de leur exposition provisoire dans les salles du Muséum. Le correspondant parisien de la revue est le secrétaire particulier de Millin, l’Alsacien Théophile-Frédéric Winckler, dont les articles sont essentiellement descriptifs et souvent enthousiastes. Quant à Böttiger, si virulent encore en février, il n’intervient plus dans le débat que pour signer en juillet 1798 un article où il annonce que le caractère contradictoire des informations relatives aux saisies l’incite désormais à la prudence.71 En août, c’est au tour du Journal des Luxus und der Moden, pourtant si âprement critique deux ans plus tôt, de saluer la parution en France et la qualité scientifique de la Notice des principaux tableaux recueillis dans la Lombardie, catalogue des premières œuvres de provenance italienne exposées dans le salon carré du Louvre depuis le 6 avril 1798.72 En octobre, le Neuer Teutscher Merkur lui-même ouvre ses pages à des vues modérées : le diplomate Johann Isaak Gerning y envisage avec sérénité l’idée d’aller contempler les métamorphoses artistiques de la « Lutèce gauloise » et Fernow, dans la livraison de novembre, va jusqu’à relativiser l’ampleur des pertes subies par Rome.73 II note, allusion aux couplets chantés pour l’arrivée à Paris des convois italiens : « Apollon et Laocoon sont à Paris, certes, mais – Rome est toujours à Rome ! »
La fête des Arts
25Cette allusion est importante. Preuve du retentissement européen rencontré par la célèbre fête des Arts, donnée les 27 et 28 juillet 1798 en l’honneur des chefs-d’œuvre transalpins, elle permet de mesurer l’impact de cette opération publicitaire sur le public allemand. Le 27 juillet, Guillaume von Humboldt, qui séjourne alors à Paris depuis quelques mois, décrit la manifestation en ces termes : « Cérémonie pour l’entrée des œuvres d’art conquises ainsi que d’autres objets. Un vrai régal pour les yeux. Aussi bien le cortège que la cérémonie sur le Champ-de-Mars. Le cortège fit fort bel effet. […] Il y régnait un très grand ordre » ; aucune réserve ne pondère l’émerveillement.74 Consignées dans un journal à usage personnel, ces remarques acquièrent toute leur importance lorsqu’on se rappelle que Humboldt est à cette époque l’« œil » de Goethe à Paris et, par extension, l’œil des cercles éclairés de Weimar.75 En 1798, par ailleurs, un public allemand plus large est informé de la célébration parisienne : la revue Frankreich de Johann Friedrich Reichardt et Peter Poel publie une version allemande d’un article de la Décade philosophique décrivant la fête ;76 au cours de l’été, le mensuel London und Paris publie pour sa part un gros dossier de vingt-neuf pages consacrées à l’événement, partitions musicales à l’appui (ill. 51-52).77 L’auteur du reportage est Winckler et le récit est organisé en deux volets (première et seconde journée de fête) : le spectacle est décrit en détail plus que commenté, mais Winckler prend aussi position. De manière significative, toutefois, la question du bien-fondé des conquêtes artistiques et de la spoliation de Rome n’est soulevée à aucun moment.
51. « Triumpheinzug der Italischen Kunstwerke in Paris… », in : London und Paris, 1798, 7e pièce, pp. 244-245

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52. Ibid., pl. I et II

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26L’article commence par une note laudative à l’égard de la fête, « la plus belle et la mieux ordonnée de toutes les fêtes nationales », et l’auteur insiste particulièrement sur les soins observés dans la manipulation des œuvres. Il évoque ainsi, par exemple, le sable dont on a couvert le parcours du Champ-de-Mars au Louvre, « pour que les chariots avancent avec toute la douceur possible », et il réplique à ceux qui jugent « petit et mesquin » un défilé de caisses que les conditions météorologiques et les dangers d’accident auraient rendu irresponsable une exposition à l’air libre des chefs-d’œuvre italiens. En cas d’accident, écrit-il, « n’aurait-on pas eu raison de se plaindre, dans l’Europe entière, de la barbarie des Français, capables certes d’enlever les œuvres mais incapables en revanche de les conserver ? »78 L’objectif politique et moral visé par le Directoire semble donc atteint jusque dans la presse allemande : le défilé des œuvres saisies en Italie permet de démontrer que le lien entre la bonne conservation des trésors de l’art et le bon gouvernement est établi.79 Les critiques d’ordre esthétique (le goût, le vrai sens de l’art) et technique (mode d’exposition, conservation, restauration) formulées par l’opinion publique depuis 1796 sont neutralisées et ce n’est pas un hasard si, à ce moment précis, s’élève dans la presse allemande une voix nouvelle et marginale, qui fait glisser la perspective des objets conquis (les œuvres d’art) aux sujets spoliés (les Italiens), de questions esthétiques à une question politique, celle de l’identité des peuples en relation avec leur patrimoine culturel.
Politisation du débat
27« Le vainqueur est-il en droit d’arracher des œuvres d’art et de littérature à un peuple vaincu ? » s’interroge ainsi le philosophe Carl Heinrich Heydenreich (ill. 53) dans le numéro d’août de la revue Deutsche Monatsschrift (Leipzig).80 Son article est sous-titré « Une question de droit international », mais il s’efforce surtout, en cinq pages denses, de cerner (sans le nommer) le concept de patrimoine national. Après avoir défini les objectifs d’une « guerre juste », Heydenreich s’emploie tout au long de l’article à réfuter le discours justificatif français sur les conquêtes artistiques : « On ne peut nier qu’une nation, en convoitant de tels objets pour prix de sa victoire, fait preuve d’un haut degré de culture. Elle semble vouloir dire par là que la guerre, au fond, est contraire à ses sentiments, et qu’elle a été contrainte malgré elle de faire couler du sang, alors qu’en vérité les sciences et les arts lui ont donné les mœurs les plus douces. »81 Pourtant, ajoute Heydenreich, la victoire n’implique pas une réification du vaincu, et le vainqueur n’est pas en droit de s’approprier tout ce que possède sa victime. Les objets d’art et de science, notamment, s’ils ont une valeur numéraire, sont avant tout pour le peuple qui les possède un « moyen de se cultiver ». Arracher au vaincu ses manuscrits, ses livres, ses statues et ses tableaux revient à mépriser les règles élémentaires d’une guerre juste (neutralisation de l’ennemi), c’est faire preuve d’une cruauté inhumaine. Apostrophant le vaincu au nom du vainqueur, Heydenreich profère ainsi ce « verdict barbare » : « Qu’il te soit plus difficile, à l’avenir, de te cultiver ! Que l’on arrache au génie et au goût de tes plus nobles fils les modèles qui pourraient les mener à l’immortalité, que les belles choses de l’art, qui diffusent entre les nations des sentiments aimables et humains, soient soustraites de vos regards à tout jamais ! »82 Heydenreich se démarque de l’idéal cosmopolite alors dominant dans les milieux éclairés, selon lequel les œuvres d’art saisies en Italie appartiennent en fait à l’humanité, pour adopter une perspective plus étroitement nationale, qui préfigure jusque dans le style tous les durcissements et la violence verbale des années 1814 et 1815. A ses yeux, en effet, les œuvres d’art saisies en Italie appartiennent d’abord aux Italiens. S’il qualifie de « crime contre l’humanité » (Verbrechen gegen die Menschheit) la spoliation d’un peuple vaincu, il le fait par référence explicite à la nation : « Je ne puis m’empêcher de qualifier de crime contre l’humanité l’action par laquelle une nation vaincue se trouve dépouillée de ses chefs-d’œuvre artistiques nationaux. » Car au fond, poursuit-il, « ces chefs-d’œuvre n’ont pas de prix pour la nation ; leur véritable valeur ne se laisse pas mesurer ».83 Le vainqueur, en spoliant le vaincu, « pose les jalons d’une haine et d’une vengeance éternelles ; car aussi longtemps que vivra la nation vaincue vivra l’humiliation de la perte ».84 Le paragraphe s’achève sur une vision frappante, qui ne manque pas de rappeler de plus récents outrages : « D’après ces maximes, le vainqueur pourrait tout aussi bien capturer les grands poètes et les grands artistes de la nation vaincue, et les déporter [deportieren] dans son État, ou n’importe où ailleurs. Ce ne serait pas un acte plus tyrannique que la spoliation [Spolierung] des galeries ».85
53. Schnorr von Carolsfeld : Portrait de Carl Heinrich Heydenreich, 1801, gravure, Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Inv. A 9588

Crédits/Source : Herzog August Bibliothek Wolfenbüttel (voir http://portraits.hab.de/werk/9731/bild/)
28Cette prise de position de Heydenreich, qui établit donc un lien ferme entre identité culturelle et humiliation nationale, entre patrimoine et politique, ne suffit pourtant pas à réactiver en Allemagne une polémique anesthésiée par les différentes mesures conservatoires adoptées en France : malgré son intensité verbale, elle ne suscite, semble-t-il, aucun écho direct dans la presse allemande. En 1798, preuve nouvelle de l’apaisement des esprits, le conservateur en chef du musée Fridericianum de Cassel, Ludwig Völkel, présente devant la « Société des antiquités » de sa ville une conférence sur les conquêtes artistiques de l’Antiquité, dont le texte est publié ensuite à Leipzig : le corps de l’étude ne contient pas d’allusion aux pratiques françaises, la préface et l’introduction elles-mêmes se distinguent par une étonnante circonspection. Si Jacob Grimm, dans la notice nécrologique qu’il écrit pour son ami, voit dans l’ouvrage une « prémonition secrète » du sort qui attendait les collections de Cassel, Völkel, pour sa part, se contente prudemment de noter qu’il existe des ressemblances (qu’il n’envisage pas d’analyser) entre les pratiques des Français et celles des Romains.86 Un autre ouvrage consacré au même motif, rédigé à Paris vers la même époque, dédié à Millin et à son homologue allemand Schlichtegroll, affiche la même neutralité circonspecte. L’auteur est Friedrich Karl Ludwig Sickler, archéologue, philologue et futur précepteur des enfants de Guillaume von Humboldt. Il fait certes remarquer que les conquêtes artistiques pratiquées dans l’Antiquité n’ont été d’aucune utilité pour le progrès des arts, mais il précise que le rôle de l’historien (le sien, donc) n’est pas déjuger si les spoliations de biens culturels sont dignes d’une civilisation policée et de l’époque contemporaine.87
