Chapitre I. « C’est à Cologne que nous avons brillé »
La première campagne de saisies opérée dans les régions rhénanes 1794-1796
p. 11-54 (tome premier)
Texte intégral
La mission dont nous étions chargés, quoique laborieuse, a été agréable pour tous, profitable pour quelques-uns et très instructive pour moi. J’ai vu un superbe pays, j’ai connu des gens estimables, j’ai lié ou correspondance ou amitié avec des savants distingués.
André Thouin1
La première campagne de saisies opérée dans les régions rhénanes. 1794-1795

Crédits/Source : © FPK – Ingenieurgesellschaft mbH, Berlin
1« Les commissaires prussiens réclament […] une collection de marbres et de minéraux venue […] d’un séminaire ou d’un collège de Cologne ; les marbres sont en effet dans nos magazins ; ce sont de petits échantillons de nulle valeur et que nous pouvons remettre sans faire tort à notre Etablissement, où l’on ne les a jamais exposés. […] Si l’on nous a envoyé quelques bagatelles des pays d’en deçà du Rhin, c’est que lors de la première invasion de ces provinces, la Convention avait donné des ordres généraux qui furent exécutés sans intelligence », note André Thouin, coadministrateur du Muséum d’histoire naturelle, en août 1815.2 Joli aveu d’incompétence ou amnésie stratégique ? Vingt ans plus tôt, en effet, Thouin avait été officiellement responsable, avec trois autres commissaires français, de la confiscation à Aix-la-Chapelle, Cologne, Bonn et Coblence de plusieurs milliers d’imprimés et de manuscrits, de plus de six mille dessins de maîtres et de vingt mille estampes, de colonnes antiques, de sarcophages romains, de pièces d’artillerie anciennes, de monnaies, de gemmes, de pierres précieuses et autres échantillons minéralogiques.3 Certes, le Muséum d’histoire naturelle ne s’en était pas trouvé grossi considérablement ; moins, sans doute, que la Bibliothèque nationale ou le musée central des Arts (Louvre). Et il était habile, en août 1815, de minimiser l’ampleur de ce butin que les autorités militaires prussiennes réclamaient désormais avec insistance. Pourtant, si les directives formulées par la Convention à l’automne 1794 avaient effectivement des contours imprécis, les quatre érudits parisiens alors dépêchés dans les régions soumises sont loin d’avoir agi en sombres incapables. La somme et la qualité des objets saisis par leurs soins dans les bibliothèques et collections visitées sont considérables, et l’ampleur des prises atteste une conscience aiguë des valeurs en jeu. Thouin et ses collègues, d’ailleurs, ne se réjouissaient-ils pas d’annoncer depuis Cologne, en novembre 1794, une récolte « abondante » et « variée » ?4
Le génie de la liberté
2La campagne de confiscation scientifique et artistique menée sur ordre de la Convention dans les villes allemandes de la région rhénane est indissociable des saisies pratiquées au même moment dans les Provinces-Unies – ou, pour parler comme les contemporains, en Belgique et en Hollande –, saisies couronnées par le transfert spectaculaire à Paris de plusieurs dizaines de tableaux de l’école flamande, Rubens en tête. L’appropriation martiale du patrimoine flamand par la République française a été souvent étudiée.5 Elle est le premier fruit concret d’une idéologie mûrie en l’an II, dont l’audacieuse et bruyante formule mêle référence à l’Antiquité, haine des despotes et rhétorique militaire : « Plus que les Romains, nous avons le droit de dire qu’en combattant les tyrans, nous protégeons les arts. […] Crayer, Van Dyck et Rubens sont en route pour Paris, et l’école flamande se lève en masse pour venir orner nos musées. »6 A l’été 1794, en effet, la situation militaire créée par la victoire de l’armée française à Fleuras (26 juin) offre à la doctrine du « patrimoine libéré » et à ses promoteurs un champ d’application concret : le maillage idéologique qui sous-tend ces opérations a été reconstitué par Edouard Pommier ; il postule que les chefs-d’œuvre de l’art, « enfouis » sous le poids du despotisme, sont victimes à l’étranger d’une sorte d’exil et qu’en les appelant au foyer de la liberté, la Révolution est capable de les restituer à la vie.7 Autrement dit, pour reprendre les termes mêmes d’Édouard Pommier : « La Révolution invente une autre modalité du rapport du fort au faible : la modalité “militaire”, qui s’incarne dans les traités imposés par le vainqueur au vaincu. Certes, la Révolution a tenté de revêtir cette pratique d’un discours idéologique, expliquant que le dernier et légitime domicile des chefs-d’œuvre se trouverait dans le pays de la liberté, car l’œuvre d’art est, par essence, une création de la liberté et ne peut s’adresser qu’à des hommes libres ».8 En 1794 et 1795, la première campagne de saisies pratiquées par la France hors des frontières nationales se présente donc, pour ainsi dire, comme une extension martiale et pervertie de la logique qui motive par ailleurs l’attribution de la citoyenneté française à des ressortissants étrangers, au Britannique Thomas Paine, au Suisse Johann Heinrich Pestalozzi ou à l’Allemand Friedrich Schiller par exemple. Les saisies d’œuvres d’art ordonnées par la Convention affectent d’abord la Belgique, puis se portent, dès le début du mois d’octobre 1794, sur les villes allemandes d’Aix-la-Chapelle et de Cologne.
« Liberté-Egalité-République Française. L’an troisième de la République une et indivisible, le dix-huit Vendémiaire. Moi P. Tinet l’un des membres de l’Agence de Commerce et approvisionnement établie près les armées du Nord et des Ardennes par Arrêté du Comité de salut public du 24 Floréal dernier pour l’extraction en pays conquis des objets de commerce, sciences et arts, me suis transporté en l’Eglise de S. Pierre de Cologne pour en faire enlever un tableau de Rubens, représentant le martire de S. Pierre. Il porte dix pieds et demi de haut sur sept pieds un pouce de large. Le tableau a été descendu et enlevé en présence du citoyen Th. Schweitzern Officier municipal et qui a signé le présent avec moi, les dits jours, mois et an que dessus. »9
3En trois phrases, ce procès-verbal de saisie, dressé le 9 octobre 1794, balise le champ politico-militaire et administratif dans lequel s’inscrivent les premières conquêtes artistiques et scientifiques de la Convention. Sur le terrain, la situation est marquée par l’avancée rapide des armées françaises vers la Rhénanie depuis que les Autrichiens ont été rejetés sur le Rhin : Aix-la-Chapelle tombe le 23 septembre 1794, Cologne est prise le 6 octobre. Trois jours plus tard seulement, Tinet y fait décrocher le Martyre de saint Pierre de Rubens, dont il sera beaucoup question par la suite (ill. 1). Les termes du procès-verbal qu’il établit à cette occasion en témoignent : les saisies sont menées en conformité avec l’idéologie mûrie au cours des mois précédents et elles respectent ses euphémismes (« extraction », « enlèvement »), La présence d’un officier municipal lors des opérations de décrochage et l’établissement d’un papier officiel, dûment signé, confèrent aux saisies un vernis légal. Et pourtant la mise en pratique effective, hors des frontières nationales, de l’idéologie du « patrimoine libéré » témoigne d’une incontestable confusion initiale.
1. Pierre Paul Rubens : Martyre de saint Pierre, 1637, huile sur toile, 310 × 170 cm, Cologne, église Saint-Pierre

Crédits/Source : © Rheinisches Bildarchiv Köln (n° de reproduction : rba_607891, voir https://www.kulturelles-erbe-koeln.de/documents/obj/05063651)
Polycratie initiale
Les « agences d’extraction »
4En l’espace de quelques semaines, à Paris, les organismes et commissions de la Convention prennent en effet des mesures concurrentes en vue des saisies et il est fréquent, en terrain conquis, que les activités de leurs agents respectifs entrent en rivalité ou en conflit. En 1794, trois initiatives presque simultanées ont pour dessein commun l’exploitation des territoires désormais soumis aux soldats de la République.10 La première est explicitement évoquée dans le procès-verbal de Tinet, où il est question de l’« Arrêté du Comité de salut public du 24 Floréal [an II] (13 mai 1794) ». Cet arrêté est le premier texte officiel qui, sous la Convention, fixe les modalités des confiscations d’œuvres d’art et de science en pays étranger. C’est la Commission d’agriculture et des arts – l’une des douze commissions créées quelques semaines auparavant pour se substituer aux ministères – qui en est à l’origine : soucieuse en effet d’éviter les dysfonctionnements constatés lors des réquisitions de la campagne de 1793, elle propose au Comité de salut public, en mai 1794, la création « d’une agence chargée de choisir et de faire rentrer dans l’intérieur les objets, pris sur l’ennemi, qui pourraient être utiles au progrès de l’agriculture et des arts, ou à la subsistance du peuple », et elle suggère que l’on s’empare aussi, phrase souvent citée, « des chefs-d’œuvre dont s’enorgueillissaient les pays où [la France porte] les drapeaux tricolores ».11 Quelques jours plus tard, le Comité de salut public adopte cette proposition et décide de former ces agences, dites « agences d’évacuation » ou « d’extraction », dont il confie la gestion à la Commission de commerce et des approvisionnements. Il est prévu que chaque armée – Nord et Ardennes, Moselle et Rhin, Alpes et Italie, Pyrénées – soit dotée d’une telle commission, constituée de trois membres placés sous l’autorité des représentants du peuple aux armées.12
5Pour l’armée du Nord, les objets convoités relèvent de trois catégories : approvisionnements (grains, viandes, bestiaux), arts et manufactures (métiers servant à la confection de toiles, dentelles, etc.), beaux-arts enfin. Une fois rassemblés, les objets conquis doivent être répartis entre les commissions intéressées : objets à caractère agricole à la Commission d’agriculture, grains et fourrages aux approvisionnements, objets « qui intéressent les sciences et l’instruction » à la Commission de l’instruction publique, etc. Le 12 juin 1794 sont donc nommés les membres de cette première équipe : il s’agit de deux bureaucrates et d’un artiste qualifié de « dessinateur de l’habillement aux armées », Pierre-Jacques Tinet (1753-1803).13 Les trois hommes opèrent indépendamment les uns des autres et ils prospectent surtout en Belgique. Au début du mois d’octobre 1794, cependant, quelques jours seulement après l’entrée des Français dans les villes allemandes d’Aix-la-Chapelle et de Cologne, Tinet y fait une incursion en solitaire : à Aix, il confisque un sarcophage romain orné de bas-reliefs et trois tableaux de qualité jugée médiocre (attribués à Rubens pour l’un, à Abraham von Diepenbeck pour les deux autres) ;14 à Cologne, il saisit le fameux Martyre de saint Pierre de Rubens, déjà cité. Après ces saisies, les villes allemandes de la région sont épargnées jusqu’à la venue, quelques semaines plus tard, d’une autre commission d’experts français. Par sa composition et l’histoire complexe de sa mise en place, cette seconde commission témoigne de l’intense activité, des rivalités et de l’émulation que suscite, à Paris, le projet d’appropriation par la France du patrimoine étranger.
L’initiative du Comité de salut public
6Dans le contexte militaire et idéologique du mois de juin 1794, la nomination d’agents « extracteurs » dépendant de la Commission de commerce et des approvisionnements suscite en effet une prompte réaction de la part d’autres organismes parisiens. Peu enclin, semble-t-il, à attendre passivement que lui soient adressés des objets dont il n’aurait supervisé ni le choix ni la saisie, le Comité d’instruction publique suggère aussi le 17 juin 1794 – cinq jours seulement après la nomination de Tinet et de ses deux collègues – que l’on envoie « secrètement, à la suite de nos armées, des artistes et gens de lettres instruits qui, dans les endroits où pénétreront les armées républicaines, enlèveraient avec précaution les monuments qui intéressent les arts et les sciences et les feraient passer en France ».15 Soumis au Comité de salut public, ce projet reçoit l’adhésion de la Commission temporaire des arts, qui s’engage alors dans une double procédure : choix d’experts susceptibles d’être envoyés en mission, d’une part, et rédaction d’instructions sur les précautions à observer dans la manipulation et l’emballage des œuvres confisquées, d’autre part. Ces deux démarches sont conformes à la vocation de cet organisme, initialement créé pour recenser en France les objets provenant des résidences royales et qui s’efforce, depuis sa création, de produire un discours administratif précis et contraignant sur la conservation des objets nationalisés.
7De manière significative, avec cette seconde commission, le transfert à Paris du patrimoine étranger doit donc s’opérer sous les mêmes auspices, selon les mêmes méthodes et grâce aux mêmes acteurs que la naturalisation du patrimoine français. Mais les procédures engagées en juin par la Commission temporaire des arts, peut-être trop lente à produire des résultats concrets, sont rapidement court-circuitées par une troisième initiative, qui émane directement, elle, du Comité de salut public : à la mi-juillet 1794, il invite à son tour les représentants du peuple à l’armée de Sambre et Meuse à procéder sans tarder à la confiscation des collections de tableaux flamands conservées en Belgique.16 Le 18 juillet, un arrêté pris à Bruxelles confie la recherche de ces chefs-d’œuvre à deux artistes recrutés dans les rangs même de l’armée, les peintres Barbier et Léger, assistés d’une équipe de dessinateurs également recrutés parmi les soldats. Comme dans le cas de la première commission, l’activité de ces hommes est circonscrite aux territoires belges et hollandais, et aucun d’entre eux ne pénètre dans les villes allemandes. Par effet de ricochet, leur nomination semble réactiver ou accélérer, à Paris, les démarches de la Commission temporaire des arts, qui multiplie alors les prises de contact pour former l’équipe d’experts qu’elle entend toujours envoyer à la suite de l’armée.
