Le tableau de Le Brun et son contexte politico-artistique
p. 28-51
Texte intégral
1Lorsque Charles Le Brun commença Les Reines de Perse aux pieds d’Alexandre, l’art français était en quête de lui-même. La prédominance de l’art italien, notamment romain, semblait faiblir, mais la France n’était pas encore en mesure de lui opposer un art autonome significatif. En 1627, le cardinal de Richelieu avait rappelé à Paris le futur maître de Le Brun, Simon Vouet, afin qu’il élabore un nouvel art spécifiquement français, affranchi des modèles italiens et flamands qui déterminaient jusqu’alors la création en France. Or, en dépit de sa notoriété, Vouet n’était pas parvenu à écarter l’art romain de Paris. En particulier, il n’avait pas réussi à empêcher qu’un Romain d’élection, Nicolas Poussin, se vît confier la décoration de la Grande Galerie du Louvre, et que le cardinal Mazarin s’employât à faire venir – certes avec un succès limité – des artistes romains dans la capitale, au premier rang desquels Pierre de Cortone47. Poussin, le plus célèbre des peintres français, vivait de surcroît dans la Ville éternelle et n’avait pas l’intention, surtout après les expériences malheureuses de son séjour de 1641-1642, de revenir à Paris pour y fonder une école. Ainsi, personne n’avait encore rempli la mission d’établir un art français de haut niveau, et même la création en 1648 de l’Académie royale de peinture et de sculpture n’avait pu remédier à cet état de fait. Or le moment était maintenant venu. Avec l’imminente prise de pouvoir personnel de Louis XIV, que le roi attendait manifestement avec impatience, était franchi un pas politique essentiel : pour la première fois depuis un demi-siècle, allait dorénavant régner le roi et non plus un Premier ministre. C’était là un signal important, également pour les arts. En effet, Louis XIV voulut, de toute évidence, marquer aussi l’évènement sur le plan artistique, et peu importe ici qu’il ait confié la commande à Le Brun avant l’issue fatale et prévisible de la maladie de Mazarin, ou après sa mort. Désormais, il ne s’agissait plus uniquement, comme en 1627, de créer une école proprement française, indépendante et capable de coexister avec la peinture romaine ou flamande : il y allait de la suprématie de l’art français sur la scène européenne.
2Commençons par le sujet du tableau. Pour la glorification de Fouquet dans son château de Vaux-le-Vicomte avaient été choisis des thèmes mythologiques, conformément à la tradition. Le dernier grand projet de décoration d’une résidence royale, les peintures de Nicolas Poussin pour la Grande Galerie du Louvre mentionnées plus haut, qui illustraient l’histoire d’Hercule, argumentait sous une forme analogue. Or deux changements interviennent avec l’œuvre de Le Brun. Premièrement, avec Les Reines de Perse est choisi un médium pictural qui connaîtra un succès grandissant au XVIIe siècle : le tableau de chevalet. Non lié à un espace précis, il incarne le concept de l’œuvre d’art moderne obéissant essentiellement à des critères artistiques, bien plus qu’un décor mural ou plafonnant solidement installé. Quelques années seulement plus tard, en 1667, les membres de l’Académie, en tête desquels Le Brun, poursuivaient dans leurs conférences ce concept du tableau de chevalet autonome et narratif, qui allait déterminer l’évolution de l’art dans les décennies, voire les siècles suivants, et dominer les débats artistiques. Un tableau n’est pas perçu comme un décor intérieur : il est « lu » et peut par là même véhiculer une argumentation plus nuancée. De plus, il est indépendant de l’architecture et possède de ce fait une autonomie supérieure en sa qualité d’œuvre d’art.
3Un deuxième aspect distingue Les Reines de Perse de la peinture ornant le plafond de Vaux-le-Vicomte. Le tableau ne montre pas une scène mythologique, mais un évènement historique. Son propos diffère donc de celui du décor plafonnant qui, par son seul emplacement, requiert une sublimation mythologique ou allégorique et doit s’intégrer dans un ensemble décoratif. Là où L’Apothéose d’Hercule se contente de proclamer les qualités du héros et sa supériorité, Les Reines de Perse les prouve par son contenu intrinsèque. Par ailleurs, le recours de Fouquet à une figure mythologique possède un certain côté ordinaire : n’importe qui peut en user48. En revanche, le personnage d’Alexandre symbolise Louis XIV, il en est l’alter ego historique, privilège que nul ne tentera plus de lui contester après la répression de la Fronde49.
4Tel est le contexte qui se présentait à Le Brun en 1660-1661. Il englobait des aspects politiques aussi bien qu’artistiques. Avec un tableau d’histoire narratif visant la mise en image d’un texte, Le Brun s’inscrivait dans une tradition encore peu commentée en France jusqu’alors. Dans son ouvrage Della pittura (1435-1436), le père fondateur de la théorie artistique des Temps modernes, Leon Battista Alberti, avait décrit le tableau d’histoire – sous sa forme narrative – comme le sommet de toute peinture50. Visiblement, Le Brun s’est référé au texte d’Alberti et a voulu aussi le faire comprendre au spectateur.
5Dans ce texte fondamental, Alberti s’appuie sur la rhétorique antique, en particulier sur les écrits de Cicéron. Il attribue au tableau d’histoire la structure d’une phrase : de même que les lettres forment des syllabes qui s’assemblent en mots pour composer une phrase, de même les plus petites unités, les surfaces, s’assemblent en membres qui s’allient eux-mêmes en corps pour constituer le tableau. Une œuvre d’art ordonnancée de la sorte apparaît donc supérieure à toute autre image, y compris celle d’un géant. Même si celle-ci produit indiscutablement un fort effet, elle n’atteint pas la valeur d’une istoria. Alberti justifie la supériorité du tableau d’histoire non pas par son contenu, par l’importance des évènements évoqués, mais par ses possibilités expressives qui lui permettent de traduire un récit en image. Pour lui, il ne fait aucun doute que la qualité d’un tableau d’histoire se mesure à l’aune de sa richesse narrative. Et Alberti d’énumérer les exigences formelles auxquelles doit satisfaire un tel tableau. Elles concernent la diversité du récit, les figures et leurs mouvements, les affects et leur différenciation, le mode d’interpellation du spectateur et le décorum. Deux termes revêtent ici une importance particulière : l’abondance (copia) et la variété (varietà). Une peinture doit comporter de nombreux personnages, mais ces derniers doivent être diversifiés pour éviter la monotonie. On doit y trouver femmes et hommes, jeunes gens et vieillards, enfants et adultes – à condition seulement qu’ils témoignent d’un lien direct avec le sujet.