Libre jouissance
29La dépouille de Rome par les Français perd donc de son actualité médiatique, en Allemagne, après l’été 1798 et la tendance critique jusqu’alors dominante s’inverse progressivement. En janvier 1801, la très importante Allgemeine Literatur-Zeitung d’Iéna (alz) consacre un long article à l’ouverture du musée des Antiques, inauguré à Paris en novembre 1800.88 Le texte n’est pas signé, mais l’aisance du propos trahit une plume compétente. Très symboliquement, l’article est placé en exergue du premier numéro du xixe siècle. Il est illustré d’un plan du musée, reproduit en regard de la page de titre, qui indique l’emplacement de chacune des statues mentionnées dans la recension (ill. 54). Celle-ci s’articule en deux parties : introduction, puis, sur deux colonnes aux caractères serrés, description méthodique de toutes les statues exposées. La question de la spoliation de Rome par la France est esquivée dès la première phrase : « Ce n’est pas ici le lieu, note l’auteur, de réactiver une polémique décriée, et d’essayer de se prononcer en dernière instance sur une controverse que seul le plus haut des tribunaux, le tribunal du temps, est capable de juger. »89 Si plusieurs érudits européens en effet, poursuit l’auteur dans cet article qui mériterait de larges citations, ont été révulsés par la spoliation de Rome, s’ils ont publié des anecdotes haineuses sur « l’ignominieuse ignorance et l’incommensurable rapacité des autorités françaises »,90 on peut néanmoins oser l’hypothèse, dans une perspective cosmopolite, que l’humanité a gagné au transfert. Aux yeux de l’auteur, les chefs-d’œuvre italiens sont tombés entre les mains de « la nation qui, fût-ce par vanité ou par ostentation, est capable de les exposer avec le plus d’élégance, de les conserver de la manière la plus sûre, et de leur conférer la plus grande utilité publique ».91 Car il ne faut pas perdre de vue, ajoute-t-il, que les monuments de Fart et les vestiges de l’Antiquité appartiennent à l’humanité entière, et que leurs propriétaires successifs n’en sont que les gardiens. Or les Français sont de bons gardiens : « les soins apportés par les commissaires français dans l’emballage et l’expédition des œuvres », « l’accueil triomphal qui leur a été réservé à Paris » et « les dispositions judicieuses qui accompagnent leur exposition et leur diffusion publique » ne permettent pas de douter que « les dirigeants passés et présents de la République ont toujours pris au sérieux leurs obligations à l’égard de ces trésors, […] auxquels ils garantissent toute l’invulnérabilité, la sécurité et la publicité possibles ».92
54. Allgemeine Literatur-Zeitung vom Jahre 1801, t. I, 1801, p. 1

Crédits/Source : Berlin, Staatsbibliothek, Preußischer Kulturbesitz
30L’éloge ainsi amorcé se déploie sur quatre pages et constitue, en quelque sorte, l’acte final d’un débat lancé cinq ans plus tôt. Au mois d’avril 1801, certes, une jeune revue berlinoise intitulée Eunomia s’insurge contre l’Allgemeine Literatur-Zeitung. Signé « H. », l’article est dû à l’archéologue berlinois Aloys Hirt,93 dont l’engagement ne fait que confirmer le retournement intervenu dans une large frange de l’opinion publique allemande :94 en 1801, l’auteur en est conscient, fustiger le propos enthousiaste de l’alz revient à donner un coup d’épée dans l’eau. Hirt le souligne dès l’introduction : son adversaire « jouit d’une publicité et d’une autorité générales bien supérieures à celles de tous les autres journaux ».95 Et lorsqu’on 1803 Friedrich Schlegel, installé à Paris depuis l’été 1802, publie dans Europa ses Nouvelles des tableaux de Paris,96 qui concernent surtout les tableaux confisqués en Italie, il ne formule aucune critique franche envers le transfert massif d’œuvres d’art en France.
31En l’espace de cinq ans, la polémique suscitée en Allemagne par les conquêtes artistiques du Directoire en Italie a donc subi une importante évolution. Meurtrie par la dislocation du corps artistique romain et violemment critique à l’égard de la politique française d’appropriation, l’opinion publique allemande, surtout à Weimar, a fini par s’accommoder de la nouvelle donne artistique et culturelle européenne. De manière significative, entre l’annonce des premières saisies pratiquées en Lombardie et celle de l’ouverture à Paris du musée des Antiques, le débat allemand glisse progressivement de questions d’ordre esthétique et culturel à des considérations plus précisément techniques. C’est au cours de l’année 1798, ponctuée par l’adoption de mesures de conservation et marquée par cette opération politique réussie qu’est la fête de thermidor an VI, que se dessine, on l’a vu, l’infléchissement de l’opinion publique allemande. A Weimar, le jour même de cette fête, le philosophe Herder écrit à Millin une lettre que Böttiger est prié de lui transmettre : « Quelle chance vous avez de vivre dans le lieu où confluent tous les moyens nécessaires à l’érudition et à l’étude des beaux-arts, et qui sera peut-être un jour le centre de tous les réseaux d’idées que produit notre continent. Et d’y vivre au poste que vous occupez. Conservateur du musée des antiques, certes, mais pas seulement ; je suis tenté de dire : gardien du grand et bon goût des Anciens précisément à une époque où tant de choses se mettent en place pour la postérité : voilà une position exceptionnelle dans l’histoire de l’esprit humain. »97
32A partir de la fin du Directoire, et surtout dans le contexte européen de paix générale sous le Consulat (qui joue un rôle essentiel dans l’apaisement du débat), le flux de voyageurs allemands attirés par ce qui est désormais perçu comme la capitale mondiale des arts et de l’érudition ne cesse de grossir.98 Parmi les temps forts du séjour parisien, entre Jardin des Plantes et Bibliothèque nationale, la visite au Louvre est l’une des expériences les plus frappantes et l’on pourrait multiplier les extraits de lettres, de journaux intimes ou de récits de voyage témoignant de l’effet produit par l’établissement.99 Tous les voyageurs – artistes, amateurs d’art ou simples curieux – qui visitent le Louvre le soulignent : au-delà de la qualité des œuvres exposées, l’absolue nouveauté réside dans la libéralité des conditions de visite et d’accès aux collections. Pour reprendre la formule de Dominique Poulot, c’est bien « l’éthique de la libre jouissance »100 qui ravit – ou plus rarement exaspère – ces Allemands de passage, et qui permet certainement d’expliquer en partie la retenue des cercles éclairés lorsque, à partir de 1800, les « conquêtes artistiques » françaises affectent les galeries et les bibliothèques de Faire germanique.
Propagande, censure, autoflagellation
33Alors que le traumatisme causé par le démantèlement du patrimoine artistique romain reste lisible plusieurs années après les événements – en 1803, la Danoise Friederike Brun rapporte d’une visite à la villa Albani de Rome que le « temple de Winckelmann » a été grossièrement saccagé par le « peuple le plus cultivé du monde (comme l’appellent ceux qui veulent le flatter, ces démagogues de toutes nationalités) »101 –, le ponctionnement des collections de peintures de l’électeur de Bavière, en revanche, celui des bibliothèques de Salzbourg et de Munich, les confiscations opérées à Nuremberg, les saisies massives de manuscrits et d’incunables précieux dans les départements fraîchement annexés, ne mobilisent pas les esprits. C’est à peine si le Neuer Teutscher Merkur publie en mars 1801 une lettre adressée de Nuremberg, où sont rapidement évoqués les « pillages artistiques » commis dans la ville.102 Sous le Consulat, certes, les œuvres d’art choisies par les commissaires français sont jugées de qualité médiocre (mission Neveu) ou sont extraites de fonds ecclésiastiques peu connus (mission Maugérard). Et pourtant, sous l’Empire, lorsque les « conquêtes artistiques » se portent sur les prestigieuses collections de Cassel, bien connues des voyageurs, sur celles de Brunswick ou de Berlin, lorsqu’elles menacent en outre la célébrissime galerie de Dresde, la discrétion de ceux-là mêmes qui s’étaient insurgés contre la dislocation du corps artistique italien demeure frappante. Ni le sommaire de la revue London und Paris pour les années 1806-1807, ni celui du Neuer Teutscher Merkur, ni celui du Journal des Luxus und der Moden ou encore de Minerva ne mentionnent la parution d’articles consacrés au passage de Vivant Denon dans les galeries d’Allemagne du Nord. A ma connaissance, seul le Morgenblatt für gebildete Stände, dont le premier numéro paraît chez Cotta à Stuttgart en janvier 1807, et qui compte Böttiger parmi ses collaborateurs, évoque l’affaire à plusieurs reprises.
