Chapitre 9. Géomorphologie, faune et paléoenvironnement
p. 271‑306
Résumés
L’approche géomorphologique a porté sur le déplacement du niveau de la mer au cours des siècles, par confrontation avec les résultats des fouilles de la rive nord du Vieux‑Port. La faune, comme les coquillages, a fait l’objet d’une étude s’attachant surtout à retrouver les caractéristiques de l’alimentation, de l’époque médiévale à nos jours. Enfin, l’étude des insectes a permis d’aborder le domaine paléoenvironnemental révélant ainsi un milieu extrêmement anthropisé.
A geo‑morphological study of changes in the sea level over the centuries was carried out using comparative data from excavations on the north shore of the Vieux Port. Fauna and shell material were analysed to determine characteristics of eating habits from medieval times to the present day. In addition, a study of insects from the area allowed researchers to explore the paleo‑environmental context and provide evidence for intensive human occupation.
El estudio geomorfológico se centró en el desplazamiento del nivel del mar a través de los siglos y su comparación con los resultados de las excavaciones de la orilla norte del Vieux‑Port. La fauna, como los moluscos, fue objeto de un estudio dirigido principalmente al conocimiento de la alimentación desde épota medieval hasta hoy. Finalmente, el estudio de los insectos permitió tratar el ámbito paleoambiental revelando la existencia de un medio fuertemente antropizado.
Lo studio geomorfologico ha interessato lo spostamento del livello del mare nel corso dei secoli, grazie al confronto con gli scavi della riva nord del Vieux‑Port. La fauna, corne i molluschi, è stata oggetto di uno studio finalizzato soprattutto a ritrovare le caratteristiche dlell’alimentazione dal medioevo ai giorni nostri. Infine lo studio degli insett ha permesso di approcciare il campo paleoambientale, rivelando un ambiente estremamente antropizzato.
Texte intégral
9.1 Les prélèvements
1é. yebdri
2La fouille de la place du Général‑de‑Gaulle a fait l’objet de prélèvements de sédiments tout au long des huit mois de fouille dans divers horizons stratigraphiques couvrant l’ensemble de la chronologie du site.
3La collecte de ces sédiments avait pour but, non seulement une étude carpologique, mais aussi de sédimencologie (étude du mode de dépôt des sédiments), d’anthracologie (charbons de bois) et des diverses faunes marines ou terrestres (microfaune, insectes, coquillages...). L’ensemble de ces fossiles devait permettre d’entrevoir ce qu’avait pu être le milieu naturel du site (difficilement décelable avec des méthodes traditionnelles de fouille), les différentes interventions que les hommes ont été amenés à pratiquer sur ce milieu, et plus largement d’entrevoir certains aspects de la vie économique et sociale de ces temps reculés à Marseille.
4Le tamisage des sédiments s’est effectué pendant la fouille sur une colonne de quatre tamis en inox, à mailles de 5, 2, 1 et 0,4 mm. L’ouverture des mailles correspondait aux exigences des différents spécialistes. Habituellement les carpologues n’utilisent que les tamis à mailles de 2 et 0,4 mm (ou 0,5 mm). Le tamisage s’est fait sous jet d’eau, en pluie fine, à l’aide d’une pomme de douche. Ce procédé a été employé la plupart du temps sur le site pour séparer les argiles humides des restes. C’est en fait le procédé de base utilisé dans les fouilles archéologiques en milieu humide. Les refus de tamis ont été conservés après tamisage dans de l’eau distillée, à l’abri de la lumière.
5Le tri s’est effectué sous loupe binoculaire en laboratoire (grossissement x 6 pour la fraction grossière et x 10 pour la fraction fine). Le tri s’est fait en deux temps avec d’abord un tri général qui a permis de séparer les différents fossiles (les charbons, les graines et noyaux, les fragments de bois, les ossements, les insectes, les coquillages...). Ainsi récupérés ces restes ont été envoyés aux différents spécialistes. Ensuite a été entrepris le tri spécifique à la carpologie qui consiste à regrouper les semences par espèces avant d’opérer la détermination.
9.1.1 La conchyliologie
6De nombreux coquillages ont été soit ramassés à la fouille, soit récupérés après tamisage. Leur étude donne une idée des espèces de coquillages familières à cette partie du littoral et des espèces consommées sur le site.
7Une série de prélèvements a été effectuée dans les dépôts marins (sondage profond de la zone 2) qui semblent s’être entassés naturellement au fil des siècles avant la fondation de la ville. Ces niveaux marins riches en coquillages sont dépourvus de matériel archéologique. Très homogènes, ils correspondent à l’envasement progressif de la calanque. Leur épaisseur avoisine les 2 m entre le dernier niveau anthropisé (remblai constitué d’amphores massaliètes du milieu du ive s. av. J.‑C.) et le substratum. Les prélèvements ont été faits tous les 60 cm, numérotés de 1 à 4 et regroupés sous le no 2‑1196. Un prélèvement a été effectué dans la couche 3‑526, sol rigoureusement horizontal de la fin de l’Antiquité, marqué par un fin dépôt de sable grossier sur toute sa surface. Ce sol, présent sur la plus grande partie de la fouille (environ 2 000 m2), marque une coupure très nette dans la stratigraphie du chantier ; il pourrait être dû à des salines. De nombreux coquillages ont été récupérés après tamisage afin de vérifier l’hypothèse de salines. Enfin, des prélèvements effectués dans le comblement inférieur (2‑1188) du puits circulaire S 77 d’époque médiévale ont livré à côté de gravats, céramiques et débris végétaux, de nombreux coquillages, parmi lesquels des murex.
9.1.2 La paléoentomologie
8Une série de prélèvements destinés à la paléoentomologie1 ont été effectués pendant la fouille. C’est la première expérience de ce type sur une fouille de sauvetage en France (conjointement à la fouille de la place Jules‑Verne à Marseille). Devant ce manque d’expérience, il était difficile de dégager des problématiques précises pour la plupart des phases d’échantillonnage.
9La technique de séparation du sédiment et des restes d’insectes ne s’effectue pas de la même manière que pour les autres microrestes. Le traitement des sédiments de la place du Général‑de‑Gaulle (prélèvement indépendant de 5 à 10 l) a été effectué par le spécialiste lui‑même. La technique consiste à désagréger le sédiment dans de l’eau et à séparer ensuite les particules lourdes des particules légères par le système de la flottation. La fraction en suspension est récupérée dans un tamis de maille 300 microns. On incorpore ensuite du pétrole à ces débris organiques afin de mieux récupérer les restes d’insectes. Une fois lavés avec du détergent, les fragments d’insectes seront triés sous microscope stéréoscopique. Au sud du faubourg, un bassin soigneusement maçonné a été dégagé. Son comblement, daté du xive s. au xvie s., a livré une quantité importante de vestiges organiques et de microfaune diverse (escargots, poissons, petits os...). Le puits d’époque médiévale (S 77) a également fait l’objet de prélèvements afin de récupérer les restes des insectes piégés dans les sédiments humides de ce puits.
10Un ensemble de prélèvements a également été effectué dans les niveaux d’utilisation de l’espace 3‑V (forge). Les nombreux déchets de métal et les couches successives de charbons de bois mises au jour laissent penser que cet espace a fait l’objet d’une activité de la métallurgie pendant le Moyen Âge. Les analyses ont montré l’absence totale de coléoptères dans cet espace.
11Le comblement moderne du fossé a fait l’objet de nombreux prélèvements. L’ensemble de ces échantillons correspond aux niveaux d’utilisation et de comblement du fossé de la fortification médiévale. Les premières études sédimentologiques de ce fossé lors des reconnaissances avaient montré l’alternance de phases en eau (saumâtre ou douce) et de phases de mise à sec. Il était intéressant de voir si les assemblages d’insectes retrouvés dans ces sédiments avaient enregistré ces changements.
9.1.3 La carpologie
12La totalité des amphores ayant un contenu (82) ont fait l’objet d’un prélèvement, d’un tamisage au jet d’eau et d’un tri sous loupe binoculaire (fraction 5 et 2 mm). Les autres, soit trop fragmentées, soit vides, n’ont pas fourni matière à prélèvement et à tamisage. Il n’a pas été possible de quantifier le volume de sédiment tamisé pour chaque amphore. Celui‑ci était variable : parfois l’amphore était pleine, parfois à moitié, souvent un fond de sédiment y était conservé seulement. Dans la mesure où il n’y a pas eu de quantification, le parti a été de retenir au maximum un flacon pour les fractions inférieures (1 et 0,4 mm). Des fragments de feuilles exceptionnellement bien conservés ont été retrouvés dans l’amphore 9. Un amas de pépins de raisins a été récupéré sous la panse brisée de l’amphore. Sans que cela puisse être établi avec certitude, il est possible que ces pépins soient sortis de l’amphore au moment de son abandon.
13Quelques prélèvements ont été effectués dans les niveaux romains et de l’Antiquité tardive, mais ce sont les vestiges du faubourg médiéval qui ont livré la plupart des paléosemences (bâtiments, puits, latrine...). Un prélèvement a été réalisé dans le comblement du fossé longeant la voie (S 269), et quatre dans celui situé de l’autre côté, en zone sud. Les prélèvements effectués dans le comblement des tombes T 5 et T 3 n’ont livré aucune graine après tamisage (pas de traces d’alimentation végétale et animale, que ce soit sous forme d’offrande ou résiduelle dans le comblement de la fosse).
14La fouille de l’ensemble du quartier n’a pas été très fructueuse en structure propice à la récolte des paléosemences : pas de silo, pas de grenier ni de four domestique. Très peu de foyers, de fosses ou de niveaux d’occupation ont livré des paléosemences. Parmi ceux‑ci, on note le foyer domestique S 142 dans lequel se trouve une plaque d’argile rubéfiée avec par‑dessus de nombreuses paléosemences, le sol 2‑660, avec une vidange de combustion (nombreuses graines carbonisées) et la fosse 2‑748, comblée d’une couche organique très sombre, riche en charbons de bois et en flore.
15Au sud du quartier, les trois comblements du bassin ont livré des vestiges organiques et de la microfaune en quantité et dans un excellent état de conservation. Un rapide coup d’œil a montré la présence de nombreux pépins de raisin, de noyaux d’olive et de prunes... Le comblement du puits S 77 a fait l’objet également de plusieurs prélèvements, qui ont révélé la présence de nombreux restes végétaux : graines, noyaux d’arbres fruitiers mais aussi des débris de branches, pour la plupart des rameaux de fruitiers et des sarments de vignes présentant des traces de taille. Enfin, quelques prélèvements ont été faits dans les niveaux médiévaux du fossé de l’enceinte.
16Les prélèvements, pour la période moderne, ont porté essentiellement sur les niveaux de comblement du fossé de la fortification médiévale. Les sédiments, en général argileux et imprégnés d’eau en permanence, ont exceptionnellement bien conservé les vestiges organiques.
17Une première observation lors du tri des fractions supérieures (5 et 2 mm) montre une quantité importante de pépins de raisin (présence de pétioles de grains de raisin). On note également la présence de graines de melon (?), de noyaux de prune (?), mais surtout de grains de potiron, qui semblent constituer la plus ancienne découverte archéologique (cf. annexe 2).
9.1.4 La dendrochronologie
18La période antique a été fructueuse en vestiges ligneux. Les structures S 158 (au sud) et S 164 (au nord), délimitant un canal, consistent en des alignements de pieux d’espèces résineuses, mais aussi d’espèces feuillues –chêne ?– ce qui est exceptionnel sur le site. La structure S 162 comprend une importante série de pieux (pin et chêne) surmontés de grosses dalles.
19Les prélèvements ont porté sur les structures S 164, S 158, S 162 ; une moyenne de 20 à 40 échantillons ont été prélevés par structure.
20La période médiévale a elle aussi livré des bois propices à l’étude dendrochronologique. Cependant, au‑delà de la faiblesse endémique en cernes de croissance de la plupart des échantillons, la quantité de ces derniers est faible. Seul un prélèvement (M 106/S 107) dépasse les dix unités. L’intérêt de ces prélèvements réside dans l’établissement de chronologies relatives. Celles‑ci s’obtiennent en cherchant des synchronisations entre bois d’un même secteur.
21À l’extrémité sud de la zone 4, six bases de piliers en calcaire ont été dégagées dans les espaces Cl et C3. Cinq d’entre elles possédaient un soubassement sur pieux, avec pour but de supporter ces blocs calcaires dont la fonction était de servir soit de contrefort au mur, soit de base pour des arcs de décharge. Chaque structure comprenait entre six et huit pieux, souvent dans un état très abîmé, pas toujours prélevables.
22Trois des murs de refend du fossé étaient maintenus par des alignements de pieux accolés aux parements : M 106 au N‑O du fossé (15 pieux de part et d’autre du mur), M 94 au nord du collecteur pluvial (trois pieux contre le parement nord) et M 192 à l’extrémité sud du fossé (3 pieux contre le parement sud). Une première étude au laboratoire de Chrono‑écologie de Besançon sur les échantillons de M 106 semble dégager des synchronisations entre certains pieux. En ce qui concerne la fortification, deux autres séries de pilotis ont été prélevées. En zone 4, six pieux maintenaient le mur M 19 dans sa partie est (4‑604). En zone 1, deux pieux accolés à ce même mur ont été mis au jour (1‑712). La rapidité de la fouille n’a pas permis de dégager les autres pieux aperçus le long de M 19 dans la partie sud du chantier. Il est curieux de constater l’absence d’un renfort de pieux contre le tronçon de M 19 dans la partie nord du site ; la nature du terrain à cet endroit étant aussi instable que dans la partie sud.
23Les prélèvements pour l’Époque moderne ont porté sur les pieux de fondation de l’îlot du xviiie s. et ceux des fontaines S 12 et S 22.
9.2 Évolution de l’environnement et impacts anthropiques depuis 6 000 ans sur la rive est du Lacydon
24c. morhange, m. bourcier, p. carbonel, p. chevillot
25Au cours de ces dernières décennies, le champ d’investigation de l’archéologie s’est élargi en direction d’un des centres d’intérêt traditionnels de la géomorphologie : l’étude des paléoenvironnements transformés par l’Homme (Guilaine 1991). Dans le cadre de ces travaux, les fouilles archéologiques de Marseille ont associé géomorphologues, sédimentologues, biologistes et archéologues2. Si ce type d’étude avait déjà été conduit en Basse‑Provence (Leveau, Provansal 1993, par exemple), c’est la première fois que ces recherches pluridisciplinaires sont menées dans un des plus anciens ports de France. Le site de la place du Général‑de‑Gaulle se trouve sur la rive est d’une profonde calanque‑estuaire, creusée dans un conglomérat stampien hétérogène et dominée au nord et au sud par des collines aux pentes relativement fortes (fig. 267). Cette opération a permis d’identifier le moment où les hommes deviennent un facteur morphologique déterminant dans l’évolution de l’environnement côtier, puis de préciser la façon dont les sociétés humaines ont transformé le milieu naturel à Marseille (Morhange 1994b ; Morhange et al. 1996).

