Chapitre IV. L’œil de Napoléon
Les missions de Dominique-Vivant Denon en Allemagne du Nord et en Autriche 1806‑1809
p. 115-146 (tome premier)
Texte intégral
Denon est assurément l’un des phénomènes les plus vivants de notre époque, et l’on aurait tort de le laisser filer sans l’avoir vu.
Johann Gottfried Schadow1
Les voyages de Dominique-Vivant Denon en Allemagne du Nord et en Autriche. 1806‑1809

Crédits/Source : © FPK – Ingenieurgesellschaft mbH, Berlin
1« Si quelques objets d’art entrent dans les contributions de guerre, la Prusse ne sera dans le cas de produire que très peu de choses », indique Dominique-Vivant Denon, premier directeur du Louvre, dans une lettre adressée à Napoléon en octobre 1806.2 Trois mois plus tard, il écrit de Brunswick : « J’arrive de Cassel […] où j’ai fait une ample moisson de superbes choses. […] En tout j’aurai fait une récolte qui ne peut être comparée à celle de l’Italie, mais qui est bien au-dessus de ce que j’espérais de l’Allemagne. »3 Vaste récolte, en effet : consécutive à la bataille d’Iéna et Auerstedt (14 octobre 1806), la reddition de la Prusse ouvre à Denon la porte des galeries et musées des villes conquises. Pour la quatrième fois en douze ans, après les campagnes de 1794-1796 dans les régions rhénanes, après la mission de Neveu en Allemagne du Sud, après celle de Maugérard dans les départements annexés (juridiquement différente, certes), le patrimoine culturel des États germaniques est de nouveau convoité par la France, qui s’approprie cette fois plusieurs milliers d’œuvres d’art : en huit mois, de novembre 1806 à juin 1807, plus de deux cent cinquante caisses monumentales remplies de tableaux, de statues antiques et autres curiosités quittent les galeries d’Allemagne septentrionale, de Dantzig et de Varsovie pour rejoindre Paris. Alors que les gouvernements français successifs avaient jusqu’alors confié les prises à des personnels au prestige modeste (de plus en plus compétents, certes), c’est désormais le principal bénéficiaire de la politique de « conquêtes artistiques », le directeur des musées impériaux en personne, qui parcourt les régions soumises pour y choisir, en toute connaissance de cause, les objets susceptibles d’intéresser ses collections. « Esquisser la carte de ses voyages en Europe, résume ainsi Patrick Mauriès, revient à suivre à la trace la progression du pillage méthodique, réfléchi, pour tout dire précautionneux, des trésors artistiques européens. »4 Et en effet : après la mission allemande de 1806 et 1807, Denon réitère l’opération en Espagne en 1808 ; il suit les progrès autrichiens de la Grande Armée en 1809, s’attaque aux collections impériales de Vienne entre juin et octobre, et fait campagne en Italie en 1811.5
2S’il est artificiel de dissocier les différentes missions européennes de celui que ses contemporains allemands nomment parfois l’« œil » de l’Empereur (« son fidel Denon, qui est son œil en Beaux-arts »),6 une étude précise de ses séjours germaniques (les plus longs, les plus fructueux) permet toutefois d’appréhender l’évolution d’une pratique mûrie depuis l’an II et dont les enjeux esthétiques, discursifs et politiques se durcissent sous l’Empire. Les premiers commissaires chargés de « recueillir » des objets d’art et de science en pays conquis avaient opéré dans un champ quasi illimité (de la vache flamande à la peinture flamande), marqué par des conflits de compétence et par de lourdes négligences à l’égard des sujets et des objets dépouillés. La mission bavaroise confiée à Neveu avait été considérée comme un échec, même si elle avait permis de faire passer la responsabilité des confiscations entre les mains d’un seul agent, qui remplaçait désormais les commissions multiples. Lors de la mission de Maugérard, la pratique des saisies s’était concentrée sur un domaine unique, celui des manuscrits et imprimés, dont le bénédictin était un spécialiste éminent. Faut-il encore présenter Denon (ill. 20) ? Avec lui, élégance des manières et vaste érudition s’allient à une grande notoriété européenne (« Le célébré Dénon, est-il donc içi ? » s’écrie-t-on en français dans le texte lorsqu’il paraît à Weimar)7 pour donner à sa campagne le caractère d’un événement singulier : personnage connu et que l’on aspire à connaître, il est accueilli outre-Rhin par des cercles francophiles et voyageurs, visiteurs enthousiastes du Louvre, qui ont intégré les euphémismes du discours justificatif sur les saisies d’œuvres d’art et ne sont pas encore devenus ces hommes du xixe siècle qui, une décennie plus tard, argumentent en termes d’« art national » et de « propriété nationale » pour obtenir la restitution des pièces transportées à Paris.
20. Benjamin Zix : Portrait allégorique de Vivant Denon, 1811, plume et encre brune, lavis brun, 42,2 × 34,4 cm, Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques, Inv. 33405

Crédits/Source : © RMN-Grand Palais (musée du Louvre, voir https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl020210793 et https://www.photo.rmn.fr/archive/06-525428-2C6NU0PJ4LXF.html)
L’aura égyptienne du Generaldirektor
3En 1816, dans le récit qu’il donne du passage de Denon à Brunswick, Johann Friedrich Ferdinand Emperius, directeur du musée de la ville, écrit : « Monsieur Denon était célèbre comme artiste, comme connaisseur d’art, comme directeur de la plus grande collection des œuvres les plus magnifiques qui aient été jamais rassemblées, comme voyageur, comme écrivain, et se distinguait en tout cela. »8 Plus que les travaux littéraires de Denon ou que sa carrière d’artiste, c’est sa participation à l’expédition d’Égypte, en 1799, qui a rendu son nom familier aux milieux éclairés européens.9 Dès avril 1800, le correspondant parisien du Neuer Teutscher Merkur signale par exemple que Denon travaille aux planches destinées à illustrer le récit de son voyage en Egypte ;10 dans le numéro de juillet, il est question des « monuments rarissimes de l’art égyptien » que « Denou [sic] » a rapportés de la spectaculaire expédition.11 Lorsqu’on 1802 paraissent enfin les deux volumes de son Voyage dans la Basse et la Haute Égypte, ils rencontrent auprès du public allemand, comme dans toute l’Europe, un succès considérable et immédiat. On ne saurait trop insister sur l’impact de cette publication sur la configuration intellectuelle de l’époque et sur l’égyptologie naissante.12 Dès le mois de novembre 1802, une jeune fille écrit à Goethe, au nom de son père, pour savoir si le duc de Weimar a déjà acquis l’ouvrage à la librairie Artaria de Mannheim, comme il prévoyait de le faire ; si c’est le cas, précise-t-elle, son père voudrait emprunter les deux volumes pour une courte durée.13 Le succès allemand du Voyage dans la Basse et la Haute Égypte est amplifié un an plus tard par la publication, à Hambourg et Berlin, d’une traduction remarquée, due à Tiedemann.14
4Porté par l’égyptomanie européenne des années 1800, le prestige dont bénéficie Denon lorsqu’il arrive en Allemagne est peut-être davantage encore celui du Generaldirektor. Depuis 1802, en effet, le conservatoire du musée central des Arts a été remplacé par un directeur unique, qui exerce simultanément son autorité sur le musée du Louvre, le musée des Monuments français, celui de l’école française à Versailles, mais aussi les galeries des résidences impériales, la Monnaie des médailles, la Chalcographie, les manufactures et plusieurs ateliers – de restauration, de gravure, de moulage. Ministre des Arts sans en porter le titre, Denon est en quelque sorte, pour reprendre la formule de Pierre Rosenberg, le « Malraux » de Napoléon.15 Son musée est un pôle d’attraction pour l’Europe. Rebaptisé « musée Napoléon » en 1804, il attire depuis quelques années des flots d’artistes et de voyageurs médusés par le colosse. Les Allemands affluent tout particulièrement ; les collections du Louvre sont objet d’extase (parfois d’agacement), d’étude et d’élaborations théoriques.16 Friedrich Schlegel, installé à Paris depuis 1802, en oublie d’écrire à son frère August : « Je me suis trouvé, pendant quelque temps, complètement absorbé par les seuls tableaux et antiquités », lui écrit-il en guise d’excuse.17 Le cercle de ses amis, d’ailleurs, n’est pas étranger à l’aura qui entoure Vivant Denon en Allemagne :18 Helmina von Hastfer, jeune Berlinoise venue mener à Paris une carrière de journaliste, colocataire des Schlegel à Ménilmontant, publie en 1805, à Weimar, un long ouvrage consacré à la vie et à l’art sous Napoléon. Le premier tome s’ouvre sur une « Dédicace à Vivant Denon » : poème tiède – « De ce nom que j’aime, riche de gloire, / Tu accordas, ami, que je pare ce livre. / Je vécus dans le sanctuaire des arts, / Où ton amitié vint me combler, / Et tes leçons, fleurs pleines de beautés muettes, / Épanouissent mon regard. / J’ai pensé ce livre avec toi, je l’ai senti, / Voici donc le fruit d’heures si belles »19 – qui anticipe d’étonnants souvenirs : « Denon nous proposa de le suivre dans son appartement, qui se trouvait également dans le Louvre. […] Il nous invita à y déguster une collation des plus raffinées, qui fut aussitôt servie. Des huîtres vertes, à peine arrachées au ventre de mondes primitifs, arrivèrent par soupières entières. Du café noir rapporté d’Égypte et préparé à la mode arabe couronna le tout ».20
5A bien des égards, la présence de Vivant Denon dans plusieurs villes allemandes à l’hiver 1806-1807 et à Vienne trois ans plus tard est donc accueillie par les milieux artistiques et intellectuels comme une sensation. Preuve du respect qu’inspire sa position et du retentissement de son séjour en Prusse, une médaille à son effigie (ill. 21) est réalisée par un artiste allemand de Berlin, le graveur Léonard Posch, qui effectue un peu plus tard, semble-t-il, un second portrait du directeur.21 La notoriété du commissaire explique la relative profusion de témoignages qui relatent son passage, et la gymnastique verbale des custodes qui, pour avoir subi le démantèlement de leurs collections, n’en ont pas moins sympathisé avec Denon : « Si la tâche qu’il devait exécuter ici n’avait pas été aussi haïssable, j’aurais été très heureux de faire plus ample connaissance avec lui », reconnaît ainsi Emperius, en 1816, à une époque où il ne fait pourtant pas bon exprimer ses sympathies francophiles.22 Dix ans plus tôt, moins d’une semaine après la débâcle prussienne d’Iéna et Auerstedt, Denon était accueilli dans la maison de Goethe à Weimar, à quelques kilomètres seulement du champ de bataille, et la rencontre des deux hommes permet d’apprécier l’atmosphère dans laquelle le prestigieux commissaire français traverse les régions vaincues.