Propagande et censure
34La discrétion observée par la presse est évidemment liée à la politique de propagande et de censure pratiquée par l’occupant français dans les régions soumises. Propagande, d’une part, destinée à prévenir les animosités : lorsque, à l’automne 1800, François-Marie Neveu écume les régions d’Allemagne méridionale, un quotidien local annonce que « la région est parcourue par les hérauts de la pacifique science, non pour exiger brutalement des trésors érudits, comme on a pu l’entendre ici ou là, mais pour échanger ceux qui seraient conservés ici en double ou triple exemplaire contre d’autres trésors conservés à Paris ».103 Censure, d’autre part, qui sous l’Empire affecte surtout la presse quotidienne,104 mais qui se double d’un mouvement d’autocensure plus général. Sans doute commun à toutes les villes allemandes occupées pendant l’hiver 1806-1807, le phénomène est attesté dans le cas précis des saisies opérées à Cassel : « L’emballage eut lieu aux yeux de tous, et pourtant le journaliste de la ville eut l’audace d’écrire que le musée était resté intact », note rétrospectivement le directeur du Fridericianum, qui cite l’article incriminé (« Notre musée est demeuré intact, notre galerie a conservé plusieurs de ses beaux tableaux »),105 Provenant de la même ville de Cassel, une correspondance publiée par le Morgenblatt au printemps 1807 permet en outre d’apprécier la prudence des auteurs qui abordent la question : « Quelques mots seulement à propos du passage dans cette ville du célèbre Denon : nous aurions évidemment préféré qu’il vienne en spectateur de nos trésors artistiques. Mais l’objet de sa visite n’a pas empêché l’auteur impartial [de cette correspondance] de faire connaissance avec cet homme célèbre et très aimable. Je l’ai souvent accompagné lors de ses visites dans la galerie ; son comportement humain éveille un sentiment de respect pour son caractère. La charade suivante, formée sur son nom, est attribuée à une dame espiègle : Mon premier est le désespoir des aiguilles, Mon second est le désespoir des questionneurs, Et mon tout le désespoir des savantsI. »106
35Entre désespoir, respect et dames espiègles, les prises de position de la presse allemande, lorsque prise de position il y a, trahissent une extrême retenue au moment des saisies et restent allusives quant aux effets, ou aux méfaits, de l’opération en termes de culture ou de progrès des arts. Quelques mois plus tard, cependant, l’ouverture à Paris de l’exposition des œuvres conquises en Allemagne soulève une nouvelle fois la question du musée, de sa destination et de son utilité publique. Mais, tandis qu’en 1800 les enjeux du débat portaient sur le patrimoine démantelé d’un pays tiers, l’Italie, ils sont désormais chargés du poids de l’expérience directe. A cet égard, le compte rendu que le Morgenblatt donne de l’exposition d’octobre 1807 est un bon test pour éprouver la résistance des arguments muséographiques (les œuvres sont bien conservées à Paris) face à l’agresseur.
36En fait, la question affleure dès le mois de janvier 1807. Alors que le premier convoi d’œuvres d’art saisies par Vivant Denon a quitté Berlin quelques semaines plus tôt, le Morgenblatt publie le 8 janvier un long article intitulé : « Vente de moulages d’antiques à Paris », qui s’ouvre sur l’évocation de ce que l’auteur appelle la « grande décimation » d’œuvres d’art subie par plusieurs pays européens.107 Quoi qu’on en dise, écrit-il, ces œuvres sont « tombées entre de bonnes mains », et « non seulement la France, mais encore tout le continent » tirent avantage de la libéralité dont témoigne le gouvernement français à l’égard des visiteurs. Le motif de la libre jouissance et celui de la concentration d’œuvres autrefois dispersées en Europe sont à nouveau déclinés ici, doublés d’une note insistante sur le caractère désintéressé de la politique française qui, selon l’auteur, favorise ouvertement les étrangers : « Aux visiteurs, le seul mot “étranger” ouvre les portes du musée tous les jours […] à dix heures, et elles se referment seulement à quatre heures du soir ; tandis que les visiteurs français non artistes, eux, doivent se contenter de deux jours de visite par semaine (samedi et dimanche). »108 Par ailleurs, précise l’auteur, la vente par correspondance de catalogues et de moulages d’antiques prouve elle aussi combien la France est soucieuse de servir l’Europe entière, et non d’étroits intérêts nationaux. Déjà éprouvés, ces arguments acquièrent une tonalité particulière lorsqu’ils sont utilisés plus explicitement pour commenter l’exposition à Paris des œuvres saisies sur le territoire allemand.
37Dans son numéro du 2 novembre 1807, le Morgenblatt explique ainsi que « les sentiments mélancoliques du visiteur allemand, lorsqu’il contemple ces spolia opima pris sur sa patrie, ne peuvent s’apaiser qu’à l’idée cosmopolite selon laquelle les œuvres de l’art, comme les découvertes des savants, ne se limitent pas au territoire étriqué d’une nation, mais appartiennent à l’Humanité entière ».109 Glissement remarquable : l’idéal cosmopolite, qui jusqu’alors avait servi en Allemagne à critiquer la politique française d’appropriation en Italie, est mobilisé ici pour rendre supportable le démantèlement par la France des collections d’Allemagne du Nord, leur transfert et leur exposition à Paris. Et le Morgenblatt poursuit en soulignant que « le destin des arts a toujours été de défendre la gloire de la patrie dans le pays des vainqueurs, et parfois même de la fonder ».110 La torsion rhétorique que subit l’idéal cosmopolite, et la tension mal maîtrisée qui en découle (les arts au service de la patrie), en disent long sur les flottements qui traversent le discours allemand sur les saisies de 1806 et 1807 – flottements que l’on voudrait s’expliquer par le seul effet de la censure, mais dont on trouve l’empreinte dans les correspondances, journaux intimes et autres documents à usage confidentiel contemporains aux saisies.
« Nous n’étions pas dignes de telles richesses… »
38Le 4 décembre 1806, le haut fonctionnaire Friedrich August von Staegemann informe sa femme des saisies que Denon est en train d’opérer dans la capitale du royaume de Prusse en évoquant la publicité nouvelle dont les œuvres jouiront à Paris : « Les œuvres d’art que tu n’as pas déjà vues à Berlin, Potsdam et Sans-Souci, tu pourras désormais les voir à Paris. »111 Au printemps suivant, quelques jours après l’expédition en France du dernier convoi d’œuvres confisquées en Prusse, Goethe prie son ami le compositeur berlinois Karl Friedrich Zelter de lui adresser la liste des œuvres choisies par Vivant Denon et justifie sa demande en expliquant que « si l’on sait où elles sont conservées, ces œuvres ne sont pas perdues pour nous ».112 Une semaine plus tôt, Zelter avait envoyé à Goethe une lettre qui fournit de précieux indices complémentaires pour comprendre les réactions allemandes – ou plutôt l’absence de réactions marquées – lors de ces confiscations de 1806 et 1807 : après s’être consolé des pertes subies par Berlin en adoptant lui aussi une perspective cosmopolite (« Ce qui est bon appartient au monde entier, quel que soit le lieu où cela se trouve »), Zelter ajoute cette remarque importante : « Nous n’étions pas dignes de ces belles choses. L’acquisition et la conservation sont deux choses en une, et lorsqu’on n’est pas capable de l’une, on n’est pas capable de l’autre. Nos artistes, qui pour la plupart se plaignent de ce que leurs œuvres n’aient pas été confisquées elles aussi, et qui se consoleraient de tout s’ils continuaient de toucher leurs pensions, sont bien punis d’avoir négligé Albrecht Dürer et Lucas Cranach. »113 Derrière l’autocritique formulée ici, qui s’inscrit dans le cadre plus général d’un syndrome de défaite (« Nous n’étions pas dignes de ces belles choses »), l’image des artistes berlinois déçus de ne pas avoir attiré l’attention du directeur général des musées de France, et l’accusation de négligence à l’égard des maîtres allemands anciens trahissent une hésitation profonde des esprits éclairés, qui ne savent pas encore vraiment de quelle nature sont les objets qu’ils veulent ou doivent défendre.
39Par ailleurs, il semble que l’énergie des érudits, artistes et amateurs d’art – de ces groupes, donc, qui s’étaient émus des saisies pratiquées en Italie et qui mobiliseront l’opinion publique lors des restitutions de 1815 – ait été absorbée, à l’hiver 1806-1807, par le désir de nouer des liens privilégiés avec Vivant Denon. La lettre de Zelter le suggère, et le journal intime du sculpteur berlinois Johann Gottfried Schadow le confirme : « Monsieur Denon était devenu la figure vers laquelle les artistes et leur suite tournaient continuellement les yeux, et il se vit bientôt assailli par ces derniers. »114 Rapidement lié d’amitié avec le directeur du musée Napoléon, qui fait expédier plusieurs de ses œuvres à Paris, Schadow est aussi l’un des correspondants berlinois du Neuer Teutscher Merkur, l’ami de Carl August Böttiger et le recteur de l’Académie des beaux-arts de Berlin. On s’étonne à peine, dans ces conditions, qu’à l’hiver 1806-1807 le Neuer Teutscher Merkur reste muet sur les saisies pratiquées à Berlin, mais qu’il rapporte en revanche, sous la plume anonyme de Schadow, les compliments que Denon a faits d’une statue réalisée par le sculpteur. Ou qu’à la même époque Böttiger, auquel Schadow a vivement conseillé de rencontrer Denon (c’est « l’un des phénomènes les plus vivants de notre époque, et l’on aurait tort de le laisser filer sans l’avoir vu »), prend soin de saluer la libéralité du musée Napoléon et l’exceptionnel travail muséographique accompli par son directeur dans la version imprimée d’un cours « sur les musées et galeries d’antiques » qu’il prononce à Dresde en janvier 1807.115
40Au-delà toutefois de cette constellation individuelle, qui soulève une nouvelle fois l’ample question de la collaboration avec l’occupant français, se profile une autre zone de flou, due à la nature même des œuvres saisies. Le spectre des objets visés par Vivant Denon est vaste : il embrasse à la fois des statues antiques acquises par les cours allemandes au xviiie siècle, des tableaux achetés en Italie ou aux Pays-Bas, ainsi que, dans une moindre mesure, ces œuvres de l’école allemande des xve et xvie siècles parfois présentes depuis le début du xviie dans les collections dépouillées. Dans le cas des saisies pratiquées en Italie, la formulation de critiques à l’égard de la politique d’appropriation française était relativement aisée : il s’agissait de condamner la dislocation d’un corps historiquement et géographiquement intègre, de condamner la séparation violente d’une école artistique et de l’aire géographique où elle avait germé, de souligner avec force l’importance du contexte pour la compréhension des œuvres d’art. Dans le cas des saisies pratiquées en Allemagne, l’argumentation est plus délicate : l’origine géographique des œuvres et l’histoire des collections dépouillées ôtent toute efficacité au discours sur l’enracinement et l’osmose des œuvres d’art dans leur contexte, discours que l’on ne peut guère appliquer, à Berlin, Cassel ou Brunswick, qu’aux produits de l’école allemande ancienne : Dürer, Cranach, Altdorfer, etc. Or, en dépit de l’attention accrue dont ils jouissent depuis quelques années, ces peintres restent des valeurs marginales dans l’Allemagne de 1806. Zelter déplore que les maîtres anciens aient été négligés par les amateurs d’art et les peintres allemands, mais ce n’est pas un hasard si la seule tentative énergique mise en œuvre, à l’automne 1806, pour dissuader Napoléon d’expédier en France les œuvres choisies à Berlin et Potsdam a pour objet la collection d’antiques du roi de Prusse : la situation de crise créée par la présence de Denon en Allemagne, et les démarches qu’elle induit ou qu’elle n’induit pas, offrent une vue précieuse et comme instantanée du paysage culturel allemand à une époque où l’engouement pour les traditions artistiques nationales, qui ne fait ici que poindre, n’est pas encore entré en collision avec l’idéal classique et cosmopolite.
