Chapitre III. Codicologue, incunabuliste et rabatteur
La mission de Jean-Baptiste Maugérard dans les quatre départements du Rhin 1802-1804I
p. 87-113 (tome premier)
Texte intégral
Nous vous exhortons très fort à ne rien négliger pour nous procurer [de nouvelles richesses], et vous ne devez point considérer le temps que vous pourrez employer à les découvrir, celui de votre mission n’étant pas borné.
Augustin Capperonnier à Maugérard1
La mission de Jean-Baptiste Maugérard dans les départements rhénans annexés. 1802‑1804

Crédits/Source : © FPK – Ingenieurgesellschaft mbH, Berlin
1« La première fois que je me suis trouvé avec [Maugérard], ç’a été le dimanche de la Pentecôte 1788 à Versailles chez l’archevêque de Sens, alors principal Ministre, à qui il envoyait de Metz, presque par chaque courrier, des éditions précieuses du 15ème siècle », se souvient Van Praet, éminence grise des conquêtes bibliographiques opérées sur ordre du Directoire et du Consulat en Italie puis en Allemagne.2 Avant la Révolution, le bénédictin lorrain Jean-Baptiste Maugérard jouit d’une incontestable réputation dans les milieux bibliophiliques français et il approvisionne plusieurs collectionneurs prestigieux. Quatorze ans plus tard, en 1802, le même Maugérard est engagé par le ministre de l’Intérieur, sur les conseils de Van Praet, pour écumer au nom de la République les bibliothèques et dépôts littéraires des quatre départements rhénans annexés à la France depuis l’automne 1800. Entre-temps, Maugérard, réfractaire à la Constitution civile du clergé, a vécu exilé pendant dix ans en Allemagne. Sa nomination en 1802 illustre une nouvelle fois la continuité des pratiques républicaines et des pratiques d’Ancien Régime en matière de voyages prospectifs et de ponctionnements culturels ; mais elle marque un tournant crucial dans le mode de recrutement des commissaires spoliateurs : confiées désormais, au gré des opportunités, « au zèle et à l’habileté d’un savant »,3 les saisies restent placées sous la responsabilité d’un seul homme, certes, mais cet homme est choisi selon des critères d’érudition, de spécialisation et de connaissance du terrain qui en font virtuellement le nec plus ultra des agents susceptibles d’être mobilisés. En choisissant Maugérard pour opérer dans les nouveaux départements, les autorités françaises renoncent à l’horizon pluridisciplinaire des campagnes antérieures et privilégient désormais l’aspect qualitatif des saisies. Elles les dissocient, en outre, des activités d’observation et de description qui jusqu’alors avaient occupé tous les agents français en mission dans les régions conquises.
2Entre le printemps 1803 et l’été 1804, Maugérard adresse à la Bibliothèque nationale plusieurs centaines d’incunables, de chartes et de manuscrits trouvés dans les nouveaux départements, ouvrages souvent très rares qui, pour la grande majorité, resteront acquis à l’établissement après 1815 – moins parce qu’ils ont été pris dans des régions dont l’annexion avait été reconnue en droit international, que parce qu’ils demeurent alors introuvables. Dans l’ouvrage qu’il consacre à l’origine et aux accroissements de la Bibliothèque nationale (1878), Théodore Mortreuil note ainsi que « la mission de Maugérard profita principalement au département des imprimés, [qu’]elle fournit à la série des incunables de précieuses additions qui ont fait placer son nom à côté des plus illustres bienfaiteurs de ce département », et il précise dans une note : « Le nom de Maugérard a été inscrit dans la nouvelle galerie de la Réserve, en compagnie des Huet, des Falconet, des de Thou, des frères Dupuy, de François Ier. »4 Ainsi immortalisé au xixe siècle, puis tombé – en France – dans un oubli soigneusement entretenu, le nom de Maugérard est discrètement sorti de l’ombre à l’occasion de l’importante exposition consacrée en 1989 à l’enrichissement de la Bibliothèque nationale pendant la décennie révolutionnaire.5 En Allemagne en revanche, où ses activités de commissaire ont aiguillonné très tôt la curiosité des bibliographes et des bibliothécaires, des études d’une précision criminaliste et d’une érudition remarquable lui ont été consacrées dès les années 1830.6
3Diabolisé au gré des durcissements idéologiques franco-allemands, suivi dans la plupart de ses voyages, identifié grâce aux traces caractéristiques qu’il a laissées sur les livres passés entre ses mains, le personnage de Maugérard jouit d’une aura singulière dans l’historiographie des bibliothèques allemandes. Agent franco-allemand impliqué plus qu’aucun autre dans le transfert massif d’ouvrages précieux entre l’Allemagne et la France – transfert culturel s’il en est –, Maugérard a été qualifié, du côté allemand, de misérable « chien d’arrêt […] marchand et voleur et peut-être pire encore […] entraîné par des années de chasse privée »,7 et du côté français, avec une remarquable continuité de la métaphore olfactive, d’auxiliaire « au flair merveilleux ».8 Après les confiscations massives pratiquées à l’automne 1794, et les liquidations ordonnées par le commissaire Keil à partir de 1796, sa mission est la troisième à prendre pour cible les régions allemandes de la rive gauche du Rhin. Mais cette fois le cadre politique, diplomatique et militaire a changé : les « conquêtes » n’affectent plus des territoires occupés ou soumis par le pouvoir des armes, mais des régions légalement annexées, dont l’identité administrative est officiellement française. Ce contexte particulier a une incidence tangible sur le cours de la mission confiée à Maugérard, qui n’est donc pas réductible au modèle des « conquêtes » d’objets d’art et de science menées depuis 1794. L’action du bénédictin réfractaire, même si elle se déploie en Allemagne, s’inscrit très clairement dans la logique de réorganisation intérieure du patrimoine national français. Dans la mesure toutefois où Maugérard a été assimilé par l’historiographie aux autres commissaires français,9 le cours et les modalités de sa mission méritent d’être examinés eux aussi.
Prospection et négoce : les réseaux ecclésiastiques et laïques
4Pour expliquer les raisons qui font de Maugérard un excellent connaisseur des fonds bibliographiques conservés outre-Rhin, son arrière-petit-neveu et biographe, Jean-Baptiste Buzy, fait intervenir une « noble étrangère » rencontrée par hasard en Allemagne pendant les années d’exil : « Dom Maugérard, écrit-il, dit à cette dame qu’il était prêtre et émigré. Rassurée par ces simples paroles, elle lui donna une place dans sa voiture, lui confia qu’elle était veuve, et lui avoua son embarras et ses craintes en pays étranger. Dom Maugérard lui offrit ses services, et fut en effet son cicérone durant quelques jours. Au moment de son départ, cette dame, comme souvenir de reconnaissance, lui donna un calepin, ou portefeuille, en maroquin rouge, qui, précisément, contenait des renseignements sur les bibliothèques d’Allemagne, lesquels lui furent très utiles dans la suite. Ce fut là, comme on peut le croire, un épisode agréable durant les tristesses de l’exil. »10 En fait de calepin en maroquin rouge, la connaissance approfondie que le Lorrain Maugérard possède des bibliothèques allemandes à la fin du xviiie siècle est liée à la situation frontalière de sa région d’origine, d’une part, et à des activités bien antérieures à la Révolution, d’autre part, qui avaient fait de lui une importante cheville dans le grand réseau aristocratique de la bibliophilie européenne.
5Dès les années 1760, Maugérard entretient en effet des relations suivies avec les conservateurs de plusieurs bibliothèques conventuelles d’Allemagne méridionale, avec certains acteurs laïques de la bibliophilie allemande, et avec les plus éminents collectionneurs français. Considérées rétrospectivement, ces relations présentent un triple intérêt. Intérêt biographique, d’abord, dans la mesure où elles éclairent les sources d’information et les pratiques d’un homme conduit, quelques décennies plus tard, à opérer en Allemagne au nom de la République française. Intérêt pour l’histoire des transferts culturels franco-allemands, voire franco-européens, ensuite, puisqu’elles désignent certains des supports à la faveur desquels la bibliophilie française, dans son souci de rivaliser avec le panache des collections britanniques, organise son approvisionnement en Allemagne (comme aussi en Italie).11 Intérêt plus général pour l’histoire des bibliothèques, enfin, en ce qu’elles illustrent le rôle européen, et bien antérieur à la tourmente révolutionnaire, joué par les ecclésiastiques dans le démembrement des bibliothèques religieuses, qui alimentent de leurs richesses le marché privé de la haute bibliophilie anglaise, française ou néerlandaise. Van Praet résume ainsi les activités de Maugérard : « Avant et après qu’il fut commissaire du gouvernement, il entretint avec moi une correspondance purement littéraire et bibliographique. Sans avoir des connaissances étendues dans cette partie, il savait déterrer les éditions les plus rares et à la faveur de son habit il les obtenait facilement et à bon compte des couvents où on les conservait, et les vendait aussi chères qu’il lui était possible. »12 Ces trois aspects : solidarités confraternelles, négoce à bon compte et érudition défaillante, sont trois constantes dans la carrière franco-allemande de Maugérard.