FIG. 267 ‒ Carte géologique du site de Marseille a indication des paléorivières
DAO C. Morhange/CEREGE
9.2.1 Évolution paléoécologique
26La fouille a fourni une coupe‑clef qui permet d’identifier trois phases stratigraphiques principales, au sein desquelles le rythme et la nature des dépôts étudiés diffèrent (fig. 268). Les couches sont repérées par des lettres suivies d’un numéro séquentiel. Les équivalences avec les couches sont établies pour les niveaux antiques.

FIG. 268 ‒ Coupe dans la partie nord du chantier
DAO C. Morhange/CEREGE
9.2.1.1 Néolithique et âge du Bronze ancien
27Les sédiments correspondent au dépôt de vases marines coquillières dont la base est datée de 5474‑4354 cal. BC (6010 BP +/– 240, LGQ 943, sur matière organique) et le sommet de 2111‑1221 cal. BC (3340 BP +/– 170, LGQ 944, sur matière organique)3. La faune définit les biocénoses des sables vaseux de mode calme et lagunaire euryhaline et eurytherme (Picard 1965) avec un cortège d’espèces caractéristiques (Venerupis aurea, Loripes lacteus, Gastrana fragilis, Cerithium vulgatum, Abra alba, Parvicardium exiguum et Cerastoderma glaucum principalement...). La microfaune d’ostracodes est caractérisée par la prédominance d’espèces lagunaires (Cyprideis torosa, Loxoconcha elliptica) et phytales de la zone côtière de bord de mer (Loxoconcha gr. rhomboidea, Xestoleberis div., Aurila woodwardii).
28À la base (couches F1 à F3), la faune, relativement pauvre, est représentée majoritairement par des espèces vivant dans des biotopes très côtiers ou lagunaires à faible dessalure. Cet ensemble sédimentaire, à texture sableuse dominante et à minéraux argileux peu altérés, évoque une érosion en chenal incisé dans le substrat stampien dans un milieu encore faiblement anthropisé. Au niveau des couches F4 à F6, la faune devient entièrement de type phytal côtier. Le milieu tend donc à « s’ouvrir » de plus en plus vers la mer et les dessalures sont inexistantes. Ces sédiments s’enrichissent en limons et en argiles caractérisées par un pourcentage élevé de smectite altérée. Ils témoignent d’une réduction de la compétence des apports associée au démarrage de l’érosion des couvertures pédologiques. Cette dernière pourrait correspondre à une mise en valeur agricole et à une certaine déforestation du bassin versant de la Canebière dès le Néolithique final, conformément aux connaissances sur l’essor démographique de la Provence à cette période.
29Le taux de sédimentation de ces deux milieux reste modeste, entre 0,09 et 0,38 cm/an. Il contribue néanmoins à un début d’envasement du fond du Lacydon. Ce site enregistre donc les premiers effets de l’anthropisation dès le Néolithique.
9.2.1.2 Du Bronze moyen à la période hellénistique
30Le fond de la calanque est progressivement remblayé par les dépôts argilo‑limoneux d’un palud de bord de mer. Cette période marque une modification fondamentale, puisque l’on passe d’un écosystème marin‑côtier à un écosystème lagunaire, temporairement asséché à son sommet. Le fait nouveau est l’arrivée d’une microfaune dulcaquicole qui indique des apports du continent.
31La chronologie repose à la base sur une datation isotopique (2111‑1221 cal. BC, 3340 BP +/– 170, vases marines F7), au sommet sur la présence de vestiges archéologiques : les couches G1, G2 et G3 (correspondant à 2‑1177) sont scellées par une couche de branches de pins recouvertes par un amoncellement d’amphores massaliètes datées des environs de 400 av. J.‑C. La couche sommitale H (regroupant les contextes 2‑1167 et 2‑1168) a une datation identique.
32Les faciès sont fins, très homogènes, enregistrant une réduction sensible des dynamiques hydro‑sédimentaires : les argiles et les limons de couleur grise prédominent, variant de 65 % à 85 % de la texture. Au sommet, le dépôt présente une couleur gris jaunâtre panachée de blanc et de rouille, évoquant un pseudogley et donc un assèchement temporaire, caractéristique d’un marais de bord de mer.
33Entre 2111‑1221 cal. BC et 400 ans av. J.‑C., le taux moyen de sédimentation varie de 0,04 à 0,07 cm/an, soit des valeurs assez faibles. Le fond marécageux du Lacydon, en dehors des murs de Marseille grecque, est donc affecté par une période de calme érosif relatif jusqu’au début de la période hellénistique. Le contraste est saisissant entre la crise détritique qui touche alors la rive nord urbanisée (chantiers archéologiques Jules‑Verne et César) et la rive est relativement répulsive, où un calme sédimentaire perdure jusque vers 400 av. J.‑C.
34Ces différences peuvent aussi s’expliquer par un piégeage sédimentaire plus important sur la rive est. En effet, le taux de sédimentation côtier dépend étroitement du transit fluvial vers le littoral. La charge détritique peut être piégée dans les lits d’inondation à l’amont. Quelques éléments palynologiques sont déjà connus à La Bourse (Laval‑Triat 1985). L’étude des dépôts hellénistiques souligne en effet la présence de ripisilves. Ces formations végétales ont pu bloquer une partie des produits de l’érosion qui auraient alors préférentiellement engorgé les talwegs à l’amont.
35Au total, toute la période qui s’étend de 2111‑1221 cal. BC à 400 av. J.‑C. apparaît assez homogène, caractérisée par une vitesse de sédimentation modeste. Le sommet de la formation (couche H) est cependant caractérisé par une accélération importante du taux de sédimentation à partir de 400 av. J.‑C. La vitesse moyenne de sédimentation est d’environ 0,7 cm/an, soit au moins dix fois supérieures aux vitesses de la période précédente.
36Ces apports terrigènes, quel que soit leur rythme, induisent une progradation du trait de côte dès le début de l’âge du Bronze. Il est probable que la décélération de la vitesse de montée relative du plan d’eau au cours de la Protohistoire puis de l’Antiquité a facilité l’avancée des milieux continentaux (Morhange 1994b ; Laborel et al. 1994 ; Morhange et al. 1996).
37Le problème du hiatus de sept siècles entre les couches I (= 2‑1220, vers 400 ans avant J.‑C.) et J (= 2‑1077, vers 400‑500 ans après J.‑C.) est lié à la création d’un vaste empierrement constitué de galets.
9.2.1.3 Antiquité tardive (ve‑vies. ap. J.‑C.)
38Cette période correspond à la réapparition de dépôts marins littoraux à texture limono‑argileuse, caractéristique de milieux marins de mode calme en fond de calanque où prédomine la décantation (couches J et K). Au sommet de cet ensemble, des sables coquilliers (couches L, M, N et O) ont été déposés. La faune marine, très brisée, contient la plupart des espèces caractérisant la biocénose des sables vaseux de mode calme, qui ont été rejetées à proximité immédiate de la côte. Le niveau d’énergie est donc relativement plus important. Les ostracodes correspondent à plus de 80 % à des espèces du domaine côtier. La microfaune lagunaire est très minoritaire et la microfaune d’eau douce absente. Ces sédiments, datés de la fin du ve s. ap. J.‑C., ont ensuite été recouverts par des remblais. Ce corps sédimentaire marin traduit donc une transgression marine à la fin de l’Antiquité. L’ensemble des dépôts est caractérisé par des smectites assez bien cristallisées, définissant un apport de minéraux argileux stampiens peu dégradés. Il peut s’agir soit de la conséquence d’une érosion complète de certains profils pédologiques et de l’attaque de la roche mère, soit d’une reprise d’écoulements chenalisés associés à une meilleure gestion des sols. L’interprétation des minéraux argileux des plages proches du niveau moyen de la mer est, cependant, rendue difficile du fait de fréquentes altérations biaisant les interprétations possibles.
9.2.2 Des manifestations précoces de l’anthropisation à l’époque romaine
39L’étude de la coupe (fig. 268), rapportée aux connaissances acquises sur les fouilles récentes de l’ancien port de Marseille, permet de préciser l’évolution historique et géomorphologique du site de Marseille.
40Au Néolithique ancien, l’érosion semble limitée aux chenaux des talwegs sans érosion des sols importante. Cette période s’apparente assez bien au contexte morphoclimatique décrit en Basse‑Provence à la même époque et caractérisé par une prédominance de l’incision linéaire dans un milieu encore protégé (Jorda, Provansal 1996). Du Néolithique moyen à l’âge du Bronze, l’intervention progressive de l’Homme sur le milieu naturel est marquée par une érosion des sols, sans doute liée à la mise en valeur agricole du bassin versant de la Canebière. Nous notons en effet un pourcentage croissant de limons et d’argiles enrichis en minéraux altérés. Au total, nous n’identifions pas précisément les manifestations de la crise érosive signalée sur plusieurs sites de Provence occidentale au Bronze ancien (Provansal 1995). La fondation de Marseille aboutit à une accélération brutale de l’évolution morphogénique sur la rive nord de la calanque (Morhange 1994b). En revanche, la réponse sédimentaire du fond de la calanque à l’aménagement de la colonie grecque est atténuée et retardée de deux siècles. En effet, cette période est marquée par une érosion pédologique remarquable par le volume du matériel enlevé. Les sols sont massivement exportés vers la mer avec des vitesses de sédimentation élevées.
41Cette crise détritique se produit cependant dans un milieu déjà fragilisé, caractérisé par une amorce de décapage pédologique depuis 2 000 ans environ. Cet épisode correspond aussi chronologiquement assez bien avec la recrudescence de l’activité hydro‑sédimentaire perçue sur la plupart des sites provençaux, associée à une période climatique plus agressive entre les vie et iiie s. av. J.‑C. (Provansal 1995). Il est cependant clair que c’est la colonisation grecque qui crée les conditions locales pour que s’exprime cette fluctuation climatique.
42Durant la période hellénistique et romaine, nous notons une diminution importante des apports terrigènes. Les dynamiques sont plus atténuées qu’aux époques grecques archaïque et classique. Il y a coïncidence avec la pause morphogénique, d’origine climatique, signalée en Provence qui se marque par un déficit des écoulements et une réduction des crues et des transports solides (Provansal 1995). Cette variation morphogénique traduirait, en milieu anthropisé, le jeu de modestes fluctuations climatiques. La réduction des apports détritiques à proximité de la ville hellénistique puis romaine peut donc être rapprochée de la relative carence hydrologique qui caractérise cette période. L’histoire du site de Marseille n’échappe donc pas au contexte climatique régional.
43La sédimentation de la rive est du Lacydon est donc globalement compatible avec les modèles d’évolution de l’environnement de la Basse‑Provence à cette époque. Ainsi le site du Lacydon offre un terrain remarquable pour une réflexion sur la morphogenèse en milieux urbains, où interviennent d’une part les aménagements humains et d’autre part les contraintes climatiques propres à chaque période.
9.3 Les animaux et l’alimentation du xive s. à l’Époque moderne
44M. Leguilloux
45Deux périodes d’occupation dans ce faubourg ont livré suffisamment d’ossements pour permettre une étude archéozoologique satisfaisante (tabl. vi)4, le xive s. (état 4C) et les xviie‑xviiie s. (état 5). Dans la plupart des lieux de dépôts, les os étaient en bon état de conservation ; ainsi peu de fragments sont restés indéterminés.

TABL. VI ‒ Répartition du nombre de restes et du poids d’ossements par zones fouillées et par périodes.
46L’un des aspects les plus intéressants de ces lots d’ossements est d’offrir la possibilité de confronter des dépôts issus de deux modes de formation très différents. Les lots les plus abondants sont issus de l’habitat et reflètent l’alimentation et les activités artisanales qui se sont déroulées dans ce quartier entre le xive s. et le xviiie s. Pour ces restes, on s’est appliqué à présenter une étude couvrant tous les aspects de l’alimentation, prenant en compte la proportion des espèces, celle des âges d’abattage mais aussi l’étude des techniques de boucherie et des modes de cuissons.
47D’autres lots en revanche sont issus de comblements des fossés et ne correspondent pas à des dépotoirs de consommation mais à des charniers formés par des carcasses entières d’équidés rejetés massivement. Ces charniers semblent résulter d’épizooties. Ces animaux n’ont pas été consommés mais ils offrent l’opportunité d’étudier les animaux utilitaires –les chevaux et les ânes– et leur morphologie.
9.3.1 L’habitat : les caractéristiques de l’alimentation marseillaise entre le xive s. et le xviiie s.
9.3.1.1 La faune du xive s.
4885 % des ossements proviennent de dépôts formés au cours de l’état 4C, le materiel provenant des différentes phases de l’état 4 a été regroupé pour l’étude archéozoologique (tabl. vii). Expliquer cette inégalité reste hasardeux : beaucoup d’éléments tels que le curage régulier des fosses et le nettoyage des sols sont difficiles à appréhender ; aussi expliquer cette abondance par une concentration accrue d’habitants ou d’activités au cours de cette période restera à l’état d’hypothèse. Les ossements rejetés dans la zone d’habitat d’une part et sur la voie d’autre part forment des ensembles assez proches dans leur composition (espèces consommées) et leur nature (âges d’abattage), ce qui suggère une origine commune.

TABL. VII ‒ Nombres de restes (NR) et poids des ossements (PO) trouvés dans l’habitat. État 4.
49Les déchets alimentaires retrouvés dans les îlots d’habitation (les découvertes de faune se sont concentrées principalement dans l’îlot central et l’îlot nord) sont composés en grande majorité de caprinés (53 % des restes), et plus particulièrement de moutons (tabl. vii). Leur place dans l’alimentation doit cependant être relativisée, en particulier vis‑à‑vis de la viande de bovins. Cette viande devait en effet constituer un apport non négligeable en viande comme semblent l’indiquer la comparaison des poids d’ossements respectifs de ces deux espèces et la proportion écrasante du poids des ossements de bovins (61 %). Si les restes que l’on retrouve dans les niveaux de la voie offrent une composition identique (tabl. viii), ils sont cependant plus fragmentés que dans les couches d’occupation des maisons ; la raison est certainement à rechercher dans les passages répétés sur ces sols. En outre le poids des restes de bovins retrouvés dans les niveaux de voies est le plus élevé, les os les plus gros et les plus pesants ont été jetés hors des habitations ou des cours, étaient de préférence abandonnés des restes de tailles plus réduites.