Vaines suppliques
41En novembre 1806, l’une après l’autre et semble-t-il sans concertation préalable, l’Académie des beaux-arts et l’Académie de sciences de Berlin adressent à Napoléon une pétition destinée à infléchir la politique de confiscations engagée dans les résidences et galeries du roi de Prusse. Schadow évoque dans ses mémoires la « supplique à l’empereur » écrite par son corps, remise à Napoléon le 13 novembre 1806.116 La députation est bien reçue, mais la démarche est vaine : Vivant Denon en informe oralement Schadow à l’occasion d’une visite amicale qu’il lui fait « trois jours plus tard ». Et quelques jours passent encore avant que Schadow ne vende au directeur du Louvre, le 21 novembre 1806, ce tableau allemand du xve siècle dont il a déjà été question (voir tome II, n° 570), issu de sa propre collection et attribué alors à Martin Schongauer. On le voit : le statut des primitifs allemands n’est manifestement pas encore celui qu’ils auront huit ans plus tard, lorsqu’en 1815 le même Schadow leur réserve la place centrale dans l’exposition berlinoise des œuvres « reconquises » en France. Coïncidence riche de sens : le lendemain même de cette transaction privée, le 22 novembre 1806, l’Académie des sciences de Berlin se mobilise à son tour pour tenter de préserver d’un transfert à Paris les collections d’antiques du roi de Prusse. La démarche est énergique ; c’est Aloys Hirt, impliqué six ans plus tôt dans les débats sur les saisies italiennes, qui en prend l’initiative et c’est lui qui rédige le brouillon d’une pétition à l’empereur. Ce brouillon a été conservé avec une série de documents permettant de reconstituer les discussions internes qui conduisent à la rédaction du texte définitif.117 Le dossier ainsi formé fait apparaître les flottements du discours et le poids des rivalités internes qui freinent les opérations, d’une part, et d’autre part l’enjeu culturel qu’il y a, pour l’Allemagne de 1806, à vouloir retenir ces collections d’antiques « que l’Académie, et surtout la section qui cultive les antiquités et l’histoire, regarde avec raison comme des objets de la plus haute importance pour ce pays ».118
42« Plusieurs membres de l’académie », indique en français le compte rendu de la réunion spontanée du 22 novembre 1806, « sont restés ensemble après la séance de jeudi et ont décidé de tenter une démarche auprès de l’empereur pour tâcher de sauver les collections relatives à l’Antiquité et aux beaux-arts, du moins en partie ».119 C’est Hirt, on l’a vu, qui dresse la minute de la requête à laquelle le directeur de l’Académie, Castillon, apporte de légers changements syntaxiques. Alexandre von Humboldt, qui est alors en relation presque quotidienne avec Vivant Denon, se propose quant à lui « de prendre langue pour savoir s’il vaut mieux remettre tout simplement la lettre ou s’il faut charger une députation de la remettre à l’Empereur lui-même ».120 Le texte de la pétition, deux pages manuscrites, s’ouvre sur une référence attendue aux prestigieux fondateurs de l’institution, « le célèbre Leibniz » et « le grand Frédéric », auquel s’adjoint un peu plus tard « le grand électeur », dont l’œuvre et le rayonnement conduisent tout naturellement à ce « héros » contemporain qu’on cherche à infléchir : « Nous osons implorer la Clémence de Votre Majesté imp. et royale, pour la conservation de cette collection. Deux héros, l’un du 17ème, l’autre du 18ème siècle, nous l’ont donnée ; que le héros du 19ème l’immortalise dans nos fastes littéraires et artistiques, en nous la conservant ! »121 Ces sucreries rhétoriques, doublées d’une flatteuse et stratégique comparaison entre la collection d’antiques parisienne (« Elle est composée des premiers chefs-d’œuvre de l’univers ») et celle du roi de Prusse dont on minimise soigneusement la valeur (« Nous n’avons ici que des ouvrages médiocres »), débouchent sur la formulation d’une comparaison curieuse, où Napoléon est « comme un millionnaire qui ne sçaurait aggrandir ses richesses, en y ajoutant la faible fortune d’un bourgeois petit particulier » (c’est Castillon qui rature).122
43Derrière l’écran de ces précautions oratoires se profile bien l’idéal esthétique et culturel qui continue d’animer l’Allemagne lettrée : profession de foi cosmopolite et rappel des vertus scientifiques de l’échange : « Jusqu’ici a existé une utile rivalité pour les progrès des sciences parmi les savans de l’Italie, de la France, et de l’Allemagne » ;123 référence pieuse à Winckelmann et rappel discret de la primauté allemande en matière d’archéologie européenne : « C’est à la faible lueur de ces monumens [conservés à Berlin] que furent réveillés les génies de Spanheim et de Winckelmann, lesquels, sortis de ces sables arides, ont porté le flambeau de la vraie science archéologique dans toute l’Europe » ;124 formulation explicite de l’idéal classique, qui puise dans l’Antiquité sa ligne de conduite esthétique contemporaine : « … progrès susceptibles de nous rapprocher des connaissances du sublime et du beau, dont les anciens nous ont laissé de si grands exemples dans leurs débris ».125 Comme en 1796, lors du démantèlement des collections romaines, le démantèlement des collections berlinoises de 1806 suscite un mouvement d’identification avec les statues antiques qui s’apprêtent à quitter la ville, et c’est sur l’image de l’Orant de Berlin (voir tome II, n° 36) que s’achève la requête adressée à Napoléon : « Le seul monument de la collection qui pourroit mériter l’honneur d’un trophée, c’est le beau génie en bronze, l’image d’un adorans : il élève les yeux et les mains comme pour implorer l’âme grande et généreuse du vainqueur. Ce beau bronze représente si bien l’état du suppliant, et peint si bien notre situation que nous ne sçaurions rien ajouter pour exprimer plus vivement et plus profondément et nos prières et nos espérances. »126
44Ainsi rédigée le 22 novembre 1806, la requête destinée à Napoléon est adressée pour signature à plusieurs membres de l’Académie, mais sa circulation interne est rapidement bloquée : bloquée pour des raisons de forme (« Nous commençâmes à douter […] si la lettre était assez proprement transcrite pour être présentée à l’empereur »), mais aussi pour des raisons de langue, comme en témoigne cette note manuscrite et aigre du directeur de l’Académie : « L’honneur d’un trophée n’est pas français, & je doute beaucoup qu’un Français saisisse ce que Monsieur Hirt veut exprimer par cette expression : les honneurs du trophée vaudrait beaucoup mieux & est autorisé par l’usage, vu que l’on dit très-bien les honneurs du triomphe, les honneurs de la guerre. Je propose donc les honneurs du trophée. Si cependant Monsieur Hirt, regardant tout ceci comme des subtilités de puriste, préfère la première expression telle quelle, je le prie de la rétablir dans l’original & dans la copie, & d’envoyer ensuite le tout, pour abréger, a Monsieur Hentzel, quoique j’avoue qu’il me paraîtrait un peu honteux qu’une Académie, dont la langue essentielle est la française, ne sut pas s’exprimer correctement en cette langue. »127 Il existe donc à Berlin, en 1806 et 1807, des énergies peu enclines à contrer la situation imposée par le vainqueur au vaincu. C’est aussi le sens d’une remarque consignée dans son journal intime par la fille du pasteur Jean Henry, en date du 6 novembre 1806 : « Aujourd’hui, toute la Kunstkammer a été vidée et emballée, y compris la carte en relief de la Suisse, les vases étrusques, bref tout. Ils sont insatiables, ces Français, surtout M. Denon. L’Académie avait reproché à Maman de ne pas l’avoir informée de la visite que Denon nous a faite,128 du coup elle est allée à l’Académie cet après-midi pour informer M. de Castillone [sic] de ce pillage. “C’est bon à savoir, dit-il, afin que nous puissions prendre nos mesures. Mais il faut rester calme et se soumettre [Aber man muß ruhig bleiben, und sich darin ergeben].” Ce sont donc là les mesures qu’il entend prendre ! »129 L’attitude affichée par la direction de l’Académie des sciences est en parfaite conformité avec le célèbre appel lancé par le gouverneur de Berlin au lendemain de la défaite d’Iéna et Auerstedt : « Ruhe ist die erste Bürgerpflicht » (« Le calme est le premier devoir du citoyen »). Lorsque le 24 novembre la requête formulée par l’Académie des sciences est enfin prête à être remise à Napoléon, l’Empereur a quitté Berlin.
