Chapitre 1. Le cadre de la recherche
p. 13‑20
Résumés
L’épave de Port Berteau II, reposant par 7 m de fond dans la Charente, a été découverte en 1973. Elle a été localisée à 50 m en aval du site portuaire médiéval et moderne de Port Berteau, lequel se trouve le long de la rive droite de la Charente, en aval de Saintes (Charente‑Maritime). Sa fouille (1992‑1997) constituait la dernière étape d’un programme de recherche débuté en 1971 et consacré à la batellerie médiévale. Les principales étapes de ce programme portant sur les bateaux mais aussi les aménagements du lit mineur et des berges de la Charente furent la fouille du site portuaire (1971‑1973), la prospection‑inventaire d’un secteur du fleuve long de 40 km, compris entre Port‑d’Envaux, en aval de Saintes, et Dompierre‑sur‑Charente, en amont (1984‑1986), la fouille de l’épave (xie s.) et du site fluvial d’Orlac (1987‑1988) et enfin celle de l’épave et du site fluvial de Port Berteau II. Situés dans une section de la Charente soumise aux effets de la marée, l’épave et le site de Port Berteau II s’inscrivaient dans un contexte fluvio‑maritime différent et complémentaire de celui, strictement fluvial, qui avait été étudié lors de la fouille de l’épave et du site d’Orlac.
Sur la base des choix faits lors de l’étude de ce site, la fouille subaquatique de l’épave de Port Berteau II a été envisagée comme celle d’une « structure ouverte » en relation directe avec son environnement fluvial. Dès lors, les vestiges architecturaux de la coque devaient être appréhendés selon les méthodes traditionnelles de l’archéologie navale pour déterminer les différentes caractéristiques techniques du bâtiment, mais également celles, nouvelles, de l’archéologie nautique pour restituer les traits principaux du paysage fluvial médiéval. La stratégie de fouille a été élaborée en fonction de cette double approche en associant, dès la première campagne et d’une façon synchronique, l’étude des vestiges de la coque à celle du site, qui repose sur des observations d’ordre topographique, géo‑archéologique, sédimentologique et palynologique.
The Port Berteau II wreck, discovered in 1973, lies at a depth of 7 métrés on the bottom of the Charente river. It is located 50 meters downstream from the medieval and modern harbour of Port Berteau, which is on the right bank of the Charente below Saintes (Charente‑Maritime). Excavation of the site (1992‑1997) marked the final stage of a research project begun in 1971 and dedicated to médiéval river transport. The project was concerned not only with boats, but also with changes made to the banks and the Charente’s low‑water channel. The principal stages were: excavation of the harbour site (1971‑1972); prospecting and recording a long a 40 kilométré stretch of the river between Port‑d’Envaux below Saintes and Dompierre‑sur‑Charente above (1984‑1986); excavation of the 11th c. wreck and the river site at Orlac (1987‑1988); and lastly, excavation of the wreck and river site at Port Berteau II. Located on a part of the Charente which is tidal, the wreck and site at Port Berteau II are part of a sea‑river environment which is both different from and complementary to that studied at Orlac, where the context is strictly that of the river.
On the basis of choices made during the study of the Orlac site, the underwater excavation of the Port Berteau II wreck was designed as that of an "open structure" directly related to its river environment. The remains of the hull were to be examined using both traditional methods of ship archaeology in order to determine the vessel’s technical characteristics and newer methods of nautical archaeology so as to reconstruct the main characteristics of the medieval river environment. From the outset, an excavation strategy based upon this dual approach brought together a study of the hull’s remains and, simultaneously, an examination of the site using topography, geoarchaeology, sedimentology and palynology.