TABL. VIII ‒ Nombres de restes (NR) et poids des ossements (PO) trouvés dans la voie. État 4.
Les âges d’abattage des animaux consommés
50Les moutons ont été abattus au début de leur période adulte (tabl. ix, x). Les animaux jeunes (de moins de 12 mois) sont peu nombreux, de même que les animaux très âgés (bêtes de réforme abattues après 8 ans). La majorité des bêtes ont atteint la limite d’utilisation pour l’exploitation de la laine et étaient abattues avant un âge trop avancé. Ces conclusions sont en accord avec les sources écrites qui montrent que la vente des agneaux, qui permettait de se débarrasser des mâles en surplus (Couler 1988 : 413), n’était pas très importante. Les novels d’un an à deux ans (pesant 14 kg) étaient consommés rarement (Stouff 1970 : 187 ; Couler 1988 : 413). Les plus nombreux étaient les mutones veteres, les arets et les fedas vielhs, les bêtes réformées de l’exploitation de la laine à partir de 6/7 ans. Les animaux âgés de 2 ans à 6 ans environ, c’est‑à‑dire les bêtes en pleine période d’exploitation, étaient, eux aussi, rarement présents sur les étals de bouchers. Les animaux abattus à Marseille correspondent donc aux rebuts des troupeaux destinés à la production de laine et de lait.

TABL. IX ‒ Âges d’abattage des animaux trouvés dans l’habitat. État 4,

TABL. X ‒ Âges d’abattage des animaux trouvés dans la voie (NMI). État 4.
51Les porcs et les bovins sont des animaux sélectionnés uniquement pour la consommation. Parmi les porcs dénombrés, la majorité étaient de jeunes adultes âgés de deux à trois ans ; les très jeunes animaux sont rares (tabl. ix, x), or les porcs étaient précisément vendus au boucher lorsqu’ils avaient atteint leur poids maximum, vers 3 ans (Stouff 1970 : 189).
52La majorité des bovins ont été abattus avant leur période de réforme autour de 7/8 ans. Malgré quelques individus très âgés (plus de 10 ans) ces animaux ont été sélectionnés et sont issus d’élevages bovins spécialisés pour la boucherie.
L’alimentation marseillaise au xive s.
53Les proportions entre moutons, porcs et bœufs se situent dans la norme observable dans l’ensemble des grandes villes du sud de la France : les caprinés, par des nombres de restes élevés, et les bovins, par un poids en ossements important, sont les espèces dominantes dans l’alimentation des villes au xive s. À Avignon, les caprinés représentent 66 % des restes, les porcs seulement 11 % et les bovins 20 % ; à Aix‑en‑Provence, les proportions sont de 55 à 74 % pour les caprines, 8 à 26 % pour les porcs et 10 à 15 % pour les bovins5. La prépondérance des caprinés se retrouve sur l’ensemble des sites de cette période, y compris sur les sites castraux (Leguilloux 1992) tel celui du village d’Ollioules où la proportion de ces restes s’élève à 62 % dans les dépotoirs du château du xive s.
54Dans les régions situées plus au nord, les résultats sont similaires. À Lyon (Forest 1994) les proportions sont de 61 % pour les restes de caprinés, 23 % pour les bovins et 15 % pour les porcs.
55La chasse ne jouait qu’un rôle très mineur dans l’alimentation des habitants de ces quartiers de Marseille. La viande d’animaux sauvages était une denrée de luxe, traceur des classes sociales favorisées, durant tout le Moyen Âge et l’Époque moderne. Au xive s., on retrouve les caractéristiques déjà observées dans les lots de la même période à Marseille ou à Aix‑en‑Provence6. Dans la région Rhône‑Alpes au xiiie s., les échantillons témoignent de très faibles taux de restes d’animaux chassés. Du haut Moyen Âge jusqu’à la fin de la période moderne, on note que la part des animaux chassés dans l’alimentation est faible sur les sites ruraux non privilégiés en Provence, en Rhône‑Alpes ou dans les régions septentrionales (Yvinec 1988 : 123‑126). C’est sur ce point que porte la seule différence avec la faune de deux villages provençaux des xiiie‑xive s. (Rougiers et Cucuron) étudiée par L. Jourdan. Bien que la nature de la consommation soit très semblable à celle de Marseille –majorité de caprinés et abattage de jeunes porcs entre un et deux ans–, les restes d’animaux chassés sont plus abondants (Jourdan 1979). Cependant ces deux exemples restent sujets à caution car une large part des restes d’animaux chassés sont en relation avec un artisanat de l’os et du bois de cerf.
9.3.1.2 La faune du xviiie s.
56Les quantités d’ossements retrouvés dans les niveaux de l’Époque moderne sont moindres, en particulier dans la zone d’habitat. C’est de la zone 1 que proviennent le plus grand nombre de restes.
Les espèces consommées
57La composition de la faune rejetée au cours de la période moderne (xviie s.) est très semblable à celle de l’époque médiévale ; on ne note aucun changement majeur dans la répartition des espèces (tabl. xi, xii). L’alimentation a malgré tout connu une modification, légère mais notable, qui se manifeste à travers une diminution des restes de porcs et une augmentation de ceux des bovins, sensible notamment au niveau des poids d’ossements.

TABL. XI ‒ Nombres de restes (NR) et poids des ossements (PO) trouvés dans l’habitat. État 5.

TABL. XII ‒Nombres de restes (NR) et poids des ossements (PO) trouvés dans le fossé. État 5.
Les âges d’abattage des animaux consommés
58La sélection des caprinés abattus reste également identique au cours des deux périodes (tabl. xiii) ; dans le matériel du xviiie s., il faut noter néanmoins l’absence des animaux très jeunes, avant le sevrage (avant trois mois). La courbe des âges des bovins et des porcs a peu changé, les abattages portent plus fréquemment sur les jeunes adultes, les animaux très âgés étant moins fréquents qu’aux périodes précédentes.

TABL. XIII ‒ Âges d’abattage des animaux trouvés dans l’habitat (NMI). État 5.
59Une mutation dans la sélection des individus pour la consommation toucha également les bovins, ils étaient alors abattus avant leur période de réforme autour de 7/8 ans. La sélection des animaux avant la limite de la réforme pour l’abattage de boucherie commence à apparaître à la fin du Moyen Âge, époque où les bovins deviennent des animaux de boucherie. Sur les étals des macelliers, apparaissent de plus en plus fréquemment des bœufs gras, dits bœufs d’étable ou d’attache, qui, une fois castrés, étaient envoyés dans les pâturages de montagne par des nourriguiers, puis vendus sur les foires des cités provençales (Stouff 1970 : 188). Ce phénomène qui débute à la fin du Moyen Âge devient marquant à la période moderne.
60Par rapport à la fin du Moyen Âge, on observe une légère diminution du nombre de très jeunes et de jeunes porcs. Mais ces modifications n’étant pas suffisamment importantes pour être significatives, on peut considérer que la sélection des âges reste stable entre le Moyen Âge et l’Époque moderne.
L’alimentation marseillaise au xviiie s.
61Au cours de la période moderne, on constate sur d’autres grands sites urbains une légère diminution de la part des porcs dans l’alimentation aux xvie et xviie s. Dans le sud‑ouest, à Toulouse (Forest 1994), les restes de porcs ne représentent que 4 % du matériel. À Lyon (Forest 1994), aux mêmes périodes, les restes de porcs varient de 7 à 14 %. À Lille au xvie s. (Blieck, Vadet 1986 : 100‑152), comme à Beauvais à la même période (Lepetz 1991 : 273‑275), les ossements de bovins sont dominants tandis que les restes de porcs sont très minoritaires. À Lille (xvie s.) cependant seuls les bovins ont un statut d’animaux de boucherie, marqué par la jeunesse des animaux abattus (Blieck, Vadet 1986 : 137‑139) alors que les moutons étaient tués plus âgés.
9.3.2 Le fossé
62Le fossé a connu des phases de creusement et de comblement successifs. Régulièrement curé, il a livré peu de vestiges osseux antérieurs au xive s. Son remplissage naturel s’est effectué lentement et contenait quelques rares restes de consommation. Au cours de la dernière phase de comblement de l’état 4C2 du xive s., on y rejeta plusieurs carcasses d’équidés et celles de quelques animaux familiers (tabl. xiv).

TABL. XIV ‒ Nombres de restes (NR) et poids des ossements (PO) trouvés dans le fossé. État 4.
63Les dépôts du xive s. sont concentrés surtout dans la zone sud, la plupart des ossements d’équidés ont été retrouvés en connexion anatomique, dans un excellent état de conservation. Il est donc possible de faire la distinction entre les ânes et les chevaux. Ces deux espèces sont représentées dans des proportions équilibrées, avec une préférence pour les individus mâles. Quelques‑uns d’entre eux étaient âgés et malades. Des os présentent des déformations osseuses, des nécroses ou des exostoses. On peut notamment observer fréquemment des soudures des vertèbres thoraciques et lombaires. Tous ces animaux appartenaient à un même groupe d’âge, celui des animaux âgés de 5 à 10 ans (tabl. xv). L’amoncellement de ces animaux morts en pleine période d’activité, non consommés (les squelettes étaient en connexion sans aucune trace de découpe, ni de dépeçage) et dans un laps de temps apparemment court, évoque un charnier où on aurait enterré des animaux morts ou abattus car malades.

TABL. XV ‒ Âges d’abattage des animaux trouvés dans le fossé. État 4.
64Au cours de l’état 5 (xviie s.), le fossé fut à nouveau comblé selon un processus identique de remblaiement, par l’enfouissement de carcasses d’animaux (tabl. xii). La différence entre les couches d’habitat et celles du fossé est très marquée : la nature et l’origine de ces deux lots paraissent similaires à celles du Moyen Âge.
65Comme pour la période précédente les carcasses appartiennent essentiellement à des équidés (80 %). Ces fortes proportions d’équidés montrent que l’on continuait de rejeter des carcasses d’animaux non consommés dans le fossé. Le caractère le plus remarquable de ces dépôts réside dans la constance de leurs modes de formation tout au long de la période moderne. L’absence de déchets domestiques indique que l’on utilisait le fossé essentiellement pour enterrer les carcasses de gros animaux. Les équidés sont morts dans la même tranche d’âge que ceux du xive s. : des adultes de 5 à 10 ans (tabl. xvi). Un abattage groupé, d’animaux de même âge, non destinés à la consommation, ensevelis rapidement, semble aussi indiquer un abattage d’animaux lors d’une épizootie. Tous les os sont dans un bon état de conservation ; il n’y a pas de trace de rongeurs ou de carnivores que l’on trouve ordinairement lorsque des ossements sont abandonnés à l’air libre ; les carcasses ont donc été recouvertes rapidement.

TABL. XVI ‒ Âges d’abattage des animaux trouvés dans le fossé (NMI). État 5.
66La rareté des rejets de consommation montre que le fossé n’était pas normalement utilisé comme dépotoir. Régulièrement entretenu et nettoyé pour assurer au mieux sa fonction, il ne devait être utilisé comme fosse commune pour les animaux que lors de grandes épidémies.
67Des dépôts de plusieurs dizaines de squelettes de chevaux sont connus par ailleurs à la même période, au xvie s., à Beauvais (Lepetz 1991) et à Paris (Rodet‑Belarbi 1993). Contrairement au charnier marseillais, cette population chevaline comprend des animaux jeunes, adultes et âgés (20 ans) et les ossements ne sont pas représentés de façon normale ; on note l’absence de certaines pièces osseuses : les extrémités (têtes et pieds) à Beauvais et des scapulas et os longs à Paris. La présence de traces de dépeçage plus proches de l’équarrissage (retrait des muscles pour la récupération des os) que de la boucherie de consommation7 suggère qu’il s’agissait de carcasses d’animaux réformés (par l’âge ou la maladie) récupérées pour la tabletterie. À Marseille, c’est un groupe homogène d’individus –morts en pleine période d’activité– qui ont été abattus et jetés entiers dans un fossé rapidement remblayé, deux caractéristiques qui renforcent l’hypothèse d’une épizootie.
9.3.3 La boucherie : découpe, fragmentation, choix des quartiers consommés
68Au cours de ces deux périodes, la répartition anatomique des ossements dans l’habitat n’a révélé aucune disproportion importante marquant une sélection des quartiers pour la consommation (tabl. xvii‑xix pour le xive s. ; tabl. xx, xxi pour les xviie‑xviiie s.).
69L’emplacement des traces de débitage et de démantèlement reste identique au schéma traditionnel de découpe en gros quartiers, puis de fractionnement en morceaux de plus en plus petits. Les restes désossés sont rares et limités aux jeunes individus.

TABL. XVII ‒ Répartition ostéologique des restes (NR sans les dents isolées) trouvés dans l’habitat. État 4.

TABL. XVIII ‒ Répartition ostéologique des restes (NR) trouvés dans la voie. État 4.

TABL. XIX ‒ Répartition ostéologique des restes trouvés dans le fossé (NR). État 4.

TABL. XX ‒ Répartition ostéologique des restes trouvés dans l’habitat (NR). État 5.