45Au cours des mois suivants, la question des conquêtes artistiques perd progressivement son actualité en Allemagne. Les progrès de la Grande Armée portent les pas et les regards de Denon vers l’Espagne, l’Autriche et l’Italie. Le motif des saisies d’œuvres d’art ne recommence à occuper véritablement les esprits qu’en 1814, lorsque la perspective d’une éventuelle occupation de Paris laisse envisager de possibles réclamations. Par son ampleur et son intensité, la discussion qui s’engage alors dans l’opinion publique et la presse allemandes, où elle demeure vive jusqu’à la fin de l’année 1815, forme un pendant aux débats suscités vingt ans plus tôt par le démantèlement du patrimoine artistique italien. Mais en 1814 et 1815, dans le contexte militaire et rhétorique des guerres antinapoléoniennes, les paradigmes du débat, sa géographie, ses acteurs et ses enjeux ont subi d’importantes métamorphoses. Alors qu’entre 1796 et 1798 la question des conquêtes artistiques françaises avait été l’occasion pour l’Allemagne classique de formuler avec force ses idéaux cosmopolites et son attachement à l’Antiquité hellène, l’Allemagne de 1815 y trouve matière à affirmer son identité artistique et littéraire proprement allemande, et à poser les fondements d’une définition nationale du patrimoine culturel.
Notes de bas de page
I En français dans le texte. Solution : Dé-Non.
Notes de fin
1 Chézy 1858, t. I, p. 351 : « Das Jüngste Gericht war eben im Museum aufgestellt, die Oliviers führten mich hin ; Ferdinand jubelte mit feuchten Augen, seine mühsam zerdrückten Tränen galten dem Raub an Deutschland, der Jubel dem Anblick des alten Meisterwerks. »
2 Hansen 1931, t. III, p. 479.
3 Pour une vue d’ensemble efficace et rapide des sujets abordés par la presse de langue allemande entre 1794 et 1800, voir Klaus Schmidt (éd.) : Index deutschsprachiger Zeitschriften 1750-1850, Hildesheim 1997 ; Thomas C. Starnes : Der Deutsche Merkur. Ein Repertorium, Sigmaringen 1994.
4 Pommier 1991, p. 239.
5 Voir Edouard Pommier : « La fête de thermidor an VI », in : Fêtes et Révolution, cat. exp., Dijon, Musée des beaux-arts, Dijon 1989, pp. 196-200 ; version allemande augmentée in : Antoine Quatremère de Quincy : « Ueber den nachtheiligen Einfluß der Versetzung der Monumente aus Italien auf Künste und Wissenschaften (1796) », Édouard Pommier (éd.), Schriften der Winckelmann-Gesellschaft, t. XVI, Stendal 1998, pp. 81-84 ; Élisabeth Décultot : « Le cosmopolitisme en question. Goethe face aux saisies françaises d’œuvres d’art sous la Révolution et l’Empire », in : Goethe cosmopolite, Revue germanique internationale, 1999, n° 12, pp. 161-175.
6 Antoine Quatremère de Quincy : Lettres à Miranda sur le déplacement des monuments de l’art de l’Italie, Edouard Pommier (éd.), Paris 1989, lettre I, p. 88.
7 Contre-pétition du 3 octobre 1796. Le texte est réédité en appendice de Quatremère de Quincy 1989, pp. 143-146.
8 Voir Décultot 1999, en particulier pp. 169-171.
9 Voir Künstlerleben in Rom. Berthel Thorvaldsen (1770-1844). Der dänische Bildhauer und seine deutschen Freunde, cat. exp., Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg 1991. En mai 1796, pour ne citer que quelques noms, vivent en Italie les peintres allemands Friedrich Müller (1749-1825), installé à Rome depuis 1778, Angelika Kauffmann (1741-1807), Romaine depuis 1782, Johann Heinrich Wilhelm Tischbein (1751-1829), qui revient à Rome en 1783, Philipp Hackert (1737-1807), Napolitain d’adoption depuis 1786, Asmus Jacob Carstens (1754-1798), installé à Rome depuis 1792, son ami Joseph Anton Koch (1768-1839), arrivé trois ans plus tard. Outre ces artistes d’origine allemande, la ville pontificale accueille plusieurs érudits étroitement impliqués, après leur retour en Allemagne, dans l’élaboration théorique de l’idéal classique : l’archéologue Aloys Hirt, déjà rencontré, qui est installé à Rome depuis 1782 et quitte la ville à la fin du mois de mai 1796 pour rejoindre l’Académie des sciences de Berlin, où il est chargé de la conservation des collections d’antiques ; Heinrich Meyer (1760-1832), ami de Goethe, peintre et historien de l’art, qui séjourne à Rome entre 1795 et 1797 avant de retourner à Weimar.
10 Carl Ludwig Fernow : Römische Briefe, Herbert von Einem et Rudolf Pohrt (éd.), Berlin 1944.
11 Lettre de Caroline Herder à Carl August Böttiger, Weimar, début mai 1797, in : Johann Gottfried Herder : Gesammelte Briefe, Gesamtausgabe, Karl-Heinz Hahn (éd.), 10 t., Weimar 1977-1996, t. VII, 1982, p. 469 : « Verzeihen Sie es, daß Fernovs Brief so spät zurück kommt. Interessante Nachrichten aus Italien müssen im Chor der Familie am Tisch gelesen werden […]. Ach wie muß es den Künstlern in Italien zu Muthe seyn bei dem Einsargen ! »
12 Voir Marie-Louise Blumer : « La commission pour la recherche des objets de sciences et arts en Italie (1796-1797) », in : La Révolution française, t. LXXXVII, 1934, pp. 62-88, 124-150 et 222-259.
13 Fernow 1944, p. 80 : « Hier geht das Gerücht, die Franzosen hätten neulich in Parma den schönen Correggio nebst einigen andern Bildern einpacken lassen und bereits nach Frankreich abgesandt, ob es wahr ist, kann ich aber nicht gewiß sagen. »
14 Friedrich Schiller : Werke, Nationalausgabe, 38 t., Weimar 1943-[1998], t. 37, II, 1976, p. 221.
15 Goethes Briefwechsel mit Heinrich Meyer, Max Hecker (éd.), Schriften der Goethe-Gesellschaft, XXXII, t. 1, Weimar 1917, p. 267.
16 Europäische Annalen, n° 6, juin 1796, p. 261.
17 Voir Rolf Reichardt : « Die Révolution in Verdeutschungen französischer Revolutionsschriften 1789-1799 », in : Transferts. Les relations interculturelles dans l’espace franco-allemand (xviiie-xixe siècle), Michel Espagne et Michael Werner (éd.), Paris 1988, pp. 273-326 ; Hans-Jürgen Lüsebrink, René Nohr et Rolf Reichardt : « Kulturtransfer im Epochenumbruch – Entwicklung und Inhalte der französisch-deutschen Übersetzungsbibliothek 1770-1815 », in : Kulturtransfer im Epochenumbruch Frankreich-Deutschland 1770 bis 1815, Hans-Jürgen Lüsebrink et Rolf Reichardt (éd.), Leipzig 1997, pp. 29-86.
18 Sur le rôle joué par la revue Minerva dans le transfert d’informations de France en Allemagne pendant la Révolution française, voir Reichardt 1988, p. 280.
19 Voir Ernst Friedrich Sondermann : Karl August Böttiger, literarischer Journalist der Goethezeit in Weimar (Mitteilungen zur Theatergeschichte der Goethezeit, n° 7), Bonn 1983.
20 Minerva, août 1796, pp. 201-208.
21 Minerva, septembre 1796, pp. 500-504.
22 Minerva, octobre 1796, pp. 87-120 et novembre 1796, pp. 271-309.
23 Article de Joachim Lebreton, Minerva, 1796, p. 466 ; contre-pétition des artistes favorables aux saisies, ibid., 1796, p. 476 ; article de Pierre Louis Roederer, ibid., 1797, p. 126 ; lettre de Thouin sur l’envoi des chariots d’Italie, ibid., 1797, pp. 447-453 ; rapport des commissaires français sur les conditions de transport, ibid., pp. 429-447 ; liste des œuvres cédées par le pape en vertu du traité de Tolentino, ibid. 1798, pp. 77-86, p. 476 (traduction de la contre-pétition).
24 La parution de ces articles est ponctuée, dans la presse allemande, par la publication parfois commentée des listes d’œuvres confisquées en Italie : Europäische Annalen, 6e pièce, juin 1796, p. 261-262 et 11e pièce, novembre 1796, pp. 236-240 ; Politisches Journal, II, 1796, pp. 1012-1014 ; Neueste Staatsanzeigen, IV, 1798, pp. 535-539. Et par celle de poèmes évoquant le démantèlement de Rome : Die Horen 1797, 9e pièce, pp. 79-82 (poème de J.D. Gries) ; Musen-Almanach, 1799, pp. 199-203 (poème de A.W. Schlegel).
25 L’article qu’il publie en novembre 1796 dans le Journal des Luxus und der Moden comporte plusieurs références au Journal de Paris, au Moniteur universel, à la pétition inspirée par Quatremère de Quincy, à la Décade philosophique, ainsi qu’à des revues allemandes, parmi lesquelles Minerva, et même à un journal britannique qui publie la lettre d’un architecte français nommé Louis, la St. James Chronicle.
