Louis XIV – un nouvel Alexandre
p. 64-65
Texte intégral
1Même si Félibien hésite à comparer directement Louis XIV avec Alexandre, reflétant ainsi la nouvelle orientation imprimée à la politique artistique sous Colbert103, ce rapprochement fut certainement à la base du tableau dès le début de son élaboration. En effet, Louis XIV était déjà décrit à sa naissance comme un nouvel Alexandre104. Établir un parallèle avec un souverain antique était un procédé encomiastique établi. Si son grand-père Henri IV fut rapproché de César, et son père Louis XIII volontiers comparé à Constantin, on choisit pour Louis XIV la figure du roi macédonien. Derrière ces associations se distinguent deux niveaux d’argumentation. Le personnage historique devait servir de modèle au jeune roi, argument qui procède de la définition même de l’historiographie dont la mission suprême était l’éducation du prince. Le second message visait à montrer que le monarque actuel avait déjà atteint les qualités de son modèle et devait être considéré désormais comme un nouveau César, Constantin ou Alexandre. Concernant Louis XIV, il est possible – du moins à une certaine époque – que la comparaison avec Alexandre n’ait pas relevé uniquement d’une fantaisie de panégyriste, mais ait correspondu à une véritable vénération du jeune roi pour le Macédonien dont il avait lu avec enthousiasme la biographie rédigée par Quinte-Curce105.
2Le parallèle avec Alexandre revêtait aussi un intérêt pour les artistes. Ainsi, peu après l’achèvement du tableau, courut le bruit selon lequel le roi aurait quotidiennement rendu visite au peintre dans son atelier et se serait entretenu avec lui de questions artistiques106. La démonstration était claire : si Louis XIV était un nouvel Alexandre, Charles Le Brun était nécessairement le nouvel Apelle qui avait conquis la confiance d’Alexandre et le privilège d’exécuter son portrait. Ce rapprochement avait été invoqué dès la création de l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1648, lorsque les artistes opposés à la corporation – parmi lesquels Le Brun – avaient mesuré le jeune roi âgé d’à peine dix ans à Alexandre, tout en se comparant eux-mêmes à Apelle, Praxitèle et Phidias107. À la différence de L’Apothéose d’Hercule, Les Reines de Perse ont donc aussi pour thème le statut social de l’artiste.
3D’autres personnes avaient revendiqué la comparaison avec Alexandre108. Le duc d’Enghien, notamment, se fit célébrer dans de nombreux écrits comme le nouvel Alexandre. Pourtant, à l’époque de la réalisation du tableau de Le Brun, ce rapprochement était redevenu l’apanage du roi109. Toute ambiguïté était donc exclue quant à l’identité du personnage symbolisé par le Macédonien.
Notes de fin
103 Voir Kirchner, 2008 (note 49), p. 277-385.
104 Voir Guillaume Colletet, Poeme sur la naissance de Monseigneur le Dauphin, Paris, 1638, p. 20 ; Nicolas Frenicle, Eglogue sur la naissance de Monseigneur le dauphin, Paris, 1639, p. 7.
105 C’est ce que rapporte Jules de La Mesnardière, voir Cojannot-Le Blanc, 2011 (note 65), p. 371-395.
106 Attesté pour la première fois par écrit dans le Mercure galant, août 1679, p. 127.
107 Voir Martin de Charmois, « Requête au roi au sujet de “l’Académie des peintres et sculpteursˮ », dans Conférences, 2006 (note 60), p. 67, aussi dans L’Académie royale de peinture et de sculpture. Étude historique, éd. par Louis Vitet, Paris, 1861, p. 197.
108 Voir Grell et Michel, 1988 (note 35), p. 62-64 ; Kirchner, 2008 (note 49), p. 83-86.
109 Voir Grell et Michel, 1988 (note 35), p. 64-70 ; Kirchner, 2008 (note 49), p. 86-90.
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