8. La génération 1911
Xi’an, 1905-19301
p. 353-424
Texte intégral
Introduction
1La première province chinoise à répondre à l’insurrection de Wuchang à l’automne 1911 et à se rebeller contre les Qing est le Shaanxi. Les officiers et les hommes de la Nouvelle Armée (Xinjun) se soulèvent à Xi’an le 22 octobre, douze jours après leurs collègues de Wuhan1 ; ils portent à leur tête un officier d’état-major nommé Zhang Fenghui 張鳳翽, pénètrent dans la ville en criant « Soulèvement de l’armée révolutionnaire ! » (gemingjun qiyi !), et s’emparent de l’arsenal. Le gouverneur s’enfuit et les quelques régiments stationnés intra muros se rendent sans combattre. Il faut en revanche trois jours aux insurgés pour venir à bout des forces mandchoues cantonnées dans la ville tartare, à l’angle nord-est de la muraille de Xi’an, qui sont proprement massacrées avec leurs familles (Rhoads 2000 : 190-193) ; mais une fois cela accompli les vainqueurs peuvent s’installer formellement dans la capitale du Shaanxi. Après de laborieuses discussions entre les militants révolutionnaires et les chefs des sociétés secrètes, l’armée insurgée est baptisée Armée du Shaanxi et du Gansu pour la restauration des Han (Qin Long fu Han jun 秦隴復漢軍) et une hiérarchie civile et militaire est mise en place à Xi’an. Dans les semaines et les mois qui suivent la participation massive des troupes mobilisées par les sociétés secrètes et les bandits locaux va permettre aux forces du nouveau régime de repousser, les contre-attaques des armées loyalistes à l’est et à l’ouest. Zhang Fenghui est nommé gouverneur du Shaanxi par le gouvernement provisoire de Nankin en 1912 et confirmé dans ses fonctions par Yuan Shikai. Les militants du Parti révolutionnaire sont alors assez rapidement marginalisés et remplacés par d’anciens fonctionnaires des Qing dans les postes qu’ils avaient brièvement occupés au lendemain de l’insurrection. Jusqu’à son limogeage de facto par Yuan Shikai en 1914, Zhang Fenghui résiste à l’emprise envahissante des sociétés secrètes et entreprend, non sans succès, un certain nombre de réformes dans la ligne des « nouvelles politiques » (xinzheng) de la fin des Qing2.
2Ce premier épisode révolutionnaire au Shaanxi aura donc été de courte durée ; mais la question posée ici est celle de son succès initial et de la rapidité de la réponse au soulèvement de Wuchang. Comme nous le verrons, l’événement avait été activement préparé depuis plusieurs années ; ou, pour le dire autrement, un certain nombre de gens s’étaient organisés au sein de la nébuleuse constituée par la Nouvelle Armée, par la branche locale de la Ligue jurée (Tongmenghui) fondée par Sun Yat-sen en 1905, et par les sociétés secrètes, et se tenaient prêts à agir. Un nombre plus grand encore de « personnalités progressistes », comme les appellent les historiens chinois, s’étaient ouvertes aux idées nouvelles, vivaient dans l’espoir d’un changement de régime et étaient prêtes à écrire une nouvelle page dans l’histoire de leur province et dans celle de la nation.
3C’est à ce groupe d’activistes du Shaanxi que nous nous intéresserons dans cet essai : à la façon dont il s’est progressivement constitué – autant à Pékin, Baoding ou Tokyo qu’à Xi’an et dans les sous-préfectures de la vallée de la Wei –, et surtout au destin très contrasté de ses membres par-delà la chute de la dynastie des Qing. Les jeunes (et parfois moins jeunes) idéalistes qui s’étaient pour la plupart retrouvés dans la section de la Ligue jurée créée à Xi’an en 1908 ont en effet suivi des parcours extrêmement divers, dès avant l’instauration éphémère de la république parlementaire et jusqu’à la consolidation définitive – en apparence tout au moins – du régime de Nankin après 19303. Certains n’ont pas varié dans leur foi révolutionnaire et sunyatséniste, en dépit de force compromis et d’alliances plus ou moins douteuses ; d’autres au contraire ont rejoint les forces les plus réactionnaires de la Chine des seigneurs de la guerre. De même, la guerre civile ayant été quasi permanente entre 1911 et 1930, en Chine en général et au Shaanxi en particulier, plusieurs sont devenus eux-mêmes des seigneurs de la guerre ou ont été amenés à commander des forces armées dans diverses sortes de circonstances, et il est maintes fois arrivé à d’anciens camarades de se retrouver de part et d’autre de la ligne de front, au Shaanxi ou ailleurs.
4Or – conséquence non seulement de la sinuosité des parcours et des incertitudes sur l’avenir, mais aussi du souvenir des idéaux et des combats partagés avant et pendant la chute des Qing –, même en cas d’affrontement direct les relations étaient rarement rompues de façon irréconciliable et définitive ; si bien que, jusqu’à un certain point, nos personnages ont continué par-delà tous les bouleversements politiques et militaires à former un « groupe », que nous proposons d’appeler pour la commodité la « génération 1911 » au Shaanxi, même si certains de ses membres étaient déjà des hommes mûrs en 1911 alors que d’autres étaient à peine sortis de l’adolescence.
5Mais il n’y avait pas que cela. Pour beaucoup d’entre eux l’attachement au pays natal était un lien supplémentaire, et très fort, particulièrement pour ceux (la majorité) qui étaient originaires des sous-préfectures de la vallée de la Wei, c’est-à-dire du Guanzhong 關中, la région centrale du Shaanxi (cf. carte p. 415). Après tout la vallée de la Wei était le berceau de la civilisation chinoise, là où étaient nés le duc de Zhou et les rois Wen et Wu, et sous les Han et les Tang elle abritait la capitale de vastes empires qui dominaient l’Asie orientale et dont les traces archéologiques étaient encore partout présentes. Le fort sentiment d’appartenance locale liant les habitants du Guanzhong se nourrissait donc d’une glorieuse tradition que les personnages auxquels nous nous intéressons invoquent souvent, surtout quand c’est pour déplorer l’état de déréliction et d’arriération dans lequel a sombré leur province4.
6Certains expriment aussi une sorte de patriotisme régional à géométrie variable, renvoyant à divers projets d’alliance stratégique ou économique et englobant tantôt le Henan et le Shaanxi, tantôt le Shaanxi et le Gansu, quand ce n’est pas un Grand Nord-Ouest susceptible de s’étendre du Henan jusqu’au Xinjiang5. La notion de « Nord-Ouest » exprimait en général un sentiment plus diffus de distinction culturelle et morale par rapport au reste de la Chine, avec une insistance sur l’honnêteté et la simplicité, voire la rudesse des manières, et un goût prononcé pour le savoir concret que nous retrouverons lorsque nous évoquerons les origines intellectuelles du mouvement révolutionnaire au Shaanxi.
7Pour y revenir, si l’impact du militarisme sur la « génération 1911 » ne saurait être sous-estimé, tous n’étaient pas pour autant des militaires, ou ne le sont pas nécessairement devenus, il s’en faut. Il se trouve que notre intérêt pour les activistes du Shaanxi et leur destin sous la république s’est formé en étudiant la carrière et les réalisations d’un des plus respectés d’entre eux à l’époque, l’ingénieur hydraulicien Li Yizhi 李儀祉 (1882-1938), qui ne semble pas avoir jamais porté les armes, si l’on excepte le pistolet qu’il s’était acheté à Berlin (où il était étudiant) avant de rentrer en hâte au pays pour participer à la révolution de 1911, et qu’il avait revendu en arrivant pour acheter un manteau à son père. Li Yizhi, qui aujourd’hui encore est considéré comme un des héros de la modernisation du Shaanxi (et de la Chine républicaine en général), n’a lui-même été impliqué dans le combat révolutionnaire que de façon marginale, ne serait-ce que parce qu’il était ailleurs au moment des principaux événements. Mais, ainsi que nous le verrons, avant comme après 1911 il a été associé de diverses manières, et parfois étroitement, avec nombre de politiciens et de militaires parmi les plus importants au sein de notre groupe. Et, surtout, ses écrits autobiographiques offrent un témoignage irremplaçable sur le milieu des intellectuels et des notables progressistes de la région de Xi’an gagnés aux idées de Sun Yat-sen à l’extrême fin des Qing et ballottés au gré de l’histoire chaotique qu’a traversée le Shaanxi pendant les deux décennies suivantes. Ce sont en partie ces écrits qui nous ont encouragé à élargir l’enquête.
Témoignages
8Arrêtons-nous donc un instant sur les textes émanant de contemporains qui ont fourni une partie importante de leur matière à ces pages. Comme toujours, le problème est d’aller au-delà des reconstructions a posteriori, des souvenirs informés par les idéologies du moment et des postures politico-morales, et d’entrevoir quelque chose du cadre mental des protagonistes en temps réel, si l’on peut dire, même s’il ne faut jamais perdre de vue les limites d’un tel exercice. L’autobiographie de Li Yizhi (originellement titrée Zigong 自供, « Confessions »), qui malheureusement s’arrête à son départ d’Allemagne en 1911, bien qu’elle ait été composée en 1927, est précieuse car c’est un texte incomparablement détaillé, vivant et attachant, parfois même assez drôle, où Li Yizhi, qui était un homme public important, ne cherche ni à défendre une ligne politique, ni à établir une version officielle de sa carrière, ni surtout à construire un personnage. Le témoignage sur son père qu’il a également laissé, le Nanyuan yisheng 南園憶賸, dont la préface est datée de 1935 et qui nous conduit jusqu’en 1932, est d’un ton plus formel mais est tout aussi riche en informations originales6. En fait, la totalité des écrits de Li Yizhi, y compris les projets et les rapports rédigés dans le cadre de ses activités professionnelles, constitue un antidote bienvenu à sa canonisation posthume comme patriote impeccable et ingénieur modèle, notamment dans l’hagiographie surabondante et répétitive produite en Chine populaire, dont on trouve force exemples sur Internet.

Li Yizhi en 1923 et dans les années 1930
9On peut en dire autant d’une autre autobiographie portant sur les années de jeunesse de son auteur, celle de Yu Youren 于右任 (1879-1964). Le personnage de Yu Youren traverse de part en part l’histoire du Shaanxi révolutionnaire et militariste. Né dans une famille rurale extrêmement modeste de la rive nord de la Wei (le Weibei)7, il a réussi à recevoir une éducation sérieuse et à devenir bachelier, puis licencié, grâce à son propre talent et surtout à la volonté de sa tante, qui l’a élevé, et de son père, un petit commerçant qui résidait la plus grande partie de son temps au Sichuan pour ses affaires ; mais il est rapidement devenu un opposant peu discret aux Qing, à tel point qu’en 1904 il doit chercher refuge à Shanghai pour échapper à une arrestation et à une probable exécution pour haute trahison8. Il devient peu après un disciple de Sun Yat-sen, qu’il a rencontré à Tokyo et dont il restera toujours un partisan inconditionnel. De 1930 jusqu’à la fin de sa très longue carrière il occupe de nombreuses fonctions officielles dans l’État nationaliste en sa qualité de « grand ancien » (yuanlao) du Guomindang, sans pour autant appartenir au cercle rapproché de Chiang Kai-shek. Yu Youren est aussi un calligraphe fameux et un poète prolifique9. Ses souvenirs de jeunesse, publiés en revue en 1948 sous le titre « Souvenirs d’un gardien de chèvres », couvrent la période s’étendant de sa petite enfance à son exil à Shanghai en 1904. Même si le texte est nettement moins long et détaillé que l’autobiographie de Li Yizhi, on y retrouve la même fraîcheur de regard et la même impression d’urgence dans le témoignage10.
10Ce sont des exemples, et peut-être d’autres nous ont-ils échappé. Mais le journal rédigé par le général révolutionnaire et futur seigneur de la guerre Hu Jingyi 胡景翼 (1892-1925) pendant ses deux années de captivité dans les locaux du gouverneur militaire Chen Shufan 陳樹藩, entre septembre 1918 et juillet 1920, va bien plus loin encore. Il nous introduit au jour le jour dans les ruminations d’un personnage remarquable et occupant une place tout à fait centrale au sein de la galaxie des révolutionnaires et des militaristes du Nord-Ouest au début du xxe siècle11. Il y a quelque chose de romantique dans le parcours aventureux de Hu Jingyi, depuis son entrée en révolution à peine sorti de l’enfance et ses premiers contacts avec les bandits et les sociétés secrètes de la vallée de la Wei, à la veille de 1911, jusqu’à sa mort à l’âge de 32 ans à la suite d’une infection mal soignée, quelques mois seulement après s’être emparé de Pékin avec Feng Yuxiang et alors qu’il se trouvait à la tête d’une armée de 100 000 hommes et venait de conquérir ses galons de gouverneur du Henan ; quelque chose de romantique et, toutes proportions gardées, de presque bonapartiste. Ne s’attribue-t-il pas au moment de sa captivité dans un pavillon « isolé comme une île dans la mer » le surnom de « Napoléon II »12 ? Mais s’il s’identifiait à Napoléon, Hu Jingyi n’avait pas l’allure d’un Bonaparte : l’une des raisons de la fascination du personnage est le décalage entre ses intuitions brillantes, son audace, son autorité, sa popularité et un physique éléphantesque, déformé par l’obésité13.

Trois portraits de Yu Youren
11L’impression est assez différente lorsqu’on se reporte à une autre catégorie de textes en partie autobiographiques dans lesquels nous avons abondamment puisé : les témoignages publiés au début des années 1960, et à nouveau après la Révolution culturelle, dans la grande collection des Wenshi ziliao 文史資料. Source extraordi nairement riche, certes, mais combien composite et parfois peu sûre14, et dont une des caractéristiques les plus gênantes est une propension quasi générale, et inévitable, au manichéisme : l’on ne compte pas les articles des Wenshi ziliao où les souvenirs de l’auteur, pour être précis, vivants et concrets, et vraisemblables, sinon toujours vérifiables, n’en sont pas moins exprimés – et, pourrait-on dire, réinterprétés – dans la phraséologie et avec les catégories de l’orthodoxie communiste telle qu’elle se présentait aux alentours de 196015.

Hu Jingyi en 1923
12La plus remarquable exception, en ce qui concerne notre sujet, est le corpus des textes rédigés par Zhang Fang 張鈁 (1886-1966) à partir de 1959 pour diverses séries des Wenshi ziliao et republiés en volume, pour 29 d’entre eux, vingt ans après sa mort sous le titre « Quarante années dans la bourrasque » (Zhang 1986). Zhang Fang n’était pas originaire du Shaanxi, mais de Xin’an, dans l’ouest du Henan. Ayant étudié dans une école militaire du Shaanxi, où son père était préfet adjoint, il entre en 1907 comme élève artilleur à l’école de l’armée de terre à Baoding, adhère à la Ligue jurée l’année suivante, et à la fin de ses études est affecté dans la « Nouvelle Armée » au Shaanxi. Il est aux premiers rangs du soulèvement militaire de Xi’an en 1911. Dans les mois qui suivent, il a surtout à son actif d’avoir repris par deux fois aux forces impériales la ville de Tongguan, qui commande l’accès au Shaanxi central depuis le Henan, en mobilisant non seulement les révolutionnaires (gemingdang ren), mais encore les chefs des sociétés secrètes (banghui 幫會) et les « chevaliers des forêts vertes » (lülin haoxia 綠林豪俠) – c’est-à-dire les bandits – de la vallée de la Wei et de son pays natal au Henan, auxquels il a à l’évidence un accès très direct et qui étaient capables d’entraîner chacun quelques centaines d’hommes, voire un millier16. Dans les années suivantes nous le retrouvons mêlé à tous les événements importants de l’histoire politico-militaire du Shaanxi, mais il est clair que son influence s’exerçait bien au-delà de ce cadre, ne serait-ce qu’en raison de ses innombrables relations dans les milieux révolutionnaires ou ex-révolutionnaires et du fait qu’apparemment beaucoup de gens lui faisaient confiance. Lui-même se présente comme un fidèle partisan du Guomindang pendant toute sa carrière (du moins jusqu’à ce qu’il rallie le régime populaire en 1950), et il affirme que Yu Youren, dont il a toujours été très proche, est son modèle en politique. Depuis son adhésion à la Ligue jurée, l’ambition de Zhang Fang était de créer une alliance révolutionnaire entre le Henan et le Shaanxi, et il n’a cessé d’y revenir, essayant d’intervenir dans tous les conflits, allant voir les uns et les autres ou leur écrivant, ou les accueillant dans sa résidence au Henan. Les récits et les souvenirs publiés à la fin de sa vie se distinguent non seulement par la richesse réellement exceptionnelle d’informations qu’ils contiennent, et que seul pouvait offrir un personnage aussi bien connecté, mais encore par une grande liberté de ton, une absence notable de posture idéologique, et une indéniable finesse, non dénuée d’humour à l’occasion, lorsqu’il évoque la personnalité de ses anciens camarades ou des personnages importants qu’il a fréquentés17.
13Ajoutons que le projet de consigner la mémoire du mouvement révolutionnaire au Shaanxi avait été formulé dès 1931, bien avant l’époque des Wenshi ziliao, par Yu Youren lui-même ; il l’avait relancé après la guerre en 1945 en confiant la collecte des matériaux à une commission d’anciens militants résidant dans la province, dont le responsable en second n’était autre que Zhang Fang, qui comme nous venons de le voir s’exprimera abondamment dans les Wenshi ziliao au début des années 1960. Ces efforts ne semblent avoir donné lieu, tardivement, qu’à une seule publication, parue à Taiwan en 1962, donc à peu près au même moment. Le titre même, Shaanxi geming jiyao 陝西革命紀要, suggère le parti de s’en tenir aux faits essentiels ; mais en dépit de sa relative brièveté ce texte, dont l’auteur, Cai Pingfan 蔡屏藩, était un vétéran du mouvement, et qui est supposé avoir été revu par Yu Youren en personne, constitue une addition intéressante au corpus d’histoire-mémoire de la révolution au Shaanxi publié dans les Wenshi ziliao, d’abord parce qu’il propose une vue synthétique des événements, depuis les prodromes de la révolution de 1911 jusqu’en 1927, et ensuite parce qu’il livre beaucoup d’informations originales18.
L’environnement socio-économique
14La rapidité de la réponse du Shaanxi en 1911, dont nous étions parti, est assez remarquable si l’on se souvient qu’il s’agissait à l’époque d’une région périphérique à tous points de vue, et qui l’est restée jusque dans les années 1930, lorsque le gouvernement de Nankin a entrepris de la développer pour en faire une base de résistance en vue de l’inévitable conflit avec le Japon. On aimerait pouvoir être plus détaillé que les sources (et les limites de cet essai) ne le permettent, mais il nous semble malgré tout important de livrer quelques éléments concrets sur l’arriération et l’isolement du cadre dans lequel opéraient les personnages que nous avons commencé de présenter et où se sont déroulés les événements dont il sera question plus loin.
15Le Shaanxi n’avait pas toujours été une province aussi déshéritée. Sans remonter aux Han ou aux Tang, sous les Qing au moins, et jusqu’au milieu du xixe siècle, la plaine du Guanzhong était une région densément peuplée mais autosuffisante, et considérée comme relativement prospère même si, pour des raisons principalement climatiques, cette prospérité restait fragile ; et la province avait été plutôt bien administrée par une série de gouverneurs très soucieux d’améliorer l’agriculture, d’encourager l’artisanat, de développer les infrastructures de sécurité économique et de maintenir un niveau élevé de réserves alimentaires19. Pareille sollicitude tenait en partie à la situation stratégique du Guanzhong au carrefour de plusieurs routes importantes, vers le Sichuan, le Gansu et l’Asie centrale. Si pour cette raison la région avait dû subir plusieurs fois, entre la fin du xviie siècle et la seconde moitié du xviiie, le contrecoup des exigences logistiques extrêmement pesantes de la « Grande Armée » des Qing en route pour des théâtres lointains, en revanche elle n’avait pas connu la guerre sur son sol depuis les violences de la transition dynastique au milieu du xviie siècle.
16Cette phase prolongée de tranquillité et de développement économique, grâce à laquelle la plaine du Guanzhong a pu absorber un probable doublement démographique, prend brutalement fin pendant le troisième quart du xixe siècle. Les rébellions qui dévastent alors les provinces centrales de l’empire – les Taiping et les Nian – débordent en 1862 sur le Shaanxi, et jusqu’aux environs immédiats de Xi’an ; et surtout, ces incursions réveillent des tensions qui couvaient depuis longtemps dans la vallée de la Wei et provoquent une vague de conflits intercommunautaires extrêmement violents entre Chinois et Musulmans, incluant le siège et le saccage de nombreuses villes et des opérations de « purification ethnique » avant l’heure dont la mémoire transmise semble être restée vivace près d’un siècle après20. En bref, la partie la plus prospère de la vallée de la Wei a été complètement ravagée pendant la décennie 1860.
17Aux destructions et aux massacres provoqués par les affrontements entre Han et Hui et par la répression gouvernementale – bien au-delà du cadre limité du Guanzhong21 – s’est ajouté l’impact de la grande famine de l’ère Guangxu en Chine du Nord, appelée à l’époque l’« incroyable famine de 1877-1878 » (dingwu qihuang 丁戊奇荒), bien qu’elle ait en réalité duré de 1876 à 1879. Là où l’on dispose de chiffres, la population a diminué peut-être de moitié entre le xviiie siècle et la fin du xixe, en dépit d’un mouvement important d’immigration depuis les provinces voisines, voire du Zhili ou du Shandong, au lendemain de la famine de Guangxu (Chao 2004 : 334 sq.). Il est à peu près certain qu’en 1930 encore on avait d’autant moins retrouvé les densités d’avant 1850 que la famine, qui durait depuis trois ans, avait été exceptionnellement meurtrière.
18Pour ceux que nous avons appelés la « génération 1911 » ces événements des années 1860 et 1870 sont encore très proches, même si eux-mêmes sont nés quelques années plus tard. La plupart des familles semblent avoir été affectées d’une manière ou d’une autre. Yu Youren explique que deux branches de son clan sur cinq ont disparu à la suite des désordres causés par les Musulmans et raconte les tribulations de sa famille maternelle fuyant la famine au Gansu et tentant de gagner le Shaanxi après la fin des troubles (il est né peu après et sa mère, affaiblie et déprimée par toutes ces misères, est morte avant qu’il ait atteint sa deuxième année) (Yu 1953 : 2-3). De son côté, Hu Jingyi rappelle dans son Journal comment son grand-père est mort en 1867 en participant aux combats contre les Nian et les Musulmans dans la région de Fuping et Yaozhou (Hu 1993 : 39). Quant à Li Yizhi, il évoque en termes très dramatiques ce que lui ont raconté ses parents et grands-parents (sa grand-mère en particulier) : leur village avait perdu la moitié de ses habitants pendant la famine et eux-mêmes avaient considérablement souffert – il y avait un oncle riche mais qui ne voulait pas partager, ce qui avait été prétexte à une de ces disputes interminables qui déchirent parfois les familles chinoises et se terminent souvent au tribunal ; et avant cela, pendant les sept années de « troubles musulmans », le village de ses grands-parents avait connu massacres et incendies, et sa grand-mère avait été obligée d’emmener la famille se cacher dans des grottes (Li 1956 : 751-754).
19Ces malheurs ne sont que le début d’une longue série. Plusieurs autres famines affectent la région, en particulier celle de 1899-1901, dont il est possible que les effets soient plus graves encore que ceux de la famine de Guangxu, et pendant laquelle Cixi et sa cour fuyant Pékin viennent se réfugier à Xi’an22. Cela étant, même si pendant les famines de la fin des Qing l’administration n’avait plus les moyens d’agir comme elle le faisait dans le cadre de ce qu’on pourrait appeler le « modèle classique » de l’économie agraire au Shaanxi, et même si cette période correspond aux débuts des entreprises philanthropiques à vocation nationale, essentiellement basées à Shanghai, jusqu’à la fin des Qing le modèle étatique d’intervention contre les désastres naturels est toujours resté la norme, au moins en théorie. Comme ailleurs en Chine, dans la conscience collective des habitants du Guanzhong l’impuissance de l’État républicain face aux désastres des années 1920 qui seront évoqués plus loin ne pouvait qu’être opposée à la sollicitude de l’ancien État impérial, avec sa politique de stockages et ses procédures institutionnalisées de secours, même si tout cela était inévitablement très embelli dans la mémoire ; si bien qu’en 1921 comme en 1928 tous les témoignages rapportés dans les sources contemporaines affirment qu’il s’agit de famines « bien pires » que la famine de Guangxu23.
20La récession économique amorcée dans les années 1860 a duré jusqu’au début des années 1930, avec une accélération dramatique à partir de la guerre civile qui s’installe au cœur du Guanzhong en 1918. Li Yizhi propose dans certains articles un bilan dans lequel il décrit une véritable situation de sous-développement, même s’il n’emploie pas le mot : pas d’irrigation, pas de moyens de transport modernes, un outillage primitif et des techniques ancestrales, une paysannerie inéduquée, pas de système de crédit digne de ce nom, sans parler de la sensibilité du marché aux fluctuations des cours mondiaux, même dans une région aussi reculée, et de l’emprise démesurée de la culture du pavot24.
21La question de l’opium mérite qu’on s’y arrête brièvement. Les progrès rapides de la culture du pavot et de la production d’opium, dans le Nord-Ouest en général et dans la vallée de la Wei en particulier, datent du lendemain des crises des années 1860 et 1870, coïncidant en gros avec la période de légalisation de facto du commerce de l’opium en Chine. Ils ont profondément changé la structure de l’économie agraire et de la fiscalité dans de nombreux districts, et ils ont aussi changé les comportements, car la consommation d’opium s’est étendue à toutes les couches de la population, y compris, et notoirement, les paysans. D’après une enquête internationale menée à la fin des Qing, le Shaanxi était en 1906 le premier producteur d’opium en Chine du Nord (Liu 2005 : 350 ; Zheng 2002 : 82). Les progrès foudroyants de la consommation populaire en Chine depuis le dernier quart du xixe siècle semblent avoir été particulièrement visibles dans la vallée de la Wei. De nombreux témoignages des années 1920 évoquent une proportion de fumeurs d’opium (femmes et enfants compris) variant entre 20 et 50 % de la population suivant les localités, voire plus. En même temps, l’envahissement des terres arables par la culture du pavot est dénoncé par quantité d’auteurs comme une des causes majeures, sinon la principale cause, des terribles famines qui dévastent à plusieurs reprises la région.