Les experts de la Commission temporaire des arts
8Le jour même où sont nommés à Bruxelles les agents Barbier et Léger (18 juillet 1794), la Commission temporaire des arts invite en effet, à Paris, les membres du Muséum d’histoire naturelle « à choisir des naturalistes pour le transport de l’histoire naturelle de la Belgique ».17 Ces derniers désignent le géologue Barthélemy Faujas de Saint-Fond et le botaniste André Thouin, à l’effet « de visiter tous les jardins de botanique et tous les cabinets d’histoire naturelle qui se trouvent dans ces contrées nouvellement conquises ».18 Le lendemain, le Comité d’instruction publique arrête à son tour que le peintre Jean-Baptiste Wicar et l’archéologue Casimir Varon, membres du conservatoire du Muséum des arts, ainsi que le sculpteur Jean-Joseph Espercieux, « seront envoyés en qualité de Commissaires dans la Belgique et les pays circonvoisins pour recueillir tous les objets de sciences et arts qui s’y rencontreront ».19 Par sa composition – un peintre, un archéologue, un sculpteur, auxquels s’ajouteraient un botaniste et un géologue –, cette commission virtuelle est le reflet condensé de la Commission temporaire des arts elle-même qui, depuis l’automne 1793, emploie une quarantaine d’experts répartis en groupes de travail chargés d’inventorier et de réunir dans des dépôts les livres, instruments, machines et autres objets de sciences et arts confisqués sur le territoire national et propres à l’instruction publique. L’entreprise d’appropriation du patrimoine conquis est bien envisagée, dès l’été 1794, comme une extension naturelle des nationalisations engagées en France, au nom de valeurs universelles et d’idéaux encyclopédiques, au mépris de l’origine nationale des objets convoités.
9Signe du poids politique et symbolique de l’entreprise, et de la réelle énergie scientifique qui la porte, le Comité d’instruction publique envisage par ailleurs d’adjoindre à l’expédition de Belgique les deux députés de la Convention les plus activement engagés dans les débats sur la destination et la conservation du patrimoine national, l’abbé Grégoire et le peintre David, afin « de donner à cette importante opération l’impulsion nécessaire ».20 Or les événements du 9 Thermidor (27 juillet 1794), en écartant notamment Wicar et David de la scène politique, compromettent la formation d’une telle équipe, dont la composition demeure toutefois un horizon idéal : trois semaines plus tard, « vu que la Commission d’instruction publique n’a pas dans ce moment l’activité nécessaire et qu’il est urgent de pourvoir à des parties essentielles du service dont elle n’a pu s’occuper »,21 le Comité de salut public prend l’initiative de nommer lui-même un nouveau groupe de spécialistes parisiens susceptible d’écumer professionnellement les régions conquises. La composition de ce nouveau groupe est dérivée des propositions antérieures : les deux membres du Muséum d’histoire naturelle, Faujas de Saint-Fond et Thouin, sont maintenus. Tous les autres postes pressentis (sculpture, peinture, archéologie) sont confiés à deux agents seulement : Gaspard Michel dit Leblond et Charles Dewailly. Aucune personnalité émergente ou charismatique n’est sollicitée cette fois pour accompagner le voyage, qui n’est donc qu’un pâle reflet de ce qu’il aurait dû être. Nommés le 20 août 1794, les quatre commissaires quittent Paris au début du mois de septembre et ils opèrent d’abord sur le territoire belge.
10En 1794, la première campagne de saisies artistiques et scientifiques mise en œuvre dans les régions conquises est donc confiée à trois équipes distinctes, issues d’organismes différents, voire rivaux, qui poursuivent pourtant des objectifs semblables. Les tensions et conflits de compétence liés à cette polycratie mal maîtrisée sont manifestes dès les premières semaines, mais ils sont désamorcés au début du mois d’octobre 1794 : le Comité d’instruction publique prend en effet l’initiative, depuis Paris, de renforcer les pouvoirs de Thouin, Dewailly, Faujas et Leblond, qui sont avisés par une lettre du 16 vendémiaire an II (7 octobre 1794) que tous les autres commissaires sont désormais leurs subalternes. La décision est justifiée en ces termes : « Ainsi la recherche des monuments ne se trouvera plus dispersée entre plusieurs agents qui se contrarient souvent entre eux ou qui dégradent, par ignorance, des objets très précieux. Il y aura une Commission à laquelle tout se rapportera. »22 Renforcés dans leurs pouvoirs, les quatre commissaires parisiens font alors des villes allemandes rhénanes leur domaine réservé, et aucun autre agent français n’y opère à partir du moment où ils s’y trouvent, c’est-à-dire à partir de la fin du mois d’octobre 1794. Dans ces conditions, s’il reste artificiel de dissocier les pans belges, hollandais et allemands de la politique de conquêtes artistiques et scientifiques de la Convention, on peut toutefois considérer comme une unité singulière les semaines au cours desquelles, jusqu’au mois de janvier 1795, les experts du Comité d’instruction publique visitent Aix-la-Chapelle, Cologne, Bonn, Coblence et leur région, où ils procèdent à d’amples confiscations. A cette époque, passé le désordre des premières semaines, la pratique des saisies est déjà sensiblement mieux organisée.
Les fonctionnaires de l’Universel23
11Contrairement à ce que semble suggérer Thouin lorsqu’il déplore qu’en 1794 les ordres de la Convention en matière de saisies artistiques et scientifiques aient été « exécutés sans intelligence », et contrairement à ce que suggèrent certaines études consacrées à l’épisode, qui insistent sur le « manque total de discernement »24 avec lequel ont alors été menées les confiscations, les quatre experts français mandatés en Allemagne sont loin d’avoir agi dans un épais brouillard d’incompétence. Qui sont-ils ? Et pourquoi le choix du gouvernement s’est-il porté sur eux ? André Thouin (ill. 2), déjà cité, est botaniste et membre du Muséum d’histoire naturelle, tout comme son collègue géologue Barthélemy Faujas de Saint-Fond (ill. 3). Gaspard Michel dit Leblond était jusqu’alors bibliothécaire du collège des Quatre-Nations (actuelle bibliothèque Mazarine), et l’architecte Charles Dewailly (ill. 4), membre du conservatoire du Muséum central des arts.25 Tous sont des hommes d’âge et d’expérience. Ils ont en moyenne cinquante-cinq ans lorsque intervient leur nomination : le benjamin de l’équipe est André Thouin, quarante-sept ans, et son doyen Charles Dewailly, soixante-quatre ans. Déjà bien engagées sous l’Ancien Régime, les carrières respectives de ces hommes mûrs se sont consolidées avec la Révolution, et tous les quatre sont impliqués à des degrés divers dans la vie politique de la Convention. A l’automne 1794, leur nomination au titre de commissaire du gouvernement pour les conquêtes artistiques est une forme de promotion professionnelle. Elle s’inscrit directement dans le sillage de leurs activités antérieures en France ou à l’étranger, et ne marque en rien une rupture ou une nouveauté radicale dans leur parcours. L’examen rapide de leurs biographies respectives fait ainsi apparaître avec clarté que des compétences particulières – scientifiques et administratives – les qualifient pour mener à bien la mission qui leur est assignée sur la rive gauche du Rhin.
2. Anonyme : Portrait d’André Thouin, gravure, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des estampes et de la photographie, Inv. N 2, cliché n° 45 C 1667

Crédits/Source : Bibliothèque nationale de France
3. Anonyme : Portrait de Barthélemy Faujas de Saint-Fond, gravure, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des estampes et de la photographie, Inv. N 2, cliché n° 54 B 12745

Crédits/Source : Bibliothèque nationale de France
4. Augustin Pajou : Buste de Charles de Wailly, 1789, Lille, palais des Beaux‑Arts

Crédits/Source : © RMN-Grand Palais (PBA, Lille, inv. 2001.2.1, voir https://pba.lille.fr/Collections/Chefs-d-OEuvre/Sculptures-XIXe-XXe-siecles/Buste-de-Charles-de-Wailly et https://www.photo.rmn.fr/archive/13-536301-2C6NU0DTAB1J.html)
12Phénomène de toute première importance pour l’intelligence de cette première vague de saisies : sur les quatre commissaires mandatés, trois sont issus directement de la Commission temporaire des arts, c’est-à-dire que depuis l’automne 1793 au moins ils sont quotidiennement et concrètement occupés « à faire des voyages dans un rayon de 30 lieues de Paris »,26 à mettre en réserve et à inventorier les objets précieux de sciences et arts que la République s’est appropriés sur le territoire national, à envisager parfois l’élaboration de catalogues généraux. L’architecte Charles Dewailly est chargé de cette tâche dans le cadre du conservatoire du Muséum ; André Thouin est responsable, avec sept autres experts, de l’inventaire des « collections d’histoire naturelle, de botanique, de zoologie et de minéralogie » ; Leblond doit pour sa part « inventorier les antiquités et médailles ».27 En fait, Thouin et Leblond étaient engagés dans des tâches similaires bien avant la création de la Commission temporaire des arts : dès l’automne 1792, Thouin avait été invité à recueillir et à faire transporter à Paris toutes les plantes rares cultivées dans les jardins dépendant de la liste civile ou appartenant à des émigrés, à dresser un état des objets réunis et à envisager la vente de tout ce qui était jugé sans intérêt.28 Ses fonctions ultérieures à la Commission temporaire des arts, assumées jusqu’à la veille de son départ pour le Rhin, sont le prolongement naturel d’activités scientifico-administratives anciennes. C’est le cas aussi, de manière plus évidente encore, pour le bibliothécaire Leblond : secrétaire dès novembre 1790 du « Comité des Quatre-Nations », créé pour assurer la réunion, l’inventaire et la conservation des objets provenant des communautés religieuses supprimées par décret en novembre 1789, il a été membre de toutes les commissions qui se sont succédé, sous des noms divers, pour assumer cette tâche et il s’est imposé comme le personnage le plus apte à mener à bien l’entreprise. Pendant toute la période révolutionnaire, il joue un rôle de premier ordre dans la gestion et la répartition publique des fonds littéraires devenus nationaux. Comme dans le cas de Thouin, sa nomination au titre de commissaire de la République pour les territoires conquis semble dictée par un souci précoce de confier les saisies à des professionnels du patrimoine et de son administration. Dans leurs domaines respectifs, Leblond et Thouin comptent en effet parmi les personnalités françaises qui ont la connaissance la plus précise des collections nationales en voie d’organisation. Leur passé professionnel récent les a dotés d’un bagage méthodologique efficace pour procéder à l’identification, à l’évaluation, puis à l’emballage et au transport éventuels des objets précieux qu’ils pourraient trouver dans les villes conquises. Si, comme le déplore rétrospectivement Thouin, les ordres de la Convention ont effectivement été exécutés « sans intelligence » en 1794, ce n’est donc pas faute d’avoir mobilisé des gestionnaires de haut vol.
13On pourrait évidemment objecter que ces professionnels de l’inventaire et des emballages n’ont aucune connaissance du terrain qu’ils écument. Malgré des contacts épistolaires multiples avec plusieurs académies et savants européens, Thouin n’a jamais voyagé et Leblond, à en croire ses biographes, ne connaît du monde que sa Normandie natale et Paris. Mais, là encore, la composition plurielle de la commission semble répondre à un réel souci d’employer des agents auxquels la rive gauche du Rhin, ou plus généralement la pratique des voyages, n’est pas étrangère. Architecte du théâtre de l’Odéon à Paris (1779-1782), Dewailly a effectué avant la Révolution plusieurs séjours en Italie, en Angleterre et en Allemagne pour y étudier les édifices de théâtre. Dans les années 1780, il a par ailleurs été chargé de l’ébauche et de la réalisation de différents pavillons et palais aux Pays-Bas et en Allemagne, notamment pour le duc d’Ursel sur les bords de l’Escaut et pour le landgrave de Hesse à Cassel. A la même époque, il recevait du prince Albert de Saxe-Teschen (fondateur de l’Albertina à Vienne et fils de l’électeur de Saxe) et de son épouse l’archiduchesse Marie-Christine (fille de l’impératrice Marie-Thérèse) la mission de dessiner leur maison de campagne près de Bruxelles, l’actuel château de Laeken, où réside désormais le roi des Belges. Sous l’Ancien Régime déjà, pour mener à bien ces projets, Dewailly avait séjourné dans cette région où, une douzaine d’années plus tard, il est conduit à prospecter au nom de la République. Quant au géologue Faujas, il connaît l’Allemagne et la Hollande, entre autres, pour y avoir effectué plusieurs voyages d’exploration avant 1789, lorsqu’il était notamment commissaire du roi pour les mines et carrières.
14Formée à part égale d’agents versés dans la gestion du patrimoine et de personnalités sensibilisées aux régions qu’elles traversent, la commission parisienne qui parcourt les villes allemandes à partir de l’automne 1794 ne représente donc pas seulement l’alliance des arts et des sciences prônée par les hommes de la Révolution. Elle est aussi le lieu où se rejoignent le xviiie siècle des voyageurs européens et l’ère des centralisations, l’esprit d’encyclopédie et l’esprit gestionnaire, l’héritage des académies et le grand projet de l’instruction publique, dans lequel les quatre commissaires sont intimement et officiellement impliqués avant et après leur retour de mission. De Belgique, celle-ci les mène à Aix-la-Chapelle, qu’ils visitent et dépouillent à partir du 22 octobre 1794 environ. Puis ils descendent vers Cologne, où ils séjournent pendant quatre semaines au moins entre la fin du mois d’octobre et la mi-décembre 1794, se rendant ensuite à Bonn pendant la deuxième quinzaine de décembre, et enfin à Coblence, où ils restent quelque huit jours en janvier 1795.
