Chapitre 3. L’habitat de Colletière à Charavines
3 Die Siedlung Colletiere in Charavines
3 Colletiere settlement at Charavines
p. 130‑304
Résumés
Construite à même le sol, et non sur pilotis, la station de Colletière, aujourd’hui recouverte par les eaux, était implantée sur une plage de craie formant presqu’île. Un semis de plusieurs centaines de poteaux de chêne et quelques alignements de planches sont les seuls vestiges apparents. La répartition de ces éléments porteurs, à première vue plutôt anarchique, obéit en réalité à une métrique assez rigoureuse car les diamètres, orientations et intervalles correspondent à des mesures qui se répètent avec régularité.
A l’intérieur d’une palissade défensive de forme approximativement rectangulaire qui enclôt une surface de 1300 m2, trois vastes bâtiments d’habitation, dont deux ont été fouillés, s’élevaient autour de semelles de stabilisation constituées par l’entrecroisement et la superposition de madriers horizontaux, enfoncés dans le substrat. Ces maisons, conçues selon un plan préétabli, remplissaient des fonctions nettement différenciées.
En position centrale le bâtiment I, plus massif et plus élevé, a servi de résidence à la famille dirigeante. Le bâtiment II abritait des occupants de rang social plus modeste. Accolés aux corps principaux, des auvents et annexes étaient utilisés pour la stabulation du cheptel domestique. Entre les maisons et l’enceinte, des constructions légères et des espaces ouverts accueillaient des ateliers artisanaux.
Les analyses sédimentologiques systématiquement pratiquées dans les couches archéologiques ont confirmé qu’il s’agissait de fumiers d’habitat, produits par l’accumulation de jonchées végétales.
Plusieurs paramètres physico‑chimiques, comme par exemple les teneurs en phosphates, le rapport entre fraction minérale et fraction organique ou la granulométrie des dépôts, aident à préciser les observations effectuées en fouille. Ces multiples données, croisées avec l’examen de la stratigraphie classique, les relevés de structures et la répartition du mobilier permettent d’identifier la distribution des fonctions dans l’habitat, au cours des trente années de son occupation.
La même démarche pluridisciplinaire, étendue à l’étude des principales catégories d’objets, conduit largement au‑delà du simple classement typologique. Ainsi les analyses métallographiques, appliquées aux très nombreux outils forgés et aux sous‑produits de la métallurgie d’extraction ou de transformation, démontrent‑elles un remarquable savoir‑faire technologique. La détermination dendrologique et la tracéologie du mobilier de bois, matière première la plus utilisée, révèlent aussi une excellente connaissance des qualités intrinsèques des essences arboréennes sélectivement exploitées selon le type d’objet à confectionner.
L’identification organologique des instruments de musique et celle des pièces de jeu confirment les différences sociales entre les occupants de la station. Les uns jouent aux échecs et font une musique « savante » à l’aide d’instruments élaborés, les autres pratiquent le trictrac et jouent d’instruments plus « populaires ». La riche collection des cuirs atteste la pratique de la cordonnerie et de la bourrellerie avec les peaux fournies par les animaux d’élevage et très vraisemblablement traitées sur place. Parmi de nombreuses chutes de découpe, qui restent à inventorier et à décrire, des chaussures, harnais, ceintures et baudriers proviennent surtout des dépotoirs de la station.
En se référant à la seule typologie des artefacts, le site de Colletière pourrait être daté, dans une très large fourchette, entre le ixe et le début du xiie siècle. Le monnayage d’argent, dont la relative banalité illustre bien la renaissance de l’économie monétaire, indique certes une période plus restreinte puisque les espèces les plus anciennes datent de la fin du xe et les plus récentes des années 1030. Mais on sait combien une datation par la numismatique peut être aléatoire si on ne tient pas compte de la durée de circulation des pièces.
Le radiocarbone, dont la marge d’incertitude a été réduite par la quantité des mesures, livre des indications concordantes en situant l’occupation entre 994 et 1021. La dendrochronologie, il y a quelques années encore incertaine faute d’une échelle régionale publiée et vérifiable, établit désormais que les arbres employés pour la construction ont été abattus en 1003‑1004 et que les ultimes réparations ont eu lieu en 1034. Ce terminus, que la prudence invite à ne pas considérer comme définitif avant l’achèvement de la fouille, peut toutefois être retenu surtout s’il est mis en relation avec ce que l’on connaît des variations du niveau lacustre à l’époque. Des indices difficilement réfutables suggèrent en effet que des changements météorologiques sont sans doute à l’origine de l’abandon de Colletière, progressivement ennoyé et déserté vers 1035.
Today covered again by water, the Colletiere settlement, constructed not on pilings but directly on the ground, was built on a lacustrian chalk beach, forming a peninsula. The only apparent vestiges are a pleiad of several hundred oaken posts and a few plank outlines. At first sight chaotic, the distribution of the bearing elements in fact obey a fairly strict measure. Indeed, diameters, orientations and intervals correspound to regular cyclical measurments.
Inside an approximately rectangular shaped defensive fence, which encloses 1300 m2 of surface, the large inhabiting buildings were erected and two of them were excavated. Around them were stabilizing devices made out of horizontal beams intersected and superposed, driven into the lacustrian chalk. These houses were erected according to a pre‑established plan and had clear differenciated functions.
In the center was House 1, which served as a place of residence for the leading family, and hence was larger and higher than the others. House 2 , to the South, sheltered people of a more modest social condition. Open sheds and outbuildings, used for the domestic livestock stablizing, were built on the inhabiting buildings. Between houses and the defensive fence were also artisanal workshops placed in open spaces and light constructions.
Sedimentological analysis were done systematioaly into the archaeological layers and confirmed that they were occupation strata, produced by accumulation of both vegetal scatterings and diverse refuses.
In order to specify the excavation observations, many physico‑chemical parameters were drawn, like for example, the phosphate amount, the ratio between inorganic and organic proportion and the deposit granulometry. These various data, when added to the classical stratigraphic analysis, structure recordings and artifact distribution, allowed us to identified the settlement’s spatial functions, for its thirty years of occupation.
Extended to the study of the main classes of artifacts, the same multidisciplinary process leads us largely beyond a simple typological classification. In this, metallographic analysis shows a remarkable technological knowledge (soft iron and steel uses, edge hardening, etc.) when applied to the very numerous forged tools and other extractive or transformative metallurgical by‑products. Dendrological determination and track analysis of wooden furnitures, most frequently used raw material, also revealed an excellent knowledge of tree species whose specific qualities were selectively exploited in regard with the make up of the artifacts.
The social differences between the settlement inhabitants could be confirmed by the identification of musical instruments and game pieces. Some inhabitants play chess and do some kind of a "skillful” music with "elaborate" musical instruments, while others play backgammon games and what we would call “popular” music. The aboundance of leather proves that harnessmaking and shoemaking were done with the livestock skins, probably directly on the site. Among leather snippets, which are still to be listed and described, we find mainly from the settlement dumps : breeches, harnesses, belts and crossbelts.
If we only refers to artifact’s typology, Colletiere’s settlement would be dated, broadly between 9th to 12th centuries. Silver coining, whose relative quality rightly shows a renewal of the economic currency, also shows a more restricted period of time, since the older coins date back to the end of the 10th century and the more recent ones to the years 1030. However, we know how variable a numismatic datation can be if we do not take notice of the coins circulation duration.
Radiocarbon, whose uncertainty margin has been reduced by the number of measurments, gives us matching informations by dating the occupation between 994 and 1021. Dendrochronology was still uncertain a few years ago because we lacked a published local scale that could be checked. We now know that the trees used for construction were cut in 1003‑1004 and that the last repairs were completed in 1034. This terminus ante quem, which we will be carefull not to consider as final before the archaeological excavation ends, can be retained since it relates to our results about the lacustrian level variations during the same period. Indeed, indicators that are difficult to refuse, are suggesting that meteorological changes were undoubtedly at the origin of the abandonment of Colletiere, which was progressively submerged by water and deserted c. 1034‑1035.
Die Siedlung Colletiere ist nicht auf Pfählen, sondern direkt auf den Boden gebautworden. Heute vom Wasser bedeckt, lag sie auf einem Strand, der eine Landzunge bildete. Mehrere hundert verstreute Eichenpfähle und einige Bretterreihen sind die einzigen sichtbaren Uberreste. Die Anordnung dieser Trägerelemente, die auf den ersten Blick anarchisch scheint, gehorcht bei näherem Hinsehen einer recht rigorosen Metrik, da die Durchmesser, Ausrichtungen und Intervalle Massen entsprechen, die sich regelmässig wiederholen.
Innerhalb eines, ungefähr rechteckigen, Palisadenzaunes, der eine Fläche von circa 1300 m2 umschliesst, waren drei geräumige Wohngebäude errichtet, von denen zwei ausgegraben worden sind. Sie waren um eine Stabilationssohle herum erbaut worden, die sich aus gekreuzten und übereinandergelegten Bohlen zusammensetzte, die in den Grund eingerammt waren. Diese nach einem feststehenden Plan angelegten Häuser erfüllten klar differenzierte Funktionen. Das Zentralgebäude I, massiger und höher, diente der herrschenden Familie als Wohnraum. Das Gebäude II beherbergte Bewohner von geringerem sozialen Rang. Nebengebäude und überdachte Vorhöfe dienten den Haustieren als Stallungen. Zwischen den Häusern und der Palisade fanden Handwerkerwerkstätten in leichten Konstruktionen und offenen Höfen Unterkunft.
Die systematisch durchgeführten, sedimentologischen Analysen der archäologischen Schichten haben bestätigt, daß es sich um Hausmist handelte, der durch Ansammlung pflanzlicher Reste entstanden war.
Mehrere physikalische und chemische Angaben, wie z.B. der Gehalt an Phosphaten, das Verhältnis zwischen mineralischer Fraktion und organischer Fraktion, oder die Granulometrie der Ablagerungen, helfen die Grabungsbeobachtungen zu verfeinern. Diese vielfältigen Informationen erlauben es, gemeinsam mit der klassischen stratigraphischen Analyse, den Beobachtungen der Strukturen und der Verteilung der Fundgegenstände, die Funktionsverteilung in der Siedlung in den 30 Jahren ihrer Besetzung zu bestimmen.
Das gleiche interdisziplinäre Vorgehen, auf die wichtigsten Gegenstandsgruppen angewandt, führt sehr viel weiter als eine einfache typologische Klassifizierung. So haben die metallographischen Analysen der sehr zahlreichen geschmiedeten Werkzeuge und Nebenprodukte des Metallabbaus und der Metallverarbeitung ein bemerkenswertes Können erwiesen. Die dendrochronologische Bestimmung und die Analyse der Spurenelemente im Holz, das den meistverarbeiteten Rohstoff zeugen ebenso von einer hervorragenden Kenntnis der spezifischen Eigenschaften der verschiedenen Baumarten, die dem anzufertigenden Objekt entsprechend, ausgewählt wurden.
Die organologische Identifizierung der Musikinstrumente und der Teile von Spielen spiegeln die sozialen Unterschiede der Siedlungsbevölkerung wider. Die Einen spielen Schach und machten Musik “gehobenen" Niveaus mit komplizierten Instrumenten, die Anderen spielen Tricktrack und bedienen sich “populärer” Instrumente. Die reiche Ledersammlung bezeugt die Anwesenheit von Schustern und Sattlern, die die Felle der Zuchttiere verarbeiteten und die höchstwahrscheinlich am Ort behandelt wurden. Unter den zahlreichen Zuschneideresten, die noch nicht beschrieben und inventarisiert sind, kommen die von Beinkleidern, Gurtwerk, Gürteln und “Barbieren” vorwiegend aus den Abfallgruben der Siedlung.
Wenn man sich ausschliesslich auf die Artefakte beschränkt, könnte man den Fundplatz Colletiere, sehr weiträumig, zwischen das 9. und den Anfang des 12. Jh. datieren. Die Geldmünzen, deren relativ grosse Anzahl das Wiederaufleben der Geldwirtschaft veranschaulicht, lässt auf eine beschränktere Zeitspanne schliessen, da die ältesten Münzen aus der Zeit Ende des 10. Jh. und die jüngsten aus den Jahren um 1030 stammen. Es ist jedoch bekannt, wie unzuverlässlich Datierungen auf numismatischer Basis sind, wenn nicht die Umlaufszeitspanne des Geldes berücksichtigt wird.
Die Datierungen der Radiokarbonmethode, deren Unsicherheitsfaktor durch die Anzahl der Messungen vermindert worden ist, ergibt übereinstimmende Werte, die die Siedlung zwischen 994 und 1021 ansetzen. Die Dendrochronologie, die bis vor wenigen Jahren mangels einer vorliegenden regionalen Vergleichsskala noch recht unsicher war, sagt aus, daß das für die Konstruktion geschlagene Bauholz zwischen 1003 und 1004 gefällt worden war und, daß die letzten Ausbesserungen 1034 erfolgten. Diese Termini, die aus Gründen der Vorsicht bis zum Abschluß der Ausgrabungen als hypothetisch gelten müssen, können nicht destoweniger als wahrscheinlich angenommen werden, besonders wenn man sie in Verbindung mit den Kenntnissen über die Wasserstandsvariationen dieser Zeit bringt. Schwerlich widerlegbare Indizien legen meteorologische Veränderungen nahe, die die Aufgabe Colletieres, das mehr und mehr unter Wasser stand und nach 1035 verlassen war, verursacht haben.
Texte intégral
3.1 Le site et son architecture
1Michel Colardelle, Michel Paulin, Eric Verdel
3.1.1 Le site
2L’habitat de Colletière a été installé sur une plage de craie lacustre émergeant légèrement du niveau des hautes eaux du lac à l’époque d’occupation. Il est probable que cette plage représentait alors environ 2 500 m2 de sol praticable, formant une presqu’île, voire une île, séparée de la terre ferme par un bras peu profond et marécageux, comme semble le démontrer l’étude sédimentologique. Du côté du large, elle plongeait brutalement par un rivage abrupt. C’est sur cette limite assez rectiligne, aujourd’hui encore bien attestée par la bathymétrie (étage caractéristique des rivages) comme par l’observation archéologique (traces du cordon littoral), que s’alignent les deux files de gros pieux qui forment la limite occidentale du site. L’habitat couvre ainsi un quadrilatère légèrement trapézoïdal d’une superficie de quelque 1 500 m2, dont la grande longueur s’étend sur 50 m du nord au sud, parallèlement au rivage. La largeur perpendiculaire varie entre 25 m au nord et 20 m seulement au sud. De plus, cet espace présente une déclivité d’est en ouest puisqu’il gît à des profondeurs variant de 1,50 m à 4,50 m en hautes eaux (fig. 83).

FIG. 83 – Vue aérienne du site de Colletière
cliché SOREA
3Lors de notre intervention, en 1972, le site était partiellement couvert d’une roselière (phragmitaie) qui avait déjà régressé par le nord, du côté où le rivage est érodé par les courants dominants d’origine éolienne et où, par conséquent, les couches archéologiques ont été détruites par un lessivage permanent. Il faut noter que la présence d’une roselière dans un site peu profond est capitale, car seul le roseau, par sa densité et la résistance de ses racines, peut assurer au sol une bonne cohésion à long terne. La forte régression de la roselière de Colletière, parallèle à celle de toutes les roselières du lac et plus généralement d’Europe, ne laisse d’ailleurs pas d’inquiéter. C’est la raison pour laquelle on a entrepris, avec le concours du Service régional d’aménagement des eaux et de la Société civile du lac de Paladru, des expériences de repeuplement et de protection contre les différents agents destructeurs. Enfin, un profond chenal transversal équipé d’une embouchure bétonnée avait été aménagé en 1921 au tiers nord du terrain ; il aura sûrement détruit une partie des vestiges sur son parcours.
4Outre ce couvert végétal, le site bâti présente une surface riche en galets de quartzite, et de très nombreux pieux de chêne qui dépassent d’autant plus du sol qu’on progresse vers le large. Au « tombant », c’est‑à‑dire sur l’emplacement du rivage fossile, certains d’entre eux s’élèvent encore à 2 m hors du sol. Ce ne sont pas moins de 680 pieux qui ont été dénombrés à l’heure actuelle. A ces éléments s’ajoutent des pièces de bois horizontales peu visibles, car plus profondément enfouies : il faut creuser pour les dégager.
5Un plan d’ensemble des structures a été réalisé à partir de la photogrammétrie aérienne restituée par M. Carrier (CRA/CNRS de Valbonne‑Sophia Antipolis). Ce document a été complété par un relevé pièce par pièce indiquant les diamètres des bois repérés mais aussi rajoutant ceux que l’état d’avancement de la fouille ou le masque végétal n’avaient pas encore permis de trouver (fig. 84),

FIG. 84 – Plan général de la station.
3.1.2 Plan d’ensemble et éléments caractéristiques
6Après fouille, on peut distinguer quatre types principaux d’ouvrages de bois : des pieux verticaux (fig. 85) ou subverticaux, des madriers horizontaux, des petits piquets rapprochés en files, des planches en palissade. A cela s’ajoutent des fragments jonchant le sol, difficilement interprétables, tels que planches, dosses, blocs plus ou moins façonnés, etc. Quant aux ouvrages minéraux, ils comportent des aires d’argile de foyers et de fours, et des résidus argileux associés aux piquets qui évoquent un torchis sur clayonnage.

FIG. 85 – Alignement des pieux et planches de la palissade à l’est du site.
cliché M. Paulin
7En vision générale, la répartition de ces éléments constitutifs est, dans l’ensemble, assez ordonnée : les madriers horizontaux sont empilés selon un dispositif sensiblement orthogonal et déterminent trois espaces principaux désignés, au moment de la fouille, bâtiments I au centre, II au sud et III au nord. A ces structures horizontales empilées qui dépassent peu ou pas du niveau du sol actuel (compte tenu d’un tassement des couches archéologiques qu’on peut probablement évaluer au moins à 50 % de l’épaisseur initiale), correspondent certains alignements périphériques de gros pieux, des zones internes moins encombrées de bois verticaux et une concentration des foyers. Aux endroits où elles ont été observées, les files de petits piquets longent les madriers à l’extérieur du cadre qu’ils délimitent ou les recoupent à peu près orthogonalement.
8Par ailleurs, une structure périmétrique est formellement identifiable par son alignement assez continu, notamment à l’est où la fouille a révélé d’épaisses planches plantées, et le long du tombant ouest où s’échelonnent des couples de très forts pieux.
9A ce stade, on interprète cet ensemble comme la répartition de trois bâtiments à l’intérieur d’un espace clos par une palissade. Cependant nombre de questions resteraient ainsi en suspens : comment différencier parmi les quelque 700 pièces de bois plantées les structures porteuses, révélatrices des volumes architecturaux, des aménagements mobiliers annexes ? Comment expliquer le foisonnement de pieux dans certaines zones, foisonnement qui paraît s’opposer à toute circulation ? A quelle technique a‑t‑on eu recours pour foncer pieux et madriers dans un sol si peu stabilisé ? Et quand bien même ces questions trouveraient réponses, comment aborder la reconstitution du bâti avec un minimum de garantie scientifique ?
10C’est à ce type de questions que s’est attaché le Laboratoire d’analyse des formes de l’école d’architecture de Lyon dont l’équipe a bénéficié de l’expérience acquise lors de l’analyse des implantations des trous de poteaux révélés par la fouille de Château‑Gaillard dans l’Ain1.
3.1.3 Problématique des données
11Pour bien saisir les différents aspects du problème d’interprétation architecturale, il convient d’examiner les données plus systématiquement. Certaines sont intrinsèques, c’est‑à‑dire directement observables sur les vestiges, telles que leur géométrie, leur nature physique et leur dénombrement. D’autres sont extrinsèques et relèvent d’hypothèses complémentaires à formuler, comme la géotechnique du site, la datation ou la paléotechnologie. Dans tous les cas on ne peut anticiper sur les résultats proprement archéologiques que fournira, on l’espère, la fouille exhaustive.
3.1.3.1 Données intrinsèques
Caractéristiques géométriques
12La première particularité des vestiges bâtis de Colletière est le contraste entre la relative confusion qui semble présider à l’implantation des pieux (fig. 86) et le quadrillage assez strictement orthogonal des madriers couchés. En effet, les premiers se présentent par groupes ou isolés, de diverses dimensions et équarris ou non sur une même zone, à tel point que la question se pose de la conservation des implantations originelles. Les madriers, quant à eux, sont superposés en piles à peu près d’aplomb qui ne témoignent pas de déplacements postérieurs sinon ceux qui sont très récemment intervenus. Par contre, il en est certains, plus petits et isolés, qui gisent dans des positions erratiques ; on doit malgré tout les considérer comme en place du fait de leur enfoncement dans la couche archéologique et parfois de leur insertion sous des madriers réglés. Le plan de nivellement des bois pourrait également renseigner l’observateur. On se trouve, ici, sur un sol de grève en pente assez accentuée (8 % en moyenne) que suivent les bois couchés. Si l’on admet que le déversement postérieur du rivage est peu marqué, il faut considérer que ces pièces étaient, à l’origine, déjà un peu inclinées. Les poteaux plantés ne se différencient pas entre eux de ce point de vue puisqu’ils atteignent tous le niveau de pourrissement dû à l’étiage du lac.

FIG. 86 – Le site au cours de l’étiage de l’hiver 1989‑90.
cliché fouilles de Colletière
13En revanche ils se différencient par leurs aplombs. Leur inclinaison peut atteindre fréquemment 20°, exceptionnellement 45°. De plus il semble que la majorité des pièces inclinées le soit en direction du large ou parallèlement au rivage, ce qui indiquerait malgré tout un léger glissement général. Mais il faut souligner que le mauvais état de conservation des têtes de pieux et leur faible longueur apparente rendent difficile une exploitation systématique de cette donnée. On risque donc de confondre un poteau d’appui déversé et une éventuelle jambe de force. Il faut, de plus, garder en mémoire la grande imprécision des implantations, due à la thixotropie du sol.
14Les pièces de bois observables sont en majorité des grumes non écorcées, mais aussi des bois de brin équarris, des écoins ou des planches refendues, y compris des dosses. Les madriers couchés ne sont ni équarris ni écorcés. Les dimensions de ces matériaux sont très variées : de rares billes atteignent 40 cm de diamètre, la plupart des pieux avoisinent 20 à 25 cm, les planches ont des épaisseurs de 5 à 9 cm, les autres pièces refendues, qui peuvent ne pas excéder quelques centimètres, sont extraites de baliveaux ou de branches. Les madriers présentent des sections variant de 15 à 35 cm. La longueur des ouvrages est moins sûrement connue. Un pieu a été extrait en eau profonde en 1984 (fig. 87). Cette opération a requis la mise en œuvre d’une force de soulèvement d’environ 4 t doublée d’un détourage préalable du sol. Le pieu traversait la couche de craie du lac pour reposer (sur la moraine ?) à 4,50 m sous le sol d’occupation2 ; faut‑il penser qu’il en va de même pour tous les pieux ? On le discutera plus loin. Les planches alignées à l’est sont, quant à elles, enfoncées à plus de 1,20 m. Les hauteurs hors sol observables dénotent toutes un nivellement naturel par l’érosion. Les bois couchés paraissent complets, jusqu’à près de 14 m de longueur ; leur empilement peut s’enfoncer jusqu’à 1,50 m dans le substrat crayeux.

FIG. 87 – Pieu D34 extrait en eau profonde en 1984.
15Les aménagements que présentent ces bois sont très instinctifs pour l’interprétation architecturale. Le plus spectaculaire consiste dans l’empilage croisé de trois et jusqu’à cinq cours de madriers horizontaux pour constituer des quadrillages (Pl. II, A). Les intersections ne sont pas entaillées à quart‑bois et les fûts ne sont donc pas jointifs comme dans un classique mur de blockbau (construction de madriers ou rondins entaillés et posés bois sur bois, dans la littérature germanique). Comme de surcroît ils sont ronds et seulement ébranchés, cet empilage, même croisé, serait assez instable. Aussi ne peuvent‑ils tirer leur stabilité que de leur enfoncement dans le sol, de leur poids et de l’appui d’éventuels pieux tangents ou d’un calage propre ; sans doute d’une combinaison de ces facteurs puisque les plus superficiels affleurent la couche d’occupation et que l’on retrouve quelques pièces transversales en coin fichées dans leurs intervalles. Ailleurs c’est une entretoise qui est assemblée par tenon et mortaise entre un about de madrier et un pieu (Pl. II, B). Certaines extrémités de madriers principaux ou annexes possèdent une lumière verticale où un petit pieu est forcé. On remarque aussi des retailles, amincissements et encoches opérés sur leur longueur. L’aménagement le plus remarquable des pieux plantés consiste en un système de clés horizontales d’un mètre et plus, passées par des lumières taillées dans leur travers. Cela concerne une douzaine de pieux, ronds ou carrés et de section moyenne, principalement le long des madriers de l’ensemble dit « bâtiment I », à l’extérieur (Pl. II, C). L’observation du pieu rond extrait a révélé un long amincissement de la base et un appointage en biseau aigu de l’extrémité. Enfin il faut noter une fracturation des madriers en hêtre du bâtiment II mis en porte‑à‑faux aux abords du tombant.

Pl. II. A – Entrecroisement des madriers horizontaux
cliché fouilles de Colletière

Pl. II. B – Pieu engagé dans un madrier
cliché CAHMGI

Pl. II C – Pieu porteur avec lumière et tenon.
cliché fouilles de Colletière
Nature des bois
16La quasi‑totalité des pieux verticaux est en chêne. Mais les madriers horizontaux sont soit en chêne pour l’ensemble dit bâtiment I soit en hêtre pour les bâtiments II et III. Parmi les pièces plus modestes, les planches sont le plus souvent en chêne, plus rarement en hêtre3. Il conviendrait de rattacher le choix de ces essences soit à deux phases de construction soit à des usages différents. La faible putrescibilité du chêne le prédestinait à la confection de pieux. Par ailleurs il était abondant dans la forêt proche (cf. supra). Le hêtre, très dur frais, supporte plus mal l’humidité. Mais comme matériau de stabilisation du terrain (madriers horizontaux) il devait être considéré comme suffisant.
Données quantitatives
17C’est un ensemble de 513 bois plantés qui a été analysé à cette étape de l’étude ; il faut déjà lui ajouter près de 200 nouveaux éléments relevés lors de la dernière campagne, qui ne peuvent être pris en considération qu’à titre de vérification des hypothèses proposées. La répartition par formes des bois plantés donne 80 % de ronds ou irrégulièrement refendus, 14 % d’équarris et 6 % de refendus en planches. Le comptage par diamètres fait apparaître une répartition statistique centrée sur 20 cm avec un déficit au voisinage de 15 cm et un excédent de 5 à 10 cm (fig. 88). Un peu plus d’un bois planté sur deux aurait donc un diamètre de 18 à 25 cm, représentant très vraisemblablement le bois d’œuvre courant. Un sur dix, plus fort, appartiendrait à des pièces spéciales et le reste se partagerait les usages de bois de charpente complémentaires, de clôture, d’aménagement ou de mobilier fixe. La même analyse, limitée aux sections carrées, montre une moyenne sensiblement plus forte, 20 à 25 cm, et surtout une rareté des faibles sections en dessous de 18 cm. On n’équarrissait que les grosses billes et à des cotes voisines les unes des autres, ce qui pour des pieux nécessite un effort considérable effectué dans une perspective bien déterminée.