6Né dans la Meuse en 1735 (encore plus âgé, donc, que les commissaires précédents), il entre chez les bénédictins à l’âge de seize ans et il exerce bientôt les fonctions de bibliothécaire à l’abbaye de Saint-Arnould à Metz. Il s’y consacre en particulier à l’élaboration du catalogue de la bibliothèque épiscopale, ainsi qu’à la recherche et à l’acquisition de « livres d’anciennes éditions […] achetés et vendus à un profit considérable », comme l’indique le registre des recettes de son abbaye.13 La proximité de l’Allemagne lui permet d’y nouer des relations précoces avec des bibliothécaires souvent peu conscients des trésors dont ils se défont. En 1766, Maugérard procède ainsi à des transactions avantageuses à Mayence, où il convainc d’abord le bibliothécaire de la cathédrale, Haber, de lui échanger cinq imprimés rares du xve siècle contre des ouvrages théologiques et diplomatiques de parution récente ;14 il y récidive l’année suivante, avec succès, auprès des bénédictins du Jakobsberg et de leur bibliothécaire Sulzer, en prétendant que ses frères de la congrégation de Saint-Maur l’ont chargé de recueillir en Allemagne, en échange de leurs publications récentes, des manuscrits et des imprimés anciens susceptibles d’étayer leurs travaux érudits.15 Inscrit dans la durée, le jeu des solidarités monastiques permet à Maugérard, pendant plusieurs années, de puiser sans difficulté dans les couvents d’Allemagne. En sens inverse, il est employé par exemple, en 1769, pour procurer de nouveaux livres à l’importante abbaye Saint-Blaise en Forêt Noire, dont la bibliothèque a été détruite par un incendie. Cette activité fait l’objet, jusqu’en 1772, d’une correspondance suivie (moitié en latin, moitié en français) entre Maugérard et son commanditaire, le prince-abbé Martin Gerbert – correspondance qui témoigne de l’intense activité transfrontalière et négociante du bénédictin messin.16 En 1785, Maugérard est de nouveau à Mayence, où l’archevêque le reçoit à plusieurs reprises, et où il retourne à l’été 1789 pour négocier une nouvelle fois l’acquisition d’imprimés rares auprès des moines du Jakobsberg.17 A la même époque il obtient de Günther, bibliothécaire de l’archevêque, un remarquable exemplaire de la bible de Gutenberg, l’un des plus précieux imprimés du xve siècle.18
7D’abord circonscrit aux milieux ecclésiastiques, le rayon d’action de Maugérard s’élargit bientôt aux cercles des négociants et des collectionneurs laïques d’Allemagne, avec lesquels il entretient des correspondances suivies, ou auxquels il rend parfois visite. En juillet 1789, il est par exemple à Cologne, où il inscrit son nom dans le livre d’or du baron Hüpsch, collectionneur de notoriété européenne et d’intérêts éclectiques déjà rencontré dans le premier chapitre.19 De l’avis des spécialistes, les deux hommes se fréquentent assidûment entre 1787 et 1803, et ils concluent plus d’un marché entre ces dates.20 Toujours en 1789, signe de sa promptitude à réagir aux informations qui circulent à l’échelle européenne, Maugérard entre en correspondance avec Karl Heinrich von Heinecken, secrétaire particulier et bibliothécaire du comte de Brühl à Dresde, mais aussi et surtout conseiller de l’électeur de Saxe en matière d’art et de livres. Quelques décennies plus tôt, Heinecken a joué un rôle décisif dans l’élargissement de la galerie de peinture de Dresde, et il dirige le cabinet d’estampes de l’électorat, entièrement réorganisé à son instigation. Collectionneur lui-même, il possède une bibliothèque particulière composée surtout d’incunables et de livres illustrés des xve et xvie siècles, dont Maugérard entend évoquer la richesse jusqu’en France. C’est ainsi par exemple qu’il écrit à Heinecken, en février 1789 : « Monsieur, J’ay appris ces jours derniers par un de mes amis que vous aviez une collection d’anciennes éditions que probablement vous céderiés à des amateurs ; comme j’aime cette partie de la littérature, et que j’achette de ces sortes d’éditions dont j’ai déjà un bon nombre, je desirerois Monsieur que vous voulussiez bien avoir la complaisance de m’envoyer le Catalogue de vos anciennes éditions, en y joignant les plus justes prix soit en argent de France, soit en Florins du Rhin. Je desirerois aussi que vous voulussiez bien marquer à chaque article s’il est en bon état, bien conservé et sans tache. Si vous aviez quelques éditions sur vélin, je les prendrois volontiers. »21 On ignore si Maugérard a finalement conclu des marchés avec l’aristocrate saxon, mais le brouillon d’une réponse incite à le penser : « Le meilleur expédient serait, Monsieur, de me faire savoir quels livres vous souhaitez d’acquérir en me les nommant. Alors je serais peut-être en état de vous les procurer […] mais pour d’autres livres rares, ne sachant pas ce que vous possédez ou ce que vous cherchez préférablement, j’attends votre réponse. »22 Les liens que Maugérard noue en Allemagne avant son exil de 1792 visent donc davantage, semble-t-il, l’acquisition que la vente d’ouvrages rares. Cette politique d’achat, qui trouve son débouché principal en France, se double chez Maugérard d’un effort de légitimation scientifique.
Légitimation scientifique
8Auteur dans les années 1760 du catalogue des manuscrits et imprimés appartenant au chapitre de Metz, Maugérard publie au cours des années suivantes quelques notices qui lui valent notamment, en 1779, une nomination au titre d’« académicien cotitulaire de la Société royale des sciences et arts de Metz ».23 Il n’omet plus dès lors, dans les relations épistolaires qu’il entretient avec ses confrères allemands, de mentionner ses titres d’érudition : « Dom Maugerard Monachus benedictinus in Collegio regio Metensi Academiae regiae Metensis Socius titularis ».24 Dans les années 1780, il est par ailleurs l’auteur de plusieurs articles bibliographiques qui paraissent dans le Journal encyclopédique et L’Esprit des journaux. Bien souvent, selon une pratique courante dans le milieu de la bibliophilie, ces dissertations servent à souligner la valeur d’une pièce qu’il vient de découvrir, ou qu’il s’apprête à vendre. C’est ainsi par exemple qu’en 1789, lorsqu’il acquiert à Mayence le fameux exemplaire de la bible de Gutenberg évoqué plus haut, il se hâte d’en rendre l’acquisition publique à la faveur d’un Mémoire lu à la séance du 24 août 1789 de la Société royale des sciences et des arts de Metz par Dom Maugérard bibliothécaire de M. le cardinal de Montmorency et de l’Abbaye de S. Arnould sur la découverte d’un exemplaire de la Bible connue sous le nom de Guttemberg, accompagné de renseignemens, qui prouvent que l’impression de cette Bible est antérieure à celle du Psautier de 1457.25
9Le titre circonstancié de l’opuscule, qui ne comporte pourtant que six pages, dit assez le sérieux auquel aspire Maugérard. Intimement mêlée à des activités commerciales, cette aspiration scientifique motive elle aussi des prises de contact répétées avec le monde allemand. Au début des années 1780, témoignage de l’œcuménisme régnant dans les milieux de l’érudition, Maugérard entre par exemple en relation avec le directeur de la bibliothèque de Nuremberg, Georg Wolfgang Panzer (1729‑1805),26 pasteur de l’église Saint-Sébald et auteur surtout de plusieurs manuels de bibliographie très diffusés en Europe, qui ont notamment permis aux administrateurs de la Bibliothèque nationale, on l’a vu, de préparer les saisies confiées à Neveu en 1800.27 Les ouvrages scientifiques de Panzer, sa riche collection de bibles incunables (vendue en bloc au duc de Wurtemberg en 1780) et le discernement sourcilleux de ses travaux en font un allié précieux du moine bénédictin, qui le démarche à plusieurs reprises entre 1781 et 1802, laissant des témoignages qui éclairent bien les canaux de communication franco-allemands de la bibliophilie des Lumières.28
Passeur de livres
10Trait d’union entre l’Allemagne et la France, servi par le double habit du moine et du savant, Maugérard (dont rien n’atteste qu’il parle allemand) accumule donc, avant la Révolution, une somme considérable d’ouvrages et de connaissances, dont il prend soin de monnayer la valeur en France. On est conscient, outre-Rhin, du danger qu’il représente pour l’intégrité du patrimoine littéraire local, et les témoignages qui suivent suggèrent d’une part que ses activités ont été de très grande envergure, et d’autre part qu’elles sont ressenties, ici ou là, comme une lourde menace : « Entre 1767 et 1803, les bibliothèques de Franconie furent menacées par deux redoutables ennemis, qui, à la faveur de l’ignorance des gardiens d’alors, exportèrent à l’étranger quantité de joyaux rarissimes, faisant ainsi de gros profits, je veux parler du bénédictin français Dominicus Maurus Maugérard et du bibliophile écossais Alexander v. Horn », note ainsi Jeremias-David Reuss, bibliothécaire et professeur de philosophie, dans une étude rétrospective qu’il consacre aux collections d’imprimés et de manuscrits de Wurtzbourg.29 Cette concurrence franco-britannique en terrain allemand ne manque d’ailleurs pas de susciter, à l’époque même où elle sévit, de vives réactions de défense de la part de certains négociants.
11Lorsque Maugérard opère en Allemagne, certes, la fièvre de la bibliophilie n’a pas encore touché le pays comme elle a pu toucher l’Angleterre ou la France, mais dans certaines régions les cercles érudits commencent, à la fin du xviiie siècle, à s’intéresser aux livres anciens. C’est le cas par exemple dans les régions rhénanes, où les menées de Maugérard inquiètent tout particulièrement. En témoigne cette mise en garde anonyme publiée à l’été 1790, en langue allemande, dans le journal Staatsboth de Cologne (et dont tout laisse à penser qu’elle émane de Hüpsch et que, sans le nommer, elle vise Maugérard) : « Annonce particulière : on souhaite discrètement mettre en garde Messieurs les gardiens des bibliothèques, notamment dans les couvents, de ce qu’un Français voyageur erre dans nos contrées et de ce que, non content d’acheter dans les bibliothèques les éditions anciennes les plus rares pour des sommes dérisoires, il ne manque pas, en société, de se moquer de l’ignorance des bibliothécaires et des prêtres, qu’il méprise les bibliothèques, et que, plus généralement, il parle des Allemands comme si c’étaient tous des imbéciles. »30 A cette époque en effet, Maugérard parcourt la région, et il inscrit par exemple son nom et ses titres dans les registres de la Société de lecture de Bonn.31 Entre Allemagne profonde et société parisienne, voyages solitaires et salons mondains, Maugérard participe sous l’Ancien Régime, grâce à sa position transfrontalière, à la constitution de plusieurs bibliothèques aristocratiques françaises de très haute réputation.