22Comme ailleurs en Chine, la tendance semble avoir été brièvement inversée pendant les dernières années des Qing et les premières de la république. Pendant ses trois années comme gouverneur du Shaanxi (1912-1914), Zhang Fenghui poursuit énergiquement la politique d’éradication du pavot et de l’opiomanie inaugurée par les Qing avec le fameux édit de septembre 1906, et il semble avoir obtenu de réels résultats25 ; mais comme ailleurs ils ont été sans lendemain, car l’exploitation fiscale de la culture du pavot est rapidement devenue l’une des principales ressources des seigneurs de la guerre qui ont dominé le Shaanxi après son départ. En 1917 le bouclage officiel du programme national d’éradication, qui mettait un terme aux tournées d’inspection des représentants anglais supposés s’assurer, en application du traité de 1911 sur la suppression progressive des importations d’opium, que la Chine avait rempli ses obligations (et à qui l’on savait très bien ne montrer que ce qu’on voulait bien qu’ils voient), a fait passer le problème de l’opium au second plan des préoccupations du gouvernement de Pékin. Du coup il a laissé les mains libres aux militaristes locaux, qui, eux, étaient intéressés non pas à éradiquer, mais bien à développer la culture du pavot pour la taxer et financer leurs armées tout en enrichissant leur trésor de guerre personnel. Telle a bien été la politique suivie, de façon particulièrement notoire, par le gouverneur militaire Chen Shufan, que nous retrouverons plus loin parmi les ex-révolutionnaires ayant, si l’on peut dire, mal tourné. Ses divers successeurs lui ont emboîté le pas sans états d’âme, jusque par-delà la disparition des seigneurs de la guerre26.
23Li Yizhi – pour revenir au bilan pessimiste qu’il dresse au début des années 1930 – parle aussi de l’absence de moyens de communication modernes. Au moment où il écrivait, la situation sur ce front était à vrai dire en passe de s’améliorer : un certain nombre de routes importantes avaient commencé d’être rendues accessibles aux véhicules motorisés – alors qu’auparavant on hésitait à quitter Xi’an par temps de pluie de peur de s’embourber –, en 1931 le chemin de fer du Longhai avait été prolongé jusqu’à Tongguan, à l’entrée de la vallée de la Wei, et il devait atteindre finalement Xi’an à la fin de 1934 ; les premières liaisons aériennes n’étaient plus très loin. Mais, jusqu’en 1930, la situation ne devait pas être excessivement différente de l’époque où, pour commencer leur scolarité à Pékin, Li Yizhi et ses compagnons devaient voyager plus de quinze jours dans une charrette traînée par une mule pour atteindre le terminus du chemin de fer à Shunde27.
La formation du noyau révolutionnaire au Guanzhong avant 1911
24Tel est donc le cadre dans lequel est né et s’est développé ce qu’on est convenu d’appeler le « mouvement révolutionnaire » au Shaanxi, dont on peut considérer qu’il existe formellement depuis la fondation de la branche locale de la Ligue jurée en 1908. Il n’est pas facile de donner une idée simple des multiples influences reçues par ses inspirateurs et ses fondateurs. Nous avons déjà évoqué le patriotisme local qui s’exprime chez presque tous nos auteurs, et avec d’autant plus de force que le sous-développement et l’isolement du temps présent contrastent cruellement avec la splendeur passée d’une région « où la civilisation chinoise est née ». Au début de son autobiographie, Yu Youren proclame : « En outre je suis né au Guanzhong, une terre qui a engendré des sages pendant toute l’histoire, avec sa géographie majestueuse, sa culture vaste et profonde… »
Les origines intellectuelles
25Pour ceux de la « génération 1911 » qui sont assez cultivés pour les connaître, les « sages » dont parle Yu Youren, ce sont d’abord les philosophes de l’« école du Guanzhong » (Guanxuepai 關學派), dont le premier maître avait été Zhang Zai 張載 (1020-1078) et qui prônaient un confucianisme à la fois austère et pratique. Le lien entre l’école du Guanzhong et les révolutionnaires de 1911 n’a rien d’arbitraire. Cai Pingfan, par exemple, n’hésite pas à affirmer : « Si l’on cherche pourquoi les gens du Shaanxi ont pu recevoir le baptême de la révolution, eh bien, c’est parce qu’en règle générale ils s’étaient formés au moule de l’école du Guanzhong, qu’ils étaient épris de vérité (ai zhenli 愛真理) et valorisaient la réputation et l’intégrité (zhong mingjie 重名節) » (Cai 1993 : 303). Et de là, il évoque la façon dont certains lettrés éclairés de la région à la fin des Qing, conscients de la crise nationale et de la décadence du gouvernement, avaient cherché à combiner l’« idéologie nationale » (minzu sixiang 民族思想) des maîtres de l’école du Guanzhong et les nouvelles théories occidentales dans l’enseignement des académies réformatrices de l’époque, où l’on s’intéressait, suivant la formule, aux études « avec des applications concrètes » (shiyong 實用). L’« idéologie nationale » renvoie clairement au plus illustre représentant de l’école du Guanzhong à l’époque des Qing, Li Yong 李顒 (1627-1705), qui avait obstinément refusé de servir les Mandchous28. Pendant sa captivité, Hu Jingyi dit à un moment de lui qu’il « refusait de se laisser conquérir » (wei shouzheng 未受征) et qu’il « voulait rejeter les barbares » (you rang yi zhi xin 有攘夷之心). Ailleurs, il proclame la supériorité des auteurs du Guanzhong sur tous leurs contemporains et son adhésion enthousiaste aux propos de Li Yong, dont il découle que, « si l’on commence par rectifier le cœur des gens afin de rectifier les coutumes, en moins de trois ans tout le pays sera gagné et dans le futur il deviendra possible de sauver la Chine29 ! » (Hu 1993 : 8, 34-35).
26Quant au « savoir occidental », les textes autobiographiques de Li Yizhi et Yu Youren permettent assez bien de se représenter comment il a progressivement pénétré l’enseignement traditionnel dans les sous-préfectures du Guanzhong oriental. Le père de Li Yizhi, Li Tongxuan 桐軒 (1860-1932), et son oncle Li Zhongte 仲特 semblent particulièrement représentatifs de la première génération exposée à ces influences. Les frères Li avaient passé ensemble l’examen du baccalauréat en 1878 (comme le feront vingt ans plus tard Li Yizhi et son frère aîné Li Bo 博) en dépit d’immenses difficultés matérielles et grâce à la ténacité des grands-parents de Li Yizhi, des paysans illettrés ; et cela leur valait un incontestable prestige local, même si leur condition était fort modeste.
27Ils s’étaient pris de passion pour les mathématiques, d’abord chinoises et plus tard occidentales, y étaient devenus extrêmement compétents – Li Zhongte surtout –, et s’étaient attachés à transmettre ce savoir à Li Yizhi et à son frère. Et c’est bien grâce à leurs talents en algèbre et à leur teinture de sciences occidentales, grâce aussi à la présence d’un directeur provincial des études épris de « savoir moderne » (xinxue), un certain Ye Bogao 葉伯皋30, que les deux fils de Li Tongxuan accèdent à leur tour au grade de bachelier, en 1898. Ils sont recommandés pour une bourse dans une académie progressiste récemment établie à Jingyang, l’académie Chongshi 崇實 (« révérer le concret »), où l’on enseigne un peu d’anglais et de mathématiques à côté des disciplines classiques et où, dès 1901, sont introduits clandestinement des textes de Liang Qichao et de Kang Youwei. Peu après, le successeur de Ye Bogao – lui aussi un réformiste venu du Zhejiang – refond les trois académies de Jingyang et Sanyuan en une « école supérieure » (gaodeng xuetang) où l’on enseigne diverses matières modernes, y compris les langues et la gymnastique (on fait à un moment venir deux professeurs japonais) ; et c’est là que Li Yizhi se lie avec un étudiant à la personnalité exceptionnelle et inclinant vers les idées révolutionnaires, qui n’est autre que Yu Youren.
28Li Yizhi est extrêmement rétif aux disciplines classiques et à leurs méthodes mécaniques d’apprentissage, qui restent à la base du cursus (les examens n’ont pas encore été abolis), et il finit par aller enseigner dans une école secondaire progressiste créée par Yu Youren. Il n’en est pas moins considéré par le directeur provincial des études comme un étudiant exceptionnel en raison de ses aptitudes scientifiques, si bien qu’en 1904 lui et son frère font partie des douze étudiants du Shaanxi sélectionnés pour aller s’inscrire au collège métropolitain (Jingshi daxuetang 京師大學堂) nouvellement créé, autrement dit la future université de Pékin, où il étudiera les langues et les sciences occidentales.
29Au total, ces années de formation de Li Yizhi au Shaanxi (Li 1956 : 756-779)31 nous le montrent baignant de façon très naturelle dans un mélange de culture lettrée traditionnelle et de culture scientifique à l’occidentale, considérablement encouragé par la curiosité intellectuelle de son père et de son oncle32, mais inquiet, non conformiste, et très réceptif aux idées réformistes, voire révolutionnaires, qui commencent à se répandre.
30Li Tongxuan, le père de Li Yizhi, était lui-même un lettré progressiste que ses sympathies pour le mouvement révolutionnaire – il aurait été un des premiers adhérents de la Ligue jurée au Shaanxi33 – obligèrent plus d’une fois à se cacher à la fin des Qing et pendant la période des seigneurs de la guerre. C’était en particulier un fervent avocat de l’éducation de masse, qu’il appelait l’« éducation sociale » (shehui jiaoyu 社會教育) et dont il a été pendant une grande partie de sa vie un praticien assidu comme enseignant ou comme directeur d’école dans des villes ou des bourgades du Shaanxi. (La promotion de l’éducation populaire moderne pour les garçons et les filles a été un thème important pour toute cette génération au Shaanxi, et, comme nous le verrons plus bas, Yu Youren en a fait une des activités phares du régime dissident de l’Armée de Pacification nationale sur la rive gauche de la Wei entre 1918 et 1921.) Li Tongxuan était également un militant de la « transformation des coutumes » (yisu 易俗) et du combat contre les plaies sociales du temps, non seulement l’ignorance et les superstitions mais aussi les pieds bandés ou l’opiomanie. Dans les premières années de la république il avait créé au Shaanxi, avec la bénédiction du gouverneur Zhang Fenghui, une Société pour la transformation des coutumes (Yisushe 易俗社) qui semble avoir été très active sous sa houlette pendant de nombreuses années et avoir connu un certain rayonnement. Sa principale activité consistait en une sorte d’agit-prop sous la forme de représentations théâtrales, l’ambition de Li Tongxuan étant en quelque sorte de détourner pour la bonne cause le théâtre populaire traditionnel du Shaanxi (le Qin qiang 秦腔), extraordinairement apprécié dans toutes les couches de la société, en sélectionnant dans le répertoire les pièces qu’il considérait comme éthiquement et politiquement acceptables et en y ajoutant ses propres compositions, qu’il faisait jouer par des étudiants. En 1921-1922 il avait emmené sa troupe jusqu’à Pékin et Hankou.
31En dépit de la modestie de sa carrière publique, Li Tongxuan avait à l’évidence une grande notoriété dans les milieux progressistes du Guanzhong. En 1909 on le trouve président de l’Assemblée consultative provinciale du Shaanxi (ziyiju 諮議局), et plus tard, sous la république, il est invité à plusieurs reprises comme conseiller du gouvernement provincial, même si, à en croire son fils, ses inclinations que nous dirions de gauche rendaient ses rapports avec les gouverneurs militaires assez inconfortables. En même temps, Li Tongxuan n’a jamais renié la culture confucéenne basée sur les Classiques à laquelle il avait été formé, sans parler du fait qu’à la fin de sa vie il était devenu un fervent bouddhiste ; et, comme le montrent tous ses écrits, surtout les plus personnels, il en va exactement de même avec son fils Li Yizhi, que ses études en Europe, sa spécialisation scientifique et sa parfaite intégration au milieu des technocrates chinois et étrangers de la Chine républicaine mettaient pourtant totalement à l’aise avec ce qu’on appellera pour la commodité la « culture moderne34 ».
32Nous nous sommes attardé sur Li Tongxuan parce qu’il est on ne peut plus représentatif de la texture sociopolitique et intellectuelle complexe et des nombreuses contradictions de l’élite progressiste à l’extrême fin de l’empire et au début de la république, même dans une région aussi éloignée des centres vitaux du pays que le Guanzhong. Mais le tableau pourrait être nuancé à l’infini et il faudrait citer une quantité d’autres personnalités locales tout aussi intéressantes et intrigantes. Yu Youren, pour ce qui le concerne, affirme qu’au tournant du siècle le promoteur le plus influent du « nouveau savoir » au Shaanxi était un certain Zhu Foguang 朱佛光, qui n’avait eu qu’une formation élémentaire aux études classiques et avait abordé le « savoir occidental » par les sciences naturelles. Il affirmait par ailleurs descendre d’un prince Ming et jouait de la corde nationaliste en évoquant l’esprit des loyalistes de la dynastie renversée par les Mandchous en 1644. Or, Zhu Foguang, dont il semble que les propos étaient parfois assez incendiaires, formait une sorte de tandem avec un authentique lettré, qui était aussi son frère juré, Mao Junchen 毛俊臣. Mao était, lui, un classiciste et un spécialiste des « études Han » (c’est-à-dire de la critique textuelle, dans la grande tradition du xviiie siècle), jouissant d’une très grande réputation dans la région : Li Yizhi – que les études classiques ennuyaient – l’avait eu comme professeur dans les académies où il étudiait, et près de vingt ans plus tard Hu Jingyi, qui le qualifie de « lettré accompli du Guanzhong » (Guanzhong suru 宿儒), exprime le souhait qu’il vienne lui enseigner les classiques pendant sa résidence forcée (Hu 1993 : 11, 19, 31, 50). Yu Youren, que Zhu avait accepté de prendre comme disciple, avait été recommandé par ce dernier auprès de Mao Junchen, et avec ses amis ils allaient d’un maître à l’autre, combinant donc, là encore, disciplines classiques et « nouveau savoir ». Et à l’effet « libérateur » (jiefang) qu’avait l’enseignement de Zhu sur ces jeunes gens à la fois passionnés et inquiets s’ajoutait l’influence du courant des « nouveaux textes » (jinwen) et des études pratiques vouées à la « gestion du siècle » (jingshi), dont le chef de file au Guanzhong était Liu Guyu 劉古愚, le représentant le plus éminent de l’école du Guanzhong à la fin de l’empire. Liu était considéré, affirme Yu Youren, comme l’équivalent en Chine du Nord de Kang Youwei en Chine du Sud, et il avait publiquement marqué son soutien au célèbre inspirateur des réformes de 1898 après le coup d’État qui les avait brutalement arrêtées au bout de cent jours35. Bien que Yu Youren n’ait pu étudier avec Liu que pendant un mois, avant que Liu n’aille se mettre au vert pour éviter les foudres du gouvernement, il affirme avoir été profondément influencé par le personnage, et lui-même est considéré comme un représentant important de l’école du Guanzhong.
33Zhu Foguang, ajoute encore Yu Youren, s’efforçait de faire venir des « nouveaux livres » au Shaanxi, où les communications étaient primitives et où les ouvrages circulaient aussi malaisément que les hommes. Yu nous dit que c’est grâce à ces livres que son esprit a commencé de s’ouvrir sur le monde extérieur – mais pas seulement à ceux-là. Il y avait aussi le célèbre périodique du missionnaire presbytérien Young J. Allen, le Wanguo gongbao 萬國公報 (The Globe Magazine, mensuel à cette époque), ainsi qu’une histoire du monde intitulée Wanguo tongjian 萬國通鑑36, que son père, un autodidacte passionné de livres, empruntait à deux missionnaires protestants basés à Sanyuan. La filière missionnaire étant généralement sur-représentée dans les sources occidentales et sous-représentée dans les sources chinoises, le fait que Yu Youren l’évoque ainsi au détour de ses souvenirs suggère qu’elle avait en effet un certain impact, même dans une terre aussi reculée37. C’est que l’attente était forte : Yu Youren parle de ces traductions de philosophie occidentale qui se multipliaient au tournant du siècle et qu’il achetait en espérant y trouver une interprétation satisfaisante de la vie. « Mais, conclut-il, les livres sont les livres, et moi je suis moi, et à la fin du compte je n’ai pas été capable d’en tirer une vision cohérente (dacheng yipian 打成一片), d’établir ma pensée sur un socle solide et de me libérer de mes angoisses intérieures. »
34Il faut donc faire entrer tout cela dans la formation de ce que Yu Youren appelle lui-même sa « pensée révolutionnaire » : l’influence de lettrés anticonformistes et modernistes comme Zhu Foguang, ou de réformistes de l’école du Guanzhong comme Liu Guyu, les publications récentes dont une partie venait des missions protestantes et qui faisaient passer progressivement le « nouveau savoir » dans l’univers intellectuel des lettrés, et enfin l’émergence du nationalisme anti-mandchou, dont il fait remonter l’origine, dans son cas personnel, à une scène très précise de son enfance et dont il affirme qu’il est devenu chez lui réellement virulent après la crise des Boxeurs en 190038. C’est alors que Yu Youren imprime son recueil de poèmes séditieux et se fait photographier les cheveux dénoués et un sabre à la main, avec sur le cliché un distique signifiant en substance : « La liberté ou la mort ! » ; mais tout cela ne l’empêche pas de passer l’examen de la licence en 1903 et de se présenter au doctorat l’année suivante39.
35Yu Youren et Li Yizhi sont des personnalités célèbres au Shaanxi, le premier parce que ses provocations anti-Qing en ont fait une sorte d’ancêtre de la révolution dans la province40 et qu’il est devenu plus tard un des protecteurs du Shaanxi dans l’appareil du Guomindang, le second en raison de ses réalisations prestigieuses comme ingénieur. Mais une quantité d’autres lettrés de la « génération 1911 » au Shaanxi ont été exposés à des influences comparables et ont évolué, eux aussi, chacun à sa façon. N’en mentionnons ici qu’un seul, Guo Xiren 郭希仁 (1881-1923), qui apparaît à tous les détours de notre histoire. Comme Yu Youren, Guo Xiren était un lettré accompli qui avait adhéré à la cause révolutionnaire. Il avait passé l’examen provincial de la licence la même année que lui, en 1903, et plus tard avait étudié à l’Université impériale de Pékin, comme Li Yizhi, avec qui il partageait la modestie des origines et un intérêt précoce pour les mathématiques. En 1909, il devient vice-président de l’Assemblée provinciale du Shaanxi (présidée par le père de Li Yizhi) et adhère clandestinement à la Ligue jurée du Shaanxi, dont il prend la présidence l’année suivante. Il est aux premiers rangs au moment de l’insurrection de 1911 et, à en croire certains témoignages, son sang-froid aurait alors permis d’éviter que la situation ne sombre dans le chaos. Mais il semble avoir été assez vite en désaccord avec le nouveau gouverneur, Zhang Fenghui, et quitte le gouvernement de la province en même temps que d’autres militants de la ligue. Il entreprend alors un voyage d’études en Europe en compagnie de Li Yizhi, qui lui sert d’interprète et qu’il convainc de reprendre ses études en Allemagne en se spécialisant dans l’ingénierie hydraulique. Pendant les dernières années de sa vie (à partir de 1916) il sert le gouvernement militaire du Shaanxi dans diverses capacités, notamment comme responsable du bureau d’éducation entre 1918 et 1920, et, dès 1917, du bureau d’hydraulique – poste dans lequel il ne dispose pour ainsi dire d’aucun moyen d’action mais qu’il conserve dans l’espoir, réalisé peu avant sa mort, de faire revenir Li Yizhi au pays afin que celui-ci restitue sa gloire passée à l’irrigation du Guanzhong avec les moyens de l’ingénierie moderne41.
36Guo Xiren était donc un progressiste convaincu, mais il était en même temps très tourmenté par la décadence du savoir confucéen et par les attaques auxquelles était en butte, au tournant des années 1920, une tradition intellectuelle à laquelle il était passionnément attaché42. Certains auteurs écrivant dans les Wenshi ziliao le ridiculisent en le traitant d’« élément retardataire » et de vieux confucéen collaborant aux entreprises réactionnaires des gouverneurs militaires43. C’est un fait qu’en plusieurs occasions ses initiatives pour restaurer le culte de Confucius ou ressusciter les disciplines classiques ont provoqué des heurts avec les lycéens et les étudiants de Xi’an, à une époque où le slogan du jour, dans les milieux de la « nouvelle culture », était plutôt « À bas Confucius ! » ; si bien qu’en 1920 Guo Xiren finit par démissionner de ses fonctions de chef de l’éducation au Shaanxi44. Il avait lancé à la fin de 1918 une souscription pour restaurer le temple de Confucius à Xi’an – la troupe théâtrale de la Yisushe (la société fondée par le père de Li Yizhi) avait même été mobilisée pour faire de la propagande pour le projet (Hu 1993 : 40)45. Hu Jingyi commençait alors sa longue captivité dans les locaux du gouverneur militaire Chen Shufan, et son journal révèle que non seulement il était en contact fréquent avec Guo Xiren (avec qui il avait combattu côte à côte en 1911 et plus tard, en 1915, dans le mouvement anti-Yuan Shikai) et lui empruntait des ouvrages de philosophie classique, mais que ce dernier ne cessait de le harceler pour qu’il participe à la souscription. Hu Jingyi, qui vit à crédit, ne sait trop que penser et trouve qu’étant donné l’extrême pauvreté qui règne alors à Xi’an et dans toute la région il y a peut-être des dépenses plus urgentes.
37Nous évoquions l’influence diffuse de l’école du Guanzhong sur les réformistes et les révolutionnaires à la fin des Qing et, comme on l’a déjà vu, Hu Jingyi en parle souvent dans son journal. En fait, Hu semble avoir découvert des pans entiers de la culture classique à l’occasion du programme d’études qu’il s’imposait chaque matin pendant sa captivité afin de compléter une éducation qui avait été passablement lacunaire du fait de la vie aventureuse qu’il avait menée jusque-là, sans compter que, contrairement à beaucoup de ses aînés, il n’avait connu que les écoles modernes du Shaanxi et, après la révolution de 1911, les écoles militaires japonaises46. Chez lui comme chez d’autres, la combinaison de ce qu’il faut bien appeler la tradition et la modernité est fascinante à observer. Hu Jingyi a de très bonnes notions d’histoire européenne – par exemple il parle en longueur de Bismarck et de la guerre franco-prussienne –, et, comme il a librement accès à la presse de Shanghai, de Pékin et d’ailleurs, il est très au courant de ce qui se passe dans le monde (le début de sa captivité coïncide avec la victoire des Alliés dans la Première Guerre mondiale). Son nationalisme est républicain sans aucune ambiguïté. Tout de suite après son arrestation, alors qu’il ne sait trop ce qui l’attend et qu’un ami remarque que dans la situation de chaos actuelle on se demande qui voudrait mourir pour qui, il rétorque que, alors que dans un régime despotique on meurt pour le souverain, dans un régime républicain on meurt pour la Constitution, et il exprime la conviction aiguë qu’avec la décadence vertigineuse de la qualité morale des lettrés (shi) depuis la fin des Qing il n’y a que l’imposition d’un principe légal (fa) qui soit capable de sauver la Chine. Et là-dessus il cite Confucius : « Guider avec des lois, maintenir l’ordre avec des châtiments », ce qui, si l’on poursuit la citation, nous renvoie à une conception typiquement chinoise du droit comme outil de cohésion sociale « inévitable » (bu de yi 不得已) (Hu 1993 : 4)47.
38Encore une fois, l’attachement de Hu Jingyi à la république et à la légalité est profond. Il manifeste à plusieurs reprises un grand abattement quand il songe à la façon dont la république a été confisquée par Yuan Shikai et ses successeurs et dont l’héritage constitutionnel de 1911 a été dilapidé, à tel point que les gens en viennent à penser que c’était mieux sous les Qing (e.g. Hu 1993 : 29)48. Sa plus grande crainte, sans cesse exprimée, est que les partisans de la restauration des Qing, qu’il soupçonne le président Xu Shichang 徐世昌de soutenir en secret, ne relèvent la tête. Il affirme aussi à un moment que sa liberté, seul Dieu peut la lui retirer (Hu 1993 : 16). Mais rien de tout cela n’est contradictoire avec le fait que, sur le plan de l’éthique personnelle, des devoirs d’un dirigeant, du souci du bien-être du peuple, dans ses épisodes d’introspection même49, la base de ses « valeurs » est incontestablement chinoise, et semble même le devenir de plus en plus à mesure qu’il avance dans ses lectures de Mencius ou du Zizhi tongjian, et encore plus de Li Yong50. En bref, chez lui comme chez beaucoup de ses camarades, c’est une forme nouvelle, mais chinoise, de citoyenneté qui cherche à s’élaborer dans un monde extrêmement confus.
Tokyo et Baoding
39Le Japon, par lequel Hu Jingyi est passé comme beaucoup d’autres, a certainement joué un rôle important dans l’acclimatation des idées modernes sur la science et la politique au sein des élites progressistes du Shaanxi. Mais il est difficile d’évaluer ce rôle avec précision, tant on a parfois l’impression que les étudiants chinois vivaient entre eux, voire entre natifs d’une même province, et étaient surtout exposés à la propagande de leurs compatriotes exilés, à commencer par celle de Sun Yat-sen et de ses compagnons. En revanche, la liberté relative d’expression dont ils jouissaient dans un environnement qui ne pouvait être que très dépaysant, surtout quand on venait du Shaanxi, la coupure d’avec le milieu éducatif et familial du pays natal, tout cela ne pouvait avoir qu’un effet d’accélération sur l’évolution personnelle de jeunes gens impatients et avides de changement.