FIG. 88 – Courbe de répartition des pieux en fonction des diamètres (en ordonnée : nombre de poteaux ; en abscisse : diamètre en cm).
3.1.3.2 Données extrinsèques
Problèmes géotechniques
18Le substrat des sites archéologiques du lac de Paladru est constitué de craie lacustre, comme c’est le cas de la plupart des lacs alpins en environnement calcaire. Ce matériau résulte de la précipitation, dans l’eau douce stagnante, du carbonate de calcium lessivé dans les bassins hydrographiques affluents. Pour les géotechniciens, il aurait un comportement comparable à la « craie‑sol », résultat d’une déstructuration de la « craie‑roche » sous l’effet de l’eau et du ternissement (Bulletin de liaison des Ponts et Chaussées, 1973). Dans cet état de saturation en eau, il est difficile de définir les propriétés mécaniques de ce substrat tant elles sont sujettes à d’importantes variations locales ou instrumentales. Ses caractéristiques sont très variables selon sa granulométrie, son degré de tassement, etc., et seuls des essais sur échantillons en plusieurs points du site et à diverses profondeurs permettront de les préciser. Sa particularité la plus critique est sa thixotropie, qui le fait passer brutalement de l’état solide à l’état liquide sous l’effet de surpressions même faibles (particulièrement de pressions dynamiques) puis revenir à son état initial. Ainsi, le fonçage des pieux dans la craie lacustre se caractérise par une pénétration à très bas taux de frottement en phase de liquéfaction thixotropique, suivie d’un blocage en phase de solidification. Un léger battage ou une mise en rotation sur le pieu libre peut suffire à déclencher le phénomène, alors qu’il faudra beaucoup plus d’énergie pour redémarrer un pieu bloqué après solidification (comme l’a montré l’expérience d’A. Bocquet). On peut donc imaginer que les bâtisseurs de l’an Mil ont été confrontés à cette propriété de la craie et qu’ils en ont tiré parti pour établir, à moindre effort, un pilotis dense. En contrepartie ils n’ont pas pu régler précisément les implantations et les inclinaisons, les pieux suivant des rythmes d’enfoncement imprévisibles. A défaut d’examen de spécimens plus nombreux et d’essais en condition réelle (qui seront effectués ultérieurement), on ne peut être sûr que tous les pieux atteignent le substrat résistant. Cela dépend des pressions, donc du poids des pieux et de la taille de leur pointe, ainsi que du battage.
19Un second phénomène intervient en phase solide : la « craie‑sol » fine sous son propre poids, c’est‑à‑dire que ses particules solides se tassent très lentement aux dépens de l’eau, occasionnant une notable réduction de volume. Cette capacité de fluage est proportionnelle à la saturation en eau. A cela s’ajoute, comme dans tout fluide plus ou moins visqueux, des phénomènes hydrostatiques et hydrodynamiques vis‑à‑vis des solides qui s’y enfoncent et en font refluer les particules autour d’eux. On conçoit que le coefficient de forme de ces solides soit déterminant. C’est bien le cas ici de la forme circulaire des madriers empilés. On peut penser, mais là encore il s’agit d’en faire la preuve expérimentale, que ces bois se sont enfoncés lentement, sous leur poids propre, jusqu’à une position d’équilibre due, à la fois, au tassement du sol d’appui, à l’augmentation du frottement et à la réduction de densité apparente du bois. Et cela malgré la pression relativement faible qu’ils exercent en surface. La pression sous un madrier de chêne d’un diamètre variant de 40 à 20 cm et de 12 m de long, à demi enfoncé, peut être évaluée à 0,02 bars.
20Sur le plan archéologique, la fouille confirme la validité de cette hypothèse : autour des pieux la craie lacustre présente la trace d’un étroit et peu profond cône d’enfoncement, mais aucun avant‑trou n’a été creusé. Compte tenu de la faible compacité du sol, la question d’une éventuelle variation de position des vestiges depuis l’époque d’occupation se pose inévitablement. Les facteurs en seraient le tassement général ou différentiel, le glissement du front de rivage vers le fond du lac, l’érosion par les courants ou la houle et l’intervention humaine. Les discontinuités de couches observées en fouille ou lors des sondages sont interprétées comme le résultat de l’occupation plutôt que celui de la dynamique naturelle du sol. On le remarque en particulier sur le transect nord‑sud au voisinage de pieux de part et d’autre du point 101 (cf. infra).
21On ne peut donc prouver qu’il y ait eu des mouvements relatifs de pieux les uns par rapport aux autres, bien que l’hétérogénéité de leurs inclinaisons puisse le suggérer. Pourtant cela ne doit pas être exclu totalement, dès lors qu’on admettrait à la fois un glissement général de la plate‑forme et un ancrage non systématique des pointes de pieux dans le socle stable. Les couches superficielles du rivage présentent un fluage sous charges localisées, manifestement contemporain de l’occupation. Sous les masses d’argile des foyers, par exemple, où l’on identifie des apports de mise à niveau, ou bien sous les madriers horizontaux que viennent affleurer les couches archéologiques non déformées. La remontée des eaux, en réduisant la densité relative du sol, a sans doute ralenti ce tassement initial.
22Contrairement au site du Pré d’Ars (glissement observé en 1870), le plateau littoral de Colletière semble n’avoir que peu basculé, au moins dans sa majeure partie, et s’être seulement tassé sur place dans sa partie principale et desserré à sa périphérie, en particulier à l’ouest. Le pendage superficiel, qui est maintenant de quelques pour cent sur la plate‑forme, atteint brutalement 25 % en bordure nord‑ouest où les bois couchés sont fragmentés par l’effondrement de leur couche d’appui. Les vents dominants sur cette rive soufflent de secteur nord, engendrant une érosion hydrodynamique sur le front septentrional de la plate‑forme littorale. Toutefois, les fouilles récentes laissent penser qu’un nombre encore significatif de pieux sont en place dans cette zone, ce qui prouve leur efficacité comme cloutage de sol.
23Reste l’intervention des hommes : prélèvement de bois d’œuvre4, désencombrement de zones de pêche ou d’accostage. Ainsi, le chenal est à peu près libre de pieux, détruits pour livrer le passage vers un garage à bateaux en 1921, comme cela ressort de l’examen des photographies prises par H. Müller qui les montrent encombrant encore le chenal. Peut‑être ont‑ils simplement été sciés assez profondément à l’occasion de ces excavations (cf supra). De toutes façons, la rareté des vestiges attribuables aux charpentes, qui contraste avec l’abondance des substructions, laisse penser qu’une récupération a eu lieu, dès l’abandon très probablement, peut‑être plus récemment.
24Malgré tout, les pieux seraient peu sensibles aux éventuels mouvements du sol, qu’ils contribuent à stabiliser, et résisteraient bien aux tentatives d’extraction. On les considérera donc comme en place. Au contraire, certains madriers superficiels ont très bien pu être prélevés, mais la plupart subsistent aux emplacements où leur empilage d’origine les avaient profondément enfoncés dans le substrat.
Problèmes chronologiques
25Même pour un site assez brièvement occupé, la complexité de l’implantation des bois rend indispensable l’hypothèse d’un échelonnement des constructions dans le temps. Les analyses dendrochronologiques ne peuvent pour l’instant différencier les madriers des ensembles nord et sud (en hêtre), par rapport à ceux du bâtiment central (en chêne). Les datations les plus récentes, portant sur une centaine d’échantillons de poteaux prélevés aussi bien sur le groupe central que sur le groupe sud, indiquent qu’ils sont contemporains. Il faudrait donc admettre une simultanéité dans la construction de ces deux ensembles ou, pour le moins, dans l’abattage des bois qui les constituent. La grande complexité du site, autant que sa courte durée d’occupation, demanderait une étude systématique. Mais il restera toujours délicat de dater les petites sections et de déterminer si une partie des pièces plantées ou encastrées résulte d’aménagements postérieurs effectués dans l’eau, à l’occasion des étiages, ou remonte à l’établissement originel. Par ailleurs l’interdatation de la totalité des pieux nécessiterait, dans l’état actuel des techniques, une destruction complète à laquelle nous n’avons pu nous résoudre.
Problèmes technologiques
26La remarquable conservation des vestiges permet de se faire une idée précise des ressources constructives mobilisées ici par les bâtisseurs. On a parlé des bois d’œuvre, fûts de grands arbres fournissant des bois de brin de plus de 10 m. L’outillage de bûcheronnage et de charpenterie découvert dans l’habitat permet toutes les opérations d’abattage, de délignage, d’équarrissage, de taillage, de mortaisage, etc. ; bref, toutes les opérations nécessitant des outils tranchants, lancés ou frappés. Par contre, l’absence de scie exclut le débit par sciage. On savait également forer à la tarière et dégauchir, puisqu’on a retrouvé un rabot, certes trop petit pour de la menuiserie, mais attestant la connaissance de ce type d’outil. En revanche, on ne retrouve pas d’outils de terrassement spécifiques ni d’engins de levage ou de transport des bois. On peut penser que l’outillage d’essartage convenait dans le premier cas, et que le peu de matériel terrestre nécessaire dans le second était consommé après usage. Quant à la main‑d’œuvre disponible, les estimations déduites de l’abondance du mobilier permettent de l’évaluer à une trentaine d’adultes au minimum, ce qui autorise des travaux collectifs importants (d’autant que pouvait éventuellement s’y adjoindre la population des établissements contemporains du Pré d’Ars et des Grands Roseaux).
27Reste la question des savoir‑faire. Il semble paradoxal que la bonne technicité des habitants de Colletière, attestée dans nombre d’activités par la qualité des productions conseivées, reste difficile à établir en matière d’architecture. On est réduit à extrapoler à partir des techniques de plus petite échelle comme la menuiserie ! A l’échelle du bâtiment, les seuls assemblages ici utilisés sont le mortaisage, le clavetage et le chevillage. Concernant ce dernier procédé, de très nombreuses petites chevilles parsèment le site, mais sont soit trop courtes soit trop frêles pour joindre des membres de charpente, alors qu’on n’en a retrouvé que quelques dizaines de grosses (jusqu’à 35 cm de long pour 3 de diamètre) adaptées à l’assemblage de bois de forte section (fig. 89). Sur des gisements contemporains d’Europe, on observe l’assemblage à mi‑bois, le bouvetage des planches, le rainurage de longrines etc., tous aménagements utiles aux ouvrages d’assise et donc détectables grâce à la conservation par l’humidité permanente des sols. Ces techniques ont été utilisées dans des assemblages retrouvés en place à la maison 3 d’Husterknupp (xe siècle) ou du bâtiment 1 de Büderich‑Haus Meer (xie‑xiie siècles) ou encore à l’église d’Urnes en Norvège (xie siècle) (Chapelot, Fossier 1980 : 270‑276). L’embrèvement, seul ou associé à la queue d’aronde, se repère au xiie siècle sur les plus anciens combles conservés en place dans l’église Saint‑Pierre de Montmartre, datée de 1147 (Chapelot, Fossier 1980 : 315). On exclut, jusqu’ici, tout assemblage axial comme le trait de Jupiter. L’attestation formelle de l’usage de la ferme, comme système de franchissement triangulé ne mettant en jeu que la traction et la compression (à l’exclusion de la flexion), n’est pas encore établi pour cette époque, bien que la connaissance des assemblages l’autorise et que l’iconographie laisse subsister un doute5. On sait que les fermes usuelles les plus sommaires comportent deux arbalétriers croisés à mi‑bois au faîtage et embrévés sur un entrait (charpente typique du Vercors et du Trièves, Raulin 1977). On peut ainsi franchir des portées de l’ordre de 10 m, à condition de savoir les dresser car, contrairement aux fausses fermes empilées, elles n’acquièrent leur stabilité qu’une fois terminées (fig. 90).

FIG. 89 – Chevilles charpentières en chêne. (Echelle 1/4)

FIG. 90 – Assemblage des charpentes : a par empilage, b par ferme.
3.1.4 Méthodologie
28Si la reconstitution architecturale à partir de vestiges archéologiques a parfois rejoint l’œuvre d’art, elle a aussi trop souvent achoppé sur le fait que ses activités de base (analyse des vestiges bruts et imagination d’un édifice complet) sont fondamentalement contradictoires. A partir des données de terrain, l’archéologue extrapole par analogie avec des ouvrages connus ou des règles de l’art hypothétiquement applicables. Rationaliser ce processus suppose, d’une part, l’appropriation des données intrinsèques par des méthodes de visualisation et de traitement logique et, d’autre part, la diversification des référentiels extrinsèques par la simulation en conditions réelles ou la recherche combinatoire. C’est de cette double démarche, tentée par le laboratoire d’architecture associé aux fouilles de Charavines, que l’on veut rendre brièvement compte ici.
3.1.4.1 Méthodes de visualisation et traitement logique des données
29Une première méthode de visualisation des données exploite la manipulation de maquettes. Un modèle réduit simplifié du site représente les pieux et autres pièces verticales par des baguettes de bois plantées, ramenées à une hauteur uniforme conventionnelle, en totalité ou par catégorie de diamètres. Plusieurs traitements peuvent être tentés sur cette réplique. Simple observation d’abord, déjà enrichissante car aucune vision directe d’ensemble d’une fouille subaquatique n’est possible6. Recherche d’alignements pleins, ensuite, en présumant qu’une fraction au moins des pieux était intégrée dans un système constructif rectiligne. Pour ce faire, on éclaire tangentiellement la maquette à l’aide d’une lumière parallèle tournante et on enregistre photographiquement les positions pour lesquelles les ombres se raccordent, soulignant ainsi les alignements. Recherche d’enfilades vides enfin, en supposant qu’il existait des espaces rectilignes dégagés tels que dessertes ou nefs. Pour cela on dispose des réglettes de largeurs variées qu’on tente d’insérer entre les baguettes verticales. On obtient ainsi un réseau d’enfilades potentielles qu’il convient de confronter avec d’autres analyses.
30Une deuxième voie prometteuse de traitement des données réside dans la cartographie analytique automatique. Ecrit spécialement pour ce site archéologique, le programme TIMOS7 filtre des ouvrages par caractéristiques, en édite des états et en imprime des cartes. Les données à saisir sont, ici, la position des bois verticaux en coordonnées cartésiennes, leur forme (carrée, ronde, plate), l’orientation de leurs sections non circulaires par rapport aux grands axes du site, leur plus grand diamètre, la présence d’un madrier horizontal à proximité, l’existence d’aménagements par clavetage et, enfin, la densité de leur voisinage. Pour définir cette dernière caractéristique, on a construit expérimentalement la plus grande fenêtre circulaire qu’on puisse insérer entre les pieux les moins rapprochés sans en inclure aucun. Puis on a déplacé cette fenêtre successivement autour de chaque point de manière à inclure cette fois le nombre maximum de points voisins : c’est ce dernier nombre qui a été pris comme densité de voisinage de chaque pieu. Le programme TIMOS permet alors d’extraire de la totalité des points des ensembles homogènes par leurs caractéristiques et de les cartographier instantanément, ce qui stimule grandement la recherche par la multiplicité et la rapidité d’obtention des configurations significatives.
31Enfin, on doit mettre à profit le grand pouvoir intégrateur de la sémiologie graphique (Bertin 1977). On peut le faire à partir soit du corpus intégral, soit de réductions préalablement opérées sur TIMOS. Très variées, ces manipulations peuvent être d’ordre dimensionnel ou géométrique. Ainsi, le raccordement de chaque point à son ou ses voisins constitue un treillis dense contenant forcément les lignes de construction réelles du site. Pour détecter celles qui sont de bons candidats à cette fonction, on fait tourner ce treillis sur un fond tramé qui en révèle, par effet de moiré, les structures géométriques simples. On peut pratiquer cette expérience soit manuellement en superposant des films tramés, soit informatiquement grâce à des effets gérés à l’écran par un logiciel adapté (H. Lequay, laboratoire d’informatique de l’école d’architecture de Lyon). Autre traitement possible : la matérialisation, selon un code graphique ou coloré, des gammes homogènes de mesures des intervalles de pieu à pieu, qui désigne des espaces répétitifs pouvant correspondre à des rythmes constructifs.
3.1.4.2 Aide à la restitution
32Les restitutions font toujours référence, fût‑ce implicitement, à des systèmes constructifs et au catalogue de formes qu’on sait en être issu. Ce savoir expert présente l’inconvénient d’être limité par des règles de vraisemblance relevant du jugement subjectif. Pour tenter de surmonter cette limitation, le laboratoire a développé une recherche combinatoire, dérivée des méthodes d’analyse structurelle des problèmes (Zwicky 1969), appliquée ici à la charpenterie ancienne. Dans cette optique, un atlas de configurations techniques a été élaboré, qui recense les interactions de plusieurs catégories de données hypothétiques : composantes de l’espace élémentaire, géométrie et technologie des assemblages, matériaux de couverture, traces au sol etc. Une telle méthode produit très vite un nombre considérable de cas, aussi faut‑il préalablement réduire les données et ultérieurement éliminer les doubles emplois et les invraisemblances8. Ainsi la matrice d’interaction entre géométries d’assemblage et procédés technologiques est comparée à celles des volumes habitables types et des modes de couverture, Les schémas qui en ressortent sont alors groupés par famille en fonction des traces qu’ils peuvent laisser au sol. Dans le cas de Colletière, en se limitant aux couvertures végétales (puisqu’on ne trouve pas de vestiges d’un autre type de couverture) et aux assemblages taillés, on recense par extrapolation à partir des aménagements des madriers horizontaux, 15 familles de configurations de charpente. Cela constitue un répertoire propre à relancer les hypothèses de restitution, particulièrement peu assurées sur les sites à vestiges de bois.
33Une autre méthode d’aide à la restitution archéologique, désormais classique, est la simulation en conditions réelles de telle ou telle activité ancienne. Un problème essentiel était, ici, le test d’ouvrabilité et de stabilité des bois sur une plage de craie lacustre faiblement et provisoirement exondée. A cet effet, une expérimentation a été tentée en mettant à profit une période de basses eaux hivernales9. Il s’agissait d’ériger, et si possible d’enfoncer, un poteau de chêne de dimensions comparables à celles des vestiges anciens. L’engin de levage consistait en un mât de charge haubané, de faible inclinaison, en tête duquel coulissait une corde de nylon. L’effort de traction de quinze hommes n’a même pas été suffisant pour soulever le fût. Cela prouve que les bâtisseurs de l’époque appliquaient des systèmes de mise en œuvre plus adaptés que ce procédé, qu’on avait initialement jugé vraisemblable quoique exagérément simple. Il faut donc envisager d’autres protocoles : soit le levage à la corde sur une chèvre simple ou multiple donnant des incidences plus favorables à la traction, soit le levage à la perche à partir d’un chevalet, comme on le pratique encore parfois en voirie10 et comme certains cultivateurs de la région savent le faire. Dans ce dernier procédé, on surélève la base du pieu sur un chevalet. Ici, le dispositif de bois empilés a pu remplir le rôle du chevalet. Puis plusieurs personnes, munies de fourches de longueurs différentes, lèvent progressivement la tête du pieu allégée par le porte‑à‑faux, et dont l’axe est maintenu par un haubanage inverse. Les fourches permettent alternativement de lever et de caler le pieu, décomposant l’effort en courtes périodes successives. C’est probablement ce procédé qui a été utilisé (rens. R. Fournier, Valencogne).
3.1.5 Éléments d’interprétation
34Examinons maintenant les données au moyen de ces diverses méthodes. Dans un premier temps on peut avancer des interprétations assez solides sur l’organisation originelle des infrastructures bien conservées mais seulement partiellement fouillées pour l’instant. Dans un second, on peut tenter de construire des hypothèses pour les superstructures disparues. Il faut insister sur le fait que l’exceptionnelle richesse des sites du lac de Paladru et la précision de la fouille entreprise permettent d’envisager à terne une restitution plus fiable que sur beaucoup d’autres sites moins riches en vestiges. Cela justifie un surcroît de prudence à chaque stade intermédiaire et le refus d’adopter a priori les modèles classiques de l’habitat médiéval.
3.1.5.1 Interprétation des implantations
Sériation des vestiges
35La première opération à effectuer, pour tenter de faire apparaître un ordre dans le semis de pieux que contient le site, est la sériation. Mais selon quels critères ? Il est évident que tous ces pieux n’avaient pas le même rôle et qu’une relation existe entre fonctions et dimensions : par exemple pour des raisons de résistance mécanique, mais aussi de travail consenti selon la durabilité escomptée. On a dit que la courbe de répartition des sections présentait une rupture entre 15 et 18 cm. On peut donc dresser deux inventaires cartographiques des pieux en deçà et au‑delà de cette limite : le premier contiendra surtout de l’aménagement, l’autre surtout du bâti. Les cartes de ces deux séries, obtenues sur TIMOS, sont structurellement différentes. Pour les petites sections on obtient un semis assez désordonné, présentant des concentrations massées et des lacunes étendues, ainsi que des chaînes continues bien localisées. Pour les grosses sections, on obtient un plan organisé selon les directions principales du site, avec l’alignement comme mode de groupement remarquable, et même rejet en stricte périphérie pour les très grosses. Ces conclusions se confirment si l’on enrichit des cartes successives en ajoutant de nouvelles classes de sections par ordre décroissant. D’abord aléatoire, le semis de points s’organise plus nettement lorsque apparaissent les diamètres inférieurs à 25 cm, pour finalement se brouiller au‑dessous de 18 cm. On peut donc travailler, en première analyse, sur un plan limité à ces sections majeures (fig. 91).

FIG. 91 – Cartographie sélective des pieux sur TIMOS : a pieux de plus de 20 cm de diamètre, b pieux ronds de plus de 20 cm de diamètre, c pieux équarris de plus de 20 cm de côté, d pieux de moins de 15 cm de diamètre.
36Il faut noter qu’on a gardé, dans cette hypothèse, 90 % des pieux carrés. Si on les cartographie à part, on constate, d’abord, qu’entre eux ils forment un semis amorphe, avec une plus grande densité au voisinage des limites (sauf sur le littoral d’où ils sont pratiquement absents) et de part et d’autre du quadrillage de madriers dit bâtiment I, surtout à l’est. On note ensuite que sans eux, les lignes de force du plan des grosses sections apparaissent avec beaucoup plus d’évidence, sauf une double ligne immédiatement à l’est de l’ensemble dit bâtiment II qui ne contient au contraire que des carrés (fig. 92). Une hypothèse consisterait à interpréter certains de ces bois carrés comme des ajouts. Trois arguments confortent cette proposition : leurs positions erratiques ou exceptionnellement alignées suggèrent qu’ils n’auraient pas été prévus dans le plan initial ; ils sont fréquemment implantés à proximité d’un pieu rond de section comparable qu’ils viendraient renforcer ; enfin leur équarrissage soigné (pour autant qu’on le considère opéré sur toute leur longueur) ne les destinerait pas à être enfoncés profondément dans le substrat. Dès lors, d’où proviennent‑ils et pourquoi perturbent‑ils l’organisation des pieux ronds ? On peut imaginer qu’on équarrissait plus volontiers les pièces de superstructure et que ces pieux seraient plutôt des poutres remployées, à condition qu’elles fussent assez longues pour être encore recépées à bonne hauteur une fois foncées à refus. Dans le cas contraire, on devrait les munir‑ de clés, passées parleur travers, capables de les bloquer à l’enfoncement désiré. Trois des neuf pieux clavetés qui entourent les madriers de l’ensemble bâtiment I sont carrés ; c’est un indice et non une preuve car seule l’extraction et l’examen de quelques‑uns de ces pieux pourraient attester leur éventuel remploi. Ce serait l’indication d’une démolition d’ouvrages puissants, sur le site même ou sur d’autres, et donc d’une reconversion profonde du bâti, en cours d’occupation. Mais pourquoi les restaurations seraient‑elles si désorganisées sur l’habitat ? A‑t‑on présumé des qualités du sol et dû réaliser des consolidations importantes ? Sa plasticité a‑t‑elle contraint les habitants à remanier en permanence leurs ouvrages en dépouillant les installations les moins utiles jusqu’à l’abandon final ? La question reste ouverte. Des modèles de comportement des sols et des examens de vestiges enfouis seraient nécessaires pour y répondre.

FIG. 92 – Schémas des alignements de pieux par rapport aux madriers.
37L’observation, pas à pas, des petites sections montre un semis irrégulier avec des zones de densification bien circonscrites : en nuage au centre‑est d’une part, en trois chaînes ondulées d’autre part, l’une au nord et deux au sud. On observe d’ailleurs que la chaîne la plus méridionale contient des sections régulièrement décroissantes d’est en ouest, alors que son vis‑à‑vis est homogène. Cette première chaîne longe sensiblement un cadre de madriers alors que l’autre le chevauche, sans que leur parallélisme soit parfait puisque l’amplitude de l’écart par‑rapport à ces structures horizontales atteint 1 m. Ces anomalies de tracé apparentent davantage ces ouvrages à des clôtures ou des cloisons qu’à des façades. On a déjà noté leur probable enduction de torchis. En outre, la carte des sections plates révèle une localisation exclusive en ligne sur la limite est, les quelques spécimens isolés ailleurs n’étant pas caractéristiques. Il n’est pas douteux qu’on ait affaire à des éléments de la palissade d’enceinte.
Analyse morphologique du site
38Les sériations précédentes avaient pour but de mettre en évidence des catégories de vestiges entretenant entre eux des affinités objectives. Analysons maintenant les organisations morphologiques que présente chaque série ainsi identifiée. Elles sont d’ordre topologique, géométrique et métrique.
39Les alignements restent, bien sûr, le premier indicateur géométrique de ce type de site. Leur recherche n’est ici pas arbitraire puisque les cartes filtrées des structures verticales en révèlent certaines qui s’imposent assez nettement et que subsistent des structures horizontales réglées cohérentes. L’examen de la carte des pieux ronds de plus de 18 cm de diamètre montre un encadrement rectiligne dense du site sur trois côtés, le quatrième manquant dans la zone nord, non fouillée. Les pieux constituant ces alignements sont doublés en quinconce systématiquement côté lac et aléatoirement côté rivage. On sait, par l’analyse sédimentologique, que la composition de la couche archéologique varie notablement de part et d’autre de ces lignes de pieux : il convient donc de s’en tenir à l’hypothèse d’une enceinte (cf. Infra). Mais la présence de structures extérieures pose un problème. Les relevés récents mettent en évidence d’autres alignements plus lâches à l’extérieur de l’enceinte, à l’est (petit quadrilatère accolé à la palissade) et au nord (étroite bande de poteaux s’avançant vers la baie que forme le rivage). Ces deux zones n’ont pas encore été fouillées. Dans le premier cas, s’agit‑il des raidisseurs d’un clayonnage formant une braie qui aurait délimité une lice périphérique ou bien des supports d’un étage couronnant la palissade (hourd ou courtine) ? L’analyse archéologique n’en donne pas de confirmation formelle. Dans le second cas, on aurait affaire à des constructions aux plans peu caractérisés et installées en basse‑cour. S’est‑on étendu sur les terrains plus fermes au fur et à mesure d’une remontée des eaux, quitte à sortir des limites initiales ou bien l’existence d’un réduit permettait‑elle des installations moins bien protégées ? L’extension de la fouille devrait apporter des éléments de réponse à ces questions.
40Le tiers méridional de cette enceinte est divisé en quatre intervalles comparables par trois files parallèles de pieux importants, assez strictement orientées nord‑sud. Le deuxième intervalle est lui‑même divisé par la ligne de pieux carrés déjà mentionnés comme un éventuel remaniement. Les deux alignements les plus orientaux sont, de plus, dédoublés. Dans l’état actuel des fouilles, ces files coïncident en orientation, mais non en position, avec les cours de madriers horizontaux qui forment le bâtiment II. Line telle géométrie évoque des files de poteaux porteurs indépendants d’un quadrillage de longrines. Si ces files suggèrent des nefs bâties, elles n’indiquent pas pour autant comment elles pourraient constituer des bâtiments, car celles qui sont dégagées coïncident mal avec les discontinuités de dépôts archéologiques et avec l’implantation des files de piquets. Aussi la question se pose de l’indépendance du cloisonnement et de la couverture : l’hydrophilie du sol a‑t‑elle incité les bâtisseurs à couvrir la quasi‑totalité de leurs installations par des toitures, sinon continues du moins très rapprochées, peut‑être semblables à celles des régions à saison des pluies marquée, par exemple au Bénin (Pétrequin 1984) ? On remarquera qu’aujourd’hui encore, l’architecture rurale traditionnelle de cette région des « Terres Froides » se caractérise par de grands toits débordants dont les auvents sont souvent supportés par des poteaux.
41Ces files butent sur une organisation sensiblement carrée, presque vide de pieux, qui encadre assez rigoureusement le quadrillage central de madriers, dénommé bâtiment I. Un des points de ce quadrilatère est lié mécaniquement aux madriers par une entretoise, comme on l’a mentionné plus haut. Huit autres pieux présentent la particularité d’être clavetés à leur base et les plus lisibles d’entre eux sont notablement inclinés vers l’espace central. Il faut cependant noter que d’autres clavetages existent sur le site : 13 au total. On se doit donc de considérer cette configuration comme une structure architecturale cohérente, sans toutefois pouvoir décider, par des arguments seulement géométriques, de sa qualité d’espace intérieur. C’est l’examen du sol et du mobilier qui apporte cette confirmation. Seuls deux pieux importants trouvent place dans ce vide, en position d’assurer l’adossement d’un foyer établi sur l’aire d’argile centrale.
42Les cartes filtrées par TIMOS montrent, entre la limite est de ce carré et l’enceinte, un nuage très dense de pieux (de différents diamètres et résistants aux tentatives de sériations) dans lequel se dessine, mais avec quelque incertitude, un éventuel alignement. La fouille y a révélé un amas de rondins entiers ou refendus, ayant pu rendre le sol praticable à moins qu’il ne s’agisse d’un effondrement (fig. 93). Dans ce dernier cas les sections évoquent un plancher d’étage plutôt qu’un support de toiture. La fouille d’ensemble devrait éclairer ces hypothèses et peut‑être révéler des dispositifs d’accès au bâtiment I. Les cartes montrent aussi deux alignements rapprochés, de direction est‑ouest, qui doublent le côté nord de ce même grand carré, ainsi qu’un autre, plus lâche, à mi‑distance du côté ouest et de la palissade du lac : s’agit‑il de nefs accolées, d’appentis ou de portiques ? Au‑delà, au nord, s’étend une lacune, libre de pieux, qui sépare le site en deux et correspond aux destructions du chenal moderne. Si les pieux qui s’y trouvaient ont été recépés et non arrachés, comme c’est probable, la fouille profonde pourra en restituer le plan.

FIG. 93 – Platelage de rondins et madriers, à l’est du bâtiment I.
cliché CAHMGI
43La moitié septentrionale du gisement, fouillée seulement au voisinage du rivage ancien, semble contenir des organisations architecturales aussi importantes et de même type que la moitié méridionale, mais qui ne sont pas analysées ici.
Métrique du site
44L’observation systématique des mesures entre éléments architectoniques peut contribuer également à orienter les hypothèses architecturales. On ne saurait trop rappeler qu’il s’agit là d’un exercice périlleux qui a donné lieu à des abus manifestes. Ainsi en va‑t‑il, croyons‑nous, des analyses d’édifices menées avec l’a priori dogmatique de généraliser l’application des séries mathématiques remarquables en architecture. La multiplicité des attachements de mesure vraisemblables et l’insuffisante précision des relevés des monuments anciens suffisent à mettre en doute la plupart de ces tentatives. C’est pourquoi on se limitera ici à vérifier la vraisemblance de configurations présumées par d’autres méthodes. Il faut préciser également que le positionnement précis des ouvrages est compliqué par les conditions de la fouille subaquatique et l’absence de vision d’ensemble qui en découle. L’alignement le moins contestable est celui du rivage ouest : les cotes entre axes de ses pieux présentent un pic de fréquence vers 2,60/2,70 m, longueur un peu supérieure à la toise lyonnaise (2,56 m). D’autres alignements présentent des intervalles réguliers : les files nord‑sud repérées ci‑avant contiennent également nombre d’intervalles échelonnés entre 2,20 m et 2,70 m, sauf pour la limite du bâtiment II où ils sont plutôt de 3 m, argument supplémentaire pour considérer cette file à part. Outre les espacements de pieu à pieu, le parallélisme des files, réduites à leurs points principaux, est remarquable : de 5,30 m à 5,60 m pour ces mêmes espaces le long des limites est et ouest, 10,50 m dans les deux directions pour le carré dit bâtiment I. On aura noté que les cotes fréquentes de 2,65 m, 5,30 m et 10,60 m sont doubles l’une de l’autre. Des observations de ce genre peuvent être répétées sur pratiquement tous les alignements majeurs du site. Que conclure ? D’abord que la modularité accrédite l’authenticité d’un alignement identifié par ailleurs ; ensuite, et réciproquement, que la régularité des intervalles peut être utilisée pour trier les pieux dans une série confuse. Enfin, et c’est à notre sens le plus important, que sous son désordre apparent, le site bâti cache une grande maîtrise dimensionnelle, ce qui permettrait d’envisager une architecture élaborée conforme en qualité à ce qu’évoquent les vestiges mobiliers, mais qui pose avec plus d’acuité encore le problème de l’interprétation du fouillis qui s’y superpose.
45On pourrait tenter, toujours avec une grande prudence, une recherche de références de ces cotes remarquables en les rapprochant des mesures en usage à cette époque ou de celles attestées sur d’autres gisements. Ainsi la recherche systématique d’unités de mesure pourrait être entreprise dès lors qu’on aurait attesté les attachements à prendre en considération. En première analyse, des mesures comme le pas (à Lyon : 0,85 m, 2 pas = 1,70 m, 3 pas = 2,55 m très proche de la toise) (Lauradoux 1812, AVL 212 et Dausse An X) pourraient s’appliquer, mais leur faible précision pratique paraît mal adaptée au réglage des parallèles. Quant aux unités de toisé ancien comme le pied (à Lyon : 34,25 cm), elles sont trop petites en regard de l’imprécision des mesures in situ pour être probantes. Une étude mieux documentée apporterait vraisemblablement des informations utiles. Le bâtiment du Châtelard de Chirens (cf. infra), ouvrage contemporain de celui de Colletière (ou plutôt très légèrement postérieur) est implanté sur des trames de 3,30 m à 3,40 m, soit 4 pas (divisibles en deux de 1,60 m à 1,70 m) ainsi que 7,50 m, soit 9 pas ou 3 toises. Ces dimensions ne semblent pas directement réductibles à celles de Colletière, mais, ici encore, modulation et parallélisme sont parfaits alors que l’équerrage reste approximatif.
46C’est là une caractéristique générale des plans terriers médiévaux. A Château‑Gaillard (Ain), dont les vestiges seraient en majorité antérieurs à Charavines, les largeurs de nef sont souvent de 2,50 à 2,70 m pour les latérales et de 4,20 à 4,80 m pour les centrales, alors que les travées oscillent autour de 3 m. On note, de nouveau, la fréquence de l’intervalle 2,50/2,70 m et secondairement 3 m. Cela renforce l’interprétation des séquences de poteaux en files comme des rythmes de travées.
47Les tracés qu’on vient de décrire ne peuvent, à eux seuls, déterminer un plan de bâtiment car ils ne sont généralement pas périmétriques. Mais leur confrontation avec les analyses archéologiques et sédimentologiques des espaces adjacents livre des indices de parois supplémentaires. Il en ressort que les périmètres résultant uniquement de l’analyse morphologique des systèmes de pieux ou madriers coïncident plus ou moins avec ceux suggérés par les sédiments selon qu’ils appartiennent aux bâtiments I ou II. Le sol de l’ensemble I indique un espace uniformément habité, encadré par des madriers distants de 10 m, eux‑mêmes cernés de poteaux. L’ensemble II présente une juxtaposition et une succession d’activités paraissant délimitées par des cloisons superficielles biaises par rapport au croisillon de madriers de 7 m d’envergure, lui‑même décalé par rapport aux files de pieux. Cette disparité morphologique, qui concorde avec des disparités d’essence des bois, incline à lire ce dernier ensemble comme résultant d’un remaniement, d’autant que l’ensemble III, très partiellement fouillé mais lisible en silhouette, s’apparente par ses dimensions au bâtiment I (mais par ses essences au bâtiment II). Dans cette hypothèse, il faudrait faire abstraction d’une des deux structures pour interpréter un stade cohérent du bâtiment II. Par exemple, en négligeant le quadrillage de madriers et la double file de pieux carrés, on privilégierait la cohérence suggérée par les files verticales espacées d’environ 10 m. On pourrait ainsi avoir affaire à trois grands édifices carrés semblables, répartis dans l’enceinte, dont le plus méridional aurait été remplacé par un plus petit, rectangulaire et décalé. A cette occasion, de nouveaux madriers et une file d’appuis en bois de remploi auraient été installés, ce qui suppose des destructions importantes et de véritables reprises en sous‑œuvre. A l’inverse, on peut considérer qu’une plate‑forme de madriers a d’abord été installée, simplement environnée de parois légères, au travers de laquelle on aurait ensuite établi un ouvrage en poteaux plantés abritant un foyer, sans pour autant éprouver le besoin de compléter la plate‑forme. A l’usage, le comportement du sol, dominé par le tassement davantage que par le glissement, aurait pu déterminer les bâtisseurs à ne pas reconduire cette technique d’encaissement qu’ils avaient appliquée en arrivant.
3.1.5.2 Interprétation des volumes
48Une reconstitution fiable des volumes bâtis supposerait l’identification formelle des amorces de parois ou de fragments de leurs parties courantes, et la récupération de vestiges de couverture.
49On a dit que les matériaux de superstructure semblaient avoir été généralement prélevés avant l’effondrement ou bien dispersés par flottage. En tout état de cause un couvert minéral ou en bois (essendoles) aurait laissé des traces. C’est donc une couverture végétale, et par conséquent à forte pente, qu’il faut envisager : roseau, chaume de céréales etc. Ce sont alors des combles à deux versants, munis ou non de croupes ou de demi‑croupes, avec souche de cheminée en faîtage, qu’il faut restituer parce que les couvertures végétales ne s’accommodent ni de faîte pyramidal, ni de renvers dans la pente ou entre deux pans.
50La particularité du site de Colletière, si l’on suit nos hypothèses d’implantation, réside dans la portée des espaces non redivisés : des carrés de l’ordre de 100 m2 ! Cela pose une question cruciale sur la structure du comble capable de franchir cette portée. On a vu que la technologie constatée permettrait la construction de fermes triangulées, mais que leur connaissance par les bâtisseurs est difficile à attester. Si l’on admet le système classique à empilage (poutre maîtresse portant des pannes par l’intermédiaire d’un jeu de potelets et de poutres rampantes) il faut assurer la rigidité par les sections elles‑mêmes ou par l’adjonction de chandelles ne laissant aucune trace puisqu’on simple appui sur des patins ou des madriers superficiels11. Une telle poutre maîtresse pèserait environ une tonne et collecterait une surcharge pouvant aller jusqu’au double sans compter la neige. Sa flèche naturelle serait nécessairement importante mais la mise en place de l’ensemble pourrait se décomposer en phases de levage indépendantes demandant plus d’énergie que d’astuce. Il faut reconnaître qu’il s’agit là d’une technologie viable mais limite dans un tel cadre. A l’inverse, une ferme à arbalétriers et entrait ne requiert que des bois plus élancés, donc moins lourds, mais exige un trait élaboré et un levage d’ensemble. Seule la découverte des assemblages qu’elle nécessite (embrèvements, mi‑bois) consoliderait une telle hypothèse. Dans l’un ou l’autre cas, la question du sens de faîtage se pose. Si l’on interprète les deux plus gros poteaux intérieurs du bâtiment I comme l’adossement d’une cheminée, il faut voir‑le faîte implanté perpendiculairement à la ligne qu’ils forment, c’est‑à‑dire nord‑sud12. Cette direction assurerait aussi une moindre prise aux vents dominants.
51La question des supports verticaux reste ouverte : murs porteurs ou poteaux avec remplissage ? Il a été indiqué que les madriers périphériques ne pouvaient avoir servi de longrines sous des murs en pisé, comme pourrait le laisser envisager leur désaxement par rapport aux lignes de poteaux, car on n’a pas retrouvé de masses d’argile de destruction suffisantes (Colardelle 1980). N’étant pas entaillés à quart‑bois, ces madriers ne semblent pas non plus avoir porté des murs de bois empilés jointifs et croisés à leurs extrémités. Tout au plus auraient‑ils pu en constituer l’assise noyée dans le sol, ce qui n’est pas incompatible avec l’absence de toute trace de seuil constatée. Plus simplement, il pourrait s’agir d’une construction en grumes superposées de la même façon mais sans entailles, dont l’équilibre médiocre serait amélioré par les pieux foncés de part et d’autre. Une telle construction laisse sensiblement 50 % de jours qu’il faut calfeutrer avec des masses de bauge susceptibles de fournir d’abondants restes argileux. On pense encore à considérer les madriers couchés comme l’appui d’une paroi clayonnée, à condition que le plus superficiel d’entre eux présente une rainure ou une série de trous d’enfichage des perches du colombage : or on n’aurait vraisemblablement pas conservé un tel élément (les files denses de petits piquets constitueraient alors une variante plantée de ce système). On peut enfin considérer que le caractère facultatif de la concordance géométrique des pieux et des madriers milite pour que ces derniers soient plutôt des aménagements du sol que des bases rigoureuses de superstructures : leur implantation modulaire n’exclut pas qu’on en trouve sur une bien plus grande étendue au fur et à mesure des fouilles. L’intervalle d’environ 7 m qui sépare les madriers périphériques du bâtiment II se retrouve entre des bois dégagés en 1989, au centre ouest du site. Par ailleurs, comme on sait que le niveau d’occupation correspond bien au terrain et non pas à un plancher sur vide sanitaire, ils constitueraient une tentative déstabilisation par encaissement limitant la déformation plastique du sol et seraient répartis systématiquement sur les surfaces fréquentées, en lits successifs à mesure de leur enfoncement, leur désaffleurement pouvant être compensé par les jonchées. Il faut noter toutefois qu’un tel procédé n’est justifié, d’un point de vue géotechnique, qu’au voisinage du front de rivage, là où les éboulements sont plus redoutables que le tassement.
52La fonction de support vertical des édifices semble donc bien être assurée par les seuls poteaux, ce qui nécessite un remplissage de façade indépendant, vraisemblablement léger : clayonnage, bardage etc. Or un certain nombre de ces poteaux –essentiellement dans le bâtiment I– présentent une inclinaison notable que les difficultés de mise en œuvre, jointes aux éventuels mouvements différentiels du terrain, peuvent expliquer tant qu’elle reste aléatoire (fig. 94). Mais on remarque un certain systématisme : ainsi un alignement double (celui des poteaux carrés) dont une file est verticale et l’autre oblique ; la convergence se produirait aux environs de 3 m de haut. De même les poteaux clavetés entourant l’ensemble I sont généralement inclinés et rencontreraient la ligne des poteaux voisins à 1,50 m de haut, l’aplomb des madriers à plus de 3 m et les poteaux intérieurs à plus de 6 m. Il ne s’agit là que d’indications moyennes compte tenu de l’imprécision de mesure des axes des bois, mais qui pourraient orienter l’interprétation vers le doublage de certains poteaux par des étais convergeant sur les sablières. Appartiendraient‑ils à la construction d’origine ou à des campagnes de restauration ? Il est, de toutes façons, difficile de faire converger un étai planté profondément clans le sol sur un membre de charpente déjà en place. Si l’hypothèse de la restauration se confirmait malgré tout, elle indiquerait un manque d’équilibre des poteaux verticaux, soit du fait de la plasticité du sol où ils sont enfoncés, soit du fait des poussées horizontales qu’ils recevraient en tête. L’inclinaison semble trop limitée et trop accidentelle pour justifier un couvrement à effet de voûte (du type du cruck nordique), mais suggère la présence de masses en élévation et particulièrement d’étages de grenier, nécessaires pour le stockage de la grande quantité de noix et autres céréales sèches qui ne pouvait être envisagé à proximité du sol humide. Un relevé plus fiable et systématique des inclinaisons permettrait d’aller plus loin dans cette interprétation.

