Chapitre 3. Aspects de la vie quotidienne
p. 57 123
Texte intégral
1« Les rares objets qui sont parvenus jusqu’à nous apparaissent comme les miraculés d’incessantes catastrophes ou comme l’ultime présent de quelques morts désireux, de l’au‑delà, de nous aider d’une manière parcellaire à pénétrer un peu mieux l’histoire des temps révolus. » (Rheims 1990 : 1076.)
3.1 Introduction
2ci. m.
3« L’homme se nourrit, se loge, s’habille parce qu’il ne peut faire autrement, mais ceci dit, il pourrait se nourrir, se loger, se vêtir autrement qu’il ne le fait. » (Braudel 1979 : 375.) Cette phrase illustre d’emblée l’orientation de notre étude : tenter d’interpréter des comportements par l’intermédiaire des vestiges rejetés ou abandonnés. Nous allons essayer de cerner, à travers les objets de toute nature et les reliefs d’alimentation découverts à Saint‑Martin, l’habitus (au sens sociologique du terme) de certains habitants de ce quartier de la fin du Moyen Âge à la période moderne.
4Tous les sites archéologiques livrent du mobilier sous la forme de fragments d’objets divers en matériaux variés. L’étude et la critique de ces documents mobiliers complètent celles des structures pour offrir des faits à l’historien.
5La bonne conservation de ces matériaux dans le sol reste aléatoire et définit un échantillonnage, en grande partie limité aux objets résistants à l’altération. La céramique, le métal et les ossements sont les matières généralement les mieux préservées, mais, à Montbéliard/Velotte, l’existence, si précieuse pour les archéologues, de dépotoirs à comblement humide et anaérobie a permis de compléter avantageusement cette liste. Deux de ces dépotoirs (structure US 982 au comblement US 1116 daté du xive s. et structure US 28 au comblement US 544 daté de la fin du xvie s.) sont (sans doute pour la première, plus vraisemblablement pour la seconde) d’anciennes fosses de latrines transformées en poubelles ; non seulement certains objets en verre ou en bois nous sont parvenus, mais également les restes alimentaires végétaux (noyaux ou épicarpes), et les déjections humaines, sièges des œufs de parasites intestinaux.
6Tout objet peut être immédiatement décrit ; c’est la partie apparente de l’iceberg. La partie cachée, celle qui nécessite un exercice particulier de la part de l’archéologue, correspond à la lecture en profondeur de l’objet. Il s’agit de l’identifier, de définir sa fonction, sa technique de fabrication, ses traces d’usage, d’observer sa place dans la société par rapport aux autres objets, en somme de lui donner un nouveau sens. Il n’est plus seulement un instrument de la vie courante, il est devenu le témoin d’un savoir‑faire, le révélateur d’une manière de vivre passée. Ces objets jettent un éclairage plus ou moins précis sur des habitudes ou des modes anciennes. Cependant, l’aspect incomplet des données ne permet pas de reconstruire une histoire, mais uniquement de suggérer, par des hypothèses légitimées, des restitutions possibles, et le cas échéant, d’approcher ce que Georges Gurvitch nomme une micro‑histoire de la vie matérielle (Braudel 1979 : 640).
7Les analyses de la faune, des macrorestes, des restes ligneux ou des parasites ont été effectuées par des scientifiques spécialisés dans des domaines para‑archéologiques. Elles prouvent, si besoin en était, qu’il est indispensable de croiser les études pour approcher au plus près les réalités anciennes. Les résultats de ces études apportent des renseignements fondamentaux qui, combinés avec les vestiges mobiliers et immobiliers, révèlent un univers mal connu.
8Dans ce troisième chapitre, la division en quatre parties suit le découpage commandé par les grands « soucis fondamentaux » touchant l’homme : le logement, la nourriture, le travail et enfin le vêtement auquel nous juxtaposons des activités accomplies en société. Ces catégories sont sous‑divisées par thèmes selon les éléments ou les matériaux rencontrés, eux‑mêmes analysés de façon chronologique.
9La première partie (§ 3.2) est consacrée au logis. À travers des éléments architecturaux (vitrage, décoration de façade, bois de construction) et quelques objets liés à l’agencement intérieur (planches, chauffage, clouterie, serrurerie, éclairage), il nous est permis de compléter notre vision d’ensemble des maisons décrites précédemment.
10La deuxième partie (§ 3.3) traite de l’alimentation et de l’hygiène. La nourriture, la boisson et les soins du corps sont abordés par l’intermédiaire des ustensiles de cuisine (en céramique, verre, bois ou métal) et des restes alimentaires.
11La troisième partie (§ 3.4) est tournée vers le travail. Les activités définies à partir des outils et des rejets végétaux découverts semblent essentiellement inscrites dans un contexte agricole. Le caractère campagnard paraît encore très présent à l’intérieur des murs de la ville.
12Enfin, la dernière partie (§ 3.5) est divisée en trois. Elle regroupe les objets liés au vêtement : seuls les instruments de couture et les accessoires métalliques cousus sur les habits sont les témoins de ce thème. Elle met en valeur certaines activités sociales, telles que les échanges, la guerre ou la chasse, le jeu et la lecture. Enfin, elle traite également l’ensemble des objets indéterminés, classés par matériaux. Trop fragmentaires ou inconnus, ils ne demandent qu’à être interprétés pour entrer dans un domaine particulier.
3.2 Éléments architecturaux et meubles divers
3.2.1 Généralités
13ci. m.
14Au bas Moyen Âge et à la Renaissance, les matériaux traditionnellement employés pour la construction des maisons sont la pierre, la terre et le bois. À Montbéliard/Velotte, la pierre, matériau dominant dans certaines maisons (bâtiment A, maison F), peut être associée à la terre et au bois dans d’autres (maisons B, D, E). Les vestiges apparaissent donc essentiellement sous la forme de fondations ou d’élévations de murs ou de solins en pierre, de fragments de torchis brûlé, de traces de sablières, de niveaux argileux (sols ou couches de destruction). En complément, l’exploitation des objets mobiliers architecturaux est une source d’informations sur le choix des techniques employées. Ces objets sont réalisés en divers matériaux (céramique, verre, bois, métal), inégalement répartis en raison de leur degré de fragilité. La céramique reste à ce jour le matériau le plus couramment rencontré. Uniquement illustré par des tuiles plates en fer de lance et par des tuiles canal, le système de couverture pouvait également avoir été réalisé, sur les maisons les plus modestes, en « tavaillons » (ou « essaunes ») ou en chaume. Les quelques briques et carreaux de sol découverts sont en terre cuite, parfois recouverte de glaçure pour certains carreaux (ces deux types de mobilier, trop peu représentatifs, ne sont pas présentés ici).
15En ce qui concerne la fermeture des baies*, le seul matériau qui a résisté au temps est le verre. Deux types d’éléments de vitrerie ont pu être définis, matérialisés par des éléments agencés : les losanges et les petites cives*. Les losanges, taillés au grugeoir* par le vitrier dans des feuilles* de verre, sont les plus nombreux. Les cives sont directement élaborées par le verrier selon la technique dite « en plateau* ». Quelques sertis en plomb, rares témoins de la technique d’assemblage de ces éléments en verre, complètent le lot de verre plat. Antérieurement et parallèlement à l’utilisation du verre, les baies étaient closes à l’aide de toile, de papier huilé ou de treillage en bois. Le verre à vitres, qui apporte une meilleure protection contre le froid associée à une diffusion relativement bonne de la lumière selon la qualité du verre, permet aux architectes de concevoir peu à peu des fenêtres plus larges et plus hautes.
16Deux objets, beaucoup plus exceptionnels pour nous, sont rangés parmi les éléments architecturaux. Le premier est un petit guichet*, à cadre en bois et carreau vitré, destiné à coulisser dans un châssis* fixe. Abandonné dès la seconde moitié du xvie s. dans un comblement humide qui l’a préservé d’une destruction certaine, il devait avoir été installé sur une porte ou sur une paroi en bois dans le but d’éclairer et d’aérer une pièce ou de communiquer avec l’extérieur. Le second est une statuette décorative en terre cuite représentant un fou coiffé du bonnet d’âne et jouant de la flûte. Ce fou était sans doute associé à d’autres personnages, musiciens ou danseurs, individuellement rapportés en frise sur une façade de maison. Ce système ornemental était prisé, dans la seconde moitié du xve s., dans certaines régions allemandes, suisses ou italiennes.
17Ces objets proviennent essentiellement des niveaux les plus récents (xve xviie s.), les plus riches en mobilier archéologique. On peut supposer que des matériaux périssables (le bois en particulier) étaient couramment utilisés antérieurement.
18Les accessoires destinés à l’aménagement de la maison, c’est‑à‑dire, en ce qui nous concerne, les planches, les clous, les éléments de serrurerie et d’huisserie, d’éclairage/luminaire, de chauffage (pots et carreaux de poêle) et les objets directement liés à la cheminée (couvre‑feu) sont regroupés sous le terme « meubles divers ». Une toute petite partie du domaine de l’aménagement peut être abordée ici. Les vestiges sont en nombre réduit, essentiellement représentés par des éléments métalliques, hormis les planches et la céramique de poêle.
19Les planches appartiennent directement à l’agencement des murs, des sols et des plafonds, mais aussi éventuellement à des fragments de buffet ou de table. Les pots et les carreaux de poêle font partie d’appareils de chauffage individuel, qui, de fonctionnels, deviendront peu à peu un des éléments décoratifs de l’architecture intérieure quand les carreaux s’agrémenteront de glaçure colorée, puis de décors divers. Les clous sont adaptés à l’usage qu’on veut en faire, mais cet usage n’est pas toujours définissable. Leur étude regroupe donc tous les types, qu’ils soient destinés à l’assemblage des accessoires architecturaux (planches, tallevanes ou essaunes) ou d’objets décrits dans d’autres domaines (clous pour fer à cheval par exemple). II est en effet plus intéressant de les présenter réunis dans un même texte pour en remarquer la diversité plutôt que de les distribuer dans chacun des thèmes étudiés. Les clés et les serrures ornent les portes d’entrée ou de meubles (coffre par exemple) et, même si le trousseau de clés découvert dans le dépotoir daté du xvie s. devait être accroché à la ceinture du propriétaire des lieux, nous le rapprocherons des éléments d’agencement de la maison. Quant au porte‑chandelle, seul indice d’un éclairage indirect, il est un objet en soi plus qu’un accessoire d’ameublement. Pourtant, il participe à la recherche du confort domestique, sans doute assez élaboré dans la maison dont dépendait le dépotoir d’où il provient.
3.2.2 Les fenêtres*
3.2.2.1 Le verre à vitre : les vitreries* géométriques
20ci. m.
21Les nombreux fragments de verre plat découverts dans le dépotoir utilisé dans la seconde moitié du xvie s. servent de base à l’étude du verre à vitre. En effet, l’échantillonnage récupéré (plus de 1 000 tessons) et l’éventail diversifié des formes et des dimensions illustrent les différents types de vitreries utilisées au xvie s. Ils évoquent au moins deux techniques de fabrication : les feuilles de verre et les petites cives, techniques utilisées pour les vitreries à éléments géométriques, composées d’éléments sertis dans du plomb (cives, losanges, triangles).
Les losanges
22fig. 36
23Nombreux sont les tessons portant des marques de taille au grugeoir sur les bords et qui correspondent par conséquent à des éléments découpés, destinés pour certains à être assemblés à l’aide de plombs*. Quelques fragments qui ont pu être recollés forment des losanges. Au moins huit individus ont été dénombrés. Le comptage, effectué sur les pièces archéologiquement complètes, a été pondéré par le nombre de pointes et d’angles interprétés comme des fragments de losanges. L’un de ces losanges possède un côté concave (fig. 36, no 7), sans doute destiné à encadrer un motif circulaire ou ovale situé au centre du panneau vitré. Ces losanges appartiennent au minimum à trois vitreries différentes puisqu’au moins trois formats de losanges ont pu être définis : 150 x 90 mm (fig. 36, no 1), 140 x 95 mm (fig. 36, no 2), 100 x 60 mm (fig. 36, nos 3 et 4). Chaque baie est en effet composée de pièces de mêmes dimensions. Deux fragments présentant des angles droits (nos 5 et 6), non répertoriés dans cet ensemble, appartiennent à un autre type de panneau vitré ou sont utilisés en bordure* des vitreries à losanges. Tous ces fragments sont très altérés, mais les quelques tessons épargnés par l’altération montrent une teinte verdâtre, parfois sur du verre bullé. Malgré l’altération, on peut remarquer que ces éléments ont été découpés dans des plaques de verre fabriquées selon la technique du cylindre* ; aucun cercle concentrique laissé lors de la rotation de la paraison* des feuilles de verre réalisées par la technique dite « en plateau » n’est visible ici.

FIG. 36 – Verre à vitre. Losanges de verrières géométriques (US 544). Seconde moitié du XVIe s. Dim. En mm. 1 losange en verre vert altéré. H. act. 62, I. 60. Un côté taillé au grugeoir en arc de cercle, (inv. 4223). ; 2 losange en verre vert pâle altéré. H. act. 103, I. 95. Bords taillés au grugeoir. (inv. 4220) ; 3 losange en verre vert altéré. H. act. 130, I. act. 82, ép. 2. Bords taillés au grugeoir. (inv. 4219) ; 4 losange en verre vert altéré. H. act. 54, I. act. 48. Traces de découpe au diamant ou au fer sur une face et bords taillés au grugeoir sur l’autre face. (inv. 224) ; 5 losange en verre vert altéré. H. act. 63, I. act. 59. Trace de découpe au diamant ou au fer sur une face et bords taillés au grugeoir sur l’autre face. (inv. 4222) ; 6 losange ou fragment de bordure en verre altéré. H. act. 72, I. 80. Traces de découpe au diamant ou au fer sur une face et bords taillés au grugeoir sur l’autre face. (inv. 4221) ; 7 fragment de bordure en verre altéré. H. act. 42, I. act. 30. Bords taillés au grugeoir. (inv. 4230).
dessin Claudine Munier/Afan
24Après leur découpe dans la feuille de verre, grâce à un fer rouge ou un diamant à partir du xvie s. (Blondel 1993 : 250), les losanges étaient systématiquement taillés au grugeoir. Cette technique permettait d’obtenir des dimensions très régulières et des côtés propres, aux tranchants émoussés, donc peu dangereux lors des manipulations (Perrot comm. pers.). La taille des losanges est fonction de la taille de la verrière, donc de la fenêtre : plus celle‑ci est réduite plus les losanges sont petits, les losanges de grande taille devant orner les fenêtres larges et hautes (Perrot : comm. pers.). Les losanges étaient découpés et préparés par le vitrier qui montait chaque panneau vitré dans son atelier. Lors de la réparation d’une vitrerie déjà posée, un travail sur place était nécessaire : le vitrier retaillait des losanges aux dimensions exactes sur le lieu de leur installation.
25Composé par l’assemblage au plomb des losanges (fig. 37), ce type de vitres (parallèlement aux vitraux) est, avec celui des petites cives, la catégorie de vitrerie la plus anciennement utilisée (Blondel 1993 : 56). Les losanges endommagés étaient quelquefois récupérés pour être recyclés dans les verreries où ils avaient été fabriqués.

FIG. 37 – Verre à vitre de verrière géométrique. Restitution des losanges assemblés au plomb.
dessin Claudine Munier/Afan d’ap. Blondel 1993
Les petites cives et les triangles
26fig. 38
27Dans ce dépotoir, cinq cives ont un diamètre de 86, 90 ou 96 mm pour une épaisseur maximale de 4 mm. Ces trois formats définissent donc trois vitreries différentes. Dix individus ont pu être déterminés dont trois présentent des marques de taille au grugeoir, sans doute pour leur adaptation en limite de châssis (fig. 38, nos 2–4). Le verre est de teinte verdâtre ou grise et présente des petites bulles. Les bords sont ourlés du côté opposé au pontil* ou plus rarement du même côté.

FIG. 38 – Verre à vitre. Petites cives et triangles de verrières géométriques (US 544). Seconde moitié du XVIe s. Dim en mm. 1 cive en verre vert foncé. Diam. 90, ép. max. 4. Verre bullé. Pontil sur la face opposée de l’ourlet, (inv. 4211) ; 2 demi cive en verre altéré. Diam. 90, ép. max. 3. 4 fragments. Taille au grugeoir sur une face et traces de découpe au fer ou au diamant sur l’autre face. Pontil et ourlet du même côté. (inv. 4214) ; 3 cive en verre gris. Ép. max. 3,5. Fragment taillé au grugeoir. Verre bullé. Pontil. (inv. 4213) ; 4 demi cive en verre légèrement verdâtre. Diam. 86, ép. max. 3,5. Taille au grugeoir ; 5 triangle en verre altéré. H. act. 36, I. act. 30. Deux bords concaves taillés au grugeoir. (inv. 4236) ; 6 triangle en verre altéré. H. 46, I. 45. Bords concaves taillés au grugeoir. (inv. 4235) ; 7 triangle en verre altéré. H. act. 41, I. act. 40. Bords concaves taillés au grugeoir. (inv. 4237).
dessin Claudine Munier/Afan
28D’après l’iconographie, l’utilisation des petites cives remonte au moins à la fin du xive s. Un dessin réalisé vers 1400 montre Pétrarque dans son cabinet d’étude, éclairé par une fenêtre à cives dont la partie inférieure est ouverte vers l’intérieur de la pièce (Thornton 1991 : 13). Mais la technique de fabrication est déjà connue depuis l’Antiquité sur des pièces circulaires de plus grand diamètre. Cette technique dite « en plateau » consiste à réaliser des feuilles de verre en disques par rotation de paraisons soufflées puis ouvertes. Dans ces plateaux circulaires sont découpés des éléments (pièces géométriques ou formes pour vitraux) qu’on assemble ensuite, à l’instar des éléments découpés dans les feuilles de verre « en cylindre ». La partie centrale ou boudiné est l’endroit le plus épais, là où se situe la marque laissée par le pontil. Elle est de ce fait reléguée sur des vitrages de moindre importance ou tout à fait éliminée. Pourtant, cette boudiné possède certains avantages : une moindre transparence (qui protège des regards indiscrets) et une meilleure diffusion de la lumière extérieure. Ce qui est un déchet dans un premier temps –la boudiné– a inspiré une forme spécifique –la cive– non plus objet découpé, mais réalisé tel quel (Bellanger 1988 : 309). Le verrier place le pontil sur le fond d’une boule de verre soufflée, puis travaille l’ouverture en aménageant un ourlet qui sert à renforcer les bords de la cive. Cet ourlet est le plus souvent replié à l’intérieur avant que les bords soient évasés par rotation. Dans ce cas, il est situé du côté opposé au pontil. L’ourlet est plus rarement replié à l’extérieur de la paraison de verre soufflé, se trouvant ainsi du même côté que le pontil. Ces petits disques ourlés sont directement utilisables : le verrier les fabrique, le vitrier n’a plus qu’à les adapter.
29Lors du montage des panneaux vitrés, les espaces entre les cives agencées en quinconce sont comblés par de petits triangles dont les bords ont été taillés au grugeoir de façon à épouser les arrondis (fig. 38, nos 5‑7). Dans le cas de cives placées en colonnes, les espaces sont comblés par de petits losanges présentant également des côtés échancrés. La présence de trois de ces triangles accompagnant les cives dans ce dépotoir laisse supposer qu’au moins une de ces vitreries était composée de cives disposées en quinconce (fig. 39).

FIG. 39 – Verre à vitre de verrière géométrique. Restitution des triangles et des cives placés en quinconce et assemblés au plomb.
dessin Claudine Munier/Afan d’ap. Blondel 1993
30Les vitreries à cives sont très courantes dans de nombreuses régions. En Alsace on a retrouvé des cives lors de fouilles archéologiques dans des niveaux datés du xve au xviie s. (Vivre au Moyen Âge 1990 : 342). En Italie, un inventaire florentin de 1391 parle de vingt‑quatre « occhi blanchi di vetro », sans doute importés de Venise (Thornton 1991 : 27). Les peintres des xve et xvie s. illustrent régulièrement les intérieurs qu’ils peignent de fenêtres closes aux vitres composées de cives. Qu’il s’agisse des artistes de la Renaissance italienne : Vittore Carpaccio (à l’extrême fin du xve s. dans plusieurs tableaux du cycle du Songe de sainte Ursule}, Francesco del Cossa (Annonciation, avant 1472), Andrea Previtali (Annonciation, vers 1508), Piero délia Francesca (L‘invention de la croix, fresque de La légende de la croix, 1452‑1466), ou des peintres hollandais ou allemands : Jan Van Eyck (L’Annonciation, 1426‑1437 ; Le double portrait d’Arnolfini et de son épouse, 1434), le maître de Grünewald (Annonciation du Retable dlssenheim, 1513‑1515), Albrecht Dürer (Saint Jérôme dans sa prison, gravure de 1514), Holbein le Jeune (Enseigne du maître d’école, 1516), Lucas Cranach (Lepaiement, première moitié du xvie s.),
31L’une des petites cives de ce lot a servi de support à une inscription gravée (fig. 40). Cette cive présente, sur sa partie centrale, un texte rédigé sur deux lignes : la première écrite en capitales romaines, la seconde en minuscules gothiques. Monsieur Bernhard Metz (archives départementales de Strasbourg) en a donné l’interprétation et le commentaire suivants.

FIG. 40 – Verre à vitre. Petite cive gravée de verrière géométrique. Seconde moitié du XVIe s. Verre grisâtre. Dim. En mm : ép. max. 5,5. 5 fragments d’une cive en verre bullé, irisé. Pontil. Inscription gravée (fragment de titulature : « Wurtemberg »). (US 544, inv. 4210).
dessin Jean Gelot/Afan
32Des quatre lettres en capitales romaines, seule la troisième est lisible avec certitude : il s’agit d’un « A ». La première semble être un « C » barré par un trait oblique (accidentel ?), la deuxième pourrait être un « I ». La quatrième lettre serait éventuellement un « L » mal fait ou une lettre inachevée ou en partie effacée. Le sens de ces lettres n’a pu être identifié.
33La deuxième ligne commence par un « Z » barré, qui signifierait zu ; viennent ensuite le mot « Wurtemberg », puis un signe d’abréviation très probablement pour et cetera. Le « etc. », dont on fait par ailleurs un usage abondant aux xve xviie s., s’emploie notamment quand on veut abréger une titulature complète : cette ligne correspond à une fin de titulature. Il faut supposer un début perdu (ou abrégé à la première ligne ?) qui serait un prénom et un titre, du genre [Friedrich Graf] zu Württemberg etc. ou [Eberhard Herzog) zu Württemberg etc. donc « Frédéric, comte (ou Eberhard, duc) de Wurtemberg etc. ». La titulature complète serait ici par exemple Georg, Graf zu Württemberg und zu Mömpelgard, Herr zu Horburg und zu Reichenweier, c’est‑à‑dire « Georges, comte de Wurtemberg et de Montbéliard, seigneur de Horbourg et de Riquewihr ». Les capitales romaines de la première ligne excluent une date antérieure au xvie s., et même sans doute au xvie s. assez avancé : plutôt après 1530‑1540 qu’avant. Inversement, l’abréviation pour « etc. » ne se fera plus de cette façon au xviie s. Ce graffiti a vraisemblablement été effectué de la main d’un prince de la maison de Wurtemberg. Le diamant qui a servi à graver cette cive alors en place sur son panneau devait en effet orner le doigt d’un personnage de marque.
34Cette coutume consistant à écrire au diamant sur des vitres n’a rien d’exceptionnel, on en connaît d’autres exemples entre le xvie s. et le xixe s. La fouille d’une fosse maçonnée sur le site de l’ENA à Strasbourg en 1993 (emplacement de l’ancienne commanderie Saint‑Jean) a livré un fragment de cive en verre non teinté, portant une inscription religieuse en écriture cursive : O maria mater/dey mènto [mémento] signifiant « O Marie, Mère de Dieu, Souviens‑toi... » Une croix de Malte est figurée au‑dessus de ce texte. Cette cive serait datée du dernier tiers du xvie s. (information fournie par M.‑D. Waton). Dans la haute aristocratie allemande du début du xviie s., un duc de Wurtemberg encore (Ludwig Friderich Herzog zu Württemberg) écrit en 1629 à un de ses fonctionnaires et amis : « Il faut savoir que l’Électeur [Palatin, réfugié aux Pays‑Bas a retiré d’une fenêtre une vitre sur laquelle son fils défunt avait écrit avant sa mort mediis tranquillus in undis » [sa devise ?] (Kaiser 1919 : 187) (information fournie par B. Metz).
35Cet usage, encore attesté au xviie s. à Chambord où « une vitre porte l’inscription souvent femme varie tracée dit‑on de la bague royale de François Ier » (Gâteau 1974 : 68‑69), est également répandu au xviiie s. On peut en effet citer cet épisode, consigné par Casanova dans ses Mémoires, dans lequel Henriette, qui vient de le quitter, a tracé sur une vitre avec la pointe d’un diamant qu’il lui a offert : « Tu oublieras aussi Henriette ».
36Le duc d’Enghien, que Napoléon a fait enlever et fusiller vers 1802, résidait, jusqu’à son enlèvement, au château de l’évêque de Strasbourg à Ettenheim (pays de Bade) ; il avait écrit des graffitis au diamant sur les vitres (information fournie par B. Metz).
37Durant le xvie s., deux types de panneaux vitrés se côtoient sur les fenêtres d’une maison à laquelle est associé ce dépotoir : les éléments taillés au grugeoir et les cives. Tous deux nécessitent un assemblage à l’aide de plombs et définissent au moins six vitreries composées. Un autre type de vitrage, représenté par un carreau de guichet, est directement enchâssé dans son cadre en bois (cf. infra § 3.2.2.3). Conçu avec une vitre de grande dimension, qui sera adaptée plus tard sur les grandes fenêtres rectangulaires, ce système de fermeture est tout à fait original. Ces nombreux fragments d’éléments en verre plat, et en particulier la petite cive gravée, marquent l’appartenance de cette maison à une famille très aisée.
Les déchets de taille
38fig. 41
39Dans un lot de tessons de verre plat, quelques petits fragments ont attiré notre attention : tous ont une forme en arc de cercle sur l’un des côtés, l’autre étant angulaire, droit ou échancré, parfois taillé au grugeoir. Ces petits tessons correspondent peut‑être à de simples éclats lors du bris de verre, mais pourraient également représenter des déchets de taille rejetés lors de la réparation des panneaux vitrés. En effet, pour l’obtention de dimensions précises, en particulier sur des éléments échancrés, il est plus sûr de procéder par succession de plusieurs enlèvements. L’expérimentation, effectuée par Isabelle Debras, vitrailliste à Besançon, et appliquée sur une vitre actuelle à l’aide d’un diamant, révèle des rognures identiques à ces petits tessons en arc de cercle (fig. 42).

FIG. 41 – Verre à vitre. Déchets de taille ou fragments de verre plat, XIVe‑XVIIe s.
dessin Claudine Munier/Afan

FIG. 42 – Verre à vitre : expérimentation de découpes successives sur un losange pour l’échancrer.
dessin Claudine Munier/Afan
40Les tessons issus des autres niveaux archéologiques ne permettent pas de compléter la typologie établie ci‑dessus. Les éléments géométriques taillés au grugeoir appartiennent à des vitreries qu’il est difficile de définir avec certitude ; on note simplement qu’il ne s’agit pas de vitraux. De rares fragments de cives attestent une présence quasi constante de ces éléments à l’extrême fin du Moyen Âge et aux périodes modernes. Le dépotoir comblé au xive s. a fourni quelques tessons de verre plat : trois éléments taillés selon des formes plus ou moins allongées qui pourraient avoir appartenu à une bordure de panneau vitré, et quelques débris de petite dimension ou déchets de taille. La proximité d’un gros bâtiment (A), contre lequel cette structure est accolée, justifie sans doute la présence, dans un niveau aussi ancien, de verre plat alors réservé aux monuments religieux ou aux bâtiments civils importants.
41Les textes anciens mentionnent parfois l’utilisation de verre pour clore les fenêtres ; l’iconographie et l’archéologie nous renseignent sur la forme des éléments composant les vitreries. Au xiiie s., le verre reste réservé aux vitraux installés dans les églises et surtout dans les cathédrales. Les banals losanges et cives, que l’on rencontre rarement avant le xve s. dans les châteaux ou dans les bâtiments civils ou religieux, puis plus tard encore dans les habitations privées, témoignent du caractère dispendieux de ce matériau. Les feuilles de verre, qu’elles soient réalisées en plateau (en table) ou en cylindre, sont pourtant connues bien avant l’usage des losanges et des petites cives : les grandes cives ont déjà été fabriquées dans l’Antiquité (Blondel 1993 : 179, note 2) et des fragments de verre réalisé en manchon datés du début du Moyen Âge ont été découverts en Angleterre (Blondel 1993 : 186, note 8). À la fin du xvie s., les baies vitrées semblent encore suffisamment rares pour être mentionnées dans les récits de voyages. En 1580, Montaigne est frappé « par le nombre important de fenêtres vitrées entre Épinal et Bâle. Il suit alors l’une des grandes voies d’exportation du verre lorrain vers le marché bâlois. La Franche‑Comté était vraisemblablement moins bien pourvue » (Michel 1990 : 38).
3.2.2.2 Les plombs d’assemblage
42fig. 43
43c.g., é.f.
44Six plombs utilisés pour sertir les vitrages ont été découverts sur le site ; deux sont issus du dépotoir comblé au xive s., deux autres du dépotoir comblé dans la seconde moitié du xvie s., les deux derniers enfin du dépotoir du début du xviie s. Si l’utilisation d’éléments en verre sertis est encore relativement rare dans les constructions privées au xvie s. et au début du xviie s., une telle présence est exceptionnelle au xive s.

FIG. 43 – Plombs de vitre. Dim. En mm. 1 serti en plomb. XIVe s. L. art. 52, I. 7, h. âme 3. (US 1115, inv. 3725) ; 2 serti en plomb. XIVe s. L. art. 59, I. 5,5, h. âme 3. (US 1115/1116, inv. 3722) ; 3 serti en plomb. XVIe s. L. art. 87, I. 5, h. âme 3. Traces de molettes dentées sur les deux faces de l’âme. (US 544, inv. 3267) ; 4 serti en plomb. XVIe s. L. act. 110, I. 6, h. âme : 3,5. (US 544, inv. 3268) ; 5 serti en plomb. XVIIe s. L. art. 132, sect. 6 x 5, h. âme : 2. (US 238, inv. 3002).
dessin Élisabeth Fuhrer, Jean Gelot/Afan
45Cinq des plombs découverts ont une section en double « T », la hauteur des âmes* variant de 3 à 4 mm et la largeur des ailes* de 5 à 6 mm. Le sixième plomb, trouvé dans le comblement de la fosse des latrines du xive s., est plus épais et l’une de ses extrémités est aplatie ; il correspond peut‑être à un résidu de baguette (ou déchet de lingotière). Les deux faces des ailes des plombs sont généralement lisses. Toutefois, un des plombs de la seconde moitié du xvie s. présente des guillochures*. Une de ses extrémités porte également une découpe en biseau ; cette découpe, réalisée par un couteau à couper le plomb, désigne la pièce comme un déchet de fabrication ou de réparation d’un panneau vitré. Hormis les déchets de fabrication, deux des plombs ont des ailes bien parallèles, preuve qu’ils n’ont jamais été utilisés. Seuls les sertis provenant du dépotoir du début du xviie s. ont des ailes écrasées et ébréchées. Il s’agit de plombs retirés d’une vitrerie par le vitrier lors d’une réparation. La dimension des chambres* est constante pour les plombs des xive et xvie s., et s’agrandit d’un millimètre au xviie s. Le faible échantillonnage des plombs ne permet cependant pas d’en déduire une évolution, et il faudra attendre des comparaisons avec d’autres sites pour en tirer des conclusions. L’utilisation de molettes dentées ne semble pas non plus un indice de datation ; en effet, pour les plombs du xvie s., un exemplaire porte des traces de guillochures, alors que l’autre a été fabriqué dans un tire plomb à molettes lisses.
46Sur un nombre aussi restreint d’individus, nous rencontrons donc plusieurs cas de figures :
– un éventuel déchet de lingotière, daté du xive s., est peut‑être un résidu de fabrication des plombs. Il est intéressant d’en trouver sur un lieu de consommation, car ces déchets indiquent généralement un atelier de vitrier ;
– le plomb dont l’extrémité est biseautée provient du dépotoir comblé dans la seconde moitié du xvie s. et indique un rejet de travail au moment du montage ou de la réparation d’un panneau vitré par le vitrier ;
– certains des plombs n’ont jamais été posés, comme le montrent leurs ailes bien parallèles, d’autres ont été rejetés par le vitrier lors de la réparation d’un panneau vitré ; leurs ailes sont alors ébréchées.
47La confection des plombs peut s’effectuer selon deux techniques : le moulage et l’étirage. Les traces d’étirement visibles sur les plombs découverts sur le site désignent la seconde méthode pour la fabrication des sertis. Cette technique de fabrication requiert deux étapes. Dans un premier temps, le plomb en fusion est coulé dans une lingotière, moule constitué de « deux plaques articulées à une extrémité, comportant chacune des rainures* longitudinales » (Blondel 1993 : 340). On obtient ainsi des ébauches de baguettes, dont les extrémités, aplaties, sont inutilisables et donc coupées pour être refondues. C’est à cette chute que correspond le déchet de lingotière du xive s. Les baguettes ainsi obtenues sont ensuite étirées dans un tire plomb. Cet instrument « comporte deux pièces cylindriques, les coussinets, qui définissent la hauteur de l’âme, et deux molettes actionnées par une manivelle. L’écartement des molettes détermine la hauteur de la chambre et la forme du profil » (Blondel 1993 : 340). Ces molettes peuvent être lisses ou dentées. Dans le deuxième cas, les faces de l’âme sont marquées de stries parallèles –les guillochures– que l’on remarque sur un des plombs de la seconde moitié du xvie s. (fig. 43, no 3), seul cas d’utilisation de tire‑plomb à molettes dentées. Lorsqu’il a obtenu ce genre de baguettes, le vitrier peut effectuer le montage du panneau vitré.
3.2.2.3 Un guichet coulissant
48ci. m.
49Un châssis en bois et une traverse d’un second châssis proviennent du dépotoir comblé dans la seconde moitié du xvie s. « Les montants* sont en chêne, taxon classiquement sélectionné pour les pièces devant être à l’extérieur. » (O. Girardclos, laboratoire de Chrono‑Écologie de Besançon.) La description technique de ce châssis a été réalisée par Jean‑Louis Roger, d’après les dessins et les informations que nous lui avons communiqués. Pour les termes techniques, nous renvoyons le lecteur au glossaire en fin de volume, mais également à l’ouvrage de J.‑L. Roger (1984).
50Ce cadre en chêne (fig. 44) est composé de deux battants* (a : gauche et droit) et deux traverses* (b : haute et basse) dont l’assemblage à enfourchement*, c’est‑à‑dire par tenon (d) et entaille(e), est fixé par des chevilles* en bois (c). Les battants et les traverses sont rainurés sur le champ interne (f), pour recevoir le carreau de verre. Sur l’un des battants et l’une des traverses, la profondeur de ces rainures est diminuée au moyen de baguettes de calage (j). Les champs extérieurs des traverses sont également rainurés (g), y compris en bout de battant. Le champ extérieur du battant droit est feuilluré (h). Un chanfrein* (i) est poussé sur le pourtour du châssis.

FIG. 44 – Châssis de fenêtre (guichet coulissant) en chêne. Seconde moitié du XVIe s. Dim. en mm : h. 304, I. 232, ép. 20. (US 544, inv. 62). Cadre composé de deux traverses et deux battants assemblés à enfourchement et chevillés.
dessin Claudine Munier, Jean Gelot/Afan
51Une autre traverse haute ou basse, de taille légèrement supérieure, correspond à un deuxième châssis ; une rainure court sur le champ interne. Les tenons sont percés pour un assemblage identique à celui du premier châssis.
52La largeur réduite des battants et des traverses du châssis vitré laisse à penser que celui‑ci n’avait pas à subir d’effort de rotation. De plus, l’absence d’empreintes de plaques métalliques et de perforations de clous prouve qu’il ne portait aucun élément rapporté du type charnière, verrou ou ferrure. Ces remarques, ainsi que la présence de rainures sur les champs extérieurs des deux traverses et surtout en bout de chaque battant, permettent d’affirmer que ce châssis coulissait horizontalement, emboîté dans les rainures intérieures de deux traverses dormantes en bois. La feuillure* (h) externe située sur un seul des battants du châssis vitré correspond à une feuillure de recouvrement. Elle sert à encastrer ce châssis mobile, lorsqu’il est en position fermée, sur une butée d’arrêt qui correspond à l’un des battants du châssis fixe. Le battant opposé sert de butée au châssis mobile lorsqu’il est ouvert. Toute feuillure est alors inutile sur le champ extérieur du deuxième battant du châssis mobile. Ce châssis vitré était donc placé verticalement et coulissait sur un cadre en bois, dont seule une traverse nous est parvenue. Lui‑même fixé sur une paroi légère, cloison ou porte en bois par exemple, le châssis fixe encadrait une ouverture du type judas* ou guichet. Ce système d’ouverture est situé à l’intérieur de la pièce, la face visible –ou parement*– étant biseautée. Les chevilles en bois sont enfoncées depuis le parement.
53La largeur de la rainure interne du châssis dormant permet l’encastrement de la languette externe du châssis mobile (fig. 45) : malgré un coulissement très limité, puisque l’ouverture ne dépasse pas 60 mm, il semblerait que leur association soit effective. Le système de fixation du cadre dormant devait sans doute avoir été installé sur les battants, car la traverse retrouvée ne porte aucune empreinte de clous. Le système d’assemblage des traverses et des battants est identique à celui du châssis coulissant (fig. 46).

FIG. 45 – Coupe du châssis mobile coulissant sur la traverse fixe, a vitre, b baguette de calage, c traverse basse du châssis mobile, d traverse basse du châssis fixe.
dessin Claudine Munier/Afan d’ap. J.-L. Roger

FIG. 46 – Restitution des châssis en chêne.
dessin Claudine Munier/Afan d’ap. J.-L. Roger
54Une plaque de verre brisée (fig. 47), dont les dimensions restituées atteignent 250 x 180 x 2,5 mm, correspond au carreau engagé dans les rainures de ce châssis. Ce carreau est taillé au grugeoir sur les deux côtés intacts à partir d’une feuille de verre réalisée en cylindre. Les dimensions de ce vitrage sont assez exceptionnelles comparativement aux losanges et aux cives décrits précédemment. Utilisé seul dans son petit châssis et non pas agencé avec d’autres carreaux pour former une verrière, ce système permet un apport de lumière, même pour une ouverture très réduite.