40Il convient en fait de distinguer deux étapes dans la « connexion japonaise » en ce qui concerne le Shaanxi. Le nombre de militants ou futurs militants ayant voyagé au Japon avant 1911 (parmi lesquels on compte Yu Youren, Jing Wumu, Guo Xiren, Ru Yuli 茹欲立51 et quelques autres) ne peut avoir été très élevé52, mais les conséquences ont été importantes puisque cette période correspond à la vague des adhésions à la Ligue jurée à partir de 1905, et que ce sont ces nouveaux militants qui ont jeté les racines de la révolution sunyatsénienne parmi les milieux progressistes du Shaanxi. Par contraste, la seconde vague d’étudiants du Shaanxi envoyés à Tokyo immédiatement après la révolution de 1911 aurait compté plus de 200 boursiers d’un seul coup : il s’agissait cette fois d’une politique délibérée adoptée par le gouverneur Zhang Fenghui en 1912, sous la pression des chefs locaux du Parti révolutionnaire. Parmi ces quelque 200 candidats, cornaqués par un responsable du Guomindang, il y aurait eu plusieurs dizaines d’éléments progressistes ayant participé aux événements de 1911 et désireux d’élargir leur horizon à un moment où les perspectives locales paraissaient plutôt sombres. Après avoir été à deux doigts d’interrompre leur périple à Shanghai pour se joindre à la seconde révolution, ils se retrouvent néanmoins à Tokyo – en même temps que Sun Yat-sen. Lorsque celui-ci fonde le nouveau Parti révolutionnaire (Zhonghua gemingdang) à Tokyo en juin 1914, les militants du Shaanxi sont nombreux à le rejoindre, parmi lesquels on compte les noms de plusieurs futurs chefs de l’Armée de pacification nationale, dont nous parlerons plus loin, qui étudient alors dans des écoles militaires japonaises et dont la plupart sont des anciens de la Ligue jurée : Hu Jingyi, Zhang Yi’an, Cao Shiying, pour ne citer que les plus importants (Cai 1993 : 308-309)53.
41Zhang Fenghui lui-même était un représentant éminent de la première génération d’étudiants du Shaanxi envoyés au Japon : grâce à l’excellence de ses résultats à l’Académie militaire (Wubei xuetang 武備學堂) de Xi’an, où il était entré en 1902, ce natif de la ville, fils d’un quincaillier enrichi, avait été sélectionné pour aller étudier la cavalerie à l’Académie militaire de Tokyo (le Shikan gakko- 士官學校). Il en revient en 1909, après avoir discrètement adhéré à la Ligue jurée, pour prendre un commandement à Xi’an. Mais il n’y a pas qu’au Japon que se sont forgées les convictions révolutionnaires et qu’ont été formés les principaux cadres de la Ligue jurée et, plus tard, du Parti révolutionnaire au Shaanxi. La majorité des officiers révolutionnaires de la province impliqués dans les événements de 1911 avaient été formés en Chine même, pour l’essentiel dans les écoles militaires de Baoding, autre foyer notoire de propagande anti-mandchoue : nous avons déjà cité Zhang Fang, et il faudrait y ajouter Chen Shufan et Liu Zhenhua (évoqués plus en détail dans quelques pages), ainsi qu’un des plus ardents propagandistes de la Ligue jurée dans les casernes de Xi’an à la veille de l’insurrection de 1911, un certain Qian Ding 錢鼎, dont la carrière a malheureusement tourné court car il a été tué lors des opérations pour défendre la vallée de la Wei contre les contre-attaques Qing à la fin de la même année.
42Pour en revenir à la connexion japonaise et au démarrage des activités révolutionnaires au Shaanxi en format réel, le premier nom à citer est Jing Wumu 井勿幕 (1888-1918). Lorsque Jing revient de Tokyo en 1908 après avoir été nommé par Sun Yat-sen chef de la branche du Shaanxi de la Ligue jurée (陝西支部部長), il rallie sous cette bannière quelques dizaines de sympathisants locaux, parmi lesquels on note les noms de plusieurs personnages que nous avons déjà rencontrés ou que nous retrouverons : Li Zhongte (l’oncle de Li Yizhi), Hu Jingyi, Guo Xiren, Cao Shiying, etc.54. Dans le groupe d’activistes du Shaanxi que des sources comme les Wenshi ziliao permettent de reconstituer, Jing Wumu et Hu Jingyi, son cadet de quatre ans, sont un peu les enfants prodiges de la révolution : militants pleins d’enthousiasme et d’autorité dès l’adolescence, unanimement décrits comme brillants et audacieux, et morts à peine trentenaires. Jing Wumu est né à Pucheng, comme Li Yizhi et plusieurs autres de nos personnages, et, autant qu’on puisse en juger, plutôt dans une bonne famille, encore qu’appauvrie à cette époque (ses études au Japon seront financées par un parent proche qui exerce les fonctions de préfet à Chongqing). Il a beaucoup bourlingué hors du Shaanxi pendant sa courte vie. Il part étudier au Japon dès 1903, à l’âge de quinze ans, et c’est donc là qu’il rencontre Sun Yat-sen et adhère à la Tongmenghui. Il semble qu’il soit revenu en Chine faire de l’agitation dès avant son retour définitif cinq ans plus tard55. En février 1908 il fonde avec des étudiants originaires du Shaanxi résidant à Tokyo un brûlot anti-Qing appelé Xiasheng 夏聲56. De retour au Shaanxi un peu plus tard, il crée donc le chapitre local de la Ligue jurée et se dépense sans compter pour établir des contacts et créer des alliances avec les forces vives de l’opposition dans la région, c’est-à-dire les sociétés secrètes et les « chevaliers errants » – tâche à laquelle il délègue plusieurs de ses recrues, dont, notoirement, Hu Jingyi.
43La principale société secrète dans la région était la Société des aînés et des anciens (Gelaohui 哥老會), introduite au Shaanxi par les immigrants de Chine centrale arrivés après la famine de Guangxu, et elle semble avoir été particulièrement active au sein de la Nouvelle Armée, où la Ligue jurée avait absolument besoin de son aide pour s’implanter et s’organiser57. L’activité des sociétés secrètes au Guanzhong, qui s’est poursuivie jusque dans les années 1930, est indissociable du banditisme, qui prolifère lui aussi à la faveur des désordres, des calamités naturelles et de la famine pendant la même période (et qui en est en grande partie la conséquence). Les « chevaliers errants » courtisés à la veille de 1911 par Jing Wumu ou Hu Jingyi, et dont le soulèvement sur la rive gauche de la Wei devait servir de signal de départ – mais en fin de compte ce sont les régiments de Xi’an qui ont bougé les premiers –, étaient d’un type particulier : appelés les « sabreurs » (daoke 刀客), ils se distinguaient par le port d’une sorte de sabre effilé particulier à la région ; et s’ils affichaient à l’origine un comportement de bandits d’honneur, attaquant les riches et protégeant les pauvres, pendant et après les événements de 1911 ils ont eu vite fait de verser dans le brigandage incontrôlable.
44Quoi qu’il en soit, Jing Wumu est visiblement à l’aise avec ce genre d’aventuriers n’ayant pas froid aux yeux, qui le changent assurément de lettrés plus posés – même s’ils sont progressistes et ne craignent pas de prendre des risques – comme Li Tongxuan ou Guo Xiren. Li Yizhi raconte dans son autobiographie comment, pendant son bref séjour au pays avant de partir pour l’Allemagne, au printemps 1909, il a passé quelques jours à Pucheng dans la résidence du frère aîné de Jing Wumu – un personnage extrêmement haut en couleur dont la femme était surnommée « la Lionne » –, pendant lesquels « ils s’amusaient comme des fous » (玩著很熱鬧) car les frères Jing étaient passionnés d’arts martiaux et consacraient leurs journées à s’exercer à la lance et au gourdin (Li 1956 : 787)58.
45L’alliance entre la Ligue jurée, la Société des aînés et des anciens et la Nouvelle Armée est consacrée à Xi’an par le fameux serment de la pagode de la Grande Oie, le 9 juillet 1910, impliquant une trentaine de militants qui jurent de renverser les Qing (e.g. Xu 1993 : 206, Zhang 1988 : 139). De fait, les deux pagodes de Xi’an (la Grande et la Petite Oie) semblent avoir été très fréquentées par les conspirateurs, et l’on a parfois l’impression que les auteurs qui en parlent un demi-siècle plus tard tendent à mélanger plusieurs réunions. Pour certains, c’est dès le mois de mai 1908, deux mois après son retour au Shaanxi, que Jing Wumu participe à une réunion à la Pagode avec 36 personnes (parmi lesquelles on note les noms de Li Zhongsan, Dang Zixin, Hu Jingyi, Chen Shufan, tous membres éminents de la « génération 1911 » que nous retrouverons), qui font serment d’accomplir de grandes choses. Ce chiffre de 36 (qui évoque la numérologie du Shuihu zhuan) est associé par d’autres au serment liant les militants de la Ligue jurée et de la Société des aînés et des anciens, dont nous venons de parler et qui est plus tardif (e.g. Cai 1993 : 304). En tout cas, un peu plus tard en 1908, Jing Wumu, Guo Xiren et d’autres organisent en secret un pèlerinage sur la tombe de Huangdi, l’Empereur Jaune, ancêtre supposé de la race chinoise, qui se trouve près de Yan’an, où ils ont convié des camarades venus d’autres provinces et au cours duquel ils prononcent le serment de libérer la Chine des Mandchous et d’instaurer la république.
46L’une des premières initiatives de la nouvelle branche de la Ligue jurée, toujours en 1908, est de créer à Xi’an une École pour renforcer la base (Jianben xuexiao 健本學校) et des Éditions du bien public (Gongyi shuju 公益書局), qui servent de lieux clandestins de rencontre et de propagande. Li Yizhi, pour revenir à lui, ne semble pas avoir été un militant actif du mouvement – il termine à ce moment ses études à Pékin –, mais il est très proche de plusieurs de ses membres et, au minimum, c’est un « compagnon de route »59. C’est notamment par son intermédiaire que Jing Wumu aurait convaincu Guo Xiren de se joindre à la Ligue (Li 1956 : 824-825). Il faut probablement dater cette visite rendue à Guo Xiren pour solliciter son adhésion, au cours de laquelle Li Yizhi lui trouve un air de « lettré fumeux » (yuru 迂儒), que Guo devait bientôt démentir par ses actions, du printemps 1909, car c’est à ce moment que Li Yizhi revient passer deux ou trois mois dans sa province natale, quittée cinq ans plus tôt, entre la fin de ses études à l’Université de Pékin et son départ pour l’Allemagne. Il visite à cette occasion l’École Jianben (dont son oncle Zhongte est un des fondateurs), et là on lui présente un élève particulièrement brillant qui n’est autre que Hu Jingyi, alors âgé de 17 ans60.
La grande divergence
47Tous les personnages évoqués jusqu’ici se sont donc retrouvés au coude à coude pendant les événements de l’automne 1911 – à l’exception toutefois de Li Yizhi, qui était à Berlin, et de Yu Youren, qui était à Shanghai. Nous avons aussi vu qu’une bonne partie des révolutionnaires ont été rapidement écartés du pouvoir à Xi’an, ou s’en sont éloignés. À l’été 1914, Yuan Shikai remplace le gouverneur réformiste Zhang Fenghui par le chef de sa propre police politique, le général Lu Jianzhang 陸建章 (1862-1918), surnommé « le Boucher » en raison du nombre de révolutionnaires exécutés sous son autorité. Les militants progressistes du Shaanxi sont obligés de se terrer (e.g. Zhang 1986 : 90-92). Mais Lu Jianzhang va subir les conséquences de son impopularité, qui tient autant à ses exactions envers les populations qu’à sa volonté de réduire l’influence des cadres civils et militaires originaires de la province et à son soutien au projet de restauration impériale de Yuan Shikai : au mois de mai 1916 il est de facto expulsé du Shaanxi à la suite de la capture de son fils par des mutins61.
48Or, le Shaanxi va être une province très disputée pendant les années du conflit entre le Nord et le Sud entraîné par la confiscation du pouvoir central par le premier ministre Duan Qirui et la clique de l’Anhui après la mort de Yuan Shikai, l’élimination du président de la république Li Yuanhong et du Parlement, et enfin l’installation du gouvernement militaire de Sun Yat-sen à Canton à l’été 1917. Ce conflit se poursuivra de diverses façons jusqu’en 1927, et même au-delà, mais jusqu’à la fin de 1921 la ligne de front entre les militaristes du Nord et les « protecteurs de la Constitution » (hufa) basés au Sud passe littéralement (et militairement) par la plaine du Guanzhong. Nos militants de 1911 se retrouvent de part et d’autre de cette ligne de front, et comme nous le verrons ils la franchissent assez souvent, dans un sens comme dans l’autre.
49À l’origine du conflit au Guanzhong, il y a ce qu’on pourrait appeler le « retournement » de Chen Shufan. Général de brigade dans l’armée du Shaanxi, Chen avait été chargé par Lu Jianzhang d’« éradiquer les bandits » au nord de la Wei, mais il gardait en même temps le contact avec ses anciens camarades révolutionnaires ; et, quand Lu Jianzhang est contraint de négocier la libération de son fils contre son départ du Shaanxi, et que Chen adhère solennellement au mouvement de « protection de l’État » (huguo) lancé par les provinces du Sud-Ouest contre les visées impériales de Yuan Shikai et proclame l’indépendance du Shaanxi, l’espoir est grand parmi les progressistes de la province de voir enfin celle-ci retourner dans le giron révolutionnaire. Or, dès le lendemain de la mort de Yuan Shikai, Chen Shufan « révèle son vrai visage » (Zhang 1986 : 194). Il revient sur l’indépendance du Shaanxi et se place sous la protection du Premier ministre Duan Qirui, le chef de la clique du Anhui, en échange du poste de gouverneur militaire62 ; et il reste bien entendu du côté de Duan après la dissolution du Parlement en juin 1917 et la retraite forcée de Li Yuanhong. Le mécontentement causé parmi certains de ses subordonnés va conduire à la dissidence dite de l’Armée de pacification nationale (Jingguojun 靖國軍), laquelle sera en quelque sorte récupérée par l’organisation de Sun Yat-sen et par le mouvement pour la « protection de la Constitution » (hufa) dont il a pris la tête63.
50Le représentant sur place de Sun Yat-sen pendant presque toute la durée du conflit – de mai 1918 à mai 1922 – est Yu Youren, et une bonne partie de la littérature consacrée à la Jingguojun suggère une opposition irréconciliable entre les forces de la révolution et celles de la réaction, symbolisées respectivement par Yu Youren et Chen Shufan. Face à Yu, le sunyatséniste idéaliste et intransigeant, Chen campe l’archétype du seigneur de la guerre réactionnaire, borné, rapace et manœuvrier, qui pourchasse les progressistes et écrase le peuple d’impôts et de réquisitions (nous avons mentionné son ardeur à promouvoir la culture du pavot). Or, même si Chen Shufan ne semble pas avoir été un personnage très ragoûtant, les choses sont loin d’être aussi tranchées64. Déjà, si l’on en croit le témoignage de Zhang Fang, en 1917 le nouvel homme fort du Shaanxi se posait encore des questions – ou tout au moins il continuait de garder ses options ouvertes. Il avait fait venir l’un après l’autre à Xi’an trois anciens participants importants de la révolution de 1911 pour « discuter de l’avenir » : Yu Youren (qui n’était pas physiquement présent au Shaanxi en 1911 mais était un des inspirateurs du mouvement révolutionnaire dans la province65), l’ancien gouverneur Zhang Fenghui, et lui-même, Zhang Fang. Les trois hommes entretenaient encore l’espoir de faire revenir Chen Shufan à de meilleurs sentiments en mettant en exergue leur passé commun d’« hommes du parti du peuple » (mindangren)66 et de créer une base révolutionnaire dans le Nord-Ouest – un rêve longtemps caressé par divers leaders de la région ainsi que par Sun Yat-sen luimême67. Yu Youren, qui agissait plus ou moins comme porte-parole de ce dernier, semble être resté à Xi’an un certain temps pour essayer d’influencer Chen Shufan, mais au milieu d’août 1917, convaincu qu’il n’y a rien à en espérer, il retourne à Shanghai (Zhang 1986 : 149-152)68.
L’Armée de Pacification nationale
51Le conflit éclate donc. Sans entrer dans les détails d’une histoire extrêmement compliquée, et sur laquelle les nombreux récits et témoignages dont nous disposons ne sont pas sans contradictions69, rappelons simplement que l’affrontement est parti d’une coalition lâche d’officiers généralement qualifiés de dangren 黨人 dans la littérature postérieure, qui en ont contre leur supérieur, Chen Shufan, soit parce qu’il tend à promouvoir les gens du Sud-Shaanxi (dont il est originaire) au détriment des anciens officiers révolutionnaires du Guanzhong, qu’il considère comme des Jeunes-Turcs (Hu Jingyi en est le meilleur exemple), soit en raison d’un conflit personnel, comme avant tout Guo Jian 郭堅70, soit pour des raisons plus purement politiques, comme Gao Jun 高峻71 et surtout Geng Zhi 耿直. Ce dernier a été nommé par Chen Shufan chef des forces de sécurité à Xi’an en remplacement de Guo Jian, ce qui ne l’a pas empêché d’envoyer secrètement à Canton un de ses subordonnés rencontrer Sun Yat-sen, qui vient d’y installer son gouvernement militaire et qui décerne au modeste Geng Zhi l’un de ces titres ronflants dont il avait le secret : « Commissaire de l’Armée de pacification nationale du Shaanxi chargé de rallier et de subjuguer » (Shaanxi Jingguojun zhaotaoshi 陝西靖國軍招討使)72. Geng Zhi et ses complices s’emparent d’un convoi d’armes en route pour le Xinjiang, puis complotent une tentative d’assassinat de Chen dans son palais en décembre 1917, suivie d’une insurrection en ville ; mais Geng est contraint de se retirer de Xi’an avec ses forces, rejoint Guo Jian, et c’est alors qu’ils fondent la Jingguojun (Dang et al. 1962, Wang 1984 : 9-12).
52Mais le mouvement ne sera réellement lancé au nord de la Wei qu’un peu plus tard, après que Geng Zhi a été tué au cours d’un assaut infructueux sur Pucheng. La ville était défendue par une force dépendant de Hu Jingyi : or, ce dernier joue pendant un certain temps un double jeu, participant mollement à la répression sur les ordres de Chen Shufan – qui se méfie de lui – dans cette même région de Pucheng, Fuping et Sanyuan, tout en prenant des contacts avec les rebelles, notamment avec Cao Shiying 曹世英, autre vétéran de la camaraderie révolutionnaire au Shaanxi. Lorsque le 25 janvier 1918 Zhang Yi’an 張義安 – lui aussi officier révolutionnaire de 1911, compatriote et vieux compagnon de Hu Jingyi, avec qui il est allé au Japon et sous les ordres duquel il sert à ce moment – se mutine à Sanyuan en compagnie de Deng Baoshan 鄧寶珊 (1894-1968), Hu Jingyi saute le pas. Deux jours plus tard, il fonde l’Armée de pacification nationale du Shaanxi (Shaanxi Jingguojun) avec Cao et Zhang, et ils expédient sans tarder une circulaire télégraphique dénonçant Chen Shufan à la face de la Chine. La « rébellion de Sanyuan » (Sanyuan qiyi) a évidemment joué un rôle déclencheur, car une pléiade de chefs militaires aux parcours extrêmement variés (dont Guo Jian et Gao Jun) viennent se joindre avec leurs hommes aux insurgés, et Xi’an se retrouve bientôt attaquée de plusieurs côtés par les forces de la nouvelle Armée de pacification nationale73.
53Le coup avait été soigneusement préparé par Zhang Yi’an (il avait même fait couper les fils téléphoniques), mais là encore on peut voir à quel point oppositions et alliances restaient en permanence sujettes à renégociation à l’intérieur de ce petit monde qui avait participé aux mêmes combats quelques années plus tôt. Quand il apprend la nouvelle, Chen Shufan envoie Guo Xiren sur la rive nord de la Wei pour tenter de négocier (suivant les auteurs, Guo se fait fraîchement accueillir par les chefs de la Jingguojun, dont plusieurs sont ses anciens camarades de la Ligue jurée, ou au contraire est reçu avec tous les honneurs) ; et comme les autres refusent de revenir en arrière il fait une scène à Hu Jingyi et Cao Shiying au téléphone74 avant d’envoyer ses troupes réprimer la mutinerie. Mais elles sont repoussées, et les rebelles réussissent à s’emparer de Jingyang, qui est confiée à un certain Tian Yujie 田玉潔 (également connu sous son nom social, Runchu 潤初) ; et ils franchissent sans plus tarder la Wei pour lancer leur assaut contre Xi’an.
54Tian Yujie (1886-1928), soit dit en passant, occupe une position intéressante dans le dispositif militaire extrêmement poreux qui se met alors en place. Il était originaire de Fuping, comme Hu Jingyi, dont il était un des fidèles lieutenants, mais à en croire plusieurs témoignages son amitié avec Hu ne l’empêchait pas de rester proche de Chen Shufan, avec qui il communiquait par téléphone depuis Jingyang, si bien que l’information circulait vite d’un côté à l’autre du « front » de la Wei75. C’est ainsi que Chen aurait appris que la Jingguojun était en train de s’organiser rapidement, qu’il aurait pris peur, qu’il aurait fait appel à son protecteur Duan Qirui, pour avoir du secours, et que Duan aurait envoyé à la rescousse un seigneur de la guerre basé dans l’ouest du Henan, Liu Zhenhua 劉鎮華, avec les conséquences que nous évoquerons plus loin. En outre, pendant les années où la vallée de la Wei reste grosso modo divisée entre la rive nord (contrôlée par la Jingguojun) et la rive sud (contrôlée par les autorités de Xi’an) – soit jusque vers la fin de 1921 –, non seulement Tian Yujie continuait de proclamer qu’il n’était pas contre Chen Shufan, mais il semble être resté quasi indépendant dans son fief de Jingyang, où il laissait circuler les marchands et les voyageurs en route pour Xi’an mais bloquait le passage des troupes de son propre camp, à l’exception de celles de son mentor Hu Jingyi, coupant en quelque sorte en deux le territoire de la Jingguojun entre son quartier général de Sanyuan, à l’est, et ses forces basées plus loin à l’ouest, et obligeant les uns et les autres à faire le détour par les montagnes au nord du Weibei pour communiquer76.

Deng Baoshan, Zhang Yi’an et Yang Hucheng au moment de la fondation de la Jingguojun en 1918
55L’entrée au Guanzhong des forces du redoutable Liu Zhenhua change notablement la donne, et en même temps elle nous introduit à un tout autre type de personnage parmi les protagonistes de la révolution de 1911. Comme Zhang Fang, avec qui il semble n’avoir jamais perdu le contact, même quand ils combattaient dans des camps opposés77, Liu Zhenhua (1882-1956) était originaire des régions montagneuses de l’ouest du Henan. Zhang affirme avoir lui-même réorganisé la troupe de bandits henanais qu’il avait eue sous ses ordres au moment des combats contre les Qing pour la confier ensuite à Liu Zhenhua, avec la bénédiction de Yuan Shikai. Ces bandits henanais étaient devenus le noyau de la Zhensongjun 鎮嵩軍, l’armée personnelle de Liu (nommée d’après le massif du Songshan 嵩山, situé au milieu de sa zone d’influence) (Zhang 1986 : 144, 227, 246)78. Liu Zhenhua, qui était un ancien lettré (il était devenu « bachelier » en 1903), était passé par Baoding comme Zhang Fang, mais il n’avait pas cherché à faire carrière dans l’armée et, au moment de la chute des Qing, il était employé dans une école moderne au Henan79. Mais militaire, et même militariste, il l’est ensuite devenu : dès le lendemain de la révolution de 1911 nous le retrouvons avec tous les attributs typiques du seigneur de la guerre au petit pied, exclusivement voué au renforcement de son armée et à la préservation du territoire qu’il contrôle et dont il extrait tous les revenus qu’il peut, sans même ces proclamations patriotiques et anti-impérialistes et ces projets de réunifier le pays qui peuplaient les discours de ses collègues de plus haute stature – Duan Qirui, Wu Peifu, Feng Yuxiang et les autres.
56Tous les témoignages s’accordent pour décrire Liu Zhenhua comme ambitieux, cruel, rapace, manipulateur, et surtout très opportuniste, ce qui lui a permis de cultiver tour à tour toutes les cliques de militaristes susceptibles d’avancer ses affaires, d’occuper les fonctions de gouverneur du Shaanxi pendant plus de cinq ans, et de se retrouver en fin de parcours général du Guomindang alors qu’il avait combattu dans le camp opposé tant que celui-ci semblait pouvoir l’emporter (Mi 1963, Zhang 1986 : 226-238, Liu 1994 : 178-179)80. Or, Liu avait lui aussi un passé de révolutionnaire. Zhang Fang le cite comme membre du chapitre henanais de la Ligue jurée en 1908 et évoque une réunion secrète avec des collègues de la Ligue à laquelle lui-même et Liu Zhenhua participent pendant les vacances d’été de la même année. À cette occasion ils jettent plus ou moins les bases de la future coopération révolutionnaire entre le Henan et le Shaanxi, qui restera un thème important et récurrent jusqu’en 1930 (Zhang 1986 : 41). En outre Liu avait participé aux événements de 1911, et ceux qui comme Zhang Fang espèrent ressusciter l’alliance révolutionnaire du Henan et du Shaanxi lui accorderont toujours une place importante dans leurs plans81.