21. Leonhard Posch : Portrait de Denon, 1806 (?), médaillon, bronze, diam. 6,8 cm, collection particulière

Crédits/Source : Archives de l’auteur
6« Mon vieil ami Denon, écrit Goethe le 23 octobre 1806, m’a rendu visite et il a passé quelques jours chez nous. Il est donc vrai qu’il faut avoir subi l’orage pour voir paraître l’arc-en-ciel ! Il était d’excellente humeur et il a été fort aimable. »23 Engagée à Venise en 1790, cette amitié discontinue met en présence deux hommes d’âge et d’intérêts communs, également nourris de culture italienne. L’un, ministre du duc de Weimar, a balancé longtemps entre littérature et dessin, et il accumule avec enthousiasme les charges liées à la politique culturelle de l’une des cours les plus éclairées d’Allemagne. L’autre, administrateur de grande envergure, ancien diplomate, dessinateur et graveur de notoriété européenne, n’en est pas moins homme de lettres. Des propos échangés en 1806, certes, on ne sait pas grand-chose : Denon projette des médailles à l’effigie de Goethe et de Wieland, Benjamin Zix dessine au crayon un portrait de Goethe (ill. 22), Goethe montre sa collection de médailles à Denon, les deux hommes rendent visite à la duchesse Louise, accablée par l’invasion française. A la demande de Goethe, le directeur du Louvre s’engage d’ailleurs à intercéder en faveur du duché : il prend sous sa protection le jeune émissaire Friedrich von Müller et facilite son accès au quartier général. Quelques jours après le départ de Denon, Goethe sollicite en outre son appui en faveur de l’université d’Iéna, menacée de dissolution par les autorités françaises.24 Au total, cette entrevue si exemplaire de la sociabilité héritée des Lumières laisse pressentir l’accueil favorable réservé à Denon – malgré le contexte belliqueux – dans les capitales allemandes qu’il visite.
22. Benjamin Zix : Portrait de Goethe, 1806, mine de plomb sur papier, 9,1 × 8,4 cm, Francfort-sur-le-Main, Freies Deutsches Hochstift, Inv. la‑kl‑15340

Crédits/Source : Freies Deutsches Hochstift (voir https://goethehaus.museum-digital.de/object/38268, CC BY-NC-SA)
Les galeries et leurs gardiens
7Denon arrive à Berlin le 27 octobre 1806, jour de l’entrée triomphale de Napoléon dans la ville, et il s’établit au numéro 70 de la Leipziger Straße, chez le directeur de la cour des comptes et du premier sénat de la capitale prussienne, le conseiller von Piper.25 Les opérations de prospection et de saisie à proprement parler commencent quelques jours plus tard. De Berlin et Potsdam, elles mènent Denon à Brunswick (en décembre 1806), à Cassel (en janvier), à Hanovre et Hambourg puis à Schwerin (en mars), et de là, via Berlin, jusqu’en Prusse orientale : Dantzig (en mai-juin) et Tilsit (à la fin de juin 1807), où Denon séjourne lorsque Napoléon rencontre Alexandre Ier sur le Niemen. En campagne, le directeur du Louvre est assisté d’un secrétaire issu de l’administration des armées, un dénommé Perne,26 mais surtout de Benjamin Zix, dessinateur strasbourgeois, qui fait souvent office de traducteur et écrit à son père, de Berlin : « M. Denon est toujours très satisfait de moi. […] Au cours de ce voyage, je lui ai été particulièrement utile non seulement en considération de mon art, mais aussi grâce à ma connaissance des deux langues. »27
8Les conditions de ce voyage sont précaires : automne humide, routes embourbées, quartiers aléatoires. « Nous fûmes bien contents de trouver des paillasses au sous-sol d’une mauvaise auberge. J’étais réconforté par la bonne humeur et la joyeuse résignation avec lesquelles Denon prenait son parti de ces privations ; c’était d’ailleurs un trait commun aux Français les plus considérables de cette époque de pouvoir facilement jouir de tout, comme de se priver de tout, selon les circonstances », note ainsi le jeune chancelier Friedrich von Müller, qui accompagne Denon sur la route de Berlin.28 A bien des égards, ce périple prédateur à travers les collections d’art, s’il n’inclut ni la célèbre galerie de Dresde ni celle de Düsseldorf (transférées depuis 1805 à Munich), donne toutefois du paysage muséal allemand une image révélatrice des mutations contemporaines de l’ouverture du Louvre :29 entre Schwerin, où tableaux et objets divers sont encore réunis en ensemble dynastique sans publicité, et le musée Fridericianum de Cassel, par exemple, premier musée public d’Europe ; entre les collections royales prussiennes, disséminées entre les palais de Berlin et de Potsdam, et le musée de Brunswick où l’on projette, dès 1806, de centraliser les œuvres de tout le duché.30
9Partout où il arrive, cependant, Denon trouve des collections incomplètes : les conservateurs allemands se sont efforcés d’évacuer les meilleures pièces à l’annonce de l’avancée française. A Cassel, quarante-huit tableaux jugés particulièrement précieux ont été mis à l’abri, puis retrouvés et confisqués par le général Lagrange avant l’arrivée de Denon.31 De Brunswick, une partie du musée a été transportée au Danemark : « Durant les brèves heures qui me furent données en ce jour du 17 octobre, rapporte ainsi Emperius, de midi à six heures du soir, j’ai réussi avec l’aide de quelques amis et du secrétaire Ahrens à emballer la plupart des pièces de petite dimension et de grande valeur. […] Elles arrivèrent à bon port en territoire danois, où elles étaient en sûreté. »32 Dans le même temps, près de quatre-vingts tableaux exposés dans la galerie de Salzdahlum sont mis en caisse pour être expédiés en Angleterre ; mais l’opération échoue, comme en témoigne la « Notte des Tableaux de la Galerie de Salzdahlen Emballés par ordre du Duc de Brunswick pour être envoyés en Angleterre ; Enlevés le 26 février 1807 par Mr le Baron Denon par ordre du Gouvernement français & transportés à Paris » (voir tome II). A Berlin et Potsdam, dans une précipitation extrême, les responsables des collections royales se sont efforcés également de soustraire une partie des œuvres aux appétits du prédateur : Jean Henry, directeur du « cabinet des arts » (Kunstkammer) du château de Berlin, s’est enfui avec une partie de son musée à l’annonce de l’avancée française ; plusieurs caisses de tableaux ont en outre été expédiées dans la ville fortifiée de Custrin, à l’est de Berlin (voir la liste dans le tome II). Pour masquer les espaces vides laissés par l’opération, le directeur de la « galerie de tableaux » (Bildergalerie) du château de Sans-Souci, Johann Gottfried Puhlmann (ill. 23), s’ingénie à décaler les œuvres restées sur place. Peintre lui-même, il comble les vides avec ses propres tableaux et note, persuadé de l’efficacité du stratagème : « Au lieu d’examiner les tableaux, [Denon] marcha avec moi de long en large dans la galerie, il parla beaucoup de Rome, où il avait été peintre dans sa jeunesse, mais aussi de l’Égypte, et il se contenta 1° de confisquer la Joueuse aux osselets placée sur la seconde table (voir tome II, n° 72), et 2° d’emporter une vieille tête, point du tout parce qu’elle avait été peinte par le Titien, mais parce qu’il s’agissait d’un portrait de l’Aretin (voir tome II, inventaire Berlin-Potsdam n° 104). »33 Lorsque Denon arrive à Vienne en 1809, nombre d’articles du Belvédère ont de même été évacués en Hongrie à titre préventif.34
23. Johann Gottlieb Puhlmann : Autoportrait avec une statue antique, avant 1808, huile sur toile, 38 × 28,5 cm, Berlin, Stiftung Stadtmuseum, Inv. VII 60/264 X

Crédits/Source : Stadtmuseum Berlin (voir https://sammlung-online.stadtmuseum.de/Details/Index/173611)
10Lorsqu’il visite les galeries des villes soumises, Denon procède avec rigueur et méthode (« on voyait que Monsieur Denon avait acquis une grande maîtrise en la matière », écrit Emperius),35 et le scénario des saisies varie à peine d’un lieu à l’autre. Une demi-douzaine de témoignages, rapports à l’autorité ou récits spontanés, éclairent ainsi d’un jour convergent le passage du célèbre commissaire.36 Rédigés par les responsables des galeries dépouillées, demi-artistes pour les uns (Heinrich Füger à Vienne, Puhlmann à Sans-Souci), administrateurs d’un type nouveau pour les autres (les professeurs Emperius à Brunswick et Ludwig Völkel à Cassel), ces documents mettent en scène des hommes encore liés à l’idéal cosmopolite du siècle qu’ils ont quitté, et qui engagent, pour deux d’entre eux au moins, des relations amicales avec le directeur général du musée Napoléon. Partout où il passe, Denon agit en présence de ces administrateurs ; c’est avec eux qu’il cherche à entrer en contact, en tout premier lieu, lorsqu’il s’apprête à dépouiller leurs galeries. En témoigne cet extrait du journal intime de Minette Henry, fille du pasteur huguenot Jean Henry, directeur du cabinet des arts (Kunstkammer) du château de Berlin, qui deux jours après l’entrée de Napoléon dans la ville évoque l’effrayante visite de trois Français en uniforme. Jean Henry, son père, a pris la fuite quelques jours plus tôt avec une partie des collections confiées à sa garde :
« 29 octobre [1806] : les Français sont de plus en plus nombreux, et ils mangent et boivent des quantités effrayantes. Il fait un temps magnifique ; Maman et moi, nous sommes allées nous promener un peu, et nous avons vu l’empereur […] à part ça, nous sommes restées tranquillement à la maison toute la journée, je n’ai pas la permission de sortir seule. Le soir, nous avons eu une frayeur, ça oui, une frayeur comme je n’en avais pas eu depuis longtemps. A onze heures moins le quart, alors que les Reclam,37 qui avaient dîné chez nous, allaient partir [?], Maman et moi les avons raccompagnés jusqu’à la porte. A l’instant même où je m’en approchais pour l’ouvrir, quelqu’un a sonné dehors. Nous avons pris peur. D’une seule voix, Maman et nous tous avons crié : “Qui est là ?” Une forte voix d’homme a répondu : “Un officier de l’empereur.” Imaginez notre frayeur ! Maman a dit : “N’ouvrez pas !” Reclam a dit : “Bah ! il faut ouvrir. Quand un homme est là, on peut bien ouvrir.” La porte s’est ouverte et trois hommes en uniforme français sont entrés ; le premier d’entre eux, un vieux monsieur avec un visage aimable, a demandé où était Papa. Maman est devenue aussi pâle que son plaid et elle avait tellement peur qu’elle n’arrivait presque plus à parler. Même moi, qui ne suis pourtant pas peureuse, j’avais peur, je tremblais comme une feuille. Maman était toujours incapable de prononcer un mot quand soudain, en y regardant de plus près, elle a reconnu le vieux monsieur, c’était Monsieur Denon, qu’elle avait beaucoup fréquenté à Paris.38 Mais cela n’a pas apaisé ses craintes, et elle leur a dit que Papa était parti avec le “cabinet des arts” [Kunstkammer]. A ce moment-là, ils sont entrés dans la maison, et les Reclam aussi ; comme Maman craignait depuis le début que la fuite de Papa ait mis l’empereur en colère, elle a demandé ce qu’il en était. Et ces messieurs ont répété à plusieurs reprises : “Mais non, il n’a fait qu’obéir aux ordres de son roi.” Mais après, ils ont tout de même voulu savoir où se trouvait Papa en ce moment, et Maman leur a dit en toute sincérité qu’elle ne le savait pas. »39
11Dans ce cas précis, les opérations de saisie seront finalement menées en l’absence du directeur des lieux. Dans tous les autres cas, ce sont eux qui secondent Denon dans sa tâche, qui lui ouvrent les portes des galeries, salles, commodes et vitrines qu’il inspecte, qui l’assistent ou tentent parfois de le détourner de ses choix (ill. 24-26).
