Chapitre 3. Le site d’Étoutteville (Seine‑Maritime)
p. 149‑228
Résumés
Le site d’Étoutteville se caractérise par un unique niveau d’occupation qui s’inscrit dans une séquence chronostratigraphique classique dans cette région concordant avec le Début Glaciaire Weichsélien. Le dépôt archéologique, intégralement fouillé, allie des caractères techniques et spatiaux homogènes et qui témoignent d’une perturbation limitée des vestiges.
La méthode de l’OSL a été appliquée à la datation de quartz extraits de quatre prélèvements de sédiments. Les résultats combinés obtenus à partir des deux prélèvements supérieurs (sus‑jacents au glacis de Kesselt) donnent un âge estimé à 38 400 ± 6 200, alors que les deux prélèvements inférieurs (directement sous‑jacents au niveau archéologique) indiquent un âge de 116 000 ± 40 000. Ces dates sont plus anciennes que celles suggérées par les données chronostratigraphiques régionales.
Le gisement archéologique d’Étoutteville se place au sommet des « limons bruns feuilletés » qui constituent la première partie d’un cycle lœssique périglaciaire. Le site comporte de nombreux hiatus, notamment celui du lœss récent inférieur (anté‑Kesselt), et celui du sol interglaciaire éémien (Elbeuf I), mais il se trouve en bordure d’une dépression karstique plus récente que celle du Pucheuil et dans laquelle on a observé une séquence dilatée exceptionnelle du Weichsélien au‑dessus du sol interglaciaire éémien.
L’industrie lithique d’Étoutteville est exclusivement fondée sur un système de production laminaire, s’appuyant d’une part sur une conception Levallois du débitage, et d’autre part sur une conception volumétrique des nucléus semblable à celles qui caractérisent les systèmes de production laminaire du Paléolithique supérieur. Ces deux conceptions volumétriques, mises en œuvre dans le cadre d’une même chaîne opératoire, conduisent respectivement à l’obtention d’éclats laminaires et de lames, aux caractères morphotechniques et dimensionnels distincts. L’analyse spatiale des principaux ensembles remontés révèle dans certains cas des ruptures dans la gestion spatiale du débitage indiquant l’exploitation du site comme atelier de débitage. Le site d’Étoutteville apporte des données nouvelles dans l’approche du phénomène laminaire au Paléolithique moyen.
The site of Étouttevllle is characterised by a single occupation level which fits into a chronological and stratigraphical sequence typical of this région. It corresponds with the beginning of the Weichselian glaciation. The archaeological deposit, fully excavated, allies homogenous technological and spatial characteristics which prove a very low level of perturbation.
The OSL method was applied to date quartz extracted from four sediment samples. The combined results obtained from the upper two samples (directly above the Kesselt glacis) give an estimated âge of 38, 400 ± 6, 200, whilst the lower two samples (directly below the archaeological levels) indicate an age of 116, 000 ± 40, 000. These dates are earlier than those suggested by the régional chronological and stratigraphical data.
The archaeological deposit of Étouttevllle is placed on the summit of the “laminated brown silts” which constitute the first part of a loessic periglacial cycle. The site includes numerous ruptures or gaps, notably those of the recent lower loess (pre‑Kesselt) and of the Eemian interglacial soil (Elbeuf I). However, it is located at the edge of a karstic dépréssion which is more recent than that of Pucheuil and in which was observed an expanded and exceptional sequence from the Weichselian, above the Eemian interglacial soil.
The lithic industry of Étoutteville is exclusively based on a laminar System of production. It relies on two conceptions of flint‑working: on one hand, a Levallois based concept of knapping, on the other, a volumetrie conception of nuclei comparable to the blade production of the Upper Palaeolithic. These two volumetrie conceptions, put to use within the same production System, lead to the respective obtention of fiat flakes and of blades with distinct characteristics of size and shape. The spatial analysis of the principal assemblages (after reassemby) revealed in certain cases ruptures in the spatial organisation of the knapping. These would indicate that the site was used as a workshop. The site at Étoutteville brings new data to our approaches to the phenomenon of Middle Palaeolithic laminar production.
Texte intégral
3. 1 Présentation générale
1Le gisement d’Étoutteville/Valleville a été découvert, puis évalué et fouillé dans le cadre de l’opération archéologique menée sur l’ensemble du tracé de l’autoroute A29 reliant Le Havre à Saint‑Saëns en Seine‑Maritime (fig. 80). Aucun indice d’occupation préhistorique n’avait auparavant été décelé dans ce secteur.

FIG. 80 – Étoutteville : situation topographique.
EG/AFAN
2Situé à environ 4 km au nord‑est d’Yvetot, le site est implanté près du sommet d’un versant en pente douce, orientée vers le sud‑ouest, entre les hameaux de Valleville à l’est et du Grand Capot à l’ouest, à une altitude de 145 m (coordonnées Lambert X : 488.850 ; Y : 218.215 ; Z : 145). Malgré un léger relief, la topographie actuelle correspond à une topographie de plateau.
3.1.1 Bref historique de l’opération
3.1.1.1 Découverte et évaluation du site
3Le gisement fut découvert fortuitement lors de la phase d’évaluation menée sur la première section (Le Havre‑Yvetot) de la friture autoroute A29. À l’emplacement du site, une ancienne ferme cauchoise avait en effet été repérée ; la fouille et le relevé rapide du bâtiment furent réalisés en mai 1993. À l’issue de cette intervention, un sondage à la pelle mécanique mit au jour une concentration de silex taillés à une profondeur d’environ 2 m sous le sol actuel.
4L’évaluation du site dura une semaine et fut menée par une équipe de deux personnes1. Au cours de cette opération, le niveau paléolithique fut fouillé sur une superficie de 7 m2 ; environ 250 pièces furent cotées et dessinées sur plan. Un sondage d’une hauteur de 5 m fut réalisé à l’issue de l’opération ; en raison de l’absence de tout repère stratigraphique sous‑jacent au niveau archéologique, il ne fut alors pas possible de recaler la séquence par rapport au contexte chronostratigraphique régional. Le seul élément de datation relative reposait sur la présence, directement au‑dessus du niveau archéologique, du niveau de Kesselt, marquant le début du Pléniglaciaire supérieur. Vu la richesse du dépôt archéologique, manifestement très peu perturbé, ainsi que l’âge supposé ancien (Paléolithique moyen) de l’occupation préhistorique en association avec un mode de production (de type laminaire) tout à fait original pour cette période, l’intérêt d’une fouille extensive s’avéra dès lors évident.
3.1.1.2 Fouille
5La fouille extensive du niveau archéologique fut permise grâce au décaissement préalable d’une vaste superficie de 60 m de long sur 19 m de large au milieu de l’emprise autoroutière, jusqu’au niveau des premiers vestiges archéologiques, à environ 2 m de profondeur (fig. 81 et 82). Sur les bords de la zone ainsi décaissée, un talus de 3 m de large fut aménagé pour éviter tout risque d’écroulement des coupes. Au cours de l’opération de décaissement, qui mobilisa un engin mécanique pendant deux semaines, la coupe de la partie supérieure de la séquence stratigraphique fut relevée en divers endroits.

FIG. 81 – Étoutteville : localisation de l’opération archéologique par rapport au tracé autoroutier. 1 sondages profonds S1 à S5 et zone décaissée ; 2 extension de la zone de fouille (rayures) et du sondage profond dans la zone décaissée (Étoutteville 1), localisation du sondage profond 1 (Étoutteville 2).
EG/AFAN

FIG. 82 – Étoutteville : vue générale du chantier de fouille.
cl. AD/AFAN ; CNRS
6La fouille se déroula au cours des mois de septembre et octobre 19932, avec une équipe de cinq personnes. Deux secteurs firent successivement l’objet d’une fouille fine : un premier secteur formant un rectangle de 221 m2 autour de la concentration de silex et un second secteur, attenant au premier, formant un rectangle de 98 m2 autour d’une zone où étaient apparus quelques silex taillés lors du décaissement par la pelle mécanique (fig. 83). La fouille fine du gisement a ainsi été réalisée sur une superficie de 319 m2, soit près du tiers de la surface décaissée. La concentration de silex taillés, formant une entité archéologique très nette et entièrement comprise dans le périmètre de la zone décaissée, fut fouillée de manière exhaustive. La fouille permit en effet le dégagement intégral de la concentration ainsi que d’une large bande périphérique autour de la concentration. À l’issue de la fouille, un décapage complet de la surface décaissée fut entrepris à la pelle mécanique (équipée d’un godet lisse). Ce dernier décapage, quasiment stérile (une dizaine de pièces prélevée sur 1 140 m2), confirma que l’implantation préhistorique ne s’étendait pas au‑delà de la surface fouillée (tout au moins dans le périmètre de la zone décaissée) et que la base du niveau archéologique avait bien été atteinte.

FIG. 83 – Étoutteville : plan de densité du matériel lithique par m2 sur l’ensemble du secteur fouillé (zones 1 et 2)
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN
7La fouille put ainsi être menée de façon tout à fait satisfaisante grâce à l’extension spatiale (verticale et horizontale) très circonscrite de l’occupation préhistorique. En partant de la zone où avait été localisée la concentration de silex taillés lors de l’évaluation, plusieurs décapages horizontaux successifs d’une épaisseur de 7‑8 cm furent réalisés. Dans les secteurs les plus pauvres, seuls 1 à 2 décapages furent effectués, alors que dans la zone la plus riche, 4 décapages furent nécessaires pour atteindre la base du niveau archéologique.
8Toutes les pièces d’une longueur supérieure à 2,5 cm furent cotées, dessinées sur des plans à l’échelle 1/20e et numérotées selon une numérotation continue pour l’ensemble de la fouille. Les pièces de dimensions inférieures à 2,5 cm furent prélevées par m2. Des altitudes furent prises en des points régulièrement espacés au sommet et à la base de chaque décapage. Il est toutefois regrettable que, pour des contraintes de temps inhérentes à l’archéologie préventive, le tamisage des sédiments n’ait pas pu être réalisé. On peut toutefois raisonnablement penser que, vu la nature du sédiment (limon fin), la perte a dû être assez minime. Bien que cette perte soit difficile à quantifier, il semblerait qu’elle ait été quasiment nulle pour les pièces de dimensions supérieures à 1 ou 2 cm, et sans doute de l’ordre de 10 à 20 % pour les pièces inférieures à ces dimensions.
9Malgré l’absence de tamisage, cette fouille a donc très peu pâti des conditions d’urgence dans lesquelles elle s’est déroulée. Cela tient essentiellement à la nature du site. Matérialisé par une seule unité d’occupation très homogène et circonscrite spatialement, ce gisement offrait des conditions extrêmement favorables pour concilier des recherches minutieuses et exhaustives avec les impératifs inhérents à l’archéologie préventive.
3.1.1.3 Sondages profonds
10Afin de connaître la stratigraphie sous‑jacente au niveau archéologique et pour pouvoir le recaler plus précisément dans la chronostratigraphie régionale, un sondage profond fut réalisé à l’emplacement de la zone fouillée au cours du mois d’octobre 1993. Le sondage profond fut amorcé sur une superficie de 13 m x 13 m, puis descendu par paliers successifs d’une largeur et d’une hauteur de 1 m, afin de respecter les normes de sécurité. La base des dépôts quaternaires (matérialisée par l’argile à silex) fut atteinte à une profondeur d’environ 8 m sous le sol actuel. La séquence stratigraphique observée dans ce premier sondage profond comportait un certain nombre de lacunes (en particulier l’Eémien), qui laissaient planer quelques doutes quant à l’interprétation chronostratigraphique de la séquence.
11Pour cette raison, une campagne de sondages profonds fut à nouveau entreprise en décembre 19933, au nord‑est de la zone fouillée et au milieu de l’emprise autoroutière. Cinq sondages profonds, régulièrement espacés, furent ainsi réalisés, couvrant une distance d’environ 500 m (fig. 81). Ils révélèrent la présence de deux dépressions d’origine karstique : l’une, était localisée à l’emplacement du secteur fouillé ; elle était attenante à la seconde, au sein de laquelle la séquence stratigraphique était plus complète. L’étude de la coupe réalisée dans cette seconde dépression permit de valider les hypothèses élaborées à partir de la coupe du site archéologique et d’en affiner l’interprétation (cf. infra § 3.3). Cette seconde dépression, dénommée Étoutteville 2 (Étoutteville 1 désignant le site archéologique) était totalement stérile sur le plan archéologique, tout comme les sondages réalisés plus à l’est.
3.1.2 Contexte archéologique et stratigraphique
3.1.2.1 Le niveau archéologique
12Les vestiges de l’occupation préhistorique étaient inclus dans un seul niveau archéologique et constitués exclusivement de silex taillés. Comme dans la majorité des gisements préhistoriques de plein air en milieu lœssique, les matériaux autres que le silex n’étaient pas conservés. Les silex taillés formaient une nette concentration de forme circulaire (fig. 83), s’étendant sur une dizaine de m2 et sur une épaisseur maximale de 30 à 40 cm. Une large bande périphérique épousant un contour à peu près semblable à celui de la concentration entourait celle‑ci ; le matériel, progressivement de moins en moins dense, était reparti dans cette zone sur une épaisseur moindre, de l’ordre de 15 à 20 cm.
13La très grande majorité des pièces récoltées lors de la fouille proviennent de cette concentration, dénommée zone 1, qui a livré au total 3 630 vestiges lithiques. Un petit nombre de pièces (n = 86) fut recueilli dans le deuxième secteur de fouille, désigné zone 2. L’espace compris entre ces deux zones était totalement vierge. Dispersées de part et d’autre d’une fente de gel d’une largeur d’environ 1 m dans sa partie supérieure, les pièces issues de la zone 2 sont très altérées par le gel. Bien que ces pièces appartiennent probablement à la même série que les pièces provenant de la zone 1, elles comportent trop peu d’éléments caractéristiques pour que les deux séries puissent être regroupées.
14Quelques pièces (n = 76) ont aussi été récoltées par décapage à la pelle mécanique, soit lors du décaissement de la zone fouillée, soit lors de l’ultime décapage réalisé à la fin de la fouille. Outre des pièces qui se rattachent indéniablement à la série de la zone 1 (compte tenu de leur patine et de leurs caractéristiques techniques), cet ensemble comprend aussi des pièces soit très altérées, soit au contraire dans un état de fraîcheur remarquable et très peu patinées, qui n’appartiennent manifestement pas au même assemblage. Qu’elles soient le témoin d’occupations sporadiques ou les résidus de dépôts archéologiques fortement érodés, ces pièces sont de toute façon trop peu abondantes pour pouvoir nous renseigner, même très sommairement, sur la nature de ces occupations. Par conséquent, l’étude portera exclusivement sur la série de la zone 1.
3.1.2.2 Contexte stratigraphique
15Le contexte stratigraphique a pu être précisé par la série de sondages profonds réalisés après la fouille. Le premier sondage, effectué à l’emplacement de la zone fouillée, a permis d’établir la stratigraphie directement sous‑jacente au niveau archéologique. Les dépôts quaternaires se répartissent dans cette zone sur une hauteur totale de 8 m. Comme dans l’ensemble du pays de Caux, l’argile à silex constitue ici le substratum des formations quaternaires.
16Les observations effectuées dans ce premier sondage ont été complétées par la série de sondages profonds localisés dans le prolongement nord‑est de la zone décaissée. Ces sondages, tout en apportant des informations supplémentaires sur la chronostratigraphie des dépôts quaternaires, ont permis d’établir la paléotopographie du site. Ils se sont révélés totalement stériles sur le plan archéologique.
17Il n’y a pas lieu de s’étendre ici sur la description et l’interprétation des coupes stratigraphiques ; elles seront détaillées dans la partie consacrée au cadre géomorphologique et stratigraphique (cf. infra § 3.3). Une brève présentation de la partie supérieure de la séquence stratigraphique, telle qu’elle a été relevée à l’emplacement de la zone fouillée, est cependant nécessaire pour préciser le contexte chronostratigraphique dans lequel s’insère le niveau archéologique.
18On a ainsi observé de haut en bas (cf. infra § 3.3 : fig. 86) :
– sous la couche de terre végétale, un horizon Bt de sol brun lessivé (1), sur une hauteur de 50 à 70 cm en moyenne ;
– des limons à doublets (2), de 80 cm à 1 m de hauteur, subdivisés en deux sous‑ensembles : un ensemble supérieur (2a) à lits relativement épais (0,5 à 3 cm d’épaisseur) et un ensemble inférieur (2b) à lits plus fins (0,5 à 1 cm d’épaisseur) ;
– un niveau à langues de solifluxion (3), caractéristiques du glacis de Kesselt, développées sur une hauteur d’environ 30 cm ; un très fin liseré de manganèse, discontinu, borde par endroits la partie sommitale des langues de solifluxion ; celles‑ci sont d’orientation S.‑E./N.‑O. et leur étirement n’excède pas 1 m ; cette orientation révèle que la topographie actuelle est différente de la paléo topographie du site, suite à un phénomène d’inversion de versant ; alors que la pente du versant actuel suit une orientation N.‑E./S.‑O., celle du paléo‑versant qui était en place au début du Pléniglaciaire supérieur était d’orientation S.‑E./N.‑O. ;
– le niveau archéologique (4a) est inclus dans un limon feuilleté brun‑orangé (4) assez granuleux à structure polyédrique d’environ 1 m d’épaisseur, qui ne se différencie quasiment pas du limon des langues de solifluxion sus‑jacentes ; au sommet de cet ensemble, le niveau archéologique s’individualise par quelques nuances notables : il se caractérise par un limon légèrement plus clair et granuleux, parsemé de points de manganèse et de tâches d’oxydation suggérant une hydromorphie assez importante ; le manganèse formait par ailleurs une fine gangue autour de la plupart des artefacts ; il semble que ce sédiment, tout en se distinguant très peu du limon brun feuilleté du niveau 4, soit étroitement associé aux vestiges archéologiques ; il n’était en effet conservé que dans la zone où étaient localisés les silex taillés ; son épaisseur maximale est de l’ordre de 30 à 40 cm ; les pièces se répartissaient du sommet à la base du niveau 4a ; quelques rares pièces ont aussi été dégagées dans la partie inférieure des langues de solifluxion du niveau de Kesselt ; dans ce contexte de dépôt de versant faiblement incliné, il semble que le niveau 4a ait été préservé dans une zone en légère dépression correspondant à la zone de découverte des vestiges archéologiques, tandis qu’en amont et en aval de cette zone il était totalement érodé.
19Ce niveau s’intègre dans une séquence stratigraphique classique pour la région, dont la séquence‑type a été établie à partir des coupes de référence de Saint‑Romain‑de‑Colbosc (environ 30 km à l’ouest) et de Saint‑Pierre‑lès‑Elbeuf (à environ 50 km au S.‑E. ; Lautridou 1985). Le lœss récent inférieur du Pléniglaciaire moyen, qui s’intercale dans cette séquence‑type entre le niveau de Kesselt et le sol éémien est ici totalement érodé, Les limons bruns feuilletés directement sous‑jacents au niveau de Kesselt correspondent à des dépôts de démantèlement, qui se sont développés au Weichsélien ancien, au cours des stades isotopiques 5a à 5d. Ils prennent place directement au‑dessus du sol éemien, non conservé dans la coupe stratigraphique effectuée à l’emplacement de la fouille, mais visible dans le sondage profond réalisé à une centaine de mètres au nord‑est (sondage 1 : cf. fig. 81). Le dépôt archéologique se positionne au sommet des limons bruns feuilletés, correspondant au deuxième épisode de leur mise en place, qui s’est achevée vers 75 000 BP (cf. infra § 3.3). Il date par conséquent très probablement de la fin du stade iso topique 5.
3.1.2.3 État de préservation du dépôt archéologique
20Évaluer l’état de préservation du dépôt archéologique constitue une étape indispensable pour définir le cadre d’étude et cerner ses potentialités. Dans l’idéal, l’objectif premier et prioritaire repose sur l’appréciation du caractère in situ ou non in situ des vestiges archéologiques. Seules des études géologiques approfondies, telles que celles mises en place dans le cadre du programme « Transits » (sous la direction de J.‑P. Texier), visant à préciser l’origine du dépôt des vestiges, sont susceptibles d’apporter des réponses fiables à ce type de question. Une telle analyse ne put être réalisée à Étoutteville, faute de temps et faute d’outils méthodologiques qui soient accessibles à l’archéologue de terrain.
21Il sera donc impossible à Étoutteville d’estimer précisément l’état de préservation du dépôt archéologique. Les observations de terrain, ainsi que les données résultant de l’analyse spatiale des vestiges fournissent toutefois des éléments permettant d’évaluer à la fois la nature des perturbations subies par le matériel, l’homogénéité du dépôt archéologique, et l’ampleur des déplacements qu’il a subi.
Nature des perturbations
22Le gel a dû intervenir comme le principal agent perturbateur à Étoutteville. Il a tout d’abord entraîné la fracturation d’un petit nombre de pièces (environ 1 % de la totalité du matériel), postérieurement, dans tous les cas, à leur débitage. Les pièces fragmentées par le gel ont pu être presque intégralement reconstituées, ce qui indique qu’aucun phénomène naturel n’a tronqué l’assemblage postérieurement à l’épisode (ou aux épisodes ?) de gel.
23En revanche, la présence de quelques pièces dans les langues de solifluxion du niveau de Kesselt indique une possible perturbation du sommet du niveau archéologique, susceptible d’avoir déplacé une partie des pièces. Ce déplacement n’a toutefois pas dû excéder 1 m, ce qui correspond au développement maximal des langues de solifluxion. En outre, sur la totalité de la zone décaissée, la somme des pièces dégagées dans le niveau de Kesselt ne dépasse pas une dizaine d’éléments. Hors de la zone d’extension du dépôt archéologique, le niveau 4a, avant d’être érodé lors de la mise en place du niveau de Kesselt, devait donc être quasiment stérile. Et c’est probablement grâce à sa position dans une zone en légère Répression, que le dépôt archéologique a été préservé de cette érosion. Enfin, la configuration même du dépôt archéologique, qui s’inscrit dans une aire circulaire sans axe d’orientation préférentiel, montre que les phénomènes de solifluxion n’ont pas affecté les vestiges.
24Les pièces ont connu une certaine dispersion verticale puisqu’elles se répartissent sur une hauteur d’environ 40 cm dans la zone la plus dense. Cela s’inscrit dans l’amplitude normale d’enfouissement des vestiges dans un sédiment non consolidé, sous l’effet de l’action combinée des piétinements et du tassement des dépôts (Cahen, Moeyersons 1977 ; Villa, Courtin 1983 ; Gifford‑Gonzales et al. 1985). Cette diffusion verticale ne s’est probablement pas accompagnée d’un déplacement horizontal important, compte tenu de son amplitude réduite.
Homogénéité du dépôt archéologique
25L’ensemble des pièces se caractérise par un même état d’altération. Leur patine est très prononcée, homogène et de couleur blanche. Quelques rares pièces sont en voie de dessilicification. En règle générale, leurs tranchants et arêtes sont relativement frais. Elles présentent toutefois assez souvent des pseudo‑retouches et écaillures probablement dues pour la plupart à des actions mécaniques. L’intervention d’actions mécaniques postérieures au dépôt des pièces est aussi suggérée par la présence (observée lors de la fouille) d’éclats et de lames cassés sur place (sous l’effet d’une pression ?) et dont les fragments étaient encore jointifs. L’origine de telles actions mécaniques est impossible à déterminer.
26Le matériel lithique s’inscrit dans un unique système de production, fondé sur l’obtention d’éclats laminaires et de lames (cf. infra § 3.4). Ces deux ensembles de produits, aux caractères morphotechniques et dimensionnels distincts, procèdent de supports de départ différents. Les uns sont des rognons de silex, les autres sont des éclats, des fragments ou des débris de grandes dimensions produits lors des phases d’initialisation de ces rognons et s’intégrant donc dans la même chaîne opératoire. Les éclats laminaires et les lames, tout comme l’ensemble de la production n’ont été que très occasionnellement retouchés, et les rares produits retouchés correspondent à un outillage manifestement expédient. Le tout s’inscrit dans un ensemble technique particulièrement cohérent. Bien qu’il soit difficile d’estimer s’il résulte d’une unique occupation humaine ou de plusieurs occupations successives, il est en revanche permis d’affirmer que ce matériel lithique relève d’une unique tradition technique et a été produit par un même groupe humain.
27Le dépôt archéologique constituait une entité spatiale elle‑même circonscrite, formée d’une unique concentration de silex. Cette concentration se caractérise par un noyau central dense autour duquel le nombre de pièces décroît très rapidement. Le matériel archéologique s’intègre donc dans un ensemble techniquement et spatialement homogène.
Ampleur des déplacements postérieurs au dépôt
28Bien qu’un déplacement horizontal et vertical assez limité des pièces ne soit pas exclu, le dépôt archéologique paraît globalement bien préservé. Les nombreux remontages effectués, tout en n’apportant aucune preuve tangible quant à l’homogénéité de la série (Villa 1976‑1977 ; 1983), sont néanmoins le reflet d’une bonne conservation de l’assemblage. Tout d’abord, la proportion d’éléments remontés, qui s’élève à 10 % du total des pièces (en ne tenant compte que des raccords techniques), est l’indice d’une dispersion limitée du matériel hors de l’espace fouillé. De plus, les remontages attestent d’une diffusion en étoile des produits à partir des nucléus ce qui implique que l’action de phénomènes naturels tels que la solifluxion ou le ruissellement, qui auraient inévitablement déplacé les pièces le long d’un même axe, a dû être minime voire nulle.
29Plusieurs indices indiquent en outre que l’ampleur des déplacements horizontaux a été limitée. Ainsi les éléments de dimension maximale inférieure à 2,5 cm, qui sont des pièces particulièrement sujettes à mobilité en raison de leur faible masse, suivent une distribution spatiale très proche de celle des éléments de dimension maximale supérieure à 2,5 cm (fig. 84). Leur densité est particulièrement élevée à l’emplacement de la concentration principale et à sa périphérie immédiate, pour ensuite décroître plus vite que la proportion d’éléments de dimension supérieure à 2,5 cm.