26 Voir Carl August Böttiger : Zustand der Künste und Wissenschaften in Frankreich, Berlin 1795.
27 « Über Kunstplünderungen in Italien und Rom », Der neue Teutsche Merkur, novembre 1796, p. 249 ; « Übersicht des großen Raubes », ibid., février 1798, p. 129 ; « Italisches Ausleerungsgeschäft », ibid., février 1798, p. 129 ; « scheußlicher Vandalismus », ibid., novembre 1798, p. 286 ; « dilapidiert », ibid., novembre 1798, p. 285 ; « Spolierung », Deutsche Monatsschrift, août 1798, p. 295.
28 Fernow 1944, p. 141 : « Der Papst ist ganz zerknirscht ; er weint oft stundenlang über sein Elend. »
29 Fernow 1944, p. 137 : « Wenn ihr noch weinen könnt ; wenn in den Schwitzbädern von Ischia Eure Thränenquellen nicht versiegt sind, so laßt jetzt die Aquädukte der Empfindung strohmen ! singt Elegien und Threnodien ! leset und weinet ! »
30 Quatremère de Quincy 1989, p. 102.
31 Johann Wolfgang von Goethe : « Einleitung in die Propyläen », Werke (Hamburger Ausgabe, ha), 14 t., Munich 1998, t. 12, p. 55 : « Ist es möglich, davon eine Übersicht zu geben, so wird sich alsdann erst zeigen, was die Welt in diesem Augenblicke verliert, da so viele Teile von diesem großen und alten Ganzen abgerissen wurden. »
32 Fernow 1944, pp. 133-134 : « Ich bin in diesen Tagen wieder einigemal ins Museum hinausgewandert ; bisher war noch nichts eingepackt, noch von seiner Stelle gerückt, aber jetzt ists wirklich an dem. Mit dem Spartanischen Krieger, den Antiquare auch Phocion zu nennen belieben, dessen du dich wohl erinnern wirst […] hat man gestern den Anfang gemacht, ich habe ihn von seinem Piedestal herabwinden und auf Walzen zum Tempel hinaustransportieren sehen. Mir war zu Muthe, als ob man meinen Bruder oder Freund zu Grabe walzte, und jedem ists so, der dem Gräuel zusieht. »
33 Ibid. : « Wir erleben hier das seltene Schicksal zu sehen wie Rom von uns geht, und es dünkt mir nicht weniger bitter, als wenn ich von Rom gehen müsste. »
34 Quatremère de Quincy 1989, lettre VII, p. 138.
35 Voir Rainer Schoch : « Rom 1797 – Fluchtpunkt der Freiheit », in : Künstlerleben in Rom 1991, cat. exp., pp. 17-23.
36 Lettre de Carstens au ministre Friedrich von Heinitz, Rome, 20 février 1796, in : Carl Ludwig Fernow : Leben des Künstlers Asmus Jakob Carstens, Hermann Riegel (éd.), Hanovre 1867, pp. 138-142 : « Übrigens muß ich Euer Exzellenz sagen, daß ich nicht der Berliner Akademie, sondern der Menschheit angehöre ; und nie ist es mir in den Sinn gekommen, auch habe ich nie versprochen, mich für eine Pension, die man mir auf einige Jahre zur Ausbildung meines Talents schenkte, auf Zeitlebens zum Leibeigenen einer Akademie zu verdingen. Ich kann mich nur hier, unter den besten Kunstwerken, die in der Welt sind, ausbilden, und werde nach meinen Kräften fortfahren, mich mit meinen Arbeiten vor der Welt zu rechtfertigen. »
37 Fernow 1944, p. 79 : « Da ich es einmahl für meinen Beruf halte, in Italien zu seyn und dem Studium der Kunst zu leben, so soll mich auch kein Franzose von meinem Posten jagen, Solange man mir nicht auch zugleich meine Persönlichkeit raubt, welches ich der Konsequenz der Freyheitsapostel nicht zutraue. »
38 Ibid.; p. 81 : « Und so, wie hier alles Große und Schöne der Kunst beysammen ist, wird und kann es an keinem andern Orte der Welt beysammen seyn. Wollte Gott, die Franzosen erkennten dies ! »
39 Ibid., pp. 133-134 : « Hätte der Vernünftigere, der auch imTode leben ahndet, nicht dabey die Hoffnung, daß die Kunst dereinst an der Seine zu neuem Leben auferstehen und herrlicher noch blühen werde, als in Rom, so würde man in Verzweiflung gerathen müssen, über diese Schändung Roms. »
40 Ibid., p. 134 : « Die Zukunft wird es lehren, ob die Franzosen diesen Raub den sie an der Menschheit begehen, der Menschheit wieder vergüten werden. »
41 Goethe 1998, p. 55 : « Für die Bildung des Künstlers, für den Genuß des Kunstfreundes war es von jeher von der größten Bedeutung, an welchem Orte sich Kunstwerke befanden ; es war eine Zeit, in der sie, geringere Dislokationen abgerechnet, meistens an Ort und Stelle blieben ; nun aber hat sich eine große Veränderung zugetragen, welche für die Kunst im Ganzen sowohl als im Besondern wichtige Folgen haben wird. […] Allein eine Darstellung jenes neuen Kunstkörpers, der sich in Paris bildet, wird in einigen Jahren möglich werden ; die Methode, wie ein Künstler und Kunstliebhaber Frankreich und Italien zu nutzen hat, wird sich angeben lassen » ; traduction de Jean-Marie Schaeffer, in : Goethe, Écrits sur l’art, introduction de TzvetanTodorov, Paris 1996, p. 163.
42 Journal des Luxus und der Moden, novembre 1796, p. 560 : « In ganz Europa war allen Kunstliebhabern und wahren Kennern der Antike diese Zumuthung eines übermüthigen Siegers um so mehr zuwider, je weniger sie sich überzeugen konnten, daß diese Verpflanzung der gepriesensten Denkmale alter und neuer Künste aus dem milden Himmel und dem ruhigen Mutterlande Italiens […] wahre Vortheile für die Fortschritte der Kunst selbst gewähren könne. »
43 Quatremère de Quincy 1989, lettre IV (fin).
44 Der neue Teutsche Merkur, août 1797, p. 372 : « Mitten unter den niedlichen Sklavenfiguren von Ludwigs XV und Heinrichs IV Bildsäulen, im bunten Allerley des französischen Geschmacks paradieren. »
45 Goethe / Meyer 1917, pp. 344-345 : « Die Franzosen werden in der Kunst eher zurück als vorwärts gehen, ihr cher schaden als nutzen, und dieses aus Ursache nicht ihrer Unfähigkeit (ich möchte vielmehr glauben, daß alle Nationen Talente genug haben), sondern weil sie auf falschem Wege sind, welcher sie je mehr und mehr von der Wahrheit abführt, und bald sind sie ganz verirrt […]. Vor der Hand können Sie die Richtigkeit oder die Belege zu meiner Behauptung in den öffentlichen Blättern lesen, wo das Verzeichnis von den ausgewählten Statuen und Gemählden von Rom steht. Sie kennen die Werke – was sagen Sie dazu ? // Lassen Sie doch aus den französischen Blättern alle die Bilder p., welche von Mayland, Parma, Bologna p. nach Paris geschafft worden, ausschreiben, hübsch genau, und heben’s zum künftigen Gebrauch auf. »
46 Der neue Teutsche Merkur, novembre 1796, p. 272 : « Daß die zu wünschende Revolution im Geschmack der Franzosen bis jetzt noch nicht erfolgt ist, giebt ihre unter den Gemälden in Rom getroffne Auswahl hinlänglich zu erkennen. »
47 Ibid., novembre 1796, pp. 250-251 : « Denn beweist nicht schon zum Theil diese Auswahl selbst, was man vom Nationalgeschmack des Volks, das hier mehr seiner Eitelkeit als seinem innern Kunstgefühl zu folgen scheint, auch in der Folge zu erwarten habe, wenn alle diese Trofäen im Nazionalmuseum zu Paris aufgestellt seyn werden ? »
48 Ibid., février 1798, p. 130 : « Den lüsternen Augen und ungläubigen Herzen der überverfeinerten Pariser [nicht] viel wahren Genuß gewähren. »
49 Ibid., novembre 1796, p. 272 : « So lange noch Guercino, Karravagio, Sacchi, Lanfrank, Spagnolett, Vanni, etc ihre Helden der Kunst sind, darf man keine guten Früchte […] erwarten. »
50 Pommier 1991, p. 408.
51 Voir Quatremère de Quincy 1989, lettre I, fin.
52 Journal des Luxus und der Moden, novembre 1796, p. 564 : « Dieser letzere Ausruf verdient um so mehr erwogen zu werden, da grade diese Nachäffung der Römer unter die Haupttriebfedern der ganzen Unternehmung zu gehören scheint, wiewohl sie die Römer grade darin als Muster der Nachahmung ausstellt, wo sie am meisten Barbaren sind. »
53 Der neue Teutsche Merkur, novembre 1796, p. 251 : « … eine erzwungene Treibhausblume, der man es in jedem Schößlinge und in jeder Knospe ansah, daß sie auf diesem mit Sklaventhränen und Gladiatorblute befruchteten Boden nie wurzeln und einheimisch werden könne. »
54 Johann Diederich Gries : « Die Gallier in Rom », Die Horen 1797, pièce n° 9, pp. 79-82.
55 August Wilhelm Schlegel : « Die Entführten Götter », in : August Wilhelm Schlegel : Sämtliche Werke, Eduard Böcking (éd.), 12 t., Hildesheim et New York 1971, t. I, p. 61.
56 August Wilhelm Schlegel : « Die Kunst der Griechen », in : ibid., t. II, p. 5.
57 Schiller 1976, I, p. 408. Le poème est paru pour la première fois dans le Taschenbuch zum geselligen Vergnügen de Wilhelm Gottlieb Becker, 13e année, 1803, Leipzig [1802], p. 231. Les thèmes développés ici sont présents aussi dans une ébauche intitulée « La grandeur allemande » [Deutsche Größe] (Schiller 1976, I, p. 434, vers 1-14) où les critiques ne s’adressent pas aux Français, mais aux Anglais qui transportent sur leur île les vestiges volés à Herculanum.