« E lodorò io qualunque copia quale s’apartenga a quella istoria. E interviene, dove chi guara soprasta rimirando tutte le cose, ivi la copia del pittore acquisti molta grazia. »
(Et je louerai toute abondance, pourvu qu’elle s’accorde à l’action dont il s’agit là. Il arrive en effet que, lorsque ceux qui regardent sont ralentis par les choses à parcourir des yeux, l’abondance du peintre touche à la grâce51.)
6Toutes les figures doivent avoir un rapport entre elles, et être subordonnées à un thème central, ce qui signifie – sans qu’il soit nécessaire de le formuler expressément – que la composition doit culminer dans un personnage héroïque. À l’instar du peintre qui transpose le texte en une narration picturale, le spectateur doit être en mesure de retraduire la composition en un récit. Alberti est conscient du fait que l’abondance et la variété, poussées à leur comble, peuvent aussi nuire à la lisibilité de la composition. Il préconise donc deux solutions pour pallier ce risque : réduire le nombre des protagonistes à dix ou douze, et intégrer la figure d’un témoin afin de faciliter la compréhension de la scène. Par son attitude face à l’évènement, ce personnage clairement distinct de l’action proprement dite doit fournir une première indication au spectateur du tableau quant à sa réaction face à l’évènement montré et face au tableau lui-même52.
7Pour illustrer ses réflexions, Alberti puise des exemples dans la Bible, les épopées et la mythologie classique, et évoque aussi les allégories. Pourtant, il ne précise en aucun endroit les sujets à traiter. Ce n’est pas en premier lieu par le contenu, mais par la forme artistique qu’il définit le genre de la peinture d’histoire. Principalement de nature artistique, son intérêt n’est pas guidé par la nécessité de trouver pour des sujets préétablis une formulation inédite.
8Andrea Mantegna, avec lequel Alberti fut en contact pendant ses séjours à Mantoue dans les années 1460, réalisa quelques gravures sur cuivre généralement considérées par les spécialistes comme des modèles de composition traduisant de manière exemplaire les idées d’Alberti53. Dans une Mise au tombeau (ill. 13) du début des années 1470, Mantegna suit presque littéralement Alberti : distinction soulignée par le théoricien entre corps vivants et morts ; représentation d’un personnage portant une lourde charge ; grand nombre de réactions émotionnelles variées, depuis le désespoir de Marie Madeleine jusqu’au visage voilé d’un jeune homme, motif déjà utilisé par Timanthe pour symboliser la douleur irreprésentable d’Agamemnon confronté à la mort présumée imminente de sa fille Iphigénie ; mouvement des drapés, etc. Conformément à la formule d’Alberti, les figures s’assemblent en une « phrase », dont on peut même distinguer deux membres : à gauche le groupe entourant le corps du Christ, à droite celui réuni autour de la Vierge pâmée. Ces deux moitiés de « phrase » sont reliées par la figure centrale du porteur qui appartient au groupe de gauche, mais assure par la torsion de son corps la transition avec celui de droite. La composition s’achève à l’extrémité droite par la silhouette éplorée de saint Jean.
ill. 13 Andrea Mantegna, Mise au tombeau, début des années 1470, Washington, D.C., National Gallery of Art, inv. 1986.98.1

Crédit/Source : Courtesy National Gallery of Art, Washington, D.C., Patrons’ Permanent Fund, www.nga.gov/collection/art-object-page.69604.html (CC0)
9La théorie d’Alberti eut de larges retombées, et marqua les débats sur la peinture d’histoire jusqu’au XVIIIe, voire parfois jusqu’au XIXe siècle. Les artistes firent désormais leurs preuves dans la peinture d’histoire narrative, et c’est ce genre qui donna lieu aux grandes rivalités d’artistes, notamment celles qui opposèrent Léonard de Vinci et Michel-Ange dans la Sala dei Cinquecento à Florence, ou encore le Dominiquin et Guido Reni à San Gregorio Magno à Rome. Au cours de son évolution ultérieure, aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, la peinture d’histoire allait s’employer à différencier ses moyens expressifs et à traduire des récits d’une complexité croissante, non sans se heurter à des voix critiques. Les théoriciens s’efforcèrent de préciser et d’élargir les principes albertiens, aidés dans cet objectif par la Poétique d’Aristote, de nouveau accessible depuis le début du XVIe siècle, à laquelle ils purent emprunter de multiples réflexions sur l’élaboration artistique d’une peinture54. Ainsi se trouvait poursuivie la stratégie déjà adoptée par Alberti pour ennoblir la peinture à travers le rapprochement avec la littérature dans le sens de l’ut pictura poesis d’Horace.
10L’une des règles établies par Aristote allait être activement reprise, surtout dans la France du XVIIe siècle : celle des unités. Les théories littéraire et artistique se penchèrent sur cette problématique, et plus précisément sur l’unité de temps. De manière générale, on était prêt à concéder à la peinture une certaine flexibilité, sur le modèle de la tragédie pour laquelle on acceptait une journée comme cadre temporel. Cette question déclencha d’amples polémiques, dont les plus notoires se déroulèrent à Rome dans l’école des Carrache, notamment entre le Dominiquin et Lanfranco55. Elle s’accompagnait d’une autre interrogation : une peinture devait-elle se concentrer sur une action unique avec quelques personnages, ou pouvait-elle comporter plusieurs actions partielles liées entre elles et faisant intervenir un plus grand nombre de protagonistes ? Cette question fut au cœur de la fameuse controverse qui opposa Andrea Sacchi et Pierre de Cortone à l’Accademia di San Luca à Rome56.