FIG. 47 – Verre à vitre. Carreau du châssis coulissant en verre altéré. Dim. En mm : h. act. 172, h. restit. 250, I. act. 153, I. restit. 180, ép. 2,5. (US 544, inv. 4209). Carreau trouvé en place dans son châssis en bois.
dessin Claudine Munier/Afan
55Il semble cependant que la vitre ne corresponde pas à l’élément de fermeture originel. En effet, l’épaisseur du verre (2,5 mm) est beaucoup trop réduite par rapport à la largeur du champ interne du châssis (6 mm). La réalisation d’un champ de 3 mm n’aurait pourtant posé aucun problème au menuisier de cette époque qui connaissait le feuilleter*, outil adapté à ce type de travail fin. De plus, les dimensions de la vitre ont nécessité l’installation de baguettes de calage dans deux rainures du châssis, obligeant ainsi le démontage de ce dernier. On peut imaginer, antérieurement à l’usage de la vitre, un treillage de lattes de bois entrecroisées (claire voie) par exemple (informations fournies par J.‑L. Roger).
56Les caractéristiques techniques de ces cadres en bois justifient l’interprétation, donnée par J.‑L. Roger, d’un châssis mobile coulissant sur un cadre fixe. Les dimensions exiguës de cet ensemble le destineraient soit à l’éclairage et à l’aération d’une très petite pièce –latrines par exemple– soit à une ouverture sur l’extérieur avec vue et communication sur la rue, sans ouverture de la porte.
3.2.2.4 Verre à vitre et vitriers à Montbéliard
57ci. m.
58En 1891, C. Duvernoy parlant des quelques vieilles bâtisses montbéliardaises rescapées du passé, explique que « les fenêtres trilobées, ou même à quatre ouvertures séparées par des meneaux* sculptés, étaient garnies de petites vitres rondes ou losangées, fixées dans un châssis de plomb » (Duvernoy 1891 : 81). Ces types de vitrage ont perduré jusqu’à l’aube de notre siècle, et sont encore visibles aujourd’hui sur quelques maisons anciennes, reliques de notre patrimoine.
59Dès le xve s., les autorités de Montbéliard, par mesure de sécurité, incitent les habitants à vitrer leurs fenêtres (Voisin et al. 1980 : 46). Les matériaux précédemment utilisés (papier huilé, toile...) étaient en effet très inflammables. L’emploi des panneaux vitrés va se généraliser, d’abord sur les bâtiments publics puis sur les maisons particulières, essentiellement pour garnir les baies des demeures aisées, pour atteindre progressivement les habitations plus modestes. Le verre plat, grande spécialité des verreries lorraines, commence en effet à se développer. « Ces grandes tables de verre lorrain (en blanc et en couleur) sont demandées non seulement par les princes et par la bourgeoisie aisée, pour les édifices civils et religieux, pour les palais, et pour les demeures et résidences, mais pour les maisons urbaines. » (Rose Villequey 1971 : 58.) [...] « Non seulement le verre en tables est destiné aux nouvelles constructions, mais il commence à s’intégrer dans la vie quotidienne, en créant même des besoins nouveaux, s’étendant aux différentes classes sociales. » (Rose Villequey 1971 : 59.)
60À Fribourg en Suisse, un dénommé Mermet et son collègue Jean Bury achètent, au tout début du xve s., du verre à Montbéliard (H. Amman 1942, cité par F. Lœw 1979 : 39). Ce verre provient selon toute vraisemblance des ateliers lorrains qui transportent leurs produits par la route ou par le fleuve et les distribuent dans toute la région par l’intermédiaire des foires de Bâle, de Besançon ou de Montbéliard. Cependant, à partir de 1562, date à laquelle le verrier lorrain Nicolas de Hennezel s’exile à Montbéliard, le verre est, pendant quelques années, produit sur place. Montbéliard, « terre sacrée et protectrice de tous les persécutés », accueille les protestants qui échappent également, dans le cas des verriers, aux répressions de la fraude fiscale à laquelle ils se livraient. Nicolas de Hennezel quitte pourtant Montbéliard dès 1574 pour s’installer en Suisse, en pays de Vaud, où il devient maître des forges. Cette même année, Georges de Hennezel et son neveu et associé Charles profitent eux aussi de la politique d’accueil pratiquée par Georges‑Frédéric, comte de Würtemberg Montbéliard. Ils ne réussissent pourtant pas à implanter une verrerie. Georges en établit une à proximité, au village de Belverne, qui fonctionna seulement jusqu’en 1590 (Rose Villequey 1971 : 463 464).
61Une étude des archives serait indispensable pour en savoir plus long sur les productions de ces verriers, bien que le vocabulaire utilisé alors dans le domaine du verre prête parfois à confusion. À Besançon, les « verriers » des xiie‑xive s. posent et réparent les vitres (Michel 1990 : 25). Au xve s., « on a coutume de désigner sous ce terme générique de verrier “varnier, warrenier, voirrier”, aussi bien le vitrier qui pose du verre blanc, des “lozanges” que celui qui pose des vitraux, que le “metteur au plomb”, “que le gentilhomme verrier qui, dans sa forêt fabrique le verre ou celui qui fait les miroirs, ou même que le hottier”, le colporteur de verre. Donc ce mot recouvre beaucoup d’activités » (Rose‑Villequey 1971 : 224). Des comptes de la ville de Montbéliard datés du xviie s. parlent indifféremment de vitriers et de menuisiers‑vitriers qui posent et « raccommodent les fenestres ». Il est parfois précisé qu’ils fournissent le verre et le plomb (ADD 8). Il semble donc que, encore à cette période, les vitriers effectuaient à la fois le montage des panneaux avec assemblage au plomb des pièces de verre, l’assemblage des panneaux dans les armatures (châssis) et la pose des fenêtres. Il est par conséquent malaisé de définir, selon les époques, la tâche exacte du vitrier ou le nombre d’intermédiaires entre celui qui achète les feuilles de verre et celui qui pose les fenêtres.
3.2.3 Décoration de façade : statuette représentant un fou
62fig. 48
63d.a. b.
64Cette petite statuette a été réalisée en céramique commune claire, à partir d’une argile à pâte fine orangée, dont la surface a reçu, avant la cuisson, un engobe de couleur crème. Le relief formant le décor a été moulé ; la partie arrière, plate, est simplement lissée. Deux perforations, situées au niveau de la ceinture du personnage, sont destinées à accrocher cette sculpture sur la façade, sans doute au moyen de deux crochets en métal fichés dans le mur. Cet objet plat (l’épaisseur ne dépasse pas 26 mm) mesure 202 mm de haut pour 101 mm de large.

FIG. 48 – Statuette de « fou » jouant de la flûte, XVe s. Élément de frise de décoration de façade en céramique commune claire engobée, pâte fine orange, surface engobée. Dim. En mm : h. 202, I. 101, ép. 26. 3 fragments. Collages avec US 803, 723. (F63, US 871, inv. 2085).
dessin Jean Gelot/Afan
65Vers la fin du Moyen Âge, dans les années 1470‑1500, on voit se multiplier les sculptures amusantes destinées aux édifices urbains. Nombre d’entre elles figurent des fous et décorent, dans diverses églises, des stalles sculptées de miséricordes : à Paris (église des Mathurins), à Brou (Ain), à Rodez (Aveyron), ou dans le Berry (Hugoniot 1994 : 24‑42). Les bois sculptés ornent également les façades des demeures privées, comme à Morlaix (Leguay 1984 : 104), et même quelques hôtels de ville (Champfleury 1849), comme à Saint Quentin, Noyons ou Munich. Les fous font partie du décor. Le motif du fou, offert à la méditation, prend une considérable envergure à la fin du xve s. notamment sur le plan littéraire, en raison de la publication de La Nef des fous, de Sébastien Brant, à Bâle en 1494, ouvrage aussitôt réimprimé à de nombreuses reprises, y compris en français, puis, vingt‑cinq ans plus tard, avec L’Éloge de la folie d’Érasme. Ces deux textes moralisateurs vilipendent la sottise humaine. Dans les manuscrits à peinture, les fous étaient présents depuis plus longtemps. Ils dansent et font de la musique dès le xive s. dans les marges des livres (Romance of Alexander, Egan, Pritchard s.d. : 336). Sans doute s’agit‑il d’une allusion à la fête des Fous du mois de décembre. Cette ancienne fête du temps de Noël, conçue sur le principe de l’inversion et du monde à l’envers, était très prisée par le public.
66Mais le fou est aussi, au Moyen Âge, l’image de celui par qui on dénonce la folie humaine. L’un des psaumes du psautier est systématiquement orné d’un fou. Il s’agit du Dixit insipiens, le « psaume du fou », qui renie Dieu. Un fou est peint dans les manuscrits de La Cité de Dieu de saint Augustin, texte qui connaît un vif succès dès le xve s. On y représente systématiquement un fou en costume professionnel, tambourinant d’une main et jouant de la flûte de l’autre devant trois jeunes godelureaux qui s’apprêtent à pénétrer dans la ville, comme l’atteste un incunable de la bibliothèque municipale d’Abbeville ou un manuscrit enluminé de la bibliothèque municipale de Strasbourg. C’est exactement ce même geste qu’on retrouve sur une plaque de terre cuite figurant un fou musicien, exécutée en Piémont au milieu du xve s., et presque celui qu’on devine sur le fou de Montbéliard, qui flûte d’une main et semble tenir un phylactère ou frapper sur une calebasse posée à ses pieds de l’autre.
67La musique qu’exécute le fou sur sa flûte renvoie vraisemblablement à l’accompagnement musical d’une danse. Au xve s., la danse rituelle de la fête des Fous s’appelle la « moresque ». La moresque est une danse parodique, qui provoquait le rire ; il s’agissait d’une danse extravagante et acrobatique, déguisée à la maure, mais revue et corrigée par les Occidentaux... On revêtait des vêtements bariolés, ornés de franges et de lettres « sarrasines », d’une « coqueluche » ou chaperon à sonnettes et grelots, comme en 1427 à la cour de Bourgogne (Gay 1887 : 445). Danse et folie sont souvent associées et, en 1 540, un poème moralisateur imprimé à Paris le confirme :
« Tels signes sont enseignes de folye :
« Monstrans que vin par trop prins le fol lye
« Et rend mocque comme s’il labouroit
« Fluter par rue, ou que s’il tabouroit [jouait du tambour].
« Qui veult noter cette rouge couleur ? » (Wéry 1992 : 23.)
68Or, s’il existe plusieurs exemples de bas‑reliefs de terre cuite du xve s. figurant la moresque, le fou y joue son rôle de musicien. Dix‑huit tablettes d’argile rouge grisâtre, provenant vraisemblablement de Turin et conservées dans la collection de la Fondation Abegg (Müller s.d. : 197‑206), mettent en scène le fou musicien, avec son capuchon à oreilles d’âne et grelots, jouant de la flûte d’une main et tambourinant de l’autre, faisant virevolter des danseurs devant une dame, juge courtois de la danse. Ces bas‑reliefs étaient destinés à l’ornementation du linteau et des piédroits d’un portail ou d’une fenêtre. Le fou à la flûte en constitue la clef de voûte. Une autre série, également en terre cuite, est conservée au Museo Civico d’Arte Antica de Turin, ville dans laquelle sont encore préservés, in situ, quelques‑uns de ces bas‑reliefs, qui semblent avoir été communs en Piémont dans la seconde moitié du xve s.
69De nombreuses représentations de la moresque sont exécutées par des artistes de la même période, tant sous forme de gravures, par Israël Van Meckenem, en 1460, que par des sculptures sur bois, par Erasmus Grasser, en 1480, réalisées à l’initiative de l’hôtel de ville de Munich qui souhaitait en orner sa salle d’apparat (Arnaud 1987 : 18‑33). Un coffret savoyard en ivoire du milieu du xve s., également conservé à la Fondation Abegg, était également orné d’une moresque. Il existe aussi des petites appliques métalliques figurant le fou et les danseurs de moresque (Landolt 1984 : 77). Ce sujet était habituel dans l’art de la fin du Moyen Âge.
70Tout laisse à penser que le fou musicien de Montbéliard appartenait à la décoration d’une façade d’une maison de la ville, ornée d’une moresque. Peut‑on avancer une date ? Quelques détails du costume renvoient à l’extrême fin du xve s. : le fou porte les mêmes bottes à ouverture évasée que son alter ego d’un exemplaire incunable de La Nef des fous de Sébastien Brant, imprimé à Paris en 1497 (BNF). Les courtes oreilles du chaperon du fou de Montbéliard sont de mise à cette période et le feston qui agrémente le plastron de son chaperon est identique à celui du fou peint dans un manuscrit conservé à Avignon et daté de la seconde moitié du xve s. (BMA). C’est sans doute vers la fin de ce siècle qu’il faut situer l’exécution de cette belle plaque de terre cuite, où le fou arbore une expression pensive et douloureuse, bien dans la tradition des sculpteurs expressionnistes de l’est de la France, au cours des années 1480‑1490.
3.2.4 Le bois de construction dans les structures de rejet
71o.g., c.l.
72Les restes de bois de construction trouvés dans les dépotoirs sont des fragments de planches et des chevilles. Tous les fragments ont été analysés mais leur nombre par structure reste faible (environ cinquante). La fragmentation des planches peut être différente en fonction des taxons et un rejet ponctuel d’une structure détériorée peut induire la surreprésentation d’un taxon. Ce sont autant de remarques qui font qu’il est délicat d’interpréter les proportions entre taxons. De même, l’absence d’un taxon peut être due au manque de représentativité du dépotoir vis‑à‑vis de l’utilisation en bois pour la construction. Par contre, la présence même sous forme de quelques restes d’essence comme l’épicéa, qui ne se développe pas spontanément à Montbéliard, doit être expliquée.
3.2.4.1 Le chêne (Quercus robur et Quercus petrae)
73Le chêne est bien entendu très utilisé en planche, les dépotoirs du xive s. (US 982, comblement US 1116) et du milieu du xvie s. (US 28, comblement US 544) ont livré 20 et 12 fragments dont l’utilisation ne peut être précisée. Les épaisseurs sont voisines de 1 cm sauf pour cinq fragments provenant d’au moins deux madriers épais de 5 cm. Le débitage des planches est préférentiellement sur maille, pour les deux dépotoirs deux planches sont des dosses. On n’a pas observé de traces de sciage, les fibres ne sont pas sectionnées sur les plats visibles, on peut donc supposer que la plupart de ces planches ont été obtenues avec une hache à fendre.
3.2.4.2 Le sapin et l’épicéa (Abies alba et Picea abies)
74Le développement spontané de ces deux taxons est typique de l’étage montagnard inférieur (700 m d’altitude) ou encore du collinéen supérieur pour le sapin vers 500 m d’altitude. Pour la région de Montbéliard, la dépression altitudinale (250 à 500 m) entre Vosges et Jura et particulièrement pour le comté de Montbéliard, ces espèces ne peuvent avoir un développement spontané. Les introductions en basse altitude, de sapin surtout, ont pu débuter dès le xviie s. (Vilmorin 1991) mais elles ne seront intensives que très tardivement, au xixe s., avec la mise en place de l’administration forestière.
75Dans le dépotoir du xive s., trois fragments de planche et quatre restes très dégradés de nœuds en épicéa ainsi que vingt‑cinq restes en sapin indiquent clairement qu’une partie du bois de construction est importé de régions plus élevées. Dans celui du xvie s., trente‑trois restes de sapin et un seul d’épicéa sont les témoins de cette même importation. Ce bois peut provenir des deux régions montagnardes qui encadrent le pays de Montbéliard. Sur le Jura et les Vosges, le sapin est commun, alors que l’épicéa est moins abondant dans les Vosges (Rameau et al. 1989). La provenance régionale de ces arbres ne peut encore être précisée. Cinq planches de sapin ont pu être datées par dendrochronologie de 1303 et deux autres après 1533, mais la représentation régionale de ces planches est trop faible et, surtout, les méthodes et les référentiels sont à des stades insuffisamment avancés pour que les caractéristiques de croissances régionales soient connues.
76Le sapin offre une dureté inférieure à celle des bois durs feuillus comme le chêne. En contrepartie, il est beaucoup plus aisé à façonner, car très fissible et léger, il est de plus assez résistant et élastique (Beauverie 1910). Les restes des dépotoirs des xive s. et xvie s. proviennent essentiellement de planches sur maille. Les plats observables, peu nombreux, indiquent que ces planches ont été extraites avec des outils à fendre. Cinq extrémités de planches du xvie s. montrent des traces de sciage et une, biseautée, des facettes d’outils de taille. La mise à longueur des planches a donc pu se faire à la scie.
77Les planches datées de 1303, dont la date du premier cerne mesuré est en 1149, correspondent à la partie ancienne des référentiels du sapin. Ces référentiels dendrochronologiques de résineux (sapin et épicéa), réalisés dans des régions d’altitude peu élevées ou sur les massifs qui les bordent, débutent dans le haut Moyen Âge. L’étalon Boll. CO réalisé par Egger (DendroLabor Egger) mais non encore publié a comme premier cerne 989, celui réalisé par Gasmann à Neuchâtel, également non publié, a comme origine 1181. Les sites étudiés se répartissent sur le Jura suisse, au nord et au sud du lac de Neuchâtel. À Metz, un plafond peint a été daté par Lavier et Lambert de 1328 avec un premier cerne en 1123, le bois utilisé provenait probablement des Vosges. Les étalons débutent donc dans le xiie s., mais les sites sont plus souvent des xiiie ou xive s.
78Sur le site daté du xie s. de Charavines/Colletière, les analyses palynologiques ont bien montré que le sapin était une composante des hêtraies à faciès sub‑montagnard (Borel 1993). Cependant, aucune pièce d’architecture n’est en sapin, ce taxon n’est également pas employé comme bois d’artisanat ou de chauffage. La situation assez éloignée des peuplements contenant du sapin peut expliquer qu’il n’ait pas été sélectionné à Colletière (Lundström Baudais 1993). À Besançon, dans la maison xiiie‑xive s. de la rue de Vignier, des éléments de meubles en sapin ont pu être datés après 1262 et 1273 (Guilhot 1990). La charpente actuellement la plus âgée, datée par la dendrochronologie dans le Jura, a été réalisée peu de temps après 1463 à Boissia (non publié). Ce château est situé à 500 m d’altitude, très proche de l’aire de développement spontané du sapin. C’est ensuite au cours du xviie s. que le sapin est très utilisé, de plus en plus en charpente, si bien que les étalons dendrochronologiques du chêne pour les xviiie et xixe s. sont pauvres en échantillons provenant de charpentes.
79Le nombre de bois intégrés dans les étalons est un indicateur d’utilisation du sapin dans les constructions, qui est très sujet à caution car le niveau de conservation et l’avancement des études sont très variables selon les époques. Il semble cependant, au regard de ces découvertes, que l’utilisation du sapin devienne perceptible aux xiiie‑xive s. pour n’être véritablement très importante qu’à partir du xviiie s. Les premières utilisations sont probablement les pièces de faible dimension et surtout les planches aisées à extraire. La tradition du débitage des billes en planche avec des outils de taille comme la hache à fendre, le courre ou merlin, a peut‑être favorisé le choix technique du sapin. Même si la scie est connue par exemple dans les inventaires mobiliers des ducs de Bourgogne en 1364‑1365, l’utilisation d’outils à fendre est préférée car ils permettent de suivre les fibres du bois (Marette 1961).
3.2.4.3 Le hêtre (Fagus silvatica)
80Des planches en hêtre ont été mises au jour uniquement dans le dépotoir du xive s. Elles ont toutes été débitées sur maille. La bille a été fendue par quartiers de façon à ce que toutes les planches aient les rayons exactement parallèles aux plats. Il en résulte quelles ont une section qui est en forme de coin. Le hêtre possède de très gros rayons qui créent une direction préférentielle de taille. Ces planches sont donc relativement aisées à obtenir avec cette essence. Aucun travail n’a été fait ensuite pour rendre plus parallèles les faces.
81Toutes les planches sont plus ou moins attaquées par des vers qui ont fait des galeries qui occupent parfois toute leur épaisseur. Le choix du hêtre n’était donc pas optimal pour les conditions d’utilisation. Les pièces faites dans cette essence se corrompent très rapidement lorsqu’elles sont exposées aux variations atmosphériques. Le hêtre est donc rarement sélectionné comme bois de construction et il est difficile de trouver ici une motivation justifiant le choix de cette essence pour faire des planches.
82D’une façon générale, les planches sont débitées sur maille, seules quelques pièces de chêne et de sapin sont issues de quartiers. Il est difficile de fournir des renseignements sur les utilisations possibles de ces planches qui ne présentent en général pas d’aménagement. Des planches ont cependant dû être assemblées puisque des trous chevillés sont observés. Quelle que soit l’essence de la planche, les chevilles ont toutes été réalisées en chêne.
83Les études des restes ligneux humides ou carbonisés sur les sites archéologiques historiques s’inscrivent dans une démarche ethno‑botanique où la première question posée est toujours : y a‑t‑il adéquation entre ce que nous savons des caractéristiques d’un taxon et son utilisation sur le site, ce qui justifie la sélection. Les taxons qui ont fourni du bois de construction à Montbéliard, chêne, sapin, épicéa et hêtre, ont été sélectionnés. Des planches en hêtre ont pu être utilisées dans des conditions où ce bois n’est pas pérenne. Au contraire, ce bois se révèle suffisamment stable enfoui pour servir d’élément de fondation (pieux et clayonnages).
3.2.5 L’agencement intérieur
3.2.5.1 Le chauffage
84c.g.
85La particularité du nord de la Franche‑Comté en matière de chauffage est l’introduction précoce de poêles en céramique. De nombreux fragments de céramique de poêle sont en effet trouvés sur des chantiers archéologiques dans des couches datées de la fin du xiiie s. et du début du xive s., comme ce fut le cas lors des premières fouilles du site de Montbéliard/Velotte (Fuhrer, Tchirakadzé 1995 : 63‑65) ou de celles effectuées au château de Rougemont dans le Territoire de Belfort (Walter 1993 : 44‑48). La popularité de ce type de chauffage ne se dément pas au cours des siècles, puisque des sites datés du xviiie s. en livrent des éléments, comme celui de la chapelle Sainte‑Catherine construite au nord de la commune de Rougemont‑le‑Château, par exemple (Walter 1995 : 202‑203). Dans le sud de la Franche Comté, il faut attendre le xve s. pour qu’apparaisse ce mode de chauffage ; ainsi, les fouilles récentes de Besançon/Condé (1995‑1997) ont permis de découvrir quelques fragments de pots et de carreaux de poêle dans des niveaux de cette période. Ce type de chauffage y reste cependant moins usité que dans le pays de Montbéliard, où les poêles en céramique sont omniprésents. Une charte de 1573 confirme l’appartenance des « caqueliers », fabricants d’éléments de poêle dans le patois de Montbéliard, à une corporation ouvrière regroupant par ailleurs d’autres artisans du bâtiment, comme les carriers ou les tuiliers (Goëtz 1995c : 205).
86Le poêle en céramique évolue quelque peu du xiiie au xviiie s. Deux parties distinctes le composent, à savoir le corps inférieur, où s’effectue la combustion des bûches, et le corps supérieur dans lequel chaleur et fumée sont piégées ; pour que cette chaleur rayonne plus efficacement et chauffe la pièce, les constructeurs ont imaginé un système simple constitué de petits pots en terre cuite, installés dans la voûte du poêle. Ces pots ou gobelets, creux et généralement de forme tronconique, sont enfoncés dans l’argile crue de la voûte du poêle, leur ouverture tournée en direction de la pièce pour assurer une bonne diffusion de la chaleur. Dès le xive s., ces gobelets seront associés à des carreaux de poêle ayant la même fonction. Au cours des siècles suivants, le gobelet sera abandonné au profit du carreau, et les poêles comprendront alors une partie inférieure sur laquelle ils reposent (socle, soubassement ou pieds), un corps toujours divisé en foyer et corps supérieur, une corniche et un couronnement (Minne 1977 : 25‑27). Selon la forme générale du poêle lui‑même, dont la partie supérieure peut être de plan carré, rectangulaire ou circulaire, les carreaux présentent une face plane ou convexe, portant un décor ou une glaçure. L’arrière est constitué d’une sorte de collerette généralement cannelée, le corps d’ancrage, partie introduite dans l’argile du poêle qui permet la diffusion de la chaleur. Les carreaux étaient parfois séparés les uns des autres par des couvre‑joints, décorés ou non.
Les éléments de poêle du xve au xviie s.
87Dans le quartier du bourg Saint‑Martin, les premiers témoins des poêles en céramique proviennent de niveaux datés du xve s. ; il s’agit alors non plus de simples poêles à gobelets, mais de poêles associant pots et carreaux. Le mobilier de cette époque a été trouvé dans des niveaux d’occupation et de remblais, ce qui explique la grande fragmentation des objets et la petite quantité d’éléments découverts. On dénombre cinq pots de poêle, quatre carreaux, une frise et une corniche. Les pots de poêle sont généralement confectionnés dans une argile fine ou semi‑grossière cuite en atmosphère oxydante, mode de cuisson rendant les pâtes roses ou orange ; ces gobelets, même fragmentaires, se reconnaissent aux cannelures qui marquent leur panse. Trois des cinq exemplaires sont cuits sans autre ajout, les deux autres pots étant recouverts à l’intérieur de glaçure verte, parfois posée sur un engobe blanc. Les carreaux de poêle, eux, sont toujours glaçurés, soulignant leur caractère décoratif. Leur pâte orange contient de nombreuses inclusions ; l’engobe blanc, posé sur l’objet cru, permet d’obtenir une glaçure vert clair à vert vif. Ces carreaux semblent tous porter un décor moulé ; toutefois, l’état fragmentaire des objets ne permet pas une grande description. Sur l’un d’eux, cependant, on aperçoit un morceau de décor végétal et le début de quelques lettres, motif qui peut être comparé à un carreau trouvé dans un comblement du xviie s. Deux autres éléments en céramique glaçurée sur engobe complètent ce petit ensemble, un fragment de frise de poêle décorée de fleurs de lis et un morceau de corniche.
88Le dépotoir du xvie s. recelait trois carreaux de poêle et un couvre‑joint, portant tous une glaçure verte posée directement sur l’argile (fig. 49). Deux carreaux sont archéologiquement complets, le premier carré (176 x 176 mm), l’autre presque carré (165 x 162 mm). Ils mesurent de 81 à 88 mm d’épaisseur. Les décors moulés représentent soit des motifs géométriques associés à des décors floraux, soit uniquement des motifs floraux stylisés (fig. 49, no 1). Le couvre‑joint glaçuré est torsadé (fig. 49, no 2).

FIG. 49 – Céramique de poêle : carreau et couvre‑joint de la seconde moitié du XVIe s. (1, 2), carreau et pot du XVIIe s. (3, 4). 1 US 544, inv. 1361 ; 2 US 544, inv. 1367 ; 3 US 238, inv. 785 ; 4 US 238, inv. 798 ou 990 ou 991
dessin Claudine Munier, Jean Gelot/Afan
89Le dépotoir du xviie s. a fourni le plus grand nombre d’éléments de poêle, avec dix‑sept carreaux, sept corniches et trois pots. Tous les carreaux portent une glaçure appliquée sur un engobe blanc et des décors en relief. Sept portent un motif central encadré par une arcade, composée des deux pilastres rectangulaires soutenant une voûte surbaissée. Le corps des pilastres présente un décor d’ocelles, la base et le chapiteau une fleur stylisée à six pétales. Des lions occupent les écoinçons, séparés par une figure humaine (ou un masque). Ce type d’encadrement « en niche » est courant à Montbéliard, avec des colonnes diversement décorées, zoomorphes ou très stylisées, où il forme des séries dont seul le motif central varie ; on trouve ainsi des carreaux de poêle décorés de personnages de l’ancien ou du nouveau Testament, d’allégories symbolisant les mois de l’année ou les sept péchés capitaux, comme ceux découverts dans la cour du château de la ville (Goëtz 1995 : 182‑201). Les exemplaires du quartier de Velotte sont plus fragmentaires, et seul un motif central nous est parvenu (fig. 49, no 3) : une femme assise dans un fauteuil joue d’un petit orgue, un ange placé derrière l’instrument semble l’écouter ou l’accompagner. Les autres exemplaires de cet ensemble sont décorés de motifs végétaux stylisés, parfois associés à des décors géométriques. Les sept fragments de corniches glaçurés sur engobe blanc ont été confectionnés dans une argile à texture fine ou semi‑grossière. Assez exceptionnelle est la présence de trois pots de poêle, dont deux recouverts de glaçure. L’un des pots est dit en forme de « mitre », car, à la différence des autres, il est fermé du côté de sa plus grande largeur (fig. 49, no 4).
Les couvre feux
90fig. 50
91Ces objets en forme de grands couvercles, parfois munis d’une anse sur le dessus, servent à couvrir le feu pour conserver les cendres chaudes et permettre de relancer le feu plus facilement. Dans le quartier Saint‑Martin, les couvre‑feux ne paraissent pas avoir été utilisés au‑delà du xve s. En effet, parmi les exemplaires provenant du site, deux sont datés des xiiie‑xive s., cinq du xve s. Réalisés dans une argile grossière contenant un gros dégraissant coquillé, ils présentent des traces de feu sur l’intérieur et l’extérieur. Un seul couvre‑feu a été cuit en mode B (cuisson réductrice, post‑cuisson réductrice), les autres étant en céramique commune claire à pâte orange ou beige. Leurs diamètres sont compris entre 140 et 350 mm. D’autres exemplaires des xiiie‑xive s. sont par ailleurs connus à Montbéliard, et leur diamètre peut atteindre 600 mm (Fuhrer, Tchirakadzé 1995 : 64). De petits orifices parfois percés dans la paroi permettent de maintenir un léger tirage, évitant ainsi que les braises ne s’éteignent.

FIG. 50 – Restitution d’un couvre‑feu en céramique.
dessin Jean Gelot/Afan
3.2.5.2 Deux cent vingt‑huit clous et un piton
92é.f.
Les clous
93fig. 51
94La destination des clous peut parfois être précisée à partir des dimensions de leur tige et de leur tête, de la section de la tige ou de la forme de la tête. Les clous déterminables sont, pour l’ensemble étudié, sans tête ou à tête non démarquée de la tige (33 ex.), à tête triangulaire en crochet (70 ex.), à tête circulaire (25 ex.), quadrangulaire (14 ex.), à ailettes (15 ex.), en « clé de violon » (11 ex.), pyramidale (1 ex.). Cinquante‑neuf clous ont une tête cassée ou indéterminée. La récupération et le recyclage ont sans doute fait disparaître un nombre non négligeable de clous et justifient leur représentativité réduite. 30 % de ces 228 clous proviennent des dépotoirs.

FIG. 51 – Clous en fer. 1‑3 sans tête ; 4‑6 à tête non démarquée de la tige ; 7‑9 à tête triangulaire à crochet ; 10‑15 à tête de section circulaire ; 16‑18 à tête de section quadrangulaire ; 19‑21 à tête à ailettes ; 22‑24 à tête en clé de violon ; 25 à tête pyramidale.
dessin Élisabeth Fuhrer/Afan
Clous sans tête
95fig. 51, nos 1‑3
96La tige est simplement terminée par un bord droit ou biseauté, de section quadrangulaire. La largeur se réduit progressivement en direction de la pointe. Les exemplaires à section de plus de 6 mm sont comparables à des clous encore utilisés pour des moulures de plafonds et des corniches situées au‑dessus des chambranles de portes. Il est très probable qu’ils aient aussi servi à fixer des bardeaux*. Les exemplaires de section plus réduite ont été observés sur des boiseries.
Clous à tête non démarquée de la tige (absence de collet)
97fig. 51, nos 4‑6
98Ces clous présentent un élargissement plus ou moins net ayant un rôle de tête située dans le prolongement de la tige, sans collet. Ces têtes sont larges à section carrée sur des clous de moyenne et grande dimensions. Un exemplaire, issu du dépotoir comblé dans la seconde moitié du xvie s., présente une pointe refendue en deux parties rabattues. Les tiges ont toutes une section quadrangulaire.
Clous à tête triangulaire en crochet
99fig. 51, nos 7‑9
100Ils sont caractérisés par une tête triangulaire plus ou moins aplatie, mais dans tous les cas démarquée uniquement sur un côté, formant un crochet. La tête est parfois large et longue, mais le plus souvent elle reste modeste dans ses dimensions, sur une tige de section carrée. Les clous sont de taille petite ou moyenne. Une variante est matérialisée par quelques exemplaires de petite taille (environ 40 mm) dont la tête triangulaire est déportée sur un côté : le crochet est décentré.
101Ce type de clou a été observé en menuiserie pour fixer les planchers, les boiseries, les huisseries au bâti, les moulures de plafond, les lattis. Leur conformation semble les destiner à la fixation des lattes à tuiles. Les clous à tête décentrée sont peut‑être réservés aux essaules*. Les essaules, sortes de tuiles en bois, pouvaient être fixées sur les toitures ou sur les façades des bâtiments publics ou privés.
Clous à tête de section circulaire
102fig. 51, nos 10-15
103Les têtes circulaires sont soit aplaties, soit hémisphériques. Dans ce dernier cas, il s’agit de clous à tête à bossette, qui dans des dimensions moyennes ou grandes ont un rôle pratique et décoratif. Un exemplaire de 53 mm a pu servir à fixer une ferrure décorative sur un battant de porte de bâtiment ou de meuble. Sa tête fait partie intégrante du décor. Il est recourbé à 27 mm, ce qui indique approximativement l’épaisseur du bois sur lequel il était posé. Des mesures effectuées sur d’autres clous repliés et sur des portes anciennes donnent fréquemment cette dimension.
104Quelques clous plus fins, ayant une tête circulaire et plate d’un diamètre variant entre 7 et 11 mm, ont peut‑être servi à fixer une serrure sur une porte de meuble. Dans un format plus grand (80 mm de long, 12 mm de diamètre de la tête), ils peuvent être utilisés pour des planchers, des huisseries, des bardeaux, des lattis, des ferrures de portes et de fenêtres. Ils ont également pu maintenir des lattes à tuiles. Ce type de clous est caractérisé par une tige à section quadrangulaire, parfois circulaire.
Clous à tête de section quadrangulaire
105fig. 51, nos 16‑18
106Contrairement aux clous décrits plus haut dont la tête, également de section quadrangulaire, ne présente pas de rupture avec la tige, ces exemplaires portent une tête aplatie épaisse et bien nettement détachée de la tige. Les grands clous étaient sans doute utilisés pour maintenir des planchers. Des clous plus petits sont susceptibles de fixer toute sorte d’éléments (ferrures de portes, huisseries...). L’exemplaire no 16 a très vraisemblablement été utilisé sur un fer à cheval, dans la mesure où la forme de sa tête s’adapte à une étampure.
Clous à tête à ailettes
107fig. 51, nos 19‑21
108Ces clous ont tous une section quadrangulaire inférieure ou égale à 6 x 6 mm. La taille de leur tête en forme de huit allongé atteint 12 à 16 mm. Des clous de ce type sont encore visibles sur des boiseries et des planchers où ils sont associés, surtout au xviiie s., à des clous à tête triangulaire en crochet. Dans le Jura, ils fixent les essaules (Jeannin 1993 : 39).
Clous à tête « en clé de violon »
109fig. 51, nos 22‑24
110Ils présentent une tête de forme hémisphérique mais de section rectangulaire. Ils ont pu être employés pour la fixation de ferrure d’huisserie ou de meuble. La tige est toujours de section quadrangulaire.
Clou à tête pyramidale
111fig. 51, no 25
112La tête est fine et angulaire, présentant quatre faces peu proéminentes. Ce type de clou est utilisé en ferronnerie pour le maintien et la décoration d’éléments de portes ou de fenêtres.
113Quelques clous ont des domaines d’utilisation plus restreints par rapport à d’autres très polyvalents et sans destination précise. Dans certains cas, l’utilisation de ces objets est tributaire des traditions. Ainsi, à l’exemple des clous à essaules, les formes varient pour un emploi idendque dans deux régions géographiquement proches (Jura et pays de Montbéliard) mais d’influence culturelle différente.
114Dans les ensembles clos, en particulier le dépotoir du xvie s. (27 clous) et celui du xviie s. (40 clous), les clous à tête triangulaire en crochet sont les plus nombreux, par rapport aux autres types (sans tête, à tête circulaire, carrée, en clé de violon, à ailettes).
Le piton
115fig. 52
116Un piton à vis, qui provient du dépotoir daté du xviie s., est terminé par un anneau à section quadrangulaire. La vis a été réalisée au cours du forgeage.

FIG. 52 ‑ Piton à vis en fer. Dim. en mm : L act. 75, L. restit. 76, I. anneau 27, diam. Vis 5 à 8, sect. anneau 5 x 3. (US 268, inv. 3041).
dessin Jean Gelot/Afan
3.2.5.3 Serrurerie et huisserie
117c.g., é.f.
Les clés*
118Toutes les clés découvertes à Montbéliard/Velotte sont des clés à panneton qui fonctionnent par rotation. Sur les treize clés trouvées sur le site (fig. 53), dix proviennent des dépotoirs. Seules deux clés possèdent une tige de section quadrangulaire, les autres ont toutes une tige cylindrique. Les tiges pleines (clés bénardes) concernent quatre exemplaires, dont les deux clés à tige de section quadrangulaire. Les neuf autres clés ont des tiges creuses (clés forées). Les pannetons sont généralement rectangulaires à section plate ; toutefois, une clé datée de la seconde moitié du xvie s. présente un panneton à museau évasé (fig. 53, no 7).