Das Wrack des Hafens Berteau II, das in der Charente in 7 m Tiefe lag, ist 1973 entdeckt worden. Es ist 50 m stromabwärts des mittelalterlichen und modernen Hafens von Port Berteau ausgemacht worden, der am rechten Ufer der Charente stromabwärts von Saintes liegt (Charente‑Maritime). Seine Ausgrabung (1992‑1997) stellte die letzte Etappe eines 1971 begonnenen Forschungsprogramms dar, das die mittelalterliche Binnenschifffahrt zum Thema hatte. Gegenstand der wichtigsten Forschungsetappen waren zwar hauptsächlich die Schiffe, jedoch ebenfalls die Gestaltung des Niedrigwasserflussbettes und die Ufer der Charente sowie die Ausgrabung der Hafenanlage (1971‑1973), die 40 km lange Inventar‑Prospektion eines Flusssektors, zwischen Port‑d’Envaux, stromabwärts von Saintes und Dompierre‑sur‑Charente stromaufwärts (1984‑1986), die Ausgrabung des Wracks aus dem 11. Jh. und der Flussgrabungsstätte von Orlac (1987‑ 1988) und schlieβlich die des Wracks und der Flussgrabungsstätte von Port Berteau II. In einem den Gezeiten ausgesetzten Abschnitt der Charente liegend, gehörten das Wrack und die Flussgrabungsstätte Port Berteau II in einen fluvio‑maritimen Kontext, der sich von dem ausschlieβlich fluvialen Kontext der Grabung des Wracks und der Stätte von Orlac wesentlich unterschied und komplementär zu ihm war.
Auf der Basis der Kriterien, die bei der Studie dieser Stätte definiert worden waren, ist die Unterwassergrabung des Wracks von Port Berteau II als die einer „offenen Struktur "in direktem Zusammenhang mit seiner fluvialen Umgebung geplant worden. Die baulichen Reste des Rumpfes mussten also einerseits mit den traditionellen Methoden der Marinearchäologie angegangen werden, um die verschiedenen technischen Eigenschaften des Schiffes zu untersuchen, doch auch die neuen Techniken der Unterwasserarchâologie mussten angewandt werden, um die Hauptmerkmale der mittelalterlichen Flusslandschaft zu rekonstruieren. Die Grabungsstrategie ist dieser doppelten Problematik entsprechend definiert worden, indem seit der ersten Grabungskampagne die Erforschung der Rumpfüberreste synchron mit der der archäologischen Stätte durchgeführt wurde, die sich auf Beobachtungen topographischer, geoarchäologischer, sedimentologischer und palynologischer Natur stützen.
Texte intégral
1.1 Les conditions de la découverte de l’épave et sa localisation
1L’épave de Port Berteau II a été découverte en 1973, au cours d’une prospection, dans les derniers jours de l’ultime campagne de la fouille subaquatique du port médiéval et moderne de Port Berteau, lequel se situe sur la rive droite de la Charente, commune de Bussac, en Charente‑Maritime (fig. 1) (Chapelot 1975). Les extrémités supérieures de membrures*, régulièrement disposées, apparaissant sur le fond de la Charente avaient conduit à reconnaître la présence d’une épave.

FIG. 1 – Localisation du site de Port Berteau.
2Lieu privilégié d’embarquement des productions de céramiques régionales, le site portuaire de Port Berteau se caractérise par un aménagement sommaire de la berge et la présence, sur le fond du fleuve, d’un important gisement de céramiques datées du bas Moyen Âge et de l’époque moderne, de quelques vestiges d’appontements –pieux et planches– et d’une grande pirogue monoxyle de 12,80 m de long, Port Berteau I, datée, par mesures d’âge au 14C, des années 665‑1015 après J.‑C.1 (Rieth 1979 ; 1983). À cet égard, il importe de souligner que cette embarcation, échouée le long de l’ancienne limite inférieure de la rive droite, est antérieure au xiiie‑xive s., période marquant les débuts du fonctionnement du site portuaire en tant que lieu spécialisé dans le chargement des céramiques.