24. Benjamin Zix : Denon examinant des tableaux à Cassel, 1807, plume et encre brune, lavis brun, 13,2 × 16,3 cm, Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques, inv. RF 6889

Crédits/Source : © RMN-Grand Palais (musée du Louvre, voir https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl020022081 et https://www.photo.rmn.fr/archive/95-006348-2C6NU0NOND6P.html)
25. Benjamin Zix : Enlèvement de la galerie de Cassel, plume et encre brune, lavis brun, 25,7 × 21,6 cm, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des estampes et de la photographie, coll. Hennin 13174

Crédits/Source : Bibliothèque nationale de France (voir https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/btv1b84134813)
26. Benjamin Zix : Vivant Denon dans le « cabinet des arts » (Kunstkammer) du château royal de Berlin, 1807, lavis, plume et encre brune, 12,8 × 16,6 cm, Paris, collection particulière

Crédits/Source : Archives de l’auteur
12Lorsque ces choix sont arrêtés, les pièces retenues sont inventoriées, et les procès-verbaux de saisie signés conjointement par le commandant de la place, le directeur du musée visité et Denon lui-même. Tous les inventaires de saisie dressés par Denon suivent le même schéma (voir tome II) ; ils illustrent l’effort soigneux fourni par les autorités françaises pour donner un tour légal à ces extractions, qui ne sont prévues ni entérinées par aucun traité de paix. Arrive-t-il qu’un directeur de musée soit indisposé, la visite de Denon est remise à plus tard : « le 4 janvier », se souvient ainsi Völkel, directeur du musée Fridericianum de Cassel, on « me transmit une lettre du général Lagrange, qui m’invitait à me rendre au musée le lendemain à midi, parce que certaines personnes souhaitaient le visiter. Ces personnes étaient, comme je l’appris par la suite, le réquisiteur en chef, Denon, et ses acolytes. […] Une grippe [m’obligeait] à garder le lit et j’étais hors d’état d’aller au musée. La visite du réquisiteur fut donc remise au lendemain ».40 Esprit cosmopolite et ancien diplomate, virtuose de la conversation et des politesses lénifiantes, Denon, tous les témoignages l’attestent, adopte à l’égard des Allemands qu’il dépouille une attitude que le directeur de la galerie de Sans-Souci, Puhlmann, qualifie lui-même de « véritablement bonne ».41 Au-delà des indices qu’ils fournissent sur le pouvoir de séduction du réquisiteur, ces témoignages, joints aux procès-verbaux établis lors des saisies, mettent en évidence les infléchissements discursifs que l’entreprise connaît sous l’Empire et les priorités politiques dont elle procède désormais.
Énergie sélective
13En spiritus rector d’un projet muséographique dont l’initiative lui revient, Denon se concentre sur la visite et le ponctionnement des collections de peintures, d’antiques et de curiosités, évitant les domaines où ne le portent ni ses goûts ni ses compétences. Une lettre adressée à l’intendant général de la Grande Armée, Pierre Daru, en témoigne bien, par laquelle Denon esquive les sollicitations auxquelles il se trouve exposé :
« Monsieur l’Intendant général, J’ai trouvé à mon arrivée ici la lettre […] par laquelle vous me demandez si dans mes voyages j’ai rencontré des collections d’anatomie réclamées par les Écoles de médecine. […] Tout ce que j’ai trouvé […] en histoire naturelle n’est que vieillerie en mauvais ordre qui n’ajouterait rien à nos collections. A l’égard des livres, la Bibliothèque de Volfenbuttel était la seule qui méritait l’attention de notre gouvernement, et pour ne pas y apporter un désordre inutile, vous savez Monsieur l’Intendant général que j’ai pris la précaution d’envoyer aux administrateurs de la Bibliothèque impériale le catalogue des manuscrits qu’ils m’ont renvoyé avec leurs différentes demandes. […] La Bibliothèque impériale se trouvera posséder tout ce qu’elle pouvait envier à celle de Volfenbuttel. Quant aux établissements publics de Göttingue, n’ayant pas reçu d’ordres précis, je n’ai pas cru devoir même visiter et par cela inquiéter une université respectable qui jouit de la protection impériale de Sa Majesté. »42
14A Wolfenbüttel près de Brunswick, c’est finalement le jeune commissaire des guerres Henri Beyle (ill. 27), futur Stendhal, qui travaille à l’obtention des ouvrages réclamés, sans que Denon intervienne beaucoup plus que nominalement dans l’entreprise.43 Une fois de plus, les saisies opérées dans cette riche bibliothèque éclairent le rôle actif joué, à distance, par les conservateurs parisiens : le 24 décembre 1806, Denon et Martial Daru, commandant de la place de Brunswick, se rendent à la bibliothèque ducale « à l’effet de [se] faire remettre par Monsieur Langer, bibliothécaire, le catalogue des manuscrits pour être envoyé aux administrateurs de la Bibliothèque impériale à Paris afin de les mettre dans le cas déjuger quels sont ceux de ces manuscrits dont l’envoi doit être fait ».44 A l’issue de cette visite, Denon emporte les volumes du catalogue et sept manuscrits enluminés, mais les confiscations de grande envergure sont laissées à l’appréciation des experts parisiens. Dès le 25 décembre 1806, Henri Beyle quitte Brunswick pour aller à Paris, vraisemblablement muni du catalogue des manuscrits qu’il soumet aux administrateurs de la Bibliothèque impériale à Paris. A son retour à Brunswick, en février 1807, c’est lui qui procède aux confiscations selon les instructions qui lui ont été fournies.
27. Edme Quenedey : Portrait d’Henri Beyle (Stendhal), 1807, gravure, Grenoble, musée Stendhal

Crédits/Source : Ville de Grenoble, Musée Stendhal, Mst.208 (Portrait de Stendhal au physionotrace, photographie d’après un dessin « grand trait » original de M. Chabannes, non datée)
15Parmi ces instructions, une « Note de quelques livres extrêmement rares, qui se trouvent dans la Bibliothèque de Wolfenbüttel, et qui manquent à la Bibliothèque impériale » a été conservée, avec des annotations marginales de la main de Beyle : « reçu » ou « manque » (ill. 28).45 La liste fournit quelques indices sur les ouvrages de référence utilisés pour arrêter les choix : le catalogue des manuscrits réquisitionné à Wolfenbüttel, d’une part, dont il est question à la fin de la liste (« voyez le catalogue manuscrit par ordre alphabétique »), ainsi que des manuels de bibliographie, d’autre part, telle l’Idée générale d’une collection complète d’estampes de Heinecken46 – qui fut, on s’en souvient, l’un des interlocuteurs de Maugérard. La liste ainsi établie comporte un grand nombre de livres xylographiques, les plus précieux que possède la bibliothèque de Wolfenbüttel, et un ouvrage unique – « le livre le plus rare qui existe », dit la liste, « puisqu’on ne connoît que ce seul exemplaire » : les Fables de Boner, imprimées à Bamberg en 1461. Par ailleurs, comme lors des campagnes précédentes, les administrateurs français convoitent tout particulièrement les livres imprimés sur vélin : « On demande en général tout livre imprimé sur vélin, de quelque matière qu’il puisse traiter. » Au total, ce sont trois cent cinquante-cinq volumes, dont trois cent dix-huit manuscrits, qui sont saisis à Wolfenbüttel.47 Henri Beyle rédige et signe les treize récépissés de saisie.
28. Note de quelques livres extrêmement rares, qui se trouvent dans la Bibliothèque de Wolfenbüttel, et qui manquent à la Bibliothèque imp., avec des notices marginales de la main d’Henri Beyle, Paris, Bibliothèque nationale de France

Crédits/Source : Bibliothèque nationale de France
16Au cours des mois suivants, Denon procède certes à quelques saisies bibliographiques près de Dantzig, au gymnase d’Elbing, ainsi qu’à Vienne en 1809, mais il ne s’engage pas très activement dans le travail de sélection qu’imposent ces confiscations : chargé de choisir parmi les manuscrits orientaux de la Bibliothèque viennoise, indique un témoin, il « préféra remettre ce choix à MM. les conservateurs de la bibliothèque de Paris et détermina de prendre en bloc tous les manuscrits, même les plus inutiles ».48 Restées pour le directeur général du musée Napoléon un phénomène périphérique, les saisies de manuscrits et d’ouvrages rares, menées sans grand enthousiasme, mettent en lumière, par contrecoup, l’énergie incandescente du sexagénaire lorsqu’il dépouille les galeries et musées.
Connaissance du terrain
17Contrairement à Maugérard, Denon arrive sur les lieux qu’il visite, semble-t-il, sans en avoir de connaissance très précise. Lors de la campagne de 1805, certes, il a suivi les progrès de l’armée jusqu’à Vienne, où il a séjourné du 16 au 28 août pour inspecter les collections d’œuvres d’art (« j’y ai trouvé beaucoup plus d’objets intéressants que je ne croyais ; depuis sept heures du matin jusqu’à neuf j’ai toujours vu, de sorte que je pars très content de mon voyage »).49 Un an et demi plus tard, lorsqu’il opère en Prusse et dans les petits États d’Allemagne septentrionale, il n’ignore évidemment pas la réputation des galeries dynastiques abritées par les capitales. Il connaît probablement leurs catalogues imprimés : toutes les collections qu’il visite en sont dotées, leur parution est souvent récente, plusieurs d’entre eux sont rédigés en français. Le Catalogue des tableaux de la Galerie ducale à Salsthalen, dû à Matthias Eberlein, est ainsi paru à Brunswick, en français et en allemand, en 1776. Depuis 1792, les collections du grand-duché de Mecklembourg-Schwerin sont répertoriées dans le Verzeichniß der Gemälde in der herzoglichen Gallerie de Johann G. Groth. Les tableaux de l’électeur de Hesse-Cassel ont leur catalogue depuis 1783, le Verzeichniß der Hochfürstlich-Heßischen Gemählde-Sammlung in Cassel de Simon Causid. Les collections de peintures du roi de Prusse sont recensées dans plusieurs ouvrages : la Description des Tableaux de la Gallerie royale et du Cabinet de Sans-Souci, de Matthias Oesterreich, est parue à Potsdam en 1771, description complétée par la publication en 1790 d’une Beschreibung der Gemählde welche sich in der Bildergallerie, den daranstossenden Zimmern, und dem weissen Saale im Königl. Schlosse zu Berlin befinden, due à Johann Gottfried Puhlmann de Berlin. A Vienne, enfin, on dispose depuis 1784 d’une version française du célèbre catalogue de Christian von Mechel : le Catalogue des tableaux de la galerie impériale de Vienne. Si ces catalogues servent probablement de référence à Denon, ils sont complétés sans doute par des descriptions plus récentes encore, quoique partielles, qui – tel ce reportage consacré aux collections de Brunswick, publié par le Magasin encyclopédique en 1806 – insistent sur la valeur des collections conservées outre-Rhin. A propos des œuvres que l’on peut voir dans le duché de Brunswick, le Danois T.C. Bruun Neergaard note ainsi : « Rien n’est plus digne des recherches des amateurs des arts et des antiquaires ; et j’espère au moins avoir assez piqué la curiosité des voyageurs qui passent par cette ville, pour qu’ils n’oublient pas à l’avenir, comme ils l’ont souvent fait, d’honorer le Muséum de Brunswick de leur présence. Je l’avoue franchement ; j’ai été agréablement surpris : car je ne m’attendois pas à ce que j’y ai trouvé. »50
18Si les collections de tableaux d’Allemagne sont donc assez bien connues, les statues antiques et les curiosités, pour leur part, sont moins précisément recensées. En 1806, la collection du musée Fridericianum, pourtant importante, n’a encore fait l’objet d’aucune publication systématique. A Schwerin et Brunswick, les objets précieux sont inventoriés seulement dans des catalogues manuscrits. Les collections du roi de Prusse, en revanche, sont assez bien connues, notamment les œuvres abritées par le « cabinet des arts » (Kunstkammer) du château royal de Berlin. Issues pour partie de la célèbre collection de Giovan Pietro Bellori, elles sont publiées depuis le début du xviiie siècle, en latin, dans l’importante somme illustrée de l’archéologue Lorenz Beger : Thesauri Regii et Electoralis Brandenburgici troisième volume. En 1805, en outre, le directeur de ces collections, Jean Henry, a publié un Allgemeines Verzeichniß des Königlichen Kunst-, Naturhistorischen und Antiken-Museums.51 Quant au reste des antiques du roi de Prusse, dispersées dans les différents palais de Potsdam et de Berlin, elles sont partiellement recensées, depuis 1774 et en français, dans un volume de Matthias Oesterreich intitulé Description et explication des groupes, statues, bustes & demi-bustes, bas-reliefs, urnes & vases de marbre, de bronze & de plomb, antiques, aussi bien que des ouvrages modernes qui forment la collection de S.M. le Roi de Prusse.