FIG. 84 – Étoutteville : distribution spatiale des artefacts de dimension maximale supérieure à 2,5 cm (1), et densité par m2 des artefacts de dimension maximale inférieure à 2,5 cm (2).
AD/AFAN ; CNRS
30L’analyse des liens spatiaux entre les fragments qui ont fait l’objet de raccords permet d’affiner ces observations (fig. 85). Il a été possible de distinguer en partie les fractures dues au gel de celles survenues en cours de débitage. Ces dernières sont reconnaissables pour la plupart par la présence d’une impureté (fossile, zone grenue, mal silificiée, ou autre...) au niveau de la fracture, ayant causé la fragmentation de la pièce.

FIG. 85 – Étoutteville : liaisons spatiales entre éléments fracturés par le gel (1) et entre éléments fracturés au débitage (2) (1 carré = 1 m2 ; les petits ronds encadrent les pièces dont les différents fragments étaient regroupés au même endroit).
AD/AFAN ; CNRS
31En ce qui concerne les raccords de fractures de gel, on constate que les distances séparant les éléments d’une même pièce sont en général faibles. La distance moyenne entre les éléments d’un même objet gélifracté est de 17 cm, la distance maximale étant de 1,40 m ; et, sur 25 raccords, seuls deux indiquent une distance supérieure à 1 m, alors que les 23 autres dévoilent des écarts inférieurs à 30 cm. Cette proximité spatiale, qui a largement facilité les raccords entre fragments de gel, démontre que les vestiges n’ont pas subi de déplacement important à la suite de leur fracturation par le gel.
32Les raccords entre éléments cassés au débitage, s’établissent sur des distances un peu plus importantes. La distance moyenne entre deux fragments est de 70 cm, alors que la distance maximale est de 4,20 m ; ceci dit, seuls 9 raccords sur 47 témoignent d’un déplacement supérieur à 1 m. Les mouvements subis par les vestiges à la suite de leur débitage sont donc variables : ils sont très minimes pour la plupart des pièces, et assez importants pour quelques‑unes. On ne distingue pas pour ces fragments d’axe préférentiel de déplacement. Contrairement aux éléments fracturés par le gel, dont la dispersion est très certainement postérieure au départ des occupants du site et donc d’origine naturelle, les éléments fracturés au débitage ont pu être pour partie déplacés par l’homme (volontairement ou involontairement : par piétinement par exemple). Cela reste bien entendu impossible à démontrer. Quoi qu’il en soit, la disparité dans les distances séparant les éléments fracturés au débitage exclut encore une fois un déplacement en masse du matériel, sous l’effet d’un agent naturel tel que la solifluxion.
33En conclusion, des pertubations naturelles ou mêmes anthropiques ont très certainement affecté le dépôt archéologique. La nature exacte de ces perturbations est difficile à estimer ; il est possible qu’elles résultent de l’action combinée de plusieurs facteurs. Elles ont manifestement eu des conséquences limitées, se traduisant par une dispersion verticale des pièces sur une hauteur maximale d’environ 40 cm et par une dispersion horizontale très variable : nulle ou très limitée pour une large partie des pièces, assez importante (de l’ordre de quelques mètres) pour une petite partie d’entre elles. Ces perturbations ont concerné un ensemble archéologique homogène et qui semble être conservé dans son intégrité, tout au moins au sein de l’espace fouillé ; il n’est bien sûr pas exclu que l’entité archéologique fouillée constitue l’une des aires d’occupation d’un plus vaste complexe s’étendant hors de l’emprise autoroutière. Aucun indice ne vient toutefois à l’appui de cette hypothèse et les investigations (décaissement et sondages profonds) effectuées au N./N.‑E. et au S./S.‑O. de l’espace fouillé dans l’axe de l’emprise autoroutière, sur des longueurs respectives d’une centaine et d’une vingtaine de mètres, ont confirmé que ces zones étaient totalement stériles. Le gisement d’Étoutteville offre donc un cadre d’étude assez exceptionnel pour un site du Paléolithique moyen puisqu’il comprend une unique entité archéologique, très peu perturbée, et qui put être fouillée de manière exhaustive grâce à son extension spatiale limitée.
3.2 Optical dating of quartz from Étoutteville
3.2.1 Introduction to the technique
34The technique of optical dating, closely related to thermoluminescence (TL) dating, was first introduced by Huntley (Huntley et al. 1985). Both techniques measure the total amount of radiation damage (in the form of trapped charge) since sediment grains were last exposed to daylight. During TL measurement, samples are heated in order to detrap this stored charge which then produces a luminescence signal. In contrast, in optical dating, samples are exposed to intense green light which gives rise to an Optically‑Stimulated Luminescence (OSL) signal which may be detected in the blue/UV region. The primary advantage of optical dating compared to thermoluminescence dating of sediments, and the reason for its initial development, is the considerably increased rate of luminescence signal réduction when samples are exposed to daylight. This increased rate of signal loss from light sensitive traps results in sediment being bleached even after only limited daylight exposure. Measurements of the physical characteristics of the quartz OSL signal have demonstrated its suitability for dating (Rhodes 1988 ; Smith et al. 1990b ; Rhodes 1990), and samples from known age contexts have provided reliable age determinations (Smith et al. 1990a ; Rhodes 1990).
35Samples from contexts where grains have received at least several minutes of daylight exposure prior to burial such as aeolian, marine, fluvial and lacustrine sediments are suitable for optical dating. Quartz samples in the age range 10‑1,000,000 years have been dated successfully.
36The overall uncertainty in age estimate derives from several sources. Firstly, the laboratory luminescence measurements which are used to derive the Equivalent Dose (DE) parameter are associated with a degree of scatter. This leads to a lack of precision in the DE determination, and may generally be overcome as a limitation by further luminescence measurements. The degree of scatter varies between different sites and samples, but generally leads to uncertainties in DE in the range of ± 5 – 20 %. Secondly, the low levels of natural environmental radiation make the accurate measurement of the annual dose difficult. The cosmic dose also provides a contribution to the annual dose, and where this is a significant fraction of the annual dose, accurate determination of sample overburden history may provide a limitation.
3‑2.2 Sample collection and preparation
37Five plastic sample tubes were collected from the temporary exposure by E.J. Rhodes on 1.3.94. To ensure that the OSL dating sample had been exposed to no light during collection and transport, only the inner part of the sediment in the tube was sampled under controlled lighting conditions in the laboratory.
38Four of the five OSL samples were prepared for dating. The OSL samples were first treated in dilute HCl to remove the carbonate cement and carbonate clasts.
39The samples were dried at around 50°C, and sieved. Very little material was found in the > 90 μm fraction which is conventionally used for quartz OSL dating. For this reason, grains in either the 53‑63 pm or 63‑70 μm range were separated by wet sieving.
40The separated fraction was then treated with concentrated (40 %) hydrofluoric acid (HF) for approximately 20 mins., continuously stirred at room température to partially remove the outer layer which has been exposed to external alpha irradiation, and to dissolve feldspar grains. The HF treatment was followed by HC 1 treatment to remove any fluorite precipitated during the HF treatment. Heavy minerals were removed using a solution of sodium polytungstate with a density of 2.67 gcm3. The polytungstate solution was washed off with copious quantifies of distilled water and the samples dried in an oven at approximately 50°C. The samples were then resieved to remove material finer than 53 pm to aid the removal of material strongly attacked during the HF treatment. The remaining quartz grains were attached as a monolayer to aluminium measurement discs with viscous silicone oil.
41The grain size fraction used, and the HF treatment are both non‑standard procedures. For this reason, grains from before and after the HF treatment were studied by optical microscopy to ascertain the degree of etching for each sample. The layer removed by HF etching was determined to be approximately 5 pm.
3.2.3 Dose rate measurement
42On site four channel Nal gamma spectrometer readings were performed in each sample position. These measurements were used to calculate the sediment dose rates for these samples. Dose rates were calculated assuming secular equilibrium of U and Th decay chains. The cosmic dose rate was calculated as a function of sample depth after Prescott and Stephan (1982), and the measured water content values were used to calculate dose attenuation.
3.2.4 OSL measurement
43OSL measurements were performed in a Risø reader equipped with a green filtered halogen lamp detecting emission in the UV (2 x U340). The OSL measurement was proceeded by a preheat of 220°C for 5 mins. (Rhodes 1988) and a 25 s IRSL measurement (to test for feldspar contamination), and consisted of a single 25 s exposure at ambient temperature which typically reduced the OSL signal to around 7 % of its initial value. The total integrated OSL measured during the 25 s OSL exposure was used for DE determination. Natural normalization (by a short initial OSL measurement before irradiation) was used for some samples, while for some the raw OSL values gave better precision. An additive dose procedure incorporating dose normalization was used to measure the Equivalent Dose (DE) value.
3.2.5 Results
44Four OSL samples were measured. All the samples were observed to have a relatively high degree of scatter between aliquots. The results from the upper two samples from the same level (ETA and ETD : chapter 3.3, fig. 86) have been combined to increase the accuracy of the age estimate. Combined, they give an age estimate of 38,400 ± 6,200 years. The lower two samples (ETB and ETC : chapter 3.3, fig. 86) were found to be very close to saturation. Sample ETB was measured three times, and samples ETC twice. The uncertainties on most of the DE measurements were very large, but a date of 116,000 ± 40,000 years was determined for ETB.

FIG. 86 – Étoutteville : coupe stratigraphique schématique d1 Étoutteville 1 (A, B, C, D, E : prélèvements pour les datations par OSL)
HH/CNRS
3.2.6 Discussion
45These age estimates are significantly older than suggested by the regional stratigraphy. One possibility to explain the significantly older dates that were measured would be very serious radioactive disequilibrium of the U and Th decay series. This is very rare. Another possibility would be that the quartz grains were not well exposed to daylight before they were deposited. This is surprising for a lœss deposit, although it could be fluvially reworked. In the case of the upper samples (ETA and ETD), it would be extremely unlikely to get agreement between two different samples if only partial exposure of the grains had occurred. It is possible that the non‑standard grain size used was responsible in some way for this effect, e.g. by very high effective alpha efficiencies, although this seems extremely unlikely.
3.3 Cadre géomorphologique et stratigraphique
46Le site d’Étoutteville se situe comme celui du Pucheuil sur le plateau du pays de Caux, en position d’interfluve. Il y a cependant une différence entre ces deux gisements archéologiques : celui du Pucheuil est situé en rebord du Caux, en position de dénudation ; par contre, à Étoutteville on est en plein cœur du plateau, au nord‑est d’Yvetot, à 145 m d’altitude. Comme dans tout le pays de Caux, les épaisseurs maximales de lœss se situent aux interfluves. Dans le cas présent, nous avons aussi cette position entre des vallées sèches. Le site archéologique (Étoutteville 1) se place près du sommet de l’interfluve. La stratigraphie condensée de ce gisement a été complétée par celle d’Étoutteville 2, qui se situe en position de dépression (cf. infra), autrement dit d’effondrement d’origine karstique, par dissolution de la craie du Crétacé. À la différence du site du Pucheuil, cet effondrement est récent et date du début Weichsélien (cf. infra) comme beaucoup de poches recensées dans le pays de Caux (Lautridou 1985). Le contexte lithologique comporte des lœss qui ont souvent moins de 4 m d’épaisseur (Lautridou et al. 1976) et qui reposent sur 5 à 10 m d’argile à silex, cette formation recouvrant toutes les assises crayeuses du plateau.
3.3.1 Le site archéologique (Étoutteville 1)
47Description des horizons (fig. 86) :
– 1 : sol brun lessivé classique de surface (1,2 m) ;
– 2 : limon à doublets (1,2 m), caractéristique des lœss du plateau de Caux, décarbonaté, à alternance millimétrique de bandes marrons et grises ;
– 3 : niveau (Glacis) de Kesselt à étirements en langues ;
– 4 : limon brun feuilleté (2,4 m), de couleur orangée (feuillets de 2 à 5 mm), à fins revêtements argileux, à tubulures et points noirs ferro‑manganiques ; vers la base, la structure devient polyédrique (2‑3 mm), floue ; le niveau archéologique se place au sommet de ces limons feuilletés, sous le niveau de Kesselt ;
– 5 : lœss marron clair (1 m), à traînées grises ;
– 6 : limon brun feuilleté (0,5 m) ;
– 7 : horizon grisâtre (0,5 m) : gley de toundra indiquant des conditions d’hydromorphie sur gélisol saisonnier ou sur pergélisol ;
– 8 : limon marron (1,3 m), à taches grises, diffuses, et à tubulures noires ferro‑manganiques ;
– 9 : horizon argileux (0,7 m), rougeâtre, à revêtements argileux comportant une poche grise à concrétions ferro‑manganiques : lessivage local d’un lambeau d’horizon (argileux, rougeâtre) de sol brun lessivé ;
– 10 : substrat de sables (dérivés du Tertiaire), d’argile à silex et de limon.
48On notera la présence de fentes de gel, du type ice wedge (fente à remplissage primaire de glace), témoin de conditions climatiques très froides (pergélisol continu ou discontinu). Ces fentes s’ouvrent un peu au‑dessus du niveau de Kesselt. Elles sont donc remplies par le lœss récent supérieur post‑Kesselt (22 000 BP), directement au‑dessus des limons bruns feuilletés datés d’environ 80 000 BP (fig. 87). Autrement dit, on a le hiatus très fréquent du lœss récent inférieur weichsélien, érodé par le glacis de Kesselt (cryopédiment). Le sol éémien (Elbeuf I) a été complètement repris et remanié. On retrouve au‑dessous les limons bruns feuilletés des lœss de la séquence saalienne et enfin un reste de paléosol interglaciaire ancien (Elbeuf II), d’âge 220 000 BP (environ). Cette séquence est tout à fait typique du pays de Caux. Elle a été décrite précédemment plus à l’ouest, à Saint‑Romain‑de‑Colbosc (Lautridou 1983 ; 1985), avec toutefois une différence dans le fait qu’à la base des limons bruns feuilletés un lambeau de sol interglaciaire éémien est conservé.

FIG. 87 – Étoutteville : courbes granulométriques établies à partir de trois échantillons d’Étoutteville 1. 1 lœss récent supérieur, 2 lœss récent inférieur, 3 limon brun feuilleté
HH/CNRS
49La coupe suivante (Étoutteville 2, cf. supra § 3.1, fig. 81) est beaucoup plus complète, car elle a été piégée dans la dépression précédemment mentionnée.
3.3.2 Étoutteville 2
50Cette coupe (fig. 88) est au cœur d’une dépression (fig. 89). La sédimentation éolienne du Weichsélien y est dilatée (fig. 87).
51– 1 : sol brun lessivé de surface (1,3 m) ;
– 2 : limon à doublets (0,7 m) : lœss récent supérieur du Weichsélien ;
– 3 : horizon à langues du glacis de Kesselt ;
– 4 : limon orangé (7,5 YR 5/8), à structure feuilletée, peu nette et à litage du type doublets, très flou (0,3 m) ;
– 5 : horizon grisâtre (0,3 m) : gley de toundra ;
– 6 : limon à doublets (1 m) de couleur légèrement orangée (7,5 YR 5/8), un peu plus claire vers le bas ;
– 7 : horizon grisâtre (0,2 m) : gley de toundra ;
– 8 : limon à doublets (1,8 m) du type de la couche 6, à points noirs ferro‑manganiques vers la base ;
– 9 : limon brun feuilleté (2,3 m), à taches grises vers le bas : 5 YR 5/4 à 4/4, puis à la base (plus argileuse) : 7,5 YR 5/6 ; – 10 : limon argileux brun rougeâtre (0,9 m), à structure polyédrique granulaire et à revêtements argileux (7,5 YR 5/8) ; sol éémien ;
– 11 : lœss brunâtre (0,5 m) : lœss ancien ;
– 12 : lœss brunâtre (0,4 m), de couleur plus grise que le niveau 11 ;
– 13 : limon argileux (0,2 m), légèrement rougeâtre (7,5 YR 5/6°) ;
– 14 : limon grisâtre (0,2 m) : 5 YR 5/6 – 5/8 ;
– 15 : limon brun feuilleté (0,8 m) ;
– 16 : horizon argileux rougeâtre (0,9 m) : 7,5 YR 5/6, à structure polyédrique, à revêtements argileux (sol Elbeuf II), à nombreux points noirs et fines tubulures noires ;
– 17 : substrat d’argile à silex.

FIG. 88 – Étoutteville : coupe stratigraphique schématique d’Étoutteville 2.
HH/CNRS