11Les théoriciens se penchèrent aussi hors d’Italie sur la question de la richesse et de la complexité que pouvait supporter une composition. Dans son ouvrage De pictura veterum (1637) accueilli en France avec un vif intérêt, Franciscus Junius évoque la « “venustatem picturae” hac schematum atque actionum varietate plurimum juvari » (la « beauté de la peinture » qui est grandement aidée par cette variété des figures et des actions).
« Eximia atque huic proposito nostro accommodatissima sunt verba Quintiliani, lib. X, cap. 7, “Intendendus animus”, inquit, “non in aliquam rem unam, sed in plures simul continuas : ut si per aliquam rectam viam mittamus oculos, simul omnia quae sunt in eâ circaque intuemur; non ultimum tantùm videmus, sed ad ultimum”. »
(Ces mots de Quintilien, au chapitre 7 du livre X, sont remarquables et tout à fait pertinents pour notre propos : « L’esprit ne doit pas être attentif à un seul élément, mais à ceux qui se trouvent en même temps dans le même espace, ainsi, lorsque nous dirigeons notre regard sur une route droite, nous voyons tout ce qui est en elle et ce qui l’environne ; nous n’en voyons pas le bout seulement, mais nous la voyons jusqu’au bout ».)57
12L’artiste doit simplement veiller à la bonne cohésion entre les différentes figures et les unités d’action58. Peu avant la réalisation des Reines de Perse, l’écrivain François d’Aubignac s’exprimait de manière tout à fait similaire dans sa Pratique du théâtre (1657) :
« Nous avons dit qu’un Tableau ne peut representer qu’une action, mais il faut entendre une action principale ; car dans le méme tableau le Peintre peut mettre plusieurs actions dépendantes de celle qu’il entend principalement representer. Disons plustost qu’il n’y a point d’action humaine toute simple et qui ne soit soûtenuë de plusieurs autres qui la précedent, qui l’accompagnent, qui la suivent, et qui toutes ensemble la composent et luy donnent l’estre ; de sorte que le Peintre qui ne veut representer qu’une action dans un tableau, ne laisse pas d’y en méler beaucoup d’autres qui en dépendent, ou pour mieux dire, qui toutes ensembles forment son accomplissement et sa totalité59. »
13Cette question préoccupa aussi Charles Le Brun. Il l’abordera lors d’une conférence prononcée devant l’Académie quelques années après l’achèvement des Reines de Perse, à travers un commentaire détaillé de La Manne ou Les Israélites recueillant la manne dans le désert de Nicolas Poussin (1637-1639, ill. 14)60. Il estime le tableau exemplaire, y compris par son orchestration temporelle : la moitié gauche montre le moment de la faim avant le miracle de la manne, tandis que la moitié droite illustre la délivrance directement après l’intervention divine. Cette structure permet à l’œuvre de restituer un évènement dans toute son ampleur, avec les instants qui le précèdent immédiatement et ceux qui le suivent, et de compenser le désavantage de la peinture par rapport à la littérature, à même de fournir un récit d’une certaine durée.
ill. 14 Nicolas Poussin, La Manne ou Les Israélites recueillant la manne dans le désert, 1637-1639, Paris, musée du Louvre, inv. INV7275

Crédit/Source : RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau, photo.rmn.fr/archive/14-532665-2C6NU0AL35NDZ.html (cote cliché 14-532665)
14Cependant, à Paris s’élevèrent aussi des voix contraires. Refusant cette démarche, un artiste – derrière lequel se cache probablement Philippe de Champaigne – proclama qu’un tableau ne devait représenter qu’un seul instant de l’évènement s’il ne voulait pas perdre sa crédibilité61. C’est la même exigence que formule Charles-Alphonse Du Fresnoy dans son ouvrage capital pour la théorie artistique française, De arte graphica (1668), lorsqu’il écrit qu’une œuvre d’art doit représenter un moment unique, tel un instantané62.
15Avec Les Reines de Perse, Le Brun entra à son tour dans la discussion sur la peinture d’histoire, mettant à l’épreuve ses compétences tout à la fois d’artiste et de théoricien de l’art. Que représente son tableau ? Sur le côté gauche se dressent les deux héros Alexandre et Héphaistion. Si ce dernier n’est pas plus grand qu’Alexandre, contrairement aux descriptions de quelques historiens, il est clairement mis en valeur par son emplacement au premier plan, qui marque le point de départ de la composition ; il l’est aussi par l’étoffe rouge vif qui l’enveloppe, de telle sorte que le spectateur comprend l’erreur commise par Sysigambis prosternée à ses pieds et prend lui aussi Héphaistion pour le véritable héros, du moins dans un bref moment d’hésitation. Héphaistion affecte un geste de refus. Se détachant sur un pan de tente, un peu en retrait à côté de son ami, le roi de Macédoine apparaît comme le centre de l’action du tableau, le visage rehaussé de lumière. Il désigne de sa main droite Héphaistion, geste censé symboliser sa déclaration rapportée par les historiens, selon laquelle il aurait excusé la méprise de Sysigambis en présentant Héphaistion comme un second Alexandre ; sa main gauche, quant à elle, s’ouvre en un geste d’invite – particulièrement accentué dans le format original de la toile, car il marquait l’une des verticales de la « section d’or ». Le Brun a soigneusement étudié ce détail, essayant dans un dessin préparatoire deux positions de main différentes (ill. 15)63. Assurant la transition avec la famille de Darius, ce geste est prolongé par la main gauche du garçonnet. Vient ensuite un groupe formé par la famille de Darius et les membres de sa cour et de sa suite. Hormis de rares exceptions, tous ces personnages sont dirigés vers Alexandre, renforçant encore son statut de pivot de la narration picturale. Mise en relief par le choix des couleurs et la distribution de la lumière, l’épouse de Darius, vêtue de bleu, est agenouillée au centre de la composition ; le regard suppliant, elle implore grâce tout en désignant sa belle-mère de sa main gauche. Entre elle et Alexandre se tient son fils Oechus, les bras ouverts en un geste propre aux enfants désirant qu’un adulte les prenne dans les bras. Quinte-Curce évoque dans un autre contexte cette attitude du fils de Darius. Après avoir décrit comment Sysigambis, impressionnée par la bonté d’Alexandre, remarque que le Macédonien surpasse son fils non seulement en bonheur mais aussi en vertu, l’historien rapporte qu’Alexandre a pris le jeune garçon dans ses bras64. Pour ce personnage, Le Brun s’est inspiré du Coriolan de Poussin (ill. 12), où le jeune fils du héros est censé appuyer les prières des femmes. Le garçonnet assume donc un rôle que Sysigambis ne peut exercer dans le tableau : il anticipe la réaction positive de sa grand-mère décrite par Quinte-Curce. De la même manière que Sysigambis acceptera le souverain macédonien comme son fils, l’enfant accepte Alexandre comme son père.
