Chapitre 5. Interprétation et directions de recherche
5 Interpretationen und Forschungsrichtungen,
5 Interpretation and research directions
p. 360‑377
Résumés
A l’écart des principales zones de peuplement durant l’Antiquité, le pays du lac de Paladru ne présente de traces d’occupation que discrètes et éphémères, malgré un léger réchauffement climatique –dont les indices existent également ailleurs dans la région et en Europe– qui fait baisser le niveau du lac et permet sur ses rives l’installation de quelques petits établissements. Ce peuplement faible et diffus semble ne pas s’accroître durant le haut Moyen Age.
Dans le courant du xe siècle, après le refroidissement du Bas Empire et la remontée des eaux, le climat se réchauffe à nouveau et, par grandes pulsations de l’ordre de 30 ans, détermine une nouvelle régression du lac. Là encore, les phénomènes observés au lac de Paladru à partir de plusieurs disciplines (sédimentologie, dosages isotopiques, etc.) confortent et éclairent par leur précision chronologique et quantitative des hypothèses formulées ailleurs, à partir des études scientifiques mais aussi des rares textes existants. L’observation de ce phénomène, qui précède le peuplement colonial assez massif qui affecte les rives du lac de Paladru mais aussi l’ensemble des moyennes montagnes pré‑alpines et de nombreux « déserts » européens à l’orée du xie siècle (ici 1003‑1004), autorise à prendre parti dans la discussion sur les origines de la « révolution de l’an Mil » : il existe bien une phase climatique favorable, durant le xe siècle, susceptible d’expliquer, par l’amélioration des rendements agricoles donc de l’alimentation et de la rentabilité économique, l’expansion démographique puis révolution sociale qui caractérisent ce temps.
L’habitat littoral de Colletière témoigne bien de cette mutation. Faisant partie d’un mouvement d’essartage suffisamment étendu et cohérent pour suggérer qu’il fut commandité, il semble hybride – ou plutôt mutant : en bois, en torchis et en chaume, il prend la forme, d’ailleurs techniquement excellente, d’un ensemble très organisé et assez symétrique, présentant, à l’intérieur d’une puissante palissade rectangulaire occupant une presqu’île, un bâtiment central à cheminée et à étage flanqué d’écuries et entouré de deux autres bâtiments. Le bâtiment central, à en juger par son équipement domestique connu par les vestiges de ses occupants, abrite la famille principale (maîtres du domaine agricole dont cette curtis ou villa fortifiée est le centre ?). On peut l’interpréter comme une aula. Mais le statut social des occupants des deux autres demeures n’est différent que dans les nuances : si tous sont à la fois cultivateurs (céréales et fruits essentiellement) et éleveurs (porcs, chèvres et moutons, bovidés), ils travaillent tous le bois, pratiquent le tissage, travaillent le cuir, montent à cheval et portent les armes. Parmi les espaces intérieurs, l’aire littorale se décompose en deux parties, l’une dévolue aux forges et probablement aux bas fourneaux (fabrication de couteaux, d’armes, d’accessoires d’équitation, d’outils), l’autre à l’entretien des pirogues, des filets de pêche et au ferrage des chevaux. Le bétail était, la nuit, parqué également à l’intérieur de la palissade, du côté de la colline.
La forêt qui couvre les collines voisines, chênaie mixte essentiellement, a vite été abattue, laissant place à un terroir où, en utilisant au mieux les possibilités naturelles très contrastées (nature des sols, exposition, etc.) se répartissent les cultures (seigle, froment, avoine, orge et millet), les vergers, les prairies et de petits jardins (essentiellement le chanvre, quelques pois, fèves et lentilles). Si rien ne permet de prouver le rythme des assolements, plusieurs indices indiquent plutôt une rotation biennale. Si les bovidés et les chevaux étaient mis à paître dans les prairies, les porcs bénéficiaient de la glandée en forêt et les caprinés pouvaient se contenter des lisières et des bords des chemins. L’alimentation était complétée par la pêche et par la cueillette d’une grande variété d’espèces sauvages. La chasse n’apportait qu’un appoint extrêmement modeste.
Le mobilier recueilli dans les maisons et le dépotoir est inhabituellement abondant, riche et varié. Cela tient certainement au statut social des occupants (« chevaliers paysans », tels que des textes contemporains concernant d’autres régions permettent de les imaginer), mais aussi aux conditions de conservation (l’eau a recouvert immédiatement le site, le scellant définitivement, et a assuré la conservation des matières organiques). Ce mobilier en tout cas donne une excellente vision du niveau technique de l’époque, des conditions de vie, de la part relative de l’autosubsistance. L’habitat de Colletière, pour largement autarcique qu’il fût, n’en avait pas moins des spécialisations –agriculture et élevage, métallurgie, mégisserie– et recourait au commerce pour se procurer certaines catégories d’objets (bois tournés, poteries). La monnaie, deniers et oboles d’argent, était d’ailleurs assez abondante, signe certain de richesse à en juger par le contraste offert, d’après les textes, avec les paysans rhodaniens de l’époque.
Tout indique donc que, avec deux autres habitats littoraux contemporains de ce type, Colletière fut un centre domanial fortifié, abritant une population comprise entre 60 et 100 personnes, et résultant d’une colonisation agraire entreprise à partir d’une région proche (vallée du Rhône ?) à la faveur de la pression démographique qui s’accroissait au tournant de l’an Mil. Les habitants en furent chassés lorsque, vers 1035, les conditions météorologiques se détériorent suffisamment pour que les eaux remontent, noyant le site. C’est à ce moment –à moins que le mouvement ne se soit amorcé vers 1025‑1030‑ que s’érigea la motte‑enceinte du Chatelard (Chirens), éloignée d’à peine plus d’1 km, et avec elle plusieurs mottes castrales qui, comme ailleurs dans la région et en Europe, marquent, dans un climat de violence bien connu, l’instauration de multiples pouvoirs châtelains privés, amorce le plus souvent adultérine du système seigneurial.
Ces premières tentatives, véritable naissance du Moyen Age « féodal », n’auront pas la taille critique –géographique, humaine, économique– pour réussir. Aussi laisseront‑elles rapidement la place à un nombre plus réduit de fortifications, qui donneront naissance aux seigneuries châtelaines de Clermont, Virieu et Paladru, progressivement englobées dans la puissante baronnie de Clermont qui occupera les confins delphino‑savoyards, entre Guiers et Isère.
Demeurent, bien sûr, nombre de questions : existait‑il, à Colletière, un habitat dépendant ? Peut‑on préciser la morphologie de la fortification et de son entrée ? Des hypothèses sérieuses existent sur la localisation du cimetière contemporain. Était‑il, comme on peut le présumer, accompagné d’une église ? Quelle est la morphologie des fortifications privées qui subsistent, à la charnière des xie‑xiie siècles, avant la construction des châteaux dont on peut étudier aujourd’hui les vestiges (à partir du xiiie siècle) ? A quoi ressemblait l’habitat paysan au milieu du xie siècle, au xiie et au xiiie (rôle de l’incastellamento dans la morphologie du terroir) ? Et bien sûr, percent à travers toutes les interprétations, les questions Juridiques : statut des habitants de Colletière, place de l’alleu dont tout laisse à penser qu’il fut très important en Sermorens comme en Dauphiné...
Mais si l’on peut faire, entre la région du lac de Paladru et son évolution aux Xe‑XIIE siècles, et d’autres sites étudiés ailleurs en France et en Europe, de nombreux parallèles, et si finalement Colletière, qui surprit voici 20 ans, semble bien représentatif de la rapide mutation de ce temps, son intérêt majeur est d’offrir, grâce au milieu lacustre, la matière au croisement de techniques d’analyse et de moyens d’étude variés, de l’histoire et de l’archéologie « traditionnelle » aux approches paléoenvironnementales ; de faire mieux sentir l’extrême interdépendance, en ces temps de technologie peu évoluée depuis près de dix siècles, des hommes et de la nature ; enfin de montrer, par un exemple particulièrement caractéristique, combien fut rapide et radicale la « révolution de l’an Mil »
Outside of the major settlement zone during Antiquity, Paladru lake presents mainly discreet and transitory traces of occupation, in spite of a slight climatic warming –signs of which are also found in the vicinity and in Europe. This reheating lowers the lake level and allows the installation of some small establishments on its banks. But this weak and diffused settlement does not seem to increase during the High Middle Ages.
During the 10th century, after the cooling of the Low Empire and the raising of its water level, the climate warms up again and, by long pulses of 30 years, provokes a new lowering of the lake. Here again, observed phenomena from many disciplines at the Paladru lake (sedimentology, isotopic determination, etc.) strengthen and enlighten, by their chronological and quantitative accuracy, other hypothesis which were formulated from scientific studies but also from the rare existing written sources. Observation of this phenomenon, which takes place before the sufficiently important colonial settlement on Paladru lake’s banks, but also of the group of the pre‑Alpine average mountains and many European “deserts” in the beginnings of the 11th century (here 1003‑1004), thus authorizes us to take a position in the debate about the origins of the “Year One Thousand Revolution”. Indeed, there does exist a favourable climatic phase, in the 10th century, which could explain by the improvement of agricultural production, and therefore of the alimentation and economic profitability, the demographic growth and as well the social evolution which characterize this period of time.
The littoral settlement of Colletiere gives sure evidence about this mutation. Part of a clearing of the ground movement sufficiently important and consistent to suggest –without stating it positively, because of missing written sources– that it was a planned expansion, this settlement seems to be hybridal –or rather a mutant. Constructed in wood, cob and thatch, it takes the shape, besides being technically excellent, of a very organized and symetrical unit, presenting, inside a large rectangular fence located in a peninsula, a main single‑storeyed building with chimney planked by horse stables and two other buildings. The middle building, as we can judge by the domestic artifacts that are known through its inhabitant remnants, sheltered the leading family (masters of an agricultural domain whose fortified curtis or villa is the center ?). We can interpret it as an aula. However, we have to add that the social status of the inhabitants from the two other buildings distinguishes itself only in details. Indeed, all of them are farmers (cereals and fruits basically) and stock breeders (pigs, goats and sheeps, Bovidae) and they all woodwork, weave, leather‑work, horse ride and bear weapons. Inside the internal spaces, the littoral area is divided into two parts. One is devoted to forges and probably to iron furnaces (fabrication of knives, weapons, horse accessories, tools), while the other is for maintenance of pirogues, fishing nets and horse shoeing. Cattle was also parked for the night inside the fence, to the hill side.
The forest, essentially of the mixted oak grove type, which spreads on the neighbouring hills, had been quickly cut out to leave place for agricultural lands. By using to the best their natural qualities which are very contrasted (types of soils, sun and wind exposure, etc.), we find cereal distribution like rye, wheat, oat, barley and millet, but also orchards, grasslands and small gardens (essentially for hemp, a few peas, beans and lentils). If nothing can allow us to prove the rythm of rotation cropping, many signs indicate a two‑field system. If Bovidae and horses were put to pasture in grasslands, pigs on the other hand, were having the benefit of the acorn “crop” in the forest while Caprinal could have the edges and sides of roads. Alimentation was completed with fishing, mainly practiced during spring and fall, and by the gathering of a large variety of wild species. Hunting, of small aquatic game essentially, only afforded an extremely modest added contribution.
Artifacts collected in houses and the dump is unusually abundant, rich and diversified. This relates certainly to its inhabitants social status (peasant knights, like contemporaneous texts from other regions allowed us to imagine them), but also to the conservation conditions (water immediately covered again the settlement, sealing it definitively, hence assuring the preservation of organic matter). These artifacts give anyway an excellent vision of the technical level of that period, of its quality of life and also of the relative portion of self‑sufficiency. Although Colletiere settlement was largely autarkical, it had nevertheless specializations –agriculture and breeding, metallurgy, tawing– and also traded in order to obtain certain types of artifacts (turned wood, potteries). Coins, silver deniers and oboles, were effectively rather abundant, sure signs of wealth if we judge by the contrast given us by written sources about the Rhone peasants of this time.
Everything hence indicates that, with two other contemporaneous lakeside settlements of the same type, Colletiere was a domanial fortified center. It sheltered a population of about 60 to 100 persons and was the result of an agrarian colonization which began from a near region (Rhône valley ?) and took advantage of a population explosion around the Year On Thousand. Its inhabitants were expelled, c. 1033‑1035, during a climate deterioration, sufficient for a water level rising, which again covered the site. It is at this time –unless the movement had begun c. 1025‑1030‑ that the fortified motte of Chatelard (Chirens) was erected, at only one kilometre of distance, and many other ones in the near vicinity. These mottes construction, in the region like in Europe, mark, in a well‑known climate of violence, the instauration of multiple private castellan powers, more often the adulterine core of the feudo‑vassalic system to come.
These first attempts, real birth of the “feudal” Middle Ages, will not reach the critical height –geographic, human and economic– to succeed. Thus, they will rapidly leave their place to a more restricted number of fortifications, which will give birth to the castellan seigneury of Clermont, Virieu and Paladru. In their turn, they will be included progressively in the powerful barony of Clermont, which is located in the limits of Dauphiné and Savoie, between Guiers and Isère.
Still, numerous questions are to be answered : was there at Colletiere a dependant settlement ? Can we define both the morphology of the fortification and its entrance ? Serious hypothesis exist about the location of the contemporaneous cimetery. Did it have, as we presume, a church ? How was the private fortification’s morphological aspect which remains, during the passage between the llth‑12th centuries, before the castles construction of which we can study today their remnants (from the 13th century) ? What did the peasant’s settlement in the middle of the 11th century, at the 12th and 13th centuries (part of the incastellamento in the soil’s structuration) look like ? And of course, through each interpretation lies the juridical aspects : Colletiere’s inhabitants’ status, importance of the allodium, which certainly was important in Sermorens and in Dauphine.
But, if we can make many comparisons between Paladru’s lake region and its evolution at the 10th‑12th centuries, and other sites which were studied elsewhere in France or in Europe, and if finally Colletiere seems to be, after 20 years of study, representative of the quick mutation of this time, its major interest, thanks to the lacustrian surroundings, is to offer information at the crossing of technical analysis and various methods of study, of History and "traditional” Archaeology to the paleoenvironmental approaches. Colletiere’s study illustrates, specially in that period when technology had been even less evolved for almost ten centuries, the extremely interdepending worlds of men and nature. And finally, this particularly characteristic example shows us how quick and decisive the " Year One Thousand Revolution” was.
Abseits der Hauptbevölkerungsgebiete gelegen, sind die Siedlungspuren im Altertum um den Paladrusee recht selten und zeitlich begrenzt, obwohl eine leichte Klimaerwärmung –für die es ebenfalls anderorts in Europa Anzeichen gibt– die Senkung des Wasserniveaus des Sees bewirkt hat und dadurch die Niederlassung einiger kleiner Siedlungen an den Ufern ermöglichte. Diese spärliche und verstreute Bevölkerung scheint während des hohen Mittelalters nicht anzuwachsen.
Im Laufe des 10. Jh., nach dem Temperaturrückgang in der Zeit des römischen Spätreiches und dem erneuten Ansteigen des Wasserspiegels, erwärmt sich das Klima wieder und bewirkt, in Etappen von 30 Jahren, eine neue Senkung des Wasserspiegels. Auch hier bestätigen und verfeinern die, am Paladrusee in verschiedenen Disziplinen (Sedimentologie, isotopische Dosierungen, u.s.w.), Beobachtungen durch ihre chronologische und quantitative Genauigkeit, die anderweitig, auf wissenschaftlicher Basis formulierten Hypothesen, aber auch seltene existierende Texte. Die Beobachtung dieses Phänomens, das der recht massiven Besiedlung der Ufer des Paladrusees, aber auch aller voralpinen Mittelgebirge, und zahlreicher unbewohnter Gegenden Europas am Anfang des 11. Jh. (hier 1003‑1004) vorausgeht, erlaubt die Teilnahme an der Diskussion über die Gründe der “Revolution des Jahres 1000” : im 10. Jh. existiert effektiv eine günstige klimatische Phase, die geeignet ist, über die Verbesserung der landwirtschaftlichen Erträge und, daraus folgernd der Ernährung und wirtschaftlichen Rentabilität, das demographische Wachstum und die soziale Entwicklung, die diese Zeit kennzeichnen, zu erklären.