FIG. 53 – Clés en fer. 1‑7 clés du trousseau, seconde moitié du XVIe s. ; 8 clé isolée du trousseau, seconde moitié du XVIe s. ; 9, 10 clés du XIVe s. (?) ; 11, 12 clés des XVIe/XVIIe s. ; 13 clé du début du XVIIe s. Dim. En mm. 1 clé bénarde de coffret. L. 62, sect. 4. Anneau en forme de pique. (US 544, inv. 3276) ; 2 clé forée. L. 82, sect. 8, anneau ovale à pointe 27. (US 544, inv. 3271) ; 3 clé forée. L. 75, sect. 7, anneau ovale à pointe 32. (US 544, inv. 3270) ; 4 clé forée. L. act. 56, sect. 8, anneau ovale à pointe 28. (US 544, inv. 3274) ; 5 clé forée. L. 80, sect. 7,5, anneau ovale à pointe 26. (US 544, inv. 3272) ; 6 clé forée. I. 78, sect. 6, anneau ovale à pointe 28. (US 544, inv. 3275) ; 7 clé forée. L. 86, sect. 7,5, anneau ovale à pointe 30. (US 544, inv. 3273) ; 8 clé forée. L. act. 69, diam. Tige 8,5. (US 544, inv. 3164) ; 9 clé bénarde. L. 90, sect. 6,5. Anneau en losange. XIVe s. (US 742, inv. 3479) ; 10 clé bénarde. L. 86, sect. 8. Anneau en losange. (US 966/981, inv. 3695) ; 11 clé bénarde. L. 67, sect. 8, anneau ovale 27 x 18, sect. 5,5 x 3. Panneton très oxydé. (US 930, inv. 3681) ; 12 clé forée. L. 70, sect. 9, anneau à pointe diam. 36,5. (US 294, inv. 3078) ; 13 clé forée. L. act. 96, sect. 10,5, anneau ovale à pointe L. 46. (US 254, inv. 3017).
dessin Jean Gelot, Élisabeth Fuhrer/Afan
Les clés et le trousseau du dépotoir du xvie s.
119Le comblement de la fosse des latrines transformée en dépotoir dans la seconde moitié du xvie s. contenait huit clés, dont sept appartenant à un trousseau (restauré par le laboratoire de Nancy‑Jarville). Ce dernier est composé d’une chaînette à maillons torses façonnés dans du métal tréfilé (fig. 54). Une des extrémités de la chaînette se termine par un crochet qui sert probablement à accrocher le trousseau à la ceinture. L’autre extrémité est munie d’une pièce ouvrée en forme de balustre qui passait dans un anneau situé à 355 mm du crochet. Le poids des clés tendait la chaînette et empêchait ainsi les clés de glisser. Six des clés sont forées (fig. 53, nos 2 à 7), la septième est bénarde (fig. 53, no 1). Les clés à tiges creuses sont pourvues d’un anneau ovale de section rectangulaire, plus rarement cylindrique, relié à la tige par une bossette. Leur longueur varie de 75 à 86 mm. Les pannetons présentent tous des découpages différents. La clé forée à museau évasé possède un panneton à garnitures simples (fig. 53, no 7). La clé bénarde est de taille nettement inférieure aux autres (fig. 53, no 1). Son anneau, surmonté d’une pointe bifide, est relié à la tige pleine par une rainure verticale. La clé forée, isolée du trousseau, possède un anneau ovale de section rectangulaire et un panneton très simple (no 8). Toutes les clés du xvie s. ont été fabriquées selon la même technique : les différents éléments –anneau, tige, bossette, panneton– sont forgés séparément, puis assemblés par brasure au cuivre.

FIG. 54 – Trousseau de clés. Seconde moitié du XVIe s. Dim. en mm : chaînette L. 785, constituée de maillons aplatis formant une section rectangulaire d’environ 5 x 2. (Restauration au laboratoire d’archéologie des métaux à Nancy‑Jarville). (US 544, inv. 3269).
dessin Jean Gelot/Afan
Les autres clés
120Deux clés bénardes possèdent un anneau losangique (fig. 53, nos 9, 10). La tige pleine se termine par une pointe de section quadrangulaire. La première est en bon état de conservation. Son panneton de petite dimension présente une découpe assez simple de deux dents symétriques, larges et longues. La deuxième est très oxydée et a perdu son panneton. Elle provient de la couche (datée du xvie s.) qui scellait le comblement du dépotoir du xive s. Ce type de clé, forgée d’un seul tenant, est pourtant typique des xiiie‑xive s. Des fouilles de sites régionaux, datés de cette même période, Besançon/rue de Vignier (Guilhot 1990 : 17, no 15) et Rougemont le Château (Walter 1993 : 94, no 30), ont fourni des clés de même modèle.
121La dernière clé bénarde (fig. 53, no 11) présente un anneau ovale de section rectangulaire et une tige de section circulaire. Son panneton est trop oxydé pour être décrit. Elle provient d’un contexte moderne.
122Deux clés forées à panneton brisé possèdent une large bossette hexagonale entre la tige et l’anneau ovale. Elles sont caractérisées par une taille importante (fig. 53, nos 12, 13) et sont datées de la fin xvie‑xviie s. pour la première, du xviie s. pour la seconde.
123La destination précise des clés n’est pas toujours aisée à déterminer. Sur le site, elles sont généralement de petite dimension et leurs longueurs varient de 75 à 78 mm pour les exemplaires complets. Seules deux clés peuvent se voir attribuer une fonction précise. Il s’agit de la petite clé bénarde du trousseau (fig. 53, no 1), qui ouvre vraisemblablement un coffret, et la clé de grande taille (fig. 53, no 13), qui correspond sans doute à une clé de porte. Les autres peuvent convenir indifféremment à des meubles ou à des portes.
Les éléments de serrure
Le palâtre*
124fig. 55
125Il est percé de deux ouvertures allongées, l’une correspondant à l’entrée de la clé, l’autre, à gauche, correspondant à l’auberonnière* rectangulaire qui recevait l’auberon. Ce type de serrure, dit « à moraillon* », est le plus souvent réservé à la fermeture des coffres, mais pouvait parfois être utilisé sur des portes d’entrée. Cinq trous de fixation sont visibles. Si les quatre trous situés aux angles servaient à maintenir le palâtre sur son support (par des brides d’attaches ou par des clous), le cinquième, situé sur le bord droit, correspond peut‑être à une fixation supplémentaire. Les dimensions de l’entrée donnent la taille de l’accueillage de la clé qui n’excédait pas 28 mm. Ce type de serrure ne pouvait être utilisé que d’un seul côté. Ce palâtre, issu d’un niveau de démolition de la maison B, serait daté de la fin du xve s.

FIG. 55 – Palâtre de serrure en fer. Fin XVe s.? Dim. en mm : L. act. 142, I. 136. Percé de cinq ouvertures pour les clous ou les brides, d’une fente pour l’auberon et d’une fente pour la clé. (US 867, inv. 3607).
dessin Élisabeth Fuhrer/Afan
L’auberon en U et le ressort
126fig. 56
127Les pattes de l’auberon portent chacune un trou de fixation. Il pourrait appartenir à une serrure à moraillon. Cette pièce fixée sur le moraillon s’insérait dans l’auberonnière. Il est daté de la seconde moitié du xvie s.
128Une tige courbée de section rectangulaire, datée du début du xviie s., pourrait correspondre à un ressort de serrure.

FIG. 56 – 1 auberon de serrure en U (fer). Seconde moitié du XVIe s. Dim. en mm : L. 16, I. 42, sect. 4. (US 544, inv. 3154) ; 2 ressort de serrure (?) en fer. Début du xviie s. Dim. en mm : L. 83, sect. 6 x 2. (US 254, inv. 3025).
dessin Jean Gelot, Élisabeth Fuhrer/Afan
La ferronnerie
129fig. 57
130Ces éléments en métal, montés sur des huisseries (montants de portes ou de fenêtres) ou sur des meubles, correspondent à des systèmes de rotation ou d’assemblage ; ils sont destinés à assurer la mobilité des ouvrants et à les consolider (Lecoq 1979 : 36 ; Roger 1984 : 100 104).
La charnière
131fig. 57, no 1
132Elle est constituée de deux plaques articulées. Celle qui porte l’axe n’est conservée que sur une partie, l’autre est complète et se termine par une pointe en accolade. La seconde possède une languette qui, insérée dans la première autour de l’axe, permet le mouvement rotatif. Cette charnière est très oxydée et seules quelques empreintes pourraient correspondre à des perforations pour la fixation de clous.

FIG. 57 – 1 charnière de coffre en fer, XVe s. Dim. en mm : L. act. 95, I. 26, ép. 3,5. (US 888, inv. 3643) ; 2 penture ou ferrure en fer, xvie s. Dim. en mm : L. act. 80, I. 34, ép. 4. Percée de deux ouvertures. (US 37, inv. 2830).
dessin Élisabeth Fuhrer/Afan
La branche de ferrure ou de penture
133fig. 57, no 2
134La branche, fragmentaire, correspond à une ferrure ou à une penture, percée de deux trous de fixation (axe médian ?), dont l’un est encore muni de son clou. Sa longueur actuelle de 80 mm suggère son utilisation sur un vantail important, de porte ou de gros meuble. Si la penture permettait l’ouverture d’un vantail en s’adaptant sur un gond (charnière ou vraie penture), elle pouvait également servir de renfort et de décoration à l’assemblage des bois (fausse penture ou ferrure).
3.2.5.4 L’éclairage
135c.g., é.f.
136Une pince à chandelle en fer forgé étamé provient du dépotoir comblé dans la seconde moitié du xvie s. (fig. 58). Elle est constituée d’un plateau en tôle à bord relevé, soudé à deux fers plats rivetés qui forment trois pieds. Ces fers sont soudés au niveau de la fixation de la tige verticale ; cette tige, réalisée dans un fer carré torsadé, est terminée dans sa partie supérieure par un motif décoratif en forme de gland. Aux deux tiers de la tige est soudé un crochet de suspension ou de préhension. À l’opposé, une rallonge fixée par brasure se termine par un collier dans lequel se loge un ressort. Ce ressort, constitué d’un fer plat, est riveté à la base de la tige verticale ; dans sa partie supérieure, une petite patte rivetée aide à manœuvrer le ressort.

FIG. 58 – Pince à chandelle avec porte‑pain de chandelle en fer étamé. Seconde moitié du XVIe s. Dim. En mm : h. 263, I. 9,5. Métal forgé et riveté. (Restauration au laboratoire d’archéologie des métaux, Nancy‑Jarville). (US 544, inv. 3163).
dessin Jean Gelot/Afan
137Cette pince à chandelle pouvait être posée ou suspendue ; son plateau sert de réceptacle au pain de chandelle. La chandelle devait s’enrouler autour de la tige verticale, et son extrémité était maintenue par le ressort à l’intérieur du collier. « Le mot “chandelle” désigne à l’origine une mèche de filasse d’étoupe ou de coton entourée d’une épaisseur plus ou moins grande de graisse animale (suif ou cire) ou de poix ou de résine. » (Arminjon, Blondel 1984 : 428.) Ce type de pince à chandelle est utilisé jusqu’au xixe s. Il est appelé « rat de cave » lorsqu’il est utilisé par les vignerons dans les caves à vin.
3.3 Manger, boire, se soigner
3.3.1 Introduction
138ci. m.
139Quel qu’en soit le matériau, le mobilier retrouvé sur l’ensemble du site est plutôt rare et c’est essentiellement grâce aux dépotoirs que peuvent être appréhendés les objets liés à la vie domestique et en particulier ceux réservés à l’alimentation. La majorité de ces objets concerne des récipients, plus rarement des couverts. Ces artefacts sont associés à des écofacts, résidus alimentaires représentés par les ossements et les macrorestes.
140En ce qui concerne la céramique, les formes, mais surtout le savoir‑faire, vont rapidement évoluer entre le xive et le xve s. vers des techniques qui persisteront jusqu’au xixe s. Le mobilier céramique de Montbéliard est assez différent de celui trouvé dans la région de Besançon, et, tout comme le verre, se rapproche des productions alsaciennes.
141Les verres à boire et les bouteilles en verre semblent en partie produits ou influencés par les ateliers alsaciens et germaniques ; mais seuls les exemplaires issus du dépotoir comblé dans la seconde moitié du xvie s., en nombre suffisant et en relativement bon état de conservation, ont permis de dresser une typologie. On remarque alors l’utilisation parallèle des verres à pied, de technique typiquement xvie s., avec celle des verres à jambe plus élégants qui continueront à se développer au xviie s.
142Le comptage des récipients s’est effectué, dans une même unité stratigraphique, sur les exemplaires complets ou archéologiquement entiers par technique de fabrication, ce nombre étant ensuite pondéré par les fragments caractéristiques d’une forme (lèvres principalement). Le vocabulaire typologique employé ici pour déterminer les différentes fonctions des récipients est extrait de l’ouvrage sur les principes d’analyse scientifique concernant les objets civils et domestiques édité par l’imprimerie nationale en 1984 (Arminjon, Blondel 1984).
143Sur la table, le métal est essentiellement représenté par des couteaux, rarement en bon état, et par un bord de récipient en bronze. Les couteaux ne servaient pas seulement à couper les mets ; ils assuraient également le rôle aujourd’hui dévolu à la fourchette (puisque celle‑ci n’a pas été adoptée avant le xviiie s.) et étaient donc utilisés pour piquer les morceaux coupés et les porter à la bouche.
144Quant au bois, il sert de support à deux types d’ustensiles de table, les écuelles et une cuillère. Les écuelles sont issues d’un niveau du xive s. Il semble qu’en milieu urbain leur importance va progressivement diminuer à partir du xve s., lorsque se développe la production de céramique glaçurée. Les cuillères en bois, en revanche, seront utilisées plus longtemps, avant d’être peu à peu remplacées par des couverts en métal dans les milieux aisés.
145L’alimentation des xive et xvie s. peut être directement appréhendée par l’intermédiaire des résidus retrouvés sur le site. Les restes osseux des diverses variétés d’animaux consommés témoignent du régime alimentaire en vigueur dans un milieu médiéval plutôt rustique et dans un milieu moderne plus aisé. Les vestiges de végétaux, conservés dans les deux dépotoirs à comblement humide, définissent les espèces cueillies par l’homme pour se nourrir ou pour se soigner. Les modes de cuisson et l’hygiène liée à l’alimentation ont pu être précisés grâce à l’analyse des parasites –et donc des maladies– détectés dans les rejets d’origine humaine.
3.3.2 La nourriture : la table et la cuisine
3.3.2.1 Les récipients sur la table
Écuelles et bol en bois du xive s.
146fig. 59
147ci. m.
148Trois récipients monoxyles tournés sont incomplets, fragmentés et déformés, si bien que l’un d’eux n’est pas restituable. Des deux écuelles ne subsiste que le fond, alors que le bol ne possède plus que son bord.

FIG. 59 – Vaisselle de bois. Première moitié du XIVe s. Dim. En mm. 1 écuelle en érable sycomore. H. act. 67, diam. fond 80. 3 fragments d’un fond déformé par le comblement. (US 1116, inv. 150) ; 2 bol en orme. H. act. 34, diam. sup. 130. 9 fragments d’un bord. (US 1116, inv. 149).
dessin Claudine Munier, Jean Gelot/Afan
149« Ces pièces sont réalisées dans trois taxons différents, forme pour le bol, l’érable et le peuplier pour les écuelles. Très fragmentée, celle en peuplier est dans un mauvais état de conservation, mais il semble toutefois que les six fragments de peuplier proviennent de la même pièce. Ces trois récipients ont été tournés. Le choix de forme et de l’érable est assez courant pour les pièces tournées ou sculptées devant avoir une certaine dureté. Par contre, la pièce en peuplier devait être d’une résistance bien inférieure. Il n’a pas été observé de tissu ligneux présentant des déformations : les trois pièces ont donc été réalisées dans le tronc ou dans une grosse branche de l’arbre et non pas dans une loupe. Le tournage s’est fait sur un quartier, de façon à limiter le retrait des rayons. C’est cependant le long de ces rayons, assez larges chez l’orme et l’érable, que les écuelles ont cédé. » (O. Girardclos, laboratoire de Chrono‑Écologie, Besançon.)
150Les écuelles, les assiettes ou les bols en bois sont d’un usage très courant au Moyen Âge. Lorsqu’ils sont utilisés parallèlement aux tranchoirs (supports plats en bois, en métal, en céramique, ou simple tranche de pain qui accueillent les mets solides) ces récipients servent essentiellement à contenir des mets liquides. Divers sites archéologiques datés du xie s. au xive s. en ont livré un bon échantillonnage : Charavines (Mille et al. 1993 : 238‑241), Strasbourg (Burnouf, Ricb 1987 : 7577, 7578 ; Vivre au Moyen Âge 1990 : 104), Beauvais (Dietrich 1994 : 62), Besançon (Munier 1990 : 62‑64), Belfort (inédit), Montpellier (Rey Delqué 1992 : 200 ; Vingt années de dons 1988 : 26‑29), Montauban et Aurignac (Archéologie en Midi‑Pyrénées 1990 : 143, 186). Les bois utilisés sont très divers : érable, frêne, aulne, peuplier, hêtre, buis, chêne, noyer ou bouleau.
151Ces récipients perdurent au moins jusqu’au xvie s. Les sites archéologiques de la rue de Vignier à Besançon (Guilhot et al. 1987‑1988), de la rue du Grand Cerf à Meaux (Meaux 1992 : 50, 160), de la place des Terreaux à Lyon (Arlaud 1994) et surtout de l’ancien Hôtel‑Dieu de Tours (Mille 1996) comptent parmi les exemples de découvertes de récipients en bois datés de la période moderne. En milieu urbain, l’emploi des écuelles en bois semble régresser au xviie s., à partir du moment où les assiettes en céramique glaçurée puis en faïence gagnent toutes les tables.
152Dans l’introduction rédigée en 1879 pour la réédition du Livre des métiers d’Étienne Boileau, qui inventorie les métiers et les corporations de la ville de Paris au xiiie s., René de Lespinasse et François Bonnardot (1879 : XC) notent que « les écuelliers répondaient à peu près à nos tourneurs sur bois. Leur commerce devait être très étendu, parce que, dans le peuple, on se servait beaucoup de vaisselle de bois, en raison de sa solidité et de son bon marché ». Pourtant, ils précisent que « les ouvriers qui s’occupaient de cette fabrication, dédaignés par les grandes communautés qui travaillaient pour la haute classe, se trouvèrent à peine assez nombreux pour présenter les statuts à Étienne Boileau ».
Coupelles en céramique
153fig. 60
154c.g.
155La céramique de table n’est représentée que dans le dépotoir le plus récent (F 7 daté du xviie s.) et par un nombre de récipients très réduit. Il s’agit de six coupelles en céramique claire glaçurées à l’intérieur. Ces petites formes, dont l’exemplaire archéologiquement complet permet de connaître la hauteur moyenne (35 mm), ont un diamètre qui varie de 70 à 100 mm. Il pourrait s’agir de salières.

FIG. 60 – Coupelles en céramique. Début du XVIIe s. Dim. En mm. 1 (US 238). H. 51, diam. 48 ; 2 (US 238). H. 27, diam. 51 ; 3 (US 55). H. 15, diam. 36 ; 4 (US 248). H. 22,5, diam. 27.
dessin Claudine Munier, Sylvie Cantrelle/Afan
3.3.2.2 Les récipients pour préparer et pour conserver
156c.g.
157Les terrines et un pot de stockage permettant de préparer ou de conserver les aliments se rencontrent dans les dépotoirs les plus récents.
Terrines en terre cuite
158fig. 61
159Récipients à large ouverture et à bord évasé, comportant ou non des anses verticales, les terrines sont confectionnées dans une argile fine de couleur beige pour les trois exemplaires de la seconde moitié du xvie s. (US 544), dans une argile fine ou semi‑grossière de couleur beige ou crème, plus rarement rouge ou orange pour les vingt‑quatre du lot daté du xviie s. (F 7). Toutes présentent une glaçure verte couvrant l’intérieur et la lèvre, lèvre parfois décorée de motifs digités. De rares exemplaires du xviie s. portent des traces de feu sur la panse, suggérant que ces terrines pouvaient à l’occasion servir à réchauffer des aliments.

FIG. 61 – Terrines en céramique. Dim. En mm. 1 (US 544). Sec. moitié du XVIe s. H. 105, diam. 102 ; 2 (US 544). Sec. moitié du XVIe s. H. 198, diam. 132 ; 3 (US 238). Début XVIIe s. H. 97,5, diam. 135 ; 4 (US 267). Début XVIIe s. H. act. 105, diam. 135.
dessin Claudine Munier, Sylvie Cantrelle/Afan
Pot de stockage
160fig. 62
161Une seule forme céramique peut être interprétée avec certitude comme pot de stockage. Il s’agit de l’exemplaire trouvé dans le dépotoir du xvie s. qui présente par ailleurs des traces de feu sur la panse. Réalisée dans une argile fine de couleur beige, sa glaçure verte intérieure permettait effectivement de l’utiliser pour cuire des aliments, bien que ce ne soit pas là sa fonction initiale ; l’absence de traces de feu sur le fond du récipient pourrait suggérer une cuisson au bain‑marie pour réchauffer des aliments. Disposé dans un autre récipient posé dans le foyer et contenant de l’eau, les flammes auraient léché la panse du pot à conserves, épargnant le fond.

FIG. 62 – Pot de stockage en céramique. Seconde moitié du XVIe s. Dim. En mm : h. 162, diam. 72 (US 544).
dessin Claudine Munier, Sylvie Cantrelle/Afan
3.3.2.3 Les récipients de cuisson
162c.g.
Pots à cuire
163fig. 63
164Les pots à cuire en céramique prédominent largement dans les dépotoirs. Du xive s. aux xvie‑xviie s., leur technique de fabrication se modifie, passant d’une cuisson en mode B* pour les exemplaires les plus anciens à une cuisson en mode A* pour les plus récents et d’une céramique non glaçurée à une céramique couverte intérieurement de glaçure verte, évoquant un changement dans les pratiques culinaires (cuisson dans l’eau pour les pots du xive s., possibilité de cuisson dans la graisse pour les autres). De plus, la forme même des récipients change ; aux pots à panse globulaire (dépourvus d’anse ?), fond lenticulaire et ouverture resserrée du xive s. se substituent des récipients à une anse, à panse fuselée et portés sur trois pieds.

FIG. 63 – Pots à cuire en céramique. Début du XIVe s. (1), seconde moitié du XVIe s. (2‑5) et début du XVIIe s. (6). Dim. En mm. 1 H. 255, diam. 162 (US 1116) ; 2 H. 267, diam. 216 (US 544) ; 3 H. 240, diam. 180 (US 544) ; 4 H. 165, diam. 132 (US 544) ; 5 H. 207, diam. 174 (US 544) ; 6 H. 237, diam. 174 (US 267).
dessin Claudine Munier, Corinne Goy/Afan
165Deux des trois récipients provenant du comblement du xive s., façonnés dans une argile grise contenant un gros dégraissant, présentent une surface lissée (fig. 63, no 1). Le troisième à pâte fine grise est décoré de deux filets rapportés sur la panse.
166Parmi les neuf pots à cuire du xvie s., les exemplaires archéologiquement complets ont des dimensions comprises entre 157 et 250 mm (fig. 63, nos 2‑5). Ils présentent une pâte fine ou semi fine et des traces de feu sur la panse. Un seul n’a visiblement jamais été utilisé pour la cuisson des aliments car sa panse n’est marquée d’aucune trace d’utilisation ; il pourrait s’agir soit d’un pot dont l’usage primitif a été détourné (pot à cuire utilisé pour le stockage des aliments, par exemple), soit d’un récipient brisé avant d’avoir servi.
167Les quatre‑vingt‑huit récipients de cuisson du xviie s. sont confectionnés dans une argile à texture fine, parfois grossière pour une minorité, dont la coloration varie du crème au rouge en passant par l’orange ou le rose. Aucun de ces pots n’étant entier, leur hauteur n’est pas connue ; leur diamètre à l’ouverture est compris entre 140 et 220 mm, avec une majorité à 150 mm (fig. 63, no 6).
Poêlons
168fig. 64
169Un unique poêlon provient de l’ensemble du xvie s. (fig. 64, no 1). Il s’agit d’un exemplaire en céramique glaçurée à pâte beige‑orangé fine, dont le profil anguleux n’est pas sans rappeler les exemplaires métalliques. Les traces de feu très marquées, présentes sur l’intégralité de la panse et du fond à l’exception du manche creux cylindrique, indiquent que le récipient était posé à la périphérie du foyer, le manche dirigé vers l’extérieur.

FIG. 64 – Poêlons en céramique. Seconde moitié du XVIe s. (1) et début du XVIIe s. (2‑4). Dim. En mm. 1 H. 150, diam. 186 (US 554) ; 2 H. act. 72, diam. 144 (US 267) ; 3 H. act. 96, diam. 228 (US 238/247) ; 4 H. 90, diam. 222 (US 257).
dessin Claudine Munier, Corinne Goy/Afan
170Aucune forme complète de poêlon n’est représentée dans le dépotoir du xviie s. (fig. 64, nos 2‑4). Il s’agit toutefois de récipients d’assez grande taille si l’on considère leur diamètre d’ouverture variant de 110 à 170 mm. Ils sont couverts de glaçure verte sur la paroi intérieure et des traces de feu marquent toutes les panses. Ils devaient comporter à l’origine, comme les pots à cuire, un fond surélevé de trois pieds.
Couvercles
171fig. 65
172Parmi les quatre couvercles en céramique commune claire du xvie s., un seul présente des traces de feu... sur le bouton de préhension, ce qui semble assez incongru.

FIG. 65 – Couvercles en céramique. Seconde moitié du XVIe s. (1) et début du XVIIe s. (2‑5). Dim. En mm. 1 H. 51, diam. 144 (US 554) ; 2 H. 48, diam. 111 (US 236) ; 3 H. 45, diam. 114 (US 238) ; 4 H. 51, diam. 126 (US 871) ; 5 H. act. 63, diam. act. 156 (US 238).
dessin Claudine Munier, Corinne Goy/Afan
173Les trente‑quatre couvercles datés du xviie s., tous fabriqués en céramique commune claire à l’exception de deux exemplaires, présentent une pâte généralement semi‑grossière, plus rarement fine, de couleur blanche, rose, orangée ou rouge. Si aucun exemplaire n’est complet, de rares couvercles conservent encore un bouton de préhension, jamais d’anse.
Lèchefrite et réchaud
174Les autres récipients culinaires proviennent du dépotoir le plus récent. Très fragmentaire, la lèchefrite est représentée par un élément de bord et de fond (h. act. 74 mm).
175Couverte sur l’intérieur d’une glaçure verte irisée, elle comportait des pieds et au moins une anse. Le réchaud, quant à lui, n’est représenté que par six fragments de fond et de bord à glaçure intérieure vert‑jaune.
3.3.2.4 Les couverts
Cuillère en bois du xvie s.
176ci. m.
177Une cuillère provenant du dépotoir comblé à la fin du xvie s. possède un cuilleron assez creux, quasiment circulaire, et un manche de très courte dimension, aligné dans le prolongement du cuilleron (fig. 66). L’extrémité de ce manche ne présente pas de signe de cassure, mais plutôt des traces de taille ; si cet objet a été brisé, il semble qu’il ait immédiatement été retaillé pour en prolonger l’utilisation. Ce phénomène de récupération n’est pas rare, même si l’objet ainsi réduit à sa plus stricte définition nous paraît d’un usage peu commode. Cette cuillère pouvait, selon une autre hypothèse, être munie d’un manche en métal. Au musée historique de Bâle, certaines cuillères en bois présentent de très courts manches, manifestement non fragmentaires. À Charavines, quelques manches de cuillères ont volontairement été raccourcis à la suite de cassures (Mille et al. 1993 : 245).

FIG. 66 – Cuillère en buis commun. Seconde moitié du XVIe s. Dim. En mm : L. 112, I. 55,5, ép. 3 à 5, diam. manche 10. Tournée, cuilleron circulaire et manche retaillé après cassure (US 544, inv. 65).
dessin Jean Gelot/Afan
178« La cuillère de Montbéliard Velotte a été sculptée dans du buis, bois dur, dense et homogène, très souvent sculpté ou tourné. Le buis peut se rencontrer à Montbéliard sur des sols riches en minéraux assez secs, en exposition chaude. » (O. Girardclos, laboratoire de Chrono‑Écologie, Besançon.) Cette essence est couramment choisie, au Moyen Âge et à l’Époque moderne, pour réaliser de tels objets. Quelles que soient les régions, les exemplaires découverts sont majoritairement en buis. Les cuillères sont en effet des objets régulièrement exhumés des gisements archéologiques, à Charavines –où leurs dimensions induisent au moins quatre fonctions possibles : cuillères de table, à ragoût, à sang, cuillère d’enfant– (Mille et al. 1993 : 244‑245) et à Strasbourg pour le xie s., à Belfort (inédit), à Montpellier pour le xive s. (Re Delqué 1992 : 200‑201 ; Vingt années de dons 1988 : 28), à Besançon (Munier 1990 : 63), à Meaux (Meaux 1992 : 50, 160), à Lyon (Arlaud 1994) et à Tours (Mille 1996 : pl. 3, no 14) pour le xvie s.
179Une miniature d’un manuscrit espagnol du xive s. montre un artisan taillant une cuillère ; à sa droite se trouve la matière première, des planchettes, et à sa gauche le produit fini, des cuillères stockées dans un grand récipient plat (Blum 1982 : 30). Mais la figuration de cuillères dans l’iconographie médiévale et moderne rappelle essentiellement leurs fonctions : sur la table, elles étaient utilisées pour le service et la consommation des aliments liquides ou semi‑liquides, certains aliments solides, la viande en particulier, étant directement saisis entre les doigts ou à la pointe d’un couteau. En cuisine, elles servaient à incorporer et à mélanger les différents composants d’un plat.
180Contrairement à la cuillère en bois qui est encore en usage dans nos cuisines, les cuillères de table ont été progressivement remplacées, chez ceux qui en avaient les moyens financiers et ce dès la période moderne, par des couverts en métal. D’exceptionnels exemplaires ont été fabriqués en os ou en verre, et parmi les reliques de sainte Colette conservées au couvent des clarisses de Besançon se trouve une cuillère du xve s. en coquillage et en argent, qui aurait appartenu au roi Jacques de Bourbon.
Couteaux en métal
181fig. 67
182c.g., é.f.
183Les couteaux sont assez fragmentaires ; sur les treize retrouvés, huit sont encore munis d’une partie de leur soie, les autres n’étant matérialisés que par des lames plus ou moins complètes. Il s’agit toujours de couteaux à un seul tranchant, à lame de section triangulaire et dos droit. Tous les exemplaires qui portent encore une partie de leur soie possèdent un talon plus ou moins marqué. L’étude typologique permet de distinguer deux catégories de couteaux, ceux à demi‑soie, minoritaires, et ceux à soie traversante. Les cinq couteaux représentés seulement par une partie de leur lame ne rentrent évidemment pas dans cette étude. Trois manches, dont deux ont une attribution incertaine, ont également été étudiés ici.
Couteaux à demi‑soie
184Ces couteaux ont des soies de section rectangulaire. Sur les trois exemplaires qui entrent dans cette categorie, deux sont de petite taille.
185La soie d’un des petits couteaux est relativement large (8 mm à la jonction lame/soie) et se situe dans le prolongement du manche (fig. 67, no 1). Le deuxième couteau de petite dimension présente une soie asymétrique fragmentaire. La largeur de la lame est quasi complète (fig. 67, no 2). Le dernier couteau possède l’intégralité de sa lame à bout arrondi (L. lame 112 mm). La soie, également complète, est très courte (fig. 67, no 3).

FIG. 67 – Couteaux et manches en métal. Dim. En mm. 1 couteau en fer à demi‑soie. Seconde moitié du XVe s. L. act. 95, I. act. 15, ép. 3. (US 867, inv. 3605) ; 2 couteau en fer à demi‑soie. L. act. 77, I. act. 14, ép. 3. (US 894, inv. 3653) ; 3 couteau en fer à demi‑soie. L. 137, I. 16, ép. 2,5. (US 948, inv. 3688) ; 4 couteau en fer à soie traversante. L. act 124, I. act. 21, ép. 3. (US 733, inv. 3475) ; 5 couteau en fer à soie traversante. Seconde moitié du XVe s. L. act. 120, I. 18, ép. 3. (US 891, inv. 3647) ; 6 couteau en fer et bronze doré, à soie traversante. La soie est recouverte d’une mince feuille en bronze doré qui maintient un décor en os incisé. Début du XVIIe s. L. act. 146. ép. de la lame en fer 3,5, ép. du manche en bronze doré 7. (US 238, inv. 2994) ; 7 couteau en fer à soie traversante. Début du XVIIe s. L. act. 138, I. 15, ép. 4. (US 270, inv. 3044) ; 8 couteau en fer. Seconde moitié du XVe s. L. act. 151, I. act. 22, ép. 3,5. (US 867, inv. 3606) ; 9 couteau (?) en bronze doré et fer. L. act. 49, diam. 12. Manche à section hexagonale, extérieur en bronze, intérieur en fer. Début du XVIIe s. (US 254, inv. 3023) ; 10 couteau (?) en bronze et fer. L. act. 43, diam. 12. Manche à section hexagonale, extérieur en bronze, intérieur en fer. Fin XVIe début XVIIe s. (US 34, inv. 2807).
dessin Jean Gelot, Élisabeth Fuhrer/Afan
Couteaux à soie traversante
186Quatre couteaux et les trois manches peuvent être rangés dans cette catégorie. Deux des couteaux ont des soies plates et longues, de section triangulaire, dans le prolongement de la lame. Les deux autres, datés du début du xviie s., sont de conception plus complexe.
187Une lame de couteau, dont l’extrémité est brisée, présente une soie encore percée d’un trou de fixation des semelles (fig. 67, no 4). La soie du deuxième couteau comporte deux trous de fixation avec les rivets encore en place (fig. 67, no 5). Un des couteaux du début du xviie s. a encore une partie de son manche. Il est constitué de deux semelles en bronze doré, serties au manche. Chacune des semelles porte une découpe rectangulaire qui laisse apparaître une plaque en os. Celle‑ci présente un décor incisé de fleur stylisée à quatre pétales au centre (fleur de lis ?), inscrite dans un losange entouré de chevrons (fig. 67, no 6).
188Le manche du deuxième couteau du xviie s. est complet, la lame fragmentaire. La soie, amincie en son centre, se termine par un talon en « S ». C’est sur la partie centrale que venaient se fixer les semelles courtes (L. 34 mm) maintenues par trois rivets encore en place. Ces rivets donnent l’épaisseur des semelles, 3 mm pour la supérieure et 5 mm pour l’inférieure (fig. 67, no 7).
Lames de couteaux
189Cinq lames de couteaux ne comportent plus de soie ou une partie tellement fragmentaire qu’elle ne peut pas être décrite. La majorité de ces lames appartenait à de petits couteaux, à part un exemplaire dont la longueur actuelle de la lame est de 152 mm (fig. 67, no 8).
Manches de couteaux (?)
190Deux manches fragmentaires pourraient appartenir à des couteaux. Il s’agit de pièces hexagonales dont la soie en fer est recouverte d’une tôle de bronze doré (fig. 67, nos 9, 10).
191Un petit objet en os appartient à un fragment de plaque décorative découpée, sans doute destinée à orner le manche d’un couteau (fig. 68). Le motif gravé représente des cornes de cerf. Il provient du dépotoir de la fin du xvie s.

FIG. 68 – Élément décoratif en os de manche de couteau (?). Seconde moitié du XVIe s. Décor gravé de corne de cerf. Dim. en mm : L. act. 22, I. 10, ép. 1,2. Perforation. (US 544, inv. 3751).
dessin Jean Gelot/Afan
Conclusion
192Les couteaux ont été considérés comme des ustensiles liés à l’alimentation, car aucun d’entre eux ne présente les caractéristiques des armes de chasse ou de guerre, ni celles de l’outillage agricole. L’extrémité de la lame des couteaux, conservée uniquement sur quatre exemplaires, montre une majorité de bouts pointus ; seul un couteau est terminé par un bout arrondi.
193Les manches des couteaux étaient élaborés dans un matériau périssable, bois ou os, plus rarement en métal. Deux exemplaires ont conservé leurs semelles, en os dans un cas, en bronze dans l’autre. L’étude des manches de couteaux montre trois techniques d’emmanchement différentes :
– pour les couteaux à demi‑soie, le manche monoxyle était simplement enfoncé sur la soie et pouvait être muni d’une virole ;
– les couteaux à soie traversante requièrent une autre technique. Le manche est constitué de semelles fixées par des rivets de part et d’autre de la soie plate. Le montage du manche dit « à plate semelle » est le plus fréquent (4 ex.). Trois couteaux comportaient des semelles qui couraient sur la totalité de la soie. Ces semelles étaient généralement en os ou bois, exceptionnellement en bronze comme l’illustre le couteau daté du début du xviie s. Le manche est ici constitué de deux semelles en bronze doré, serties à la soie plate (fig. 67, no 6). Le quatrième couteau comportait des semelles courtes, placées au centre du manche ;
– le dernier système de montage se répète sur les deux manches hexagonaux dont la soie en fer, entourée d’une tôle en bronze doré, se terminait vraisemblablement par un bouton. La légère gorge à la jonction lame/manche indique sans doute l’emplacement d’une virole.
194Les couteaux faisaient partie intégrante de la vie médiévale. Sur la table, par exemple, si chaque convive n’avait pas de verre à boire individuel, chacun possédait un couteau.
3.3.2.5 Viandes et poissons : étude de la faune
195b.c.
Les restes animaux découverts dans une fosse du xive s.
196L’ensemble étudié (US 982), daté du xive s., est composé de quatre couches (966, 981, 1115, 1116). La fosse a livré 1 834 restes osseux et dentaires bien conservés, dont 73 % ont été déterminés. La majorité des ossements provient d’une unité stratigraphique (1116), soit 1 718 pièces, dont 1 247 déterminées. Le poids total de l’échantillon est de plus de trois kilos (76 % de déterminés). Le tamisage d’une partie des sédiments de l’US 1116 (160 l a permis de récolter une quantité importante de petits ossements (mailles 2 et 5 mm).
197Le spectre des espèces est assez diversifié : bœuf, porc, mouton, lapin, chat, rat noir, souris, campagnol, coq, canard, pigeon, perdrix, merle ou grive, anguille et cyprinidés (tabl. ii).