3L’épave de Port Berteau II a été découverte à 50 m en aval de l’escalier aménagé dans le rocher qui lui‑même marque la limite aval des aménagements de la rive droite du port. Elle repose par 7 m de fond (profondeur moyenne), légèrement décentrée vers la rive droite du lit* mineur de la Charente dont la largeur, à ce niveau, est de près de 45 m. Elle est orientée nord‑ouest (extrémité aval) sud‑est (extrémité amont), selon un axe pratiquement identique à celui de la Charente et parallèle aux rives droite et gauche d’aujourd’hui (fig. 2).

FIG. 2 – Localisation cadastrale de l’épave de Port Berteau II (Saintes, 1985, ZC).
4L’épave se trouve entre les points kilométriques PK31 en amont et PK32 en aval (fig. 3), en face de la parcelle cadastrale 21 –laquelle se trouve sur la rive gauche de la Charente, commune de Saintes (Saintes, section ZC, 1985)–, à environ 4,5 km de la ville par voie fluviale. En Charente‑Maritime, l’origine des points kilométriques (PK0) se situe en amont de Port du Lys ; le dernier point kilométrique (PK96) avant l’embouchure du fleuve est quant à lui au lieu‑dit Port Menue, en aval de Soubise, à près de 64 km par voie fluviale du site de Port Berteau (fig. 4).

FIG. 3 – Localisation du site de Port Berteau sur une carte actuelle de navigation fluviale (extrait de Sandrin 1987 : 35).

FIG. 4 – Extrait de la carte de navigation de la Charente entre son embouchure et Jarnac (d’après Sandrin 1987 : 6‑7).
1.2 Le choix du site
5La fouille de l’épave, dernière étape d’un programme de recherche de longue durée, s’inscrit dans un cadre scientifique déterminé : celui de l’archéologie nautique.
6« En faisant le choix du qualificatif nautique, c’est, certes, la fonction de navigation, dans son sens le plus large, qui se trouve privilégiée. La mer, l’océan, le fleuve, la rivière sont d’abord, mais pas seulement, envisagés comme des milieux de communications auxquels sont associés les moyens de transport par eau (du plus sommaire au plus évolué architecturalement), les structures portuaires, les aménagements du littoral, ceux des berges et du lit fluvial... en rapport direct avec la fonction de navigation. Mais, dans le domaine de la navigation intérieure tout particulièrement, se rattachent indirectement à cette fonction de navigation d’autres types d’aménagements, tels les pêcheries ou les moulins, qui agissent, positivement ou négativement selon les cas, sur la circulation des bateaux et qui, d’une manière plus générale, tendent à modifier le paysage nautique. Dans le cadre de cette archéologie, toute la réflexion s’organise autour des relations entre les différentes composantes des espaces nautiques... » (Rieth 1998 : 5). En d’autres termes, il ne s’agit plus de limiter l’objet de l’étude aux seules structures –épaves, vestiges de pêcherie, de chaussée, d’appontement.…– considérées comme des ensembles clos, mais au contraire de s’engager vers une archéologie qui privilégie les relations entre les structures et les espaces de navigation2.
7C’est en référence à cette définition qu’un programme de recherche a été élaboré autour du thème de la batellerie médiévale de la Charente. La première étape en a été engagée entre 1984 et 1986, sous la direction générale de J. Chapelot, dans le cadre de l’action thématique programmée (ATP) du CNRS « Archéologie métropolitaine » ; une campagne de prospection‑inventaire, dirigée par E. Rieth, a alors été conduite le long de la Charente entre Dompierre‑sur‑Charente, en amont, et Port‑d’Envaux, en aval (Grandjean et al. 1989). La seconde étape du programme a conduit à la fouille des sites subaquatiques considérés comme les plus importants, notamment celui d’Orlac, dont l’étude a été réalisée en 1987 et 1988 (Chapelot, Rieth 1995 ; Rieth 1991 ; 1994) : y ont été étudiées huit pirogues monoxyles (Grandjean, Rieth 1990 ; 1992) dont sept sont datées d’une période comprise entre la fin du vie et la fin du xiiie s. –la huitième n’est pas datée mais est probablement d’époque historique– et un chaland monoxyle‑assemblé –l’épave d’Orlac– pour la construction duquel des chênes ont été abattus entre les années 1021 et 1042.