FIG. 89 – Étoutteville : profil géomorphologique simplifié établi à partir des sondages (relevé dans l’axe de l’autoroute, en partie centrale). 1 stratigraphie lœssique (voir coupe), 2 argile à silex, 3 profil de surface, 4 profil probable.
HH/CNRS
3.3.3 Conclusion stratigraphique pour les deux coupes
52Les horizons supérieurs de la coupe 2 (fig. 88), à partir du glacis de Kesselt (22 000 BP) sont identiques, du point de vue faciès et épaisseur, à ceux de la coupe 1 (fig. 86). Par contre, le lœss récent inférieur est très développé avec des niveaux grisâtres gleyfiés et un faciès à doublets peu typique, indiquant des remaniements limités par ruissellement. On retrouve à la base les limons bruns feuilletés du début de la séquence weichsélienne, moins épais que dans le site archéologique et en dessous, le sol éémien (Elbeuf I) interglaciaire. Sous ce paléosol qui cale la stratigraphie, il y a une autre séquence du lœss ancien saalien (limons bruns feuilletés et lœss), et tout à la base un reste de sol Elbeuf II comme dans le premier site. Les deux coupes se complètent donc. Le matériel lithique (coupe 1), inclus dans les limons bruns feuilletés, se place bien au‑dessus du paléosol éémien, comme à Saint‑Romain, avec un important hiatus pour le lœss récent inférieur (22 000 à 60 000 BP environ). Le glacis de Kesselt, comme c’est très fréquent, l’ayant totalement érodé.
53Les « limons bruns feuilletés » qui comportent à leur sommet dans la coupe 1 le matériel lithique peuvent s’interpréter ainsi : cet horizon classique du plateau de Caux, correspondant à la première partie du Weichsélien, est un dépôt de nettoyage (plus ou moins important) des formations antérieures (lœss ancien, paléosol éémien argileux et sols noirs interstadiaires postéémiens, 80 000 à 100 000 BP environ). Leur mise en place s’est faite au moins en deux fois (cf. supra tabl. i, § 1.3) : mais la dernière se situe à la fin du Weichsélien ancien et au début du Pléniglaciaire, vers 75 000 BP. Elle n’est cependant pas du type coulée boueuse rapide, mais plutôt de type creep (fauchage), avec un lent déplacement des lœss anciens et du paléosol éémien par gélifluxion. Ceci explique que le matériel lithique découvert à leur sommet ne soit pas fortement déplacé. Il en était de même dans le site de Goderville, plus à l’ouest (Lautridou et al. 1974).
3.3.4 Les autres sondages
54En dehors de la doline, les lœss sont moins épais, comme à Étoutteville 1. Ils ont cependant un faciès un peu différent. La tendance au litage, déjà marquée à Étoutteville 2, se confirme. Ce ne sont plus des limons à doublets, dont la stratification est liée à des phénomènes épigénétiques de pédogenèse (sol en bandes), mais des limons ruisselés, le litage étant alors syngénétique. Une telle tendance avait déjà été observée dans cette région (Lautridou et al. 1976 ; Lautridou 1985). Cela ne change en rien la stratigraphie d’ensemble du site d’Étoutteville.
3.3.5 La do line d’Étoutteville
55La dépression révélée par les sondages est du type de celle du Pucheuil (cf. supra § 2.2). Elle est très vraisemblablement liée au soutirage karstique. Mais elle ressemble plus à celle de Saint‑Romain, à l’ouest, elle aussi en plateau d’argile à silex, sur craie. À la différence de celle du Pucheuil, elle a surtout fonctionné au Weichsélien, après un premier affaissement entre les paléosols interglaciaircs Elbeuf I (Éémien) et Elbeuf II. Ce soutirage karstique a permis de conserver le sol éémien, absent à Étoutteville 1 (érosion) et les lœss récents inférieurs, antérieurs au glacis de Kesselt. À la base de la doline, il y a l’argile à silex, alors qu’au Pucheuil ce sont des sédiments variés d’argile à silex et de sables (et argiles) dérivés du Tertiaire. On a donc une différence d’âge pour le fonctionnement complexe de ces deux dolines, mais il faut insister sur le fait que celle d’Étoutteville, comme celle de Saint‑Romain, a fonctionné de façon souple et sans doute lente, alors qu’au Pucheuil les structures des sédiments témoignent d’effondrements rapides et cassants.
3.3.6 Remarques à propos de la datation absolue OSL
56Les résultats des datations OSL (cf. supra § 3.2), de part et d’autre du niveau de Kesselt, sont en contradiction avec ce que l’on connaît en Europe du Nord‑Ouest. Ils donnent des âges trop anciens. Ce n’est pas la première fois qu’une méthode de datation pose problème : le 14C en Normandie a donné des résultats décevants, non pas pour l’Holocène, riche en bois et en tourbe, mais pour les sédiments pléistocènes pauvres en matière organique (Lautridou 1983 ; 1985). De même, les analyses par thermoluminescence avaient tendance à rajeunir les dates, du moins dans certains laboratoires. Cela ne signifie pas que ces méthodes soient à rejeter. Ainsi, les recherches concernant la thermoluminescence ont progressé fortement, mais les laboratoires donnent encore des résultats différents, ainsi que nous avons pu le constater, par exemple, pour la grande coupe de lœss d’Achenheim, près de Strasbourg. Il faut donc faire un retour en arrière pour rappeler l’importance fondamentale de ce « sol de Kesselt ».
3.3.6.1 Caractéristiques du « sol‑glacis de Kesselt »
57C’est un horizon à langues (« flammèches ») qui est un marqueur permettant des corrélations en Europe du Nord‑Ouest (surtout sur les lœss non calcaires). On le définit comme un glacis d’érosion (Lautridou 1983) jalonné par des langues de gélifluxion (déformation en période froide sur une faible distance, par phénomène de fauchage appelé cryoreptation). Ce glacis que l’on dénomme cryopédiment a érodé le lœss récent inférieur, surtout en Normandie, ainsi qu’on l’observe dans les deux coupes similaires de Saint‑Romain, à l’ouest, et d’Étoutteville 1 (site archéologique), excepté qu’à Saint‑Romain subsiste le sol interglaciaire éémien (légèrement fauché).
58Il a suscité de nombreuses recherches depuis une quinzaine d’années concernant son âge et sa terminologie.
3.3.6.2 Question de terminologie
59Initialement défini (Gullentops 1954) à Kesselt (une briqueterie près de Liège) comme un sol légèrement développé, il a été utilisé comme marqueur d’un horizon à langues, diagnostic pour les corrélations, et donc appelé « horizon cryoturbé de Kesselt », ou en Normandie : « niveau de Kesselt », car le sol n’avait jamais été observé depuis sa définition initiale. Cependant, dans la vallée de la Meuse il a été retrouvé récemment dans la carrière de Belvédère (Huisjzer 1993). En fonction des règles de la stratigraphie (Code Hedberg), il a donc été proposé de distinguer (Haesaerts et al. 1981) le sol de Kesselt de l’horizon à langues qui est un cryopédiment d’érosion appelé « horizon de Nagelbeek » (Limbourg). Toutefois, cette distinction, concernant un laps de temps restreint, nous a paru dangereuse et source de confusion en France. Dans ce volume nous conservons donc le terme de Kesselt maintenant bien connu et le dénommons glacis de Kesselt ou de Kesselt‑Nagelbeek. Son âge a d’abord été établi à 29 000 BP, autrement dit au niveau du petit interstade de Denekamp (chronologie nordique), parce qu’à la transition lœss/sables de couverture (éoliens pléniglaciaires), dans la région d’Anvers, a été retrouvé un horizon cryoturbé sur une tourbe bien datée (Denekamp). Cependant, en Belgique (Kesselt, Liège), un tuf volcanique, celui d’Eltville, connu en Allemagne, a été retrouvé un peu au‑dessous de ce glacis de Kesselt. Sa date est plus jeune que 29 000 BP. En effet, il repose sur une industrie gravettienne typique (site de Sprcndlingen : Bosinski 1979 ; Juvigné, Semmel 1981). De plus, des essais de datation absolue –14C et thermoluminescence– ont permis de rajeunir nettement son âge (Juvigné, Wintle 1988).
60De même à Saint‑Romain, si la datation du lœss ancien, du sol éémien et des limons bruns feuilletés paraissait convenir, celle d’une bonne partie du lœss récent post‑Kcsselt paraissait bien jeune : 12 000 à 16 000 BP (Wintle et al. 1984). En fonction des progrès de cette méthode et de la position par rapport au tuf d’Eltville, les travaux récents de L. Zoller (Heidelberg) dans la vallée du Rhin nous amènent à penser que l’on se situe vers 22 000 BP environ, avec une marge de temps de 2 à 3 000 ans. La datation de 38 400 ± 6 200 pour le lœss récent supérieur post‑Kesselt n’est donc pas recevable actuellement. L’OSL semble donc donner des âges trop anciens, mais il est évident que d’autres mesures sont à faire. De même, l’âge des « limons bruns feuilletés » sous‑jacents, moins bien datés que le glacis de Kesselt, mais dont le sommet se situe à la fin du Weichsélien ancien ou au début du Pléniglaciaire, nous semble trop ancien. Cela peut provenir soit de la méthode, soit du fait qu’il ne s’agit pas de véritables lœss, mais d’un remaniement par gélifluxion de sédiments antérieurs, notamment de dépôts et paléosols du Weichsélien ancien.
3.4 L’organisation technique et spatiale de la production laminaire à Étoutteville
3.4.1 Cadre d’étude
61L’industrie lithique d’Étoutteville présente la particularité d’être exclusivement fondée sur un système de production laminaire. Ce gisement associe en outre divers indices semblant traduire une faible perturbation des vestiges (cf. supra § 3.1), et grâce à son extension limitée, le dépôt archéologique a pu être fouillé de manière exhaustive. Un ensemble de conditions tout à fait favorables étaient donc réunies dans ce gisement pour aborder l’organisation de la production laminaire dans sa dimension technique et dans sa dimension spatiale tout en imbriquant les deux types de données. Cette problématique pouvait de plus s’appuyer sur des documents Ethiques d’une remarquable qualité, intégrés pour partie à des remontages. Ceux‑ci se sont avérés suffisamment nombreux et pertinents sur le plan technique, pour pouvoir servir de fondement à l’étude.
62Les remontages effectués résultent d’environ trois mois de travail par deux personnes, à plein temps. La méthode de remontage n’a pas pu prendre en compte les caractères lithologiques de la matière première, très homogènes et totalement indifférenciables d’un rognon à l’autre. Elle s’est fondée dans un premier temps sur la reconnaissance d’accidents de débitage ou de caractères lithologiques aisément repérables tels que des zones d’impuretés dans le silex. Dans un second temps, les remontages ont été réalisés à partir de critères techniques, sur la base d’un classement technologique du matériel. Alors que le classement en fonction des caractéristiques de la matière première s’est révélé le plus rentable sur le plan quantitatif, le classement technologique a donné des résultats qualitativement plus intéressants. Au terme de ce travail, 349 produits, soit 10 % de l’assemblage qui compte 3 473 pièces, ont été intégrés à un remontage. Ces proportions ne tiennent compte que des raccords techniques et font abstraction des raccords d’éléments fracturés. Les remontages concernent principalement les éléments de dimension maximale supérieure à 2,5 cm, dont découle la quasi‑totalité de l’information sur le plan technique. Le taux d’éléments remontés parmi ces pièces s’élève à 24,5 % (soit 344 pièces sur 1 398), tandis que pour les petits éléments, de dimension maximale inférieure à 2,5 cm, la proportion d’éléments remontés n’est que de 0,25 % (soit 5 pièces sur 2 075). En outre, les remontages ne concernent pas de manière égale toutes les catégories de produits. Ainsi 68 % des nucléus font partie d’un remontage, tout comme 17 % des lames et éclats laminaires, 37 % des éclats d’aménagement des nucléus (aménagement des plans de frappe et des surfaces de débitage) et 2 % des produits indifférenciés (éclats ou fragments d’éclats indéterminables, débris). Enfin, 63 % des produits remontés sont inclus dans des remontages de plus de 10 éléments ; ces principaux ensembles remontés, au nombre de 9, comprennent respectivement 50, 39, 35, 29, 17, 14, 12, 11 et 10 pièces.
63Le silex, qui est l’unique matériau conservé dans ce gisement, provient des formations géologiques du Crétacé supérieur (Sénonien/Turonien). Son cortex est en voie d’altération, ce qui indique qu’il a été prélevé en contexte secondaire, dans les formations tertiaires remaniées (argile à silex). Le lieu de collecte de la matière première est impossible à localiser précisément. Dans l’environnement actuel du site, des affleurements d’argile à silex ont été repérés à faible distance, et notamment dans le bois de Plain Bosc, situé à quelques centaines de mètres au nord du gisement. Toutefois, la topographie actuelle diffère sensiblement de la paléotopographie, et les affleurements aujourd’hui visibles ne concordent probablement pas avec ceux qui étaient accessibles aux périodes paléolithiques. Quoi qu’il en soit, il est très vraisemblable que les hommes préhistoriques se soient approvisionnés dans l’environnement immédiat du site, vu les potentialités en silex de la région et vu le volume important des rognons exploités.
64Les caractéristiques physiques des rognons de silex sont très homogènes. Par conséquent, il est impossible de différencier les produits issus de chacun des rognons exploités, et le nombre total de rognons débités est difficile à estimer. Ils se caractérisent par un silex à grain moyen, mat et sec. Sa patine est profonde, uniforme, de couleur blanche. Sa qualité à la taille est moyenne : il comporte de nombreuses zones mal silicifiées, souvent plus grenues, des diaclases internes, des zones cristallisées ainsi que des fossiles, qui n’ont pas facilité le débitage. Les dimensions des rognons débités étaient importantes si l’on en juge par l’extension et la configuration des surfaces corticales sur les ensembles remontés. Certains rognons devaient initialement mesurer au moins 40 cm de longueur maximale.
65Seules trois pièces dans la série correspondent à un matériau différent. Il s’agit d’un silex à grain fin, légèrement moucheté, de structure très homogène, assez gras et brillant, et patiné gris‑bleu pâle. Il provient des formations du Crétacé supérieur. Sa qualité à la taille devait être excellente si l’on se fie à l’échantillon présent dans la série. La spécificité du matériau va de pair avec un ensemble de caractéristiques techniques et typologiques remarquables. Ces trois pièces consistent en :
– un fragment distal de racloir aménagé par retouches fines et couvrantes (cf. infra fig. 102, no 9), se distinguant du reste de l’outillage par le soin marqué porté à sa réalisation ;
– une grande lame de 15 cm de longueur (cf. infra fig. 97, no 2), cassée en deux fragments (fracture en S) qui ont été retrouvés en connexion sur le terrain (la fracture est donc certainement postérieure à l’abandon de la pièce) ; cette lame se caractérise par une retouche écailleuse courte et régulière localisée aux extrémités distale et proximale du bord droit de la pièce ; un tel aménagement ne se retrouve sur aucun autre outil ;
– un éclat cassé au talon très large et soigneusement facetté, en chapeau de gendarme, constituant l’unique produit dans la série ayant fait appel à ce type de préparation du talon. L’absence de tout déchet de débitage pour ce matériau, alliée aux particularités techniques et typologiques des pièces correspondantes, indique une forme d’exploitation de la matière première très différente de celle mise en œuvre pour le silex débité sur place. Il est ainsi fort probable que ces quelques pièces, importées sur le site sous forme déjà transformée, correspondent à un silex exogène.
3.4.2 Fondements techniques de la production laminaire
3.4.2.1 Méthode d’analyse
66Les mêmes principes méthodologiques que ceux appliqués à l’étude de la série B du Pucheuil (cf. § 2.4) ont servi de fondement à l’analyse de l’industrie d’Étoutteville. À partir de l’analyse diacritique des ensembles remontés, l’organisation technique de la production a pu être précisée par la distinction des différentes phases opératoires qui se sont succédé, et des produits caractéristiques qui en découlent. Le découpage par phases opératoires est aussi à la base de l’analyse spatiale des ensembles remontés. Ces phases s’inscrivent dans une succession‑type marquée par l’enchaînement des séquences d’initialisation, de production et d’utilisation de la production (Terminologie Levallois à paraître).
67L’initialisation inclut toutes les phases opératoires préalables aux phases de production ; sa finalité est de mettre en place les critères techniques et volumétriques du débitage. La production conduit à la réalisation des objectifs techniques finaux ; elle s’organise en phases de production successives entrecoupées de phases de réaménagement du nucléus. Les caractères morphotechniques des produits recherchés répondent aux objectifs techniques finaux. Ceux‑ci peuvent se confondre avec les objectifs fonctionnels de la production : dans ces cas, il n’existe pas de phase de confection de l’outillage s’intercalant entre la production et l’utilisation de la production. Un tel schéma, mis en évidence dans l’industrie de la série A du Pucheuil (cf. supra § 2.5), paraît fréquent dans les industries paléolithiques du nord de la France. L’utilisation de la production, et en particulier le mode de fonctionnement de l’outillage, ne peuvent être abordés à Étoutteville que de manière indirecte, dans la mesure où la patine prononcée des pièces rend impossible toute perspective d’analyse tracéologique.
68Les caractères morphotechniques des produits remontés, en fonction de leur position, de leur rôle technique et de la conception volumétrique qui leur est associée ont fait l’objet d’une analyse détaillée. À partir de là, une liste de descripteurs technologiques a pu être établie, dont les caractères génériques, définis à partir des produits remontés et complétés par l’étude des produits non remontés, ont servi de fondement pour le classement de l’ensemble du matériel. Dans le premier volet de ce chapitre sont présentés les résultats de cette analyse qui a conduit à une reconstitution détaillée de la chaîne opératoire de production laminaire. La description technique des principaux ensembles remontés, en relation avec leur distribution spatiale, est développée dans le second volet.
3.4.2.2 Technique de percussion
69L’unique technique de percussion attestée dans l’industrie d’Étoutteville est la percussion directe au percuteur dur. Il s’agit dans tous les cas d’une percussion rentrante (par opposition à tangentielle). Les premiers enlèvements extraits des rognons ont souvent été produits par une percussion très violente. La finalité de cette opération technique est difficile à déterminer : il est possible qu’elle ait eu pour objectif de tester l’homogénéité des rognons avant leur exploitation, et éventuellement d’en extraire de gros fragments qui soient eux‑mêmes exploitables comme nucléus.
3.4.2.3 Nucléus
70La production laminaire est exclusive dans l’industrie d’Étoutteville, et tous les nucléus, sans exception, ont été exploités depuis leur initialisation jusqu’à leur abandon pour la production de lames et d’éclats laminaires. Deux grands principes d’exploitation volumétrique des nucléus ont été mis au service de cette production. Le premier repose sur les critères techniques du débitage Levallois, tels qu’ils ont été définis à partir des travaux d’Eric Boëda (Boëda et al. 1990). Six critères ont ainsi servi de fondement à la définition du débitage Levallois :
– une conception volumétrique fondée sur deux surfaces convexes et sécantes, délimitant un plan d’intersection ;
– la hiérarchisation des deux surfaces ; l’une constituant la surface de débitage aux dépens de laquelle les enlèvements prédéterminés (Levallois) sont extraits, l’autre recevant le plan de frappe de ces enlèvements ;
– la mise en place de convexités latérales et distale sur la surface de débitage, qui forment les critères de prédétermination permettant de contrôler le détachement des éclats Levallois ;
– l’aménagement d’un plan de frappe dépendant directement de la méthode employée pour l’extraction des éclats Levallois ;
– des plans de fracturation des éclats Levallois, parallèles ou sub‑parallèles au plan d’intersection des deux surfaces ;
– l’emploi exclusif de la technique de percussion directe au percuteur dur.
71Le second principe d’exploitation des nucléus repose sur une conception volumétrique plus proche de celles qui président aux systèmes de production laminaire du Paléolithique supérieur. La différence majeure avec le débitage Levallois réside dans le fait que les plans de fracturation des enlèvements prédéterminés ne sont pas parallèles ou sub‑parallèles au plan d’intersection des deux surfaces, qui correspond au plus grand plan du nucléus, mais qu’ils sont parallèles, tangentiels, voire perpendiculaires au plus grand plan de la pièce, conférant aux nucléus une section transversale soit quadrangulaire, soit semi‑prismatique, soit encore trapézoïdale. Avant d’exposer plus en détails les modalités techniques attachées à chacun de ces deux grands principes, il convient de décrire les types de nucléus qui s’y rapportent. Cinq types de nucléus ont été différenciés ; leur distinction repose à la fois sur la conception volumétrique présidant à leur exploitation, sur la durée (courte ou longue) de la séquence d’initialisation et de la séquence de production dont ils résultent, et sur la nature de leur support (cf. tabl. xxxi).

TABL. XXXI – Étouteville : caractéristiques techniques et volumétriques des différents groupes de nucléus laminaires (sur les schémas, les traits épais matérialisent les surfaces d’extraction des lames et produits laminaires, les traits pointillés figurent les plans de fracturation des enlèvements ou des séries d’enlèvements).
Nucléus Levallois. fig. 90, no 1 et fig. 91
72Les nucléus Levallois, au nombre de 9, ont comme supports de départ, dans tous les cas où ils sont déterminables, des rognons. En outre, les ensembles remontés indiquent clairement que l’exploitation de tous les rognons de la série a été menée selon les principes techniques et volumétriques du débitage Levallois. Il semble donc qu’il existe un lien systématique et exclusif entre le support (rognon) et le débitage Levallois. L’initialisation de ces nucléus a conduit à une forte réduction de leur volume initial. Les plans de frappe ainsi que les convexités latérales sur la surface de débitage, ont été alternativement mis en place au moyen de séries successives d’enlèvements. Les enlèvements d’aménagement des convexités sur la surface de débitage des nucléus sont des enlèvements envahissants, centripètes ou perpendiculaires à la direction des futurs enlèvements Levallois. Les plans de frappe s’étendent à toute la périphérie des nucléus. La séquence d’initialisation de ces nucléus correspond dans tous les cas à une séquence longue.

FIG. 90 – Étoutteville : sections transversales des nucléus Levallois (1) et des nucléus laminaires sur éclats à plans de fracturation parallèles ou sub‑parallèles au plus grand plan (2). 1 plans d’extraction des éclats laminaires, 2 aménagement de convexités latérales sur la surface de débitage, 3 face inférieure d’éclat ou pan de fracture.
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN
73Le passage de l’initialisation à la production est marqué par un changement de direction dans le débitage ; les enlèvements qui participent à la production sont en effet strictement unidirectionnels et le plus souvent perpendiculaires ou tangentiels aux enlèvements de la phase précédente. Ils s’organisent en séries successives d’enlèvements produites à partir de deux plans de frappe opposés. L’unique méthode de débitage employée pour la production est donc la méthode Levallois récurrente à enlèvements bipolaires. Entre deux séries d’enlèvements, un réaménagement partiel des convexités latérales est parfois intervenu. En cours de production, les convexités latérales ont par ailleurs été entretenues par des enlèvements débordants assez fréquents. Ces enlèvements débordants, qui sont parfois aussi outrepassants, pourraient être à la fois prédéterminants et prédéterminés. Les nucléus Levallois ont été souvent abandonnés à un stade où leur volume était encore important, bien qu’ils résultent toujours de séquences de production longues. Ils n’ont fait l’objet d’aucune forme d’exploitation terminale distincte de celle qui a présidé à leur débitage.
Nucléus sur éclat à plans de fracturation parallèles ou sub‑parallèles au plus grand plan. fig. 90, no 2
74Ces nucléus procèdent d’une même conception volumétrique que les nucléus Levallois. La principale différence avec les nucléus Levallois repose sur la nature du support (éclat, fragment d’éclat ou débris) et sur la durée des séquences d’initialisation et de production. Dans tous les cas, l’initialisation du nucléus a été extrêmement réduite ; elle a consisté le plus couramment en un aménagement succinct d’un plan de frappe, tandis que la surface de débitage n’a généralement fait l’objet d’aucun aménagement préalable à la production.
75La séquence de production a été elle‑même le plus souvent limitée au débitage de quelques enlèvements, unipolaires ou plus rarement bipolaires, aux dépens de la face inférieure voire occasionnellement de la face supérieure du support. Lorsque le débitage est localisé sur la face inférieure du support, une large portion de cette face subsiste, ce qui atteste du nombre réduit d’enlèvements produits. Les tailleurs ont directement utilisé la convexité naturelle de cette face pour contrôler le détachement des enlèvements. Ceux‑ci sont généralement localisés sur l’une des moitiés latérales de la face inférieure du support, et certains des enlèvements produits sont débordants, contribuant au maintien de la convexité latérale. Les éclats dont la face supérieure a été exploitée comme surface de débitage sont dans tous les cas des éclats non corticaux. Le tailleur a alors tiré parti des arêtes dégagées par les négatifs d’enlèvements antérieurs pour produire quelques enlèvements. Ces nucléus relèvent d’une forme de débitage conjoncturelle et assez expédiente : le caractère très sommaire des opérations d’initialisation et d’entretien des nucléus répond à de très faibles exigences en terme de productivité ; pour la plupart d’entre eux, la production ne semble pas avoir mené à l’obtention de plus de 3 ou 4 produits.

FIG. 91 – Étoutteville : nucléus Levallois à éclats laminaires. 1 nucléus raccordé au remontage 1 ; 2 nucléus raccordé au remontage 2 (ensemble A).
MB/CNRS
Nucléus sur éclat à plans de fracturation d’inclinaisons multiples. fig. 92, no 2 et fig. 93
76Les supports de ces nucléus sont, dans tous les cas où ils sont déterminables, des éclats. Les plans de fracturation des enlèvements sont le plus souvent tangentiels ou perpendiculaires (en section transversale) au plus grand plan du nucléus, déterminant un volume dont la section transversale est « semi‑prismatique ». Ce type de débitage est aussi parfois qualifié de débitage semi‑tournant (Pigeot 1987). Une surface non débitée : généralement la face inférieure de l’éclat support, qui se confond avec le plus grand plan du nucléus, est toujours opposée au volume exploité. La méthode de débitage employée est fondée sur la production d’enlèvements unidirectionnels à partir de deux plans de frappe opposés, exploités alternativement. Elle ne diffère donc pas de la méthode qui caractérise les nucléus à plans de fracturation parallèles ou sub‑parallèles au plus grand plan. Les enlèvements produits aux dépens des flancs du nucléus sont le plus souvent (mais pas systématiquement) de direction opposée à ceux débités dans la partie médiane du nucléus.

FIG. 92 – Étoutteville : sections transversales des nucléus laminaires sur éclats à plans de fracturation perpendiculaires ou tangentiels au plus grand plan (1) et des nucléus laminaires sur éclats à plans de fracturation d’inclinaison multiples (2). 1 plans d’extraction des lames, 2 aménagement des flancs des nucléus par enlèvements perpendiculaires aux lames, 3 face inférieure d’éclat ou pan de fracture.
AD/AFAN ; CNRS ; EG cte/./AFAN

FIG. 93 –Étoutteville : nucléus sur éclat à plans de fracturation d’inclinaisons multiples. 5 nucléus raccordé au remontage 5 (phase BC3).
MB/CNRS
77L’initialisation des nucléus s’inscrit dans une séquence opératoire courte, et axée sur des principes techniques très différents de ceux qui président à l’exploitation des nucléus Levallois. Préalablement aux phases de production, les seuls aménagements réalisés ont consisté dans la plupart des cas en la mise en place d’un premier plan de frappe, et parfois dans l’aménagement d’une crête latérale à un versant préparé. La mise en place du premier plan de frappe n’est toutefois pas systématique : lorsqu’une surface telle qu’un pan de fracture était disponible, le tailleur l’a généralement directement utilisée comme plan de frappe. En outre, seuls quelques rares remontages attestent de l’aménagement d’une crête latérale : celle‑ci initialise alors la séquence de production ; le versant de la crête non préparé est toujours constitué d’une surface lisse, formée d’un pan de diaclase ou de la face inférieure de l’éclat support. Dans les cas où les tailleurs n’ont pas eu recours à un tel aménagement, il semble qu’ils aient mis à profit le bord de l’éclat pour servir de nervure‑guide à l’extraction de la première lame. Ils ont peut‑être aussi occasionnellement profité des arêtes laissées par les négatifs d’enlèvements antérieurs sur la face supérieure de l’éclat support pour extraire les premiers produits. Les réaménagements en cours de production ont été très sommaires, quoique cette séquence ait été assez longue. Seuls les plans de frappe, limités à chacune des deux extrémités opposées à partir desquelles ont été extraits les enlèvements, ont fait l’objet de réaménagements. En particulier, le passage à l’exploitation des flancs du nucléus est souvent marqué par une réfection du plan de frappe : l’angle de frappe adéquat est alors obtenu au moyen d’un unique enlèvement, produit à partir du flanc exploité, selon une direction tangentielle ou perpendiculaire à celle des enlèvements (d’aménagement du plan de frappe) préalables. Les parties débitées ne font quant à elles l’objet d’aucun réaménagement : les arêtes longitudinales dégagées par les négatifs d’enlèvements antérieurs formant des dièdres suffisamment fermés pour assurer le contrôle du détachement des nouveaux enlèvements.
Nucléus sur éclat à plans de fracturation perpendiculaires ou tangentiels au plus grand plan. fig. 92, no 1 et fig. 94
78Tous les supports de ces nucléus sont des éclats ou des fragments d’éclats. La conception volumétrique qui préside à leur exploitation est fondée sur l’enlèvement de produits selon des plans de fracturation perpendiculaires ou tangentiels au plus grand plan de la pièce, qui se confond généralement avec la face inférieure de l’éclat‑support. Autrement dit, le débitage est réalisé dans l’épaisseur du support, déterminant un volume de section transversale quadrangulaire.