TABL. II – a, b Composition des échantillons osseux par unité stratigraphique.
Les mammifères non consommés
198Le lot d’ossements est caractérisé par une grande quantité d’animaux non consommés : la souris, représentée par 36 individus, le rat noir, le campagnol et le chat. Ils proviennent tous de la même couche, US 1116.
199Le chat est un sujet immature et présente sur le crâne (zygomatiques, frontal) des stigmates de découpe indiquant le prélèvement de la peau. Ce type de dépôt n’est pas surprenant. Au Louvre, plusieurs fosses des xive, xve et xviie s. ont livré des ossements de chat qui présentent eux aussi des traces de découpe, témoignant du prélèvement de la peau. Il s’agit aussi, dans ce cas, de jeunes sujets, qui, selon P. Méniel (Méniel, Arbogast 1989 : 405‑466), ont été capturés lors d’une régulation de population. Rue de Lutèce, à Paris, F. Audoin‑Rouzeau (1989) fait des constatations similaires concernant une fosse du xiie s. De plus l’auteur ajoute que l’exploitation de la peau est à peine sensible dans les registres relatifs au commerce des fourrures et fait apparemment l’objet d’un trafic plus occulte. À Besançon, quelques dépôts des xive et xvie s. ont livré des os présentant des traces de dépouillage, d’abattage, de désarticulation et de décarnation. Tous ces individus âgés de moins de douze mois ont semble‑t‑il été consommés (Olive 1990 : 78‑80). Dans le cas de Montbéliard, rien n’atteste une telle pratique.
200La forte proportion de rongeurs, surtout de la souris, est surprenante. Il est nécessaire, dans un cas comme celui‑ci, de connaître l’origine du dépôt. Plusieurs hypothèses peuvent être émises : pelotes de réjections de rapaces nocturnes, reliefs de repas de carnivores, mort accidentelle de rongeurs dans la fosse ou résultat d’une chasse aux nuisibles.
201Selon le cas, l’interprétation de la structure et de son environnement archéologique peut être modifiée. La présence de coprocénoses* de rapaces nocturnes, par exemple, implique un espace au‑dessus de la fosse suffisamment important pour que l’oiseau se perche et régurgite. Pour les autres cas, il s’agit d’un problème d’accessibilité du dépotoir aux rongeurs ou aux carnivores.
La fragmentation et la fréquence des parties du squelette de la souris
202Le pourcentage moyen de fragmentation est de 88,5 % (tabl. iii). Les humérus, les ulnas, et les fémurs sont entiers. Parmi les tibias, les radius et les mandibules, quelques pièces sont abîmées. Les crânes sont pour la plupart entiers (90 %).
US 1116 | |
Mandibule | 97,9 |
Scapula | 63,2 |
Humérus | 100 |
Radius | 93,8 |
Ulna | 100 |
Pelvis | 60,5 |
Fémur | 100 |
Tibia | 92,3 |
TABL. III – Indices de fragmentation des ossements de souris (nombre d’éléments entiers/nombre d’éléments osseux).
203Un tiers des scapulas (36,8 %) et 39,5 % des coxaux sont cassés. Ce résultat traduit une fragmentation plutôt faible qui ne ressemble pas à celle, un peu plus élevée, observée dans les pelotes de réjection de rapaces nocturnes (Dodson, Wexlar 1979 : 234‑275, cité par Vigne 1994).
204L’analyse de la distribution anatomique des os permet de déceler les régions de plus ou moins grande fréquence. Les membres arrières sont assez bien représentés. L’échantillon est, semble‑t‑il, incomplet, le déficit des plus petites pièces résulte probablement de l’emploi d’une maille de tamis trop grosse et de problèmes lors du tri « à vue » des refus de tamis. C’est pour cette raison que seuls les éléments les plus gros ont été pris en compte pour le calcul du pourcentage de représentation moyen (tabl. iv). Celui‑ci est de 54 %. Ce chiffre semble concorder avec les observations réalisées sur les coprocénoses des mêmes rapaces nocturnes (Andrews 1990).
US 1116 | NR | % R |
Crânes | 24 | 66,7 |
Mandibules | 47 | 65,3 |
Maxillaires | 2 | 2,8 |
Scapula | 19 | 26,4 |
Humérus | 28 | 38,9 |
Radius | 16 | 22,2 |
Ulna | 42 | 58,3 |
Pelvis | 43 | 59,7 |
Fémur | 48 | 66,7 |
Tibia | 65 | 90,3 |
Talus | 0 | 0 |
Calcanéum | 1 | 1,4 |
Côtes | 93 | 10,8 |
Vertèbres | 9 | 0,5 |
Sacrum | 0 | 0 |
Incisives | 5 | 3,5 |
Dents Jugales | 4 | 0,9 |
Phalanges | 0 | 0 |
Métapodes | 16 | 2,2 |
TABL. IV – Distribution anatomique des restes de souris exprimée en nombre de restes (NR) et en pourcentage de représentation (% R) (d’ap. Dodson, Wexlar 1979, cités par Vigne 1994).
205Les faits ainsi exposés ne permettent pas de conclure quant à l’origine taphonomique de l’ensemble. Il faut ajouter quelques remarques supplémentaires. En effet, la population de rongeurs est composée pour plus de 98 % de restes de souris (94,7 % du NMI). Le spectre est peu diversifié, voire monospécifique. Il est difficile d’imaginer un rapace nocturne comme la chouette effraie ne chassant qu’une espèce de micromammifère. Même si nous nous trouvons en milieu fortement anthropisé –la fosse se trouve dans la ville à proximité des fortifications– le domaine de chasse de l’oiseau est assez étendu pour qu’il capture d’autres proies. D’autre part, les os appartiennent à la fois à des adultes et à de jeunes individus. Le calcul des indices de survie a pu être biaisé par leur présence (fragilité accrue des os et disparition de certains d’entre eux lors de l’enfouissement, perte d’éléments au tamisage et au tri en raison de leurs plus petites dimensions). C’est pourquoi nous avons tenté de calculer les indices de survie (à titre indicatif) en faisant abstraction des jeunes sujets. Les résultats sont surprenants. Sur les seize adultes comptabilisés, les indices de fréquences dépassent tous 90 %, certains atteignant même 100 % (crânes, mandibules, radius, tibias). Ces différentes observations tendent à montrer qu’il s’agit plutôt d’animaux descendus ou tombés dans la structure pour se nourrir des déchets du dépotoir, voire même jetés après avoir été capturés et tués. À cela s’ajoutent les quelque vingt restes osseux de grands mammifères et de coqs portant des traces de dents de rongeurs.
Les mammifères consommés
206Il s’agit du bœuf, du porc, des caprines et du lapin. Leur nombre restreint et la fragmentation n’ont pas permis d’engager d’études ostéométriques. Néanmoins pour le mouton, quelques os longs entiers ont permis d’estimer des tailles au garrot (coefficient de Teichert 1975) :
– métacarpes : 57,1 – 57,2 – 62,1 ;
– métatarses : 56,1 – 56,6.
207Avec une taille moyenne de 57,8 cm, les moutons de Montbéliard sont aussi grands que ceux des châteaux de l’Aigle et de Pymont (Jura) pour la même période (taille moyenne estimée sur les métapodes : 57 cm, Clavel 1990). La différence observée entre les deux moyennes n’est pas significative (test statistique de Student, TO, O5 = 2,447, ddl = 6). Ces valeurs, comparées à la moyenne européenne, se situent dans le domaine de variation de taille des moutons européens (Audoin‑Rouzeau 1991).
208Le nombre de restes, trop faible, limite aussi l’étude des âges des animaux. Les données sur les caprinés concernent surtout les vertèbres (n = 15). Elles montrent que la majorité des individus (90 %) ne dépassent pas quatre ans, certains indices indiquent même la présence de très jeunes individus. Cette situation signifie qu’il s’agit d’animaux de boucherie. Malheureusement, les données étant trop peu nombreuses, il est difficile de pousser plus loin l’analyse.
209Pour le bœuf, les quelques données (n = 10) font état de la présence de veaux et d’individus âgés de moins de sept ans.
La découpe et la répartition anatomique
210Pour le porc, les seules traces de découpe se situent au niveau des vertèbres et des articulations du genou. Deux fragments de lombaires témoignent de la pratique de la double fente, de part et d’autre des noyaux vertébraux. Les autres stigmates relevés sont dus au couperet pour séparer les pieds du reste des membres. Les os de pieds sont les plus abondants. L’ensemble des ossements de mouton est dominé par les côtes et les vertèbres. Pour cet animal, le rachis est fendu en deux, dans sa longueur (8 vertèbres coupées en deux). Le train de côtes a, semble‑t‑il, été séparé en plusieurs morceaux. Les autres parties portent des traces de décarnation et de dépouillement (nasal et métapode découpés).
211Pour le bœuf les données sont encore plus lacunaires. Les côtes et les fragments de membres dominent le lot. Les rares traces relevées se trouvent sur le fémur et le tibia ; il s’agit d’importantes marques de coups de couperet, au milieu des diaphyses. Le bris de ce type d’os indique une récupération de la moelle.
212Ainsi, les restes osseux appartiennent‑ils en grande partie à des animaux de moins de 3 4 ans. Les pièces de veaux, de porcelets et d’agneaux constituent la majorité de la viande consommée, au détriment de celle de rebut des animaux de réforme. Concernant la découpe, le morcellement poussé de certaines parties (os long de bœuf) témoigne de préparations particulières.
Les oiseaux
213Avec 665 fragments osseux, les oiseaux représentent 32 % du nombre total d’ossements. Le coq domestique est de loin l’espèce la plus abondante (615 restes). La présence du pigeon, du canard, de la caille et des turdidés (merle ou grive) est très discrète (2,3 % du NR oiseaux et 0,8 % du NR total).
214L’excellent état de conservation et l’abondance des ossements entiers de coqs permettent de réaliser une étude biométrique d’ensemble (Clavel et al. 1997). L’examen des diagrammes de dispersion des mesures et des histogrammes de fréquence des indices, sur l’ensemble de l’échantillon (d’après les coefficients de Lepetz 1996), permet de visualiser au moins deux groupes (fig. 69).

FIG. 69 – Diagramme de dispersion des mesures (longueur totale et diamètre transverse de la diaphyse) des tibiotarses de coq.
dessin Benoît Clavel/Afan ; Cravo
215Les valeurs obtenues pour construire l’histogramme ont été calculées en multipliant la longueur totale de chaque os par le facteur multiplicatif lui correspondant. Il existe un coefficient multiplicatif différent par type d’os. L’avantage d’une telle méthode est de pouvoir comparer toutes les valeurs entre elles.
216L’hypothèse du dimorphisme sexuel est la plus plausible. Pour la vérifier, seuls les tarsométatarses (os des bas de pattes) ont été pris en compte. Les indications sexuelles sur cet os sont bien marquées, puisqu’il suffit d’observer la présence éventuelle de l’ergot, caractérisant le mâle. Ainsi le premier pic se rapporte aux poules et les quatre valeurs les plus fortes aux mâles (fig. 70 et 72 a). Il est intéressant de constater que la proportion de tarsométatarses de gélines est quatre fois et demi plus élevée que celle des mâles, proportion qui semble bien plus importante si l’ensemble des os est pris en compte. En supprimant la classe des indices de tailles comprise entre les deux groupes de valeurs, la proportion d’os attribués aux femelles est treize fois plus élevée que celle des mâles. La prédominance des femelles est nette (fig. 71 et 72 a).

FIG. 70 – Diagramme de dispersion des mesures (longueur totale et diamètre transverse de la diaphyse) des tarsométatarses de coq. Ronds blancs : os avec ergot, ronds noirs : os sans ergot.
dessin Benoît Clavel/Afan ; Cravo

FIG. 71 – Histogramme de fréquence des tailles des os de poulets (d’après les facteurs multiplicatifs de s. Lepetz 1996).
dessin Benoît Clavel/Afan ; Cravo

FIG. 72 – a diagramme de fréquence des tailles des tarsométatarses de coq. Les valeurs ont été obtenues en multipliant la longueur totale de l’os par le facteur multiplicatif lui correspondant (en noir : les mâles avec ergot). b distribution anatomique des restes d’ailes de coq, basée sur le nombre minimum d’individus. Fréquence exprimée en NMI.
dessin Benoît Clavel/Afan ; Cravo
217Cette répartition des sexes dans l’échantillon s’apparente à une structure de type poulailler, dans la mesure où l’on dénombre peu de mâles et de nombreuses femelles. Pourquoi ne pas y voir plutôt l’indice trahissant la proximité d’un élevage intra muros ? Les vieilles poules sont mangées, tandis que la majorité des mâles sont commercialisés (notons, au passage, la rareté des restes de jeunes animaux dans l’échantillon : moins de 1 %). Il peut s’agir aussi d’un citadin dont le poulailler est installé ailleurs, voire même en dehors de la ville. Celui‑ci rapportant ses œufs (nombreuses coquilles dans le dépôt) et occasionnellement sa volaille âgée pour la consommer. Dans ces deux cas le propriétaire est un homme de la ville, et l’image déformée que nous avons correspond à celle de la structure d’un poulailler dont on attend surtout une production d’œufs.
La répartition par partie anatomique et la découpe
218Le lot de restes de poulets est représentatif de l’ensemble du squelette. Il n’y a pas de déséquilibre important si ce n’est l’absence ou la sous‑représentation de petits éléments comme les carpes, les phalanges antérieures et postérieures. Il faut invoquer pour cela des pertes lors de la collecte. Mais, sur les 160 l tamisés, l’absence quasi systématique de certains de ces petits os dans les refus de tamis suppose l’existence d’un autre phénomène qui n’est peut‑être pas dû au hasard. La distribution par partie anatomique indique la présence de deux types de rejets : des déchets de préparation culinaire (têtes, pattes) et de rejets de table. Ces données sont confirmées par l’étude de la découpe.
219Les traces relevées se situent, pour les pattes arrières, au niveau de l’articulation entre le tarsométatarse et le tibiotarse. Celles‑ci sont nettes et évoquent la préparation culinaire. Les ailes sont déjointées entre l’ulna et l’humérus. Cette désarticulation, caractérisée par de fines incisions sur les extrémités distales des humérus ou proximales des ulnas, évoque une découpe de table. Dans cette catégorie, figurent les traces de décarnation au niveau des humérus et des fémurs. Ces constatations permettent de mieux caractériser le dépôt archéologique. Nous sommes en présence d’un dépotoir cumulant les déchets de préparations culinaires et d’assiette ; la fonction de fosse de latrines n’est pas certaine. On comprend mieux alors l’absence des petits éléments de poulets qui peuvent avoir été ingérés, et ne se retrouvent donc pas dans le dépôt.
Les poissons
220Sur les 67 fragments osseux de poissons, 54 sont attribuables à l’anguille et un seul à un cyprinidé. Les pièces rachidiennes d’anguilles représentent la majorité du nombre de restes déterminés (55 %). Les éléments crâniens, assez nombreux, ont permis de faire plusieurs évaluations de tailles (Libois et al. 1987). Les estimations des longueurs totales des poissons varient de 24 à 48 cm. Il s’agit là de sujets de tailles assez modestes. Généralement ce poisson est associé, dans les listes de faune, à d’autres espèces. Il est donc intéressant de constater que le choix s’est porté presque exclusivement sur celui‑ci. De nombreux traités culinaires en font mention (Le Ménagier de Paris ou le Tractatus de modo preparandi et condiendi omnia cibaria pour le xive s., par exemple). Cet animal est d’autre part assez répandu et de nombreuses rentes et aumônes, au Moyen Âge, se faisaient en anguilles (Fossier 1968).
221La forte proportion d’animaux non consommés, de déchets de préparations culinaires et de rebuts d’assiettes semble plus caractériser une « poubelle » qu’une fosse d’aisances. La présence de nombreux os brûlés et calcinés (80 % des os de porc, 44 % des os de bœuf et 17 % de ceux des caprinés) témoigne de la vidange de foyers et donc de la fonction de dépotoir.
222Concernant l’alimentation, les caractéristiques essentielles sont la forte proportion de volaille (et de coquilles d’œufs) ainsi que la présence quasi exclusive d’anguilles parmi les poissons.
223L’étude ostéométrique a permis, d’autre part, de jeter un regard nouveau sur les gallinacés, de connaître leur proportion relative et d’aborder les problèmes de leur gestion en ville. Ces indices sont d’autant plus intéressants qu’ils permettront à l’avenir d’aborder plus en détail, sur la base d’un corpus de données plus vaste, les problèmes relatifs à l’approvisionnement de la ville.
Les restes animaux de la fosse des latrines de la seconde moitié du xvie s.
224Cette étude traite des restes osseux issus d’une structure (US 28) dont le comblement (US 544) est daté de la seconde moitié du xvie s. Près de 4 000 vestiges animaux ont été collectés à la main et au tamisage (1,75 m3 de sédiment tamisé sous eau, mailles 2 et 5 mm). Les conditions de conservation des ossements étant remarquables, l’ensemble des petits os a ainsi été préservé. Le nombre d’indéterminés est élevé. Par ailleurs, près de la moitié de ces petits fragments présente une corrosion de surface caractéristique qui peut être attribuée aux sucs digestifs.
225Si l’augmentation du nombre de restes indéterminés est une des conséquences du tamisage intégral (84 % d’indéterminés pour les mammifères, soit un poids moyen de 0,09 g), celui‑ci s’avère indispensable pour la collecte des petits os de jeunes et/ou de petits mammifères (porcelet, écureuil), d’oiseaux, de poissons, d’arthropodes et d’amphibiens. Ce mode de ramassage permet d’étoffer la liste des espèces (tabl. v).

TABL. V – Spectre de la faune (US 544).
226Les restes de mammifères sont majoritaires suivis de ceux d’oiseaux puis de poissons. Tous les restes de mammifères ne proviennent pas d’animaux consommés comme l’atteste la présence d’éléments de la dépouille d’un chiot de moins de trois mois et d’un os de rat noir.
Les mammifères consommés
227Les restes se répartissent entre le porc, le bœuf, les caprinés (mouton, chèvre), le lapin, le lièvre, le cerf et l’écureuil. Le porc, avec 142 restes, est l’espèce la mieux représentée. En poids des restes, plus à même de refléter la proportion relative de viande, elle se situe en troisième position derrière le bœuf et les caprinés.
228La carence en éléments dentaires nous a contraints à utiliser la méthode des stades d’épiphysation des os pour estimer l’âge des animaux consommés (Barone 1976). Il concerne uniquement des sujets abattus avant un an (n = 45). Les rares pièces dentaires du lot (n = 4) indiquent la présence d’un porcelet de moins de deux mois.
229L’étude de la répartition anatomique des fragments osseux de cochon fait apparaître une prédominance des restes de pieds (81 %). Les os des bas de pattes sont presque tous altérés à l’exception de quatre métacarpes. Ils témoignent de la consommation de pieds de porcelets (tabl. vi). Il s’agit d’un cas de figure similaire à celui rencontré lors des fouilles de la cour Napoléon du Louvre (Méniel, Arbogast 1989 : 405‑466). Le dépôt est constitué de reliefs de repas et de petits os qui ont très probablement transité dans un tube digestif. L’hypothèse de restes de repas de canidés est à écarter. Les os concernés par l’attaque gastrique sont très sélectionnés, il s’agit de petits éléments appartenant à des régions anatomiques précises. D’autre part, aucun fragment n’a été croqué par cet animal. L’absence d’éléments évoquant des coprolithes de chien nous incite à penser qu’il s’agit bien ici d’excréments humains.
Espèces | NR | % NR |
Carpes porcelet | 5 | 4,3 |
Métatarses/métacarpes porcelet | 6 | 5,2 |
Ext. dist. de métapodes lat. non soudées | 4 | 3,5 |
Phalanges I porcelet | 3 | 2,6 |
Phalanges II porcelet | 5 | 4,3 |
Phalanges III porcelet | 4 | 3,5 |
Phalanges I latérales | 14 | 12,2 |
Phalanges II latérales | 16 | 13,9 |
Phalanges III latérales | 12 | 10,4 |
Sésamoïdes | 46 | 40 |
Total | 115 | 100 |
TABL. VI – Inventaire des os de pieds de porcs (US 544).
230L’échantillon d’os de bœuf est limité en nombre. Il est cependant possible d’observer un nombre important d’éléments de pieds (34 %). Il en va de même pour les caprinés. Les fragments de bas de pattes représentent 39 % de l’effectif. Cet ensemble est exclusivement constitué de sésamoïdes digérés. Les autres os sont essentiellement des côtes (25,3 %), des éléments de rachis (vertèbres 12,7 %) et de membres (11,4 %).
231Les restes de lagomorphes proviennent principalement de sujets jeunes. L’écureuil, quant à lui, est représenté par au moins trois jeunes individus. Un individu semble avoir été dépouillé, comme l’attestent les traces fines, réparties autour de l’extrémité distale d’un tibia gauche. L’étude de la distribution anatomique fait apparaître un déficit en métacarpes et phalanges (tabl. vii). Cela pourrait être un second indice traduisant le prélèvement de la peau. En dépouillant l’animal, les extrémités des membres peuvent être brisées et séparées du corps tout en restant solidaires de la fourrure ; les pieds peuvent avoir été épargnés si la peau est découpée. Ce schéma de découpe se retrouve sur le lapin (Lepetz 1992 : 167‑171) ou le lièvre (Audoin‑Rouzeau 1983). Les plus petites phalanges sont, malgré le tamisage, absentes et seules les phalanges proximales arrières, les plus volumineuses, figurent dans l’échantillon. La consommation de l’écureuil est probable, un humérus présente sa partie proximale brûlée. Or il est cité dans certains traités culinaires médiévaux comme Le Ménagier de Paris (Le Ménagier... 1846).
NR | % NR | NMI | |
Crâne | 6 | 9,2 | 3 |
Mandibule | 1 | 1,5 | 1 |
Hyoïde | 0 | 0 | – |
Cervicales | 5 | 7,7 | 1 |
Dorsales | 4 | 6,2 | 1 |
Lombaires | 3 | 4,6 | 1 |
Sacrées | 1 | 1,5 | 1 |
Caudales | 0 | 0 | – |
Côtes | 18 | 27,7 | – |
Scapula | 2 | 3,1 | 1 |
Humérus | 2 | 3,1 | 1 |
Radius | 2 | 3,1 | 1 |
Ulna | 2 | 3,1 | 1 |
Carpes | 0 | 0 | – |
Métacarpe | 0 | 0 | – |
Phalanges 1 | 6 | 9,2 | 1 |
Phalanges II | 0 | 0 | – |
Phalanges III | 0 | 0 | – |
Sésamoïdes | 0 | 0 | – |
Coxal | 2 | 3,1 | 1 |
Fémur | 3 | 4,6 | 2 |
Tibia | 1 | 1,5 | 1 |
Fibula | 0 | 0 | – |
Patel la | 0 | 0 | – |
Talus | 2 | 3,1 | 1 |
Calcanéum | 2 | 3,1 | 1 |
Tarses | 0 | 0 | – |
Métatarse | 3 | 4,6 | 1 |
Total | 65 | 100 | 3 |
TABL. VII – Écureuil : distribution anatomique (NR nombre de restes, NMI nombre minimum d’individus) (US 544).
Le coq domestique
232Avec plus de 800 restes osseux, le coq domestique est, parmi les oiseaux, l’espèce la mieux représentée.
233L’étude biométrique est possible, bien que les os longs soient moins nombreux que pour leur homologue du xive s. La particularité de l’ensemble vient de la surreprésentation des petits os.
234L’histogramme de fréquence des indices laisse apparaître, une nouvelle fois, deux groupes. Ces valeurs semblent plus élevées que celles du xive s. Il s’agit peut‑être là d’un accroissement de taille. Pour vérifier cette hypothèse, nous avons calculé la moyenne de chacun des deux ensembles de valeurs (pour le xive s. et le xvie s.). Le test statistique qui permet de comparer la différence de deux moyennes autorise à penser que celle‑ci est significative au seuil de probabilité de 1 % (d = 7,9, sd = 2,15). Cette augmentation paraît donc effective.
Origine et caractérisation du dépôt
235La distribution par partie anatomique des os met en évidence des distorsions intéressantes à signaler. Tous les types d’os sont présents, à l’exception toutefois de quelques phalanges postérieures et antérieures. Les effectifs de certaines catégories surprennent par leur fréquence élevée. Les os des carpes (ulnaire et radial) ainsi que les premières phalanges des doigts 2 et les premières et secondes phalanges des doigts 3 proviennent d’un nombre d’individus plus élevé que celui correspondant aux os longs (fig. 72 b). Les phalanges antérieures distales, de petite taille, sont rares. Ce phénomène peut s’expliquer par les pertes au tamisage et un tri défectueux (à vue sans binoculaire). Au niveau des pieds, on constate un léger déséquilibre entre les phalanges postérieures et les tarsométatarses. Comme pour les ailes, ce phénomène est à mettre sur le compte des pertes au moment de la collecte (fouille et tamisage).
236L’examen des os a permis de déceler des indices supplémentaires pour résoudre le problème. Une majorité de petits os, en surnombre, présente une altération de surface déjà rencontrée sur les pieds de porc et de mouton et qui est caractéristique de la présence de fèces. Cette altération n’affecte pas les phalanges postérieures.
237La nature de cette structure s’apparente à une fosse d’aisances. La différence avec la structure plus ancienne (xive s.) est nette.
Les autres oiseaux
238La dinde est attestée par 14 fragments. Celle‑ci fait son apparition sur les tables de la Renaissance au début du xvie s. La présence de nombreux oiseaux sauvages montre la diversité des espèces consommées. Les rapaces n’échappent pas à la règle. Hiboux moyen duc et chouettes hulottes sont mangés aux côtés des cailles, des perdrix, des grives et de plus petits passereaux.
Les poissons
239Le tamisage a permis la récolte d’un nombre assez élevé de restes de poissons. Sur 368 fragments découverts, 176 ont été déterminés. Quelques éléments (vertèbres, post‑temporaux de salmonidés notamment) semblent avoir subi une attaque par les sucs gastriques semblable à celle déjà décrite sur les os de porcs ou de poulets.
240Près de 86 % des vestiges déterminés appartiennent aux cyprinidés (carpe), 6,7 % aux ésocidés (brochet), 5,5 % aux salmonidés (truite) et 2,2 % aux percidés (perche). Ce sont tous des poissons d’eau douce appartenant à des espèces locales. La carpe est de loin la mieux représentée (43,8 %) suivie du chevaine et du barbeau. Le brochet, la perche et la truite sont présents en moindre proportion. Cette prépondérance de la carpe et des cyprinidés en général a déjà été observée sur d’autres sites à la même période. À la Charité‑sur‑Loire (Audoin‑Rouzeau 1983) et à Orléans (Marinval‑Vigne 1993 : 473‑490), au xvie s. « la carpe fait son apparition et se place au premier rang de la consommation avec 50 % des restes ». Au Louvre également, à partir du milieu du xve s., deux espèces deviennent prédominantes, la morue et la carpe (Desse, Desse Berset 1992 : 119‑130). Ce phénomène traduit le développement intensif de la carpiculture à partir du xve s. (Gislain 1984, cité par Desse, Desse‑Berset 1992 : 119‑130).
241Les cyprinidés sont représentés par de nombreuses pièces crâniennes et par des vertèbres. Ils arrivent entiers sur le site. On notera l’absence de l’anguille, présente, en revanche, dans la fosse du xive s.
Conclusion
242Le tamisage d’une importante partie des sédiments a permis la récolte de nombreux petits ossements appartenant à un grand nombre d’espèces. L’originalité de cet ensemble réside dans l’abondance des os digérés. Il s’agit d’os de pieds de porcs, de moutons, d’éléments d’ailes d’oiseaux et pour les poissons, surtout de vertèbres. La fonction de fosse d’aisances ne fait pas de doute. Les rejets culinaires ne sont pas pour autant absents du dépôt. Ils sont caractérisés, pour le mouton et le bœuf, par des côtes et quelques éléments des membres. Parmi ces déchets figure un animal assez rarement consommé. Il s’agit de l’écureuil, préalablement dépouillé. Les oiseaux sauvages sont de toutes sortes. L’appétit du citadin de la Renaissance n’a pas de limite, du plus petit passereau (verdier) jusqu’aux rapaces nocturnes, tout est bon. L’abondance des ossements de poulet a permis de réaliser une étude biométrique. La comparaison des deux populations indique un accroissement de taille du gallinacé en l’espace de deux cents ans. Il sera intéressant de vérifier ce phénomène sur d’autres populations de la région. Le schéma de répartition des sexes au xvie s. est semblable à celui rencontré au xive s. dans cette même ville : plus de femelles que de mâles. Ces remarques permettront à l’avenir de se pencher sur le délicat problème de l’approvisionnement en viande d’appoint en ville.
3.3.3 La boisson : servir et consommer sans modération
3.3.3.1 La consommation des liquides : les verres à boire
243ci. m.
244Seul le dépotoir comblé dans la seconde moitié du xvie s. a livré un échantillonnage suffisamment conséquent et bien conservé de verres à boire et de flacons. Nous nous sommes donc essentiellement attaché à l’étude de cet ensemble. En effet, ce petit dépotoir a fourni une quantité non négligeable de verres creux, puisqu’on a recensé 29 individus dont 27 ont été classés dans le domaine de la vaisselle. Les verres à boire (12 ex.) et les bouteilles et flacons (15 ex.) sont les deux grandes catégories représentées. Les formes sont relativement complètes, hormis les flacons dont il manque en général les éléments les plus fins, c’est‑à‑dire ceux qui constituent la panse.
245Quatre verres à boire très fragmentés mais restitués sur le dessin et découverts dans divers niveaux archéologiques sont décrits ensuite.
Les verres à boire d’une riche famille du xvie s.
246fig. 73
Gobelets
247Deux gobelets aux parois convexes sont archéologiquement complets (fig. 73, nos 1, 2). De teinte vert foncé, ils sont fabriqués à partir d’un verre de fougère de qualité moyenne, sommairement affiné et qui laisse perceptibles des filandres* (ou cordes) et quelques bulles. La trace des fers* utilisés pour l’écartement de l’ouverture est visible sur l’intérieur du bord de chacun d’eux. Le filet rapporté* qui constitue le pied a été appliqué en deux ou trois tours ; il définit une assise suffisamment large pour stabiliser ces gros verres. Le second est maladroitement gravé sur la panse de la lettre « E », sans doute par son utilisateur pour le distinguer dans un lot plus vaste. La forme, la teinte et la qualité du verre déterminent, pour ces deux gobelets, une production d’un même atelier, sans doute alsacien ou germanique.

FIG. 73 – Verres à boire. Seconde moitié du XVIe s. Dim. En mm. 1 gobelet en verre vert foncé (vert fougère). H. 125, diam. sup. 74. Pied rapporté (filet). Trace des fers à l’intérieur de l’ouverture. (US 544, inv. 3891) ; 2 gobelet en verre vert foncé. H. 129, diam. sup. 76. Pied rapporté (filet). Trace des fers à l’intérieur de l’ouverture. Lettre « E » gravée sur la panse. (US 544, inv. 3892) ; 3 gobelet en verre non teinté. H. restit. 113, diam. sup. 70. Décor moulé. (US 544, inv. 3893) ; 4 verre à pied gris clair. H. 197, diam. sup. 58. Piédouche ourlé rapporté. (US 544, inv. 3896) ; 5 verre à pied gris très altéré. H. act. 50, diam. inf. 88. Piédouche rapporté. (US 544, inv. 3897) ; 6 verre à pied (ou à jambe ?) altéré. H. act. 24, diam. max. 72. Fragment de coupe à paroi pincée. (US 544, inv. 3906) ; 7 verre à pied verdâtre irisé. H. 145, diam. sup. 90. Décor de fines côtes moulées. Fond refoulé pour former le pied. (US 544, inv. 3898) ; 8 verre à jambe gris altéré. H. 165, diam. sup. 77. Pontil à l’intérieur de la coupe et vestige, entre la jambe rapportée et le pied, d’un premier pied cassé. Piédouche ourlé rapporté. (US 544, inv. 3899) ; 9 verre à jambe verdâtre altéré. H. 151, diam. sup. 82. Bouton creux balustre rapporté, décoré de côtes moulées, pied rapporté ourlé. (US 544, inv. 3901) ; 10 verre à jambe verdâtre. H. 151, diam. sup. 90. Bouton creux balustre rapporté, soufflé dans un moule à décor de côtes, pied rapporté non ourlé. Verre bullé. (US 544, inv. 3902).
dessin Claudine Munier/Afan
248Le dernier gobelet, légèrement tronconique, est décoré de bosses moulées en quinconce (fig. 73, no 3). Le verre n’est pas teinté et présente quelques rares petites bulles, indice d’un meilleur affinage* que celui des gobelets précédents. Cet individu assez fragmentaire a été restitué sur le dessin : une lacune subsiste entre la base de la coupe et la surface de pose. De ce fait, sa hauteur est hypothétique. Il pouvait éventuellement comporter, à cet endroit, un pied composé d’un filet rapporté, comme on en connaît sur d’autres sites (Montbéliard ou Strasbourg), sur des gobelets décorés de bosselettes (Goëtz 1990 : 207 208 ; Waton 1990 : 68).
249Ces trois gobelets possèdent des parois épaisses qui déterminent des récipients solides, utilisables quotidiennement pour l’usage de la bière et du vin.
Verres à pied
250Un verre, archéologiquement complet (fig. 73, no 4), très élancé (la coupe seule mesure 162 mm), présente un contenant étroit cylindrique. Le pied rapporté, en forme de piédouche* façonné dans le prolongement de la coupe, est terminé par un ourlet. Les parois sont relativement épaisses, marquant la robustesse de l’objet. Le verre ne semble pas teinté mais les irisations altèrent quelque peu la surface. L’affinage du verre est correct ; seules quelques petites bulles sont concentrées vers l’ouverture. Élégance et rusticité s’accordent ici sur un type de verre bien connu à Strasbourg (Waton 1990 : 71, no 146) appelé en Alsace et en Allemagne un Stangenglas.
251Un autre verre à pied est fragmentaire : la coupe est très incomplète (fig. 73, no 5). Ce qu’il reste de ce contenant permet de supposer une coupe évasée et une forme globale bitronconique. Le verre est extrêmement altéré et a perdu toute sa transparence : sa qualité n’est pas déterminable et sa teinte d’origine insuffisamment nette (peut‑être grise). Le pied, en forme de piédouche non ourlé, a été rapporté sur le fond de la coupe, comme pour le verre no 7.
252De forme biconique et décoré de fines côtes, le verre à pied suivant est également complet (fig. 73, no 7). Il présente une teinte légèrement grisâtre. Le verre possède une qualité d’affinage assez moyenne, matérialisée par de nombreuses petites bulles qui ont migré aux extrémités (bord et pied) lors du façonnage. Il est fabriqué en une seule paraison : la même boule de verre soufflée forme la coupe et le pied. Ce dernier est déterminé par le refoulement* très haut d’une extrémité de la paraison et donc par le doublage de ses parois. La paraison a préalablement été soufflée dans un moule décoré de légères côtes, formant ainsi un relief à peine perceptible. L’empontillage* n’a pas été effectué sur le fond du pied, mais un peu en deçà, indice d’un pontil plus large que ce fond.
253La technique de l’unique paraison pour former des verres à pied est particulièrement usitée au xvie s. dans les ateliers français, sur des pièces à pied plus ou moins haut et plus ou moins larges à la jonction avec la coupe. Pour cette période de la seconde moitié du xvie s., d’autres verres approximativement similaires sont connus à Besançon (Guilhot, Munier 1990 : 166‑167) ou à Metz (Caban 1990 : 229, nos 18, 19). La silhouette harmonieuse et la finesse des parois de la coupe le destinerait à une table distinguée.
254Le dernier tesson correspond à une collerette qui marque la base d’une coupe de verre à pied ou à jambe (fig. 73, no 6). L’altération ne permet pas de distinguer la teinte et la qualité du verre. La collerette n’est pas rapportée, elle définit un repli de la paroi. Grâce aux comparaisons avec d’autres sites, nous pouvons en déterminer la forme probable. À Metz (Cabart 1990 : 245, nos 9, 10) et à Besançon (inédit), ces verres ont une silhouette caliciforme avec une coupe tronconique aux parois plus ou moins convexes, un pied très haut rapporté qui fait office de jambe. À Strasbourg (Waton 1990 : 73, no 160) un verre à coupe conique possède une jambe composée d’un bouton plein. Ils sont partout datés du xvie s.
255La morphologie de ces verres comportant un pied en forme de piédouche est très commune au xvie s., on peut même dire qu’elle est typique de ce siècle. Les verres fabriqués en une seule paraison sont communs au domaine français ; ceux à pied rapporté appartiennent au domaine alsacien et germanique.
Verres à jambe
256Le verre à jambe caliciforme (forme imitée des calices en métal) est très altéré et de teinte grise (fig. 73, no 8). Nous nous sommes attachés à restituer sa fabrication, car il présente deux éléments inhabituels. D’une part, une pièce intermédiaire n’ayant a priori aucune utilité technique ni décorative s’interpose entre le bouton de jambe et le pied. D’autre part, la marque d’empontillage, habituellement laissée sur le fond du pied, est située ici dans le fond de la coupe. Ces deux facteurs nous incitent à penser que, lors de la fabrication du verre, le verrier aurait eu quelques problèmes de façonnage : le pied a sans doute cassé, non pas à la jonction avec la jambe, mais plus bas, d’où une partie résiduelle. Cette cassure est sans doute intervenue après que l’ouverture de la coupe a été effectuée puisque, pour « récupérer » sa pièce et refaire un pied, le verrier a empontillé par l’intérieur de la coupe. De plus, l’indice d’un étirement du verre, caractérisé par la présence de petites perforations au point d’attache du pied, est également présent au point d’attache de la partie résiduelle, validant, pour celle‑ci, la version d’un premier pied. La morphologie de ce verre est assez bien connue au xvie s. Elle représente une sorte d’intermédiaire entre les verres à pied haut et les verres à jambe plus élégants qui se développeront au xviie s.
257Une jambe et un pied, non illustrés ici, sont morphologiquement assez proches de l’exemplaire précédent : pied haut et ourlé, jambe composée d’un bouton soufflé, ici décoré de côtes moulées. Le contenant est manquant et le verre très altéré. Ce type de verre à boule est présent à Sedan par exemple, où il est daté de la seconde moitié du xvie s. (Foy, Sennequier 1989 : no 305).
258Les verres à jambe suivants sont composés d’une coupe conique à silhouette peu rigide (fig. 73, nos 9, 10). Ils possèdent une jambe dont le bouton est soufflé dans un moule décoré de côtes. Ce bouton a été travaillé à la pince de façon à composer indifféremment une succession de reliefs : moulures, anneaux ou balustres. Le pied plus ou moins plat forme un disque ourlé à son extrémité ou simplement adouci. Des verres identiques, mais pas toujours aussi soignés, sont communs dans d’autres sites régionaux ou locaux datés de la seconde moitié du xvie s. ou du début du xviie s. : Besançon (Guilhot, Munier 1990 : 169, nos 34, 35) ou Montbéliard (Goëtz 1990 : 200) par exemple. Ce qui distingue ces verres des verres à jambe précédents, c’est leur aspect très bien proportionné et équilibré : ils répondent à une esthétique qui se développera au xviie s., où la « mode » joue sur la finesse et l’élégance des silhouettes.
259Des verres à jambe aux formes très élégantes côtoient ici d’autres formes plus grossières et aux proportions moins heureuses. On peut aisément envisager des productions différentes, sans pouvoir préciser les ateliers d’où elles proviennent.
Verre filigrane
260Le dernier verre présenté ici correspond à un petit fragment de bord de coupe que nous classons dans la famille des verres à boire, mais dont l’attribution n’est pas certaine. Le diamètre est difficile à déterminer avec précision ; assez étroit, il semble se rapporter à un verre à boire plutôt qu’à une coupelle. Trop fragmentaire pour être interprété, c’est son décor filigrané, blanc sur fond non teinté, qui nous intéresse. Ce type de décor est connu sur des verres à boire, sur des coupelles de présentation ou sur des flacons (Waton 1990 : 56, nos 7, 8 ; Goëtz 1990 : 184, no 14 ; Cabart 1990 : 230, nos 29, 30). Appelée aussi latticinio, la technique du filigrane* nécessite un savoir‑faire particulier qui détermine des pièces de valeur. Très bien maîtrisée par les verriers italiens qui exportent ces pièces de Venise et d’Altare, elle est développée en France au xvie s., amenée précisément par les verriers altaristes émigrants. Cette technique consiste à fabriquer un décor à partir de baguettes de verre coloré (blanc en l’occurrence), parfois elles‑mêmes composées d’un décor effectué avec d’autres baguettes.
261Pour confectionner une baguette, on cueille une paraison de verre, que l’on souffle (baguette creuse) ou non (baguette pleine), puis que l’on étire. La phase d’étirage du verre est effectuée avec l’aide d’un deuxième verrier, placé en face du premier, chacun d’eux reculant jusqu’à l’obtention du diamètre voulu. Le jeu des décors sur les baguettes est très variable et correspond à l’apport de baguettes opaques rectilignes sur la paraison translucide (en général non teintée) avant son étirage. La baguette creuse permet une variété plus étendue des décors : lors du soufflage, l’augmentation de volume réduit le dessin spiralé à une épaisseur infime, lui donnant un aspect de dentelle.
262Sur le tesson qui nous intéresse ici (fig. 74), on peut voir qu’une bande blanche (a) alterne avec une bande de fils obliques qui forment un décor résilié (b). Pour le verrier, la première phase consiste à réaliser des baguettes blanches et des baguettes décorées. Dans une deuxième phase, il formera son récipient en verre. Pour réaliser les baguettes blanches (a), du verre opaque blanc a été étiré. Pour réaliser des baguettes composées de verre translucide orné de fils opaques blancs (b), le procédé est le suivant : une paraison de verre translucide est cueillie, égalisée sur le marbre, puis éventuellement soufflée. Des baguettes blanches sont étalées à plat sur le marbre, parallèles et régulièrement espacées. La paraison de verre translucide est alors roulée sur ces baguettes, la température du verre les faisant adhérer instantanément. On peut également disposer les baguettes à la périphérie intérieure d’un moule, en alternant des transparentes et des blanches, dans lequel on souffle ou on presse la paraison (fig. 74, no 2). Une grande variété de décors est ainsi offerte au verrier qui peut jouer à l’infini sur l’adaptation des baguettes (nombre et emplacement). L’aspect vrillé du décor est formé par la torsion de la paraison lors de son étirage. Cette baguette est ensuite découpée en tronçons. Le verrier possède maintenant les deux types de baguettes (a et b) et peut procéder à la deuxième phase, celle de la fabrication du récipient. Après avoir cueilli une paraison de verre translucide, il la roule sur l’alignement de baguettes, cette fois en alternant une blanche (a) avec une composée (b). Il façonnera ensuite la forme du verre (Tait 1991 : 238‑239 ; Gateau 1974 : 60).

