Annexe 4. Analyses chimiques des déchets de la métallurgie du fer
p. 283‑288
Texte intégral
Échantillonnage
1Des déchets métallurgiques résultant du travail du fer trouvés dans des contextes archéologiques stratifiés ont été conservés. C’est dans cet ensemble (environ 80 kg) que les échantillons ont été prélevés pour analyse. Le choix des échantillons a tenu compte de plusieurs critères :
‒ les contextes archéologiques jugés favorables (des ateliers et un dépotoir) ;
‒ la représentativité typologique (abondance, aspect extérieur, densité apparente, structure) en privilégiant les pièces aussi complètes que possible ;
‒ le bon état de conservation : fracturation et altération (rouille) étant aussi faibles que possible ;
‒ l’homogénéité : absence d’inclusion (ou possibilité de séparer mécaniquement les constituants) ;
‒ la taille de l’échantillon (partie analysée et témoin réservé) : 40 cm3 sont nécessaires pour un matériau homogène à l’œil pour éviter les effets de grains ou de texture, nettement plus pour un matériau de texture apparemment hétérogène ; il faut éliminer, autant que possible, les matériaux hétérogènes (inclusion de paroi ou de sol dans ou contre la scorie, scorie corrodant une paroi, etc.).
2Dans le cas des scories de forge, hétérogènes le plus souvent, il a fallu composer. Certains échantillons sont donc mixtes, d’autres représentent mieux telle ou telle partie, de fait ou après préparation.
3En tout, 34 échantillons du Lycée militaire ont été analysés. Différents types de matériaux ont été analysés : des battitures, des scories en forme de calotte, des scories informes, denses ou légères, et des fragments de paroi plus ou moins scorifiés. Les scories découvertes dans les ateliers étaient nettement plus petites que celles provenant du dépotoir proche du rempart. Comme matériel de comparaison, 9 échantillons provenant de sondages du site du 18, faubourg d’Arroux (cf. Conclusions : site no 3 de la fig. 204 et du tabl. xxxiii) ont également été analysés ; il s’agit de fragments de paroi, de scories coulées et de scories informes plus bulleuses et plus légères.
Méthode d’analyse
4La préparation et l’analyse des échantillons ont été réalisées au CRPG‑CNRS (Vandœuvre‑lès‑Nancy). Systématiquement, un témoin a été prélevé sur chaque échantillon, le plus souvent à la scie sous jet d’eau. Cette surface sciée est un bon complément pour l’observation macroscopique. Les terres et altérations ont été éliminées par lavage et brossage à l’eau avec l’aide éventuelle d’un jet d’air comprimé. La scie sous jet d’eau a été utilisée pour compléter ce nettoyage. Après un tri éventuel, le matériau sélectionné est concassé puis broyé et « porphyrisé » ; le fer métallique, si présent, est séparé au cours du broyage, à la pince ou à l’aimant sur tamis, et pesé.
5L’analyse proprement dite est réalisée au laboratoire de Spectrométrie et de Géo‑standards du CRPG par ICP ES/MS avec recalibrage constant grâce à des étalons. L’échantillon est mis en solution après fusion au métaborate de lithium. La richesse en fer de la plupart des scories peut provoquer un défaut de mise en solution ; la difficulté a d’abord été contournée en ajoutant une quantité connue de silice, avec l’inconvénient de réduire la sensibilité par effet de dilution, et maintenant la mise en solution a été grandement améliorée par un ajout d’acide borique.
6Lorsque le total de l’analyse est très inférieur à 100 %, c’est généralement en raison d’un sous‑dosage du fer dû à sa présence à l’état métallique. Cela peut aussi provenir de l’absence de dosage du carbone ayant pu échapper au grillage, par exemple lorsqu’il est inclus dans un verre. La perte au feu (PF) est la différence de poids de l’échantillon, avant et après grillage en milieu oxydant ; c’est la masse des éléments volatils dans ces conditions (H2O, CO2, S…) diminuée de la masse de l’oxygène fixé par oxydation de FeO et de Fe en Fe2O3. Une PF négative signifie donc, pour un matériau riche en fer, que le fer est, dans une forte proportion, sous forme réduite. Le fer est exprimé sous la forme Fe203 total. Les coefficients de transformation sont : Fe2O3 total = Fe2O3 + FeO x 1,1113 + Fe x 1,43.