12Une dizaine d’années avant la Révolution, à l’âge de quarante-quatre ans, Maugérard est nommé précepteur des fils du duc de Montmorency, pair de France (un neveu du cardinal de Montmorency, grand aumônier du roi) et il devient par ce biais bibliothécaire particulier du cardinal. Il fréquente les grandes maisons de France et leurs bibliothèques ; ses conditions de travail et les lieux où il opère anticipent de manière frappante sa mission républicaine de 1802. Dès les années 1770 en effet, il est employé comme rabatteur de livres par le duc de La Vallière, considéré comme le « parangon du bibliophile français »,32 auquel il adresse régulièrement d’importantes sommes de livres, au désarroi de l’abbé de Rive, bibliothécaire en titre de La Vallière : « Le Duc, auquel cette bibliothèque appartenoit, manquoit absolument d’esprit et de connoissance pour la bibliothèque qu’il me faisait former, il achetoit du moine Maugérard des caisses entières de livres, et quand il les avoit reçues, au lieu d’en rejetter les bouquins qui y étoient contenus, il en faisoit ordinairement relier la totalité en maroquin. »33 Phénomène plus important que le simple envoi de livres : Maugérard est chargé de voyager en Allemagne aux frais du duc de La Vallière, pour y dénicher des ouvrages précieux. A propos d’une pierre gravée découverte dans la cathédrale d’Aix-la-Chapelle à l’occasion d’un de ces voyages, et aussitôt identifiée comme le sceau de l’empereur Lothaire, Maugérard se souvient : « La gravure en creux me porta à croire que cette pierre était le sceau du prince ; et dès lors je la convoitai pour la rapporter à M. le duc de la Vallière, aux frais duquel je voyageais. Et je la convoitais avec d’autant plus d’ardeur, que l’un des chanoines de cette église, qui vint auprès de moi, me dit que ses confrères ne la connaissaient pas, qu’ils n’en faisaient nul cas. »34 Les enjeux et les méthodes ne diffèrent pas sensiblement de ceux qui marqueront la campagne de confiscations menée à partir de 1802, même si, dans le cas présent, Maugérard n’obtient finalement pas l’objet convoité. Mais l’épisode, on le verra, joue un rôle central pour la suite de sa carrière.
13Après donc avoir contribué à former la bibliothèque de La Vallière, l’une des bibliothèques françaises les plus exceptionnelles qu’aient produites les Lumières, Maugérard joue un rôle clé dans la constitution de celle de Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse puis de Sens, qui recourt pendant plusieurs années aux services du bénédictin. La fréquence des envois, leur nature, et la publication par Maugérard, en février 1788, d’une Notice de l’édition originale des Œuvres de Hrosvite, moniale d’Allemagne, dont il existe un magnifique exemplaire dans la bibliothèque de Mgr. l’archevêque de Toulouse, principal ministre d’Etat…,35 laissent supposer à bien des égards que nombre d’articles recueillis en Allemagne par ses soins ont trouvé en France un acquéreur fidèle en la personne de Loménie. Le commerce de livres extraits à bas prix des couvents allemands et revendus à l’aristocratie française du xviiie siècle semble donc avoir constitué pour Maugérard une activité fort lucrative. A la veille de la Révolution, il essaie même de l’étendre à la Maison du roi.
14Le fameux dimanche de la Pentecôte 1788, évoqué en introduction, joue dans cette tentative un rôle central. C’est ce jour-là, on l’a vu, que Van Praet fait la connaissance de celui qu’il fera nommer quatorze ans plus tard commissaire de la République. C’est ce jour-là aussi que Maugérard entreprend le réorganisateur des archives et des collections royales, Jacob Nicolas Moreau, sur l’intérêt qu’il pourrait y avoir à l’employer. Quelques jours après les festivités, le 26 mai 1788, Maugérard lui adresse en effet une longue lettre où il évoque en détail les découvertes qu’il a pu faire en Allemagne à l’occasion de ses voyages passés, et où il suggère un véritable plan d’action : « Monsieur, Vous m’avez ordonné de vous donner par écrit ce qui concerne le sceau de l’empereur Lothaire, que j’ai vu à Aix-la-Chapelle : je m’empresse de vous en donner les détails qui suivent. […] Vous êtes trop instruit, Monsieur, et trop érudit pour ne pas reconnaître toutes les conséquences que l’on peut tirer de la représentation de ce sceau précieux […]. Le chapitre d’Aix-la-Chapelle est dépositaire de tous les ornements royaux : il les conserve assez négligemment. Je n’ai pas vu les archives, mais elles ne peuvent être que très intéressantes. »36 Malgré cette lettre, Maugérard ne réussit pas à entrer en collaboration avec l’administration des archives du royaume. En 1792, l’adoption de la Constitution civile du clergé l’oblige à s’exiler, on l’a vu, et il séjourne en Allemagne pendant dix ans, accueilli principalement par les bénédictins de Saint-Pierre d’Erfurt en Thuringe. Cette décennie germanique ne lui fait renoncer ni à ses activités de prospecteur, ni à celles de négociant, ni même au désir de collaborer avec les plus hautes instances de la France.
Exil et optimisation des compétences
15Pendant l’exil, Maugérard fait d’Erfurt son quartier central, mais il entreprend de nombreux voyages à travers le pays. Entre 1793 et 1797, on le rencontre en Rhénanie du Nord (région de Munster), à Cologne et même à Gand, à Trêves, à la cour de Saxe-Gotha en Thuringe où il revient au moins trois fois entre 1794 et 1802, en Bavière (Bamberg, Nuremberg, Ratisbonne, Wurtzbourg), puis dans la ville épiscopale de Fulda, grand foyer bénédictin depuis le Moyen Âge.37 Comme autrefois, en effet, c’est à la faveur de son habit que Maugérard est intégré aux milieux locaux : il conjugue sociabilité monastique et sociabilité du bibliophile. Au cours de ces voyages, il approfondit sa connaissance des bibliothèques et des collections particulières allemandes, il consolide les rapports engagés par le passé et il élargit son réseau de relations. L’intense correspondance épistolaire qu’il mène entre ces dates, si elle n’a pas été conservée ou identifiée – loin s’en faut – dans son intégralité, permet de dresser le tableau fragmentaire des contacts entretenus par le bénédictin lorrain avec les personnalités de la bibliophilie allemande, et notamment avec ses bibliothécaires : Panzer, tout d’abord, que Maugérard avait sollicité en 1781 et qu’il va trouver à Nuremberg en 1796 ;38 Jeremias David Reuss (1750‑1837), ensuite, garde des collections universitaires de Göttingen et collectionneur lui-même ; Celestin Stöckl (1743‑1807), abbé des bénédictins de Metten, qui lui cède un exemplaire exceptionnel de la bible dite « à trente-six lignes » (revendu quelques années plus tard à la Bibliothèque nationale),39 mais aussi Julius Wilhelm Hamberger (1754‑1803), conseiller à la cour de Saxe-Gotha, et surtout Friedrich von Schlichtegroll (1765‑1822), futur secrétaire général de l’Académie des sciences de Bavière, lui aussi bibliothécaire à Gotha.40 Ces rencontres sont l’occasion pour Maugérard de poursuivre et d’amplifier sa politique d’acquisition dans les monastères, et de vente à des collectionneurs argentés.
16Pendant l’exil, en effet, le négoce de Maugérard ne faiblit pas. Certains de ses clients sont désormais issus de la plus haute aristocratie allemande, tel le duc Ernest II de Saxe-Gotha, qui devient son principal acheteur : entre 1795 et 1802, une centaine de manuscrits et d’incunables de toutes origines (et notamment, pour trois ou quatre d’entre eux, d’origine messine) sont ainsi vendus par Maugérard à la bibliothèque ducale.41 Par ailleurs, le bénédictin continue, depuis l’Allemagne, d’opérer à l’échelle européenne. En 1793, il entre par exemple en correspondance avec l’évêque bénédictin d’Orvieto, Cesare Brancadoro,42 et avec son secrétaire l’abbé Fraipont, qui parcourent eux aussi la Belgique et le nord de l’Allemagne en 1794‑1795. Pendant son séjour en Thuringe et jusqu’en 1808 au moins, Maugérard approvisionne l’évêque (devenu cardinal en 1801 et archevêque de Fermo en 1803) avec des ouvrages trouvés en partie dans les monastères allemands, qui pour certains sont revendus au pape à l’initiative du prélat italien. Maugérard ne néglige pas, en outre, ses relations avec la Bibliothèque nationale, qu’il continue d’entreprendre régulièrement. Juste avant son départ, en janvier 1792, il conclut sa première affaire franco-allemande avec l’établissement parisien en lui vendant la précieuse bible de Gutenberg acquise à Mayence trois ans plus tôt.43 Le lien créé à cette occasion ne se délie pas au cours des années d’émigration et, malgré sa situation excentrée, ou plutôt à la faveur de celle-ci, Maugérard informe régulièrement la Bibliothèque nationale des découvertes que lui réservent ses voyages. En 1795, il écrit par exemple à Van Praet, de Bamberg, qu’il envisage de parcourir le sud de l’Allemagne au printemps suivant et il propose de lui vendre pour cent louis d’or plusieurs ouvrages précieux.44
17Les méthodes de prospection et de persuasion employées par Maugérard se perfectionnent à mesure qu’il opère. En intermédiaire expérimenté, il prend soin de brouiller les pistes de provenance que portent les ouvrages qu’il revend, comme en témoigne une étude détaillée des livres qu’il a pu céder à la bibliothèque de Gotha : ils présentent des marques de raturage complet ou partiel sur les titres de propriété, certains feuillets de garde ont été éliminés, les reliures originales remplacées par des reliures neuves et neutres, les pages ou illustrations susceptibles d’être négociées séparément ont été distraites.45 Communes à nombre de négociants en livres au xviiie siècle, ces méthodes sont connues et tolérées par les acheteurs, peu soucieux d’identifier la bibliothèque spoliée en leur faveur. Auprès des bibliothécaires qu’il veut faire céder, Maugérard déploie en outre une énergie acharnée : « En 1797, le 8 juillet, se présenta l’émigrant français Maugérard, Bibliothécaire card. de Montmorenci, et il exigea qu’on lui vende les trois manuscrits les plus anciens, ainsi que la première partie de l’Ancien Testament imprimée sur vélin, qu’il prétendait connaître. Il offrit immédiatement 600 Ludovicos aureos parata pecunia et déclara que la guerre contre les Français nous priverait de toute façon de ces œuvres : il proposa de faire recopier le catalogue en y omettant les trois livres convoités : il invita à déjeuner plusieurs professeurs, et d’autres encore, persuadés qu’ils pourraient me faire céder. Mais en vain. Il m’écrivit par la suite à plusieurs reprises ; il revint même le 9 octobre, m’offrit, en plus de la somme déjà mentionnée, un important cadeau, mais il dut repartir les mains vides malgré le Père supérieur qu’il avait réussi à convaincre », écrit par exemple l’une des proies allemandes de Maugérard, Peter Böhm, premier bibliothécaire de la bibliothèque de Fulda.46 Lorsqu’en 1802 il est nommé commissaire pour procéder à des ponctionnements semblables au profit de la Bibliothèque nationale, Maugérard n’est plus obligé de recourir à ces méthodes pour faire céder les ecclésiastiques rhénans, déjà soumis au joug de plusieurs années d’occupation française et qui subissent, après leur annexion officielle, les effets de la sécularisation.