TABL. XXI ‒ Répartition ostéologique des restes trouvés dans le fossé (NR). État 5.
9.3.3.1 Découpe des caprinés
70L’axe vertébral des carcasses de moutons et de chèvres était sectionné en deux sur toute sa longueur. Un grand nombre de côtes possèdent ainsi l’articulation costale intacte. Les traces de découpe indiquent une consommation de côtes de moutons, mais la viande désossée –rôti et autres morceaux– était peu usitée. Le grand nombre de restes des membres fractionnes et la rareté des os entiers montrent une consommation de petits quartiers de viande incluant des morceaux d’os plus ou moins gros.
71La découpe n’a pas évolué entre le xive s. et le xviie s. Celle des caprinés n’est pas fixée de façon définitive avant le xive s. Deux schémas principaux se distinguent alors : section des apophyses majoritairement utilisée avant le xive s. et la fente médiane qui sera adoptée à partir du xive s. sur la plupart des sites étudiés jusqu’à présent (Audoin, Marinval‑Vigne 1987 et Blieck, Vadet 1986 : 147). À Marseille aussi, la découpe médiane est adoptée à partir du xive s.
9.3.3.2 Découpe des bovins
72La découpe de la colonne vertébrale resta identique aux xive s. et xviie s. Les apophyses transverses ont été sectionnées, le reste de la vertèbre a été désossé pour ôter la viande de colliers, filets, contre‑filets et autres morceaux. Les vertèbres thoraciques sont restées entières, seule l’articulation costale a été sectionnée, isolant la côte de bœuf avec une partie de la vertèbre. Les plats de côtes, après séparation des vertèbres thoraciques, ont été découpés en trois sections. Le traitement de l’axe vertébral des bovins par les bouchers n’était pas encore fixé au xive s., comme il l’était pour les caprinés. Le type de découpe employé à Marseille disparaît sur certains sites du Moyen Âge (La Charité ou Orléans ; Audoin, Marinval‑Vigne 1987 : 45‑52), mais il persiste sur d’autres puisque c’est celui que l’on retrouve au xvie s. à Lille (Blieck, Vadet 1986 : 144‑146).
73Les os des membres ont été fractionnés en plusieurs morceaux après avoir été séparés de la carcasse au niveau des articulations puis désossés, la fracture de ces os indique une utilisation fréquente de la moelle.
9.3.3.3 Découpe des porcs
74Les vertèbres sont très rares, les côtes en revanche sont plus nombreuses. Elles sont très souvent retrouvées avec l’articulation distale. À partir de ces quelques restes, on peut observer un traitement de l’axe vertébral similaire à celui des moutons : la découpe des carcasses de porcs, qui fut pratiquée longitudinalement à toutes les époques, permettait de préparer des côtes de porc.
75Les restes des membres sont, comme pour les caprinés, fracturés en petits morceaux. Les traces de boucherie sont fréquemment situées au‑dessous de l’articulation proximale ou au‑dessus de l’articulation distale et non plus au niveau de l’articulation comme cela était le cas pour les restes de moutons. Ce type de découpe est destiné à produire des petits morceaux à l’os qui ne peuvent être consommés que sous forme de ragoûts. Des ossements entiers auraient indiqué une consommation de viande désossée, mais ils sont absents dans les deux lots du xive et du xviie s.
76Le premier stade de débitage est donc semblable pour les caprinés et les porcs sur le site de Marseille dès le xive s., celui du bœuf restant la double fente de part et d’autre de l’axe vertébral. Les techniques de découpe ne sont pas uniformes pour toutes les espèces sur l’ensemble des sites du Moyen Âge. Sur des sites plus septentrionaux, la section longitudinale de la carcasse de porc n’est pas encore attestée au xviie s. (Audoin, Marinval‑Vigne 1987 : 46) alors que celle des carcasses de bœufs et de moutons y est générale à partir du xive s.
77L’abandon de la technique de la double fente de l’axe vertébral pour les bœufs et les moutons est rattaché par certains auteurs (notamment A. Grant pour l’Angleterre)8 à l’influence des marchés extérieurs. La section longitudinale des carcasses, plus rapide, facilite le débitage. Dans les campagnes et les régions éloignées des contacts et échanges commerciaux, la découpe ancienne persistait.
78Le nouveau type de découpe facilitait le démantèlement des carcasses de moutons et de porcs, mais les morceaux de viande proposés étaient moins nombreux. En revanche la double fente de la colonne vertébrale ou la levée de l’échine des bovins permettaient de dégager les meilleures pièces de viande (filet, onglet, filet mignon...) et d’éliminer une masse importante d’ossements. La découpe du bœuf à Marseille au xive s. et au xviie s. permettait de sélectionner des morceaux de viande présentant les meilleures qualités gustatives et culinaires. Les ossements que l’on retrouve sur le site sont aussi les pièces osseuses ôtées de la masse de viande et destinées généralement à cuire dans des bouillons gras.
9.3.4 Les animaux
79Différentes mesures relevées sur les ossements ont été utilisées pour décrire l’aspect des animaux, leur taille et leur corpulence. La comparaison des données des deux périodes principales montre la variation ou la constance des types provençaux. Les tableaux xxii et xxiii contiennent des données sur les chiens encore insuffisantes pour permettre une étude approfondie des types.

TABL. XXII ‒ Hauteurs au garrot des chiens. État 4.

TABL. XXIII ‒ Hauteurs au garrot des chiens. État 5
9.3.4.1 Le xive s.
80Les moutons marseillais du xive s. avaient une hauteur au garrot de 60 cm en moyenne (minimum de 50 cm et maximum de 68 cm) (tabl. xxiv). Ces hauteurs se situent dans la moyenne régionale : on retrouve pour les animaux de la région d’Avignon ou d’Aix‑en‑Provence des valeurs semblables (Leguilloux 1994).

TABL. XXIV ‒ Hauteurs au garrot des moutons. État 4.
81Sur le site de Charny en Côte‑d’Or, les individus mesuraient de 57 à 60 cm (Beck 1989 : 75‑85). La taille de 60 cm semble être la moyenne sur les sites plus septentrionaux, à la Charité‑sur‑Loire leur taille est de 56 à 57 cm (Audoin‑Rouzeau 1986), et au château de La Cologne à Hargicourt (Aisne) la moyenne est de 61 cm au garrot (Méniel 1989)9.
82De rares hauteurs au garrot de porcs et de bovins ont pu être calculées ; elles ne sont pas suffisantes pour déterminer une moyenne (tabl. xxv‑xxvii). En revanche, l’ostéométrie des équidés, chevaux ou ânes dont on retrouve un grand nombre d’ossements mesurables, offre une base statistique plus fiable. Ces animaux utilitaires étaient dans l’ensemble de grande taille : les chevaux ont des tailles comprises entre 121 et 163 cm au garrot, les ânes entre 92 et 117 cm (tabl. xxviii‑xxx).
TABL. XXV ‒ Hauteurs au garrot des porcs. État 4.

TABL. XXVI ‒ Hauteurs au garrot des porcs. État 5.

TABL. XXVII ‒ Hauteurs au garrot des bovins. État 4.

TABL. XXVIII ‒ Hauteurs au garrot des chevaux. État 4.

TABL. XXIX ‒ Hauteurs au garrot des ânes. État 4.

TABL. XXX ‒ Hauteurs au garrot des ânes. État 5.
9.3.4.2 Le xviiie s.
83La taille moyenne au garrot des moutons (tabl. xxxi) reste la même que celle du xive s. : 60,1 cm (pour un minimum de 51 cm et un maximum de 67 cm), taille assez élevée par rapport à celle des individus de certains sites tel que la Charité‑sur‑Loire (Audoin‑Rouzeau 1986) où la taille moyenne des animaux du xvie s. est de 54 cm. À Lille, en revanche, au xvie s., les moutons mesuraient 62 cm en moyenne, et cette taille resta constante dans ces régions durant plusieurs siècles (Blieck, Vadet 1986 : 140). Il semble que 60 cm au garrot soit une hauteur moyenne générale.

TABL. XXXI ‒ Hauteurs au garrot des moutons. État 5.
84Au xvie s., les bœufs de Lille mesuraient 110 cm au garrot seulement alors que les animaux de Marseille atteignaient fréquemment des tailles de plus de 130 cm (tabl. xxxii), comme au xive s.

TABL. XXXII ‒ Hauteurs au garrot des bovins. État 5.
85La hauteur des chevaux varie de 115 à 155 cm (moyenne de 133 cm au garrot) (tabl. xxxiii). On manque de données de comparaison pour cette période, mais il semble que ces animaux soient moins grands que ceux du nord de la France : à Beauvais, au xve s., les chevaux mesuraient entre 135 et 158,5 cm au garrot (moyenne de 147 cm ; Lepetz 1991 : 278‑279), à Paris, au xvie s. (Méniel, Arbogast 1989), leur taille moyenne était de 151 cm.

TABL. XXXIII ‒ Hauteurs au garrot des chevaux. État 5.
9.3.5 Les mutations de l’alimentation marseillaise du xive s. au xviiie s.
86À partir de la fin du Moyen Âge, l’alimentation commence à changer, une nouvelle catégorie d’animaux apparaît, les animaux de boucherie, animaux subadultes, abattus avant leur période de rendement. Cette mutation signifie un début de spécialisation des élevages qui fournissaient des animaux de consommation aux cités. Ce phénomène est probablement à mettre en relation avec l’extension des villes à la fin du Moyen Âge avant que la Peste noire n’élimine une partie importante de la population. Cette croissance démographique a pu se manifester notamment par une plus forte demande en viande (Fourquin 1979 : 134‑138). L’élevage ovin subit alors une mutation, les élevages qui produisaient des agneaux pour la consommation pouvaient être tout aussi rentables que l’exploitation de la laine, type d’élevage qui évacuait vers les cités les excédents et les bêtes réformées et impliquait la consommation d’ovins plus âges.
87Parallèlement, on observe une redistribution du rôle des espèces dans l’alimentation entre le xive s. et le xviiie s. ; en particulier la consommation de porcs diminue. Il s’agit d’une tendance générale notable sur l’ensemble des régions, à partir du haut Moyen Âge et jusqu’à l’Époque moderne (xvie s.) (Audoin‑Rouzeau 1986 : 149‑151).
88En dehors de ces légers changements dans la part de la viande de porcs au sein de l’alimentation provençale, d’autres aspects tels que l’association viande de mouton/viande de bœuf ou la sélection des animaux consommés (âges d’abattage principalement) se sont maintenus au cours des deux périodes. La lacune entre le xive s. et le xviie s. ne permet pas de vérifier si des changements sont intervenus alors, cependant les études démographiques mettent en évidence la chute du nombre de foyers à partir de 1348, chute liée à l’épidémie de Peste noire et aux difficultés économiques qui s’en suivirent. Le chiffre élevé de la population du début du xive s. ne sera à nouveau atteint qu’au xvie s. (Fourquin 1979 : 250‑254), époque où la demande en viande a pu retrouver le niveau du xive s. Cette ressemblance entre les deux périodes pourrait alors s’expliquer par ces nouvelles tendances de l’alimentation, qui ont commencé à apparaître à la fin du Moyen Âge (le bœuf devient un animal de boucherie, la viande de bœuf est consommée presque aussi fréquemment que la viande de mouton) et qui resurgissent au xviiie s. alors que la demande en viande retrouve une fréquence similaire.
89Les lots d’ossements découverts dans le quartier de la place du Général‑de‑Gaulle ont permis de dégager quelques aspects de l’alimentation quotidienne des Marseillais au xive s. et au xviiie s., mais il reste encore à les replacer par rapport à des contextes des xvie et xviie s. D’autres études sur des ossements de ces périodes restent encore à réaliser pour cerner l’alimentation des Marseillais et l’aspect des animaux au cours de l’Époque moderne.
9.4 Les coquillages
90n. weydert, f. brien‑poitevin †
91Les fouilles de la place du Général‑de‑Gaulle ont livré une quantité relativement faible de restes de coquillages marins, soit 1 200 individus. Compte tenu de la proximité de la mer et de la longue chronologie du site, cette pauvreté reste assez étonnante. Cependant, cette base est parfaitement valable pour discerner l’influence de l’anthropisation sur le fond de la calanque du Lacydon ainsi que l’évolution des goûts alimentaires. Le site est particulièrement important pour le Moyen Âge, pour lequel Marseille ne dispose que de rares données en matière de conchyliologie.
92L’étude qui suit reprend en partie l’esquisse proposée par F. Brien‑Poitevin, disparue avant d’avoir pu la mener à son terme. La compréhension du site s’est largement affinée depuis le début de l’étude, ce qui nous a permis de mieux différencier les variations tant pour la paléoécologie que l’alimentation.
9.4.1 Époque grecque
93Cette période (état 1) est plutôt pauvre en restes de mollusques marins. 124 individus sont répartis au sein de 14 espèces (tabl. xxxiv), où les coques (Cerastoderma edule glaucum) dominent largement avec 64 restes. Les espèces retrouvées indiquent, par l’association de Cerastoderma, Cerithium vulgatum, Tapes aureus et Callista chione, un environnement naturel de sables vaseux en mode calme. La présence de Gastrana fragilis montre que le fond a une très nette tendance à l’envasement, déjà démontrée par la géomorphologie aussi bien pour le site de la place du Général‑de‑Gaulle que pour ceux de Jules‑Verne et Bargemon‑César (Morhange, Weydert 1995) distants de quelques centaines de mètres. La présence de Loripes lacteus, Cyclope neritea et Nassarius mamillatus signale que le fond de la calanque s’apparente à une lagune, vaseuse, avec des arrivées d’eau douce intermittentes grâce à un fleuve côtier empruntant peut‑être le tracé de l’actuel Canebière.

TABL. XXXIV ‒ Comptage des coquillages de la phase 1.
94Les huîtres (Ostrea stentina et Crassostrea angulata), les moules (Mytilus galloprovincialis) et les gibbules (Gibbula adansoni), toutes en très faible quantité –respectivement 4, 15, 2 et 3 individus– montrent l’existence d’un substrat solide sur lequel les larves ont pu se fixer. Il peut s’agir de branchages immergés, de simples cailloux épars, d’épaves naturelles, mais certainement pas d’un rivage rocheux ou d’un aménagement quelconque sur lequel ces bivalves auraient vécu en très grand nombre ; on les aurait alors retrouvés par centaines dans les sédiments, comme ce fut le cas récemment sur le site de Bargemon‑César. Cette rareté des huîtres permet aussi d’affirmer qu’elles ne proviennent pas d’une consommation.
9.4.2 Époque romaine
95Les coquillages de cette période (état 2) sont encore moins nombreux qu’auparavant : 66 restes pour seulement 10 espèces (tabl. xxxv). Ce sont essentiellement des espèces des sables vaseux de mode calme. Les Cerastoderma sont toujours les plus nombreux, avec 37 individus dont beaucoup sont en connexion. Les faunes de substrat durs sont au nombre de quatre, Ostrea stentina et edulis, Gibbula adansoni et Amyclina corniculum. Elles restent en très faible quantité.

TABL. XXXV ‒ Comptage des coquillages de la phase 2.
96Nous sommes toujours dans un environnement naturel, mais la réalité de la mer commence à disparaître, au profit d’atterrissements dans la plus grande partie du site et d’aménagements dont une grande calade proche du rivage. Le milieu marin ne se retrouve plus que dans un chenal où se développent sur les substrats durs des colonies de balanes. Les mollusques retrouvés dans le chenal indiquent un biotope d’eaux polluées, très peu renouvelées, rendant les coquillages qui y vivaient impropres à la consommation.
97La consommation de coquillages durant la période romaine est de toute façon très improbable pour le site de la place du Général‑de‑Gaulle. En effet, les espèces comestibles sont très rares et certains mollusques caractéristiques, comme les pétoncles (Chlamys glabra), les peignes (Pecten jacobeus) et les tritons (Charonia rubicunda), abondants pour la même période sur d’autres sites marseillais, manquent totalement. Il paraît donc évident qu’on ne vit pas sur le site durant la période romaine, bien son occupation soit indéniable.
9.4.3 Antiquité tardive et haut Moyen Âge
98Avec 9 espèces pour seulement 20 coquilles (tabl. xxxvi), cette phase (état 3) est la plus pauvre. Au vu des quelques coquillages, dont une majorité de coques, on peut estimer qu’un marais côtier s’est installé au fond du Lacydon, après une remontée du niveau de la mer. L’étude des sédiments, réalisée par Laurent Cordier, montre que tous les aménagements de la partie sud ont été immergés avant que cette partie du littoral soit totalement exondée par des remblais. Dans la partie nord, les chenaux sont comblés par des apports terrigènes.

TABL. XXXVI ‒ Comptage des coquillages de la phase 3.
99Deux espèces ont pu être consommées. Il s’agit de Chamelea gallina et Acanthocardia tuberculata, originaires de fonds sableux côtiers, et donc importées dans le Lacydon. Cependant, leur présence sporadique, avec seulement une valve de chaque, ne permet pas d’affirmer avec certitude une consommation des mollusques, d’autant que les espèces caractéristiques sont toujours absentes.
9.4.4 Moyen Âge
100750 coquilles, pour 41 espèces, ont été exhumées des contextes datant du Moyen Âge (état 4), ce qui en fait la plus riche phase pour le site (tabl. xxxvii). Parmi celles‑ci, près de 30 % sont des espèces comestibles.

TABL. XXXVII ‒ Comptage des coquillages de la phase 4.