FIG. 94 – Pieux obliques du bâtiment I
cliché M. Paulin
3.1.5.3 Vue d’ensemble
53En rassemblant les diverses hypothèses précédentes, on peut proposer une évocation de l’habitat. On évitera pour cela de recourir à une figuration qui mettrait inévitablement en scène des dispositions spatiales ou des détails techniques non attestés. Cependant la recherche a livré assez d’indices pour autoriser une description globale de l’architecture de Colletière (fig. 95 a et b).

FIG. 95 – Restitution volumétrique du bâti : a 1re hypothèse, b 2e hypothèse.
54Un enclos rectangulaire, près de trois fois plus long que large, coiffe une presqu’île crayeuse qui avance au ras de l’eau sur le rivage. On accède au milieu de son long côté terrestre par un chemin tourbeux entre les roseaux, pour se trouver en présence d’une palissade de planches fichées dans le sol, sans doute complétées par un clayonnage, et enduites d’un gobetis de terre. Des poteaux espacés de deux à trois mètres et coiffés de sablières viennent la raidir. L’enceinte est précédée de constructions de moindre ampleur (barrière avancée, voire barbacane comme il en existe probablement au Châtelard de Chirens) qui fonctionnent ou non avec elle. Elle est couverte, soit par le débord des toits des bâtiments qu’elle enserre, soit par un couronnement propre : simple chaperon, lourds ou plate‑forme. Approchant en pirogue, on se trouve face à un double pilotis puissant, plongeant dans l’eau, et fourré de galets et de branches contenus grâce à des traverses et, au moins en certains endroits, précédé d’une palissade de même type qu’à l’est, à moins qu’il y ait eu là une structure de planches empilées. On ignore tout de son couronnement. Etait‑il circulable comme le permet aisément sa largeur ? On pense qu’un accès à bateaux était ménagé dans sa partie septentrionale.
55Dans cet enclos s’élèvent les bâtiments, sans doute très compacts et réservant d’assez étroites ruelles entre leurs grandes toitures de chaume à forte pente. Ils s’organisent autour de trois pôles, ceux que nous avons dénommés « bâtiments »bien que leurs discontinuités ne soient pas claires. Le plus structuré est au centre. Ce sont des quadrilatères environnés de galeries ou d’appentis, au moins partiellement pourvus d’étages de comble. Leurs centres sont occupés par d’importantes cheminées à avaloirs de bois débouchant par une courte souche sur le faîtage et contribuant à l’éclairage de l’âtre. Tous ces ouvrages présentent des marques de remaniement : poteaux doublés, étais, rachats d’aplomb, etc. Le plus méridional est remanié : d’abord bas et de construction légère, il est ensuite plus haut et plus charpenté. Entre les édifices massés prennent place des abris secondaires, ou de simples plates‑formes, où sont installés fours et fourneaux sur leur sole d’argile battue. Ailleurs on circule sur un sol peu compact, surchargé de végétaux mêlés de fumier animal. Çà et là des galets comblent une fondrière ou un platelage de dosses ménage un passage au sec. On perd facilement un outil dans cet épais lattis ! Les portes présentent de hauts seuils qu’il faut enjamber s’ils ne sont pas munis de rampes ; elles s’ouvrent sans doute a couvert, sous des auvents. Les fenêtres ne sont pas connues. On les imagine par analogie avec les modèles ethnographiques : rares et petites, sans châssis et closes par un volet massif.
56L’interprétation architecturale de l’habitat de Colletière est aujourd’hui le domaine d’étude qui reste le plus susceptible d’être modifié et précisé, grâce à l’extension des fouilles. Plusieurs points peuvent cependant être considérés comme acquis. La technique générale reprend les dispositions habituelles de la construction de terre ferme, bien repérable par exemple au Châtelard de Chirens : charpente sur poteaux de bois plantés à intervalles réguliers, remplissages des parois en clayonnage enduites de terre, couvertures de chaume à forte pente (fig. 96). Les entrecroisements de madriers se situent préférentiellement dans les aires construites, mais pas exclusivement, ce qui élargit l’interprétation de leurs fonctions à la stabilisation générale de l’aire d’habitat. Le plan général, qui inclut, dans une enceinte établie sur le littoral, trois ensembles architecturaux distincts, montre une différenciation des fonctions. La zone orientale est davantage liée à l’habitat, à l’agriculture et à l’élevage, alors que la façade littorale rassemble les activités artisanales dans sa partie centrale (métallurgie, mégisserie et maréchalerie) et les dépotoirs dans sa partie nord, plus basse et inondée en cas de crue. Parmi les bâtiments, le plus central présente les caractéristiques les plus remarquables : cohérence entre l’organisation horizontale et verticale de sa structure, dimension libre, agencement de son espace autour d’une vaste cheminée, continuité et stabilité de son mode d’occupation. Cela lui confère une importance que confirme l’étude de répartition d’objets et de vestiges et le place en position d’ordonner différents espaces fonctionnels autour de lui.

FIG. 96 – Un exemple d’architecture traditionnelle : la ferme de Louisias à Charavines.
cliché Y. Basq, fouilles de Colletière
57Seule la poursuite des recherches apportera des réponses aux grandes questions actuellement pendantes. Pour la partie est du bâtiment II, la fouille devrait éclairer la chronologie de construction et permettre de décider entre une surimpression de bâtiments massés et une agrégation de bâtiments diffus. Pour l’ensemble d’ouvrages situés à l’extérieur de la palissade, il faudra démontrer leur usage. Soit il constitue une barbacane liée à une entrée ce qui renforcerait le caractère défensif de l’établissement. Soit il s’agit d’annexes de l’habitat à caractère essentiellement agricole ou artisanal. Pour le bâtiment III, il faudra découvrir sa fonction, résidentielle, défensive, agricole ou artisanale. Enfin, pour la zone du chenal, où les structures sont pour le moment invisibles, il conviendra de vérifier l’hypothèse d’un passage vis‑à‑vis d’une entrée ou, au contraire, d’en affecter les surfaces aux activités générales (simple ruelle entre bâtiments voisins).
3.2 L’habitat et le lac : les données des sédiments
58Jacques‑Léopold Brochier, Jean‑Claude Druart
3.2.1 Situation géomorphologique
3.2.1.1 A l’origine du site : une avancée du substrat dans le lac
59L’étude des grands transects rive‑lac et nord‑sud (cf. supra), montre que les craies se constituent en système progradant depuis la rive (où les plus anciennes datées de 3860 av. J.‑C. affleurent) mais aussi vers le nord et le sud depuis un axe médian, situé approximativement sur le grand transect rive‑lac. L’ossature de cet axe doit être constituée par avancée du substrat morainique ou molassique, formant une sorte de dôme. La cartographie de la couche sableuse (riche en tests de mollusques) qui se dépose juste avant l’habitat, souligne à cet endroit l’existence d’une sorte de petit « golfe », fermé en arrière du pointement (fig. 97a). La morphologie actuelle de la rive résulte donc de cette paléotopographie constitutive, et de l’érosion différentielle de la rive due à la présence protectrice des pieux.

FIG. 97 – a Profil nord‑sud et courbes de niveau du relief b naturel à l’origine du site. b Topographie des différentes dynamiques sédimentaires.
3.2.1.2 La zone construite en position de presqu’île
60A la suite de l’abaissement des eaux, les hommes profitent de cette avancée crayeuse exondée pour y implanter leurs bâtiments. Le petit « golfe » décrit précédemment crée une zone déprimée humide, dont la profondeur n’excède pas quelques décimètres. Les différents types de dynamiques sédimentaires définies dans les carottages (cf. supra) permettent de dresser le tableau suivant (fig. 97b).
61La dynamique anthropique est strictement limitée à l’habitat à l’intérieur de la palissade, où subsistent des couches non érodées. La dynamique lacustre n’y est que très faiblement et très ponctuellement sensible, lors d’inondations. L’homme par ses activités et ses rejets crée lui‑même un exhaussement sédimentaire.
62La dynamique lacustre sublittorale est nette dès que l’on franchit la ligne des pieux qui bordent le lac. Du côté du large, la fraction anthropique dans les sédiments lacustres est quasi inexistante voire nulle. Elle paraît se développer, sous la forme de petits niveaux à colloïdes organiques, à l’ouest et au sud des bâtiments. Cette quasi‑absence de traces laisse supposer que le lac n’a pas été utilisé comme dépotoir et que les pieux marquent plus la présence d’une palissade que d’un quai. Il semble peu probable que des courants sous‑lacustres aient déblayé tous les rejets : les plus lourds au moins auraient subsisté,
63La dynamique lacustre eulittorale anthropisée se développe immédiatement en arrière de l’habitat, entre ce dernier et la rive actuelle, sur sa moitié sud et sur une bande de 10 m de largeur. La sédimentation s’y fait souvent en deux temps. Les teneurs en matière organique vont de 10‑20 % à 40‑50 % du haut en bas de la couche. Les carbonates d’origine lacustre passent, eux, de 80 % à 20‑30 %, alors qu’ils étaient inexistants dans les limites de l’habitat. On est donc à cet endroit en milieu limnique peu profond, pouvant être exondé temporairement. Les fortes teneurs en phosphates (4 à 7 u.c.) correspondent à d’importants rejets en provenance de l’habitat. Ils paraissent avoir créé par leur accumulation une sorte d’exondation artificielle ; le sommet des points S (profil III), 209 et 109, est très peu marqué par l’eau. Le pH acide de 6 tendrait à prouver que des tourbes dues à l’implantation d’une roselière ou d’une cariçaie s’y sont développées. Il n’est pas possible de dire si cet épisode est contemporain de l’habitat ou postérieur.
64La dynamique lacustre eulittorale peu anthropisée occupe la zone nord‑est et la bande déprimée entre les tourbes riveraines et la zone précédemment décrite. Sur le plan des apports en matière organique, elle subit une influence probablement plus grande des formations tourbeuses que de l’habitat. Les teneurs en matière organique tombent à 4‑6 %, celles en phosphates à 4 u.c., et les carbonates atteignent 95 %.
65La dynamique tourbeuse, qui se perpétue avec de probables interruptions sur la frange littorale depuis le IIe siècle après J.‑C., se manifeste encore au cours de l’occupation, mais fortement ralentie par l’abaissement du lac.
66La dynamique terrestre intéresse le versant, une fois la frange de tourbe franchie. On a, en bas de pente, des graviers et sables colluvionnés. Le profil de la tranchée n’est pas suffisant pour obtenir des éléments chronostratigraphiques précis.
3.2.2 Sédiments anthropiques et limniques dans l’habitat
67Sédimentologiquement, les couches archéologiques de Colletière se classent comme des sables organiques, plus ou moins limoneux ou grossiers. Elles sont parfois appelées « fumier lacustre », appellation que nous récusons car elle suppose une action essentielle du lac dans leur formation. Nous préférons celle de « fumiers d’habitat » (Brochier 1983). Les teneurs en matière organique s’échelonnent de 30 à 65 %, celles en phosphates de 6 à 15 u.c. (les craies sont à 1‑3 u.c.). Le pH de ces niveaux se situe autour de 7 ; il descend jusqu’à 6 lorsque se produit une interaction avec un niveau tourbeux. L’observation des fractions sableuses à la loupe binoculaire montre une grande proportion de débris d’origine végétale ; il en est de même pour les fractions fines limoneuses. Les grains détritiques minéraux sont peu fréquents. L’étude des macrorestes végétaux et de la dynamique de sédimentation démontre que la quasi‑totalité de ce matériel est produit par l’activité humaine.
68La recherche de la présence d’eau dans ces sédiments a été entreprise en appliquant les méthodes suivantes :
– recherche des carbonates lacustres fins par dosages systématiques au calcimètre Müller sur l’ensemble de la fraction inférieure à 0,5 mm ; excepté à certains endroits visiblement remaniés par l’eau, tous les résultats ont été négatifs ;
– recherche systématique à la binoculaire d’indices limniques tels que tests de mollusques aquatiques, tests d’ostracodes, ou encore oogones de characées et concrétions carbonatées lacustres ; ces éléments sont tellement rares et isolés dans les sédiments que l’on doit expliquer leur présence soit par une activité de l’homme liée au lac, soit par une inondation rapide du site.
69Les courbes granulométriques cumulatives présentent un faciès aplati de caractère hétérométrique, ne dénotant aucun classement par les eaux du lac. Les analyses de diatomées effectuées dans ces sédiments archéologiques ne révèlent la présence que de quelques taxons (Fragilaria spp, Cymbella spp, Cocconeis spp et Navicula spp) qui ont pu être apportés avec des plantes aquatiques provenant des alentours, par les habitants ou lors d’inondations temporaires ; contrairement aux Grands Roseaux, aucune diatomée caractérisant un milieu pollué (étable par exemple) n’a été trouvée sur la station, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en avait pas car l’échantillonnage a été ponctuel. On note la présence d’agglomérats dont le ciment résistant à plusieurs heures d’agitation est constitué d’une matière organique fine d’aspect goudronneux (Brochier 1983) ; il ne s’agit pas de coprolithes à proprement parler mais de fumier animal évolué, induré, ayant subi un début de diagenèse ; ce processus n’est guère concevable qu’en milieu terrestre. L’observation au microscope des particules fines (silts, poussières) a mis en évidence à certains endroits des concentrations de spores qui, d’après A. Arpino pourraient appartenir à des champignons. Leur développement paraît synchrone du dépôt car il est lié à des faciès bien précis (fumier par exemple) ; leur caractère aérobie est un argument supplémentaire en faveur de l’exondation des couches d’habitat.
70Nous concluons à un dépôt primaire en milieu exondé, et temporairement inondé au cours de crues. Une certaine humidité persistante a permis la bonne conservation du matériel organique. Les cuirs sont assez bien conservés, les tissus et les tiges d’herbacées et de graminées ont disparu. Des analyses biochimiques plus approfondies devraient préciser l’état de dégradation du matériel végétal. Les nombreux flocons de colloïdes organiques amorphes, visibles au microscope, montrent qu’il a déjà évolué sous l’action des exondations successives. L’observation, sur les rives actuelles des lacs, d’épais cordons organiques a montré qu’en lisière de l’eau, la surface de ces fumiers restait sèche sur quelques centimètres, et parfaitement habitable. Au cours de l’occupation, le niveau du lac était situé immédiatement en dessous de couches archéologiques périodiquement inondées lors des entes (cf. supra).
3.3 Les sédiments archéologiques : analyse spatiale
71Jacques‑Léopold Brocher
72Le sédiment archéologique de Colletière est donc un matériel dans l’ensemble très organique, conservé en milieu lacustre. L’accumulation de débris végétaux aussi variés que brindilles, graines, pailles et fumier provient manifestement de l’activité humaine. La fraction minérale généralement à l’état de traces, ou plus rarement en concentrations lenticulaires (graviers, sables, argiles), provient des matériaux de construction. Les apports sédimentaires lacustres y sont quasiment inexistants.
73Ces dépôts ont une histoire directement liée aux activités de l’homme, à l’organisation de son habitat et à ses modifications au cours de la vie du site. Le sédiment que l’on fouille est déjà en lui‑même un document archéologique porteur d’informations d’ordre ethnographique et, par l’intermédiaire du contexte stratigraphique, d’ordre historique (Brochier 1986b, 1988a). Son étude approfondie apporte un ensemble d’informations qui, avec les résultats d’autres travaux, vient enrichir le faisceau d’approches pour la restitution des sociétés du passé.
74Les structures d’habitat « évidentes », « groupe de témoins dont la structuration est directement perceptible » (Leroi‑Gourhan 1972) sont décrites et relevées à la fouille. Les structures « latentes » apparaissent à l’analyse dans les relations entre certains objets, ou entre des objets et des structures évidentes. L’activité de l’homme sur un site ne se limite pas à ces seuls témoins tangibles, elle est encore perceptible dans l’accumulation sédimentaire et dans la transformation du substrat qui en résulte (Guillerault 1987). Le sédiment est porteur d’informations qu’il faut déceler sur le terrain mais qui nécessitent aussi des analyses de laboratoire plus ou moins approfondies. Nous avions parlé de palethnosédimentologie lors des premières recherches expérimentales sur le site néolithique voisin des Baigneurs (Brochier 1982). Nous proposons désormais la notion d’ethnofaciès sédimentaires qui doit être comprise comme :
– un dépôt défini spatialement par un ensemble de caractères d’ordre sédimentologique, texture, structure, couleur, composition macro‑ et microscopique, géochimique ;
– un dépôt dont l’origine est essentiellement anthropique et peut être rattachée à une ou plusieurs activités humaines particulières, même si elles ne nous sont pas connues précisément.
75L’analyse en laboratoire sert d’appui aux interprétations et ne peut se limiter à une seule étude en fin de fouille. C’est sur toute la surface du site que le sédiment doit être étudié. De précédents travaux ont montré que ces « fumiers d’habitat », au premier abord fort homogènes, pouvaient se différencier et étaient riches d’enseignements stratigraphiques et spatiaux (Brochier 1982, 1984, 1986b ; Nicoud 1988 ; Moulin à paraître). La fouille extensive de Colletière demandait de mettre au point une méthode d’investigation qui permette de ne pas perdre cette documentation.
3.3.1 Méthode
76L’étude des sédiments archéologiques doit considérer les conditions d’une fouille subaquatique et d’une fouille extensive, mais elle doit également prendre en compte le coût et le temps nécessaires aux analyses. La compréhension spatiale du comportement des sédiments sur les surfaces fouillées repose sur la chaîne méthodologique suivante :
– observations macroscopiques, sous l’eau, du sédiment et relevés détaillés en cas de fouille hors d’eau en période d’étiage ;
– carottage systématique de la séquence archéologique à chaque angle des grands triangles de 5 m de côté ;
– relevé stratigraphique détaillé des carottes prélevées, complété par une documentation photographique.
77Le codage des sédiments s’impose du fait de la complexité et de l’homogénéité apparente des couches organiques sur les sites lacustres. La nécessaire uniformisation des appellations sur l’ensemble du gisement demandait un minimum de formalisation. Nous avons opté pour un code de trois membres de trois lettres, déjà expérimenté sur la tourbière de Fiave en Italie (Brochier et al. 1986b), pour décrire et informatiser les données de 400 carottages : il a fait les preuves de son efficacité (système STRATO de P. Corboud). Il s’agit en quelque sorte d’une typologie des faciès sédimentaires établie en lecture directe, sans analyse, fondée sur les notions de texture, structure, couleur et la présence de constituants remarquables. Le système repose sur l’abréviation de tenues descriptifs simples ; il ne doit pas être hermétique afin de pouvoir assurer un suivi de la fouille par plusieurs personnes ainsi qu’une nécessaire homogénéité des notations. FIN. HOM. COM. désigne par exemple un fumier d’habitat fin, ’homogène, compact ; GRO. HET. LAT. un matériel organique grossier, hétérogène, riche en copeaux et brindilles (lattis). L’échantillonnage est réalisé par faciès sédimentaire, essentiellement sur les carottes et, quand cela est possible, sur les profils stratigraphiques hors d’eau.
78Les analyses en laboratoire ne sont pas possibles en continu dans le cas d’une fouille extensive. Elles sont seulement conduites ponctuellement sur certaines carottes, certains profils, et destinées à mieux comprendre l’origine d’un faciès. Elles consistent en granulométries puis observation au stéréomicroscope des constituants des fractions sableuses entre 0,6 et 2 mm. L’analyse chimique intervient ensuite : pH, matières organiques, phosphates et carbonates (les procédures sont précisées dans Brochier, Joos 1982). Ces analyses ont été réalisées au laboratoire de préhistoire de l’université de Bâle (département des sciences naturelles appliquées à l’archéologie). L’observation au microscope polarisant de la fraction fine, silts de 20 à 60 microns, mise au point ici, complète la connaissance du sédiment en révélant la présence de micro‑organismes, de phytolitaires, de particules minérales diverses et l’état de la matière organique. Des lames minces, destinées à l’observation micromorphologique, viennent d’être réalisées sur les couches archéologiques très organiques. La méthode a déjà été éprouvée en milieu terrestre (Courty et al. 1987). Nous ne présenterons pas les tous premiers résultats qui semblent prometteurs mais qui doivent encore être vérifiés, Les résultats d’analyse joints aux observations faites en cours de fouille et sur les carottes permettent de préciser l’extension des faciès en surface et de proposer une ou plusieurs interprétations sur leur origine.
3.3.2 Étude expérimentale de la ligne de carottages 202‑201‑203
79Cette étude a démontré que la séquence sédimentaire de l’habitat de Colletière pouvait s’interpréter en termes ethnographiques (activités correspondant à des faciès particuliers) et historiques. Elle a été réalisée à partir de l’analyse de 11 carottes prélevées sur un profil de 12 m de long qui recoupe en partie les bâtiments I et II et l’espace les séparant (Pl. I, C). Les résultats ont déjà été publiés (Brochier 1986b) ; nous les rappellerons seulement brièvement. Depuis, l’interprétation architecturale des bâtiments s’est modifiée, mais les clivages sédimentaires restent inchangés (fig. 98). Les dépôts archéologiques se sont constitués en 6 phases successives (la couche de charbons et débris végétaux flottés précédant l’occupation proprement dite n’étant pas ici prise en considération : phase 0).

Pl. I. C – Ligne de carottage 202-201-203 entre les bâtiments I et II.
cliché CAHMGI

FIG. 98 – Transect 202‑201‑203 : dépôts sédimentaires des phases I à VI.
Phase I
80Les premiers sédiments reposant sur la craie lacustre sont composés de débris végétaux grossiers, gros bois, brindilles, copeaux ; ils ont une structure ouverte, non compactée, et dénotent un dépôt rapide. Nous les rattachons aux phases de construction des bâtiments I et II.
Phase II
81Les carottes 3 à 11, 8 exceptée, présentent toutes un sédiment très organique. La structure fine et la présence en grand nombre d’agglomérats organiques permettent de rattacher ces dépôts à des fumiers animaux. L’accumulation est fortement compactée sur les carottes 6, 7 et 9. Les bêtes fréquentaient l’intérieur et l’espace entre les habitations (parcage et/ou rejets de hunier) mais pas la proximité des foyers. Les charbons et cendres des carottes 1 et 2 proviennent du foyer dans le seul bâtiment I. Les teneurs en phosphates sont beaucoup plus fortes dans les carottes 1 à 7 : une activité génératrice de phosphates (rejet de déchets, pourrissement organique) est spécifique au bâtiment I.
Phase III
82L’effet de paroi empêchait au cours de la phase précédente la formation de dépôt à l’endroit de la carotte 8. On trouve là une accumulation de gros bois, liés à cette paroi et/ou à sa destruction.
Phase IV
83Ces couches, où les débris minéraux sont supérieurs à 20 ou 50 %, coupent la séquence stratigraphique en deux membres. On note la présence d’éléments argileux brûlés, restes de foyers nettoyés ; l’apport détritique minéral est plus important à l’endroit des parois. On peut penser à une phase de restructuration, de restauration des bâtiments. Le sédiment qui lui succède montre que la fonction des bâtiments change dans la phase suivante. Le foyer du bâtiment II entre en activité. Dans l’ensemble de la séquence (phases I à IV), la faible représentation des débris minéraux fait penser à une utilisation discrète des torchis à cet endroit.
Phase V
84Les sédiments sont de nouveau riches en débris végétaux mais conservent moins de traces de fumier animal, particulièrement dans le bâtiment II où il n’existe pratiquement plus. L’activité génératrice de phosphates se poursuit dans le bâtiment I mais un comportement différent apparaît à l’égard des bêtes. Elles fréquentent beaucoup moins ce bâtiment ainsi que l’espace le séparant du bâtiment II où le peu de sédimentation montre qu’il est maintenu propre.
Phase W
85Les dépôts sont très ouverts, non compactés. Ils correspondent à une formation rapide et doivent être rattachés à la phase d’abandon et de destruction. Ils sont recouverts de craie lacustre, et ont été immergés plus ou moins rapidement. Il n’est pas possible de savoir à partir des seuls documents sédimentologiques, du moins pour l’instant, si c’est la montée des eaux qui a chassé les hommes ou si celle‑ci est intervenue peu de temps après leur départ.
3.3.3 Analyse spatiale
86Une partie de la campagne de fouille de l’année 1986–1987 s’est déroulée en étiage d’hiver, hors d’eau. Elle a été l’occasion d’expérimenter l’analyse spatiale sur le terrain même, et non plus la seule observation ponctuelle sur carottes. Le secteur choisi a par ailleurs l’intérêt de concerner une zone de transition de l’intérieur à l’extérieur de l’habitat : triangles 300‑301‑501, 301‑501‑ 503, 101‑300‑301 et 101‑103‑301 (fig. 99).

FIG. 99 – Répartition spatiale des ethnofaciès sédimentaires de part et d’autre de la palissade, à l’est du site.
87Quinze faciès différents ont été définis et leur extension précisée. La première distinction macroscopique a été suivie par une série d’analyses sur 5 colonnes d’échantillons (fig. 100 et 101). Nous regrouperons l’ensemble des faciès reconnus en 6 grandes catégories caractéristiques.

FIG. 100 – Diagramme binaire phosphates (en ordonnée)/ matières organiques (en abscisse) : position des divers faciès sédimentaires.

FIG. 101 – Profils stratigraphlques de part et d’autre de la palissade, à l’est (les numéros correspondent aux échantillons analysés).
FIN. HOM. COM. (fin homogène compact)
88Sédiment de texture fine, de structure homogène et compacte, dans lequel la teneur en matière organique atteint des maxima (50 %), celle en phosphates est forte et le pH élevé. Le microscope révèle la présence de nombreux phytolites de silice à l’enveloppe organique plus ou moins bien conservée, certains provenant de graminées, quelques œufs de parasites intestinaux (nématodes ?), des agglomérats organiques (fumiers animaux desséchés) et un état plus ou moins dégradé du matériel végétal. Ces caractères rattachent ce faciès à une formation de type litière/fumier animal. Il est bien localisé sur l’angle 103 et ne franchit pas, sauf à l’état de lambeaux, la palissade qui le sépare du domaine extérieur. Il est très nettement limité au nord par un faciès GRO. HET. (fig. 102) Cette rupture marque en négatif l’existence d’une paroi est‑ouest non matérialisée par des pieux.

FIG. 102 – Résultats d’analyses sur le profil 103‑101.
GRO. HET. (grossier, hétérogène)
89Cette accumulation hétérogène de débris végétaux grossiers à moyens (GRO. MOY. HET.), mal structurés, laissant des vides (GRO. HET. OUV. : grossier, hétérogène, ouvert) montre des pH acides voisins de 6 et des teneurs basses pour tous les indicateurs d’activités domestiques quotidiennes (microcharbons de bois, phosphates, phytolites).
90Ce faciès correspond à une accumulation rapide de débris, produits par une activité artisanale ou de construction. Il semble y avoir des rapporte avec une phragmitaie, pendant (épandage ?) ou après la séquence (colonisation spécifique de cette zone ?). Le faciès GRO. HET. LAT. (grossier, hétérogène, lattis), à très nombreux copeaux et baguettes de bois, représente la première phase de construction ; son extension est strictement limitée à l’intérieur de la palissade et prouve sa contemporanéité avec l’habitat. Le faciès GRO. HET. s’étend à l’intérieur de la palissade et sur la moitié nord de deux triangles extérieurs. L’hypothèse peut donç être proposée d’un système de passage facilitant les rejets entre l’intérieur et l’extérieur.
MOY. HOM. (moyen, homogène)
91Plus homogène et moins grossier, ce faciès est en fait proche de GRO. HET. Il s’en distingue cependant par un ensemble de caractères qui le mettent un peu plus en relation avec des activités domestiques quotidiennes. Il est cantonné à l’angle 101.
MOY./FIN. HET. el HOM. (moyen/fin hétérogène et homogène) et ORG. CRA. (organique, crayeux)
92Deux faciès visuellement semblables peuvent être différents d’après les analyses. Les faciès MOY./FIN. HET. et HOM., qui s’étendent autour du point 301 (fig. 103), comportent davantage d’éléments se rattachant à la vie domestique et aux fumiers que ceux du point 101, et peuvent être considérés en partie comme des rejets liés à la zone d’activité du point 103. L’existence de faciès organiques carbonates (ORG. CRA.) et même de lits de craie (CRA., 80 % de CaCO3) à l’extérieur de la palissade indique que l’eau a pu jouer un rôle dans ces formations. Ce phénomène se réduit en phase stratigraphique finale puis une roselière se développe, difficilement datable.