18Maugérard revient d’exil à la mi-juillet 1802. Sa nomination aux fonctions de « commissaire du gouvernement pour la recherche des sciences et arts dans les quatre départements du Rhin »47 est presque immédiate : elle est signée par le ministre de l’Intérieur, Chaptal, dès le 27 juillet. L’épisode de la Pentecôte 1788 – qui avait permis à Maugérard, on s’en souvient, de faire le récit des découvertes effectuées à Aix-la-Chapelle aux frais de La Vallière – n’est pas étranger à cette nomination, puisque dans la lettre de félicitations qu’il adresse le lendemain même au bénédictin, l’administrateur de la Bibliothèque nationale, Jean-Augustin Capperonnier, lui enjoint explicitement de confisquer, lorsqu’il sera à Aix, le sceau du roi Lothaire et la charte aperçus vingt-deux ans plus tôt.48 C’est ainsi qu’aboutissent, en l’an X de la République et après quatorze années de persévérance, les tentatives engagées par l’ecclésiastique Maugérard, devenu agent républicain, pour faire valoir ses connaissances auprès des archives du roi.
Division des tâches
19La mission qui l’attend sous le Consulat porte officiellement sur les objets de « sciences et arts », mais elle se concentre, dans les faits, sur les livres manuscrits et imprimés. Par ailleurs, et c’est un tournant important dans la pratique française des conquêtes artistiques, elle exclut l’observation et la collecte de renseignements généraux sur les régions traversées, puisque ce volet est désormais pris en charge par un autre agent, qui n’est pas censé, lui, procéder à des confiscations. De manière significative, en effet, la nomination de Maugérard est exactement contemporaine d’une autre nomination, celle d’Armand-Gaston Camus (ill. 17),49 directeur des Archives nationales, qui, presque en même temps que Maugérard, doit parcourir presque le même espace géographique. L’ordre de mission de Camus date du 7 thermidor an X (26 juillet 1802),50 celui de Maugérard est signé le lendemain. Le voyage du premier dure jusqu’en janvier 1803, celui du second jusqu’à l’automne 1804. Camus publie le résultat de son enquête dès son retour en France, en deux tomes, sous le titre de Voyage fait dans les départements nouvellement réunis (ill. 18).51 Maugérard ne rédige aucun rapport d’ordre général. Camus est officiellement chargé, comme il l’écrit lui-même, de « vérifier » et « constater l’état des dépôts où furent jadis renfermés les chartes, les diplômes, les lettres » des souverains d’Occident.52
17. Anonyme : Portrait d’Armand-Gaston Camus, gravure, Paris, Bibliothèque nationale, département des estampes et de la photographie, Inv. N 2, cliché 52 C 7481

Crédits/Source : Bibliothèque nationale de France
18. Armand-Gaston Camus : Voyage fait dans les départemens nouvellement réunis, t. 1, Paris, an XI (1803)

Crédits/Source : Archives de l’auteur (voir aussi : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l’homme, 8-L30-2(1), https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k102179v/f3.double)
20Pourtant, les rapports adressés régulièrement par Camus au ministre de l’Intérieur prouvent aussi qu’il se livre à des observations qui rejoignent le type d’enquêtes autrefois confiées aux Faujas, Thouin, Neveu, etc. Dans un rapport du 27 août 1802, par exemple, après avoir rendu compte sur trois pages et demie de l’état des archives visitées, il précise : « Je pourrais vous parler des Bibliothèques, des dépôts de titres et des hospices, mais ces objets étant d’un genre différent, je vous en rendrai compte ou dans d’autres lettres, ou seulement à la fin de ma mission ».53 En fait, ces observations générales sur les établissements d’assistance et d’instruction publique, sur l’état des routes, des manufactures et des milieux érudits trouvent place dans le récit de son voyage publié en 1803. L’avant-propos en explicite les modalités administratives et scientifiques : « Le gouvernement m’a donné une mission, à la fin de l’an X, pour aller visiter les archives et dépôts de titres dans les départements de la rive gauche du Rhin, de la Belgique et du Nord. Ce n’est pas le résultat de cette mission que je publie : je n’aurois pas le droit de le faire ; le compte de la mission que j’ai remplie, appartient au Gouvernement. Mais l’Institut m’a désigné dans le même temps pour voyager en son nom, et pour faire des recherches sur les diverses branches des connoissances humaines. »54 C’est donc l’Institut qui supervise ici le pan exploratoire de la mission de Camus, mais le gouvernement en attend aussi des bénéfices. Quoi qu’il en soit, l’observation et la description sont désormais soigneusement dissociées des activités de saisie, même si les voyages de Camus et de Maugérard présentent plusieurs points de contact.
21Dans le cadre de sa mission scientifique, en effet, Camus décrit l’état de certaines bibliothèques ou de dépôts littéraires juste avant le passage de Maugérard (à Trêves, Mayence, Cologne ou Aix-la-Chapelle par exemple) et il se trouve confronté pour partie aux mêmes interlocuteurs (les bibliothécaires Bodmann et Wyttenbach) : son témoignage éclaire donc indirectement le terrain sur lequel s’opèrent les ponctionnements bibliographiques des années 1802‑1803. C’est ainsi par exemple qu’il écrit à propos de la bibliothèque de l’École centrale de Cologne, établie dans l’ancien collège des jésuites spolié en 1794 : « On y trouve de bons livres et quelques éditions du quinzième siècle : il y a un grand travail à faire sur les livres recueillis dans les établissemens qui viennent d’être supprimés. »55 Maugérard se lance dans ce « grand travail » en octobre 1802. Par ailleurs, les investigations de Camus ont des conséquences bien concrètes sur l’envoi à Paris de certains livres précieux, et il est très probable que Maugérard ait procédé à des saisies motivées par l’enquête de son collègue archiviste. L’exemple d’un manuscrit conservé à Aix-la-Chapelle rend apparent le point de jonction entre le travail de l’un et celui de l’autre. Il s’agit d’un manuscrit du xvie siècle dont Camus relate la découverte dans son Voyage : « Il contient le récit du double couronnement de Maximilien II, comme roi de Bohême et comme empereur. Le livre est couvert de velours pourpre avec des ornemens qui m’ont paru être de vermeil. »56 Dans son quatrième rapport au ministre de l’Intérieur, Camus note à propos de cette merveille : « Je vous engage à donner des ordres pour que ce manuscrit soit envoyé à la Bibliothèque nationale. Il est au tiroir numéroté 21 des anciennes archives établies dans la tour de la Maison commune. »57 Le manuscrit est en effet réclamé moins de trois semaines plus tard et il quitte Aix-la-Chapelle le 24 septembre 1802, à une époque où Maugérard y séjourne également.58 S’il est difficile de déterminer avec exactitude le rôle joué par le bénédictin dans cet envoi, il paraît en revanche évident que les quatre-vingt-sept chartes qu’il confisque dans les archives de la ville l’année suivante lui ont été désignées par Camus.59
Topographie des saisies
22Les conditions matérielles dans lesquelles s’engage la mission confiée à Maugérard à l’automne 1802 sont précaires et son départ de Metz, quelques jours après dix ans d’exil, un peu précipité. Le bénédictin est affecté d’un salaire mensuel de 560 francs60 et d’un auxiliaire nommé Ortolani, mais il est à peine préparé, techniquement, aux voyages qui l’attendent : « Le défaut d’eau à la Moselle, qui est presque à sec, empêchant la montée des bateaux, il en résulte que je n’ay encore reçu ni le psautier de 1516,61 ni mes habits et effets, et que je suis encore tel que je suis arrivé d’Erford. Espérant les recevoir d’un jour à l’autre, et pouvoir vous envoyer ce volume, j’ay prié M. Ortolani de consentir à un retard de quelques jours pour notre départ, afin d’éviter une dépense d’habits et linges qui me surchargeroient ; si cependant rien n’arrive d’ici à samedi, nous partirons ce jour, et selon son avis nous irons directement à Luxembourg et de là à Trêves », écrit Maugérard dans une lettre adressée à Van Praet, de Metz, le 5 septembre 1802.62 Entre son retour de Thuringe et son départ pour les nouveaux départements rhénans, Maugérard ne repasse pas par Paris, il ne reçoit donc aucune instruction orale de la part des administrateurs de la Bibliothèque nationale, et c’est le dénommé Ortolani qui sert de relais. L’urgence dans laquelle se met en place cette nouvelle mission est liée à l’adoption, le 9 juin 1802, du décret qui prévoit la suppression des établissements religieux dans les départements nouvellement annexés. Elle trahit peut-être l’inquiétude des administrateurs français de voir disparaître prématurément le rabatteur bénédictin, qui est presque septuagénaire lorsqu’il est engagé par le gouvernement. Ou de voir disparaître les livres précieux récemment nationalisés.
23A la veille de son départ en mission, Maugérard n’a qu’une vue imprécise de l’aire impartie à ses activités : « Nous aurions besoin, écrit-il à Van Praet, de la carte des 4 nouveaux départemens de la rive gauche du Rhin et il n’y en a pas ici ; je parle de cette carte, parce qu’il paroit par la lettre du ministre de l’Intérieur que notre mission est exclusivement dans les 4 départemens : et cependant je vois que les instructions de Mr. Caperonier indiquent des localités qui sont hors de ces 4 départemens. Je lui prierai de me donner ses ordres à ce sujet dans la première que j’aurai l’honneur de lui écrire. A défaut de la carte des 4 départemens, je me servirai de la carte de France par départemens. »63 Le flou géographique et le caractère contradictoire des ordres reçus sont bien révélateurs de la double logique dans laquelle s’inscrit cette nouvelle campagne : logique de concentration et de réorganisation du patrimoine naturalisé à l’échelle nationale et départementale, qui implique le respect des découpages administratifs de la République ; logique pure et simple de rafle conquérante en territoire étranger, qui fait l’économie de considérations géographiques ou frontalières.