FIG. 94 – Étoutteville : nucléus sur éclat à plans de fracturation perpendiculaires ou tangentiels au plus grand plan. 1 nucléus raccordé au remontage 45, 4 nucléus (IB) raccordé au remontage 4.
MB/CNRS
79La somme de gestes techniques consacrée à l’initialisation de ces nucléus est extrêmement réduite et proportionnelle à la durée de la séquence de production, qui est elle‑même très courte. Le bord de l’éclat sert de nervure‑guide pour l’extraction du premier enlèvement. 11 ne semble pas que les tailleurs aient eu recours à l’aménagement de crêtes pour ce type de nucléus. Le plan de frappe est soit sommairement aménagé, soit constitué d’un pan de fracture qui a été utilisé tel quel, sans aucune rectification. La séquence de production débute donc souvent directement, ou presque, après la sélection du support. Les enlèvements, toujours très peu nombreux (certains de ces nucléus n’ont été exploités que pour la production d’un seul produit laminaire), sont unidirectionnels et réalisés à partir d’un unique plan de frappe, ou plus rarement à partir de deux plans de frappe opposés.
Nucléus sur éclat à plans de fracturation alternativement parallèles et tangentiels au plus grand plan
80Seuls deux nucléus se rattachent à cette catégorie. Leurs supports correspondent à des fragments, détachés au niveau de diaclases internes lors des premières phases d’exploitation de rognons. Ces nucléus ont été exploités pour le débitage de séries d’enlèvements alternativement produites selon des plans de fracturation parallèles et tangentiels au plus grand plan de ces pièces. Les séries au plan de fracturation parallèle au plus grand plan sont localisées dans la partie médiane du volume débité, tandis que les autres sont produites aux dépens des parties latérales du nucléus, conférant à celui‑ci une section transversale trapézoïdale. Ces nucléus relèvent donc d’une forme d’exploitation volumétrique qui allie les deux grandes conceptions volumétriques régissant la production laminaire dans la série.
81La séquence d’initialisation de ces nucléus semble avoir été courte. Les remontages ne permettent toutefois pas d’en préciser les modalités. En revanche, la production s’inscrit dans une séquence opératoire longue, qui a conduit à l’obtention d’un nombre assez important de produits laminaires. Les séries d’enlèvements produites sont unidirectionnelles et débitées à partir de deux plans de frappe opposés. Le passage de l’exploitation de la surface médiane à l’exploitation des flancs du nucléus s’est opéré de manière différente pour ces deux pièces. Dans un cas, le tailleur a eu recours à des enlèvements largement débordants pour amorcer le début de l’exploitation du flanc du nucléus. Ces enlèvements débordants se distinguent de ceux extraits des nucléus Levallois par le fait que leur plan de fracturation est fortement incliné par rapport à la section transversale du nucléus et qu’ils recoupent une portion nettement plus large du bord. Dans l’autre cas, le passage à l’exploitation du flanc du nucléus est marqué par l’aménagement d’une crête latérale à un versant préparé. La première lame produite aux dépens du flanc du nucléus est donc une lame à crête. Les différentes surfaces ainsi dégagées ont été alternativement débitées : après la production d’une série d’enlèvements aux dépens d’un des flancs du nucléus, le tailleur a de nouveau exploité la surface médiane du nucléus.
82Ces nucléus concilient deux principes d’exploitation volumétrique habituellement considérés comme antinomiques :
– un principe fondé sur l’extraction des produits recherchés selon des plans de fracturation parallèles ou sub‑parallèles au plus grand plan des nucléus, tel que celui qui préside au débitage Levallois ;
– un principe reposant sur le débitage des produits recherchés selon des plans de fracturation tangentiels ou perpendiculaires au plus grand plan des nucléus.
83Ces deux principes, qui s’appliquent pour l’essentiel dans la série à des nucléus et à des supports initiaux distincts, sont donc occasionnellement associés sur un même nucléus.
Nucléus laminaires indifférenciés
84La dernière catégorie de nucléus rassemble tous les nucléus laminaires qui n’ont pas pu être classés dans l’une des catégories préalablement définies. Ces cas « atypiques » résultent pour la plupart d’accidents de débitage qui ont conduit les tailleurs soit à interrompre prématurément le débitage, soit à le poursuivre de manière totalement conjoncturelle et non structurée.
Bilan de l’analyse des nucléus
85Quels que soient le mode d’exploitation volumétrique des nucléus et le type de support auxquels ils sont associés, ceux‑ci répondent à une même finalité technique globale de la production qui repose sur l’obtention de produits laminaires. La diversité des moyens techniques mis au service de la production laminaire est peut‑être en partie guidée par des exigences d’ordre quantitatif. La reprise d’un certain nombre d’éclats en nucléus est probablement dictée par le souci d’une exploitation maximale de la matière première. Et les principes techniques appliqués à ces nucléus ont permis au tailleur d’obtenir un taux de produits laminaires particulièrement élevé proportionnellement à la somme des produits d’initialisation et de réaménagement des nucléus. Ces nucléus se différencient en effet des nucléus Levallois par le fait que le volume dégagé au terme de la phase d’initialisation est très peu réduit par rapport au volume initial du support ; le travail consacré en cours de production à l’entretien de ces nucléus est, de plus, réduit au strict minimum. Hormis ces avantages quantitatifs, la diversité des modes de production laminaire mène à l’obtention de produits laminaires variés, dont les caractères sont directement dépendants de la conception volumétrique présidant à l’exploitation des nucléus.
3.4.2.4 Produits laminaires
86L’analyse des caractères morphotechniques et dimensionnels des produits intégrés à des remontages a permis de distinguer deux ensembles de produits laminaires : les éclats laminaires et les lames.
Éclats laminaires. fig. 95 et fig. 96, nos 1‑4
87Les éclats laminaires ont été obtenus à partir des nucléus Levallois et des nucléus sur éclat à plans de fracturation parallèles ou sub‑parallèles au plus grand plan. Ce sont des éclats allongés, qui correspondent pour certains à des lames selon la définition typologique et dimensionnelle du terme ; leur longueur est toutefois, pour bon nombre d’entre eux, moins de deux fois supérieure à leur largeur. Ils comportent les négatifs d’enlèvements laminaires antérieurs unipolaires ou bipolaires. Certains éclats laminaires présentent de plus les négatifs de petits enlèvements périphériques antérieurs produits à partir d’un plan de frappe perpendiculaire et correspondant à des éclats d’aménagement des convexités latérales sur la surface de débitage du nucléus. Les éclats laminaires sont des pièces peu épaisses dans l’ensemble, dont la section transversale est le plus souvent symétrique et le profil longitudinal rectiligne ou sub‑rectiligne. Leurs talons sont majoritairement facettés (49 %), droits ou légèrement convexes, plus rarement lisses (25 %) ou dièdres (20 %).
88Cette catégorie de produits compte aussi des éclats laminaires débordants (fig. 95, no 4). Ceux‑ci correspondent à des enlèvements latéralisés sur la surface de débitage du nucléus, empiétant sur toute leur longueur sur une portion de la face opposée et contribuant ainsi en cours de production à rétablir la convexité latérale de la surface débitée. Selon la configuration de la face opposée, correspondant à la surface d’aménagement des plans de frappe, le bord débordant est soit cortical, soit non cortical et non préparé, soit enfin il comporte des négatifs d’enlèvements antérieurs d’aménagement des plans de frappe. Le dos débordant est toujours perpendiculaire à la face inférieure des pièces. Il peut être assez épais. Les éclats laminaires débordants présentent les négatifs d’enlèvements laminaires antérieurs produits à partir du même plan de frappe ou d’un plan de frappe opposé. Dans quelques cas, ils ont ôté sur le bord de la surface de débitage une partie de l’aménagement des convexités latérales, préalablement réalisé au moyen d’enlèvements non envahissants, perpendiculaires aux éclats laminaires. Ils correspondent à des éclats prédéterminants dont la fonction est de réaménager une convexité latérale sur la surface de débitage des nucléus. Mais ils sont aussi probablement prédéterminés dans la mesure où ils s’inscrivent dans la même méthode de débitage que celle régissant l’ensemble de la production et dans la mesure où leurs dimensions sont globalement semblables à celles des éclats laminaires.

FIG. 95 – Étoutteville : éclats laminaires.
MB/CNRS
89En bref, éclats laminaires et éclats laminaires débordants constituent les produits recherchés extraits de deux types de nucléus. Ces derniers ont en commun une même conception volumétrique de la production, fondée sur l’extraction des produits selon des plans de fracturation parallèles ou sub‑parallèles au plus grand plan des nucléus. Les caractères morphotechniques des éclats laminaires sont ceux de lames Levallois selon la définition typologique du terme, bien qu’ils ne procèdent pas que des seuls nucléus Levallois.
Lames. fig. 96, nos 5‑9, fig. 97 et 98
90Les lames ont été distinguées des éclats laminaires en fonction de critères morphotechniques, en particulier leurs dimensions. Elles sont issues de nucléus à enlèvements produits selon des plans de fracturation perpendiculaires ou tangentiels au plus grand plan. Parmi ceux‑ci, trois types de nucléus ont été différenciés (cf. supra). Les caractères morphotechniques qui différencient les lames des éclats laminaires reposent principalement sur un allongement et une épaisseur supérieurs, une courbure généralement plus marquée en vue de profil et une section transversale moins symétrique, le plus souvent triangulaire ou trapézoïdale. Ces caractères procèdent directement du fait que les nervures des enlèvements antérieurs forment des dièdres dont l’angle est nettement plus fermé que sur les nucléus à plans de fracturation parallèles au plus grand plan. L’allongement des lames s’exprime par un rapport longueur/largeur nettement supérieur à celui des éclats laminaires (d’une valeur de 3 pour les lames, ce rapport n’est que de 2,1 pour les éclats laminaires), et des relations entre longueur et largeur des pièces s’inscrivant dans une aire nettement plus étirée selon l’axe de la longueur (fig. 99). Les longueurs et épaisseurs des lames sont par ailleurs en moyenne supérieures à celles des éclats laminaires et connaissent une amplitude plus forte, révélée par des écart‑types plus importants (tabl. xxxii). Des lames de petites dimensions (fig. 96, nos 5 à 9) côtoient en effet dans la série des lames de très grandes dimensions répondant aux mêmes rapports d’allongement. Pour les lames, l’allongement semble en effet avoir prévalu à tout autre critère dimensionnel (tel que la seule longueur des pièces). Les nucléus à lames connaissent eux‑mêmes de fortes variations dimensionnelles, et un certain nombre d’entre eux se caractérisent par des dimensions particulièrement réduites (leur longueur maximale est inférieure à 6 cm). En revanche, les nucléus à éclats laminaires présentent des dimensions nettement plus homogènes à leur stade d’abandon, ce qui tend à indiquer que le critère dimensionnel prioritairement recherché pour les éclats laminaires reposerait sur la longueur des pièces et non pas sur leur allongement.

FIG. 96 – Étoutteville : 1‑4 éclats laminaires, 5‑9 lames de petites dimensions.
MB/CNRS

FIG. 97 – Étoutteville : lames.
MB/CNRS

FIG. 98 – Étoutteville : lames.
MB/CNRS

FIG. 99 – Étoutteville : relation entre longueur et largeur des éclats laminaires (série 1) et des lames (série 2) (le trait sépare les pièces dont la longueur est plus de deux fois supérieure à la largeur, des pièces dont la longueur est moins de deux fols supérieure à la largeur).
AD/AFAN ; CNRS

TABL. XXXII – Étoutteville : dimensions des lames et éclats laminaires.
91Certains nucléus à lames ont fait l’objet d’aménagements de crêtes latérales : il s’agit des nucléus à plans de fracturation multiples (ou à débitage semi‑tournant) et des nucléus à plans de fracturation alternativement tangentiels et perpendiculaires au plus grand plan. Ceux‑ci résultent de séquences de production assez longues, contrairement aux autres nucléus à lames. L’aménagement d’une crête est toujours intervenu au début d’une phase de production laminaire : la lame à crête servant de nervure‑guide pour les enlèvements suivants. Sa place dans la séquence opératoire varie en revanche selon les nucléus. Le tailleur a en effet parfois eu recours à l’aménagement d’une crête au tout début de la séquence de production. Son rôle est manifestement de régulariser la délinéation du bord concerné (généralement un bord d’éclat) afin qu’il remplisse efficacement son rôle de nervure‑guide. Cette option est attestée sur un certain nombre de nucléus à plans de fracturation d’inclinaisons multiples. Dans d’autres cas, l’aménagement d’une crête a été réalisé au début d’une phase de production qui n’est pas la première dans l’exploitation du nucléus ; il marque alors le passage d’une phase de production par plans de fracturation parallèles au plus grand plan concernant la partie médiane du nucléus, à une phase de production par plans de fracturation tangentiels menée aux dépens d’un des flancs du nucléus. Cette option n’est attestée que sur un seul nucléus, correspondant à un nucléus à plans de fracturation alternativement parallèles et tangentiels au plus grand plan. Pour les deux types de nucléus, l’aménagement d’une crête ne présente aucun caractère systématique : il est toutefois assez fréquent pour ne pas devoir être considéré comme anecdotique.
92Le mode d’aménagement de la crête est lui‑même l’objet d’une certaine variabilité. Quoique les crêtes à un versant préparé soient largement majoritaires, les tailleurs ont occasionnellement aménagé des crêtes à deux versants préparés ainsi que des crêtes partielles. Ainsi, les lames à crête se répartissent en :
– lames à crête à un versant préparé : n = 20 ;
– lames à crête à deux versants préparés : n = 4 ;
– lames à crête partielle : n = 2.
93Les lames à crête à un versant préparé (fig. 100, nos 1‑4 et 7) sont constituées d’un versant non aménagé, lisse et plan (ou légèrement convexe), correspondant le plus souvent à la face inférieure du support (dans les cas où celui‑ci est un éclat). Ce versant a servi de plan de frappe pour l’aménagement du versant opposé. Toutes les lames à crête intégrées à des remontages correspondent à des lames à crête à un versant préparé. Cette catégorie de lames à crête comprend en outre un ensemble de très petites lames, au nombre de 10, qui sont à rattacher aux lames et nucléus de petites dimensions préalablement évoqués. Bien qu’aucun remontage n’ait permis de raccorder ces lames à crête à des nucléus, leur présence indique que les petits nucléus ont fait l’objet des mêmes aménagements que les plus grands. Les lames à crête à deux versants préparés (fig. 100, nos 5, 6) se distinguent par une crête plus sinueuse. Elle a été dégagée tout d’abord par une série de grands enlèvements sur le premier versant, suivie d’une seconde série aménageant le deuxième versant et complétée occasionnellement par de plus petits enlèvements régularisant la délinéation de la crête. Quelques rares lames à crête n’ont été aménagées que partiellement, aux dépens d’un seul versant et sur une portion réduite de ce versant. Elles procèdent de la rectification de crêtes naturelles au moyen d’un aménagement très succinct.

FIG. 100 – Étoutteville : 1‑4 , 7 lames à crête à un versant préparé, 5, 6 lames à crête à deux versants préparés.
MB/CNRS
94Le soin apporté à la préparation des crêtes est donc variable. Toutefois, dans la plupart des cas, la préparation de la crête est assez soignée et s’achève par une ou plusieurs séries de tout petits enlèvements régularisant le profil de la crête ainsi que sa délinéation (en vue de face) en ôtant les contre‑bulbes des enlèvements précédents.
Produits laminaires indifférenciés
95Tous les éclats laminaires et les lames manqués, c’est‑à‑dire trop courts, ou rebroussés ou encore accidentellement outrepassés ont été regroupés dans cette catégorie.
3.4.2.5 Produits d’initialisation et de réaménagement des nucléus
96À partir de l’analyse des caractères morphotechniques des produits intégrés aux remontages, il a été possible de définir assez précisément les caractères propres aux produits d’initialisation et de réaménagement des nucléus en fonction de leur rôle et de leur position dans la séquence opératoire.
97Les produits d’initialisation procèdent pour l’essentiel de l’exploitation des nucléus Levallois : ils correspondent pour ces nucléus d’une part à des éclats de mise en forme initiale des rognons, d’autre part à des éclats participant à la mise en place de la surface de débitage et de la surface de plans de frappe. Pour les autres nucléus, dont les supports sont des produits déjà transformés, l’initialisation a été nettement plus réduite : elle a consisté dans la plupart des cas en l’aménagement d’un premier plan de frappe et parfois en l’aménagement d’une crête latérale. Les seuls produits qui en découlent sont donc des éclats d’aménagement des plans de frappe ainsi que des éclats d’aménagement de crête.
Produits d’initialisation des nucléus Levallois
98Les éclats de mise en forme initiale des rognons regroupent des éclats d’entame (100 % corticaux) ainsi que des éclats corticaux qui ont contribué à régulariser la morphologie du nucléus en ôtant des parties en excroissance. Le procédé employé pour cette opération repose sur le débitage d’enlèvements unipolaires juxtaposés, de plus en plus envahissants et qui ont permis de réduire progressivement la zone en excroissance. Le premier de ces enlèvements correspond à un éclat d’entame de petites dimensions ; les suivants sont des éclats corticaux, à négatifs d’enlèvements antérieurs de même direction, et dont le cortex forme une bande périphérique sur tout le pourtour de la pièce.
99Des éclats par percussion violente, dont le rôle est difficile à déterminer, ont aussi été produits au début de l’exploitation de certains rognons. Ils ont souvent été détachés à la suite d’une succession de coups infructueux, qui ont laissé des stigmates (micro‑fissures, cônes incipients) préjudiciables pour la suite du débitage. Ils sont généralement très localisés sur les rognons et ne participent en aucune façon à la mise en place des critères techniques et volumétriques régissant la production. Plusieurs remontages attestent que ces pièces ont pu être produites à partir d’angles de frappe très ouverts, supérieurs à 90°. Peut‑être ont‑ils permis au tailleur de tester l’homogénéité des rognons et éventuellement de les fragmenter selon des plans de clivages internes pour les assainir, de manière à récupérer parmi les fragments des supports potentiels pour le débitage ? Les produits correspondants se distinguent par des stigmates caractéristiques d’une percussion violente : esquillement des talons, non préparés, développement de plusieurs pans de fracture à partir du point de percussion, absence de bulbe, ondes de choc très marquées, développées aux dépens d’une face d’éclatement principale très plane.
100L’initialisation des rognons a consisté pour l’essentiel en la mise en place des critères volumétriques qui ont ensuite guidé le débitage. Cette opération a été réalisée au moyen d’enlèvements périphériques et multidirectionnels produits alternativement aux dépens des futures surfaces de débitage et de plans de frappe. Les éclats d’initialisation concourent aussi très largement à l’assainissement des rognons de silex en ôtant la plupart des zones impropres au débitage : zones indurées, mal silicifiées ou diaclasées. En règle générale, leur morphologie, leur section et leurs dimensions sont très variables car largement dépendantes de la morphologie des rognons. Leurs dimensions sont en particulier très hétérogènes ; ceci dit, la quasi‑totalité des grands éclats de la série (15 à 20 cm de longueur maximale), parmi lesquels on compte des pièces très épaisses, proviennent de l’initialisation des rognons. En majorité, ces pièces conservent de larges plages corticales ; le cortex est le plus souvent situé en zone distale ou latéro‑distale. Leurs talons sont très majoritairement lisses (66 %), plus rarement dièdres (17 %) ou facettés (7 %).
101Les grands enlèvements d’initialisation n’interviennent que dans un second temps au cours de cette séquence. Les premières séries produites ont toujours fait appel à des enlèvements moins envahissants, débités à partir des mêmes plans de frappe et généralement selon la même direction que les grands enlèvements suivants dont elles ont préparé l’extraction. Ces premières séries d’éclats n’ont quasiment jamais été remontées. La production d’éclats de très grandes dimensions s’inscrit donc dans une seconde phase d’initialisation, qui semble marquer le début de l’exploitation des rognons sur le site et succéder à une première phase menée à un autre emplacement (peut‑être sur le lieu d’acquisition de la matière première ?). Tout en participant à l’aménagement des nucléus, ces grands éclats paraissent aussi avoir été recherchés pour leurs caractères dimensionnels, en vue de leur éventuelle reprise en nucléus. Plusieurs indices tendent en effet à démontrer qu’il s’agit là d’une opération totalement préméditée. Cette forme d’exploitation de la matière première est en effet loin d’être anecdotique : plus de 20 % des éclats d’initialisation intégrés à des remontages ont ainsi été repris en nucléus. En outre, certains des grands éclats d’initialisation ont fait l’objet d’une préparation (même sommaire) préalable à leur débitage.
102La phase d’initialisation semble donc avoir été guidée par une double finalité :
– mise en place de deux surfaces sécantes au moyen d’enlèvements (ou de séries d’enlèvements) produits en alternance aux dépens de chacune des deux surfaces et aménageant un plan de frappe périphérique ;
– production de grands éclats destinés à fournir des supports pour le débitage.
Éclats d’aménagement ou de réaménagement des surfaces de débitage des nucléus Levallois
103Ces éclats regroupent plusieurs catégories de produits, dont les rôles diffèrent :
– éclats initiaux d’aménagement de la surface de débitage ; ces éclats, qui participent à la mise en place des convexités latérales, précèdent directement le début de la séquence de production ; on trouve parmi ceux‑ci quelques grands éclats débordants à talon facetté ou lisse ; ils présentent les négatifs de grands éclats d’initialisation antérieurs ;
– éclats d’aménagement de convexités latérales ; ce sont des éclats multidirectionnels produits à partir des bords latéraux du nucléus ; ils sont courts, épais au niveau de leur partie proximale, et caractérisés par des négatifs d’enlèvements antérieurs de directions variables, un talon lisse ou plus rarement facetté ; ils sont constitués d’un tranchant s’étendant à toute leur périphérie, sauf dans les cas, assez fréquents, où ils sont partiellement débordants. ; on compte parmi ceux‑ci quelques pointes pseudo‑Levallois ;
– éclats débordants et/ou outrepassants de nettoyage de la surface de débitage ; il s’agit d’éclats de grandes dimensions et relativement épais ayant ôté la totalité ou la quasi‑totalité des négatifs d’enlèvements antérieurs sur la surface de débitage, correspondant aux négatifs de produits laminaires ; ils participent au nettoyage de surfaces de débitage altérées par les traces d’accidents de débitage antérieurs, et en particulier de rebroussés ;
– éclats ôtant une zone impropre au débitage (vacuole, zone indurée, etc.) ; ces pièces, très peu nombreuses, ont comme seul point commun d’avoir enlevé de la surface de débitage une large partie d’une zone malsaine compromettant la poursuite du débitage.
Produits d’aménagement ou de réaménagement des plans de frappe
104Les produits regroupés dans cette catégorie, communs à l’ensemble des nucléus, procèdent aussi bien des phases d’initialisation des rognons que des phases de réaménagement des nucléus en cours de production. Les caractères généraux de ces éclats résident dans des talons lisses, larges et épais, des négatifs d’enlèvements antérieurs très majoritairement unidirectionnels, produits à partir du même bord. Leur face inférieure présente souvent vue de profil une courbure marquée s’accentuant en zone distale.
105On peut individualiser dans ce groupe :
– des éclats d’aménagement des plans de frappe initiaux, parmi lesquels on trouve des éclats de plus grandes dimensions présentant le plus souvent une plage corticale résiduelle en zone distale ;
– des éclats d’aménagement de plans de frappe débordants qui ont recoupé une partie du bord formé par l’intersection de la surface d’aménagement des plans de frappe et de la surface de débitage ; la partie débordante correspond au bord de la surface de débitage ; selon les cas, ils ont pour rôle d’assainir le bord du plan de frappe en ôtant la partie proximale des négatifs d’enlèvements antérieurs ou de réduire l’angle de frappe ; ils sont alors caractérisés par un talon et un bord proximal épais ; quelques‑uns, issus de nucléus à enlèvements perpendiculaires au grand plan, s’apparentent aux tablettes de ravivage des nucléus laminaires du Paléolithique supérieur ;
– des éclats « en aile d’oiseau » issus de l’aménagement d’un plan de frappe aux dépens des parties proximales de faces inférieures d’éclats exploités comme nucléus ; ils ôtent la zone du talon et aménagent en même temps un plan de frappe ; ce sont des enlèvements courts et larges, produits successivement à partir du même point de percussion et selon la même direction, de manière à ce que chaque éclat emporte le négatif de l’éclat précédent ; les séries ainsi produites ne semblent pas comporter plus de deux à trois enlèvements successifs ; le premier éclat de la série est un éclat Kombewa ; les suivants conservent en partie distale un résidu de la face inférieure de l’éclat support et comportent le négatif d’un éclat antérieur de même morphologie (court et large) dont ils ont entièrement ôté l’empreinte sur le nucléus ; ils présentent des talons larges, lisses ou dièdres, et généralement épais ; très proches des éclats de type Le Pucheuil (cf. supra § 2.4) dont ils présentent globalement les mêmes caractères morphotechniques, les éclats en aile d’oiseau d’Étoutteville ont une fonction bien différente ; ils sont avant tout prédéterminants, contrairement aux éclats de type Le Pucheuil qui correspondent à des produits prédéterminés.
Éclats d’aménagement de crêtes
106L’aménagement de crêtes latérales n’est attesté que sur les nucléus à lames s’inscrivant dans des séquences de production longues. Il s’agit des nucléus à plans de fracturation multiples et des nucléus à plans de fracturation alternativement parallèles et tangentiels au plus grand plan. Seuls les éclats participant au début de la mise en place des crêtes ont fait l’objet de remontages. Ce sont des éclats assez courts et larges, à talon large, lisse, caractérisé par un angle de chasse assez fermé. Ils présentent des négatifs d’enlèvements antérieurs de même direction produits à partir du même plan de frappe ; ils ont parfois recoupé en zone distale un négatif d’enlèvement laminaire produit à partir d’un plan de frappe perpendiculaire. Dans ce cas, ils procèdent de l’aménagement d’une crête s’intercalant entre deux phases de production laminaire. Leur face inférieure présente vue de profil une courbure très marquée et régulière, depuis le point d’impact jusqu’à l’extrémité distale. Ces éclats présentent des caractères homogènes et assez proches de ceux d’une partie des éclats d’aménagement des plans de frappe ; ces derniers se caractérisent toutefois dans leur ensemble par une plus grande hétérogénéité. Autrement dit, si les éclats d’aménagement de crêtes s’individualisent assez bien dans leur ensemble des éclats d’aménagement de plans de frappe, l’examen individuel des pièces peut difficilement conduire à un diagnostic sûr.
107Quoiqu’ils n’aient fait l’objet d’aucun remontage, on peut assez aisément déterminer les caractères morphotechniques des éclats finaux d’aménagement des crêtes à partir de l’observation des lames à crêtes. Il s’agit manifestement d’éclats de petites dimensions, très minces, présentant un talon lisse, linéaire ou punctiforme, et un profil régulièrement courbe.
Éclats ou fragments d’éclats indifférenciés, débris
108Ces produits peuvent être issus de tous types de nucléus et indifféremment obtenus lors des phases d’initialisation ou de production. Ils ne sont donc en aucun cas caractéristiques de modes d’exploitation des nucléus ou de phases opératoires spécifiques. Ils rassemblent tous les produits techniquement indéterminables, tels que les éclats issus d’accidents de débitage, les fragments d’éclats, les débris détachés par accident au niveau de diaclases. Parmi ces derniers, les fragments les plus volumineux ont fréquemment été exploités postérieurement comme nucléus.
3.4.2.6 Reconstitution de la chaîne opératoire de production laminaire
109La synthèse de l’ensemble des données qui viennent d’être exposées permet d’aboutir à une reconstitution assez précise de la chaîne opératoire de production laminaire (fig. 101). La première étape de cette chaîne opératoire repose sur l’acquisition, très probablement dans l’environnement immédiat du site, de rognons de grandes dimensions et d’assez médiocre qualité. Une première phase d’exploitation des rognons, qui a pu constituer un premier test de la matière première et conduire à un premier dégrossissage, a peut‑être été directement réalisée sur le lieu même d’acquisition.
110La séquence d’initialisation s’est ensuite pour l’essentiel poursuivie dans le gisement : elle a été menée dans l’objectif de mettre en place les critères techniques et volumétriques propres au débitage Levallois. Une surface de débitage opposée à une surface de plans de frappe a ainsi été progressivement dégagée au moyen de séries d’enlèvements périphériques et multidirectionnels, produites alternativement aux dépens des deux surfaces. La séquence d’initialisation a entraîné une réduction importante du volume initial du rognon et a permis l’obtention d’éclats très volumineux, surtout parmi les éclats d’aménagement des surfaces de débitage. En raison de la qualité souvent médiocre du silex, cette séquence a en outre conduit à l’obtention de gros débris et fragments détachés accidentellement au niveau de diaclases internes ou des zones d’impuretés. Ces deux types de produits (éclats d’initialisation et débris) ont ensuite été fréquemment repris en nucléus laminaires.
111Un ensemble d’indices permet de certifier que les produits repris en nucléus proviennent des mêmes rognons que ceux exploités pour la production Levallois, en effet :
– bien que seul un remontage associe les deux catégories de nucléus (Levallois et non Levallois), nombreux sont les remontages qui s’inscrivent dans la phase d’initialisation de gros rognons et dont les produits ont été postérieurement repris en nucléus ;
– or, les rognons ont été exclusivement exploités pour la production Levallois ;
– enfin, les produits repris en nucléus correspondent au même type de silex que celui qui caractérise l’ensemble des rognons de la série.