ill. 15 Charles Le Brun, étude pour Les Reines de Perse aux pieds d’Alexandre, Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, inv. INV28010-recto

Crédit/Source : RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado, photo.rmn.fr/archive/18-547061-2C6NU0ACG3PR6.html (cote cliché 18-547061)
16À droite de la femme de Darius est agenouillée sa fille aînée Statira, particulièrement mise en relief par sa robe blanche et son visage baigné de lumière, détails qui renvoient sans doute à son mariage ultérieur avec Alexandre et établissent un lien pictural avec le roi. Emplie de désespoir, elle baisse les yeux, indifférente à l’action qui l’entoure. À sa droite est également agenouillée sa sœur cadette Parysatis, qui fixe Alexandre d’un regard plein d’attente. Une servante, à droite derrière elle, lui indique sa grand-mère. À genoux contre la bordure droite, une autre servante au visage effrayé croise les mains. Derrière ce groupe de figures agenouillées se discernent d’autres membres de la suite royale, traités en des teintes plus tempérées que la famille de Darius. En retrait entre Alexandre et l’épouse de Darius, une femme agenouillée regarde le héros avec adoration. Derrière Statira apparaît l’un des eunuques évoqués par Quinte-Curce, qui tente d’attirer l’attention de la famille de Darius sur la méprise de Sysigambis et montre d’un geste de soumission le véritable héros. Aucun personnage, toutefois, ne lui prête intérêt. La composition est fermée à l’extrémité droite par une jeune femme, dont l’expression laisse deviner une joyeuse surprise, sentiment corroboré par ses gestes. À côté d’elle se tient un prêtre, légèrement mis en valeur par son coloris, qui tend un peu le cou pour mieux percevoir la réaction d’Alexandre. Enfin, au tout premier plan à droite, un homme se prosterne, la tête enfouie dans les mains. Vers l’arrière, les personnages s’enfoncent progressivement dans l’ombre, obscurité qui s’explique par leur emplacement à l’intérieur de la tente, alors que les membres de la famille de Darius sont agenouillés devant l’entrée. Ainsi les acteurs principaux se démarquent-ils des figures secondaires.
17Il en découle une narration extrêmement variée, fondée en particulier sur la diversité des formes d’expression physionomique et gestuelle. Comme le préconise Alberti, Le Brun présente un large éventail d’âges, de sexes et de catégories sociales. De même, tout à fait selon l’esprit d’Alberti, il utilise les affects pour symboliser le récit. Quelques années plus tard, Le Brun reprendra cet aspect dans une conférence devant l’Académie lorsqu’il établira une grammaire des modes d’expression des passions en se référant aussi à son tableau des Reines de Perse. Il choisira la tête de Statira pour illustrer L’Abatement (ill. 16) et celle de sa jeune sœur pour L’Espérance, tandis qu’il reprendra la femme agenouillée en bordure droite pour La Crainte (ill. 17), la Perse debout derrière elle pour L’Étonnement et enfin la servante située entre Alexandre et la femme de Darius pour Le Ravissement. Nous assistons ainsi à des réactions plurielles, et chacune d’elles enrichit le récit pictural d’une nouvelle facette, constitue une action secondaire au sein de la narration globale. Les sentiments s’étendent de la tristesse et la crainte à la joie, à la surprise, à l’admiration, et même à la douleur irreprésentable qui terrasse l’homme au premier plan à droite, et que Le Brun traduit en pensant à la figure d’Agamemnon conçue par Timanthe et également citée par Alberti. Depuis, ce signe métaphorique s’était établi dans la peinture des Temps modernes. Le Brun suit enfin la solution proposée par le théoricien pour simplifier la lecture d’une narration complexe, en intégrant au premier plan à gauche une figure-témoin vue de dos qui indique au spectateur du tableau la réaction qu’on attend de lui. Incarnation du spectateur dans la composition, elle adopte une attitude qui semble osciller entre expectative tendue, surprise et admiration65.