19A ces catalogues s’ajoutent les guides de voyage courants – notamment ceux de Friedrich Nicolai pour Berlin et Potsdam –, mais aussi une somme d’informations manifestement recueillies par Denon auprès de connaisseurs. A Potsdam, on rapporte ainsi avec stupeur que le directeur du Louvre a exigé de voir l’Antinoüs (voir tome II, n° 5) et les deux Victoires (voir tome II, n° 75), « alors qu’aucun catalogue ne distingue particulièrement ces trois pièces, et que nulle part les deux dernières ne sont nommées Victoires ».52 L’informateur, dans le cas précis des deux victoires, semble avoir été Ennio Quirino Visconti, conservateur des antiques au musée Napoléon, qui évoque dans une lettre à Denon « deux victoires antiques » dont « il paraît qu’[elles] demeureraient plus volontiers dans les palais de Napoléon que dans ceux de Prusse ».53 II serait d’ailleurs intéressant de chercher à cerner plus précisément l’implication de Visconti – « the Popes Antiquarian », selon l’expression citée par Daniela Gallo – dans la politique de saisies d’antiques sous l’Empire, notamment en Allemagne.54 Mais, en général, les renseignements dont Denon dispose avant son départ ont dû rester assez vagues, puisqu’il écrit encore de Berlin, à la fin du mois d’octobre 1806 : « La Prusse ne sera dans le cas de produire que très peu de choses. »55
20C’est donc sur le terrain, avant tout, que Denon approfondit sa connaissance des collections visées. Il utilise à cet effet les compétences des directeurs locaux, on l’a vu, mais aussi, pour les acquisitions récentes, les inventaires manuscrits trouvés sur place. Difficiles à déchiffrer, car écrits en lettres allemandes (« il ne put se servir de nos catalogues, écrits en allemand », note Emperius)56 ces outils manuscrits sont doublés par la présence, autour de Denon, de personnes manifestement empressées de faciliter ses recherches. S’il est difficile de cerner précisément cette zone grise de la collaboration artistique, elle est attestée par la récurrence, dans les différents témoignages, du motif de la trahison. A Potsdam, on soupçonne ainsi un Berlinois inconnu d’avoir dressé des listes pour Denon.57 A Brunswick et Cassel, c’est un émigré français, accueilli autrefois à la cour ducale, qui s’attire les foudres approximatives du chroniqueur : « Monsieur de Preumeuneu [sic], frère du ministre des Cultes, mérite […] d’être qualifié de traître. […] Amateur de beaux-arts, il considéra comme un honneur particulier de pouvoir accompagner le grand connaisseur Denon à Brunswick et Cassel pour l’aider à dresser l’inventaire des objets à enlever. »58 Dans ses comptes de campagne, Denon mentionne au reste une somme de 2 400 francs (presque autant que les frais d’expédition du convoi de Dantzig) à titre de « gratification donnée par le Directeur général »…59
21A en croire les témoignages laissés par les directeurs des galeries ponctionnées, Vivant Denon procède partout selon un schéma semblable : il « sembla au début vouloir limiter ses prétentions à un petit nombre d’articles ; mais lorsqu’on eut commencé à enlever des œuvres, il trouva de plus en plus d’objets qui méritaient à son avis d’être emportés aussi à Paris », se souvient par exemple Emperius.60 Le volume des requêtes, en effet, augmente à mesure que se prolongent les visites : à Sans-Souci, où il ne convoite initialement, on s’en souvient, que la Joueuse aux osselets et un petit portrait de Titien, il finit par emporter cinquante-cinq tableaux, trois statues et six bustes antiques. A Cassel, il consacre cinq jours au seul musée Fridericianum et il enlève, entre autres objets, deux cent quatre-vingt-dix-neuf tableaux de la galerie de peinture. Celle de Schwerin est ponctionnée de deux cent neuf pièces. A Brunswick, le nombre de tableaux distraits « est exactement de deux cent soixante dix huit », tandis qu’au Belvédère de Vienne la moisson s’élève à trois cent quatre-vingt-dix-neuf tableaux et deux mosaïques. D’innombrables quantités de statues, bustes, petits bronzes et autres antiques, vases, émaux, médailles, ivoires et pierres gravées s’ajoutent à ce bilan (voir les inventaires de saisie dans le tome II). Le choix des pièces et la lecture des inventaires qui les recensent éclairent la double intention dont semblent avoir procédé les saisies menées par Denon sous l’Empire, entre collecte de trophées et choix d’œuvres destinées à compléter les collections du « plus grand musée de l’univers ».
Trophées
22A Berlin, Denon fait procéder à l’enlèvement et à la descente du quadrige installé depuis 1793 sur la porte de Brandebourg. Cette initiative n’est pas la sienne, puisque le groupe monumental semble avoir été réclamé par l’armée, mais c’est lui qui se charge d’en organiser le démontage et l’emballage.61 Le quadrige est descendu de la porte de Brandebourg entre le 2 et le 8 décembre 1806. Le 3 décembre, Denon écrit à Napoléon : « Deux chevaux du Quadrige de la Porte de Brandebourg sont descendus. Tout le reste sera terminé dans trois jours et encaissé dans huit. J’ai achevé de me brouiller avec les habitants de Berlin. Mais les femmes qu’il faut écouter en matière de tact ont toutes dit : j’aurais aussi emporté cette Victoire. Le trophée est d’autant plus brillant qu’il est de nulle valeur réelle. »62 La formule finale, dans sa prudence courtisane, suggère les réticences qu’inspire à Denon cette confiscation lourde d’implications symboliques, qui s’inscrit évidemment dans une longue tradition martiale et spoliatrice, réactivée notamment, en 1797, lors du transfert en France des chevaux de Saint-Marc, eux-mêmes pris par les Vénitiens à Constantinople au début du xiiie siècle.
23A plusieurs reprises, sous l’Empire, la politique de conquêtes « artistiques et scientifiques » se présente donc ouvertement – c’est nouveau – comme une affaire de trophées. Stuart W. Pyhrr a attiré l’attention sur l’importance, souvent négligée, des saisies d’armes et d’armures sous Napoléon, en particulier lors des campagnes autrichiennes de 1805-1806 et de 1809. Visant « quelques-unes des plus belles armures de deux des plus grandes collections que comptait l’Europe » – l’arsenal impérial de Vienne et l’armurerie du château d’Ambras –, ces saisies ont été utilisées à Paris, entre autres, à des fins de propagande.63 Mais Denon s’était explicitement démarqué de ces prises militaires : « Il n’y a point eu d’objets d’art enlevés à Vienne ; j’ai pris à cette époque des informations sur la volonté de l’Empereur à cet égard, et […] il n’y avoit aucun ordre sur cela relativement aux armures de l’arsenal, objets qui n’étoient point de mon ressort, j’ai su dès lors qu’elles avoient été enlevées et dispersées. »64 A Potsdam, sans que Denon soit mêlé à l’affaire, Napoléon fait confisquer l’épée et quelques reliques de Frédéric le Grand, qui sont transférées aux Invalides à Paris. Mais le directeur du Louvre, plusieurs indices l’attestent dans sa correspondance administrative, ne partage pas l’enthousiasme de l’Empereur pour cette accumulation de dépouilles militaires : « Si Votre Excellence veut m’accorder un instant », écrit-il par exemple au grand maréchal du Palais en mai 1807, « je la convaincrai par l’inspection que la masse de débris qui compose le reste [des armures saisies en Autriche] ne peut former un trophée digne de Sa Majesté et de la campagne d’Austerlitz ».65 S’il paraît donc réticent à la confiscation d’objets à valeur de trophée, Denon n’en procède pas moins, dans les villes d’Allemagne du Nord, à des réquisitions dont la nature ne cadre pas tout à fait, semble-t-il, avec le projet didactique et esthétique de son musée.
24La liste des objets saisis notamment à Berlin, Schwerin ou Brunswick trahit en effet une accumulation éclectique de curiosités sans valeur artistique réelle : « corne de bison pétrifiée trouvée dans le lac de Schwerin en 1749 » (tome II, inventaire des saisies effectuées à Schwerin) ; buste de la reine de Suède (tome II, n° 275), que Denon envisage, par esprit de « justice poétique » (Emperius), de placer à Fontainebleau « à l’endroit même où Christine avait autrefois fait périr son écuyer » ;66 « deux linges à dentelles, qui ont servi au sacre de Frédéric Ier et de la Reine Sophie-Charlotte à essuyer le front de LL.MM. après l’onction, plus deux gâteaux distribués à la fête, et qu’on avoit conservés comme une curiosité » (tome II, inventaire Kunstkammer, p. 352, n° 2) ; « noyau de cerise où sont gravés 264 visages » (tome II, inventaire Kunstkammer, p. 352, n° 9), autant d’objets dont on conçoit mal qu’ils aient été destinés un instant à promouvoir le progrès des arts dans le monde. Denon lui-même ne dissimule pas ses motivations courtisanes lorsqu’il écrit à Daru, de Brunswick, qu’il s’est toujours efforcé de joindre aux tableaux qu’il était chargé d’enlever « nombre de petits objets charmants qui pouvaient être extraits de ceux destinés au Musée, et que S.M. l’Empereur serait sûrement ravie de donner [à l’Impératrice] ».67 Le titre, la date d’ouverture et la mise en espace de l’exposition consacrée à Paris, en 1807, aux œuvres saisies en Allemagne s’inscrivent dans une logique glorificatrice analogue.68 Cousines des exactions traditionnellement pratiquées en temps de guerre, ces saisies, pour avoir été menées par le directeur du Louvre, n’entretiennent avec son projet muséographique qu’un rapport de parenté lointain. Le choix des pièces explicitement destinées, en revanche, à enrichir les collections du musée Napoléon témoigne quant à lui d’une ligne de conduite esthétique ferme.