FIG. 101 – Étoutteville: reconstitution schématique de la chaîne opératoire de production laminaire.
AD/AFAN ; CNRS
112Les produits repris en nucléus ont été, tout comme les rognons, utilisés pour le débitage de produits laminaires. Ceci dit, leur exploitation repose sur des principes techniques et volumétriques ainsi que sur des objectifs distincts de ceux qui président au débitage des rognons :
– la séquence d’initialisation est toujours extrêmement réduite pour ces nucléus, les tailleurs ayant mis à profit leur configuration pour commencer très rapidement la séquence de production ;
– les phases de production s’appuient pour l’essentiel sur d’autres conceptions volumétriques que celle définissant la production Levallois ; ces conceptions volumétriques, semblables à celles qui caractérisent les systèmes de production laminaire du Paléolithique supérieur, confèrent aux nucléus des volumes de section transversale quadrangulaire, semi‑prismatique ou trapézoïdale, et font couramment appel à des aménagements de crêtes ; ils s’insèrent selon les cas dans des séquences de production très courtes, ou assez longues ; seuls les nucléus sur éclat à plans de fracturation parallèles ou sub‑parallèles au plus grand plan, toujours exploités dans le cadre de séquences de production courtes, s’intégrent dans le même mode d’exploitation volumétrique que les nucléus Levallois ;
– les deux grands principes d’exploitation volumétrique des nucléus mènent à l’obtention de produits laminaires aux caractères morphotechniques et dimensionnels assez nettement différents ; alors que les nucléus Levallois et les nucléus sur éclat à plans de fracturation parallèles ou sub‑parallèles au plus grand plan conduisent à l’obtention de produits que nous avons dénommés « éclats laminaires », les autres nucléus (nucléus sur éclat à plans de fracturation perpendiculaires ou tangentiels au plus grand plan, nucléus sur éclat à plans de fracturation d’inclinaisons multiples et nucléus sur éclat à plans de fracturation alternativement parallèles et tangentiels au plus grand plan) ont produit des lames (et des lames à crêtes) ; celles‑ci se caractérisent par un allongement plus important, une plus forte épaisseur moyenne, une section transversale généralement plus dissymétrique et un profil plus courbe.
113La diversité des moyens techniques mis au service de la production laminaire à Étoutteville est donc mise en œuvre au sein d’une même chaîne opératoire, de type ramifié, et répond à des objectifs techniques finaux différenciés.
3.4.2.7 Outils retouchés
114Les outils retouchés sont particulièrement peu nombreux : seules 37 pièces, constituant 1 % de la totalité du matériel, ont fait l’objet d’un aménagement par retouches. Ils correspondent à des outils sommairement aménagés, sur une portion généralement limitée de la périphérie des pièces. Cinq catégories d’outils ont été distinguées : des racloirs‑rabots, des pièces à encoche retouchée, des racloirs à retouches écailleuses courtes et abruptes, des racloirs à retouches alternantes et des racloirs à retouches fines et couvrantes.
Racloirs‑rabots. fig. 102, nos2, 5, 6
115Ce sont des outils à retouches continues, envahissantes et très localisées, dégageant un front de section convexe. Ce front est opposé à une surface plane ou légèrement concave correspondant à une face d’éclatement (face inférieure d’éclat ou plan de fracture) ; dans un cas, cette surface plane a été créée par quelques enlèvements à partir d’un plan de frappe perpendiculaire (sur la face opposée) au front retouché. La retouche forme un bord actif de 1 à 3 cm de longueur, caractérisé par une délinéation rectiligne ou convexe (en vue de face), un profil rectiligne, une section piano‑convexe ou concavo‑convexe et un angle assez ouvert, compris entre 65 et 80°. Les supports de ces outils sont très variés : il s’agit aussi bien d’éclats d’aménagement des nucléus que de fragments ou produits indifférenciés ou encore de nucléus. Il est fort probable que l’épaisseur de ces supports, comprise entre 2 et 4 cm, ait constitué l’un des critères déterminants dans leur sélection pour la confection de ces racloirs‑rabots.

FIG. 102 – Étoutteville : outils retouchés. 1, 4, 7 rac loirs à retouches courtes et abruptes, 2, 5, 6 racloirs‑rabots, 3 outil à encoche retouchée, 8 racloir à retouches alternantes, 9 racloir à retouches fines et couvrantes.
MB/CNRS
Pièces à encoche retouchée. fig. 102, no 3
116Les encoches retouchées sont aménagées aux dépens de bords d’éclats, qu’elles transforment localement par une large concavité réalisée soit au moyen de petits enlèvements, soit parfois au moyen d’un ou plusieurs grands enlèvements, suivis d’une série de petites retouches renforçant la concavité de l’encoche. Ces dernières peuvent correspondre à des retouches d’utilisation. Une seule encoche retouchée a été aménagée par support. Les supports de ces pièces présentent des caractères techniques et morphométriques très disparates.
Racloirs à retouches écailleuses courtes et abruptes. fig. 102, nos1, 4, 7
117Ces racloirs se caractérisent par une retouche toujours très localisée, limitée à un seul bord qu’ils ne transforment que partiellement. Le tranchant retouché forme avec la surface opposée un angle assez ouvert (égal ou supérieur à 75°) ; sa délinéation est rectiligne, voire légèrement concave ou convexe, et selon les cas soit régulière soit irrégulière et denticulée. La retouche est toujours effectuée aux dépens des faces supérieures des pièces. Les supports de ces outils sont très variables tant techniquement que morphométriquement. Plusieurs de ces pièces correspondent à des fragments d’outils. Parmi ceux‑ci une grande lame en silex exogène a fait l’objet d’une retouche très soignée, localisée aux deux extrémités d’un de ses bords latéraux.
Racloirs à retouches alternantes. fig. 102, no 8
118Seule une pièce dans la série se caractérise par des retouches alternantes (sur un même bord) assez longues, dégageant un tranchant convexe.
Racloir à retouches fines et couvrantes. fig. 102, no 9
119L’une de ces pièces, un fragment distal de racloir, se caractérise par une retouche particulièrement soignée dégageant un tranchant très régulier, de profil rectiligne et de délinéation convexe. Cette pièce a été réalisée à partir d’un silex différent de celui qui caractérise l’ensemble des rognons débités sur place.
120Les relations entre les différentes catégories d’outils retouchés et les types de supports correspondants (tabl. xxxiii) ne laissent apparaître aucune forme de sélection préférentielle de certains produits en vue de leur transformation par des retouches. Les supports des outils retouchés appartiennent indifféremment à tous les types de produits et à toutes les classes dimensionnelles. Seuls les supports des racloirs‑rabots semblent avoir été en partie sélectionnés en fonction de critères dimensionnels, résidant dans l’épaisseur importante des pièces. Les lames et éclats laminaires n’ont pas été davantage retouches que les autres catégories de produits. Tous ces éléments suggèrent que l’outillage d’Étoutteville correspond à un outillage non prédéterminé et expédient, c’est‑à‑dire à un outillage rapidement exécuté en fonction des besoins du moment, et dont la confection n’est pas anticipée dès le stade de la production. Autrement dit, la confection de l’outillage ne semble avoir eu aucune influence sur les moyens techniques mis en œuvre lors de la production.

TABL. XXXIII – Étoutteville : décompte des produits retouchés selon les types de supports associés.
3.4.2.8 Hypothèses sur le fonctionnement technique et économique du site
121La fonction du site en termes de production lithique peut être très globalement estimée à partir d’un certain nombre d’indices ; toutes les hypothèses butent toutefois sur la question de l’origine des manques constatés dans les remontages. Sont‑ils le fait des hommes préhistoriques ou résultent‑ils d’une troncature de l’ensemble archéologique par des agents naturels ? Même si le niveau archéologique a été entièrement fouillé, tant dans son extension horizontale que dans son extension verticale, même si de nombreuses observations viennent à l’appui d’une faible perturbation des vestiges, et même encore si aucun phénomène érosif ayant pu affecter notablement le dépôt archéologique n’a été décelé, on ne peut pas écarter l’éventualité d’une évacuation naturelle d’une partie du dépôt archéologique. La composition de l’assemblage (tabl. xxxiv) révèle toutefois que les vestiges lithiques ont été dans leur ensemble produits sur place, à l’exception de trois pièces qui ont été manifestement introduites sous forme transformée et correspondraient à un silex exogène. Les produits caractéristiques des phases d’initialisation des rognons et de production sont représentés dans des proportions qui indiquent que ces phases se sont globalement déroulées sur le gisement. Seuls les tout premiers enlèvements extraits des rognons, et en particulier les éclats de mise en forme initiale, sont presque systématiquement absents des remontages et paraissent largement sous‑représentés de manière générale dans l’assemblage. Il est fort probable que cette phase ait eu lieu ailleurs, et selon toute vraisemblance sur le lieu d’acquisition de la matière première.

TABL. XXXIV – Étoutteville : décompte des produits de débitage.
122Les produits recherchés : éclats laminaires et lames, ne font pas l’objet de manques plus importants au sein des remontages que les autres catégories de produits ; ils représentent 19 % de la totalité des pièces de la série. Le nombre moyen d’éclats laminaires par nucléus est de 10,1, tandis que le nombre moyen de lames par nucléus est de 4,7. Cet écart n’est certainement pas dû à une exportation plus importante des lames, mais résulte en toute logique de la durée des séquences de production, plus longues et donc plus productives pour les nucléus Levallois (qui ont conduit à l’obtention des éclats laminaires) que pour les autres nucléus. Ces chiffres montrent qu’il n’y a pas eu d’exportation massive des produits recherchés hors du site, mais n’excluent pas la possibilité d’une exportation partielle de la production.
123Si la production a été en partie exploitée sur place, elle l’a été sous sa forme brute, c’est‑à‑dire sans transformation au moyen de retouches. Quant à l’outillage retouché, il correspond à un outillage expédient, rapidement exécuté aux dépens de supports qui ont été pour l’essentiel prélevés parmi les sous‑produits de la chaîne opératoire laminaire. Le gisement d’Étoutteville semble donc avoir été le lieu d’activités mixtes (production et exploitation au moins d’une partie de la production sur place), avec toutefois une part prépondérante consacrée à la production lithique. Ce site aurait ainsi fonctionné comme un atelier de débitage de produits laminaires. La répartition spatiale des principales catégories de produits conforte cette hypothèse. Ainsi, le plan de répartition spatiale des outils retouchés, des produits laminaires et des nucléus (fig. 103) ne laisse apparaître aucune zone d’activité spécialisée. Ces différentes catégories d’objets suivent une distribution spatiale qui coïncide globalement avec celle de l’ensemble du matériel et ne font l’objet d’aucun regroupement significatif. Cette configuration nous incite à considérer ce gisement comme un lieu d’implantation humaine, ponctuellement occupé lors d’un (ou plusieurs ?) séjour(s) largement axé sur des activités de production lithique.

FIG. 103 – Étoutteville : distribution spatiale des produits laminaires (1), des nucléus (2) et des outils retouchés (3) (1 carré = 1 m2).
AD/AFAN ; CNRS
3.4.3 Analyse des principaux ensembles remontés
124L’analyse des ensembles remontés d’Étoutteville a pour fondement un découpage par phases opératoires des ensembles remontés. Ce découpage a permis de déterminer l’organisation chronologique de la production, en fonction des objectifs techniques finaux et des objectifs techniques intermédiaires guidant la réalisation de chaque phase opératoire. C’est le même découpage qui a servi à l’analyse de la distribution spatiale des vestiges. Ainsi, les relations spatiales entre les vestiges remontés n’ont pas été étudiées individuellement, mais par ensembles de produits regroupés au sein d’une même phase opératoire. Ce choix méthodologique, dicté par la nature du site, est totalement original par rapport à ce qui se pratique habituellement et mérite en conséquence d’être justifié.
3.4.3.1 Choix méthodologiques dans l’analyse spatiale des vestiges
125Le choix le plus important intervenant dans l’analyse spatiale d’un niveau archéologique repose sur le type de représentation graphique à adopter en fonction de la problématique et de la nature des informations que l’on souhaite mettre en évidence. Dans la mesure où l’analyse s’appuie sur des ensembles remontés, le mode de représentation graphique adopté doit de plus être en mesure de restituer dans l’espace l’information dynamique apportée par les remontages.
126Les exemples d’analyses spatiales d’ensembles remontés fournis par la bibliographie reposent presque tous sur une même règle de base stipulant que la représentation graphique doit restituer les mouvements individuels des pièces appartenant à un même remontage. Des liaisons entre toutes les pièces remontées sont alors établies soit par des traits, éventuellement assortis de flèches, indiquant l’ordre chronologique des enlèvements, soit par des traits reliant toutes les pièces dont les surfaces sont en contact, soit enfin par des traits reliant chaque élément d’un remontage à son nucléus. L’inconvénient majeur de ces modes de représentation est d’être le plus souvent déchargés de toute signification d’ordre anthropique : les déplacements liés à l’action délibérée de l’homme n’étant pas dissociés des autres types de déplacements (consécutifs au piétinement par exemple). Ils posent de plus des problèmes de lisibilité évidents dès lors que les ensembles remontés comprennent plus d’une dizaine d’éléments. Ces modes de représentation sont mis au service de deux types de problématiques : l’évaluation de l’ampleur des phénomènes post‑dépositionnels et la recherche d’une structuration spatiale des sites.
127La mesure des phénomènes post‑dépositionnels tout d’abord est souvent la seule problématique par défaut, implicite ou explicite, de nombreuses études de répartition spatiale des remontages. C’est ce type d’approche qui a notamment guidé les analyses appliquées aux gisements d’Houppeville (Vallin 1988) et de Maastricht‑Belvédère (site C) aux Pays‑Bas (Roebroeks 1988). Déconnectes de toute préoccupation d’ordre technique ou socio‑économique, les résultats de ces analyses sont souvent bien décevants. Il nous semble en effet indispensable pour évaluer la dispersion horizontale des vestiges d’être en mesure d’apprécier la cohérence (ou l’incohérence) technique ou socio‑économique de leur distribution. Inversement, il est bien entendu impératif de disposer d’un certain nombre de données relatives aux perturbations naturelles et à l’intégrité des séries archéologiques pour pouvoir aborder l’organisation spatiale des sites. Ainsi, les raccords à distance entre objets sur un plan vertical (et tout particulièrement entre objets rapportés à des niveaux archéologiques distincts tel que ce fut le cas à Terra‑Amata : Villa 1983) constituent la preuve indéniable d’une dispersion du matériel sous l’effet d’agents naturels. En revanche, la distance des raccords sur un plan horizontal ne nous paraît pas constituer un indice suffisant pour statuer de la non‑conservation de la configuration anthropique des niveaux d’occupation, comme cela est par exemple le cas dans l’analyse spatiale du site acheuléen de Boxgrove en Angleterre (Bergman et al. 1990).
128Les analyses consacrées à l’approche de la structuration spatiale des sites ont été focalisées sur la structuration socioéconomique des zones occupées, à travers la reconnaissance d’aires d’activités spécialisées et de leur fonction, et sur la détermination des liens entre ces différentes aires. Dans cette optique, des tentatives de normalisation des représentations graphiques ont été effectuées pour établir les bases de comparaisons inter‑sites (Cziesla 1990). Ces tentatives qui, en raison de leur finalité, ne tiennent pas compte des spécificités des gisements, ont conduit à des formes de représentation et d’interprétation purement abstraites (fondées sur l’approche quantitative du nombre, de la longueur et de l’orientation des lignes de connexion : Veil 1990) et très éloignées de la source même de leur documentation : l’homme préhistorique.
129Les essais les plus concluants concernant cette problématique sont ceux qui furent appliqués à des sites où des structures apparentes (foyers, amas de débitage, etc.) étaient conservées et pouvaient servir de fondement à l’analyse spatiale des vestiges. Tel était le cas pour l’unité U5 d’Étiolles. L’analyse spatiale des remontages de cette unité s’appuya de plus sur un mode de représentation très heuristique privilégiant les « mouvements réels » des objets, c’est‑à‑dire les mouvements significatifs d’un déplacement humain (Pigeot 1987) : l’amas de débitage est circonscrit par un cercle, les liaisons internes à l’amas ne sont pas représentées, et seules sont matérialisées les liaisons inter‑structures.
130Ce mode de représentation graphique, tout à fait adapté au cas d’Étiolles et à la problématique de l’étude, ne convient cependant pas à n’importe quel contexte. Ainsi, dans un site comme Étoutteville, ayant surtout fonctionné comme un atelier de débitage et ne comportant pas de structures d’habitat apparentes, la recherche de liaisons entre différentes unités ne présentait pas d’intérêt. Et surtout, la spécificité du site nous conduisait naturellement à privilégier, dans l’étude de l’organisation spatiale, l’information d’ordre technique par rapport à l’information socio‑économique, peu susceptible d’être ici rentable. Dans cette perspective, étudier les liaisons entre objets, pièce par pièce, ne s’avérait pas pertinent du fait de la signification très limitée d’une telle information pour l’étude d’amas de débitage dont les produits ont toutes chances d’avoir été pour la plupart abandonnés à l’emplacement même de leur débitage. En outre, un tel degré de précision était inapproprié dans ce contexte où les vestiges n’étaient vraisemblablement pas in situ (au sens strict du terme). Enfin, le nombre assez important de pièces intégrées aux remontages rendait illusoire l’idée d’établir des plans de liaisons entre objets qui soient lisibles et compréhensibles.
131Pour toutes ces raisons, l’unité de base choisie dans l’analyse spatiale d’Étoutteville est l’unité technique de la phase opératoire : les objets regroupés au sein d’une même phase sont désignés sur les plans par un symbole distinctif, et seuls les fragments d’un même objet sont reliés par des traits. Ainsi, ce ne sont pas les mouvements individuels des objets qui apparaissent, mais les mouvements d’ensembles cohérents d’objets, appartenant à la même phase technique, et indicatifs du mode de gestion spatiale du débitage. Les questions qui ont guidé cette analyse étaient directement en rapport avec la spécificité du site : comment s’organise dans l’espace le déroulement de la chaîne opératoire de débitage ? Les ruptures techniques constatées dans l’exploitation des rognons, matérialisées par la reprise d’objets produits sur place en nucléus, s’accompagnent‑elles de ruptures spatio‑temporelles ? Les différents modes de production laminaire identifiés dans la série font‑ils l’objet d’une gestion spatiale différentielle ?
132Dans ce contexte où une analyse de la répartition microstratigraphique des vestiges n’était pas envisageable (l’altitude de chaque pièce n’ayant pas pu être relevée sur le terrain), les ruptures temporelles ne pouvaient être appréhendées que si elles s’accompagnaient de ruptures spatiales sur un même plan horizontal. Le dépôt archéologique formait une entité indubitablement homogène, ayant subi une dispersion verticale sur une hauteur maximale de 30 à 40 cm qui ne s’est manifestement pas accompagnée de déplacements horizontaux importants (cf. supra § 3.1). De ce fait, pour la commodité de l’analyse, les vestiges furent appréhendés sur un même plan horizontal. L’aspect général du dépôt archéologique indique la présence d’une concentration principale au centre de la zone fouillée, et désignée amas principal 1, encadrée par deux autres concentrations, plus petites et moins nettes, à sa périphérie, les amas secondaires 2 et 3 (fig. 104).