8Toutes ces embarcations, différentes dans leurs dimensions, leur architecture (monoxyle et monoxyle‑assemblée) et leur fonction, possèdent cependant un point commun : elles se rattachent toutes à des traditions architecturales et à un espace nautique exclusivement fluviaux. Or la Charente, comme tous les autres fleuves de la façade atlantique, comporte une section d’aval fluvio‑maritime parcourue par le courant alternatif de la marée. De nos jours encore, et en dépit de la présence du barrage de Saint‑Savinien –un ouvrage de régulation situé en aval de Port Berteau–, le flot*, lors des marées de vive eau, inverse le courant du fleuve vers l’amont. Cette portion de la Charente, entre Saintes3 et l’estuaire, qui représente le point de transition entre les espaces nautiques du littoral et du fleuve, a été le lieu d’une navigation mixte qui, techniquement et économiquement, fut différente de celle d’amont, uniquement fluviale. Les bateaux et les embarcations associés à ce milieu nautique d’aval présentaient des caractéristiques architecturales qui les distinguaient des unités naviguant sur la seule section d’amont. Dès les premières observations, il était apparu que l’architecture de l’épave de Port Berteau II semblait relever d’un système de construction faisant appel à de nombreuses pièces de charpente débitées et assemblées, système très différent de ceux, monoxyle et monoxyle‑assemblé, étudiés jusqu’alors. Par ailleurs, le plan préliminaire des vestiges de la coque évoquait plus un bâtiment de mer qu’une embarcation fluviale. Enfin, les premiers résultats des mesures d’âge au 14C correspondaient parfaitement au cadre chronologique fixé à cette étude de la batellerie de la Charente. Dès lors, toutes les conditions se trouvaient réunies pour engager la fouille subaquatique d’un nouveau site, dernière étape du programme engagé en 1984.
1.3 Les choix de l’étude
9Problématiques et méthodes ayant été expérimentées sur le site d’Orlac, deux niveaux de réflexion ont été définis pour l’étude du site de Port Berteau II, l’un portant sur l’épave, l’autre sur son contexte fluvial.
10Selon les perspectives désormais classiques de l’archéologie navale4, il s’agissait de recueillir puis d’analyser les données archéologiques particulières à l’épave dans le but de restituer l’intégralité du système architectural du bateau en retrouvant ses formes, en reconnaissant son principe de construction, en identifiant ses procédés de construction, en reconstituant son dispositif de propulsion et de direction, en évaluant ses caractéristiques techniques et ses capacités nautiques. Mais il importait aussi de prendre en compte les données portant d’une part sur le milieu où le bateau avait navigué, s’était échoué ou avait fait naufrage et, d’autre part, sur le processus de formation et d’évolution de l’épave. En d’autres termes, la fouille devait essayer de cerner la morphologie du lit mineur, les limites et la forme des anciennes berges, la hauteur d’eau et les caractéristiques hydrologiques du fleuve dans le but d’esquisser l’image du paysage qu’offrait la Charente à l’époque où naviguait le bateau. Elle devait également tenter de recomposer l’histoire du passage de l’état de bateau à celui de l’épave identifiée aujourd’hui sous le nom d’épave de Port Berteau II.
11Si ces deux niveaux de recherche impliquaient, en toute logique, la mise en œuvre de méthodes en rapport avec des objectifs différents, des relations étroites et permanentes entre chaque niveau devaient être établies. L’enquête archéologique n’a donc pas été limitée aux seuls vestiges du bateau mais s’est élargie à une zone plus vaste, substituant ainsi à la notion de site d’épave stricto sensu, classique pour l’archéologie navale, celle de site fluvial, qui prend en compte son contexte environnemental.