ill. 16 Bernard Picart d’après Charles Le Brun, Abatement, illustration pour Charles Le Brun, Sur l’expression générale et particulière, Amsterdam et Paris, 1698, Paris, Bibliothèque nationale de France

Crédit/Source : Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares, V-23892, gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1118743/f75.image
ill. 17 Bernard Picart d’après Charles Le Brun, La Crainte, illustration pour Charles Le Brun, Sur l’expression generale et particuliere, Amsterdam et Paris, 1698, Paris, Bibliothèque nationale de France

Crédit/Source : Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares, V-23892, gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1118743/f66.image
18Par l’extrême diversité de sa narration, Le Brun satisfait pleinement aux exigences d’Alberti en matière de copia et de varietà. Mais il va plus loin que le théoricien au moins en un point : la dimension temporelle. Alors qu’Alberti part du principe qu’un tableau ne représente qu’un moment unique, Le Brun distingue nettement deux phases chronologiques auxquelles il accorde deux espaces picturaux différents. Le premier champ spatial est occupé par Héphaistion, Sysigambis agenouillée à ses pieds et l’homme prosterné le visage contre terre à l’extrémité droite. Tous appartiennent à la phase du récit précédant le geste de pardon d’Alexandre : Héphaistion décline l’hommage de Sysigambis qui n’a pas encore conscience de son erreur, ni de la réaction du roi macédonien ; le serviteur accablé de douleur connaît certes la méprise de la mère de Darius, mais ignore encore que son geste sera pardonné. Dans un deuxième plan spatio-temporel évoluent Alexandre, la femme et les filles de Darius, et la plupart des gens de sa suite. Le moment figuré est celui de l’indulgence du souverain qui se tourne, non pas vers Sysigambis, mais vers sa famille et la cour du roi perse. Tous conscients de la méprise de Sysigambis, ils réagissent à la clémence d’Alexandre selon leur degré de connaissance. À ce champ temporel se rattache aussi l’eunuque qui introduit les réactions de la famille de Darius et de sa cour en désignant le vrai Alexandre. Ces deux phases du récit sont essentiellement reliées par la figure d’Alexandre dont le geste ample assure la transition avec Héphaistion, et par Héphaistion lui-même qui ne regarde pas Sysigambis agenouillée à ses pieds, mais la famille de Darius appartenant au champ temporel suivant ; son geste de défense est ambivalent, et peut tout aussi bien se rapporter à l’hommage de Sysigambis qu’à la déférence exprimée par Alexandre. Il convient enfin de citer la servante à droite de Parysatis, qui attire l’attention de la jeune fille sur sa grand-mère encore dans l’ignorance.
19Pour la structure chronologique des Reines de Perse, Le Brun pourrait s’être inspiré de La Manne de Nicolas Poussin. Cependant, même s’il a éventuellement pensé au concept narratif de ce tableau qu’il analysera quelques années plus tard devant l’Académie royale de peinture66, il semble qu’une autre œuvre de Poussin l’ait influencé davantage : La Mort de Germanicus, peinte en 1626-1627 pour le cardinal Francesco Barberini, neveu du pape Urbain VIII (ill. 18). Deux aspects l’ont sans doute marqué dans ce tableau qu’il étudia à Rome67 : la composition en frise et sa subdivision en différents niveaux temporels induisant une différenciation de la narration68. Empoisonné sur ordre de son père adoptif jaloux de ses succès, Germanicus, peu avant d’expirer, fait jurer à ses amis de venger sa mort et de s’occuper de sa famille, et implore son épouse de se plier à son destin69. Poussin montre les protagonistes affichant diverses réactions qui participent chacune d’un moment différent de l’action. Ainsi, le soldat vêtu de rouge qui vient d’entrer et marque le début du récit à gauche semble ne pas avoir véritablement saisi ce qui se passe, alors que le soldat debout derrière lui et incliné vers l’avant a déjà perçu les paroles de Germanicus, même s’il ne parvient pas encore à y croire. Le soldat debout derrière le lit qui prête serment de son épée levée, ainsi que la figure centrale au premier plan qui prête également serment en invoquant les dieux, appartiennent à une phase temporelle ultérieure. Enfin, les deux hommes éplorés, contre la bordure gauche, incarnent le dernier stade chronologique de l’action. Commençant sa lecture par le guerrier vêtu de rouge et la poursuivant vers la droite, le spectateur est guidé vers ces deux figures par le regard de Germanicus et du soldat debout derrière lui. Germanicus constitue en même temps la charnière avec sa famille regroupée à l’extrémité droite, qu’il désigne de son index. Poussin subordonne donc sa composition à une organisation temporelle capable de lui assurer la plus grande richesse narrative possible. La revendication est claire : l’artiste veut prouver que la peinture peut non seulement traduire un instantané, mais aussi, à l’instar de la littérature, restituer un évènement dans toute sa complexité. C’est exactement le même objectif que poursuit Le Brun dans Les Reines de Perse. Chez Poussin comme chez Le Brun, la composition parallèle au plan de l’image pourrait donc s’expliquer en partie par le fait que cette disposition favorise l’étagement de plusieurs niveaux temporels entre lesquels le spectateur peut déambuler aisément.
ill. 18 Nicolas Poussin, La Mort de Germanicus, 1626-1627, Minneapolis, Institute of Arts, inv. 58.28

Crédit/Source : Courtesy Minneapolis Institute of Art, The William Hood Dunwoody Fund, collections.artsmia.org/art/1348/the-death-of-germanicus-nicolas-poussin (Marque du domaine public 1.0)
20Le Brun pourrait enfin avoir puisé dans le tableau de Poussin l’idée de commencer la composition à gauche par un fort accent rouge. À l’image d’Héphaistion, le soldat qui s’avance au tout premier plan à gauche est drapé d’une étoffe rouge intense. De même, dans Les Reines de Perse, la tente sert de toile de fond de manière analogue à la tenture de La Mort de Germanicus, soulignant la cohérence de la composition.
21Dans son tableau, Charles Le Brun aborde un autre aspect qui fera également l’objet de vives discussions quelques années plus tard à l’Académie : celui du devoir de fidélité historique. Même s’il s’appuie très nettement sur la description des historiens antiques, au premier rang desquels Quinte-Curce, il se permet quelques libertés. Elles sont surtout visibles dans les vêtements, qui touchent à un point central de la définition de l’historiographie des Temps modernes. Les ouvrages de la fin du XVIe et du XVIIe siècle sur les « habits » des divers continents et pays fournissaient une idée assez précise de la mode vestimentaire en Perse, y compris du temps de Darius70. Deux différences frappent ici : dans les textes consacrés aux costumes historiques, toutes les femmes perses – indépendamment de leur âge et de leur statut – portent de luxueuses coiffures. Et leurs vêtements sont agrémentés de nombreux ornements (ill. 19-21). Or, chez Le Brun, seules la mère et la femme de Darius ont la tête couverte ; de plus, il ne s’agit pas d’un accessoire autonome, mais d’un pan de leur manteau. Les deux filles de Darius, quant à elles, ont la tête nue. Les vêtements, monochromes, sont simplement rehaussés d’une bordure décorative. On en trouve des exemples comparables dans les ouvrages sur les costumes des Chinoises et des Africaines (ill. 22, 23). Peut-être Le Brun a-t-il voulu se rapprocher des vêtements grecs ou romains antiques que Poussin aimait à utiliser dans ses compositions. Seule une étude pour la servante agenouillée en bordure droite témoigne d’un souci de conformité aux connaissances historiques, pourtant abandonné dans la version peinte (ill. 24, 25). Il introduit en revanche un élément exotique sous les traits du prêtre égyptien debout à l’extrémité droite.