24Au cours de sa mission, Maugérard établit ainsi, pendant six mois, son quartier général à Trêves, préfecture du département de la Sarre. En 1803 et 1804, il parcourt en outre les départements de Rhin-et-Moselle (Coblence) et de Mont-Tonnerre (Mayence), retournant aussi dans le département de la Roer (Krefeld, Bonn, Geldern, Clèves, Cologne et Aix-la-Chapelle) où l’avaient mené les toutes premières semaines de sa mission. Par ailleurs, comme les instructions des administrateurs français portent sur des ouvrages conservés hors des départements réunis, et notamment dans la région de Luxembourg (département des Forêts), le commissaire de la République bénéficie rapidement d’une extension de prérogatives : à la mi-septembre 1802, il est autorisé à effectuer des « recherches » dans le département des Forêts ;64 à la fin du mois, les limites administratives et géographiques de sa mission sont levées : « Le ministre par sa lettre du 7 de ce mois a autorisé le citoyen Maugérard, commissaire des sciences et arts, à enlever indistinctement de tous les dépôts qu’il visitera, tout ce qu’il croira digne de la Bibliothèque nationale. »65 Il est clair que la priorité n’est pas au respect des institutions créées dans les nouveaux départements, mais bien à l’appropriation d’ouvrages convoités depuis longtemps. Ce sont les désirs des administrateurs parisiens qui priment, administrateurs qui ne manquent pas d’encourager et de soutenir à distance le commissaire dans ses recherches.
Programmation des saisies
25On est frappé de découvrir, au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, l’importante somme de lettres que Maugérard a adressées alternativement au directeur Van Praet et à l’administrateur Capperonnier pendant les deux années de sa mission.66 Ces lettres ont généralement plusieurs pages, et l’écriture est serrée ; une douzaine d’entre elles (écrites entre septembre 1802 et avril 1803) sont conservées dans un volume relié,67 tandis que plusieurs dizaines d’autres attendent d’être exploitées dans des cartons sans ordre. L’un d’eux, intitulé « Lettres et papiers Maugérard », comprend une série de lettres écrites d’Aix-la-Chapelle, Cologne, Coblence, Trêves et Mayence entre février et avril 1804, ainsi que quelques réponses de Capperonnier.68 Un autre carton, sous le titre « Lettres et papiers Maugérard – résidu », contient lui aussi plusieurs dizaines de lettres écrites de Trêves au cours de l’année 1802.69 Ces documents témoignent d’une communication ininterrompue entre les administrateurs et le bénédictin, qui rend compte presque au jour le jour de ses découvertes, sollicite parfois l’avis des commanditaires avant d’effectuer telle ou telle prise, s’inquiète de son avenir, de sa rémunération ou de sa santé (« la poussière des archives m’a occasionné une inflammation aux yeux »),70 et envoie même, la saison venue, des mirabelles au directeur : « Par le courrier d’après demain, je vous adresserai franco quelques boîtes de nos mirabelles de Metz ; faites-moi la grâce de ne pas les dédaigner. »71
26L’intensité de ces échanges rend manifestes à la fois l’existence de directives parisiennes vigoureuses et le vif esprit d’initiative qui anime Maugérard tout au long de sa mission. Comme celle de Neveu, elle est guidée surtout par la liste de livres qui manquent à la Bibliothèque nationale. Un exemplaire de cette liste est conservé aujourd’hui à la bibliothèque universitaire de Bonn avec plusieurs autres papiers relatifs à la mission de Maugérard, ce qui laisse supposer qu’elle a effectivement servi de référence au commissaire. Signée de Capperonnier et de Van Praet, la « Liste des principales éditions du 15e siècle qui manquent à la Bibliothèque nationale » énumère ainsi cent vingt-six titres (parfois dans deux ou trois éditions différentes), soit cent cinquante-six volumes, ainsi qu’« en général tous les livres imprimés sur vélin ».72 D’autres instructions sporadiques sont par ailleurs transmises par courrier à Maugérard au fur et à mesure de sa mission : « Je vous invite à continuer, citoyen, de recueillir, pour ce qui concerne les manuscrits, non seulement ceux qu’on peut regarder comme des ouvrages, mais toutes les pièces qui peuvent servir de matériaux ou de renseignements pour l’histoire générale ou particulière, tels que les chartes, diplômes, etc., sans en excepter les bulles de papes. »73 S’il se conforme aux instructions parisiennes, Maugérard – contrairement à son prédécesseur Neveu – fait preuve néanmoins d’une grande autonomie dans ses choix. L’ampleur et la qualité des envois, les commentaires dont ils sont accompagnés révèlent une connaissance approfondie des lieux visités et témoignent de l’aisance remarquable avec laquelle le bénédictin évolue dans les bibliothèques sécularisées. Ses découvertes font l’objet d’annonces répétées : « J’ai eu l’honneur de vous dire dans ma dernière que j’avois trouvé un fragment du Donatus que je croyois de Gutenberg à cause des caractères, mais qu’il n’est que de Schoiffer ainsi que vous voyez par la notice cy-jointe. Comme cette édition rare peut vous manquer, je pense bien faire de vous en envoyer la notice et mon fragment. »74 Et Maugérard ne limite pas ses appétits et ses conseils à l’étroit périmètre géographique de sa mission : « Si peut-être dans les circonstances où se trouve la Suisse, écrit-il par exemple à Van Praet en janvier 1803, vous étiez le maître de faire prendre quelque chose dans la bibliothèque publique de Bâle, vous y trouveriez très grand nombre d’éditions sur vélin et autres raretés. »75
Concurrences : les « pillards » et les marchands
27La mission de Maugérard sur la rive gauche du Rhin est la troisième de son genre à porter sur la région, et il n’est pas indifférent de noter les réflexions qu’inspirent au commissaire les menées de ses prédécesseurs et les termes qu’il emploie pour les décrire. L’état des bibliothèques de la région de Trêves, livrées notamment au commissaire Keil en 1796 et 1797, le déçoit particulièrement : « Nous n’avons presque rien trouvé à Trêves parce que tout a été pillé il y a longtemps » ;76 « Je pensais trouver ici à l’abbaye de Sainte-Marie tous les beaux Zell qui y étoient, mais toute la bibliothèque a été jetée par les fenêtres il y a longtemps » ;77 « [Ortolani] vous a sans doute raconté combien des commissaires ou se disant commissaires françois ont pillé hautement tout ce qui se trouvoit par ici. Ces gens n’ont pas pris au hasard, car à peine ont-ils laissé quelques bons articles ».78 Au démembrement ainsi imposé par la France à plusieurs bibliothèques religieuses avant leur sécularisation officielle, s’ajoutent les mesures adoptées par les autochtones pour mettre à l’abri les richesses qui sont encore susceptibles d’être sauvées : « Je tiens pour certain, écrit par exemple Maugérard, que le trésor de la cathédrale de Trêves, qui avoit entre autres un très magnifique évangélistaire en lettres d’or, écrit par l’un de ses évêques, et des vases anciens en or, est partie à Prague, partie en Bavière. »79
28L’effervescence extrême dans laquelle les saisies sont menées et les obstacles qui freinent la mission de Maugérard sont plus sensibles encore lorsqu’il évoque les marchands et rabatteurs attirés par le désordre : « Le mal est que les Anglais ont tout renchéri en Allemagne », rapporte le commissaire, qui ajoute aussitôt : « Peu de personnes par ici connaissoient les éditions rares, mais d’après une notice de livres très rares signée Jean Bon-Saint-André que l’on a fait circuler, chacun s’est empressé de porter au-delà du Rhin et de cacher ce qu’il avoit de rare. »80 Cette mystérieuse notice signée de l’ancien commissaire général dans les départements de la rive gauche de Rhin a manifestement servi de guide aux propriétaires et aux amateurs soucieux d’épargner à leurs biens un transfert en France : « C’est d’après cette notice qu’une immensité de raretés a été portée et vendue à Hambourg », précise Maugérard, qui réussit d’ailleurs à s’en procurer un exemplaire : « J’en avais entendu parler à Erfort, mais sans pouvoir la trouver. Ceux qui l’ont par ici la tiennent fort secrète pour en faire leur profit, et je n’ay pu la voir que parce qu’elle avoit été oubliée sur une chaise. »81
29Stimulé par les exactions liées aux campagnes militaires successives, par la dissolution des ordres religieux et par les réformes institutionnelles consécutives à l’annexion française, le marché des livres rares (comme, au demeurant, celui des œuvres d’art) connaît au tournant du siècle un essor notable dans les régions rhénanes. Habilement exploitée par un certain nombre d’antiquaires, de libraires, voire de bibliothécaires peu scrupuleux, l’agitation du moment favorise la constitution d’importantes collections. Elles ne sont plus réunies par l’élite aristocratique, comme elles l’avaient été au cours des décennies précédentes, mais par des intellectuels et des philologues animés par un intérêt nouveau pour la littérature et l’histoire médiévales allemandes.82 Entre 1802 et 1804, Maugérard continue de fréquenter les bibliothécaires et négociants qu’il avait bien connus pendant ses années d’exil et, de l’avis des spécialistes, il a tiré plus d’une fois avantage de sa position de commissaire républicain pour garder par-devers lui un certain nombre d’ouvrages et d’objets précieux, rapportés en France ou discrètement revendus sur le lucratif marché allemand.
30Une série d’études extrêmement détaillées est ainsi parvenue à reconstituer le trajet de certains volumes de la bibliothèque du publiciste rhénan Joseph Görres, issus de couvents supprimés, dont tout porte à croire qu’ils sont passés entre les mains de Maugérard.83 Par ailleurs, le biographe et arrière-petit-neveu de Maugérard consacre un chapitre ému aux « reliques sauvées en Allemagne et rapportées en France par dom Maugérard », « pieux incident […] qui prouvera une fois de plus que chez lui le goût des choses scientifiques s’unissait toujours à l’amour des choses saintes ». Et Buzy de relater comment Maugérard, en 1802, « découvrit des reliques vénérables dans une église abandonnée » de Prüm, diocèse de Trêves, et de citer cette « pièce authentique » de Maugérard jointe aux reliques : « J’ai entre autres choisi : celles de St Gorgon, martir ; St Vinceslas, martir, St Arcade, martir, St Exupère, martir ; – ces quatre en un paquet ; St Luc, évangéliste, et St Zacharie ; – en un paquet ; St Corneil et St Cyprien, martirs ; – en un paquet ; Ste Anastasie, vierge ; – en un paquet ; St Grégoire, pape ; St Blaise, St Servais ; – en un paquet […]. Lesquelles j’ai remises avec respect à Avit-Anne-J.-B. Buzy, mon arrière-neveu, qui les a reçues de même, pour être par lui remises au citoyen Nicolas Labrosse, curé actuel de la paroisse dudit Auzéville, lieu de ma naissance. »84 Un peu plus loin, il est question de la passion que Maugérard éprouvait pour les antiquités religieuses : « Pour concilier ses goûts de prêtre et d’antiquaire, il s’était procuré en Allemagne, avec ses propres deniers, une riche et superbe chapelle qui servait à son usage particulier. Sans doute sa noble simplicité se serait facilement contentée d’une décoration plus modeste ; mais, pénétré du sentiment de sa dignité sacerdotale, et animé de cette foi vive qu’il avait puisée dans sa famille et dans son monastère, il aimait et recherchait, pour mieux honorer Dieu en célébrant les saints mystères, l’éclat religieux des vases et des ornements sacrés »,85 de provenance allemande en particulier, noble simplicité.