58 Voir Michael Jeismann : La patrie de l’ennemi. La notion d’ennemi national et la représentation de la nation en Allemagne et en France de 1792 à 1918, Paris 1997.
59 Pommier 1991, p. 405.
60 Journal des Luxus und der Moden, novembre 1796, p. 560 : « Sammelplatz unaufhörlicher Spaltungen und auf einem Boden, den seine klügsten Bewohner selbst mit einer volcanisirten dünnen Erdkruste vergleichen. »
61 Athenäum. Eine Zeitschrift von August Wilhelm Schlegel und Friedrich Schlegel, 1798, Gerda Heinrich (éd.), Leipzig 1984, 312e fragment, p. 115 : « Gegen denVorwurf, daß die eroberten italienischen Gemälde in Paris übel behandelt würden, hat sich der Säuberer derselben erboten, ein Bild von Caracci halb gereinigt und halb in seinem ursprünglichen Zustande aufzustellen. Ein artiger Einfall ! »
62 Der neue Teutsche Merkur 1797, janvier (p. 55), mai (pp. 52-72 et 80-81), juillet (pp. 274-275), août (pp. 372-375), septembre (pp. 84-87), novembre (p. 276).
63 Ibid., août 1797, p. 373.
64 Ibid., février 1798, pp. 129-168 et 199-200, ici p. 162.
65 Schiller 1976, I, p. 237 : « Ich erwarte von meinem Freund Millin aus Paris zuverlässige Nachrichten über die Ankunft und Aufstellung des italischen Kunstraubes. Dieß sei für die Horen bestimmt. » Voir aussi sur ce sujet la lettre de Schiller à Goethe du 23 janvier 1798, ibid., p. 193.
66 Voir Sondermann 1983, pp. 94-98.
67 Goethe 1998, p. 55 : « Allein eine Darstellung jenes neuen Kunstkörpers, der sich in Paris bildet, wird in einigen Jahren möglich werden ; die Methode, wie ein Künstler und Kunstliebhaber Frankreich und Italien zu nutzen hat, wird sich angeben lassen, so wie dabei noch eine wichtige und schöne Frage zu erörtern ist : was andere Nationen, besonders Deutschland und England, tun sollten, um in dieser Zeit der Zerstreuung und des Verlustes mit einem wahren weltbürgerlichen Sinne, der vielleicht nirgends reiner als bei Künsten und Wissenschaften stattfinden kann, die mannigfaltigen Kunstschätze, die bei ihnen zerstreut niedergelegt sind, allgemein brauchbar zu machen und einen idealen Kunstkörper bilden zu helfen, der uns mit der Zeit für das, was uns der gegenwärtige Augenblick zerreißt, wo nicht entreißt, vielleicht glücklich zu entschädigen vermöchte » ; traduction de Jean-Marie Schaeffer, in : Goethe 1996, p. 163.
68 Allgemeine Zeitung (Die neueste Weltkunde), 3 janvier 1798, p. 12 : « Gern opferten [die Italiener] die Reichthümer der Kunst und des Kunstfleißes, um den ersten Schritt in das Heiligthum der Freiheit zu thun. »
69 Wilhelm von Humboldt : Briefe, Wilhelm Rößle (éd.), Munich 1952, pp. 188-195, ici p. 194 : « Die wichtigste Frage über diesen Gegenstand ist die, ob die bis jetzt angekommenen Bilder durch den Transport, die Behandlung hier und die Restauration verloren haben oder nicht ? Um sie aber ganz zu beantworten, müßte man sie einzeln vorher genau gekannt haben. Einige Personen, die in diesem Fall sind, bejahen es nun zwar geradezu. Allein wie schwer es ist, hier zu unterscheiden, wieviel die Einbildung und der Parteigeist dabei tun. Auch ist es schon eine so natürliche Eitelkeit, immer zu sagen, daß eine Sache nicht mehr das ist, was sie sonst war, da man sie ehemals kannte. Die Heilige Cäcilia war, ehe sie hier gereinigt wurde, äußerst schmutzig und hat jetzt ein gewisses rotes Kolorit bekommen. Aller Schade ist also wohl nicht abzuleugnen. Aber ich glaube bei weitem nicht, daß es so viel ist, als viele behaupten wollen. »
70 Ibid., p. 195 : « Gewiß ist es, daß, wenn alles, was man hier hat, gehörig eingerichtet ist, diese Galerie die einzige in der Welt sein wird und ich kann nicht leugnen, daß eine so ungeheuere Vereinigung so vieler Kunstsachen doch schon für die Einbildungskraft etwas sehr erhebendes hat. Dies versöhnt mich einigermaßen mit dem Verlust, den Italien leidet. »
71 Der neue Teutsche Merkur, juillet 1798, pp. 258-262.
72 Journal des Luxus und der Moden, août 1798, pp. 467-469.
73 Der neue Teutsche Merkur, octobre 1798, pp. 184-187, et novembre 1798, pp. 279-289 : « Denn – zwar sind Apollo und Laokoon in Paris, aber – Rom ist noch in Rom ! »
74 Wilhelm von Humboldt : Gesammelte Schriften, Albert Leitzmann (éd.), 16 t., Berlin 1903-1935, t. 14, pp. 554-555 : « Einzugsfest der eroberten Kunst und andern Sachen. Ein wahrhaft schönes Fest für den Anblick. Sowohl der Zug, als die Cärimonie auf dem Champ de Mars. Der Zug nahm sich sehr gut aus. […] Die Ordnung war sehr groß » ; traduction de Elisabeth Beyer, in : Wilhelm von Humboldt : Journal parisien (1797-1799), Arles 2001, p. 187.
75 Voir Goethes Briefwechsel mit Wilhelm und Alexander von Humboldt, Ludwig Geiger (éd.), Berlin 1909, en particulier les pp. 62-95.
76 Johann Friedrich Reichardt : Frankreich im Jahre 1798. Aus den Briefen deutscher Männer in Paris, Altona 1798, pp. 122-126.
77 London und Paris, 1798, 7e pièce, pp. 244-273.
78 Ibid., p. 244 : « Von all den Nationalfesten, die ich hier feyern sah, hat mir keines so schön und gut angeordnet geschienen als dieses. […] Manche Personen fanden es klein und mesquin, daß man diese Kunstwerke noch ganz eingepackt zur Schau umherfuhrte. […] Hätte nicht alsdann ganz Europa Recht gehabt, sich über die Barbarey der Franzosen zu beklagen, die zwar die Kunstwerke zu entführen, aber nicht zu erhalten wüßten ? »
79 Voir Poulot 1997, pp. 362-369.
80 « Darf der Sieger einem überwundenen Volke Werke der Litteratur und Kunst entreißen ? Eine völkerrechtliche Quästion », Deutsche Monatsschrift, août 1798, pp. 290-295.
81 Ibid. : « Man kann nicht leugnen, daß es auf der einen Seite einen hohen Grad von Cultur verräth, wenn eine Nation die Belohnung ihrer Siege in der Erwerbung eines solchen Eigenthums sucht. Sie scheint dadurch anzukündigen, daß aller Krieg im Grunde ihrem Gefühle widrig seyn müsse, und daß sie bey den sanftern Sitten, welche Wissenschaften und Künste erzeugen, nur durch die äuBerste Nothwendigkeit gedrungen, zum Blutvergießen schreite. »
82 Ibid. : « Du sollst dich forthin weniger und schwerer bilden können, dem Genie und Geschmack deiner edelsten Söhne sollen die Muster entrissen werden, die sie zur Unsterblichkeit führen könnten ; die schönen Erscheinungen der Kunst, welche die menschlichen und liebenswürdigsten Gefuhle unter der Nation verbreiten, sollen für immer vor euren Augen verschwinden. »
83 Ibid. : « Und ich kann nicht anders, als es für ein Verbrechen gegen die Menschheit erklären, wenn der besiegten Nation nationale Meisterwerke der schönen Kunst geraubt werden. Sie haben im Grunde für die Nation keinen Preis ; denn ihr wahrer Werth läßt sich mit nichts vergleichen. »
84 Ibid. : « [Der Sieger] kündigt, indem er es thut, die Verewigung seines Hasses und seiner Rache an ; denn so lange die besiegte Nation dauert, wird auch ihre Kränkung über jenen Verlust dauern, der alle Jahrhunderte hindurch nicht ersetzt werden kann. »
85 Ibid. : « Nach ähnlichen Maximen dürfte der Sieger die großen Dichter und Künstler der überwundenen Nation, selbst, in Fesseln schlagen, und nach seinem Staate, oder wohin er wollte deportieren. Es wäre um nichts tyrannischer gegen sie gehandelt, als es durch Spolierung der Gallerien geschieht. »
86 Ludwig Völkel : Über die Wegführung der Kunstwerke ans den eroberten Ländern nach Rom, Leipzig 1798.
87 Friedrich Sickler : Geschichte der Wegnahme und Abführung vorzüglicher Kunstwerke aus den eroberten Ländern in die Länder der Sieger, Gotha 1803, p. 5.