TABL. XXXVII ‒ Comptage des coquillages de la phase 4. (suite)

TABL. XXXVII ‒ Comptage des coquillages de la phase 4. (suite)

TABL. XXXVII ‒ Comptage des coquillages de la phase 4. (suite)

TABL. XXXVII ‒ Comptage des coquillages de la phase 4. (suite et fin)
9.4.4.1 Phase 4A
101Cette première période comporte 14 espèces pour 77 coquilles. Cerastoderma est toujours majoritaire, avec 44 individus, dont 34 dans le chenal. Associées à Cerithium vulgatum, Tapes aureus et decussatus, elles indiquent un environnement de sables vaseux de mode calme. Les espèces vivant sur substrat dur sont en minorité : Gibbula adansoni et varia, Ostrea edulis et stentina, Amyclina corniculum.
102Le chenal, au nord, est régulièrement en eau, mais il reçoit de plus en plus d’éléments terrigènes. Les débris de coquillages apparaissent de plus en plus usés, et sont mêlés à du sable éolien, signifiant que le chenal passe du domaine marin au domaine terrestre, jusqu’à sa disparition.
9.4.4.2 Phase 4B
103Cette phase, qui voit l’apparition de l’habitat, compte 20 espèces pour 129 individus. Plusieurs d’entre elles sont toujours typiques d’un environnement naturel de type sable vaseux en mode calme. Cependant, dans la mesure où le chenal a disparu et où le rivage a progradé vers l’est, ces mollusques signalent l’utilisation de sédiments marins en remblai, soit prélevés dans le Lacydon, soit par remaniement des couches marines plus anciennes lors du creusement des fondations de murs. Le fait que de nombreuses coques (Cerastoderma edule glaucum) ont été retrouvées avec leurs deux valves, parfois encore en connexion, vient étayer cette hypothèse.
104Fait nouveau pour le site, des espèces consommées d’une manière certaine apparaissent. Elles sont au nombre de 4 : Acanthocardia tuberculata (3 individus), Charonia rubicunda (1), Trunculariopsis trunculus (1) et Chlamys glabra (7). Aucune n’est originaire du Lacydon, particulièrement Chlamys, le pétoncle, qui provient de fonds sableux détritiques de moyenne profondeur, ceci impliquant son introduction sur le site à des fins de consommation. À ces espèces, on peut ajouter 31 patelles ou arapèdes (Patella...), gastéropodes faciles à récolter sur les rochers littoraux. Leur présence ici n’est pas naturelle ou accidentelle, car, dans ce cas, des coquillages partageant le même biotope (huîtres, moules, bigorneaux...) auraient été retrouvés en grandes proportions. Cette apparition de la consommation est à mettre en relation avec celle de l’habitat. Cependant, les reliefs de cuisine demeurent minoritaires, pour ne pas dire marginaux. Peut‑être faut‑il y voir le témoin d’une faible densité de population, celle‑ci commençant à peine à s’installer dans le nouveau faubourg.
9.4.4.3 Phase 4C
105Sans conteste, nous avons la plus riche phase en ce qui concerne les coquillages : 40 espèces pour 501 spécimens. Comme pour la période précédente, nombre de mollusques témoignent d’une utilisation de sédiments marins en remblais, mais également d’une intense activité de construction qui remanie les terrains plus anciens.
106La rue caladée S 23 illustre bien l’existence de recharges à base de sédiments marins. Les Cerastoderma représentent 68,5 % des restes coquilliers (37 individus sur 54), les Cerithium 7,4 % (4) et les Tapes 3,7 % (2). On a donc une majorité de mollusques des sables vaseux de mode calme, des mollusques de substrats durs se partageant les 20,4 % restants. Les coques sont toutes inférieures à 3 cm, ce qui indique qu’elles n’ont pas été consommées, tout comme le fait que de nombreux exemplaires étaient en connexion. La présence d’Ostrea edulis var. lamellosa, datée dans le Lacydon de l’âge du Bronze et disparue depuis, montre parfaitement que les remblais ont été pris sur les zones infralittorales voisines, principalement constituées de vases argileuses, ainsi que dans le sous‑sol du faubourg.
107Appartenant à la rue S 23, la fosse 1‑240 est intéressante du fait du corail rouge (Corallium rubrum, qui n’est pas un mollusque mais un cnidaire proche des gorgones), dont 36 fragments ont été retrouvés, mesurant de 2,8 à 3 cm. Aucun n’est percé, et ils ne portent pas de traces de polissage. Leur présence dans cette fosse n’est pas fortuite car le corail ne vit qu’à partir de 20 m de fond, sur les tombants les moins exposés à la lumière. Il faut donc, pour avoir été retrouvé à l’extrémité du Lacydon, l’avoir récolté en mer (par dragage ou en apnée) et ramené. La taille des fragments exclut leur utilisation en joaillerie : ils font plutôt penser à des rebuts, seules les portions les plus grosses étant intéressantes et exploitables. Pour autant, cette trouvaille ne signifie pas l’existence d’un atelier de joaillerie dans le faubourg ; elle en est seulement un indice. Sur le site de Bargemon‑César, plusieurs milliers de fragments découverts dans une préparation de sol du Moyen Âge sont à rapprocher de ceux de la place du Général‑de‑Gaulle.
108Les espèces alimentaires sont mieux représentées, bien que proportionnellement peu importantes. Il s’agit principalement de murex (54 individus), d’huîtres (38 exemplaires), de moules (25), de patelles (25), de pétoncles (Chlamys glabra, 18) et d’amandes de mer (Glycymeris violascens, 6). On peut y ajouter Acanthocardia tuberculata (6), Charonia rubicunda (2), Spondylus gaederopus (9) et Astrea rugosa (1). Un exemplaire de coquille Saint‑Jacques (Pecten maximus), originaire de l’Atlantique, suggère l’existence d’un commerce avec les régions océaniques. Ces espèces sont présentes dans la plupart des habitations, en nombre plus ou moins variable. La structure la plus intéressante est un puits de l’espace B3. Son comblement (contextes 2‑1187, 2‑1188, 2‑1189 et 2‑1191) comporte un matériel homogène dans un espace clos et bien daté. 133 coquillages y ont été retrouvés, pour 17 espèces. La répartition biocoenotique est très largement en faveur des mollusques des substrats durs, qui représentent 83,5 % du total pour 10 espèces. Un murex (Trunculariopsis trunculus), dont 48 individus ont été exhumés avec un nombre de restes atteignant 105 fragments, occupe 36 % de l’ensemble. La question de la consommation ne se pose pas à son sujet : ce murex, tout comme Murex brandaris, est un gastéropode réputé pour sa chair et toujours consommé de nos jours. Tous les exemplaires sont brisés, comme s’ils avaient reçu un coup avec une masse pour en extraire la chair. Cette technique est encore utilisée en de nombreux points du globe et implique que la cuisson des murex est intervenue après extraction de l’animal. Ceci suppose une préparation en sauce, bien que nous n’ayons pas de moyens d’étayer cette hypothèse. Une autre possibilité serait la préparation d’appâts pour la pêche, bien que l’opération de briser la coquille soit en général pratiquée au coup par coup, à bord de l’embarcation. Par contre, l’idée première de fabrication de pourpre – suggérée par la proximité d’une cuve en bois – est à réfuter, bien que les coquilles brisées rappellent la description de Pline l’Ancien. Même si Trunculariopsis est particulièrement indiqué pour cela, le nombre de coquilles retrouvées est bien trop faible pour admettre cette hypothèse : il faut en effet près de 8 000 coquilles pour obtenir 1 gramme de pourpre ! Même au titre d’une expérimentation, cette séduisante hypothèse n’a pas de sens, d’autant que les teintures végétales –garance, ysatis, indigo…– étaient bien plus faciles à obtenir.
109Concernant les techniques de construction, plusieurs contextes ont fourni des fragments de mortier contenant des coquillages (2‑175, 2‑627, 2‑683, 3‑619, par exemple). Géraldine Bérard (1994 : 214), lors de l’étude des mortiers de chaux du site, souligne la présence de « beaucoup de petits coquillages », en particulier pour la phase dite 2, dans l’espace B1. Les coquillages ont donc servi dans la préparation du mortier. Bien que cela soit possible, il ne paraît pas plausible qu’ils soient à la base de la chaux elle‑même : en terrain calcaire, il est plus évident de se servir de cette roche que de coquillages, plus difficiles à obtenir en grande quantité. Il est plus probable –et logique– que les coquilles ont été mêlées à la chaux avec du sable rapporté du littoral, ce que confirme la présence de nombreux galets centimétriques accompagnant les coquillages. Qui plus est, certains mortiers (type 2) sont « moins serrés, fissurés et plus friables ». Cette désagrégation suppose une teneur en sel rendant le mélange hydrophile et implique que le sable n’a pas été lavé à l’eau douce avant mélange. Cette mauvaise qualité des mortiers à base de sable marin non lavé était déjà signalée par Vitruve.
9.4.4.4 Phase 4D
110Avec 12 espèces pour 43 individus, cette sous‑phase indique un net repli de la consommation ou de l’utilisation des coquillages. La plupart proviennent des vases argileuses du Lacydon –Cerastoderma, Cerithium, Tapes, Gastrana...– et ont été retrouvées dans des remblais ou des recharges de sols. Les espèces alimentaires –huîtres, moules, patelles et Acanthocardia– représentent à peine 12 individus dont on ne peut dire qu’ils ont effectivement été consommés. L’absence de coquillages étrangers au Lacydon plaiderait même en faveur d’une disparition totale de la consommation des coquillages dans ce quartier de la ville. Louis Stouff avait déjà noté, pour la ville d’Arles, cette absence des coquillages dans l’alimentation à la fin du Moyen Âge. À Marseille, ce fait pourrait être expliqué par la démolition du faubourg au xive s. afin de renforcer la défense de la cité, avec passage d’un quartier florissant dont seules subsistent les habitations les plus méridionales, à un no man’s land des plus déserts.
9.4.5 Époque moderne
111Bien moins riche que le Moyen Âge, la période moderne (état 5) recense 240 coquilles pour 27 espèces (tabl. xxxviii). Compte tenu de la durée de cette phase, on ne peut pas dire que la consommation de mollusques a réellement connu une embellie, même si elle semble avoir repris en comparaison avec la fin du Moyen Âge.

TABL. XXXVIII ‒ Comptage des coquillages de la phase 5.
112Les faunes les plus nombreuses proviennent du fossé de l’enceinte rempli d’eau de mer, qui se comble naturellement avec des sables ou des vases marines, mais aussi des remblais terrigènes ou des déchets. Les coques y sont majoritaires (38 individus sur 76), avec les Tapes (8), témoignant d’un environnement où la vie marine peut se développer, malgré une pollution assez importante (les espèces de sable vaseux les plus fragiles sont absentes). Des espèces alimentaires –moules, huîtres, amandes de mer, Acanthocardia, Charonia, murex– bien qu’en faible proportion, indiquent des rejets de consommation.
113Trois coquillages sont intéressants par leur provenance. Pteria hirundo, d’abord, petit bivalve méditerranéen qui vit fixé sur les gorgones à partir de 10 m de fond, est un indice d’une activité de dragage, peut‑être pour récolter le corail, bien que celui‑ci soit absent pour la période moderne. Pinctada margaritifera, ensuite, originaire de la mer Rouge, n’est autre que l’huître perlière. Retrouvée en au moins deux exemplaires lors des premiers décapages, elle illustre l’existence des relations entre Marseille et le monde arabe, peut‑être en liaison avec le commerce des perles. Macrocypraea zebra, enfin, est une porcelaine qui n’existe que dans les Caraïbes. Elle a été exhumée d’un niveau d’abandon (1‑226) antérieur à 1770. Ce probable souvenir de voyage est un émouvant témoignage des liaisons commerciales entre Marseille et les Antilles au xviiie s.
9.4.6 Conclusion
114En comparaison avec d’autres sites marseillais, la consommation des coquillages est assez peu importante sur le site de la place du Général‑de‑Gaulle. Les coquillages retrouvés sont plutôt des espèces en place, non consommées, en particulier pour l’Antiquité. Il faut y voir le reflet d’une occupation du site essentiellement technique jusqu’au Moyen Âge, où le premier habitat est construit. Dès lors que les premières maisons s’élèvent en bordure du littoral, la consommation des mollusques fait son apparition, avec des espèces introduites par l’Homme sur les bords du Lacydon. Cette consommation est à son comble durant la phase 4C, où le faubourg est à son maximum d’extension, juste avant sa démolition pour raison défensive à la fin du xive s., fait que l’on retrouve dans une chute vertigineuse du nombre de coquilles retrouvées. Durant la période moderne, la consommation reprend, mais assez faiblement.
115Il est intéressant de noter que malgré la situation de Marseille au bord de la Méditerranée, la consommation des coquillages n’est pas automatique. Comme souvent, elle n’est pas fonction de la quantité des produits, ni même de la qualité de ceux‑ci, mais bien affaire de coutumes et de goûts. Nous rappellerons pour mémoire que les coquillages ne sont guère qu’un aliment de disette dans de nombreux pays du monde, et qu’en Écosse, par exemple, il est parfaitement choquant de manger des mollusques, même en temps de famine (Chénorkian 1989).
116Les quantités relativement restreintes de coquillages ne doivent cependant pas masquer l’intérêt du site. Pour la période antique, le terrain de la malacologie commence à peine à être défriché, en particulier grâce à des chantiers tels que Jules‑Verne ou César‑Bargemon. Par contre, les données concernant le Moyen Âge sont extrêmement rares à Marseille, et cette fouille s’est révélée capitale pour commencer à combler un véritable hiatus dans nos connaissances.
9.5 Les données archéoentomologiques
117p. ponel
9.5.1 Introduction
118Bien qu’en Europe du Nord l’entomologie occupe depuis de nombreuses années une place non négligeable parmi les disciplines biologiques qui gravitent autour de l’archéologie (Bucldand, Coope 1991), l’étude des Arthropodes fossiles associés à la présence de l’Homme et aux activités humaines depuis le Néolithique jusqu’à l’Actuel reste en France encore très limitée. On a pu cependant remarquer dans notre pays un intérêt accru pour ces recherches au cours des dernières années, avec la réalisation de plusieurs études portant aussi bien sur le Néolithique (Ponel 1997) que sur le début de l’ère chrétienne (Matterne, Yvinec, 1996) et le Moyen Âge (Bocquillon et al. 1995 ; Duverger 1994 ; Huchet 1994). Ces travaux ont montré que les Arthropodes fossiles (et tout particulièrement les insectes Coléoptères) constituaient une source d’information exceptionnellement riche dans des domaines aussi variés que la nature des sources de nourriture, la qualité de préservation des denrées alimentaires entreposées, la nature des habitations humaines et de l’environnement proche, etc. (Elias 1994).
119L’ouverture de ce chantier archéologique, situé en plein centre de la ville de Marseille, nous a fourni l’occasion, au cours des années 1992 et 1993, d’effectuer d’abondants prélèvements de sédiments (de l’ordre de 200 kg) dans des conditions particulièrement favorables à l’analyse paléoentomologique. Les premiers résultats de ces recherches ont déjà fait l’objet d’un rapport de maîtrise (Andréa et al. 1996) qui a mis en évidence la richesse de l’entomofaune identifiée et la variété des informations qui peuvent en être tirées10.
9.5.1.1 Lieux et méthodes de prélèvement
120Cinq principaux ensembles ont fait l’objet de prélèvements riches en Arthropodes. Les premiers échantillons correspondent à des sédiments datés du xvie s. et de la première moitié du xviie s., issus du comblement du fossé extérieur au rempart qui entourait vers l’est le Plan Fourmiguier (Bouiron 1994a). Ces trois séries (issues de trois coupes stratigraphiques différentes) seront nommées F1, F2 et F3 dans le courant de ce travail. Les échantillons trouvés dans l’espace B3 proviennent d’un puits‑citerne médiéval comblé au xive s. (la structure C de ce travail). Enfin les échantillons de l’espace C4 correspondent à un bassin comblé entre le xive et le xvie s. (structure B).
121Chaque prélèvement (de 2,5 à 10 kg) a été effectué en détachant à la bêche des blocs de sédiment directement de la paroi dégagée à la pelle mécanique lors de la fouille, situation très favorable à un échantillonnage de bonne qualité, dépourvu de contamination moderne. Les sédiments ont été conservés dans des sacs de polyéthylène hermétiquement clos jusqu’à leur traitement au laboratoire, dans le but d’éviter tout dessèchement néfaste à la conservation des fragments d’insectes.
9.5.1.2 Méthodes d’extraction et de préparation des restes d’Arthropodes
122L’extraction des restes d’Arthropodes a été effectuée selon la méthode habituelle préconisée par Coope (1986). Elle implique tout d’abord la désagrégation du sédiment dans l’eau, au besoin après un séjour prolongé dans une solution de carbonate de sodium qui facilite la défloculation du sédiment, puis le criblage des particules en suspension sur un tamis à maille de 300 μm. L’abondante masse de détritus qui constitue le refus du tamis est mêlée à du pétrole ; puis, après élimination du pétrole en excès, les détritus sont placés dans un récipient rempli d’eau propre. Après décantation, les restes d’Arthropodes flottent à la surface dans le film de pétrole alors que les débris végétaux se déposent au fond du récipient. La fraction flottante est récupérée sur le même tamis de 300 μm, puis lavée à l’aide d’un détergent, rincée à l’alcool et triée à l’aide d’une loupe binoculaire de manière à éliminer les débris indésirables qui ont pu subsister. Les restes d’Arthropodes sont conservés dans de l’alcool à 90°, dans des tubes hermétiques. L’identification des fragments se fait par comparaison directe avec des spécimens provenant d’une collection de référence actuelle.
9.5.2 Résultats
123Au total, environ 208 kg de sédiment ont ainsi été traités, dont 131 correspondent à des échantillons qui recelaient des restes d’Arthropodes (tabl. xxxix), 77 kg étaient stériles sur le plan entomologique ; quelques restes de Coléoptères de grande taille ont été également triés par tamisage sur la fouille même. Les principaux groupes représentés sont les Insectes Coléoptères, qui sont très majoritaires dans les assemblages (304 taxons). Les Insectes Hétéroptères et Dermaptères et les Arachnides Scorpionides sont représentés par un très faible nombre d’espèces et d’individus (7 taxons).