Éthique des saisies
25A Brunswick, Denon découvre une collection de majoliques (voir tome II, n° 708) et d’émaux de Limoges (voir tome II, n° 709) dont il ignorait l’existence et qui donne lieu, entre le directeur parisien et son confrère allemand, à une véritable joute oratoire. Précieux document de rhétorique, elle offre à Denon l’occasion de déployer tout l’arsenal justificatif élaboré depuis l’an II et témoigne, au-delà du seul cas des faïences convoitées, de l’état d’esprit général dans lequel il opère. Denon, rapporte Emperius,
« croyait avoir trouvé déposés dans les majoliques quantité d’idées et de dessins, par ailleurs perdus, de Raphaël et de l’école romaine ; et décida de porter ces riches vestiges à la connaissance du public sous la forme d’un grand recueil de gravures. Il ne fut d’aucune utilité de lui prouver, pour différentes pièces, l’existence des gravures connues depuis longtemps, et d’après lesquelles elles furent peintes ; ni de faire valoir le fait que certaines peintures étaient très médiocres ou très mauvaises ; rien ne le détourna de son idée de garder l’ensemble tel quel, et il fit emballer neuf cents pièces de cette collection de majoliques. Le pape, dit-il, a encore à San Loretto une collection presque aussi riche ; il lui faudra la livrer, et alors, de tout ce qui subsiste de ces objets, la plus grande partie sera entre nos mains. Avec une avidité non moindre, il s’empara de la collection de travaux d’émail provenant de la fabrique de Limoges […]. Ceux-ci aussi devaient faire l’objet de gravures. Ce n’est que sous cette forme, dit Monsieur Denon, qu’ils seraient enfin utiles au public. Il prétendait que le meilleur usage que l’on saurait faire, à Paris, de tels monuments artistiques, nous consolerait amplement d’avoir dû en faire le sacrifice ».69
26Obsession de la somme et utilité publique du savoir forment bien, ici, l’arrière-plan théorique d’une logique d’appropriation destinée officiellement à promouvoir en France et, partant, dans le monde l’émulation des arts.70 Les conservateurs allemands ne s’y trompent d’ailleurs pas lorsque, pour retenir Denon d’emporter telle ou telle pièce, ils évoquent l’usage pédagogique qu’en font l’université ou la société archéologique voisines. Au musée Fridericianum, Völkel met en avant sa connaissance des collections parisiennes pour convaincre Denon « de la valeur et de l’état de conservation bien inférieurs » de ses articles comparés à ceux du Louvre. Denon réplique en s’emportant : « Que voulez-vous donc, que je ne prenne rien ? Si ce n’est pas moi qui le fais, un autre viendra qui emportera tout ! »71
Esprit d’initiative et autonomie d’action
27Centraliser, utiliser, protéger : l’argument éprouvé de la sauvegarde d’œuvres d’art menacées, en temps de guerre, par l’inculture soldatesque constitue le dernier volet de la trilogie justificatrice avancée par Denon. Partout où il passe, il suggère amicalement aux directeurs de galerie de ne laisser entrer aucun Français après son départ. A Sans-Souci, il invite Puhlmann à ne « vanter devant personne les beautés des deux statues antiques postées à l’entrée de la galerie ».72 A Brunswick, il qualifie ostensiblement de « copies modernes » une série de bronzes antiques, pour distraire les convoitises de « ceux qui le surveillent ».73 A en croire les témoignages et l’iconographie des saisies, en effet, Denon est généralement suivi, lors de ses visites, par un certain nombre d’officiers : l’argument de la protection des œuvres d’art (« un autre viendra qui emportera tout ») correspond donc sans doute à un souci réel de se démarquer du pouvoir militaire. A ce titre, il soulève la question de la liberté d’action et de choix du commissaire Denon, notamment à l’égard des directives napoléoniennes.
28« Denon revint à la Galerie, indique le rapport de Puhlmann, pour me dire que l’Empereur s’était montré fort mécontent de la liste des œuvres choisies, et qu’il était allé chercher dans son bureau une autre liste de statues antiques et de bustes dont il aurait souhaité que Denon les emportât. […] Il [Denon] se voyait donc contraint désormais de faire emballer également les deux statues antiques postées à l’entrée de la galerie. »74 La stratégie discursive est semblable à Cassel : Denon, avant d’y opérer, déclare devoir être « particulièrement cruel, car c’est la volonté expresse de l’Empereur que de voir transférées à Paris toutes les statues antiques ».75 Pourtant, dans la mesure où rien n’atteste l’implication de Napoléon dans le choix des œuvres saisies en Allemagne, dans la mesure aussi où la référence à l’autorité impériale fluctue, chez Denon, au gré des événements, il semble que le recours verbal à l’Empereur constitue, dans l’ordre du discours, une arme substituée à des moyens moins conformes au caractère de Denon. Dans l’ordre de la réalité historique et diplomatique, il semble plutôt que Napoléon ait joué un rôle de frein à l’égard des appétits collectionneurs de son ministre des Arts. L’exemple de la galerie de Dresde, explicitement convoitée au cours de l’automne 1806, témoigne en effet d’un esprit d’initiative intact.
29A quelques jours de la signature du traité de Posen (11 décembre 1806) qui fait entrer la Saxe dans la Confédération du Rhin et octroie à son électeur le titre de roi, Denon essaie d’obtenir de Napoléon, depuis Berlin, l’inclusion dans le traité de paix d’un article qui assurerait au Louvre quelques-uns des chefs-d’œuvre de la prestigieuse galerie de Dresde. Informé de ces desseins, l’électeur de Saxe insiste pour rencontrer Denon à Berlin. A l’issue de l’entrevue, ce dernier adresse à Napoléon une lettre qui mériterait, tant elle est caractéristique, d’être citée in extenso :
« Je me croyais, Sire, un épouvantail pour l’électeur de Saxe ; je n’avais point cherché à le voir, le comte Marcolini, directeur de son musée, est venu au-devant de moi. L’électeur m’a fait dire qu’il désirait me connaître. J’ai pu voir dans sa conversation qu’il n’avait nul goût particulier pour les chefs d’œuvres qu’il sait posséder ; il n’en offrira cependant jamais aucun à Votre Majesté. […] Les articles d’argent, qui dans les traités ne se payent jamais en entier, pourraient ici se completter par quelques morceaux qui deviendraient des valeurs effectives puisqu’ils rentreraient complettement et resteraient éternellement dans le trésor de votre gloire. Tel petit que fut le nombre des objets qu’exigerait Votre Majesté, il serait toujours d’un grand prix. – Un seul tableau de Raphaël de la collection de Dresde a été payé par le roi Auguste 9000 louis, il vaut le double pour Votre Majesté. La Nuit du Corrège est au moins du même prix ; deux autres Corrège et un Holben sont au même rang. Ce dernier peintre manque à votre musée. Ce n’est point une dépouille que je propose à Votre Majesté en lui demandant d’exiger quatre ou six tableaux d’une collection qui en renferme 2 000 dont 200 sont capitaux et qui contient des tas d’or, de diamans et de perles ; mais je dois répéter à Votre Majesté qu’en faisant la conquête du reste de l’Europe elle ne retrouvera jamais l’occasion que lui offre la Saxe en ce moment. Ce n’est pas mon enthousiasme qui vous parle, Sire ; mais la conscience de mon devoir. »76
30Malgré ses efforts, Denon n’obtient pas satisfaction et doit finalement se contenter, comme le souligne avec une touchante neutralité le correspondant berlinois d’une revue allemande, « d’aller visiter Dresde pour y admirer les beautés de l’art et de la nature ».77 Dans ses Mémoires, Talleyrand note à propos de la lettre de Denon arrivée au quartier général : Napoléon « la lisait quand j’entrai dans son cabinet et me la montra. – Si Votre Majesté, lui dis-je, fait enlever quelques-uns des tableaux de Dresde, elle fera plus que le roi de Saxe ne s’est jamais permis de faire, car il ne se croit pas le pouvoir d’en faire placer aucun dans son palais. Il respecte la galerie comme une propriété nationale. – Oui, dit Napoléon, c’est un excellent homme ; il ne faut pas lui faire de la peine. Je vais donner l’ordre de ne toucher à rien. Nous verrons plus tard ».78 Finalement, la galerie de Dresde reste intacte.
Priorités esthétiques
31Corrège, Raphaël, Holbein : les aspirations déçues de Denon, comme ses désirs assouvis par ailleurs, confirment les goûts et les priorités déjà manifestes lors des saisies menées sous la Convention et le Directoire. Sur les cinquante-cinq tableaux saisis à Potsdam – où Denon ignore l’école française, et notamment Watteau, pourtant largement représenté –, trente sont l’ouvrage de maîtres italiens et vingt-cinq de maîtres flamands. La liste des pièces choisies à Cassel, Brunswick, Schwerin ou Berlin confirme la tendance. A Vienne, Denon hésite à se saisir de l’Assomption monumentale de Rubens, peinte sur bois (« Le musée est trop riche en tableaux de Rubens pour que celui-ci y puisse être utile »), mais il suggère à Napoléon d’offrir à sa paroisse cet « objet digne de la munificence de l’Empereur ». Il se propose, à cet effet, de le faire « partager en deux parties pour pouvoir l’encaisser, ce qui ne serait d’aucun inconvénient par la facilité qu’on aurait à Paris de le rajuster ».79 Le tableau est finalement scié en trois. Füger, directeur du Belvédère, note dans un rapport : « J’eus beau lui faire remarquer qu’une opération aussi inusitée dans le monde de la peinture ne manquerait pas de donner lieu, dans l’histoire de l’art, à une anecdote dont je ne comptais pas assumer la responsabilité, mes efforts restèrent vains. Monsieur Denon argua qu’il avait reçu l’ordre exprès de prendre ce tableau. Il fut scié de chaque côté à l’aide de fines lames et encaissé avec des pièces plus petites. »80
32Mais c’est sans doute en choisissant d’extraire des collections visitées, et en particulier à Vienne, nombre de ceux que l’on qualifiait alors de primitifs allemands, « maîtres des premiers temps de la peinture », que Vivant Denon suscite – sans œuvrer à proprement parler en précurseur – un vaste mouvement d’intérêt pour les manifestations dites « gothiques » de l’art allemand. Dès 1800, on s’en souvient, les administrateurs du Louvre avaient chargé le commissaire Neveu, par souci d’exhaustivité, de recueillir en Allemagne méridionale certains de ces primitifs. Il s’agissait de les transférer à Paris pour que le Muséum « soit complet autant que possible et possède des ouvrages qui établissent la situation de toutes les écoles ».81 Jugés plus que médiocres, la plupart des tableaux envoyés par Neveu avaient été qualifiés à leur arrivée de « drogues uzées » ou « exécrables ». Avec Denon, la recherche de ces maîtres allemands prend un tour passionnel : à Berlin, où il fait enlever en 1806 une quinzaine de tableaux attribués à Cranach (voir tome II, nos 333-345 ; inventaire Berlin-Potsdam nos 16-33) et trois autres attribué à Dürer (voir tome II, nos 359-361 ; inventaire Berlin-Potsdam nos 5-7), le sculpteur Schadow écrit de lui : « Les productions des maîtres allemands anciens le mettent dans tous ses états. Arrive-t-il qu’il en flaire la trace quelque part : en signe de respect, il les prend immédiatement en dépôt. »82 Ce vif penchant pour des peintres jusqu’alors négligés ne laisse d’ailleurs pas d’intriguer les conservateurs allemands.