Die Ufersiedlung von Colletiere ist Ausdruck dieser Wandlung. Ihre Anlegung war begleitet von einer Rodung, massiv und kohärent genug, um nahezulegen, ohne daß dies in Abwesenheit von textlichen Belegen, entschieden werden könnte, daß sie nicht spontan, sondern gelenkt war. Die Bauart scheint hybrid oder eher im Wandel begriffen : aus Holz, Lehm und Stroh gebaut, hat sie die Form, übrigens technisch ausgezeichnet, eines organisierten und recht symetrischen Ganzen, das sich innerhalb eines mächtigen, ungefähr rechteckigen Palisadenzaunes entwickelt, und auf einer Halbinsel angelegt ist; ein zentrales, einstöckiges Gebäude, das mit einem Kamin ausgerüstet ist, wird von Stallungen flankiert und von zwei weiteren Gebäuden umgeben. Das Zentralgebäude beherbergte wohl die herrschende Familie, wenn man von den Spuren der häuslichen Ausstattung ausgeht, die die Bewohner (Herren des Landgutes, dessen Zentrum die “Curtis” oder “Villa” darstellt) hinterlassen haben. Man kann es als “Aula” interpretieren. Aber der soziale Status der Bewohner der zwei anderen Häuser unterscheidet sich nur im Detail. Alle Bewohner der Siedlung sind Bauern (vorwiegend Getreide, – und Obstanbau) und Züchter (Schweine, Ziegen, Schafe und Rinder), sie bearbeiten aber auch Holz und Leder, weben, reiten und tragen Waffen. Die Innenhöfe auf der Strandseite teilten sich in zwei Kategorien auf, einerseits die Schmieden und wahrscheinlich Niederschachtöfen (Herstellung von Messern, Waffen, Reitzubehör und Werkzeug), andererseits Installationen für die Instandhaltung der Einbäume, der Fischernetze und für das Beschlagen der Pferde. Die Tiere wurden nachts innerhalb der Palisade auf der dem Hügel zugewandten Seite untergebracht.
Der Wald, vorwiegend Eichenmischwald, der die benachbarten Hügel bewuchs, ist schnell gerodet worden, und der gewonnene Boden ist bewirtschaftet worden, indem man die natürlichen, sehr unterschiedlichen Gegebenheiten optimal (Bodenqualität und Lage) für die Aufteilung des Getreideanbaus (Roggen, Weizen, Hafer und Gerste), der Obstgärten, Wiesen und Kleingärten (vorwiegend Hanf, einige Erbsensorten, Bohnen und Linsen) genutzt hat. Wenn es auch keinen konkreten Beweis für den Rhytmus der Felderwirtschaft gibt, so gibt es doch Hinweise für einen Zweijahresrhytmus. Die Pferde und Rinder weideten auf den Wiesen, die Schweine frassen Eicheln im Wald und die Ziegen begnügten sich mit den Wald, – und Wegrändern. Die Fischerei, die vor allem im Frühling und im Herbst betrieben wurde, ergänzte die Ernährung ebenso wie das Sammeln von Wildfrüchten jeder Art. Die Jagd, vorwiegend auf kleine Wasservöge brachte nur einen bescheidenen Nahrungsbeitrag.
Das in den Häusern und in der Abfallgrube, in Mengen, gesammelte Material ist ungewöhnlich reich und vielseitig. Dies ist sicher bedingt durch den sozialen Status der Bewohner (“Bauernadel”, den zeitgenössige Texte anderer Gegenden beschreiben), aber auch durch die bemerkenswert gute Erhaltung (der Fundplatz ist sofort vom Wasser bedeckt worden, das ihn entgültig versiegelt hat und so die Konservierung der organischen Stoffe garantiert). Dieses Fundmaterial veranschaulicht jedenfalls auf ausgezeichnete Weise das technische Können dieser Zeit, die Lebensbedingungen und die relative, wirtschaftliche Unabhängigkeit. So autark die Siedlung von Colletiere auch gewesen sein mag, so gab es doch Spezialisierungen ‑Landwirtschaft und Viehzucht, Metallurgie und Gerberei– und man betrieb Handel, um sich bestimmte Objektkategorien (gedreschselte Gegenstände und Keramik) zu beschaffen. Die Geldmünzen, Deniers und Silberobolen, waren übrigens recht zahlreich, was als Zeichen eines gewissen Reichtums gewertet werden kann, wenn man zum Vergleich den Kontrast, den Texten nach zu urteilen, mit den Bauern des Rhônetals, hinzuzieht.
Alles weist also darauf hin, zusammen mit zwei weiteren, zeitlich gleichgestellten, Ufersiedlungen des gleichen Typus, daß Colletiere der befestigte Mittelpunkt einer Domäne war, in der 60 bis 100 Personen wohnten. Sie war das Ergebnis einer, von der näheren Umgebung (Rhönetal) ausgehenden, Agrarkolonisation, die ihrerseits die Folge des demographischen Überdrucks war, der sich um die Jahrtausendwende verstärkte. Die Siedler wurden in den Jahren 1033‑1035 vertrieben, als eine Verschlechterung des Klimas das Wasserniveau steigen ließ, und die Siedlung im See versank. Gleichzeitig, es sei denn die Bewegung hat bereits 1025‑1030 begonnen, ist die Ringmotte von Chatelard (Chirens), nur 1 km entfernt, erbaut worden, und mit ihr mehrere andere Motten. Ihre Erbauung kennzeichnet hier, wie anderswo in der Gegend und in ganz Europa, die Einrichtung, in einer wohlbekannten Atmosphäre der Gewalt, vieler eigenständiger Burgherrschaften, die den, meist ungesetzlichen, Auftakt der Lehnsherrschaft darstellen.
Diese ersten Versuche, die die wahre Geburt des feudalen Mittelalters darstellen, besitzen nicht die äußerst kritische Größe –geographisch, menschlich und ökonomisch‑, um zu bestehen. So werden sie bald zu Gunsten einer beschränkten Zahl von Befestigungen aufgegeben, aus denen die Burgherrschaften von Clermont, Virieu und Paladru herauswachsen, die ihrerseits wieder in die mächtige Baronie von Clermont eingegliedert werden, deren Machtbereich bis an die Grenzen von Savoyen und dem Dauphine, zwischen Guiers und Isere, reicht.
Es bleiben natürlich noch viele Fragen offen : Gab es in Colletiere eine abhängige Siedlung ? Ist es möglich, die Morphologie der Befestigung und ihren Zugang genauer zu bestimmen ? Es gibt ernstzunehmende Hypothesen über die Lage des, zur Siedlung gehörenden, Friedhofes. Besaß dieser, wie anzunehmen ist, eine Kirche ? Wie sahen die an der Grenze zwischen dem 11. und 12. Jh. noch bestehenden Befestigungen aus, bevor sie durch die Schlösser, deren Reste man heute untersuchen kann (seit dem 13. Jh. erbaut) abgelöst wurden ? Wie sah ein Bauerhaus das 11., 12. und 13. Jh. aus (Rolle des “Incastellamento" in der Formgebung des Landes) ? Und dann ziehen sich durch all die Interpretationen natürlich die juristischen Fragen : welcher war der Status der Bewohner von Colletiere ; Stellenwert des Allod, der den Anzeichen nach zu urteilen, in Sermorens, wie im Dauphiné sehr wichtig gewesen sein muß...
Aber wenn man auch zwischen der Gegend um den Paladrusee und seiner Entwicklung vom 10 bis zum 12. Jh., und anderen Orten in Frankreich und Europa zahlreiche Parallelen ziehen kann, und wenn Coiletiere für die schnelle Entwicklung dieser Zeit repräsentatif ist, so liegt sein Hauptinteresse doch darin, daß es einerseits dank seiner subaquatischen Lage, die Materie, für die Kreuzung verschiedener analytischer Techniken und Studienmethoden der Geschichtsforschung und der “traditionellen" Archäologie mit paläoökologischen Studienmethoden bietet ; daß es andererseits die große gegenseitige Abhängigkeit von Mensch und Natur in einer Epoche zeigt, in der die Technologie sich seit fast 10 Jahrhunderten nicht weiterentwickelt hatte ; und schließlich, daß es an einem besondem anschaulichen Beispiel darzustellt, wie schnell und tiefgreifend die "Revolution des Jahres 1000” war.
1‑“Incastellamento"
Texte intégral
Jusqu’à l’an Mil : un peuplement diffus et sporadique
1Après une longue interruption dans l’occupation des rives du lac de Paladru depuis le Néolithique (curieusement non fréquentées à l’âge du Bronze contrairement à celles de nombreux lacs alpins), c’est au début de l’époque romaine que l’apparition de quelques sites sur le littoral ou les versants les mieux exposés des proches vallées indique un début de peuplement. Mais, éloigné des grands centres urbains et des principales voies de communication, le pays de Paladru n’accueille pas de grandes villae, telles qu’on en trouve à une quinzaine de kilomètres alentour, ni même de véritable habitat permanent. La sédimentation lacustre ne paraît enregistrer qu’une timide exploitation du terroir et confirme l’impression d’une présence humaine plutôt discrète, n’exerçant sur le milieu naturel, qui reste largement dominé par la forêt, qu’une pression modérée, aux effets rapidement réversibles. Cette première amorce de colonisation pourtant, dont témoignent plusieurs établissements sur des plages par la suite submergées ou encore dans des talwegs aujourd’hui noyés par des marais, invite à s’interroger sur le niveau du lac et des nappes phréatiques à l’époque et, plus généralement, sur les conditions climatiques qui ont prévalu entre le ier siècle av. J.‑C. et les ive‑ve siècles de notre ère.
2Il est certain que c’est un abaissement durable de la cote moyenne du lac et un assèchement partiel des marais qui ont permis l’occupation de la beine et des zones palustres. On a démontré que le lac était, davantage que d’autres mieux pourvus en affluents, largement tributaire des eaux pluviales pour son alimentation. De nos jours encore, et malgré une régulation artificielle qui joue un rôle d’amortisseur, la bathymétrie varie avec une grande amplitude (jusqu’à 2 m de part et d’autre du niveau 0), en quelques mois et en fonction du rythme des précipitations (Feyt 1982 ; Picard et al. 1989). On peut donc affirmer que le lac de Paladru est un bon enregistreur de la pluviosité saisonnière et annuelle. Pour la période des ier‑iiie siècles, l’étude des tourbes riveraines permet de restituer un niveau moyen plus bas qu’aujourd’hui de 1,5 à 2,5 m. La mise en évidence, par les mêmes méthodes qui ont été expérimentées pour le Moyen Age (oxygène 18 et, prochainement, carbone 13), de conditions climatiques moins humides au début de l’époque romaine constitue ici l’un des thèmes majeurs de la recherche à venir, et un moyen de vérifier nos hypothèses. Mais d’ores et déjà des travaux régionaux ont indiqué qu’à Saint‑Romain‑en‑Gal et Vienne, le Rhône avait, entre le ier siècle av. J.‑C. et la fin du ier siècle ap. J.‑C., assez profondément incisé son lit. Son cours, devenu plus calme et sinueux, était alors propice à la navigation et au franchissement. La cote très basse des établissements de l’époque et le niveau des égouts témoignent de la réduction du débit des eaux (Bravard et al. 1990). Géographiquement plus proches encore, les marais actuels des régions de Bourgoin, de Morestel et d’Aoste ainsi que ceux de Pont‑de‑Claix (près de Grenoble) ont d’autre part manifestement été occupés à l’époque romaine, signe de leur assèchement temporaire à moins d’admettre une prédilection des Gallo‑romains pour des lieux particulièrement malsains et inconfortables. Enfin la stratigraphie de la tourbière tyrolienne de Bunte Moor‑Fernau a clairement montré qu’à la phase d’avancée des glaciers alpins, qui s’est manifestée au cours de la plus grande partie du premier millénaire av. J.‑C., avait succédé un long retrait, entre le ier siècle avant notre ère et le début du ve (Le Roy Ladurie 1967 : 240 sq). Ces éléments d’information permettent donc d’envisager un climat globalement plus sec et plus doux, se prolongeant pendant plusieurs centaines d’années, ce qui n’exclut évidemment pas des oscillations intermédiaires moins favorables, mais qui ne remettraient pas en cause l’orientation générale du mouvement. Localement, l’hypothèse trouve a contrario confirmation dans la découverte de sites apparemment occupés jusqu’au ive siècle et dont les niveaux de destruction sont scellés pairies lits de tourbes se développant à partir de marais auparavant éloignés de quelques dizaines de mètres (à Massieu dans le Val d’Ainan et au Surand à Valencogne). Certes la datation de ces horizons organiques doit encore être effectuée et on ne peut, pour l’instant, exclure que leur développement soit intervenu bien après l’abandon des habitats. Mais la stratigraphie, qui ne montre pas trace de dépôts intermédiaires entre la couche archéologique finale et la tourbe, suggère fortement la quasi‑contemporanéité de l’abandon et de l’extension des milieux palustres. Encore trop ponctuels pour que leur signification acquière une portée dépassant le simple cadre régional, ces quelques exemples mériteraient d’être étudiés plus en détail. Tels quels néanmoins, ils indiquent une possibilité que le Bas Empire ait été marqué par une remontée significative des nappes, accompagnant un retour à des conditions climatiques plus humides. Parallèlement d’ailleurs la tourbière de Fernau révèle, pour la période comprise entre le ve et le milieu du viiie siècle, un nouveau maximum glaciaire (Le Roy Ladurie 1967), qui traduit soit un refroidissement, soit des précipitations accrues, soit la conjonction des deux phénomènes. A Charavines en tout cas, sur la rive proche du site de Colletière, des tourbes recouvrent progressivement un cordon d’épierrement daté de l’époque romaine.
3Si ce mouvement pouvait être confirmé par des observations réalisées à l’échelle européenne, ne pourrait‑on alors inclure une « péjoration » météoroclimatique parmi les multiples causes qui ont conduit à la crise de la fin de l’Antiquité ? Une telle dégradation, conjuguée avec les effets d’autres facteurs économiques, sociaux et politiques, ne contribuerait‑elle pas à expliquer la désertion de terroirs situés en altitude sur les plateaux et vallées alpines, le déplacement des populations, la paupérisation progressive des cités et des campagnes, l’apparition des premières grandes épidémies de l’époque mérovingienne et l’apparente faiblesse des rendements céréaliers ?
4Durant le haut Moyen Age, un peuplement lâche et diffus subsiste probablement autour du lac de Paladru, à en juger par la persistance d’un très faible pourcentage de céréales dans les diagrammes polliniques. Mais l’impression générale qui résulte des prospections, au cours desquelles aucun habitat de cette époque n’a encore été identifié, est celle d’un pays qui reste très largement inoccupé.
5Ce constat doit malgré tout être tempéré en fonction des situations topographiques. Dans la vallée de la Bourbre par exemple, distante de quelques kilomètres, il semble que se perpétue, à l’emplacement d’une importante villa gallo‑romaine (Chélieu), une certaine continuité de l’occupation, dont l’importance réelle ne peut encore être évaluée. Mais les toponymes locaux et la précocité des mentions d’églises paroissiales, dont l’origine doit être recherchée notamment dans de premières chapelles domaniales, suggèrent le maintien d’un ou plusieurs centres fonciers. On sait aussi que la grande villa de Sermorens, à une douzaine de kilomètres du lac (Voiron), n’a pas été totalement désertée après le Bas Empire et qu’elle est même devenue aux viiie‑ixe siècles le siège d’un « comté » qui accueillera des personnages de haut rang à l’occasion de plusieurs plaids. Entre ces deux pôles d’attraction, il est difficile d’imaginer que les hautes collines et le lac de Paladru n’aient pas été occasionnellement fréquentés, voire sporadiquement exploités, pour la culture ou les ressources halieutiques. L’importante quantité de pollens de Cannabacées rencontrée aux Grands Roseaux dans les sédiments lacustres directement sous‑jacents à la couche d’occupation du xie siècle et la présence d’un horizon organique légèrement antérieur CORGA I), témoin d’une érosion des sols et d’apports phosphatés, reflètent selon toute probabilité l’exploitation de chènevières dans les marais riverains et de premiers essartages. Ces nuances ne doivent toutefois pas faire perdre de vue l’essentiel : le bassin du lac de Paladin, que l’on se réfère aux données de l’archéologie, de la palynologie ou de la sédimentologie, reste une région vide de toute occupation humaine notable et durable jusqu’aux alentours de l’an Mil.