Patrimoines régionaux et patrimoine de la liberté
15Lorsque les commissaires français parcourent ces régions rhénanes au cours de l’automne 1794, l’Allemagne voit les derniers moments du Saint-Empire. Grande marqueterie de principautés semée d’enclaves ecclésiastiques et de villes libres, elle compte quelques Etats de bonne taille – la Bavière, la Saxe, la Prusse ou l’Autriche – qui côtoient un enchevêtrement de territoires minuscules : « C’est un composé d’un grand nombre d’États souverains & libres, quoique sous un chef commun », écrit l’Encyclopédie. 29 Politiquement gêné par l’atomisation extrême de ses intérêts, ce grand « composé d’États » jouit par contrecoup, à la fin du xviiie siècle, d’une grande diversité culturelle. A travers tout le siècle et tout le pays en effet, les princes allemands, rivalisant de faste à la mesure de leur puissance économique, ont entretenu orchestres et acteurs, poètes, artistes et académies, ils ont collectionné et bâti : chaque résidence de cour a son théâtre et parfois sa galerie de peinture ou d’antiques. C’est là aussi que sont implantés les sociétés de pensée et les lieux de sociabilité les plus favorables aux idées nouvelles : franc-maçonnerie, salons et sociétés de lecture. Au réseau des capitales politiques (Berlin, Vienne, Munich ou Dresde) se superposent ainsi, dans la topographie allemande, des capitales littéraires (Weimar), mais également financières (Francfort) ou commerciales (Hambourg), d’importants centres éditoriaux (Leipzig) ou universitaires (Göttingen, Heidelberg, Iéna), et ces grandes villes d’art, dotées par leurs princes de riches collections : celles des rois Auguste le Fort et Auguste III à Dresde, de Jean-Guillaume de Palatinat à Düsseldorf, de Frédéric le Grand à Berlin et Potsdam, du duc Anton Ulrich à Brunswick ou des landgraves de Hesse à Cassel, auxquelles s’ajoutent les collections de Mannheim, Munich et Vienne. Dans bien des cas, pour des raisons de prestige, ces galeries princières sont largement accessibles au public et disposent même, dans plusieurs villes, de lieux d’exposition autonomes : les tableaux de Brunswick sont abrités depuis 1701 dans une galerie particulière ; un bâtiment est spécialement édifié en 1709 pour les tableaux et la bibliothèque de Düsseldorf ; les anciennes écuries de l’électeur de Saxe sont transformées en véritable pinacothèque au milieu du xviiie siècle ; on fait construire des galeries indépendantes à Potsdam (1756-1764), Munich (1779-1783) et Cassel, où le « Museum Fridericianum » (1769-1779) fait figure d’« incunable de la construction du musée au siècle des Lumières ».30
16Dans les territoires rhénans occupés en 1794 cependant, entre Meuse, Moselle et Rhin, le collectionnisme princier ne s’est pas déployé avec la même magnificence que de l’autre côté du fleuve, à Düsseldorf par exemple, où l’on affirme que la galerie des électeurs palatins « est digne d’être vue encore après le muséum de Paris et celui de Versailles ».31 Des quatre grandes villes visitées par les experts français en 1794, seule Bonn, résidence de l’électeur de Cologne, comporte quelques collections dynastiques. A Coblence, qui appartient à l’archevêque-électeur de Trêves, à Aix-la-Chapelle, mais surtout à Cologne, restées villes libres et impériales jusqu’à l’occupation française, la richesse patrimoniale est ailleurs : elle repose d’abord sur un réseau encore lâche et peu institutionnalisé de cabinets et de musées particuliers, ensuite et surtout sur le solide héritage ecclésiastique (dense réseau d’églises et de couvents, forte présence des jésuites) et humaniste (berceau de l’imprimerie). En 1794, c’est donc moins par son patrimoine artistique que par ses richesses architecturales et bibliographiques que la région se distingue : « Le défaut de monumens dans la classe des arts du dessin est d’autant plus frappant à Mayence, à Bonn, à Trêves, à Cologne, que, dans les édifices publics de ces cités, il règne partout une prodigalité excessive d’ornemens. […] Tout change lorsqu’on entre dans la Belgique. Édifices publics, maisons privées, cabinets d’amateurs, la décoration même des appartemens particuliers, tout annonce, tout respire le goût du dessin. »32 Sans doute excessif, ce jugement d’Armand-Gaston Camus aide néanmoins à comprendre la spécificité des opérations menées en territoire allemand et la nature des objets saisis.
Autonomie des commissaires
17Dans les villes allemandes de Rhénanie, les commissaires français jouissent d’une liberté d’action et de choix que rien ne semble contrarier. A Paris, certes, on est vite conscient de la nécessité aiguë qu’il y a de téléguider leurs investigations. Plusieurs initiatives visent la collecte de renseignements sur les objets d’art conservés dans les régions soumises. A titre d’exemple, la Commission temporaire des arts invite, le 1er septembre 1794, « tous les membres qui ont des renseignements sur tous les objets d’art qui existent dans la Belgique et autres pays occupés par les troupes de la République […] à les communiquer aux commissaires envoyés dans ces pays ».33 Cette démarche est intéressante à plus d’un titre : elle confirme d’abord le rôle central joué par la Commission temporaire des arts dans la mise en place des saisies, et l’extrême degré de parenté qui lie la naturalisation du patrimoine national (sa tâche première) et celle du patrimoine étranger (qu’elle prend en charge à la faveur des victoires militaires) ; dans le même temps, cette initiative trahit, on s’en étonne à peine, la connaissance très approximative que les milieux parisiens ont du patrimoine culturel et intellectuel du nord de l’Europe à la fin du xviiie siècle. Germaine de Staël ne continuait-elle d’ailleurs pas de déplorer, une décennie plus tard, que l’« Allemagne intellectuelle n’est presque pas connue de la France » et que « bien peu d’hommes de lettres [français] s’en sont occupés » ?34 La récolte d’informations est laborieuse, l’appel à renseignements est réitéré à plusieurs reprises et il est formalisé quelques semaines plus tard, lorsque la Commission arrête qu’il sera établi une « commission particulière » chargée de centraliser toutes les informations sur les objets d’art et de science conservés dans les pays où les armées françaises pourraient pénétrer.35 Relativement fructueux dans le cas des chefs-d’œuvre flamands, scrupuleusement inventoriés par le marchand de tableaux Jean-Baptiste Lebrun, cet effort d’anticipation et de rationalisation reste très lacunaire pour les villes de Rhénanie. A aucun moment, semble-t-il, les commissaires français ne se conforment à des instructions parisiennes. Même s’il existe des guides de voyage largement diffusés, tel le fameux Voyage sur le Rhin depuis Mayence jusqu’à Dusseldorf de Beaunoir, publié en 1791,36 leur méthode de recherche est surtout empirique, comme l’indique cette remarque du commissaire Leblond dans un rapport d’activité : « J’ai demandé à Coblentz quelques renseignements sur les bibliothèques et cabinets de la ville : les réponses n’étoient point du tout satisfaisantes ; mais il me suffit d’abord d’appercevoir des clochers : ils me servent de guide. »37
18Guidés par les clochers et libres de procéder aux choix qui leur agréent, les quatre commissaires ne sont pas soumis non plus à la pression hiérarchique d’instances contraignantes. Ils ne dépendent étroitement, sur le terrain, d’aucune autorité militaire ou civile ; leurs instructions leur enjoignent tout au plus de se concerter avec les représentants du peuple pour l’organisation concrète de l’emballage et des transports. Si les agents recrutés avant eux sont désormais placés sous leur surveillance, ils n’ont pour leur part de compte à rendre à personne, si ce n’est, par le biais de rapports écrits, aux lointaines organisations parisiennes qui les envoient. Ces rapports sont aujourd’hui conservés, pour un grand nombre, aux Archives nationales à Paris.38 Certains sont publiés dès leur arrivée à Paris, comme cette longue lettre de Faujas et Thouin, qui relatent en détail les saisies et recherches effectuées à Cologne et Bonn, dont le Magasin encyclopédique diffuse le texte dès le début de l’année 1795.39 Personnages dotés d’une incontestable assurance et d’un certain prestige social, connus ou reconnus en France pour leurs travaux, ces commissaires se comportent à l’étranger comme de hauts fonctionnaires et ils n’ont rien de pauvres subalternes réduits à exécuter sans intelligence des ordres venus de plus haut. La seule instruction à laquelle ils se conforment est formulée dans leur arrêté de nomination, qui « les charge de se rendre dans la Belgique et dans les pays occupés par les armées du Nord et de Sambre et Meuse pour recueillir tous les monuments, toutes les richesses, toutes les connaissances qui ont rapport aux Arts, aux Sciences, pour en enrichir la République et remplir l’objet de la mission qui leur est confiée ».40 Vaste programme.
Enquêter, collecter, dépouiller
Objets de la mission
19Pris à la lettre, en effet, le spectre des objets convoités est quasiment illimité – « tous les monuments, toutes les richesses, toutes les connaissances qui ont rapport aux Arts, aux Sciences » : on trouve explicitement cité le motif de l’enrichissement, qui sous-tend toute l’entreprise des saisies, mais aussi et surtout l’exigence d’une récolte qui porterait à la fois sur des objets concrets (monuments, richesses) et sur des objets virtuels (« toutes les connaissances qui ont rapport aux Arts, aux Sciences »). C’est cette double exigence qui fait la spécificité de la mission confiée aux quatre notabilités parisiennes dans les villes rhénanes ; c’est elle qui crée la ligne de démarcation entre leurs investigations et celles des agents occupés par ailleurs ; c’est elle, enfin, qui donne à leurs activités prospectrices les allures d’un voyage utilitaire, dérivé immédiat des voyages d’exploration dont certains États éclairés s’étaient fait une spécialité depuis la fin du xviie siècle. Dès l’automne 1794, et jusque sous le Consulat, en effet, la politique française de conquêtes artistiques infligée successivement aux régions rhénanes, à l’Italie (1796) puis à l’Allemagne méridionale (mission de Neveu, hiver 1800-1801) est liée de manière consubstantielle à l’idéal, aux pratiques et à la sociabilité des voyageurs d’Ancien Régime. Entreprise de libération du « patrimoine universel », elle est aussi une grande opération exploratoire, le droit du plus fort et l’appel de régions mal connues se conjuguant pour donner lieu à ce que Dominique Poulot qualifie d’« obsédante collecte » propre aux Lumières.41 La recherche d’objets précieux et de livres rares côtoie, complète et prolonge ainsi celle de graines, d’outils inconnus, d’échantillons d’histoire naturelle et de curiosités ethnographiques.
20Ce n’est donc pas un hasard, ni une lubie de savant en mal d’éprouvettes, si la campagne menée en 1794 sur la rive gauche du Rhin suscite la rédaction, puis la publication partielle de plusieurs récits de voyage. Ces récits préfigurent d’une certaine manière les grandes enquêtes ethnographiques menées à l’intérieur de la France, ou l’établissement de mémoires statistiques consacrés aux régions annexées et aux autres départements français.42 Ils rappellent la pratique des « tournées et missions » confiées à ces fonctionnaires qui, du Directoire à l’Empire, sont envoyés en service commandé dans les départements pour y inspecter tantôt les voies de communication (mission de Bacon en 1796), tantôt les archives (mission d’Armand-Gaston Camus dans les départements annexés en 1802), tantôt les vestiges archéologiques (missions de Aubin-Louis Millin dans le sud de la France en 1804).43 En 1794, ce n’est donc pas parce qu’ils se languissent, comme semblent le suggérer certains auteurs, que « Thouin et Faujas mirent à profit les loisirs dont ils disposaient pour recueillir […] toutes sortes d’informations sur les productions minières, agricoles et manufacturières des régions par eux visitées ».44 Ce n’est certainement pas non plus pour sacrifier à un instinct mâle qu’ils consignent des informations sur les populations rencontrées, comme l’indique cet autre commentaire (1970) : « Nos commissaires n’auraient pas été des Français s’ils ne s’étaient pas intéressés, autant qu’à la production des vaches laitières, à la tournure des femmes du petit peuple de Bruxelles, la figure enjouée et la taille imposante des servantes de Bonn, l’élégance des bourgeoises de Coblence qu’ils étaient allés épier à la sortie de la messe. »45 Comme c’est également le cas, par la suite, lors de la campagne d’Italie et dans le cadre de la mission bavaroise de Neveu, l’observation, l’enquête technologique, sociale et ethnographique sont intimement liées à la politique d’appropriation française du patrimoine étranger. Cela explique que les commissaires oscillent en permanence entre euphorie du vainqueur et réel souci de connaître le pays traversé. Et que certains d’entre eux aspirent même – ce sera un aspect déterminant de la mission de Neveu en 1800 et 1801 – à s’intégrer aux populations qu’ils rencontrent et dépouillent.
L’observation et le récit
21« Les belles plaines de Cologne et les bois dont les montagnes qui l’environnent sont couronnées, nous ont fourni plusieurs remarques intéressantes sur la manière dont elles sont cultivées […]. L’aménagement des bois, les travaux qu’ils nécessitent et leur exploitation offrent quelques procédés qui ont donné lieu à des observations. Elles ont été consignées dans le journal de notre voyage, dont nous remettrons un exemplaire à la commission, lorsqu’il sera terminé », indique la lettre des commissaires français en mission publiée dans le Magasin encyclopédique.46 L’observation, la prise de notes et la collecte de dessins forment en effet une part centrale de l’activité prospectrice, au moins aussi importante que les saisies elles-mêmes. L’enquête porte principalement sur des phénomènes géologiques, sur des questions d’agronomie, de botanique et de sylviculture, mais elle n’occulte ni la description des personnes, ni celle des institutions publiques qui les encadrent. Au-delà des découvertes purement scientifiques qu’elle induit – notamment celle du « trass ou tuffa volcanique » de la région de Cologne, auquel Faujas consacrera d’importants développements à son retour en France –, la mission rhénane de 1794 est l’occasion d’une enquête approfondie sur les savoir-faire agricoles, manufacturiers et sociaux d’un voisin méconnu, et pourtant moins attardé que ne semblait l’imaginer l’intelligentsia parisienne. Il est vrai que les régions parcourues se distinguent par le dynamisme de leur agriculture, la vitalité de leur industrie et de leur artisanat, la modernité de leurs établissements d’humanité. Les terres fertiles de la région de Bonn sont soumises depuis plusieurs décennies à des cultures intensives et spéculatives. Partout prédominent les structures typiques de la « proto-industrialisation », qui étendent leur influence sur un réseau d’actives petites villes textiles ou minières, innervent la région et bénéficient du grand axe fluvial qui traverse l’Europe du sud au nord. Les produits volcaniques tirés des carrières d’Andernach, près de Bonn, sont par exemple pilés et transportés en Hollande, où ils servent pour la construction de digues ; le bois des forêts rhénanes rejoint les Provinces-Unies par voie d’eau ; autour d’Aix-la-Chapelle sont implantées de nombreuses manufactures textiles (draps) ou métallurgiques (aiguilles, dés à coudre) qui produisent pour l’exportation.