Activités officielles
31Trois types d’activités officielles dominent la mission de Maugérard : achats ponctuels à des particuliers ; visite de couvents sécularisés ; opérations de triage dans les bibliothèques centrales formées dans certaines villes pour recueillir une partie des livres issus de ces établissements. Au total, entre l’automne 1802 et l’été 1804, Maugérard fait procéder à l’envoi en France d’au moins douze caisses qui renferment plus de huit cents volumes d’imprimés, de manuscrits ou de chartes trouvés dans les nouveaux départements rhénans et dans celui des Forêts. « Nous partons pour les abbayes de Prüm, Steinfeld et Hemmerode, ce voyage (très content) sera de 8 à 10 jours », annonce-t-il à la veille de sa première expédition dans la région de Trêves, le 23 octobre 1802. A cette date, en effet, il se rend avec son auxiliaire aux abbayes de Steinfeld et de Prüm. Le résultat n’est pas tout à fait à la hauteur des espérances : « Sur la réputation de la Bibliothèque de Steinfeld, nous sommes allés de Prüm la chercher au centre des Ardennes par des chemins incroyablement mauvais. Nous en avons rapporté cinq volumes de médiocre valeur. »86 Pourtant, l’expédition permet à Maugérard de saisir notamment un très précieux codex en lettres d’or que l’empereur Lothaire avait offert aux bénédictins de Prüm en 852,87 un missel du xive siècle (ill. 19),88 et un volume de bulles pontificales.89 Quelques mois plus tard, en mars 1803, il parcourt la région de l’Eifel, toujours dans le département de la Sarre, où il visite la bibliothèque des augustins d’Eberhardsklausen et de Springiersbach, ainsi que celle des cisterciens de Himmerode. Il y saisit au total une vingtaine de manuscrits (parmi lesquels les Miracula Mariae) et plus de soixante-dix imprimés anciens.90 Le dépouillement des couvents situés dans la Roer est plus fructueux encore, comme en témoigne la liste des ouvrages « choisis dans les corporations du Département de la Roer sans ce qui reste à choisir à l’Ecole centrale de Cologne », qui mentionne quant à elle plus de deux cent trente imprimés et vingt manuscrits.91
19. Missel du xive siècle provenant de la bibliothèque de l’abbaye de Prüm, Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, département des manuscrits, Ms theol. lat. fol. 271, fol. 33r

Crédits/Source : Berlin, Staatsbibliothek, Preußischer Kulturbesitz
32Les recherches effectuées dans les dépôts de Trêves, Cologne, Bonn ou Mayence permettent à cet égard de bien comprendre la spécificité de la mission de Maugérard, et mettent en évidence l’ambiguïté de la politique culturelle françaises dans les départements annexés. A propos de Trêves par exemple, Camus note dans son Voyage que « la bibliothèque de l’école centrale est l’ancienne bibliothèque des jésuites, où se trouvent encore d’anciennes éditions et aussi quelques manuscrits. Le bibliothécaire Wyttenbach, ajoute-t-il, a recueilli plusieurs ouvrages de ce genre dans les collections des couvents et chapitres supprimés ».92 Dans les nouveaux départements, les bibliothèques des couvents sécularisés ont été en partie transférées dans les préfectures ou sous-préfectures, avant ou peu après l’arrivée de Maugérard.93 A Bonn, Cologne et Coblence, ce sont ainsi les écoles centrales qui ont bénéficié de l’afflux de livres. Ces établissements jouent un rôle de tout premier ordre dans la stratégie française d’intégration républicaine des régions annexées et ils bénéficient généralement de l’appui particulier des préfets, qui y voient le moyen d’assurer le rayonnement culturel des départements confiés à leur garde. A Mayence, les livres des établissements supprimés ont pour leur part été versés aux fonds de l’université. Dans ces quatre villes, Maugérard entreprend des recherches plus ou moins couronnées de succès.
33A Bonn et Coblence, les résultats sont bons, puisque la liste des imprimés « choisis dans les dépôts des corporations du département de Rhin et Moselle » mentionne cent quinze volumes en juin 1804.94 A Mayence, où il séjourne au printemps suivant, Maugérard parvient à vaincre la résistance du bibliothécaire de l’université, le professeur Bodmann, en faisant jouer le préfet en sa faveur.95 A Cologne, en revanche, Maugérard se heurte à la résistance conjuguée du bibliothécaire de l’école centrale, Johann Bernhard Konstantin von Schönebeck, et du doyen des professeurs, l’érudit et collectionneur Ferdinand Wallraf, manifestement soutenus par le sous-préfet de leur département :96 à l’automne 1803, après avoir opéré ses choix, pendant trois semaines, « dans la masse des bibliothèques des corporations de Cologne qui […] sont entassées »97 à l’école centrale de cette ville, Maugérard doit recourir au préfet pour faire plier Schönebeck, qui refuse de lui céder les volumes sélectionnés. Une longue et fastidieuse correspondance s’ensuit, qui aboutit au début de l’année 1804 à une déclaration de Maugérard au préfet, selon laquelle les dépôts de Cologne ne présentent aucun intérêt pour la Bibliothèque nationale. Seuls dix volumes sont finalement tirés de la bibliothèque de l’école centrale de Cologne et transférés à Paris. Mais c’est dans le cas de l’école centrale de Trêves, où Maugérard confisque deux manuscrits et trente-cinq imprimés au mois de mai 1803, que la tension entre intérêts régionaux, défendus par les préfets, et intérêts nationaux, appuyés par les administrateurs parisiens, apparaît avec le plus d’évidence.
Résistances préfectorales
34« Vous trouverez ci-joint une lettre de recommandation aux préfets des quatre départements que vous allez parcourir. Je les charge de donner des ordres aux sous-préfets ou maires pour que vous puissiez visiter avec toutes facilités les couvents, abbayes ou chapitres supprimés. Je suis sûr qu’ils s’empresseront de seconder de tout leur pouvoir, en cette occasion, les intentions du gouvernement. »98 A la belle assurance affichée ici par le ministre de l’Intérieur Chaptal à l’intention de Maugérard s’oppose, sur le terrain, une réalité plus rugueuse, comme le suggère ce récit que le commissaire de la République fait au printemps 1803 de son excursion dans l’Eifel : « Au moment où j’ai reçu la lettre du Ministre dans laquelle il me fait l’honneur de me dire qu’il mande au Prefet de me remettre tout ce que j’avois choisi, écrit Maugérard, j’ai sçu que tout de suite un commissaire de Préfecture devoit partir pour enlever la totalité des Bibliothèques que je voulois voir à Clausen, Hemmerode et Springiersbach ; malgré le temps si mauvais qu’avec deux chevaux j’ai eu peine à faire cinq lieues par jour, je me suis mis en tête de le prévenir et j’en suis venu à bout. De jour à autre il a été sur mes pas : mais j’ai tout vu avant lui. »99 Véritable course poursuite entre les autorités départementales et l’administration parisienne, cet épisode rend sensibles les rivalités internes à l’administration française, qui handicapent la mission de Maugérard et font sa singularité. Dans la mesure où les départements allemands annexés ont la même identité administrative que les départements français, Maugérard se trouve confronté, tout au long de sa mission, à une double série de difficultés : d’une part, résistance « légitime » des Allemands dont on démantèle le patrimoine ; d’autre part, réticences des préfets et sous-préfets français en Allemagne, généralement peu enclins à céder aux établissements parisiens les meilleurs ouvrages recueillis dans leurs régions, comme du reste la plupart de leurs collègues dans les départements intérieurs.
35Entre 1802 et 1804, les activités prospectrices de Maugérard, passées du domaine privé au domaine public sans solution de continuité significative, prolongent plus qu’elles ne bouleversent les pratiques du moine exilé en Thuringe et elles institutionnalisent, pour ainsi dire, des méthodes éprouvées. En 1805, à l’issue de sa mission allemande (« Il est trop juste que vous preniez quelques précautions pour votre santé qui nous est chère sous bien des rapports », lui écrit Capperonnier en octobre 1804),100 Maugérard est chargé quelque temps, sans grand succès, d’organiser la centralisation des manuscrits conservés dans les collections départementales, notamment à Verdun.101 En 1806, ses affaires repassent dans le domaine privé et il approvisionne plusieurs collectionneurs français et italiens. C’est ainsi par exemple qu’il propose ses services au cardinal Fesch et adresse en 1811 un véritable curriculum vitae à son bibliothécaire attitré :
« S’il arrive que, lorsque le Prince s’occupera de sa bibliothèque, vous pensiez que je puisse vous être de quelque utilité, vous voudrez bien me le dire. Je suis assez au fait de ce genre de travail. C’est moi qui, investi de la confiance du duc de La Vallière, ai acheté pour lui les deux tiers des raretés de sa bibliothèque, raretés qui lui ont donné tant de célébrité. […] C’est moi qui ai formé la bibliothèque de Mgr le Cardinal de Brienne, archevêque de Sens, premier Ministre, chez lequel j’étais à Versailles. Enfin, aussitôt après ma rentrée en France après douze ans de déportation, pour m’être refusé au serment constitutionnel, le ministre, M. Chaptal, m’a honoré de sa confiance, en me donnant le titre de commissaire pour recueillir dans les départements réunis tous les monumens de sciences et arts, et les envoyer aux collections impériales. Mes recherches pendant six ans, jusqu’à ce que l’épuisement de ma santé m’a forcé à la retraite, ont été assez heureuses en découvertes précieuses pour que MM. les administrateurs de la Bibliothèque impériale me donnassent de plein gré l’attestat joint au mémoire que j’ai remis à vous. »102
36Difficile d’exposer plus clairement la continuité historique des saisies bibliographiques menées de l’Ancien Régime à l’Empire.