La baisse des eaux du xe siècle : l’assèchement du climat et ses conséquences
6C’est dans le courant du xe siècle que le niveau moyen du lac de Paladru a de nouveau diminué de façon significative. Les indices convergents qui permettent de mesurer et de dater la régression sont fournis par différentes sources. Le phénomène est d’abord attesté par les pollens dont la détermination indique le graduel processus d’atterrissement des rives. Un réchauffement des eaux de la frange littorale est fortement suggéré par la présence du « lit blanc » carbonate, détecté à une vingtaine de centimètres sous les couches anthropiques du xie siècle. La chronologie de ce double mouvement est désormais connue : il est intervenu après le dépôt du niveau organique (ORGA I) qui vient d’être daté entre les années 650 et 890. D’autre part il est évident que ses pleins effets se sont produits avant le début de la colonisation des plages (en 1003‑1004). Ces dernières n’ont pu rester très longuement exondées avant leur occupation puisque aucune végétation littorale n’a eu le temps de s’y développer : le sol de craie sur lequel les habitats ont été bâtis ne montre pas de traces de phragmitaie‑cariçaie ou d’arbustes typiques des ripisylves. L’aspect général de la courbe dendrologique, marquée par une tendance persistante à la décroissance de la largeur des cernes à partir du milieu du xe siècle, aurait également pu être interprété comme le résultat d’une modification des conditions de croissance des arbres. Mais les dendrochronologues indiquent que ce phénomène est classique et qu’il n’est pas dû à une évolution climatique.
7Pour sa part, le dosage de l’oxygène 18 montre que la teneur moyenne de l’arbre médiéval test, en ce qui concerne cet isotope, est sensiblement plus élevée que celle des arbres actuels, ce qui traduit une évapotranspiration plus importante. Il met aussi en évidence des épisodes cycliques d’une amplitude de l’ordre d’une cinquantaine d’années, caractérisés par une sécheresse plus accentuée encore. Cet arbre, âgé de 123 ans au minimum lors de son abattage en 1022, couvre donc quasiment le premier quart du xie, le xe et l’extrême fin du ixe siècle. Pour des raisons techniques, les prélèvements n’ont pas été effectués cerne par cerne, mais par séries approximatives de deux cernes. On ne dispose, en conséquence, que de 55 dosages de18O, au lieu des 123 qui auraient permis de suivre, année par année, la variation des teneurs isotopiques. Telle quelle, pourtant, la courbe signale bien certains accidents, qu’on peut essayer de corréler à la fois avec ceux de la séquence dendrochronologique et avec des séries d’années particulières, précisées par les textes monastiques. Cet exercice, méthodologiquement critiquable car entaché des approximations auxquelles conduit l’absence d’une série de dosages strictement annuels, nous a parti devoir être tenté. Quels en sont les résultats ?
8On observe en premier lieu que les années 895‑896, signalées comme désastreuses par les textes et par l’étroitesse des cernes de croissance qui leur correspondent, pouvaient être celles du point le plus bas du diagramme 18O. On voit ensuite qu’aux sécheresses des années 921–928 pouffaient faire écho les valeurs les plus hautes de la courbe avec, il est vrai, un léger décalage chronologique peut‑être dû à la relative imprécision des prélèvements d’échantillons. Poussant l’expérience plus avant, ne pourrait‑on encore faire coïncider la période des années 940, identifiée par les textes avec la partie centrale de la courbe isotopique ? Au‑delà en revanche, force est d’admettre qu’on ne distingue plus d’adéquation entre les sources d’information utilisées. Sauf que c’est après une phase « sèche » d’une durée de l’ordre de 20 ans que l’habitat de Colletière apparaît, 18 ans environ avant l’abattage de l’arbre échantillon.
9Il serait enfin possible d’établir un rapprochement entre le laps de temps qui sépare la famine européenne de la décennie 890 ainsi que l’épisode pluvieux de la décennie 940 d’une part et la distance chronologique entre les deux zones les plus déprimées du diagramme 18O. : dans les deux cas on mesure une durée de cinquante ans environ.
10Pour en revenir aux éléments les plus incontestables livrés par les différentes disciplines utilisées à Charavines, c’est plutôt dans la seconde moitié du xe siècle que la régression lacustre s’est produite et, sans doute, entre 974 et 995, période au cours de laquelle une succession d’années très sèches est signalée par les annales de Corbie, Liège, Cologne, Hersfeld, Quedlimburg et Saint‑Gall. Son origine climatique est ici établie et une évaluation du déficit de la pluviosité par rapport à l’actuel est même avancée. De 15 % en moyenne, ce déficit aurait largement dépassé ce seuil pendant plusieurs décennies consécutives, ce qui, compte tenu du bilan hydrologique du lac, était amplement suffisant pour provoquer une baisse de niveau durable, de l’ordre de 4 m en dessous de sa cote de référence actuelle.
11Il est opportun, à cette étape de la discussion, de rappeler ce que l’on connaît, depuis une vingtaine d’années, des conditions climatiques qui prévalent globalement en Europe entre le milieu du viiie et celui du xiie siècle. A Fernau, les sédiments indiquent, pour cette période de quatre siècles, un autre recul glaciaire, à la faveur d’un climat plus doux qu’auparavant (Le Roy Ladurie 1967 et Brochier 1989). L’ampleur du phénomène a été démontrée par des observations effectuées en des lieux géographiquement très éloignés : colonisation par les Vikings de régions aujourd’hui aussi peu accueillantes et difficiles d’accès par la mer que l’Islande ou le Groenland, en 930 et 985 (Anderson 1984: 343) ; régression mineure du Léman aux xie et xiie siècles (Bravard 1989) et recul du glacier d’Aletsch aux ixe‑xie siècles ; grave sécheresse au xe siècle dans la partie centrale des Pays‑Bas (Fleidinga 1984 et 1987) ; extension latitudinale des forêts de pins en Laponie, entre 950 et 1140 et phases chaudes à étés secs révélées, de 1030 à 1120, sur les mélèzes de la Vallée des Merveilles (Serre‑Bachet 1978).
12Cette évolution, qui paraît donc bien caractériser l’ensemble du domaine européen, pourrait être, au moins en partie, à l’origine de l’expansion démographique partout constatée autour de l’an Mil. Certes, la chronologie de ce phénomène a donné lieu à d’âpres débats, par exemple lors du récent congrès de Flaran (Croissance agricole... 1990). Mais, même si le haut Moyen Age put connaître, en divers endroits, une lente et plus ou moins régulière croissance moyenne, l’ampleur nouvelle de celle des xe‑xie siècles ne peut être mise en doute, de même que le mouvement subit de défrichement qui l’accompagna.
13En effet, la polyculture à dominante céréalière extensive de l’époque est largement soumise aux aléas climatiques. Tout assèchement –et non l’humidité, comme l’agriculture moderne pourrait le laisser croire– renforce, dans une région tempérée plutôt largement arrosée, la productivité, ce qui détermine une amélioration nutritionnelle susceptible de favoriser la suivie infantile et donc un accroissement important de la population au terme de quelques générations.
Une architecture fortifiée efficace
14Dans les toutes premières années du xie siècle, trois habitats s’installent simultanément sur les rives du lac ; ils annoncent une colonisation agraire de grande ampleur. Pourquoi les nouveaux venus se sont‑ils établis sur les hauts fonds littoraux plutôt que sur la terre ferme ? L’opportunité de disposer, dès l’arrivée, de vastes espaces non boisés et à proximité immédiate de l’eau a certainement contribué à leur choix d’autant que ces avancées de rivage étaient précédées par des zones humides qui formaient autant de barrières naturelles. On verra plus loin que le souci d’assurer une défense efficace n’a certainement pas été secondaire, étant donné la forme sociale qu’ont pris les habitats de Colletière, des Grands Roseaux et du Pré d’Ars. Cette préoccupation défensive n’est pas sans évoquer les réoccupations tardives des crannogs d’Irlande et d’Ecosse (Pétrequin 1984 : 299‑302). C’est aussi probablement la raison pour laquelle on n’a pas réoccupé les anciens sites néolithiques ou antiques, eux aussi exondés mais qui n’offraient qu’un rivage rectiligne, plus malcommode à défendre. La possibilité d’acheminer, à moindre effort, le bois d’architecture par flottage à partir de secteurs de coupe reliés au lac par des pentes vives a également pu jouer un rôle.
15Installé sur une de ces plages, faiblement exondée puisque le niveau du lac (hors variations saisonnières) affleurait la partie la plus basse du site, Colletière était enclos par une puissante palissade de chêne peut‑être flanquée d’une courtine, haute de 3 à 5 m environ. Cette enceinte défendait un espace sensiblement rectangulaire de 1 200 m2, contre lequel s’adossaient un avant‑corps à l’est, à l’emplacement supposé de l’entrée principale, et des constructions légères (annexes artisanales ou agricoles) au nord, dans la partie non encore fouillée.
16A l’intérieur s’élevaient trois grands bâtiments construits selon une technique ingénieuse et parfaitement adaptée à l’instabilité du substrat. La stabilisation des aires bâties était assurée par l’entrecroisement de grands madriers horizontaux, profondément enfouis dans la craie lacustre, sorte de « semelle flottante » dont le rôle était double : contenir le fluage du sédiment et raidir l’assise des constructions importantes. La craie lacustre (poudre accumulée et non liée de carbonate de calcium) possède en effet des propriétés mécaniques qui la font se comporter comme un fluide lorsqu’elle est soumise à la pression. Cette infrastructure, également implantée sur les deux autres stations lacustres de Paladru, n’est pas unique. Peu différente dans son principe de la fondation sur pieux utilisée dès l’époque romaine dans les grandes villes de la région (à Grenoble et Vienne) comme ailleurs, on la rencontre sur d’autres sites médiévaux. Dans la maison III du Husterknupp par exemple, des madriers équarris servent en même temps de sablières basses et de semelle flottante (Herrnbrodt 1958) ; à Bâle, des troncs d’arbre ont été employés pour renforcer la stabilité du sol sableux, avant la construction de fortifications sur le Rhin (Moosbrugger 1981). Dans les habitats du lac de Paladru, madriers horizontaux et poteaux verticaux ont été enfoncés dans le substrat par l’effet conjugué de leur poids et de la thixotropie de la craie.
17Une fois le sous‑sol armé par la juxtaposition de ces canevas, dont le plan suit celui des bâtiments sans toutefois leur correspondre exactement, de forts pieux de chêne ont été enfonces dans la craie, jusqu’à refus. Malgré la difficulté de lever verticalement des pièces dont la hauteur devait atteindre une douzaine de mètres, la métrique de leurs espacements est assez rigoureuse. Il n’existe guère d’exemples de pieux plantés de biais, sauf ceux qui l’ont été volontairement, et la régularité du plan d’ensemble indique une réalisation méthodique, conforme aux prévisions. La disposition générale de l’habitat, remarquablement adaptée aux conditions du milieu et aux accidents topographiques, correspond donc à un plan préconçu qui exigeait à la fois une connaissance pratique des propriétés de la craie‑sol et celle de moyens de levage élaborés, recourant à la démultiplication de l’effort par des treuils, poulies et moufles.
18Démontrer que Colletière ne résulte pas du simple agrégat de bâtiments édifiés au fur et à mesure, en fonction des besoins, prouve corollairement qu’il est à l’image d’un modèle déjà connu et éprouvé. Il ne s’agirait donc pas d’une forme d’établissement adaptée à une conception novatrice de l’occupation d’un terroir mais plutôt de la reproduction d’un habitat identique à celui dont les colons étaient originaires. Cette réflexion s’applique aussi aux stations des Grands Roseaux et du Pré d’Ars, et souligne l’homogénéité culturelle ainsi que l’appartenance de leurs occupants au même groupe social.
19Le gros‑œuvre des trois bâtiments était entièrement en bois, des poteaux régulièrement espacés supportant de lourdes charpentes à deux pans dont certaines poutres dépassaient une dizaine de mètres de portée, ce qui a surpris les spécialistes de l’histoire de la construction et pose la question de la date d’apparition du système de charpente à ferme, au Moyen Age. Tous les assemblages étaient réalisés par tenons et mortaises ou par chevillage. Les parois extérieures et les cloisons de refend en clayonnage s’articulaient sur une armature de piquets et de branchages de noisetier, enduite d’argile lutée. Les grands toits, probablement assez pentus, étaient couverts de chaume (roseaux ou paille de seigle).
20Les sols épais et meubles étaient faits de jonchées et de litières végétales, rarement curées, mais fréquemment renouvelées, ce qui a provoqué un rapide exhaussement du niveau de circulation et favorisé la perte de nombreux objets. Cette pratique, qui est restée courante pour les fermes traditionnelles jusqu’à une époque récente, est aussi attestée par les textes pour les demeures aristocratiques. A la fin du xie siècle, le comte de Poitiers faisait épandre des joncs encore verts dans sa maison, à l’occasion de la venue de visiteurs de marque « domus recenter erat juncata, sicut solemus facere quando ali‑quem personae potentis vel dominum suscipimus, vel amicum ». Au xiiie siècle encore, en Saintonge, le chambellan avait la charge de faire joncher l’aula comtale » straminare vel sternere junco aulam domini comitis « (Debord 1983 : 194).
21L’opinion courante selon laquelle ce type de litière est insalubre et malodorante, n’est pas totalement fondée. Non seulement elle préserve de l’humidité remontant par capillarité mais la couche superficielle, pour autant qu’elle soit régulièrement renouvelée, absorbe bien les odeurs et fait écran entre le fumier sous‑jacent et la surface du sol.
22Il est difficile de préciser l’emplacement des ouvertures sauf lorsque la fouille a mis en évidence des échanges de litières et de mobilier de part et d’autre de l’axe d’un mur ou d’une cloison. Si la découverte d’éléments de serrures en bois montre que certaines portes pouvaient atteindre de grandes dimensions, on ignore tout des fenêtres, qui devaient être peu nombreuses et étroites, comme il était de règle à l’époque. Il faut donc restituer des intérieurs assez chichement éclairés, sauf autour des grands foyers établis au centre des principales pièces du rez‑de‑chaussée.
Un habitat aristocratique mais aussi agricole et artisanal
23Les spécificités architecturales et les cartes de répartition du mobilier indiquent que les deux bâtiments fouillés ne présentent ni le même aspect général, ni la même disposition Intérieure et que leurs fonctions ne sont pas équivalentes. On a pu démontrer que le bâtiment central, d’une superficie de 100 m2 environ, était plus élevé et plus solidement construit que les autres. Sa fondation sur semelle de chêne, la présence, aux angles, de clefs de blocage dont le rôle était de limiter un possible enfoncement, celle aussi de pieux équarris inclinés vers l’intérieur, sans doute mis en place pour contrebuter les poussées d’une charpente plus massive, sont autant d’indices qui évoquent une construction d’une hauteur plus élevée comportant un étage, sinon deux.
24C’est ici, exclusivement, qu’on retrouve le mobilier le plus caractéristique d’un mode de vie aristocratique. Les instruments de musique les plus élaborés (hautbois et clarinette de cornemuse), les armes les plus prestigieuses (épées), la grande majorité des pièces d’échecs, un matériel d’équitation abondant et les seuls restes de gros gibier identifiés sur le site ont été recueillis dans la même vaste pièce, pourvue d’une vraie cheminée, avec chevêtre et manteau. Le fait qu’elle n’ait, contrairement à d’autres, jamais changé de fonction pendant toute la durée d’occupation, permet de l’interpréter comme l’aula de la résidence aristocratique.
25Le bâtiment II se distingue du précédent pour l’ensemble de ces critères. Sur le plan architectural il en diffère d’abord par une trame plus serrée de l’entrecroisement des madriers, en hêtre et non en chêne, ce qui pourrait indiquer une moindre sollicitation du substrat par des superstructures plus légères. Il a aussi une forme rectangulaire et non carrée : sensiblement plus étroit (6 m), il est légèrement plus allongé que son voisin (12 m). Une étude détaillée révèle aussi qu’il avait subi des modifications importantes au cours de son histoire. Originellement en partie affecté à la stabulation animale, il a par la suite été réservé à l’habitation après partition de l’espace disponible et redistribution des pièces. Ces changements sont confirmés par une répartition du mobilier, quantitativement et qualitativement différente d’une phase à l’autre. On n’y retrouve pas les objets les plus révélateurs d’un statut aristocratique, tandis qu’abondent ceux que l’on pourrait attribuer à des familles d’un rang social moins élevé : outils de l’artisanat et de l’agriculture, instruments de musique plus simples (flûtes et flageolets), jetons de trictrac qui sont ici en proportion inverse des pièces d’échecs recueillies clans le bâtiment I, absence d’ossements du gibier de grande chasse, objets de parure moins nombreux et rares pièces d’équipement militaire.