22C’est ainsi par exemple que les notes de voyage de Thouin trahissent un intérêt particulier pour l’outillage agricole de la région, soigneusement étudié, qui mériterait selon lui d’être introduit en France. En témoigne son enthousiasme pour une forme de houe à long manche découverte près de Bonn, le « bident de Bonn », qui lui inspire des réflexions philanthropiques conformes aux préoccupations du siècle qui s’achève : « Tout le monde sait combien le travail de la houe est pénible et déforme les hommes. […] Le bident de Bonn n’a pas cet inconvénient : l’ouvrier qui s’en sert travaille presque droit, ne perd pas tant de fatigue et n’est pas exposé à contracter la courbure du corps et les maladies qui en sont les suites. »47 Au-delà de ces promesses d’améliorations ergonomiques, la mission des commissaires français tourne ailleurs à une forme d’espionnage ouvert, facilitée par le déséquilibre des forces en présence. Cette forme primitive d’espionnage industriel est commune à plusieurs missions de « conquêtes artistiques » ultérieures, et ses modalités mériteraient sans doute d’être étudiées en détail : « Nous avons dans nos portefeuilles plus de soixante-quinze dessins qui ont rapport à des machines ingénieuses, à des manufactures, à des instrumens utiles, tant dans les arts que dans l’économie rurale, à l’exploitation des mines, et à des procédés qui nous manquoient, et qu’on affectoit de tenir dans le mystère. »48 A propos notamment des exploitations minières de la région de Cologne, les commissaires notent qu’ils possèdent « les dessins très corrects de leurs principales vues » et qu’ils en ont « des descriptions exactes qui trouveront place dans le journal de [leur] voyage, au moyen de quoi [ils présument] n’avoir rien oublié de ce qui peut jeter le plus grand jour sur ces importantes mines » (ill. 5-8).49
5. Anonyme : Carrière de Niedermennich [Niedermendich] dans la région de Coblence, gravure d’après les esquisses réalisées lors de la mission de Faujas et Thouin en 1794, in : Annales du Muséum, 1802, pl. XIII

Crédits/Source : Berlin, Staatsbibliothek, Preußischer Kulturbesitz
6. Anonyme : Carrière de Niedermennich [Niedermendich] dans la région de Coblence, gravure d’après les esquisses réalisées lors de la mission de Faujas et Thouin en 1794, in : Annales du Muséum, 1802, pl. XIV

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7. Anonyme : Carrière de Niedermennich [Niedermendich] dans la région de Coblence, gravure d’après les esquisses réalisées lors de la mission de Faujas et Thouin en 1794, in : Annales du Muséum, pl. XV

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8. Anonyme : Mine de Liblar dans la région de Cologne, gravure d’après les esquisses réalisées lors de la mission de Faujas et Thouin en 1794, in : Annales du Muséum, 1802, pl. XXVIII

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23La tenue d’un journal de voyage, devenu au xviiie siècle le corrélat presque obligatoire du voyage lui-même, est donc aussi l’une des tâches imparties aux quatre commissaires. A leur retour en France, Faujas et Thouin sont invités par le Comité d’instruction publique à présenter leurs carnets de notes et leurs dessins. Le Comité « leur témoigne sa satisfaction » et « les incite à publier leur voyage ».50 Cette relation ne fait finalement pas l’objet d’un ouvrage commun. Mais Faujas publie une importante série d’articles tirés de ses notes dans les Annales du Muséum tandis que les journaux de Thouin, restés inédits de son vivant ; paraissent à titre posthume dans une version hélas expurgée par un ami du botaniste.51 En tout point donc – enquête et inventaires, collecte de notes et de dessins, exploitation scientifique des résultats obtenus et publication d’un récit à l’issue du voyage –, cette mission d’appropriation ordonnée par la Convention paraît prolonger le type de voyages en vogue depuis quelques décennies. En témoigne aussi l’importante collecte qu’elle suscite d’échantillons, d’objets utilitaires ou curieux, emballés et transférés à Paris au même titre que les chefs-d’œuvre des arts ou les manuscrits les plus exceptionnels.
Le prototype et l’échantillon
24On s’étonne un peu de trouver, parmi les objets transférés à grands frais de Cologne à Paris à l’automne 1794, « quarante et une espèces de fruits et de graines, la plupart exotiques, propres à former des grainiers pour l’étude », « un essuie-pied en vergettes pouvant servir de modèle à ceux qu’on peut établir aux portes des galeries du Muséum d’histoire naturelle », ou encore « un rabot à trois lames, avec sa boëte mouvante, instrument très simple, peu dispendieux à fabriquer, et extrêmement commode et expéditif pour couper les choux dont on fait la Saur-croute ».52 En fait, la collecte et l’expédition en France de ces instruments simples et de ces graines rares sont le corollaire naturel de l’effort d’observation et de description fourni par les experts français. On s’enthousiasme pour l’ingéniosité d’un procédé inconnu, on le décrit, on le dessine, et lorsqu’il offre « quelques parties difficiles à rendre par le dessin », notent les commissaires, on prend le parti « de [l’]envoyer en nature ».53 C’est là encore la logique du voyage de prospection industrielle ou commerciale, où l’on cherche à l’étranger les nouveautés utiles. Les objets visés sont des produits artisanaux, multiples et reproductibles, destinés à servir de modèle à une production ultérieure. Si leur exploitation en France est incertaine, leur extraction des régions soumises ne représente, au pis, qu’un manque à gagner pour les usagers et, au mieux, ils n’en subissent aucun inconvénient. L’expédition à Paris du coupe-chou à trois lames ou de l’essuie-pieds trouvés à Cologne est le vecteur concret de possibles transferts technologiques, de même que le prélèvement et l’expédition répétés de graines légumineuses (« haricots […] bons à manger en vert avec la gousse, et salés pendant l’hiver »)54 doivent servir l’amélioration de l’économie et des performances nationales. Ces objectifs, eux non plus, ne diffèrent pas sensiblement de ceux des campagnes de prospection que certains souverains européens avaient pris coutume d’organiser au xviiie siècle.
25Outre les objets à valeur de modèle, les experts français collectent avec système des échantillons d’histoire naturelle qu’ils trouvent lors de leurs excursions champêtres, ou des collections entières, déjà formées, qu’ils confisquent alors en bloc. A l’ère des spécimens et des classifications, où l’on entend étiqueter le monde dans des vitrines bien ordonnées, ce recueil d’objets variés n’a, là encore, rien de sensationnel. Dans la région de Cologne, les commissaires écrivent avoir « colligé sur place un assortiment complet de tous les échantillons de bois qui forment la mine d’où l’on tire la terre d’ombre ou terre de Cologne ».55 A Aix-la-Chapelle, ils confisquent des collections d’insectes, des minéraux et des échantillons de cuivre ; à Cologne, ils dépouillent l’ancien collège des jésuites de ses collections de minéraux, de marbres précieux, de fossiles, de coquilles et de coraux recueillis par les missionnaires de l’ordre, sur tous les continents du monde, au cours des siècles passés. Entre aspiration scientifique légitime et accaparement grossier de collections formées par d’autres, l’entreprise des saisies, tout en maintenant un cap unique (épingler le monde), bascule ici du champ des explorations à celui des spoliations, de la cueillette au vol. Deux pratiques et deux idéologies convergent : pratique et idéologie du voyage, d’une part, qui se sont épanouies et codifiées en temps de paix ; pratique et idéologie des réquisitions, d’autre part, qui ont pour condition la guerre. Les experts parisiens observent et relatent ; en bons représentants du xviiie siècle, ils collectent et emportent des parties du grand tout, jetant leurs rets sur des prototypes et des échantillons trouvés dans les bois, certes, mais aussi, dans le même élan, sur des échantillons trouvés sous des vitrines, sur des estampes et des livres trouvés dans des bibliothèques, et, quittant l’espace des multiples, sur des manuscrits rares, des dessins de maîtres ou des sarcophages antiques.
Patrimoines spoliés
26Dans les grandes villes allemandes de la région rhénane, la commission française pour la recherche des monuments de sciences et arts s’approprie, en 1794, une somme importante de pièces originales et uniques, dont l’extraction et le transfert à Paris déchirent définitivement le tissu patrimonial de la région puisque la plupart de ces pièces n’ont jamais été restituées. Dans ces villes, contrairement à ce qui se produit en Belgique ou en Hollande, presque aucun tableau n’est saisi à l’automne 1794. Outre les outils et les échantillons d’histoire naturelle déjà mentionnés, en effet, les convoitises des commissaires visent surtout les livres et manuscrits précieux conservés dans les bibliothèques des émigrés et des ordres religieux, ainsi que des fragments architecturaux antiques, et certaines pièces d’artillerie anciennes conservées dans l’arsenal de Cologne. Ni la taille, ni le poids, ni le nombre, ni même la valeur symbolique ou la fonction architecturale des objets visés ne retiennent les extracteurs dans leurs choix. La saisie la plus spectaculaire est sans conteste celle des colonnes antiques qui entourent le sépulcre de Charlemagne dans la cathédrale d’Aix-la-Chapelle : au nombre de trente environ, elles mesurent chacune près de quatre mètres de haut et leur extraction complexe de l’octogone carolingien mobilise pendant plusieurs semaines des énergies et des techniques considérables ; les colonnes sont descellées et extraites par les fenêtres, puis expédiées en France sur des « voitures d’une grande solidité ».56 Outre cette confiscation d’envergure, la commission française fait procéder au descellement et à l’emballage de plusieurs autres éléments d’architecture organiquement intégrés aux bâtiments qui les abritent, telles ces « trois pierres antiques encastrées dans un mur de la cour de l’arsenal [de Cologne] », dont la saisie est justifiée en ces termes : « On y lit des inscriptions romaines qu’il seroit trop long de rapporter et d’expliquer : leur antiquité indubitable nous a déterminés à les envoyer à Paris. »57 A plusieurs reprises, cette politique de descellement cause de lourds dégâts, comme en témoigne la destruction d’une mosaïque funéraire antique trouvée dans le couvent de Sainte-Marie-au-Capitole à Cologne, brisée au cours de l’enlèvement et dont les différents fragments sont néanmoins expédiés à Paris.
27Moins spectaculaire sans doute, mais infiniment plus enrichissant pour les collections françaises qui renferment encore, à l’heure actuelle, une partie non négligeable des collections alors transférées, le démantèlement de l’ancien collège des jésuites de Cologne livre des renseignements précieux sur les critères et les méthodes dont usent les commissaires dès lors qu’il ne s’agit plus de prélever des outils-modèles ou des spécimens trouvés dans la nature, mais des pièces uniques de très grande valeur. Administré par la municipalité de Cologne depuis la dissolution de l’ordre jésuite dans les années 1770, le Gymnasium Tricoronatum est visité par les commissaires français à partir du 9 novembre 1794 : le premier jour au matin, ils se présentent dotés de pleins pouvoirs signés par les représentants du peuple aux armées, et accompagnés de l’un d’eux. Ils exigent de l’administrateur de l’établissement de se faire ouvrir les portes et placent sous scellés les salles qui renferment les collections dignes d’intérêt. Une fois ces salles fermées, les recherches et la sélection sont méthodiquement menées, d’abord à la bibliothèque avec l’aide du catalogue, puis dans le cabinet d’histoire naturelle et dans le « musée ». Dans la plupart des autres établissements visités à Aix-la-Chapelle, Bonn, Cologne et Coblence, les opérations se déroulent selon un schéma semblable, propre à désamorcer les résistances. Parfois, une sentinelle est encore placée aux portes des institutions jusqu’à ce que les chariots de l’armée viennent chercher les prises.
28Dans l’ancien collège des jésuites de Cologne, la sélection dure près de trois semaines. Elle affecte les collections d’histoire naturelle, déjà mentionnées, mais aussi les collections de médailles antiques et modernes, de gemmes et d’objets liturgiques précieux, ainsi que la bibliothèque et la collection d’estampes, formées depuis le xviie siècle pour appuyer faction pédagogique des jésuites. Sous l’Ancien Régime, la puissance européenne de la Compagnie de Jésus, son poids dans la vie intellectuelle et dans la formation des élites trouvent aussi leur expression dans les collections de ses bibliothèques.58 A Cologne, selon un rapport établi par le collectionneur Ferdinand Wallraf en 1814, les commissaires français s’emparent de cinquante-quatre bibles manuscrites et incunables, de tous les livres de théologie anciens ou manuscrits, de tous les livres d’histoire et de géographie, d’ouvrages juridiques, diplomatiques et historiques relatifs à l’Allemagne, de manuscrits rares portant sur l’histoire de l’Église, des dictionnaires anciens et modernes les plus précieux, de presque toutes les éditions rares d’auteurs classiques ou de critiques littéraires, de toutes les œuvres du mathématicien, philologue et archéologue jésuite Athanasius Kircher (1601-1680), d’un grand nombre d’ouvrages scientifiques allemands, hollandais ou italiens, d’un grand nombre de lettres autographes écrites notamment par Leibniz, enfin et surtout (une constante dans l’entreprise des saisies) d’une centaine d’incunables. L’ensemble représente plus de vingt caisses, et le collège perd de surcroît les catalogues de sa bibliothèque.59
29Autant que la rareté des ouvrages en effet, autant que leur contenu ou la richesse de leurs reliures, c’est le désir de s’approprier des collections complètes et déjà ordonnées qui motive les commissaires. Comme dans le domaine des sciences naturelles, l’entreprise des saisies vise à la fois, dans le domaine des livres, le transfert d’ouvrages précieux et celui de ce qu’on pourrait qualifier de « capital intellectuel » : appropriation de classements, de séries, de systèmes. A Bonn, le commissaire Leblond se réjouit ainsi d’avoir confisqué « une collection presque complette de droit public ».60 Lorsqu’ils annoncent à leurs correspondants français la formidable saisie, à Cologne, de plus de deux cents volumes d’estampes et de dessins réunis par les jésuites, les commissaires insistent sur la double qualité des œuvres et de leur ordonnancement : « Cette collection, quoique très remarquable par le choix et le nombre, ne l’est pas moins par sa classification, qui embrasse tout le système d’un cabinet d’estampes. »61 L’ensemble – près de 27 000 estampes et plus de 6 000 dessins de maîtres allemands et italiens reliés en 208 volumes de formats variés – est transféré à Paris à l’automne 1794, et seule une maigre partie de cette somme exceptionnelle est restituée en 1815. Le reste est toujours conservé, à l’heure actuelle, à la Bibliothèque nationale de France (département des estampes) et au Louvre (département des arts graphiques).62
30Ni prévue ni sanctionnée par un traité de paix, cette dépossession par la force d’un patrimoine que la municipalité s’était bien gardée de vendre par le passé, malgré les offres réitérées de prestigieux acquéreurs potentiels,63 est douloureusement ressentie à Cologne. Dans les villes allemandes de Rhénanie, plus généralement, les confiscations menées par les commissaires français font parfois ressembler leurs activités à celles de chercheurs de trophées ou de vulgaires pillards : confiscation d’armes anciennes dans l’arsenal de Cologne, cible traditionnelle des vainqueurs en pays vaincu ; confiscation à Bonn du corps de bibliothèque de l’électeur, dont les livres ont été évacués avant l’arrivée des Français : « Si nous n’avons pas les livres, nous avons le corps de bibliothèque qui les contenoit ; il est en bois d’acajou et magnifiquement doré. Le [citoyen] de Wailly notre collègue l’a fait encaisser avec beaucoup de soins, il est dans vingt-sept grandes caisses », note Leblond dans son rapport de janvier 1795.64 Interprétation bien libre des instructions initialement données aux commissaires (« objets et connaissances qui ont rapport aux Arts, aux Sciences »), l’appropriation et le transfert à Paris de ce beau meuble, entre autres exemples, soulèvent la question de l’éthique des experts français à l’épreuve du terrain et face aux vaincus.