ill. 19 Donzella Persiana, illustration pour Cesare Vecellio, Degli habiti antichi, et moderni di diverse parti del mondo, Venise, 1590, Los Angeles, Getty Research Institute

Crédit/Source : Getty Research Institute, https://archive.org/details/gri_33125012247702/page/n955/mode/1up
ill. 20 Matrona Persiana, illustration pour Cesare Vecellio, Degli habiti antichi, et moderni di diverse parti del mondo, Venise, 1590, Los Angeles, Getty Research Institute

Crédit/Source : Getty Research Institute, https://archive.org/details/gri_33125012247702/page/n947/mode/1up
ill. 21 Abraham de Bruyn, Matrona Persica, Virgo Persica, Virgo Persica, illustration pour Jean-Jacques Boissard, Habitus variarum orbis gentium. Habitz de nations estranges. Trachten mancherley Völcker des Erdskreyß, s.l., 1581, Los Angeles, Getty Research Institute

Crédit/Source : Getty Research Institute, https://archive.org/details/gri_33125008666188/page/n248/mode/1up
ill. 22 Abraham de Bruyn, Africana, illustration pour Jean-Jacques Boissard, Habitus variarum orbis gentium. Habitz de nations estranges. Trachten mancherley Völcker des Erdskreyß, s.l., 1581, Los Angeles, Getty Research Institute

Crédit/Source : Getty Research Institute, https://archive.org/details/gri_33125012247702/page/n998/mode/1up
ill. 23 Matrona della China, illustration pour Cesare Vecellio, Degli habiti antichi, et moderni di diverse parti del mondo, Venise, 1590, Los Angeles, Getty Research Institute

Crédit/Source : Getty Research Institute, https://archive.org/details/gri_33125008666188/page/n264/mode/1up
ill. 24 Charles Le Brun, étude pour une dame de la suite des Reines de Perse aux pieds d’Alexandre, Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, inv. INV29170-recto

Crédit/Source : RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Philippe Fuzeau, photo.rmn.fr/archive/13-550789-2C6NU05GFDQH.html (cote cliché 13-550789)
ill. 25 Vergine Persiana, illustration pour Cesare Vecellio, Degli habiti antichi, et moderni di diverse parti del mondo, Venise, 1590, Los Angeles, Getty Research Institute

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22Dans le contexte de l’époque, cette question revenait à se demander si une œuvre d’art était tenue de respecter la vérité historique, ou s’il lui était autorisé, sous le signe de la vraisemblance, de procéder à des changements susceptibles de mieux mettre en valeur des aspects artistiques. Cette interrogation avait déjà été au cœur d’un débat à l’Académie française en 1637-1638. Ce fut la première tâche à laquelle fut confrontée la jeune institution. C’est Le Cid (1636-1637) de Pierre Corneille qui fut à l’origine de la querelle. Cette tragédie illustre le conflit entre un code de l’honneur classique et la morale. Rodrigue a tué don Gomès qui a outragé son père. L’évènement en soi ne serait pas problématique si Chimène, la fille de don Gomès, ne lui avait pas été promise comme épouse. Nonobstant le crime, Chimène épousera finalement l’assassin de son père après que Rodrigue aura subi une série d’épreuves. L’Académie française condamna Corneille : si son argumentation pouvait éventuellement correspondre à la réalité, il était tout à fait invraisemblable qu’une femme épousât le meurtrier de son père. La pièce n’était donc pas crédible. Et une pièce non crédible ne pouvait avoir un effet moral conformément à la mission de l’art71.
23Le Brun prend donc quelques libertés par rapport aux récits des historiens. Il évoque l’amour immédiat d’Alexandre pour Statira, même si les auteurs antiques ne disent rien de tels sentiments ; de même, il représente Sysigambis prosternée aux pieds d’Héphaistion, même si sa source principale est muette à ce sujet. Il suit ici Arrien qui, en dépit de ses doutes quant à la réalité de l’évènement, le considère comme digne d’être rapporté en raison de sa portée morale72. Enfin, il s’écarte des connaissances historiques concernant les costumes, autant de libertés censées lui permettre de donner la primauté aux questions artistiques. Cet aspect sera discuté à l’Académie quelques années plus tard à propos de plusieurs tableaux de Poussin. Philippe de Champaigne, surtout, insistera sur l’obligation de vérité incombant à l’art qui risque, dans le cas contraire, de perdre sa crédibilité. Il avancera cet argument à l’encontre de La Manne, mais aussi d’Éliézer et Rébecca et du Christ guérissant les aveugles de Jéricho. Dans Éliézer et Rébecca, il déplore l’absence des chameaux mentionnés dans la Bible, alors qu’ils sont essentiels pour la compréhension de la scène : c’est pour eux qu’Éliézer s’adresse à Rébecca pour lui demander de l’eau73. Et dans Les Aveugles de Jéricho, un critique – derrière lequel se cache sans doute encore Champaigne – note que le miracle, d’après le texte biblique, s’est déroulé devant une grande foule, réduite dans le tableau à quelques personnes74. Pour Le Brun, en revanche, les solutions adoptées par Poussin sont exemplaires. Les chameaux, par leur exotisme, ne feraient que distraire le spectateur de l’action véritable75 (comme peut-être un vêtement oriental pour ses Reines de Perse) ; et une foule immense éclipserait le miracle de la guérison des aveugles76. Ici aussi, Le Brun défend la position du plus célèbre des artistes français et – ce qui est sûrement plus important encore – il se rallie au jugement de l’éminente Académie française.