FIG. 104 – Étoutteville : délimitation approximative des trois amas de débitage. 1 amas principal, 2, 3 amas secondaires (1 carré = 1 m2).
AD/AFAN ; CNRS
3.4.3.2 Remontage 1. fig. 105 et 106
Descriptif technique. tabl. xxxv
133Ce remontage comprend 39 produits, extraits d’un rognon débité pour la production d’éclats laminaires ; ce rognon a donné lieu à l’exploitation d’un unique nucléus. C’est le plus complet des remontages de la série ; manquent principalement la plupart des éclats de mise en forme initiale du rognon ainsi que quelques produits laminaires. La production a été menée selon les principes techniques et volumétriques du débitage Levallois.
134La phase d’initialisation du rognon a donc conduit à la mise en place de deux surfaces sécantes hiérarchisées : une surface de plans de frappe et une surface de débitage. Dégagées dès les premiers enlèvements (dès la mise en forme initiale), ces deux surfaces ont été maintenues jusqu’à la fin du débitage. Les critères techniques et volumétriques qui ont plus précisément guidé cette phase consistent en l’obtention d’angles de frappe adéquats, la régularisation de la surface de débitage par l’enlèvement des zones corticales résiduelles, l’aménagement de convexités latérales sur la surface de débitage. Le tailleur semble aussi s’être tout particulièrement attaché au cours de cette phase à l’élimination d’une large zone malsaine comportant diverses inclusions, empreintes de fossiles et parties indurées. Ainsi, c’est probablement la volonté d’assainir le nucléus, et peut‑être aussi d’entamer le moins possible les zones saines, qui a poussé le tailleur à débiter tous les éclats d’initialisation à partir d’un seul bord du nucléus, correspondant à cette zone malsaine. L’autre bord présente les traces d’impacts répétés et localisés, antérieurs au débitage du rognon, et témoignant de son usage pour une action de percussion.

FIG 105 – Étoutteville : remontage 1.
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 106 – Étoutteville : remontage 1.
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN

TABL. XXXV – Étoutteville : descriptif technique du remontage 1.
135Les plans de frappe ont été aménagés au moyen d’une unique série de grands enlèvements unidirectionnels (phase 2). Cette série d’enlèvements, en partie débordants, a permis de mettre en place simultanément les plans de frappe sur le bord latéral du nucléus et sur les deux bords opposés à partir desquels ont ensuite été débités les produits laminaires. L’aménagement de la surface de débitage a été effectué dans un second temps (phase 3), à partir du même bord latéral et au moyen d’enlèvements centripètes. Une série de grands enlèvements nettoyant toute la zone malsaine sur la surface du rognon a tout d’abord été produite. Fréquemment débordants et/ou outrepassants, ces enlèvements ont aussi conduit à la mise en place de convexités sur le bord latéral opposé. Les convexités latérales sur le bord débité ont été dégagées en dernier lieu, au moyen d’une série d’enlèvements nettement plus courts.
136Une nette maîtrise technique préside à la phase d’initialisation de ce rognon. Elle transparaît dans la gestion parcimonieuse de la matière première qui a conduit le tailleur à aménager l’ensemble du volume au moyen d’un nombre d’enlèvements assez réduits et très localisés, assainissant les zones impures tout en préservant au maximum les zones saines. Le bord du nucléus comportant ces zones impures et où subsistent une zone cristallisée ainsi qu’une partie indurée à l’issue de l’initialisation, a ensuite continué tout au long du débitage à faire l’objet d’un traitement particulier. Sur ce bord, les convexités ont été entretenues par de petits enlèvements perpendiculaires à l’axe de débitage des éclats laminaires ; ce procédé a permis d’aborder ces zones en minimisant les risques d’accidents de débitage. Au contraire, sur le bord latéral opposé, les convexités ont été maintenues au moyen d’éclats laminaires débordants.
137La grande majorité des produits laminaires procédant des phases de production ont été remontés ; il est possible d’évaluer le nombre de produits manquants à environ 4 pièces (voire un peu plus ?), alors que les éclats laminaires remontés sont au nombre de 12. Cinq séries d’éclats laminaires ont été produites, à partir de deux plans de frappe opposés. Elles ont été entrecoupées par un changement de plan de frappe, et entre l’avant‑dernière et la dernière série, par un réaménagement de la surface de débitage (phase 5). Ces séries ont livré des quantités très variables d’éclats laminaires, comprises entre 1 et 7 pièces. Sur le total estimé d’éclats laminaires, 12 ont été produits à partir du premier plan de frappe exploité, 4 à partir du plan de frappe opposé. Le premier plan de frappe apparaît donc comme préférentiel, et se distingue par ailleurs par une préparation beaucoup plus poussée des talons des pièces. Un facettage soigné du bord de ce plan de frappe a en général précédé le détachement de chaque éclat laminaire. Le plan de frappe opposé a livré des éclats laminaires tout aussi grands que ceux issus du premier plan de frappe. Deux d’entre eux ont eu pour conséquence d’éliminer une zone impure. Le dernier enlèvement (non remonté) produit à partir de ce plan de frappe, accidenté dans sa partie proximale (arrachement du bord du plan de frappe sur une épaisseur importante), a précédé (et probablement causé) l’abandon du nucléus. Au stade d’abandon, le nucléus conserve un volume de matière première important. Il présente toutes les caractéristiques techniques et volumétriques d’un nucléus Levallois (fig. 91, no 1).
Distribution spatiale. fig. 107
138Les 53 éléments (en tenant compte individuellement de tous les fragments) de ce remontage sont localisés dans l’amas principal 1. Ils sont dispersés au sein de l’amas ainsi qu’à sa périphérie immédiate. Les produits issus des différentes phases opératoires y sont totalement mélangés. Seuls les deux petits éclats procédant de la mise en forme initiale du rognon sont regroupés quelque peu à l’écart de la zone de densité maximale. Leurs dimensions réduites, caractère commun à tous les produits de ce remontage situés à l’écart de l’amas, ainsi que l’absence de la plupart des autres éléments de cette phase, confèrent à cette observation une signification bien limitée.

FIG. 107 – Étoutteville : distribution spatiale des pièces du remontage 1. 1 par rapport à la distribution d’ensemble des vestiges, 2 par phase opératoire, les pointillés reliant les éléments fracturés issus d’une même pièce (1 carré = 1 m2).
AD/AFAN ; CNRS
139Ce remontage montre en outre quelques cas de dispersion sur plusieurs mètres des fragments d’un même produit, issus d’accidents de débitage. Tel est le cas notamment pour les deux fragments d’un éclat cassé au débitage (fracture de type Siret) ainsi que pour le fragment proximal d’un éclat laminaire brisé en trois au débitage, éloigné de près de 4 m de l’amas de débitage. Ces déplacements sont vraisemblablement imputables à des phénomènes naturels ou tout au moins à des déplacements involontaires. Il en est sûrement de même pour les deux fragments, retrouvés proches l’un de l’autre à l’extérieur de l’amas, d’un petit éclat laminaire produit lors de la dernière phase de production.
140Ainsi, le schéma linéaire dans lequel s’inscrit l’exploitation de ce rognon (un seul nucléus débité pour un unique objectif technique final) coïncide avec une nette unité spatiale des produits remontés. Leur localisation au sein du même amas, sans distribution différentielle des pièces en fonction de la phase opératoire à laquelle elles appartiennent, indique que l’ensemble du débitage de ce rognon a été réalisé au même emplacement. L’analyse spatiale de ce remontage révèle donc un premier type d’organisation dans l’espace des activités de taille : celui d’un schéma opératoire de débitage linéaire au sein duquel aucune rupture spatio‑temporelle n’est décelable.
3.4.3.3 Remontage 2. fig. 108 et 109
Descriptif technique. tabl. xxxvi
141Ce rognon, qui rassemble 35 produits, a donné lieu à l’exploitation de deux nucléus : un nucléus (A) procédant de l’ensemble des phases d’initialisation et de production du nodule initial, et un nucléus (B) issu de la reprise d’un fragment détaché du bloc principal au niveau d’une diaclase lors de la phase d’initialisation. Le premier a été l’objet d’une séquence opératoire longue, exclusivement orientée vers l’obtention d’éclats laminaires, selon des principes techniques et volumétriques et un schéma opératoire semblables à ceux décrits pour le remontage 1. Quant au second nucléus, il s’inscrit dans une séquence opératoire plus courte et a été exploité pour la production de lames selon des plans de fracturation alternativement parallèles et tangentiels au plus grand plan.
142L’ensemble du remontage comporte des manques assez importants mais qui ne nuisent pas à sa compréhension globale. Il manque notamment une large partie des produits issus des phases d’initialisation du nucléus, ainsi que les produits de la (ou des ?) première(s) phasc(s) de production laminaire pour les deux nucléus.

FIG. 108 – Étoutteville : remontage 2.
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 109 – Étoutteville : remontage 2.
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN

TABL. XXXVI – Étouttevflle : descriptif technique du remontage 2.
Ensemble A
143Une phase de fragmentation du bloc par percussion violente a marqué le début de la phase d’initialisation (phase A1). Les produits qui en découlent sont peu envahissants et les conséquences techniques qu’ils induisent n’ont pas d’intérêt direct évident pour la suite du débitage. La présence de nombreuses diaclases et zones mal silicifiées a entraîné l’enlèvement d’une masse importante de matière première lors de cette phase, du côté de la face d’aménagement des plans de frappe (phase A2). Elle a donné lieu par ailleurs au détachement accidentel d’assez nombreux fragments et débris indifférenciés, dont le plus volumineux a été repris en nucléus (nucléus B). Comme pour le remontage 1, l’un des objectifs principaux de la phase d’initialisation a donc été l’assainissement du rognon par l’enlèvement des zones impures. Dès que l’essentiel de ces zones impures fut éliminé, le tailleur a procédé à la mise en place de plans de frappe périphériques (phase A3).
144Bien que les produits issus de l’aménagement de la surface de débitage n’aient pas été remontés, les négatifs visibles sur les premiers enlèvements remontés permettent de reconstituer en partie la chronologie des opérations antérieures. Ils attestent en particulier de la mise en place de convexités latérales au moyen d’enlèvements centripètes peu envahissants produits à partir des deux bords latéraux. Cette phase d’aménagement, appartenant probablement encore à la séquence d’initialisation a été suivie d’une première phase de production dont les produits n’ont pas non plus été retrouvés.
145Les premiers enlèvements remontés sur la surface de débitage du nucléus appartiennent à une phase de réaménagement des convexités (phase A4). Ils sont multidirectionnels, produits à partir des extrémités des bords latéraux et directement adjacents aux éclats laminaires qui les ont précédés ; ils se caractérisent par des talons larges, épais et sont partiellement débordants. La phase de production qui suit (phase A5) a mené à la production d’éclats laminaires à partir d’un unique plan de frappe, opposé au plan de frappe exploité lors de la première phase de production. Les talons de ces éclats laminaires n’ont pas été préalablement préparés : ils sont lisses.
146Les produits remontés ainsi que les négatifs des produits manquants témoignent donc de la succession d’au moins deux phases de production laminaire précédées et entrecoupées de phases de réaménagement de la surface de débitage. Il est impossible de préciser le nombre total d’éclats laminaires produits ; on peut tout au plus estimer qu’un nombre minimal de 5 éclats laminaires a été obtenu. Le dernier enlèvement (non remonté), produit à partir d’un bord latéral et perpendiculaire à l’axe de débitage des éclats laminaires, était manifestement destiné à réaménager une convexité latérale. Il a rebroussé, sans que cela ait détérioré de manière importante la surface de débitage. Est‑il responsable de l’abandon du nucléus, ou est‑ce plutôt la proximité de zones malsaines du côté des plans de frappe qui a motivé l’arrêt du débitage ? Au stade d’abandon, le nucléus conserve encore un volume assez important. Il présente toutes les caractéristiques techniques et volumétriques d’un nucléus Levallois (fig. 91, no 2).
Ensemble B
147La zone mal silicifiée et diaclasée à partir de laquelle le fragment B s’est détaché du rognon, a été exploitée pour l’aménagement des plans de frappe. Seules les deux extrémités qui ont servi au débitage des lames ont été transformées en plans de frappe (phase B1). Aucune autre opération liée à l’aménagement du nucléus n’est attestée.
148La séquence de production repose sur le débitage de lames à partir de deux plans de frappe opposés, selon des plans de fracturation alternativement parallèles et tangentiels au plus grand plan du nucléus. L’analyse diacritique des produits laminaires remontés, et des produits non remontés dont les négatifs sont visibles, permet de décrire la succession suivante (phase B2) :
– 1 : production de deux séries d’enlèvements bipolaires selon des plans de fracturation parallèles au plus grand plan (non remontés) ;
– 2 : production d’une série d’enlèvements à partir d’un unique plan de frappe, sur l’un des flancs du nucléus, selon un plan de fracturation tangentiel au plus grand plan (produits remontés) ;
– 3 : production d’une série d’enlèvements sur le flanc opposé, à partir du plan de frappe opposé et selon un plan de fracturation tangentiel au plus grand plan (enlèvements rebroussés : non remontés) ;
– 4 : production d’une série d’enlèvements à partir du plan de frappe opposé dans la partie médiane du nucléus, selon un plan de fracturation parallèle au plus grand plan (pièces remontées : une lame rebroussée, une lame outrepassée).
149Les accidents de débitage répétés des deux dernières séries d’enlèvements ont causé l’abandon définitif du nucléus. Le débitage de ce nucléus est rythmé par des changements successifs d’exploitation volumétrique, marqués par des changements de plans de frappe. Les lames remontées n’ont pas été l’objet de préparations spécifiques des talons : ceux‑ci sont lisses ou dièdres.
150Le remontage 2 révèle donc un schéma opératoire original conduisant, à partir du même rognon, à l’exploitation de deux nucléus laminaires faisant appel à des conceptions volumétriques distinctes.
Distribution spatiale. fig. 110
151Les 43 éléments (en comptant individuellement les fragments) de ce remontage se répartissent en deux lieux de production : l’amas principal 1 et l’amas secondaire 2. La répartition spatiale des produits met clairement en évidence une rupture au cours de l’exploitation du rognon. L’ensemble des produits issus des phases d’initialisation et de production mises en œuvre à partir du nucléus A sont localisés au sein de l’amas secondaire 2. En revanche, les produits extraits du nucléus B, dont le support est un débris prélevé parmi les produits d’initialisation du rognon, se situent dans l’amas principal 1, distant d’environ 2 m. Il y a donc eu une rupture spatio‑temporelle dans l’exploitation de ce rognon, reposant sur un changement de poste de débitage. Cette rupture pourrait résulter de l’exploitation différée du nucléus B. Après le débitage sur un même poste de taille du nucléus A, un tailleur (le même ou un autre) aurait sélectionné un débris volumineux présent au milieu des déchets de débitage, pour l’emporter un peu plus loin, sur autre poste de débitage, où il l’aurait débité.

FIG. 110 – Étoutteville : distribution spatiale des pièces du remontage 2. 1 par rapport à la distribution d’ensemble des vestiges, 2 par phase opératoire, les pointillés reliant les éléments fracturés issus d’une même pièce (1 carré = 1 m2).
AD/AFAN ; CNRS
152Il est à noter que les éléments compris dans l’amas principal 1 sont plus dispersés que ceux de l’amas secondaire, peut‑être à cause d’une fréquentation plus intensive. Par ailleurs les quelques pièces dispersées hors des amas de taille correspondent toutes à des fragments ou des débris de petite taille. Leur dispersion est donc probablement naturelle. Seul le nucléus A, de dimensions assez importantes, se retrouve aussi un peu à l’extérieur de l’amas. Les deux outils intégrés à ce remontage sont mélangés aux autres produits au sein de l’amas secondaire 2. Cela tend à indiquer que leur confection et leur utilisation ont été effectuées sur le lieu même de leur production.
153Ce remontage révèle un second type de gestion spatiale et temporelle du débitage : la rupture technique constatée dans l’exploitation du rognon s’accompagne ici d’une rupture spatio‑temporelle, résultant manifestement de l’exploitation différée d’un produit prélevé parmi des déchets de débitage et secondairement transformé en nucléus. Cette production secondaire (nucléus B) s’est effectuée selon des principes volumétriques distincts de ceux qui ont présidé au débitage du rognon (nucléus A).
3.4.3.4 Remontage 3. fig. 111 et 112
Descriptiftechnique. tabl. xxxvii
154Le remontage 3 rassemble 29 pièces, correspondant aux produits débités à partir de trois fragments issus d’un même rognon initial, qui s’est manifestement scindé très tôt au cours de son exploitation à cause de la présence d’une large diaclase interne. Seuls quelques produits extraits des fragments A et B ont été remontés, s’inscrivant au début de leur exploitation. Les trois pièces remontées débitées à partir du fragment A (phase A1) correspondent vraisemblablement à des éclats laminaires ; elles sont bipolaires et ont été directement produites aux dépens de la diaclase qui a causé la fracture du rognon : leur production n’a donc pas donné lieu à un travail d’initialisation important. Elles pourraient s’inscrire dans l’exploitation d’un nucléus sur éclat à plans de fracturations parallèles ou sub‑parallèles au plus grand plan.

FIG. 111 – Étoutteville : remontage 3.
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 112 – Étoutteville : remontage 3
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN

TABL. XXXVII – Étoutteville : descriptif technique du remontage 3.
155De même, seules trois pièces extraites du fragment B ont été remontées. Ces pièces, qui semblent procéder d’une phase d’initialisation (phase B1) du nucléus, ne suffisent pas à appréhender, même sommairement, les principes techniques qui ont présidé au débitage de ce fragment.
156En revanche, l’ensemble C est très largement remonté. Le principal manque concerne la phase d’initialisation du nucléus, dont quasiment tous les produits sont absents ainsi que la (ou les ?) première(s) phase(s) de production. La séquence de production a été longue et a fourni un nombre assez important de lames (au minimum une vingtaine, dont 13 lames remontées). Certaines sont de très grandes dimensions (de longueur supérieure à 15 cm). Le mode d’exploitation volumétrique est semblable à celui observé pour l’ensemble B du remontage 2 : il s’appuie sur la production en séries de lames, selon des plans de fracturation alternativement parallèles et tangentiels au plus grand plan du nucléus, dont la section transversale est trapézoïdale.
157De la phase d’initialisation (phase C1), il n’a été retrouvé que deux éclats : l’un participe à la mise en place d’une surface plane opposée au volume débité ; l’autre est un grand éclat produit à partir du même plan de frappe et selon le même axe de débitage que les futures lames, et qui contribue à mettre en place les nervures longitudinales qui faciliteront le détachement des premières lames. Cet éclat s’est cassé au débitage : tandis que sa partie proximale a été postérieurement aménagée en encoche (large encoche retouchée), sa partie distale a été reprise en nucléus (phase CA). Le débitage de ce fragment d’éclat a débuté sans aménagement préalable : le tailleur a utilisé la fracture comme plan de frappe et a tiré parti du bord de l’éclat pour extraire la première lame. Il a été rapidement stoppé (après la deuxième lame) par la présence d’une zone cristallisée. Ce nucléus s’inscrit dans la catégorie des nucléus sur éclat à plans de fracturation perpendiculaires au plus grand plan.
158La première phase de production (phase C2) du fragment C, pour laquelle on dispose d’éléments remontés, consiste en une série de lames (seules 2 lames ont été remontées) au plan de fracturation tangentiel au grand plan et débitée aux dépens du même flanc du nucléus que l’éclat d’initialisation qui les a directement précédées. Les lames remontées sont des lames de très grandes dimensions, produites à partir de deux plans de frappe opposés. Entre cette série et la série remontée suivante, tout un ensemble de lames manquent ; d’après les négatifs visibles sur la face supérieure des produits suivants, il semble que les lames manquantes s’inscrivent dans une série produite selon un plan de fracturation parallèle au grand plan.
159La phase suivante (phase C3) a reposé sur l’aménagement d’une crête latérale sur le flanc opposé au premier flanc exploité. Il s’agit d’une crête à un versant préparé ; les éclats d’aménagement de la crête ont été débités à partir d’un bord non aménagé (pan de diaclase) et aux dépens de la partie débitée. Une nouvelle phase de production (phase C4) a ensuite été réalisée, fondée sur le débitage de lames selon des plans de fracturation alternativement parallèles et tangentiels au plus grand plan. Les trois premières lames, dont la première est une grande lame à crête, ont été débitées à partir d’un unique plan de frappe et selon un plan de fracturation tangentiel au plus grand plan. Vient ensuite un ensemble de dix lames, produites au centre du volume débité, et selon un plan de fracturation parallèle au grand plan ; deux lames latéralisées et débitées selon un plan de fracturation tangentiel au grand plan s’intercalent dans cette série. Les dernières lames de cette série n’ont pas été remontées.
160La phase qui a suivi (phase C5) a consisté en un réaménagement d’un des plans de frappe au moyen d’un unique enlèvement. La dernière phase de production (phase C6) n’a donné lieu au débitage que d’une unique lame (dont seule la partie distale est remontée), très épaisse et fortement outrepassée (au plan de fracturation tangentiel au grand plan) ; cet accident a entraîné l’abandon définitif du nucléus. L’exploitation de l’ensemble C a donc mené à la réalisation d’une séquence de production longue, marquée par la succession d’au moins 5 séries de lames alternativement parallèles et tangentielles au grand plan. Le nucléus, au stade d’abandon, est largement défiguré par la dernière lame produite, et il aurait été totalement impossible de déterminer le mode d’exploitation volumétrique dont il procède, sans l’information apportée par les produits remontés.
Distribution spatiale. fig. 113
161Les 40 éléments de ce remontage (fragments décomptés individuellement) se répartissent principalement au sein de deux amas : l’amas principal 1 et l’amas secondaire 3.
162La localisation des rares produits remontés des ensembles A et B semble indiquer que les deux fragments ont été exploités à des emplacements différents, ou tout au moins que les premières phases d’exploitation de ces fragments, auxquelles se rapportent les produits remontés, sont spatialement disjointes. Les éléments de l’ensemble A sont en effet dans l’amas secondaire 3, tandis que les éléments du fragment B sont dans l’amas principal. Ces observations, bien que fondées sur des données très incomplètes, paraissent toutefois significatives dans la mesure où la localisation des éléments de chacun des deux fragments coïncide avec des amas de débitage séparés.