Éthique et rhétorique des saisies artistiques
Théorie et terrain
31Au stade théorique, la doctrine du « patrimoine libéré » postulait que les chefs-d’œuvre de l’art devaient être affranchis du joug des tyrans et que leur transfert en France serait pour eux synonyme de retour à la vie. Sur le terrain des conquêtes, ce postulat trouve une expression concrète dans le choix des établissements où sont pratiquées les confiscations. Il s’agit en premier lieu d’institutions religieuses telles que la cathédrale d’Aix-la-Chapelle, l’église Saint-Géréon de Cologne, ou encore les nombreux couvents et monastères de la région, tous ordres confondus, généralement convoités pour leurs bibliothèques : couvents Saint-Pantaléon et Saint-Martin, maisons des augustins, des chartreux et des minimes à Cologne ; couvents des carmes, des récollets, des dominicains et des jésuites à Coblence.65 Outre les établissements ecclésiastiques, les saisies françaises pratiquées dans les régions rhénanes affectent les propriétés des princes et des aristocrates mis en fuite par l’arrivée des armées républicaines : à Bonn, les commissaires opèrent des saisies dans le palais de l’électeur et dans son jardin botanique, comme dans celui du comte de Metternich ;66 le bibliothécaire Leblond saisit un important contingent de livres chez les « émigrés »67 à Coblence ; Thouin et Faujas placent sous scellés un cabinet d’histoire naturelle dont le propriétaire paraît « suspect ».68 Comme en France au lendemain de la Révolution, les confiscations visent donc la noblesse et le clergé, dont les collections ne sont généralement pas accessibles au tout-venant. En revanche, dès lors qu’utilité publique il y a, les lieux sont épargnés et les commissaires engagent parfois des rapports de coopération avec leurs responsables. La démarche est explicite dans le cas du jardin botanique de l’université de Bonn, à propos duquel les agents français notent : « Nous avons offert au Professeur de faire venir de Paris les graines des plantes qui manquent à sa collection. Et, dans ces deux manières d’agir [confiscation d’espèces rares dans les jardins de l’électeur et du comte de Metternich d’un côté, coopération avec l’université de l’autre], nous avons cru remplir les intentions du Comité, d’une part en utilisant des objets qui ne servaient qu’au luxe de quelques individus, et, d’une autre, en fournissant à un établissement public les moyens d’augmenter une collection utile à l’humanité. »69 Cette règle de conduite trouve une application semblable dans l’appui que les commissaires accordent à un collectionneur particulier de Cologne, le baron Hüpsch – on y reviendra.
32Conforme à l’idéologie de la Révolution, la distinction opérée entre collections somptuaires et ecclésiastiques, d’une part, et collections publiques, de l’autre, ne résiste pourtant pas à l’épreuve du terrain. Le phénomène est frappant dans le cas de l’ancien collège jésuite de Cologne. Depuis la dissolution de la Compagnie de Jésus (1773), ses collections sont gérées par la municipalité et sont, depuis cette date, accessibles au public lettré, notamment aux membres de l’université. Le conseil municipal de la ville le souligne dans une supplique qu’il adresse aux autorités françaises d’occupation en novembre 1794 :
« Outre les livres sortis de la bibliothèque publique de la ville depuis quelques jours, nombre de cahiers d’estampes viennent encore d’en sortir par les mêmes ordres. Ces estampes ainsi que les livres sont une propriété de la ville, destinée l’une et l’autre à l’instruction gratuite du public. Nous devons le dire, ce serait une erreur de croire que ces effets appartinssent à des ex-jésuites ou à d’autres individus. La nation française veut encourager les arts et les sciences et ne veut pas empêcher les peuples libres de le faire. Une ville libre avant votre arrivée et continuant de l’être suivant vos promesses et assurances – puisque la liberté des peuples est votre but – s’empressait selon ses faibles moyens de faire fleurir ces arts et ces sciences dans son enceinte. Vous êtes donc trop justes, représentans, pour pouvoir lui imputer à crime, si elle réclame avec instance les moyens qu’elle avait à cet égard et qui étaient sa propriété. »70
33Malgré l’usage mimétique de la terminologie française (liberté des peuples et instruction) et malgré le statut municipal des collections transférées à Paris, la ville de Cologne n’obtient aucune réponse favorable à sa requête. Le démantèlement massif des collections de l’ancien collège jésuite fait apparaître la profonde ambivalence de cette première entreprise de conquêtes, entre vulgaire réquisition et idéaux révolutionnaires.
34Cet idéal révolutionnaire, on aurait mauvaise grâce à l’ignorer, est omniprésent dans les rapports rédigés par les commissaires, qui mènent notamment une réflexion ciblée sur la destination pédagogique des objets qu’ils confisquent. Sous la Convention, cette réflexion est de toute première importance : puisqu’en France les collections nationales sont en voie d’inventorisation et de triage, et qu’elles ne sont pas encore exposées, les saisies opérées à l’étranger s’inscrivent dans un vaste horizon de possibles. Les pièces confisquées doivent d’abord servir l’instruction et l’étude ; les listes d’œuvres saisies assignent souvent une destination didactique aux objets énumérés, telles ces « deux peaux de l’espèce de tigre nommé Royal, assez bien conservées et susceptibles d’être empaillées pour les collections départementales ».71 Plus généralement, certaines saisies pratiquées en pays vaincu devraient, selon les experts, servir de modèle aux établissements en voie de création dans la République : à propos du cabinet d’histoire naturelle qu’ils séquestrent à Coblence, les commissaires Faujas et Thouin notent par exemple que « si cette collection appartient à la République, elle formera à elle seule un assortiment complet qui pourrait servir de type pour la formation de toutes celles qui doivent être établies dans les départements ».72 Au-delà toutefois de la simple importation de modèles, l’entreprise des saisies inspire aux commissaires des projets conservatoires originaux et concrets, manifestes notamment dans cette suggestion émise au lendemain des saisies bibliographiques opérées à Cologne : « Il seroit peut-être utile de recueillir dans une même salle toutes les éditions du quinzième siècle, de les classer par ordre de date et des villes où ces éditions ont été exécutées ; on y placeroit également les éditions sans dates qui sont plus multipliées qu’on ne pense. Ce serait un moyen facile d’obtenir des comparaisons, et de fixer des époques qui pourraient fournir un supplément assez considérable à l’histoire de l’art typographique. »73 Les experts en mission dans les villes rhénanes sont incontestablement motivés, lors de leurs investigations, par des perspectives qui dépassent le simple montage rhétorique associant génie des arts et génie de la liberté. Ces perspectives concrètes et la spoliation qu’elles justifient induisent d’ailleurs, sur le terrain, un important recadrage discursif.
Contorsions rhétoriques
« La ville de Cologne a procuré à la République française une suite nombreuse de livres rares, une collection de 215 volumes in folio de gravures […] des dessins originaux, des monuments d’antiquité, d’arts et des objets d’histoire naturelle, notent Leblond et Dewailly dans un rapport daté de novembre 1794. Si, par hazard, ce pays ne restait pas à la France, ce droit de conquête d’un genre nouveau honorerait infiniment les vainqueurs, puisqu’il aurait pour but l’instruction, qui appartient à tous les hommes, et qu’on aurait sauvé par là des objets qui, dans les guerres de la tyrannie, sont toujours livrés à la dégradation ou à l’anéantissement.
« Si, au contraire, Cologne reste à la République, les citoyens de cette grande ville auront les mêmes droits à l’instruction que les autres Français, et trouveront dans Paris […] un point central de sciences et d’arts, qui leur sera commun […]. Et sous ce point de vue, Cologne n’aura fourni qu’un contingent léger, pour participer au plus grand bienfait de la République, celui de l’instruction. »74
35Le jeu de l’anaphore, des figures quasi logiques et des arguments contraignants permet ici, malgré des prémisses contradictoires (« si par hazard » / « si au contraire »), d’inférer dans tous les cas que le démantèlement du patrimoine de Cologne servira l’instruction publique – nommée trois fois en dix lignes et sur laquelle s’achève l’habile démonstration –, qui supplante donc, à l’épreuve des faits, le seul motif de la liberté. Il n’est plus question, en effet, du glorieux affranchissement d’œuvres opprimées par un joug despotique, et si l’on parle encore de « tyrannie », c’est à la faveur d’un léger glissement, par référence à la situation militaire : transférer les œuvres de Cologne à Paris revient désormais à les « sauver des guerres de la tyrannie », et non plus à les soustraire aux despotes eux-mêmes. Les prélèvements opérés sur ordre de la Convention, les commissaires l’affirment, relèvent bien du « droit de conquête », mais d’un droit de conquête dont ils s’empressent d’ajouter qu’il est « d’un genre nouveau » : non plus infligé, symétriquement, par un souverain à un autre souverain, mais par une nation entière à une municipalité vaincue, grâce au pouvoir des armes mais au nom de l’instruction publique. Ce montage fragile rend sensible le conflit qui surgit entre les idéaux humanistes de la Révolution et la pratique martiale des confiscations. D’autant que d’autres sources l’attestent : le discours justificatif qui accompagne les saisies dans les régions rhénanes est loin d’être homogène et lisse.
« J’étois honteux de quitter une ville odieuse sans y lever une plus forte contribution, écrit par exemple Leblond à propos des confiscations menées à Coblence, lorsque le nom de jésuites frappa mes oreilles : or je suis passionné pour les bibliothèques des jésuites. Je me fis donc conduire à la maison qu’occupoient ces bons Pères : après bien des difficultés, je trouvai quarante-six caisses de livres fort bien conditionnées, et toutes prêtes à passer le Rhin : j’en fis ouvrir deux au hasard, elles me donnèrent une si bonne opinion du reste que je les fis renfermer et que je m’emparai de la salle où elles étaient déposées. Le lendemain, je me mis en mesure pour en faire charger quelques-unes sur le peu de voitures que j’avois pu obtenir. Un municipal qui fut appelé me fit beaucoup de représentations : elles ne me parurent point fondées, et quatorze caisses furent chargées sur sept voitures, en attendant que je puisse faire charger le reste. Le grand argument du municipal consistoit à dire qu’il y avoit beaucoup de livres médiocres et mauvais dans ces caisses et qu’il n’estimoit pas le tout dix mille livres. Je lui ai répondu que si son estimation étoit exacte, ce seroit une petite perte pour Coblentz, que si au contraire elle devoit s’élever à la somme de dix millions, ce serait un très faible dédommagement pour la France ; et sans autre examen les quarante-six caisses sont demeurées au pouvoir de la République. Sans doute il s’y trouvera quelques livres de rebut, mais le port ne coûte rien, ou presque rien ; et puis il aurait fallu trop de temps et trop de frais pour faire un triage. »75
36La confiscation aveugle de ces livres, les arguments déployés (notamment le motif du « dédommagement ») et la désinvolture des manières donnent à l’opération un caractère bien éloigné des principes au nom desquels elle est menée. Ailleurs dans les correspondances, certaines motivations affleurent qui invitent à examiner la question, moins anecdotique qu’il n’y paraît, du jugement que les commissaires portent sur les exactions qu’ils commettent au nom de la nation. « Il serait bien fâcheux », écrit toujours Leblond au cours de sa mission rhénane, « d’abandonner un travail avantageux à la République. J’ai promis de réparer la perte de la bibliothèque de l’Abbaïe Saint-Germain [détruite par un incendie] et je puis remplir ma promesse. Peu importe d’être traité de pirate littéraire ».76
Droit du plus fort et cas de conscience
37Si le bibliothécaire affirme ici avec aplomb qu’il lui est indifférent d’être traité de brigand, la seule mention du grief et l’adoption d’une position défensive à son égard signalent un champ de problèmes un peu volatiles, certes, mais qui jouent un rôle central dans le complexe des conquêtes artistiques, allant jusqu’à dominer complètement, en 1800 et 1801, le cours de la mission de Neveu en Bavière. Ces problèmes sont liés au décalage entre la doctrine et le terrain, entre les aspirations et les tâches de voyageurs éclairés, d’une part, et le pan spoliateur de leur mission, de l’autre. Les hésitations des uns, leur gêne ou la conscience qu’ils ont de violer la propriété artistique et scientifique du voisin vaincu sont lisibles en filigrane au détour de lettres ou de rapports, et elles contrebalancent le cynisme tranchant de Leblond. A propos de son collègue bibliographe, Thouin note d’ailleurs qu’« il ne pouvait se faire à l’idée que le droit du plus fort n’était pas plus légitime que le droit du plus fin, et qu’en se servant du premier, on obligeait les autres à se servir du second. Ce droit du plus fort était sa doctrine, et il traitait de fripons et de voleurs tous ceux qui cherchaient à s’y soustraire ».77 Motivée sans doute par un souci rétrospectif de se désolidariser de ses activités passées, cette réticence affichée par Thouin à l’égard des brutalités commises en pays conquis est déjà constante dans ses lettres et rapports de 1794. Pour justifier par exemple la saisie à Bonn de choux, de navets et d’outils ignorés par les paysans français, Thouin formule des réserves qui trahissent un scepticisme à peine dissimulé à l’égard de la politique d’appropriation française : « Si l’on prend tant de soins pour réunir à grands frais les monuments des Arts, qui sont utiles sans doute pour l’histoire, mais qui ne peuvent servir qu’à un nombre d’hommes très limité, nous avons cru que des instruments, qui peuvent servir à tous les habitants des campagnes et concourir à l’histoire du premier comme du plus utile des arts, ne devaient pas être négligés. […] Ce sont ces motifs qui nous ont déterminé à les envoyer, avec d’autant plus de plaisir, qu’en nous enrichissant, ils n’ont coûté aucun regret aux paisibles agriculteurs, leurs propriétaires. »78 Le motif des « regrets », la conscience qu’ils existent, et le « plaisir » que Thouin éprouve à ne pas les provoquer font signe du côté d’émotions peu compatibles avec la mission confiscatoire. Voyageurs savants et anthropologues, les commissaires éprouvent le besoin de nouer des relations d’échange, voire de coopération, avec les populations et les savants des régions traversées en même temps qu’ils opèrent en redoutables prédateurs. Cette polarité induit une sociabilité particulière, plus complexe que ne le laisserait supposer la situation d’opposition entre vainqueurs et vaincus.