FIG. 103 – Résultats d’analyses sur les profils 503‑301 et 101‑300.
ARG. (argile) et SAB. GRA. (sable et graviers)
93Ce sont des faciès minéraux allogènes provenant de terre employée pour la construction. En dehors de ces faciès bien délimités, les éléments minéraux des sables et des silts sont plutôt rares dans les couches organiques. Leur concentration, continue à l’endroit de la palissade, permet de dire qu’il y a eu utilisation de torchis sur la palissade elle‑même, ou sur un bâtiment la jouxtant (fig. 104). La présence minérale plus marquée à l’extérieur pourrait signifier que cette face était enduite.

FIG. 104 – Variations latérales de la composition des sédiments de part et d’autre de la palissade.
CRA. ORG. (craie, organique)
94Ces faciès très carbonatés (80 % de CaCO3) se trouvent dans la zone la plus extérieure et se développent semble‑t‑il au‑delà d’un alignement de petits piquets. La matière organique qui subsiste dans ces craies (8 à 20 %) provient soit de l’habitat, soit des tourbes littorales par piétinement et/ou par flottation en présence d’eau (cf. supra). Il s’agit de faciès sédimentaires naturels et non plus d’ethnofaciès.
3.3.4 Évolution spatiale et stratigraphie
95Afin d’avoir à titre expérimental une représentation de l’extension des faciès sédimentaires sur la totalité de la zone fouillée, nous avons réuni les données de divers carottages en transects, celles de fouilles récentes ainsi que celles des fouilles plus anciennes d’après les relevés stratigraphiques (fig. 105). Les plans de répartition obtenus n’atteignent pas la précision de celui des quatre triangles fouillés hors d’eau. Ils sont schématiques et la connaissance spatiale ne repose souvent que sur des points (carottes) et des profils. Ils fournissent néanmoins des informations utiles à la compréhension de l’habitat.

FIG. 105 – Localisation des coupes et carottages utilisés pour l’étude de la répartition des faciès sédimentaires.
3.3.4.1 Phase précédant l’habitat
96Cette couche est un dépôt lenticulaire à concentration de charbons de bois et de débris végétaux. Ces éléments ont été flottés et ont sédimenté dans une matrice de craie lacustre de granulométrie grossière indiquant un milieu peu profond. La couche n’est pas continue sur tout le site, et s’étend également en dehors de la Zone qui sera par la suite habitée (fig. 106). Elle est recouverte par un niveau de craie déposée par les eaux épais d’une dizaine de centimètres. Il est cependant difficile d’apprécier le temps nécessaire à sa formation, qui a pu être très rapide. Juste au‑dessus, on trouve les couches archéologiques. Deux bois de ce niveau de charbons flottés ont été datés sur les carottes 1 et 2 de la ligne 202‑203‑205 : le premier date de 950‑1070 ap. J.‑C. (CRG 445), le second de 700‑880 ap. J.‑C. (CRG 446). Ces dates sont difficilement exploitables ; leur écart peut venir du fait qu’il s’agit de matériel flotté. Elles montrent cependant que l’on est dans une période précédant de peu l’occupation. Les macrorestes végétaux de cette couche ont été analysés par K. Lündstrom‑Baudais, sur la carotte D’ (Borel et al. 1985a). On note par rapport à la séquence inférieure une sensible augmentation des débris végétaux (39 %) qui se répartissent de la façon suivante : 80 % de racines, 10 % de charbons roulés, 5 % de copeaux, 3 % d’écorces, brindilles, feuilles et mousses. Bien que rares, les graines reflètent en partie la végétation de l’arrière‑pays liée aux activités de l’homme (espèces rudérales, mauvaises herbes des champs de céréales, balles des céréales, espèces associées aux prairies‑pâturages). Peu de temps avant la construction de l’habitat a bien lieu une première mise en exploitation des versants.

FIG. 106 – Cartographie de la couche à charbon de bois, écorces et débris végétaux flottés (phase 0).
3.3.4.2 Phase de construction
97L’étude de l’extension du faciès GRO. HET. LAT. (grossier, hétérogène, lattis, riche en brindilles et copeaux de bois) montre une relation évidente avec l’intérieur des structures de bois couchés et croisés (fig. 107). L’arrêt net sur ces madriers indique que ces résidus ont volontairement été déposés à l’intérieur dans un but probable d’exhaussement et assainissement du sol. Deux zones où les bois couchés ne font plus effet de barrière peuvent être interprétées comme des passages. A l’est, ce faciès à lattis ne franchit pas la palissade. Cette observation stratigraphique démontre à nouveau la contemporanéité de cette construction avec les bâtiments.

FIG. 107 - Cartographie du lattis (GRO. HET. LAT.).
3.3.4.3 Phases d’occupation
98Le faciès FIN. HOM. COM. (fin, homogène, compact) est caractéristique de l’accumulation de fumiers d’animaux. Les deux points de forte concentration sont sur l’angle 103 et sur la moitié sud de l’espace séparant les bâtiments I et II (fig. 108). Il pourrait s’agir de tas, liés à une zone de parcage ou de stabulation encore non délimitée. Si cette interprétation s’avère exacte, leur accumulation ouvre la possibilité de leur utilisation pour l’amendement agricole. Les fumiers animaux existent également sur des épaisseurs moins importantes entre les bâtiments I et II, et semble‑t‑il, jusqu’en bordure du lac. On en rencontre aussi à l’intérieur du bâtiment II en première phase d’occupation et dans la partie sud du bâtiment I proche d’une entrée (?), mais pas à proximité du foyer. Les animaux fréquentent donc parfois l’intérieur des bâtiments. On trouve par ailleurs des dépôts en plaques dans la zone de rejets à l’ouest du bâtiment III et à l’intérieur dans le triangle 301‑300‑501. Ces « pelletées » de fumier paraissent ici plutôt circonstancielles.

FIG. 108 – Cartographie des faciès organiques FIN. HOM. COM./MOY. FIN et MOY./GRO. HET.
99Les faciès MOY./FIN. et MOY. (moyen/fin et moyen) correspondent à des activités domestiques très variées : vidange des foyers, ordures ménagères, travail et utilisation du bois, activités pastorales et agricoles. Sont concernées les zones en relation avec les bâtiments I, II et III. L’exemple de l’étude approfondie des bâtiments I et II (cf. supra) démontre qu’à certains moments les espaces peuvent être maintenus propres.
100Le faciès grossier, hétérogène (GRO. HET.), mal structuré, dénote un dépôt rapide de débris végétaux divers. On le rencontre en accumulation épaisse sur pente, au bas du bâtiment III. Le petit nombre d’objets domestiques révèle plutôt une origine en rapport avec une activité artisanale fortement productrice de déchets. Les plaques d’argile au litage interstratifié de «pailles» et tiges diverses rencontrées ici confirment cette interprétation.
101Une autre zone seulement reconnue par carottage s’étend entre les bâtiments III et II jusqu’à la palissade. Elle paraît semblable à celle déjà décrite dans les triangles 101‑300‑301 et 300‑301‑501. Le problème de l’épandage rapide de déchets artisanaux se pose à nouveau. La très faible part des activités domestiques dans la sédimentation peut aussi évoquer des zones de « cour » ou de circulation.
3.3.4.4 De la phase de construction à la phase d’abandon
102Les mélanges d’argile (ARG.), de sable (SAB.) et de graviers (GRA.) plus ou moins gros, ont constitué un matériel destiné à la construction des foyers domestiques et artisanaux, des cheminées et du torchis. A l’exception des lentilles représentées (fig. 109), l’existence de terre architecturale peut être suivie au microscope parmi les sédiments organiques dans les sables et les silts de 20 à 60 microns. Excepté certaines concentrations relevées le long et à l’extérieur de la palissade par exemple (cf. supra), ces éléments restent peu abondants et traduisent une utilisation plutôt occasionnelle d’enduits de terre.

FIG. 109 – Cartographie des faciès argileux (ARG.), de gravier (GRA.) et sablonneux (SAB.) pour les phases I, Il et III.
103La constitution de ces plaques minérales s’effectue en trois grandes phases :
– phase 1 : une grande plaque d’argile est amenée au tout début de la construction au centre du bâtiment I pour en constituer le foyer ;
– phase 2 : les bâtiments ont déjà fonctionné ; le foyer du bâtiment II est construit plus tardivement que celui du bâtiment I comme l’avait déjà montré la répartition stratigraphique des charbons qui en proviennent (ligne 202‑205) ; des aménagements de terre sont effectués dans le bâtiment II et dans la zone de rejet à l’ouest du bâtiment III, où il s’agit plutôt de résidus de foyers nettoyés ;
– phase 3 : au sommet des couches archéologiques en phase d’abandon, on rencontre des effondrements de terre provenant de l’élévation des architectures ; soumis à l’érosion lacustre, ils ont acquis un faciès sablo‑graveleux par enlèvement sélectif des fractions fines ; on en trouve dans le bâtiment II et la partie ouest du bâtiment III.
3.3.4.5 Cloisonnements et passages
104Lorsqu’un changement latéral brutal de faciès est observé on suppose qu’il est dû à un effet de cloisonnement. Cette hypothèse peut être confortée ou non patries alignements de pieux. Un passage plus progressif mais néanmoins marqué peut indiquer la jonction de deux aires d’activités différentes, sans cloisonnement spécifique. La continuité d’un même faciès au sein de faciès différents peut être interprétée comme un étalement dû à des passages répétés. L’étude de ces phénomènes permet ainsi de faire une série de propositions sur les zones fermées ou ouvertes, hypothèses de travail qui doivent bien sûr être corroborées par les données archéologiques (fig. 110).

FIG. 110 – Zones de passages et de cloisonnements d’après l’étude sédimentologique.
3.4 Stratigraphie et répartition du mobilier
105Michel Colardelle, Eric Verdel
3.4.1 Stratigraphie
106L’analyse archéologique de la stratigraphie, observée en cours de fouille, n’est pas contradictoire avec les résultats de l’étude sédimentologique. Disposant à présent d’informations nombreuses sur les deux principaux bâtiments et moins nombreuses sur le troisième, sur les espaces qui les séparent, sur le franchissement des palissades et les zones extérieures, on peut affirmer que la stratigraphie présente des caractéristiques extrêmement constantes : composition des couches, épaisseurs et ordonnance.
107A l’intérieur de l’enceinte, sur le substrat crayeux vierge, s’est d’abord déposée une couche peu épaisse (1 à 5 cm) de branchages, de lanières d’écorce, de charbons de bois ou de galets de quartzite (couche IV B) (Pl. II, D et E). Il est difficile de ne voir dans ce premier niveau, où les objets archéologiques sont rares mais existent toutefois, qu’un épandage issu de l’érosion d’un autre habitat qui n’aurait pas été encore découvert. Trop constant et régulier, comprenant parfois des éléments lourds, il se présente bien comme un aménagement volontaire contemporain du début de l’occupation, destiné à assainir la surface humide du sol et à le stabiliser.

Pl. II, D – Coupe dans le sédiment archéologique, après la fouille d’un triangle
cliché fouilles de Colletière

Pl. II, E – Colonne prélevée dans la couche d’habitat
cliché CAHMGI
108Au‑dessus de ce premier niveau, on observe une couche de craie scellée par des éléments organiques (couche IV A), lenticulaire et discontinue, irrégulière dans son épaisseur mais toujours très fine (de 2 à 6 cm). Comment l’interpréter ? Une inondation n’aurait pas laissé un tel dépôt, que l’on soit sur le dôme de l’habitat ou sur ses pentes : elle aurait nivelé les irrégularités topographiques. Nous pensons donc qu’il s’agit d’un dépôt intermédiaire d’origine anthropique bien qu’involontaire, apporté par le piétinement des constructeurs, ce que semble confirmer l’irrégularité et la discontinuité de cette couche.
109Les niveaux archéologiques proprement dits, qui correspondent à l’occupation du site, présentent au contraire une épaisseur et une régularité assez constantes. Ils sont essentiellement organiques et l’on peut donc considérer qu’ils devaient, au moment de leur dépôt, être beaucoup plus épais (de l’ordre de 1/3). Leur puissance (de l’ordre de 80 cm) ne doit cependant pas tromper : si le site était terrestre, ils n’auraient plus aujourd’hui que 10 cm environ d’épaisseur. Le premier (couche III) appelé « lattis », est une accumulation par lits successifs horizontaux, souvent entrecroisés, fortement compactée et donc dense, de copeaux et de déchets de bois (fragments de planches, écorces, chutes de débitage allant jusqu’à 10 cm d’épaisseur), mêlés à des éléments organiques plus fins et à des excréments animaux. Cette couche, riche en objets et restes alimentaires, mesure en moyenne une vingtaine de centimètres d’épaisseur, rarement inférieure à 15 ni supérieure à 25 cm. Sa composition évoque la récupération et la disposition volontaire de déchets de façonnage et d’ébranchage des troncs utilisés pour la construction des bâtiments et des différents aménagements. Il est frappant que cette couche coïncide très exactement avec les limites de la palissade, et recouvre, aussi bien dans le bâtiment I que dans le bâtiment II, le premier foyer. On peut en conclure qu’il s’agit d’un dépôt volontaire, structural en quelque sorte, fait en une fois de manière régulière. Pourquoi un tel sol, et non un plancher ? Il est probable que, en fonction des matériaux disponibles et de l’utilisation prévue, un tel lattis isole suffisamment de l’humidité, à moindre effort. L’archéologie expérimentale a d’ailleurs confirmé l’efficacité de ce système.
110Le second niveau (couche II) est à la fois d’une granulométrie moyenne plus fine et d’une plus grande hétérogénéité. Epais de 30 à 60 cm, il reste très organique, plus proche de ce que les préhistoriens nomment généralement, dans les palafittes du Néolithique ou de la Protohistoire, « fumier lacustre». Les litages que l’on peut y observer sont localisés, et correspondent à des sols provisoires, à des dépôts particuliers, dans lesquels aucune continuité ne peut être suivie. L’ensemble de la couche, extrêmement riche en déchets alimentaires et anthropiques ainsi qu’en « coprolithes », est considéré comme la strate d’occupation proprement dite. A certains endroits (centres artisanaux, foyers) elle est remplacée par de l’argile ou des galets.
111Dans le bâtiment I, le grand foyer central, avec ses accumulations d’argile et de galets, a pesé sur le substrat de craie lacustre qui a flué et forme donc, à cet endroit, une sorte de poche. Par ailleurs on peut observer qu’au contraire du bâtiment II, les couches sont bien horizontales et ne montrent aucun affaissement vers le lac. Leur amincissement (elles passent, sur une distance de 5 m, de 75 à 30 cm) résulte seulement de l’érosion par le batillage après l’abandon du site (fig. 111a).

FIG. 111 – a Coupe 2‑400, dans le bâtiment I. b Coupe 201‑209, depuis le bâtiment I jusqu’à la palissade sud.
112Dans le bâtiment II, les couches sont relativement peu épaisses, moins en tout cas que dans l’espace qui le sépare des précédents (fig. 111b). Elles s’amincissent vers le sud, lorsque l’on sort du bâtiment (on passe de 75 cm en 201 à 13 cm en 209). La limite entre les couches II et III est très nette, la couche IV A est lenticulaire. Le sol de craie est très perturbé au niveau des structures architecturales (pieux ou madriers) : perforations, fluages, en particulier au sud. Les zones foyères se caractérisent, en particulier à leur surface, par l’accumulation de très gros galets de quartzite. Le phénomène le plus frappant est l’inclinaison de toutes les couches vers l’ouest, accompagnée par celle des poteaux verticaux, preuve d’un effondrement du sol provoqué par le colluvionnement de la craie à la hauteur du rivage. Ce glissement n’existe pas dans les bâtiments I et II, situés à plus grande distance de l’eau, mais se retrouve au nord du site, dans la zone de rejets. Tout à fait à l’ouest, pratiquement au niveau de la palissade, des litages irréguliers, tourmentés et lenticulaires, faisant alterner fumier lacustre et graines, sont interprétés comme des laisses de rivage avec des cordons littoraux abandonnés par les variations bathymétriques saisonnières.
113Le bâtiment III n’a été qu’effleuré par la fouille, à son angle sud‑ouest. Comme le bâtiment I, il est disposé sur une aire parfaitement plate. Les perturbations des niveaux de craie au passage des madriers sont très accusées. En dehors de cela, aucune observation particulière : la stratigraphie est en tous points comparable à celle du bâtiment I.
114La zone de rejets au nord‑ouest, qui ne comporte pas de structure bâtie, est très différente. On y constate une forte pente vers l’ouest. Il n’existe pas de couche de lattis, mais seulement un épais niveau de fumier assez aéré, hétérogène, contenant des accumulations de déchets, en particulier d’objets brisés. Dans la partie la plus basse, vers le rivage médiéval, une succession de 18 litages superposés, extrêmement fins, où alternent fumier, brindilles, sable, gravier, craie lacustre, correspond au batillage des eaux et à des laisses de rivage. La base des poteaux devait être atteinte par l’eau, à en juger par les litages littoraux qui s’arrêtent contre eux. En revanche, à l’intérieur, il n’existe aucune trace de ces litages, remplacés par une accumulation très forte, de remblais (dépotoir), dans lesquels on constate parfois un épandage intentionnel plus marqué, lié probablement à la lutte contre l’humidité.
115Une tranchée (300–903) réalisée en 1976, durant l’étiage, et des décapages ont permis de connaître l’évolution de la stratigraphie au franchissement de la palissade, et au‑delà sur une distance de 20 m. A l’intérieur de la palissade, et jusqu’à son contact, la couche de lattis est présente mais on ne la retrouve pas au‑delà. La couche de fumier lacustre, très riche en artefacts et en restes alimentaires, épaisse de 50 cm au niveau de la fortification, s’amincit fortement au‑delà (30 cm à 3 m), et devient quasi inexistante une fois les derniers pieux dépassés (de l’ordre de 10 cm). Elle change alors de texture et devient une craie colorée par des éléments organiques, sans aucun matériel. Dans l’ensemble, les couches sont très mouvementées, poinçonnées par le passage de bétail ou d’hommes sur un sol humide et instable.
116Quelle que soit la zone considérée, il n’existe pas de couche de destruction à proprement parler, ce qui n’est pas étonnant pour un site littoral dans lequel les superstructures étaient récupérées ou bien se dégradaient progressivement pour finalement s’effondrer. Les éléments de charpente étaient entraînés par flottage et dispersés au nord ou au sud, en fonction des vents dominants. On ne trouve que des dépôts de craie lacustre, plus ou moins mêlée de vase organique (couche I). Ces dépôts, généralement de faible épaisseur (5 à 10 cm), peuvent devenir plus puissants dans les zones les plus basses du site, sur le rivage. C’est en particulier le cas à l’extrémité nord‑ouest, où ils atteignent jusqu’à 70 cm.
3.4.2 Répartition des vestiges
3.4.2.1 Le bâtiment I
117Il occupe une superficie totale de l’ordre de 155 m2 (14 x 11 m) (fig. 112). La fouille n’en est pas totalement achevée, même dans les triangles déjà fouillés où quelques petites poches de sédiment subsistent ponctuellement (témoins stratigraphiques notamment). Les résultats obtenus à partir du comptage de mobilier ne peuvent donc être considérés comme absolument définitifs. Ils revêtent néanmoins une bonne valeur indicative car, statistiquement, l’exploitation de la couche encore en place ne peut les contredire radicalement. Pour la commodité du raisonnement et compte tenu des différences de fonction qui les caractérisent, on traitera successivement des deux composantes du bâtiment I : le corps principal (pièce résidentielle) et l’avant‑corps (écurie).

FIG. 112 – Plan général de la fouille du bâtiment I. (Echelle 1/60)
Le corps principal
118Couvrant 115 m2 environ, cette partie du bâtiment constitue une seule et même pièce. Elle ne comporte aucune cloison de refend et elle est libre de pieux d’architecture à l’exception de ceux sur lesquels est adossé le foyer central. Le relevé stratigraphique 2–202–400, qui la franchit en diagonale, n’indique pas de rupture d’un côté à l’autre, ni de modification importante dans son histoire (fig. 111a). A l’exception du foyer, dont le cas sera discuté plus loin, et de variations de faciès mineures, la sédimentation s’effectue de façon globalement uniforme, en deux couches. La plus ancienne (lattis) correspond à la construction du site et au début de l’occupation proprement dite. La couche qui lui succède est plus épaisse et résulte de l’accumulation de recharges successives de fourrage, destinées à maintenir le sol à peu près sec et propre. La bipartition de la couche d’occupation n’est pas, ici, due à un changement d’affectation : la distribution spatiale et stratigraphique du mobilier le confirme amplement. Les objets se répartissent à égalité d’une strate à l’autre, quantitativement et qualitativement. Leur nombre total s’élève à 218. Le matériel culinaire est le plus abondant et représente un tiers des objets (75). 30 couteaux peuvent bien sûr avoir servi à de multiples usages. Mais il y a aussi 29 cuillères, 11 plats, 3 couvercles de pot et 2 pilons. La quantité des accessoires du vêtement, des parures et des objets personnels est également plus grande qu’ailleurs : 8 peignes, 5 épingles décoratives, 3 bagues, 1 fibule discoïde, 1 perle de verre, 1 pommeau de canne et 1 rasoir. La présence de 3 fragments de chaussures et surtout celle d’un embauchoir suggèrent que l’artisanat du cuir pouvait être pratiqué sur place « au coin du feu, à la veillée». Cette impression est d’ailleurs confortée par le nombre élevé de poinçons (14) et d’alènes (2), qui appartiennent à l’outillage du bourrelier ou du cordonnier. L’artisanat textile, dont la pratique est bien attestée dans le bâtiment II, est également largement représenté par des fuseaux (7) égrugeoirs (2), éléments de broie (1), navettes (2) et forces (2). D’autre part, 2 haches dont une encore pourvue de son manche ont ici été découvertes. Les objets de caractère ludique sont aussi plus nombreux que partout ailleurs : 4 jetons, 1 pièce de jeu indéterminé et 15 pièces et pions de jeu d’échecs. La musique jouée par les occupants de ce bâtiment devait être assez élaborée puisqu’on identifie 2 flageolets, 1 chalumeau double et 1 anche de hautbois. Une trompe d’appel doit, quant à elle, être classée plutôt parmi les accessoires de la chasse ou de l’élevage qu’avec les instruments de musique.
119Dans la catégorie de l’équipement militaire on compte 6 carreaux d’arbalète, 2 pointes de flèches, 1 fer de javelot, 1 arc entier et 1 pommeau d’épée. Le matériel d’équitation comprend surtout des fers à cheval (31) auxquels s’ajoutent 1 éperon, 2 boucles d’éperon, et 4 ardillons qui peuvent provenir de harnais ou de baudriers. Trois monnaies d’argent enfin ont été recueillies isolément, à proximité des murs. Le nombre de clous de fer à cheval s’élève à 257 pour cette partie du bâtiment, ce qui établit la moyenne à 31 clous à l’unité de surface. La moyenne du site est de 44 clous par grand triangle (soit 11 m2 environ). Cette valeur est très voisine de celle rencontrée dans les pièces d’habitation du bâtiment II. La concentration particulière de clous clans le quart sud‑est de la pièce coïncide avec celle de la quasi‑totalité du matériel d’équitation. C’est aussi à cet endroit que gisaient 4 des 9 fers à cheval collectés. Il est très probable que cette partie de la salle était affectée au rangement de ce type de matériel.
120Au centre de la salle, et bien délimitée par un encadrement de planches dépassant d’une quarantaine de centimètres en moyenne le niveau du sol, un vaste foyer est aménagé sur une épaisse chape d’argile rapportée. Tout autour et régulièrement espacés, des pieux appartiennent à la même structure que de massives pièces de chêne, prévues pour être assemblées à mi‑bois, qui ont été découvertes en place. Il semble s’agir des vestiges d’une cheminée, pourvue d’une hotte et d’un manteau. Dans cette hypothèse, les poteaux auraient servi à étayer la poutraison du plafond, peut‑être affaiblie par l’existence d’un chevêtre. L’épaisse couche d’argile et de graviers qui scelle le foyer peut provenir soit de la destruction d’un conduit d’évacuation des fumées, soit simplement correspondre à une recharge.
121Si le nombre des objets répartis dans cette pièce n’est pas exceptionnel, on constate que qualitativement ceux‑ci se distinguent notablement. La grande majorité des pièces de jeu d’échecs, dont l’usage avant le xiie siècle paraît bien réservé à l’aristocratie (Pastoureau 1990) y a été découverte. De même les armes et le matériel d’équitation sont ici plus nombreux que partout ailleurs sur le site. Les instruments de musique diffèrent également de ceux, plus simples, qui proviennent du bâtiment II. Ces observations, corrélées avec les résultats des analyses archéozoologiques qui localisent dans le seul bâtiment I la consommation de gibier de grande chasse (cf. infra), corroborent les hypothèses issues de l’interprétation du plan des architectures. Le bâtiment central manifestement prééminent par sa position et vraisemblablement plus puissant, recèle bien au surplus les objets les plus caractéristiques du mode de vie seigneurial. Comment dès lors ne pas reconnaître dans cette vaste salle l’ailla, pièce résidentielle d’apparat ?
L’avant‑corps
122Cet espace couvert, de 40 m2 environ, prolonge le bâtiment I vers le rivage ancien. On est en mesure d’y déceler deux phases d’occupation, marquées par des fonctions différentes (fig. 113).

FIG. 113 – Occupation du bâtiment I : a première phase, b seconde phase.
123A la première période correspond le dépôt de 17 objets significatifs : 3 plats, 1 cuillère, 2 couteaux, 2 poinçons‑alênes, 1 aiguille en os, 1 fuseau, 1 pommeau de canne, 2 fers à cheval, 2 carreaux d’arbalète, 1 élément de serrure en bois et 1 monnaie d’argent. Cet inventaire est de même nature que celui qui a été établi dans le second bâtiment pour des pièces manifestement réservées à l’habitation. Mais la densité d’objets reste plutôt faible. La quantité de clous de fer à cheval dans cette couche est en revanche de 112 soit 32 à l’unité de surface. C’est la même moyenne que dans la grande salle adjacente (31).
124La seconde période est très vraisemblablement marquée par une bipartition de l’espace intérieur. On peut situer le passage d’une cloison (de planches ou en clayonnage ?) dans le prolongement du madrier central du bâtiment en direction de la palissade. Si la stratigraphie relevée en 402–602 ne montre pas d’effet de paroi, la distribution spatiale du matériel est plus révélatrice. Elle permet de distinguer assez nettement deux pièces :
– au sud : il n’y a que 6 objets (4 fers à cheval, 1 couteau et 1 pendentif en étain) et 58 clous de fer à cheval soit 41 à l’unité de surface ;
– au nord : 27 objets sont comptabilisés, parmi lesquels on note l’absence totale de mobilier culinaire (à l’exception de 3 couteaux) et d’objets personnels ; mais l’outillage est abondant (2 fuseaux, 5 poinçons, 1 aiguille, 1 petite scie et 1 faucille) comme d’ailleurs le matériel d’équitation (7 fers à cheval, 2 éperons, 1 mors et 1 boucle de harnais) ; il y a également 1 flotteur de filet, 1 jeton de jeu et 1 monnaie d’argent; les clous de fer à cheval sont au nombre de 108 soit 70 à l’unité.
125Si la fonction de la pièce méridionale reste très incertaine, compte tenu du peu de mobilier qu’elle a livré, celle de la pièce nord paraît plus assurée. C’est à cet endroit qu’on rencontre la plus forte densité de clous de ferrage et le matériel d’équitation y est majoritaire. L’hypothèse d’une écurie s’impose alors. La très faible concentration des excréments de caprinés, très inférieure à celle de la zone inter‑bâtiments par exemple, plaide plutôt pour cette interprétation, puisqu’on règle générale les chevaux sont soigneusement tenus à l’écart des autres animaux domestiques.
3.4.2.2 Espace compris entre les bâtiments I et II
126L’aire concernée s’étend sur 63 m2 environ. Elle est limitée par les axes 201–203 et 601–603 d’une part, les bâtiments I et II d’autre part. Jusqu’à présent l’interprétation proposée pour cette zone était celle de dépendances partiellement couvertes par des auvents ou des avancées de toitures issues des constructions principales. Par rapport à l’intérieur des bâtiments, la densité et la dispersion des pieux sont assez frappantes. De prime abord une partition de l’espace n’est pas évidente. Cependant une série d’indices suggère qu’il n’était pas homogène dans ses fonctions : les analyses sédimentologiques l’indiquent, la stratigraphie et la distribution du mobilier le confirment. En effet, parmi les colonnes sédimentaires du transect réalisé entre les bâtiments I et II, les carottes 5 et 7 diffèrent nettement : la première contient des couches anthropiques ouvertes et peu compactées, la seconde des couches beaucoup plus tassées, de texture plus fine. La probabilité d’une limite nette passant sur l’axe 201–203 est donc grande. Cette impression est renforcée par l’examen de la stratigraphie relevée à cet endroit. Sans absolument prouver la présence d’une cloison médiane, elle montre la sédimentation de couches à des niveaux différents de part et d’autre du pieu central. Cela suffit‑il pour conclure à la présence d’une paroi est‑ouest, qui partagerait l’espace inter‑bâtiments en deux nefs de largeur sensiblement égale ? Non, car les alignements de pieux sont peu convaincants. En revanche le comptage des objets indique bien la bipartition de l’espace inter‑bâtiments au cours d’une première période d’occupation.
Phase I
127Fig. 114a
Partie nord
128Elle s’étend entre l’axe 201–203 et une ligne prolongeant vers le sud l’axe du madrier oblique du bâtiment I. Sur 52 objets dénombrés, 18 appartiennent à la catégorie culinaire (8 plats, 6 cuillères, 3 couteaux, 1 fragment de meule) ; 8 autres sont des objets définis comme personnels (clefs, peignes, pommeau de canne, anneau de cuivre). La pêche est exceptionnellement représentée par 10 flotteurs de filet dont l’accumulation et la disposition linéaire, sur une surface aussi réduite, évoque le stockage de filets, mis à sécher. En revanche l’artisanat est assez pauvrement illustré : 2 fuseaux, 1 alène et 1 pierre à aiguiser. On rencontre enfin 2 fers à cheval, 1 boucle de harnais, 1 pointe de flèche, 1 pièce d’échecs et 1 monnaie. Par sa composition, ce lot s’apparente à ceux qui caractérisent les locaux d’habitation, même si l’artisanat textile est manifestement sous‑représenté. Mais les clous de ferrage sont ici nombreux (84, soit 57 à l’unité de surface) et surtout on note une concentration relativement forte d’excréments de caprins. L’ambiguïté et l’apparente contradiction de ces données ne facilitent pas l’identification des fonctions de cette pièce. On pourrait l’interpréter soit comme une bergerie, en communication directe avec le bâtiment I (ce qui expliquerait l’apport de mobilier domestique), soit comme une pièce d’habitation annexe, régulièrement fréquentée par les animaux d’élevage.