57Pour en revenir à notre récit, Liu Zhenhua et la troupe de Henanais qu’il emmène avec lui, qui ne semble pas alors avoir dépassé les 5 000 hommes (Mi 1963)82, aident les forces locales à mettre en difficulté la Jingguojun. Hu Jingyi, qui parmi ses collègues possédait à l’évidence la meilleure intelligence stratégique, sent que l’assaut contre Xi’an est en train de mal tourner et tente en vain de convaincre Zhang Yi’an de se replier ; Zhang finit par se décider, mais trop tard : il est tué pendant une contre-attaque des forces loyalistes. Il n’a que 25 ans. Pendant la période de désarroi qui suit, et alors que les forces de Xi’an ont repris l’offensive, Hu Jingyi et plusieurs de ses collègues décident d’envoyer des émissaires à Shanghai demander à Yu Youren de venir prendre la tête de l’Armée de pacification nationale83.
58Et c’est en effet ce que fait Yu Youren, avec les encouragements de Sun Yat-sen. Il parvient à Sanyuan en mai 1918 par des routes détournées84. Dans le serment qu’il prononce devant ses camarades au moment de prendre ses fonctions de chef suprême (zongsiling 總司令) de la Jingguojun il se définit comme un membre du Parti révolutionnaire (gemingdang ren), promet de partager joies et peines avec ses camarades pour sauver aussi bien la Chine (jiu guojia 救國家) que leur province natale (jiu sangzi 救桑梓), et affirme qu’il leur apporte, sinon des armes et des munitions, du moins l’esprit révolutionnaire du « Président » (zongli geming jingshen 總理革命精神), capable de venir à bout de tous les pouvoirs si on s’en pénètre avec sincérité…
59Yu Youren, qui était considéré comme un aîné en révolution par les dissidents de la Jingguojun, doit avoir disposé d’une indéniable autorité car, dans un premier temps au moins, il a incontestablement remis de l’ordre dans la maison. Le principal problème affronté par les insurgés était l’hétérogénéité des forces qui participaient au mouvement, ainsi que l’esprit d’indépendance et l’indiscipline des militaristes qui les commandaient. Yu Youren et Zhang Fang réorganisent l’ensemble en six « routes » (lu 路), qui correspondent en fait aux chefs de guerre qui s’étaient fédérés avant leur arrivée, avec chacune son quartier général et un certain nombre de régiments sous son autorité, et coiffées par un grand quartier général comportant tous les services nécessaires, basé à Sanyuan85. Mais les problèmes demeurent, ou plutôt ils refont d’autant plus rapidement surface que la Jingguojun est confrontée à une pression militaire et à des difficultés économiques extrêmes. Au début d’un article consacré à Yang Hucheng 楊虎城 (1883-1949)86, Sun Weiru, l’un de ses anciens lieutenants, brosse un tableau peu édifiant du caractère hétérogène de la Jingguojun et du jeu personnel pratiqué par chacun, tout en admettant que cette troupe indisciplinée a joué un rôle « objectivement progressiste » (Sun 1962). À l’en croire, 1) la 1re « route », dans l’ouest du Guanzhong, commandée par Guo Jian, était surtout composée de « sabreurs », ces bandits à prétentions chevaleresques que nous avons déjà mentionnés ; 2) les effectifs de la 2e « route », dont le commandant était Fan Zhongxiu 樊鍾秀, étaient essentiellement composés de bandits locaux (tufei) originaires du Henan87 ; 3) en revanche la 3e « route », celle de Cao Shiying, était la plus politique de toutes, ses cadres étant d’anciens adhérents de la Ligue jurée et d’anciens étudiants ayant milité contre Yuan Shikai ; 4) la 4e « route », celle de Hu Jingyi, était en fait la seule véritable armée régulière, issue des forces provinciales de Chen Shufan au moment où Hu avait fait sécession ; 5) Gao Jun (la 5e « route ») était à la tête d’anciennes milices paysannes ; 6) enfin, la 6e « route » était composée de cavaliers mongols venus du Suiyuan, très craints des populations du Guanzhong, placés sous le commandement d’un certain Lu Zhankui 盧占魁.
60D’autres sources suggèrent de nuancer certaines de ces appréciations, mais Sun Weiru n’est certainement pas le seul à affirmer que l’unité de l’Armée de pacification nationale du Shaanxi placée sous Yu Youren n’était qu’une illusion, et que ladite armée a causé « pas peu de dommages » aux populations du Guanzhong. De l’aveu de plusieurs anciens officiers de la Jingguojun s’exprimant dans les Wenshi ziliao quelque quarante ans plus tard, le militarisme local, dont la région a terriblement souffert pendant la plus grande partie de la décennie 1920, trouve son origine dans l’indiscipline de cette armée supposément progressiste, fondée en effet par les révolutionnaires de la « génération 1911 », dans sa fragmentation en plusieurs divisions commandées par des chefs jaloux de leur indépendance et souvent sans aucune conscience politique, et dans la façon dont les troupes vivaient sur le pays et accaparaient toutes les ressources alors même que la zone contrôlée par la Jingguojun était en état de blocus, sans parler de l’impact de la famine de 1920-1921. En fin de compte l’Armée de pacification nationale aura été une pépinière de petits seigneurs de la guerre défendant chacun son fief, ne répondant à aucune autorité et mettant le pays en coupe réglée.
61À ce sujet, l’on ne peut s’empêcher de penser aux manifestations de mauvaise conscience tellement fréquentes dans le Journal de Hu Jingyi chaque fois qu’il évoque les exactions et les pillages auxquels a été et continue d’être en butte la population, dont les souffrances semblent être pour lui la condamnation ultime de ses propres actions, et à son obsession de la discipline militaire. Il affirme à maintes reprises que sa propre popularité (dont il se plaît à relever çà et là les manifestations spontanées88) et le respect accordé à son commandement s’expliquent par le comportement discipliné et professionnel qu’il a su imposer à ses troupes. Le 8 octobre 1918, par exemple, soit moins d’un an après les premiers mouvements de rébellion contre Chen Shufan, il écrit : « Depuis le soulèvement au nord de la rivière Wei, les gens ont dû endurer autant les pillages des troupes régulières (guanbing) que ceux des bandits locaux (…). Les souffrances endurées par le peuple, je ne les aurais pas imaginées au départ, c’est lamentable… » (Hu 1993 : 7)89.
62Ces regrets sont un peu tardifs. Moins de trois semaines plus tôt, alors que les forces de la Jingguojun réorganisée s’apprêtaient à franchir la Wei pour aller attaquer Xi’an, Hu Jingyi s’est laissé attirer dans une bourgade de la rive gauche pour négocier avec un certain Jiang Hongmo 姜宏模 – encore un vieux compagnon –, l’officier commandant la localité, qu’il espérait gagner à la cause de la Jingguojun en jouant de leur vieille amitié mais qui, le moment venu, s’empare de lui et le livre à Chen Shufan90. Là commence donc l’étrange et plutôt confortable captivité de Hu Jingyi, dont nous pouvons suivre le déroulement pour ainsi dire au jour le jour grâce au journal qu’il tient pendant ces deux ans.
63Le moindre intérêt du document n’est pas de montrer à quel point tout le monde restait en contact de part et d’autre du « front » – en personne ou par visiteurs interposés, par courrier, par télégraphe, voire par téléphone –, y compris le « prisonnier » Hu Jingyi, au moins pendant la première moitié de sa captivité (Chen Shufan tend à restreindre ses contacts avec l’extérieur à partir de décembre 1919). Bien qu’en principe consigné à l’étage dans un pavillon situé à l’angle de la résidence du gouverneur militaire, sous la responsabilité directe de son chef d’état-major et avec une garde au rez-de-chaussée, Hu Jingyi jouit d’une indéniable liberté de mouvement, il reçoit de nombreux visiteurs, dont certains arrivent du territoire « ennemi », il peut discuter librement avec ses gardiens et aller voir les fonctionnaires et les officiers de Chen Shufan dans leurs bureaux, et il est au courant de tous les mouvements de troupe et de tous les combats dans la province. Il lui est possible non seulement de correspondre avec sa famille, mais encore (en prenant certaines précautions) d’envoyer des instructions à ses anciens subordonnés91. Enfin, il a de fréquents contacts avec son « hôte », sur le comportement duquel il émet de sérieuses réserves – il le connaît bien : c’est sous ses ordres qu’il a commencé sa carrière d’officier après son retour du Japon en 191492 –, mais qu’il serait prêt à servir si seulement il était moins obstiné et acceptait de changer de ligne, d’arrêter ce combat fratricide, de retrouver la confiance de ses anciens camarades et de prendre la tête d’un Shaanxi indépendant allié avec les forces progressistes du pays : c’est ce qu’il répète jusqu’au dernier jour dans son journal93.
64Mais la Jingguojun est privée d’un de ses chefs les plus brillants, et elle va en perdre un autre quelques semaines plus tard en la personne de Jing Wumu, le fondateur de la Ligue jurée au Shaanxi. Au moment de la capture de Hu Jingyi, Jing Wumu, qui l’année précédente avait été nommé préfet du Guanzhong (Guanzhong daoyin 關中道尹) par Chen Shufan, avait depuis démissionné et était en résidence surveillée (Wang 1984 : 7, 24) ; Chen, ayant donc pris Hu Jingyi en otage, avait eu l’idée d’envoyer Jing au Nord de la Wei négocier un accord avec ses (ou plutôt, leurs) anciens camarades en garantissant en échange la sécurité de Hu. Or, arrivé à Sanyuan, Jing s’était rallié à Yu Youren, qui l’avait aussitôt nommé commandant en chef opérationnel (zongzhihui 總指揮)94. Le 21 novembre 1918, au cours d’un déplacement dans l’ouest du Guanzhong pour coordonner une attaque générale sur Xi’an, Jing Humu est à son tour attiré dans un traquenard, cette fois par un lieutenant de Guo Jian nommé Li Dongcai 李棟材, qui le fait abattre et décapiter et va ensuite offrir ses services à Chen Shufan en lui portant sa tête, ce qui – à en croire au moins certaines sources – aurait suscité la fureur de Chen : si pour lui Jing était à ce moment un adversaire, il restait surtout un ancien compagnon d’armes (Zhang 1986 : 47-49)95. L’assassinat de Jing Wumu survient à un moment où la Jingguojun avait retrouvé le moral, était en train de se positionner pour une attaque générale contre Xi’an par l’ouest, et avait reçu le renfort d’une Armée de pacification nationale du Yunnan commandée par un certainYe Quan 葉荃, qui était venu à la rescousse via le Sichuan96. La nouvelle démoralise tout le monde et la Jingguojun est de nouveau repoussée au nord de la Wei, d’autant que l’arrivée des renforts envoyés par Duan Qirui depuis diverses provinces pour aider Chen Shufan la met sérieusement sur la défensive.
65Au moment de la mort de Jing Wumu, en effet, le conflit du Shaanxi est en train de prendre une dimension nationale. Le nouveau président de la république, Xu Shichang, cherche à mettre sur pied une « conférence de paix » entre le nord et le sud du pays, qui doit se tenir à Shanghai et pour laquelle les négociations préliminaires ont commencé au début novembre 191897. En principe les hostilités entre le Sud et le Nord ont été suspendues dès ce même mois de novembre, mais, pour les représentants du Nord, les troupes de Yu Youren ne sont que des « bandits locaux », non des combattants réguliers (minjun 民軍) : il est donc légitime d’envoyer des troupes des coalitions du Zhili et du Fengtian pour « anéantir les bandits » (jiaofei 剿匪, comme le Premier ministre Duan Qirui, soucieux de présenter un fait accompli au moment où les pourparlers de paix s’engageront pour de bon, a entrepris de le faire sans attendre. Si elles ne l’anéantissent pas, les armées envoyées depuis plusieurs provinces (le Fengtian, le Zhili, le Shaanxi, le Gansu et le Sichuan) et placées sous le haut commandement d’un général de l’armée du Fengtian, Xu Lanzhou 許蘭洲, qui a établi son quartier général à Xingping, à l’ouest de Xi’an, ne mettent pas moins l’enclave révolutionnaire dirigée par Yu Youren dans les plus grandes difficultés, lui reprenant de nombreux districts et la soumettant à un quasi-blocus alors même qu’elle manque dramatiquement d’armes et d’approvisionnements98. Une mission de conciliation sera néanmoins envoyée au Shaanxi depuis Shanghai, avec pour objectif d’arrêter les combats et de délimiter une frontière stable entre le gouvernement de Xi’an et ses adversaires de la Jingguojun, mais elle échoue complètement en raison de l’intransigeance des révolutionnaires, lesquels s’estiment défavorisés par l’arbitrage proposé99.
Stabilisation et construction
66En fait, si la guerre continue de faire rage dans le Guanzhong pendant les « pourparlers de paix »100, la situation de la Jingguojun va finalement se stabiliser à la suite de tractations entre ses chefs et Xu Lanzhou, qui nourrissait apparemment l’ambition de prendre la place de Chen Shufan. La 1re et la 2e « routes » sont incorporées aux forces du Fengtian commandées par Xu avec l’assentiment de Yu Youren et Zhang Fang101, et une sorte de modus vivendi s’instaure. Mais la Jingguojun a perdu non seulement deux de ses « routes », mais en fait tous ses territoires dans l’ouest du Guanzhong : elle se retrouve réduite à une dizaine de districts dans la région du Weibei, et plus isolée que jamais102.
67Or, c’est pendant cette phase de relatif repli, à partir de l’été 1919 et jusqu’à sa dissolution à peu près deux ans plus tard, que le régime dissident de Yu Youren entreprend de mettre en œuvre certaines politiques réformatrices sur le territoire qu’il contrôle encore. Cai Pingfan est à notre connaissance l’auteur qui en parle le plus systématiquement, encore que chez lui l’enthousiasme intact de l’ancien militant tende visiblement à présenter les choses de façon très optimiste (Cai 1993 : 332-336). Déjà, il est difficile d’apprécier à quel degré l’enclave révolutionnaire du nord de la Wei a attiré – comme il n’est d’ailleurs pas le seul à l’affirmer – des militants progressistes de toutes les provinces du Nord (des « hommes libres défendant la juste cause », zhuzhang zhengyi zhi ziyou renshi 主張正義之自由人士), dégoûtés par la corruption du gouvernement et par les exactions des seigneurs de la guerre et soucieux de mettre leurs talents au service de Yu Youren et de ses projets. C’est surtout dans le domaine de l’éducation et de la culture que des initiatives concrètes semblent avoir été prises, et, de fait, plusieurs sources nous parlent de ces étudiants idéalistes venus des grandes villes de la côte, où le mouvement du 4-Mai était en plein essor, voire du Japon, pour offrir leurs services103. L’éducation de masse, dont on a vu plus haut que c’était un des domaines de prédilection des lettrés progressistes influencés par l’école du Guanzhong, est restaurée et développée, on crée des écoles secondaires, ainsi qu’une École normale du Weibei, un Centre d’études sur l’autonomie locale (Difang zizhi jiangxisuo), une Société d’études savantes (Xueshu yanjiuhui) enseignant les théories de Sun Yat-sen et les problèmes internationaux, et l’on importe livres et revues104. Même les chefs des différentes « routes », dont les troupes sont sous-équipées et sous-payées, auraient été finalement convaincus que ce n’étaient pas là des dépenses inutiles, d’autant qu’un réseau d’écoles militaires est également mis en place. D’après d’autres sources, Yu Youren aurait aussi organisé des spectacles pour « améliorer les coutumes » (yifeng yisu 移風易俗), ce qui a toujours été l’ambition affichée des intellectuels et des fonctionnaires chinois dans les campagnes. Et la démocratie aurait fait de notables progrès grâce à la convocation à Sanyuan d’une Assemblée provinciale provisoire du Shaanxi (Shaanxi linshi sheng yihui 陝西臨時省議), à laquelle se seraient joints plusieurs membres de l’assemblée fantoche et manipulée qui était en place à Xi’an.
68Enfin, les autorités de Sanyuan décident de lancer un vaste programme d’irrigation, pour lequel elles créent un Comité d’hydraulique du Weibei (Weibei shuili weiyuanhui 渭北水利委員會) et un Bureau d’ingénierie hydraulique pour le Weibei (Weibei shuili gongchengju 工程局), l’un et l’autre basés à Sanyuan, le second ayant pour mission de réaliser les projets élaborés par le premier. Presque toutes les sources rédigées a posteriori affirment que Yu Youren invite son vieux compagnon Li Yizhi à revenir au pays pour diriger les travaux. La situation alimentaire sur le territoire de la Jingguojun était d’autant plus difficile que, en sus des besoins des armées et de la difficulté des communications, toute la région avait souffert de la grande sécheresse de Chine du Nord entre l’automne 1919 et l’été 1920105 : il s’agissait donc, de façon classique, d’améliorer le sort des populations en créant des infrastructures qui augmenteraient la productivité de l’agriculture et réduiraient l’impact des futures sécheresses. Certaines sources précisent que des secours ont pu être distribués un peu partout grâce à des aides sollicitées hors de la province auprès de divers organismes philanthropiques, et que le projet hydraulique a été mis sur pied avec les surplus non utilisés de ces aides106.
69Il est à vrai dire extrêmement difficile de se faire une idée du succès réel de toutes ces initiatives et, déjà, de savoir quand exactement elles ont été prises, et par qui. Les biographes de Yu Youren, ainsi que le texte de Cai Pingfan (revu par Yu Youren à la fin de sa vie), présentent Yu comme étant à l’origine de tout et ayant imposé ses vues avec une autorité que personne ne songeait à lui contester107. Or, dans son épitaphe composée en 1925 pour Hu Jingyi, Yu Youren lui-même date toutes ces réformes d’après le retour de Hu Jingyi en juillet 1920, et il lui en attribue tout le mérite (Hu 1993 : 371-373). (Chen Shufan avait libéré Hu Jingyi dès qu’il avait senti sa position menacée en raison de la défaite de ses protecteurs de la clique du Anhui aux mains des forces de la clique du Zhili : soucieux de se poser en homme de rassemblement et découvrant soudain les vertus de l’autonomie locale, il renvoie Hu à Sanyuan, où ce dernier est aussitôt réinstauré dans ses fonctions de commandant en chef opérationnel108.) De même, le biographe de Hu Jingyi affirme qu’après son retour à Sanyuan celui-ci non seulement réorganise l’armée, mais encore s’occupe de reconstruction, fonde de nombreuses écoles, invite Li Yizhi à venir travailler à la rénovation de l’irrigation du Weibei, et pour faire bonne mesure il ajoute que toutes ces initiatives, où le nom de Yu Youren n’apparaît jamais, ont valu à Hu les félicitations de Sun Yat-sen (Xu 1993 : 210) !
70Tout cela est en fait assez vraisemblable : selon plusieurs témoignages, par ailleurs très admiratifs pour Yu Youren, ce dernier était sans doute un grand poète et un grand calligraphe, et une autorité morale, mais il ne dominait pas vraiment les problèmes administratifs et militaires, alors que Hu Jingyi était indéniablement un organisateur et un homme d’action (e.g. Zhang 1986 : 209). On nous dit aussi qu’à la fin de 1920 – après le retour de Hu Jingyi –, comme il n’arrivait plus à se faire obéir et que la situation se dégradait, Yu Youren serait allé se réfugier pendant l’hiver au Yaowang shan 藥王山, à Yaoxian (au nord de la zone du Weibei), pour écrire des poèmes, et qu’il n’aurait mis un terme à cette bouderie qu’en février 1921, à la demande insistante de ses généraux (Liu 1981 : 43-44, Zhang 1986 : 207). Cet épisode semble pour le moins contradictoire avec l’image démiurgique du sage qui fait plier tout le monde et guide la société du Weibei sur le chemin de la modernité, comme cherchent à la faire passer d’autres auteurs (ou parfois les mêmes).
71Mais ce sont surtout les circonstances du retour de Li Yizhi au Shaanxi qui suscitent des doutes sur le rôle réel de Yu Youren. On l’a vu, la quasi-totalité des témoignages et des histoires consacrés à Yu Youren et à la Jingguojun associent le nom de Li Yizhi au projet d’irrigation conçu par Yu et font de lui, en quelque sorte, un compagnon venu apporter son expertise technique à l’entreprise révolutionnaire109. Or, l’examen attentif des sources, et notamment des textes de Li Yizhi lui-même, permet d’établir sans ambiguïté que Li Yizhi ne s’est décidé à revenir au Shaanxi, assisté par deux collègues (ses anciens élèves), qu’à l’été 1922, une fois l’ordre revenu et alors que les derniers feux de la dissidence sunyatséniste s’étaient éteints. Dans les textes où il évoque lui-même les sollicitations dont il était l’objet à Nankin, le nom de Yu Youren n’est même pas prononcé ; ceux qui l’ont invité, par lettre, par télégramme ou en allant le voir à Nankin, et qui l’ont finalement décidé, ce sont Hu Jingyi et son lieutenant Li Zhongsan110 (passés dans l’orbite des militaristes de la clique du Zhili depuis septembre 1921), son vieux compagnon Guo Xiren (employé du régime de Liu Zhenhua), et le gouverneur Liu Zhenhua en personne. L’hypothèse la plus vraisemblable est que le Comité d’hydraulique du Weibei a été créé par Hu Jingyi – reprenant peut-être une idée de Yu Youren – et confié à son adjoint Li Zhongsan à la fin de 1921 ou au début de 1922, alors que la famine était terminée, et que cela s’est fait en liaison avec les autorités de Xi’an, dont il était désormais un allié, et avec les représentants locaux des organismes philanthropiques extérieurs à la province auprès desquels on pouvait solliciter des aides. En effet, lorsqu’il évoque cette création Li Yizhi ajoute que les fonds – le reliquat de secours déjà mentionné, qui se montait à 140 000 dollars – étaient conservés par la Huayang yizhenhui 華洋義賑會, autrement dit la branche provinciale de la China International Famine Relief Commission (CIFRC), fondée à Pékin fin 1921, qui les mettait à disposition au fur et à mesure des besoins (Li 1988 : 227, Chen 1985 : 17, Li 1956 : 824-825)111.
L’influence de Sun Yat-sen et ses limites
72Les entreprises dont nous venons de parler répondaient en partie aux idéaux révolutionnaires auxquels est attaché le nom de Sun Yat-sen et dont Yu Youren restait le principal propagandiste dans la région ; mais quelle a pu être l’influence réelle de l’éphémère vainqueur de la révolution de 1911 sur la dissidence du Shaanxi ? Il est en fait douteux que les chefs de la Jingguojun qui adhéraient sincèrement aux idées sunyatsénistes, ou au moins au projet de « protéger la Constitution », et reconnaissaient donc pleinement l’autorité de Yu Youren, aient été la majorité. Au Shaanxi comme ailleurs, les sources a posteriori tendent manifestement à exagérer le rayonnement de Sun Yat-sen, dont il ne faut pas oublier qu’à ce moment il ne représentait pas grand-chose militairement. Il s’était fait désigner, comme on sait, « grand maréchal » (da yuanshuai) après son installation à Canton à l’été 1917, mais il ne contrôlait guère les généraux et seigneurs de la guerre du Sud-Ouest qui dominaient la région. Ceux-ci s’étaient arrangés dès le mois de mai 1918 pour le contraindre à s’exiler à Shanghai ; et ce n’est qu’à la fin de 1920 qu’il reprend la tête du gouvernement de Canton, pour redevenir formellement « président » le 5 mai 1921112. La plus grande partie du conflit de la Jingguojun au Shaanxi est donc contemporaine de cette retraite à Shanghai : Sun Yat-sen n’est qu’une force symbolique. Aussi doit-il lui-même admettre, dans une lettre adressée à Yu Youren le 5 janvier 1919 où il exalte l’importance stratégique du Nord-Ouest alors même que la Jingguojun subit les coups de boutoir des armées nordistes envoyées à la rescousse par Duan Qirui, que le gouvernement militaire du Sud « n’est qu’une appellation vide » (僅有空名) et qu’il est impossible d’envoyer des approvisionnements et des armes. Tout ce qu’il peut conseiller à Yu, c’est de tenir bon en attendant de futurs développements (Liu 1981 : 41, Cai 1993 : 328)113.
73Il est donc plus que probable que le leadership politique et idéologique de Sun Yat-sen, et donc de son représentant Yu Youren, parmi les révolutionnaires du Shaanxi au début des années 1920 était beaucoup moins grand que ne le suggèrent les rétrospectives historiques auxquelles nous avons accès (à commencer par les témoignages et souvenirs), lesquelles tendent a conférer a posteriori au Père de la patrie une aura et une stature qu’il était très loin de posséder avant d’être quasi divinisé par le régime nationaliste et plus tard par la république populaire – à l’époque, en d’autres termes, où il n’était qu’un participant parmi d’autres dans le grand jeu politico-militaire, plus éminent que beaucoup sans doute, et surtout plus convaincu de sa destinée nationale, mais privé de force de frappe militaire et contraint à toutes sortes de compromis pour survivre.
74L’exemple de Hu Jingyi nous le montre bien. Tous les textes qui lui ont été consacrés le décrivent comme obstinément arc-bouté aux idéaux sunyatsénistes que lui ont inculqués les fondateurs de la Ligue jurée au Shaanxi, puis, au Japon en 1914, aussi bien son mentor Yu Youren que Sun en personne, et comme ayant toujours œuvré, jusqu’à sa mort prématurée en 1925 – moins d’un mois après celle de Sun Yat-sen ! –, dans la perspective de ce qui devait effectivement se produire, c’est-àdire le triomphe du Guomindang et la réunification de la Chine sous la bannière du tridémisme. C’est un fait que Hu Jingyi a été très proche du nationalisme de la Ligue jurée dans sa jeunesse, et qu’il a adhéré au Gemindang à Tokyo en 1914. En outre, à en croire certains auteurs, il avait sa carte du Guomindang au moment de sa mort et nourrissait des projets extrêmement progressistes pour le Henan, dont il venait d’être nommé gouverneur militaire114. Il n’est pas jusqu’au « coup de Pékin » fomenté par Feng Yuxiang dans la nuit du 22 au 23 octobre 1924, et auquel Hu Jingyi était étroitement associé (s’il ne l’a lui-même suggéré), qui aurait eu pour but, à en croire les explications a posteriori de Feng, de redonner le pouvoir à Sun Yat-sen115. Rien n’est à vrai dire moins vraisemblable, même si en effet Feng Yuxiang et son nouvel allié Zhang Zuolin avaient invité Sun à venir dans le nord pour discuter avec eux, et que ce dernier avait non seulement accepté mais devancé leur proposition (Bergère 1994 : 452 sq.).