12En un certain sens, la fouille de l’épave a été envisagée d’une manière similaire à la fouille terrestre d’un habitat, le bordé* et la membrure étant assimilés à des parois, les aménagements internes de la coque à des pièces d’habitation, le fleuve au paysage qui entoure l’habitat. Toutefois, un trait majeur différencie un bateau d’une maison : cette dernière a été bâtie sur le site même de son abandon alors qu’un bateau, structure mobile par définition, peut avoir été construit dans un chantier naval très éloigné du lieu où il s’est fixé en tant qu’épave.
13Dans ces conditions, le site fluvial de Port Berteau II a été défini archéologiquement de la manière suivante :
– une structure construite « isolée », c’est‑à‑dire le bateau ;
– un matériel archéologique lié à sa perte –échouage, naufrage, abandon– auquel s’ajoute un matériel roulé par le courant et sans lien direct avec lui ;
– des dépôts sédimentaires, à l’intérieur et à l’extérieur de l’épave, résultant de la dynamique du fleuve.
1.4 La méthode d’enregistrement
14Les choix de l’étude obligeaient la fouille et l’enregistrement à tenir compte de paramètres qui ne sont pas nécessairement conciliables. En effet, fouiller les vestiges d’une coque qui repose à l’envers et dont certaines parties s’élèvent encore sur plus de 1 m de hauteur –ce qui est un aspect positif du point de vue de l’analyse architecturale– n’est pas toujours aisé lorsqu’il importe aussi de conserver les coupes stratigraphiques qui sont en relation avec cette coque jusqu’à la fin des décapages. En outre, l’avancement de la fouille et la nécessité de prélever des échantillons de bois pour conduire à terre les observations détaillées de certains éléments de la charpente ne facilitaient pas la conservation des données indispensables à l’étude géo‑archéologique du site. À ces difficultés venaient s’ajouter celles propres à toute fouille subaquatique qui, en milieu fluvial, rencontre un obstacle supplémentaire dans la visibilité très réduite provoquée par la turbidité de l’eau.
15Le choix a donc été fait de fouiller par carrés, en faisant appel à la reconnaissance d’unités stratigraphiques et à l’enregistrement du mobilier par couches. Le système Archeo‑DATA, élaboré par Daniel Arroyo‑Bischop (université de Paris VIII) répondait parfaitement à notre approche. Au demeurant, son adoption ne correspondait pas seulement à un choix méthodologique mais également à un choix scientifique en relation avec le concept de la fouille d’un site fluvial. Conçu pour des sites terrestres, il a été modifié pour s’adapter aux trois ensembles de données que nous avions définis pour Port Berteau II L’enregistrement, faisant appel à du matériel informatique simple –le logiciel File Maker Pro pour Macintosh et PC–, a pris en compte l’épave, le fond, les berges gauche et droite du fleuve ainsi qu’une partie des terrains situés en rive gauche où avaient été implantés les points topographiques. Base de l’enregistrement, le numéro donné à chaque unité stratigraphique dépend de sa position sur le site. Archeo‑DATA prévoyant que tout site soit subdivisé en aires, il a été convenu que le site fluvial de Port Berteau II serait constitué d’une seule aire, d’une surface de 1 ha (fig. 5). Cette aire est divisée en 100 carrés ou ares de 10 m de côté référencés en abscisse par des unités (de 0 à 9) et en ordonnée par des dizaines (de 0 à 90). L’origine de la numérotation se trouve en rive droite. Grâce à ce découpage, la localisation et le relevé in situ des objets en place sont facilités par l’identification du carré à l’intérieur duquel sont situés les objets. Ce système est un moyen efficace de remédier à la très faible visibilité et à l’imprécision qu’elle engendre.