FIG. 114 – Occupation de l’espace Interbâtiment : a première phase, b seconde phase.
Partie sud
129Elle s’étend entre la division centrale et le bâtiment II et couvre la bande de terrain qui longe le rivage. Elle doit être considérée comme un ensemble à part. On n’y a collecté que 37 objets soit deux fois moins que dans la zone voisine, par rapport à la surface fouillée. Presque toutes les catégories de mobilier sont présentes : le matériel culinaire (5 cuillères, 2 plats, 2 couteaux) et personnel (1 anneau, 1 clef, 1 garniture de ceinture), les outils et les produits de l’artisanat du cuir (2 poinçons, 5 éléments de chaussures), la pêche (3 flotteurs de filet et 1 pale d’aviron), l’équitation et les aimes enfin (2 fers, 1 cabochon de harnais, 1 mors et 2 carreaux d’arbalète). On a encore recueilli 1 pêne de serrure, 1 flûte en bois, 3 pièces et pions d’échecs et 1 fragment de fuseau. Les clous de fer à cheval sont au nombre de 121, ce qui correspond à une moyenne de 52, mais la plus grande partie est localisée aux abords de l’angle nord‑ouest du bâtiment II. Hormis la faible densité d’objets, la particularité la plus évidente est la sous‑représentation de l’outillage de l’artisanat textile, phénomène déjà signalé pour l’autre partie du secteur étudié. Par comparaison avec les données acquises dans les bâtiments I et II, ces indications permettent de préciser que cet espace n’était très probablement pas habité. Rien d’ailleurs n’indique qu’il ait même été couvert, sauf par un éventuel débordement de la toiture du bâtiment II. Sa fonction reste pour l’instant indéterminée.
Phase II
130Fig. 114b
131La preuve d’un changement dans l’affectation des deux zones précédemment décrites est apportée parle dépôt de couches extrêmement pauvres en matériel. On note d’ailleurs que les deux phases sont séparées par un lit sablo‑argileux produit par des réaménagements. Au nord, elles ne renferment aucun objet et seulement 8 clous. Au sud, on compte 9 objets (2 cuillères, 3 flotteurs de filet, 1 épingle, 1 pierre à aiguiser, 1 carreau d’arbalète et 1 monnaie) et 16 clous. Une telle régression quantitative du mobilier, à l’occasion d’un changement de fonction, est inusitée sur l’ensemble du gisement. Elle correspond peut‑être à l’abandon pur et simple de tout l’espace inter‑bâtiments, mais cette hypothèse reste difficilement acceptable puisque le reste de l’habitat est toujours occupé. Est‑il possible que ce phénomène soit lié à la restructuration de la zone riveraine aux abords du bâtiment II, lorsque la nappe d’argile est épandue (cf. infra) ? Doit‑il être mis en relation avec le développement d’activités métallurgiques le long du rivage ? Sans doute l’extension de la fouille vers le tombant permettra‑t‑elle de le vérifier.
3.4.2.3 Le bâtiment II
132La fouille du bâtiment II n’est pas encore achevée. Mais plus des deux tiers de sa superficie (évaluée à 90 m2) ont déjà été explorés. Au surplus, même si la prolongation des madriers vers l’est montre bien que le bâtiment s’étendait dans cette direction (sous la forme d’un auvent, d’autres pièces ?), il est manifeste que la partie déjà fouillée est d’ores et déjà déterminante pour son interprétation. L’installation d’un foyer domestique sur l’entrecroisement des madriers centraux souligne en effet le caractère prédominant de cette partie de la construction (fig. 115, cf. dépliant p. 179). L’ensemble des sédiments a été divisé en deux séquences principales (couches I et II), chacune incluant naturellement des subdivisions ponctuelles, correspondant à des variations latérales de faciès (fig. 116 a, b et c). Dans l’état actuel des connaissances, l’intérieur du bâtiment proprement dit peut être partagé en trois pièces et deux annexes (fig. 117 a et b).

FIG. 115 – Plan général de la fouille du bâtiment II. (Echelle 1/60)

FIG. 116 – a Coupe 403–205, dans le bâtiment II. b Coupe 205–405, dans le bâtiment II. c Coupe 603‑ 605, en limite ouest du bâtiment II.

FIG. 117 – Occupation du bâtiment II : a première phase, b seconde phase.
Pièce 1
133La première pièce, dans le quart sud‑ouest, se distingue par une couche archéologique pauvre en matériel. Les 26 objets comptabilisés se rangent dans la catégorie du mobilier domestique : clefs, couteaux, 2 monnaies, 2 jetons de trictrac, fragments de peignes et d’alènes. Ils se distribuent dans toute l’épaisseur du sédiment dont la composition est homogène. L’affectation de cette pièce est donc restée inchangée durant toute l’occupation. La faible concentration de céramique et l’absence d’objets culinaires paraissent exclure l’hypothèse d’une pièce d’habitation. D’autre part, les outils de l’artisanat sont rares. Mais il pourrait s’agir d’une réserve, pour le stockage de denrées agricoles, ou encore d’une étable‑bergerie. La stabulation de chevaux est exclue puisqu’on ne retrouve pas de matériel d’équitation, à l’exception de 40 clous de fer à cheval. Cette valeur est conforme à la moyenne du site.
Pièce 2
134La seconde pièce, en forme de L, occupe tout le reste de la surface explorée, à l’intérieur du canevas formé par les madriers. L’élévation d’une cloison de refend, vraisemblablement en terre, au‑dessus du madrier oblique qui ferait la limite avec la pièce 1 n’est pas, comme en d’autres endroits, clairement attestée par une nappe d’argile mêlée de graviers venant sceller les couches d’occupation. Mais la répartition du mobilier de part et d’autre de ce madrier en suggère la présence. Les sédiments montrent deux séquences d’occupation successives.
135Au cours de la première s’effectue le dépôt de très nombreux objets (140), dont la plus grande part est indiscutablement liée aux activités domestiques : objets culinaires d’abord (cuillères, plats, écuelles et couteaux), objets personnels ensuite (éléments de chaussures, peigne et 4 monnaies d’argent), objets associés aux activités ludiques enfin (3 dés, 2 pièces ou pions d’échecs et jetons, 1 cheville d’instrument à corde et 1 table d’harmonie). A cela s’ajoutent du matériel d’équitation (éperon, quelques fers à cheval) et des pièces d’équipement militaire (arc entier et fragments d’épée). Les outils de l’artisanat sont peu nombreux : une hache d’abattage et un fer de hache d’équarrissage, des forces, un aiguisoir en pierre et des fragments de fuseaux. Dans cette couche le nombre de clous de ferrage ne dépasse pas 20 à l’unité de fouille. Cette valeur, inférieure de moitié à la moyenne du site, confirme qu’il s’agissait d’une pièce réservée à l’habitation.
136Au cours d’une seconde période, la pièce 2 semble conserver la même fonction. C’est alors que le foyer central est aménagé, simple chape d’argile rapportée qui recouvre la couche d’occupation antérieure. Le relevé stratigraphique 205–403, qui passe en limite du foyer, montre l’interlitage de lentilles de fumier et de plaques d’argile à demi cuites ; de gros galets de quartzite paraissent constituer le cadre de cet aménagement (fig. 116a). Le nombre des objets contenus dans la couche contemporaine du foyer chute et ne dépasse pas une trentaine (contre 133 pour la phase précédente). Mais il s’agit toujours de matériel essentiellement culinaire (plats, cuillères et couteaux). Une telle diminution peut refléter soit une durée d’occupation plus brève soit la réduction de la superficie de la pièce. Enfin, le nombre de clous de fer à cheval est de 30, soit 14 à l’unité de surface (trois fois moins que la moyenne).
Pièce 3
137La troisième pièce n’a pas d’existence propre au cours de la première période d’occupation du bâtiment. Elle constitue alors simplement la partie la plus méridionale de la pièce 2, tout entière réservée à l’habitation. Dans une seconde période, une cloison de refend est élevée, comme le montre l’alignement de pieux, équarris ou non, de piquets et d’écoins, orienté est‑ouest et qui part approximativement du point 205 pour se prolonger jusqu’au milieu de la pièce 1. La postériorité de cette paroi est évidente : la base des planches sur chant qui la composaient s’appuie sur la première couche d’occupation et n’atteint pas le substrat crayeux. Son érection et la construction du foyer central pourraient être synchrones.
138Ce qui surprend ici, c’est la quantité et la qualité des objets qui sont perdus ou abandonnés. On en dénombre 30 dans la couche I, surtout du matériel culinaire habituel (fragments de plats et de cuillères, couteaux), accompagné par 1 jeton, 1 peigne, 1 moitié de forces, 1 fragment de fuseau et 1 extrémité d’arc. Mais le plus étonnant est la présence, à des cotes altimétriques très voisines, en position horizontale et dans les niveaux supérieurs du sédiment, d’objets aussi divers et peu courants qu’une rame complète, 1 paire d’éperons ou encore de 2 grandes cuillères intactes, d’un maillet et d’un marteau de maréchal‑ferrant, encore emmanché. L’interprétation proposée pour cette pièce est celle d’une remise ou étaient entreposés des objets, neufs ou en bon état, qui auraient été oubliés lors de l’abandon du site, au cours du démontage du bâtiment par exemple.
Extension orientale du bâtiment II
139La zone couverte, à l’est du bâtiment, par les triangles 5–205–207 et 3–203–205 est difficilement interprétable en l’état actuel d’avancement de la fouille. On peut toutefois y reconnaître deux parties assez nettement différenciées. La partie fouillée du triangle 3–203–205 pourrait simplement prolonger la pièce 2 et être utilisée pour l’habitation, pendant toute l’occupation. Les objets découverts à cet endroit (une quinzaine) sont surtout propres aux activités domestiques (cuillères, plat, jetons, fuseau) ; seuls une broie complète, une monnaie, deux fers à cheval et un flotteur de filet rompent cette homogénéité. Les analyses sédimentologiques, réalisées par J.‑L. Brochier sur la carotte 8 (au point 203) du transect nord‑sud reliant les deux bâtiments, révèlent l’absence de fumier et de sédiments à fortes teneurs en phosphates. Cette observation corrobore l’hypothèse archéologique d’une paroi, fermant à cet endroit le bâtiment II.
140La zone couverte par le triangle 5–205–207 (pièce 4) paraît de nature différente. Il est d’ailleurs probable qu’elle était séparée de la pièce 3 par une cloison passant sensiblement sur la ligne 205–207. Bien qu’aucun vestige architectural ni épandage d’argile pouvant correspondre à la destruction d’une paroi de terre ne le démontrent, la répartition du mobilier seule est assez éloquente. En effet, les objets contenus dans la couche la plus ancienne sont, proportionnellement au volume de sédiment, beaucoup moins nombreux que dans la pièce 2. On y dénombre d’ailleurs 61 clous de ferrage, soit 3 fois plus que dans les pièces d’habitation.
141Dans la couche supérieure il n’y a qu’un seul objet (un fragment de fuseau) et un unique clou de fer à cheval ! Enfin l’argile qui vient recouvrir les sédiments les plus récents peut être interprétée comme une simple chape destinée à supporter un foyer qui aurait été érodé après l’abandon du site. Mais sa fonction reste énigmatique en l’absence de mobilier qui lui soit associé.
142Zone du four domestique
143L’étude des fonctions du bâtiment II s’est étendue à la partie la plus méridionale du site, entre le bâtiment même et l’enfilade de gros pieux de chêne actuellement interprétée comme le retour de la palissade défensive. Dans ce secteur, assez exigu, une construction d’argile et de galets a été fouillée. Sans forme bien définie, elle comportait en son centre deux plaques d’argile cuite superposées. Une première plaque présentait sa face cuite vers le haut, à l’inverse de celle qui la recouvrait. On peut restituer à cet endroit un petit four en forme de dôme, d’une surface n’excédant guère 1 m2, qui s’est effondré sur place. Son fonctionnement est limité à la première phase d’occupation du bâtiment, période d’extension maximale de la pièce 2. En effet, un dépôt postérieur recouvre partiellement la destruction du four. La répartition et la nature du mobilier collecté aux abords confirment largement l’hypothèse d’un four à cuire. On a découvert 20 objets qui sont presque tous liés à la préparation des aliments : fragments de vase à cuire, plat et cuillères en bois, couteaux, 3 fragments de meule et 1 monnaie enfin. Ce four culinaire devait s’ouvrir directement sur la pièce 2. Son abandon daterait de l’entrée en fonction du foyer central.
144La couche d’occupation qui scelle la destruction du fouine contient qu’une douzaine d’objets : fragments de plat, fers à cheval, flotteur de filet, fragments de peigne et un peu de céramique. Les clous de fer à cheval sont au nombre de 22 dans la couche ancienne. Il n’y en a aucun dans la plus récente, fort peu épaisse il est vrai, et probablement en partie lessivée.
3.4.2.4 La zone du rivage
145Il est difficile de tirer des enseignements valides de la fouille des triangles 603–605–803 et 603–801–803 (fig. 116c). D’une part celle‑ci n’est pas achevée et d’autre part la couche archéologique se pince très rapidement dès qu’on s’éloigne du bâtiment II pour tendre vers le double alignement de gros pieux qui matérialisent la palissade longeant le lac, où elle fait totalement défaut (à l’exception de quelques lentilles de fumier, d’ampleur millimétrique). La vaste nappe d’argile (20 m2) qui contourne l’angle nord‑ouest du bâtiment et s’étend jusqu’au rivage a été évidemment rapportée.
146De gros galets de quartzite et fragments de tuf sont, de façon éparse, pris dans la masse. Il est clair que cet épandage est volontaire (c’est une argile qu’on ne trouve pas sur place) et qu’il date de la phase terminale de l’habitat. Il scelle en effet une première couche d’occupation, de type lattis‑fumier, et contient très peu d’objets (une dizaine) presque tous métalliques : 2 culots de fonderie, 1 fragment de fer à cheval, 1 boucle de ceinture, 1 poinçon, 4 scories silicatées et la pointe d’une épée cassée. A cet inventaire il faut ajouter plusieurs plaques d’argile cuite, de 6 à 10 cm d’épaisseur, dont une face a été portée à haute température jusqu’à formation d’une croûte vitreuse. D’abord interprétées comme les vestiges de parois d’un bas fourneau de réduction, ces plaques semblent, d’après les analyses chimiques, de simples soles de foyers fragmentées et apportées avec l’argile crue. La petite vingtaine de clous de fer à cheval recueillis ne suffit pas à valider l’hypothèse d’une forge à cet endroit, mais la pratique d’une métallurgie à proximité paraît hautement probable.
147Enfin une langue d’argile, faisant « irruption » à l’intérieur du bâtiment, constitue le seul témoin avéré d’un seuil de porte, desservant la pièce principale (no 2) et éventuellement la réserve adjacente (no 1).
3.4.2.5 La palissade
148A l’est du site, trois secteurs de fouille peuvent être distingués. Deux chevauchent la palissade qui clôturait l’habitat. Le troisième est davantage une tranchée de reconnaissance, ouverte pour apprécier l’extension maximale du gisement au‑delà de l’enceinte, qu’une aire de fouille à proprement parler.
149La surface la plus étendue couvre 6 grands triangles soit un peu plus de 65 m2. Elle se partage en deux parties distinctes dont la limite correspond rigoureusement à l’alignement des pieux et des planches qui forment la palissade (fig. 119). Cette frontière se marque nettement dans la sédimentation : s’il est possible de discerner deux grandes phases à l’intérieur de l’habitat, à l’extérieur en revanche la couche d’occupation est homogène et semble s’être constituée de façon régulière et continue.
150La lice
151Elle s’étend jusqu’à une distance comprise entre 7 et 8 m au‑delà de la palissade. Epaisse d’une cinquantaine de centimètres au pied de cette dernière, la couche se rétrécit assez rapidement dès qu’on s’en éloigne (fig, 118 et 120a). En limite de la surface fouillée elle ne dépasse pas une dizaine de centimètres. Encore ne s’agit‑il plus, à cet endroit, d’un fumier classique mais d’un horizon tourbeux, très discrètement anthropique.

FIG. 118 – Coupe300‑903, à l’extérieur de la palissade.

FIG. 119 – Plan général de la fouille du secteur de la palissade. (Echelle 1/60)

FIG. 120 – a Coupe 301–103, à travers la palissade. b Coupe 105–103, le long de la palissade, à l’intérieur de l’habitat.
152Les 78 objets qui y ont été recueillis sont, pour la plupart, concentrés sur les deux premiers mètres de la lice. Trois grandes catégories sont représentées en proportions égales : le mobilier culinaire (9 cuillères, 3 couteaux, 3 plats, 2 bols et 1 écuelle), l’artisanat du textile et du cuir (7 fuseaux, 5 éléments de chaussures, 2 poinçons, 1 broie, 1 pierre à aiguiser et 1 panier de vannerie), le matériel équestre enfin (12 fers à cheval, 2 éperons, 2 dosserets de selle et 1 étrille). Le reste du mobilier comprend à la fois des objets personnels (5 peignes, 3 clefs, 1 bague) et d’autres qui se rapportent à diverses activités (4 flotteurs de filet, 1 godille, 2 faucilles, 1 bâton de compte, 1 monnaie et 1 sifflet).
153Selon toute vraisemblance, la grande majorité d’entre eux a été jetée, sans doute depuis l’intérieur de la station par‑dessus la palissade. On conçoit mal en effet qu’ils aient été égarés à l’extérieur du gisement, sur des sols qui n’étaient pas régulièrement recouverts par de nouveaux apports. Certains pourtant ont peut‑être été perdus par leurs utilisateurs, au retour de travaux agricoles (c’est le cas des faucilles dont une, intacte, comportait encore son manche). L’abondance de fers à cheval peut s’expliquer de la même façon. Enfin le nombre de clous de ferrage (92, soit 21 par grand triangle) est deux fois moindre que la moyenne du site.
La tranchée
154A l’extérieur du site, elle relie les points 300 à 903 (fig. 118). Cette excavation mesure environ 15 x 1 m, sauf en deux endroits où la découverte de bois horizontaux a conduit à l’élargir. Elle n’a quasiment pas livré de mobilier mais a montré, à deux reprises, le franchissement de limites constituées par des groupements de petits pieux et piquets, très au‑delà de la palissade. Le premier à 6 m de distance, le second à une douzaine de mètres. Il est actuellement difficile de comprendre à quels types d’aménagements appartiennent ces rangées de piquets, en arcs de cercle très étendus. Mais la première pourrait clôturer un corral par exemple et la seconde suivre le contour de la presqu’île sur laquelle le site a été construit.
Zone intérieure
155Elle est comprise entre l’alignement des pieux qui armaient la palissade et l’axe 101–105 (fig. 120b). Contrairement à ce qui a été observé à l’extérieur, deux phases d’occupation successives peuvent être distinguées (fig. 121). Mais il faut ici s’interdire toute interprétation déduite du seul décompte et de la répartition des objets, l’aire fouillée se réduisant à une bande de terrain large de 2 m seulement. C’est en réalité l’extension de la fouille à toute la surface qui sépare la palissade de Panière du bâtiment II qui permettra de proposer des hypothèses valides, Un premier comptage attribue à la phase ancienne (fig. 121a) 62 objets dont 20 se rapportent aux artisanats de type « domestique » (10 fuseaux, 7 poinçons‑alênes et 3 fragments de chaussures). Les ustensiles culinaires viennent ensuite (6 couteaux, 5 plats, 2 cuillères et 1 couvercle de pot), suivis par le matériel équestre (8 fers, 1 mors, 1 éperon, 1 boucle d’éperon et 1 harnais). A cet ensemble, qui regroupe 75 % des objets, s’ajoutent quelques autres pièces qui ont trait aux loisirs (2 jetons, 2 pièces d’échecs et 1 chevalet de vièle) ou qui sont personnels (1 peigne, 1 canne, 1 bague). Enfin 2 douelles, 1 navette de liage, 2 bâtons de compte, 1 carreau d’arbalète, 1 flotteur de filet et 1 faucille complètent un catalogue dont la richesse et la variété évoquent assurément l’intérieur d’un bâtiment. Mais il est également possible qu’une telle accumulation se produise, en dehors d’un habitat, dans un dépotoir adossé à la palissade. La grande concentration de tessons de céramique à cet endroit constitue un indice supplémentaire. Nulle part ailleurs sur le site on n’en connaît d’aussi élevée sauf au nord du gisement, près du rivage, dans un lieu justement interprété comme une zone de rejet, compte tenu de l’abondance particulière d’objets de toute nature et du type de stratification observé. Le nombre de clous de fer à cheval (54, soit 34 par grand triangle) n’est, par contre, pas spécialement important. Il est du même ordre qu’à l’intérieur du bâtiment I par exemple.

FIG. 121 – Occupation du secteur de la palissade : a première phase, b seconde phase.
156Une deuxième période marque une rupture brutale avec la précédente : pour une épaisseur de sédiments analogue, la quantité d’objet est trois fois moindre (22). Leur variété s’appauvrit également (fig. 121b).
3.4.2.6 Le nord du site
157L’ensemble de la surface explorée dans cette partie de la station peut être partagé en quatre secteurs distincts (fig. 122, cf. dépliant p. 180).

FIG. 122 – Plan général de la fouille du bâtiment III et de la zone nord. (Echelle 1/60)

FIG. 123 – a Coupe 2108, à l’intérieur du bâtiment III. b Coupe 210‑208, le long du bâtiment III.
Le premier secteur
158Il couvre uniquement l’angle sud‑ouest du bâtiment III et ses abords. Malgré l’exiguïté de la zone fouillée (deux unités triangulaires : 8–208–210 et 208–210–408), qui ne permet pas de tirer de conclusions sur les fonctions du bâtiment, une différence notable apparaît entre intérieur et extérieur, tant en ce qui concerne la stratigraphie que le nombre d’objets (fig. 125 a et b). On remarque en effet qu’à l’intérieur la couche archéologique semble homogène dans sa composition. On y recense 25 objets dont 11 se rangent dans la catégorie du mobilier domestique (7 plats ou fragments de plats, 2 cuillères, 1 écuelle et 1 peigne), 3 autres sont des pièces de jeu (2 d’échecs et 1 jeton), 4 relèvent d’activités artisanales aisément praticables dans un local d’habitation (2 égrugeoirs, 1 poinçon et 1 maillet en bois). Le matériel d’équitation et l’armement sont rares (1 fer à cheval, 1 pointe d’éperon et 1 fragment d’arbalète). On compte 4 flotteurs de filets, particulièrement abondants dans la partie septentrionale de la station. Enfin le nombre de clous de fer à cheval est de 14, valeur tout à fait conforme à celles qui ont été couramment établies pour l’intérieur des autres bâtiments.

FIG. 125 – Coupe 810‑610, secteur artisanal et zone de rejets.
159A l’extérieur en revanche, on retrouve la fréquente bipartition de la couche d’occupation. Le matériel est donc décompté en fonction de deux phases successives (I et II).
160A la phase ancienne (I) correspond le dépôt de 26 objets. Huit appartiennent au mobilier domestique (3 plats ou fragments de plats, 2 écuelles, 1 cuillère, 1 bâton de compte et 1 fragment de chaussure), 7 sont des flotteurs de filet, 5 sont des outils de l’artisanat textile (2 égrugeoirs, 2 fragments de quenouilles et 1 fuseau), 5 autres relèvent du matériel d’équitation (4 fers à cheval et 1 dosseret de selle), le dernier est un objet de parure (1 perle de verre). Dans toute cette zone il n’y a que 5 clous de fer à cheval.
161A la phase récente (II) correspond le dépôt de 16 objets ; 4 sont d’usage domestique (2 couteaux, 1 plat et 1 peigne), 6 sont des outils de l’artisanat (2 fuseaux, 1 navette de tisserand [?], 1 alêne et 1 hache emmanchée). Quatre flotteurs de filet et 3 objets liés à l’équitation (2 fers à cheval et 1 éperon) complètent cet inventaire. Les clous de ferrage sont au nombre de 25.
162Quelles réflexions peut inspirer cette distribution ? Une seule paraît revêtir quelque importance : il y a deux fois plus d’objets à l’extérieur du bâtiment qu’à l’intérieur et le rapport est le même pour les clous de ferrage (14 à l’intérieur et 30 à l’extérieur). Si ce dernier point ne surprend pas, on peut légitimement s’étonner de découvrir moins de mobilier dans un bâtiment qu’à ses abords. Mais la portée de cette observation doit être pondérée par le fait que la semelle de stabilisation (constituée par les intersections de madriers) occupe une bonne partie du volume fouillé dans le bâtiment III. D’autre part, le passage d’au moins une cloison de bois et de terre (s’articulant sur l’enfilade de pieux porteurs orientée est‑ouest) est ici hautement probable. L’espace « disponible » pour la perte ou l’abandon d’objets était donc réduit.
Le second secteur
163Il pourrait constituer une simple extension des abords du bâtiment III. Il couvre un peu moins de deux triangles (408–410–610 dans sa totalité et environ 60% de 608–610–808). La séparation entre cette aire et celles qui la jouxtent est d’abord suggérée dans le premier triangle par un alignement de quelques gros pieux approximativement orienté est‑ouest. La réalité de cette limite est ensuite confirmée par un semis d’une trentaine de piquets groupés par deux ou trois, qui traverse de façon rectiligne les unités fouillées avant d’obliquer brusquement vers le point 408. Objectivement on ne peut pas affirmer que la sédimentation se soit effectuée différemment de part et d’autre de cette séparation même si, en cours de fouille, deux couches ont bien été différenciées dans chacun des deux triangles concernés. En effet, la stratigraphie montre, pour l’unité 408–410–610, que la couche d’occupation (du type lattis‑fumier classique) est recouverte par un niveau de tourbe qui s’est développé après l’abandon du site. Le caractère organique de cette strate, joint au fait qu’elle contenait effectivement quelques objets (d’ailleurs très dégradés lorsqu’il s’agissait de bois), a d’abord conduit à l’interpréter, à tort, comme une couche contemporaine du site. Mais en réalité le matériel archéologique est ici erratique. Il provient des zones les plus septentrionales de l’habitat, érodées et lessivées par l’action des vagues et des courants.
164Le cas du triangle 608–610–808 est différent (fig. 124) : dans une partie topographiquement plus basse du site il n’a pas été, après l’abandon de ce dernier, colonisé par la tourbière mais franchement inondé. La couche archéologique y est donc recouverte par plusieurs décimètres de craie lacustre qui peuvent aussi contenir quelques objets, de même origine que les précédents. Malgré ces apparentes différences, les deux triangles étudiés sont, dans une large mesure, cohérents entre eux et semblent appartenir à une même zone d’activité. C’est la raison pour laquelle tout le matériel qui en est issu a été comptabilisé en un seul lot. Le secteur a livré 81 objets parmi lesquels, comme à l’accoutumée, le mobilier domestique est le plus abondant (un tiers) mais il est vrai que cette sur‑représentation est en partie due au taux de fragmentation élevé des plats et des cuillères. Sur les objets classés dans cette catégorie on compte 9 couteaux et 9 plats ou fragments de plats, 3 bâtons de compte et 3 éléments de chaussures, 3 cuillères, 3 peignes, 1 crémaillère et 1 douelle de baquet. Ensuite viennent les outils de l’artisanat (6 fuseaux, 2 marteaux de bourrelier, 2 alènes, 2 fusaïoles, 1 égrugeoir, 1 pierre à aiguiser et 1 aiguille en os), le matériel de pêche (12 flotteurs de filet et 2 hameçons) et le mobilier d’équitation et les armes (5 fers à cheval, 5 fragments de traits d’arbalète, 1 carreau, 1 pointe d’épée et 1 harnais de tête). 2 pièces d’échecs, 2 épingles, des fragments d’une trompe d’appel en céramique, 1 plaquette en os décorée d’ocelles (instrument de musique ?) et 2 monnaies complètent ce catalogue. Le nombre de clous de fer à cheval s’élève à 131, dont les deux tiers proviennent du triangle 608–610–808, pourtant amputé de dix petits triangles (constituant une bande de terrain qui doit être rattachée au secteur adjacent). Une telle concentration n’a d’équivalent que dans l’avancée du bâtiment I, identifiée comme une écurie.

FIG. 124 – Coupe 610–808, zone du rivage.
Le troisième secteur
165Le plus étendu, il comprend la partie restante du triangle 608–610–808 et en couvre trois autres (610–808–810, 610–612–810 et 612–810–812). Il se distingue par une grande homogénéité de la couche archéologique dont la partie qui s’est déposée en limite du tombant a été remaniée par l’eau. Il est certain que de telles reprises se sont produites à l’occasion de crues saisonnières, de périodicité annuelle. Cette succession de perturbations, signalées par l’interlitage de petites strates crayeuses ou sableuses ou encore par la présence de bryophytes, correspond bien à des événements typiques de cordons littoraux (fig. 125). 227 objets, entiers ou fragmentaires, proviennent de cette zone. Ce nombre est le plus élevé sur le site et si on le rapporte à la surface fouillée, il atteint approximativement le double de la valeur moyenne. Encore convient‑il de remarquer que quasiment la moitié du mobilier a été découverte dans la partie basse des triangles, sur une largeur de terrain de 2 m environ, parallèle à la ligne de rivage. Dans ce lot, qui compte plusieurs objets peu courants voire absolument inusités, l’originalité ne tient pas tant à la proportion d’objets présents dans chaque catégorie qu’à l’abondance particulière de certains d’entre eux. Sur les 132 objets classés dans la catégorie du matériel domestique, les cuillères et fragments de cuillères (28) ainsi que les plats ou fragments de plats (18) sont en effet en proportion normale, de même que les écuelles (6), peignes (9) et bâtons de comptes (7). Il n’en va pas de même des couteaux (22), des fragments de chaussures (24) et des clefs (6), ici sur‑représentés. A leur côté on identifie également cinq douelles de cuves ou de seaux, un fond de baquet, une mesure à grain, un couvercle de pot avec son manche, un moraillon de serrure et une canne de porcher.
166Les 49 outils de l’artisanat se répartissent de la façon suivante : fuseaux (28), poinçons et alênes (4), égrugeoirs (3), fragments de quenouilles (3), maillets (2), pierres à aiguiser (2), faucilles (2), bobine (1), burin (1) et hache d’abattage emmanchée (1). A quoi s’ajoutent un exceptionnel rabot à façonner les manches d’outils (ou mouchette) et une pelote de fil tressé et poissé, uniques sur la station. Le matériel d’équitation et les armes sont aussi très abondamment représentés et regroupent 24 objets : fers à cheval (4), harnais de cuir (4), sous‑ventrières en cuir avec leurs boucles (2), éperon (1) et boucles d’éperon (2), étrille (1), dosseret de selle (1), traits d’arbalète (2), carreaux d’arbalète (3), pointes de flèches (2) et fourreaux de cuir (2). Enfin, en plus de 4 jetons de jeu et de 2 monnaies, il faut ajouter au registre des objets de parure et des accessoires du vêtement épingles (4), bague (1) et perle de verre (1). 180 clous de fer à cheval sont comptabilisés, soit 56 à l’unité de fouille. Mais cette valeur moyenne, comme d’ailleurs le simple dénombrement des objets ne rendent pas compte de certaines disparités : on a déjà évoqué la richesse particulière en mobilier de la frange littorale, qui tranche avec la pauvreté des couches, d’ailleurs beaucoup plus minces, rencontrées entre les bâtiments I et II et le quai. Mais qu’il s’agisse des objets proprement dits ou des simples clous, l’appauvrissement progressif du sédiment, au fur et à mesure que l’on progresse vers le nord, est bien réel. On est même tenté de restituer, vers le milieu du triangle 612–810–812, le passage d’une limite très forte –un retour de la palissade– qui aurait pu s’articuler sur les deux gros pieux porteurs qui subsistent. Mais une telle hypothèse ne peut pas être démontrée ici, en l’absence de la stratigraphie 810–812 que les conditions techniques de fouilles (envasement rapide et continu par la craie lacustre) n’ont jamais permis de relever. L’argument a contrario qui se fonderait sur l’absence de planches, qui constituent par endroits l’essentiel de cette palissade, n’est pas valide puisqu’on a prouvé que ces éléments ont été majoritairement récupérés.
Le quatrième secteur
167Il est séparé du précédent par une enfilade de quatre poteaux, orientés nord‑sud. Sur les 79 objets répertoriés, 35 sont définis comme domestiques : peignes (7), douelles (7), plats ou assiettes (5), couteaux (4), éléments de chaussures (3), embauchoir à chaussure (1), écuelle complète (1) et couvercle de bois pour pot à cuire (1). Le matériel artisanal est peu varié. En effet, avec des fuseaux entiers ou non (15) on ne rencontre que des poinçons (3) et un unique battoir (espadon). Le matériel de pêche est pauvre (2 flotteurs) et aucune arme n’a été découverte. Mais le matériel d’équitation est abondant et diversifié : mors (2), éperon (1), fers à cheval (10) et bande de selle décorée (1). Les objets de parure sont étonnamment présents : perles de verre (3), bague (1), pendant d’oreilles (1), broche en étain (1) et intaille antique en verre (1). On rencontre aussi une flûte en os et une plaque de bois de cervidé ornée d’ocelles (décor d’un instrument de musique ?), ainsi qu’une monnaie. Le nombre de clous de fer à cheval est de 168, dont 116 à l’intérieur du seul triangle 410–610–612. N’était‑ce ce chiffre élevé (voisin de celui qui caractérisait l’écurie du bâtiment I) et l’absence d’une semelle de madriers propre à stabiliser une maison de grandes dimensions, on aurait pu, à la seule lecture du catalogue des objets, interpréter ce secteur comme l’intérieur d’un bâtiment d’habitation du type le plus riche (à l’exception des armes). Mais ni le plan des pieux ni l’allure de la stratification ne suggèrent rien de tel (fig. 126).