75Cela étant, dès avant le pacte avec Feng Yuxiang en 1924, plusieurs actions de Hu Jingyi – auxquelles aussi bien lui-même que divers auteurs ont cherché a posteriori à trouver des justifications honorables – ont pu paraître mal accordées à ses références sunyatsénistes, à commencer par la façon dont il a proprement trahi Yu Youren en 1921 pour se rallier à Feng Yuxiang et rejoindre les forces du Zhili.
76Dès son retour à Sanyuan à la fin de sa captivité, en juillet 1920, Hu Jingyi avait discrètement envoyé des émissaires faire des offres de service à Wu Peifu, le chef de la clique du Zhili, tout juste victorieuse dans la guerre contre la clique du Anhui (e.g. Ru 1962 : 11). Et tout indique qu’il a rapidement signifié sa volonté de se rallier après l’installation de Feng Yuxiang comme gouverneur militaire à Xi’an, avec sous ses ordres une armée contre laquelle la Jingguojun n’avait aucun espoir de l’emporter116. Le 21 septembre 1921, Hu Jingyi convoque à Sanyuan une « assemblée du peuple » (guomin dahui 國民大會), qualifiée par certains auteurs de « comédie », pour lui faire voter la dissolution de la Jingguojun et le ralliement officiel aux forces du Zhili et à Feng Yuxiang. La nouvelle est annoncée au pays. Yu Youren se voit offrir un poste fantaisiste de président de la Société pour préparer l’autonomie locale du Shaanxi (Shaanxi zizhi choubei hui 陝西自治籌備會) (Sun 1962 : 85) ; comme il est resté muet, beaucoup en Chine croient que tout cela s’est fait avec son accord, tel Zhang Binglin, qui ne manque pas de lui manifester sa surprise (Xu et Xu 1997 : 134). En fait, depuis un certain temps déjà Hu Jingyi s’était arrangé pour couper les vivres au quartier général de la Jingguojun à Sanyuan et Yu Youren, totalement réduit à l’impuissance, s’était replié dans une école hors les murs. (Juste à ce moment arrive de Canton une proclamation de Sun Yat-sen le nommant « commandant en chef » du Shaanxi !)
77En tout cas, après l’assemblée du 21 septembre la Jingguojun en tant que telle n’existe plus que sous la forme de régiments dispersés et sans attache, commandés par quelques jusqu’au-boutistes, dont Yang Hucheng, qui prendra Yu Youren sous sa protection et se repliera avec lui vers l’ouest. Peu avant, les soldats de Hu Jingyi étaient venus saccager l’ancien quartier général de la Jingguojun, détruisant les archives et s’emparant des sceaux117.
78Hu Jingyi était évidemment un réaliste et il n’était que trop conscient de ce que la dissidence de la rive gauche de la Wei n’avait plus d’avenir, ni militairement ni politiquement, et qu’il fallait passer à une nouvelle étape. Tous les témoignages confirment que l’Armée de pacification nationale était matériellement au bout du rouleau et que la plupart de ses chefs avaient perdu le moral et ne se fiaient plus qu’à leur instinct de survie. Il n’est donc pas surprenant que la majorité d’entre eux se soient ralliés avec empressement aux nouveaux maîtres de la Chine du Nord – dont les représentants au Shaanxi venaient après tout d’expulser Chen Shufan du Guanzhong, ce que la Jingguojun n’avait pas réussi à faire en trois ans de combats – pour se refaire une santé en recevant vivres et armements dans l’attente de jours meilleurs118. C’est exactement ce que tente d’expliquer Hu Jingyi pour se justifier : à Yang Hucheng (qui refusera de le suivre) il écrit qu’en fait il garde toute son indépendance – et il semble en effet l’avoir soigneusement négociée – et ajoute : « Si je me suis laissé incorporer [dans les forces de Feng Yuxiang], c’est pour m’appuyer sur autrui, ce n’est pas pour me soumettre à autrui ! » (余之受編, 是依人也, 非降人也) ; et à Zhang Fang il parle de « s’adapter à l’évolution de la situation » (tongquan dabian 通權達變) (Sun 1962 : 85, Zhang 1986 : 208). Plusieurs sources mentionnent même une visite nocturne extrêmement émotionnelle que Hu Jingyi aurait faite à la résidence de Yu Youren, semble-t-il après la dissolution de la Jingguojun, pour lui jurer qu’il lui restait fidèle et qu’il ne faisait que préserver l’avenir du mouvement119. Quoi qu’il en soit, son attitude est loin de faire l’unanimité et, pour le coup, Sun Yat-sen lui aurait envoyé une lettre très sévère (Xu 1993 : 211).
79Yu Youren tentera encore avec quelques fidèles de continuer la résistance dans l’ouest du Guanzhong, autour de Fengxiang, mais il est contraint d’abandonner la partie en mai 1922, quatre ans exactement après son arrivée à Sanyuan pour réorganiser la Jingguojun. Ayant refusé les offres de collaboration de Liu Zhenhua, il regagne secrètement Shanghai via le Gansu et le Sichuan – Shanghai où il retrouve son mentor, Sun Yat-sen, exclu momentanément de Canton par la rébellion de Chen Jiongming et contraint à un nouvel exil.
Liu Zhenhua et Li Yizhi
80Dès après son entrée au Shaanxi en 1918 Liu Zhenhua avait été récompensé avec le titre de gouverneur civil de la province (shengzhang 省長). Après le départ de Feng Yuxiang, qui a reçu en avril 1922 l’ordre d’emmener ses forces au Henan pour participer au premier conflit entre la clique du Zhili et celle du Fengtian, il hérite en outre de ses fonctions de gouverneur militaire (dujun 督軍). Avec ce double chapeau qui lui vaut le surnom de « Liu le cumulard » (Liu jianzuo 劉兼座), il va rester jusqu’au début de 1925 seul maître du Shaanxi – ou du moins, de la partie de la zone centrale du Shaanxi sur laquelle il exerce une autorité effective, car de nombreux districts restent contrôlés par des militaristes locaux natifs de la province, chacun protégeant son indépendance et ignorant superbement les ordres et les mutations édictés par les autorités.
81Toutes les sources décrivent le régime de Liu Zhenhua au Shaanxi comme éminemment réactionnaire : il encourage le renouveau du confucianisme, persécute les étudiants de gauche qui protestent contre ses menées et participent au mouvement national anti-impérialiste, et s’allie avec les bureaucrates et les lettrés les plus conservateurs pour contrôler l’assemblée provinciale et le système d’enseignement, sans parler de ses exactions fiscales et de l’encouragement à la culture du pavot pour financer son armée et alimenter son trésor de guerre (Mi 1963).
82Rien de tout cela n’est faux, mais pendant les années où il a été sous la coupe de Liu Zhenhua le Shaanxi n’en a pas moins été exempt de combats majeurs, même si l’insécurité était générale ; en outre, et surtout, Liu a patronné quelques tentatives pour moderniser les infrastructures de la province, ce qui ne pouvait qu’être bon pour son image de gouverneur. C’est là que le rôle joué par Li Yizhi est important. Comme nous l’avons vu plus haut, Liu Zhenhua et Li Yizhi appartiennent l’un et l’autre à la « génération 1911 », même si leur implication dans les prodromes de la révolution au Shaanxi a été très différente – Liu comme comploteur adhérent de la Ligue jurée, Li comme compagnon de route absent au moment des événements mais très lié à plusieurs des principaux protagonistes. En 1922, Liu Zhenhua est devenu un seigneur de la guerre qui compte et un homme de pouvoir ambitieux et sans scrupules ; Li Yizhi est un technocrate réputé, connu pour son intégrité et soucieux avant tout de développement et de « bien-être du peuple », donc profondément hostile au militarisme qui règne alors sur la Chine. Or, ils vont d’une certaine manière se rencontrer autour de projets d’« édification » qui intéressent Liu Zhenhua pour renforcer sa base et qui répondent au désir passionné de Li Yizhi de sortir sa province natale du sous-développement.
83Le projet central de Li Yizhi, c’est la reconstruction de l’irrigation au Weibei, plus précisément la modernisation de l’antique et prestigieux canal Bai 白渠, appelé le Longdong 龍洞渠 à l’époque, et l’expansion du périmètre qu’il dessert120. Ce projet n’était pas nouveau. Dès la première année de la république, un certain Dang Zixin 黨自新 – un des officiers révolutionnaires qui complotaient avant 1911, et un personnage que Hu Jingyi rencontre souvent pendant sa captivité car il travaille alors pour Chen Shufan – était allé faire des études sur le site et avait proposé un plan ambitieux de modernisation, mais le dossier s’était perdu (Yang 1989 : 40). Entre 1917 et 1919 Guo Xiren, nommé chef du bureau d’hydraulique du Shaanxi, avait à son tour envoyé une équipe faire des relevés, dont les résultats avaient été adressés à Li Yizhi, alors professeur d’ingénierie hydraulique à Nankin, qui les avait jugés insuffisants pour dessiner un projet121. Enfin, on a vu que le projet avait été relancé par Hu Jingyi peu après la dissolution de la Jingguojun. Or, la CIFRC, récemment constituée, s’y était très vite intéressée puisqu’elle avait envoyé un ingénieur chinois (appelé Wu Xuecang 吳雪滄 ou Wu Nankai 南凱 suivant les sources) pour s’assurer de la faisabilité d’une entreprise qu’elle pourrait être appelée à subventionner. Cela se passait en 1922, mais, quand Li Yizhi arrive à Xi’an en août de cette année pour prendre ses fonctions de chef du bureau d’hydraulique de la province et d’ingénieur en chef du bureau d’hydraulique du Weibei, Wu est déjà reparti. C’est donc pour son propre compte que Li Yizhi va entreprendre, en liaison avec la CIFRC (dont il est membre de la section du Shaanxi) et grâce à ses fonds, une série d’investigations et proposer plusieurs projets de modernisation du système d’irrigation du Longdong.
84Il est inutile d’en donner ici le détail (voir Wei 2004). Ce qui importe, c’est que Li Yizhi a suffisamment intéressé la CIFRC et son ingénieur en chef, l’Américain O. J. Todd, pour qu’en avril 1924 ce dernier aille négocier avec le gouverneur Liu Zhenhua un accord suivant lequel le financement des travaux (supérieur à 1,5 million de dollars) serait partagé entre la CIFRC, sous la forme d’une avance remboursable sur trois ans et à 10 % d’intérêt, le gouvernement provincial du Shaanxi, sur les revenus de la province, et les autorités du Weibei, sous la forme d’un emprunt auprès des propriétaires susceptibles de profiter du futur système (on escompte que l’irrigation quadruplera la valeur des terres). Un an plus tôt, Li Yizhi avait publié une brochure en anglais, richement illustrée, pour faire la promotion de la première version de son projet (la plus ambitieuse), dont la présentation même est hautement symbolique de ce qui est advenu de la « génération 1911 » au Shaanxi à ce moment. Ce mince volume s’ouvre en effet sur les photographies de quatre de ses membres – Li Yizhi lui-même, précédé par trois anciens officiers révolutionnaires devenus seigneurs de la guerre : le général Liu Zhenhua, gouverneur de la province, le général Hu Jingyi, président honoraire du Comité d’irrigation du Weibei (il a quitté la province depuis le printemps 1922 et est en garnison au Henan), et un certain général Tien Jun-tsou, qui est probablement Tian Yujie, déjà rencontré, président en exercice du comité et (ce n’est pas précisé) homme fort de la région du Weibei. Il n’est en effet plus question de révolution au Shaanxi. La province est sous la coupe de militaristes dont la seule préoccupation politique est de savoir sur quelle faction s’aligner à un moment où les alliances ne cessent de se recomposer, et Li Yizhi est un haut fonctionnaire dépendant directement du plus puissant d’entre eux et cherchant à tirer le plus grand parti possible de la situation pour extraire le Guanzhong du sous-développement. De fait, son œuvre est impressionnante : en sus de son poste de chef du bureau d’hydraulique du Shaanxi il est nommé en 1923 chef du bureau d’éducation, fonde une école d’ingénieurs à Xi’an, où il forme toute une génération de techniciens, et en 1925 devient doyen de l’Université du Nord-Ouest (Xibei daxue), une création de Liu Zhenhua, à laquelle l’école d’ingénieurs a été intégrée122.
85En 1924 le projet du Weibei paraissait sur le point d’être réalisé et la CIFRC avait commencé d’en faire la publicité dans la presse en anglais de Pékin et Shanghai (en en attribuant tout le mérite à l’ingénieur Todd). Si rien ne s’est ensuite passé, c’est, d’abord, que le gouvernement du Shaanxi s’est avéré incapable d’honorer ses promesses, que la vente de « bons d’irrigation » n’a guère eu de succès, et que la CIFRC a par conséquent refusé de s’engager. Mais c’est surtout parce que la guerre civile a repris. Nous avons déjà mentionné la deuxième guerre Zhili-Fengtian et le « coup de Pékin » d’octobre 1924, à l’occasion duquel Feng Yuxiang et Hu Jingyi rompent avec la clique du Zhili et fondent l’Armée nationale (Zhonghua minguo guominjun), Hu Jingyi se retrouvant peu après gouverneur du Henan123. En 1925 un conflit éclate entre Hu Jingyi et Liu Zhenhua, qui quitte le Shaanxi à la tête de ses forces pour les voir anéanties par celles de Hu, lequel meurt peu après de maladie. Le Shaanxi, décrit dans certains rapports de l’époque comme un champ de bataille permanent, est nominalement gouverné par un client de la clique du Zhili. Mais la situation bascule après la rupture de facto entre Feng Yuxiang et son nouvel allié Zhang Zuolin et son repli en Mongolie intérieure, puis la guerre ouverte qui les oppose à partir d’octobre 1925. À la suite des nouvelles alliances qui se créent alors, Liu Zhenhua reprend du service et se voit confier la mission d’« exterminer les bandits au Henan, au Shaanxi et au Gansu » ; il reconstitue son armée dans l’ouest du Henan au début de 1926, bat les héritiers de Hu Jingyi, et va mettre le siège autour de Xi’an. Du coup Li Yizhi, qui faisait à ce moment la tournée des grandes villes à la recherche de financements, se trouve dans l’incapacité de regagner ses bureaux au Shaanxi.
86Le siège de Xi’an dure jusqu’en novembre 1926, soit huit mois en tout ; c’est un épisode d’une extrême violence, qui non seulement cause la mort de quelque 50 000 personnes à l’intérieur de la ville affamée, mais en outre met à feu et à sang la plus grande partie du Guanzhong124. Liu s’est juré d’anéantir les restes de l’armée de HuJingyi, commandésparYang Hucheng, lequels’estlaissé enfermer àl’intérieur des murs en compagnie d’un certain Li Huchen 李虎臣 (un ancien lieutenant de Hu Jingyi qui détient à ce moment les fonctions de gouverneur militaire du Shaanxi sans pouvoir les exercer). Les interventions au nom des vieilles camaraderies révolutionnaires, telle celle de Zhang Fang, qui rêve encore de restaurer l’alliance entre le Shaanxi et le Henan, ne sont plus de saison. Le salut viendra du nord-ouest, sous la forme d’une offensive de la nouvelle « Armée nationale alliée » de Feng Yuxiang.
87Or, à ce moment, Feng est lui-même devenu un révolutionnaire estampillé. Pendant sa retraite en Mongolie intérieure il a passé des accords avec les Soviétiques pour qu’ils l’aident à refaire son armée, puis il a fait lui-même le voyage à Moscou, où il a été rejoint par Yu Youren, envoyé par le Guomindang et très actif dans toutes ces tractations, et a rencontré les principaux chefs du régime (à l’exception de Staline). Pour résumer des négociations longues et compliquées, le deal est qu’en échange de l’aide soviétique Feng Yuxiang coopérera avec le Guomindang, dont les thèmes anti-impérialistes le séduisent, ainsi qu’avec ses alliés communistes chinois, même s’il ne croit pas que le communisme soit fait pour la Chine, et qu’il acceptera donc que ses troupes soient soumises à un « travail politique » intense125. Conformément aux instructions de Li Dazhao 李大釗 (1888-1927), le chef communiste responsable de l’alliance entre le Guomindang et le PCC en Chine du Nord, qui apparaît un peu comme le primus movens dans toute cette affaire (ses instructions ont été apportées à Moscou par Yu Youren), Feng retournera en Mongolie intérieure pour réorganiser ses forces. Désormais appelées l’Armée nationale alliée (Guomin lianjun) – parce que regroupant sous un commandement unique les différentes « armées nationales » qui s’étaient créées après le coup de 1924 –, celles-ci se dirigeront ensuite vers le Gansu, déjà contrôlé par un de ses généraux, Liu Yufen 劉郁芬, puis entreront au Guanzhong par l’ouest pour aller délivrer Xi’an, avant de faire route vers la plaine centrale et d’opérer leur jonction avec l’Expédition du Nord (beifa) de l’armée nationaliste, qui a déjà atteint le Yangzi126.
88Ce bref résumé de développements excessivement compliqués devrait aider à mieux comprendre le pourquoi et le comment de l’épisode révolutionnaire bref mais intense que connaît le Shaanxi entre la fin de 1926 et le milieu de 1927. Ses leaders sont, pour certains d’entre eux, les mêmes qu’à l’époque de la Jingguojun, mais l’environnement politique est totalement différent ; en outre, les événements sont cette fois centrés sur la ville même de Xi’an.
« Xi’an la rouge » ou le retour de Yu Youren
89« Xi’an la rouge » (hongse Xi’an) : c’est dans ces termes que la plupart des auteurs qui se la remémorent évoquent l’agitation révolutionnaire qui a saisi la ville pendant quelques mois en 1927. L’analogie est délibérée avec « Hankou la rouge », la capitale éphémère du Guomindang de gauche allié aux communistes, avec laquelle Xi’an restait d’ailleurs en contact étroit et qui lui envoyait des conseillers127. Jusqu’au départ de Feng Yuxiang pour les théâtres de la Chine centrale, au début mai 1927, la ville est gouvernée par le duumvirat qu’il forme avec Yu Youren. Ce dernier était parti en avant pour superviser depuis Sanyuan les opérations contre l’armée assiégeante de Liu Zhenhua, et aussitôt la ville libérée il y était entré pour installer son quartier général de commandant en chef de l’Armée nationale alliée au Shaanxi (Guomin lianjun zhu Shaan zongsiling 國民聯軍駐陝總司令). Ce titre lui confère en principe la totalité des pouvoirs dans la province, aussi bien militaires que civils, sans parler des affaires du parti et des mouvements de masse – mais c’est dans le domaine des affaires civiles et politiques qu’il va donner toute sa mesure. En effet, même s’il s’est trouvé propulsé par deux fois dans sa carrière à la tête d’une armée révolutionnaire opérant dans sa province natale (la première étant l’épisode de la Jingguojun), Yu Youren n’était pas un soldat et il a toujours préféré déléguer les commandements militaires à des officiers proches de lui politiquement : Hu Jingyi en 1918, et en 1926 Deng Baoshan, l’un des fondateurs de la Jingguojun huit ans plus tôt, qui est nommé commandant en chef adjoint en charge des affaires militaires.
90En 1927 Yu Youren est incontestablement à l’apogée de sa carrière révolution naire128. Il collabore en toute confiance, avec enthousiasme même, avec les cadres communistes qui peuplent les institutions civiles et militaires, et l’on rapporte de lui à cette époque des discours incendiaires sur les méfaits de l’impérialisme mondial et sur la libération des classes opprimées129. C’est d’abord sous son influence que la capitale du Shaanxi, qui vit comme toutes les zones contrôlées par l’Armée nationale sous un gouvernement militaire provisoire où les institutions civiles traditionnelles ont été dissoutes, devient pour une courte période « Xi’an la rouge ». Il nomme dans toutes les administrations des responsables appartenant à l’aile gauche du Guomindang ou au Parti communiste, crée un département de sécurité politique (zhengzhi baowei bu 政治保衛部) dirigé par un communiste et disposant d’une troupe armée, ainsi qu’un Institut Sun Yat-sen (Zhongshan xueyuan), qui se trouve dans le même bâtiment que le siège du Guomindang, dont il dépend, mais semble avoir été entièrement contrôlé par des cadres communistes, et dont les quelque 700 étudiants sont soumis à un entraînement militaire et politique intense (Chen s.d.)130. Les slogans révolutionnaires calligraphiés par Yu ornent tous les lieux publics, et il partage avec FengYuxiang la vedette des manifestations de masse où les dirigeants perchés sur une estrade haranguent la foule ou dialoguent avec elle131. Zhang Fang, qui a la confiance aussi bien de Yu Youren que de Feng Yuxiang et que l’un et l’autre ont appelé à Xi’an « pour discuter de toutes ces affaires » (shangzhuo yiqie 商酌一切), arrive à Xi’an dans le courant du mois de mars 1927, et il est impressionné : l’ambiance politique qui règne dans la ville, nous dit-il, est quelque chose qu’il n’a jamais vu, les meetings succèdent aux réunions, les murs sont couverts de slogans, et tout le monde semble déborder d’enthousiasme et d’énergie.
91Feng Yuxiang, de son côté, avait mis en place dès son retour d’URSS un département politique au sein de son armée, également peuplé de militants Guomindang et de communistes, dont les membres étaient affectés à toutes les unités de l’armée pour y faire de la propagande et de la formation. À son Quartier général de l’Armée nationale alliée132 est en outre attachée une École militaire Sun Yat-sen (Zhongshan junshi xuexiao 中山軍事學校), dont les commissaires politiques sont Deng Xiaoping et Liu Zhidan 劉志丹, l’un des pères fondateurs du communisme au Shaanxi133.
92Aussi bien Yu Youren et ses alliés que le département politique de l’armée de Feng Yuxiang s’efforcent par ailleurs d’activer des mouvements de masse pour encourager les paysans, les ouvriers, les étudiants, les femmes, les enseignants à s’organiser et défendre leurs droits, ce qui a pour conséquence une floraison d’associations en tout genre un peu partout à travers la région contrôlée par le nouveau régime134. En avril 1927 est mise en place une Association préparatoire pour l’instruction populaire obligatoire (Qiangpo pingmin jiaoyu choubei hui 強迫平民教育籌備會) dont le responsable est un cadre communiste et dont l’objectif est de « former les personnalités à la lutte concrète pour la révolution nationaliste, réaliser les principes de la nation, des droits du peuple et du bien-être du peuple (i.e. les trois principes de Sun Yat-sen), parvenir à la révolution mondiale » : cette mixture de sunyatsénisme et de communisme caractérise l’ensemble du mouvement.
93Les rôles respectifs de Yu Youren et Feng Yuxiang, et des organisations que chacun contrôle, dans ce prurit révolutionnaire qui saisit Xi’an et son hinterland pendant les premiers mois de 1927 sont difficiles à établir exactement, car les sources ne parlent pas exactement de la même façon suivant que leur héros est l’un ou l’autre. Ainsi l’ouvrage classique de James Sheridan sur Feng Yuxiang, qui s’appuie beaucoup sur les sources émanant de Feng lui-même, comme son journal ou son autobiographie, ne parle-t-il que de celui-ci et de son département politique : le nom de Yu Youren n’apparaît pas dans le passage du livre consacré à cet épisode. En revanche les biographies deYuYouren, sans omettrebien sûrlenom de FengYuxiang, présententmalgré tout le mouvement comme essentiellement animé par Yu et son propre quartier général, appuyés par une pléiade de militants communistes.
94L’épisode révolutionnaire des six premiers mois de 1927 était à l’évidence porteur de grands espoirs. Pour la première fois depuis les lendemains immédiats de la révolution de 1911, la province (ou au moins son centre vital) était gouvernée par des hommes dont l’ambition n’était pas uniquement de se tailler un domaine protégé dont ils pussent extraire toutes les ressources pour renforcer leur pouvoir et pour leur propre enrichissement. En dépit de la confusion brouillonne, de l’autoritarisme et des excès en tout genre qui accompagnent inévitablement les programmes révolutionnaires de transformation des institutions et de la société lorsque leurs promoteurs se retrouvent soudain propulsés au pouvoir, les activistes comme Yu Youren et ses disciples, ou comme les militants communistes qui ont tellement influencé le mouvement, ou même comme Feng Yuxiang pendant cette période, malgré ses ambiguïtés et ses hésitations, avaient une vision. Ils voulaient sortir la société de son arriération politique et économique, et leur nationalisme même s’inscrivait dans une perspective de progrès de l’humanité, si utopique ait-elle pu être. L’auteur d’une des meilleures histoires de la Jingguojun publiées dans les Wenshi ziliao conclut de façon très orthodoxe que l’échec de cette dernière, en 1921-1922, est en fin de compte venu de ce qu’elle n’avait pas de « base de classe », que les populations n’ont eu qu’à souffrir d’un régime militaire dont le seul programme révolutionnaire était de chasser Chen Shufan du Shaanxi, et qu’elles n’ont par conséquent pas accordé leur soutien au mouvement (Ma 2000 : 172). L’on pourrait dire par contraste que le régime révolutionnaire de Xi’an en 1927, fortement teinté de marxisme, a tout fait pour s’appuyer sur une « base de classe ».