Notes de bas de page
I Je remercie vivement Madame Ursula Baurmeister pour sa relecture minutieuse et ses patients conseils, ainsi que Madame Marie-Pierre Laffitte pour sa vigilance critique.
Notes de fin
1 Lettre de Capperonnier à Maugérard, 4 nivôse an XI (25 décembre 1803), in : Jean-Baptiste Buzy : Dom Maugérard. Histoire d’un bibliographe lorrain de l’ordre de Saint-Benoît au xviiie siècle, Châlons-sur-Marne 1882, p. 115.
2 Brouillon d’une lettre de Van Praet à Carl Anton Schaab, 8 janvier 1827, Paris, bnf, département des manuscrits, nouv. acqu. fr. 3230, fol. 327.
3 Léopold Delisle : Le cabinet des manuscrits de la Bibliothèque impériale (puis nationale), 3 t., Paris 1868-1881, t. II, p. 35.
4 Théodore Mortreuil : La Bibliothèque nationale, son origine et ses accroissements jusqu’à nos jours, Paris 1878, pp. 143-144. Cette assertion, semble-t-il, n’est pas vérifiée (indication de Mme Ursula Baurmeister).
5 Voir 178g. Patrimoine libéré 1989, cat. exp., en particulier les pp. 85-86, 152 et 158‑159. Sur les saisies de manuscrits et d’imprimés pratiquées par la France en Europe sous la Révolution et l’Empire, voir Laffitte 1989 ; Anthony Hobson : « Appropriations from Foreign Libraries during the French Révolution and Empire », Bulletin du Bibliophile, 2/1989, pp. 255-272 ; Dominique Varry : « Les confiscations révolutionnaires », in : Histoire des bibliothèques françaises, Claude Jolly (éd.), t. III : Les bibliothèques de la Révolution et du xixe siècle, Paris 1991, pp. 9-27. Avant l’exposition de 1989 et les articles qu’elle a suscités, la seule étude publiée en français sur Maugérard était à ma connaissance celle de Wolfgang Milde : « Jean-Baptiste Maugérard et le manuscrit en l’honneur de sainte Lucie de Sigebert de Gembloux », in : Histoire sociale, sensibilités collectives et mentalités. Mélanges Robert Mandrou, Paris 1985, pp. 469-480. Je remercie Monsieur Étienne François de m’avoir signalé cet article.
6 Voir Carl Anton Schaab : Die Geschichte der Erfindung der Buchdruckerkunst durch Johann Gensfleisch genannt Guttenberg zu Mainz, Mayence 1830-1831 ; Ludwig Traube et Rudolf Ehwald : Jean-Baptiste Maugérard. Ein Beitrag zur Bibliotheksgeschichte, Munich 1904 (Abhandlungen der K.-Bayerischen Akademie der Wissenschajten, III. K1, t. XXIII, IIe section) ; Emil Jacobs : « Zur Kenntnis Maugérards », Zentralblatt für Bibliothekswesen, 27/1910, pp. 158-162 ; Hermann Degering : « Handschriften aus Echternach und Orval in Paris », in : Aufsätze Fritz Milkau gewidmet, Leipzig 1921, pp. 48-85 ; Bernhard Vollmer : « Die Entführung niederrheinischen Archiv-, Bibliotheks- und Kunstguts durch den französischen Kommissar Maugérard », Annalen des historischen Vereins für den Niederrhein, 131/1937, pp. 120-132 ; Schiel 1960 ; ainsi que l’importante série d’articles de Hermann Knaus : « Bodmann und Maugérard », Archiv für Geschichte des Buchwesens (agb), 1958, pp. 175-178 ; « Maugérard, Hüpsch und die Darmstädter Prachthandschriften », agb, 1962, col. 1227‑1240 ; « Rheinische Handschriften in Berlin », agb, 1966, col. 1439‑1460 ; « Rheinische Handschriften in Berlin, 6. Folge : Der Fonds Maugérard », agb, 1974, col. 257‑284.
7 Hermann Degering : « Geraubte Schätze. Kölnische Handschriften in Paris und Brüssel », Beiträge zur Kölnischen Geschichte / Sprache / Eigenart, 2, cahier n° 7, novembre 1915, pp. 38-55, ici p. 43 : « … einen in jahrelanger Privatjagd auf Handschriften und literarische Seltenheiten bewährten Schweißhund, nämlich den Dom Maugérard… »
8 Buzy 1882, p. 60.
9 C’est particulièrement clair in : Degering 1916, col. 13‑14, où Denon, Keil et Maugérard sont évoqués dans un même élan.
10 Buzy 1882, p. 101.
11 Voir Jean Viardot : « Naissance de la bibliophilie : les cabinets de livres rares », in : Histoire des bibliothèques françaises, Claude Jolly (éd.), t. II : Les bibliothèques sous l’Ancien Régime. 1530-1789, Paris 1988, pp. 269-289.
12 Brouillon de lettre de Van Praet à Schaab, 8 janvier 1827, Paris, bnf, département des manuscrits, nouv. acqu. fr. 3230, fol. 327. La lettre est reproduite in : Schaab 1830, p. 247, note 4, avec une légère variation : « [Maugérard] entretenait avec moi une correspondance purement littéraire et bibliographique, sans avoir des connaissances dans cette partie. Il savait déterrer les éditions les plus rares… »
13 Traube / Ehwald 1904, p. 321 : « Registre de la recette de la sacristie de Saint-Arnould pour les années 1763, 1764 et 1765 ».
14 Parmi lesquels un exemplaire du Catholicon de 1460 sur papier ; voir Traube / Ehwald 1904, p. 322 ; Schaab 1830, t. 1, pp. 249 et 392.
15 II obtient plusieurs incunables, parmi lesquels une bible à quarante-deux lignes imprimée sur vélin, aujourd’hui conservée à la Bibliothèque nationale de France. En 1788, cette bible acquise par Maugérard à Mayence est revendue à Dupré de Geneste, administrateur des domaines à Metz, dont la bibliothèque est ensuite rachetée par Loménie de Brienne, archevêque de Sens, qui la cède à son tour à la Bibliothèque royale de Paris ; voir Schaab 1830, pp. 247‑249 et 393 ; Ilona Hubay : « Die bekannten Exemplare der zweiundvierzigzeiligen Bibel und ihre Besitzer », in : Johannes Gutenbergs zweiundvierzigzeilige Bibel. Faksimile-Ausgabe…, Wieland Schmidt (éd.), 3 t., Munich 1979, t. III, n° 15, p. 139.
16 Voir Georg Pfeilschifter : Korrespondenz des Fürstabtes Martin II. Gerbert von St. Blasien, 2 t., Karlsruhe 1931‑1934, t. 1.
17 Schaab 1830, p. 252 : le chroniqueur de l’abbaye note : « 1789, le 17 juillet, P. Moscherad [sic] de France est venu ici et a négocié des livres de notre bibliothèque. » Plusieurs imprimés acquis par Maugérard auprès des bénédictins de Mayence sont aujourd’hui conservés à la Bibliothèque nationale de France : Johannes Gallensis, Paris, bnf, Rés. D. 1645, Catalogue des incunables, Bibliothèque nationale (cibn), 2 t., Paris 1981‑2002, n° J‑222 ; [Psalterium benedictum], Rés. Vélins 225, cibn, n° P-668 ; Lactantius, Rés. C. 354, cibn, n° L‑7 ; Henricus de Herpf, Rés. Vélins 349, cibn, n° H‑21 ; Nicolaus de Ausmo, Rés. D. 522, cibn, n° N‑30 ; Annius : Auctores…, Rome 1498, Rés. G. 173, cibn, n° A‑399 ; Aristoteles : Pseudo-Problemata, 1475, Rés. R. 312, cibn, n° A‑552 ; Boccacio : Genealogiae, Rés. J. 835, cibn, n° B-543 ; Bernardus Claravallensis : Sermones 1475, Rés. C. 736, cibn, n° B‑262. Merci à Madame Ursula Baurmeister de m’avoir communiqué ces informations.
18 II s’agit de l’exemplaire conservé aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de France, Rés. A. 71 (1-2), cibn, n° B‑361 ; voir Hubay 1979, t. III, n° 17, pp. 140-141 ; 1789. Patrimoine libéré 1989, cat. exp., n° 39.
19 Voir Adolf Schmidt : « Handschriften der Reichsabtei Werden », Zentralblatt für Bibliothekswesen, 1905, pp. 241-264, ici pp. 252-253.
20 Knaus 1974, col. 267.
21 Jacobs 1910, p. 159.
22 Ibid.
23 Buzy 1882, p. 55.
24 Traube / Ewald 1904, p. 323.
25 Buzy 1882, pp. 85‑88.
26 Allgemeine Deutsche Biographie, Historische Commission bei der Königl. Akademie der Wissenschaften (éd.), Berlin 1967‑1971, t. 25.
27 Les travaux de Panzer portèrent d’abord sur les premières bibles imprimées et sur les premières éditions de textes en allemand, avant de s’élargir à tous les livres imprimés depuis l’invention de l’imprimerie jusqu’en 1536. Il est l’auteur d’ouvrages de référence utilisés encore aujourd’hui.
28 Voir Traube / Ehwald 1904, p. 323.
29 Jeremias David Reuss : « Kurzer Abriss einer Geschichte der Bücher und insbesondere Hss-Sammlungen im vormaligen Hochstifte Würzburg », Serapeum, 1845, p. 177, cité in : Traube / Ehwald 1904, p. 329 : « 1767‑1803 wurden die fränkischen Bibliotheken von zwei verderblichen Feinden bedroht, welche, begünstigt durch die Unwissenheit ihrer damaligen Aufseher, einen grossen Schatz von Seltenheiten aus dem Lande entführten und damit einen sehr einträglichen Handel trieben, nämlich von dem französischen Benediktiner Dominicus Maurus Maugérard und dem schottischen Bibliophilen Alexander von Horn. »
30 Hansen 1931, t. III, p. 262.
31 Voir Braubach 1974, p. 103.
32 Dominique Coq : « Le parangon du bibliophile français : le duc de La Vallière et sa collection », in : Histoire des bibliothèques françaises, Claude Jolly (éd.), t. II : Les bibliothèques sous l’Ancien Régime. 1530-1789, Paris 1988, pp. 317‑331.