FIG. 113 – Étoutteville : distribution spatiale des pièces du remontage 3.1 par rapport à la distribution d’ensemble des vestiges ; 2 par phase opératoire, les pointillés reliant les éléments fracturés issus d’une même pièce (1 carré = 1 m2).
AD/AFAN ; CNRS
163L’existence de cette rupture est confortée par la distribution des éléments du fragment C. En effet, les produits d’initialisation du nucléus C sont rassemblés dans l’amas principal, alors que les produits rapportés aux phases de production sont pour l’essentiel groupés dans l’amas secondaire 3. Bien que seuls deux éclats d’initialisation du fragment C aient été remontés, plusieurs indices nous incitent à penser que ces deux éléments marquent bien le lieu de réalisation de cette phase. Ainsi, l’un de ces deux éclats s’est fracturé au débitage : les deux fragments ont été retrouvés très proches, ce qui semblerait indiquer leur production sur place. En outre, ils ont tous deux été l’objet d’une exploitation secondaire. Le fragment proximal a en effet été aménagé en large encoche retouchée ; selon un schéma qui s’avère constant dans ce gisement, cet outil aurait été confectionné (et utilisé ?) puis abandonné sur le lieu même de sa production. Quant au fragment distal, il a été repris en nucléus (nucléus sur éclat à plan de fracturation perpendiculaire au plus grand plan) : seule l’une des deux lames produites a été remontée ; les deux fragments de cette lame, ainsi que le nucléus, étaient regroupés sur une très petite superficie, ce qui tend à démontrer que la lame a été abandonnée à l’emplacement de sa production.
164La séquence de production qui a fait suite à cette phase d’initialisation comprend trois phases de production, entrecoupées de phases de réaménagement du nucléus. Tous les éléments rapportés à cette séquence ainsi que le nucléus, étaient regroupés au sein de l’amas secondaire 3 ou dispersés à sa périphérie immédiate. Cette séquence est donc spatialement disjointe de la précédente, réalisée sur l’amas principal. Les éléments éparpillés en périphérie de l’amas 3 ont probablement été l’objet d’une dispersion naturelle. En particulier, l’un des éclats d’aménagement de la crête est éloigné de presque 4 m de l’amas de débitage : ses dimensions particulièrement réduites (longueur < à 2,5 cm) ont certainement favorisé sa mobilité sous l’effet d’agents naturels.
165Le remontage 3 témoigne donc d’une distribution spatiale en partie disjointe des trois fragments d’un même rognon exploités indépendamment : alors que l’initialisation des fragments B et C a eu lieu à l’emplacement de l’amas principal 1, les phases de production mises en œuvre à partir des fragments A et C ont été réalisées sur l’amas secondaire 3. Ce schéma renvoie à celui mis en évidence pour le remontage 2. De plus, une rupture spatiale intervient ici au cours de l’exploitation d’un même nucléus (nucléus C), ce qui relève d’un troisième mode de gestion spatiale des activités de taille, par rapport à ceux définis pour les remontages 1 et 2. Dans ce cas, après la phase d’initialisation, le nucléus a été transporté à l’emplacement d’un autre amas où les phases de production se sont déroulées.
3.4.3.5 Remontage 4. fig. 114 et 115
Descriptif technique
166Le remontage 4 comporte 14 produits, issus de la phase d’initialisation d’un très gros bloc de silex. Celui‑ci, dont la longueur maximale devait être d’au moins 40 cm, se caractérise par une vaste surface corticale totalement plane. Les manques pour ce remontage sont importants : les premiers éclats n’ont pas été remontés et il manque tous les produits issus de la fin des phases d’initialisation ainsi que ceux procédant des phases de production, y compris le nucléus résiduel. Il est par conséquent impossible de préciser quels sont les principes techniques qui ont présidé à l’exploitation de ce rognon. Quoique très incomplet, ce remontage apporte toutefois plusieurs informations intéressantes. C’est en effet l’un des rares remontages de la série permettant d’appréhender le début de l’exploitation d’un rognon, et dont une large partie des produits a été reprise en nucléus. Sur les 12 produits d’initialisation remontés, 4 ont été postérieurement exploités comme nucléus.

FIG. 114 – Étoutteville : remontage 4.
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 115 – Étoutteville : remontage 4.
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN
167L’initialisation du rognon (phase 1) a consisté en l’enlèvement de très grands éclats à partir de deux plans de frappe opposés. En raison de la présence de plusieurs diaclases internes, des débris se sont détachés accidentellement du rognon lors de cette phase.
168Deux d’entre eux ainsi que les fragments distaux de deux grands éclats corticaux ont été repris en nucléus pour la production de lames. Tous ces nucléus ont été l’objet d’un débitage assez expédient : l’initialisation est toujours réduite au strict minimum, et le tailleur a tiré parti de la configuration naturelle des pièces pour pouvoir démarrer très rapidement la production. Ces nucléus ont tous conduit à l’obtention d’un nombre limité de lames. Deux de ces nucléus (1A et 1B) correspondent à des nucléus sur éclat à plans de fracturation perpendiculaires ou tangentiels au plus grand plan. Dans les deux cas, le tailleur a utilisé l’arête formée par l’intersection d’un pan de diaclase et d’une face d’éclatement comme nervure‑guide pour l’extraction de quelques lames (cf. fig. 94, no 4). Les deux autres nucléus (1C et 1 D) sont des nucléus sur éclat à plans de fracturation parallèles ou sub‑parallèles au plus grand plan ; pour le premier, un seul enlèvement a été produit aux dépens d’une surface créée par un pan de diaclase. Le second a été l’objet d’une séquence de production un peu plus longue, réalisée aux dépens d’une surface plane (initialement : face inférieure d’éclat ?), et fondée sur le débitage de lames à partir de deux plans de frappe opposés.
Distribution spatiale. fig. 116
169Les 15 éléments (décompte individuel des fragments) de ce remontage se situent en majorité, dans l’amas principal 1, qui se distingue des autres par une plus grande dispersion des pièces. Les produits repris en nucléus s’inscrivent dans la même aire de répartition que l’ensemble des produits du remontage, excepté pour l’un d’eux (1A), en trois fragments, distant de plus de 3 m des autres pièces. Il semblerait qu’il n’ait pas été déplacé après son débitage, mais qu’il ait été produit à l’emplacement où il a été retrouvé. Tous les fragments de cette pièce étaient en effet concentrés sur une superficie réduite : les deux principaux fragments (proximal et distal) sont consécutifs au débitage (fracture au niveau d’une diaclase) ; le fragment distal a été postérieurement exploité comme nucléus au même endroit, tandis que sa partie proximale, retrouvée à proximité immédiate, a été ultérieurement fracturée sous l’effet du gel.

FIG. 116 – Étoutteville : distribution spatiale des pièces du remontage 4. 1 par rapport à la distribution d’ensemble des vestiges, 2 par phase opératoire, les pointillés reliant les éléments fracturés issus d’une même pièce (1 carré = 1 m2).
(AD/AFAN ; CNRS).
170Bien que ce remontage dévoile quelques indices d’une rupture spatiale dans l’exploitation du rognon correspondant, il s’avère trop incomplet pour pouvoir se prêter à une interprétation plus poussée.
3.4.3.6 Remontage 5. fig. 117 à 120
Descriptife technique. tabl. xxxviii et xxxix
171Le remontage 5, composé de 50 produits, rassemble deux fragments très volumineux, appartenant initialement au même rognon ; celui‑ci s’est fracturé très tôt au cours de son exploitation, au niveau d’une diaclase. C’était un rognon particulièrement volumineux (au moins 40 à 50 cm de longueur maximale) si l’on en juge par la configuration et l’extension des zones corticales. Chacun des deux fragments (A et B) a été exploité indépendamment dans le cadre de séquences opératoires longues. Le nucléus final manque dans les deux cas. Pour l’ensemble B, sont aussi absentes du remontage toutes les pièces issues de la phase de production. Les phases d’initialisation (voire même occasionnellement de production) de chacun de ces deux ensembles ont livré plusieurs éclats et fragments repris postérieurement en nucléus. Ce remontage atteste l’exploitation de huit nucléus, dont cinq sont intégrés au remontage (seuls les produits obtenus à partir des trois autres nucléus ont été remontés).
Ensemble A. fig. 117 et 118, tabl. xxxviii
172La phase d’initialisation (phase A1) de l’ensemble A a reposé sur la mise en place des critères techniques et volumétriques du débitage Levallois. Les produits remontés appartiennent à une phase d’aménagement de la surface de débitage : ce sont des éclats très grands et envahissants, produits à partir de trois bords adjacents selon des directions perpendiculaires. Cette phase fait suite à une première phase d’aménagement de la surface de débitage, réalisée selon les mêmes directions au moyen d’enlèvements moins envahissants. Elle succède aussi à une (première ?) phase d’aménagement des plans de frappe : aucun des produits de cette phase, ni des phases suivantes de réaménagement des plans de frappe n’a été remonté. L’un des produits de la phase d’initialisation a été postérieurement repris en nucléus (phases AB1 et AB2 : cf. infra).

FIG. 117 – Étoutteville : remontage 5, ensemble A.
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 118 – Étoutteville : remontage 5, ensembte A.
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN
173Une première phase de production a ensuite donné lieu à la production d’éclats laminaires à partir de deux plans de frappe opposés : aucun n’est remonté, mais leurs négatifs sont visibles sur la face supérieure de l’éclat suivant. Celui‑ci appartient à une phase de réaménagement de la surface de débitage (phase A2) : c’est un éclat très envahissant, débordant et outrepassant, qui nettoie d’un seul coup la presque totalité de la surface de débitage. Un débris, détaché accidentellement du nucléus simultanément au débitage de cet éclat, a été par la suite repris en nucléus (phase AC : cf. infra).
174Entre cette phase de réaménagement et les produits suivants, plusieurs éclats laminaires sont manquants. Ils appartiennent à la même phase de production (phase A3) que les derniers produits remontés (correspondant à l’ultime phase de production ?) : l’ensemble de ces éclats laminaires à été produit à partir du même plan de frappe (et selon la même direction). Ce sont des éclats quadrangulaires, d’assez grandes dimensions. Certains sont débordants, contribuant à entretenir la convexité latérale en cours de production. Bien que le nucléus n’ait pas été remonté, tout indique qu’il s’agit d’un nucléus Levallois.
175Deux des produits issus de ce fragment ont été postérieurement repris en nucléus. Le premier (phases AB1 et AB2) correspond à un éclat dont la face inférieure a été exploitée pour le débitage de quelques éclats laminaires selon des plans de fracturation parallèles ou sub‑parallèles au plus grand plan. La préparation du nucléus (phase AB1) a reposé presque exclusivement sur l’enlèvement du talon et du bulbe du support au moyen d’un unique éclat. Les éclats laminaires ont été obtenus à partir de deux plans de frappe opposés ; deux d’entre eux ont été remontés, sur un total d’environ 5 à 6 pièces. Le second produit repris en nucléus (phase AC) est un débris de section et de morphologie quadrangulaires. L’une de ses faces a été exploitée pour la production de deux à trois éclats laminaires (plans de fracturation parallèles ou sub‑parallèles au plus grand plan), dont l’un est remonté.
Ensemble B. fig. 119 et 120, tabl. xxxix
176L’ensemble B regroupe une série d’éclats très grands et épais (phase B1), unidirectionnels et produits à partir du même plan de frappe, constitué par le pan de diaclase responsable de la fragmentation du rognon. Ils s’insèrent vraisemblablement dans la séquence d’initialisation mise en œuvre à partir de ce fragment. Leur rôle exact, tout comme les principes techniques et volumétriques qui ont servi à l’exploitation du fragment A sont difficiles à déterminer dans la mesure où la majeure partie des produits, et en particulier ceux issus des phases de production, sont manquants. Les premiers enlèvements, entre lesquels s’intercalent un bon nombre de débris détachés accidentellement, ont éliminé une grande partie de la zone diaclasée. Les suivants ont été presque tous repris en nucléus.

FIG. 119 – Étoutteville : remontage 5, ensemble B.
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 120 – Étoutteville : remontage 5, ensemble B.
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN

TABL. XXXVIII – Étouttevîlle : descriptif technique du remontage 5 (ensemble A).
177Le premier est un éclat grand et épais que le tailleur a tenté d’aménager en vue de la production de lames (phases BB1 et BB2), aux dépens d’un de ses bords latéraux. Une crête à un versant préparé (du côté de la face supérieure) a été en premier lieu aménagée dans cet objectif (BB1) ; elle a été dégagée par une série d’éclats assez envahissants, et sa délinéation est assez irrégulière. La lame à crête (BB2) qui a été produite à la suite de cet aménagement s’est détachée par arrachement nettement en arrière du bord du plan de frappe. Peu envahissante et beaucoup trop épaisse, elle a entraîné l’abandon du nucléus.
178Pour le second éclat repris en nucléus, également de grandes dimensions, l’initialisation (phase BC1) a consisté en l’aménagement de la partie proximale du support par l’enlèvement du talon et du bulbe ainsi qu’en l’aménagement d’un des bords latéraux au moyen d’une crête à un versant préparé (du côté de la face inférieure du support). La phase de production (BC2) qui a suivi a été limitée au débitage d’une lame à crête. Le tailleur a ensuite fracturé intentionnellement le nucléus, selon un plan de fracture perpendiculaire à celui de la lame à crête, pour poursuivre le débitage à partir du seul fragment distal (BC3) : les motifs de cette fracturation nous échappent totalement. Le nucléus, notablement réduit après cette opération, a été exploité pour la production de petites lames selon des plans de fracturation d’inclinaisons multiples, à partir de deux plans de frappe opposés. Les deux tiers de la section (transversale) du nucléus, semi‑prismatique, sont concernés par le débitage. Seule l’une des dernières lames produites, rebroussée, a pu être remontée.
179Enfin, seuls quelques‑uns des produits extraits du troisième éclat repris en nucléus ont été remontés (le nucléus est manquant). Ils s’inscrivent dans deux phases opératoires : une phase de production laminaire (selon des plans de fracturation d’inclinaisons multiples ? : phase BD1), suivie d’une phase de réaménagement du plan de frappe au moyen d’éclats parallèles au bord du plan de frappe (phase BD2). Le remontage de cet ensemble est trop incomplet pour que puissent être précisés les principes techniques guidant l’exploitation du nucléus.

TABL. XXXIX –Étoutteville : descriptif technique du remontage 5 (ensemble B).
180Ce remontage illustre le caractère très fréquent de la pratique d’une exploitation secondaire des produits d’initialisation en nucléus. Les différents produits du même rognon exploités comme nucléus font ici appel à plusieurs conceptions volumétriques. La diversité des moyens techniques appliqués à la production laminaire dans le cadre d’une exploitation secondaire de produits, s’oppose à l’uniformité de la production laminaire menée à partir des rognons.
Distribution spatiale. fig. 121 et 122
181Les éléments de ce remontage (74 pièces en décomptant individuellement les fragments) couvrent une superficie assez vaste au sein de laquelle de nets regroupements d’ordre technique apparaissent.

FIG. 121 – Étouttevllle : distribution spatiale des pièces du remontage 5 par rapport à la distribution d’ensemble des vestiges.
AD/AFAN ; CNRS

FIG. 122 – Étoutteville : distribution spatiale des pièces du remontage 5 (ensembles A et B) par phase opératoire, les pointillés reliant les éléments fracturés issus d’une même pièce (1 carré = 1 m2).
AD/AFAN ; CNRS
182Le début de l’exploitation des deux fragments A et B, c’est‑à‑dire leur phase d’initialisation, est représentée par un ensemble d’éclats d’initialisation qui se trouvent tous rassemblés et mélangés dans l’amas principal 1 (excepté un débris dont les deux fragments se trouvent à l’extérieur de l’amas). Un des éclats d’initialisation du nucléus A a été recyclé sur place en nucléus (AB) : les produits qui en découlent ainsi que le nucléus, sont regroupés sur une petite superficie, dans la partie nord de l’amas principal.
183Les produits correspondant à la première phase de production menée à partir du nucléus A sont absents, et nous n’avons donc aucun indice concernant leur lieu de production. Cependant, le fait que soient présents au même emplacement les fragments de l’éclat s’inscrivant dans la phase suivante de réaménagement de la surface de débitage, suggère que cette phase de production a dû avoir lieu sur place. Par ailleurs un débris détaché durant cette phase de réaménagement a été repris en nucléus (AC) : il semble aussi avoir été débité au même endroit, car les trois fragments du produit laminaire raccordé au nucléus sont regroupés au sein de l’amas principal. En revanche, l’éloignement du nucléus, à plus de 4 m de l’amas principal, est difficilement explicable.
184Les produits laminaires appartenant à la phase de production suivante sont groupés à l’extérieur de l’amas, dans une autre concentration située dans le secteur F31‑32. Leur regroupement n’est, selon toute vraisemblance, pas aléatoire : il est en effet très difficilement concevable d’imaginer que ces produits, débités successivement, soient restés groupés s’ils avaient subi un déplacement de plusieurs mètres (plus de 4 m de l’amas principal) sous l’effet d’agents naturels. L’hypothèse d’un déplacement naturel étant écartée, deux éventualités se présentent : les produits laminaires ont été exportés dans cette zone (F31‑32) après leur débitage, ou bien c’est le nucléus qui a été transporté dans le cadre d’une « délocalisation » du lieu de production. Etant donné que les produits qui ont suivi le débitage de ces éclats laminaires ainsi que le nucléus n’ont pas été remontés, il est impossible de privilégier l’une ou l’autre hypothèse.
185En ce qui concerne le fragment B, trois éclats d’initialisation ont été postérieurement exploités comme nucléus. Deux de ces nucléus sur éclat (BB et BC) ont leurs éléments regroupés pour l’essentiel dans la partie nord de l’amas principal, à une distance d’environ 50 cm de l’aire de répartition des éclats d’initialisation du fragment B : leur exploitation s’est donc déroulée sur le même amas de débitage. Seuls les éléments appartenant à la dernière phase de production laminaire réalisée à partir du nucléus BC sont dispersés hors de l’amas : il s’agit peut‑être dans ce cas d’une dispersion naturelle.
186En revanche, les produits issus de l’exploitation (production et réaménagement) du troisième éclat d’initialisation repris en nucléus (BD) sont pour la plupart localisés dans un autre amas : l’amas secondaire 3. Bien que le remontage soit très incomplet pour cet ensemble, le regroupement de ces pièces dans un secteur correspondant à un amas de débitage indique que ce secteur correspond certainement à leur lieu de production.
187Il est à noter, par ailleurs, que les quatre outils intégrés à ce remontage sont mêlés aux autres produits au sein des amas sur lesquels ils ont été produits, à l’exception de l’un d’entre eux qui se trouve un peu à l’écart des aires de débitage.
188Le remontage 5 montre donc une certaine unité spatiale, puisque la plupart des phases opératoires réalisées à partir des nucléus principaux et des nucléus exploités secondairement ont été menées sur le même amas. Seules deux ruptures spatiales peuvent être décelées : l’une intervenant entre deux phases d’exploitation d’un même nucléus, l’autre consécutive à la reprise d’un éclat en nucléus. Il est à noter en outre de légers décalages spatiaux au sein du même amas entre ensembles de produits correspondant à différents nucléus (ex : nucléus AB, BB et BC). Mais la signification de ces décalages est impossible à préciser et l’on atteint ici les limites de notre méthode d’analyse spatiale, fondée sur la seule distribution horizontale des vestiges. Si celle‑ci permet une bonne approche des relations entre amas, en revanche elle ne peut pas conduire à une lecture fine de la répartition des vestiges au sein de ces amas ; elle n’est en mesure de mettre en évidence que les ruptures temporelles s’accompagnant de ruptures spatiales. Seule une étude portant sur la microstratigraphie des vestiges est à même d’apporter des informations précises sur les relations entre vestiges au sein des amas. Mais cela exige un contexte archéologique qui ne soit absolument pas perturbé, situation rarissime et ne s’appliquant pas au cas d’Étoutteville.
3.4.3.7 Remontage 6. fig. 123, no 1 et fig. 124, no 1
189Les 11 produits intégrés au remontage 6 appartiennent à la fin de l’exploitation d’un nucléus Levallois. Le débitage de ce nucléus a reposé sur l’enlèvement de produits laminaires à partir de deux plans de frappe opposés. Comme cela est de règle dans la série pour ce type de nucléus, plusieurs phases de production, entrecoupées de phases de réaménagement des plans de frappe et de la surface de débitage, se sont succédé. La première phase attestée par le remontage (phase 1) consiste en un réaménagement des deux plans de frappe opposés à partir desquels ont été extraits les éclats laminaires : le tailleur a procédé à cette opération à l’aide de quelques grands enlèvements. De la phase de production suivante (phase 2), seul un éclat laminaire est remonté. Le tailleur a ensuite procédé à une réfection du plan de frappe sur le bord latéral du nucléus (phase 3), afin de procéder au débitage d’enlèvements réaménageant à partir du même bord la convexité latérale de la surface de débitage (phase 4). Enfin, la dernière phase de production (phase 5), dont la plupart des produits sont absents, s’est achevée par un éclat dont fonde de choc très marquée a détérioré une partie de la surface de débitage. Le nucléus (Levallois) a été abandonné à un stade où son volume était encore assez important.

FIG. 123 – Étoutteville : 1 remontage 6, 2 remontage 13, 3 remontage 7 .
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 124 – Étoutteville : 1 remontage 6, 2 remontage 13, 3 remontage 7.
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN
3.4.3.8 Remontage 7. fig. 123, no 3 et fig. 124, no 3
190Le remontage 7, composé de 12 produits, fait appel à une méthode de débitage tout à fait originale pour la série, fondée sur la production d’enlèvements multidirectionnels. Le nucléus semble avoir été exploité dans un premier temps pour la production d’éclats laminaires unidirectionnels (plans de fracturation parallèles ou sub‑parallèles au plus grand plan) dont les négatifs sont visibles sur l’une des faces du nucléus. Les bords de cette face ont dans un second temps été transformés en plans de frappe (phase 1) et le débitage s’est alors poursuivi sur l’autre face. Les éclats produits aux dépens de la nouvelle surface de débitage (phase 2) sont multidirectionnels : ils correspondent à des éclats Levallois récurrents centripètes. Une phase de réaménagement des convexités (phase 3) a suivi cette phase de production : le tailleur a mené cette opération au moyen d’enlèvements assez courts et partiellement débordants. Il a pu ensuite procéder à la réalisation d’une ultime phase de production (phase 4) : seul le dernier produit, fortement rebroussé, est remonté. Il est sûrement à l’origine de l’abandon du nucléus.
3.4.3.9 Remontage 8. fig. 125, no 1 et fig. 126, no 1
Descriptif technique
191Le remontage 8 compte 5 produits qui s’inscrivent dans une séquence de production de lames, selon des plans de fracturation d’inclinaisons multiples (le nucléus a une section transversale semi‑prismatique). Les deux lames remontées au nucléus (phase 2) ont été précédées par un aménagement d’un des flancs du volume débité (phase 1) : des éclats courts et larges, de direction perpendiculaire à celle des lames, ont créé un pan fortement incliné sur le bord du nucléus. Les lames ont été produites à partir de deux plans de frappe opposés.