95Or, les contraintes logistiques et la priorité donnée à l’édification de l’Armée nationale alliée (devenue 2e groupe d’armées de l’Armée nationaliste révolutionnaire au moment du départ de Feng Yuxiang pour la Chine centrale au mois de mai) ne pouvaient qu’entrer en contradiction avec le projet de transformation révolutionnaire de la société. Comme le remarque Zhang Fang dès son arrivée à Xi’an, l’Armée nationale alliée est disciplinée, grâce à la combinaison des vieilles méthodes d’endoctrinement de Feng Yuxiang et des efforts des « travailleurs politiques » nouveau style, mais matériellement parlant elle est en piètre état, car l’intendance ne suit pas. L’intendance, ce sont les taxes levées au titre des « approvisionnements militaires » (junliang 軍糧) : or les régions traversées pour venir délivrer Xi’an (le Suiyuan et le Gansu) sont excessivement pauvres et, même exploitées sans pitié, leur contribution rencontre vite ses limites135. Au Guanzhong, où toutes les divisions sont concentrées au début de 1927, l’économie a été dévastée par les combats du siège de Xi’an. À Xi’an même, il ne reste plus rien depuis le siège et le dénuement est extrême. Les quelques dollars d’argent qu’a pu gratter la commission financière de l’administration de Yu Youren ont été engloutis par l’armée et les soldats sont payés en assignats militaires imprimés pour l’occasion, que les marchands et les paysans refusent bien qu’il soit tamponné dessus qu’ils peuvent servir à payer les impôts et les taxes. Toute l’armée, depuis Feng Yuxiang en personne jusqu’aux simples soldats, se nourrit d’un brouet de grains et de légumes appelé « repas révolutionnaire » (geming fan 革命飯).
96Ces difficultés objectives expliquent pourquoi, toujours selon Zhang Fang, la coopération étroite qui s’était instaurée entre Yu Youren et Feng Yuxiang et leur identité apparente de vues dans le domaine politique ont progressivement laissé la place à un certain nombre de contradictions, qu’il analyse avec beaucoup de finesse. Il y a d’abord le problème des seigneurs de la guerre locaux, toujours en place depuis la fin du siège de Xi’an, qui, bien que formellement intégrés à l’Armée nationale alliée (ils appartenaient précédemment aux 2e et 3e armées nationales), tiennent à leur indépendance et se méfient profondément de Feng Yuxiang. Comme la plupart sont des anciens de la Jingguojun, Yu Youren tend à les protéger et souhaiterait les rassembler sous son commandement et les garder provisoirement au Shaanxi pour réorganiser leurs forces. Feng Yuxiang, au contraire, tient absolument à emmener sans attendre ces gens trop indépendants participer à l’Expédition du Nord. Plusieurs d’entre eux y seront en effet contraints, mais ils reviendront rapidement réintégrer leurs domaines au Shaanxi.
97Le conflit entre les régimes de Wuhan et de Nankin est une autre source de frictions. Alors que Yu en tient absolument pour le gouvernement de gauche de Wuhan et veut isoler Chiang Kai-shek, dont il considère que l’attitude anticommuniste et anti-populaire trahit l’héritage de Sun Yat-sen, Feng penche plutôt pour Chiang et maintient des contacts réguliers avec lui, même s’il continue à dépendre formellement du gouvernement de Wuhan ; au reste, la présence de ses conseillers soviétiques et le militantisme de ses collaborateurs communistes commencent à lui peser et les positions anticommunistes de Chiang Kai-shek ne sont pas pour lui déplaire.
98Mais le problème le plus pressant, d’après Feng, c’est l’aggravation de la crise fiscale au Shaanxi provoquée par les actions des nouvelles associations paysannes contre les riches et les propriétaires et par la fuite des gros contribuables qui vont se mettre à l’abri – les marchands du Shanxi en particulier. Parmi diverses scènes illustrant la distance croissante entre les deux hommes, Zhang Fang relate de façon très vivante une discussion orageuse à ce sujet, Yu Youren persistant à affirmer que la révolution doit s’appuyer sur les masses et que si l’on met un frein aux mouvements de masse elle sera privée de sa force, et Feng Yuxiang lui rétorquant : « Si on se contente d’activer les masses, alors nos armées, là, qu’est-ce qu’elles vont manger ? »
99Li Yizhi, pour sa part, est rentré à Xi’an tout de suite après la libération de la ville, concevant d’autant plus d’espoirs pour la réalisation de ses projets d’infrastructure qu’à présent le commandant en chef de la place n’est autre que son vieux compagnon Yu Youren. On a de lui un texte en forme de requête adressée au « commandant en chef » (i.e. Yu Youren), dans lequel il s’inquiète de ce que les responsables politiques se préoccupent surtout de remporter des victoires militaires et de faire la révolution, plutôt que d’accroître la productivité de la nation et de diminuer les souffrances du peuple, si bien que les gens risquent de perdre leur confiance dans la révolution. En conséquence il demande que l’on dégage 1 million de dollars sur le produit des amendes de l’année afin de financer la réalisation du projet d’irrigation du Weibei, ainsi qu’une série de projets industriels (Li 1988 : 286-296). N’ayant pas reçu de réponse, il part au début de 1927 en claquant plus ou moins la porte et en refusant le poste de chef du bureau provincial de reconstruction (jiansheting 建設廳) qu’on lui proposait, et fait savoir qu’il ne remettra plus les pieds au Shaanxi tant qu’on ne lui donnera pas d’assurances formelles.
100De fait, toutes les ambitions de transformation de la société – qu’elles soient révolutionnaires comme chez Yu Youren ou technocratiques comme chez Li Yizhi, les deux n’ayant pas réussi à se rencontrer – ont été réduites à néant dans l’espace de quelques mois, et d’abord pour des causes qui dépassaient le cadre local. Ces causes étaient présentes dès le départ, puisque le Shaanxi reconquis par l’Armée nationale récemment alliée au Guomindang devait en premier lieu servir de tremplin pour la reconquête du pays et pour sa régénération dans la ligne des idéaux de Sun Yat-sen. Les considérations stratégiques au niveau national primaient sur le reste, et c’est elles qui ont tout emporté au Shaanxi : Feng Yuxiang, son armée et ses commissaires politiques ont été contraints de quitter rapidement la province pour se joindre aux grandes manœuvres de l’Expédition du Nord en laissant derrière eux une situation encore en ébullition ; et le choix du même Feng, peu de temps après, en faveur de Chiang Kai-shek contre le gouvernement de Wuhan, ainsi que la rupture du premier Front uni, ont brutalement scellé le destin de l’expérience conduite pendant quelques mois dans « Xi’an la rouge »136.
Épilogue
101Yu Youren, pour sa part, s’est rendu à Zhengzhou au mois de juin pour participer à une réunion à laquelle assistaient les principaux membres du gouvernement de Wuhan, ainsi que Feng Yuxiang, qu’il s’agissait de convaincre de se joindre à la lutte contre Chiang-Kai-shek. Feng refuse de s’engager, mais n’en obtient pas moins l’installation à Kaifeng d’une Commission gouvernementale du Guomindang regroupant les trois provinces du Henan, du Shaanxi et du Gansu, dont il sera le chef. Yu Youren refuse le poste de gouverneur du Shaanxi qui lui est offert et saute dans le train qui ramène chez eux les représentants du gouvernement de Wuhan137. Il continuera un temps de proclamer les idéaux révolutionnaires qu’il avait défendus pendant les mois précédents, mais finira par rejoindre le giron du gouvernement Guomindang dominé par Chiang Kai-shek. Après cet épisode, en tout cas, il disparaît pour de bon de la scène du Shaanxi, du moins politiquement : il n’y reviendra plus tard qu’en visiteur et en enfant du pays, au moment de la grande famine de 1929, d’ailleurs accueilli comme une vedette. L’épisode révolutionnaire de 1927 appartient bien au passé, encore qu’il semble avoir laissé à Xi’an une tradition d’activisme de masse qui sera réactivée, avec une rhétorique un peu différente il est vrai, lorsque Yang Hucheng reviendra comme chef du gouvernement provincial en 1930 et flirtera de nouveau avec les communistes.
102Contrairement à Yu Youren, Feng Yuxiang va continuer d’avoir un impact considérable sur la province pendant les trois années suivantes, et certainement pas pour le mieux. À partir de là, en effet, la plaine du Guanzhong, qui est au cœur de la région Nord-Ouest dévolue à Feng Yuxiang et à son groupe d’armées et lui sert de grand arrière, se trouve engagée dans une spirale descendante à laquelle il ne semble pas y avoir d’issue. Les officiers de la « génération 1911 » et de l’ancienne Jingguojun encore en place sont devenus des seigneurs de la guerre à petite échelle, chacun préservant son indépendance dans son fief et en exploitant au maximum les ressources. Ainsi en rencontre-t-on plusieurs, à l’automne 1927, qui se sont retranchés derrière les murailles de ces villes de la région du Weibei – Sanyuan, Jingyang, Gaoling, Fuping, Pucheng – qui à la fin des Qing avaient été une pépinière de révolutionnaires avant de former le cœur de la dissidence sunyatséniste de la Jingguojun138. La région va souffrir tout à la fois des sanglantes campagnes menées par les lieutenants de Feng Yuxiang pour les réduire un à un, jusqu’à la fin de 1928, de la prolifération du banditisme et de la violence rurale engendrés par la misère, et d’une grave sécheresse qui commence en 1928 et dure jusqu’à la fin de 1930. La combinaison de ces trois éléments est la cause d’une des plus terribles famines en Chine du Nord à l’époque moderne.
103Le problème du banditisme, qui prend dans ces années des proportions effrayantes, confirmées par d’innombrables témoignages, mérite qu’on s’y arrête brièvement. Le terme tufei (« bandit local ») est extrêmement chargé : dans le discours de l’époque il semble condenser ce qu’il y a de plus arriéré, de plus brutal et de plus négatif dans la société chinoise que réformateurs et révolutionnaires essayent de sauver du naufrage. Au cours de ses réflexions sur les combats en cours, pendant sa captivité, Hu Jingyi oppose volontiers la discipline militaire qu’il a imposée à ses troupes au « comportement de tufei » de certains généraux de la Jingguojun, pour lequel il dit éprouver la plus profonde détestation : « Depuis le début je me suis opposé à la révolution par les bandits (tufei geming 土匪革命) » (Hu 1993 : 20).
104Les tufei sont un des thèmes majeurs d’un pamphlet d’une extrême violence intitulé « Documents sur le Nord-Ouest pendant les dix dernières années », publié à Shanghai en 1931, dont nous ignorons tout de l’auteur, un certain Kang Tianguo 康天國, sinon qu’il est apparemment originaire du Gansu et qu’il affirme avoir vécu dans le Nord-Ouest pendant l’essentiel des années 1920. Le texte s’étend longuement – parfois même interminablement – sur la misère et l’arriération qui règnent dans la région, sur la ruine du commerce et des transports, la destruction des relations sociales, les exactions sans fin des militaristes, et même les atrocités commises par les communistes ; et enfin, sur les ravages causés dans les campagnes par le « banditisme local », dont les milices d’autodéfense des villages (les « Piques rouges », « Piques noires », etc.) ne se distinguent pas toujours clairement. D’après Kang Tianguo, les tufei du Nord-Ouest constituent un cas probablement unique en Chine, et même au monde, par leur combinaison de cruauté aveugle et de stupidité. (Les chansons de soldats ou de bandits reproduites en annexe à l’ouvrage reflètent en effet une psychologie assez primitive.) Pour lui, la cause majeure, sinon unique, de tous ces maux et, par extension, de l’épouvantable famine de 1928-1930, ce sont les seigneurs de la guerre – ces « esclaves vendus à l’étranger » (wangguo nu 亡國奴) ; et celui contre lequel il en a principalement est Feng Yuxiang, dont la sphère d’influence à la fin des années 1920 correspondait en effet au Henan, au Shaanxi et au Gansu, les trois provinces que Kang Tianguo inclut dans ce qu’il appelle « le Nord-Ouest »139.

La région du Guanzhong, province du Shaanxi
105Or, c’est effectivement la défaite finale de Feng Yuxiang, après qu’il est entré ouvertement en guerre contre Chiang Kai-shek en octobre 1929, qu’il s’est allié avec Yan Xishan et qu’il a tenté de convoquer une assemblée et de fonder un gouvernement à Pékin avec Yan et Wang Jingwei en juillet 1930, qui mettra un terme, sinon tout de suite à la famine et à l’insécurité dans les campagnes, du moins au processus inexorable d’entropie dans lequel semblait engagée la région. Le Guanzhong, qui était le dernier réduit de l’Armée du Nord-Ouest, est conquis en octobre 1930 par Yang Hucheng, devenu général de l’armée nationaliste et nommé par Chiang Kai-shek président du gouvernement de la province.
106Le cercle vertueux du développement pourra enfin être engagé, non sans beaucoup de lenteurs et de considérables difficultés initiales, grâce à une combinaison de stabilité politique et d’aide extérieure. En un sens, pendant la décennie 1930 les autorités du Shaanxi et surtout les technocrates qui les appuyaient ont pu renouer avec la tradition des gouverneurs-vedettes du xviiie siècle, dont certains n’étaient pas loin de proposer une sorte de vision intégrée du développement économique – une vision tributaire, certes, des limitations techniques et idéologiques de l’époque, mais qui n’est pas sans faire penser (toutes choses égales par ailleurs) à la vision exposée dans plusieurs articles remarquables de Li Yizhi ou d’autres de ses collègues ingénieurs dans les années 1920 et 1930140 ; Li Yizhi, dont le projet de modernisation du système d’irrigation du Longdong va d’ailleurs pouvoir enfin démarrer, très peu de temps après la reprise de la province par les forces nationalistes. (La première tranche du système est inaugurée en juin 1932.) À l’instar de ce qui avait un moment été envisagé en 1924, la réalisation en a été rendue possible par l’association du gouvernement provincial – dont Li Yizhi est de nouveau un haut fonctionnaire, à la tête du Bureau d’hydraulique – et de la CIFRC. Ce sont d’ailleurs les ingénieurs de la CIFRC, et non pas Li Yizhi lui-même, qui dirigeront les travaux de la partie techniquement la plus difficile du projet, nettement moins ambitieuse que ce que Li avait conçu quelques années plus tôt.
107En même temps que s’impose tant bien que mal une certaine technocratie dont Li Yizhi est le symbole respecté, à peu près protégée des luttes d’appareil au sein du régime et des dégâts de la guerre – le Guanzhong est resté à l’abri de l’invasion japonaise, et avant que l’« incident de Xi’an » à la fin 1936 n’y mette un terme les combats contre les communistes se déroulaient plus au nord –, s’instaure politiquement une orthodoxie qui n’a plus de révolutionnaire que le nom et à laquelle adhèrent sans états d’âme, ne serait-ce que par patriotisme, ceux de la « génération 1911 » qui sont toujours là : Li Yizhi lui-même, Yu Youren (qui n’exerce pas de pouvoir dans la province mais y revient régulièrement en grand notable du régime), d’autres encore. Alors qu’en 1923, douze ans après la révolution de 1911 et deux ans après l’effondrement de la dissidence sunyatséniste de la Jingguojun, la brochure publiée en anglais par Li Yizhi s’ouvrait sur les portraits des seigneurs de la guerre locaux dont il recherchait l’appui, ce sont désormais le portrait et les citations du Père de la patrie qui ornent les revues publiées au Shaanxi, telle l’excellente Revue mensuelle d’hydraulique du Shaanxi (Shaanxi shuili yuebao), fondée par le même Li Yizhi à la fin de 1932. La boucle est en quelque sorte bouclée.
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Notes de bas de page
1 La Nouvelle Armée du Shaanxi consistait en une brigade mixte (huncheng xie 混成協) composée de deux régiments d’infanterie et de bataillons spécialisés (cavalerie, artillerie, génie et train), pour un total de 4 000 ou 5 000 hommes (Cai 1993 : 304). Les autorités Qing étaient au courant de l’agitation révolutionnaire au sein de la Nouvelle Armée et avaient entrepris d’en disperser les unités à travers toute la province et de stocker leurs armements en lieu sûr, ce qui ne pouvait qu’encourager les conjurés à presser le mouvement.
2 En 1913 Zhang Fenghui n’avait pas bougé pendant la « seconde révolution » contre Yuan Shikai, soit par préférence personnelle, soit parce que Yuan avait préalablement muté hors de la province les troupes qui auraient pu se joindre à la rébellion. Pour un récit extrêmement circonstancié des événements de 1911 au Shaanxi, par l’un des principaux chefs révolutionnaires, voir Zhang 1986 : 93-106 ; également Cai 1993 : 305-308. D’après Zhang, Yuan Shikai avait rappelé Zhang Fenghui à Pékin pour le remplacer par un de ses affidés, Lu Jianzhang (voir ci-dessous), parce que Zhang avait été incapable de protéger le Shaanxi contre l’insurrection de paysans henanais menée par le célèbre Bai Lang.
3 Comme nous le verrons, ce n’est qu’à la fin de 1930 que le régime de Nankin réussit à établir directement son pouvoir au Shaanxi.
4 En quoi ils expriment un sentiment qui déborde largement les limites de leur groupe, cela va sans dire. Voir aussi la préface de Song Bingshan 宋冰珊 à Kang 1931 : la civilisation chinoise vient du Shaanxi, mais en dépit d’une glorieuse histoire la société et l’économie de la province sont en pleine décadence depuis un siècle et le reste de la Chine s’en désintéresse complètement.
5 La relation privilégiée entre le Henan et le Shaanxi apparaît déjà dans le discours des militants révolutionnaires de la fin des Qing et est invoquée dans plusieurs projets de fédération dirigés contre le gouvernement de Pékin, jusqu’en 1927. En 1931 l’on agite des projets de da Xibei zhuyi 大西北主義, qui impliqueraient même l’URSS, dans l’entourage de Yang Hucheng (voir ci-dessous), alors gouverneur du Shaanxi, qui entretenait des relations délicates avec le régime de Nankin (Mi 1998 : 67).
6 L’autobiographie (Zizhuan 自傳) et le Nanyuan yisheng se trouvent in Li 1956 : 751-808 et 808-825. Le Nanyuan désigne les grottes où les grands-parents de Li Yizhi étaient allés s’installer après la famine de Guangxu, dont nous reparlerons. Précisons que Li Yizhi était plutôt connu de son vivant sous son nom personnel Li Xie 協, ou Li Hsieh (H. Lee) dans les sources en anglais (Yizhi étant son « nom social »).
7 Sa sous-préfecture natale est Sanyuan. Une fraction imposante de la « génération 1911 » au Shaanxi est native de cette même région du Weibei (y compris Li Yizhi, qui est de Pucheng).
8 L’histoire est assez rocambolesque : les poèmes séditieux de Yu Youren, publiés sous le titre « Esquisses du pavillon partagé entre les pleurs et le rire » (Banku banxiao lou shicao半哭半笑樓詩草), dont on pouvait en effet arguer qu’ils relevaient du chef de « haute trahison », sont dénoncés aux autorités provinciales alors même que Yu Youren est allé passer l’examen du doctorat à Kaifeng (les Puissances avaient interdit la tenue des examens à Pékin à la suite de l’incident des Boxeurs) ; par chance ses proches sont avertis et dépêchent un messager qui arrive à Kaifeng juste avant le courrier officiel porteur du mandat d’arrêt, laissant à Yu Youren le temps de gagner discrètement les concessions de Shanghai.
9 On a de cette période et jusqu’à la fin de sa longue vie de nombreuses photographies le représentant dans son personnage de « vieillard à la belle barbe » (meiran weng 美髯翁). Une grande quantité de poèmes de Yu Youren inspirés par les événements qu’il traversait ont été publiés avec un commentaire explicatif et historique détaillé dû à un certain Wang Luyi 王路一 (un ancien membre de son état-major de Sanyuan au moment de la rébellion sunyatséniste dont nous reparlerons), dont la matière a été abondamment reprise dans les biographies chronologiques (nianpu) citées à la note suivante.
10 Nous citons le texte d’après Yu 1953. Il existe une littérature surabondante sur Yu Youren, publiée tant à Taiwan que sur le continent. Pour une biographie relativement récente, et puisant largement dans la matière des Wenshi ziliao (voir ci-dessous), voir Xu et Xu 1997. Qu 2002 est une biographie passablement romancée. Nous avons également utilisé deux « biographies chronologiques », dont la seconde reprend en grande partie la première mais en la complétant : Yu Youren xiansheng jinianguan 1968, et Liu 1981.
11 Hu 1993. D’après l’introduction le manuscrit aurait été perdu pendant la révolution culturelle ; la présente édition est basée sur une copie dactylographiée conservée à l’Institut d’histoire moderne de l’Académie des sciences sociales de Chine. Nous remercions Xiaohong Xiao-Planes pour nous avoir mentionné l’existence de ce document étonnant (ainsi que de plusieurs autres utilisés dans ce travail), et Shum Wing Fun pour nous en avoir obtenu une copie bien qu’il soit depuis longtemps épuisé.
12 Hu 1993 : 3. Il admet au même endroit qu’il n’est pas porté à une vaine modestie, ce qui explique pourquoi il ne se console pas, lui qui avait acquis la réputation d’être si brillant au moment où il s’était emparé du fils de Lu Jianzhang en 1915 (voir ci-dessous), de s’être laissé piéger aussi stupidement et d’être « la risée du monde » (p. 5, et passim). Il se fait graver un sceau portant les caractères 拿破侖第二 (p. 44).
13 Qian Changzhao 錢昌照, un jeune technocrate qui va rendre visite en 1924-1925 aux principaux seigneurs de la guerre (ceux qu’il appelle « le parti de la vraie force », shilipai 實力派) muni d’une recommandation de son mentor Zhang Jian 張謇 (1853-1926), rencontre Hu Jingyi à Kaifeng et trouve qu’il a « plutôt pas mal d’idées pour un militaire », mais il remarque aussi qu’il est « boursouflé au point d’avoir du mal à se déplacer » (Qian 1998 : 18). Hu Jingyi est supposé avoir pratiqué les arts martiaux quand il avait 12 ans, mais déjà lorsque Li Yizhi l’aperçoit à l’école Jianben en 1909 (voir ci-dessous) il le trouve « énorme » (shuoran feizhe 碩然肥者) ; et au moment de sa capture en 1918 Chen Shufan le raillait parce qu’il était trop gros pour monter une mule.
14 Pour nous en tenir au sujet à propos duquel nous avons scruté dans leurs moindres détails les textes des Wenshi ziliao qui en parlent – la carrière de Li Yizhi et ses entreprises d’aménagement hydraulique au Shaanxi –, l’accumulation des contradictions et des erreurs pures et simples, chez des auteurs qui affirment pourtant avoir été témoins de ce dont ils parlent, est impressionnante. Le personnage lui-même est célébré comme un héros et un saint, et perd du coup toute l’épaisseur qu’il a dans ses propres écrits.
15 Les textes de la « deuxième vague » des Wenshi ziliao, publiés dans les années 1980, sont en général d’un ton moins strident.
16 Shao 2001, photographies en début de volume, va quand même un peu loin en affirmant que Zhang Fang avait « débuté comme bandit » (lülin qijia 綠林起家).
17 On peut ajouter pour compléter le portrait que Zhang Fang était un collectionneur fameux de stèles funéraires des Tang et de calligraphies. La plaque surmontant l’entrée de son studio à Xin’an avait été calligraphiée par Zhang Binglin.
18 La sensibilité exprimée est assez proche de celle des auteurs des Wenshi ziliao, dont après tout beaucoup étaient d’anciens compagnons de lutte de Cai Pingfan. Le texte paru à Taiwan (non destiné à la vente) a été repris en annexe à l’édition du journal de Hu Jingyi mentionnée plus haut, et c’est cette version que nous citons (Cai 1993). Les circonstances de son élaboration sont rappelées dans la préface de l’auteur.
19 Chen Hongmou 陳宏謀 (1696-1771), qui a servi quatre fois dans la province, n’est que le plus connu d’entre eux, surtout depuis le grand ouvrage de William T. Rowe (2001).
20 Cf. Ma 1993 ; l’ouvrage rend compte d’une enquête de terrain effectuée en 1956-1957.Après cet épisode les Musulmans semblent avoir pratiquement disparu des campagnes du Guanzhong.
21 Au Shaanxi les rébellions musulmanes sont réputées avoir été écrasées dès 1864 (Fairbank et Liu 1980 : 214-218), mais Ma 1993 montre qu’il y a eu des affrontements jusqu’en 1869 ; en 1866-1867 une puissante armée Nian entre à nouveau au Shaanxi et réussit à mettre le siège autour de Xi’an. Au Gansu et au Xinjiang, les opérations de répression conduites par Zuo Zongtang ne se concluent qu’en 1877.
22 Sur cet épisode voir Zhu Hu 2007. Li Yizhi se souvient que l’arrivée de la cour s’est traduite par des distributions de secours aux affamés (c’est le sujet de l’article de Zhu Hu). Au moment de l’arrivée de la cour à Xi’an, Yu Youren, qui après avoir passé près d’une année à diriger un centre de distribution de secours pour les victimes de la famine, étudie au Shaanxi zhongxuetang 陝西中學堂, doit vider les lieux avec ses condisciples et leurs professeurs pour faire de la place aux nouveaux arrivants ; il est dissuadé in extremis par un camarade d’envoyer une lettre au gouverneur de la province lui demandant de trucider de ses propres mains l’impératrice douairière pour relancer les réformes ! (Yu 1953 : 13-14) Au début de son journal de captivité, fin 1918, Hu Jingyi, qui lit à ce moment un ouvrage sur le siège des légations intitulé Gengzi shiguan beiwei ji 庚子使館被圍記, n’a pas trop de mots pour exprimer sa haine envers Cixi et les Mandchous (Hu 1993 : 10 et passim).
23 Alors qu’en termes purement climatiques la sécheresse des années 1876-1879, en Chine et ailleurs dans le monde, représente le record absolu de toutes les sécheresses dites El Niño pendant les siècles passés et jusqu’à aujourd’hui, que ce soit en durée, en intensité ou en étendue (Davis 2001 : 270 sq. et passim).