24Avec Les Reines de Perse, Le Brun recourt donc manifestement à la définition albertienne de la peinture d’histoire qui, sans nul doute, constitue pour lui aussi le sommet de toute activité artistique. Cependant, en introduisant plusieurs niveaux de temps différents, il dépasse Alberti tout en se montrant versé dans les discussions artistiques et théoriques de son temps. Par ailleurs, ses références au plus fameux des artistes français, Nicolas Poussin, n’ont certainement pas échappé à ses contemporains amateurs d’art. Déjà citée par Alberti comme un mode figuratif essentiel, l’expression des passions retient ici toute l’attention de Le Brun, qui l’élève au rang de médium primordial de la narration picturale. Enfin, en traitant l’évènement historique dans le sens du vraisemblable, il s’empare d’un débat qui avait animé l’Académie française peu de temps auparavant, et choisit de se rallier à l’opinion de l’académie sœur, non sans rechercher la proximité de l’historiographie77. Tous ces éléments font que Le Brun peut se présenter comme un novateur, en sa qualité de peintre mais aussi de théoricien de l’art, d’autant qu’il n’existe encore aucune théorie artistique notable en France à l’époque où son tableau voit le jour.
Notes de fin
47 Madeleine Laurain-Portemer, « Le Palais Mazarin à Paris et l’offensive baroque 1645-1650. D’après Romanelli, P. da Cortona et Grimaldi », Gazette des beaux-arts, t. LXXXI, 1973, p. 151-168 ; id., « La politique artistique de Mazarin », dans Accademia nazionale dei Lincei. Atti di convegni Lincei 35. Colloquio italo-francese. Il Cardinale Mazzarino in Francia (Roma, 16-17 maggio 1977), Rome, 1977, p. 42-76.
48 C’est, au début du siècle, ce que reproche par exemple Antoine de Laval aux scènes mythologiques qu’il préconise par conséquent d’exclure de la représentation royale. Voir Antoine de Laval, « Des peintures convenables aus basiliques et palais du roy. Memes à sa gallerie du Louvre à Paris », dans id., Desseins et professions nobles et publiques, contenans plusieurs traictés divers et rares, Et, entr’autres, l’histoire de la maison de Bourbon, avec autres beaux secrets historiques, Paris, 1605, fol. 445-453. Ce texte a fait l’objet d’une nouvelle publication par Jacques Thuillier, « Peinture et politique : une théorie de la galerie royale sous Henri IV », dans Études d’art français offertes à Charles Sterling, sous la dir. d’Albert Châtelet et Nicole Reynaud, Paris, 1975, ici p. 196.
49 Voir Grell et Michel, 1988 (note 35), p. 64-70 ; Thomas Kirchner, Le héros épique. Peinture d’histoire et politique artistique dans la France du XVIIe siècle, trad. Aude Virey-Wallon et Jean-Léon Muller, Paris, 2008, p. 79-90 [éd. allemande originale : Thomas Kirchner, Der epische Held. Historienmalerei und Kunstpolitik im Frankreich des 17. Jahrhunderts, Munich, 2001].
50 Sur le texte d’Alberti, voir Michael Baxandall, Giotto and the Orators. Humanist Observers of Painting in Italy and the Discovery of Pictorial Composition 1350-1450, Oxford, 1971 [éd. française : Michael Baxandall, Giotto et les humanistes. La découverte de la composition en peinture (1350-1450), Paris, 2013] ; Kristine Patz, « Zum Begriff der “Historia” in L.B. Albertis “De pictura” », Zeitschrift für Kunstgeschichte, t. XLIX, 1986, p. 269-287 ; Kirchner, 2008 (note 49), p. 141-145 (avec références bibliographiques complémentaires).
51 Leon Battista Alberti, De pictura, dans id., Opere volgari, éd. par Cecil Grayson, t. III, Bari, 1973, p. 68 [éd. française : Leon Battista Alberti, La peinture, trad. du latin par Thomas Golsenne, Bertrand Prévost et al., Paris, 2004, p. 40 et suiv.].
52 Sur cette figure du témoin chez Alberti, voir Alain Laframboise, Istoria et théorie de l’art. Italie, XVe, XVIe siècles, Montréal, 1989, surtout p. 48-52.
53 Baxandall, 1971 (note 50), p. 133 et suiv. [éd. française, 1989, p. 163-165] ; id., Painting and Experience in Fifteenth Century Italy. A Primer in the Social History of Pictorial Style, Oxford, 1972, p. 45-56 [éd. française : Max Bandall, L’œil du quattrocento : l’usage de la peinture dans l’Italie de la Renaissance, trad. Yvette Delsaut, Paris, 1985, p. 72-89] ; Hans Belting, Giovanni Bellini. Pietà. Ikone und Bilderzählung in der venezianischen Malerei, Francfort-sur-le-Main, 1985, p. 31-48 ; Kirchner, 2008 (note 49), p. 145-148.
54 Voir Rensselaer W. Lee, Ut Pictura Poesis. The Humanist Theory of Painting, New York, 1967 (d’abord dans The Art Bulletin, t. XXII, 1940, p. 197-269).
55 Voir Nicholas Turner, « Ferrante Carlo’s “Descrittione della Cupola di S. Andrea della Valle depinta dal Cavalier Gio: Lanfranchi”; a Source for Bellori’s Descriptive Method », Storia dell’arte, t. XII, 1971, p. 297-325.
56 Sur ces discussions voir Kirchner, 2008 (note 49), p. 155-166.
57 Franciscus Junius, De pictura veterum libri tres, Amsterdam, 1637, Livre III, chap. 5, § 7, p. 194 (trad. Colette Nativel).
58 Ibid., Livre III, chap. 5, § 4, p. 192.
59 François d’Aubignac, La pratique du theatre. Œuvre tres-necessaire à ceux qui veulent s’appliquer à la composition des poëmes dramatiques, qui font profession de les reciter en public, ou qui prennent plaisir d’en voir les representations, Paris, 1657, p. 107.