33Johann Christian Mannlich, directeur de la galerie de Munich, épargnée par les saisies impériales après avoir subi celles de Neveu sous le Consulat, se souvient ainsi d’une visite de Vivant Denon en 1809. Les troupes françaises ayant quitté la ville, écrit-il en français,
« je fis replacer nos tableaux, surtout ceux de Schleißheim, dont je crus que Denon seroit le moins tenté à cause de la quantité d’ouvrages primitifs de l’école allemande. Mais à mon grand étonnement, il en fut tellement enthousiasmé qu’il ne voulloit voir autre chose. L’en ayant arraché pour lui faire voir les écoles italiennes et flamandes, il me prit par le bras au milieu de notre course, et me dit, vous possédez des bien belles choses des plus grands maîtres ; nous en avons aussi, mais je vous en prie instamment de me ramener chez nos bons vieux. Je ne pus m’empêcher de lui faire part de mon étonnement que lui Français pouvoir tant aimer ces ouvrages primitifs, si différents de nos écoles modernes. Que cela ne vous étonne de ma part, me dit il avec vivacité, j’ai de tout temps mieux aimé les volés que les voleurs. Il y a une originalité si pure, une naïveté si touchante, une expression si vraie, une simplicité si riche et une dévotion si profondément sentie dans ces ouvrages, que je les préfère infiniment à la plupart de nos grands maîtres qui s’imitent et empruntent les uns des autres. Il falloit faire servir notre dîner dans une des salles de la vieille école dont il ne sortit que vers la nuit pour rentrer en ville ».83
34Pour autant qu’ils n’ont pas été déformés par la mémoire de Mannlich, les propos de Denon sont un écho presque littéral des réflexions engagées en Italie depuis le dernier quart du xviiie siècle sur la peinture médiévale, notamment autour des termes de « modestie », « naïveté » et « sainteté » tels qu’ils apparaissent chez le promoteur des primitifs italiens qu’est Seroux d’Agincourt. En prenant l’initiative, entre 1806 et 1814, d’organiser le transfert en France puis l’exposition publique de maîtres allemands anciens, Denon joue donc un rôle d’amplificateur de tout premier ordre.
Ministre des Arts en pays vaincu
35Lorsqu’il évolue en Allemagne, Denon ne limite pas ses activités à celles de commissaire spoliateur. Acquéreur, prospecteur, mondain, il reproduit en campagne ses pratiques parisiennes et se trouve intégré, partout où il passe, aux cercles des intellectuels et des artistes autochtones. L’exemple du séjour à Berlin suggère, sans en donner toutefois l’entière mesure, le spectre de ses occupations. Denon est introduit auprès des corps académiques de la capitale prussienne par son ami le naturaliste Alexandre von Humboldt, et il noue avec plusieurs membres de l’Académie des sciences des relations dont il évoque le souvenir en ces termes : « Je suis accoutumé aux sentiments de bienveillance de ce corps illustre, et je n’oublierai jamais l’accueil amical dont chacun de ses membres m’a comblé pendant mon séjour à Berlin. »84 Quelques jours seulement après son arrivée à Berlin, le 2 novembre, Denon est invité à une collation chez Suzette Henry, épouse déjà citée du directeur du « cabinet des arts » (Kunstkammer), qu’il avait tant effrayée un peu plus tôt. Le journal intime de sa fille adolescente en témoigne : « 2 novembre : si notre bon Papa était subitement revenu aujourd’hui, il aurait été très étonné de voir que Maman donnait une collation, et encore plus de voir qui étaient nos hôtes. Monsieur Denon, Monsieur de Humboldt (Alexandre), Monsieur Biester, Monsieur et Madame Molière, Mad. P.P. Jordan et Reclam. M. Denon et Humboldt sont partis seulement à deux heures. La conversation s’est déroulée presque uniquement entre ces deux hommes, et elle était par conséquent très intéressante : Amérique, Égypte, les voyages et les travaux des deux savants étaient l’objet de nos conversations. »85
36Avec Alexandre von Humboldt, qui semble avoir été son principal compagnon à Berlin, le directeur du musée Napoléon rend aussi visite au recteur de l’Académie des beaux-arts, le sculpteur Johann Gottfried Schadow, auteur notamment du quadrige de la porte de Brandebourg. Les rapports sont fructueux, la séduction réciproque : Denon acquiert plusieurs ouvrages auprès de Schadow, dont un tableau alors attribué au peintre allemand Martin Schongauer (voir tome II, n° 570),86 et lorsque au printemps 1807 il se trouve dans la région de Dantzig, il effectue, de sa propre main, la copie d’un portrait de Copernic qu’il envoie au sculpteur ; quelques semaines plus tard, Schadow écrit à un ami : « Le buste de Copernic, en marbre, est bien avancé, je l’ai réalisé d’après plusieurs gravures et un dessin que Denon a légèrement esquissé d’après l’original du tableau de Thorn, et qu’il m’a envoyé du quartier général de Finckenstein. »87 Au-delà des relations cordiales qu’il noue dans les villes où il séjourne, Denon poursuit donc, en pays conquis, sa politique de prospection, d’émulation artistique et de commandes.
37A Berlin, Denon fait frapper, entre autres exemples, une médaille à l’effigie de l’Empereur : « On fait ici, écrit-il le 3 décembre 1806, une médaille pour Votre Majesté ; elle sera bien. D’un côté votre tête (déjà faite et ressemblante), au revers Votre Majesté sur le trône faisant donner la solde aux invalides Prussiens. Les inscriptions en allemand seront : du côté de la tête, Napoleon Empereur Berlin MDCCCVI, et au revers Aux Invalides prussiens la solde donnée. »88 A Munich, Denon s’essaie à la lithographie dans les ateliers de Senefelder (ill. 29), inventeur du procédé, et il joue un rôle central dans l’introduction et le développement de ce nouveau procédé en France.89 A Berlin comme à Vienne, il visite les ateliers de plusieurs peintres : séduit par un tableau entrevu dans l’atelier du Berlinois Weitsch, professeur à l’Académie, il lui commande un portrait du maréchal Soult. Par ailleurs, il charge le peintre Rösel de réaliser plusieurs aquarelles de Sans-Souci (ill. 30), destinées à illustrer l’ouvrage que les architectes Percier et Fontaine envisagent de consacrer aux résidences des souverains en Europe. La presse allemande note : « Rösel, dont nous connaissions déjà maints paysages superbes à l’encre sépia, vient de dessiner, à l’instigation de Denon et avec la force de trait que nous lui connaissons, les plus belles parties de Sans-Souci, et l’on peut compter cette œuvre au nombre de ses meilleurs travaux. »90 Schadow précise dans une lettre à un ami : « Je pense que ces quelques vues ne nous ridiculiseront pas auprès des Parisiens. »91 Au printemps 1807, un déjeuner arrangé par Schadow prévoit de réunir le peintre Weitsch, qui décline l’invitation, un jeune artiste berlinois, Franz Catel, et le directeur du Louvre.92 Quelques mois plus tard – Denon n’est certainement pas étranger au mouvement – Catel est installé à Paris.
29. Dominique-Vivant Denon : La Sainte Famille en Égypte, 1809, lithographie, 9,7 × 14,2 cm, « Essai au Crayon, à la Plume et à l’Estompe. Fait à la lithographie de Munich le 15 9bre 1809, Denon », Paris, Bibliothèque nationale de France, département des estampes et de la photographie, snr Denon

Crédits/Source : Bibliothèque nationale de France
30. Samuel Rösel : Le château de Sanssouci, 1807, aquarelle, 50,5 × 67,7 cm. Potsdam, château de Sans-Souci, Staatliche Schlösser und Gärten, Collection d’aquarelles, Inv. 2654a

Crédits/Source : Stiftung Preußische Schlösser und Gärten Berlin-Brandenburg
38Au total la double mission allemande du Generaldirektor, en 1806/7 et 1809, est la plus fructueuse de toutes les campagnes menées outre-Rhin. C’est aussi la dernière et celle qui fera l’objet des revendications les plus vives après la chute de Napoléon.
Notes de fin
1 Götz Eckardt : Johann Gottfried Schadow 1764-1850. Der Bildhauer, Leipzig 1990, p. 141 : « [Denon gehört] doch auf jeden Fall zu den lebendigen Erscheinungen der Zeit, und man muß ihn nicht ungesehen vorbeistreichen lassen », lettre de Johann Gottfried Schadow à Carl August Böttiger, 1807.
2 Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, pp. 1318-1319, an 59.
3 Paris, amn, Z 4 1807.
4 Patrick Mauriès (éd.) : Vies remarquables de Vivant Denon, Paris 1998, pp. 67-68.
5 Sur la mission espagnole, voir Jeannine Baticle : « La mission en Espagne », in : Gallo 2001, t. 1, pp. 325-344 ; sur la mission italienne de 1811, voir Monica Preti-Hamard : « L’exposition des “écoles primitives” au Louvre : “La partie historique qui manquait au musée” », in : Denon 1999, cat. exp., pp. 226-253, en particulier pp. 229-230.
6 Mannlich 1993, p. 520.
7 Friedrich von Millier : Souvenirs des années de guerre 1806-1813, Charles-Otto Zieseniss (éd.), Paris 1992, p. 14 ; sur Dominique-Vivant Denon et « la furor denoniana dont furent saisis, alentour 1995, quelques-uns des luminaires du moment » (Patrick Mauriès), voir : Denon 1999, pp. 516-525 (bibliographie) ; Gallo 2001, p. 807 (bibliographie).
8 Johann Friedrich Ferdinand Emperius et al. : Remarques sur le vol et la restitution des œuvres d’art et des livres précieux de Brunswick avec divers témoignages sur les saisies d’art opérées en Allemagne par Vivant Denon, Bénédicte Savoy (éd.), traduction d’Aurélie Duthoo, Paris 1999, pp. 15-93, ici p. 22.
9 Voir Martine Reid : « Denon écrivain », in : Denon 1999, cat. exp., pp. 62-67 ; Udolpho van de Sandt : « Esquisse d’un portrait de Vivant Denon en artiste », ibid., pp. 75-79 ; Adrien Goetz : « Denon et l’estampe », ibid., pp. 71-74 ; Chantal Orgogozo : « Le voyage dans la Basse et la Haute-Égypte », ibid., pp. 108-127 ; Philippe Bordes : « Un graveur à Paris », in : Gallo 2001, pp. 83-103.
10 Voir Der neue Teutsche Merkur, avril 1800, p. 322.
11 Ibid., juillet 1800, p. 254. La coquille « Denou » est peut-être une forme hybride issue d’un croisement entre Denon et Daunou.
12 Voir Orgogozo 1999 ; Dominique-Vivant Denon : Voyage dans la Basse et la Haute Égypte, Hélène Guichard, Adriaen Goetz et Martine Reid (éd.), Paris 1998, préface, pp. 9-24.
13 Lettre d’Emilie Gore, début novembre 1802, in : Briefe an Goethe, Karl-Heinz Hahn (éd.), 5 t., Weimar 1980-1995, t. IV, p. 153.