FIG. 5 – Position des gabarits dans la zone d’emprise de l’aire de Port Berteau II. L’épave et son environnement immédiat se trouvent dans les ares 53 et 63.
16L’épave et son environnement immédiat sont localisés dans les ares 53 et 63, formant la zone 1, elle‑même délimitée par des gabarits en métal représentant un rectangle de 15 x 6 m (fig. 6). Cette zone est elle‑même divisée en carrés de 1 m de côté matérialisés par des élastiques déplaçables à la demande.

FIG. 6 – Identification des carrés par un numéro à quatre chiffres à l’intérieur des ares 53 et 63.
7.5 La fouille
17En 1973, à la suite de la découverte de l’épave, un relevé sommaire des vestiges apparents de la coque –les têtes des membrures, quelques éléments supérieurs du bordé et les pièces d’extrémité amont et aval– avait permis d’évaluer ses grandes dimensions et sa forme générale. En 1984, lors du programme entrepris dans le cadre de l’ATP du CNRS « Archéologie métropolitaine », une plongée avait été effectuée sur le site dans le but de prélever un échantillon de la coque pour une mesure d’âge au 14C. En 1986, dans le cadre de ce même programme, un second prélèvement a été réalisé et un sondage –triangle équilatéral de 1 m de côté– fut opéré à l’extérieur de la coque, au niveau de son extrémité aval. Ce sondage permit de confirmer l’hypothèse émise en 1973 selon laquelle l’épave reposait à l’envers sur le fond de la Charente. En dépit de sa surface limitée, il montra également que la pièce d’extrémité aval était bien préservée et se prolongeait dans le sédiment. Deux virures* du bordé apparurent aussi en bon état de conservation. C’est sur la base de ces données que la première campagne de fouille fut entreprise en 1992.
1.5.1 Les campagnes de fouille
1992, une campagne préliminaire
18La fouille 1992 s’est déroulée du 14 septembre au 2 octobre. Destinée à tester les différentes méthodes à mettre en œuvre, à vérifier un certain nombre de données et à amorcer l’étude de l’épave, ses principaux objectifs étaient d’effectuer un relevé d’ensemble du contour de la coque, d’évaluer l’importance et l’état de conservation des vestiges préservés dans le sédiment, d’engager l’analyse des contextes topographiques –relevés de coupes du lit de la Charente au sondeur–, géo‑archéologiques –sondages– et archéologiques –ramassage systématique du mobilier de surface–, et de commencer le prélèvement des échantillons en vue des analyses dendrochronologiques.
L’opération programmée pluriannuelle 1993‑1995
19C’est dans le cadre d’une opération programmée pluriannuelle (1993‑1995) que la fouille s’est poursuivie. Pour des raisons liées d’une part à la nécessité absolue de maintenir la cohérence des éléments assemblés de la coque, affaiblie par l’avancement de la fouille et le prélèvement de certaines pièces de charpente à des fins d’étude, et d’autre part au besoin de conserver des coupes stratigraphiques tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des vestiges, la fouille, une fois les décapages de la couche de surface achevée, a été opérée d’une façon progressive par ensemble de carrés.
1993
20La campagne de fouille a duré du 13 septembre au 8 octobre. À l’intérieur de l’épave, un décapage de la couche de surface a été entrepris dans la partie aval. À l’extérieur, la fouille a été menée dans la partie aval, dans la perspective d’étudier la face externe des bordés rives droite et gauche, et celle de la pièce d’extrémité aval (fig. 7a).
1994
21La campagne de fouille s’est déroulée du 12 septembre au 7 octobre. À l’intérieur de l’épave, un décapage de l’ensemble de la couche de surface a été réalisé. Dans la partie aval, la fouille a été poursuivie après le démontage des vestiges du pont (fig. 7b).