FIG. 125 – Étoutteville : 1 remontage 8, 2 remontage 9.
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 126 – Étouttevllle : 1 remontage 8, 2 remontage 9.
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN
Distribution spatiale. fig. 127
192Malgré le faible nombre d’éléments composant ce remontage, celui‑ci présente l’intérêt de soulever la question d’une éventuelle exportation de lames de leur lieu de production vers le secteur F31‑F32, tout comme le remontage 5. Cette éventualité paraît dans ce cas étayée par davantage d’éléments. En effet les deux éclats d’aménagement du nucléus précédant le débitage des lames, ainsi que le nucléus, abandonné à l’issue de leur production, sont localisés dans l’amas principal, tandis que les deux lames (dont l’une est en trois fragments) se trouvent dans le secteur F31‑F32. Deux arguments confortent l’hypothèse de l’exportation des lames :
– le lieu d’abandon du nucléus a toutes chances de coïncider avec le lieu de la production, à moins d’imaginer que, après une première phase d’aménagement, le tailleur se soit rendu en F31‑32 pour produire des lames avant de revenir dans l’amas principal pour abandonner son nucléus... ;
– ensuite, la répartition générale des vestiges, et en particulier celle des éléments inférieurs à 2,5 cm, n’indique pas d’aire de débitage dans le secteur F31‑32.

FIG. 127 – Étoutteville : distribution spatiale des pièces du remontage 8. 1 par rapport à la distribution d’ensemble des vestiges, 2 par phase opératoire, les pointillés reliant les éléments fracturés issus d’une même pièce (1 carré = 1 m2)
AD/AFAN ; CNRS
3.4.3.10 Remontage 9. fig. 125, n o 2 et fig. 126, n o 2
193Le remontage 9 rassemble 10 produits. Leur support de départ est semble‑t‑il un gros débris détaché d’un rognon au niveau d’une diaclase. Une première phase de production, dont la plupart des éléments sont absents du remontage, a mené à l’obtention de grandes lames : seuls deux fragments de lames qui n’appartiennent pas à la même phase de production (phases 1 et 3) ont été remontés. Le nucléus s’est ensuite fracturé accidentellement au cours du débitage en raison de la présence d’une diaclase interne. Le débitage s’est alors poursuivi à partir de chacun des deux fragments (A et B) du nucléus, exploités indépendamment. Dans les deux cas, le débitage des lames a été effectué selon des plans de fracturation multiples et à partir de deux plans de frappe opposés. Et la diaclase qui a provoqué la fracture du support de départ a été directement utilisée comme plan de frappe. Le seul aménagement attesté par le remontage consiste en l’aménagement, sur le fragment A, d’un plan de frappe sur le bord opposé à la diaclase (phase A1). Les lames obtenues, qui se limitent pour les deux nucléus à un nombre assez réduit de produits (6 à 7 pièces, dont 2 sont remontées pour le nucléus A ; 3 à 4 pièces, dont 3 sont remontées, pour le nucléus B), sont épaisses et de longueur assez réduite.
3.4.3.11 Remontage 12. fig. 128 et fig. 129
194Le remontage 12, qui regroupe 7 pièces, illustre dans sa forme la plus élaborée le principe de la production de lames selon un plan de fracturation perpendiculaire au plus grand plan du nucléus. Le support de départ du nucléus est indéterminable : celui‑ci semble résulter d’une séquence d’exploitation assez longue. Sur l’un des deux bords opposés qui ont servi au débitage des lames, un plan de frappe a été aménagé (phase 1) : son obliquité par rapport à la surface d’extraction des lames est très prononcée, conférant au nucléus une configuration proche de celle de nombreux nucléus laminaires du Paléolithique supérieur. Le nombre de lames s’élève à une dizaine de pièces au minimum, ce qui est exceptionnel pour cette catégorie de nucléus : cinq ont été remontées.

FIG. 128 – Étoutteville : remontage 12.
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 129 – Étoutteville : remontage 12.
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN
3.4.3.12 Remontage 13. fig. 123, n o 2 et fig. 124, n o 2
195Les 6 pièces qui constituent le remontage 13 appartiennent à la fin d’une séquence de production menée selon les principes du débitage Levallois. Les éclats laminaires, produits à partir d’un unique plan de frappe, sont souvent débordants, assurant ainsi en cours de production l’entretien de la convexité latérale sur la surface de débitage. Il semble que le tailleur, à la fin de l’exploitation de ce nucléus, ait fait l’économie de tout autre réaménagement qui aurait réduit les dimensions du nucléus, qui n’étaient déjà plus très importantes à ce stade. Les deux derniers produits, débités aux dépens d’une surface trop plane, ont rebroussé, ce qui a entraîné l’arrêt de la production et l’abandon du nucléus.
3.4.3.13 Remontage 45. fig. 130 et 131
196Le remontage 45 comprend 17 pièces qui paraissent s’intégrer dans la phase d’initialisation d’un rognon. Le remontage est trop incomplet pour que leur rôle exact puisse être précisé. Elles consistent en une série d’éclats grands et particulièrement épais, globalement unidirectionnels (phase 1). Les deux derniers éclats de cette séquence ont été exploités secondairement comme nucléus (A et B).
197Le premier éclat a conduit à la production de lames selon des plans de fracturation tangentiels au plus grand plan du nucléus. L’initialisation de ce nucléus a reposé sur l’aménagement d’un plan de frappe aux dépens du bord latéral de l’éclat‑support (phase A1). Cette opération a été effectuée par l’enlèvement de petits éclats unidirectionnels, courts et larges, superposés, et alternativement produits sur chacune des deux faces du support à partir du même bord ; leurs caractères morphotechniques sont très proches de ceux d’éclats de type Le Pucheuil. La phase de production (A2) qui a suivi a été réalisée sur le bord proximal du support, correspondant au plus long bord disponible. Les lames ont été débitées à partir de deux plans de frappe opposés. Deux des lames produites lors de cette phase, sur un total de 5 à 6 pièces, ont été remontées. Le tailleur a ensuite procédé à la réfection du plan de frappe opposé, au moyen d’un unique éclat court et large. Une dernière phase de production a enfin été réalisée : elle a mené à l’obtention de deux lames, intégrées au remontage. Le nucléus a été abandonné à un stade où il conservait encore un volume assez important.

FIG. 130 – Étoutteville : remontage 45.
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 131 – ÉtoutteviIle : remontage 45.
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN
198L’éclat suivant a aussi été repris en nucléus. Il s’agit également d’un nucléus à plans de fracturation tangentiels au plus grand plan. Aucun des produits extraits de ce nucléus n’a été intégré au remontage.
3.4.4 Synthèse
3.4.4.1 Analyse spatiale
199La distribution spatiale des vestiges des principaux ensembles remontés vient à l’appui des éléments apportés par l’analyse technologique sur le mode de fonctionnement techno‑économique de ce gisement. La configuration spatiale des vestiges présente en effet toutes les caractéristiques d’une aire d’occupation où les activités de production lithique ont joué un rôle déterminant. Les indices spatiaux étayant cette interprétation reposent sur la très faible mobilité des outils retouchés et des produits laminaires, très majoritairement abandonnés sur le lieu de leur production. Des déplacements entre les différents amas de débitage sont toutefois attestés par plusieurs remontages : ces déplacements s’inscrivent entre deux phases d’exploitation d’un même nucléus, ou bien ils sont consécutifs à la sélection d’un produit parmi les déchets de débitage d’un amas, exploité comme nucléus à l’emplacement d’un autre amas. Ainsi, contrairement à la situation classiquement rencontrée dans les gisements à activités mixtes (production et exploitation de la production sur place), les catégories d’objets mobiles ne sont pas ici les outils, mais les nucléus. Et les ruptures spatio‑temporelles décelées dans la distribution spatiale des vestiges sont des ruptures intervenant dans la gestion strictement technique de la production. Le site d’Étoutteville a donc très certainement fonctionné avant tout comme un lieu de débitage. Ceci ne signifie pas pour autant que cette activité ait été exclusive : la forte représentation des produits laminaires dans l’assemblage, ainsi que les indices d’un déplacement de lames de leur lieu de production vers une zone ne coïncidant pas avec une aire de débitage (cf. remontages 5, § 3.4.3.6 et 8, § 3.4.3.9), sont autant d’éléments qui indiquent qu’une partie de la production a probablement été exploitée sur place. Ces activités sont restées toutefois manifestement très discrètes.
200Les ruptures spatiales reposant sur un déplacement de lames sont difficilement interprétables, dans la mesure où l’approche de l’organisation spatiale du site n’est abordée qu’au travers de la répartition des vestiges lithiques, seuls vestiges conservés, et qui ne suffisent pas à éclairer ce phénomène. En revanche, les ruptures spatiales consécutives à la reprise d’éclats en nucléus s’avèrent davantage porteuses d’information. Ainsi, ces ruptures ont donné lieu à l’exploitation de produits en nucléus selon des principes techniques et volumétriques différents de ceux appliqués au débitage du nucléus de départ (cf. remontages 2, § 3.4.3.3 et 3, § 3.4.3.4). En outre, lorsque les produits secondairement repris en nucléus ont été abandonnés dans le même amas que leur nucléus d’origine, on constate que l’exploitation de ces différents nucléus (principaux et secondaires) s’est toujours effectuée selon les mêmes principes volumétriques (ex : remontage 5, § 3.4.3.6, ensemble A). L’unité spatiale dans l’exploitation des rognons va donc de pair avec une unité technique. Inversement, la disparité spatiale des nucléus (et de leurs produits) procédant d’un même rognon semble résulter d’une exploitation différée dans le temps des nucléus dont les supports ont été prélevés parmi les déchets de débitage. On a donc la nette impression que, dans certains cas, les tailleurs ont débité sur place et consécutivement, selon les mêmes modalités et en fonction des mêmes objectifs techniques, différents éclats ou fragments qu’ils venaient de produire dans le cadre de l’exploitation d’un rognon. Dans d’autres cas, les tailleurs seraient venus collecter dans un amas de la matière première sous forme de produits déjà transformés, bien après leur obtention, afin de les débiter à un autre emplacement et selon des objectifs techniques totalement indifférents à ceux ayant présidé au débitage de leur rognon d’origine. Ce dernier cas de figure confère une certaine ampleur temporelle à la fréquentation de ce gisement (bien entendu très difficile à évaluer).
201La cohérence technique et spatiale de l’assemblage lithique tend à démontrer que le site n’a été fréquenté que par un seul groupe humain. Les déplacements entre les amas de débitage paraissent multidirectionnels, et il n’existe pas de spécificité technique, en fonction des différents modes de production laminaire mis en évidence, d’un amas par rapport à l’autre. Il paraît en outre impossible de distinguer dans cette série des niveaux de technicité distincts, attribuables à des tailleurs différents. La différence principale que l’on puisse observer d’un nucléus à l’autre, repose sur la somme de travail nettement plus réduite dans la préparation et l’entretien des nucléus sur éclat par rapport à ceux dont les supports de départ sont des rognons. Mais cette différence résulte certainement davantage de la spécificité de chacun de ces types de support, de la finalité technique dans laquelle ils s’inscrivent et de l’adéquation entre l’investissement requis pour leur initialisation et leur durée d’exploitation, que d’écarts dans les niveaux de technicité des tailleurs.
3.4.4.2 Étoutteville dans le contexte des industries laminaires du Paléolithique moyen
202L’existence d’une production laminaire dès le Paléolithique moyen est désormais un fait admis et reconnu par l’ensemble de la communauté scientifique. En Europe occidentale, ce phénomène est surtout répandu dans le Paléolithique moyen récent du nord de la France et de la Belgique. C’est principalement à partir de la mise au jour des séries lithiques du niveau B1 de Rheindahlen en Allemagne (Bosinski 1966) et de Seclin dans le Nord qu’il fut mis en évidence (Tuffreau 1978 ; 1983). Des lors, plusieurs autres découvertes vinrent illustrer ce phénomène. Celui‑ci déborde largement du cadre de l’Europe du Nord‑Ouest (Révillion, Tuffreau 1994) ; il s’avère toutefois que c’est dans ce cadre que la production laminaire au Paléolithique moyen est la mieux documentée : elle peut en effet y être appréhendée dans un contexte géographique, chronologique et technique assez homogène, Elle s’intégrerait donc dans un complexe « techno‑culturel » bien particulier, au sein duquel une variabilité existe, que des études récentes ont tenté de cerner plus précisément (Révillion 1994). Les séries concernées offrent des points de comparaison nombreux et présentent l’avantage de résulter dans leur ensemble de fouilles récentes, drainant des données archéologiques bien établies.
203Le nombre de ces séries reste très limité, même si la présence de « lames », voire même de nucléus à « lames » est attestée dans de nombreux gisements du Paléolithique moyen. Au cours des dernières années, de nombreux travaux se sont attachés à mettre en valeur l’importance de la production laminaire dans les séries lithiques du Paléolithique moyen, sous l’emprise d’un effet de mode bien courant dans toute discipline scientifique. Et l’on aboutit bien entendu à un certain nombre d’excès, conduisant à une large surestimation du phénomène laminaire. Il est certain que les lames, dans le sens morphométrique du terme, sont fréquentes dans les ensembles lithiques du Paléolithique moyen, voire même du Paléolithique inférieur. Ce n’est pas pour autant qu’elles procèdent systématiquement d’un système de production laminaire, c’est‑à‑dire d’un système de production conçu et organisé en fonction d’un objectif technique et fonctionnel précis : la lame. Celle‑ci se caractérise non seulement par certains critères dimensionnels, mais aussi par des critères morphotechniques découlant directement de la conception volumétrique présidant à son débitage. Et dans l’intérêt de l’analyse de cette production, de sa variabilité et de sa spécificité par rapport aux systèmes de production laminaire du Paléolithique supérieur, il nous paraît indispensable d’en exclure les séries où cette production n’intervient que de manière très secondaire et conjoncturelle, voire de manière non prédéterminée.
204Dans cette optique, les séries laminaires sur lesquelles on peut s’appuyer pour une approche comparative avec la série d’Étoutteville se limitent à quelques exemples, qui sont principalement, pour le nord de la France et la Belgique, les séries de Riencourt‑lès‑Bapaume (niveau CA) dans le Pas‑de‑Calais (Tuffreau 1993), Seclin dans le Nord (Tuffreau 1983 ; Révillion 1994), Rocourt en Belgique (Otte et al. 1990) et Saint‑Germain‑des‑Vaux (secteur I) dans la Manche (Cliquet 1992). Alors que les séries de Riencourt‑lès‑Bapaume et de Saint‑Germain‑des‑Vaux constituent des ensembles numériquement très importants, celles de Rocourt et de Seclin comprennent des échantillonnages nettement plus restreints de matériel. L’homogénéité technique de ces assemblages, alliée à la qualité des documents lithiques, en partie, remontés, en font néanmoins de bonnes séries de comparaison.
205L’un des caractères communs les plus marquants de ces industries réside dans leur position chronostratigraphique, corrélée au début du dernier glaciaire, et plus précisément au stade isotopique 5c pour les séries de Riencourt‑lès‑Bapaume, Seclin et Saint‑Germain‑des‑Vaux (Van‑Vliet Lanoë et al. 1993). La série d’Étoutteville s’intègre dans le même cadre chronologique : elle prend place au sommet des limons bruns feuilletés qui marquent le début du Weichsélien ancien et qui s’étendent d’environ 110 000 à 80 000 BP, soit du stade isotopique 5d au 5a. L’industrie d’Étoutteville, par sa position au sommet de cette séquence, serait plutôt à raccorder au stade 5a ou au stade 5b. Mais en l’absence d’éléments de datation absolue qui puissent corroborer les données chronostratigraphiques, et de données paléoenvironnementales suffisamment précises, il n’est pas possible de confirmer cette hypothèse. La corrélation de cette industrie au début du dernier glaciaire est en revanche un fait bien établi. La production laminaire dans le nord de la France apparaît donc, en l’état actuel des découvertes, comme un phénomène technique remarquablement limité sur le plan chronologique. Il offre de ce fait la perspective, à l’échelle régionale, d’une approche des traditions techniques au sein d’un groupe qui pourrait correspondre à un même « groupe culturel », ce qui constitue une opportunité extrêmement rare pour ces périodes.
206Dans les industries de Riencourt‑lès‑Bapaume, Seclin et Saint‑Germain-des‑Vaux, la production laminaire n’est pas exclusive, mais associée à une production d’éclats fondée sur la méthode Levallois récurrente (Ameloot‑Van der Heijden 1993 ; Révillion 1988 ; 1989 ; 1994 ; Révillion et al. 1990 ; Révillion, Cliquet 1994). Ces deux productions s’intégrent semble‑t‑il dans deux chaînes opératoires totalement disjointes. En revanche, dans l’industrie de Rocourt, la production laminaire est exclusive et fondée uniquement sur une exploitation en « volume » des nucléus (Boëda 1990). Par rapport à ces assemblages, la production laminaire réalisée à Étoutteville s’avère assez originale. Elle constitue en effet l’unique production attestée dans cette série : aucun système de production d’éclats ne lui est associé. En outre, la production laminaire s’appuie dans cette série sur plusieurs modes d’exploitation volumétrique des nucléus faisant appel d’une part à une conception Levallois du débitage (plans de fracturation des produits laminaires parallèles ou sub‑parallèles au plus grand plan du nucléus), et d’autre part à une conception volumétrique semblable à celles caractérisant les systèmes de production laminaire du Paléolithique supérieur. Les deux conceptions volumétriques sont mises en œuvre dans le cadre d’une même chaîne opératoire : l’une (conception Levallois) conditionne l’exploitation des rognons de silex, l’autre est réalisée aux dépens de supports déjà transformés, prélevés parmi les produits d’initialisation des rognons. Elles conduisent à l’obtention de produits laminaires aux caractères morphotechniques et dimensionnels distincts, consistant d’une part en des éclats laminaires (extraits des nucléus de conception Levallois) et d’autre part en des lames.
207Dans tous ces gisements, les lames ont été produites par percussion directe au percuteur dur, selon une conception volumétrique du débitage fondée sur l’exploitation d’une partie médiane et des deux flancs latéraux adjacents, et selon une méthode de débitage à enlèvements unidirectionnels, produits à partir d’un plan de frappe ou de deux plans de frappe opposés. Ce mode de production est qualifié selon les auteurs de débitage semi‑tournant ou de débitage en volume (par opposition au débitage Levallois fondé sur l’exploitation d’une surface). Le passage de l’exploitation de la partie médiane à l’exploitation des flancs du nucléus s’opère soit au moyen d’enlèvements débordants, soit au moyen d’aménagements de crêtes. Les surfaces sécantes ainsi débitées ne s’étendent généralement pas à tout le volume des nucléus : une surface plane non débitée est préservée au « dos » des nucléus. Rares sont les cas, excepté dans l’industrie de Saint‑Germain‑des‑Vaux, où les tailleurs ont étendu le débitage à tout le volume des pièces. À Étoutteville, la production laminaire se fonde aussi en partie sur un débitage aux dépens de bords d’éclats : les lames sont débitées selon des plans de fracturation perpendiculaires ou tangentiels au plus grand plan des nucléus, et le bord du support fait office de nervure‑guide pour l’extraction des premières lames. Quelques nucléus attestent en outre du passage de l’exploitation d’une surface selon des plans de fracturation parallèles ou sub‑parallèles au plus grand plan des pièces, qui semblerait correspondre à une surface Levallois, à l’exploitation de surfaces sécantes sur les flancs du nucléus. Ils démontrent que les deux conceptions volumétriques ont pu se succéder dans l’exploitation d’un même nucléus ; mais ce cas de figure est tout à fait occasionnel. Bien qu’elles s’intégrent dans une même chaîne opératoire, les deux grandes conceptions volumétriques qui président à la production laminaire à Étoutteville sont totalement dissociées sur le plan technique.
208Les produits obtenus dans les différents gisements précités correspondent à des lames de petites dimensions, dont l’allongement est toutefois important, épaisses, de section et de morphologie assez irrégulières. En règle générale, elles sont loin de répondre à des critères de standardisation aussi précis que ceux qui caractérisent la plupart des productions laminaires du Paléolithique supérieur. La série d’Étoutteville semble se démarquer par des lames nettement plus grandes, qui côtoient dans la série de petites lames répondant aux mêmes taux d’allongement. Quant aux produits laminaires obtenus à partir des nucléus Levallois, ils présentent des caractères morphotechniques et dimensionnels bien différenciables. Les deux conceptions volumétriques de la production laminaire qui coexistent dans cette série paraissent donc répondre à des objectifs techniques distincts. Il est malheureusement impossible de déterminer si ces objectifs coïncident avec des besoins fonctionnels différents. Les produits laminaires n’ont en effet pas pu faire l’objet d’analyses tracéologiques en raison de leur état de patine.
209En outre, les produits laminaires d’Étoutteville, comme ceux des autres séries qui nous intéressent ici, n’ont été qu’en très faibles proportions aménagés en outils. Et l’étude morpho‑fonctionnelle de ces pièces constitue un champ d’analyse qui reste largement à explorer. Les produits retouchés associés à ces séries, toujours très peu abondants, présentent des caractères très hétérogènes et ont été indifféremment réalisés aux dépens de tous types de supports ; ils paraissent correspondre en règle générale à des outillages très sommairement confectionnés. Seule la série de Riencourt‑lès‑Bapaume semble révéler des comportements plus contrastés : les pièces rapportées à des outils « de type Paléolithique supérieur », qui sont plutôt aménagées sur les produits laminaires, correspondent à un groupe fonctionnel distinct (travail de boucherie) de celui auquel se rapportent les outils « de type Paléolithique moyen » (travail de la peau et du bois : Beyries 1993).
210À la lumière des découvertes réalisées depuis une dizaine d’années, le phénomène laminaire au Paléolithique moyen n’apparaît plus désormais comme un fait technique anecdotique, une explosion « sans prémices et sans lendemain » (Tixier 1984), tel qu’il était perçu il y a quelques années. Il prend place désormais parmi les complexes techniques du Paléolithique moyen. La série d’Étoutteville apporte des données nouvelles sur la variabilité des modalités techniques qui s’appliquent à cette production. En particulier, son analyse dévoile des éléments intéressants sur la question des prémices du phénomène laminaire au Paléolithique moyen. Elle révèle en effet des liens étroits entre les deux formes d’exploitation volumétrique des nucléus (Levallois et de « type Paléolithique supérieur ») qui servent généralement à opposer les systèmes de production du Paléolithique moyen à ceux du Paléolithique supérieur. Ici, les deux conceptions volumétriques sont conjointement mises au service d’un débitage de produits laminaires et s’inscrivent dans une même chaîne opératoire de production. Et tout semble indiquer que ce sont les mêmes artisans qui ont eu recours à ces deux conceptions volumétriques. On pourrait voir dans ces éléments les indices d’une possible filiation technique entre les deux systèmes de production chez certains groupes humains du Paléolithique moyen dont le savoir technique s’est exprimé par la maîtrise de toute une gamme de moyens variés pour le même objectif technique final.
Notes de bas de page
Auteurs
Archéologue, spécialiste des ensembles lithiques, AFAN ; CNRS, Meudon
University of London
Géomorphologue, centre de Géomorphologie, Caen
Directeur de recherche CNRS, centre de Géomorphologie, Caen
Spécialiste des ensembles lithiques, AFAN
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