24 E.g. Li Yizhi 1933a et 1933b. Voir aussi Vermeer 1988 : 222 et 494 note 3 sur la réputation d’arriération et de « paresse » des paysans du Guanzhong dans les années 1930, et les sources citées p. 39 sur l’indolence et l’affaiblissement physique des travailleurs résultant de l’opiomanie.
25 Cai 1993 : 308 ; et Li 1962 : 91, pour les méthodes très « militaires » employées par Zhang Fenghui dans sa campagne d’éradication. Dans son tableau des incidents causés par la double politique de prohibition progressive et d’alourdissement fiscal menée après 1906, Liu 2005 mentionne plusieurs émeutes au Shaanxi entre 1906 et 1911 ; au début de 1907 les paysans auraient attaqué et détruit des bureaux de perception dans pas moins de treize districts du Guanzhong. La politique anti-opium inaugurée en 1906 est analysée en détail par le même auteur.
26 Sur Chen Shufan et l’opium, voir avant tout Li 1962, très précis dans le détail mais dont l’hyperbole dans la description des misères du peuple rappelle excessivement la littérature bien-pensante sur l’« ancienne société » ; sur son successeur Liu Zhenhua, dont nous reparlerons aussi, voir Zheng 2002 : 82-84. Les mêmes pratiques de fiscalité préemptive, contraignant dans les faits une proportion élevée de paysans à cultiver du pavot, profitaient aux nombreux militaristes locaux sur lesquels le contrôle de Xi’an n’était que nominal ; elles n’ont été remises en question qu’à partir de 1935 environ, lorsque les autorités nationalistes du Shaanxi se sont enfin décidées à s’attaquer sérieusement au problème de l’opium.
27 Li 1956 : 779-780. Shunde (ou Xingtai), sur la ligne Pékin-Hankou, est à 390 km au sud de Pékin. Dans les années 1920, cependant, la route à parcourir était un peu moins longue puisqu’on pouvait aller prendre le Longhai à Lingbao, au Henan (lorsqu’il n’était pas réqui sitionné par les militaires), et la route de Tongguan à Xi’an était en principe carrossable grâce aux efforts de l’armée de Feng Yuxiang en 1921-1922 (Todd 1925). Le projet de relier Tongguan à Xi’an par voie ferrée était ancien : lorsque Li Yizhi part étudier l’ingénierie ferroviaire en Allemagne en 1909, c’est avec une bourse du Bureau préparatoire du chemin de fer Xi’an-Tongguan (Xi-Tong tielu choubeiju 西潼鐵路籌備局), dont, heureuse coïncidence, son oncle est le secrétaire (l’autre boursier est le petit-fils du directeur).
28 Déjà Zhang Zai était un militant de la résistance contre les Tangut Xixia, qui empiétaient sur le nord-ouest de l’empire des Song.
29 Hu insiste sur l’importance accordée par Li Yong à autrui, par opposition aux « confucéens ordinaires » qui ne s’intéressent qu’à la culture de soi (zixiu). Il convient de rappeler qu’au-delà de Li Yong et de sa loyauté aux Ming l’école du Guanzhong était très active au xviiie siècle et avait la faveur de puissants gouverneurs comme, notoirement, Chen Hongmou (Rowe 2001 : 129 sq.).
30 Ye Bogao (i.e. Ye Erkai 爾愷) est originaire de Hangzhou, donc de ce Sud-Est paré de toutes les vertus (ou de tous les vices) du progressisme par les lettrés du Shaanxi, qui n’ont de cesse de déplorer l’arriération intellectuelle de leur province. Il semble avoir eu un impact non négligeable sur le petit monde des étudiants au Shaanxi. Yu Youren, qui avait déjà passé le baccalauréat mais se faisait mal noter dans les académies du Guanzhong qu’il fréquentait à cause de son faible intérêt pour les raffinements stylistiques de la prose d’examens, parle de l’apparition de Ye Bogao comme d’une libération (« C’est alors seulement que j’ai pu montrer tous mes talents »). Après avoir distingué Yu Youren parmi la masse des étudiants du Shaanxi, Ye lui prête un exemplaire du journal d’ambassade de Xue Fucheng et lui recommande de « se concentrer sur la situation internationale » (Yu 1953 : 11-12).
31 Ces pages restituent de façon extraordinairement vivante et détaillée, et parfois très drôle, la vie quotidienne des écoles et des académies à la fin des Qing.
32 L’oncle de Li Yizhi, qui avait été engagé comme conseiller technique (muyou) du directeur des études du Zhejiang, était revenu au pays ses malles bourrées de traductions de livres occidentaux (ainsi que d’une édition moderne du Honglou meng, que Li Yizhi essaie de lire en cachette). Avant cela déjà, Li Tongxuan s’était procuré une des premières encyclopédies de savoir occidental parues en Chine, une collection de traductions intitulée Xixue dacheng 西學大成 (1888) et portant sur une douzaine de disciplines scientifiques (y compris l’histoire), et l’avait étudiée avant de l’enseigner à ses fils.
33 Dans son témoignage sur Li Tongxuan, Li Yizhi le fait adhérer dès 1906 (Li 1956 : 818), mais il associe cette adhésion à des événements – les attaques brutales d’un magistrat réactionnaire contre les enseignants et les étudiants d’une école moderne de Pucheng dont Li Tongxuan était directeur, et le scandale qui s’est ensuivi – datant de 1908.
34 À la fin de son essai consacré à son père, Li Yizhi proclame son propre attachement à la famille chinoise traditionnelle et son opposition aux attaques auxquelles elle est en butte dans les milieux progressistes. Contrairement à son père, cependant, Li Yizhi n’a pas fini bouddhiste mais s’est converti au protestantisme sur son lit de mort – détail que ses biographies publiées en Chine populaire se gardent bien de mentionner !
35 Sur Liu Guyu (1843-1903), dont le vrai nom était Liu Guangben 光賁, voir par exemple les quelques anecdotes recueillies in Wang 1994 : 64-67.
36 Le Wanguo gongbao, publié à Shanghai de 1874 jusqu’à la mort d’Allen en 1907 (avec une interruption dans les années 1880), a été l’une des publications les plus influentes (sinon la plus influente) pour introduire les idées occidentales auprès des intellectuels chinois. Le Wanguo tongjian est une histoire générale composée par un autre missionnaire de la même organisation, Sheffield Zelotos, dont la première édition date de 1882.
37 Li Yizhi ne mentionne guère les missionnaires dans son autobiographie (alors qu’il les fréquentera beaucoup dans les années 1920 en tant que membre du bureau local de la China International Famine Relief Commission). Il voit des étrangers pour la première fois de sa vie, en 1897 probablement (à quinze ans), lorsque son père les emmène, lui et son frère, dans un temple protestant de Tongzhou 同州, la préfecture où ils se rendent chaque année pour tenter de passer le baccalauréat. Au moment de l’examen provincial de 1902 (qu’il rate), dont il a pris prétexte pour emmener sa grand-mère visiter Xi’an pour la première fois de sa vie, elle tombe malade et il la confie aux mains des missionnaires étrangers avec leurs « remèdes occidentaux » ; mais ils n’y connaissent rien et sa grand-mère refuse leurs remèdes. Elle meurt peu après leur retour à Pucheng. (Li 1956 : 770, 777-778.)
38 Sur tout cela, voir Yu 1953 : 14-18. Un de ses oncles l’a invité à venir étudier à Hong Kong, où il est installé comme commerçant, mais il doit refuser faute de moyens et clame sa frustration lorsqu’il entend parler de tous ces hommes de principe (zhishi 志士) qui se rassemblent à Shanghai dans un tourbillon d’idées (yilun fengfa 議論風發), alors que lui doit moisir (litt. « hiberner », zheju 蟄居) dans le Nord-Ouest sans pouvoir prendre son envol malgré les ambitions que lui suggèrent vainement les livres. Au moment de sa fuite en 1904 il avoue que de toute façon il avait déjà le projet d’aller à Shanghai (p. 19).
39 Sur ces actions séditieuses de Yu Youren, voir par exemple Li 1956 : 779. Le texte exact du distique est : « Échanger la tranquillité contre sa tête et son sang, aimer la liberté comme sa première épouse » (換太平以頭血,愛自由如髮妻). On trouvait aussi dans le recueil de poèmes le vers « Un changement de régime, alors seulement pourrons-nous ne plus être nos propres prisonniers ! » (革命方能不自囚).
40 Cai 1993 : 303 affirme que ses actions contre les Qing en ont fait le héraut (先聲) de la révolution au Shaanxi et ont puissamment contribué à éclairer les intellectuels de la province sur la situation du pays.
41 Li Yizhi a consacré à Guo Xiren un texte commémoratif (Li 1956 : 824-825) dans lequel il proclame sa dette envers lui et le désigne comme le véritable initiateur de la rénovation du célèbre canal Jinghui.
42 Sur Guo Xiren, voir en particulier Liu 1989 (rédigé en 1941 par un ancien conseiller de Hu Jingyi au moment de la Jingguojun) et Yang 1989.
43 C’est-à-dire, à la suite l’un de l’autre, de deux personnages que nous retrouverons plus loin et qui étaient les bêtes noires des révolutionnaires dans les années 1920, Chen Shufan et Liu Zhenhua. Pour une dénonciation des tendances supposément réactionnaires de Guo Xiren, voir par exemple Mi 1963 : 141.
44 Il est intéressant de remarquer qu’à partir de 1923 Li Yizhi succède à Guo Xiren non seulement comme chef du bureau d’hydraulique, mais aussi comme responsable du bureau d’éducation, où contrairement à Guo il s’efforce surtout de développer l’enseignement scientifique et technique.
45 En 1927, pendant l’épisode révolutionnaire dont il sera question plus loin, le père de Li Yizhi se dressera contre les étudiants activistes qui veulent faire détruire ce même temple de Confucius.
46 Cependant, d’après un de ses biographes, à l’âge de 12 ans Hu Jingyi avait étudié avec un juren (licencié) de Sanyuan et, à ses moments perdus, lisait des ouvrages militaires et des biographies d’hommes célèbres (Xu 1993 : 206). Parmi ses innombrables lectures de captivité, Hu Jingyi mentionne le Lunyu, le Mencius, la prose ancienne, la poésie des Tang, les auteurs de l’école du Guanzhong (notamment Zhang Zai et Li Yong), les histoires non officielles des Qing, les écrits militaires de Zeng Guofan et Hu Linyi (qu’il admire pour leur expérience), les Mémoires de Macartney (en traduction chinoise), et beaucoup d’autres choses encore, sans parler de la presse locale et nationale. Il s’initie aussi à la flûte et aux échecs. Il détaille à un moment le programme d’étude par jours alternés qu’il s’est imposé (Hu 1993 : 29). Il dit aussi qu’après toutes ces années de campagne ses efforts pour maîtriser les classiques le font penser à un aveugle montant un cheval borgne (mangren qi xiama 盲人騎瞎馬) (p. 50).
47 La citation complète du Lunyu est : « Gouvernez à force de lois, maintenez l’ordre à coups de châtiments, le peuple se contentera d’obtempérer, sans éprouver la moindre honte. Gouvernez par la vertu, harmonisez par les rites, le peuple non seulement connaîtra la honte, mais se régulera de lui-même » (Cheng 1997 : 75).
48 Même les symboles ont leur importance : au début du mois de novembre 1918 il se reproche d’avoir utilisé jusque-là le calendrier lunaire dans son journal, et se promet désormais de se « conformer respectueusement » aux lois de la république, qui commandent d’utiliser le calendrier solaire.
49 Par exemple lorsqu’il se met en posture de méditation (jingzuo 靜坐) et examine son caractère et ses paroles (Hu 1993 : 13).
50 Ou d’autres auteurs plus inattendus, comme Bland et Backhouse, dont il cite avec approbation un passage des Annals and Memoirs of the Court of Peking dans leur version chinoise parue en 1915 (intitulée Qingshi waiji 清室外記), où ils déplorent que les étudiants chinois revenus de Harvard, Edimbourg ou Tokyo veuillent s’attaquer à la tradition chinoise et à ses héros (Hu 1993 : 15).
51 Sur Jing Wumu voir ci-dessous. Ru Yuli, originaire de Sanyuan et camarade d’études de Li Yizhi, a été plus tard principal conseiller de l’état-major de l’Armée de pacification nationale, dont il sera longuement question plus loin et sur laquelle on lui doit une importante rétrospective dans les Wenshi ziliao.
52 Cai Pingfan (1993 : 303) parle cependant de « pas moins de plusieurs centaines » d’étudiants du Shaanxi au Japon avant 1911, ce qui semble beaucoup (dans la mesure où l’on peut donner une quelconque signification quantitative à ce genre de formule).
53 Yu Youren gagne également le Japon, et il aurait arrêté avec Sun Yat-sen une stratégie pour contrer les ambitions de Yuan Shikai et ressusciter la révolution au Shaanxi. Une centaine d’étudiants du Shaanxi avaient également été envoyés à Pékin ou à Shanghai, et une dizaine en Occident. Cai Pingfan considère que l’envoi de tous ces « talents » au Japon a eu des conséquences incalculables sur les événements ultérieurs au Shaanxi.
54 Voir la liste de noms donnée par Cai Pingfang (1993 : 304), qui comme d’autres auteurs tend peut-être à télescoper des événements qui ne se sont pas tous produits simultanément. Par exemple Guo Xiren ne semble avoir adhéré qu’en 1909 (et il devient le chef de la Ligue jurée au Shaanxi l’année suivante), et Hu Jingyi (qui n’avait que 16 ans en 1908) en 1910.
55 D’après certaines notices biographiques trouvées sur Internet, à utiliser sous toute réserve, Jing Wumu serait retourné dans sa province natale dès 1906 pour fonder une branche de la Ligue jurée et aurait fait deux autres voyages au Japon pendant les années suivantes ; après son premier retour en Chine en 1906 il serait également allé rencontrer Huang Xing et Qiu Jin pour discuter des perspectives de la révolution. Il est plus que vraisemblable qu’il a voyagé en Chine entre son arrivée au Japon en 1903 et son retour pour de bon en 1908, puisque Li Yizhi dit avoir fait sa connaissance à Pékin pendant ses études (Li 1956 : 784). Cependant les témoignages des Wenshi ziliao relatifs à la fondation de la Ligue jurée au Shaanxi datent tous celle-ci de 1908.
56 Xiasheng a eu 9 numéros, jusqu’en septembre 1909. Certaines sources mentionnent une autre feuille anti-Qing produite à Tokyo par les étudiants du Nord-Ouest sous l’impulsion de Jing Wumu, le Qin Long 秦隴 (Shaanxi et Gansu). D’une manière générale les années 1906 et suivantes voient une floraison de périodiques créés par des associations provinciales d’étudiants chinois à Tokyo. Voir Zhang 1998, tableau 17-1, où l’on trouve la liste de 94 périodiques révolutionnaires fondés entre 1899 et 1911, avec leurs lieux de publication, dates de vie, nom des responsables, etc. (Xiasheng est cité, mais pas Qin Long.) D’après certaines sources Jing Wumu aurait fait paraître en 1908 un long article intitulé « Ershi shiji zhi xin sichao » 二十世紀之新思潮, qui serait la première présentation des idées marxistes dans une publication chinoise.
57 Sur l’omniprésence des Hongmen 洪門 (i.e. de la Gelaohui) dans le Nord-Ouest et dans toutes les professions, à commencer par les militaires, voir Zhang 1986 : 61-62. Eu égard à leur rôle considérable pendant les événements de 1911, on est obligé de laisser aux chefs de la Gelaohui un nombre élevé de commandements militaires. En 1912 Zhang Fenghui aura le plus grand mal à purger les forces armées du Shaanxi de leur influence (Zhang 1986 : 103).
58 Jing Yuexiu 岳秀 (1878-1936), le frère aîné de Jing Wumu, était un « bachelier militaire » dans l’ancien système et avait étudié à l’Académie militaire de Xi’an. Il avait consacré toute sa jeunesse à pratiquer les arts martiaux et fréquenter les « chevaliers errants » (il passe pour avoir été un frère juré de Zhang Zuolin, le futur seigneur de la guerre de Mandchourie). Lui aussi fait partie de la « génération 1911 » : recruté très tôt par son frère cadet à la Ligue jurée, il participe activement à la révolution de 1911 et exerce des commandements militaires tout de suite après. À partir de 1917 il s’installe définitivement à Yulin 榆林, directement au sud de la Grande Muraille et au nord de Yan’an, où il avait déjà été responsable de la police en 1913 et dont il devient une sorte de satrape inamovible jusqu’à sa mort accidentelle (son pistolet est parti tout seul en tombant par terre…) : les différents pouvoirs qui se succèdent à Xi’an – de Chen Shufan au Guomindang en passant par Liu Zhenhua et Feng Yuxiang – lui confèrent divers grades et fonctions dans leurs appareils respectifs, mais la réalité, c’est que pour tout le monde il est le « Roi de Yulin ». Hu Jingyi se plaint dans son Journal qu’il s’occupe trop de ses femmes, de ses chiens et de ses chevaux, et pas assez de ses responsabilités militaires et de la future reconquête de la Mongolie (Hu 1993 : 30). Dans les années 1930 il combat sans états d’âme les communistes de la base de Yan’an, ses voisins.
59 Li Yizhi ne dit nulle part avoir lui-même formellement adhéré – alors que c’était le cas de son père et de son oncle –, et parle dans son autobiographie de sa « classe » à l’université de Pékin comme étant composée de gens sérieux qui ne faisaient pas de politique.
60 Li dit que son père (plutôt que son oncle) était l’inspirateur de cette école, qui a été une pépi nière de militants révolutionnaires à la veille de l’insurrection de 1911 au Shaanxi (Li 1956 : 819). Voir aussi Yang 1984 : 27.
61 L’artisan de ce coup était Hu Jingyi, encore jeune officier sous les ordres de Chen Shufan, qui avait brillamment organisé un traquenard dans son district natal de Fuping pour capturer le fils de Lu Jianzhang (lequel commandait un peloton de forces spéciales particulièrement redoutées) et s’en servir comme moyen de chantage pour obtenir que Lu quitte la province. La popularité de Hu Jingyi dans la région semble dater de ce premier exploit.
62 Voir le télégramme furieux que lui aurait adressé publiquement Yu Youren de Shanghai après cette palinodie et qui aurait fortement compromis sa réputation et redonné du cœur au ventre aux révolutionnaires du Shaanxi (Qu 2002 : 122-123).
63 Cela, même si bon nombre d’histoires écrites après coup (notamment les biographies de Yu Youren) tendent à présenter la rébellion de la Jingguojun comme une initiative de Sun Yat-sen, qui aurait envoyé Yu Youren au Shaanxi à cet effet, d’abord en vain en 1917 (voir ci-dessous note 68), puis avec succès en 1918 pour prendre la tête d’initiatives locales résultant de son premier voyage.
64 Le meilleur portrait que nous ayons de Chen est celui que propose Zhang Fang (Zhang 1986 : 138-158), qui le connaissait en effet très bien. Han 1982 est systématiquement hostile et contient un certain nombre d’erreurs à côté d’utiles renseignements. Voir aussi Wang 1984.
65 D’après Cai 1993 : 307 c’est grâce aux armes modernes acquises par Yu Youren et expédiées au Shaanxi que les forces révolutionnaires auraient réussi à repousser l’offensive de Shengyun , le gouverneur général du Shaanxi-Gansu en 1911, qui progressait depuis le Gansu et était parvenu à une centaine de kilomètres de Xi’an ; mais cette affirmation ne se retrouve dans aucune autre source.
66 Les anciens protagonistes de ces années s’exprimant quelques décennies plus tard dans les Wenshi ziliao emploient de façon plus ou moins interchangeable les expressions dangren, mindangren ou gemingdang ren pour parler des militants révolutionnaires, sans qu’il s’agisse nécessairement de membres du Parti révolutionnaire de Chine fondé par Sun Yat-sen à Tokyo en 1914.
67 De ce dernier on n’a pas vraiment de déclarations à ce sujet, mais certaines lettres ou instructions à des militants du Shaanxi au moment de l’épisode de la Jingguojun formulent l’idée de créer une base dans le Nord-Ouest qui ferait sa jonction avec les forces du Sud – autrement dit, ce que l’Armée nationale (Guominjun) de Feng Yuxiang a finalement réalisé en 1926-1927 au moment de l’Expédition du Nord. Cette stratégie ne doit pas être confondue avec le Plan du Nord-Ouest secrètement concocté par Sun Yat-sen avec les Soviétiques au début des années 1920, ces derniers étant supposés aider à la conquête du pouvoir en attaquant par le Xinjiang, par la Mongolie Extérieure ou par la Mandchourie.
68 Ce déplacement de Yu Youren dans sa province natale, où il n’avait pas résidé depuis sa fuite en 1904 (en dehors de deux visites éclairs clandestines pour voir son père mourant en 1908, puis pour l’enterrer), est omis dans plusieurs biographies, qui le font revenir en 1918 seulement pour réorganiser la Jingguojun. En revanche, les biographies chronologiques (nianpu) que nous avons consultées font bien revenir Yu Youren au Shaanxi en mai 1917, mais sur instruction de Sun Yat-sen et non pas à la demande de Chen Shufan, et dans le but exprès de créer une armée révolutionnaire qui fera la jonction avec le Sud-Ouest. Yu Youren se serait entretenu à ce propos avec toute une pléiade de révolutionnaires locaux, mais l’« obstruction » de Chen Shoufan, dont la nature n’est pas précisée, fait échouer le projet et Yu Youren rentre « tristement » à Shanghai. Les deux versions ne sont pas à strictement parler incompatibles (Yu Youren a très bien pu prendre des contacts pendant son séjour à Xi’an en 1917).
69 Pour nous en tenir aux souvenirs détaillés publiés dans les Wenshi ziliao, voir par ex. Wang 1984, Ru 1962, Yang 1984, Ma 2000, Zhang 1986 : 193-209. Voir aussi Cai 1993. On trouve un récit relativement clair de l’enchaînement des événements, précisant l’étendue du contrôle de la Jingguojun à différentes dates, le rôle des différents chefs, etc., in Ding 1992, n° 155.
70 Ancien subordonné de Chen Shufan que celui-ci à piégé en l’envoyant avec ses troupes se faire écraser au Shaanxi sous prétexte de combattre la restauration de Zhang Xun, Guo Jian s’est alors replié à Fengxiang, dans l’ouest du Guanzhong. Ce pittoresque personnage, excellent calligraphe et jouissant pour cette raison d’une certaine notoriété parmi les notables de la région, cultivait le style « chevalier errant » et était considéré par la plupart de ses collègues comme guère mieux qu’un chef de bandits, et de plus, fameusement débauché. Il finira en 1921 abattu par Feng Yuxiang en personne au cours d’un banquet où celui-ci l’a attiré à Xi’an, et sur lequel nous avons le témoignage oculaire de Liu Ji劉驥 (Liu 2000), dont la narration est digne d’une scène filmée. Voir aussi Ma 1999, dont l’auteur, un ancien lieutenant de Guo Jian, donne beaucoup de détails sur son rôle dans l’histoire de la Jingguojun.
71 Chef d’un escadron de cavalerie, il dirige un bref soulèvement en octobre 1917 à Baishui 白水 (dans l’est du Guanzhong) et se proclame indépendant au nom de l’Armée de protection de la Constitution au Nord-Ouest (Xibei hufajun) ; mais Chen Shufan réagit et il doit rapidement abandonner la ville. Voir en particulier Yang 1962.
72 Alors qu’il était encore à Shanghai, en juillet 1917, Sun Yat-sen avait de la même façon adoubé un certain Jiao Zijing, 焦子靜 l’un des adhérents de la première heure de la Ligue jurée au Shaanxi, « Commissaire de l’Armée de protection de la Constitution chargé de rallier et subjuguer le Shaanxi » (Huguojun Shaanxi zhaotaoshi 護法軍陝西招討使) ; Jiao Zijing avait participé sous cette bannière à l’insurrection avortée de Gao Jun à Baishui.
73 Parmi de multiples récits de la rébellion de Sanyuan, voir Xu 1993 : 209, et surtout les souvenirs très détaillés de Deng Baoshan – l’un des plus jeunes membres de la « génération 1911 », comme Hu Jingyi (Deng 1962).
74 D’après au moins un auteur, Chen Shufan aurait prévenu Hu Jingyi par « téléphone à longue distance » qu’il n’avait pas intérêt à se comporter avec lui comme ils l’avaient fait ensemble avec Lu Jianzhang, le représentant de Yuan Shikai au Shaanxi en 1914-1916, lorsqu’ils l’avaient contraint à quitter la province en kidnappant son fils, et qu’il ne se laisserait pas faire. Voir Ding Zhongjiang, Beiyang junfa shihua, loc. cit.
75 Les exemples de telles communications « trans-front » plus ou moins discrètes entre anciens amis, condisciples, « pays », etc., fourmillent. En 1918 un certain Dang Zhongzhao 黨仲昭, commandant adjoint d’un régiment d’instruction de Chen Shufan, qui est de Sanyuan et connaît Yu Youren depuis longtemps, correspond régulièrement avec Sanyuan et fournit même des passeports de son régiment aux membres de la Jingguojun qui ont besoin de se rendre hors de la province ; il finit par s’enfuir de Xi’an quand il se sait surveillé par les services de Chen Shufan (Wang 1984 : 21-22).
76 Sur Tian Yujie voir Zhang 1962 : 61, et Chen 1962 : 67-69. Par la suite Tian Yujie suivra Hu Jingyi dans son ralliement à Feng Yuxiang et aux forces du Zhili ; il finira comme seigneur de la guerre local dans son fief de Jingyang, d’où les généraux de Feng Yuxiang le délogeront en octobre 1927 après un siège de plusieurs semaines ; après quoi l’on perd sa trace.