1995
22La campagne de fouille a commencé le 11 septembre pour s’achever le 6 octobre. Le travail a porté exclusivement sur l’extérieur de l’épave dans le but d’étudier la face externe du bordé rive gauche et celle de la pièce d’extrémité amont (fig. 7c). L’ouverture des carrés 6352 et 6353 a nécessité d’étendre la fouille à l’extérieur des gabarits.

FIG. 7 – La progression de la fouille : a les carrés fouillés en 1993 ; b les carrés fouillés en 1994 ; c les carrés fouillés en 1995 ; d les carrés fouillés en 1996 ; e les carrés fouillés en 1997.
L’opération programmée pluriannuelle 1996‑1997
23Au terme du premier programme pluriannuel, un second a été entrepris.
1996
24La campagne de fouille a duré du 9 septembre au 4 octobre. La fouille a porté sur la partie amont de l’épave (fig. 7d).
1997
25La dernière campagne de fouille s’est déroulée du 22 septembre au 16 octobre. L’étude a porté principalement sur la zone centrale de l’épave (fig. 7e).
26Au total, les six campagnes du programme ont conduit à fouiller une surface de l’ordre de 60 m2. Si, dans la partie aval de l’épave, la fouille a été effectuée sur une profondeur relativement réduite –80 cm environ–, du fait de la faible hauteur de conservation des vestiges architecturaux, il n’en a pas été de même dans la partie amont. En effet, la remarquable hauteur de conservation de cette partie de la coque a nécessité une fouille sur une profondeur de l’ordre de 2 m pour permettre l’étude de la face externe du bordé et de l’étambot*.
27Résumée en quelques chiffres, la fouille subaquatique a demandé, de 1992 à 1997, 1 023 plongées, soit une moyenne de 170 par campagne5, et 1 520 h de travail sous l’eau, soit une moyenne de 253 h par campagne6, chaque plongée durant en moyenne 90 mn7. En outre, les plongées ont nécessité 260 h de gonflage pour une consommation d’air de 1 820 m3.
1.5.2 Les relevés
28En raison des difficultés liées à la très faible visibilité –moins de 10 cm certaines années–, les relevés ont impliqué la mise en place, sur le fond de la Charente, d’un dispositif particulier constitué d’un ensemble de gabarits en aluminium de 10 cm de haut sur 2 cm de large, fixés à des piquets profondément enfoncés dans le sédiment. Les mêmes piquets de référence ont été utilisés d’une année sur l’autre afin d’assurer la cohérence des relevés.
29Ces gabarits forment un cadre rectangulaire de 15 x 6 m –décomposé en trois unités rectangulaires de 6 x 5 m (ABDC, CDFE, EFHG)– à l’intérieur duquel l’épave se trouve presque totalement inscrite. Les gabarits, étalonnés et disposés horizontalement à l’aide d’un niveau, servent de plan de référence constant lors des relevés. Sur les deux axes longitudinaux du cadre (ACEG, BDFH) repose une barre transversale mobile étalonnée sur laquelle coulisse un cavalier métallique muni d’un double mètre dont la verticalité est contrôlée par un fil à plomb. Les cotes en x et y sont prises à partir des distances inscrites sur les gabarits longitudinaux et sur la barre transversale. Les cotes en z sont prises à partir des valeurs portées sur le double mètre. À la fin de chaque campagne de fouille, les gabarits longitudinaux sont démontés. Les piquets sont laissés en place et un témoin matérialisant en altimétrie la position des gabarits est fixé sur un piquet.
30Aux relevés effectués à partir de ce cadre de référence, pour la réalisation de la planimétrie notamment, s’ajoutent ceux réalisés à l’échelle 1 à l’aide de calques pour le relevé en développé du bordé, document essentiel pour l’étude et la restitution des formes de la coque. Par ailleurs, depuis 1994, la collaboration à la fouille de l’architecte J.‑P. Gautier a permis un traitement informatique de tous les relevés architecturaux. Les données brutes, après avoir été saisies, sont reprises au moyen de logiciels de traitement d’image et de dessin –Photoshop, Minicad et 3D Turbo Plus. De la sorte, une banque de données graphiques, permettant de nombreuses analyses, a été constituée. En outre, aucune interprétation des données brutes n’est introduite lors de la saisie et de la mise au net des relevés.