TABL. XXXIX ‒ Nomenclature et poids des échantillons analysés.
124D’une manière générale, les restes d’insectes obtenus se caractérisent par une qualité de conservation exceptionnelle, puisque presque toujours les détails de sculpture, de microsculpture, de squamulation, de pilosité, étaient préservés de sorte que dans les deux tiers des cas une identification au niveau spécifique ou au niveau du groupe d’espèces a pu être pratiquée. Cette proportion est exceptionnellement élevée par comparaison avec des travaux portant sur des périodes plus anciennes. En France, par exemple, les analyses effectuées sur les assemblages de Coléoptères rissiens, éémiens et würmiens de La Grande Pile (Haute‑Saône) n’ont pas permis de dépasser de beaucoup les 50 % d’identifications spécifiques (Ponel 1995).
125Les taxons identifiés sont présentés dans le tableau xl, les chiffres situés à l’intersection entre les lignes (taxons) et les colonnes (échantillons) correspondent au nombre minimum de spécimens présents dans chaque assemblage, estimé en fonction du nombre d’éléments diagnostiques dénombrables issus de la fragmentation de l’exosquelette.

XL ‒ Insectes du chantier de fouilles de la place du Général‑de‑Gaulle. Nomenclature et ordre taxonomique selon Lucht (1987).

XL ‒ Insectes du chantier de fouilles de la place du Général‑de‑Gaulle. Nomenclature et ordre taxonomique selon Lucht (1987).(suite)

XL ‒ Insectes du chantier de fouilles de la place du Général‑de‑Gaulle. Nomenclature et ordre taxonomique selon Lucht (1987).(suite)

XL ‒ Insectes du chantier de fouilles de la place du Général‑de‑Gaulle. Nomenclature et ordre taxonomique selon Lucht (1987).(suite)

XL ‒ Insectes du chantier de fouilles de la place du Général‑de‑Gaulle. Nomenclature et ordre taxonomique selon Lucht (1987).(suite et fin)
9.5.3 Interprétation
126L’interprétation paléoécologique des assemblages de Coléoptères est basée principalement sur les données biologiques et écologiques tirées des ouvrages fondamentaux traitant de la faune régionale, essentiellement de Caillol (1908 ; 1913 ; 1914 ; 1954a ; 1954b) et de Thérond (1975 ; 1976). Les informations concernant les Dermaptères sont tirées de l’ouvrage d’Albouy et Caussanel (1990).
9.5.3.1 Analyse d’ensemble
127Les pourcentages des principaux groupes écologiques auxquels appartiennent les Coléoptères présents dans les assemblages de chacune des grandes unités F1, F2, F3, C et B définies ci‑dessus donnent des indications sommaires sur l’origine du remplissage de ces structures et sur le contexte paléoenvironnemental (tabl. xli).

TABL. XLI ‒ Pourcentages des principaux groupes écologiques auxquels appartiennent les Coléoptères contenus dans les assemblages des unités F1, F2, F3, C et B.
128Les espèces aquatiques sont, logiquement, abondantes dans les trois unités du fossé. Leur absence dans la « citerne » résulte peut‑être simplement de l’absence d’eau libre et/ou de l’absence de communication avec le milieu extérieur qui a pu empêcher la colonisation de cette structure. Le faible pourcentage des aquatiques dans le bassin B évoque plutôt un apport accidentel d’insectes dans un milieu peu favorable à leur épanouissement (par exemple peu d’eau libre disponible, situation au fond d’un puits...).
129Les espèces halobiontes (liées aux milieux salés) sont présentes également en petit nombre dans les 5 unités ; elles sont évidemment liées à la proximité de la mer et de terrains salés. Toutefois leurs pourcentages relativement bas posent le problème du taux de salinité du fossé. On peut se demander si ces valeurs sont compatibles avec une communication du fossé avec la mer car dans de telles conditions le taux de salinité très élevé devrait nécessairement entraîner l’élimination de la plupart des espèces non halorésistantes ; ce n’est certainement pas ce que l’on observe ici. L’hypothèse d’un simple apport sporadique d’espèces en provenance de milieux salés proches ne peut donc pas être écartée.
130Les espèces ripicoles (des bords des eaux) et des lieux humides « naturels » sont présentes mais en très petite quantité dans l’unité B « bassin », ceci est à rapprocher de l’importance numérique des espèces de lieux secs dans la même unité, comme on le verra plus loin. Comme les aquatiques, les ripicoles sont surtout abondants dans les 3 unités du fossé, ce qui n’est pas surprenant.
131Les coprophages (liés aux excréments) sont nettement plus nombreux dans l’unité B, ce qui pourrait confirmer dans une première approche le rôle de latrine attribuée en cours de fouille à cette structure. Cette interprétation sera discutée plus en détail dans l’analyse détaillée de l’unité B.
132Les détriticoles au sens large sont exceptionnellement nombreux dans tous les assemblages, mais en particulier dans la citerne C où ils atteignent 34,7 %. Il en est de même pour les synanthropes, qui sont, aussi, bien représentés dans C. Ces deux indications, ainsi que l’absence d aquatiques, rendent peu plausible le rôle de citerne attribué à l’unité C.
133Les espèces de milieux ouverts sont de loin les plus nombreuses dans le bassin B, dans les autres unités leurs pourcentages sont assez insignifiants. Cette indication suggère soit un environnement différent pour l’unité B, soit un autre mode de « fonctionnement » pour ce qui concerne les mécanismes de « captation » et d’accumulation de la faune d’insectes.
134En ce qui concerne les phytophages, ils sont relativement moins représentés dans C que dans les autres unités. L’importance relative de ce groupe sera mise à profit pour tenter de reconstruire la végétation environnante, particulièrement en ce qui concerne les unités F1, F2, F3 et B où ils sont bien représentés.
135Les informations indiquées ci‑dessus permettent de donner une première interprétation de ces différentes unités : le fossé (F1, F2, F3) ne pose pas de problèmes majeurs d’interprétation, il s’agit bien d’un fossé de protection certainement rempli d’eau, toutefois il n’est pas certain qu’il communiquait avec la mer. Son taux de salinité ne peut être déduit de la faune d’insectes. La citerne C semble plutôt correspondre à un espace clos qui pourrait être interprété comme une fosse septique. En effet les assemblages d’insectes recèlent peu ou pas d’éléments provenant d’apports extérieurs, mais en revanche ils sont riches en détriticoles divers et en espèces synanthropes liées aux denrées alimentaires entreposées, dont l’apport par un système de canalisations (égout ?) est fort possible. On sait en effet qu’après ingestion les fragments de Coléoptères supportent sans dommage l’activité des sucs digestifs et le transit intestinal (Osborne 1983).
136L’unité B est la plus originale. Le faible nombre d’espèces synanthropes liées aux denrées alimentaires et le nombre relativement élevé d’espèces de milieux ouverts indiquent certainement que cette unité a « fonctionné » dans une ambiance moins anthropisée et que les assemblages d’insectes obtenus sont susceptibles d’apporter plus d’informations sur l’environnement immédiat de cette structure. L’originalité de ces assemblages d’insectes de l’unité B a d’ailleurs déjà été démontrée par une analyse factorielle des correspondances par Andréa et al. (1996). Pour ces raisons l’unité B fera l’objet d’une étude distincte plus détaillée.
9.5.3.2 Les unités F1, F2 et F3
137Elles rassemblent l’essentiel de la faune d’insectes, avec au total 260 taxons dans 22 assemblages. La richesse en espèces permet d’établir une reconstruction paléoécologique de l’environnement anthropisé aux alentours immédiats du site de dépôt, à partir de l’identification d’espèces phytophages liées à des espèces végétales particulières, aussi bien des arbres que des plantes herbacées, mais aussi à partir de diverses espèces très spécialisées indicatrices de milieux particuliers. Les nombreuses espèces liées aux denrées stockées fournissent par ailleurs des informations sur la nature et la qualité de conservation des ressources alimentaires.
La reconstruction de l’environnement « naturel » anthropisé
Les Coléoptères phytophages indicateurs de la présence de ligneux
138Parmi les nombreux Coléoptères recensés, certains sont strictement liés à une espèce végétale ligneuse (ou à un groupe d’espèces végétales ligneuses) bien précise. Il s’agit d’Histeridae, de Colydiidae, de Bostrychidae, d’Anobiidae, de Tenebrionidae et de Scolytidae. Il faut noter que certaines de ces espèces ne sont pas phytophages mais prédatrices de phytophages, comme les Histeridae par exemple. Le tableau xlii indique le ou les plantes hôtes les plus fréquentes pour une sélection d’espèces liées aux arbres, ainsi que leurs effectifs dans les assemblages de la fouille de la place du Général‑de‑Gaulle.

TABL. XLII ‒ Plantes hôtes les plus fréquentes pour quelques Coléoptères phytophages liés aux arbres.
139L’importance des Coléoptères des Conifères et surtout des pins est remarquable, puisque plus de la moitié des espèces liées aux arbres appartiennent à ce groupe. Incontestablement un boisement de pins devait se situer tout près du site. La similarité de l’assemblage fossile avec la faune qui peut être actuellement observée sur le pin d’Alep dans la région de Marseille suggère que c’est bien cette essence qui était présente. On remarquera également des espèces qui suggèrent la présence sur place de l’olivier, du frêne et surtout du figuier, qui est indiquée par la forte représentation du petit scolyte Hypoborus ficus, exclusif à cette essence. La présence de Coccotrypes dactyliperda est plus surprenante. Elle peut indiquer soit l’existence locale d’un palmier indigène (vraisemblablement alors Chamaerops humilis), soit un apport lié au commerce des dattes, puisque ce scolyte se développe dans l’albumen corné contenu dans le fruit de nombreux palmiers (Lepesme 1947).
Les Coléoptères phytophages liés aux plantes non ligneuses
140L’observation de phytophages liés à la strate herbacée contribue à préciser la nature de l’environnement végétal (tabl. xliii). L’abondance des Coléoptères inféodés aux plantes rudérales (Urticacées, Malvacées, Chénopodiacées, Résédacées, chardons...) est remarquable. Ce fait témoigne de la forte anthropisation du milieu. Toutefois la présence d’un Aphanisticus, petit bupreste lié aux Cypéracées des lieux marécageux, et d’un Prasocuris, Chrysomélide lié aux plantes aquatiques, suggèrent que des milieux du type prairie marécageuse devaient subsister à proximité.