26Du bâtiment III, non exploré encore, on ne sait pratiquement rien sinon qu’il présente certaines particularités qui l’apparentent aux deux précédents et d’autres qui lui sont propres. La relative irrégularité du maillage des madriers de hêtre évoque celle du bâtiment II. Mais son plan carré et ses dimensions correspondent assez exactement à ceux du bâtiment central (10 m sur 10). En revanche il ne semble pas posséder, comme lui, de structures de renfort, du moins à l’angle sud‑ouest. Il s’adosse à l’enceinte ce qui permet de penser que sur deux côtés, les murs étaient en planches, On y a enfin découvert deux pièces d’échecs, ce qui, compte tenu de l’exiguïté de la surface fouillée jusqu’à présent, apparenterait plutôt ses occupants à ceux du bâtiment central. Une autre hypothèse, plausible mais contradictoire, en ferait une sorte de vaste dépendance, utilisée pour ranger le gros matériel agricole (charnues, araires, charrettes etc.) dont, paradoxalement, on n’a pas encore la trace sur le site. La fouille à venir tranchera.
27C’est à l’étage des bâtiments ou dans les greniers que devaient être stockés les récoltes de céréales, le fourrage et les produits de la cueillette, en particulier les noix. Ainsi préservées de l’humidité ces denrées étaient aussi à l’abri des animaux du cheptel domestique qui fréquentaient ordinairement les rez‑de‑chaussée comme l’indiquent les déjections de porcs et d’ovins.
28Autour des foyers, en alternance avec la préparation des repas, on se livrait à des occupations artisanales domestiques : filage de fibres végétales (lin, chanvre) ou animales (laine), découpe du cuir et travaux de petite menuiserie. Mais les artisanats qui nécessitaient un gros outillage étaient exercés à l’extérieur, dans des zones conçues et aménagées à cet effet.
29Line métallurgie d’extraction et de transformation avait ordinairement lieu sur la berge, sous des auvents adjacents aux bâtiments, où sont concentrés les témoins des différentes étapes du processus opératoire, culots de fonderie, loupes recuites, enclumes de pierre, scories et battitures. Cette berge était recouverte de grandes nappes d’argile sur lesquelles étaient aménagés les bas fourneaux et les foyers de forges.
30Au nord de la station une aire polyvalente, sans doute partiellement protégée par de légers bâtis, était affectée au tissage, à la maréchalerie et à la bourrellerie.
31Il n’existe en revanche aucune preuve que la tournerie ait existé sur place, malgré le grand nombre des plats, assiettes et fuseaux tournés. Car même si la plus grosse part des copeaux générés par cet artisanat a pu être brûlée, quelques‑uns au moins auraient dû être recueillis lors du tamisage du sédiment archéologique, ainsi que les culots de rognage, moins fragiles. Cette absence conduit à envisager une éventuelle complémentarité entre les trois sites littoraux, à moins que les objets de tournerie aient été importés de plus loin.
32L’abondance du matériel métallique laisse entrevoir cette spécialisation des productions, et particulièrement celle des différents modèles de couteaux. Leur nombre élevé (près de 200 à ce jour) semble largement excéder la quantité nécessaire aux besoins et beaucoup sont absolument neufs. Les analyses métallographiques confirment d’autre part que les forgerons de Colletière maîtrisaient parfaitement toutes les techniques de leur art et qu’ils étaient capables d’obtenir, selon la fonction de l’objet, soit des aciers corroyés et trempés (pour certaines armes) soit des produits beaucoup moins élaborés.
33Cette métallurgie savante pourrait être à l’origine de la tradition artisanale de la vallée de la Fure. Les textes en effet mentionnent, du xiiie au xvie siècle, la production d’acier de grande qualité et d’épées réputées. Un atelier de forge du xive siècle, établi sur l’île Loyasse, où une dague a été découverte avec quelques scories, prouve la permanence de cette activité sur le lac même. Au xviiie siècle, cette vallée est le premier producteur de fer du nord des Alpes. Aujourd’hui encore, la région comprise entre Charavines et Rives, sur le cours de la Fure, accueille plusieurs ateliers ou usines qui fabriquent des aciers de haute technologie. Bois en abondance, eaux froides et courantes propices à la trempe ‑ encore utilisées aujourd’hui ‑ étaient favorables à cette industrie. Mais la recherche des gisements de minerai est toujours en cours. Il ne semble pas, d’après les analyses, que les principales sources d’approvisionnement régionales connues pour le Moyen Age (mines d’Allevard dès la fin du ixe siècle et de Chartreuse à partir du xiie) aient pu fournir le fer utilisé à Charavines. L’enquête s’oriente plutôt actuellement vers l’exploitation d’un minerai à haute teneur concentré par lessivage et gravité dans le lit des cours d’eau environnants (Bourbre, Ainan, etc.).
Les défrichements et la création du terroir
34L’ampleur des défrichements opérés pendant l’occupation des habitats littoraux ne peut encore être très sûrement évaluée. Les diagrammes polliniques, les macrorestes végétaux et les sédiments lacustres fournissent cependant des indications qui donnent à penser qu’ils furent importants.
35Entre la construction et l’abandon de Colletière, la représentation des pollens arboréens chute massivement de 80 % à 20 % environ, tandis que s’accroissent très sensiblement les proportions de céréales (jusqu’à 5 %) et de graminées (50 %). Mais on sait que les spores rencontrées sur un site archéologique ne reflètent pas fidèlement le couvert végétal local puisque l’action de l’homme provoque un déséquilibre artificiel par l’introduction des espèces dont il favorise le développement au détriment de celles qu’il n’exploite pas. Cette réserve émise, il reste néanmoins que la déforestation a sévèrement touché les essences les mieux adaptées aux besoins. Un calcul approximatif de la quantité de bois d’œuvre, incluant le nombre total de madriers, pieux porteurs et poutres de charpente en chêne peut être proposé. On évalue à près de 8 000 m linéaires la longueur des troncs nécessaires pour les trois bâtiments, la palissade et les aménagements périphériques. Or il s’agit, le plus souvent, de gros chênes d’un diamètre variant entre 25 et 40 cm (aubier et écorce compris), croissant dans une haute futaie et atteignant une douzaine de mètres sans le houppier. En divisant la longueur totale du bois d’œuvre par la longueur « utile » de chaque arbre on obtient un nombre d’environ 650 chênes abattus. Un comptage effectué parmi les chênaies actuelles les mieux fournies estime à une centaine par hectare les sujets atteignant la taille nécessaire. Mais comme la chênaie de l’époque était mixte et contenait une proportion notable de charmes, de hêtres et de châtaigniers, il convient de réduire cette valeur et de la ramener à une soixantaine de chênes à l’hectare. La superficie déforestée pour l’approvisionnement en sujets de cette essence aurait donc pu être de l’ordre de 11 ha. Elle doit, bien sûr, être multipliée au moins par trois pour tenir compte des deux autres habitats connus. Encore n’est‑il envisagé ici que le seul cas du chêne et nous n’avons inclus ni le hêtre, ni les bois d’artisanat (érable, frêne) et de chauffage, puisque ceux‑ci ont été coupés progressivement, selon les besoins, pendant une trentaine d’années.
36Ce sont les terres les plus proches du lac et les mieux adaptées à la mise en culture et au pâturage qui ont d’abord été défrichées. Le recul de la forêt s’est traduit par un allongement des lisières, propices au développement secondaire d’espèces arbustives (noisetier, prunellier, merisier, néflier), mais d’autres arbres forestiers ont été volontairement épargnés, voire favorisés: surtout le châtaignier et le noyer dont on retrouve les fruits en abondance dans la couche archéologique, mais presque jamais le bois.
37Au début de l’occupation on remarque d’autre part dans les restes alimentaires une plus grande fréquence des fruits ramassés en sous‑bois (faînes, glands et noisettes) ou en bordure de forêt (framboises, mûres, fraises et merises). Au terme d’une dizaine d’années, la mise en production d’arbres fruitiers plantés permet la récolte d’une abondante quantité de pommes, cerises, pêches, prunes et poires. La présence de la vigne est certaine (très nombreux pépins de raisin). Mais le doute subsiste sur sa nature exacte : s’agit‑il de vigne sauvage ou de vigne cultivée (Vitis vinifera) ? La morphologie des semences ne permet pas encore de le savoir. En revanche, quelques amandes indiquent sans équivoque une importation extra‑régionale.
38Cultivées sur les terrains les plus riches et les moins pentus, les céréales offrent une forte proportion de seigle (42 %) puis viennent le froment (23 %), l’avoine (21 %), l’orge et les millets (7 % chacun).
39Que le seigle prenne la première place et qu’il soit à peu près deux fois plus abondant que le froment n’est pas surprenant. La même proportion a été observée, pour l’époque carolingienne, en Lombardie. On connaît sa rusticité, qui convient particulièrement à un climat de moyenne montagne, et sa bonne rentabilité, même sur des sols pauvres. A conditions égales il est plus productif que le blé d’environ 40 % et. peut rendre 7 pour 1. Certes sa farine ne donne pas un pain d’excellente qualité, du moins en regard des exigences actuelles, mais il convient aussi pour l’alimentation animale en fournissant un bon fourrage vert et une paille longue et consistante, appréciée pour les toitures (Comet 1987). Ses propriétés expliquent le développement de cette céréale à partir du Xe siècle, d’ailleurs à l’origine des épidémies dues à l’ergot. Le « mal des ardents » ou « feu de Saint‑Antoine » a fait un nombre considérable de victimes en Europe, jusqu’à l’identification du parasite (Delumeau, Lequin 1987). Ce champignon, dont la multiplication est favorisée par des étés humides, est totalement absent ici. Et plutôt que d’envisager un tri manuel des épis infectés qui aurait certainement laissé des concentrations élevées de cryptogames aisément repérables au tamisage, nous attribuons l’absence de l’ergot à de bonnes conditions trophiques du seigle favorisées par des étés chauds et secs.
40Céréale noble par excellence, le blé devait plutôt être semé en hiver, ce qui permettait, en évitant la verse, d’obtenir de meilleurs rendements. Ceux‑ci pourtant sont traditionnellement moins élevés que pour le seigle, ce qui explique sans doute la part plus modeste que le froment prenait à Colletière. Compte tenu de la relative médiocrité des sols locaux, en général argileux et caillouteux, on ne pouvait sans doute guère espérer mieux qu’un rendement de l’ordre de 5 pour 1. Il serait intéressant de comptabiliser les grains de froment présents dans chacune des deux maisons fouillées (en adoptant une technique de prélèvement appropriée dans des volumes témoins). Peut‑être ce comptage mettrait‑il en évidence une consommation plus courante de farine de blé dans le bâtiment I que dans le bâtiment II, ce qui pourrait confirmer le statut social de ses occupants.
41Les pourcentages d’avoine commune, céréale de printemps, paraissent, par comparaison avec ceux disponibles pour les grands domaines carolingiens, notablement élevés : 21 % contre 13 % en Lombardie (avoine et orge confondues) et 8,7 % dans le fisc d’Annapes (Comet 1987). Malgré un rendement médiocre, que l’on s’accorde à situer aux alentours de 4 pour 1, son importance dans la production céréalière de Colletière peut s’expliquer à la fois par le fait qu’elle s’accommode de sols pauvres ou approximativement préparés et par son intérêt dans l’alimentation du bétail, des chevaux surtout.
42Le pourcentage de l’orge (7 %) est bien moindre qu’à Annapes (presque 57 %), mais il se compare à celui de l’abbaye lombarde de Brescia, où avoine et orge réunies comptent pour 13 %. Si une telle différence est effectivement imputable à la spécialisation du premier domaine dans une production fourragère et à celle du second dans les céréales essentiellement destinées aux hommes, la faible proportion d’orge à Colletière s’explique aisément. Dans le cadre d’une première exploitation d’un terroir, il convenait de privilégier une production surtout adaptée à la consommation humaine. Hâtive et s’accommodant de sols argileux, cette céréale de printemps peut couramment rendre 8 pour 1. Bien qu’elle convienne pour la nourriture des porcs et des bovins, elle est aussi panifiable. Et on l’utilise traditionnellement depuis la haute antiquité égyptienne, pour le brassage de la bière. Comme la consommation de vin reste très incertaine dans l’habitat où il n’existe ni douves de tonneaux ni épandage de moût (facilement repérable par la concentration de pépins de raisin) on peut penser à la fabrication de cette boisson fermentée, qui ne nécessite pas la mise en cuve fermée.
43Morphologiquement différents, mais usuellement confondus, millet et panic représentent ensemble 7 % des céréales récoltées. Semés au printemps, sur une sole qui leur est propre, où en culture dérobée après une moisson, ils croissent très rapidement et leur rendement est élevé, surtout pour le millet (jusqu’à 25 pour 1). Leur culture est donc intéressante à plusieurs titres : à la faveur d’étés chauds et secs on peut escompter deux récoltes successives sur une même parcelle et une rentabilité exceptionnelle ; ils se conservent d’autre part fort bien ce qui permet la constitution de réserves, toujours bienvenues. La farine de millet, mêlée à celles du blé ou du seigle, fournit un pain d’une qualité qui restera appréciée jusqu’à l’époque moderne, au nord de l’Italie et clans le sud‑ouest de la France. Le panic quant à lui pourrait avoir été plutôt réservé à la confection de galettes ou de bouillies (Cornet 1987).
44Dans l’ensemble, la représentation proportionnelle des céréales évoque une agriculture « noble « qui privilégie les panifiables et où la part importante prise par le seigle, peu exigeant et rentable, constitue en quelque sorte une garantie d’obtenir, bon an mal an, une récolte suffisante pour satisfaire aux besoins alimentaires.
45Les mauvaises herbes introduites dans l’habitat appartiennent à des espèces d’hiver et d’été, ce qui ne permet pas de différencier avec certitude les céréales semées en automne ou au printemps. Mais certaines plantes messicoles, comme le bleuet, la nielle des blés et le coquelicot, prouvent que les gerbes étaient rapportées sur le site où le grain était battu, vanné et engrangé.
46Déterminer, à l’aide de ces seules données, si la technique de rotation était biennale ou triennale demeure aléatoire. Certes l’association d’adventices d’hiver, d’été et pluriannuelles peut indiquer un assolement triennal dans lequel, sur un même champ, se succèdent une céréale d’hiver, une plantation de printemps et une jachère. Il est couramment admis que si la triennalité ne s’est généralisée qu’assez tard dans le Moyen Age, au xiiie siècle (Fossier 1990), elle est connue dès le ixe (Pitt 1986). A quantité de travail égale, on pouvait, avec ce système de rotation, cultiver davantage de terres donc accroître la productivité de 10 à 15 % (Cornet 1987). Mais, produire deux années sur trois sur des sols naturellement assez pauvres aurait sans doute rapidement nécessité l’apport de fumure. Or la restauration de la fertilité, du moins par épandage de fumier, paraît devoir être écartée pour l’époque puisque les prospections clans les champs anciennement cultivés n’ont, jusqu’à présent, jamais abouti à la découverte de céramique du xie siècle, pourtant omniprésente dans les fumiers de l’habitat. L’épaisseur des jonchées conservées dans l’habitat prouve en outre qu’on ne les utilisait pas. La pratique régulière du fumage semble d’ailleurs n’avoir été que tardivement introduite dans la région car il est exceptionnel de collecter, dans les parcelles labourées, des tessons antérieurs aux xvie‑xviie siècles. Il est vrai qu’une vaine pâture du cheptel domestique sur les jachères ou après la moisson pouvait suffire pour assurer les transferts minimaux de fertilité. Pour ces raisons, un assolement biennal paraît vraisemblable : plus simple et plus assuré il aurait mieux convenu aux difficiles conditions d’un premier défrichement.
47D’autres vestiges de l’alimentation d’origine végétale indiquent enfin l’existence de jardinets, aménagés aux abords immédiats du site, sur les rares replats aux sols à la fois légers, ensoleillés et aisément irrigables : ce sont des légumineuses comme les fèves, les pois et les lentilles. Leur culture, avec celles des céréales dont ils ne forment cependant qu’un complément modeste, souligne l’importance de l’apport glucidique dans la ration alimentaire.