FIG. 74 – 1 fragment de verre à boire (?) à décor filigrané. Seconde moitié du xvie s. Dim. En mm : h. act. 27. Décor de baguettes blanches alternées avec des baguettes composées en résilles. (US 544, inv. 3905). 2 schéma d’un moule garni de baguettes alternées.
dessin Claudine Munier/Afan
263Dans le remplissage bien homogène attribué à la fin du xvie s., les verres présentent à la fois des différences de conception et de qualité. Si leur utilisation est contemporaine, leur fabrication ne l’est pas forcément. Leur provenance est elle aussi variable et explique plus sûrement ces différences. Nous sommes en présence de formes représentatives du xvie s., certaines d’entre elles annonçant déjà les formes du xviie s. (verres à jambe). Relativement à la quantité des résidus de ce dépotoir, les objets en verre creux sont nombreux et variés, très bien représentés par rapport aux autres matériaux. Il est intéressant de noter le rapprochement avec certaines formes découvertes sur le site d’Istra à Strasbourg, dans un comblement également daté de la seconde moitié du xvie s. (gobelets et Stangenglas) Selon leur composition, les verres sont plus ou moins altérés, conservant la teinte d’origine pour les gobelets par exemple, au contraire des flacons qui présentent un important degré d’altération ou d’irisation.
Autres verres à boire
264fig. 75
265Bien qu’absents du dépotoir du xvie s., deux types de gobelets ont régulièrement été découverts dans d’autres niveaux, datables des xve, xvie et xviie s. : les gobelets à côtes saillantes (fig. 75, no 1) et ceux à pastilles rapportées (fig. 75, no 2).

FIG. 75 – Verres à boire. Dim. en mm. 1 gobelet en verre très altéré. H. restit. 80, diam. sup. 70. Décor de côtes saillantes moulées. XVe s. (US 891, inv. 4105) ; 2 gobelet en verre altéré. H. act. 30, diam. inf. 61. Décor de pastilles rapportées : Nuppenbecher. XVe‑XVIe s. (US 966, inv. 4146) ; 3 verre à pied, altéré. H. restit. 157, diam. sup. 110. Décor de filet bleu rapporté sur le bord de la coupe, fond refoulé pour former le pied. Fin XVe‑XVIe s. (US 966, inv. 4125) ; 4 verre à jambe de teinte grise altérée. H. restit. 180, diam. sup. 95. Bouton creux rapporté et piédouche ourlé rapporté. Verre mal affiné. XVIe s. (US 45, inv. 3809).
dessin Claudine Munier/Afan
266Le premier type de gobelets présente un décor formé de côtes moulées très saillantes, reprises à la pince, qui semble couvrir uniquement la moitié inférieure de la panse. Ces gobelets sont souvent fragmentaires et seules les côtes plus épaisses résistent à l’altération. Sur le gobelet illustré, les côtes, hautes d’environ 40 mm, sont espacées d’au moins 20 mm. Le bord du récipient est évasé et le fond semble refoulé assez haut. La hauteur du gobelet restitué reste hypothétique. Il est associé à de la céramique datée de la seconde moitié du xve s. Ces côtes saillantes ont également été retrouvées dans d’autres fouilles montbéliardaises (Goëtz 1990 : 184, nos 5-10) en association avec des fragments de verres à pied refoulé, typiques du xvie s. On rencontre ce type en Lorraine et en Champagne (Metz, Châlons‑en‑Champagne) entre la fin du xve et le xvie s. (Caban 1990 : 240, no 15 ; 1985 : 41, nos 16, 17 ; 1984 : 204, no 29) où il semble apparu durant le xve s., mais également à Saint‑Denis à la même période. Il est également connu en Belgique et en Rhénanie (Foy, Sennequier 1989 : no 262).
267Le second gobelet est le Nuppenbecher*, plus précisément le gobelet à pastilles rapportées. Un exemplaire provient de la couche du xvie s. qui scelle le dépotoir comblé au xive s. Le fond repoussé du gobelet repose sur un filet ajouté et étiré à la pince pour former des festons. Incomplet mais éventuellement restituable, ce verre possède un contenant aux parois cylindriques très légèrement convexes. Les pastilles aplaties font en moyenne 20 mm de diamètre. Le bord un peu évasé est souligné, à l’endroit où il est resserré, d’un filet fin rapporté à 20 mm sous l’ouverture. Les cohérentes séries alsaciennes de ce type de gobelet à grosses pastilles plates sont habituellement datées de la fin du xve et du xvie s. Le Nuppenbecher est issu des gobelets à petites pastilles en fort relief datés de la fin xiiie début xive s.
268Dans les autres couches, seules les pastilles, plates et larges, ont résisté du fait de leur épaisseur. La dimension de ces appliques décoratives ne suffit pas à préciser la forme globale du verre, des variantes étant assez nombreuses. La panse peut être ovoïde ou cylindrique, le bord à renflement (Krauts‑trunk), évasé ou droit avec éventuellement un filet rapporté, les pastilles sont grosses ou moyennes, nombreuses ou non, rapportées sur toute la panse ou uniquement sur sa partie inférieure, le filet constituant le pied est lisse ou festonné, etc. À Montbéliard/Velotte, ces pastilles sont associées à un jeton de compte du xve s., à des verres à pied du xvie s. ou, dans la fosse quadrangulaire (dépotoir), à du mobilier du début du xviie s. En Alsace, ce verre d’origine germanique est caractéristique de la fin xve début xvie s. L’usage de ce verre perdure pendant le xvie s. Il est donc difficile d’attribuer une date précise à ce gobelet qui est utilisé durant au moins deux siècles. En dehors de l’Alsace et de Montbéliard (Vivre au Moyen Âge 1990 : 107 ; Waton 1990 : 32, nos 53, 69‑71, 84, nos 41‑43 ; Klingenfus 1990 : 101 ; Goëtz 1990 : 177, no 1), on ne rencontre qu’exceptionnellement ces gobelets, à Metz par exemple (Cabart 1990 : 245, no 2 ; Foy, Sennequier 1989 : 315).
269Un verre biconique à pied refoulé était écrasé dans les gravats qui scellaient le comblement du dépotoir abandonné au xive s. (fig. 75, no 3). Il appartenait vraisemblablement au niveau de remblais composé de ces gravats car sa morphologie le place au xvie s. La coupe, conique et largement évasée, a un bord souligné d’un filet bleu rapporté. Ce verre est altéré mais la teinte vert pâle se distingue en partie. Il est connu, avec un filet blanc, durant le xvie s. à Senlis, Saint‑Denis, Châlons‑en‑Champagne (Foy, Sennequier 1989 : 290‑292), ainsi qu’en Alsace (Foy, Sennequier 1989 : 416, no 25). Il est typique des productions en une paraison réalisées à partir de la fin du xve s. dans les ateliers du domaine français.
270Un verre caliciforme de teinte grise, à jambe composée d’un gros bouton creux et à pied conique ourlé rapporté (fig. 75, no 4) provient d’un niveau de démolition de la maison Virot, sans doute contemporain du comblement du dépotoir attenant à cette maison. Il est d’ailleurs comparable au verre no 8 (fig. 73) provenant de ce dépotoir. Le pontil a laissé une grande quantité de verre sur son fond.
3.3.3.2 Le service et la conservation des liquides
Broc en céramique
271c.g.
272Un seul récipient du xviie s. peut être interprété comme un broc, dont il ne subsiste qu’un fragment de bord haut de 42 mm. Son diamètre à l’ouverture est de 90 mm. Une glaçure verte couvre l’intérieur du récipient.
Bouteilles et flacons en verre
273ci. m.
274Les bouteilles et flacons sont, au Moyen Âge et à la Renaissance, des récipients destinés à la conservation et au service des liquides. Pourtant, sur certaines représentations anciennes, ils sont parfois utilisés comme récipients à boire. Il est impossible d’attribuer un contenu très précis à ces récipients qui correspondent soit à des emballages –ils sont alors vendus comme autant de contenants d’un produit particulier (vin, huile, eau‑de‑vie... ou parfum)– soit à des ustensiles en tant que tel. Aussi nous contenterons‑nous de les distinguer par leurs dimensions, les flacons étant dès lors considérés comme des bouteilles de taille réduite. De plus, dans le langage des verriers, bouteilles et flacons sont réunis sous le terme « flaconnage ». Leur contenu n’étant pas défini, nous avons classé cet ensemble dans la catégorie « vaisselle », bien que certains flacons puissent éventuellement servir pour les préparations pharmaceutiques.
275Les bouteilles épaisses en verre foncé utilisées pour le transport et la conservation du vin ne seront pas fabriquées avant la fin du xviie s.
276À part les fragments d’une burette provenant du comblement du dépotoir attribué au xive s., les flacons décrits ci‑dessous ont tous été découverts dans le dépotoir comblé dans la seconde moitié du xvie s.
277Parmi les bouteilles du xvie s., la première est illustrée par un goulot large, dont l’ouverture resserrée est taillée au grugeoir (fig. 76, no 1). La partie inférieure du contenant est manquante, mais le fragment conservé montre un profil sans épaulement marqué. Le verre a une teinte vert d’eau. De nombreuses bulles, indice d’un affinage incomplet, sont allongées dans le sens du soufflage et ponctuent de façon quasiment décorative les fines parois de cette bouteille. Un exemplaire provenant de Strasbourg/Istra (Waton 1990 : 41, no 35) possède des caractéristiques identiques concernant les dimensions, la teinte et l’ouverture taillée. En outre, elle est complète et présente une panse globulaire moins haute que le goulot. L’exemplaire de Montbéliard/Velotte et celui de Strasbourg pourraient parfaitement provenir du même atelier, sans doute alsacien.

FIG. 76 – Bouteilles et flacons. Seconde moitié du XVIe s. Dim. En mm. 1 bouteille en verre vert d’eau. H. act. 222. Goulot à ouverture taillée au grugeoir. Verre irisé et très bullé. (US 544, inv. 3878) ; 2 bouteille en verre altéré mordoré. H. restit. 358, I. max. 210 x 146. Fond ovale apode et panse aplatie. (US 544, inv. 3879) ; 3 flacon en verre altéré. H. restit. 200, diam. inf. 86. Goulot sans épaulement marqué et fond rond annulaire composé d’un pied refoulé et ourlé. (US 544, inv. 3883) ; 4 flacon en verre verdâtre altéré. H. act. 107, diam. sup. 30. Goulot sans épaulement marqué, départ de panse sphérique, lèvre ourlée à l’intérieur. (US 544) ; 5 flacon en verre vert. H. act. 99, diam. sup. 25. Goulot sans épaulement marqué. (US 544) ; 6 flacon en verre vert foncé altéré. H. act. 90, diam. sup. 39. Goulot à parois concaves. Verre bullé. (US 544) ; 7 flacon en verre vert foncé altéré. H. act. 77, diam. sup. 38. Goulot à parois concaves. Verre bullé. (US 544), 8 flacon en verre vert. H. act. 74, diam. sup. 34. Goulot conique. Lèvre composée d’un filet rapporté. (US 544) ; 9 flacon en verre bleuté. H. act. 232, I. max. 157. Fond ovale apode et panse aplatie. Verre bullé. (US 544, inv. 3881) ; 10 flacon en verre vert irisé. H. act. 152. Goulot sans épaulement marqué, départ de panse aplatie. (US 544) ; 11 flacon en verre altéré. H. act. 86, diam. sup. 27. Goulot cylindrique. (US 544) ; 12 flacon en verre verdâtre irisé. H. 210, I. max. 134 x 100. Fond ovale apode et panse aplatie. (US 544, inv. 3880) ; 13 flacon en verre vert altéré. H. restit. 155, diam. ouv. 24. Flacon restitué. Fond ovale apode et panse aplatie. (US 544, inv. 3882).
dessin Claudine Munier/Afan
278La seconde bouteille (fig. 76, no 2) offre une silhouette très différente de la précédente puisqu’elle possède une panse arrondie très large et aplatie, ainsi qu’une articulation avec le goulot nettement marquée. Le goulot n’étant pas complet, la hauteur restituée est donc approximative. Le verre a subi une importante altération qui ne permet pas de déterminer sa teinte originelle. Cette altération présente des irisations mordorées, identiques à celles de la majorité des flacons décrits plus loin. Des exemplaires semblables, datés du milieu du xvie s., proviennent de Châlons‑en‑Champagne, (Cabart 1985 : 35, no 2 ; Cabart et al. 1983 : 69), ou de Strasbourg (Rieb 1972 : 129). Ces bouteilles sont réalisées par soufflage à la volée d’une boule de verre assez importante.
279Deux types de flacons, au moins, ont pu être déterminés : les flacons piriformes à pied annulaire et les flacons aplatis apodes. Des flacons à pied annulaire rond aucun n’a pu être archéologiquement remonté, mais un essai de restitution en dessine la forme globale (fig. 76, no 3). Il s’agit, d’après les comparaisons (Strasbourg/Istra), de flacons piriformes, c’est‑à‑dire avec une panse globulaire munie d’un goulot situé dans le prolongement de la panse, sans épaulement marqué. Le pied de ces flacons est réalisé par refoulement du fond de la paraison. Un ourlet creux ainsi formé sert de base au contenant. Ces fonds sont systématiquement circulaires. Les dimensions semblent moins variées que pour le groupe suivant avec deux capacités différentes : trois exemplaires possèdent un diamètre de panse compris entre 85 et 86 mm, trois autres un diamètre compris entre 67 et 69 mm. Le lieu de fabrication serait l’Allemagne ou l’Alsace (Foy, Sennequier 1989 : no 366).
280Les flacons apodes aplatis à fond ovale sont de taille variable (de 160 à 250 mm de hauteur). Les exemplaires complets ou restitués (fig. 76, nos 9, 12, 13) ont un épaulement assez bien marqué et une panse arrondie au profil plus ou moins aplati. Leur goulot est à peu près cylindrique, très légèrement évasé à l’ouverture. Une exception est illustrée par un goulot isolé, conique et sans épaulement marqué, qui possède un départ de panse aplatie (fig. 76, no 10) ; il devait s’adapter sur un des fonds plats apodes. Le verre est altéré et la teinte originelle rarement visible. Le verre, soufflé à la volée, est souvent très fin. Les flacons ovales à goulot étroit cylindrique sont communs sur la plupart des niveaux archéologiques de cette époque avec des variations quasi illimitées dans les formats. Il semble qu’il s’agisse d’un récipient communément utilisé pour toutes sortes de liquides.
281Des goulots isolés présentent plusieurs caractéristiques définies à partir de deux types : d’une part des goulots coniques à parois concaves et à ouverture large et déversée (fig. 76, nos 6‑8, 10), composée dans un cas d’un filet rapporté (fig. 76, no 8), ou à ouverture étroite peu marquée (fig. 76, nos 4, 5), et d’autre part un goulot cylindrique à lèvre peu marquée (fig. 76, no 11).
282Il semble que les fonds ronds annulaires soient le support de flacons piriformes, composés d’une panse globulaire et d’un goulot sans épaulement marqué et à ouverture évasée. Les fonds ovales apodes appartiennent à des flacons à panse aplatie avec épaulement marqué ou non, et dimensions variées. Ces bouteilles, aux parois systématiquement très fines, pouvaient recevoir un clissage protecteur sur la panse et sur le goulot.
Broc en métal
283fig. 77
284c.g.
285Parmi le lot d’ustensiles en métal liés à la vaisselle, un bord appartient à l’unique récipient retrouvé, les autres objets étant tous des fragments de couteaux. Très fragmentaire, ce récipient est façonné à partir d’une tôle de bronze assez mince. Sa lèvre évasée est soulignée par deux bourrelets horizontaux. Ce col pourrait appartenir à un broc. Il vient d’un contexte daté du xvie s.

FIG. 77 – Lèvre de récipient en bronze (broc, cruche ?). XVIe s. Dim. En mm : h. act. 30,5, diam. ouv. 135, ép. 5. (US 41, inv. 2843).
dessin Jean Gelot/Afan
286La batterie de cuisine moderne faisait appel à bon nombre de récipients métalliques –chaudrons, poêles,– comme le révèlent l’iconographie et les recettes de cuisine. Ils sont pourtant retrouvés en petit nombre sur les sites archéologiques, résultat de la récupération de la matière première quand le récipient est détérioré ou obsolète. C’est ainsi toute une catégorie d’ustensiles utilisés pour la préparation des aliments et pour leur cuisson qui est mal connue des archéologues.
3.3.4 Les soins : récipients, médications et problèmes de digestion
3.3.4.1 Les récipients de pharmacie
Piluliers en verre
287fig. 78
288ci. m.
289Des piluliers, appelés albarello, destinés à conserver des produits pharmaceutiques (extraits, pilules, onguents...) sont régulièrement présents dans les niveaux archéologiques datés de l’Époque moderne : à Strasbourg (Waton 1990 : 64, nos 75‑78) pour le xvie s., à Montbéliard (Porte d’Aiguillon) pour le xviie s., à Besançon (Guilhot, Goy 1992 : 379, nos 2056‑2057) pour les xviie et xviiie s. À Montbéliard/Velotte, les dépotoirs des xvie s. et xviie s. ont livré trois piluliers (fig. 78, nos 1‑3). Dans la première structure, deux petits piluliers, l’un archéologiquement complet et l’autre restitué, ont une ouverture évasée et un renflement sous le bord, caractéristiques de ces récipients. L’ouverture évasée permet l’adaptation d’un lien destiné à maintenir un couvercle en papier ou en tissu.

FIG. 78 – Piluliers en verre. Dim. En mm. 1 pilulier en verre altéré. Sec. moitié du XVIe s. H. 97, diam. sup. 61. (US 544, inv. 3894) ; 2 pilulier en verre verdâtre altéré. Sec. moitié du XVIe s. H. restit. 70, diam. sup. 46. (US 544, inv. 3895) ; 3 pilulier en verre altéré. Début du XVIIe s. H. act. 10, diam. sup. 110. (US 238 et 267).
dessin Claudine Munier/Afan
290Seuls quelques fragments d’un bord évasé de large diamètre (110 mm), en verre fin altéré, ainsi qu’un petit tesson présentant un renflement, représentent cette forme dans le deuxième dépotoir.
Boîte à onguent en bois
291fig. 79
292ci. m.
293Un petit fragment en if tourné très fin et abîmé correspond vraisemblablement à une petite boîte cylindrique qui pouvait être destinée au stockage de produits pharmaceutiques (onguents par exemple). L’ouverture présente un ressaut destiné à emboîter un couvercle. Le diamètre, estimé à environ 26 mm, est approximatif, car difficile à préciser du fait de la déformation.