FIG. 126 – Coupe 412–410, secteur artisanal au nord.
Interprétation des fonctions
168En définitive l’hypothèse prévaut que l’ensemble du nord du site pourrait être partagé en trois zones aux fonctions assez nettement différenciées (fig. 127). Devant le bâtiment III, s’exerceraient simultanément plusieurs activités artisanales ne nécessitant pas d’infrastructures lourdes : en plein air pour certaines (confection de textiles) ou à l’intérieur d’ateliers légèrement bâtis (découpe et travail du cuir). Au sein de cet espace, relativement dégagé et tout proche de la berge, seraient mis à sécher les filets et entreposé le matériel de pêche (la quantité de flotteurs de filets est assez considérable et les rares hameçons du site y ont été collectés). En revanche, le tournage du bois paraît exclu puisqu’on n’en retrouve pratiquement jamais les sous‑produits (copeaux et culots). La bordure littorale, assez régulièrement ennoyée, serait séparée de cette aire artisanale par un enclos peu élevé par‑dessus lequel les sous‑produits inutilisables des artisanats seraient jetés, de même que les fumiers de stabulation et de grandes quantités de déchets alimentaires. Il n’est pas impossible d’ailleurs qu’il y ait eu à cet endroit une interruption de la fortification, sorte de porte d’accès aux pirogues navigant sur le lac, et menant à une pente d’échouage des embarcations.

FIG. 127 – Occupation de l’espace, au nord de la station, entre le bâtiment III et le rivage ancien.
169Il est plus difficile, en l’état d’avancement actuel de la fouille, de résoudre les apparentes contradictions rencontrées dans la dernière zone, dont le mobilier s’apparente nettement par sa composition à celui des bâtiments déjà fouillés. Mais la quantité de céramique y est anormalement forte, du même ordre de grandeur que dans le dépotoir localisé contre la palissade, au sud‑est du site. De surcroît et paradoxalement, les clous de ferrage y sont très abondants. Est‑ce à dire que la maréchalerie, activité la plus génératrice de clous (avec la forge) y était pratiquée ? C’est très plausible d’autant qu’une pièce de sellerie unique en provient, accompagnée de deux mors (pourtant peu fréquents à Colletière) et d’une dizaine de fers à cheval dont quatre entiers. Une telle concentration ne trouve d’équivalent que dans le bâtiment I et son écurie.
3.4.2.7 Les monnaies
170La carte de répartition des trente monnaies dont l’emplacement d’origine est connu avec précision mérite un commentaire (fig. 128). Il convient tout d’abord de remarquer que les pièces gallo‑romaines ne sont quasiment jamais présentes à l’intérieur des bâtiments et qu’on les rencontre majoritairement dans les zones interprétées comme artisanales et les dépotoirs. Cette particularité, jointe au fait qu’elles étaient bien sûr au xie siècle aussi usées qu’aujourd’hui (puisque les conditions de gisement n’altèrent pas les métaux cuivreux), donne à penser qu’elles n’étaient sans doute pas « thésaurisées ». Peut‑être continuaient‑elles simplement à être employées comme jetons d’appoint au cours des échanges commerciaux ? Cela pourrait expliquer leur association avec les monnaies médiévales dans les secteurs de production métallurgique ou textile. Mais leur nombre très réduit atteste bien une utilisation « résiduelle », en tous cas occasionnelle.

FIG. 128 – Répartition spatiale des monnaies. ◐ monnaies bourguignonnes, ● monnaies saliennes, ⬡ monnaies gallo‑romaines.
171En ce qui concerne les espèces monétaires des xe et xie siècles, il faut attirer l’attention sur une distribution assez homogène, quelles que soient les couches, ce qui ne peut surprendre compte tenu de la petite taille des pièces, qui favorise leur intrusion depuis des horizons récents vers des strates plus anciennes, surtout dans des sols non compactés. Une telle faculté justifie l’existence ponctuelle de monnaies parmi les plus récentes dans la couche III (lattis‑fumier) qui se dépose au début de l’occupation, donc largement avant leur émission. Mais il est surtout frappant de constater, pour autant que l’on admette l’hypothèse d’un abandon peu avant 1010 (on n’a en effet aucune monnaie d’Henri le Noir qui règne à partir de 1038), la proportion relativement élevée des deniers de Conrad le Salique qui n’ont pu être introduits dans l’habitat que dans les dernières années de son occupation, entre 1032 et 1038. On peut voir là le signe d’un enrichissement sensible, peut‑être consécutif à l’intensification des échanges commerciaux au cours d’une période où l’on sort d’un système de production vivrière et autarcique pour accéder à une économie qui dégage de substantiels surplus. Un autre phénomène surprenant est l’abondance des monnaies dans le bâtiment II et leur rareté dans le bâtiment I qui vont, semble‑t‑il, à l’encontre des conclusions proposées à partir de la distribution spatiale d’autres objets tels que les pièces de jeux, les armes, les instruments de musique et les restes de gibier de grande chasse. Pourquoi le bâtiment I, résidence aristocratique, livre‑t‑il si peu de monnaies comparativement au bâtiment II, en principe occupé par la domesticité ? Une première explication serait que, dans le bâtiment I par lequel les fouilles ont commencé clans des conditions matérielles et humaines tout à fait différentes de ce qu’elles sont devenues aujourd’hui (et dans un contexte d’innovation méthodologique progressive) les monnaies, petites et peu visibles, aient échappé en partie aux tamiseurs (phénomène également observé pour les plus petits des restes végétaux comme les céréales). Une seconde, à vrai dire peu convaincante, serait que dans le bâtiment central les pièces à vivre auraient été à l’étage, sur un sol planchéié et régulièrement nettoyé, ce qui limiterait les risques de perte. Mais cette hypothèse concorde mal avec l’existence d’une cheminée centrale au rez‑de‑chaussée et avec l’abondance, à sa périphérie, d’objets de caractère ludique tels que les pièces d’échecs et les instruments de musique. On pourrait donc proposer que les occupants du bâtiment I, de rang social plus élevé, aient un comportement spécifique par rapport au numéraire, dicté précisément par leur position hiérarchique : les monnaies ne seraient plus quotidiennement détenues par les individus mais thésaurisées et regroupées dans un meuble ou un coffret ce qui préviendrait leur dispersion. Quant aux nombreuses monnaies, essentiellement attribuables à Conrad le Salique, découvertes dans le second bâtiment, il est manifeste qu’elles se situent quasiment toutes dans la couche la plus récente, synchrone de sa conversion en habitat après une première phase où il sert surtout à la stabulation animale. Mais cela n’explique pas leur nombre relativement élevé sauf si on admet, hypothèse actuellement indémontrable, que ses occupants, artisans et éleveurs dont la fonction est de produire, assuraient eux‑mêmes la commercialisation des denrées et que, pour cette raison, ils disposaient en permanence de liquidités contrairement aux détenteurs du pouvoir foncier qui n’auraient perçu que des redevances en nature, ce qui est difficile à envisager.
172Reste enfin le problème des deux monnaies plus tardives (1120‑1150) recueillies sur le site. Elles ne remettent nullement en cause la chronologie proposée. Elles proviennent en effet pour l’une d’un ramassage de surface effectué en dehors de tout contexte stratigraphique, et d’un endroit ou la couche III (lattis‑fumier) affleure directement sans être scellée par des dépôts du xie siècle pour l’autre. On doit en conclure qu’elles ont été perdues au xiie siècle, peut‑être à l’occasion de tentatives de récupération de bois d’œuvre dont on sait qu’elles se sont poursuivies sur les gisements littoraux jusqu’à la fin du xixe siècle.
3.5 Le mobilier et l’artisanat
3.5.1 Les objets de récupération gallo‑romains
173Jean‑Pierre Moyne
174Sur le site un petit nombre d’objets de récupération gallo‑romains a été collecté. Si certains ont pu être transmis par héritage, comme une intaille ou des perles, d’autres, comme par exemple les monnaies de bronze, peuvent n’avoir jamais cessé de servir comme jetons de compte. Des fragments de tegulae ou d’imbrices, des tessons de céramique et tesselles de mosaïque ont certainement été récupérés sur un ou plusieurs des sites proches que les Médiévaux devaient connaître. Ne constituant pas une collection abondante ni homogène, il a été jugé préférable d’en donner un simple inventaire (fig. 130).

FIG. 129 – Interprétation générale et principaux secteurs d’activités.

FIG. 130 – Mobilier gallo‑romain de Colletière. 1 no 1345, 2 no 1667, 3 no 2235, 4 no 3024, 5 no 3409, 6 no R.1989.444, 7 no 1130, 8 no 2741, 9 no 3063, 10 no 2624, 11 no 89.46.52, 12 no 2469, 13 no 3128, 14 no 1798,15 no 1769,16 no 1664, 17 no 321. (Echelle 1/2)
3.5.1.1 Le verre
175210 – Cabochon de couleur bleue, taillé dans un fragment de verre antique, qui a dû servir d’élément de décoration.
1761345 – Anse de coupelle en verre provenant d’un récipient de petite taille.
1771667 – Fragment de bord de flacon en verre bleu sombre. De petites dépressions sont visibles sur le sommet du bord. Une côte horizontale le souligne.
1782214 – Fragment de verre à côtes, bleu transparent et bulleux, appartenant à un flacon à base carrée ou hexagonale (iie‑iiie siècles) (Landes 1983).
1792286 – Bord de coupelle en verre bleu opaque.
1802235 – Fragment de panse en verre de couleur jaune opaque portant un cordon horizontal.
1813024 – Fragment de fond de flacon. Le verre est opaque et très endommagé.
1823409 – Anse plate en verre bleu sombre qui devait appartenir à une coupe ou à un flacon.
183R.1987.249 – Fragment de panse en verre bleu sombre. La pâte a été repliée vers l’intérieur pour former l’anse horizontale d’une patère ou d’une coupe.
184R.1989.444 – Fragment de fond d’ampoule en verre bulleux de couleur ambrée (Antiquité tardive, haut Moyen Age).
185R.1989.443 – Fragment de fond en verre bleu transparent appartenant à un pied annulaire de flacon.
1861130 – Perle de verre en forme d’anneau, de couleur jaunâtre. Diam. : 13 mm ; diam. du trou : 7 mm.
1871748 – Perle en verre bleu de forme ovale.
1882068 – Fragment de perle en verre, du même type que la perle 1130.
1892741 – Perle en pâte de verre. De couleur noire avec des lignes incrustées blanches, elle est proche de certains modèles mérovingiens (Perin 1985). Diam. : 10 mm ; diam. du trou : 3 mm.
1901948 – Perle de collier en pâte de verre identique aux perles 2741 et 3063. Dimensions : 11 et 8 mm ; diam. du trou : 4 mm.
1913063 – Perle en verre identique à 2741 et 1948. Diam. : 9 mm ; diam. du trou : 3 mm.
1922624 – Boule en verre bleuté transparent, sans perforation. Diam. : 7 mm.
1932589 – Boule en verre bleuté identique à 2624. Diam. : 7 mm.
1941758 – Intaille en verre bleu provenant d’un anneau sigillaire. Le décor est constitué d’une Victoire ailée représentée de profil, tenant dans sa main droite une palme et brandissant de sa main gauche une couronne de laurier. Ses pieds reposent sur un globe. On peut lire également une inscription rétrograde SAB.M.VP certainement le nom du propriétaire de l’anneau (ii‑iiie siècles) (fig. 131). L : 12 mm ; I : 10 mm ; ép. : 2 mm.

FIG. 131 – Intallle gallo‑romaine (no 1758)
cliché Y. Basq, fouilles de Colletière
3.5.1.2 La céramique
195M.D.89.46.52 – Poids de filet en forme de disque taillé dans un fragment de tuile ou de brique. Diam. : 33 mm ; ép. : 8 mm ; perforation d’un diamètre de 7 mm.
1962469 – Idem. Diam. : 32 mm ; ép. : 12 mm ; diam. du trou : 6 mm.
1973128 – Idem. Diam. : 35 mm ; ép. : 11 mm ; diam. du trou : 9 mm.
1981798 – Idem. Diam. : 30 mm ; ép. : 18 mm ; diam. du trou : 10 mm.
1991769 – Poids de filet en céramique de forme cylindrique. Diam. extérieur : 22 mm ; diam. intérieur : 17 mm ; h : 20 mm.
2001664 – Ebauche de poids de filet en céramique. La taille de cet objet dans un fragment de tuile ou de brique n’a pas été achevée, la perforation centrale restant à l’état d’ébauche. Sa forme est ovale. L : 27 mm ; l : 15 mm ; ép. : 13 mm.
201321 – Fond plat de céramique grise à dégraissant micacé. L’extérieur est soigneusement lissé.
2022436 – Tesselle de mosaïque cubique de couleur noire. 60 x 60 x 70 mm.
203On a également retrouvé plusieurs tessons de céramique sigillée, mais leur trop grande fragmentation n’a pas permis une reconnaissance des formes.
3.5.2 Le mobilier céramique
204Elisabeth Faure‑Boucharlat, Bruna Maccari‑Poisson
205La céramique de Charavines est déjà bien connue des médiévistes. Un portrait général en a été tracé à plusieurs reprises ; les pièces les plus remarquables ont été illustrées. On a d’ailleurs, chaque fois, souligné l’homogénéité de l’ensemble qui tient tant à la brièveté de l’occupation du site qu’à la pauvreté du répertoire et à la lenteur de révolution des formes des céramiques en ce plein Moyen Age (Reynaud et al. 1975 ; Faure‑Boucharlat et al. 1980 ; Colardelle 1980 ; Faure‑Boucharlat 1981). Mais plusieurs raisons justifiaient que l’on consacrât davantage de temps et de moyens à une étude plus complète de ce mobilier.
206La nature même du site d’abord : l’habitat, densément occupé pendant une courte période, non remanié ou détérioré par la suite, restitue une « photographie » fidèle du matériel alors en usage. Ensuite, et il faut le souligner, la conservation des vestiges de bois permet une évaluation plus complète et plus juste du vaisselier que dans la plupart des fouilles : on peut juger réellement de la proportion relative des récipients de terre et de bois, de la spécialisation des usages (cuisson, consommation, stockage) réservés à l’une ou l’autre catégorie de matériaux.
207A ces conditions de gisement assez exceptionnelles s’ajoute le caractère de la fouille proprement dite : des datations précises, des phases d’occupation bien caractérisées, un prélèvement exhaustif des vestiges mobiliers qui renforcent l’intérêt du lot, quantitativement et qualitativement.
208L’ensemble de ces éléments, rarement réunis sur un site archéologique, autorise donc des observations à la fois détaillées et statistiques, actuellement seule voie de progrès pour la connaissance de la céramique du Moyen Age classique. Le travail réalisé illustre d’ailleurs bien le rapport dialectique entre données de terrain et céramologie proprement dite. Si, à Charavines, cette dernière est susceptible de concourir, avec d’autres disciplines, à certaines étapes de l’interprétation du site (comme l’analyse des espaces à partir de la répartition des mobiliers), en matière de chronologie, en revanche, c’est bien la datation du site par d’autres critères qui enrichit notre connaissance de la céramique.
209L’occasion est donc donnée de faire ici la synthèse des études antérieures, de les nuancer et surtout de les compléter à partir d’une analyse exhaustive et détaillée de tous les fragments recueillis.
3.5.2.1 Présentation d’ensemble
Quelques chiffres
210L’analyse présentée ici porte sur l’ensemble des tessons issus de la fouille jusqu’en 1988. Ils proviennent de toutes les couches et faits archéologiques rencontrés, sur une surface d’environ 500 m2 correspondant à 44 grands triangles. 43 146 tessons ont été répertoriés. Leur répartition est donnée dans le tableau xvi.
Nbre | % | |
Rebords (4,8 %) | 2084 | |
éversés | 930 | 44,6 |
bandeaux | 1154 | 55,4 |
Becs (0,5 %) | 199 | |
pontés | 133 | 66,8 |
pincés | 66 | 33,2 |
Fonds (6,4 %) | 2775 | |
marqués | 359 | 12,9 |
simples | 2416 | 87,1 |
Panses (87,8 %) | 37832 | |
ornées | 2744 | 7,3 |
simples | 35088 | 92,7 |
Anses (0,5 %) | 201 |
TABL. XVI – Répartition des tessons.
211L’ensemble est généralement très fragmenté, ce qui explique que l’on n’ait pas encore tenté de reconstitutions systématiques. Celles‑ci n’ont été entreprises, au fil des années, que pour les vases les moins brisés et, ponctuellement, pour vérifier la dispersion des tessons d’un même récipient. Mais ce travail est appelé à se poursuivre car les résultats sont riches de renseignements de tous ordres.
212L’importance du lot et le peu de diversité des formes rencontrées rendaient longue et hasardeuse l’estimation du nombre de récipients représentés grâce aux méthodes classiques (indice de fragmentation, notion d’« équivalent‑vase », etc.). La technique plus pragmatique du pesage a semblé mieux adaptée. Le poids moyen d’un récipient a été estimé à 1 kg à partir d’une dizaine d’exemplaires reconstitués, de tailles variées. L’ensemble des céramiques de Charavines pèse environ 257 kg. Le site aurait donc livré, actuellement, près de 260 récipients de terre cuite. Ces chiffres, absolus et relatifs, sont élevés et inhabituels, dans notre région, pour des sites de cette époque. Ils le sont d’autant plus que la surface fouillée est relativement modeste et la période d’occupation brève, de l’ordre d’une trentaine d’années.
213La comparaison peut être établie avec d’autres sites, contemporains à quelques décennies près, et eux aussi largement explorés : l’enceinte castrale du Châtelard à Chirens, toute proche, et la motte castrale de Décines (Rhône). A Chirens, près de 7 000 tessons proviennent de 600 m2 de couches archéologiques d’une épaisseur moyenne de 30 cm. A Décines, où pourtant l’on a exploré en grande partie un dépotoir, la fouille a livré 4 275 tessons, soit environ dix fois moins qu’à Charavines.
214Même en faisant le rapprochement avec des fouilles urbaines, généralement plus riches en mobilier, le cas de Colletière reste exceptionnel. L’exploration de deux îlots dans le quartier Saint‑Jean à Lyon a livré, pour la période médiévale, les quantités suivantes : avenue A. Max, 12 000 tessons pour environ 900 m2 ; îlot Tramassac, 16 000 tessons pour environ 600 m2, sur plusieurs mètres de sédiment. Encore faut‑il souligner que ce décompte englobe le matériel d’une occupation bien plus longue qu’à Charavines.
215Il est difficile de fournir ici une explication sans considérer l’ensemble du mobilier archéologique du gisement qui paraît, pour toutes les catégories, particulièrement abondant. Ces constatations éclairent l’interprétation de sa fonction en mettant en évidence une occupation dense ; mais la nature du site et le statut social de ses habitants influent en retour sur la qualité et la quantité des équipements domestiques. A ce stade de l’étude, les céramologues se tournent vers les archéologues, font part de leurs observations et sollicitent d’autres arguments pour savoir quel sens donner à l’importance quantitative du mobilier céramique.
Formes et usages
216Toutes les études consacrées aux céramiques régionales du xe au xiie siècle (et en particulier aux productions contemporaines de la pratique du marquage des fonds) insistent sur le manque de diversité des formes. L’examen des poteries de Colletière confirme ce constat en lui apportant, grâce à la quantité traitée, une incontestable valeur statistique. A l’exception d’une quarantaine de fragments, pas toujours identifiables, l’ensemble du lot est constitué de récipients de forme fermée, à profil globulaire et fond bombé. Deux catégories sont très inégalement représentées (fig. 132) :

FIG. 132 – Les principales formes : 1 à 7 vases à cuire ou à conserver, 8 à 11 vase à liquides et cruches, 12 à 14 couvercle et goulots de gourde. (Echelle 1/8)
217– les simples pots à cuire ou à conserver prédominent largement et relèvent du type de l’oule médiévale ;
218– les vases à liquide ou cruches, pourvus d’un bec verseur et d’une anse symétriquement opposés, sont en réalité beaucoup moins nombreux qu’on ne l’estimait jusque‑là ; on ne dénombre en effet que 201 fragments d’anses et 199 fragments de becs (soit 1 % du total des tessons).
219L’estimation du nombre relatif des pots et des cruches ne peut être tentée sans que les reconstitutions soient plus avancées. A l’heure actuelle, on peut seulement signaler que les fragments de becs ne représentent que 8,7 % du nombre total de rebords. Les autres formes culinaires restent exceptionnelles. Le lot n’a fourni en effet qu’une dizaine de fragments de couvercles : ils sont coniques, munis d’une corolle horizontale, et offrent à la préhension un bouton plat ou sphérique. D’autres présentent sous la corolle une base cylindrique. Quatre éléments de lèvres droites et verticales, difficilement identifiables en raison de leur taille, font penser à des rebords de petites formes ouvertes, peut‑être des gobelets.
220Trois fragments de panse perforés avant cuisson pourraient provenir de passoires. Cinq éléments de gourdes ou bouteilles attestent la présence de ce type de récipient (un exemplaire complet avait été trouvé dans les fouilles anciennes de la station des Grands Roseaux). Un gros fragment de forme hémisphérique pourrait avoir appartenu à une gourde. Aucun doute ne subsiste en revanche pour deux exemplaires de goulots cylindriques à embouchure légèrement évasée ayant conservé les traces des deux anses plates qui les encadraient.
221Signalons enfin un cas actuellement unique sur le site et, à notre connaissance non encore répertorié dans la région, à même époque : une cruche pourvue de deux anses et deux becs opposés deux à deux. Elle est revêtue d’une glaçure externe très épaisse et brillante à reflets métallisés. Le fait que l’objet ait été trouvé complet renforce le caractère exceptionnel de la découverte (Pl. III, A et fig. 132‑11). Une cruche très comparable, mais en pâte plus claire et à glaçure jaune provient de l’enceinte castrale d’Andone ; elle est datée des xe‑xie siècles, antérieurement à 1010.

Pl. III. A – Cruche glaçurée à deux becs et deux anses (no 3366).
cliché fouilles de Colletière
222Les statistiques typologiques établies sur un ensemble aussi important prouvent, s’il en était besoin, que la rareté des formes autres que fermées et globulaires, et, à l’extrême, autres que le simple pot (les cruches restent minoritaires) ne peut être le fruit du hasard dans les ensembles médiévaux connus à ce jour, même si les conditions de gisement et de découverte laissent supposer une représentation aléatoire.
223Tous les médiévistes s’accordent d’ailleurs à reconnaître que l’indigence du répertoire des terres cuites est compensé, à cette époque, par l’usage du bois. Précisément le site de Charavines offre la possibilité de confronter la nature et la proportion des récipients des deux catégories. La restitution complète du vaisselier des habitations de Colletière englobe environ 70 plats, jattes, bols et écuelles de bois, qui s’ajoutent aux pots et cruches mentionnés plus haut. On peut également évoquer les grands récipients, bassins, baquets ou tines (9 exemplaires minimum), dont l’utilisation exacte reste à déterminer, mais dont on peut supposer qu’ils servaient au stockage de denrées solides ou semi‑solides, plus rarement de liquides. Enfin 8 éléments de disques de bois, munis d’une sorte de petit manche, pourraient être des couvercles s’ajustant dans l’ouverture des pots de terre (cf. infra).
224Pour être vraiment complet, tout en s’en tenant au matériel lié aux activités culinaires, il faudrait également signaler les 70 cuillères en bois mais aussi de nombreux couteaux de fer, ces derniers connaissant probablement une utilisation très polyvalente.
225Les faits observés à Charavines sont, dans notre région, pour ne pas dire en France, exceptionnels, mais sont‑ils représentatifs d’un faciès régional en ce début du xiesiècle ? Ils livrent nombre d’informations nouvelles sur les usages domestiques mais soulèvent aussi plusieurs questions auxquelles on ne peut apporter une réponse immédiate.
226Peut‑on considérer la proportion relative des récipients de terre et de bois comme assurée ? Un vase brisé est abandonné mais ne disparaît pas, les objets de bois au contraire peuvent être plus facilement remployés, surtout brûlés, et donc manquer au décompte des récipients utilisés durant toute l’occupation.
227Le manque de références, suffisamment nombreuses, à d’autres lots de vaisselle de bois, à l’inverse de ce qui est possible pour la céramique, ne permet pas actuellement de juger de l’importance relative du lot de Charavines dans le contexte médiéval. Les habitants du village sont‑ils particulièrement bien équipés en récipients de bois, comme ils paraissent l’être en récipients de terre ? C’est probable mais il n’est encore guère possible de le prouver. Les ensembles découverts dans le comblement d’un puits à Montpellier, daté du xiiie siècle, et dans celui d’une citerne à Besançon, daté du xive siècle, montrent la place encore importante tenue par la vaisselle de bois dans l’équipement domestique pendant tout le Moyen Age et dans des régions diverses (Saint‑Jean 1988 ; Munier 1990).
228En tout état de cause, on recueille la certitude que récipients de terre et de bois connaissent des usages spécifiques et complémentaires : cuisine, préparation et petit stockage essentiellement pour les premiers, table, présentation et grand stockage pour les seconds avec, bien sûr, toute une gamme de polyvalences (pot à cuire ou à conserver, cruche à transporter ou à servir, etc.).
229Les traces que livrent certaines pièces de terre cuite donnent quelques informations supplémentaires sur leur utilisation. Leur interprétation n’est pas toujours aisée et il faut se garder de généraliser. Mais la dimension humaine qu’elles revêtent mérite qu’on s’y attache :
– des dépôts noirâtres à l’intérieur de quelques fonds correspondent probablement à des aliments calcinés ;
– dans le même ordre d’idées, des coulures sombres à l’extérieur et à l’intérieur des parois, des traces de surcuisson à l’extérieur, évoquent aussi la cuisson des aliments dans le foyer ;
– l’usure de quelques vases révèle un usage prolongé sur une surface dure ; le fait est particulièrement sensible dans le cas des vases dont la marque de fond est « estompée » par les frottements ;
– 24 fragments au moins montrent des trous de réparation : un fond marqué qui, une fois le vase définitivement brisé, semble avoir été réutilisé en coupelle ou en couvercle ; c’est sans doute à ce moment qu’a été réalisé un dernier trou, plus important, pour le passage d’une corde de suspension, par exemple ;
– la reconstitution d’un grand pot à cuire a permis de mettre en relation deux fragments qui avaient été réajustés ;
– 11 tessons portent une double perforation après cuisson, et ont été grossièrement arrondis ; ils évoquent des boutons, pesons, jetons ; pour 19 autres à perforation unique, il est difficile de dire s’ils ont appartenu à des vases réparés ou s’il s’agit de remplois.
3.5.2.2 Typologie
Les fonds
230Les exemplaires les mieux conservés, totalement ou en partie reconstitués, possèdent des fonds bombés ou lenticulaires (fig. 133c). Mais le bombement n’est pas régulier ; rarement centré, il n’affecte parfois pas la totalité de la surface du fond, ce qui engendre, en contrepartie, des dépressions concaves à la périphérie. Le bombement n’est d’ailleurs pas très accusé : le relief maximal du fond par rapport au plan ne dépasse qu’exceptionnellement le centimètre. La liaison entre le fond et la panse est toujours marquée, à l’extérieur, par une arête, tandis qu’à l’intérieur le passage se fait parfois par une courbe continue. Ce détail, qui résulte de minimes variantes au tournage, ne revêt pas grande signification.

FIG. 133 – Céramique : typologie des bords et des fonds, a lèvres éversées ; b bords en bandeau ; c fonds bombés. (Echelle 1/5)
Les panses
231La partie inférieure des panses est le plus souvent convexe ; c’est toujours le cas pour les exemplaires de petite ou moyenne taille, qui ont ainsi un profil nettement globulaire. Sur les récipients les plus grands, la partie inférieure de la panse adopte parfois un tracé presque rectiligne, en tronc de cône. Les vases apparaissent alors moins trapus et se rapprochent du profil piriforme, avec un épaulement situé au tiers supérieur de la panse.
Les rebords
232Ils se rattachent directement à la panse sans l’intermédiaire d’un col et se répartissent en deux grandes catégories qui connaissent chacune de nombreuses variantes de détail.
233Les rebords « en bandeau » (55,4 % des lèvres) équipent toujours des pots à cuire (fig. 133b). La hauteur du bandeau est variable mais se situe généralement entre 13 et 17 mm. La face externe offre rarement un relief très marqué : on ne rencontre pas de bandeaux très décollés se rapprochant du type « en poulie ». La face interne présente, le plus souvent, une gorge accentuée. Il en résulte que les bandeaux sont divergents par rapport à l’axe du vase, formant ainsi une ouverture évasée. Le degré d’inclinaison est très variable.
234Les lèvres éversées (44,6 %) équipent toutes les cruches et une partie des pots à cuire (fig. 133a). La très grande majorité possède également une gorge interne bien marquée qui confère au profil une double courbure, externe puis interne. Les autres ont un tracé régulièrement arrondi. Dans la plupart des cas l’épaississement de l’extrémité forme un bourrelet externe. Certains exemplaires offrent une sorte de moyen terme entre lèvre éversée et lèvre « en bandeau ». Des variations mineures portent sur l’inclinaison de la lèvre, la profondeur de la gorge, l’épaisseur du bourrelet d’extrémité, sans que ces traits typologiques paraissent véritablement significatifs.
Les becs
235On l’a dit plus haut, ils sont peu nombreux : les 199 éléments répertoriés se répartissent entre des becs simplement pincés (66) et des becs pontés (133). Ils sont toujours associés à des lèvres éversées. Le pincement affecte une bonne portion de l’ouverture, déterminant des becs larges et peu saillants. Les becs pontés, formés par l’adjonction d’une plaque de pâte, sont plus importants et ont tous le même aspect en « bec de canard ». Par rapport à l’ouverture, ils présentent un saillant compris entre 40 et 50 mm tandis que la lèvre ininterrompue forme un pont au‑dessus du bec.
Les anses
236Les anses (201 fragments) offrent peu de variété. Elles sont plates, en ruban, et présentent toujours un repli latéral interne et parfois externe. Leur largeur varie entre 30 et 50 mm. Quelques anses larges possèdent une surépaisseur médiane : on peut alors parler d’anses cannelées, mais elles restent exceptionnelles. Ces anses partent toujours de la lèvre qu’elles englobent et déforment. Elles sont peu en relief, courtes et se raccordent à la partie supérieure de la panse, plus haut que son diamètre maximal. Les anses et les becs qui caractérisent les cruches sont toujours diamétralement opposés. Sauf le cas tout à fait unique, signalé plus haut, chaque exemplaire est pourvu d’un seul bec et d’une seule anse.
Les décors
237Ils affectent la plupart du temps la panse des vases, et dans quelques cas seulement les anses. Ils font tous appel à des techniques simples de travail sur pâte molle, en creux ou en relief. 7,3 % des fragments de panse sont ainsi décorés (fig. 134). Six types de décors sont répertoriés (tabl. xvii).