77 À la fin de son histoire de la Jingguojun, Zhang Fang écrit : « J’étais l’ami de Chen Shufan et Liu Zhenhua, je les ai patronnés à leurs débuts, j’ai été incapable de les aider par la suite [i.e. à continuer d’adhérer à la bonne cause], d’où ces luttes fratricides entre gens du même parti, ma responsabilité est considérable » (Zhang 1986 : 209).
78 Liu Zhenhua (écrit 振華) est mentionné parmi les « révolutionnaires » mobilisés en 1911 par Zhang Fang pour reprendre aux impériaux la place forte de Tongguan (Cai 1993 : 307).
79 Lary 1985 : 63 le décrit un peu vite comme un « ancien maître d’école » qui en 1912 aurait rassemblé en quelques semaines une armée faite de bandits henanais. D’après Zhang Fang, en 1908 Liu Zhenhua était « responsable des affaires générales » (shuwuzhang 庶務長) dans une école privée de Kaifeng appelée Zhongzhou gongxue 中州公學, qui servait de couverture à la branche henanaise de la Ligue jurée (Zhang 1986 : 41).
80 Liu Zhenhua semble avoir fini un peu dérangé. En 1949 il s’embarque pour Taiwan en compagnie de ses nombreux frères et de leurs familles.
81 Ainsi, au moment du conflit entre Liu Zhenhua et Hu Jingyi au début de 1925 et pendant le siège de Xi’an par Liu Zhenhua en 1926 (évoqués l’un et l’autre ci-dessous), Zhang Fang s’efforce en vain de convaincre Liu Zhenhua de changer d’idées.
82 En revanche, en 1924, après avoir régné sur la région pendant cinq ans et avoir exploité « le sang et la sueur du peuple du Shaanxi », Liu est à la tête d’une force de plus de 100 000 hommes : c’est donc désormais un seigneur de la guerre qui compte.
83 Certaines biographies récentes de Yu Youren affirment que c’est Zhang Yi’an qui, au moment de mourir, aurait adjuré ses compagnons de demander à Yu de prendre la tête du mouvement. Yu Youren se consacrait alors à des activités littéraires et journalistiques à Shanghai. D’après Zhang Fang (1986 : 169), qui était à ce moment à Pékin, c’est à Sun Yat-sen lui-même que Hu Jingyi et les autres auraient demandé avec insistance qu’il les envoie, lui et Yu Youren, prendre le commandement de la Jingguojun. Il est effectivement retourné au Guanzhong quelques semaines avant Yu Youren, en mobilisant au passage ses anciens amis du Henan.
84 Wang (1984 : 19) affirme qu’avant de s’installer à Sanyuan Yu Youren aurait été reçu à Xi’an par Chen Shufan, lui aurait annoncé qu’il avait reçu l’ordre de Sun Yat-sen d’aller pacifier le nord de la Wei, et se serait posé en arbitre dans les affaires du Shaanxi ; il s’agit visiblement d’une confusion avec son passage à Xi’an l’année précédente.
85 L’organigramme et la liste nominative des personnels du quartier général (zongsiling), du haut commandement (zongzhihui) et du commandement de chacune des six routes sont fournis en annexe à Hu 1993. (Zhang Fang [1986 : 200] précise que la numérotation des six routes avait été tirée au sort pour prévenir les susceptibilités.) Le quartier général, dont le commandant en chef était Yu Youren et le commandant en chef adjoint Zhang Fang, comptait plus de 120 officiers et avait même un bureau à Shanghai, avec un chef télégraphiste et un secrétaire.
86 Nous retrouverons à la fin de cet essai Yang Hucheng présidant, en tant que général gouverneur, à la renaissance du Shaanxi après sa reprise par les forces du régime de Nankin à l’automne 1930. Yang était à l’origine un paysan misérable de Pucheng, devenu brigand avant de s’engager dans l’armée avec sa petite bande en 1916. En 1918 il est un des chefs de corps de la « troisième route » commandée par Cao Shiying. Sa célébrité internationale date de l’« incident de Xi’an » en 1936.
87 En réalité les forces de Fan Zhongxiu, qui était originaire de l’ouest du Henan mais dont la famille avait émigré dans le nord du Shaanxi en 1908, étaient au départ une milice d’autodéfense supposée protéger les populations locales contre les tufei ; la majorité de ses hommes devaient en effet être originaires du Henan, et la liste de ses lieutenants de la 2e « route » les désigne tous comme henanais (Hu 1993 : 356). Contrairement à la majorité des chefs de la Jingguojun, Fan Zhongxiu n’était pas un « révolutionnaire d’origine », si l’on peut dire, mais il aurait conçu une foi inébranlable dans les enseignements de Sun Yat-sen après son ralliement au début de 1918, sous l’influence notamment de Zhang Fang. Voir le texte très admiratif de ce dernier (Zhang 1986 : 166-175). Après tout ils faisaient partie l’un comme l’autre de ces nombreux « héros de la brousse » (caomang yingxiong 草莽英雄) qui avaient émergé des montagnes et des forêts du Henan occidental avant et après 1911.
88 Ainsi p. 13, où il dit que le problème de Chen Shufan, c’est que lui (Hu Jingyi) est plus populaire que Chen.
89 Les « troupes régulières » (guanbing) sont bien ici celles des insurgés, qui considéraient leur régime comme légitime.
90 Voir le récit oculaire de l’incident reproduit in Ma 2000 : 163-166, dû à un certain Wu Guyue 吳古岳, un officier de l’état-major de Chen Shufan souvent cité dans le Journal de Hu Jingyi et que ce dernier tenait en estime. Selon Wu, Jiang voulait en fait provoquer une rencontre avec Chen Shufan (qu’il avait fait venir en hâte en apprenant l’arrivée de Hu Jingyi) dans l’espoir de restaurer l’unité du Shaanxi ; Hu Jingyi, qui à en croire ce témoignage aurait suivi Chen Shufan de son plein gré, ne semble en effet pas en avoir tenu rigueur à Jiang. L’introduction à l’édition du Journal de Hu Jingyi (Hu 1993 : 1-2), citant un ouvrage intitulé Xibei geming shi zhenggao 西北革命史徵稿, propose une version sensiblement différente dans laquelle Hu Jingyi est bel est bien kidnappé et emmené à Xi’an au nez et à la barbe de ses fidèles lieutenants accourus pour le délivrer. Wang Dongming (1984 : 22-23) propose encore une autre interprétation : le coup avait été monté à l’avance par Chen Shufan, la partie adverse l’avait percé à jour et des forces de la Jingguojun se tenaient en embuscade pour capturer Chen au moment du rendez-vous et l’exécuter, mais ce dernier ne s’était pas laissé piéger et il était reparti avec Hu.
91 Après avoir été capturé il a été remplacé à la tête de ses forces par un de ses seconds, Yue Weijun 岳維峻. Après la mort de Hu en 1925 Yue prendra de nouveau le commandement de son armée, devenue à ce moment la puissante 2e Armée nationale (guominjun) – la 1re Armée étant celle de Feng Yuxiang.
92 Il regrette à un moment d’apprendre que, comme tout seigneur de la guerre qui se respecte, Chen est en train de s’acheter une « maison occidentale » dans les concessions de Tianjin et de mettre de l’argent de côté dans les banques de Shanghai (Hu 1993 : 24).
93 Dès le 20 octobre il écrit à Chen Shufan (dont les bureaux sont juste à côté du pavillon où il est enfermé) pour le convaincre de proclamer l’indépendance et de constituer une fédération du Gansu et du Shaanxi qui pourrait intervenir dans les affaires nationales tout en évitant aux populations locales les désastres de la guerre civile. Ce thème revient de façon obsessionnelle pendant la période qui suit. Le 20 novembre il rédige à nouveau une lettre solennelle qu’il fait porter à Chen pour l’adjurer d’unifier le Shaanxi, de lancer des réformes et de ne pas laisser entrer dans la province les troupes envoyées à la rescousse par le gouvernement de Pékin (voir ci-dessous). Dans certaines conversations en tête-à-tête, Chen reste ambigu, mais il est clair qu’il cherchait surtout à se servir de Hu Jingyi pour faire avancer ses propres intérêts (Hu 1993 : 22-23, 27, 31, 43, 58-59, et passim).
94 La différence entre zongzhihui et zongsiling (le titre porté par Yu Youren) est apparemment que le premier opère sur le terrain, alors que le second est à la tête du quartier général. Lorsque Hu Jingyi sera libéré et renvoyé au nord de la Wei en 1920, il sera nommé zongzhihui par Yu Youren (d’après certaines sources il occupait déjà ces fonctions avant sa capture). Zhang Fang (1986 : 201-202) affirme que c’est sur sa proposition que Jing Wumu, dont la légitimité révolutionnaire était grande, avait été désigné à ce poste afin de poursuivre la lutte et de « restaurer la situation de 1912 ».
95 En revanche, évoquant devant Hu Jingyi l’exécution de Jing, Chen affirme que c’est « très bien » (Hu 1993 : 62). Zhang Fang date l’événement du 15 novembre, mais le journal de Hu Jingyi confirme que c’est le 21, comme indiqué par d’autres auteurs (e.g. Cai 1993 : 326). Le frère aîné de Jing Wumu, Jing Yuexiu (que Chen Shufan craignait beaucoup), réussit à rattraper Li Dongcai, à qui Chen avait enjoint de disparaître du Shaanxi, et le ramène dans sa résidence de Yulin pour l’exécuter avec une cruauté digne des vengeances du Roman des bords de l’eau. En 1930 le Guomindang nommera Jing Wumu général à titre posthume et lui fera faire des funérailles nationales au Shaanxi, présidées par Yu Youren. On donne son nom à une porte et à une rue de Xi’an.
96 Les forces de Ye Quan faisaient partie d’une Armée de pacification nationale du Sud-Ouest constituée depuis le Yunnan par Tang Jiyao 唐繼堯 et impliquant le Yunnan, le Guizhou, le Sichuan et le Hubei ; elles sont en fait les seules à être parvenues jusqu’au Guanzhong et à y avoir combattu. Sur l’entrée au Shaanxi de la 8e Armée de pacification nationale de Ye Quan, voir par ex. Ma 1999 : 166-167.
97 Sur ces pourparlers, qui répondaient à une vive pression des puissances occidentales, pour qui la réconciliation des sudistes et des nordistes conditionnait la participation de la Chine aux futures négociations sur la paix, voir Roux et Xiao-Planes 1998 : 222-223. La conférence de Shanghai s’ouvre officiellement le 20 février 1919 ; les négociations seront suspendues sine die le 20 juin 1919, mais dès le mois d’avril la situation était bloquée (ibid. : 226).
98 Plusieurs dizaines de milliers d’hommes ont été envoyés par le gouvernement du Beiyang pour appuyer Chen Shufan et Liu Zhenhua : voir pour le détail Liu 1981 : 41, et surtout Zhang 1986 : 202 sq., qui décrit les combats de façon très circonstanciée.
99 Sur les difficiles négociations de Shanghai, voir Ding Zhongjiang, Beiyang junfa shihua, loc. cit. ; sur les tractations au Shaanxi, Cai 1993 : 328-329. D’après les souvenirs de Zhang Fang sur l’histoire de la Jingguojun, le personnage dépêché depuis Shanghai, un certain Zhang Ruiji 張瑞璣 (qui avait été magistrat au Shaanxi), ne veut bien reconnaître comme interlocuteurs légitimes que Yu Youren et Zhang Fang : tous les autres sont des tufei.
100 Voir les télégrammes de Yu Youren et Tang Shaoyi, datés de mars 1919, reproduits in Cai 1993 : 330-332.
101 Xu quittera la province en 1920 pour participer au conflit entre la clique de l’Anhui et celle du Zhili, alliée au Fengtian (dont il dépend).
102 Zhang Fang (1986 : 205) affirme qu’à ce moment le télégraphe est coupé et qu’on ne peut faire circuler le courrier que par des chemins détournés, si bien qu’une information met un mois pour parvenir à Shanghai et qu’il faut deux mois pour communiquer avec les armées alliées du Sichuan et du Yunnan.
103 Cai Pingfan (1993 : 333) cite une série de noms d’étudiants venus du Japon ou de Pékin en ajoutant qu’ils étaient « plusieurs dizaines » ; il donne aussi les noms de « lettrés accomplis » (suru) connus dans la région, parmi lesquels Zhu Foguang, dont nous avons vu précédemment qu’il avait exercé une grande influence sur Yu Youren une vingtaine d’années plus tôt.
104 Cai (1993 : 334) cite une lettre de Sun Yat-sen datée du 1er septembre 1919 dans laquelle ce dernier annonce l’envoi de cinq exemplaires de son dernier ouvrage (il s’agit probablement du Sun Wen xueshuo, publié à Shanghai en mai 1919) et demande à Yu Youren de le faire réimprimer et distribuer.
105 Il semble que le Shaanxi ait souffert moins longtemps de cette sécheresse que les autres provinces de Chine du Nord et que la situation se soit améliorée dès l’été 1920, c’est-à-dire au moment même où les organisations philanthropiques et la communauté étrangère en Chine commençaient à s’organiser : voir le bilan dressé in Peking United International Famine Relief Committee 1922.
106 Cai Pingfan (1993 : 335) est de loin le plus circonstancié là-dessus, donnant les noms des émissaires envoyés par Yu Youren à Pékin et évoquant leurs efforts couronnés de succès pour contrer les tentatives de sabotage de Chen Shufan auprès des autorités de la capitale. Mais, si l’on compare les différentes sources, la confusion est considérable dans les noms et juridictions des associations de secours (yizhenhui 義賑會) qui se seraient constituées en Chine du Nord, au Shaanxi, voire sur le territoire du Weibei.
107 E.g. Liu 1981 : 40, qui en outre affirme que les réformes ont été lancées dès l’arrivée de Yu à Sanyuan en 1918, alors qu’il est clair que jusqu’au milieu de 1919 au moins son attention était entièrement accaparée par les problèmes militaires.
108 Les dernières entrées du journal de Hu Jingyi (la dernière est datée du 25 juillet 1920) montrent que les autorités de Xi’an exercent sur lui une intense pression pour qu’il « arrange les choses » (shoushi 收拾), c’est-à-dire qu’il persuade ses amis de la rive nord de la Wei d’abandonner la dissidence et de coopérer, pour le plus grand bien de la province tout entière ; lettres et visites s’échangent, et comme il est visiblement convaincu qu’il n’y a plus de raisons de s’acharner, Hu Jingyi se prête volontiers à cette démarche dont il sait, pourtant, que Yu Youren et Zhang Fang y sont hostiles.
109 Ou qui était sur le point d’arriver lorsque Yu Youren a dû abandonner Sanyuan ; certains (dont Cai Pingfan) n’hésitent pourtant pas à affirmer qu’il est venu travailler sur le Weibei pendant la dissidence, alors qu’il est retourné au Shaanxi près d’un an après la dissolution de la Jingguojun par Hu Jingyi.
110 Sur Li Zhongsan, voir ci-dessous note 115.
111 Li Yizhi mentionne explicitement l’enthousiasme des étrangers résidant au Shaanxi pour le projet d’irrigation du Weibei, ce qui a pu être une des raisons qui l’ont décidé à revenir. Sur la CIFRC, qui fait aujourd’hui l’objet de travaux en chinois nombreux et détaillés, voir pour une première approche Nathan 1965 ; sur ses activités au Shaanxi voir Wei Peixin (P.-E. Will) 2004.
112 Sur cette phase de la carrière de Sun Yat-sen (jusqu’à la rébellion de Chen Jiongming et au second départ pour Shanghai, qui coïncident exactement avec la dispersion des derniers régiments de la Jingguojun au Shaanxi), voir Bergère 1994 : 305-344.
113 Cai Pingfan (1993) reproduit également un télégramme de Sun Yat-sen à Yu Youren daté du 18 février où il lui dit qu’il essaie d’intervenir dans les pourparlers de paix, mais sans croire à la sincérité des nordistes.
114 Le Guomindang avait été refondé en octobre 1919, pendant l’exil de Sun Yat-sen à Shanghai. Au moment de la mort de Hu Jingyi il s’était allié au Parti communiste chinois, sous l’égide du Komintern, au sein du premier Front uni. À en croire Liu et Tian 2004 : 114-116, dès le lendemain du « coup de Pékin » Hu Jingyi avait pris des contacts avec Li Dazhao (1889-1927), le dirigeant communiste responsable du front uni avec le Guomindang, et l’ambassade soviétique, tout en envoyant un émissaire auprès de Sun Yat-sen à Tianjin. En décembre 1924 et au début de 1925 il aurait fait venir Li Dazhao au Henan pour le conseiller, d’où serait résulté un indéniable gauchissement dans sa zone d’influence (« travail politique » au sein des forces armées, encouragement des « organisations de masse », etc.). Mais ces développements tournent court après le décès subit de Hu Jingyi, dont le successeur, Yue Weijun, est beaucoup moins ouvert aux idées nouvelles.
115 Sur l’implication de Hu Jingyi voir Li 2000. Notable de Sanyuan et vieux compagnon de Hu Jingyi depuis l’époque de la Ligue jurée avant 1911, Li Zhongsan (l’auteur de cet essai) n’hésite pas à affirmer – ce qui semble absurde – que Hu avait rejoint les rangs de la clique du Zhili en 1921 sur le conseil de Sun Yat-sen et que la proclamation publiée au moment du coup de 1924 avait été préalablement soumise à l’approbation de ce dernier.
116 Feng Yuxiang et le nouveau gouverneur militaire du Shaanxi, un certain Yan Xiangwen陳宏謀, arrivent au printemps 1921 et délogent sans trop de mal Chen Shufan de Xi’an. Yan se suicide peu de temps après par overdose d’opium et Feng prend sa place.
117 Cet épisode est daté du 26 décembre 1921 par Liu 1981 : 45 ; du 17 janvier 1922 par Ru 1962 : 11.
118 À quoi il faut sans doute ajouter l’impression que devaient faire l’efficacité et l’extrême discipline de l’armée de Feng Yuxiang. Sur Feng Yuxiang au Shaanxi en 1921-1922, on peut se reporter à Sheridan 1966 : 101-107, ainsi qu’au témoignage aussi informé que pittoresque du futur général Stilwell (alors attaché militaire à la légation américaine à Pékin) in Tuchman 1970 : 77-83.
119 E.g. Liu 1981 : 45, où Hu Jingyi s’adresse à l’épouse de Yu, ce dernier ayant refusé de le voir. D’après Zhang Fang (1986 : 208), Hu reste une heure à la porte de Yu, l’appelant et criant que ses actions futures montreront qu’il reste loyal envers lui, avant de repartir en larmes. Yu Youren lui-même mentionne cette visite dans l’inscription funéraire rédigée après la mort de Hu et semble dire qu’ils se sont parlé : Yu lui reproche son ralliement en invoquant le devoir (dayi 大義), mais Hu fait le serment de « servir le pays jusqu’à la mort » (zhongshen baoguo 終身報國).
120 Sur l’histoire de ce système depuis l’Antiquité jusqu’au début du xxe siècle, voir Will 1998. L’apport le plus crucial de l’ingénierie moderne devait être le percement d’un tunnel de 2,6 km pour aller prendre l’eau de la rivière Jing (le principal affluent de la Wei) plus haut qu’à l’époque impériale.
121 À partir du début de 1918 les districts correspondant au périmètre d’irrigation du Longdong étaient aux mains de la Jingguojun, mais Guo Xiren s’était arrangé avec ses anciens camarades en révolution. Au reste, le district de Jingyang, où se trouvent les principaux dispositifs du canal, étaient sous le contrôle de Tian Yujie, dont nous avons vu qu’il restait très indépendant du quartier général de la Jingguojun.
122 Sur Xibei daxue voir Mi 1963 : 141, qui en parle comme d’une institution qui n’a d’université que le nom et où Liu Zhenhua fait venir des lettrés réactionnaires du Shaanxi et des compatriotes du Henan.
123 Sur l’Armée nationale, voir principalement Liu et Tian 2004. Il y a en fait trois « Armées nationales » – la première, la deuxième et la troisième – relativement indépendantes les unes des autres, commandées respectivement par Feng Yuxiang, Hu Jingyi et un certain Sun Yue . Plusieurs autres (jusqu’à la septième) connaîtront des existences éphémères (ibid., chap. 1).
124 Le n° 3 des Shaanxi wenshi ziliao xuanji (1963) est entièrement consacré au siège de Xi’an. En dépit des envolées lyriques sur l’héroïsme des populations assiégées, il est clair qu’il y a eu de terribles tensions entre militaires et civils à l’intérieur de la ville et que le jusqu’au-boutisme de Yang Hucheng suscitait de fortes oppositions. Au reste, sitôt le siège levé Yang a préféré abandonner son commandement et faire retraite dans un lieu tenu secret.
125 Sur les tractations entre Feng Yuxiang, le gouvernement soviétique, ses représentants en Chine, le Parti communiste chinois et le Guomindang, voir en particulier Liu et Tian 2004 : 109-131, 362-370, qui s’appuient sur la documentation récente pour mettre en lumière les motivations des Soviétiques, intéressés avant tout à protéger leurs intérêts en Mongolie et en Mandchourie.
126 Dans les faits, Feng enverra en avant deux divisions lever le siège de Xi’an, ce à quoi elles parviennent au prix de combats extrêmement difficiles à la fin novembre 1926, et n’arrivera sur place avec le gros de ses troupes qu’en janvier 1927. Cf. Zhang 1986 : 256 ; Jiang 2003 : 77 (Jiang cite abondamment un ouvrage intitulé Feng Yuxiang zai Shaanxi, Xi’an, Shaanxi renmin chubanshe, 1988, que nous n’avons pu consulter) ; et surtout, pour le détail des opérations, Liu et Tian 2004 : 378-384. Liu et Tian disent bien que c’est à l’instigation de Li Dazhao que Yu Youren est allé rejoindre Feng Yuxiang à Moscou pour le convaincre de rentrer en Chine (Feng envisageait de se rendre en Allemagne), mais ils n’évoquent pas la « feuille de route » dont Yu aurait été porteur d’après d’autres récits ; de fait, même sur le chemin du retour Feng Yuxiang semble avoir caressé des projets plus ambitieux, incluant une attaque directe sur Pékin, avant de revenir à la stratégie décrite à l’instant.
127 Ainsi Chen (s.d.). Le gouvernement Guomindang a été transféré de Canton à Wuhan (Hankou) en janvier 1927.
128 Pour ce qui suit, voir entre autres Xu et Xu 1997 : 158-161 ; Sheridan 1966 : 209-216 ; Liu et Tian 2004 : 385-390 ; et le témoignage passionnant de Zhang Fang (Zhang 1986 : 256-261).
129 Yu Youren n’en est pas alors à sa première expérience de collaboration avec les communistes, puisque dès 1923 il avait été un des fondateurs de l’Université de Shanghai (Shangda), truffée de cadres du PCC, tels Qu Qiubai, Deng Zhongxia et d’autres (Alain Roux, communication personnelle).
130 L’institut se trouvait sur le site de l’ancienne Université du Nord-Ouest, dont Li Yizhi avait été le doyen.
131 Voir les souvenirs de Chen Jiesheng (Chen s.d.) ou encore ceux de Pang Qi (Pang s.d.), qui s’était engagé dans l’armée à ce moment.
132 Le quartier général de Yu Youren n’a de compétence que sur le Shaanxi, alors que celui de Feng Yuxiang, dont il dépend, commande tous les territoires aux mains de l’Armée nationale.
133 Cette école est appelée Xibeijun zhengzhi xuexiao 西北軍政治學校 dans Jiang 2003 : 77.
134 Sur les associations paysannes, qui apparaissent localement dès la fin de 1926 et sont par la suite constituées en fédération, voir l’étude intéressante de Xi, Ding et Liu (s.d.).
135 Sur la façon dont le Gansu a été pressuré par Liu Yufen, le proconsul de Feng Yuxiang, jusqu’en 1930, voir Liu et Tian 2004 : 390-394. Comme le disent ces auteurs, la contribution des masses du Gansu à la reconstitution de l’Armée nationale et en fin de compte au succès de l’Expédition du Nord aura été « très grande ».
136 Les quelques témoignages cités plus haut montrent que dès le lendemain du ralliement officiel de Feng Yuxiang à Chiang Kai-shek, le 15 juillet 1927, la répression s’abat : les militants communistes rentrent dans la clandestinité, les associations paysannes sont dissoutes, etc.
137 Il semble qu’il ait pris la décision à la dernière seconde. Zhang Fang, encore, a été témoin de la scène, Feng Yuxiang courant sur le quai en criant à Yu de descendre tout de suite ! (Zhang 1986 : 263)
138 Ainsi Tian Yujie, l’ancien compagnon de Hu Jingyi, à Jingyang (note 76 ci-dessus). Le dernier siège, et de loin le plus sanglant, est celui de Fengxiang, dans l’ouest du Guanzhong, où s’est retranché un ancien lieutenant de Guo Jian et qui dure de janvier à août 1928. Sur ces sièges, voir le témoignage impressionnant de Zhang, 1999.
139 Kang 1931 : passim, notamment 9 sq. sur les tufei. Le texte d’environ 160 pages intègre divers témoignages et documents au fil d’une narration lâche et passablement répétitive, non dénuée d’approximations et d’erreurs factuelles, et, surtout, passionnément polémique. La défaite de Feng Yuxiang et la reprise du Shaanxi par les forces nationalistes en octobre 1930 sont mentionnées, mais sans que l’auteur considère pour autant que la Chine en a fini avec les bandits et les seigneurs de la guerre.
140 Voir par exemple Li 1988 : 286-296, ainsi que 316-317 (un texte de 1932 dans lequel Li Yizhi fait des recommandations pour transformer la zone irriguée par le nouveau canal Jinghui en une « zone économique intégrée », zhenggede jingji quyu 整個的經濟區域).
Notes de fin
1 Cet essai a bénéficié des remarques de Christian Lamouroux, Alain Roux et Xiaohong Xiao-Planes.
Auteur
Professeur, Collège de France, directeur d’études (EHESS), France.
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