Sociabilité des extracteurs
38Les opérations de confiscation, et surtout celles qui sont menées dans les bibliothèques ecclésiastiques, suscitent des mouvements de résistance de la part des personnels responsables des fonds dépouillés. Dans certains cas, à Aix-la-Chapelle ou Bonn par exemple, les livres les plus précieux ont été évacués sur la rive droite du Rhin, avec succès, avant l’arrivée des Français. Parfois, les collections sont cachées sur place ; parfois les religieux font disparaître le catalogue de leur bibliothèque, document indispensable aux experts parisiens qui s’y réfèrent pour procéder aux sélections et aux tris. A plusieurs reprises, ces oppositions suscitent des représailles, ou des menaces de représailles, de la part de la commission française. A Bonn, Leblond déclare s’être vengé de la disparition de la bibliothèque électorale en se rabattant sur les collections des aristocrates en fuite : « Cet enlèvement de livres me faisant faute, je m’en suis dédommagé sur les émigrés. »79 A Cologne, le journal tenu par l’un des membres du conseil municipal, von Gall, indique que les commissaires ont voulu faire incarcérer le prieur des chartreux parce que les livres de sa bibliothèque demeuraient introuvables dans son monastère ; par ailleurs, poursuit-il, les commissaires ont menacé d’emprisonner le bibliothécaire parce que le catalogue avait disparu.80
39Ces brutalités trouvent leur équivalent verbal dans les réflexions rétrospectives qu’inspirent à Leblond les réclamations des religieux rhénans dépouillés : la mère supérieure du couvent de Sainte-Marie-au-Capitole à Cologne, par exemple, qu’il qualifie de « petite ingrate » ; les moines de l’abbaye de Saint-Martin, toujours à Cologne, qu’il juge « assez mauvais coucheurs », ou encore le supérieur des minimes de la ville, le frère Thelen, « un peu récalcitrant ».81 Le portrait que Thouin dresse de son collègue bibliothécaire semble confirmer l’absence complète de dialogue entre le commissaire et les autochtones qu’il lui est donné de rencontrer : Leblond, écrit Thouin, « rusé Normand, vrai savant en us arrivé à Paris dès sa plus tendre jeunesse et ne connaissant que cette ville qui était jusqu’alors son nec plus ultra, frondait avec mépris les coutumes et les usages des peuples chez lesquels il se trouvait, du moment qu’il y voyait la moindre différence avec les mœurs et les habitudes parisiennes. […] Actif mais dur dans ses recherches, il se fit des ennemis dans presque tous les lieux qu’il visita, il s’aliéna tous les esprits par des enlèvements aussi peu fructueux pour la France que préjudiciables à ceux aux dépens de qui il les faisait. Son commerce n’avait rien de liant ; sa brusquerie allait souvent jusqu’à la colère ».82 Dans ce contexte tendu, conforme somme toute à l’idée stéréotypée que l’on a des rapports entre spoliateur et spoliés, aucun échange ne paraît possible. Et pourtant, prise à l’échelle de la commission entière, la sociabilité des experts parisiens est bien plus intense et plus riche qu’on n’est tenté de l’imaginer.
40A l’opposé de Leblond et pour compenser, notamment, les effets désastreux que le démantèlement de l’ancien collège jésuite de Cologne a produit sur l’opinion, la commission française pour la recherche des objets de sciences et arts s’efforce, à plusieurs reprises, de nouer avec certaines personnalités locales des relations ostensiblement bonnes. Le rapport est toujours celui du vainqueur au vaincu, mais d’un vainqueur soucieux de montrer la face éclairée de son visage, et d’un vaincu dont on voudrait qu’il se considère comme un citoyen affranchi, ou qui prend spontanément le parti de collaborer avec les forces républicaines. A Cologne, par exemple, une opération destinée à améliorer l’image de marque des Français est menée à grand renfort de publicité. Le bénéficiaire est Jean-Guillaume-Adolphe-Fiacre Honvlez, alias baron de Hüpsch (1730-1805), naturaliste, médecin et collectionneur, connu par les voyageurs européens pour le pléthorique cabinet de curiosités qu’abrite sa maison. Hüpsch collabore ouvertement avec l’armée française dès son entrée dans la ville :83 il se soustrait aux réquisitions en soignant gratuitement les soldats de la République atteints de gale et, assuré bientôt de n’avoir à « loger aucun militaire ou autre employé à l’armée, attendu que sa maison est entièrement consacrée au soulagement des malheureux et à l’instruction publique »,84 il fait paraître dans le Journal général de Cologne une annonce où il salue l’action des Français : « Une preuve évidente que la République française protège & estime les talents, le mérite & les savants, est la lettre de sauvegarde que le représentant du peuple vient de communiquer au Citoyen Hüpsch. »85
41Lorsqu’ils arrivent à Cologne quelques semaines plus tard, les commissaires parisiens – au premier rang desquels Faujas et Dewailly – entrent eux aussi en relation avec Hüpsch : le collectionneur cède plusieurs manuscrits précieux (ill. 9) et un bas-relief antique à la nation française, en échange de quoi la commission française intercède auprès des représentants du peuple pour qu’ils assurent la protection de ses collections. Ils en préconisent même l’extension aux dépens d’un aristocrate : « Comme son immense collection occupe un grand nombre de pièces, écrivent-ils, nous pensons qu’il est de la dignité de la Nation […] d’accorder au cit. de Hupch, pendant sa vie, la maison d’un Emigré, où il y ait un jardin, pour cultiver des plantes de botanique à l’usage des pauvres et pour l’accroissement de la science, et assez vaste pour loger ses collections d’histoire naturelle et d’arts. »86 Le projet anticipe les difficultés financières qui pourraient se présenter et il inscrit d’emblée l’activité de Hüpsch dans un réseau d’intérêts scientifiques internationaux : « Qu’il lui soit accordé une somme de deux mille quatre cents livres pour les frais de déplacement et arrangement. Et un traitement de pareille somme en qualité de Conservateur d’un Muséum, qu’il sera tenu, selon son offre, de rendre public une fois par Décade, en le chargeant en outre de correspondre pour les découvertes qu’il pourrait faire et pour l’histoire naturelle du pays, avec le Muséum national de la République française. »87 Dès le lendemain (23 novembre 1794), Hüpsch obtient effectivement « la jouissance à vie de la maison de l’Emigré Zudwig de Heremmann »88 ainsi qu’une somme de trois mille livres – imputée sur le produit des revenus de l’électorat de Cologne – à titre d’indemnité pour les objets cédés à la République.
9. Épistolier à l’usage d’une église de Cologne, don du baron Hüpsch (1794), Cologne (?), xie siècle, parchemin, 29,5 × 22,5 cm, reliure en ivoire, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des manuscrits, Latin 9454

Crédits/Source : Bibliothèque nationale de France (cote : LATIN 9454, voir https://images.bnf.fr/#/detail/846511/1)
42L’enjeu de ces mesures est évidemment politique : elles sont présentées comme un « léger sacrifice » dans un pays où la République a fait une « riche moisson » auprès d’un « peuple où nos ennemis, dans leur fuite, avaient dépeint les Français comme des barbares qui n’avaient d’autre but que de verser le sang des hommes et d’éteindre le germe de toutes les connaissances ».89 La protection accordée à Hüpsch est accompagnée de plusieurs autres démarches ostentatoires, qui dépassent toutes le cadre étroit des instructions reçues par les commissaires prospecteurs. Là encore, c’est Faujas qui semble prendre les initiatives, comme en témoigne cette remarque un peu aigre de Thouin : « Il s’était cru chargé de représenter la France, il connaissait tout le monde, il donnait des audiences, accordait sa protection. A l’entendre, c’était lui qui faisait tout, ses collègues n’étaient que ses subalternes. »90 Les rapports dressés par les commissaires eux-mêmes confirment cette propension de Faujas à exercer des fonctions de représentation. Faujas qui, toujours à Cologne et toujours « pour détruire des impressions mensongères », se mobilise avec Dewailly et le représentant du peuple Frécine « pour visiter les artistes dans leurs ateliers, les accueillir et leur prouver que la France sera toujours l’amie des arts et des sciences ».91 L’entreprise de « conquêtes artistiques » menée par la France en pays vaincu (la tendance se confirme au cours des missions ultérieures) offre donc un terrain favorable au déploiement d’ambitions diplomatiques ou médiatrices. Si les rapports qui en découlent restent marqués par la sujétion des uns aux autres, la première campagne de saisies n’exclut pas un certain nombre de rencontres et d’échanges qui s’inscrivent, eux, dans les schémas de sociabilité propres aux voyages, et surtout aux voyages scientifiques, depuis les Lumières.
43Dans son journal, Thouin rapporte ainsi que les moines de l’abbaye bénédictine de Maria Laach, au nord-ouest de Coblence, l’ont accueilli chaleureusement, ainsi probablement que son collègue Faujas : « Après le souper un des religieux toucha le clavecin, un autre joua du violon, un troisième de la basse, et plusieurs autres chantèrent. Ce petit concert fut bien exécuté ; on fit de la musique allemande, italienne et française. Une gaîté franche animait cette fête qui se prolongea jusqu’à onze heures du soir. Dans les chambres qu’on avait préparées pour chacun de nous, un poêle était allumé depuis quelques heures et fut entretenu pendant la nuit. Le lendemain à neuf heures on nous avertit que le déjeuner nous attendait au réfectoire. »92 Souper, concert, gaieté franche et lit chaud : les commissaires en mission font l’expérience de l’autre et de l’hospitalité qui jalonne les récits de voyage en Europe. Ici, certes, il s’agit peut-être pour les bénédictins de faire jouer le droit du plus fin pour détourner les commissaires de leurs tâches officielles. Si c’est le cas, l’opération est réussie, puisque la bibliothèque, l’une des plus riches de la région (plus de trente manuscrits issus de ses rayons seront expédiés à Paris en 1803), est laissée intacte en 1794. Et pourtant Thouin signale que les commissaires « ne voulurent pas quitter une maison où [ils avaient] été accueillis avec une si aimable hospitalité, sans la visiter dans tous ses détails ». Or son expertise est à la mesure des attentions que lui ont prodiguées les bénédictins : « La bibliothèque n’est pas considérable, écrit Thouin, elle parut ne renfermer que des livres de piété ou de jurisprudence ecclésiastique. »93
1796 – extensions européennes : au sud du Pô et à l’est du Rhin
44En janvier 1795, après avoir visité Coblence et sa région, limite méridionale de l’aire impartie à leurs activités, les quatre commissaires français mandatés par la Convention quittent la province rhénane. Leur séjour se poursuit en Belgique et en Hollande ; ils sont de retour à Paris dans le courant de l’année 1795. Dans les mois qui suivent leur départ, tandis que les œuvres réquisitionnées arrivent successivement à Paris et sont réparties entre la Bibliothèque nationale, le Muséum central des arts et le Muséum d’histoire naturelle, la municipalité de Cologne multiplie les requêtes auprès du gouvernement français pour tenter d’obtenir, en vain, des restitutions partielles. En 1796, toujours à l’instigation de la municipalité, les communautés ecclésiastiques de Cologne dressent l’état de leurs pertes à l’intention du ministre de l’Intérieur français, qui les transmet à l’abbé Leblond et n’obtient en retour que les réflexions abruptes déjà citées. A partir du printemps 1796 enfin, la machine spoliatrice, rodée avec succès dans les régions rhénanes, est déployée en Italie. Une tentation ancienne, formulée par anticipation dès l’an II où l’on envisageait d’étendre aux trésors de Rome le droit de préemption légitime de la République, se trouve alors réalisée. Malgré le changement de régime politique, elle s’inscrit idéologiquement et formellement dans la continuité directe de la campagne de 1794. Les opérations sont menées par une commission polycéphale ; les personnels agissants sont en partie les mêmes que dans le nord de l’Europe (Thouin joue un rôle central en Italie). Quelques semaines après le début de cette grande campagne, tandis que les premières saisies d’envergure effectuées dans la péninsule suscitent une vive polémique européenne, la perspective s’ouvre pour la France d’une percée militaire à l’est du Rhin. Le ministre de l’Intérieur Pierre Benezech, qui occupe ce poste depuis le rétablissement des ministères à l’automne 1795, désigne alors un nouveau « commissaire du gouvernement français chargé de recueillir les objets d’art et de sciences dans les pays conquis d’Allemagne ».94
45Ainsi s’engage, parallèlement à la campagne d’Italie, le second acte des spoliations infligées au patrimoine culturel rhénan. Peu connu et évidemment moins spectaculaire que les opérations méridionales, il n’en laisse pas moins de profondes traces dans la mémoire collective des régions dépouillées, notamment parce qu’il touche un certain nombre d’objets de faible valeur artistique ou scientifique, mais de haute valeur symbolique ou religieuse. Le nouveau commissaire chargé des investigations agit seul. Élément de scandale : il est allemand, né à Everndorf (Franconie) en 1769. Après avoir fréquenté le lycée de Wurtzbourg, il a, selon ses propres indications, « fait les cinq classes ainsi que le cours de philosophie et des mathématiques à l’université de Wurtzbourg », puis s’est « livré à celle de Vienne à l’étude de la jurisprudence et des sciences politiques ».95 Avant la Révolution, il a enseigné le droit et la politique « à plusieurs élèves qui ne fréquentaient point l’université »,96 avant de se rallier avec enthousiasme à la cause révolutionnaire en 1794. D’abord traducteur et secrétaire auprès de l’armée de Sambre et Meuse, il a séjourné à Paris et s’est trouvé chargé par le Comité d’instruction publique, entre le printemps 1795 et l’été 1796, de la rédaction d’une grammaire allemande pour les écoles de la République. Nommé commissaire le 11 septembre 1796, il occupe ce poste jusqu’à l’été 1797 avant de devenir accusateur public, puis procureur d’État auprès du tribunal criminel de Cologne. A son propos, le président dudit tribunal note : « Homme auquel l’on croirait des talents ; sans études et sans éducation, plus ambitieux que Robespierre et plus féroce que Fouquier-Tinville ; ennemi du Gouvernement, ennemi de ses concitoyens, ennemi du genre humain ; délateur infâme, calomniateur atroce, fonctionnaire sanguinaire ; il est généralement craint et détesté dans le département. »97 Le portrait est cinglant, et converge avec plusieurs autres témoignages évoquant les pratiques du commissaire Anton Keil (né en 1769), agent allemand au service des Français.