88 Allgemeine Literatur-Zeitung (Iéna), janvier 1801, pp. V-XVI.
89 Ibid., p. V : « Es ist hier nicht der Ort, die verrufene Streitfrage aufs neue aufzunehmen, und das, was nur vor den weisesten aller Gerichtshöfe, das Tribunal der Zeit gehört, in letzter Instanz schon jetzt entscheiden zu wollen. »
90 Ibid. : « Anekdoten von der schimpflichen Unwissenheit und bodenlosen Raubgier der französischen Gewalthaber und Ausleerungs-Commissare. »
91 Ibid., pp. V-VI : « Und doch kann es wünschenswerth seyn, und für baaren Vortheil geachtet werden, dass […] gerade der Nation der Niessbrauch derselben zufiel, die sie, wäre es auch nur aus Eitelkeit und Ostentation, am zierlichsten aufzustellen, am sichersten zu bewahren und am gemeinnützigsten mitzutheilen verstünde. »
92 Ibid., p. VI : « Nach allem, was uns beglaubigte Nachrichten über die Sorgfalt, womit die französischen Commissarien diese Kunstwerke einpacken und fortschaffen liessen, über die Art, wie sie in Paris an einem der festlichsten Tage der neuen Republik im Triumph aufgeführt wurden, und über die verständigen Maasregeln, die man zu ihrer planmässigen Aufstellung und Publicirung ergriff, bis jetzt mehr oder weniger ausführlich zu erzählen wussten, leidet es keinen Zweifel, dass es den vormaligen und jetzigen Machthabern der Republik stets Ernst war, diesen Schätzen als einem wahren Gemeingut aller cultivirten Menschen die grösste Unverletzlichkeit, Sicherheit und Brauchbarkeit zu geben. »
93 Sur les conceptions théoriques de Hirt, voir Adolf Borbein : « Klassische Archäologie in Berlin », in : Berlin und die Antike, cat. exp., Willmuth Arenhövel et Christa Schreiber (éd.), 2 t., Berlin 1979, « textes », pp. 99-150, ici pp. 107-111.
94 Eunomia. Eine Zeitschrift des neunzehnten Jahrhunderts. Von einer Gesellschaft von Gelehrten, avril 1801, pp. 309-342.
95 Eunomia 1801, p. 310 : « … mehr Publizität, und eine allgemeinere durch die Zeit bewährte Autorität, als jede andere einzelne Schrift. »
96 Friedrich Schlegel : « Nachricht von den Gemälden in Paris (Europa, 1803) », in : Kritische Friedrich-Schlegel-Ausgabe, Ernst Behler (éd.), 1ère section, t. IV, Paderborn 1959, pp. 9-47. Tout au plus (p. 9) dans la description du Louvre qui introduit l’article : « On accède par une petite porte latérale à la réunion des plus beaux tableaux qui décoraient encore, il n’y a pas longtemps, le sol maternel de l’Italie. »
97 Herder 1982, pp. 405-406.
98 Voir Thomas Grosser : « Der lange Abschied von der Révolution », in : Frankreich 1800. Gesellschaft, Kultur, Mentalitäten, Gudrun Gersmann et Hubertus Kohle (éd.), Stuttgart 1990, pp. 161-193.
99 Voir Grosser 1990, pp. 185-188 ; Jean Galard : Visiteurs du Louvre, Paris 1993 ; Gaehtgens 2001.
100 Poulot 1997, p. 347.
101 Friederike Brun : Römisches Leben, 2 t., Leipzig 1833, t. II, p. 10 : « … Züge von jenem pöbelhaften Frevel, den dies gebildetste Volk der Erde (wie es von seinen Schmeichlern, den Demagogen aller Nationen, genannt wird). » Voir aussi August von Kotzebue : Erinnerungen von einer Reise aus Liefland nach Rom und Neapel, Berlin 1805, où il est question de la bibliothèque et du musée Vatican, « pillés » (beraubt) par les Français qui leur ont arraché de précieux « trophées de guerre » (Siegesbeute).
102 Der neue Teutsche Merkur, mars 1801, pp. 241-244.
103 Intelligenzblatt der (Erlanger) Litteratur-Zeitung, 4 octobre 1800, cité in : Glauning 1918, p. 199.
104 Voir Margot Lindemann : Deutsche Presse bis 1815, Berlin 1969, surtout le chap. vi (« Die Presse in der Zeit der Französischen Revolution und der Napoleonischen Ära »), pp. 256-276.
105 Duncker 1882, p. 269 : « Es geschah ganz öffentlich und doch erfrechte sich der hiesige Zeitungsschreiber zu sagen, das Museum sei unberührt geblieben » ; Hessische Zeitung 1807, n° 37 : « Unser Museum ist unbetastet geblieben, unsere Gallerie hat der schönen Gemälde mehrere behalten. »
106 Morgenblatt 1807, p. 340 : « Von dem Besuch des berühmten Denon in dieser Stadt nur wenige Worte : wir hätten ihn natürlich lieber nur als beobachtenden Bewunderer unserer Kunstschätze gesehen. Indessen hat der Zweck seiner Sendung den Unpartheiischen nicht abgehalten, der Bekanntschaft eines berühmten und sehr liebenswürdigen Mannes sich zu erfreuen. Ich habe ihn oft bey seinen Besuchen in der Galerie und dem Museum begleitet ; sein humanes Benehmen erregt Achtung für seinen Charakter. Folgende Charade auf seinen Namen wird einer geistreichen Dame zugeschrieben : Mon premier est le desèspoir des aiguilles, / Mon second est le desèspoir des questionneurs, / Et mon tout le desèspoir des savans. »
107 « Verkauf der Gipsabgüsse von antiken Kunstwerken in Paris », ibid., n° 7, 8 janvier 1807.
108 Ibid., n° 262, 2 novembre 1807 : « Was man auch über die große Decimazion, welche in unsern Tagen viele Länder, besonders die italien’schen Staaten an ihren Kunst-Schätzen erlitten haben, sagen mag und sagen kann, so hat sie doch für das Allgemeine wieder mehr als einen wichtigenVortheil, weil diese Schätze in gute Hände gerathen sind. […] Denn nie ist einVolk oder ein Gouvernement gütiger und liebreicher gegen den wißbegierigen Fremden gewesen, als das Neu-Französische. Das einzige Wort : Fremder öffnet ihm täglich (den Freytag allein ausgenommen, der zur Reinigung der Sale bestimmt ist) Morgens um 10 Uhr die Thüren des Musäums, und erst Abends um 4 uhr werden solche wieder geschlossen : während der eingeborene Nicht-Künstler sich mit zwey Tagen in der Woche (Samstag und Sonntag) begnügen muß. Der Künstler und Studierende hat noch den Vorzug, daß er schon Morgens um 8 Uhr eingelassen wird. Und das alles ist unentgeldlich ! »
109 Ibid : « Die wehmüthigen Gefühle eines Deutschen beym Anblicke dieser spolia opima über sein Vaterland kann nur der kosmopolitische Gedanke besänftigen, daß die Werke der Künste, wie die Entdeckungen der Gelehrten, nicht auf den engen Raum einer Nation beschränkt sind, sondern der ganzen Menschheit angehören ».
110 Ibid. : « Es [war] von jeher das Schicksal der Künste, ihres Vaterlandes Ruhm bey der siegenden Nation aufrecht zu halten, und oft gar erst zu gründen. »
111 Lettre de Staegemann à sa femme Elisabeth, Berlin, 4 décembre 1806 in : Hedwig Abeken (éd.) : Hedwig von Olfers, geb. von Staegemann. 1799-1891. Ein Lebenslauf, Berlin 1908-1914, p. 41 : « Was du in Berlin, Potsdam, Sanssouci von Kunstwerken nicht schon gesehen hast, wirst du künftig in Paris sehen. »
112 Goethe / Zelter 1913, p. 168.
113 Ibid., p. 166 : « Der einzige Trost, den man beim Anblicke solcher Dinge haben und geben kann, ist : daß das Gute für die Welt gehört, es sei, wo es sei, und daß wir dieser schönen Dinge unwürdig waren. Das Erwerben und das Erhalten sind zwei Dinge in Eins, und wer das eine nicht kann, kann auch das andere nicht. Die Nichtachtung gegen Albrecht Dürer und Lucas Cranach, an deren Werken wir reich zu nennen waren, bestraft sich hart genug an unsern Künstlern, die sich am meisten darüber ärgern, daß ihrer Werke nicht entführt werden, und sich über alles zu trösten wüßten, wenn sie nur ihre Pensionen behalten hätten. »
114 Schadow 1987, t. 1, p. 75 : « Monsieur Denon, welcher nun die Figur war, auf welche die Künstler und deren Anhang den Blick richteten, mußte sich bald umringt sehen von diesen. »
115 Carl August Böttiger : Über Museen und Antikensammlungen, eine archäologische Vorlesung gehalten den 2ten Januar 1807, Leipzig 1808 ; Denon y est évoqué p. 21.
116 Schadow 1987, t. I, p. 75.
117 Berlin, bbaw, archives, Hist. Abt., Bestand paw 1700-1811, I-XV-8a.
118 Ibid., fol. 1.
119 Ibid., fol. 2.
120 Ibid., fol. 1.
121 Ibid.
122 Ibid.
123 Ibid.
124 Ibid.
125 Ibid.
126 Ibid.
127 Ibid., fol. 5.
128 Suzette Henry, l’épouse de Jean Henry, avait invité Denon à une collation le 2 novembre.
129 Journal de Minette Henry, Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, département des manuscrits, nl Runge-Dubois, Depo. 5, Nr. 178, fol. 198 : « Heute ist die ganze Kunstkammer ausgeleert und eingepackt worden, die Reliefkarte der Schweiz, die etrurischen Vasen, kurz Alles, sie sind unersättlich, diese Franzosen, besonders M. Denon. Die Akademie hatte es übel vermerkt, daß Mama ihr nicht den Besuch des Herrn Denon gemeldet hatte, daher ist sie heute Nachmittag hingegangen, um Herrn von Castillone diese Plünderung mitzutheilen. “Es ist gut, das zu wissen”, sagte er, “damit wir unsere Maßregeln treffen können. Aber man muß ruhig bleiben, und sich darin ergeben”. Das sind also seine Maßregeln ! »
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