48L’aspect et la composition des sédiments lacustres contemporains des sites littoraux confirment l’impact des défrichements et de la mise en culture des terres environnantes. Alors qu’auparavant le lac accumulait des dépôts clairs essentiellement minéraux, à partir de l’an Mil apparaissent des niveaux beaucoup plus sombres, charges en phosphates. Cette modification, qui reflète l’étendue du déboisement, le lessivage érosif des sols dénudés et le rejet de matière organique d’origine humaine et animale n’est pas un phénomène transitoire. Le lac de Paladru, depuis le xie siècle, n’a jamais retrouvé son mode de sédimentation antérieur et a continué d’enregistrer une exploitation de plus en plus intensive de son bassin versant. La soudaineté et l’irréversibilité de cette rupture pourraient être contradictoirement interprétées. Soit comme la preuve de l’extrême fragilité du milieu lacustre, dont la perturbation ferait écho à une intervention humaine modérée. Soit, au contraire, comme une réponse à une colonisation de grande ampleur. C’est, à notre avis, cette dernière proposition qui doit être retenue. En effet de précédentes occupations, au Néolithique, à l’époque romaine et, dans une moindre mesure, à l’époque carolingienne, étaient restées sans conséquences durables, les équilibres naturels se rétablissant au terme de quelques décennies, grâce aux capacités de l’écosystème à se régénérer. La coupure sédimentaire de l’an Mil est donc bien un accident majeur que peut expliquer l’estimation approximative des surfaces défrichées pour l’agriculture.
49On a évalué précédemment la superficie déboisée pour la construction de Colletière (11 ha au minimum). Cette étendue est tout à fait insuffisante pour assurer la subsistance d’une population comprise entre 60 et 100 personnes. Les chiffres sur lesquels on s’accorde pour déterminer le seuil vivrier, compte tenu de la part prise par les céréales dans l’apport calorique (environ 70 %) et des rendements ordinairement obtenus, situent entre 1 ha (Cornet 1987) et 1,5 ha (Fessier 1990) par personne la surface minimale à emblaver. Même si les ressources fournies par le saltus étaient abondantes, comme le montrent les quantités de châtaignes, de faînes et de noix, il conviendrait donc d’estimer entre 60 et 150 ha la superficie défrichée et cultivée pour nourrir tous les occupants de l’établissement. Cela peut paraître considérable : il n’en est rien. Si l’on ne dispose pas d’informations sur le temps nécessaire à l’abattage d’arbres de haute futaie avec ces outils simples mais efficaces que sont les haches de bûcheronnage, une évaluation du temps requis pour les labours d’une telle étendue existe. D’après les indications de Walter de Henley, au xiiie siècle, une charme pouvait labourer 64 ha en biennal et 72 ha en triennal en 264 jours de travail effectif, soit environ 40 ares par journée (Oschinsky 1971). Ces chiffres sont tout à fait réalistes d’après les expériences qui ont été réalisées aux xixe et xxe siècles, pour autant qu’on se tienne assidûment à l’ouvrage (Hansen 1969). Bien évidemment il faut envisager, dans le cas du terroir de Charavines, la participation simultanée de plusieurs charmes ce qui ramène la surface à traiter et la durée du travail à une proportion raisonnable. Notons toutefois que si l’on a trouvé divers outils aratoires, dont une houe à deux dents, aucun élément de charrue ou d’araire ne nous est encore parvenu même s’il est hors de doute qu’elles aient existé.
50L’enquête pédologique, qui apprécie le potentiel agricole en fonction de la charge en cailloux, de l’acidité, de l’exposition et de la nature de la couche superficielle, montre que les terres situées au sud du lac, de part et d’autre du cours de la Fure, étaient bien adaptées à la céréaliculture. La superficie de cette terrasse dépasse une centaine d’hectares si l’on exclut les bas de pentes sur éboulis, trop caillouteux. Or l’analyse des charbonsde bois contemporains de la première phase d’occupation, dans le foyer du bâtiment I, a démontré que c’était précisément les essences croissant dans la vallée de la Fure qui avaient d’abord été brûlées (chêne et frêne en majorité). Une conclusion s’impose alors : dès leur arrivée, les colons auraient sélectionné deux secteurs de coupe en fonction d’objectifs spécifiques. Le premier, sur les pentes abruptes aboutissant au rivage, pour débiter du bois d’architecture, acheminé par flottage. Le second, sur les sols humiques, à quelques centaines de mètres de la station, et donc plus malcommodes pour en faire provenir‑ le bois d’architecture, pour l’agriculture. Comme la surface essartée sur ces dernières terres était suffisante pour cultiver plus de 100 ha, la plus grande partie des collines n’a vraisemblablement pas été déboisée. L’absence totale de bois résineux dans l’habitat, alors que les conifères descendaient largement en dessous de l’étage submontagnard, tend à confirmer que le défrichement a épargné leur biotope. Dans ces conditions un saltus particulièrement nourricier subsistait pour le pacage des porcs et pour la cueillette, à proximité immédiate du site.
51L’élevage, surtout celui du porc, joue dans l’économie un rôle qui a peut‑être été légèrement surestimé, au moins dans la part qu’il a pris dans l’alimentation. Le nombre minimum de porcs abattus dans les deux bâtiments est du même ordre (194 pour le bâtiment I ; 159 pour le bâtiment II).
52Mais, rapportées à une durée d’occupation comprise entre 30 et 35 ans, ces quantités correspondent à 6 et 5 porcs par an seulement. Le pourcentage des porcs tués entre 6 et 12 mois atteint 51 % dans le bâtiment I et n’excède pas 24,5 % dans le bâtiment II. Une telle différence conduit à envisager soit une gestion sélective du même troupeau en faveur des occupants du bâtiment principal, soit la présence de deux troupeaux distincts. Mais dans un cas comme dans l’autre, ce sont bien les occupants du bâtiment I qui sont favorisés puisqu’ils consomment davantage de viande de jeunes porcs. Que leur statut social ne soit pas étranger à ce traitement préférentiel est confirmé par le fait que les ovins sont deux fois moins nombreux dans le bâtiment I que dans le bâtiment II (49 contre 105). Or on sait bien qu’au Moyen Age c’est la viande de porc qui est la plus appréciée. Rappelons d’autre part que les restes de gibier de grande chasse (cerf, chevreuil et peut‑être sanglier) sont présents exclusivement dans la résidence aristocratique.
53La fonction alimentaire des bovins semble assez marginale, surtout en ramenant le nombre minimum d’animaux à la durée de l’occupation (31 têtes au total, soit environ une demi‑carcasse par an pour chaque maison). Ils ne fournissent pas beaucoup de viande au regard de leur poids sur pied. Leur chair, plus maigre que celle du porc, est aussi plus difficile à conserver par les procédés classiques de salaison. Les bovins paraissent davantage élevés pour les laitages et la traction que pour la boucherie.
54La part des volailles dans l’alimentation est plus modeste encore. Cinq sujets seulement sont comptabilisés dans le bâtiment I et vingt dans le bâtiment II. Mais il est possible que leur consommation ait été plus courante que ne le suggère le décompte du nombre minimum d’individus car leurs ossements, petits et fragiles, ont dû être dévorés par les porcs et les chiens.
55Contribuant pour l’essentiel à la part camée de la ration alimentaire, le porc constitue le meilleur exemple pour une évaluation de la quantité de viande réellement consommée. En supposant constant le nombre de bêtes abattues chaque année au début de l’hiver, la dizaine de‑porcs (chiffre minimum) tués dans les deux bâtiments fouillés ne devait pas fournir plus de 500 kg de produits consommables, compte tenu de la petite taille des sujets. Une simple opération arithmétique, dans laquelle on considère que chaque bâtiment abrite un même nombre d’occupants (une vingtaine, tous âges confondus), indique que le poids de viande disponible pour chaque jour de l’année et par individu était très réduit : une trentaine de grammes. N’oublions pas au surplus que la sous‑représentation du squelette des arrière‑trains qui évoque une « exportation » des parties les plus charnues implique que la totalité de l’animal ne bénéficiait pas aux habitants. Dans ces conditions ni cette viande, ni celles des autres espèces domestiques ne pouvaient suffire pour assurer une part réellement significative de la ration quotidienne.
56Il convient donc d’envisager un régime alimentaire très variable selon les saisons, dans lequel la viande n’intervenait qu’épisodiquement en quantité appréciable, et de rechercher ailleurs un éventuel complément en protéines animales. Incontestablement la pêche a dû jouer un rôle plus déterminant que ne le suggèrent les restes de poissons. La disproportion frappante entre le nombre de flotteurs de filet et la relative rareté des écailles et des ossements permet de penser que les poissons sont largement sous‑représentés dans les sédiments, sans doute parce que leur squelette est d’une extrême fragilité et qu’il est facilement ingéré par les animaux commensaux. La saisonnalité très nette des captures (printemps et automne) n’est sans doute pas due au hasard. Ce sont les périodes où le poisson se pêche le plus facilement : au printemps, le frai rassemble les géniteurs dans les roselières, sous peu d’eau, et à l’automne les carnassiers en particulier constituent leurs réserves avant les froids qui déterminent le ralentissement de leur activité. Mais ce sont aussi des périodes où l’élevage ne fournit plus une ressource suffisante : au printemps, les conserves de viande sont consommées et le cheptel, au sortir de l’hiver, se reconstitue (retour au pâturage, mise bas) ; à l’automne les ressources alimentaires sont surtout glucidiques. On voit ici combien l’alimentation dans les campagnes médiévales, lorsque la pression démographique n’est pas trop grande, ce qui est le cas durant la période qui suit un défrichement, conjugue de manière optimale agriculture et élevage avec exploitation des ressources de la nature. Celle‑ci pouvait d’ailleurs aussi fournir des excédents commercialisables : des anomalies dans les proportions des écailles étudiées trahissent l’exportation de cyprinidés.
Une société opulente
57Cette première interprétation des chiffres globaux, si elle ne remet pas en cause la notion d’« abondance », évoquée par l’ensemble des découvertes archéologiques, la relativise quelque peu en ce qui concerne la viande et confirme ce que l’on connaît par ailleurs de la prépondérance des céréales dans la ration alimentaire au Moyen Age. C’est pourquoi nous proposons de retenir, comme très vraisemblable, la valeur de 70 % que G. Cornet attribue à celles‑ci pour l’apport calorique à l’époque carolingienne (Comet 1987). Il n’en reste pas moins que la malnutrition, sauf passagère, doit être formellement exclue. Le bon état sanitaire des troupeaux le prouve par la rareté des pathologies osseuses, la gestion rationnelle du cheptel et la commercialisation de certains quartiers de choix aussi. Lorsque les animaux bénéficient de bonnes conditions générales d’élevage, c’est que la nourriture ne fait pas défaut aux hommes.
58L’abondance du mobilier retrouvé à Colletière, inhabituelle pour cette époque (même en considérant la singularité des conditions de conservation), conduit à s’interroger sur la nature de l’habitat et sur l’appartenance sociale de ses occupants.
59Car l’abondance est générale, quelle que soit la catégorie d’objets et de vestiges. Le matériel métallique surtout, dont on affirme encore fréquemment qu’il était alors rare donc coûteux, est omniprésent. De nombreux objets de grande taille, neufs ou encore parfaitement fonctionnels, ont été perdus ou jetés.
60C’est particulièrement le cas des couteaux et de certains outils de l’agriculture (faucilles, émondoirs) et de charpenterie (haches). Le matériel usagé, comme les fers et clous de fers à cheval, est abandonné et s’accumule sur des espaces réduits ou il n’est pas récupéré. En revanche l’outillage spécifique de certains artisanats a été traité avec davantage de soin car il ne s’égare pas. Celui du forgeron, par exemple, fait jusqu’à présent totalement défaut, y compris dans les zones d’activités métallurgiques riches en scories, battitudes et produits semi‑finis mais qui n’ont livré ni marteau, ni pince, ni lime. Logiquement, les armes ont aussi fait l’objet d’une attention particulière puisqu’on n’a découvert aucune des pièces les plus prestigieuses de l’équipement militaire : épées, casques et boucliers.
61Mais les éperons, qui deviendront les accessoires rituels de la chevalerie, sont ici couramment perdus, même lorsqu’il s’agit d’une paire, dépareillée certes, mais en bon état.
62Les nombreuses monnaies d’argent sont le signe tangible d’une renaissance de l’économie monétaire dans le premier tiers du xie siècle. De précédentes recherches régionales avaient pourtant indiqué qu’il ne fallait pas envisager la réapparition des monnaies en nombre avant le xiie siècle, lorsque se développent le paiement des redevances en numéraire et le commerce d’argent (Falque‑Vert s.d.). Or, la dispersion de ces monnaies, deniers ou oboles indique un usage fréquent dans l’habitat tout entier et, plus particulièrement peut‑être, dans le bâtiment II et les zones artisanales. Cela signifie‑t‑il que Colletière est aussi un centre d’activités commerciales ? Et dans ce cas quelles pourraient être les denrées produites en excédent et celles qui doivent être acquises à l’extérieur ? La question se pose d’autant plus que l’autarcie, que laissait naguère encore entrevoir l’apparente polyvalence des fonctions, n’est pas totale, loin s’en faut.
63Une part importante de ce que nous appellerions aujourd’hui les biens d’équipement n’est pas produite sur place. C’est une certitude absolue pour la céramique qui provenait d’ateliers régionaux du Bas Dauphiné, que l’on ne peut encore situer précisément. C’est hautement probable pour la vaisselle de service en bois tourné, qui paraît également fabriquée ailleurs. Et, pour les matières premières dont la transformation fonde en partie l’économie du site, si le minerai de fer n’était pas extrait du lit des proches cours d’eau, il fallait l’importer de loin tout comme l’étain, puisqu’il n’existe pas de gisement de cassitérite dans la région.
64En revanche l’autosuffisance est certainement complète sur le plan alimentaire grâce à une céréaliculture diversifiée, à un élevage méthodique et aux ressources offertes par la pêche. Et l’on a déjà évoqué la probable vente de viande de porc. Mais c’est surtout dans la pratique de deux artisanats que l’habitat pourrait s’être spécialisé : la métallurgie et la mégisserie‑bourrellerie. L’existence d’un ou plusieurs ateliers de forge, produisant surtout des couteaux, n’est aujourd’hui plus contestable. Et le nombre considérable des chutes de cuir ne peut correspondre qu’à une découpe systématique effectuée sur les peaux, tannées et traitées, des animaux d’élevage (les cuirs déterminés proviennent du bœuf, du mouton et de la chèvre) pour la confection de chaussures, ceintures, harnais et quartiers de selle.
65Paradoxalement on doit peut‑être écarter le textile des produits commercialisés car rien, actuellement, n’indique une fabrication en grande quantité, bien qu’on soit sûr de l’existence sur place d’un artisanat complet, de la production de la laine, du chanvre et du lin jusqu’au tissage proprement dit. Les seuls outils vraiment courants sont les fuseaux mais les quenouilles identifiables sont rarissimes (toutes n’étaient pas ornées, donc reconnaissables), les éléments de métier à tisser ne sont pas interprétés avec certitude, deux lissoirs de verre seulement ont été dénombrés, et les fragments de tissu eux‑mêmes restent tout à fait exceptionnels. Et, sauf une petite longueur de cordelette tressée (une corde d’arc ?), on n’a jamais retrouvé de fil embobiné. Il est vrai cependant que l’absence du produit fini peut être trompeuse. Se pourrait‑il que les conditions physico‑chimiques du gisement aient été défavorables à la conservation des fibres animales et végétales ? Pourquoi par exemple ne découvre‑ton jamais de filets de pêche, traditionnellement en chanvre, alors que les flotteurs sont si nombreux ? La préservation des deux lambeaux d’étoffe tissée (en laine et en lin) n’est‑elle pas due au fait que, à l’intérieur de chaussures de cuir, ils étaient protégés des attaques acides du fumier ? La cordelette elle‑même paraît avoir été enduite de poix, ce qui a dû modifier son évolution après enfouissement. On le constate, s’il n’est pas exclu que la production et le tissage des textiles aient été pratiqués à une échelle dépassant les simples besoins quotidiens, il est plus probable qu’il se soit agi d’une simple production locale à usage domestique.
66Les habitants de Colletière exercent donc des activités variées, culture et élevage, artisanats divers, certaines répondant simplement à leurs besoins, d’autres permettant de nouer des relations commerciales ou d’échange soit avec les deux autres habitats littoraux, soit avec des partenaires extérieurs du terroir, les deux possibilités ne s’excluant pas mutuellement. La dépendance qui semble exister par rapport à certains produits suggère plutôt des relations triangulaires. Les objets de tournerie, qui nécessitent de disposer d’essences particulières (érable et frêne essentiellement) croissant aux alentours, pouvaient fort bien être manufacturés aux Grands Roseaux ou à Ars. En revanche, les poteries et des fruits de l’arboriculture méditerranéenne comme les amandes ne relèvent pas d’une complémentarité locale.