7.5.3 La protection de l’épave
31Depuis la première année de fouille, en 1992, la totalité de la zone dégagée au cours du chantier est recouverte par des sacs en plastique remplis de sable au terme de chaque campagne. Au total, ce sont près de 30 m3 de sable disposés dans plusieurs milliers de sacs qui recouvrent à présent l’ensemble de l’épave. Ce mode de protection in situ s’est avéré le plus efficace en dépit, il faut le reconnaître, de son aspect peu écologique. S’il avait été déposé en vrac sur le fond de la Charente, le sable se serait trouvé très rapidement dispersé par le courant. En revanche, les sacs de sable ne bougent pas d’une année sur l’autre. En outre, ils forment des obstacles qui retiennent les branchages transportés par le courant. Au bout d’un certain temps se constitue une sédimentation naturelle au‑dessus de l’épave qui apparaît, au regard de notre expérience, comme le seul moyen durable de protéger les vestiges contre une dégradation mécanique liée à l’érosion et à la fragilisation des pièces de charpente, et aussi contre les actions éventuelles de plongeurs mal intentionnés.
1.5.4 Les moyens
32Le matériel de plongée et de fouille était composé d’un compresseur, de motopompes, de suceuses à eau, d’un groupe électrogène, de blocs de plongée, d’un équipement photographique... La position de l’épave, sensiblement au centre de la Charente, a nécessité la mise en place d’un support de surface au‑dessus du site pour des raisons de sécurité des plongées et de déploiement du matériel de fouille (fig. 8). Ce support idéal était un bac de 19 m de long sur 3,50 m de large mis à notre disposition par les services de la DDE.

FIG. 8 – Vue générale du site depuis l’amont. Les bouées délimitent la zone de travail.
Notes de bas de page
1 GIF‑7158 : 1150 ±70 BP.
2 Sur ces aspects cf. aussi : Mc Grail 1984 ; 1989 ; 1995.
3 Saintes représente une limite moyenne car, lors de marées de coefficient élevé, les effets du courant de flot se faisaient sentir en amont de la ville.
4 La plus récente et remarquable synthèse d’archéologie navale est celle de J.R. Steffy (Steffy 1994). Une partie importante de l’ouvrage est consacrée aux méthodes et aux problématiques de l’archéologie navale.
5 Avec un minimum de 126 plongées et un maximum de 255 plongées.
6 Avec un minimum de 185 h et un maximum de 349 h.
7 Avec un minimum de 82 mn et un maximum de 101 mn.
Auteur
Directeur de recherche au CNRS (laboratoire de Médiévistique occidentale de Paris, UMR 8589), responsable du département d’archéologie navale au musée national de la Marine
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Les gisements précolombiens de la Baie Orientale
Campements du Mésoindien et du Néoindien sur l’île de Saint-Martin (Petites Antilles)
Dominique Bonnissent (dir.)
2013
L’Îlot du palais de justice d’Épinal (Vosges)
Formation et développement d’un espace urbain au Moyen Âge et à l’époque moderne
Yves Henigfeld et Philippe Kuchler (dir.)
2014
Bettencourt-Saint-Ouen (Somme)
Cinq occupations paléolithiques au début de la dernière glaciation
Jean-Luc Locht (dir.)
2002
Campements mésolithiques en Bresse jurassienne
Choisey et Ruffey-sur-Seille
Frédéric Séara, Sylvain Rotillon et Christophe Cupillard (dir.)
2002
Productions agricoles, stockage et finage en Montagne Noire médiévale
Le grenier castral de Durfort (Tarn)
Marie-Pierre Ruas
2002