60 Charles Le Brun, « “La Manne dans le désert” de Poussin », dans Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture, t. I, Les conférences au temps d’Henri Testelin. De 1648 à 1681, éd. par Jacqueline Lichtenstein et Christian Michel, vol. 1, Paris, 2006, p. 156-174, en ligne : https://perspectivia.net/publikationen//conference/conferences_tome1/conferences_tome1_vol1 ; aussi dans Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Recueillies, annotées et précédées d’une étude sur les artistes écrivains, éd. par Henry Jouin, Paris, 1883, p. 48-65 ; voir également à ce propos Max Imdahl, « Caritas und Gnade. Zur ikonischen Zeitstruktur in Poussins “Mannalese” », dans Französische Klassik. Theorie-Literatur-Malerei, éd. par Fritz Nies et Karlheinz Stierle, Munich, 1985, p. 137-166 ; Wilhelm Schlink, Ein Bild ist kein Tatsachenbericht. Le Bruns Akademierede von 1667 über Poussins « Mannawunder », Fribourg, 1996 ; Elisabeth Oy-Marra, « Poussins “Mannalese”. Zur Debatte um Zeitlichkeit in der Historienmalerei », Marburger Jahrbuch für Kunstwissenschaft, t. XXIV, 1997, p. 201-212.
61 Le Brun, 1883 (note 60), p. 62.
62 Voir à ce sujet infra, p. 106 et suiv.
63 Louvre, département des Arts graphiques, inv. 28010, voir Inventaire général des dessins. École française. Charles Le Brun. 1619-1690, éd. par Lydia Beauvais, t. I, Paris, 2000, p. 464, cat. 1671.
64 Quinte-Curce, 1653 (note 18), p. 260.
65 Pour cette composition, Le Brun a exécuté un grand nombre d’études de détail, voir Inventaire général, 2000 (note 63), t. I, p. 463-469, cat. 1669-1694. Si on accepte une étude de composition conservée à l’Albertina, à Vienne, comme un dessin préparatoire autographe (opinion défendue par Eckhart Knab et Heinz Widauer, Die Zeichnungen der französischen Schule von Clouet bis Le Brun, Vienne, 1993 [Beschreibender Katalog der Handzeichnungen in der Graphischen Sammlung der Albertina, t. VIII], p. 652, cat. F. 349 ; Pericolo, 2001 [note 33], p. 134 et suiv. ; Michalski 2003 [note 33], p. 112 ; Marianne Cojannot-Le Blanc, « “Il avoit fort dans le cœur son Alexandre…” L’imaginaire du jeune Louis XIV d’après La Mesnardière et la peinture des “Reines de Perse” par Le Brun », XVIIe siècle, no 251, 2011, p. 386, 380 et suiv.), alors Le Brun aurait d’abord envisagé, conformément au sens de lecture de gauche à droite, de fermer la composition à l’extrémité droite par les deux héros. Si tel était le cas, cette esquisse, dont une autre version plus aboutie est conservée au Louvre comme une copie d’après Le Brun (voir Inventaire général, 2000 [note 63], t. I, p. 468, cat. 1692, inv. 30039), correspondrait à une phase très précoce du processus d’élaboration, car toutes les études de détail présentent déjà l’orientation définitive de la composition. Il est en outre troublant que la feuille viennoise ne restitue pas la totalité de la composition originale, mais prépare seulement la partie résultant de la réduction du format en 1682. On peut donc se demander s’il faut réellement voir en ce dessin une étude préparatoire, ou plutôt une œuvre participant d’un contexte ultérieur.
66 Le Brun, 2006 (note 60), aussi Le Brun, 1883 (note 60).
67 Peu avant Les Reines de Perse, Le Brun s’était nettement inspiré de la Mort de Germanicus de Poussin dans son carton pour une tapisserie illustrant la Mort de Méléagre (1658-1659, Paris, musée du Louvre).
68 Sur la Mort de Germanicus de Poussin, voir La “Mort de Germanicus” de Poussin au musée de Minneapolis, cat. exp., Paris, musée du Louvre, 1973 ; sur l’organisation temporelle du tableau, voir Werner Busch, Das sentimentalische Bild. Die Krise der Kunst im 18. Jahrhundert und die Geburt der Moderne, Munich, 1993, p. 144-146.
69 Tacite, Annales, trad. d’après Burnouf et annoté par Henri Bornecque, Livre II, chap. LXXI et LXXII, Paris, 1991, p. 123-124.
70 Voir en particulier Jean-Jacques Boissard, Habitus variarum orbis gentium. Habitz de nations estranges. Trachten mancherley Völcker des Erdskreyß, s.l, 1581 ; Cesare Vecellio, Degli habiti antichi, et moderni di diverse parti del mondo. Libri due, Venise, 1590.
71 Voir Jean Chapelain, Les sentimens de l’Academie françoise sur la tragi-comedie du Cid, Paris, 1638. Sur cette polémique et le texte de Chapelain, voir aussi Armand Gasté, La querelle du Cid. Pièces et pamphlets. Publiés d’après les originaux. Avec une introduction, Paris, 1898 ; sur la signification de cette querelle pour les arts plastiques, voir Kirchner, 2008 (note 49), p. 94-96.
72 Arrien, 1646 (note 23), p. 95 et suiv.
73 Philippe de Champaigne, « “Éliézer et Rébecca” de Poussin », dans Conférences, 2006 (note 60), p. 203, aussi dans Conférences, 1883 (note 60), p. 93. Sur les débats autour de ce tableau, voir aussi Katharina Krause, « Die Kamele Eliezers und die Elephanten des Porus. Typologie und “Parallèle” in Historien von Nicolas Poussin, Sébastien Bourdon und Charles Le Brun », Marburger Jahrbuch für Kunstwissenschaft, t. XXIV, 1997, p. 213-230.
74 Sébastien Bourdon, « “La guérison des aveugles” de Poussin », dans Conférences, 2006 (note 60), p. 189, aussi dans Conférences, 1883 (note 60), p. 77 et suiv.
75 Champaigne, 2006 (note 73), p. 204 et suiv., aussi Champaigne, 1883 (note 73), p. 94-96.
76 Bourdon, 2006 (note 74), p. 189, aussi Bourdon, 1883 (note 74), p. 78.
77 Voir infra, p. 65-70.
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