Un précurseur du castrum pour une société en pleine mutation
67Qui peut occuper une agglomération de trois bâtiments, sans église ni cimetière, protégée par une forte palissade, monter à cheval, posséder des armes, jouer aux échecs à l’occasion ou faire de la musique avec des instruments parfois élaborés ? Deux réponses sont possibles, en tenant compte de l’époque et des schémas d’organisation socio‑économique généralement acceptés : de riches propriétaires d’un domaine rural, entourés de leur famille et de leur domesticité ou des chevaliers, seigneurs fonciers. Dans le premier cas Colletière serait une villa au sens traditionnel du terme, ou plutôt une curtis‑, dans le second, un castrum.
68Or les différences avec les mottes castrales, résidences seigneuriales qui se développent autour de l’an Mil en Dauphiné comme ailleurs, sont considérables. Sur le plan morphologique d’abord mais également en ce qui concerne l’opulence. Aucune des mottes castrales régionales, même les plus importantes par leurs dimensions, n’a jamais livré une telle collection d’objets. Cela est vrai aussi bien pour la motte du Châtelard de Chirens distante de quelques centaines de mètres, que pour les fortifications de terre de la vallée du Rhône (Décines par exemple) ou de Provence (Fixot 1975). Seules comparaisons possibles, la motte de Boule‑Billon, qui pourrait être la souche de la puissante baronnie médiévale de Bressieux, ou, dans d’autres régions, certaines résidences comtales : ainsi Sugny dans les Ardennes belges, appartenant aux comtes impériaux d’Ardennes‑Verdun (Matthys 1992), Andone en Charente, qui n’est pas véritablement une motte mais un castrum ancien réoccupé, abandonné en 1028, et qui appartient au comte d’Angoulême (Debord 1983).
69Les études les plus récentes sur la typologie de la céramique viennent de montrer un léger décalage chronologique entre Colletière et Le Châtelard, la motte‑enceinte étant un peu plus tardive. Puisque la datation absolue de notre habitat littoral est maintenant bien connue (1003‑1040 au plus tard) on peut proposer pour Le Châtelard une date d’apparition entre 1030 et 1050. Il faudra vérifier si le même décalage chronologique sépare les habitats littoraux des autres mottes castrales des environs.
70Dans ces conditions se pourrait‑il que les établissements littoraux, synchrones et de même type, soient des intermédiaires entre la curtis du domaine carolingien et le véritable castrum ? Ch. Mazard, dans un article récent, évoque pour les habitats littoraux du lac de Paladru l’hypothèse de hameaux pré‑villageois, à la tête d’un petit territoire sans être véritablement des chefs‑lieux de domaines (Mazard 1990). Difficile de trancher à l’aide des seuls documents archéologiques ! Mais la polyvalence des fonctions, pour un nombre de personnes que la restitution volumétrique des bâtiments de Colletière et le décompte des objets de caractère personnel (cuillères et peignes par exemple) permet d’estimer entre 60 et 100, renforce l’hypothèse d’un centre domanial. On ne peut évidemment exclure, bien que l’on n’ait pu en découvrir aucune trace, que des paysans installés dans des tenures aient pu contribuer par leurs prestations en travail à la mise en valeur de la part réservée du domaine, et parleurs redevances à son approvisionnement. Et le bâtiment I, par sa cheminée et une fonction résidentielle constante pendant toute l’occupation, serait alors la demeure du propriétaire. Les conditions de vie de la famille dominante ne différeraient que marginalement de celles de leur entourage. En dehors d’un régime alimentaire légèrement amélioré, ses membres ne s’en distingueraient que par les attributs de leur condition ; armes plus prestigieuses, matériel de cavalerie plus richement décoré, objets de parures mieux ouvrés et maîtrise du jeu d’échecs. Pour le reste et au quotidien on peut penser qu’ils exerçaient les mêmes activités que leurs compagnons. Dans le texte du Concile de Paix tenu en 1016 à Verdun‑sur‑le‑Doubs (Saône‑et‑Loire) n’est‑il pas question, parmi les interdictions que les participants s’engagent à ne pas enfreindre, de ne pas attaquer le chevalier lorsqu’il est en train dé labourer « cahallarium ad carru‑cam non assaliam» (Chifflet 1656) ? Le second concile d’Anse, en 1025, ne fait‑il pas référence à un villanus‑caballarius ? En Catalogne, ne trouve‑t‑on pas au début du xie siècle de simples paysans, alleutiers ou tenanciers, propriétaires de chevaux et portant les armes (Bonnassié 1990 : 146‑147) ? Cette polyvalence n’est choquante que si l’on prend pour référence le Moyen Age classique. Autour de l’an Mil, les séparations sociales sont beaucoup plus imprécises qu’on le croit souvent. La force et la richesse opèrent, dans un contexte de faiblesse des pouvoirs officiels et de déplacements des populations dus à la croissance démographique, dans un contexte aussi de disparition des critères juridiques anciens – disparition de l’esclavage stricto sensu, par exemple, en Dauphiné au cours du xie siècle, d’après H. Falque‑Vert qui établit la disparition des ternies de mancipium à partir de 1011 et de servus en 1117 ‑ un reclassement de la société. Mais ce phénomène, spontané, est lent. A Charavines, il s’agit certainement d’un stade intermédiaire.
71L’examen des sites de comparaison permet de constater que Colletière demeure, jusqu’à présent, sans véritable équivalent en France. Certes il s’apparente aux sites castraux des xe et xie siècles par la présence d’une fortification, d’une aula et du mobilier le plus représentatif d’un mode de vie aristocratique. Mais il ressemble aussi, par l’exercice d’activités agro‑pastorales et artisanales, aux centres de production carolingiens et post‑carolingiens tels qu’on les connaît par des fouilles extensives récentes : Vieux (Calvados), du viiie au xe siècle (Couanon 1990), Villiers‑le‑Sec et Baillet‑en‑France, respectivement occupés jusqu’aux xe et xie siècles, ou encore La Grande Paroisse (xe siècle) où étaient pratiqués une métallurgie et un artisanat textile actifs (Cuisenier, Guadagnin 1988). Il faudrait en fait le comparer à des établissements qui ne soient ni de véritables villages, ni des villae, ni des mottes castrales. Or ceux‑ci ne sont pas légion. L’aula de Doué‑la‑Fontaine (Maine‑et‑Loire), puissant et vaste édifice résidentiel en pierre, daté du xe siècle, est évidemment très différente (De Boüard 1973‑74). D’autre part les informations livrées par la fouille du Plessis‑Grimoult (Calvados) ne permettent pas d’interpréter avec certitude le bâtiment, peut‑être palissadé, qui s’élevait avant l’édification de l’enceinte du xie siècle. Tout au plus sait‑on, grâce à la découverte d’un éperon, qu’il ne s’agissait pas d’une maison paysanne (Zadora‑Rio 1987).
72Parmi les sites qui s’apparentent le plus à Colletière et aux deux autres habitats littoraux du lac de Paladru on mentionnera celui du Verger à Saint‑Romain (Côte‑d’Or) où des édifices de pierre pré‑castraux appuyés sur une falaise abritent un modeste lignage chevaleresque naissant. Le type du mobilier en particulier métallique, son abondance, en même temps que la rusticité du site et sa chronologie (fin xe‑début xie siècle), tout concorde (Grappin 1990) ; mais il faudra attendre la fin des fouilles de Saint‑Romain pour savoir si une polyvalence de fonctions agricoles comme artisanales y est également la règle. L’habitat de Mirville (Calvados), résidence d’une famille de chevaliers attestée dès 1079, et titulaire du fief, présente également quelque parenté avec Colletière, du moins dans ses phases III et VI, antérieures à la motte : on y retrouve une forte palissade à poteaux de bois, une courtine, une tour, des bâtiments utilitaires et résidentiels (Le Maho 1984).
73Bien que plus tardif (xiie siècle), le premier état de la résidence seigneuriale d’Oude Huys à Helmond (Pays‑Bas) présente aussi de réelles ressemblances formelles avec Colletière. De récentes fouilles en milieu tourbeux ont notamment dégagé trois bâtiments de bois, rigoureusement alignés dans l’angle d’une puissante palissade défensive. Le plus vaste, au centre, mesure environ 10 x 7,50 m. Il est flanqué, au sud, d’un bâtiment très allongé et, autre ressemblance avec Charavines, d’un second qui, au nord, s’accole à l’enceinte (Strong 1990).
74Mais les sites de référence les plus comparables sont tous au cœur même de l’empire ottonien : Holzlieim (Hesse), Gommcrstedt (Thuringe), Husterknupp et Haus Meer (Rhénanie). A Holzhieim, à partir de 1017, une enceinte palissadée de forme quadrangulaire (60 x 30 m), précédée d’un fossé, abrite un bâtiment entouré d’annexes agricoles et artisanales. L’habitation principale (12 x 5 m) en bois, est interprétée comme celle du propriétaire. A la fin du xie siècle le site sera modifié et accueillera une tour de pierre environnée de dépendances tandis que les habitats serviles se regrouperont à quelque distance, à proximité d’une église et d’un cimetière paroissial (Weidemann 1990).
75A Gommerstedt, au début du xie siècle, un grand bâtiment occupé par un petit seigneur est construit sur une hauteur ceinturée par un fossé circulaire, à l’emplacement d’une maison carolingienne. A une centaine de mètres en contrebas, une série de bâtiments secondaires s’élèvent près d’une église de la seconde moitié du siècle (Weidemann 1990).
76Remplissant une fonction intermédiaire entre la villa et le castrum, Colletière ne présente en définitive de similitudes complètes qu’avec le Husterknupp et Haus Meer (Rhénanie). Le premier établissement, installé dans une boucle de rivière, a successivement revêtu trois aspects très différents en quelques décennies. Lors d’une première phase (fin ixe‑milieu xe siècle) une île, enclose par une palissade défensive, abrite cinq bâtiments de bois dont l’un, plus vaste et mieux construit, est considéré comme la résidence du maître des lieux. Peu après (seconde moitié du xe siècle) l’habitat se divise : deux bâtiments prééminents sont édifiés sur une plate‑forme artificielle, qui forme une sorte de « motte primitive » tandis que les maisons paysannes sont regroupées sur un autre îlot, non remblayé. Puis, au xie siècle, une véritable motte castrale se substitue à l’habitat seigneurial de la phase précédente (Hermbrodt 1958 ; Janssen 1980). Colletière, dont la durée de vie a été beaucoup plus brève, n’a pas connu une semblable évolution puisque après son abandon, c’est à quelque distance que l’on a construit le castrum ; mais n’est‑ce pas dû à l’immersion du site, en quelque sorte accidentelle ? Cependant l’analogie qu’il présente avec le Husterknupp de la première période est évidente, du moins sur le plan de l’organisation sociale qui semble en régir le fonctionnement. Car il est exact que le mobilier est beaucoup plus pauvre sur le site rhénan au cours de la phase I. Cependant la présence d’éperons et de boucles de harnais suffit à démontrer le statut aristocratique de certains occupants.
77Fondé dans des circonstances historiques marquées par l’affaiblissement du pouvoir impérial et l’insécurité consécutive aux incursions vikings, le Husterknupp pourrait bien constituer un des tout premiers et encore rares témoignages d’une évolution qui aurait conduit d’une forme d’habitat de type « centre domanial », où la demeure du propriétaire foncier voisine avec celle de ses gens, au château sur motte, où la résidence seigneuriale s’élève sur une butte fortifiée, à l’écart des maisons paysannes.
78A Haus Meer au début du xie siècle (période A), dans une boucle décrite par l’ancien cours du Rhin, une enceinte de chêne précédée par un rempart de pierre abrite six maisons de bois alignées en deux rangées parallèles. Deux d’entre elles ont manifestement été occupées par des personnages d’un rang social élevé. Parmi le mobilier se trouvent en effet des fragments de cotte de maille, des fers de lance à ailerons (du type de celui des Grands Roseaux à Paladru) et des pièces de jeu d’échecs en bois. Les autres bâtiments paraissent avoir été réservés au logement des paysans et des artisans qui travaillaient le bois, le fer et le cuir.
79Selon les estimations, le site aurait compté entre 30 et 50 occupants, à raison de 5 à 8 personnes par maison (de dimensions plus réduites qu’à Charavines puisque la plus grande mesure 7 x 7,60 m et la plus petite 5,6 x 4 m). Au nord‑ouest de la station une petite baie abritée des courants a livré une foëne, de nombreux flotteurs de filets, des hameçons et plusieurs embarcations. Comme à Colletière, l’organisation rigoureuse de l’habitat dès son installation indique un plan préconçu mis en œuvre dans le cadre d’une colonisation de terroir. Dans le courant du xie siècle une motte castrale sera construite au même emplacement (période B) par la famille comtale de Meer et sera occupée par ses mistraux jusqu’au xiie siècle (Janssen, Knörzer 1971 ; Janssen 1992).
80Le fait que les sites les plus comparables à Colletière appartiennent au domaine germanique n’est probablement pas dû au seul hasard des découvertes et des fouilles. Ce pourrait être le modèle même de l’habitat qui en serait originaire, comme d’ailleurs la plus large part de la civilisation matérielle. Comment expliquer autrement que la quasi‑totalité du mobilier, en bois ou en métal, ne rencontre d’équivalent typologique qu’en Europe du Nord et de l’Est (Grande‑Bretagne, Allemagne, Scandinavie) quand ce n’est pas dans le monde slave (Pologne et Russie) ? Cette parenté culturelle, dont la manifestation la plus évidente est l’usage constant du bois, tant pour l’architecture que pour la confection du mobilier, ne doit probablement rien aux Ottoniens dont l’influence politique et économique ne s’est guère exercée que sur les duchés de l’Empire sans atteindre le royaume bourguignon des Rodolphiens. Antérieure à l’an Mil, elle remonte sans doute aux Carolingiens. Mais, comme on l’avait déjà pressenti pour la céramique, elle se renforce et se généralise au tournant de l’an Mil.
L’abandon : une montée des eaux ?
81Les sites littoraux, fondés simultanément, ont également été abandonnés en même temps. Les prélèvements dendrochronologiques effectués aux Grands Roseaux et au Pré d’Ars n’ont, jusqu’à présent, indiqué aucune date d’abattage postérieure à 1018. Mais l’échantillonnage est insuffisant pour acquérir une véritable valeur statistique et il devra être poursuivi sur les bois encore pourvus de leur aubier. A Colletière toutes les méthodes de datation confirment la brièveté de l’occupation. Les monnaies les plus anciennes sont datées de 993 et les plus récentes, moins usées parce qu’elles ont peu circulé, ne sont pas postérieures à 1038. Le radiocarbone, dont la marge d’incertitude est réduite par la multiplicité des analyses, indique la période 994‑1021, avec un taux de corrélation de 68 %. La dendrochronologie enfin révèle que l’abattage des arbres commencé en 1003 ne s’est pas poursuivi au‑delà de 1034, année au cours de laquelle le dernier tronc mis en œuvre dans les bâtiments a été coupé (fig. 276), Or on sait bien qu’une architecture de bois, surtout en milieu humide, exige de fréquentes réfections et le remplacement ou le doublage de pieux porteurs. On pourrait donc considérer qu’à peu de choses près la date du bois le plus tardif est également celle de l’abandon. Les études sédimentologiques ont clairement mis en évidence la submersion des plages jusqu’alors occupées, puisque les fumiers d’habitat sont recouverts par d’épaisses couches de craie lacustre. Toute la question est de savoir si cette transgression a déterminé l’abandon ou si elle lui a simplement succédé. Plusieurs arguments étayent plutôt l’hypothèse d’un retrait provoqué par la remontée des eaux.

FIG. 276 – Résultats des différentes méthodes de datation pour Colletière. De haut en bas : typologie, monnaies, radiocarbone, dendrochronologie.