14 Dominique-Vivant Denon : Reisen durch Ober- und Unterägypten während Bonaparte’s Feldzügen, traduction de Dietrich Tiedemann, Hambourg et Berlin 1803.
15 Voir Geneviève Bresc-Bautier : « Dominique-Vivant Denon, premier directeur du Louvre », in : Denon 1999, cat. exp., pp. 130-145 ; Pierre Rosenberg : « Les vies de Denon », ibid. 1999, pp. 19-25, ici p. 23.
16 Voir Thomas W. Gaehtgens : « Le musée Napoléon et son influence sur l’histoire de l’art », in : Histoire de l’histoire de l’art, cycle de conférences, musée du Louvre, 2 t., Paris 1997, t. II, pp. 89-112 ; du même auteur : « Les visiteurs allemands du musée Napoléon », in : Gallo 2001, t. II, pp. 727-739.
17 Friedrich Schlegels Briefe an seinen Bruder August Wilhelm, Oskar E. Walzer (éd.), Berlin 1890, p. 495 : « Gemählde und Antiken allein haben mich eine Zeitlang ganz absorbirt. »
18 Irina Hundt : « Geselligkeit im Kreise von Dorothea und Friedrich Schlegel in Paris in den Jahren 1802-1804 », in : Salons der Romantik. Beiträge eines Wiepersdofer Kolloquiums zu Theorie und Geschichte des Salons, Hartwig Schultz (éd.), Berlin / New York 1997, pp. 84-133.
19 Helmina von Hastfer : Leben und Kunst in Paris seit Napoléon dem Ersten, 2 t., Weimar 1805, t. I, dédicace : « Mit dem geliebten Namen reich an Ruhme, / Vergonnest Du mir, Freund, dies Buch zu schmücken. / Ich lebte in der Künste Heiligthume, / Da mochte Deine Freundschaft mich beglücken, / Und hoher Schönheit ernst verschwiegene Blume / Entfaltet Deine Lehre meinen Blicken. / Mit Dir hab’ ich dies Werk gedacht, empfunden, / Drum weih’ ich Dir die Frucht so schöner Stunden. »
20 Helmina von Chézy (Hastfer) : Unvergessenes. Denkwürdigkeiten aus dem Leben von Helmina von Chézy, 2 t., Leipzig 1858, t. I, p. 278 : « Nach den ersten gewöhnlichen Höflichkeitsformeln der Begrüßung lud uns Denon ein, ihn in seine Wohnung zu begleiten, die auch im Louvre befindlich war. Er bat uns dort zu einem auserlesenen Frühstück, welches sogleich aufgetragen wurde. Grüne Austern, noch aus dem Geschlecht der Urwelt, wurden schüsselweise aufgetragen. Den Beschluß machte schwarzer Kaffee, auf arabische Weise bereitet und aus Aegypten mitgebracht. »
21 Marie-Anne Dupuy : « Léonard Posch, Portrait de Denon », in : Denon 1999, cat. exp., notice n° 623, pp. 487-488.
22 Emperius 1999, p. 22 : « Wäre das Geschäft, das er hier verrichten sollte, nicht so gehäßig gewesen, so würde eine nähere Bekanntschaft mit ihm mir sehr erwünscht geschienen haben. »
23 Johann Wolfgang von Goethe : Werke, éd. de Weimar, Weimar 1887-1919, sect. IV, t. XIX, p. 216 : « So muß erst ein Gewitter vorbeyziehen, wenn ein Regenbogen erscheinen soll ! Er war äußerst munter und artig » ; sur le passage de Denon à Weimar, voir Manfred Naumann : « Denon 1806 chez Goethe à Weimar », in : Vivant Denon, Colloque de Chalon-sur-Saône, Francis Claudon et Bernard Bailly (éd.), Chalon-sur-Saône 1998, pp. 59-71.
24 Voir ibid., pp. 213-214.
25 Cette adresse est mentionnée en tête du procès-verbal établi à l’issue des saisies opérées par Denon au château royal de Berlin ; voir le tome II du présent ouvrage : « Inventaire des objets d’art et de curiosité enlevés du palais du roi de Prusse à Berlin par ordre de S.M. l’Empereur pour être transportés à Paris ».
26 Sur ce personnage demeuré peu connu, qui occupa les fonctions de « contrôleur de la Monnaie impériale des médailles », voir Catherine Delmas : « Denon directeur de la Monnaie des médailles », in : Denon 1999, cat. exp., pp. 276-285, ici p. 281, note 22.
27 Ferdinand Dollinger : « Le dessinateur strasbourgeois Benjamin Zix », Archives alsaciennes d’histoire de l’art, 2/1923, pp. 193-220, ici p. 207 ; sur Benjamin Zix, voir Régis Spiegel : « Benjamin Zix, ami et collaborateur de Vivant Denon », in : Denon 1999, cat. exp., p. 272 ; du même auteur, Dominique-Vivant Denon et Benjamin Zix. Acteurs et témoins de l’époque napoléonienne. 1805-1812, Paris 2000.
28 Müller 1992, p. 20.
29 Voir Les musées en Europe à la veille de l’ouverture du Louvre, Édouard Pommier (éd.), Paris 1995, en particulier Dittscheid 1995.
30 Emperius 1999, p. 17 : « [Le duc de Brunswick] voulut en 1806 réunir dans la capitale l’ensemble des œuvres d’art et des manuscrits dispersés dans le pays […]. On avait déjà commencé de dresser les plans pour l’aménagement des locaux, et une somme importante était destinée à la réalisation de ce projet. »
31 Voir Georg Gronau : « DieVerluste der Casseler Galerie in der Zeit der französischen Okkupation. 1806-1813 », Internationale Monatsschrift für Wissenschaft, Kunst und Technik, 1917, 11e année, 9e et 10e cahier, col. 1063-1214 ; sur le destin ultérieur de ces quarante-huit tableaux, voir Alain Pougetoux : « Le Directeur et l’Impératrice », in : Gallo 2001, pp. 105-117, en particulier pp. 110-111.
32 Voir Emperius 1999, p. 20.
33 Lettre de Puhlmann à Frédéric-Guillaume III, Berlin, 15 mars 1810, in : Emperius 1999, pp. 7-11, ici p. 8 ; sur l’évacuation des tableaux de Potsdam et Berlin, voir Götz Eckardt : Die Bildergalerie in Sanssouci, thèse, Halle 1974, pp. 32-38. Je remercie Madame Götz Eckardt (Potsdam) d’avoir mis cette thèse à ma disposition.
34 Voir Eduard von Engerth : Kunsthistorische Sammlungen des allerhöchsten Kaiserhauses, 3 t., Vienne 1882-1886, t. I, pp. LXXIV-LXXV.
35 Emperius 1999, p. 23.
36 Voir la traduction française des témoignages d’Emperius (Brunswick, musée), Puhlmann (Potsdam, Sans-Souci) et Völkel (Cassel, musée Fridericianum) in : Emperius 1999 ; voir aussi le rapport du castellan Rhode (Berlin, château royal), Berlin 1809, Potsdam, Stiftung Preußische Schlösser und Gärten Berlin-Brandenburg, Akten des Hof- bzw. Oberhofmarschallamtes, dossier 149 ; extraits du rapport de Füger, directeur du Belvédère à Vienne, in : Engerth 1884, p. LXXVI ; celui de Mannlich, directeur des collections de l’électeur de Bavière, in : Mannlich 1993, pp. 520-522.
37 François-Guillaume-Henri Reclam, né en 1778, était pasteur et professeur au collège français de Berlin.
38 Lors d’un voyage effectué avec son mari Jean Henry en 1803 ; sur Suzette Henry, voir Gabriele Vogelberg : Suzette Henry und die Folgen der guten und schlechten Ehe, Münster 2000.
39 Journal de Minette Henry, Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, département des manuscrits, nl Runge-Dubois, Depo. 5, Nr. 178, fol. 186-201, ici fol. 194-195 : « 29sten Oktober : Es kommen immer mehr Franzosen, und sie essen und trinken zum Erschrecken viel. Es ist das herrlichste Wetter, Mama und ich sind ein bißchen spazieren gegangen, und wir haben den Kaiser gesehen, […] sonst brachten wir den Tag ruhig zu Hause zu, ich darf nicht unbegleitet ausgehen. Abends hatten wir noch einen Schrecken, nein, einen Schrecken wie ich doch lange keinen gehabt habe. Um ein Viertel auf elf, als Reclams, die bei uns zu Abend gegessen hatten, fort gehen wollten, brachten [Lautchen ?], Mama und ich sie heraus. Im Augenblick, wo ich mich der Thüre näherte um sie zu öffnen, klinkte Jemand von außen daran. Wir erschraken. Mama und wir Alle riefen wie aus einem Munde : “Wer ist da”. Eine starke Männerstimme antwortete : “Ein Offizier vom Kaiser !” Man stelle sich unsern Schrecken vor ! Mama rief : “Macht nicht auf !” Reclam sagte : “bah, man muß aufmachen. Wenn ein Mann dabei ist, kann man auch aufmachen”. Die Thür ging auf, und drei Herren in französischer Uniform traten ein, der erste ein alter Herr mit einem liebenswürdigen Gesicht fragte nach Papa. Mama wurde so weiß wie ihr Plaid und konnte vor Schreck kaum sprechen. Ich bin sonst nicht leicht zu erschrecken, aber da fürchtete ich mich auch, und zitterte wie Espenlaub. Mama konnte noch immer nicht sprechen, aber plötzlich, als sie genauer hinsah, erkannte sie den alten Herrn, es war Herr Denon, mit dem sie in Paris viel verkehrt hatte. Aber das milderte ihre Angst nicht, und sie sagte ihnen, daß Papa mit der Königlichen Kunstkammer abgereist wäre. Sie kamen nun zu uns herein, und Reclams auch, da es schon eine von Mamas Befürchtungen gewesen war, daß der Kaiser deswegen auf Papa erzürnt sein könnte, sprach sie davon. Aber die Herren wiederholten mehrmals: “Aber nein, er hat ja nur den Befehlen seines Königs gehorcht.” »
40 Emperius 1999, p. 12.
41 Ibid., p. 8.
42 Paris, an, O2 842 : lettre de Denon à Pierre Daru, Berlin, 24 mars 1807.
43 Sur les rapports de Stendhal et Denon, voir les recherches importantes d’Elaine Williamson, notamment : « Stendhal et Dominique-Vivant Denon. De l’expédition d’Égypte à l’inventaire du musée Napoléon », Stendhal Club, 123/1989, p. 171-196 ; du même auteur : « Denon et Stendhal », in : Denon 1999, cat. exp., p. 134 ; sur Stendhal à Wolfenbüttel, voir Wolfgang Milde : « Stendhal in Wolfenbüttel : Kriegskommissar und Bibliotheksbenutzer (mit sechs bisher unbekannten Briefen) », in : Wolfenbütteler Beiträge. Aus den Schätzen der Herzog August Bibliothek, Paul Raabe (éd.), t. 5, Francfort-sur-le-Main 1982, pp. 163-189 ; Manfred Naumann : « Henri Beyle visiteur des musées allemands : Berlin, Brunswick », in : Stendhal, la Bourgogne, les musées, le Patrimoine, actes de colloque, Moncalieri 1997, pp. 231-243.