33 Jean Poche : « Le duc de La Vallière, ses collections et ses ventes », in : Miscellanées bibliographiques, Édouard Rouveyre (éd.), 3 t., Paris 1878‑1880, t. III, pp. 70‑113, ici p. 89.
34 Buzy 1882, p. 90.
35 Journal encyclopédique, 1788, t. II, pp. 86-91, partiellement cité in : Buzy 1882, pp. 63‑64.
36 Buzy 1882, p. 90.
37 Voir Traube / Ehwald 1904, pp. 327-329.
38 Ibid., p. 329.
39 En 1815, cette bible à trente-six lignes a été restituée par erreur à la bibliothèque ducale de Wolfenbüttel ; voir Incunabula incunabulorum, Früheste Werke der Buchdruckkunst, Mainz, Bamberg, Straßburg 1454-1469, cat. exp., Wolfgang Milde (éd.), Wolfenbüttel, château, Wolfenbüttel 1972, p. 46.
40 Traube / Ehwald 1904, p. 329 ; sur les rapports de Maugérard avec la cour de Gotha, voir Rudolf Ehwald : « Maugérard und die Gothaer Bibliothek », in : Traube / Ehwald 1904, pp. 341‑387.
41 Traube / Ehwald 1904, pp. 379‑380.
42 Buzy 1882, pp. 138‑152.
43 Schaab 1830, p. 258.
44 Schaab 1830, p. 259.
45 Voir Traube / Ehwald 1904, pp. 311‑312.
46 Peter Böhm : « Nachrichten von der öffentlichen Bibliothek zu Fulda, welche ich, Peter Böhm, derselben erster Bibliothekar, aus meinen Tagebüchern zusammengezogen habe (c. 1770 bis 1811) », cité in : Traube / Ehwald 1904, p. 316 : « Im Jahre 1797 den 8ten Juli kam als französischer Emigrant Maugérard, Bibliothecar card. de Montmorenci, und verlangte die 3 ältesten Manuscripten, wie auch den auf Pergament gedruckten ersten Theil des alten Testaments, die er, seinem Vorgeben nach, schon kenne, zu kaufen. Er both gleich 600 Ludovicos aureos parata pecunia, und versicherte, diese Werke würden wir doch in diesem Kriege durch die Franzosen verlieren : er both sich an, den Katalog mit Auslassung obiger Bücher anders abschreiben zu lassen : er bewirthete Professoren und noch einige andere, von denen er glaubte, dass sie mich zur Nachgiebigkeit bewegen könnten, prächtig. Aber vergebens. Er schrieb dennoch mehrmalen an mich ; ja den 9ten October kam er selbst wieder, both mir nebst obiger Summe noch ein ansehnliches Geschenk an, musste aber, ohnerachtet er unsern Konvents Superiorn gewonnen hatte, unverrichteter Sache wieder abreisen. »
47 Buzy 1882, p. 111.
48 Ibid., pp. 94 et 111‑112.
49 Armand-Gaston Camus (1740‑1804), avocat du clergé de France, élu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1785, nommé sous le Consulat « garde des archives générales ».
50 Paris, an, F2 (I) 365.
51 Camus 1803 (Voyage), p. 115.
52 Armand-Gaston Camus : Rapport à l’Institut national. Classe de lit. et beaux-arts, d’un voyage fait an X dans les départements du Bas-Rhin…, Paris 1803, p. 2.
53 Paris, an, F2 (I) 365 : rapport n° 4 du 8 fructidor an X (27 août 1802).
54 Camus 1803 (Voyage), pp. 1-2.
55 Ibid., p. 86.
56 Ibid., p. 111.
57 Paris, an, F2 (I) 365 : rapport n° 4 du 8 fructidor an X.
58 Degering 1921, p. 61.
59 Ibid.
60 Selon une lettre de Maugérard à Van Praet, Metz, 18 fructidor an X (5 septembre 1802), Paris, bnf, département des manuscrits, nouv. acqu. fr. 3230, fol. 152.
61 Psalterium, Hebraeum, Graecum, Arabicum, & Chaldaeum, cum tribus Latinis, Pietro Paulo Porro pour Niccolà Giustiniano, Gênes 1516, Paris, bnf, Rés. A. 490, provenant des chartreux de Cologne.
62 Paris, bnf, département des manuscrits, nouv. acqu. fr. 3230, fol. 152.
63 Ibid. Chef-lieu du département des Forêts, la ville de Luxembourg n’est pas incluse dans le champ initialement visé par la mission de Maugérard. Les neuf départements issus de l’annexion des Pays-Bas autrichiens et du duché de Luxembourg sont en effet français depuis le 1er octobre 1795 et leurs établissements religieux ont été supprimés dès l’année suivante, en vertu de la loi du 15 fructidor an IV (31 août 1796). Or l’envoi de Maugérard dans les départements annexés est motivé par l’actualité immédiate : il s’agit, selon l’ordre explicite que lui adresse Chaptal le 27 juillet 1802, d’écumer les fonds des établissement religieux « qui viennent d’être supprimés » (décret du 9 juin 1802) sur la rive gauche du Rhin. Formulés au niveau gouvernemental, ces ordres sont donc bien en contradiction avec les directives scientifiques que Maugérard reçoit par ailleurs du conservatoire de la Bibliothèque nationale.
64 Degering 1921, p. 57.
65 Ibid.
66 Voir Marie-Pierre Laffitte : « Inventaire sommaire des manuscrits », Paris, bnf, département des manuscrits, archives modernes (am). Les lettres en question se trouvent sous les cotes am 271, am 497, am 495 et 496 (« Manuscrits saisis à l’étranger restitués en 1814/1815 »).
67 Paris, bnf, département des manuscrits, nouv. acqu. fr. 3230.
68 Paris, bnf, département des manuscrits, am 271.
69 Paris, bnf, département des manuscrits, am 497.
70 Paris, bnf, département des manuscrits, nouv. acqu. fr. 3230, fol. 157.
71 Paris, bnf, département des manuscrits, nouv. acqu. fr. 3230, fol. 168.
72 Bonn, Bibliothèque universitaire, département des manuscrits, Hs S 835.
73 Buzy 1882, p. 114.
74 Paris, bnf, département des manuscrits, nouv. acqu. fr. 3230, fol. 174.
75 Ibid.
76 Paris, bnf, département des manuscrits, nouv. acqu. fr. 3230, fol. 161.
77 Ibid.
78 Paris, bnf, département des manuscrits, nouv. acqu. fr. 3230, fol. 159.
79 Ibid.
80 Paris, bnf, département des manuscrits, nouv. acqu. fr. 3230, fol. 174.
81 Ibid.
82 Voir Lust und Verlust 1995, passim.
83 Emil Jacobs : « Die Handschriftensammlung Joseph Görres’, ihre Entstehung und ihr Verbleib », Zentralblatt für Bibliothekswesen, mai 1906, pp. 189‑205.
84 Buzy 1882, pp. 130‑131.
85 Deux ventes aux enchères, organisées à Paris pour la première (1792) et à Londres pour la seconde (1801), ont permis à Maugérard d’écouler une partie du patrimoine accumulé pendant les années d’exil. Manifestement, les objets de culte, reliquaires et autres « vases sacrés » trouvés en Allemagne, dont la « valeur intrinsèque était considérable, vu leur poids inusité », sont restés en possession de la famille de Maugérard après sa mort.
86 Liste des prises effectuées dans ces abbayes in : Schiel 1960, pp. 71‑72.
87 Lettre de Maugérard à Capperonnier le 14 brumaire an XI (5 novembre 1802), Paris, bnf, département des manuscrits, nouv. acqu. fr. 3230, fol. 163 : « Nous avons rapporté de Prüm un très magnifique codex 4 Evang. en Lettres d’or d’une écriture uniforme d’environ l’an 1000 » ; voir aussi la liste des « Livres qui Proviennent des Abbaies de Prum et Steinfeld », établie par Maugérard le 12 ventôse an XI (4 mars 1803), in : Schiel 1960, p. 71 : « [n° 85] Cod. Membr. fol. Continet 4 Evang. Litteris aureis a Moniali S. Irminae scripta » ; il s’agit du manuscrit conservé à Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, département des manuscrits, sous la cote : Ms. theol. lat. fol. 260 ; sur le destin de ce manuscrit en particulier, voir Knaus 1966 ; Andreas Fingernagel : Die illuminierten lateinischen Handschriften deutscher Provenienz der Staatsbibliothek Preussischer Kulturbesitz Berlin, Wiesbaden 1991, n° 75.
88 Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, département des manuscrits, Ms. theol. lat. fol. 271 ; ce codex porte le n° 86 de la liste établie par Maugérard à Trêves : « Cod. Membr. Liber Missalis in fol. », in : Knaus 1974, col. 271 ; voir Valentin Rose : Verzeichnis der lateinischen Handschriften der Königlichen Bibliothek zu Berlin, Berlin 1901‑1905, n° 704.
89 Bullarium, Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, département des manuscrits, Ms. theol. lat. fol. 281 ; ce codex porte le n° 87 de la liste établie par Maugérard (« Cod. Membr. Bullarium ») voir Knaus 1974, col. 281 ; Rose 1901, n° 322 ; Fingernagel 1991, n° 76.
90 Liste des saisies in : Schiel 1960, pp. 72‑74 ; Miracula Mariae (Sermones de sanctis), Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, département des manuscrits, Ms. theol. lat. qu. 121 ; ce manuscrit est mentionné en sixième position de la liste des ouvrages saisis à Eberhardsklausen, Himmerode et Springiersbach, établie par Maugérard à Trêves le 12 floréal an XI (2 mai 1803), in : Schiel 1960, p. 72 : « Gregorii turonensis de Miraculis B. Virginis. In 12 » ; voir Knaus 1974, col. 277 ; Rose 1901, n° 801.
91 Liste des saisies in : Vollmer 1937, pp. 131-132.
92 Camus 1803 (Voyage), p. 115.
93 Voir Schiel 1960, pp. 66-68.
94 Wilkes / Brandts 1940, p. 121.
95 Schaab 1830, pp. 260‑262.
96 Vollmer 1937, pp. 124‑126.
97 Ibid., p. 132.
98 Buzy 1882, p. 123.
99 Paris, bnf, département des manuscrits, nouv. acqu. fr. 3230, fol. 170.
100 Buzy 1882, p. 125.
101 Traube / Ehwald 1904, p. 333.
102 Buzy 1882, pp. 156‑159.
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