46Lorsque la nomination de Keil intervient en septembre 1796, les armées dirigées par Jourdan (Sambre et Meuse) et par Moreau (Rhin et Moselle) ont réussi à passer le Rhin et envisagent d’avancer vers l’est, si possible jusqu’à Vienne. Keil suit les progrès de l’armée ; il est probablement prévu qu’il opère sur la rive droite du Rhin, jusqu’alors épargnée par les conquêtes artistiques. Or, dès la fin du mois de septembre, les armées françaises sont refoulées en deçà du fleuve par les troupes autrichiennes : Keil doit donc limiter ses recherches aux territoires compris entre Meuse, Moselle et Rhin, déjà largement ponctionnés deux ans plus tôt. Sa mission est alors essentiellement de nature post-opératoire et liquidatrice. Postopératoire, d’abord, dans le sens où elle vise des livres et des objets laissés en place lors de la campagne de 1794, notamment dans le cabinet d’histoire naturelle et la bibliothèque universitaire de Bonn, mais aussi dans les bibliothèques des collectivités civiles ou religieuses d’Aix-la-Chapelle, Cologne ou Coblence. Liquidatrice, ensuite, parce qu’elle vise moins le transfert à Paris de ce butin supplémentaire que sa vente et sa conversion en monnaie.
47Dans ce contexte, seule la ville de Trêves et ses alentours présentent pour Keil un champ d’action vierge. Il y pratique des saisies massives et énergiques ; certaines marquent particulièrement les esprits. C’est le cas par exemple à Sinzig, à proximité immédiate de Trêves, où Keil procède à la confiscation d’un corps desséché, ou momie naturelle, exposée dans l’église de la ville : « Les Français transportèrent de Sinzig à Cologne un cadavre tout à fait intact, qui était resté sous terre pendant des centaines d’années, tous les membres étaient souples […]. Partout où ils passaient avec le cadavre, les Français le montraient aux bourgeois et aux paysans contre six sous, en prétendant, ce qui n’était certainement pas vrai, que c’était pour les pauvres. »98 La confiscation du « Saint-Prévôt de Sinzig », comme on le nomme dans la région, a une lourde portée symbolique. Les autres confiscations touchent essentiellement les bibliothèques conventuelles, dépouillées de leurs collections à la hâte et sans excessive circonspection : « Sur ordre du citoyen Kail [sic], note ainsi le magistrat Johann Friedrich Lintz, les bibliothèques des ordres religieux, des chapitres et des couvents ont été à plusieurs reprises placées sous scellés et sous la surveillance de soldats. Les opérations d’enlèvement ont commencé le 13 [octobre 1796] au Séminaire Clémentin, où l’ancienne bibliothèque jésuite a perdu des livres très rares. Les membres de l’université présents sur les lieux ont eu beau protester, cela n’a servi à rien ; bien au contraire : Keil a menacé de faire arrêter le bibliothécaire, qu’il soupçonnait de vouloir le tromper. […] Finalement, il a interrompu ses recherches à la lettre M, après avoir choisi 212 œuvres. »99 Ainsi sélectionnés jusqu’à la moitié de l’alphabet, les livres pris à Trêves, mais aussi à Coblence, Bonn et Aix-la-Chapelle connaissent un double destin : une partie d’entre eux, sans doute la moins importante, est expédiée à Paris selon la méthode éprouvée ; l’autre partie, certainement plus considérable bien que difficile à chiffrer, est liquidée aux enchères. C’est ainsi par exemple que plusieurs caisses de livres provenant des saisies opérées par Keil à Bonn et Aix-la-Chapelle sont vendues « au profit de la République » et au plus offrant, au mois de décembre 1796 à Cologne. La vente est organisée par un libraire de la ville, Johann Georg Schmitz, connu dans le milieu des collectionneurs (de livres et de tableaux) et collectionneur lui-même.100 Les revenus de la vente organisée par Schmitz sont réinvestis par Keil dans l’achat de livres récents en langue allemande. Aux simples activités de conquête littéraire s’ajoute donc, dans le cadre de la mission de Keil, une campagne d’acquisition relativement importante, dont l’initiative semble revenir au commissaire lui-même. Ces acquisitions ont été étudiées par Ursula Baurmeister lors de l’exposition 1789. Le patrimoine libéré.101
48L’objectif de Keil, écrit-il, est de « procurer à la Bibliothèque nationale tous les bons ouvrages modernes qui ont paru en Allemagne ».102 Les critères de choix sont avant tout les siens : « Je n’ai acheté que des ouvrages dont le mérite m’était connu »,103 soit deux cent soixante-dix ouvrages postérieurs à 1766, la plupart ayant été publiés après 1790. La liste par genres fait apparaître l’importance des ouvrages scientifiques et techniques (plus d’un quart des titres), mais aussi et peut-être surtout, dans la perspective de transferts culturels, un grand nombre de textes philosophiques (presque aussi nombreux que les titres scientifiques et techniques). Il s’agit surtout d’éditions de Kant, dont Keil dit être spécialiste, ainsi que de ses commentateurs, parmi lesquels Fichte (ill. 10-12). A Trêves pourtant, où l’on ignore semble-t-il la politique d’achat menée par le commissaire, cette seconde vague de saisies bibliographiques est ressentie avec douleur : les collections réquisitionnées ne sont plus en effet promises systématiquement à cet avenir public, à Paris, qui donnait à leur extraction des allures généreuses et universelles ; elles sont explicitement vouées à produire de l’argent, et traitées, voire maltraitées, comme des marchandises communes : « Si l’intention de ces gens avait vraiment été de préserver ce trésor littéraire de l’anéantissement, nous leur serions reconnaissants. Or j’aurais aimé que les employés français de ces dernières années puissent mériter ce compliment, quand on sait combien d’ouvrages littéraires ont été utilisés pour faire chauffer les poêles. Je vous assure, chers concitoyens, on a peine à imaginer combien de trésors ont disparu dans ces années-là ; ils sont perdus pour toujours, car jamais ils ne ressusciteront d’entre les morts », écrit ainsi Ludwig Müller, bibliothécaire et relieur à Trêves.104
10. Immanuel Kant : Metaphysische Anfangsgründe der Naturwissenschaft, Riga 1787, Paris, Bibliothèque nationale de France, imprimés, R. 12000, acquisition du commissaire Anton Keil pour la Bibliothèque nationale (1796)

Crédits/Source : Bibliothèque nationale de France (voir la notice de l’ouvrage dans le catalogue de la BnF : http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb30673091q)
11. Immanuel Kant : Grundlegung zur Metaphysik der Sitten, Riga 1792, Paris, Bibliothèque nationale de France, imprimés, R. 12001, acquisition du commissaire Anton Keil pour la Bibliothèque nationale (1796)

Crédits/Source : Bibliothèque nationale de France (voir la notice de l’ouvrage dans le catalogue de la BnF : http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb30673082r)
12. Immanuel Kant : Critik der reinen Vernunft, Riga 1794, Paris, Bibliothèque nationale de France, imprimés, R. 12006, acquisition du commissaire Anton Keil pour la Bibliothèque nationale (1796)

Crédits/Source : Bibliothèque nationale de France (voir la notice de l’ouvrage dans le catalogue de la BnF : http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb30673063g)
49En l’espace de deux ans et demi donc, d’octobre 1794 au printemps 1796, la rive gauche du Rhin a subi deux vagues de saisies qui, avant même la sécularisation officielle des établissements religieux (en 1802), affectent lourdement son patrimoine – surtout bibliographique. L’ampleur des saisies, la brutalité des formes qu’elles ont prises ici ou là, le caractère parfois arbitraire des pratiques françaises et l’attitude méprisante affichée par certains commissaires, les dommages induits par les opérations d’enlèvement et de transport, et l’obstination avec laquelle les autorités françaises ont systématiquement refusé de restituer certaines des prises n’ont pas manqué de susciter un vif ressentiment dans les milieux lettrés rhénans. Il se manifestera avec intensité en 1815, on le verra, lorsque la seconde occupation de Paris laissera entrevoir de possibles restitutions (demeurées très incomplètes pour ces objets de provenance rhénane), et il traverse de manière latente tout le xixe siècle pour être réactivé avec force dans le contexte de la Première Guerre mondiale, lorsque se dessine l’éventuelle possibilité de reprendre à Paris, par le pouvoir des armes, ce que les commissaires français y ont expédié un siècle plus tôt.
Notes de fin
1 Yvonne Letouzey : Le Jardin des Plantes à la croisée des chemins avec André Thouin 1747-1824, Paris 1989, p. 441.
2 Paris, Archives nationales (an), F21 574, film 2.
3 Sur les saisies opérées dans les régions rhénanes sur ordre de la Convention, voir surtout Pierre Caron : « Les agences d’évacuation de l’an II », Revue d’histoire moderne et contemporaine, XIII/1910, pp. 153-169 ; Hermann Degering : « Französischer Kunstraub in Deutschland. 1794-1807 », Internationale Monatsschrift für Wissenschaft, Kunst und Technik, octobre 1916, col. 1-48 ; Pierre Riberette : « La commission des sciences et arts en Belgique, en Hollande et dans les pays rhénans pendant la Révolution française (1794-1795) », in : Actes du 92e congrès national des sociétés savantes. Section d’histoire moderne et contemporaine, Strasbourg et Colmar 1970, pp. 411-429 ; Ferdinand Boyer : « L’organisation des conquêtes artistiques de la Convention en Belgique (1794) », Revue belge de philologie et d’histoire, t. XLIX, 2/1971, pp. 491-500 ; du même auteur : « Les conquêtes artistiques de la Convention en Belgique et dans les pays rhénans. 1794-1795 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, XVIII/1971, pp. 354-374 ; Max Braubach : « Verschleppung und Rück-führung rheinischer Kunst- und Literaturdenkmale. 1794 bis 1815/16 », Annalen des historischen Vereins für den Niederrhein, 176/1974, pp. 93-153.
4 Magasin encyclopédique ou Journal des sciences, des lettres et des arts, Millin, Noël et Warrens (éd.), an III (1795), t. 1, pp. 362-380, ici p. 367.
5 Voir par exemple Gilberte Émile-Mâle : « Le séjour à Paris de 1794 à 1815 de célèbres tableaux de Rubens. Quelques documents inédits », Bulletin de l’Institut royal du patrimoine artistique, VII/1964, pp. 153-171.
6 Henri Grégoire : Rapport sur les destructions opérées par le vandalisme, et sur les moyens de le réprimer, 14 fructidor an II (31 août 1794), p. 22.
7 Voir Pommier 1991, chap. V : « Du patrimoine national au patrimoine de la liberté », pp. 209-246.
8 Édouard Pommier : « Réflexions sur le problème des restitutions d’œuvres d’art en 1814-1815 », in : Denon 1999, cat. exp., pp. 254-257, ici p. 254.
9 Paris, an, F171093 : « pièces concernant Cologne, an X, 1809 ».
10 Voir Boyer 1971 (Conquêtes artistiques), pp. 354-359.
11 Boyer 1971 (Organisation des conquêtes), p. 491.
12 François-Alphonse Aulard : Recueil des Actes du Comité de salut public, 28 t., Paris 1889-1951, t. XIII, 1900, p. 487.
13 Peintre inconnu des dictionnaires. Fut envoyé par le Comité de salut public à Florence, en 1795, pour y négocier l’échange de tableaux flamands contre des œuvres de l’école toscane ; voir Pierre Rosenberg : « Les relations artistiques entre la Toscane et la France sous la Révolution, à propos de l’échange d’un Le Sueur », in : Actes du colloque Florence et la France. Rapports sous la Révolution et l’Empire (Florence, 1977), Paris 1979, pp. 129-149, ici p. 134-135.