7L’ensemble des résultats est porté dans le tableau I.
Commentaires
8La figure 1 présente les résultats dans un diagramme typologique général (Ploquin 1994 ; Bailly‑Maître, Ploquin 1993) ; les figures 2 et 3 montrent quelques particularités spécifiques (pour la fig. 3, cf. Serneels 1993).
Les battitures (nos CRPG 1575 et 1576)
9À priori, les battitures devraient avoir des compositions proches de celle du métal utilisé dans l’atelier. Une teneur non négligeable en Ni et en Co est à souligner en contraste avec les faibles valeurs de Mn, Ti, V et Cr. Ceci peut constituer un marqueur. Le P et le Cu sont plus ambigus : effet du métal ou d’une pollution ? L’échantillon 1581, scorie très dense avec battitures, en contient nettement moins. Évidemment, il n’est pas établi que le type de fer travaillé ici ait toujours été le même.
Les scories de forges
10Globalement, toutes les scories présentant du fer métal sont les plus riches en Ni et Co, ce qui confirmerait la remarque concernant les battitures. Les fortes teneurs en Ni et Co ne sont pas corrélables avec les éléments chimiques révélateurs du charbon (tels que K et Rb). Ni et Co ne sont donc pas apportés par le charbon. Nous constatons qu’une part importante des scories est pauvre en Ni et Co ; est‑ce à dire que deux types de fer auraient été travaillés ici ? La réponse semble être non puisqu’une calotte, dont les deux zones classiques ont été séparées (1559 et 1560) présente les deux cas. Il s’agit plutôt d’une manifestation des processus liés à la formation des scories en forme de calotte : le Ni et le Co sont des éléments qui sont facilement miscibles dans le fer métallique ou qui remplacent FeO dans les oxydes de fer. À l’inverse, Cr, Be et K, par exemple, ne trouvent place que dans les silicates, c’est‑à‑dire la scorie. Le V, le P et le Mn devraient se partager, mais dans les conditions de formation des scories étudiées, ces éléments ont plus tendance à se loger dans la scorie.
N.B. Symboles communs aux figures 1b, 1c, 2 et 3.


FIG. 1 ‒ Diagramme chimico‑minéralogique utilisé pour établir une typologie primaire des scories et des produits associés à la paléosidérurgie ; ce diagramme est la projection d’un tétraèdre dont les sommets seraient la silice, l’oxyde ferreux, la chaux et l’alumine. a présentation d’un millier d’analyses globales en courbes « isodensité de points », fenêtre et pas de 90 unités ; b points représentant les analyses d’Autun, Lycée militaire (forge) et 18, faubourg d’Arroux (réduction) ; c zoom avec dilatation des abscisses « A ».
dess. A. Ploquin/CNRS

FIG. 2 ‒ Diagrammes binaires : a Ni‑Fe2O3 ; b Ba‑Sr. Les teneurs des éléments en traces sont exprimés en ppm pondéraux. Les comportements différents des éléments permettent de séparer les trois types de matériaux :
– les parois (matériaux argilo‑sableux riches en éléments lithophiles tels que Sr, Cr, V et pauvres en éléments sidérophiles tels que Ni et Co) ;
– les scories de réduction (alignées selon une « tendance » qui est propre au site [minerai utilisé] et au comportement sidérophile du Ni, « il suit le fer » donc « fuit la scorie », et lithophile de Ba et Sr, « ils fuient le fer » et « se réfugient dans la scorie ») ; – les scories de forge (le comportement de Ba et Sr est comparable mais les matériaux initiaux n’ont pas la même composition, Ni et Co sont apportés en quantités variables par le fer, probablement du fait de diffusions différentes selon les modalités des travaux de forge).