44 Naumann 1997, p. 237 ; sur le bibliothécaire Ernst Theodor Langer, voir Paul Zimmermann : « Ernst Theodor Langer, Bibliothekar zu Wolfenbüttel », Zeitschrift des Harz-Vereins für Geschichte und Altherthumskunde, 16e année, 1883, pp. 56-64.
45 Merci à Madame Ursula Baurmeister de m’avoir communiqué une copie de ce document.
46 Carl H. von Heinecken : Idée générale d’une collection complète d’estampes, Leipzig 1771.
47 Voir Varry 1991, p. 26.
48 Paris, an, F21 574 ; voir aussi Frédéric Barbier : « La guerre des livres : Vienne-Paris, 1805-1815 », Bulletin de la Mission historique française à Göttingen, 35/1999, pp. 179-190.
49 Vivant Denon : Lettres à Bettine, Fausta Garavini (éd.), Paris 1999, p. 526.
50 Tonnes Christian Bruun Neergaard : « La galerie de Salzthalen, et de l’état des Beaux-Arts à Brunswick », Magasin encyclopédique, III/1806, pp. 29-107.
51 Jean Henry : Allgemeines Verzeichniß des Königlichen Kunst-, Naturhistorischen und Antiken-Museums, Berlin 1805.
52 « Verzeichnis von den Kunstsachen, Münzen, Büchern und anderen Merkwürdigkeiten, welche in dem Kriege 1806-1807 durch die Franzosen aus unserem Lande genommen wurden », rapport manuscrit de Friedrich Rabe, 12 février 1814, Stiftung Preußische Schlösser und Gärten Berlin-Brandenburg, Akten des Hof- bzw. Oberhofmarschallamtes, dossier 149, fol. 5-33.
53 Minute d’une note de Visconti (bnf, département des manuscrits, nouv. acqu. fr. 5980), citée par Ferdinand Boyer : « Les responsabilités de Napoléon dans le transfert à Paris des œuvres d’art de l’étranger », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. XI, octobre-décembre 1964, pp. 241-262, ici p. 259.
54 Sur Visconti et le rôle clé qu’il a joué au sein du musée Napoléon, voir les travaux importants de Daniela Gallo, notamment : « Les antiques au Louvre : une accumulation de chefs-d’œuvre », in Denon 1999, cat. exp., pp. 182-194 ; du même auteur : « Le musée Napoléon et l’histoire de l’art antique », in : Gallo 2001, pp. 685-713 ; du même auteur : « L’ideologia imperiale e l’Iconographie ancienne di Ennio Quirino Visconti », in : Ideologie e patrimonio storico-culturale nell’età rivoluzionaria…, Nicola Raponi (éd.), Rome 2000, pp. 55-77.
55 Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, pp. 1318-1319, an 59.
56 Emperius 1999, p. 23.
57 Ibid., p. 9 : « Cette liste avait très probablement, et c’est regrettable, été établie par quelqu’un dont j’ignore le nom, et transmise à l’empereur. »
58 Edmund Heusinger : Geschichte der Residenzstadt Braunschweig von 1806-1831, Brunswick 1861, p. 30 : « Monsieur de Preumeneu, Bruder des Cultusministers während der ersten Jahre der Kaiserzeit, verdient in der Geschichte der Salzdahlumer Kunstsammlung als ein Verräther genannt zu werden. Er stand als einer der ersten adeligen Emigranten auf der Liste, welche dem Aufrufe Napoleons zur Rückkehr nach Frankreich Folge leisteten. Als Dilettant in den schönen Künsten, erbat er es sich als eine besondere Ehre, den großen Kunstkenner Denon nach Braunschweig und Cassel begleiten zu dürfen, um bei der Inventur der nach Paris abzuführenden Kunstschätze behülflich zu sein. » Il s’agit très probablement de l’un des trois frères du comte Félix-Julien-Jean Bigot de Préameneu, ministre des Cultes de Napoléon.
59 Paris, an, O2 841 : « Objets d’art enlevés des pays conquis, Campagnes de 1806 à 1807, Compte rendu par le Directeur général du musée Napoléon ».
60 Emperius 1999, p. 22.
61 Michael Cullen et Uwe Kieling : Das Brandenburger Tor, ein deutsches Symbol, Berlin 1999, pp. 41-43. Voir le récit de la rencontre entre Schadow et Denon in : Emperius 1999, pp. 4-6.
62 Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, pp. 1319-1320, an 61.
63 Voir Stuart W. Pyhrr : « De la Révolution au romantisme : les origines des collections modernes d’armes et d’armures », in : Gallo 2001, pp. 618-650 ; Marie-Anne Dupuy : « Description des armures et trophées de guerre qui sont exposés au musée Napoléon », in : Denon 1999, cat. exp., notice n° 169, pp. 162-163.
64 Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, p. 424, n° 1125.
65 Ibid.
66 Emperius 1999, p. 26.
67 Paris, Archives Nationales, O2 842 : lettre de Denon à Pierre Daru, Brunswick, 14 février 1807.
68 Sur l’exposition de 1807, voir le chap. i dans la 3e partie du présent volume.
69 Emperius 1999, pp. 23-26.
70 Voir Poulot 1997, notamment les chap. iii, iv, viii et ix.
71 Emperius 1999, pp.13-14.
72 Ibid., p. 9.
73 Ibid., p. 23.
74 Ibid., p. 9.
75 Ibid., p. 13.
76 Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, an 61, pp. 1319-1320.
77 Morgenblatt für gebildete Stände, n° 15, 17 janvier 1807, p. 60 : « [Denon] äußerte später in Berlin, daß in den Dresdner Sammlungen nach dem Willen des großmuthigen Siegers selbst nichts angerührt werden solle, daß er aber nach Dresden kommen werde, um die Natur- und Kunstschönheiten dort kennen zu lernen. »
78 Charles Maurice de Talleyrand-Périgord : Mémoires du prince de Talleyrand, 5 t., Paris 1891-1912, t. I, p. 310.
79 Paris, an, af IV 1675, dossier 10, pièces 68-69 : lettre de Denon au prince de Neufchâtel, Vienne, 18 juin 1809.
80 Engerth 1884, pp. LXXVI-LXXVII : « Alle meine Einwendungen waren fruchtlos. Denn auf meine Bemerkung, daß dieses Gemälde von Rubens seiner Größe, Schwere und Gebrechlichkeit wegen niemals mehr von seiner Stelle herabgenommen worden sei, äußerte Herr Denon seinen Entschluß, dasselbe in drei Theile auseinander nehmen zu lassen. Selbst meine Erinnerung, daß eine bei Werken der Malerei so ungewöhnliche Operation Stoff zu einer Anekdote in der Kunstgeschichte geben würde, die ich nicht auf meine Rechnung zu nehmen gedächte, blieb ohne Erfolg ; Herr Denon berief sich auf seinen erhaltenen ausdrücklichen Befehl, dieses Bild zu nehmen. Es wurde demnach auf beiden Seiten mit feinen Sägen durchgeschnitten und gleich anderen kleineren Stücken eingepackt. »
81 Voir supra chap. ii.
82 Lettre de Schadow à Böttiger, Berlin, 5 mars 1807, in : Johann Gottfried Schadow : Kunstwerke und Kunstansichten. Kommentierte Neuausgabe der Veröffentlichung von 1849, Götz Eckardt (éd.), 2 t., Berlin 1987, t. II, p. 484.
83 Mannlich 1993, p. 521.
84 Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, p. 508, n° 1413.
85 Journal de Minette Henry, Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, département des manuscrits, nl Runge-Dubois, Depo. 5, Nr. 178, fol. 186-201, ici fol. 197 : « 2ten November, Wenn unser guter Papa heute plötzlich hier angekommen wäre, hätte er sich sehr verwundert, zu finden, daß Mama ein Frühstück gab, und noch mehr über die Gäste, die bei uns waren. Es waren M. Denon, Herr von Humboldt (Alexander), Herr Biester, Herr und Frau Molière, Mad. PP. Jordan und Reclam. M. Denon und Humboldt gingen erst um 2 Uhr weg. Die Unterhaltung war fast nur zwischen diesen beiden Männern, und dadurch sehr interessant; Amerika, Ägypten, die Reisen und Arbeiten der beiden Gelehrten bildeten den Gegenstand der Gespräche. »
86 Paris, an, O2 842, voir Monica Preti-Hamard : « Maître de la Manne », in : Denon 1999, cat. exp., p. 251, notice n° 248.
87 Schadow 1987, t. II, p. 490 : « Des Copernicus Büste ist ziemlich avanciert in Marmor, diese habe ich nach mehreren Kupfern u. einer Zeichnung von Denon gemacht, der solche nach dem Original Gemälde in Thorn leicht entwarf u. mir aus dem Hauptquartier Finkenstein überschickte. »
88 Dupuy / Le Masne / Williamson 1999, pp. 1319-1320, an 61.
89 Voir Wilhelm Weber : Saxa loquuntur, Steine reden. Geschichte der Lithographie, Heidelberg et Berlin 1961, pp. 43-62, en particulier p. 43 ; Goetz 1999.
90 Morgenblatt 1807, 26 mai, p. 576 : « Rösel, von dem wir schon so manche schöne Landschaft in Sepia erhielten, hat jetzt, wie man sagt, auf Denons Begehren, die schönsten Parthien von Sans-Souci in seiner bekannten kräftigen Manier gezeichnet, und man kann diese Arbeit zu seinen besten zählen. »
91 Schadow 1987, t. II, p. 488 : « Der Landschafter Rösel hat 3 colorirte aquarellen Aussichten von Sanssouci für den Kaiser gemacht, die gar lieblich gerathen sind u. eine preziose Ausführung haben, so daß ich denke, diese wenigen Sachen werden uns bei den Parisern nicht herabsetzen. »
92 Ibid., t. I, p. 78.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Journal
Regards sur l’art et les artistes contemporains, 1889–1937
Comte Harry Kessler Ursel Berger, Julia Drost, Alexandre Kostka et al. (éd.) Jean Torrent (trad.)
2017
Kurt Martin et le musée des Beaux-Arts de Strasbourg
Politique des musées et des expositions sous le IIIe Reich et dans l’immédiat après-guerre
Tessa Friederike Rosebrock Françoise Joly (trad.)
2019
Das Spektakel der Auktion
Die Gründung des Hôtel Drouot und die Entwicklung des Pariser Kunstmarkts im 19. Jahrhundert
Lukas Fuchsgruber
2020
« Belle comme Vénus »
Le portrait historié entre Grand Siècle et Lumières
Marlen Schneider Aude Virey-Wallon (trad.)
2020
Une collecte d’images
Walter Benjamin à la Bibliothèque nationale
Steffen Haug Jean Torrent (trad.)
2022
Patrimoine annexé
Les biens culturels saisis par la France en Allemagne autour de 1800
Bénédicte Savoy
2003
Le héros épique
Peinture d’histoire et politique artistique dans la France du XVIIe siècle
Thomas Kirchner Aude Virey-Wallon et Jean-Léon Muller (trad.)
2008
Compagnons de lutte
Avant-garde et critique d’art en Espagne pendant le franquisme
Paula Barreiro López Phoebe Hadjimarkos Clarke (trad.)
2023
Nationalismes, antisémitismes et débats autour de l’art juif
De quelques critiques d’art au temps de l’École de Paris (1925-1933)
Alessandro Gallicchio Katia Bienvenu (trad.)
2023