FIG. 79 – Albarelle ou petite boîte en if commun. Seconde moitié du XVIe s. Dim. En mm : L. act. 23, I. 26, ép. 3. Fragment d’objet creux tourné, déformé. Petit rebord pour couvercle. (US 544, inv. 66).
dessin Jean Gelot/Afan
294« L’if est une espèce résineuse au bois dur qui confère une longévité importante à l’objet et présente une bonne aptitude au tournage. Dans la région de Montbéliard, l’if peut se développer sur des sols présentant une réserve d’eau modérée et riches en minéraux (Paget 1992). » (O. Girardclos, laboratoire de Chrono‑Écologie, Besançon.)
295À Strasbourg, un dépotoir de la place du Marché Neuf a livré, dans un comblement daté du xive s., une petite boîte cylindrique à couvercle, contenant un onguent (Vivre au Moyen Âge 1990 : 104, 105) ; l’analyse de cet onguent a révélé une pommade à base d’huile de Crucifères et de graisse de laine (Burnouf, Rieb 1987 : 7578). À Montpellier, des boîtes en érable de plus grande contenance sont datées du xive s. (Vingt années de dons 1988 : 30). Les fouilles de l’Hôtel‑Dieu à Tours ont livré quatre boîtes cylindriques en érable datées du xvie s. (Mille 1996 : pl. 3, nos 1 3).
Albarelle en terre cuite
296c.g.
297Les albarelles en terre cuite sont toujours quantitativement peu nombreuses sur les sites francs‑comtois. Trouvé dans le dépotoir du xviie s., le seul exemplaire de ce type, très fragmentaire, présente une glaçure verte intérieure posée sur engobe.
3.3.4.2 Fruits et légumes, herbes et fleurs : nourrir et soigner le corps
298gg.
299Le tamisage du comblement des dépotoirs des xive et xvie s. a permis de recueillir un nombre important de restes végétaux dont la détermination et le comptage ont été réalisés par le laboratoire Archéolabs. L’étude qui suit est basée sur les noyaux, pépins, coques et fruits retrouvés dans le remplissage de ces deux ensembles clos.
300Le dépotoir médiéval ne contenait que quatre espèces, identifiées comme du cerisier/merisier, du prunier domestique, du prunier sauvage et du prunellier (ARC94/R1630B). Celles‑ci ont également été retrouvées dans le dépotoir moderne, aux côtés de douze autres espèces (ARC94/R1620B). Dans ce deuxième ensemble, les espèces cultivées prédominent, avec une grande quantité de restes pour le noyer, le cerisier/merisier, le griottier, le prunier et la vigne, et un nombre plus restreint de noyaux de pêche et de prune, et de pépins de pommes. Les espèces spontanées, hormis pour le prunellier, sont plus timidement représentées ; elles concernent le noisetier, le châtaignier, la ronce et l’églantier, mais également des fruits de plantes aromatiques et médicinales : carvi, renouée des oiseaux et Composée (sans doute de l’aigremoine). Si ce dépotoir moderne se distingue par une plus grande diversité, les espèces communes aux deux ensembles clos ont été recueillies dans les mêmes proportions, avec un nombre important de noyaux de cerisier/merisier, de prunier à greffer et de prunellier, et seulement quelques noyaux de prunier domestique. La diversification des espèces consommées au xvie s. par rapport à celles du xive s. a déjà été observée en Franche‑Comté lors de l’étude des macrorestes du site urbain de Besançon/Rue de Vignier (Lundström‑Baudais 1990 : 65‑70). À Montbéliard/Velotte, la culture de la vigne n’est attestée qu’à l’Époque moderne.
Les restes végétaux
Les arbres et les arbustes
301Le cerisier/merisier (Prunusavium L., Rosacées) est l’espèce la mieux représentée. Le tamisage a permis la récolte de plusieurs centaines de noyaux dans chacun des ensembles clos (celui qui est daté du xvie s. en contenant 6 kg). La distinction entre le merisier et le cerisier n’a pas pu être déterminée avec précision à partir des noyaux. Le merisier est une espèce spontanée qui pousse dans presque toute l’Europe à l’exception de l’extrême nord de la région méditerranéenne (Polunin, Éverard 1992). Il affectionne les bois, les taillis et les haies et ne produit des fruits que vers l’âge de 20‑25 ans, alors que le cerisier fructifie dès 10‑15 ans. Les fruits de l’espèce sauvage sont sucrés ou amers, rouge brillant ou foncé, alors que les formes cultivées portent un fruit sucré, dont la couleur varie du noir au rouge et au blanc. Ce fruit se consomme frais ou en conserve et sert à élaborer des boissons alcoolisées et des liqueurs. L’abondance des noyaux découverts dans les deux dépotoirs laisse présumer la culture de cet arbre dans la région dès le xive s.
302Plusieurs centaines de noyaux de griottes (Prunus cerasus L., Rosacées) ont été récoltés dans le dépotoir du xvie s. Cet arbre fruitier, qui ressemble au merisier, se rencontre ordinairement sous la forme d’un arbuste buissonnant. Originaire d’Asie Mineure, il parvient en Italie vers 70 de notre ère et Pline mentionne qu’on récolte ses fruits en Angleterre au ier s. Au xvie s., « l’arbre qui les porte est assez commun » (Malandrin 1986 : 322). Le griottier est de nos jours largement acclimaté et produit des fruits rouge brillant, acides ou aigres, comestibles après cuisson. Ils peuvent également servir à la fabrication de boissons alcoolisées.
303Plusieurs centaines de noyaux de prunier à greffer ou prunier sauvage (Prunus avium L. sp. insititia, Rosacées) sont présents dans les deux dépotoirs. La variété sauvage se localise dans les haies. Ce prunier est souvent utilisé comme porte‑greffe.
304Le prunellier ou épine noire (Prunus spinosa L., Rosacées) est également représenté dans les deux dépotoirs par plusieurs centaines de noyaux. C’est le prunus européen le plus largement répandu et il se rencontre partout, sauf en Islande et dans le Grand Nord. Il croît sur les talus secs, les pentes des collines, parmi les fourrés, à la lisière des forêts et dans les haies. Cet arbre touffu, qui peut atteindre 4 m, porte des petits fruits noir bleuâtre : les prunelles. Rarement consommées à l’état frais, elles ne le sont généralement qu’après les premières gelées et produisent un alcool après fermentation et distillation.
305Les très nombreux pépins de raisins recueillis dans le dépotoir moderne témoignent de la culture de la vigne (Vitis vinifera L., Vitacées). Originaire d’Europe, elle est cultivée partout en Europe centrale et méridionale. Cette plante grimpante, généralement taillée en l’orme de buisson bas, comporte de nombreuses variétés, difficilement reconnaissables à partir des seuls pépins. Son fruit très charnu au goût sucré de couleur verte, rouge ou noir violacé, peut être consommé frais ou sec. Largement cultivé, il fournit du vin, de l’eau‑de‑vie et du vinaigre.
306Douze noyaux de pêches (Prunus persica L. Batsch, Rosacées) ont été recueillis dans le dépotoir du xvie s. Originaire de Perse, cet arbre de petite taille est cultivé depuis les Romains dans les régions chaudes et plus au nord depuis la fin du Moyen Âge. Actuellement, il est acclimaté en Europe méridionale et moyenne, et dans le Midi, il pousse parfois à l’état spontané. Sa fructification intervient vers l’âge de 5 ans. Le nombre restreint de noyaux trouvés indique vraisemblablement une place limitée des pêches dans l’alimentation à l’Époque moderne.
307Quelques pépins de pommier (Malus silvestris Miller. Syn. Pyrus Malus, Rosacées) sont présents dans le dépotoir du xvie s. Il s’agit d’un des ancêtres de l’actuel pommier dont il se distingue notamment par son fruit, de petite taille et très acide. Cet arbuste très ramifié se rencontre partout en Europe, dans les haies et les taillis, excepté dans les régions les plus septentrionales et les plus méridionales. Souvent utilisé comme porte‑greffe, le pommier compte de nombreuses variétés, spontanées ou cultivées, et il est productif vers l’âge de 10‑15 ans. Ses fruits verts ou jaunes permettent, entre autres, de confectionner une boisson non alcoolisée –le jus de pomme– et par fermentation ils donnent le cidre. Sur le site, le nombre restreint de pépins laisserait présumer que cet arbre n’était pas cultivé et que les fruits proviendraient de la cueillette plutôt que de l’arboriculture.
308Le noyer (Juglans regia L., Juglandacées) est représenté au xvie s. par environ 200 fragments et 4 coques complètes. Cet arbre originaire des forêts montagneuses de la péninsule balkanique est cultivé et acclimaté depuis l’époque romaine dans le nord des Alpes. Arbre de croissance lente, il préfère un terrain profond et léger, mais s’accommode aussi des sols crayeux et calcaires. Une centaine d’années est nécessaire pour qu’il atteigne son plein développement et sa fructification intervient vers l’âge de 20 ans. Au Moyen Âge, les noix étaient largement consommées, tel quel ou sous forme d’huile ; le brou (péricarde) et les feuilles étaient utilisés dans de nombreuses préparations médicinales.
309Les deux dépotoirs contenaient quelques noyaux de prunes provenant de pruniers domestiques (Prunus domestica L., Rosacées). Cet arbre, originaire de l’ouest asiatique, vraisemblablement un hybride entre le prunellier (Prunus spinosa) et le prunier myrobolan (Prunus cerasifera), comprend de très nombreuses variétés cultivées. Il est acclimaté dans la majeure partie de l’Europe et ses fruits ellipsoïdes ont une couleur qui varie du noir violacé au rouge. Les Anciens connaissaient déjà plusieurs variétés de prunes rouges, noires et blanches, et Simon de Gênes mentionne que les noires et celles de Damas sont les plus appréciées. Les prunes sont consommées fraîches ou séchées. On en tire de la confiture, des conserves et des boissons alcoolisées. Le fruit donne une teinture brun rougeâtre. La gomme exsudée par le tronc est utilisée actuellement à la place de la gomme arabique et sert également à parfumer le cidre.
310Du dépotoir moderne proviennent trois fragments de coques de fruits de châtaignier (Castanae sativa Gaertn., Fagacées). Cet arbre de croissance rapide, originaire du sud‑est de l’Europe, est cultivé depuis l’époque romaine dans les Alpes du Sud, et au nord des Alpes depuis le Moyen Âge ; il a probablement été importé en Angleterre par les Romains. S’il est acclimaté dans toute l’Europe, il préfère les sols secs et sablonneux. La fructification n’intervient que tardivement, vers l’âge de 20‑30 ans. Les châtaignes ont tenu une grande place dans l’alimentation médiévale. La proportion assez faible de fruits retrouvés sur le site indiquerait que les châtaigniers n’étaient pas forcément cultivés.
311Une coque de noisetier ou coudrier (Corylus avellana L., Corylacées) est présente dans le dépotoir du xvie s. Ce gros arbuste, largement distribué, croît dans les forêts et les taillis partout en Europe où il est apprécié pour ses noisettes.
312Un seul noyau de rosier ou d’églantier (Rosa sp., Rosacées) a été retrouvé dans le dépotoir du xvie s. Ce genre comprend plusieurs espèces, spontanées ou cultivées. Les fruits, appelés cynorhodons, sont parfois ramassés par les herboristes.
313Quelques noyaux de ronce (Rubus fruticosus L., Rosacées) ont été découverts dans le dépotoir du xvie s. Cet arbrisseau se développe de façon spontanée dans les haies, les bois et les lisières de forêt. Les baies (mûres) sont récoltées pour la consommation.
Les herbes
314Une vingtaine de fruits de cumin des prés ou carvi (Carum carvi L., Ombellifères) ont été retrouvés dans le dépotoir du xvie s. Non cultivé, il se rencontre surtout dans les prairies et ses fruits servent de condiment pour de nombreux aliments. Cette épice est mentionnée dans de nombreux livres de cuisine. Dans le Viandier de Taillevent, daté de la seconde moitié du xve s., le cumin fait partie de la liste des épices utilisées dans les recettes (Rey Delqué 1992 : 65). Trois ouvrages allemands étudiés récemment par Michel Balard, Daz büch vongüter spise avant 1355, Ein mittelniederdeutsches Kochbuch du xve s. et Ein new Kochbuch daté de 1581, mentionnent le cumin dans de nombreuses recettes. On remarque toutefois que la vogue pour cette épice fluctue d’un siècle à l’autre ; très employée en Allemagne au xive s., où elle est mentionnée dans 7,3 % des recettes, elle n’est presque plus utilisée au siècle suivant, où 1 % seulement des recettes l’emploie. À la fin du xvie s., elle est citée dans 1,6 % des recettes (Balard 1992 : 193 201).
315Quelques fruits de la renouée des oiseaux (Polygonum aviculare L., Polygonacées) ont été trouvés dans le dépotoir du xvie s. Cette plante rudérale qui se développe sur les lieux riches en substances nutritives –chemins, champs labourés– est encore appelée langue‑de‑passereau ou herbe aux cent nœuds pour la forme de ses feuilles. Sa tige fait le régal des oiseaux. Elle est récoltée comme plante médicinale, notamment pour ses vertus astringentes.
316Un noyau de Composée, éventuellement de l’aigremoine (Agrimonia sp., Rosacées), a été découvert dans le dépotoir du xvie s. Cette mauvaise herbe des cultures d’été, très fréquente dans les haies et les champs où elle pousse à l’état spontané, est parfois récoltée comme plante médicinale (vertus astringentes). Dans le nord de la France, elle remplaçait le thé et on la connaît sous le nom de « thé des bois » ou « thé du Nord » (Malandrin 1986 : 315).
Les applications médicales
317En plus de leurs valeurs nutritives, ces fruits et ces plantes pouvaient être utilisés dans des préparations médicales. Deux manuscrits anciens traitant des simples médecines permettent d’en connaître leurs applications dans les recettes médicinales ; il s’agit du Tacuinum Sanitatis rédigé dans la seconde moitié du xive s. (Opsomer 1991) et du Livre des simples médecines daté des années 1520‑1530 (Malandrin 1986). Ces deux ouvrages illustrés sont issus d’une ancienne tradition d’herbiers, les livres de botanique médicale, « dont les origines remontent à l’Antiquité classique » (Malandrin 1986 : 269). L’herbier le plus anciennement connu est le De materia medica rédigé par Dioscoride, médecin grec du ier s. de notre ère. Son enseignement sera repris par l’école de Salerne, principal centre d’étude médicale depuis le xe s. C’est au cours du xiie s., date de l’apogée de Salerne, que Mattheus Platearius en compose une compilation. Au xive s., elle donna lieu à son tour à deux importantes amplifications. Une traduction en français de ce remaniement, faite par Bartolomeo Mini et connue sous le titre de Secrets de Salerne ou d’Arboliste, fit l’objet, à la fin du xve s., de plusieurs éditions imprimées dont la première, publiée à Besançon et attribuée à l’imprimeur Peter Met‑linger, vit le jour vers i486.
318La médecine médiévale, qui découle des théories aristotéliciennes, est une médecine individuelle qui s’adapte à une personne précise. En effet, chaque organisme vivant est régi par quatre qualités –chaud, froid, sec, humide– mesurables en quatre degrés ; ainsi, à titre d’exemple, les pêches sont‑elles froides au premier degré et humides au second. L’homme est gouverné par quatre humeurs : la bile jaune, chaude et sèche, qui donne un tempérament colérique, la bile noire ou mélancolie, froide et sèche, qui est cause de tristesse et de chagrin pouvant conduire à la folie, le sang, contenant un peu des autres humeurs, qui est chaud et humide et qui donne un tempérament sanguin et enfin le flegme ou pituite, froid et humide, qui est dû à la sécrétion des fosses nasales censée provenir du cerveau. La prédominance d’une de ces humeurs définit le tempérament. La santé dépend de l’équilibre des humeurs et de leurs qualités. En cas de déséquilibre de ces humeurs, et donc de maladie, la médecine s’appliquera à rétablir l’équilibre individuel du malade avec des plantes dont la composition de base est opposée à la maladie ; ainsi pour une maladie froide et humide, le médecin prescrira des remèdes secs et chauds. Suivent quelques‑unes des recettes médicinales, dont certaines seront encore en vigueur au xviie s., voire jusqu’au xixe s.
319Les cerises/merises, dont les plus appréciées sont les douces, sont de nature froide et humide au premier degré (Opsomer 1991 : 43). « Elles ont vertu de conforter, de donner un sang de qualité et de rendre au corps, par trop asséché, son humidité. Elles lâchent le ventre, provoquent l’urine et donnent de bonnes couleurs. Elles valent contre les douleurs du foie et contre la jaunisse. » (Malandrin 1986 : 220.) Les amandes des noyaux de cerises sont prescrites contre la pierre, maladie « due aux concrétions et calculs qui se forment dans le système urinaire » (Malandrin 1986 : 358).
320La griotte est un fruit très prisé, froid et sec au second degré. Par sa nature même, elle convient aux colériques et aux personnes jeunes, donne de l’appétit, conforte l’estomac et en ôte les douleurs dues à la chaleur et à l’humidité (Malandrin 1986 : 220). Ces fruits sont de plus astringents, diurétiques et vermifuges.
321Le prunier domestique produit des fruits froids et humides au second degré, dont la qualité principale est donc de refroidir. Les prunes noires et dures sont les plus estimées et les meilleures sont celles dites de Damas. Elles se récoltent mûres et se conservent bien. Pour les garder, « il faut les fendre et les mettre à sécher quinze jours au soleil ; puis les arroser de vinaigre et les placer dans un récipient de bois » (Malandrin 1986 : 79). Les prunes sont également prescrites pour calmer les fièvres aiguës. La gomme du prunier était également utilisée pour cicatriser les blessures (Opsomer 1991 : 32).
322La nature des pêches est froide au premier degré et humide au second (Opsomer 1991 : 31). Ces fruits refroidissent la chaleur de l’humeur colérique, mais sont néfastes aux flegmatiques et aux mélancoliques. « Pour lâcher le ventre, pour purger le fleugme et la bile : prendre cinq ou six feuilles de pêcher, les broyer, les mêler à de la farine et en faire de petites tourtes ou crêpes que l’on mangera à jeun. Et pour purger, par le haut aussi bien que par le bas, manger la moelle des noyaux bien nettoyée ou bien encore broyer ces noyaux avec de l’eau chaude et boire (trente à quarante selon la nature de celui qui les prend). L’huile obtenue de ces noyaux vaut contre les douleurs d’oreilles dues à la froideur : il faut la dégoutter ou l’appliquer avec un coton, une fois tiédie. » (Malandrin 1986 : 79.)
323Les pommes sont de nature froide et sèche au second degré (Opsomer 1991 : 38). Les meilleures sont les plus acides et sont prescrites en cas d’évanouissement. Pour les personnes qui relèvent de maladie, il est conseillé de « fendre les pommes en deux, enlever les pépins et l’écorce, les creuser au milieu et remplir de noix de muscade et de folium ou bien de cumin, de poudre de cannelle ou de poivre. Ceci fait, mettre à rôtir au feu et les donner ainsi apprêtées aux malades. » (Malandrin 1986 : 196).
324Les châtaignes sont chaudes au premier degré et sèches au second. Elles se digèrent plus facilement que les glands et sont plus nourrissantes. « Broyées avec un peu de sel et mélangées avec du miel, elles valent contre les morsures de chiens et d’hommes atteints de rage. [...] La poudre de châtaignes brûlées, mêlée à du vin et appliquée sur la tête fait repousser les cheveux, tout en les confortant, comme par exemple dans le cas de l’alopécie, maladie qui fait tomber les cheveux. » (Malandrin 1986 : 264.)
325Le manuscrit du xvie s. distingue deux sortes de noix : les vertes et les sèches. Les noix vertes sont moins chaudes que les sèches. Elles ont une certaine humidité parce qu’elles ne sont pas complètement mûres. Cette humidité les rend quelque peu néfastes à l’estomac. Les noix sèches, elles, sont de trois sortes : celles qui ont été récemment cueillies ; celles qui ont été cueillies depuis un bon moment et celles qui se situent entre les deux moments. Les noix sèches se transforment très vite en humeurs colériques. Pilées avec du sel, du miel et des oignons et mises en emplâtre, elles sont également utilisées contre les morsures de chiens enragés (Malandrin 1986 : 214). L’huile de noix a des propriétés vermifuges (ténia) (Malandrin 1986 : 338).
326Les noisettes ou avellaines sont plus froides et plus acides que les noix, mais nourrissent mieux. « Rôties et prises avec un peu de poivre, elles guérissent rapidement le rhume, mais prises à jeun et non rôties, elles sont bonnes contre le venin. » (Malandrin 1986 : 220.) La décoction des chatons est utilisée, encore de nos jours, comme remède contre l’obésité.
327Le prunellier est froid et sec au second degré. Le suc des prunelles vertes, réduit à consistance d’essence ou de pâte, était au Moyen Âge le succédané européen du cachou véritable, extrait du bois d’un mimosa d’Asie (Acaciacatechu). Dans le manuscrit du xvie s., les prunelles ne sont utilisées que sous leur forme transformée : l’Acacia. C’est un astringent utilisé jusqu’au xixe s.
328Le raisin mûr, chaud au premier degré et humide au second, est un des fruits les plus appréciés avec la figue et ses utilisations sont multiples. Les hommes du Moyen Âge distinguent deux sortes de raisins : le vert qui est aigre, et le mûr, sucré. Le raisin vert est cicatrisant, ses pépins, réduits en poudre, ont des vertus astringentes, comme ceux des raisins mûrs. « Dioscoride a prescrit que l’on mette du jus de raisin au soleil pendant les jours de grande chaleur de telle sorte qu’il s’épaississe comme du miel : ce jus épaissi vaut contre les humeurs qui descendent à la gorge, aux gencives et aux oreilles. [...] La meilleure façon de manger les raisins est la seconde, c’est‑à‑dire après les avoir débarrassés de leur humidité superflue en les suspendant : ils constituent alors une nourriture subtile qui ne crée point de ventuosités, ni de vapeurs ; ils ne sont ni astringents, ni resserrants, ni laxatifs. » (Malandrin 1986 : 190.) Les médiévaux distinguaient quatre raisins selon leurs couleurs : les blancs, les noirs, les citrins et les roux.
329Le raisin était évidemment utilisé pour la fabrication du vin, mais également pour le vinaigre et le verjus, un des assaisonnements primordiaux de la cuisine médiévale, réalisés à partir des raisins verts. « Pour faire du verjus liquide, on prenait le fruit encore vert, on le broyait, on l’exposait au soleil dans un baquet pendant deux ou trois jours et on prenait le jus. Pour faire le verjus sec, il fallait prendre des grappes très vertes, les broyer, prendre le jus et le mettre dans un baquet de cuivre rouge, le mettre au feu puis l’exposer au soleil dans un récipient allongé jusqu’à dessiccation. » (Opsomer 1991 : 137.) Le moût est également utilisé en cuisine.
330Ce sont les chatons des ronces, chaudes et sèches, qui sont le plus couramment utilisés en pharmacopée. Ils sont prescrits contre les brûlures, mélangés à de la cire, à de l’huile rosat et à de l’huile de jaune d’œufs. « On prépare cette huile de la manière suivante : on cuit des œufs dans de l’eau jusqu’à ce qu’ils soient bien durs et on en prend juste les jaunes que l’on met dans une poêle sur le feu. Il faut remuer et presser de telle manière que l’huile en sorte. Et comme il y a peu d’huile, il faut employer beaucoup de jaunes. » (Malandrin 1986 : 205.)
331Le carvi est chaud et sec au troisième degré. Ses graines ont des vertus diurétiques et sa poudre facilite la digestion et aiguise l’appétit. Il s’agit plus d’une plante condimentaire que médicinale.
332Le jus de la renouée des oiseaux est recommandé contre les hémorragies gastriques, les douleurs et les enflures des mamelles. Cette plante est également utilisée contre les flux de ventre ; on donne aux malades « le jus à boire seul, ou avec du sucre ou du vin. De cette manière, il est également efficace contre le cours trop abondant des fleurs chez les femmes. Mais il convient d’abord de faire sur cette herbe une oraison : « Herbe poligonia, fille du Roi des Jardins, de même que tu as clos l’enfantement de la nature à la femme, veuille je te prie clore ce flux de sang chez cette femme » et la nommer. Ce n’est point chose à faire, car c’est déraison. » (Malandrin 1986 : 112).
333L’aigremoine tient une place importante dans la médecine savante. Elle est utilisée verte ou séchée contre les ecchymoses. « Contre les morsures de serpents et autres bêtes venimeuses, un mélange de deux drachmes de poudre d’aigremoine et de deux cyathes de vin chassera tout venin. » (Malandrin 1986 : 22.)
334Tous les fruitiers décrits, exception faite du pêcher, peuvent pousser dans les haies. Cependant le nombre important de noyaux collectés, notamment pour le cerisier/merisier, le griottier et le prunier à greffer, laisse supposer qu’on cultivait ces espèces. Si les vergers et le vignoble ont certainement produit la majorité des fruits retrouvés, la lisière des forêts était néanmoins encore exploitée et les habitants de Montbéliard devaient s’y approvisionner en noisettes, mûres, prunelles et cynorhodons.
335Cette étude propose une image, sans doute partielle, de l’arboriculture dans la région de Montbéliard pour le xive s. et pour le xvie s. Toutes les espèces rencontrées sont d’origine locale ou acclimatées depuis fort longtemps, et on remarquera l’absence de produits d’importation. L’importance quantitative de noyaux de certains fruits –cerises/merises, griottes et prunes– pourrait indiquer la confection de boissons alcoolisées. Dans un remblai du xve s. et dans le dépotoir du xviie s., du mobilier céramique utilisé pour la distillation pourrait étayer cette hypothèse. Bien que très fragmentaires, quelques chapiteaux d’alambic ont été déterminés grâce à la forme particulière de la lèvre et de l’anse. Éléments indispensables à la distillation, ces récipients étaient placés sur une cucurbite aveugle et servaient de condenseurs. Dans cette dernière étaient déposées les matières à distiller, qui, sous l’action de la chaleur, se volatilisaient, se déposaient sur les parois du chapiteau, étaient recueillies dans sa gouttière pour s’écouler enfin par son bec. Ce type d’objets en céramique ou en verre est connu sur d’autres sites archéologiques. Les fouilles du Louvre en ont livré quelques exemplaires en verre datés du xive s. (Rouazc 1992 : 107) et du xvie s. (Thomas 1998 : 220‑222), ainsi que les sites alsaciens de Strasbourg/Istra (Vivre au Moyen Âge 1990 : 42‑43 et 62) ou lorrains (Cabart 1990 : 232) datés du xvie s. D’autres exemplaires en céramique glaçurée sont connus en Franche‑Comté pour la fin du xive s. ou le début du xve s. (Goy 1995 : 73‑76) de même qu’en Alsace pour le xvie s. (Vivre au Moyen Âge 1990 : 382).
3.3.4.3 Distomatose et bothriocéphalose aux xive et xvie s. : étude parasitologique
336f.b., c.m., s.d.
337L’utilisation des données de la parasitologie dans le domaine des fouilles archéologiques est récente et reste encore relativement anecdotique dans notre pays. Utilisées pour la première fois en Grande-Bretagne (Taylor 1955), ces données ont pris de plus en plus d’importance dans les reconstitutions proposées par les auteurs sur les sites archéologiques du nouveau monde (Araujo et al. 1982 ; Faulkner et al. 1989 ; Kliks 1990 ; Reinhardt 1990).
338En France, nos travaux d’analyse parasitologique (Bouchet 1991 ; 1993) sur les chantiers archéologiques parisiens (Louvre et Carrousel) ont fourni de nombreuses informations couvrant une période allant du xive au xvie s., c’est‑à‑dire contemporaine du site de Montbéliard/Velotte où deux ensembles clos présentant un sédiment riche en matières organiques ont été étudiés.
Lieux de prélèvement
339Le premier ensemble clos (échantillon US 1116 dans US 982) de faibles dimensions (1,10 x 1,20 x 2 m) est accolé à un grand bâtiment (public ?). Édifiée au début du xive s., cette fosse a été abandonnée puis comblée au cours du xive s. Cette structure était de toute évidence utilisée comme une fosse d’évacuation de déchets.
340Le second ensemble clos (échantillon US 544 dans US 28) présente des dimensions plus importantes (2,35 x 2,30 x 1,65 m). Il s’inscrit dans une structure d’habitation située dans une cour intérieure. Érigé sans doute à la fin du xve s., cet espace fut abandonné et comblé dans la seconde moitié du xvie s. Épais de 0,67 m, le comblement organique était scellé par une couche de démolition composée de blocs, cailloutis et mortier qui l’a protégé d’éventuelles pollutions récentes.
Matériel et méthode
341Le matériel destiné à l’étude parasitologique est composé de sédiments organo‑minéraux (quartz et argiles) humides qui constituent un milieu propice à une bonne préservation des éléments parasitaires. Les prélèvements doivent impérativement être effectués avec le plus grand soin pour éviter toute contamination, en particulier les souillures actuelles provoquées par les déjections d’oiseaux, de chats, de chiens ou de rats. Ils sont ensuite emballés dans des sacs plastiques numérotés.
342Chaque prise de sédiment (60 cm3) est placée dans une solution de glycérol à 1 % pendant 2 à 3 heures puis tamisée (mailles : 360, 160, 55 et 25 µ). Une fraction des tamisats de 55 et 25 µ est centrifugée puis examinée entre l’âme et lamelle. Une autre partie de ces mêmes tamisats est réservée pour les techniques de flottation de densités différentes (1,1 à 1,6 : liqueur de Thoulet, solution d’Anderson ou de Willis). Le surnageant est récupéré sur une lamelle et examiné au microscope.
Résultats
343Les sédiments étudiés sur les deux ensembles clos recèlent des œufs d’Helminthes, vers parasites de l’intestin. Ces vers sont ronds (Némathelminthes, exemple l’Ascaris) ou plats (Plathelminthes, exemple le Ténia).
344Le prélèvement le plus ancien (US 1116) a livré des œufs d’Ascaris sp. (60 p) et de Trichuris sp. (50 x 30 p) à paroi épaisse identifiables par leurs caractéristiques morphologiques et morphométriques. Les œufs d’Ascaris présentent une coque externe mamelonnée, ceux de Trichuris ont une forme de citron. Ces parasites sont des Némathelminthes pour lesquels nous devons nous contenter d’une identification générique, car la spéciation, c’est‑à‑dire la possibilité de déterminer l’hôte (homme ou porc), ne peut aboutir en l’absence d’autres éléments du spectre parasitaire spécifique à ces individus. Certains Ascaris posent problème car l’enveloppe mamelonnée qui constitue la couche la plus externe de leur coque étant détruite, nous sommes tenus de les regrouper sous le vocable « œufs de type Ascaridés » qui réunit tous les œufs à paroi épaisse et lisse.
345L’échantillon plus récent (US 544) présente des éléments parasitaires plus diversifiés. Outre les œufs de Némathelminthes précédemment cités, nous y avons identifié des œufs de Plathelminthes dont les plus nombreux appartiennent aux genres Diphyllobothrium (Bothriocéphale, 60 µ) et Fasciola (Grande Douve, 120 µ). Pour ces formes, la spéciation est envisageable car, sous nos latitudes tempérées, le Trématode incriminé ne peut être que Fasciola hepatica, les autres espèces de Douves qui parasitent l’homme étant cantonnées dans les zones tropicales.
346Les Bothriocéphales sont représentés dans les régions subarctiques par l’espèce cosmopolite Diphyllobothrium latum qui infeste les mammifères ichtyophages, parfois même les chiens et les chats. Mais l’hôte privilégié de ce parasite reste essentiellement l’homme.
Discussion
347Étant donné les formes parasitaires rencontrées et la localisation intra‑urbaine des lieux de prélèvement, les deux ensembles clos que nous avons étudiés avaient de toute évidence une fonction de latrines ou de collecteur de vases riches en déjections humaines.
348Dans les deux fosses, la présence d’œufs de Trichuris sp. et d’Ascaris sp. témoigne d’une hygiène que nous qualifierons aujourd’hui de douteuse. En effet, ces vers parasites infestent l’homme par ingestion accidentelle des œufs. Les mains mal lavées avant la prise des repas et/ou l’ingestion de légumes souillés par une pollution d’origine fécale et mal nettoyés favorisent le développement des deux parasitoses intestinales (trichocephalose et ascaridiose) qui provoquent des troubles digestifs incommodants. Si la quantité de parasites est importante comme c’est souvent le cas chez l’Ascaris, les vers peuvent constituer des pelotes qui, dans les cas les plus graves, engendrent des occlusions intestinales.
349Le prélèvement dans l’US 544 correspond vraisemblablement à un lieu visité, voire habité, par des familles économiquement aisées. Les éléments parasitaires reconnus permettent de diagnostiquer les parasitoses dont elles souffraient et de préciser leurs habitudes alimentaires ainsi que leurs modes de préparation culinaire.
350La distomatose est provoquée par le Trématode Fasciola hepatica qui s’implante au niveau du foie de l’hôte. C’est une maladie hépato‑biliaire qui se manifeste en deux temps : elle débute par une toxi‑infection entraînant une asthénie, et des douleurs gastriques, puis se développe en provoquant des crises de coliques hépatiques douloureuses. Cette maladie se contracte en ingérant des végétaux aquatiques ou amphibies comme le cresson (Nasturtium officinale), le pissenlit (Taraxacwn dens leonis), la doucette (Valerianella coronata). En effet, les stations où prospèrent ces végétaux hébergent également un gastéropode pulmoné d’eau douce (Limnea truncatula) qui est l’hôte intermédiaire habituel chez qui se développe l’un des stades larvaires du Trématode lors de son cycle biologique. Ce mollusque rejette dans le milieu aquatique des cercaires qui se fixent sur les végétaux qui seront responsables de la transmission du parasite à l’homme s’ils ne sont pas soigneusement lavés avant ingestion.
351L’autre affection dont souffraient les habitants du site correspondant au prélèvement dans l’US 544 est la bothriocéphalose. Le responsable de cette parasitose est un ver de la famille des Cestodes dont le cycle biologique est hétéroxène, c’est‑à‑dire impliquant un développement larvaire qui nécessite deux hôtes : un copépode (Cyclops ou Diaptomus) et un poisson. L’ichtyofaune impliquée dans le cycle comporte des phytophages (vairon, gardon, perche...). Très souvent, les larves plérocercoïdes se réenkystent chez les poissons carnassiers d’un niveau trophique supérieur (brochet ou truite) qui concentrent les stades infestants. Ce ver fait partie des grands Cestodes car il peut atteindre des tailles avoisinant les douze mètres de long dans l’intestin de l’hôte qui l’héberge. Il détermine les troubles habituels de la teniase : douleurs abdominales, boulimie ou anorexie principalement, avec parfois une anémie due à l’avidité du Bothriocéphale pour la vitamine B 12 (Gentilini 1972).
352Au cours de la cuisson des aliments, la chaleur peut éradiquer les formes larvaires, à condition que le poisson soit ébouillanté pendant au moins dix minutes. La conservation par saumurage peut également éviter la transmission du parasite si les poissons séjournent dans le bain durant plus de cinq jours. Le salage à sec implique pour sa part que l’aliment subisse ce traitement durant plus de deux semaines pour éliminer tout risque de transmission (Euzeby 1984). Une autre technique qui consiste à fumer le poisson pour le sécher et le conserver n’évite pas la transmission de la parasitose elle n’altère en rien la vitalité des formes larvaires.
353La forte proportion d’œufs de Bothriocéphale mise en évidence par nos analyses parasitologiques est la preuve que, si l’un ou plusieurs des procédés de cuisson ou de conservation précités étaient utilisés, la température et les temps de cuisson ainsi que la durée des traitements étaient insuffisants pour pallier efficacement l’infestation.
354Les conclusions de l’analyse parasitologique sont corroborées par la découverte de macrorestes de poissons (brochet, truite, carpe, etc., soit 9 espèces déterminées). En effet, les éléments parasitaires que nous signalons dans l’horizon US 544 sont responsables de la transmission de labothrio‑céphalose. La famille aisée qui demeurait sur ce site bénéficiait donc d’une alimentation variée et consommait, entre autres nourritures, beaucoup de mets à base de poissons.
355En revanche, l’ensemble clos correspondant au prélèvement dans l’US 1116 était peut‑être fréquenté par une population plus modeste (qui ne goûte qu’à l’anguille) et ne recèle aucune trace des parasitoses engendrées par la consommation de poisson. Cette absence semble corroborer le fait que les produits de la pêche constituaient des mets réservés à une certaine élite sociale.
356Une approche parasitologique similaire à celle de Montbéliard/Velotte a été effectuée sur le site de Marly‑le‑Roi, sur l’emplacement des anciens pavillons du domaine royal fréquentés par Louis XIV et sa cour (Bouchet et al. 1998). Les latrines étudiées à Marly présentaient la même forte proportion d’œufs de Bothriocéphales, ce qui confirme que le poisson était réservé aux catégories socialement les plus favorisées.
357La parasitologie fournit donc un complément d’information essentiel pour étayer les données des autres disciplines qui interviennent sur les chantiers de fouilles archéologiques.
358Il est nécessaire que de telles études se multiplient pour mieux restituer le quotidien de nos ancêtres qui était indissociablement lié aux difficultés inhérentes à leurs mauvaises conditions de vie. En effet, l’ignorance de l’existence des formes larvaires microscopiques et de leurs mécanismes de transmission, alliée au non respect des règles d’hygiène les plus élémentaires, ne pouvaient permettre aux populations anciennes, pauvres ou riches, de se prémunir contre le développement systématique des affections parasitaires qui devaient constituer un handicap sérieux au bon fonctionnement des sociétés anciennes.
3.3.5 Conclusion : nourriture et hygiène d’une famille bourgeoise du xvie s.
359ci. m.
360Lorsqu’on étudie un lot d’objets archéologiques, on espère pouvoir en tirer des informations relatives aux hommes qui les ont utilisés. Que nous apprend le petit dépotoir de la maison Virot sur les gestes et les habitudes liés à l’alimentation ? S’il apporte d’importantes données sur les aliments par exemple, il nous montre que les récipients ne trahissent guère le statut social de cette famille, alors que les archives nous la présentent comme aisée, issue de la haute bourgeoisie urbaine et détentrice d’une grande et belle maison. Évidemment, le rejet sélectif des objets nous frustre de la plupart des récipients de luxe (en métal par exemple) susceptibles d’avoir été utilisés parallèlement à la terre cuite ou au verre. Pourtant, les récipients récupérés sont loin d’approcher la riche vaisselle exposée dans les musées. Les verres sont simples, communs, non décorés d’émail ni gravés de scènes bucoliques... La céramique glaçurée est courante dans tous les milieux, la faïence n’a pas encore droit de cité. L’image un peu trop simpliste d’une belle table symbolisant la richesse n’est pas valable pour ces périodes. Pas encore. La table comme distinction sociale semble en fait appartenir au xviie s. (Marenco 1992 : 19).
361Quant aux récipients en bois, ils sont trop rarement représentés dans les couches archéologiques pour que nous puissions en saisir toute l’importance, dans la cuisine ou sur la table, à l’instar de ce que nous montre l’iconographie. Le bois est‑il encore, au xvie s., un matériau courant dans les milieux aisés, alors que la céramique, largement développée, remplace en partie ce matériau bon marché ?
362Si l’on compare ce dépotoir avec celui, daté de la même période, fouillé à Besançon/Vignier quelques années auparavant, on remarque une complémentarité entre les lots de verres. Les formes ne sont pas tout à fait les mêmes mais « l’esprit » est identique : on utilise peu de gobelets apodes, encore des verres à pied et déjà des verres à jambe aux formes harmonieuses. Quant aux flacons, bouteilles et bocaux, là aussi on note une diversité des formes provenant sans doute de divers ateliers. Les verres découverts à Besançon semblent, avec nos goûts actuels, plus luxueux que ceux de Montbéliard. On remarque une plus grande diversité des formes et une utilisation développée des décors colorés. Hélas, nous ignorons tout du milieu auquel appartenait la citerne quadrangulaire d’où proviennent ces verres. En comparaison avec ceux de Montbéliard, on serait tenté de les attribuer là aussi à un milieu assez aisé. À Velotte, l’origine des verres se divise entre le domaine alsacien ou germanique (Wurtemberg) et le domaine lorrain.
363Le nombre de récipients en céramique est très légèrement inférieur à celui des récipients en verre (23 NMI contre 27 NMI). Là non plus, rien n’indique le statut social des utilisateurs. On remarque, en effet, que la quasi‑totalité des récipients est destinée à la cuisson, ou au stockage des aliments. Ce dépotoir pourrait être celui de la cuisine de la maison, comme paraît le confirmer l’absence de récipients de table, comme les brocs, les cruches ou les assiettes. Or ce sont ces derniers qui pourraient témoigner du contexte social des habitants de la maison.
364La famille Virot consommait des plats variés. Les menus, essentiellement composés d’animaux domestiques classiques (porc, bœuf, mouton, coq), sont agrémentés des produits de la chasse (cerf, lièvre, écureuil, oiseaux divers : hibou, moyen duc, chouette hulotte, petits passereaux tels que verdier, caille, perdrix, grive) et de la pêche (carpe, chevaine, barbeau, brochet, truite, perche). Le statut social de cette famille est en effet marqué par cette multiplicité des viandes et par la présence des poissons locaux et du gibier. Un animal montre à lui seul la place de cette famille dans une catégorie sociale élevée, il s’agit de la dinde. « Le coq d’Inde, rapporté du Mexique au début du xvie s., se répand très vite dans toute l’Europe et sera adopté en France où il constitue alors une viande de luxe, occupant une place d’honneur dans les festins. » (Marenco 1992 : 75.) Préparée comme l’oie ou le paon, la dinde a été immédiatement acceptée par les Français. Elle est citée dans les menus des banquets royaux durant toute la seconde moitié du xvie s. (Ketcham Wheaton 1988 : 111), mais nourrit également une société moins fastueuse. Dans son journal, Gilles de Gouberville, gentilhomme du Cotentin, écrit le 27 décembre 1559 : « ung serviteur de Martin Lucas de Sainte‑Croix‑Hague m’apporta un coq et une poule d’Inde » (Blanguernon 1993 : 91). Notre bandelier* montbéliardais fait lui aussi partie de cette population privilégiée qui a accès à cette ostentatoire volaille.
365Les restes végétaux de fruits comestibles appartiennent à des espèces cultivées (noyer, cerisier/merisier, griottier, prunier, vigne, pêche, prune, pomme) ou spontanées (prunellier, noisetier, châtaignier, ronce, églantier) et servent aussi bien pour la cuisine que pour la médecine (plantes aromatiques par exemple : carvi, renouée des oiseaux, aigremoine). « Les agronomes, les diététiciens et les médecins du Moyen Âge et de la Renaissance recommandaient de ne consommer que les plantes domestiques et d’exclure rigoureusement les plantes sauvages [...] sauf si elles servaient à des fins médicinales, dans ce cas les qualités négatives qu’on leur attribuait se transformaient en qualités positives. » (Grieco 1993 : 17) Ces restes végétaux sont représentés par les noyaux ou les pépins qui ont résisté à l’altération. Les pollens déterminent une autre source d’informations. Ils définissent non seulement l’environnement arboréen du site (noisetier, chêne, charme, frêne, saule, bouleau, tilleul, pin), mais également les espèces cueillies à proximité et qui, hormis le raisin, ne possèdent pas de noyaux ou de pépins : houblon ou chanvre, céréales, légumineuses, herbacées, destinées à l’alimentation de l’homme ou de l’animal domestique. L’étude parasitologique, qui a démontré la présence de distomatose, maladie due à l’ingestion de végétaux aquatiques ou amphibies tels que le cresson, le pissenlit ou la doucette, correspond à une troisième source de données concernant les plantes consommées. On peut supposer que les viandes énoncées plus haut étaient accompagnées de plantes potagères, cultivées ou sauvages, de pain, de vin ou de bière et que les fruits étaient régulièrement consommés, en dessert ou transformés en eau‑de‑vie.
366La famille Virot appartient à la haute bourgeoisie de Montbéliard ; elle consomme des aliments variés, dans des récipients pas très luxueux mais tout de même diversifiés. En revanche, il semble qu’elle ne connaisse guère les traités de savoir‑vivre. On mangeait avec les doigts et on avalait sans suffisamment mâcher. L’abondance des os digérés découverts dans la fosse des latrines dépotoir en est la preuve. Des os de pieds de porcs ou de mouton, des éléments d’aile d’oiseaux, des vertèbres de poissons portent la trace laissée par les sucs digestifs. Les membres de cette famille sont atteints de maladies qui touchent toute la population, sans discrimination sociale. Ces maladies sont dues au manque d’hygiène. Des mains sales ou des aliments insuffisamment nettoyés provoquent l’installation et le développement de parasites intestinaux.
3.4 Travaux agrestes
3.4.1 Introduction
367ci. m.
368Ce paragraphe est divisé en deux parties, l’une consacrée aux outils et aux instruments de travail, l’autre à l’analyse des bois de chauffage et de débroussaillement.
369Les objets étudiés dans la première partie permettent de définir des savoir‑faire propres à des corps de métier (état des connaissances techniques) ou des gestes du quotidien. Ces objets sont essentiellement en bois ou en métal, le fer étant le métal le plus couramment employé. Ils correspondent à des usages très diversifiés que nous avons tenté de regrouper, sous l’intitulé « Matériel des champs et de l’atelier », selon un classement thématique divisé en charronnage et harnachement, moisson, tonnellerie, instruments divers (échelle, outils à main). Les rapprochements opérés entre des objets aussi différents et parfois peu représentatifs nous permettent d’analyser les objets découverts, mais ne sont évidemment pas satisfaisants pour restituer des activités particulières.
370Dans cette étude est particulièrement mis en évidence un problème lié à l’état fragmentaire des objets découverts. En effet, les objets décrits ici sont en majorité des fragments d’objets complexes : essieux de charroi, fonds de tonneaux, douelle* de baquet, manche d’outil, Il est souvent difficile de restituer la forme globale ou la destination précise de l’objet composite que ces fragments représentent. Si à partir d’essieux on peut attester la présence de charrois et essayer d’en comprendre le système de traction, nous demeurons tout de même dans le domaine de la restitution hypothétique.
371Contrairement aux récipients en céramique ou en verre par exemple, ces objets ne sont pas des marqueurs chronologiques, car au cours des siècles « ils ont très vite trouvé leur forme idéale et traversé les âges sans changement notable, hormis quelques progrès dans la qualité des matériaux employés » (Mouret 1994 : 12). Au Moyen Âge, le bois est « la » matière par excellence « aussi bien dans la vie quotidienne que dans l’imaginaire » (Pastoureau 1993 : 28), tout au moins jusqu’à la fin du xiiie s. « Avec l’ampleur des déforestations, le bois est peu à peu détrôné lorsque d’autres économies prennent le pas (le textile en l’occurrence). Ses propriétés symboliques ne disparaissent pas pour autant et cette matière vivante reste opposée aux matières mortes que sont la pierre et le métal. Le rapport entre l’essence du bois utilisé et son usage social dépend de ses propriétés physiques (résistant, compact, homogène, facile à travailler, tendre ou dur, à grains fins, durable) et économiques, mais peut‑être également de ses propriétés symboliques (bois réputé bon ou mauvais). » (Pastoureau 1993 : 25 40.)
372L’analyse ethno‑botanique et xylologique des baguettes rejetées dans les niveaux et les structures archéologiques introduit une nouvelle approche des activités domestiques illustrées par celle du ramassage du bois de chauffage par exemple. La nature, les dimensions et la qualité de combustion des baguettes recueillies illustrent le choix opéré par l’homme parmi les diverses essences d’arbres à sa portée. Le bois de chauffage de qualité côtoie des baguettes et des déchets aux pouvoirs calorifiques moindres, qui sont l’indice d’un autre type de rejet, celui du débroussaillement ou de l’élagage dans les cultures. Ces restes très diversifiés donnent non seulement une image de la sélection du bois de combustion, mais également des milieux prospectés.
3.4.2 Matériel des champs et de l’atelier
3.4.2.1 Le charronnage et le harnachement
Essieux de charrettes* en bois et équignon* en fer
373fig. 80, 81
374ci. m.
375Rejetées dans le dépotoir comblé au xive s., deux pièces interprétées comme des essieux constituent une découverte exceptionnelle. La rareté, pour ne pas dire l’absence, de trouvaille similaire sur les sites archéologiques du Moyen Âge, leur confère un intérêt tout à fait remarquable.
376Le premier essieu (fig. 80, no 1) est composé d’une partie centrale de section quadrangulaire, percée de trois trous circulaires de 25 mm de diamètre. De part et d’autre de cette partie centrale, deux fusées* approximativement tronconiques, de 400 mm de longueur, ont un diamètre maximal de 85 mm et minimal de 45 mm aux extrémités. Ces dernières sont percées d’un petit trou cylindrique de 15 mm de diamètre. La partie inférieure de cet essieu porte l’empreinte de plaques métalliques de 110 mm de longueur et des clous qui les maintenaient : deux plaques par fusée, l’une à la limite avec la partie centrale, l’autre située juste avant la perforation de l’extrémité.

FIG. 80 – Essieux de charrettes en hêtre. Première moitié du XIVe s. Dim. En mm. 1 L. act. 1 200, I. 100, ép. 100. Partie centrale de section quadrangulaire et fusées coniques. 3 perforations sur la partie centrale, une sur chaque extrémité des fusées. Empreintes des équignons cloués sur la partie inférieure de chaque fusée. (US 1116, inv. 152) ; 2 L. act. 900, I. 95, ép. 100. Partie centrale de section quadrangulaire et fusées coniques (une fusée lacunaire). 2 perforations sur la partie centrale, dont une avec cheville en place, extrémité écrasée de la fusée résiduelle. (US 1116, inv. 153).
dessin Claudine Munier, Jean Gelot/Afan
377Le second essieu (fig. 80, no 2) comporte également une partie centrale de section quadrangulaire, mais percée de deux trous seulement. Cet essieu est partiellement conservé, mais on peut rétablir le second trou : si l’on suppose une partie centrale de même longueur que celle du précédent essieu, le second trou se situerait à 310 mm du premier, précisément à la limite de la cassure. Un fragment de cheville est encore en place dans le trou de la partie intacte. La seule fusée conservée présente une extrémité brisée et écrasée. On peut restituer son pendant dans la zone lacunaire, avec sans doute les mêmes dimensions que celles du premier essieu. Le second essieu est moins bien conservé que le premier et il est difficile de déterminer avec certitude la présence de plaques métalliques sur la fusée résiduelle : une légère marque sur la partie supérieure en est peut‑être un indice.
378« Ces deux essieux sont en hêtre, essence courante en charronnage, sélectionnée pour sa dureté et son élasticité. Ils ont été réalisés dans des individus assez jeunes, de faibles dimensions, qui ont été équarris. » (O. Girardclos laboratoire de Chrono‑Écologie, Besançon.) L’essieu est le seul élément servant de suspension, il doit donc posséder une relative élasticité. D’autres essences sont traditionnellement employées en charronnage : le frêne, le chêne ou l’acacia, car ces bois ont une grande souplesse et des propriétés mécaniques adaptées aux impératifs des véhicules –résistance à la flexion, aux chocs, à l’usure. En Angleterre, les chariots* sont fabriqués en orme pour les roues, en chêne et en frêne également pour les roues et pour le train de la caisse, en hêtre pour les essieux (Seymour 1994 : 98).
379Les investigations qui suivent ont été aimablement suggérées par Marcel Girault ou puisées dans son ouvrage (Girault 1992).
380La première question relative à ces essieux concerne le nombre de véhicules : les essieux appartiennent‑ils à un chariot ou à deux charrettes ? A priori, la rareté de ce type de trouvaille nous a fait pencher pour la solution du chariot : deux essieux découverts simultanément nous semblaient un argument suffisant pour y voir un unique véhicule. Pourtant, leurs techniques de fabrication infirment la version du chariot : dans l’hypothèse où le premier essieu serait celui d’un avant‑train tournant, le diamètre de la perforation centrale serait trop réduit pour correspondre à l’axe permettant à cet essieu de pivoter. De plus, dans le cas d’un avant train non tournant, cette perforation correspondrait à la fixation du longeron médian et devrait donc être présente sur l’autre essieu. Nous supposerons donc que ces essieux appartiennent à deux charrettes. Dans tous les cas, leur morphologie révèle avec certitude certaines informations.
381Tout d’abord, les petites perforations aux extrémités des fusées sont destinées à recevoir l’esse*, goupille qui empêche la roue de sortir de l’essieu. Ce système, figuré sur les miniatures médiévales à partir du xiiie s., signifie que la roue est libre sur l’essieu fixe. La roue tournant ainsi autour de la fusée de l’essieu fixe est appelée roue folle, par opposition à la roue clavetée, montée sur un essieu mobile.
382Le profil des fusées témoigne de la pratique de l’angle de carrossage. En effet, ce profil montre, sur la face supérieure, une inclinaison entre la naissance de chaque fusée et son extrémité, inclinaison absente sur la face inférieure où la fusée se situe dans le prolongement de la base de l’essieu. L’angle ainsi obtenu par rapport à l’axe horizontal, appelé « angle de carrossage » place la roue légèrement de biais vers l’extérieur par rapport à son axe vertical originel. Cet angle assure une moins grande usure des roues, et évite que le poids supporté par la charrette ne renvoie le moyeu contre l’esse, ce qui engendrerait un dévers de la roue vers l’intérieur (donc un frottement des roues contre la caisse) et une fragilisation des fusées. Cet angle de carrossage, qui sous‑entend la présence d’une caisse, est l’indice qu’il s’agit bien d’essieux de charrois et non d’essieux d’araires ou d’un système de roues hydrauliques par exemple.
383Les plaques métalliques, dont les empreintes sont visibles sur la partie inférieure des fusées du premier essieu, semblent répondre à la nécessité de renforcer les fusées qui devaient s’user rapidement. Le moyeu des roues devait par conséquent reposer sur ces plaques protectrices, appelées « équignons ». Une plaque bombée en fer provenant de ce dépotoir pourrait correspondre, par ses dimensions et son format, à l’un d’entre eux (fig. 81). L’oxydation ne permet de distinguer qu’une seule perforation à une des extrémités.