82L’excellente conservation des matières organiques et celle des objets contemporains de l’abandon, qui n’ont donc pas été enfouis dans le fumier où leurs prédécesseurs bénéficiaient d’une hygrométrie très forte, ne s’explique que par un rapide recouvrement du site. Au cours des quinze dernières années de l’occupation le bâtiment II est modifié. La réorganisation des pièces habitées semble accompagnée d’une restructuration partielle des charpentes. Un puissant alignement de pieux équarris est implanté à l’est du bâtiment comme si ce dernier s’étendait vers la partie la plus élevée de la station. Parallèlement l’épandage de nappes d’argile et de galets en bordure du rivage marque l’interruption des dépôts de fumier et le développement des activités métallurgiques (bas fourneaux). Enfin plusieurs pieux de la palissade sont doublés, au même endroit, dans les années 1020, sans doute pour conforter la berge qui pourrait avoir eu tendance à l’instabilité.
83Lier le déplacement des activités domestiques à l’intérieur du bâtiment II et le changement de fonction de ses abords les plus proches de la rive aux premières manifestations d’une remontée du niveau du lac n’est pas sans fondement. En effet l’allure de la partie terminale de la courbe lissée de l’oxygène 18 (qui s’interrompt en 1022, date de l’abattage de l’arbre échantillon) traduit un retour à des conditions sensiblement plus humides qu’auparavant. Or la sédimentologie et les observations réalisées en fouille s’accordent pour situer la cote moyenne du lac à un niveau tel que les zones les plus basses de l’habitat devaient être régulièrement immergées en temps normal. Dans ces conditions, un accroissement significatif de la pluviosité (saisonnier ou annuel) suffisait pour provoquer l’ennoiement de toute la frange littorale et notamment celui d’une partie du bâtiment II. On ne sait évidemment pas avec certitude si cet événement a été purement accidentel (le lac revenant rapidement à son niveau antérieur) ou s’il a marqué le début d’une tendance à plus long terme (la bathymétrie s’élevant toujours davantage).
84Pour trancher il faudrait disposer d’une courbe isotopique qui se prolonge largement au‑delà de l’année 1022 et, au surplus, établir formellement la relation univoque entre le rapport oxygène 16/oxygène 18 et la pluviométrie. Ce n’est pas encore le cas. Aussi préférons‑nous attendre les résultats du dosage du carbone 13 sur les cernes de croissance du même échantillon, ou mieux, sur ceux de l’arbre le plus tardivement coupé (en 1034), puisque la relation directe entre les précipitations et cet isotope est, d’après les spécialistes, mieux assurée.
85En l’état actuel des recherches, s’il existe de bonnes raisons de penser que l’abandon de Colletière, des Grands Roseaux et du Pré d’Ars est dû à une transgression, on peut seulement supputer que celle‑ci résulte d’une péjoration des conditions météorologiques dont les premiers symptômes apparaîtraient au début des années 1020 et qui culminerait vers 1035, date à laquelle les stations littorales sont désertées. A ce propos il convient d’évoquer, bien qu’il ne s’agisse peut‑être que d’un événement anecdotique (mais comment en être sûr ?), le passage des Histoires rédigées par le clunisien Raoul le Glabre selon lequel, en 1033‑1034, un « fléau de pénitence» sévit dans toute l’Europe et en Bourgogne : « des pluies continuelles avaient imbibé la terre entière au point que pendant trois ans on ne put ouvrir de sillons capables de recevoir la semence» (Duby 1980). Il est également possible que le facteur purement climatique ait coïncidé avec les conséquences du défrichement sur le bilan hydrique du lac. En effet, même dans le cas où la déforestation n’aurait que modérément touché le bassin versant, ce que nous avons tenté de démontrer précédemment, il est clair que l’abattage de plusieurs milliers de grands arbres, sur un substrat pentu et sensible à l’érosion, a entraîné par ruissellement de grandes quantités de sédiments vers le lac. Ce point n’est pas contestable puisque l’aspect et la nature des varves lacustres changent radicalement à partir de l’an Mil. Dans cette perspective on pourrait imputer en partie à l’engorgement du déversoir par les apports terrigènes le relèvement progressif de la bathymétrie. Mais quelles qu’aient été les causes de la transgression (pluies accrues, interruption de l’écoulement à la sortie ou conjonction des deux phénomènes), elle n’est pas survenue brutalement. La récupération par les habitants de la plus grande partie du mobilier de grande taille non recouvert par les sols de jonchées ainsi que le démontage systématique des charpentes (poutres des toitures, planches de la palissade etc.) le laissent entrevoir. Le repli sur des zones non inondables s’est effectué en bon ordre et dans des délais qui excluent le scénario « catastrophiste ». Ont été laissés sur place les madriers de la semelle de stabilisation, enfouis dans le substrat ou recouverts par l’accumulation des fumiers d’habitat, et les pieux foncés dans la craie jusqu’à 3 ou 4 m de profondeur, que l’on ne peut extraire sans des moyens modernes de levage.
86Cet événement, qui a dû vivement impressionner les riverains de l’époque en les contraignant à déménager et à se réinstaller sur des sites mieux protégés des caprices de la nature, pourrait fort bien être à l’origine des légendes locales qui font référence à l’engloutissement de la « ville d’Ars ». Qu’il ait été réutilisé, à partir du xiie siècle, par les moines cartusiens de la Silve Bénite, qui en ont fait, dans une perspective morale et religieuse, la manifestation d’un châtiment divin sanctionnant l’inconduite de ses habitants, est bien le signe que le souvenir de cette submersion restait encore vif dans la mémoire collective.
La colonisation du lac de Paladru, jalon dans l’évolution économique, sociale et politique du Moyen Age régional
87Les rives du lac, au milieu d’un haut massif forestier presque désert, furent colonisées en 1004. Nous considérons comme établi qu’elles furent abandonnées dans les années 1030. C’est à ce moment que s’élèvent plusieurs fortifications de terre qui semblent prendre la suite des habitats littoraux désertés même si un chevauchement chronologique partiel est très possible. Cette phase ne dure guère plus longtemps que la précédente : entre 1070 et 1100, la plupart des fortifications de terre sont à leur tour délaissées, sauf quelques‑unes qui, plus tard, recevront des châteaux de pierre. Et en tout cas, dès le partage de 1107 (cf. infra), ces derniers sont attestés comme chefs‑lieux de châtellenies (Letonnelier 1924‑25). C’est à partir de ce moment, et en fonction des pôles solides et relativement pérennes que constituent les châteaux, les églises avec leurs cimetières, et les fondations monastiques, que se structurent et se fixent pour longtemps –quasiment jusqu’à la Révolution– peuplement, habitat et terroir.
88Il est toujours hasardeux de tenter des interprétations sur les origines et les modalités d’un déplacement de population à partir des seuls documents archéologiques, où s’opposent données positives fiables et données négatives incertaines, ici il est vrai confortées par des résultats paléoécologiques convaincants ; plus aventuré encore de passer, dans une problématique historique suivie, d’une argumentation à base archéologique, mais sans texte, à une autre fondée sur de rares textes, et pratiquement sans archéologie. On ne peut cependant faire l’économie de questions aussi fondamentales que celles de l’origine de ce mouvement, des hommes qui l’ont incarné, de ses causes, des conditions socio‑économiques dans lesquelles il se produisit.
89Premier ensemble de questions : celles qui tournent autour de la phase initiale du peuplement, en 1004. Certes la cause économique –le surpeuplement relatif des anciens terroirs, dans une période d’expansion démographique où l’insuffisance des techniques agricoles ne permet pas d’intensifier les cultures– est la plus évidente pour ce peuplement. C’est d’ailleurs certainement celle qui prévaut dans le vaste mouvement de conquête des terroirs de la moyenne montagne alpine au xie siècle (Vercors, Chartreuse, Trièves, etc.) (Ménard 1983). Mais, est‑ce suffisant ? Son caractère subit, simultané et relativement massif fait exclure qu’il s’agisse d’une simple extension spontanée à partir d’anciens terroirs des vallées voisines de la Bourbre et de l’Ainan, en une période de croissance démographique. Un simple déplacement de proximité, restreint, aurait pu expliquer la création d’une communauté villageoise autour de la motte de Virieu, en marge de l’ancien terroir centré sur le domaine carolingien de Chélieu. Mais l’origine des colons du lac de Paladru doit être recherchée, à notre avis, dans un plus large rayon.
90Un phénomène de colonisation agraire de grande ampleur est rarement spontané – s’il l’était, la condition sociale des immigrants ne serait‑elle d’ailleurs pas différente de celle que nous autorisent à restituer les découvertes archéologiques ? Il est plutôt, au Moyen Age, commandité par un puissant personnage, ecclésiastique ou laïc, et a pour origine une volonté politique, ou une prétention territoriale en même temps qu’une fonction économique. Ce modèle, qui pourrait parfaitement s’appliquer aux enviions du lac de Paladru, des textes nous indiquent pour la région au sens large qu’il ne fut pas inconnu. Ainsi l’allusion de l’évêque saint Hugues à propos de son prédécesseur Isarn, qui, face au dépeuplement de son diocèse, aurait fait venir des habitants et les aurait installé sur ses terres (« Collegit nobiles, médiocres et pauperes, ex longinquis terris, de quibus hominibus consolala essel GraiïanopoUtana terni ; deditque predictus episcopus illis hominibus castra ad habitandum et terras ad laborandum ») (Marion 1869 : 93, no 16).
91L’éventualité d’une intervention de ce type autour du lac de Paladru n’est certes démontrée par aucun texte. Elle est pourtant cruciale, dans la mesure où il s’agit ici d’une région de contact, donc de frontière, entre les évêchés de Vienne et de Grenoble. On peut concevoir que le souci d’un de ces prélats fut d’occuper militairement et économiquement une région disputée et auparavant relativement peu peuplée. A la fin du xie siècle, l’incertitude des limites des diocèses, les efforts de l’évêque de Grenoble pour reconstituer ou accroître son temporel débouchèrent sur un conflit dont le Sermorens fut l’objet durant trente ans. Sa conclusion est duc à l’arbitrage du pape Pascal II qui réalisa, en 1107, le partage de la région disputée. Mais une initiative laïque ne peut être écartée. Celle d’un comte » de Sermorens ? On a vu plus haut la précarité de l’hypothèse de la réalité de ce pouvoir comtal, dont toute mention disparaît d’ailleurs progressivement à cette époque, signe de la déchéance des structures carolingiennes. Mais il ne faut pas oublier que le Sermorens et la partie occidentale du massif cartusien sont, très tôt, au centre d’ambitions territoriales concurrentes des comtes de Maurienne et des seigneurs de Vion. C’est entre 1025 et 1034 que les historiens placent l’inféodation du Viennois par l’archevêque Brochard, en faveur de Guignes, seigneur de Vion et d’Humbert aux Blanches Mains (Bligny 1973). Les Vion prennent à ce moment le titre de comtes d’Albon. Cette tradition, qu’aucun texte explicite ne vient préciser, n’est pas improbable : en tout cas, dès les années 1030, les Vion et les Humbertiens tiennent les noyaux des territoires qui deviendront le Dauphiné et la Savoie. Si l’on admet que l’archevêque de Vienne a inféodé le Viennois (et il était de son intérêt d’affirmer sa suzeraineté sur une fraction non négligeable de son diocèse), il a dû n’entériner qu’une situation de fait. Ces deux familles devaient en effet être déjà possessionnées dans le Viennois. Cette hypothèse semble d’ailleurs renforcée par certains textes. Ainsi lors du concile d’Anse, en 1025, l’archevêque de Vienne prescrit‑il à Humbert aux Blanches Mains d’observer la paix dans les comtés de Vienne, de Sermorens et de Bugey, trois territoires où la famille des Humbertiens sera établie de façon certaine à la fin du xie siècle (Chevalier 1913 : no 1685). Comme on demande à Humbert de restreindre son pouvoir » arbitraire » dans les trois comtés au profit des personnes et des biens, on peut penser qu’il y est déjà possessionné. Les seigneurs de Vion sont dans le même cas : dès le début du xie siècle, ils se sont implantés solidement sur la rive gauche du Rhône et dans la région de Grenoble (Bligny in Chomel 1976 : 54 sq.). Le contrôle du Voironnais était primordial pour l’accès au Grésivaudan.
92On ne peut donc exclure que la fondation des trois habitats littoraux, au caractère militaire affirmé et à l’exceptionnelle richesse, soit la première manifestation de la volonté d’expansion des Savoyards ou des Dauphinois, sur ces terres dont par ailleurs la valeur économique ne paraît pas avoir été déterminante. Cependant, rien ne permet pour l’instant de choisir pour initiateur éventuel de cette colonisation le comte d’Albon plutôt que celui de Maurienne, puisque ce n’est qu’au XIIIe siècle que le seigneur de Clermont, qui aura d’ailleurs à ce moment absorbé la seigneurie de Virieu, se placera dans la vassalité des dauphins de La Tour.
Les habitats littoraux, les mottes castrales et les origines de la féodalité dauphinoise
93Les questions de l’évolution du peuplement sur le terroir de Paladru et d’une éventuelle colonisation commanditée posent aussi le délicat problème de l’instauration des pouvoirs privés et de l’apparition de la seigneurie foncière et banale. En situant l’abandon de Colletièrc et des autres sites littoraux entre 1030 et 1040, c’est entre 1030 –ou peu avant– et 1050 que les mottes castrales voisines durent être édifiées, comme le suggèrent la typologie du matériel et les monnaies. Il est difficile d’assurer la relation entre habitats littoraux et fortifications de terre. Si Les Grands Roseaux sont très proches d’une grande motte (Les Trois Croix puis Château‑Vieux), on ne peut être sûr que Le Châtelard, éloigné d’un bon kilomètre, soit la suite de Colletière, Et aucune motte n’a pu être découverte du côté du Pré d’Ars ‑ encore que Virieu ne soit éloigné que de 2 km. Pourtant, il est difficile de concevoir que les riches propriétaires fonciers de Colletière, des Grands Roseaux et du Pré d’Ars aient seulement donné souche aux villageois dont les églises sont énumérées en 1172. Un fractionnement de la population s’est très vraisemblablement opéré au cours du transfert d’habitat, en même temps que l’ancienne structure domaniale était délaissée au profit d’une organisation que la vacance des pouvoirs centraux comme la violence des temps privilégiaient, la seigneurie foncière.
94Les uns (population servile, petite paysannerie) se sont regroupés dans les villages, les autres (propriétaires fonciers, soldats) s’éloignent pour occuper les mottes, donnant naissance par éclatement à une multitude de pouvoirs lignagers : première phase de l’évolution qui, en un siècle, et nonobstant la disparition officielle des mancipia et des servi, conduira de fait à un classement de la société en seigneurs, chevaliers et clercs d’un côté, seuls véritables libres, et dépendants de l’autre, travailleurs de la terre ou artisans‑serfs. Les mottes castrales sont ici particulièrement nombreuses : six au minimum, dont trois sur le seul territoire de la commune de Chirens, contiguë à Charavines. A ce nombre élevé deux causes sont possibles : l’émergence spontanée et désordonnée de pouvoirs châtelains indépendants, ou une commandite émanant d’une autorité supérieure. La première hypothèse est la plus vraisemblable, surtout si l’on se réfère à l’histoire régionale. Les années 1020‑1040 constituent en effet le moment le plus dépressif dans la longue crise du pouvoir central avant que n’émergent, à grand peine, les principautés delphinale et savoyarde. La confusion qui règne dans l’attribution et l’exercice des pouvoirs publics, l’absence d’instance supérieure efficiente ont fait s’épanouir la seigneurie châtelaine dans ce climat troublé. Si l’on ne peut évidemment être sûr du synchronisme de la construction des mottes régionales, en revanche, nous savons qu’elles eurent une période de fonctionnement commune et que la plupart durèrent peu. Dans les cas des mieux documentés, Le Châtelard et La Louvatière de Chirens, on ne peut guère situer leur abandon au‑delà de 1075, à la fois pour des raisons de typologie du mobilier et d’évolution générale des structures féodales territoriales ‑ et ce phénomène est très général dans la région (Colardelle, Mazard 1979, 1983 ; Boucharlat 1987).
95Dans les régions mieux connues par les textes, et aussi de peuplement plus ancien (comme le Romanais) on est sûr de l’apparition d’un réseau de mandements, aux mains de familles très largement alleutières dès 1050, mais les mottes y sont apparues plus tôt et le terme de castrum est attesté dès l’an Mil (Mazard 1990). Le même phénomène de réduction du nombre des fortifications y est observé, quoique de manière moins importante, et selon la même chronologie. A Bressieux, éloigné de Paladru d’une trentaine de kilomètres, c’est aussi au même mouvement que l’on assiste.