TABL. XLIII ‒ Plantes hôtes les plus fréquentes pour quelques Coléoptères phytophages liés à la strate herbacée.
Les Coléoptères liés aux accumulations de matières végétales et animales en décomposition
141Il s’agit de la catégorie écologique la mieux représentée. On y rencontre l’Hydrophilidae Megasterum boletophagum, la plupart des Histeridae, beaucoup de Staphylinidae dont les représentants des genres Oxytelus et Platysthetus, les Dermestidae, la plupart des Cucujidae, les représentants des familles Erotylidae, Cryptophagidae, Mycetophagidae, le Colydiidae Aglenus brunneus, l’Anthicidae Omonadus floralis, les Scarabaeidae Diastictus tibialis, Pleurophorus, Rhyssemus, Phyllognathus excavatus. Une telle abondance d’espèces liées aux matières décomposées indique certainement que ce fossé servait de réceptacle à divers déchets, soit jetés directement soit amenés par l’intermédiaire de canaux de drainage. Son rôle comme collecteur d’égouts est probable car il est difficile d’imaginer autrement qu’une telle quantité de Coléoptères liés aux matières en voie de décomposition ait pu s’accumuler dans un fossé dont le rôle principal semble défensif. Un groupe annexe est constitué par quelques espèces liées aux cadavres, avec en particulier le grand Staphylinidae Creophilus maxillosus qui chasse sur les cadavres ses proies habituelles, les larves et les pupes de Diptères. Les Trox, ultimes exploiteurs des cadavres, recherchent plutôt les poils et les restes desséchés abandonnés par les autres nécrophages. La faune plus strictement coprophage est assez bien représentée, avec surtout des Scarabaeidae (représentants des genres Onthophagus et Aphodius). Les espèces rencontrées ne sont pas propres aux excréments humains, il est donc difficile d’affirmer que le fossé pouvait jouer un rôle de latrine. On note par ailleurs la présence de l’Hydrophilidae Sphaeridium type substriatum, qui vit uniquement dans les bouses de Bovidés, et qui suggère donc que les environs immédiats du site devaient être pâturés, probablement par des vaches.
Autres indications paléoenvironnementales
142L’abondance des Coléoptères ripicoles dans les unités F1, F2 et F3 indique que les rives du fossé devaient présenter des conditions favorables à l’implantation de ces espèces : berges non abruptes, plages vaseuses dépourvues de végétation. Ces Coléoptères sont surtout des Carabidae : Clivina, Tachys bistriatus, Tachyura panula, T. haemorrhoidalis, Notaphus varias, Trepanés fumigatus, T. octomaculatus, Bembidion quadripustulatum, Ocydromus genei, Acupalpus notatus, Chlaeniellus vestitus. On note aussi la présence de Staphylinides ripicoles, Stenus par exemple.
143Les aquatiques ne sont pas très nombreux en espèces et en individus, seulement 6 espèces de Dytiscidae, quelques Hydraenidae (Ochthebius, Helophorus), quelques Hydrophilidae (Laccobius, Enochrus, Helochares, Berosus), Oulimnius tuberculatus. Cette relative pauvreté pourrait être imputée à une mauvaise qualité de l’eau (eutrophisation par exemple). La présence dans la structure C (citerne), également pauvre en aquatiques, du charançon aquatique Tanysphyrus lemnae lié aux lentilles d’eau (Lemna) pourrait aller dans le sens de cette hypothèse.
144Un intéressant groupe d’espèces est constitué par Mesites pallidipennis, Pselactus spadix et Amaurorhinus sp. Ces charançons presque exclusivement littoraux sont liés aux bois morts en voie de décomposition abandonnés sur les plages. Leur présence indique donc incontestablement soit que du bois rejeté par la mer était accumulé à proximité, soit que du bois utilisé pour la construction était stocké pendant de longues périodes sur le site. Cette observation doit être rapprochée de l’existence d’un chantier de constructions et de réparations navales au fond de l’actuel Vieux‑Port, au Plan Fourmiguier, dont la protection du côté est (vers la terre) aurait été assurée par un rempart, lui‑même bordé d’un fossé : ce sont précisément les sédiments de comblement de ce fossé qui ont fourni les échantillons F1, F2 et F3.
Apports des Coléoptères dans la connaissance de la nature des sources alimentaires
145Plusieurs espèces identifiées dans les assemblages des unités F1, F2 et F3 sont de redoutables ravageurs des denrées alimentaires entreposées (tabl. xliv). Les espèces signalées par un astérisque comptent d’ailleurs parmi les 14 espèces les plus nuisibles dans le monde actuellement sur le plan économique ; selon Delobel et Tran (1993), « elles sont responsables de l’essentiel des pertes dans les silos des pays industrialisés ».