dess. A. Ploquin/CNRS

FIG. 3 ‒ Dans ce type de représentation ternaire, la somme des teneurs des éléments considérés (en ppm) est ramenée à 100, base de calcul des trois « composantes ». Pour les comportements de V et Cr, Ni et Co, voir le commentaire de la figure 2. Cu est un indicateur de la « pollution » de la forge par l’activité des bronziers ; un (voire deux) spécimen du 18, faubourg d’Arroux (réduction) est affecté d’un léger enrichissement relatif en Cu ; ce peut être une pollution analogue, moins importante, ou un héritage du minerai utilisé.
dess. A. Ploquin/CNRS

TABL. I ‒ Analyse chimique (ICP ES/MS) des scories provenant des forges des îlots A et C et de dépotoirs situés à proximité du rempart (Lycée militaire) et du site du 18, Faubourg d’Arroux.
11Outre la silice, l’alumine et la potasse, les parois et les ajouts silico‑argileux, éventuellement utilisés comme protecteurs ou décapants (soudure), peuvent être marqués par Zr, Ti, Cr, V et éventuellement Zn. Zn cependant possède un caractère volatil qui limite sa capacité de marqueur et de plus, il est associé au cuivre que l’on peut considérer comme l’indicateur d’une pollution due à l’activité des bronziers. Les scories denses des calottes ne semblent pas, ou très peu, affectées par des ajouts, à la différence des scories, ou portions de scories, plus légères. Il est cependant délicat de trancher entre une contamination par la paroi, par un décapant silico‑argileux ou par les cendres de charbon. Cependant, on peut remarquer que les parois sont parmi les échantillons les moins calciques, à l’inverse des scories légères siliceuses et de certaines calottes : l’apport de Ca est probablement attribuable au charbon de bois. De même, nous pouvons constater que les parties fondues des parois sont plus ou moins contaminées par Fe, Ni et Co. Tout ceci est maintenant reconnu comme fréquent en forge (Dunikowski et al. 1996).
Les scories du 18, faubourg d’Arroux
12Globalement, leur chimisme est différent de celui de scories du Lycée Militaire et s’inscrit sur une « tendance » propre, même si l’on compare les faciès denses entre eux et les faciès plus légers entre eux : les scories du site du 18, faubourg d’Arroux correspondent à des opérations de réduction. Les scories les plus denses sont très banales pour de la réduction en bas‑fourneaux ; les scories plus bulleuses, dites « ponce » sur le tableau, sont moins fréquentes mais non exceptionnelles, elles sont moins riches en fer et nous les avons qualifiées dans diverses publications de « légères » ou « mi‑lourdes ». Le faible caractère calcique (sauf pour un échantillon) peut être la marque d’un minerai tout aussi bien que d’un ajout volontaire qui améliore la récupération du fer (dans cette filière, ce n’est pas un fondant !).
Bibliographie
Bibliographie
Bailly‑Maître, Ploquin 1993 : BAILLY‑MAÎTRE (M.‑C.), PLOQUIN (A.). — Brandes‑en‑Oisans, Archéologie et Paléométallurgie, Frühe Erzgewinnung und Verhüttung in Europa, Freiberg im Brisgau, oct. 1990. In : Archäologie und Geschichte. Sigmaringen : Jan Thorbecke Verlag, 1993, p. 443‑461.
Ploquin 1994 : PLOQUIN (A.). — L’analyse chimique en paléosidérurgie. In : MANGIN (M.) dir. — La sidérurgie ancienne de l’est de la France dans son contexte européen. Archéologie et archéométrie : actes du colloque de Besançon, 11‑13 novembre 1993. Paris : Les Belles Lettres, 1994, p. 13‑20 (ALUB 536 ; Archéologie 40).
Dunikowski et al. 1996 : DUNIKOWSKI (C.), LEROY (M.), MERLUZZO (P.), PLOQUIN (A.). — L’atelier de forge gallo‑romain de Nailly (Yonne) : contribution à l’étude des déchets de production. RAF, t. 47, 1996, p. 97‑121.
Serneels 1993 : SERNEELS (V.). — Archéométrie des scories de fer. Recherches sur la sidérurgie ancienne en Suisse occidentale. Cahiers d’Archéologie romande, 61, 1993, 240 p.
Auteur
CNRS, CRPG, Nancy
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
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