96De toutes les constructions castrales proches du lac de Paladru, seules trois ont été occupées plus longtemps et ont conservé leur statut de chef‑lieu de châtellenie. Le texte de partage du Sermorens, en 1107, nous donne les noms de Clermont, Paladru et Virieu. La fin du xie siècle voit également apparaître, dans les textes, ces trois lignages éponymes. Entre le milieu du xie siècle et le début du xiie la réduction du nombre des châteaux est très forte, et l’on est tenté de discerner deux phases : autour de l’an Mil et avant 1050‑1075, se seraient multipliés de petits centres de pouvoir, essais infructueux bientôt réduits et repris en main par les lignages qui réussissent à constituer des seigneuries châtelaines d’une étendue économiquement viable. Les petits milites privés de leur modeste castrum entrent éventuellement dans la vassalité des trois grands châtelains, leur fournissant ainsi un encadrement aimé efficace.
97Le facteur économique doit d’ailleurs être pris en compte dans l’explication du déplacement des pôles de peuplement. Si Virieu et Clermont sont bien ce qu’ils paraissent être, c’est‑à‑dire le lieu de fixation du noyau des habitats d’Ars et de Colletière, leur implantation si loin de leur origine (entre 1 et 3 km) n’est‑elle pas due à la nécessité de commander des terroirs plus larges, les vallées de la Bourbre et de l’Ainan, en même temps qu’à se doter d’une position stratégique plus forte ? Quoi qu’il en soit, tout indique, archéologie, sciences de l’environnement, données historiques, que la désertion des sites littoraux ne se traduit pas par un abandon des cultures, mais tout au plus par une reprise de la forêt riveraine. L’essentiel des terroirs reste en activité.
98Enfin ces familles qui réussissent sont‑elles bien issues des habitats littoraux ou arrivent‑elles d’ailleurs ? Sont‑elles venues dès le début de la colonisation du terroir, avec d’autres qu’elles ont progressivement supplantées ou ne se sont‑elles pas installées à la fin du xie siècle, dans un territoire récemment défriché où les pouvoirs châtelains étaient restés très morcelés ? Elles auraient alors, bénéficiant de leur puissance antérieure et peut‑être d’un soutien comtal, éliminé ou asservi les petits potentats locaux dont les sièges (les mottes) auraient été abandonnés. Cette dernière hypothèse semble être la plus raisonnable et la plus compatible avec ce que nous apprennent les textes.
99Reprenons l’exemple de la famille de Clermont (fig. 277). Leur plus ancienne généalogie date du xviie siècle (Gaignière 1661). Au xixe siècle, tous les historiens qui ont abordé le sujet ont repris ce document dans les mêmes termes ou presque, laissant largement dans l’ombre les origines de ce lignage, notamment les xie et xiie siècles. On s’accorde à reconnaître comme ancêtre de la famille un certain Siboud ou Soffred. Ce personnage ferait son apparition (en 1094) clans les titres de l’abbaye de Hautecombe. Il serait, dès cette époque, seigneur de Clermont et de Saint‑Geoire‑en‑Valdainc (Martin 1986). Cette dernière assertion est très critiquable et nombreuses sont les questions posées par l’existence de Siboud. On ne lui connaît pas d’ascendant et aucun historien du xixe siècle n’a voulu chercher une filiation dans une famille plus ancienne. On pensait qu’il était issu de peu, simple chevalier qui aurait conquis ses titres et ses biens à la force de son bras. Par ailleurs, est‑il dès la seconde moitié du xie siècle seigneur de Clermont et possessionné dans la région proche du lac de Paladru ? Ces deux questions sont au cœur de nos préoccupations. Il s’agit ici, non pas de reconsidérer toute la généalogie des Clermont, mais d’essayer d’éclairer leurs origines et leur implantation dans la région (fig. 278).

FIG. 277 – Généalogie de la famille de Clermont,

FIG. 278 – Principales possessions des comtes d’Albon et des comtes de Maurienne en Dauphiné au XIIe siècle.
100Les indications sur Siboud sont rares. Un texte du cartulaire de Saint‑André‑le‑Bas, daté d’entre 1061 et 1070 (Chevalier 1869 : charte no 249), présente un certain Soffredus miles, époux d’Agnès, père de Ponce, Aymon, Berlion et Pierre. Il s’agit d’une donation à l’abbaye de Saint‑André de biens en pleine propriété (cimetière, dîmes, pâturages) de l’église Saint‑Maurice de Vienne. Un autre document mentionne un Soffredus miles de Alta Ripa, vivant en 1083, témoin d’une donation au même monastère (Chevalier 1869 : charte no 264). Il est alors cité comme ayant autorité à Estrablin, près de Vienne. On suppose qu’il s’agit, dans les deux cas, du même personnage, identifiable au premier représentant de la famille de Clermont. Félix Bernard a proposé une hypothèse intéressante sur l’origine de Soffred (Bernard 1949 : chap. 5). Il serait le fils cadet d’Aynard Ier de Domène et d’Alix de Savoie. Un titre du prieuré de Domène (entre 1076 et 1082) fait mention des fils d’Aynard, parmi lesquels un Soffred que Bernard assimile à Soffred d’Hauterive (Monteynard 1859 : charte no 235). Cette filiation hypothétique peut être confirmée par l’onomastique. Aynard est un prénom très utilisé dans la famille de Clermont, notamment au xiiie siècle. De plus, on constate que les fils de Soffred ont souvent deux prénoms (Guillaume Soffred, Soffred Siboud), tradition que l’on retrouve dans la famille des seigneurs de Domène. Les liens étroits entretenus avec la maison de Savoie expliqueraient l’emploi du prénom Arnédée. On attribue trois autres fils à Soffred, peut‑être issus d’un premier mariage. Deux d’entre eux apparaissent comme donateurs dans les titres de l’abbaye de Hautecombe, entre 1139 et 1144 (Clair 1984). Ils se prénommeraient Guillaume Soffred et Siboud Soffred. Le premier était doyen du chapitre de Vienne, avant de devenir archevêque en 1164 (Charvet 1761‑1769 : 352). Siboud pourrait être le fils aîné, celui que l’historiographie appelle Siboud II. Soffred aurait également eu pour fils Amédée, seigneur ou coseigneur d’Hauterive, Planaise, Charmes, Lens‑Lestang, Clermont, Saint‑Geoire, avant d’entrer à Bonnevaux (Dimier 1826).
101A partir de Guillaume, seigneur de Clermont, fils de Siboud II, il devient plus facile de suivre l’évolution de la famille. Il reste que ces éléments généalogiques, encore incertains, seraient sans intérêt si l’on n’étudiait pas simultanément les possessions. La question principale est de savoir si la création de la seigneurie de Clermont est contemporaine de l’apparition de cette branche cadette de la famille de Domène où, à défaut, d’établir à quel moment les descendants de Soffred deviennent seigneurs de Clermont. Soffred, déclaré miles d’Hauterive, est aussi seigneur d’Estrablin. Ses fils possèdent des biens dans la région de l’abbaye de Hautecombe, en Savoie. Seul le doyen Guillaume semble être possessionné en Seimorens car il fait don aux moines de Hautecombe d’un domaine situé à La Bâtie‑Divisin, avec la maison forte de Serrez (Clair 1984). Guillaume, le petit‑fils de Soffred, est le premier à être incontestablement seigneur de Clermont. En 1203, Guillaume déclare reprendre en fief de l’Eglise de Vienne les seigneuries de Clermont, Saint‑Geoire, Crépol (arch. départ, de l’Isère, B 4028, IV, 102‑103).
102L’installation de la famille de Soffred est cependant certainement antérieure. La première mention du château de Clermont date de 1107 (Marion 1869 : 1‑3). Or, la présence de mottes datées du xie siècle sur la commune de Chirens indique que l’existence d’un siège seigneurial est probablement antérieure. De même la construction du prieuré bénédictin du Gayet dans les années 1050‑1075 dénote la présence d’une famille riche et puissante. On peut donc émettre l’hypothèse d’une implantation de la famille de Soffred d’Hauterive à Clermont dès le xie siècle. Les Clermont ont pu être installés par le comte de Maurienne, omniprésent dans la région à cette époque. Mais il semble plus vraisemblable qu’ils aient été, dès les origines, vassaux de l’Eglise de Vienne. Cette seconde supposition expliquerait que, dès le début du xiie siècle, les Clermont fournissent à cette Eglise des doyens et même un archevêque. Des recherches ultérieures devront bien entendu préciser ces hypothèses, encore trop fragiles. Il faut toutefois ajouter ici un argument d’ordre archéologique qui, à défaut de preuve, constitue un indice sérieux. Charavines a livré, nous l’avons vu, un nombre important de céramiques d’un type original, caractérisé par des marques en relief sur le fond. La carte de répartition des trouvailles de cette céramique montre qu’elle se distribue essentiellement dans la vallée du Rhône et en Bas‑Dauphiné. Elle fait en revanche presque totalement défaut dans le domaine savoyard, de même qu’à Grenoble et dans la cluse de l’Isère où pourtant les fouilles ont été particulièrement nombreuses. On peut donc raisonnablement penser que l’ensemble culturel et économique dont sont issues les familles installées autour du lac de Paladin est rhodanien et non alpin.
103La famille de Paladru est encore moins connue. Son premier représentant, Guiffred, se signale dans une charte du cartulaire de l’abbaye de Bonnevaux datée de 1135, où, témoin, il est qualifié de miles (Chevalier 1887‑88 : charte no 49). Au milieu du xiie siècle apparaît de nouveau un Guitfredus de Peladru, dans une charte datée d’entre 1144 et 1159, par laquelle Siboud de Clermont règle le différend qui l’opposait à l’abbaye de Bonnevaux au sujet de donations faites par son père (Chevalier 1887‑88 : charte no 314). La famille de Paladru semble ainsi entretenir des liens avec celle de Clermont, mais on ignore leur nature. De même, on peut supposer qu’elle est liée au lignage des Virieu, chez qui le prénom de Guiffred est usité au xiie siècle et durant tout le xiiie. La famille de Paladru est peu présente dans les textes, ce qui nous laisse ignorants de son statut (vassal ou alleutier).
104Les historiens qui ont établi une généalogie de la famille de Virieu s’accordent pour lui attribuer une certaine ancienneté (Allard 1864, t. II : 781 et Rivoire de La Bâtie 1867). Son premier représentant serait le seigneur (domnus) « Vifredus de Viriaco » (fig. 279). Bernard a mis en évidence une famille vicomtale savoyarde, la famille des Guiffred, qui a essaimé dans la région de Chambéry (Bernard 1949 : 83). On peut imaginer que Guiffred de Virieu est un cadet de cette famille, possessionné à Virieux‑le‑Grand : il a pu être installé dans la région de Paladru au milieu du xie siècle, et aurait donné son nom à la terre qu’il possédait. Mais cette hypothèse séduisante ne saurait se substituer au silence des textes. En effet, la première mention du château de Virieu date seulement de 1107 et les renseignements généalogiques concernant cette famille restent très épars et incertains jusqu’au début du xiiie siècle. En 1110, Silvion de Virieu fait quatre donations à (Église de Grenoble de biens situés sur le territoire de Saint‑Donat‑sur‑l’Herbasse (Marion 1869 : 126). On sait aussi les noms de ses fils : Siboud, Hugues et Guiffred.

FIG. 279 – Généalogie de la famille de Virieu.
105C’est à la fin du xiie siècle, entre 1173 et 1194, que les Virieu sont de nouveau mentionnés dans les documents, à propos de litiges avec l’abbaye de Bonnevaux (Chevalier 1887‑88, chartes no 45, 55, 60, 104, 179, 348, 364, 368). Il s’agit de Berlion, de sa femme Galicia et de leurs enfants Gui, Humbert, Etienne et Falcon. Le même texte fait état de l’existence d’un certain Siboud de Virieu dont les fils se prénommaient Amédée, Guillaume et Guiffred. Tous ces prénoms, très usités dans la famille, confirment l’origine savoyarde des Virieu. Siboud pourrait descendre de l’un des trois fils de Silvion. Quant à la parenté entre Siboud et Berlion, il est impossible d’en établir le degré. La famille est peut‑être dès cette époque divisée en deux branches distinctes. Par ailleurs le prénom de Siboud pourrait traduire des liens familiaux étroits entre les familles de Virieu et de Clermont.
106En 1220, la branche aînée de la famille de Virieu disparaît. En effet, Martin de Virieu donne alors en mariage à Siboud de Clermont, Béatrix, sa fille et unique héritière, avec pour dot la seigneurie de Virieu (arch. du château de Virieu, titres de famille, carton no 1, copie authentique). Alors que s’éteint la branche aînée, surgissent au début du xiiie siècle deux branches cadettes. La première, dite de Pupetières, dont l’origine pourrait être Jacques de Virieu, serait possessionnée à Virieu sous la suzeraineté des Clermont. La seconde aurait été fondée par Martin, seigneur de Faverges et de Montrevel, bienfaiteur de la Silve Bénite en 1243 (arch. du château de Virieu, titres de famille, carton no 1). Les Virieu‑Faverges resteront indépendants jusqu’en 1267, date à laquelle ils reprendront en fief du seigneur de La Tour du Pin l’essentiel de leurs biens (arch. départ, de l’Isère, B 2967, f° 688).
107C’est à la fin du xie siècle et au tout début du xiie que le terroir du lac de Paladru acquiert sa configuration définitive, du moins pour la période médiévale. Celui‑ci s’organise autour des trois pôles « traditionnels » que sont les seigneuries châtelaines, les paroisses et les villages, les fondations monastiques. Nous avons déjà évoqué l’évolution et la mise en place des seigneuries locales, en deux phases. La première, mise en évidence par l’archéologie, consacre l’existence, entre 1030 (ou plutôt 1040) et 1075, d’un dense tissu castral au caractère apparemment anarchique permettant d’écarter l’hypothèse d’une réelle organisation féodale. La seconde, entre 1075 et 1100, serait alors une manifestation d’une volonté politique, d’origine ecclésiastique ou laïque. Les deux initiatives ne s’excluent d’ailleurs pas mutuellement, dans la mesure où les évêques sont issus des principales familles féodales, en particulier les Albon. Les grands traits de ce terroir à population rurale resteront fixés jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, voire plus tard. Les seuls faits nouveaux seront la progressive prise en main, à la faveur des guerres delphino‑savoyardes, du territoire –jusqu’au Guiers– par les Clermont, la fondation et le développement du monastère carlusien de la Silve Bénite, qui modifiera la répartition des pouvoirs locaux et aura une influence certaine sur la géographie du peuplement, et enfin le rôle économique croissant que joueront les ateliers métallurgiques de la vallée de la Fure. Tout cela reste à étudier dans le détail.
Auteurs
Conservateur général du Patrimoine, co‑directeur des recherches de Charavines.
Conservation départementale du patrimoine (Isère), co‑directeur des recherches de Charavines.
Professeur d’histoire et géographie.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Mottes castrales en Provence
Les origines de la fortification privée au Moyen Âge
Daniel Mouton
2008
Géoarchéologie de sites préhistoriques
Le Gardon (Ain), Montou (Pyrénées-Orientales) et Saint-Alban (Isère)
Dominique Sordoillet
2009
L’enceinte des premier et second âges du Fer de La Fosse Touzé (Courseulles-sur Mer, Calvados)
Entre résidence aristocratique et place de collecte monumentale
Ivan Jahier (dir.)
2011
Lyon, Saint-Georges
Archéologie, environnement et histoire d’un espace fluvial en bord de Saône
Grégoire Ayala (dir.)
2012
Les gisements précolombiens de la Baie Orientale
Campements du Mésoindien et du Néoindien sur l’île de Saint-Martin (Petites Antilles)
Dominique Bonnissent (dir.)
2013
L’Îlot du palais de justice d’Épinal (Vosges)
Formation et développement d’un espace urbain au Moyen Âge et à l’époque moderne
Yves Henigfeld et Philippe Kuchler (dir.)
2014
Bettencourt-Saint-Ouen (Somme)
Cinq occupations paléolithiques au début de la dernière glaciation
Jean-Luc Locht (dir.)
2002
Campements mésolithiques en Bresse jurassienne
Choisey et Ruffey-sur-Seille
Frédéric Séara, Sylvain Rotillon et Christophe Cupillard (dir.)
2002
Productions agricoles, stockage et finage en Montagne Noire médiévale
Le grenier castral de Durfort (Tarn)
Marie-Pierre Ruas
2002