TABL. XLIV ‒ Quelques Coléoptères nuisibles aux denrées alimentaires entreposées.
146C’est un groupe relativement pauvre en espèces mais riche en individus. Toutes sont particulièrement nuisibles aux céréales entreposées et aux produits qui en sont dérivés, aussi bien à l’état larvaire qu’à l’état adulte, sauf Stegobium paniceum qui attaque à l’état larvaire un très large spectre de produits entreposés d’origine végétale. Les bruches (Bruchus spp.) sont pour leur part exclusivement liées aux graines de légumineuses (Lepesme 1944 ; Mound 1983 ; Delobel, Tran 1993).
147La présence en quantités considérables de ces destructeurs de denrées alimentaires paraît difficile à expliquer si l’on s’en tient simplement à un rôle de dépotoir du fossé. Là encore, il est plus plausible d’imaginer que ces insectes aient été amenés sur le site de dépôt et concentrés dans les sédiments après avoir été ingérés avec la nourriture, digérés puis excrétés. L’hypothèse d’égouts débouchant dans le fossé, ou de la vidange du contenu de latrines dans le fossé, pourrait être envisagée. Osborne (1983) a montré que des effectifs élevés d’espèces synanthropes de ce type dans certains remplissages étudiés dans les îles Britanniques devaient être attribués à une consommation accidentelle d’insectes, excrétés, puis accumulés dans des puisards.
148L’hypothèse du rejet volontaire de stocks de nourriture (céréales par exemple) fortement parasités est également envisageable mais paraît moins convaincante, il paraît plus logique que dans une telle hypothèse ces stocks aient été détruits par le feu plutôt que simplement abandonnés dans une fosse.
149Quoi qu’il en soit, ces données suggèrent incontestablement l’importance considérable des céréales dans le régime alimentaire de l’époque ; cependant les légumineuses devaient jouer également un rôle si l’on se réfère aux effectifs considérables des bruches (bien qu’une partie de ces insectes ait pu se développer sur des Légumineuses non cultivées). Enfin, il est certain que les aliments élaborés à partir de ces stocks de graines devaient être sévèrement infestés par les parasites.
9.5.3.3 La structure C : le puits‑citerne
150Au total 72 taxons ont été recensés dans les 4 assemblages prélevés dans cette structure. L’absence de la presque totalité des espèces originaires du milieu « naturel » ou du moins peu modifié par les activités humaines (Coléoptères ripicoles, Coléoptères du pin, Coléoptères liés à la flore rudérale, etc.) est tout à fait frappante. Seules subsistent les espèces liées à l’homme : commensaux, parasites de denrées, détritiphages divers. L’analyse de la famille des Carabidae illustre parfaitement ce phénomène : sur les 27 taxons recensés sur l’ensemble des échantillons extraits du site (surtout des ripicoles ou des espèces de lieux secs et ouverts), seul Sphodrus leucophthalmus est présent dans la structure C. Or cette espèce est bien connue pour sa prédilection pour les lieux sombres, humides et sales fréquentés par l’homme, comme les caves par exemple. En dehors des Carabidae, on remarque plusieurs autres espèces synanthropes dont l’écologie n’est pas sans rappeler celle de Sphodrus leucophthalmus, comme Blaps sp. et Tenebrio obscurus. La faune liée aux denrées alimentaires stockées est très voisine de celle déjà décrite (cf. supra § 9.5.3.2).
151La constitution particulière de l’entomofaune tirée des assemblages de la citerne permet d’émettre quelques hypothèses quant à sa nature et à sa fonction. Il est presque certain que cette structure devait être close puisque la pénétration d’insectes depuis le milieu extérieur n’a pas été aisée. Sa fonction comme réserve d’eau semble peu vraisemblable en raison de la quantité importante d’insectes liés aux matières en voie de décomposition et de la présence de quelques coprophages. Il n’est pas exclu que cette structure correspondît plutôt à une latrine ou à une cave abandonnée et progressivement comblée.
9.5.3.4 La structure B : le bassin
Analyse des assemblages d’insectes
152Au total 107 taxons ont été identifiés, chiffre considérable si l’on remarque que seuls deux assemblages d’insectes ont été analysés. Contrairement aux assemblages étudiés précédemment, et en particulier ceux de la structure C, les insectes rencontrés dans la structure B (tabl. xl) sont en grande majorité des insectes provenant du milieu extérieur. Les Coléoptères des denrées alimentaires sont très rares, aussi bien en espèces qu’en individus : on note seulement Oryzaephilus surinamensis (1 exemplaire) et Sitophilus spp. (3 ex.). Il s’agit donc d’un assemblage très original dans sa composition spécifique, comme l’ont montré Andréa et al. (1996) par l’analyse factorielle des correspondances.
153L’impression générale qui se dégage de l’assemblage B1 + B2 est que cette structure qualifiée de « bassin » correspond en fait probablement à une construction pouvant être comparée à un puits, qui aurait fonctionné comme un piège pour les insectes, particulièrement les insectes marcheurs. Cette situation particulière est propice à une reconstruction paléoenvironnementale basée sur les insectes puisqu’ainsi un échantillon aussi représentatif que possible de l’entomofaune des abords immédiats du site de dépôt est disponible.
154L’un des traits les plus remarquables de cet assemblage d’insectes est l’absence totale d’espèces liées aux arbres, si l’on excepte Anobium type punctatum qui recherche surtout les bois ouvrés à l’intérieur des habitations et se rencontre rarement dans la nature. En revanche les espèces indicatrices de milieux ouverts, des friches et des cultures sont nombreuses, comme par exemple les Carabidae Procrustes coriaceus, Trechus obtusus/quadristriatus, Ditomus capito, Ophonus rufipes. D’autres espèces sont typiques des milieux ouverts secs, sablonneux ou pierreux : les Anthicidae Leptaleus rodriguesi et Hirticomus quadriguttatus, les Tenebrionidae Stenosis sardea et Pedinus meridianus, les charançons Otiorhynchus cribricollis, Trachyphloeus sp. et Donus crinitus. Ce dernier insecte est assez abondant aujourd’hui sur l’île de Ratonneau, au large de Marseille, où la végétation est particulièrement rase et clairsemée. Parmi les Dermaptères, Forficula decipiens et Forficula pubescens sont fréquents actuellement dans les milieux ouverts sur le littoral aux environs de Marseille, et ne sont pas considérés comme liés à un milieu forestier par Albouy et Caussanel (1990). Quelques espèces suggèrent la présence de ruines, de lieux sombres et sales, comme Pristonychus algerinus, Akis bacarozzo, Scaurus tristis, Scaurus atratus.
155De nombreux phytophages révèlent la présence d’une flore variée : les Crucifères sont suggérées par Helophorus rufipes, les Labiées par Chrysomela banksi, les chardons par Agapanthia cardui et Larinus sp., les Malvacées par les trois espèces de Podagrica et par Aspidapion aeneum, les Chénopodiacées par Chaetocnema tibialis, les Papilionacées par Sitona sp., les Graminées par Pachytychius squamosus. L’arbuste Atriplex halimus pourrait bien avoir été également présent puisque le charançon Lixus brevirostris semble monophage sur cette espèce. Cette observation pose un problème puisque, selon Molinier (1981), le Pourpier de mer serait d’introduction récente dans les Bouches‑du‑Rhône. Si réellement L. brevirostris est incapable de se développer sur un autre Atriplex, comme semble l’indiquer Hoffmann (1954), la présence d’A. halimus dans la région de Marseille serait avérée dès le Moyen Âge. Enfin la découverte de nombreux exemplaires de la punaise Tritomegas sexmaculatus (Cydnidae) indique la présence de la Labiée Ballota foetida. Cette punaise s’observe aujourd’hui fréquemment « aux alentours des habitations en campagne, sur des sols nitriques où poussent des plantes rudérales » (communication orale de Matocq).
156L’existence d’abondants dépôts de bois morts est indiquée par les effectifs considérables du charançon Pselactus spadix (105 exemplaires décomptés). Une partie au moins de ce bois devait être imbibée de chlorure de sodium après un séjour dans l’eau salée, car l’Oedéméride Nacerda melanura vit exclusivement à l’état larvaire dans ce milieu très particulier, aussi bien en bord de mer que dans les salines de l’intérieur (Sainte‑Claire Deville 1935‑1938). L’importance numérique de la faune de Coléoptères liés aux bois morts échoués est en accord avec la présence d’un chantier de construction et de réparation navales à proximité immédiate du site.
157Les insectes coprophages comprennent quelques éléments remarquables par leur écologie, comme les Scarabéides Aphodius elevatus, A. contaminatus, Thorectes intermedius, Geotrupes niger et Bubas bison, et l’Hydrophilide Sphaeridium type substriatum. Bubas bison présente la particularité de rechercher surtout les excréments de cheval. Actuellement, c’est une espèce « exclusivement localisée à la plaine littorale et à la Camargue dans leurs parties les plus humides, c’est‑à‑dire sur les pourtours des étangs saumâtres ». Il « préfère les milieux totalement ouverts », tout comme Aphodius elevatus qui est une espèce de garrigues (Lumaret 1978). Thorectes intermedius est propre au littoral. Il recherche surtout les excréments de mouton, mais probablement aussi ceux de lapin. Geotrupes niger, espèce ubiquiste en ce qui concerne le type de formation végétale, montre une préférence marquée pour les excréments humains bien qu’il n’en soit pas exclusif. Sphaeridium t. substriatum est pour sa part lié aux excréments fluides de grands Mammifères (surtout vache).
158La présence d’Aphodius contaminatus est surprenante car cette espèce est très rare au‑dessous de 600 m d’altitude, bien qu’elle ait été fréquemment citée de Camargue par les anciens auteurs (Caillol 1913 ; Thérond 1975). Selon Lumaret (1978), les captures d’’Aphodius contaminatus à basse altitude, et particulièrement en Camargue, s’expliqueraient par l’humidité permanente, en profondeur, des sédiments quaternaires qui constituent le remplissage du bassin deltaïque. Cette espèce se trouve dans toutes sortes d’excréments, avec une prédilection pour les bouses de vache.
159Un important contingent d’espèces est lié plus ou moins directement à diverses matières végétales et animales en décomposition (excréments, débris végétaux, fumiers...). Il s’agit principalement d’Histérides (toutes les espèces recensées de cette famille dans la structure B présentent cette écologie particulière), qui sont surtout prédateurs de petits Arthropodes (larves de Diptères par exemple). La presque totalité des Staphylinides peut également être rattachée à cette catégorie, de même que quelques familles de moindre importance numérique comme les Dermestides, les Cryptophagides, les Lathridiides, les Colydiides... On peut également rattacher à ce groupe Trox scaber, qui consomme exclusivement les matières desséchées d’origine animale : peaux, poils, plumes, etc.
Conclusion
160Les assemblages d’insectes obtenus à partir des sédiments de la structure B (le bassin) constituent bien le reflet cohérent de l’environnement immédiat du site. Cet environnement peut être décrit comme ouvert, sur sol en partie rocailleux et sec avec une végétation rudérale variée, en partie profond et humide certainement à proximité de l’anse du Vieux‑Port actuel. Une végétation plus hygrophile (prairie humide) liée à ce second type de conditions édaphiques devait être localement présente. La présence de ruines et de vieux murs est très probable. De grands Mammifères herbivores (cheval, vache, peut‑être moutons...) devaient certainement pâturer à proximité du site. Des activités humaines liées à un stockage de bois sont attestées ; la possibilité que ces bois morts proviennent d’accumulations d’épaves rejetées par la mer ne peut cependant être écartée. La rareté des Coléoptères synanthropes associés aux denrées alimentaires entreposées (insectes dont les concentrations élevées dans certains sédiments sont liées à leur absorption avec la nourriture puis à leur excrétion et à leur accumulation) ainsi que la rareté des Coléoptères coprophages liés aux excréments humains ne sont pas compatibles avec le rôle de latrine initialement attribué à cette structure, qui correspond plutôt à un bassin abandonné.
9.5.4 Conclusions générales
161Les résultats de l’étude archéoentomologique des prélèvements effectués peuvent être classés en trois thèmes principaux. D’une part il a été possible d’apporter des précisions sur l’environnement immédiat du site de dépôt. Cette approche relève d’une démarche paléoécologique classique ; toutefois, par rapport à l’analyse palynologique (discipline avec laquelle l’archéoentomologie présente des affinités), l’étude des restes d’insectes fossiles fournit des informations à un niveau très local, ce qui à l’évidence est susceptible de présenter à la fois des avantages et des inconvénients. D’autre part l’étude archéoentomologique permet d’apporter des précisions sur la nature des sources de nourriture exploitées par l’Homme, particulièrement en ce qui concerne le type de denrées alimentaires stockées. Cette démarche, associée à l’analyse carpologique et à l’étude des coprolithes, présente également l’intérêt de fournir des indications sur la qualité de conservation et le degré d’infestation des denrées alimentaires. À ce sujet, il serait nécessaire de vérifier que les concentrations élevées, dans certains sédiments, de Coléoptères synanthropes destructeurs de denrées alimentaires résultent bien de leur accumulation dans le fond de latrines ou de puisards après ingestion et excrétion, et éventuellement transport par l’intermédiaire d’égouts. Cette hypothèse devrait être confirmée par l’analyse directe de coprolithes. Enfin, un autre apport de l’analyse archéoentomologique à l’archéologie est représenté par les indications qui peuvent aider à l’interprétation et au rôle attribué par l’archéologue à certaines structures dont la fonction n’a pas été clairement établie par les données issues des fouilles. La variété et l’originalité des informations tirées de l’étude d’assemblages d’insectes fossiles montrent ainsi clairement que l’archéoentomologie doit être classée parmi les disciplines archéologiques de premier plan.
Annexe 2 Le potiron (Cucurbita maxima)
162é. yebdri
163La découverte sur le site de plusieurs graines de potiron (Cucurbita maxima) est tout à fait exceptionnelle11. C’est la seconde mention archéologique française pour ce fruit originaire du continent américain. Les semences de potiron ont été mises au jour dans des niveaux datés de la fin du xvie s., comblant le fossé appartenant au système défensif de la ville médiévale. Les graines, bien conservées par l’humidité des sédiments, ont donc été identifiées sans trop de difficultés.
Généralités
164Le potiron (Cucurbita maxima) fait partie de la famille des Cucurbitacées qui regroupe les diverses variétés de courges, de potirons, de courgettes, de concombres et certaines espèces de gourdes. Le genre Cucurbita maxima, cultivé en France à basse altitude, est une plante annuelle qui produit de gros fruits sphériques : ce sont les potirons et les citrouilles que l’on rencontre sur les marchés français de l’été jusqu’à la fin de l’hiver, car ils peuvent se conserver longtemps après la récolte. On en consomme la chair et les graines renferment une huile végétale qui servit de matière grasse aux populations précolombiennes et plus récemment aux Européens pendant la Première Guerre mondiale (Maurizio 1932). Les graines, qui possèdent également des propriétés médicinales, sont utilisées comme vermifuge. Dans certaines régions, feuillage et fruit sont des aliments précieux pour les animaux d’élevage. De nos jours, le potiron est cultivé dans le monde entier.
165L’origine de la consommation de la courge est très ancienne ; elle remonte à 10 000 ans avant notre ère en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Vers ‑5000 ans, on a la certitude de sa domestication au Mexique. Les premières civilisations mayas, aztèques et incas faisaient pousser la courge à côté du maïs et des haricots. En Asie, on a longtemps cru à un foyer originel d’une variété de courge (Cucurbita pepo) ; cette idée semble être abandonnée de nos jours. Toutefois certains spécimens ont effectivement pu être introduits sur le Vieux Continent à partir de l’Asie qui a accueilli la culture des courges, semble‑t‑il assez tôt après la découverte des Amériques par Christophe Colomb.
Origine de son introduction sur le Vieux Continent
166L’introduction du potiron en Europe est liée à la découverte et à la colonisation de l’Amérique par les conquistadors espagnols à partir de 1492. Ces explorateurs découvrirent de nombreuses cultures maraîchères et fruitières jusque‑là inconnues, à savoir le maïs, la pomme de terre, la tomate, le haricot, le poivron et les diverses espèces de courges, pour ne citer que les cultures dominantes dans les civilisations précolombiennes.
167Retracer les modalités de l’introduction, de l’adoption et de la diffusion à travers l’Europe et en particulier en France de ces différentes cultures est encore assez malaisé. L’histoire de l’introduction des plantes d’Amérique dans le royaume de France durant les premiers siècles de la découverte du Nouveau Monde n’a fait l’objet que de recherches dispersées à ce jour. Ces lacunes historiques sont d’autant plus préjudiciables pour le potiron, qui, à la différence du maïs et de la pomme de terre, n’a pas bouleversé les habitudes alimentaires des Européens dans les siècles qui ont suivi sa mise en culture, et qui est donc resté discret dans les différents documents iconographiques et littéraires de l’époque.
168Dans un article récent, Lisa Moffet (1992) a recensé les données historiques et archéologiques sur la courge connues à ce jour. La première apparition d’une espèce de Courge dans un herbier date de 1542, elle n’appartient pas à Cucurbita maxima mais à Cucurbita pepo, espèce très proche. Cucurbita maxima est figurée pour la première fois en 1591. Des peintures allemandes et flamandes des xvie et xviie s. mettent en scène des marchés où de nombreuses variétés de courges sont présentes. Dans son ouvrage consacré à la vie matérielle des paysans languedociens, E. Le Roy Ladurie (1966) mentionne des « coucourdes de Naples » dans des inventaires de notaires en 1560, et des grosses coucourdes « barbaresques » ou « yvernenques » dans le Comtat Venaissin dès 1591 et vers 1650 dans le Bas‑Languedoc. L’auteur assimile sa consommation à un luxe réservé aux propriétaires bourgeois, qui toutefois se vulgarisera avec le temps.
169Les mentions de courges dans des actes notariaux de 1560 et 1591 sont tout à fait synchrones de la découverte des graines de potiron datées du xvie s. dans le fossé de la place du Général‑de‑Gaulle.
Découvertes carpologiques
170Les mentions archéologiques de semences de courge sont extrêmement rares en Europe à l’heure actuelle, et très dispersées géographiquement, ce qui ne permet pas de synthèses au niveau régional. Des graines de courge datées des xvie et xviie s. ont été mises au jour dans une forteresse du nord de la Hongrie et à Bratislava, dans le sud de la Slovaquie, où un comblement d’égout daté de la seconde moitié du xve s.‑premier tiers du xvie s. a livré des graines de Cucurbita pepo ; la même espèce est mentionnée sur deux sites allemands datés des xviie et xviiie s., ainsi qu’à Amsterdam pour les mêmes périodes.
171En Grande‑Bretagne, des graines de courge ont été découvertes entre les xvie et xviiie s., parfois en contexte seigneurial, mais le plus souvent dans des latrines urbaines. L’auteur en déduit que la consommation de la courge n’était pas forcément un produit de luxe réservé à l’aristocratie, mais plutôt un aliment de la vie ordinaire (Ruas 1990).
172En France, les seules graines de courge découvertes en contexte archéologique à ce jour sont issues de la fouille des latrines royales de Saint‑Denis et datent du xviie s. Cette découverte accrédite plutôt l’hypothèse d’un aliment privilégié que se réservait l’aristocratie (Chaunu 1977).
Origine de sa présence à Marseille au xvie s.
173Il est donc extrêmement difficile d’expliquer l’introduction du potiron à Marseille au xvie s. Cette découverte nous mène à nous interroger bien entendu sur les relations que le port de Marseille a pu entretenir avec le Nouveau Monde, sachant que le commerce local pendant cette période était quasiment tout entier tourné vers la Méditerranée, particulièrement vers les ports du Levant sous la domination de l’Empire ottoman. Cette situation privilégiée du port est la conséquence des relations d’amitié qui liaient les califes ottomans et les rois de France pendant le xvie s. Les historiens ont donc naturellement mis en évidence ce commerce qui fut des plus fructueux pour la cité.
174Le commerce atlantique, en l’occurrence secondaire, n’est toutefois pas absent. Les produits américains parviennent tout de même à Marseille dans les cales des bateaux espagnols provenant de Catalogne, du sud de l’Espagne et des côtes de Biscaye, mais aussi des ports français de l’Atlantique (Dieppe, La Rochelle et Rouen), eux‑mêmes directement en contact avec les comptoirs français du Brésil. On décharge chaque année sur les quais les bois de teintures, les cuirs, ... On peut penser que par le biais de ce commerce, certaines plantes furent introduites et ensuite cultivées sur place dans les jardins.
175Les plantes américaines sont systématiquement absentes des registres des navires, ce qui laisse supposer qu’elles ne faisaient pas l’objet d’un commerce à proprement dit ; par exemple, quand on observe les registres d’entrée et de sortie des navires trafiquant entre Séville et l’Amérique aux xvie et xviie s., il n’est jamais fait mention des cultures vivrières. Néanmoins, on sait avec certitude qu’il n’y a pas eu de relation commerciale directe entre Marseille et l’Amérique durant le xvie s. ; la seule tentative connue de traversée de l’Atlantique par une nef affrétée à Marseille fut un fiasco retentissant, ce qui gela pour une longue période les ardeurs des négociants et des navigateurs marseillais à commercer directement avec le Brésil (Collier, Billioud 1951).
176La route terrestre n’est peut‑être pas à exclure ; on sait par exemple que le maïs traverse les Pyrénées au milieu du xvie s. et se diffusera lentement à travers le territoire pendant deux ou trois siècles avant de marquer durablement de son empreinte le paysage rural de la France et bouleverser les habitudes alimentaires. Suivre le cheminement du maïs peut aider à retracer celui des différentes espèces de courges, dans la mesure où ces deux cultures étaient souvent associées dans les champs américains (avec les haricots), mode cultural que l’on retrouve dans les Balkans à la fin du xviiie et au xixe s.
Conclusion
177La découverte de graines de potiron conservées dans de bonne condition est très intéressante, car elle permet de préciser un peu les modalités d’adoption de ce fruit, aujourd’hui aliment courant de notre cuisine. Peu de documents écrits ou iconographiques nous informent sur sa diffusion à travers l’Europe et plus précisément en France. Une recherche approfondie dans les archives, notamment celles de Marseille (registres portuaires, mercuriales, inventaires des abbayes) permettra peut‑être d’apporter de nouvelles informations. Les fouilles archéologiques devraient aussi ajouter des éléments nouveaux, à condition toutefois que les archéologues soient sensibles à la fouille de structures d’Époque moderne, propices à la découverte des graines et fruits américains (puits, latrines...).
178Cette découverte montre la difficulté à retracer plus globalement la mise en place des cultures américaines sur le territoire français. Ces cultures, hormis le maïs, semblent ne pas avoir modifié les structures agraires à l’Époque moderne, où l’agriculture repose toujours traditionnellement sur la céréaliculture. Les traces archéologiques des plantes d’Amérique sont donc très lacunaires.
Notes de fin
1 – Extraction, tri et détermination des insectes effectués par Ph. Ponel au laboratoire de botanique historique et de palynologie de la faculté de Saint‑Jérôme.
2 – Les recherches géomorphologiques ont reçu le support du CNRS et des universités d’Aix‑Marseille pour l’ensemble des études. Ce texte est une contribution au programme de recherches PICG 367 (Late Quaternary Coastal records of rapid change).
3 – Les dates ont été calibrées le 7 septembre 2000 par C. Morhange et C. Oberlin.
4 – L’Antiquité et le Moyen Âge récent n’ont pas livré assez de restes pour qu’une étude soit correctement menée, en outre le matériel ne se répartit pas de façon équilibrée entre les différentes zones fouillées. Au xive s., dans l’îlot central, la zone 1 a livré le plus grand nombre de restes et la zone 3 de l’îlot nord le nombre le plus restreint. Pour l’Époque moderne, c’est en revanche la zone 2 de l’îlot nord qui a fourni le plus grand nombre de fragments osseux.
5 – Avignon, l’Oratoire (responsable d’opération : Roger Boiron). Rapport inédit. Aix‑en‑Provence, les Magnans (responsable d’opération : Corinne Landuré) et Mignet (responsable d’opération : René Chemin). Rapport inédit. Ces deux lots ont été étudiés et réunis dans Leguilloux 1994.
6 – Voir à Marseille, l’habitat situé dans le quartier de la cathédrale, au xive s. (Leguilloux 1994) ; à Aix‑en‑Provence, les sites urbains des Magnans et de Mignet (Leguilloux 1992 : 171‑190).
7 – Au Moyen Âge et à l’Époque moderne, le cheval n’est pas un animal de boucherie (Farb, Armelagos 1980).
8 – Grant (1987) constate un changement dans le mode de découpe à partir du xvie s., période où les échanges commerciaux s’intensifient entre les régions étudiées. Ce type de découpe est donc relié par l’auteur à des modifications culturelles et économiques.
9 – Pour la région Rhône‑Alpes, on manque de données. V. Forest (1987) signale deux individus présentant des tailles élevées (68 cm au garrot).
10 – Je tiens à exprimer ma reconnaissance à l’équipe d’archéologues qui m’a apporté son aide pour le prélèvement des échantillons, en particulier É. Yebdri, ainsi qu’à M. Bouiron qui m’a fourni toutes les informations archéologiques indispensables à l’interprétation des assemblages d’insectes. Enfin, le texte initial a fait l’objet d’une lecture critique par V. Andrieu, M. Reille et J.‑H. Yvinec.
11 – Détermination Ph. Marinval, CNRS (Laboratoire des Sociétés rurales, Toulouse).
Auteurs
Chargé de recherche, CNRS, UMR 6535, centre d’océanologie de Marseille, université de la Méditerranée
Centre archéologique du Var
Chargé de recherche, CNRS, UMR 5805, laboratoire de géologie‑micropaléontologie, université de Bordeaux
Assistante d’études, Afan
Archéozoologue,
Centre archéologique du Var
Maître de conférences, CEREGE, UFR de géographie, université de Provence
Chargé de recherche, CNRS, URA 1152, laboratoire de botanique historique et palynologie
Technicien supérieur, Afan
Technicien supérieur, Afan
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2002
Campements mésolithiques en Bresse jurassienne
Choisey et Ruffey-sur-Seille
Frédéric Séara, Sylvain Rotillon et Christophe Cupillard (dir.)
2002
Productions agricoles, stockage et finage en Montagne Noire médiévale
Le grenier castral de Durfort (Tarn)
Marie-Pierre Ruas
2002