14 Voir Braubach 1974, pp. 95-96 ; Karl Wilkes et Rudolf Brandts : Denkschrift und Listen über den Kunstraub der Franzosen im Rheinland, rapport dactylographié, Bonn 1940, pp. 47-48, 56-60 et 63-65.
15 James Guillaume : Procès-verbaux du Comité d’instruction publique de la Convention nationale, 7 t., Paris 1894-1957, t. IV, 1901, p. 655.
16 Boyer 1971 (Conquêtes artistiques), p. 356.
17 Louis Tuetey : Procès-verbaux de la Commission temporaire des arts, 2 t., Paris 1912-1917, t. I, pp. 305-306.
18 Ibid.
19 Guillaume 1901, t. IV, p. 834.
20 Ibid.
21 Paris, an, F17A 1276, dossier n° 4.
22 Aulard 1889, t. XVIII, p. 297.
23 L’expression revient à Dominique Poulot, in : Poulot 1997, p. 219 : « La politique des “extractions” répond au triomphe de l’“intérêt désintéressé” promu par le siècle, comme un nouvel emploi pour l’intellectuel : fonctionnaire de l’Universel. »
24 Riberette 1970, p. 417 : « Fragments de chapiteaux, débris de pilastres, rognures d’architraves, il n’était rien [que Dewailly] ne jugeât bon, avec un manque total de discernement, à enrichir le Muséum. »
25 Sur André Thouin, voir Letouzey 1989, p. 354. Sur Barthélemy Faujas de Saint-Fond, voir Dictionnaire de biographie française. Roman d’Amat (éd.), Paris 1975, t. XIII, pp. 706-707. Sur Gaspard Michel Leblond, voir Maurice Piquard : « Une bibliothèque parisienne sous la Révolution : la Bibliothèque Mazarine », in : Öffentliche und private Bibliotheken im 17ten und 18ten Jahrhundert. Wolfenbütteler Forschungen, Paul Raabe (éd.), Brême et Wolfenbüttel 1977, t. II, pp. 187-208. Sur Charles Dewailly (ou De Wailly, ou de Wailly) et sur ses relations avec la Belgique et l’Allemagne, voir Pierre du Colombier : L’architecture française en Allemagne au xviiie siècle, 2 t., Paris 1956, t. 1, pp. 226-243. Voir également : Charles de Wailly. Peintre architecte dans l’Europe des Lumières, cat. exp., Monique Mosser et Daniel Rabreau (éd.), Paris, Caisse nationale des monuments et des sites, Paris 1979 ; Hans-Christoph Dittscheid : « Charles De Wailly in den Diensten des Landgrafen Friedrich II. von Hessen-Kassel », Kunst in Hessen und am Mittelrhein, 20/1980, pp. 21-77 ; Anne van Ypersele de Strihou : « Charles de Wailly architecte du château royal de Laeken (Belgique) », Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, 1990, pp. 117-132.
26 Letouzey 1989, p. 354.
27 Yveline Cantarel-Besson : La naissance du musée du Louvre, 2 t., Paris 1981, t. II, p. 218.
28 Letouzey 1989, pp. 347-348.
29 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert (éd.), t. I, Paris 1751, p. 281.
30 Hans-Christoph Dittscheid : « Le musée Fridericianum à Kassel (1769-1779) : un incunable de la construction du musée au siècle des Lumières », in : Les musées en Europe à la veille de l’ouverture du Louvre, Édouard Pommier (éd.), Paris 1995, pp. 157-211.
31 Armand-Gaston Camus : Voyage fait dans les départemens nouvellement réunis, 2 t., Paris 1803, tome I, p. 97.
32 Camus 1803 (Voyage), pp. 136-140.
33 Tuetey 1912, t. 1, pp. 377-378.
34 Anne Germaine de Staël : De l’Allemagne, 2 t., Paris 1968, t. I, « Observations générales », p. 47.
35 Ibid., p. 471.
36 Alexandre Louis Bertrand Beaunoir : Voyage sur le Rhin depuis Mayence jusqu’à Dusseldorf, 2 t., Neuwied 1791.
37 Riberette 1970, p. 414.
38 Paris, an, F17 (instruction publique) ; voir Inventar von Quellen zur deutschen Geschichte in Pariser Archiven und Bibliotheken, Wolfgang Hans Stein (éd.), Coblence 1986, pp. 237‑242.
39 Magasin encyclopédique 1795, pp. 362-380 : « Lettre des membres composant la commission des sciences et arts, près les armées de Sambre et Meuse, à la Commission temporaire des arts ».
40 Paris, an, F17A 1276, dossier n° 4.
41 Dominique Poulot : Les Lumières, Paris 2000, p. 142.
42 Voir Étienne François : Koblenz im 18. Jahrhundert. Zur Sozial- und Bevölkerungsstruktur einer deutschen Residenzstadt, Göttingen 1982 ; Marie-Noëlle Bourguet : Déchiffrer la France. La statistique départementale à l’époque napoléonienne, Paris 1988.
43 Guy Arbellot et Bernard Lepetit : « Tournées et missions », in : Atlas de la Révolution française, t. I : Routes et communications, Serge Bonin et Claude Langlois (éd.), Paris 1993, pp. 62-63.
44 Riberette 1970, p. 418.
45 Ibid.
46 Magasin encyclopédique 1795, p. 363.
47 André Thouin : Voyage dans la Belgique, la Hollande et l’Italie. Rédigé par le baron Trouvé, Paris 1841.
48 Magasin encyclopédique 1795, pp. 366-367.
49 Ibid., p. 365.
50 Letouzey 1989, p. 450.
51 Barthélemy Faujas de Saint-Fond : « Mémoire sur le trass ou tuffa volcanique des environs d’Andernach » ; « Description des carrières souterraines et volcaniques de Nieder-Mennich, d’où l’on tire les laves poreuses propres à faire d’excellentes meules de moulin » ; « Description des mines de tuffa des environs de Brühl et de Liblar », Annales du Muséum d’histoire naturelle, 1802 ; du même auteur : « Mémoire sur deux espèces de bœufs dont on trouve les crânes fossiles en Allemagne, en France et en Angleterre », ibid., 1803 ; « Voyage géologique depuis Mayence jusqu’à Oberstein » ; « Des coquilles fossiles des environs de Mayence », ibid., 1804 ; Thouin 1841, p. VIII : « Une grande partie des notes de M. Thouin étaient relatives aux soins que lui imposait sa mission. Ces détails seraient sans intérêt pour le public. »
52 Magasin encyclopédique 1795, p. 374.
53 Ibid., p. 363.
54 Ibid., pp. 373-374.
55 Ibid., p. 364.
56 Tuetey 1912, t. I, p. 281.
57 Magasin encyclopédique 1795, pp. 371-372.
58 Voir le père Paul Mech : « Les bibliothèques de la Compagnie de Jésus », in : Histoire des bibliothèques françaises, Claude Jolly (éd.), t. II : Les bibliothèques sous l’Ancien Régime. 1530-1789, Paris 1988, pp. 56-63. Sur les très riches collections de l’ancien collège jésuite de Cologne, voir Dietmar Spengler : « Die graphische Sammlung des ehemaligen Jesuitenkollegs in Köln », in : Lust und Verlust. Kölner Sammler zwischen Trikolore und Preußenadler, Hiltrud Kier et Frank Guenter Zehnder (éd.), cat. exp., Cologne 1995, pp. 37-43 et 514-526 ; sur la bibliothèque en particulier : Handbuch der historischen Buchbestände in Deutschland, Bernhard Fabian (éd.), 27 t., Hildesheim, etc. 1992-2000, t. 4, pp. 37-45.
59 Ferdinand Wallraf : Ausgewählte Schriften. Festgabe zur Einweihungs-Feier des Museums Wallraf Richartz, Cologne 1861, pp. 195-206.
60 Riberette 1970, p. 414.
61 Magasin encyclopédique 1795, p. 369.
62 Voir Spengler 1995 ; du même auteur : « … apportés de Cologne. Zeichnungen und Graphiken aus der ehemaligen Kölner Jesuitensammlung in Paris wiederentdeckt », Kölner Museums-Bulletin, 1/1993, pp. 18-28 ; François Fossier : « Les confiscations d’émigrés entrées au Cabinet des Estampes pendant la Révolution », Nouvelles de l’estampe, 106/1989, p. 5 et suivantes.
63 A plusieurs reprises, dit-on, la municipalité de Cologne, malgré d’importantes difficultés financières, avait refusé de céder la collection à de prestigieux acquéreurs potentiels, l’impératrice Catherine de Russie, par exemple, ou le prince Albert de Saxe-Teschen, fondateur de l’Albertina à Vienne ; voir Wallraf 1861, p. 205.
64 Riberette 1970, p. 414.
65 Voir Wilkes/Brandt 1940, pp. 140-160.
66 Boyer 1971 (Conquêtes artistiques), p. 368.
67 Riberette 1970, p. 414.
68 Boyer 1971 (Conquêtes artistiques), p. 369.
69 Ibid., p. 368.
70 Joseph Hansen (éd.) : Quellen zur Geschichte des Rheinlandes im Zeitalter der Französischen Revolution. 1780- 1801, 4 t., Bonn 1931-1938, t. III, p. 305.
71 Magasin encyclopédique 1795, p. 375.
72 Boyer 1971 (Conquêtes artistiques), p. 369.
73 Magasin encyclopédique 1795, p. 368.
74 Hansen 1931, t. III, p. 308.
75 Riberette 1970, p. 415.
76 Ibid.
77 Letouzey 1989, p. 438.
78 Boyer 1971 (Conquêtes artistiques), p. 368.
79 Riberette 1970, p. 414.
80 Hansen 1931, t. III, p. 307, note 4.
81 Riberette 1970, p. 417.
82 Letouzey 1989, p. 438.
83 Voir Adolf Schmidt : Baron Hüpsch und sein Kabinett, Darmstadt 1906 ; Theo Jülich : « Jean Guillaume Adolphe Fiacre Honvlez – alias Baron von Hüpsch », in : Lust und Verlust 1995, pp. 45-57 ; Elga Böhm : « Das Besucherbuch des Freiherrn Johann Wilhelm Adolph von Hüpsch aus den Jahren 1776 bis 1803 », in : Lust und Verlust 1995, pp. 57-76.
84 Schmidt 1906, p. 75.
85 Ibid., pp. 75-76.
86 Ibid., p. 82.
87 Ibid., pp. 82-83.
88 Ibid., pp. 83-84.
89 Riberette 1970, pp. 418-419.
90 Thouin 1841, t. I, p. 351.
91 Boyer 1971 (Conquêtes artistiques), pp. 367-368.
92 Thouin 1841, t. I, p. 112.
93 Ibid., p. 127.
94 Voir Hansen 1931, t. III, p. 856 ; Hubert Schiel : « Die Auflösung der Trierer Kloster- und Stiftsbibliotheken und die Entfremdung von Trierer Handschriften durch Maugérard », in : Armaria trevirensia, Trèves 1960, pp. 57-82 ; Ursula Baurmeister et François Dupuigrenet, notices nos 41-54, in : 1789. Patrimoine libéré 1989, cat. exp., pp. 87-91.
95 Hansen 1931, t. III, p. 856, note 6.
96 Ibid.
97 Ibid., pp. 1284 et suiv. (note 1).
98 Hermann Cardauns : Köln in der Franzosenzeit. Aus der Chronik des Anno Schnorrenberg. 1789-1802, Leipzig 1923, p. 147 : « Zu Anfang des Monats brachten die Franzosen von Sinzig nach Köln eine vollständig unverweste Leiche, die seit Hunderten von Jahren in der Erde lag, alle Glieder waren geschmeidig. […] Wohin die Franzosen mit der Leiche kamen, zeigten sie dieselbe Bürgern und Bauern gegen sechs Stüber, mit dem ohne Zweifel trügerischen Vorgeben, das Geld sei für die Armen. »
99 Journal de Johann Friedrich Lintz, octobre 1796, in : Schiel 1960, pp. 66-67 : « Den 11ten wurden die Bibliotheken von Geistlichen, Stiften und Klöster durch B[ürger] Kail als Commissaire des französischen Gouvernement hin- und wiederversiegelt und mit Wachen besetzt. Den 13ten ward in dem Seminario Clementino mit Hinwegnahme der seltensten Bücher aus der vormaligen Jesuitenbibliothek [der Anfang] gemacht. Wogegen keine Vorstellungen von Seite derjenigen Universitätsmitglieder, welche diesem Geschäft beiwohnten, verhalfen ; im Gegenteil machte er Anstalten, den Bibliothekär mit Arrest zu belegen, weil er glaubte, man ginge mit ihm bei der Bücheraufhahme nicht aufrichtig zu Werke. […] Er hörte mit dem ferneren Aussuchen endlich mit der Litt[era] M einsweilen auf, bis dahin er 212 Werke hinwegführen ließ. ». Sur Johann Friedrich Lintz (1749-1829), voir Marie Drut-Hours : Contribution à l’histoire sociale de l’Aufklärung : étude comparative du processus dans les milieux catholiques et protestants. L’exemple des communautés de Deux-Ponts et de Trêves, thèse, 2 t., Metz 1999, t. II, p. 753.
100 Voir Frank Guenter Zehnder : « Mehrere sehenswerthe Gemälde aus der kölnischen Schule. Die Sammlung Johann Georg Schmitz », in : Lust und Verlust 1995, cat. exp., pp. 215-224.
101 Baurmeister / Dupuigrenet 1989.
102 Ibid., p. 90.
103 Ibid., p. 91.
104 Schiel 1960, p. 66 : « Wäre die Absicht dieser Menschen, diesen litterärischen Schatz vor seinem Untergang zu bewahren, so wissen wir ihnen Dank. Nur möchte ich wünschen, daß die französischen Angestellten in vorigen Jahren auf dieses Lob Ansprüche machen dürften, wo man so manchen litterärischen Vorrat zum Einheizen der Ofen gebraucht hat. Ich versichere, liebe Landsleute, damals gingen Schätze verloren, von denen sich mancher keinen Begriff machen kann ; sie gingen für ewig verloren, denn sie werden nie von den Toten auferstehen. » Sur Ludwig Müller, voir Drut-Hours 1999, t. I, p. 104, note.
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