FIG. 81 – Équignon (?) en fer. Première moitié du XIVe s. Dim. en mm : L. act. 188, I. 69. Plaque concave. (US 1116, inv 3729).
dessin Élisabeth Fuhrer/Afan
384Enfin, les perforations de la partie centrale de chacun des essieux sont destinées au chevillage des longerons supportant la caisse et fixant le système de traction. L’essieu comportant trois perforations supportait trois longerons parallèles : deux longerons extérieurs (ou limons*) et un longeron médian. Ce dispositif permet deux méthodes de traction. Dans la première, le longeron médian est prolongé vers l’avant et forme un timon* de part et d’autre duquel sont attelés deux animaux de trait. Dans la seconde, les limons sont prolongés vers l’avant et forment des brancards* entre lesquels est attelé un seul animal de trait. Ces systèmes sont couramment représentés dans l’iconographie, et si la largeur entre les brancards semble laisser peu de place à l’animal (360 mm), il ne faut pas oublier que les animaux de cette époque mesuraient en moyenne 1,40 m au garrot pour les chevaux et 1,17 m pour les bœufs.
385Le deuxième essieu pose le même problème concernant l’espace pour l’animal : les limons prolongés en brancards ménagent 310 mm. Mais un autre système pouvait éventuellement être utilisé. De tradition portugaise, il est encore en usage aujourd’hui au Mexique : il existe un longeron médian sans perforation centrale sur l’essieu. Prolongé en timon, ce longeron est simplement fixé à l’essieu au moyen d’une cordelette, facilement arrachée en cas d’accident, permettant ainsi à l’attelage de n’être pas entraîné dans la chute. Les perforations de l’essieu servent alors au chevillage des limons, support de la caisse.
386Les deux systèmes de traction, timon ou brancard, semblent donc possibles.
387Les dimensions de ces essieux déterminent une charge d’environ 500 à 600 kg. Ce chiffre résulte du calcul de la résistance des matériaux, corroborant les textes anciens et répondant à la petite taille des animaux de trait. « Une poutre en hêtre ou en chêne de 10 x 10 cm de section, posée librement sur deux appuis distants de 1 m, pourrait supporter une charge statique de 1 600 kg uniformément répartie sur toute sa longueur. Mais en ce qui concerne les essieux de charrettes, la charge n’est répartie que sur 60 cm, au centre ; les fusées sont de plus petites dimensions que l’essieu et plus fragiles ; la charge n’est pas statique, mais en mouvement avec des oscillations latérales, longitudinales et verticales qui provoquent des torsions de l’essieu ; la charge projetée en l’air par les cahots retombe brutalement, etc. C’est pourquoi on estime que la charge que peut supporter un essieu en bois est inférieure à la moitié de celle que peut supporter une poutre de même dimension utilisée en construction. » (informations fournies par M. Girault comm. pers.)
388L’aspect des roues ne nous est pas connu. On ne peut pas déduire leur diamètre à partir de la seule observation des essieux. Si l’on se réfère à l’iconographie médiévale, il pourrait s’agir de roues à rais et non de roues pleines, la roue à rais apparaissant dans les miniatures de la fin du xiie s., alors que la roue pleine n’est jamais représentée.
389La voie* de ces charrettes est d’environ 1 m, mais peut varier selon l’état du moyeu et la position exacte de la roue sur la fusée. Les voies à ornières médiévales du Jura montrent un écartement de 1,07 à 1,11 m ; les chariots actuels, conservés dans les écomusées ou encore en usage dans les milieux ruraux, ont une voie de 1,06 à 1,19m (Jeannin 1972 : 173).
390Les véhicules médiévaux sont mieux connus à travers l’iconographie et les textes anciens que par l’archéologie. Clous, fragments de cerclage de roue, ou empreintes dans les voies à ornières sont généralement les seuls indices de l’existence de véhicules. Ceux‑ci étaient utilisés pour le transport de marchandises indivisibles ou volumineuses et difficiles à porter en grande quantité par un animal de bât : foin, paille, bois mort, tonneaux, matériaux de construction... À Montbéliard/Velotte, l’usage de ces charrettes peut être agricole, artisanal ou commercial.
Mors de filet et fers à cheval
391fig. 82
392é.f.
393Le mors en fer est constitué de deux tiges de section cylindrique reliées et articulées dans la partie centrale, destinées à être placées dans la bouche du cheval, et de deux anneaux engagés dans chacune des extrémités du mors et réservés à la fixation des guides.
394Un fer à cheval forme un arc de cercle dont la voûte est plus ou moins circulaire. Les branches présentent plusieurs étampures qui sont les perforations destinées à la fixation des clous sur le sabot. Ces perforations, le plus souvent rectangulaires, présentent une section « en entonnoir » destinée à protéger la tête des clous qui ainsi ne dépasse pas du fer ; cette découpe est appelée contre percement et indique par conséquent le côté extérieur par où est introduit le clou, en opposition avec le côté intérieur en contact avec le sabot. L’une ou les deux extrémités, appelées éponges ou talons, portent ou non un crampon, partie saillante plus ou moins proéminente tournée vers l’extérieur et destinée à éviter au cheval de glisser. Les rives du fer (bords) sont linéaires ou ondulées (ce dernier type ne perdure pas après le xiie s.).
395Des quatre fragments de fers à cheval retrouvés dans des niveaux en place, aucun n’est complet. Ils sont de petite dimension, leur longueur restituée avoisine les 100 mm. Les rives sont toutes linéaires. Deux d’entre eux sont très oxydés mais semblent posséder un renflement sur l’éponge, qui doit correspondre au crampon. Les étampures sont bouchées par l’oxydation et ne permettent pas de distinguer les contrepercements. Un fer porte un crampon très proéminent (fig. 82, no 2) et un clou oxydé est encore en place dans l’une des étampures, la pointe logiquement tournée du côté du sabot. Un autre fragment (fig. 82, no 3), peu épais montre un contre‑percement sur une partie de l’étampure. L’éponge quant à elle est simplement épaissie en un léger crampon.

FIG. 82 – Mors de filet et fers à cheval en fer. Dim. En mm. 1 mors. L. 287, sect. 10, anneaux diam. 50. (US 529, inv. 3136) ; 2 fer à cheval. XVe s. L. act. 82, I. 27, ép. 8. 1 étampure. (US 888, inv. 2870) ; 3 fer à cheval. L. act. 81, I. 27, ép. 7. Crampon et étampures, un clou encore en place. (US 54, inv. 2870) ; 4 fer à cheval. L. act. 88, I. 29, ép. 7. 2 étampures, possède un crampon. (US 35, inv. 2810).
dessin Élisabeth Fuhrer, Jean Gelot/Afan
3.4.2.2 La moisson
Faucille
396fig. 83
397é.f., ci. m.
398Un fragment de lame en fer provient du dépotoir du xive s. Il s’agit de l’extrémité supérieure d’une lame dentée de faucille, dont les dents sont très usées. La zone manquante correspond à la partie inférieure de la lame en forme de croissant, et à la soie destinée à l’emmanchement dans une courte poignée en bois. Ce type de faucille est utilisé dans les cultures céréalières, les dents de sa lame permettant, lors des moissons, de « scier » les épis sans les égrainer : « les tiges sont coupées par pression‑frottement et non par un mouvement de va‑et‑vient comme avec certaines scies ou les couteaux de table à “dents” » (J. Bruhnes Delamarre 1985 : 76). Les dents sont placées obliquement sur le bord intérieur de la lame, sur ses deux faces. Elles sont inclinées vers le moissonneur, la faucille étant tirée de gauche à droite. Contrairement aux faucilles à lame lisse, les faucilles dentées ne peuvent être aiguisées avec une pierre ; elles sont remises en état par le forgeron (J. Bruhnes Delamarre 1985 : 77).

FIG. 83 – Fragment de faucille en fer. Première moitié du XIVe s. Dim. En mm : L. act. 167, I. 16, ép. 2,5. Lame dentée. (US 1116, inv. 3730).
dessin Élisabeth Fuhrer/Afan
399« L’artisanat montbéliardais du métal est en renom. Au xve s., faux, faucilles, fer blanc, armes de toutes sortes, se vendent bien à des Bâlois et des Bisontins. » (Voisin et al. 1980 : 38.)
Aiguisoirs
400fig. 84
401ci. m.
402Une hache polie « est de section quadrangulaire en pélite noire du sud vosgien (anciennement dénommée aphanite) (fig. 84, no 1) ; la matière première provient certainement des minières de Plancher‑les‑Mines (Haute‑Saône). Cette hache a été réutilisée au Moyen Âge comme pierre à aiguiser. Les plages noires sur les faces et les côtés de la hache attestent ce réemploi. Cette découverte n’a rien d’exceptionnel, car jusqu’au début du siècle, il était fréquent dans la région de Montbéliard, ainsi que dans le reste de la Franche‑Comté et du Sundgau, que les haches néolithiques soient ramassées comme pierre à aiguiser. » (étude réalisée par Françoise Jeudy, Afan).

FIG. 84 – Aiguisoirs : hache aiguisoir en pélite noire (1), aiguisoir en grès (2). XIVe s. Dim. En mm. 1 H. 93, I. 50, ép. 23. Hache néolithique réutilisée en aiguisoir. Traces de lissage. (US 301, inv. 2737) ; 2 H. act. 38, I. 31 ; ép. 7. Fragment avec traces d’utilisation. (US 1116, inv. 2741).
dessin Jean Gelot/Afan
403Un petit fragment de pierre à aiguiser de section quadrangulaire en grès gris à grain fin provient du dépotoir du xive s. (fig. 84, no 2). Ses deux extrémités sont brisées. Des traces très nettes d’utilisation sont visibles sur les deux faces, sous la forme de stries plus foncées.
404Ces pierres à aiguiser, si elles étaient destinées à l’affûtage et au battage des lames d’outils agricoles (faucilles et faux en particulier), accompagnaient le moissonneur dans les champs. Les lames devaient en effet toujours être très tranchantes pour scier (couper) ou faucher efficacement, les épis devant être tranchés d’un seul coup et non cassés. Les pierres à aiguiser étaient alors installées dans un coffin, étui en bois accroché à la ceinture, qui contenait un peu d’eau pour que la pierre soit toujours humide (J. Bruhnes‑Delamarre 1985 : 92).
405Situé à quelques kilomètres de Montbéliard, le site de Rougemont‑le‑Château (90) a livré un ensemble de 19 pierres à aiguiser et des haches polies néolithiques, utilisées au xive s. (Walter 1993 : 170).
3.4.2.3 La tonnellerie : contenir et verser
Fonds de tonneaux : maîtresse douve et chanteau
406fig. 85
407ci. m.
408Les fonds de tonneaux sont constitués de planches assemblées côte à côte et généralement chevillées. Celles‑ci composent un plateau circulaire. Deux planches de ce type nous sont parvenues, issues du dépotoir comblé au xive s. : il s’agit d’une « maîtresse douve » (fig. 85, no 1), pièce centrale du plateau, et d’un « chanteau » (fig. 85, no 2), élément périphérique en arc de cercle. La planche placée entre la maîtresse douve et le chanteau se nomme l’aisselette (Seymour 1994 : 86).

FIG. 85 – Fonds de tonneaux en chêne caducifolié. Première moitié du XIVe s. Dim. en mm. 1 L. 508, I. 176, ép. 20. Planchette d’assemblage constituant la maîtresse douve. Bords chanfreinés, marques gravées et trous de cheville. (US 1116, inv. 155). 2 L. 278, I. 140, ép. 10. Planchette d’assemblage constituant un chanteau. Bords chanfreinés. (US 1116, inv. 154).
dessin Claudine Munier, Jean Gelot/Afan
409La longueur de la maîtresse douve, 508 mm, détermine le diamètre de l’ouverture du tonneau. Cet élément a ses extrémités biseautées afin de les introduire dans le jable*, rainure taillée sous le bord intérieur du tonneau. Sur la tranche, des perforations de 4 à 6 mm de diamètre pour 6 mm de profondeur attestent la méthode d’assemblage des planches par chevillage.
410Sur la face supérieure on remarque la profusion de perforations plus ou moins organisées, avec des sortes de chevilles ou de bouchons en bois encore en place dans certaines d’entre elles. S’agit‑il d’un fond de tonneau destiné au stockage et muni d’un système d’aération avec possibilité de boucher ou déboucher les trous (pour l’acétification du vinaigre par exemple) ?
411Trois entailles parallèles et obliques, dont la première est recoupée par six petits traits, sont gravées dans la largeur de la planche. Leur réalisation n’est pas nécessairement contemporaine de celle des perforations qui appartiennent peut‑être à une utilisation secondaire du tonneau. Dans l’hypothèse d’un tonneau de stockage, ce signe indique peut‑être un contenu ou une contenance. Ces marques peuvent aussi correspondre à l’estampille du propriétaire ; celles qui sont aujourd’hui tracées par les vignerons concernent le produit stocké et sont effectuées à la craie afin de pouvoir les effacer et réutiliser le récipient.
412La seconde planche correspond au chanteau. Elle appartient à un autre tonneau puisque son diamètre restitué (420 mm) est différent de celui donné par la planche précédente. Un biseau ou chanfrein court également sur son bord. Son assemblage avec les autres éléments du fond n’a pas été effectué avec des chevilles : en effet, aucune perforation n’en marque la tranche. L’épaisseur réduite de ce fond justifie peut‑être un assemblage des planches par un autre système (simple collage ?).
413La méthode traditionnelle de fabrication des fonds de tonneaux consiste à tracer, sur des planches déjà assemblées, le diamètre désiré. Chaque fond est découpé à la doloire* ou à la scie à chantourner, puis raboté afin que les joints soient bien serrés. On taille ensuite le bord en double biseau –se sont les chanfreins externe et interne– à l’aide d’un asseau* puis avec une plane* de fonçage, pour que l’ajustement soit étanche. Les fonds sont fixés par l’intérieur du tonneau : après l’enlèvement du cercle de liage pour relâcher les douelles, le premier fond est installé dans son jable. L’autre fond est ensuite tiré pour sa mise en place avec un tire‑fond (Seymour 1994 : 91–93).
Fond de récipient
414fig. 86
415ci. m.
416Un fond circulaire en épicéa appartient à un récipient composé de douelles : seau, baquet, tonnelet, Il provient du dépotoir du xive s. Son bord a été chanfreiné pour l’adapter dans le jable. Ce fond est très détérioré et usé ; l’épaisseur maximale atteint seulement 4,5 mm. Des fonds de récipients en bois assez similaires ont été découverts à Montpellier, dans un contexte attribué au xive s. (Vingt années de dons 1988 : 28).

FIG. 86 – Fond altéré de baquet ou de tonnelet en épicéa. Première moitié du XIVe s. Dim. En mm : diam. 294, ép. 10. Bords biseautés. (US 1116, inv. 156).
dessin Claudine Munier, Jean Gelot/Afan
Douelle de baquet
417fig. 87
418ci. m.
419Une douelle trouvée dans le dépotoir du xviie s. appartient à un baquet circulaire peu profond. Elle présente un parement interne concave et une face externe convexe. Sa base est légèrement plus étroite que son bord. Sur la face interne, le jable a été taillé à 22 mm de la base pour recevoir la planchette circulaire biseautée constituant le fond du baquet. Sur la face externe et à la même hauteur, un ressaut marque l’emplacement du cercle de liage, qui pouvait être en métal ou en bois. À cet endroit, la teinte plus claire du bois indique la largeur du cerclage : 18 mm. L’intérieur de l’ouverture, qui a été biseautée, permet l’adaptation d’un couvercle en bois. Il pouvait éventuellement posséder des poignées. Le baquet restitué atteint 300 mm de diamètre à l’ouverture, 206 au niveau du fond pour 127 mm de hauteur totale. Sa contenance, calculée à partir de la base du biseau situé sur l’ouverture et du jable, a été évaluée à 5,5 1.

FIG. 87 – Douelle de baquet en sapin avec jable et trace du cercle de liage. Début du XVIIe s. Dim. en mm : h. 128, I. 80, ép. 9. (F7, US 334, inv. 41).
dessin Claudine Munier, Jean Gelot/Afan
420Dans la famille des ustensiles en bois, les récipients assemblés représentent une catégorie très commune au Moyen Âge et aux périodes modernes. Ils côtoient les récipients en bois monoxyles et ceux en osier tressé. Les douelles composent des tonneaux, des baquets de toute dimension, des barattes, etc. (Arminjon, Blondel 1984 : 2 6, 356‑357), mais également des gobelets en épicéa destinés à la boisson (Vivre au Moyen Âge 1990 : 107) répandus du xie au xive s. en Alsace, dans les régions germaniques ou Scandinaves (Burnouf, Rieb 1987 : 7578). En tonnellerie et en boissellerie, la technique d’assemblage des planches permet la réalisation de contenants de différents volumes. À Charavines au xie s., 18 douelles essentiellement en chêne composaient divers modèles (Mille et al. 1993 : 241‑242). À Montpellier, des douelles de tonnelets et de seaux proviennent du comblement d’un dépotoir du xive s. (Vingt années de dons 1988 : 28). Sur les représentations iconographiques illustrant la vie quotidienne (scènes de marché et scènes de cuisine en particulier), ces récipients sont facilement repérables, à côté des formes en vannerie, grâce aux douelles qui permettent leur identification.
421Les douelles sont taillées dans des troncs de chêne. Afin d’obtenir des douelles étanches, au moins un des rayons médullaires du fil du chêne doit subsister dans chaque douelle. Le bois de cœur et l’aubier ne sont pas utilisés. Le parage (taille) des douelles s’effectue à la plane à lame convexe (ou plane creuse) pour évider la face interne et à la plane concave pour tailler la face externe. Les extrémités de la pièce sont coupées en biseau à l’aide d’une doloire (Seymour 1994 : 91).
Robinet à noix
422fig. 88
423é.f.
424Ce robinet en bronze, issu du dépotoir du xviie s., comporte trois parties, une cannelle* fuselée longue de 92 mm et destinée à être placée dans l’ouverture aménagée dans le récipient, un boisseau* conique à neuf facettes extérieures qui reçoit la noix (élément mobile percé sur un seul axe permettant de bloquer ou de laisser passer le liquide), et un bec court à surface supérieure angulaire par où sort le liquide. La noix n’a pas été retrouvée. Ce type de robinet peut être monté sur un tonneau, un vinaigrier ou une petite fontaine. Un autre type de robinet, dit « à cannelle », ne possède pas de bec ; le liquide s’écoule directement par la partie inférieure du boisseau. Dans les deux cas, l’écoulement du liquide contenu dans le récipient est possible quand les trous ménagés dans le boisseau et dans la noix sont dans le même axe.

FIG. 88 – Robinet à noix en bronze appartenant à une fontaine, un vinaigrier ou un tonneau. Début du XVIIe s. Dim. En mm : L 159, sert. 14. (US 262, inv. 3032).
dessin Jean Gelot/Afan
3.4.2.4 Instruments divers
425ci. m., é.f.
Échelle
426fig. 89
427Découverte dans le dépotoir du xviie s., une grande planche en chêne percée de trous a été interprétée comme un montant d’échelle. Elle a été régulièrement taillée sur sa face interne, afin d’aplanir la surface, et grossièrement travaillée sur sa face externe. Sept perforations transversales de section circulaire, destinées à loger les barreaux, sont alignées verticalement sur un axe décentré par rapport au milieu de la pièce. L’espacement des barreaux est de 200 mm.

FIG. 89 – Montant d’échelle en chêne caducifolié. Début du XVIIe s. Dim. En mm : h. act. 1 560, I. 120, ép. 50. Sept perforations pour les barreaux. (F7, US 254, inv. 28).
dessin Claudine Munier, Jean Gelot/Afan
428Ce montant appartient au type classique de l’échelle rustique à deux montants, modèle simple et rudimentaire, utilisé pour les travaux agricoles, domestiques ou de construction.
Manche d’outil
429fig. 90
430Un objet creux en bois, en partie écrasé par le comblement du dépotoir du xvie s., mais vraisemblablement de section circulaire à l’origine, a été interprété comme le manche d’un outil en métal. Des cercles concentriques en relief sont situés sur l’extrémité, trois séries de doubles rainures incisées décorent la partie médiane et la partie supérieure, des empreintes d’un double cerclage, laissées peut‑être par une pièce métallique rapportée sur la partie inférieure, sont visibles grâce à une variante dans la teinte du bois. Un ressaut caractérise la partie supérieure. Bien que très altéré, on peut penser qu’il matérialisait l’emplacement d’une virole sertie et destinée à consolider le manche. Ce dernier a été évidé jusqu’à 22 mm du fond pour introduire la soie épaisse de l’outil.

FIG. 90 – Manche d’outil en érable champêtre. Seconde moitié du XVIe s. Dim. En mm : L. act. 155, diam. 27. Manche creux avec départ de rebord pour la virole, empreintes et décors. (US 544, inv. 69).
dessin Jean Gelot/Afan
431Le bois utilisé est l’érable champêtre, « ce bois dur et homogène se prête très bien à la sculpture et au tournage. Cette espèce se rencontre dans la région de Montbéliard, sur les sols assez riches et dans les haies » (O. Girardclos, laboratoire de Chrono‑Écologie, Besançon).
432La nature de cet objet a été déduite par comparaison avec des outils traditionnels. La déformation ne permet pas de préciser si ce manche était cylindrique ou s’il possédait une silhouette plus complexe adaptée à la main. Ce type de manche, peu caractéristique d’une époque ou d’une fonction, peut être rapporté sur de nombreux outils à main : ciseau à bois, bédane, gouge, plane, fer, roulette,
Lingot de fer
433fig. 91
434De forme très probablement rectangulaire, ce lingot a une épaisseur moyenne de 50 mm. Il provient du dépotoir du xviie s. La découverte de scories métalliques dans la même structure laisse penser qu’une activité artisanale de métallurgie pouvait être développée à proximité.

FIG. 91 – Lingot de fer. Début du XVIIe s. Dim. En mm : L. act. 122, I. 82, ép. 46. (F7, US 254, inv. 3022).
dessin Élisabeth Fuhrer/Afan
3.4.3 De quel bois se chauffe‑t‑on ?
435o.g., c.l.
3.4.3.1 Analyse d’un fagot de branches trouvé devant le mur d’enceinte
436Sept taxons sont identifiés en nombre très variable, quatre sont très présents. Beaucoup de baguettes sont ramifiées et la répartition des diamètres montre une abondance de petits restes (0,5 cm) accompagnés de quelques bois plus gros (2 cm). Malgré quelques lacunes, les quatre taxons les plus représentés existent dans toutes les classes de diamètres.
437Pour plusieurs individus des quatre principaux taxons, le dernier cerne élaboré du vivant de l’arbre est conservé et comporte du bois final. Pour plusieurs, et ce quel que soit le taxon, le parenchyme signalant le repos est même observable. Une exception est à prendre en compte, l’unique reste de saule identifié a été coupé alors que seul le bois initial s’était mis en place.
438Les taxons sélectionnés ont tous un pouvoir calorifique important, ce sont de bons bois pour le chauffage. Le diamètre moyen réduit et l’observation sur le terrain de branches plus ou moins parallèles tendent à montrer que cet ensemble est un fagot destiné au démarrage des foyers. Les branches ont probablement toutes été coupées pendant un même automne ou hiver, sauf la baguette de saule prélevée au printemps. La coupe hors sève favorise la combustion des bois destinés au chauffage, alors que la baguette de saule devait être souple, peut‑être pour servir de lien au fagot.
439Trois restes se répartissent entre le Troène commun et les Cornouillers sanguin ou mâle, deux espèces non séparables par la xylologie. Ces taxons sont rares par rapport au nombre de restes des taxons sélectionnés. Ils ne présentent pas de caractères techniques importants pour des tailles si faibles. Un cornouiller a été coupé alors qu’il élaborait du bois final donc probablement en même temps que les taxons sélectionnés. Ces taxons peuvent être considérés comme accompagnateurs de ceux sélectionnés. Ils se développent là où un prélèvement a eu lieu et n’ont pas été totalement éliminés car ils ne sont pas impropres à la combustion. Ces taxons sont des indicateurs écologiques plus précis que ceux sélectionnés et ils indiquent qu’au moins une partie du bois provient de forêts se développant sur des sols riches en éléments minéraux, notamment en calcium (Paget 1992). Il est peu probable que le saule identifié puisse pousser dans les mêmes conditions de sols que le cornouiller et le troène, ce qui renforce l’idée que cette baguette a été récoltée de façon particulière puis conservée pour une utilisation au moment de la coupe de bois de chauffe.
440Ces résultats seraient, si le contexte archéologique le permet, à comparer à ceux contemporains de l’anthracologie. La découverte de ce fagot de branches pour la combustion, ne présentant qu’un faible nombre de restes (3 pour 49) de taxons accompagnateurs, est un indice de l’alimentation en bois de qualité très sélectionnés pour le chauffage, dont une forme de stockage peut être le fagot avec un lien de saule.
3.4.3.2 Baguettes, copeaux et planches
441D’une façon générale, on peut considérer que les baguettes et les copeaux sont représentatifs des essences utilisées comme combustible.
442Quatre restes partiellement carbonisés, de branches retirées de foyers, proviennent du dépotoir attribué au xive s. Seuls le noisetier et le chêne sont identifiés mais le nombre restreint de restes ne permet pas d’assurer que d’autres taxons ont pu être brûlés. Cinq planches présentent des traces de carbonisation. Elles ont pu servir d’appoint dans un foyer ou être brûlées pour limiter l’encombrement du dépotoir.
443Les baguettes découvertes dans le dépotoir daté du xvie s. sont en plus grand nombre que les autres types. Seuls les ensembles de baguettes ont été échantillonnés, et cela de façon à recouvrir la diversité. Toutes les classes de diamètre sont étudiées dans la mesure du possible pour les petits restes. Un minimum de trente échantillons est imposé, mais si le lot présente une grande diversité en taxons, en diamètre, ou en répartition des taxons dans les diamètres, ce nombre est dépassé jusqu’à ce que soit démontré qu’il y a hétérogénéité.
444La distribution des diamètres montre une prédominance des petits restes (0,5 cm) et deux groupes de baguettes plus fortes, environ 2 cm et de 4 à 10 cm. Parmi les 22 taxons identifiés, trois sont très représentés : le noisetier, l’aulne et le hêtre. Les 5 taxons les plus fréquents ne se répartissent pas dans les diamètres de façon homogène : par exemple, les restes d’aulne sont de petits diamètres (0,2 à 1 cm) alors que ceux de noisetiers font entre 0,8 et 2,7 cm. Le hêtre se rencontre en deux tailles bien différentes : de 0,6 à 0,9 cm et de 2,5 à 10 cm. Les taxons identifiés proviennent de milieux probablement distincts. Tous ces résultats ont contribué à l’extension de l’échantillonnage jusqu’à 90 baguettes et il est évident que ce lot est très hétérogène. Les copeaux, au nombre de 16, présentent aussi une diversité assez importante avec 6 taxons. Les principaux taxons sélectionnés pour leur pouvoir calorifique élevé sont représentés à côté de l’aulne. 41 éclats permettent de constater que le sapin, le chêne et l’épicéa sont utilisés dans les constructions et les mobiliers. Les trois baguettes partiellement carbonisées en charme et en hêtre indiquent qu’au moins une part du lot est constituée de déchets de bois destinés au chauffage. Les restes de noisetier et de hêtre sont effectivement nombreux, il est probable que ces taxons ont été sélectionnés pour leur pouvoir calorifique. De même, les taxons bons combustibles sont représentés dans la majorité des copeaux, souvent produits au moment du débitage de branches. Le chêne est relativement plus abondant sous forme de copeaux que de baguettes alors que le charme est rare dans les deux cas. Il peut exister des différences dans la composition floristique des fagots et des branches qui sont brûlés, mais le nombre de copeaux est insuffisant pour affirmer que ces différences ne sont pas dues au simple hasard. Ici encore, une comparaison avec des résultats anthracologiques pourrait permettre d’étayer ces hypothèses.
445Dans les deux lots, il faut expliquer la part importante prise par l’aulne. Ce bois est un combustible médiocre qui peut cependant être recherché pour alimenter des foyers dont la température peut rester moyenne comme dans les fours de cuisine. C’est également le cas des bois dits « blancs » comme les saules, les peupliers et les bouleaux. Les restes de ces essences sont présents en quantités assez faibles, uniquement sous forme de baguettes, qui ne sont pas compatibles avec une sélection. De plus, les baguettes d’aulne ont des diamètres faibles, inférieurs en moyenne à ceux des baguettes de hêtre et de noisetier qui pouvaient appartenir à des fagots. Il semble alors peu probable que l’on ait les déchets de bois blancs utilisés dans des foyers à température moyenne. Ces déchets peuvent être le reflet d’un élagage ou d’un débroussaillement de jeunes aulnes. Les saules, les peupliers et les bouleaux seraient alors considérés comme des taxons accompagnateurs de formations sur sols humides à mouillés. Là encore, une étude anthracologique peut livrer des résultats complémentaires.
446Les restes de poiriers ou d’aubépines, taxons inséparables par la xylologie, ainsi que ceux de sureaux et pour une part ceux de noisetiers, semblent faire l’objet de rejets ponctuels. Tous les poiriers sont de diamètres importants (2,3 à 4,1 cm). Des sureaux ont leur moelle évidée ou, comme deux noisetiers, une extrémité taillée en pointe. Il est possible que ces aménagements soient dus à un emploi très particulier de ces baguettes. Il est évident que le dépotoir reçoit des déchets de bois d’origines très diverses.
447Quatre taxons, cotonéaster, rosiers, cerisiers (ou pruniers) et amélanchier, sont de la famille des rosacées et peuvent tous se développer en sous‑bois. Ils y sont cependant très peu abondants, exception faite du cerisier. Cotonéaster et amélanchier sont très inféodés aux sols riches en calcaire de versants chauds, bien exposés. Cotonéaster est probablement très rare ou absent dans les environs de Montbéliard, car ses conditions optimales de développement se trouvent en montagne. Le genévrier est indicateur d’un milieu plutôt riche en éléments minéraux et sec, mais surtout obligatoirement ouvert. Les rosacées sont souvent plus nombreuses dans les haies ou dans d’autres formations ouvertes. Cependant, il est improbable que ces baguettes aient été prélevées dans ces milieux, car les taxons plus spécialistes des haies comme l’épine noire, les cornouillers, le fusain auraient accompagné l’unique reste de viorne identifié. Il semble plus probable que ce reste de viorne ait été prélevé dans le taillis d’une forêt sur sol drainé et assez riche en éléments minéraux, avec du bois de chauffage.
448Les rosacées ainsi que le genévrier, sauf peut‑être cotonéaster, peuvent se développer en conditions « naturelles » à Montbéliard, mais en faible quantité. Leur importance dans le lot semble compatible avec cette rareté. Par contre, ces taxons présentent une tradition évidente de cultures. Une culture ornementale de l’amélanchier, du cotonéaster, du rosier et du genévrier, bien que certaines parties des plantes soient consommables, semble probable. Il existe plus de risques d’erreur pour les taxons comme le cerisier ou encore les poiriers ou aubépines, de forts diamètres, car ils sont abondants en conditions naturelles.
449En conclusion, une partie des baguettes reflète la sélection de bois pour le chauffage mais des indices parfois tangibles indiquent que le dépotoir reçoit des déchets soit de débroussaillement soit même d’élagage dans les cultures.
3.4.3.3 Étude xylologique des baguettes dans les dépotoirs
450Une étude xylologique (détermination des restes ligneux humides) a été réalisée à partir de 108 restes de baguettes provenant du dépotoir du xvie s. (US 28, comblement US 544). Ces baguettes, conservées « humides » par ralentissement de l’activité bactérienne aérobie dans le sol humifère probablement souvent engorgé, ont servi à élaborer un diagramme présentant le nombre de restes par taxons comme il aurait été fait en anthracologie. Le nombre de branches analysées est restreint et il n’a pas été calculé de fréquence. Le niveau de conservation du dépotoir est assez élevé, restes de semences, de tissus, mais il ne faut pas exclure que la dégradation des restes ligneux ait pu être différentielle. Il n’a pas été démontré que la fragmentation des baguettes « humides » est indépendante des taxons comme dans le cas des charbons. Ces remarques impliquent que la représentativité de l’étude est limitée. On cherche ici surtout à montrer que les baguettes des dépotoirs, où les rejets sont diversifiés, sont le reflet de plusieurs activités d’où peuvent se dégager la sélection du bois de combustion et une image des milieux prospectés.
Les milieux prospectés
451La diversité est de 16 taxons, ce qui est assez élevé au regard du nombre de restes étudiés. Ces taxons peuvent être rangés par affinités de milieux. Il est évident que ces taxons proviennent de milieux très diversifiés. Il ne semble cependant pas que les haies soient bien représentées dans ce diagramme. En effet, même si des taxons affines des haies comme le noisetier (Corylus avellana), le charme (Carpinus betulus) sont présents, les espèces caractéristiques comme l’épine noire (Prunus spinosa) font défaut. Les baguettes de charme, noisetier sont plutôt à associer avec le hêtre (Fagus sylvatica) proprement sylvicole. Une partie des taxons pourrait être alors issue de forêts sur sols drainés plutôt riches en minéraux qui sont les sols les plus répandus dans le pays de Montbéliard. Des taxons typiquement hygrophiles, l’aulne (Alnus glutinosa), les saules (Salix sp.) et dans une moindre mesure les bouleaux (Betula sp.) et les peupliers (Populus sp.) proviennent de forêts sur sols humides à mouillés essentiellement localisables, à Montbéliard, dans les vallons et les bordures de rivière.
452Les considérations botaniques et historiques qui suivent doivent beaucoup à une collaboration avec la Société d’histoire naturelle du pays de Montbéliard et particulièrement avec J.‑C. Vadam.
453Les autres taxons forment des ensembles moins cohérents mais parfois très précis quant aux conditions de milieu. C’est le cas de l’amélanchier (Amélanchier ovalis) et des cotonéasters (Cotonéaster nebrodensis ou Cotonéaster integerrima) qui sont actuellement des espèces caractéristiques d’un peuplement très spécialisé des conditions xéro‑thermophiles des crêts calcaires et abrupts des côtes du Doubs et du Dessoubre (600 à 700 m) et dont le genévrier (Juniperus communis) est une espèce différentielle : le Cotoneastro Amelanchieretum (fab. 36) Tx. 52. Ces espèces sont actuellement rares et le peuplement typique se résume à une station. Elles peuvent exister dans des peuplements moins spécialisés, notamment les hêtraies thermophiles mais assez élevées en altitude. Le genévrier est encore existant sur les coteaux secs à plus basse altitude. La répartition de ces espèces peut être différente au xvie s. de celle observée aujourd’hui. Pour le genévrier, un botaniste du xvie s., Jehan Bauhin, signale des individus à Vandoncourt, vers 500 m d’altitude. Un manuscrit traitant de la statistique du comté de Montbéliard rédigé en 1791 par J.‑L. Parrot signale que le genévrier est une espèce courante (Vion‑Delphin 1992). Pour l’amélanchier, les citations par les botanistes L.‑E. et Ch.‑E. Berdot, datent du xviiie s. et situent la limite altitudinale inférieure, au contact des vignes de Vandoncourt. Les aires de distribution de Juniperus communis et Amélanchier ovalis semblent donc plus directement limitrophes au comté de Montbéliard ou même les espèces peuvent être rares dans le comté au xvie s. Deux hypothèses peuvent expliquer la présence de ces quelques restes dans le dépotoir, le milieu propre à ces espèces a été exploité. Dans ce cas, des espèces fréquentent des groupements xéro‑thermophiles comme les sorbiers (Sorbus sp., espèces aux bois non identifiable) et les nerpruns (Rhamnus sp.) ; elles sont absentes du diagramme car celui‑ci a une représentativité limitée. Cette hypothèse est peu fiable car l’exploitation de ces milieux passerait davantage par un ramassage des sorbiers, plus volumineux, amélanchier et cotonéaster seraient alors des taxons « accompagnateurs ». Enfin ces taxons peuvent avoir été maintenus ou avantagés au contact des cultures, pour le genévrier, l’utilisation des baies en cuisine peut motiver son maintien, et pour amélanchier et cotonéaster, on pense à un aspect décoratif. Cette hypothèse peut être étayée par la présence de rosiers (Rosa sp.) dont les baguettes font 1,5 cm de diamètre ce qui tend à montrer qu’elles ont été prélevées dans un milieu ouvert, Rosa arvensis, seul le rosier de sous‑bois étant de dimension très modeste. Les autres rosacées comme les pomoïdées (tribu du pommier) peuvent, pour partie, provenir de ces marges des cultures entretenues.
Les types de rejets
Bois de chauffage
454Les nombres de restes du noisetier, de l’aulne et du hêtre sont nettement supérieurs aux autres, ils ont donc fait l’objet de rejets spécifiques. Deux restes de hêtre, dont une branche de 10 cm de diamètre, et un de charme sont en partie carbonisés. Ces deux essences ont des pouvoirs calorifiques élevés. Il semble donc qu’une part des rejets proviennent du bois de chauffage, tout au moins des fagots, même si quelques branches en hêtre ont été jetées. Le hêtre serait alors l’espèce sélectionnée, probablement avec le noisetier, aussi bon combustible. Le chêne n’a pas été spécifiquement recherché et on peut penser que les taxons comme la viorne (Viburnum sp.), le merisier et les pomoïdées sont « accompagnateurs », ils occupent les milieux exploités sans être sélectionnés. Le nombre de restes de pomoïdées, tous de diamètre assez fort (2,3 à 4 cm), semble cependant élevé et a pu faire l’objet d’une recherche ou être pour partie d’une autre origine (cf. supra).
Utilisations particulières
455Bien que probablement sélectionnées pour le chauffage, une partie des baguettes des noisetiers présente des aménagements sommaires d’une extrémité. Celle‑ci est épointée et présente plusieurs facettes de petites tailles. La surreprésentation du noisetier peut s’expliquer par des utilisations très spécifiques de tiges droites ou souples épointées. De même, la moelle d’un sureau (Sambucus sp.) a probablement été enlevée, et pour trois restes, une extrémité est taillée et épointée. Le sureau est aussi employé, très peu travaillé, dans des utilisations particulières.
Indices de débroussaillement ?
456Le diamètre de chaque baguette a été mesuré. La répartition des taxons dans des classes de diamètre n’est pas homogène. L’aulne est présent en restes de petite taille (0,2 à 1 cm). Le hêtre, avec deux tailles bien distinctes (0,6 à 0,9 cm et 2,5 à 10 cm), et le noisetier ont tous un diamètre supérieur à 0,8 cm et font 1,5 cm de moyenne. Les bois durs, sélectionnés pour le chauffage, sont présents sous forme de baguettes de taille supérieure à 1 cm et peuvent atteindre les diamètres de branches. Les restes des autres taxons hygrophiles, saule, bouleau et peuplier, ont tous un diamètre inférieur à 1,1 cm. Ces taxons sont en quantité faible et pourraient être accompagnateurs d’un peuplement d’aulne. Aucun reste de diamètre supérieur à 1,1 cm de bois blancs n’a donc été déterminé. Deux baguettes de 0,6 et 0,8 cm ont une extrémité en biseau allongé tangentiellement qui indique l’utilisation d’une serpe sur des branches de très petit diamètre. Ces restes semblent correspondre à une activité de débroussaillement d’une zone humide ouverte, où l’aulne peut présenter une forte dynamique. Une sélection de bois blancs, combustibles médiocres, pour alimenter des foyers pouvant fonctionner à des températures assez basses semble moins probable du fait de l’absence de restes de diamètre fort.
3.5 Occupations domestiques et sociales
3.5.1 Introduction
457ci. m.
458La première partie de ce paragraphe est tournée vers les objets liés au domaine du textile, limité aux objets de couture et aux accessoires du vêtement, et vers la parure, réduite à un seul bijou. Ici comme précédemment, les éléments qui ont supporté le passage prolongé dans le sol sont ceux réalisés en métal, plus rarement en bois. Le tissu hélas n’a pas résisté et seuls les instruments de couture et les accessoires permettant d’assembler les parties du vêtement nous sont parvenus. Ces petits éléments liés à l’habillement sont relativement communs dans les niveaux archéologiques des xive‑xviie s. Les extrapolations à partir de l’accessoire dans le but de déterminer le vêtement sont encore impossibles à réaliser. Tout au plus pouvons‑nous définir le rôle de ces petits éléments métalliques qui ne sont, pour certains, plus en usage aujourd’hui. Ces trop rares informations sur l’habillement ainsi que sur l’unique bijou découvert, une bague en fer passablement rustique, seront fort insuffisantes pour aborder les questions de mode ou d’esthétique.
459La deuxième partie évoque, à travers les monnaies, les armes et les jeux, des occupations plus ouvertes sur la société que celles traitées jusqu’ici. Les monnaies et les jetons témoignent des échanges et du commerce avec d’autres régions ou d’autres pays. Montbéliard est une ville commercialement (foires) et politiquement (autorité wurtembergeoise) tournée vers l’extérieur. Les armes, ou plutôt les fragments d’armes, attestent des activités de chasse ou de guerre, légitimées pour cette dernière par la proximité des fortifications de la ville. Après les jeux d’armes et nettement moins macabres que ceux‑ci, le jeu de boule, représenté par trois boules en bois, illustre le domaine du loisir.
460En dernier lieu nous présentons les objets qui n’ont pu être classés dans aucun des domaines précédemment exposés, en raison de la difficulté à définir leur fonction. Ils appartiennent par conséquent à la série des « indéterminés ».
3.5.2 Le vêtement et la parure
461é.f.
3.5.2.1 La couture
Fuseau en bois
462fig. 92
463Provenant du dépotoir du xvie s., un fragment d’objet en bois tourné, renflé dans sa partie médiane et fuselé aux extrémités est apparenté à un petit fuseau destiné, lors du filage, à tordre et embobiner le fil. Sa hauteur initiale devait atteindre 132 mm.