FIG. 134 – Les décors : 1, 2, 3, 4 décors à la molette ; 5 décor ondé ; 6, 7 bandes rapportées digitées.
cliché C. Thioc
Décor | Nbre | % |
moleté | 1689 | 61,6 |
côtelé | 903 | 32,9 |
incisé, ondé | 71 | 2,6 |
rapporté, digité | 61 | 2,2 |
lissé | 14 | 0,5 |
pincé | 6 | 0,2 |
Totalfragments | ||
décorés (7,3 %) | 2 744 |
TABL. XVII – Répartition des décors.
238Les incisions effectuées à la molette sont de loin le mode d’ornement le plus courant (61,6 %). Les pièces reconstituées sont trop peu nombreuses pour que l’on juge de leur emplacement exact sur la panse, mais il semble qu’elles en garnissent préférentiellement la moitié supérieure. Plusieurs exemplaires offrent toutefois un décor presque couvrant, n’épargnant que le tiers inférieur de la panse. Les motifs simples, carrés, rectangles ou losanges, offrent toutefois un répertoire assez varié, Jouant sur l’espacement et la profondeur des incisions, le nombre et la disposition des lignes superposées, en général trois par registre de molette. Dans l’état actuel de l’étude on a pu dénombrer un minimum de 19 vases moletés, dont 5 cruches et 4 pots à cuire identifiés.
239Les autres décors incisés ne représentent que 2,6 % des cas. Il s’agit de lignes ondées, peu profondes, associées par deux ou trois et courant horizontalement tout autour de la panse.
240Un seul type de décor en relief a été répertorié : les bandes de terre rapportées, repoussées ou festonnées au doigt, dites « digitées ». Elles ne représentent que 2,2 % des décors. Elles ornent quelques anses où elles sont disposées longitudinalement. On note sur un pot bien conservé des bandes digitées qui dessinent sur la panse trois lignes verticales radiantes à partir du col. Ce dispositif ne semble se répéter que sur deux ou trois exemplaires. Sur d’autres, une bande court, en outre, sous la lèvre.
241La dernière catégorie, dénommée décors en côtes ou côtelés, est bien représentée (32,9 %). Elle est d’ailleurs à la limite du décor proprement dit puisque le résultat est obtenu au tournage. Il consiste en stries volontairement accusées, donnant à la partie supérieure du vase, jusqu’à son épaulement, un revêtement de cannelures régulières, étroites et serrées. On peut supposer que cette pratique avait un but esthétique.
242Les décors lissés apparaissent tout à fait marginaux, treillis de lignes à peine incisées au bâtonnet (14 fragments), ainsi que les décors pincés obtenus par pincement d’un bourrelet de pâte (6 cas).
243Il ne semble pas (mais les pièces reconstituées manquent pour en être certain) que les décors soient plus particulièrement réservés à une catégorie de vases, pots ou cruches.
La glaçure
244Les vases agrémentés d’un revêtement glaçuré sont extrêmement rares puisque les 81 fragments dénombrés ne représentent que 0,2 % du matériel. Les glaçures sont olivâtres à reflets souvent mordorés, qui confèrent aux surfaces un aspect métallisé. Le fait est particulièrement sensible sur la cruche à deux becs, mentionnée ci‑dessus, qui évoque irrésistiblement un pot en métal. Mauvaise maîtrise de la glaçure ou recherche volontaire, il est difficile de trancher. L’imitation en céramique de récipients plus prestigieux, en métal, fer, étain ou fonte, s’est en effet pratiquée à toutes les époques. La place réduite que tiennent les poteries glaçurées à Charavines, comme sur tous les sites régionaux contemporains, suggère qu’elles étaient considérées comme des objets de prix.
245Les glaçures sont épaisses, mais d’aspect irrégulier et parfois granuleux en raison de la méthode d’application (cf. infra). La glaçure recouvre toujours les deux faces des vases. L’état fragmentaire de la plupart des pièces ne permet pas de connaître précisément la forme d’origine. La présence, parmi elles, de 7 éléments de becs et d’anses laisse penser que la glaçure, réservée d’abord aux vases à liquide, renforçait également l’étanchéité des récipients.
Dimensions et proportions
246Les observations sont provisoires puisqu’elles ne portent que sur une vingtaine de profils archéologiquement complets. Des constantes apparaissent cependant qui définissent le gabarit le plus fréquent. Ces vases « de taille moyenne » ont les dimensions suivantes :
– diam. de l’ouverture entre 12,5 et 14 cm ;
– diam. maximal de la panse entre 21 et 23 cm ;
– diam. du fond entre 13 et 15 cm ;
– hauteur totale entre 19 et 21 cm.
247Deux autres groupes, apparemment moins nombreux, se distinguent, bien que les gabarits intermédiaires ne soient pas absents :
– les « grands vases » qui peuvent atteindre 24 cm de haut avec 25 cm de diamètre de panse, 16 cm de diamètre de fond et d’ouverture ;
– les « petits vases » ne dépassant pas 14 cm de hauteur ; les diamètres du fond et de l’ouverture sont compris entre 11 et 12 cm, celui de la panse entre 13 et 14 cm.
248Ces dimensions indiquent des proportions trapues : hauteur totale et diamètre maximal de la panse sont souvent très proches ; le diamètre du fond est souvent supérieur à celui de l’ouverture. Il n’est pas encore possible d’établir une relation entre dimensions et nature des récipients. Il semble a priori que les pots et les cruches à bec ponté se retrouvent dans toutes les catégories. Les cruches à bec pincé en revanche pourraient se ranger dans les « petits » récipients.
3.5.2.3 Fabrication
Les techniques
249L’homogénéité du lot montre que les techniques de fabrication n’ont guère varié d’un exemplaire à l’autre. Les remarques faites à partir des pièces les mieux conservées peuvent donc être étendues, sans risque, aux éléments plus fragmentaires.
250Les poteries témoignent dans l’ensemble d’une grande maîtrise technique, tant lors du façonnage qu’à la cuisson. L’utilisation d’un tour rapide ne fait aucun doute : stries de tournage régulières, épaisseur constante des parois à même hauteur, qui atteignent parfois une étonnante finesse par rapport à la dimension des vases. Les lèvres ont toujours un profil très régulier et certains rebords pourraient avoir été soulignés à l’aide d’un outil. Les traces d’un finissage particulier (lissoir, brosse ou pinceau) sont visibles sur la partie inférieure de certaines poteries, et indiquent probablement une volonté de régulariser la liaison du fond et de la panse.
251Des traces de doigts nettement visibles sur la plupart des faces internes des fonds révèlent que le bombement a été obtenu par une légère pression de la main de l’intérieur vers l’extérieur après décollage du tour. Cette façon de procéder, sujette à variations, explique l’irrégularité et le fréquent décentrement du bombement. L’hypothèse de la forme concave de la tête du tour semble à écarter.
252La pose des éléments additionnels, anses et becs, paraît avoir été faite par étirement et pression après humidification. La partie supérieure des anses empâte nettement les lèvres ; la partie inférieure se rattache progressivement à la panse et les traces de pression au doigt sont nettes. On en observe également à la base des becs pontés.
253Les pâtes bien cuites sont en grande majorité assez fines et dénotent l’emploi d’une argile bien préparée et choisie pour ses qualités réfractaires : les inclusions de petite taille (moins du millimètre) sont essentiellement du quartz ; on relève parfois la présence de micas. Les autres catégories d’inclusions (nodules de chaux, éléments ferrugineux) sont très rares. Il faut également tenir compte de la disparition d’éléments organiques à la cuisson ; ils apparaissent alors en négatif. Un petit groupe se caractérise par une pâte relativement sableuse marquée par une myriade de très petites inclusions blanches, sans que la pâte perde toutefois en résistance.
254Le mode de cuisson montre lui aussi une belle régularité : plus de 95 % des céramiques sont en pâte de toutes les nuances du gris au noir, cuites en atmosphère fortement réductrice. Le reste du lot, de couleur bistre, offre en général une pâte plus grossière et friable. Ces variations de nature de pâte et de couleur pourraient indiquer des points de fabrication différents, à moins qu’elles ne reflètent que des variations accidentelles de qualité de terre ou d’atmosphère de cuisson.
255La glaçure recouvre presque toujours des pâtes entièrement grises, qui ne se distinguent en rien de celle des autres récipients non glaçurés. Cinq fragments seulement montrent une réoxydation partielle de la pâte. Même lorsqu’elle est couvrante, la glaçure présente un aspect irrégulier qui, par la succession de bulles et de petits cratères, évoque de la peau d’orange. Certaines pièces comportent des aspérités plus importantes qui forment un véritable relief. Ces détails renseignent sur le mode d’application de la glaçure. En effet, les irrégularités de surface, observées à la binoculaire, se révèlent être des nodules de plomb à l’état métallique qui ont échappés à la vitrification. Les pièces étaient donc directement saupoudrées de limaille de plomb avant l’enfournement (observations faites au laboratoire de céramologie de Lyon, URA 3 au CNRS). La température de cuisson, relativement basse (inférieure à 900 °C), et l’atmosphère réductrice expliquent l’aspect terne et irrégulier du revêtement. Des analyses effectuées par le laboratoire du CRAM à Caen (Colardelle 1980) ont confirmé qu’il s’agit bien d’une glaçure au plomb et que la couleur vert sombre ne provient pas de l’ajout intentionnel d’autres oxydes (cuivre ou fer) mais de la teneur en fer de la pâte sous‑jacente.
256On a signalé plus haut que 12,6 % des fonds collectés sont ornés d’une marque en relief. Les techniques de marquage seront examinées un peu plus loin. Mais signalons ici que, comme les vases glaçurés, les vases marqués ne se distinguent pas, sur le plan technique, de la masse. L’ensemble du mobilier de Charavines évoque en définitive une production fort homogène dont l’origine reste à découvrir.
Provenance : hypothèses
257Nous ne connaissons en effet pas la provenance des poteries utilisées à Colletière, même si différents arguments laissent penser qu’elles ont pu être fabriquées non loin du site. Cette question devra faire l’objet d’une enquête approfondie et nous ne proposons ici que quelques pistes de recherche.
258Il a été démontré que la plupart des objets domestiques utilisés étaient fabriqués par la communauté de la station. Pour la métallurgie notamment, l’atelier d’extraction du minerai et la forge indiquent bien que des activités spécialisées étaient pratiquées sur place. Pourquoi ne pas imaginer qu’il en était de même pour le travail de la terre cuite ? Cet artisanat ne réclame en effet pas d’installations plus importantes ou plus complexes que la métallurgie.
259Certes aucun indice archéologique ne vient conforter cette hypothèse ; mais si l’atelier en question était situé à quelque distance, la fouille n’a pu y accéder. Certains arguments a contrario ne peuvent davantage être retenus. Ainsi l’absence de ratés de cuisson parmi les poteries recueillies dans la fouille trouve une double explication : les pièces défectueuses n’étaient probablement pas mises en service et surtout les argiles utilisées, apparemment assez réfractaires, en résistant bien aux effets de chauffe, donnent difficilement lieu à des accidents de cuisson.
260Le caractère éphémère d’un tel atelier n’a également rien de surprenant si l’on replace le cas de Charavines dans un contexte régional, et, plus particulièrement dauphinois. En 1980, nous avons posé les jalons d’une enquête sur la localisation des ateliers céramiques à partir des données toponymiques, archivistiques et géologiques. Les résultats obtenus, en raison de la nature même des sources exploitables, concernent, il est vrai, essentiellement l’époque moderne. Plusieurs mentions méritent d’être rappelées pour le secteur qui nous intéresse :
– à Charavines, une tuilerie en 1815 (archives départementales de l’Isère : 138 Ml) ;
– à Chirens : une tuilerie en 1835, une poterie en 1754 (Bouchayer 1937) et en 1897, une faïencerie en 1815 (archives départementales de l’Isère : 138 M 1 et 7 et 120 M 107) ; en outre, une tradition y place la fabrication de poteries glaçurées dès le xiiie siècle (Tardy 1971 : 301) ; l’exploitation d’une carrière d’argile réfractaire est signalée pour le xviiiesiècle.
261D’un point de vue plus général, le bassin du Bas‑Dauphiné constitue une zone assez favorable à la pratique de cet artisanat puisqu’il est recouvert de formations fluvio‑glaciaires quaternaires à faciès argilo‑sableux, associées à un couvert végétal dense. Les conditions sont donc requises pour permettre aux artisans de composer assez facilement entre les contingences de l’accès aux matières premières et la proximité des débouchés commerciaux.
262Il serait hasardeux de transposer au début du xiesiècle la situation entrevue pour une époque tardive. Mais en attendant la reprise de l’étude, formulons l’hypothèse d’une dispersion de petits ateliers, d’une durée d’activité brève, à faible rayon de diffusion et liés essentiellement à l’opportunité d’un « marché ». Ceci expliquerait d’ailleurs que ces installations aient laissé fort peu de traces sur le terrain et dans les textes. L’atelier de potier découvert en 1986 à Bren dans le nord de la Drôme (près de Saint‑Donat‑sur‑l’Herbasse) illustre très bien, à notre avis, la nature de l’artisanat aux environs de l’an Mil dans la région dauphinoise : des structures précaires (fosses, four en partie excavé, hangar en matériaux périssables) destinées à une utilisation brève (quelques saisons I) et probablement circonstancielle, réparties sur à peine plus de 100 m2.
3.5.2.4 Les vases à fond marqué
263Les fouilles anciennes du lac de Paladru (station médiévale des Grands Roseaux) révélaient pour la première fois dans la région l’existence de marques en relief sur le fond de certains vases en pâte grise (Chantre 1871).
264Cette particularité typiquement régionale eut des effets positifs : d’abord d’attirer très tôt l’attention des archéologues sur une catégorie de céramique commune médiévale qui, sans cette caractéristique, serait probablement restée ignorée plusieurs décennies encore ; par la suite, les marques de fond sont devenues un critère de datation très appréciable, pour un matériel qui n’a guère évolué dans ses formes et ses techniques entre le ixe et le xiie siècle.
265Plusieurs articles ou études publiés entre 1951 pour la plus ancienne (Chauffin 1951) et 1973 pour la plus récente (Reynaud, Mandy 1973) contribuaient à maintenir la question d’actualité. La première étude véritablement synthétique et critique paraissait en 1975 ; elle recensait environ 250 marques provenant de sites régionaux, recentrait la datation sur le xie siècle et fixait la dénomination « céramique à fond marqué », préférée aux termes anciens plus équivoques : « décorée », « ornée », « à pois », « bouletée » (Reynaud et al. 1975).
266Enfin, cinq ans plus tard, un état global de la question dénombrait plus de 450 marques, en établissait le répertoire et en délimitait l’aire de diffusion : départements du Rhône et de l’Isère, partie méridionale de l’Ain, septentrionale de la Drôme et occidentale de la Savoie (Faure‑Boucharlat 1980).
267Ces dernières années la multiplication des fouilles et le développement de l’inventaire archéologique dans la région rhônalpine ont conforté ces observations. Certes le catalogue des marques s’est considérablement enrichi (près de 2 000) et les sites qui en ont livré se sont multipliés, mais les limites de « l’aire des vases à fond marqué » n’ont guère varié. Les exemplaires trouvés à Aix‑les‑Bains (Savoie) autorisent à étendre cette aire vers l’est, où l’on connaissait d’ailleurs le cas unique de Genève, considéré comme « exporté ». Le fond marqué provenant de fouilles à Apt (Vaucluse), assurément « exporté » celui‑là à plus de 150 km au sud des sites du Bas‑Dauphiné, apparaît encore plus excentrique (Kauffmann et al. 1987).
268Le répertoire des motifs ou signes accuse toujours une nette préférence pour les schémas cruciformes et rayonnants. La diversification concerne davantage les petits motifs dits « secondaires » qui accompagnent les marques : caractères alphabétiques (?), signes pseudo‑figuratifs, etc.
269La datation de la pratique du marquage a pu être précisée : la première moitié du xie siècle, florissante à cet égard, semble avoir été précédée, dès avant l’an Mil, des premières manifestations du phénomène (fouilles récentes à Lyon). On a encore trop peu d’indices pour fixer précisément l’abandon de cette coutume mais il semble qu’on n’en ait plus de traces évidentes au xiie siècle.
270Malheureusement l’interprétation de ces signes comme marques de potiers n’a pu être démontrée de façon incontestable. Les recherches sur les sites de production n’ont pas apporté d’informations, soit qu’elles aient porté sur des ateliers trop anciens ou trop récents, soit qu’elles aient intéressé des ateliers extérieurs à la zone propice.
271Le matériel de Charavines offre un bel échantillonnage de marques de fond (fig. 135). Des publications antérieures en ont présenté les plus caractéristiques ou les mieux conservées (Reynaud et al. 1975 ; Faure‑Boucharlat 1980 ; Colardelle 1980). Il est maintenant possible d’en dresser un inventaire plus complet et plus significatif.

FIG. 135 – Fonds marqués : 1, 2 no 1844, 3 no 335, 4 no 32.72 I, 5 no 38.110 III, 6 no 653, 7 no 2732, 8 no 829, 9 no 1803, 10 no 11.27 II, 11 no 16.30 II, 12 no 992, 13 no 1531,14 no 2534,15 sn, 16 no 360, 17 no 965/1075,18 no 26.20/26.46, 19 no 944/954, 20 sn, 21 no 28.5/28.7. (Echelle 1/4)
272359 éléments de fonds marqués représentent 12,9 % du nombre total des fragments de fond. Dans ce lot on ne dénombre que 17 marques complètes ou presque. Parmi les marques fragmentaires, 142 seulement peuvent être identifiées, soit comme motif principal, soit comme motif secondaire, soit les deux à la fois. Ces données restent bien sûr provisoires tant que n’est pas achevée la reconstitution des pièces ; néanmoins le répertoire général des marques n’est plus guère susceptible de modifications.
273A l’exception d’une dizaine de marques rapidement incisées qui rappellent certaines marques sur récipients de bois, toutes sont en relief et comportent en général un motif principal plus ou moins centré sur le fond et un ou plusieurs motifs secondaires de plus petite taille, placés au voisinage du motif principal. L’épaisseur du relief, lorsque le motif n’est pas usé, se situe en moyenne entre 1,5 et 3 mm. Il n’y a pas toujours coïncidence entre le bombement maximal du fond des vases et l’emplacement de la marque.
274Si l’on se réfère à des critères de qualité d’exécution ou d’esthétique, subjectifs il est vrai, on peut dire que l’on dispose ici de toute la gamme des marques, des plus simples aux plus élaborées, des plus habiles aux plus maladroites, des plus soignées aux plus négligées. En dépit de cette variété, de nombreuses affinités d’inspiration existent. Nous avons donc essayé de mettre en évidence des groupes ou des familles de marques pouvant avoir la même signification.
Répertoire des marques
275L’étude typologique détaillée de toutes les marques conforte les impressions dégagées et les hypothèses formulées précédemment. L’aspect le plus novateur est bien la mise en évidence de plusieurs séries de marques identiques (sur lesquelles nous reviendrons) : indices à verser tant au dossier des techniques de fabrication qu’à celui de la signification des marques.
276Sur les 142 marques identifiables, 108 ont livré des motifs principaux, le plus souvent partiels, dont une grande part (48) que nous n’avons pas affectée à une catégorie définie ; 74 sont trop fragmentaires pour que l’on sache à quels motifs secondaires ils étaient associés. Ces motifs principaux se répartissent, à une exception près, en trois types inégalement représentés : la croix grecque (17 cas identifiés), la croix aux quatre branches ramifiées, un peu à la manière d’un flocon de neige stylisé (16 cas identifiés) et l’étoile formée de lignes rayonnantes (31 cas identifiés).
277On a dénombré 87 motifs secondaires, soit associés à des motifs principaux, soit isolés par suite de la fragmentation. Ils se répartissent en quatre catégories : les simples boules ou « pois » (18 cas), le cercle avec ses dérivés (cercle encadrant une croix ou un point) (17 cas), petite croix grecque (8 cas), et surtout le motif désigné « à la clé » parce qu’il évoque fortement cet objet (44 cas).
278La simple croix ou croix grecque a le plus fréquemment des branches larges et courtes. La plus complète est un des rares exemples connus de croix bien développée. Le plus souvent ces croix sont cantonnées de boules réparties entre leurs branches, mais dans 5 cas au moins, la croix reste l’unique marque du fond. Hormis les boules, aucun autre motif secondaire n’est associé aux croix simples.
279La croix aux branches ramifiées est mal connue à Charavines car presque tous les exemplaires sont partiels. Un seul exemple est particulièrement réussi et bien conservé mais la symétrie n’est pas, sur les autres, toujours aussi bien respectée. L’extrémité des branches comporte souvent une surépaisseur en forme de boule. Comme les croix grecques, ces marques sont communément complétées par des boules plus ou moins régulièrement disposées entre les branches. Les autres motifs secondaires ne se retrouvent que cinq fois (clés ou cercles).
280L’étoile aux branches rayonnantes est le motif le plus répandu. Les branches en nombre variable, le plus souvent six, parfois sept, sont rarement équidistantes et de même longueur, donnant ainsi une figure asymétrique. Souvent, un espace plus large est ménagé entre deux branches pour « englober » un motif secondaire, en l’occurrence une sorte de « clé ». En effet ce dernier semble le complément quasi inévitable des étoiles (18 cas identifiés). S’y adjoignent également un cercle (7 cas) et une, voire deux croix (4 cas).
281Enfin certains motifs principaux que l’on pourrait qualifier d’hybrides sont d’un emploi marginal et ne rentrent pas dans les trois types évoqués. Ce sont par exemple, une croix ramifiée qui aurait connu quelque désordre ou encore une maladroite évocation de l’étoile, si particulière par sa facture.
282Les tableaux xviii et xix résument les observations et comptabilisations effectuées.

TABL. XVIII – Motifs principaux des fonds marqués.

TABL. XIX – Motifs secondaires des fonds marqués.
Les techniques de marquage
283Bien qu’offrant une grande parenté d’inspiration, les motifs, si on les observe en détail, paraissent avoir été obtenus selon plusieurs techniques. Il est certain maintenant que les vases étaient marqués par estampage du fond dans un moule. Plusieurs cas de marques strictement identiques ont été relevés dans la région, dont la série la plus spectaculaire reste les six exemplaires complets, livrés par la fouille du groupe cathédral de Lyon. A Charavines, on a dénombré six matrices différentes ayant chacune produit plusieurs marques identiques (de deux à cinq).
284On s’interroge encore sur leur nature, car c’est à cette étape de la confection que se manifeste probablement la diversité des techniques. A Charavines, comme sur d’autres sites, une certaine proportion des marques (26 exemplaires au moins, dont cinq séries identiques) a été assurément obtenue à partir d’un moule en bois qui a laissé les traces évidentes des fibres dilatées par l’humidité (fig. 136). Le dessin est alors net, plutôt anguleux, à section quadrangulaire ; mais cette technique n’interdit pas des motifs curvilignes à section arrondie, ni les fameuses branches « bouletées ». Un exemplaire est particulièrement révélateur : des motifs assez maladroits et décentrés ressortent sur un fond presque totalement strié par les fibres du bois. En outre, on remarque la trace longitudinale laissée par une des extrémités du moule.

FIG. 136 – Fonds marqués avec traces d’un moule en bois
cliché P. Vesseyre
285Mais la plupart des marques ne présentent pas de traces d’un moule. Au contraire, les caractéristiques même du dessin, souvent dissymétrique, irrégulier et « tremblé », les bavures ou coulures, les « boules » réparties autour des motifs ou marquant l’extrémité des lignes font davantage penser au coulage à la barbotine. Néanmoins, l’observation à la binoculaire de la section de plusieurs marques, et le fait que certaines d’entre elles proviennent à coup sûr d’une même matrice, indiquent bien l’estampage dans un moule. L’opération de barbotinage, si elle a bien eu lieu, doit être imaginée à une étape antérieure du travail, celle de la confection du moule. On peut envisager qu’une matrice en terre a été réalisée à partir d’une épreuve, elle‑même confectionnée à la barbotine.
286Un seul cas ne procède pas d’une de ces deux techniques, moule en bois ou moule en terre : il s’agit d’une petite croix grecque, particulièrement rustique, qui semble avoir été dégagée dans l’épaisseur même du fond.
Signification et fonction des marques
287Les marques de fond de Charavines se classent dans le catalogue régional sans difficulté. C’est plutôt la proportion relative de leurs types qui en fait l’originalité : en particulier la nette prédominance de l’étoile à six ou sept branches rayonnantes comme motif principal et de « la clé » comme motif secondaire, les deux étant le plus souvent associés. L’association est souvent de simple voisinage ; mais dans plusieurs cas la clé est reliée à une des branches de l’étoile.
288Le motif à la clé, qui caractérise si bien les vases, mérite d’être commenté. En effet, il n’est peut‑être que le résultat figuré d’autres signes plus abstraits. En tout cas, sa représentation est très diverse : pourvue ou non d’un anneau, à tige rectiligne ou courbe ; ce qui tient lieu de panneton est le plus souvent constitué de deux petites barres, parfois trois. La taille de ces divers éléments est également très variable. Dans de nombreux cas, le dessin devient si abstrait que l’on peut douter de la référence réelle à une clé. Il pourrait tout autant s’agir de la réunion des lettres O et F quelque peu abâtardies, ce qui renverrait alors aux marques de potiers plus classiques : soit le début du mot officina, soit les deux premières lettres des mots opus fecit.
289On aborde ici la question controversée du rôle et de la signification de ces marques. Bien qu’elles soient très marginales, il faut noter que les marques incisées sur céramiques rappellent beaucoup, avec leur réseau de lignes entrecroisées, les marques pratiquées sur certains récipients de bois du même site. Mais la technique du moulage, bien démontrée, dénote la nature répétitive des marques de fond. Certes, les séries individualisées sont ici encore peu nombreuses (6 séries) et limitées (2 à 5 exemplaires par série), par rapport à la quantité de vases marqués. Mais la grande variété d’expression de ces marques ne saurait faire illusion : les signes utilisés se répartissent en trois « familles » seulement (croix grecque, croix ramifiée, étoile rayonnante). Et cette observation peut être généralisée à l’échelle de la région. En outre des rapprochements troublants peuvent être faits entre des marques d’origine fort éloignée : ainsi l’exemplaire no 10 de la fig. 133 analogue à la série des six marques identiques trouvées à Lyon (groupe cathédral) ; le no 9 est, quant à lui, très proche d’autres marques lyonnaises (églises de Saint‑Just).
290Faut‑il pour autant conclure à une communauté d’inspiration de la part des artisans d’une région somme toute assez vaste ? Et si tel était le cas, cela renseignerait‑il sur la fonction de ces marques ? Une seule chose est sûre, elles sont exécutées par les potiers, mais en sont‑elles le signe ou celui du destinataire des poteries ? Question intéressante pour qui étudie un site comme Charavines et recherche les réseaux et les modalités d’approvisionnement en objets manufacturés.
291Seule la découverte d’un atelier de cette période dans ce secteur pourrait apporter des arguments certains. En attendant, les céramologues penchent pour l’hypothèse de marques de fabrication. Dans l’étude que nous avons consacrée à cette question en 1980, nous avons pu établir des analogies entre celles‑ci et le « vocabulaire » employé par les artisans d’autres domaines. Que ce soit parmi des séries monétaires carolingiennes (Grierson 1976 ; Dolley, Morisson 1966), parmi les marques de fabrique sur récipients de verre du haut Moyen Age (Dasnoy 1956), on remarque le même phénomène de transformation, de dégénérescence des représentations figurées ou épigraphiques en un système de signes conventionnels éloignés de leur sens d’origine. Il s’ensuit alors une tendance convergente vers les motifs cruciformes et rayonnants, cantonnés de motifs annexes plus ou moins abstraits (lettres, cercles, croissants, boules...), l’ensemble s’adaptant particulièrement bien au cadre circulaire.
292Mais la comparaison la plus pertinente nous semble devoir être établie avec les marques de potiers dits « allobroges ». Qu’on nous pardonne de franchir allègrement sept ou huit siècles, mais les coïncidences sont troublantes : dans les deux cas il s’agit de céramiques communes où les formes fermées prédominent largement ; elles sont donc marquées à l’extérieur et en relief. C’est surtout la superposition géographique des régions considérées qui retient l’attention : Lyonnais, Dauphiné, Savoie. On peut suivre, à travers les signatures allobroges du Ier au IIIe siècle, le passage des marques épigraphiques aux marques abstraites. Celles‑ci, devenues anonymes, forment des compositions exclusivement rayonnantes, retenues pour leur caractère décoratif au détriment de leur signification (Parriat, Perraud 1964 ; Rougier 1970, Chauffin 1952 ; Remy 1970).
293Si l’on recherche, pour la période médiévale, d’autres exemples de marquage aussi systématique des vases, il faut s’aventurer vers des régions fort éloignées. Faisons abstraction de quelques marques tardives (xve‑xvie siècles) estampillées sur l’anse de marmites ou d’autres, incisées après cuisson, sur le fond de pichets à boire régionaux ou provençaux. Mais retrouvons en Europe centrale le domaine des poteries communes marquées en relief sur le fond : Pologne, Tchécoslovaquie, Russie occidentale. Certes, la situation est bien différente de celle qui prévaut dans notre région : l’aire d’expansion de cette coutume est très vaste et sa durée très étendue (du xie au xive siècle). Mais plusieurs coïncidences s’imposent : la phase la plus florissante des fonds marqués se situe au xie siècle, les marques intéressent 16 à 18 % des vases, elles ne sont pas réservées à un type de production mais concernent toutes les poteries communes alors en usage ; il s’agit de marques en relief moulées. Les signes utilisés sont également abstraits ; schémas circulaires et rayonnants prédominent ; on y remarque entre autres le motif « à la clé » (Nekuda, Reichertova 1968 ; Kolos‑Szafranska 1962 ; Leprowna 1959). A partir d’importantes séries provenant d’habitats ou d’ateliers, les archéologues ont pu établir de véritables généalogies de marques et donc de potiers. Ils ont pu également définir une relation directe entre marques et types monétaires ou armoiries de familles seigneuriales. Ils pensent donc que les potiers marquaient seulement les vases réservés au seigneur auquel ils étaient liés, ce qui n’empêchait pas que ceux‑ci soient aussi commercialisés avec les autres vases non marqués (Ribakow 1940). D’autres hypothèses ont été envisagées : les marques pourraient être des signes apotropaïques ou distinctifs de clients (Makiewics 1973).
294Il serait aussi hasardeux d’établir une filiation entre les marques allobroges et celles de nos céramiques de l’an Mil, que d’établir un rapprochement entre des pratiques artisanales aussi éloignées géographiquement. Les ressemblances pourraient cependant indiquer que des nécessités analogues ont suscité les mêmes réponses de la part des potiers. Mais les hypothèses formulées par nos collègues d’Europe centrale ne peuvent être exclues pour notre région où la pratique du marquage coïncide avec le plein épanouissement du système féodal. Il est possible que cet usage se situe dans le cadre des rapports de la très petite noblesse avec ses vassaux, intéressant alors de petites installations artisanales, sans rapport avec des réseaux de commercialisation étendus.
295La grande parenté des marques en usage dans toute la région tient probablement autant à l’universalité des signes utilisés qu’à la brièveté de cette coutume (trois ou quatre générations d’artisans) et, pourquoi ne pas l’envisager, au déplacement des hommes. En tous cas, ceci ne facilite pas la tâche des céramologues : il est actuellement impossible d’établir la relation entre type de marques et origine des poteries. Pour en revenir au cas de Charavines on se bornera à constater :
– la nette prédominance d’une famille de marques (étoiles aux branches rayonnantes, associées à « la clé ») qui a donné lieu à des dessins fort variés ;
– que cette marque, même si elle indique, localement, une origine commune des vases concernés ne saurait constituer un « faciès » exclusivement charavinois, voire dauphinois, puisqu’on la retrouve sur d’autres sites régionaux, trop éloignés à notre avis pour qu’un échange de produits soit envisageable ;
– que les autres familles de marques (croix grecque et ramifiée) se retrouvent également dans toute la région, sans qu’une organisation spatiale se dégage.
296Selon toutes vraisemblances ces marques anonymes de fabrication ne rentrent toutefois pas dans le domaine classique des signatures d’ateliers concurrents, à la manière antique ou moderne. Elles servent plutôt à distinguer une partie de l’ouvrage de certains potiers. Rien n’exclut qu’un potier ait eu recours à plusieurs types de marques ; le cas inverse (le même type de marques commun à plusieurs ateliers) est assuré. Seule une connaissance très précise de l’organisation sociale et commerciale de cet artisanat au xie siècle, dans la région concernée, permettrait de comprendre réellement le rôle des marques de fond médiévales. Une bonne méthode pour approfondir la question serait de mener une enquête aussi complète que possible dans une petite zone autour de Charavines, site actuellement le mieux documenté en matière de vases à fond marqué.
3.5.2.5 Répartition du mobilier dans l’espace
297Au‑delà des strictes indications sur la chronologie et sur les formes en usage, la céramique fournit des renseignements sur l’occupation de l’espace et permet une meilleure interprétation de la fonction des structures dégagées.
298La distribution des découvertes sur la surface fouillée permet d’identifier les zones de plus grande concentration et, corollairement, les espaces vides ou très pauvres en céramiques. Ces résultats, confrontés aux autres données archéologiques, différencient les secteurs habités des lieux de passage, les espaces couverts des espaces ouverts, etc.
299Le plan général de la distribution des fragments céramiques a été effectué, pour l’ensemble du site, par petits triangles métriques, à partir de 30 967 tessons (fig. 137). Les couches superficielles, susceptibles d’avoir subi des interférences ou un déplacement dû à l’érosion (8 156 tessons) on été exclues du comptage ; de même l’ensemble des tessons recueillis hors stratigraphie (4 023 fragments) n’a pas été retenu.

FIG. 137 – Répartition spatiale du mobilier céramique sur l’ensemble du site.
300Plusieurs zones de forte concentration se dégagent ainsi : au nord, dans le bâtiment III et dans un secteur à l’écart de toute construction, probable emplacement d’une aire de rejet, notamment dans le triangle 410–610–612. C’est dans cette même zone que se concentrent d’ailleurs les vestiges des récipients de bois.
301Dans le reste du site, les poteries sont surtout plus abondantes dans l’angle sud‑ouest du bâtiment I, sur le côté est du bâtiment II et contre la face ouest de la palissade, à l’intérieur de l’habitat. L’importance quantitative des trouvailles à cet endroit laisse supposer la présence d’une autre zone de rejet (4 087 tessons sur quatre triangles, soit 13 % de l’ensemble). La distribution spatiale de la vaisselle de bois signale également une forte concentration de récipients à cet endroit.
3.5.2.6 Chronologie
Le Châtelard de Chirens et la station de Colletière
302La confrontation des données fournies par le matériel des deux sites, proches et apparemment contemporains, de Colletière et du Châtelard de Chirens soulève des problèmes d’ordre chronologique. La différence quantitative du mobilier (7 131 fragments à Chirens) invite à la prudence. Néanmoins les pourcentages obtenus par le comptage brut du matériel céramique donnent à réfléchir (fig. 138).