FIG. 92 – Fragment d’un fuseau simple non décoré. Seconde moitié du XVIe s. Dim. En mm : h. act. 103, h. restit. 132, I. 14. (US 544, inv. 68).
dessin Claudine Munier/Afan
464Des fuseaux moulurés, d’autres plus simples comme celui‑ci, proviennent de Charavines (xie s.), mais mesurent jusqu’à 300 mm (Mille et al. 1993 : fig. 179, nos 15‑20). Strasbourg en a également livré pour ce même siècle (Burnouf, Rieb 1987 : 7578). On a dénombré d’autres fuseaux, pièces longues en érable, datés du xive s. à Montpellier (Vingt années de dons 1988 : 30).
Dé à coudre en bronze
465fig. 93, no 1
466Ce dé, qui provient du dépotoir comblé dans la seconde moitié du xvie s., est fragmentaire, l’extrémité fermée a disparu. Le corps est décoré de motifs en relief emboutis dans une tôle de bronze. La moitié inférieure, du côté de l’ouverture, est décorée d’une petite frise limitant une ligne de cercles entourés de grènetis, entre lesquels sont placées deux lignes de minuscules losanges. Un très fin motif (feuilles ?) est situé dans chacun des cercles. La zone supérieure est composée d’une ligne de points formant une spirale serrée, logiquement jusque sur le bout. L’ouverture, mesure 15 mm de diamètre.

FIG. 93 – Objets de couture en métal. Seconde moitié du XVIe s. (1, 2‑8), début du XVIIe s. (9‑11). Dim. En mm. 1 dé à coudre en bronze. H. act. 21, diam. Base 14,5. (US 544, inv. 3192) ; 2 épingle en bronze à tête enroulée. L. 38,5, sect. 1, diam. Tête 2. (US 55, inv. 2877) ; 3 épingle en bronze à tête enroulée. L. 28,5, sect. 1, diam. Tête 2. (US 55, inv. 2874) ; 4 épingle en bronze à tête enroulée. L. 29, sect. 1, diam. Tête 1. (US 55, inv. 2875) ; 5 épingle en bronze à tête enroulée. L. 30,5, sect. 1, diam. Tête 1,5. (US 55, inv. 2876) ; 6 épingle en bronze doré ou laiton. L. 29, diam. Tête 3 (US 544) ; 7 épingle en bronze doré ou laiton. L. 24,5, diam. Tête 2 (US 544) ; 8 épingle en bronze doré ou laiton. L. 26, diam. Tête 2,5 (US 544) ; 9 aiguille en bronze. L. 32, sect. 3,5. (US 37, inv. 2812) ; 10 aiguille (ou épingle décorative ?) en bronze. L. act. 126, sect. 1,5. (US 238, inv. 2962) ; 11 aiguille en bronze. L. act. 81, sect. 1. (US 238, inv. 2963).
dessin Jean Gelot, Élisabeth Fuhrer/Afan
Épingles en bronze ou en laiton
467fig. 93, nos 2-8
468Soixante‑trois épingles proviennent du site. Deux exemplaires se distinguent par leur taille, ils atteignent 50 mm et plus, et seront étudiés plus bas, dans la partie consacrée aux accessoires de vêtement. Sur les soixante et une épingles mesurant entre 17 et 38 mm, avec une moyenne de 25 mm, quarante‑huit proviennent du dépotoir comblé dans la seconde moitié du xvie s. Le remplissage de cette fosse de latrines ayant été entièrement tamisé, ces petits objets, généralement difficiles à percevoir, ont été récupérés ici de façon exhaustive. Les têtes qu’il est possible de détailler sont formées d’un fil enroulé. Ces épingles servaient lors de travaux de couture.
Aiguilles en bronze
469fig. 93, nos 9-11
470Deux aiguilles en bronze, de grande dimension et à tige fine, proviennent du dépotoir du début du xviie s. L’une est brisée dans la partie supérieure du chas, l’autre (ou s’agit‑il d’une épingle décorative ?) présente un chas effectué avec l’extrémité repliée de la tige. Toutes deux sont tordues. Une troisième aiguille en bronze appartient à un niveau de la fin du xvie début du xviie s. Elle est plus épaisse et beaucoup plus petite que les précédentes.
3.5.2.2 Les accessoires du vêtement
Agrafes en bronze ou en laiton
471FIG. 94, NOS 1, 2
472Douze agrafes (11 à 13 mm) et leurs portes (12 à 15 mm), anneau dans lequel s’engage l’agrafe, ont été découvertes. Elles sont de forme identique à celles qui sont encore actuellement employées. Leur fabrication est réalisée à partir d’un fil en métal cuivreux. Elles proviennent toutes du dépotoir daté du xvie s.

FIG. 94 – Accessoires de vêtement en métal. Dim en mm. 1 agrafe en bronze doré ou laiton. L. 8, I. 8. Seconde moitié du XVIe s. (US 544, inv. 3142) ; 2 porte en bronze doré ou laiton. L. 10, I. 9 à 11. Seconde moitié du XVIe s. (US 544, inv. 3255) ; 3 épingle en fer. L. 50, sect. 1,5. Début du XIVe s. (US 1115, inv. 3724) ; 4 épingle en fer. L. 68, sect. 1,5. Fin du XVe s. ; 5 ferret en bronze doré ou laiton. L. act. 30, sect. 2. Seconde moitié du XVIe s. (US 544, inv. 3245) ; 6 ferret en bronze. L. 29, sect. 2,5. (US 333) ; 7 ferret en bronze. L. 30, sect. 2. (US 322, inv. 3090) ; 8 ferret en bronze doré ou laiton. L. act. 25,5, sect. 2,5. Seconde moitié du XVIe s. (US 544, inv. 3244) ; 9 ferret en bronze doré ou laiton. L. act. 19, sect. 2. Seconde moitié du XVIe s. (US 544, inv. 3242) ; 10 ferret en bronze doré ou laiton. L. act. 22, sect. 2. Seconde moitié du XVIe s. (US 544, inv. 3243) ; 11 ferret en bronze doré ou laiton. L. 27,5, sect. 2. Seconde moitié du xvie s. (US 544, inv. 3241) ; 12 chape de boucle de ceinture (?) en bronze. L. 36, I. 20. Deux plaques rivées par quatre rivets. (US 757) ; 13 boucle en bronze. L. 24, I. 21, sect. 2. Décor de 4 boules. (US 1060, inv. 3713) ; 14 boucle en bronze. L. 31, I. act. 20, ép. 2. Décorée d’une rainure incisée. (US 55, inv. 2872) ; 15 ardillon en fer. L. 41,5, sect. 3. Traces de limes. (US 478, inv. 3130) ; 16 passant de lanière en bronze. L. 26, I. 7, ép. 5. Décor en relief de quatre demi sphères inscrites dans un rectangle. Seconde moitié du XVIe s. (US 544, inv. 3251) ; 17 applique décorative (paillette ou banquelet) en bronze doré ou laiton. L. 20, I. 6, ép. 0,5, diam. des perforations 2. Seconde moitié du XVIe s. (US 544, inv. 3250).
dessin Jean Gelot, Élisabeth Fuhrer/Afan
Épingles en fer
473fig. 94, nos 3, 4
474En fonction de leur taille (plus de 50 mm), elles étaient plutôt employées pour le maintien des coiffures (Viollet‑le‑Duc 1854 1868 : 343, 344) que pour la couture. La plus petite, datée du xive s., possède une tête enroulée. L’autre, attribuée à la fin du xve s., a une tête sphérique.
Ferrets en bronze ou en laiton
475fig. 94, nos 5‑11
476Ils sont au nombre de treize, tous en bronze ou en laiton, sauf un qui est en métal argenté. Leur longueur est d’environ 30 mm. Ils sont formés à partir d’une petite plaque métallique enroulée en cône. Ils proviennent pour la quasi‑totalité de contextes datés des xve et xvie s. Placés au bout de lacets ou d’aiguillettes*, ils permettaient le passage plus aisé de ceux‑ci dans les œillets des vêtements. Les lacets et les aiguillettes avaient des usages multiples, par exemple maintenir des pièces du costume (chausses* et pourpoint* ou les manches qui étaient souvent amovibles) ou ajuster les pourpoints et les corsages.
Chape en bronze
477fig. 94, no 12
478Deux fines tôles de bronze maintenues par des rivets correspondent peut‑être à un fragment de chape d’une boucle de ceinture. Fixée originellement sur un côté de la boucle, la chape sert à associer le cuir de la ceinture à la boucle.
Boucles en bronze
479fig. 94, nos 13 15
480Les boucles sont composées d’un cintre de forme quadrangulaire, circulaire ou semi‑circulaire et d’un porte‑ardillon.
481Une boucle ovale possède un cintre décoré de quatre sphères soudées (no 13). Elle est similaire à une boucle découverte sur le site de Rougemont‑le‑Château (Territoire de Belfort) datée du xive s. (Walter 1993 : 93, fig. 3).
482Une autre, rectangulaire, de section carrée comportait un ardillon, lui aussi de section carrée. Elle provient du remplissage du dépotoir du xvie s. Cette boucle a pu être utilisée pour une ceinture, mais peut‑être pour l’assemblage ou le réglage des cuirs d’un harnais.
483La troisième est de forme rectangulaire aux angles arrondis (no 14). Elle est décorée de stries qui épousent la forme de l’anneau et de stries obliques partant des angles et allant très probablement jusqu’au porte‑ardillon. Elle est fortement usée à l’emplacement où l’ardillon venait buter. Sur l’arrière, des traces de lime, dues aux retouches effectuées après la sortie du moule, sont visibles.
484Un ardillon isolé, d’une section circulaire, a son anneau d’attache brisé (no 15). Des traces de lime sont visibles sur cette partie. Ce fragment de boucle est en fer.
Passant de lanière en bronze
485fig. 94, no 16
486Ce passant est constitué d’un fourreau de section rectangulaire, surmonté d’un anneau. Le fourreau est décoré sur chaque face extérieure d’un rectangle encadrant quatre bosselettes en relief alignées et limitées par deux traits en relief parallèles aux grands côtés du rectangle. Cet objet a été réalisé par moulage. Il provient du dépotoir comblé dans la seconde moitié du xvie s. L’anneau était cousu sur le vêtement, une lanière de tissu ou de cuir passait dans le fourreau.
Applique décorative en bronze ou en laiton
487fig. 94, no 17
488Une applique décorative en bronze, de forme rectangulaire, ne porte aucun décor. Elle possède simplement une perforation de fixation à chaque extrémité. Elle est assimilée à une paillette (plutôt à rivet central) ou à un banquelet, petite plaque cousue sur les vêtements ou rivée sur le cuir d’une ceinture. Elle provient du dépotoir daté de la seconde moitié du xvie s.
3.5.2.3 Un bijou
489fig. 95
490Un seul objet appartient au domaine de la parure : il s’agit d’une bague en fer, déformée et brisée. Son chaton, non décoré, est en forme de losange. Le chaton et l’anneau ont été forgés dans la même tige. Elle provient du dépotoir daté de la seconde moitié du xvie s. Elle ne présente aucun aspect luxueux.

FIG. 95 – Bague en fer, déformée et brisée. Seconde moitié du XVIe s. Dim. En mm : L. act. 21, sect. 2 x 1,5. (US 544, inv. 3155).
dessin Jean Gelot/Afan
3.5.3 Vie administrative et sociale
3.5.3.1 Les échanges
491c.g., é.f.
Plomb de contrôle
492fig. 96
493Ce plomb de contrôle dit « à plateau » est constitué de deux disques de 17 mm de diamètre reliés par une languette. L’un d’eux possède un pédoncule qui est inséré dans le trou percé dans l’autre disque. Ce plomb a été posé sur un tissu, dont il conserve encore quelques fibres, et ne porte pas d’estampille. Il provient du dépotoir comblé dans la seconde moitié du xvie s.

FIG. 96 – Plomb de contrôle en plomb. Deux rondelles rivées par le milieu et attachées ensemble par une petite patte. Seconde moitié du XVIe s. Dim. En mm : diam. 18,5, ép. 2,5. (US 544, inv. 3253).
dessin Jean Gelot/Afan
494Ces objets, habituellement rivetés sur diverses marchandises (draps, sel ou tabac en particulier) lors de leur commercialisation, sont généralement estampillés au cours de différents contrôles par les corporations ou la douane et garantissent la qualité ou l’origine du produit. À Montbéliard, l’utilisation de ces plombs est obligatoire dans l’industrie textile depuis 1584 au moins, date d’une ordonnance du comte Frédéric qui déclare le métier de drapier nouveau dans le pays. Il exige dès lors qu’après contrôle les draps soient marqués et scellés d’un plomb armorié afin d’augmenter leur renommée (Mauveau, Nardin 1910 : 384). L’absence d’estampille sur le plomb de Montbéliard/Velotte indiquerait qu’il n’a subi aucun contrôle. Pierre‑Jean Trombetta signale qu’à Paris, une pièce de tissu peut comporter jusqu’à treize « marques différentes dont onze étaient susceptibles d’être indiquées par un plomb. Ce sont dans l’ordre : marque individuelle de la toile (en principe cousue ou imprimée), puis une marque provisoire, ensuite les marques de foulons, d’auneurs, de teinturiers, d’apprêteurs, puis le sceau de fabrique, celui du bureau de contrôle, celui de la douane de départ et de la douane d’arrivée, le sceau de marque foraine et enfin celui des drapiers‑marchands » (Trombetta 1994 : 82‑83). Des plombs de contrôle ont été découverts sur différents sites archéologiques à Paris –jardins du Carrousel, cour Napoléon (Trombetta 1994 : 82)– et en Alsace (Burnouf, Rieb 1987 : 7575), par exemple.
Inventaire des monnaies et des jetons
495Douze monnaies seulement ont été découvertes sur l’ensemble du site, elles ont été déterminées par M. Duplessy (cabinet des Médailles). Elles sont réparties en quatre monnaies et jeton du xve s., un jeton de Nüremberg du xvie s. ou du xviie s., deux monnaies du xviie s. Une monnaie romaine, une monnaie du xixe s. et trois illisibles accompagnent ce lot.
496US 13 : Louis XIV, liard de cuivre, 1655‑1658 ou 1693‑1775.
US 37 : illisible.
US 42 : seigneurie de Reckheim (ou Rockheim), Guillaume II de Sonelreffe (1400‑1475), pièce de billon (double mite ?) [Delley no 33 A var.].
US 89 : Jean de Heinsberg (1419 1455), évêque de Liège, monnaie de billon [Ebestret de Haneffe no 329].
US 243 : Napoléon III, pièce de 5 cts., monnaie en cuivre (vers 1852 ou 1853).
US 293 : Empire romain, illisible, bronze.
US 396 : jeton de compte du xve s., légende Ave Maria Gracia Plenia (ou Plena).
US 411 (1) : duché de Brabant, Philippe le Bon (1430‑1467), pièce de 4 mites, Malines s. d. (1458 1459), monnaie de billon [Van Gelder‑Hox no 18‑1 a].
US 411 (2) : illisible.
US 728 (1) : jeton de Nuremberg fabriqué par Hans Krauwinckel, D/Hanns Krauwinkel in Nur., R/Gott allein die Ehrl (?) sei, laiton. Hans I, maître de 1562 à 1586 (date de sa mort).
Hans II, maître à partir du 26/11/1586, cesse de frapper monnaie en 1631.
US 728 (2) : Lorraine, Henri 11 (1608‑1624), monnaie de billon.
US 825 : illisible.
3.5.3.2 L’armement
497é.f.
498Dans ce groupe figurent les objets qui se rapportent à la chasse ou à la guerre ou encore à leur prolongement, les jeux d’adresse. Il n’est pas possible de préciser dans laquelle de ces activités les projectiles ont été utilisés. Sur les quatorze objets rangés dans le domaine de l’armement, treize sont des projectiles d’armes de tir (arc, arbalète et arme à feu), le dernier est un accessoire d’arme de corps (poignard ou couteau).
Pointe de flèche
499fig. 97, no 1
500Une seule pointe de flèche a été trouvée sur le site. Elle est de type foliacé, composée d’une pointe très mince (1 mm) et d’une douille de 10 mm de diamètre. Ces deux parties sont à peu près d’égale dimension. Destinée à l’emmanchement, la douille est formée par l’aplatissement et l’enroulement d’une extrémité de la feuille de métal. Cette pointe de flèche a été découverte dans le dépotoir daté du début du xviie s. Bien que l’usage de l’arc en tant qu’arme de guerre se soit estompé avec le développement de l’arbalète au xiiie s., son emploi a perduré pour la chasse et pour le jeu (exercices ou concours d’archers).
Carreaux d’arbalète
501fig. 97, nos 2‑4
502Les carreaux d’arbalète sont composés d’une pointe pleine, généralement losangique ou triangulaire pour l’impact, munie d’une douille creuse destinée à être emmanchée sur une hampe en bois. L’ensemble hampe et pointe forment le vireton. Les cinq carreaux découverts à Montbéliard/Velotte sont composés d’une extrémité pleine plus ou moins pointue et d’une douille creuse de section circulaire à entrée évasée. Quatre exemplaires ont une section losangique, le dernier une section triangulaire. Les pointes à section losangique ont une forme soit losangique (les côtés formant la pointe sont de mêmes dimensions que ceux reliés à la douille), soit sublosangique (les côtés formant la pointe sont plus courts que ceux reliés à la douille).

FIG. 97 – Projectiles et fragments de bouterolle en métal. Dim. En mm. 1 pointe de flèche en fer. Début du xviie s. L. 73, diam. 9,5, ép 2. En forme de feuille de saule. (US 254, inv. 3024) ; 2 carreau d’arbalète en fer. XIVe s. L. 70,5, sect. 12. Fer de section losangique. (US 301, inv. 3086) ; 3 carreau d’arbalète en fer. XVe s. L. 85, sect. 11,5. Fer de section losangique. (US 894, inv. 3651) ; 4 carreau d’arbalète en fer. XVIIe s.? L. 57, sect. 12,5. Fer de section triangulaire. (US 921, inv. 3675) ; 5 balle en plomb. Sec. moitié du xvie s. Diam. 6,5. (US 544, inv. 3156) ; 6 balle en plomb. Sec. moitié du XVIe s. Diam. 7,5. (US 544, inv. 3158) ; 7 balle en plomb ayant subi un impact. Sec. moitié du XVIe s. Diam. 21. (US 544, inv. 3160) ; 8 balle en plomb ayant subi un impact. Sec. moitié du XVIe s. Diam. 16. (US 544, inv. 3159) ; 9 balle en plomb écrasée, ayant subi un impact. Sec. moitié du XVIe s. L. act. 32, I. act. 31, ép. 3. (US 334, inv. 3093) ; 10 bouterolle de fourreau de couteau (?) en bronze. Début du XVIe s. L. act. 38, I. 25, ép. 1. Plaque pliée en deux et rivée, formant une pointe. Décor embouti de lignes et de points. (US 1027, inv. 3705).
dessin Jean Gelot, Élisabeth Fuhrer/Afan
503Le premier carreau d’arbalète, non illustré ici, est trop oxydé pour être décrit, on peut uniquement distinguer sa section losangique. Il a été découvert à l’extérieur de la ville dans un remblai situé entre le mur d’enceinte et le mur de boulevard. Il est donc antérieur ou contemporain à la construction de ce boulevard (seconde moitié du xve début du xvie s.).
504Le deuxième carreau (no 2) possède une pointe effilée de section et de forme losangique et une douille peu évasée. Il provient d’une couche de remblai située à proximité de la muraille, dans un niveau attribué au xive s. On peut le rapprocher de carreaux découverts à Rougiers (Var), à Rougemont le Château (Territoire de Belfort) et à Essertines (Loire). Sur les deux premiers sites ils sont datés du xiiie s, sur le troisième du xiie ou du xiiie s. Ces pointes sont tranchantes et ont la capacité de bien pénétrer les cottes de mailles (Démians d’Archimbaud 1989 : 446, fig. 426 ; Walter 1993 : 132 ; Maccari‑Poisson 1993 : 144).
505Le troisième carreau, non illustré ici, est le plus grand. Il a une pointe de section losangique et de forme sublosangique, à extrémité renflée et peu pointue. Sa douille, large et évasée, suppose l’utilisation d’une hampe épaisse. Ce carreau provient d’une couche de démolition datée du xvie s.
506Le quatrième (no 3) est épais, assez semblable au précédent, avec une tête de section losangique et de l’orme presque ovale. La jonction entre la douille et la pointe n’est marquée d’aucun resserrement. Ce carreau est daté de la seconde moitié du xve s. et provient d’un niveau de démolition de la maison B.
507Le dernier carreau (no 4), très court, possède une pointe dont l’extrémité est de section et de forme triangulaire. Il est issu d’une couche de remblai liée à l’installation de la Souaberie, et ne peut donc être postérieur au xviie s. Ce type de carreau existe à Rougiers (Var) et à Rougemont‑le‑Château, dans des niveaux datés des xiiie‑xive s. (Démians d’Archimbaud 1989 : 446, fig. 426 31 ; Walter 1993 : 131‑132).
508La technique de fabrication est identique dans les quatre cas. À partir d’une barre de fer, une extrémité est façonnée pour former une pointe, de taille et de morphologie variées. L’autre extrémité est aplatie, puis enroulée pour constituer la douille. Les détails relatifs à la plus ou moins bonne qualité du travail sont masqués par l’oxydation.
509Les carreaux sont les seuls éléments du vireton qui ont résisté au temps ; la hampe, en bois ou en jonc, et l’empennage ont disparu. L’arbalète servait indifféremment d’arme de chasse ou de guerre et, selon Viollet‑le‑Duc (1854 1868 : t. 5, p. 20‑38), elle existe dès les premières croisades, mais est essentiellement utilisée entre le xiie et le xvie s. Elle perdra ensuite de son importance avec le développement des armes à feu. Et même dans les jeux d’armes, le tir à l’arbalète, arme trop lourde, trop chère et d’un maniement compliqué comparativement à l’arc, ne perdurera pas après le xvie s. (Mehl 1990 : 62).
Balles en plomb
510fig. 97, nos 5‑9
511Sept balles en plomb ont été découvertes sur le site. Six proviennent du dépotoir comblé dans la seconde moitié du xvie s., parmi lesquelles trois sont intactes (nos 5, 6). Leur diamètre varie de 6,5 à 7,5 mm. Le plan de joint et l’arrêt des jets de coulée, empreintes de leur fabrication dans des moules bivalves, sont nettement visibles. Les trois autres ont été déformées par l’effet d’un impact et leur diamètre d’origine n’est pas déterminable (nos 7, 8). Le calibre des balles intactes est trop réduit pour un emploi dans une arme de guerre. Elles ont certainement été utilisées, sous forme de grenaille, pour la chasse au petit gibier. Au sein d’une même gerbe, les balles peuvent arriver intactes ou être plus ou moins déformées, en fonction de la résistance du but atteint. Il est impossible de déterminer le type d’arme à feu qui les a projetées.
512La septième balle provient du dépotoir daté du xviie s. (no 9). Le choc lors de l’impact l’a complètement éclatée.
Bouterolle de fourreau de couteau ou de poignard
513fig. 97, no 10
514Un fragment d’une fine plaque de bronze repliée pourrait correspondre à la pointe métallique (ou bouterolle) d’un fourreau en cuir ou en tissu. Les bords sont maintenus l’un à l’autre par deux rivets encore en place qui servaient également à fixer le cuir ou le tissu. Un décor par estampage dessine un « V », à l’intérieur duquel des cercles sont organisés en quinconce.
515Malgré la proximité des fortifications, l’utilisation des armes à l’intérieur de l’espace urbain semble peu développée. Si l’on ne connaît pas la destination précise de la pointe de flèche et des carreaux d’arbalète (homme ou animal ?), il semble que les balles en plomb issues du dépotoir utilisé dans la seconde moitié du xvie s. ont pu être rejetées avec les restes d’animaux chassés.
3.5.3.3 Le jeu et la lecture
Boules de jeu en bois
516fig. 98
517ci. m.
518Trois boules sphériques de différents diamètres ont été tournées. Sur la petite et sur l’une des deux grosses, des lignes sont gravées en croix. Un petit creux situé sur la surface, à la croisée des lignes gravées, correspond sans doute à la marque laissée par le tour à bois.

FIG. 98 – Boules de jeu en hêtre (1), en tribu du pommier (2, 3). Début du XVIIe s. Dim. En mm. 1 Diam. 106. Tournée, décorée de lignes gravées. Bois noueux et écorce. (F7, US 254, inv. 27). 2 Diam. 128. Tournée. (F7, US 254, inv. 26). 3 Diam. 126. Tournée, décorée de lignes gravées entrecroisées. (F7, US 254, inv. 25).
dessin Jean Gelot/Afan
519« Ces trois boules présentent une gangue noire et dure qui est probablement le fait de leur utilisation. Les deux plus grosses sont en poirier ou aubépine dont les bois durs sont appréciés par les tourneurs. Le bois d’aubépine présente une importante résistance aux frottements, mais la détermination xylologique ne permet pas d’être certain qu’il a été spécifiquement choisi ici. La plus petite a été réalisée en hêtre, dont le bois également dur se tourne très bien. La partie utilisée est très noueuse ce qui peut augmenter sa dureté. » (O. Girardclos, laboratoire de Chrono‑Écologie, Besançon.) L’iconographie et les textes anciens, ainsi que l’archéologie, attestent l’usage courant de ce type de jeu à la fin du Moyen Âge et aux périodes modernes.
520Les jeux utilisant des boules en bois étaient nombreux à ces périodes, la boule pouvant être lancée à la main (à la volée ou à la glisse), mais également poussée ou frappée à l’aide d’un instrument en bois. Le but consistait à atteindre un point précis, à faire franchir la boule à un ou plusieurs obstacles ou à abattre des quilles. Les actuels pétanque, croquet, golf ou quilles sont les héritiers de ces jeux anciens. Le jeu de boules se déroulait en extérieur, sur les places et dans les rues ou dans des endroits aménagés appelés « bourloires » ou « bouloires » au xve s. (Mehl 1990 : 51‑53). Des textes mentionnent, pour cette même période, des compétitions organisées entre des équipes de plusieurs joueurs ou de différentes paroisses (Mehl 1990 : 389), jeux qui étaient parfois interdits, à cause des rixes engendrées par les paris (Mehl 1990 : 348 et 364). Les textes judiciaires, ordonnances urbaines et procès, relatifs aux conflits engendrés par les jeux sont des sources très riches sur l’usage du jeu de boules (Saunier 1993 : 78).
521L’archéologie n’est pas en reste et témoigne de l’utilisation de ces boules à differentes époques : à Strasbourg, place du Marché Neuf, une fosse de latrines dont le comblement est attribué au xive s. a livré neuf boules tournées, lisses et incisées d’une croix, de 80 à 120 mm de diamètre. Elles ont été interprétées comme des boules pour brodeuses et raccommodeuses (Vivre au Moyen Âge 1990 : 104‑105), ou des boules de jeu (Burnouf, Rieb 1987 : 7578). À Besançon, rue de Vignier, trois boules en bois de 94 à 100 mm, ainsi qu’un cochonnet de 30 mm de diamètre proviennent d’une citerne comblée au tout début du xive s. (Goy 1990 : 23). À Meaux, rue du Grand Cerf, une boule en bois d’un diamètre de 100 mm est issue d’un contexte attribué au xvie s. Les dimensions des boules semblent peu régulières, comprises entre 80 et 128 mm pour des exemplaires qui ne faisaient pas forcément partie du même type de jeu.
522Dans les Pyrénées Orientales et avant l’apparition de la boule en acier, on fabriquait des boules de pétanque cloutées. À partir d’un cube de hêtre pour les modèles peu onéreux, de buis pour ceux de qualité supérieure, l’artisan tournait des boules qu’il incisait de deux cercles entrecroisés. Ceux‑ci étaient destinés à le guider dans la pose de clous qui décoraient les boules et qui permettaient de distinguer chaque paire par l’alternance de clous en fer, en cuivre rouge et en laiton (Mouret 1994 : 70). Les incisions présentes sur les boules archéologiques n’avaient sans doute pas pour fonction de guider la pose de clous puisque l’on n’en a pas retrouvé les marques. En revanche, ces incisions pouvaient servir à personnaliser l’objet.
Ferrures de livre
523fig. 99
524é.f.
525Une plaque quadrangulaire en bronze (fig. 99, no 1) possède une sorte d’ardillon légèrement courbé dont la pointe est cassée. À l’opposé se trouve une petite perforation de 3,5 mm de diamètre. Cette plaque a peut‑être été utilisée comme élément de fermoir de livre.

FIG. 99 – Ferrures de livre (?) en bronze. Début du XVIIe s. Dim. En mm. 1 ardillon. L. 49, I. 11, ép. 1. Percé d’une ouverture circulaire. (US 450, inv. 3125) ; 2 plaque ouvragée. L. 38, I. 13, ép. 1. Percée d’une ouverture circulaire terminée par un triangle, décor de stries et fleur. (F7, US 238, inv. 2996).
dessin Jean Gelot/Afan
526Une plaque ouvrée en bronze est découpée d’un triangle relié à un cercle (fig. 99, no 2). Une extrémité est percée d’une petite perforation de fixation, l’autre extrémité est brisée. Cet objet peut‑il avoir la même fonction que le précédent ?
3.5.4 Les objets indéterminés
527ci. m.
528Trois planchettes, au profil découpé en forme de balustre plat et aux extrémités biseautées, proviennent du dépotoir comblé au xive s. (fig. 100).

FIG. 100 – Planchettes à profil en balustre en sapin blanc (1, 2) et en chêne (3) : fonction indéterminée (ranches de caisses de charrette ?). Première moitié du XIVe s. Dim. En mm. 1 H. 385, I. 74, ép. 15. (US 1116, inv. 164). 2 H. 402, I. 60, ép. 14. (US 1116, inv. 165). 3 H. 402, I. 60, ép. 10. (US 1116, inv. 166).
dessin Claudine Munier, Jean Gelot/Afan
529La première présente une extrémité arrondie et une extrémité quadrangulaire plus large, la partie médiane étant caractérisée par une découpe qui s’évase puis s’interrompt en formant un angle droit avec le corps de la planchette (fig. 100, no 1).
530La seconde possède deux extrémités quadrangulaires (fig. 100, no 2). La partie centrale, de même forme que celle de l’exemplaire précédent, est percée latéralement par un trou de clou.
531La dernière est très détériorée (fig. 100, no 3). Sa forme globale n’est pas reconnaissable. Elle n’est rapprochée de la précédente que par ses dimensions et par une de ses extrémités biseautées.
532S’agit‑il d’éléments composant un instrument ou d’outils finis ? Puisqu’elles proviennent du même dépotoir que les essieux, nous nous sommes interrogés sur un éventuel lien entre eux, avec l’hypothèse de tanches*, délimitant la caisse de la charrette et permettant l’installation de ridelles. Cependant, d’autres hypothèses peuvent être avancées, comme celle de gabarits destinés à la fabrication d’objets en bois ou en tout autre matériau.
533Un minuscule fragment de bois mouluré est susceptible d’appartenir à des objets tels qu’une pointe de fuseau, un décor de tête d’épingle. La partie médiane, située entre les deux moulures, est de section quadrangulaire, à angles biseautés. Les moulures représentent une succession de petites gorges. Il provient du dépotoir comblé à la fin du xvie s.
534Une fine baguette fragmentaire en troène présente une quinzaine de perforations sur sa partie conservée (fig. 101). Celles‑ci sont irrégulières, pas toujours axées et traversent la baguette de part en part. Sur une extrémité, deux encoches sur les côtés semblent marquer une limite quelconque. Cet objet indéterminé a été découvert dans le dépotoir attribué au début du xviie s.

FIG. 101 – Baguette en troène percée de quinze trous. Début du XVIIe s. Dim. en mm : L. act. 181,1. 18,5, ép. 3,5. (F7, U5 254, inv. 38).
dessin Jean Gelot/Afan.
3.6 Conclusion
535ci. m.
536Le caractère hétéroclite et le petit nombre d’objets déterminés rendent délicate toute synthèse sur le mobilier découvert à Montbéliard/Velotte.
537En effet, les pièces les moins fragmentaires, donc les plus aisément identifiables, sont concentrées d’une part dans les dépotoirs où les conditions de rejet et le type de comblement ont permis leur conservation, et d’autre part dans le niveau d’abandon d’une maison. Ainsi limités à quatre ensembles, la majorité des objets ne révèlent qu’une image très partielle de la vie quotidienne des habitants du quartier : le dépotoir du xive s., pauvre en mobilier, semble appartenir à un bâtiment public. Il a été daté par la dendrochronologie. Les niveaux d’abandon de la maison du xve s., datés par la stratigraphie, n’ont livré quasiment que du mobilier céramique. Le dépotoir comblé au xvie s., qui appartient à l’hôtel particulier de la famille Virot, contenait des objets très divers, utilisés dans un milieu social aisé. C’est le verre qui a permis la datation de cet ensemble. Le dépotoir du début du xviie s., essentiellement daté par la céramique, semble correspondre à un comblement secondaire où les objets ne sont rattachés à aucun contexte particulier.
538Aussi est‑il dérisoire d’aborder l’évolution de l’utilisation d’un objet entre le xive et le xviie s., sachant qu’il est impossible sur de si petits échantillons de faire la part entre ce qui n’a pas résisté au temps et ce qui n’est plus en usage. C’est donc plus l’originalité et les qualités de chaque objet qui permettent d’apprécier les habitudes des habitants de ce quartier et les savoir‑faire des artisans d’une époque donnée.
539Il s’est agit ici de donner un inventaire commenté des objets découverts plutôt que de définir une histoire des pratiques qui garde un caractère anecdotique : même si le trousseau de clé par exemple apparaît comme un symbole de l’espace privé, familial et conjugal, et n’est pas réduit à sa stricte définition d’objet destiné à relier les clés, il demeure hypothétique de restituer la façon dont l’ensemble était attaché à la ceinture ou de préciser la destination de chacune des clés.
540Le décor quotidien, même s’il est fort incomplet, est suggéré par ces quelques objets épars. Les objets archéologiques découverts dans les lieux d’habitation signaient, au‑delà de leur simple existence à un moment donné, la façon dont certaines réalités matérielles ont été vécues par les hommes. La présence de latrines, l’utilisation de tuiles, de vitrages ou de décoration dans la construction de maisons dénotent, tout comme l’atmosphère intérieure illustrée par le chauffage au poêle ou par l’éclairage, l’accès à un certain confort. L’homme médiéval ou moderne sait tirer un profit maximal des choses qui sont à sa portée ; les arbres et les autres végétaux, par exemple, qu’il transforme pour son usage alimentaire ou pour celui des animaux domestiques, pour un usage médicinal ou un usage technique (construction d’habitations, fabrication d’objets de toute sorte, production de chaleur et d’énergie, etc.).
541La plupart des objets découverts à Montbéliard trouvent un écho dans divers sites archéologiques datés des mêmes périodes. On utilise en effet certains types d’objets sur un large espace. Les écuelles en bois par exemple sont communes à de nombreuses régions. En revanche, d’autres objets sont moins connus des archéologues bien qu’on soupçonne leur existence à la fin du Moyen Âge et à la période moderne : trousseau de clé, chandelier, guichet coulissant, essieux de charrettes, statuette de décoration de façade. L’intérêt de ces objets peut être mis en évidence par rapport aux collections archéologiques. Apportent‑ils des informations nouvelles sur les gens du Moyen Âge ? Certaines données sont anecdotiques, d’autres dénotent une évolution des connaissances techniques. Si le travail du bois, de la céramique, du verre ou du métal est maîtrisé depuis longtemps, des progrès sont perceptibles dans la réalisation d’objets précis, résultats d’adaptations successives. Ainsi l’utilisation de la glaçure (avec ou sans engobe préalable) sur les céramiques sous‑entend, à partir du xve s., une nouvelle manière de cuire les aliments. Enfin, le profil des essieux découverts dans le dépotoir du xive s. montre que le procédé de l’angle de carrossage est déjà connu et appliqué.
Auteurs
Afan, Besançon
Afan, Besançon
Afan, Besançon
École des hautes études en sciences sociales, Paris
Faculté de pharmacie, laboratoire de Paléoparasitologie, Reims
Centre de recherches archéologiques de la vallée de l’Oise, Compiègne
Faculté de pharmacie, laboratoire de Paléoparasitologie, Reims
Faculté des sciences, laboratoire de Chrono Écologie, Besançon
Faculté de pharmacie, laboratoire de Paléoparasitologie, Reims
Faculté des sciences, laboratoire de Chrono Écologie, Besançon
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