FIG. 138 – Diagrammes comparatifs de la céramique de Colistiers et du Châtelard de Chirens. Pg pâte grise, Pb pâte bistre, Re rebord éversé, Rb rebord en bandeau, Dm décor molette, De décor côtelé, Di décor Incisé, Dd décor digité.
303Tout d’abord on note une différence de qualité des pâtes avec, à Chirens, une place plus importante des pâtes de couleur bistre ou rosâtre, plus grossières et plus lourdes :
– Charavines : grise 97,6 % ; bistre 2,4 % ;
– Le Châtelard : grise 87,4% ; bistre 12,6 %.
304Une différence frappante apparaît également en ce qui concerne les rebords. A Charavines les lèvres éversées et les lèvres en bandeau sont à peu près également représentées (44,6 % de lèvres éversées pour 55,4 % de bandeaux) ; au Châtelard on constate un fort décalage : le rebord en bandeau se limite à 25,6 % contre 74,4 % de lèvres éversées.
305La disproportion remarquée pour les types de décors est également significative. Les décors à la molette sont relativement plus répandus à Charavines (61,6 % contre 56,7 % à Chirens), mais surtout on observe un pourcentage beaucoup plus important de décors digités à Chirens (20,1 % contre 2,2 % à Charavines). Mais l’argument essentiel de distinction entre les deux gisements est l’absence ou presque de fond marqué au Châtelard : 2 exemplaires sur 429 fragments de fonds, alors qu’à Charavines les fonds marqués représentent 12,9 % des fragments.
306Ces comparaisons de détail que seuls autorisent les comptages réalisés sur des lots importants, nous conduisent à envisager un léger décalage chronologique entre les deux sites et à considérer Colletière comme plus ancien. En particulier, la présence majoritaire de rebords en bandeau sur ce site plaide en faveur d’une filiation plus nette avec les formes culinaires du haut Moyen Age. En effet, on note l’apparition des rebords » en bandeau » ou plus exactement « en poulie » dès l’Antiquité tardive et ce profil connaît un succès croissant du vie au viiie siècle, où il caractérise l’essentiel des poteries communes de notre région. (Faure‑Boucharlat, Reynaud 1986). Les lèvres éversées, durant le haut Moyen Age, semblent perpétuer longtemps la tradition antique de l’olla à ouverture évasée et arrondie au profil « en amande »
307C’est sans doute dans le courant du xe siècle que se fixe le type pleinement médiéval de la lèvre éversée, soulignée le plus souvent par une gorge interne plus ou moins accusée. Durant le xie siècle la proportion des lèvres éversées prend le pas sur celle des rebords en bandeau.
308Les deux sites comparés ici illustrent donc deux étapes différentes du phénomène, apparemment plus avancé au Châtelard de Chirens qu’à Charavines. Encore convient‑il de préciser qu’il est actuellement impossible d’estimer ce décalage chronologique que d’autres indices, comme la présence généralisée des fonds lenticulaires sur les deux sites, suggèrent somme toute assez réduit.
309La présence de deux fonds marqués seulement dans le lot du Châtelard est plus surprenante. On ne peut écarter totalement le fait du hasard et la reprise des fouilles peut réserver quelques surprises. Néanmoins, on raisonne sur un échantillonnage significatif : 464 fragments de fonds. Cette constatation, même provisoire, laisserait penser que la pratique du marquage des fonds est en nette diminution au moment de l’occupation de l’enceinte castrale de Chirens. Or, tous les arguments chronologiques fournis par les fouilles régionales concordent pour placer dans la première moitié du xie siècle la pleine éclosion du phénomène. Le lot de Charavines, avec près de 13 % de fonds marqués, se place sans difficulté dans cette période. Celui de Chirens se situerait plus logiquement dans la seconde moitié, voire à la fin du siècle. Il est sans doute prématuré de conclure, mais l’hypothèse doit être avancée.
310L’étude de la céramique recueillie sur la motte castrale de Décines (Rhône) tend d’ailleurs à la confirmer. Certes dans ce dernier cas l’argument est moins convaincant en raison d’un échantillonnage plus restreint (4 275 tessons) et du relatif éloignement du site dont on pourrait penser qu’il illustre un autre faciès régional. Mais certaines caractéristiques du lot méritent d’être évoquées ici. Tout d’abord la proportion relative des lèvres en bandeau (65,3 %) et des lèvres éversées (34,7 %) est pratiquement inverse de celle de Chirens.
311A Décines les fonds marqués atteignent 21 %, valeur plus élevée qu’à Colletière. Si les décors sur pause sont moins nombreux (1,5 %) qu’à Charavines et Chirens, tous les fonds y sont également bombés.
312Selon les raisonnements formulés plus haut, la motte de Décines serait donc antérieure à Colletière. Or le début de l’occupation de la basse‑cour, à l’évidence de courte durée, est datée par deux monnaies de Conrad le Pacifique (937‑993). Si on admet le principe de la comparaison typologique de ces trois ensembles régionaux, on peut suivre, avec Décines, Charavines et Chirens, la lente évolution de la vaisselle de terre entre la fin du xe et celle du xie siècle.
Les phases d’occupation de Colletière : différence chronologique ou différence de fonction ?
313Après avoir constaté des nuances typologiques entre le mobilier de deux sites aussi rapprochés dans le temps que Chirens et Charavines, on a tenté d’évaluer si les céramiques reflétaient un décalage chronologique entre les deux phases d’occupation distinguées par la stratigraphie du site littoral. Positif ou négatif le résultat serait riche d’enseignement, qu’il renforce l’hypothèse d’une occupation très brève et continue ou qu’il suggère deux étapes distinctes dans l’histoire du site. La question de ces deux phases pouvait être envisagée sous un autre angle : celui de la nature même de l’occupation, susceptible de se modifier (étapes de construction, changements d’usage, extensions...)
314Trois secteurs ont été sélectionnés pour établir sur le matériel des comparaisons typologiques détaillées entre les couches I et II : dans le bâtiment I, dans le bâtiment II et dans le « dépotoir » près de la palissade est.
315Pour le bâtiment I les renseignements sont exprimés par les graphiques (fig. 139). Ils se fondent sur l’analyse de deux ensembles de fragments très nombreux et que l’on peut estimer équivalents (4 356 tessons pour la phase I et 5 230 pour la phase II). Les graphiques n’illustrent que les comparaisons entre les types de rebords et de fonds, puisque aucune différence n’apparaît au niveau de la pâte qui reste en grande majorité grise (98,6 % dans la phase I et 97,5 % dans la phase II). De même on n’a pas pu discerner de nette différence entre les décors qui varient peu. En revanche, un léger inversement de la tendance générale du site pour les rebords : les lèvres éversées, minoritaires lors de l’occupation plus ancienne (37,2 %) atteignent presque le même pourcentage que les lèvres en bandeau dans la phase finale (45,3 %). Quant aux fonds marqués, ils sont plus rares au début de l’occupation (16,9 %) qu’à la fin (30,9 %).

FIG. 139 – Diagrammes comparatifs de la céramique dans trois zones de l’habitat pour les deux phases d’occupation. En haut : phase II ; en bas : phase I. Re rebord éversé, Rb rebord en bandeau, Fs fond simple, Fm fond marqué.
316En ce qui concerne la glaçure, dernier élément pouvant préciser la chronologie, on en constate l’absence totale dans la phase I et la présence de deux tessons dans la phase II. Mais ces deux fragments sur un total de 5 230 n’ont aucune valeur statistique, puisqu’ils ne représentent que 0,03 % du lot.
317Le bâtiment II n’a pas livré les mêmes résultats, mais les comptages ont été effectués sur deux lots disproportionnés : la deuxième occupation a livré moins de la moitié de matériel laissé par l’occupation antérieure (2 022 fragments contre 5 370).
318Si le nombre des fonds marqués augmente peu, ainsi que dans le bâtiment I, les pourcentages entre lèvres éversées et lèvres en bandeau évoluent plus nettement : alors que les deux catégories sont presque à égalité dans la phase I, ce sont les lèvres en bandeau qui l’emportent largement lors de l’occupation finale (63,5 % contre seulement 36,5 %).
319Une inversion de tendances se produit également sur la quantité (toujours relativement faible) des tessons glaçurés : ils sont proportionnellement plus nombreux en phase I qu’en phase II, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre (0,2 % contre 0,09 % du total). N’oublions pas, pourtant, que ces observations sont fortement influencées par le type d’habitat dans les deux zones étudiées. Une pièce destinée à la cuisine, par exemple, restitue forcément plus d’éléments de pots à cuire que de vases à liquide : et c’est surtout sur ces derniers que l’on rencontre systématiquement les lèvres éversées. Or dans la phase I de ce bâtiment on rencontre 25 fragments de becs et 6 anses contre seulement 9 becs et 3 anses pour la phase II.
320La troisième zone pour laquelle a été effectuée une analyse comparable est celle du « dépotoir » contre la palissade. La fouille a pu distinguer deux phases d’utilisation. Cependant, là encore, celles‑ci n’ont pas restitué la même quantité de matériel : pour la phase finale on ne décompte que 1 256 tessons contre 3 275 dans la phase plus ancienne. Dans le temps, il semble y avoir eu une petite progression des fonds marqués (de 11,9 % à 14,4 %) mais la proportion entre lèvres éversées et lèvres en bandeau reste presque identique : de 51,1 % à 48,8 % pour le rebord éversé, et de 48,9 % à 51,2 % pour le rebord en bandeau.
321Dans l’ensemble, ces comparaisons ne font apparaître aucune différence typologique notable entre les deux phases d’occupation dans les trois zones étudiées. Apparemment elles se sont succédé très rapidement. Mais la distribution des découvertes pour ces mêmes zones a donné davantage matière à réflexion. Si les deux occupations ne sont pas distantes dans le temps, le type d’habitat a fortement changé.
322Au début (phase I), le bâtiment II a sans doute connu une occupation intensive. Un nombre important de fragments céramiques occupe la presque totalité de la pièce, avec une concentration plus forte contre sa limite ouest (fig. 140a). Au même moment, le bâtiment I est relativement plus pauvre en vestiges céramiques, à l’exception de l’angle sud‑ouest. Simultanément, contre la palissade à l’est s’accumule une forte quantité de fragments. S’agit‑il de la zone de rejet en relation avec le bâtiment II qui lui est adjacent ?

FIG. 140 – Répartition spatiale du mobilier céramique : a première phase, b seconde phase.
323Lorsqu’on observe la distribution des vestiges céramiques de la phase suivante, la situation est totalement différente (fig. 146b). La plus grande part du mobilier est concentrée à l’intérieur du bâtiment I, tandis que le bâtiment II et le « dépotoir » en sont très pauvres : sont‑ils en voie d’abandon ? L’habitat se concentre‑t‑il plus au nord ou s’agit‑il d’un changement radical de la qualité de l’occupation des bâtiments I et II ?
324L’investigation s’est donc élargie en cette direction, prenant en compte d’autres unités de fouille ayant restitué une quantité de mobilier comparable : un angle du bâtiment III et ses abords qui ont restitué 2 582 tessons. On a ainsi choisi dans la « zone de rejet » qui lui est proche un triangle dans lequel on a collecté un nombre de tessons à peu près équivalent : le triangle 410–610–612 qui en a fourni 2 205. Ici on ne compare plus la composition des deux couches d’occupation mais celle des deux zones avec la composition moyenne du reste du matériel de Charavines.
325En ce qui concerne les décors, la texture et la couleur de la pâte, ces deux zones correspondent au faciès général du site. On remarque cependant une tendance à l’inversion des pourcentages pour les types de rebords et la présence des fonds marqués. Ces derniers sont en forte diminution : 9,2 % dans le bâtiment III et 10,4 % dans la zone de rejet ; or dans le bâtiment I, ils atteignent en moyenne 23,9 %, 15,7 % dans le bâtiment II et 13,2 % dans le « dépotoir » près de la palissade.
326En revanche, les lèvres éversées atteignent un pourcentage plus élevé dans le bâtiment III : 55,1 %, ce qui contraste ainsi avec la tendance générale du site où ce type de lèvre est minoritaire en moyenne. Mais dans la « zone de rejet » (triangle 410–610–612) les lèvres éversées ne dépassent pas 45 % et restent ainsi comparables à la moyenne relevée dans la partie sud du site examinée auparavant (44,8 %).
327Le bâtiment III, à l’écart du centre de l’habitat, avait peut‑être une utilisation différente qui justifie ces nuances. On pourrait aussi invoquer un léger décalage chronologique. Un plus grand pourcentage de lèvres éversées et la rareté des fonds marqués sont en effet les caractéristiques qui singularisent le Châtelard par rapport à la moyenne générale de Charavines. Mais ici, les différences sont beaucoup moins marquées.
328Bâtiment III : 2 582 fragments.
– 107 rebords : 59 éversés soit 55,1 % ;
48 bandeaux soit 46,6 % ;
– 163 fonds : 148 simples soit 90,8 % ;
15 marqués soit 9,2 %. (Les décors trop peu nombreux ne permettent pas d’évaluer des différences, et on ne dénombre que 5 fragments de céramique glaçurée).
329La « zone de rejet », en revanche, semble davantage correspondre aux résultats obtenus sur le reste du site, bien que les fonds marqués soient en légère baisse.
330Triangle 410.610.612 : 2 205 fragments.
– 80 rebords : 36 éversés soit 45 % ;
44 bandeaux soit 55 % ;
– 106 fonds : 95 simples soit 89,6 % ;
11 marqués soit 10,4 %.
331Pour résumer, on peut formuler les hypothèses suivantes qui se trouveront vérifiées en les confrontant à d’autres informations fournies par la fouille.
332Pour les bâtiments I et II, les comparaisons typologiques faites entre le mobilier céramique des deux couches d’occupation ne laissent entrevoir aucun décalage chronologique. Les différences entre ces deux phases sont d’ordre spatial ; la répartition des tessons montre que dans un très court laps de temps, le bâtiment II et » le dépotoir de la palissade », qui lui est probablement lié, ont perdu en densité de fréquentation domestique au profit du bâtiment I. En revanche, le mobilier restitué par le bâtiment III pourrait correspondre à une étape d’occupation légèrement postérieure. Si l’on replace les céramiques de la station de Colletière dans le contexte rhônalpin, il est exclu d’y trouver l’expression d’une culture matérielle propre. Au contraire, leur « banalité », pourrait‑on dire, fait de cet ensemble un lot de référence très précieux pour le début du xie siècle. Cette époque marque l’aboutissement des lentes transformations morphologiques et techniques qui, tout au long du haut Moyen Age, ont affecté le vaisselier, le distinguant définitivement des productions antiques (Faure‑Boucharlat, Reynaud 1986 ; Maccari‑Poisson 1990). Le recours quasi exclusif à la cuisson réductrice et aux formes fermées globulaires caractérise alors, et pour près de deux siècles encore, toutes les fabrications régionales, laissant imaginer la place importante tenue par le bois dans l’équipement domestique. Le rebord en bandeau, que concurrence à nouveau la lèvre éversée, le fond lenticulaire, le bec ponté prédominant pour les cruches, les décors en creux sur pâte fraîche, en sont les traits essentiels. C’est aussi l’époque où apparaissent, dans la région, les premières glaçures plombifères. La parenté de ces productions avec celles, contemporaines, de l’Europe du nord et du nord‑ouest a été soulignée à plusieurs reprises. Des parallèles précis ont été établis plus particulièrement avec les zones de la vallée du Rhône et de la Saône : notre région, intermédiaire, conjugue les influences méridionales et septentrionales (Reynaud et al. 1975 ; Faure‑Boucharlat et al. 1980).
333Avec plus de quarante mille tessons et une datation très précise, le site de Charavines jalonne l’évolution de la vaisselle de terre de façon remarquable. Les quantifications faites à partir d’un tel ensemble ont révélé des critères typo‑chronologiques non repérés jusque‑là et qui sont susceptibles d’indiquer des écarts chronologiques aussi réduits que ceux qui séparent, par exemple, l’occupation du site littoral et la fortification voisine de Chirens, celle, un peu plus éloignée, de Décines ou encore le début et la fin de l’occupation du premier. Ces résultats vont au‑delà de ce qu’il était raisonnable d’escompter avant d’entreprendre cette étude.
3.5.3 Le mobilier métallique : typologie
334Michel Colardelle, Eric Verdel
335Les objets métalliques de Colletière, comme d’ailleurs ceux des deux autres gisements littoraux du xie siècle, sont particulièrement nombreux (plus de 1 500 non compris les quelque 2 000 clous de fer à cheval). Cette abondance avait déjà frappé E. Chantre au siècle dernier, mais c’est encore plus évident aujourd’hui puisqu’on connaît les collections infiniment plus réduites issues des mottes castrales voisines. De catégories variées, illustrant pratiquement tous les aspects de la vie quotidienne et de l’artisanat, ils offrent une grande homogénéité typologique. Comme pour les autres classes de matériel, notamment la céramique et les bois, les métaux de Charavines constituent un échantillonnage unique de l’outillage médiéval. La plupart des objets sont en fer. Quelques‑uns sont en cuivre, laiton ou étain ; dans l’étude qui suit, seuls ces derniers comportent une indication de matière.
3.5.3.1 Matériel domestique
336Fig. 141 et 142
Couteaux
337C’est la catégorie la mieux représentée (168 exemplaires). Leur longueur varie entre 13 et 31,2 cm, pour une largeur de 1,2 à 2,8 cm. Les épaisseurs maximales, mesurées à la naissance de la soie, sont de 0,5 cm. La forme la plus courante présente un dos sensiblement rectiligne sur sa plus grande longueur, un tranchant légèrement incurvé (convexe) et une extrémité assez effilée (fig. 141‑1 à 11). Lorsqu’ils sont usés, ce qui est fréquent, les tranchants deviennent très fortement concaves. La seule variante présente une angulation du dos vers la pointe. Cinq exemplaires seulement appartiennent à ce type (fig. 141‑12 à 16). Les soies sont toujours très courtes, leur longueur variant entre 2,4 et 7,1 cm.

FIG. 141 – Couteaux (1 no 1404, 2 no 857, 3 no 2576, 4 no 752, 5 no 868, 6 no 2749, 7 no 921, 8 no 883, 9 no 834, 10 no 828, 11 no 826, 12 no 2629, 13 no 2829, 14 no 2043, 15 no 1340, 16 no 1368), – Louche (17 no 74.51.122). – Cuillère (18 no 74.51.184). – Maillons de crémaillère (19 no 2444). (Echelle1/4)
338Aucun manche n’a jamais été trouvé en connexion avec ces couteaux, ce qui est curieux puisque des faucilles, des haches et autres outils en possédaient parfois encore. Seule une soie présentait des traces brunes pouvant correspondre à une oxydation au contact du bois d’un manche. En revanche, on a pu observer sur plusieurs couteaux un aspect de surface différent à la soie et à la lame. S’il ne s’agit pas d’un traitement métallurgique particulier, ce pourrait être la preuve de l’existence d’un manche qui ne s’est pas conservé. Un seul fragment (pointe de couteau) a été recueilli en connexion avec un fourreau de cuir (cf. infra).
339L’emploi de ce type d’objet devait être très diversifié, ce qui peut expliquer la grande variété des dimensions : cuisine, taille et façonnage du bois, de l’os, du cuir et du tissu. Si les formes évoquent celles de certains couteaux du haut Moyen Age (petits scramasaxes ou couteaux qui leur sont souvent associés dans les tombes), la faible épaisseur des lames et la petite longueur des soies ne permettent pas un usage militaire.
Louche et cuillère
340Les cuillères en bois, de toutes tailles, sont très nombreuses, mais les louches et cuillères en métal restent exceptionnelles. Une large louche hémisphérique, à manche droit légèrement oblique par rapport au plan de la partie creuse, possède deux becs peu prononcés, symétriquement disposés sur la perpendiculaire à l’axe du manche (fig. 141‑17). D’une longueur totale de 46,5 cm, sa partie creuse est d’un diamètre de 19,5 cm. On ne peut guère penser à un usage autre que culinaire (probablement pour la préparation des laitages) pour cet ustensile dont un exemplaire presque identique, quoique plus usé, provient des Grands Roseaux.
341Une seule cuillère métallique d’une longueur totale de 45 cm a été retrouvée. Son cuilleron, presque circulaire (5 x 4,2 cm), faiblement concave, est très fin (0,1 cm). Son manche, parfaitement rectiligne, d’une longueur de 39,6 cm, est presque entièrement torsadé ; son extrémité, usée, montre l’amorce d’un crochet de suspension (fig. 141‑18). Ses dimensions et le fait que le plan du cuilleron prolonge l’axe du manche excluent qu’il s’agisse d’une cuillère de service, ce qui rend d’autant plus étonnant le soin apporté à sa réalisation.
Crémaillère
342La chaîne (d’une longueur approximative de 50 cm), découverte en mauvais état et les maillons pour la plupart séparés, ressemble beaucoup à une autre, plus petite, provenant des Grands Roseaux et précédemment interprétée comme une crémaillère. Elle comporte deux types de maillons (fig. 141‑19). Sept, allongés, ont été écrasés par martelage en leur centre, de manière à dégager à chaque extrémité un anneau circulaire. Quatre autres anneaux plus petits sont simplement ovales.
Rasoir
343Cette lame de 11 cm de longueur et d’une largeur maximale de 2,5 cm présente une forme tout à fait caractéristique (fig. 142‑30). Sa largeur s’accroît régulièrement à partir de l’extrémité proximale jusqu’en son milieu, marqué par une nette angulation du dos suivie d’un brutal rétrécissement qui s’achève par une volute ascendante. On distingue également le départ d’une soie plate, cassée mais probablement courte, qui s’insérait dans un manche fait d’une double plaque d’os rivetée. Il devait être possible de replier la lame dans son manche en la faisant pivoter autour de l’axe constitué par le rivet.

FIG. 142 – Clés (1 no 2571, 2 sn, 3 no 1663, 4 no 835, 5 no 871, 6 no 799, 7 no 839, 8 no 1408, 9 no 804, 10 no 1230, 11 no 816, 12 no 28.3.11, 13 no 1538, 14 no 80.10,2, 15 sn, 16 no 54, 17 no 563, 18 no 598, 19 no 2680, 20 no 2501). – Moraillons (21 no 380, 22 no 625, 23 no 2271, 24 no 28.6.II). – Gond (25 no 74.51.143). – Garnitures de coffrets (26 no 30.8.11, 27 no 1772, 28 no 1635, 29 no 708). – Rasoir (30 no 1676). (Echelle 1/4)
Clefs, moraillons de serrures et gond
344Les clefs sont au nombre de trente‑quatre. Elles se répartissent en deux types d’importance numérique très inégale. Les plus nombreuses possèdent un canon creux, à panneton plat, découpé d’échancrures rectangulaires dont le nombre et la position varient d’une pièce à l’autre (fig. 142‑1 à 14). L’anneau est sensiblement circulaire. Ce modèle est forgé d’une seule pièce à partir d’une tôle enroulée autour d’une matrice puis découpée. Généralement petites (entre 3,7 et 6 cm), elles atteignent au maximum 11,7 cm de longueur. Plusieurs exemplaires sont ornés d’un placage de cuivre ou d’un étamage. L’un d’eux possède un décor de hachures en creux, soulignées par de l’étain.
345Le second type, plus rare (6 exemplaires) et de dimensions plus régulières (entre 10,3 et 15,3 cm de longueur), est également fait d’une seule pièce, mais à partir d’une tige de section carrée, dont une extrémité est retournée sur elle‑même et aplatie par martelage pour former l’anneau ; l’autre est subdivisée dans le sens de la longueur (fig. 142‑15 à 18). La partie supérieure, arrondie et appointée dans le prolongement du manche, sert d’axe de rotation. La partie inférieure, repliée à la perpendiculaire puis repliée à nouveau pour former un S, constitue le panneton.
346Deux clefs enfin présentent des caractéristiques communes aux deux types à la fois : très courtes, forgées à partir d’une tige très plate, elles ont un canon plein, terminé par un panneton plat échancré et un anneau losangique (fig. 142‑19 et 20). L’une mesure 8,2 cm de longueur, l’autre 6,3 cm.
347La fonction précise de ces diverses clefs peut être discutée. Il est généralement admis que le premier modèle s’adapte à des serrures de coffres et de coffrets, en tous cas de meubles, qu’il n’est nécessaire d’ouvrir que d’un seul côté. Le second pourrait davantage correspondre à des serrures de portes, bien que la forme du panneton ne soit pas symétrique par rapport à son axe vertical. Quant à la forme intermédiaire, ses dimensions et la dissymétrie du panneton plat évoquent la serrure de coffret.
348Les moraillons (une des pièces mobiles de la serrure) sont au nombre de quatre. Généralement fragmentaires ou tordus, ils se composent d’une plaque de fer allongée, terminée d’un côté par un anneau forgé articulé sur une fiche, de l’autre par un anneau perpendiculaire à la plaque et dans son axe. La longueur des exemplaires entiers ne varie guère (entre 11,6 et 12,4 cm). Si divers éléments de serrure en bois ont été trouvés, on ne connaît aucune autre pièce de fermeture métallique.
349Une seule grosse fiche annulaire doit correspondre à un gond de porte (fig. 142‑25). Repliée à la forge, elle mesure 8,5 cm de longueur, l’œil mesure 1,9 cm de diamètre. La fiche était enfoncée dans la partie ouvrante sur 5,5 cm de profondeur.
Garnitures de coffrets
350Les trois premières sont en fer étamé sur leur face supérieure (fig. 142‑26 à 28). L’une (9,4 x 1,9 cm ; ép : 0,25 cm) possède un décor de guillochis périphérique. Trois trous de rivet d’un diamètre de 0,3 à 0,4 cm, axiaux, alternent avec deux grandes échancrures latérales qui divisent la plaque en trois dans le sens de la longueur. Il est difficile de savoir si ces échancrures sont décoratives ou si elles résultent de l’usure d’une perforation fonctionnelle. Une autre garniture est incomplète. Coudée et brisée en son centre, elle avait une longueur minimale de 5 cm, une largeur de 1,4 cm et une épaisseur de 0,15 cm. Son pourtour est décoré de festons très accusés. Deux perforations (il pouvait y en avoir une autre au centre, aujourd’hui disparue) permettaient le passage des rivets. La troisième est intégralement conservée. Du même type que la précédente, elle comporte un décor de festons où alternent des échancrures circulaires et rectangulaires. Sur la face étamée, une ligne médiane en creux complète le décor. Deux rivets sont placés aux extrémités. En fer, leur tête est conique et, à leur extrémité inférieure, ils maintiennent des petites plaques de fer carrées de 0,9 cm de côté. La plaque mesure 6,4 x 2 cm pour une épaisseur de 0,15 cm ; la planche à laquelle elle était rivetée mesurait 0,7 cm d’épaisseur.
351La quatrième est plus complexe. Légèrement cintrée (mais probablement cette courbure est‑elle accidentelle), l’un de ses grands côtés est festonné d’échancrures rectangulaires séparant cinq groupes de deux fausses bossettes hémisphériques (fig. 142‑29). L’ensemble est recouvert d’une épaisse feuille de laiton qui se recourbe sur les bords de la face inférieure. Cette feuille est ornée d’une double ligne de guillochis en zigzag. Quatre perforations régulièrement espacées permettaient le passage des rivets.
352L’interprétation de ces plaques décoratives, en l’absence d’un objet complet, reste incertaine. Cependant plusieurs arguments donnent à penser que ce sont bien des garnitures de coffrets : forme rectangulaire, dimensions, décors particulièrement soignés, présence de trous de rivets et même dans un cas de rivets en place indiquant une épaisseur de bois conforme à ce qui est nécessaire pour un coffret. Un fragment, malheureusement très dégradé, de fines planchettes de bois collées à contre‑fil provient d’ailleurs certainement d’un tel objet. D’autre part une vingtaine de petits clous ou de rivets à tête arrondie ou légèrement conique, d’une longueur de 0,3 à 0,8 cm, parfois étamés ou damasquinés de laiton, ont été retrouvés isolément et doivent provenir de fixations de ce type.
3.5.3.2 Outillage
353Fig. 143, 144, 145
Matériel de charpenterie et de menuiserie
Haches
354Sur les cinq exemplaires inventoriés, quatre sont des haches d’abattage, possédant un talon plat d’un côté et un tranchant court et oblique de l’autre (fig. 143‑1 à 4). Leur axe forme avec le manche un angle qui varie de 75 à 85°. La plus grande (longueur : 23,5 cm ; longueur du tranchant : 5,6 cm ; longueur du talon : 4.5 cm ; épaisseur : 5 cm) possède une partie de son manche (longueur : 27,7 cm ; largeur à l’extrémité : 4,6 cm ; largeur du côté de l’outil : 5,2 cm). Une seconde, plus petite (longueur : 19,4 cm ; longueur du tranchant : 5 cm ; longueur du talon : 4,5 cm ; ép. : 4,7 cm) comporte un manche intégralement conservé (longueur : 70 cm ; largeur à l’extrémité : 3,8 cm ; largeur du côté de l’outil : 5 cm). Ce dernier, en frêne, d’une section presque circulaire sur sa plus grande longueur, s’aplatit en section ovalaire correspondant à la forme de la douille vers le fer (cf. infra). Le maintien en tension du bois pour assurer une bonne cohésion du fer est réalisé par un coin de bois enfoncé dans une fente du manche perpendiculairement à l’axe de l’outil (ancroix). Les deux autres, non emmanchées, sont un peu moins massives (longueur : 20,6 et 18,4 cm ; longueur du tranchant : 4,5 et 5 cm ; longueur du talon : 5 et 3,5 cm ; épaisseur : 4,8 et 3,8 cm) et ne portent pas de traces d’écrasement au talon. La plus longue possède un talon plat, légèrement débordant vers le bas, la plus courte un talon arrondi et moins puissant ainsi qu’une douille ovalaire (4,4 x 2,7 cm).

FIG. 143 – Haches d’abattage (1 no 74.51.871, 2 sn, 3 no 1991, 4 no 74.1.5). – Hache d’équarrissage (5 no 619). – Pic (6 no 3138). – Emondoirs (7 no 3360, 8 no 3273). – Houe (9 no 89.46.19). (Echelle 1/8)
355Le cinquième exemplaire est une hache d’équarrissage dont seule une partie du manche subsistait (fig. 143‑5). C’est un outil plus court, à large tranchant incurvé, légèrement dissymétrique de part et d’autre d’un axe formant un angle légèrement ouvert (93°) par rapport au manche (longueur du tranchant : 17 cm ; largeur : 5.5 cm ; largeur de la douille : 4 cm). La partie antérieure de la lame est plus longue. Le côté opposé au tranchant, élargi au‑delà de la douille, forme marteau et porte des traces d’écrasement. Le manche, d’une section presque rectangulaire, s’élargit au‑delà de la douille pour faciliter l’immobilisation de l’outil.
356C’est probablement avec de telles haches que l’on enfonçait les coins de bois dur, pour le fendage des planches, et les grosses chevilles charpentières de chêne. Ce modèle est typologiquement très proche de celui qui a été découvert à Londres dans un contexte bien daté du xie siècle (Schofield, Dyson 1980). On en trouve aussi une représentation sur la Tapisserie de Bayeux, dans la scène où les charpentiers construisent les navires de Guillaume (Bertrand 1975).
Scies
357Aucun des milliers de bois travaillés ne porte de traces de sciage, sauf les peignes. Effectivement on n’a pas trouvé à Charavines (ni aux Grands Roseaux) de fragment de grandes scies, pourtant courantes à l’époque romaine. En revanche, deux très petites lames à dos incurvé, dont le tranchant droit est finement denticulé, sont bien des scies, vraisemblablement utilisées pour la confection des peignes (cf. infra). Elles sont dépourvues de soies, mais cela peut être dû à leur fragilité et à leur état assez dégradé (fig. 144‑1 et 2). La plus longue mesure 8.3 cm pour une largeur de 1,5 cm et une épaisseur de 0,15 cm. La plus courte mesure 7,3 cm pour une largeur de 1.4 cm et une épaisseur de 0,1 cm. On mentionnera encore une mouchette (rabot à lame concave), étudiée dans le chapitre consacré au mobilier de bois, et les plus gros des poinçons coniques à large tête, portant des traces d’écrasement et qui peuvent avoir servi au travail du bois. Par précaution cependant, on a préféré les étudier globalement avec les poinçons et les alênes métalliques utilisés pour l’artisanat du cuir. En revanche, on n’a pas retrouvé, comme aux Grands Roseaux, de ciseau ou de tarière, mais il devait en exister puisqu’on possède un manche de ce dernier outil.

FIG. 144 – Scies (1 no 3323, 2 no 74.1.32). – Paroir (3 no 74.51.185). – Petit couteau (4 no 587). – Alênes (5 sn, 6 no 30.2.1, 7 no 859, 8 sn, 9 no 74.51.193, 10 no 1755,11 no 2484, 12 no 2488, 13 no 709, 14 no 866, 15 no 2709, 16 no 1563, 17 no 1750, 18 no 1651, 19 no 28.4.III, 20 sn). – Poinçon (21 no 886). – Hameçons (22 no 2276, 23 no 1779, 24 no 3144, 25 no 2738). (Echelle 1/4)
Rabot
358Une mouchette (à lame concave) était employée pour le façonnage des manches. On en trouvera la description infra (3.5.5.2).
L’artisanat du cuir
Paroir
359Une large et courte lame (longueur totale : 14,4 cm ; longueur de la soie : 5 cm ; longueur de la lame : 6,5 cm ; largeur de la lame : 3,4 cm ; ép. de la lame : 0,1 cm ; ép. totale : 1,2 cm) peut être interprétée comme un paroir (sorte de racloir) pour la préparation des cuirs (fig. 144‑3). Elle se compose d’une feuille de fer dont l’extrémité est repliée pour former la soie. La lame elle‑même, à l’extrémité symétriquement arrondie, est tranchante des deux côtés et frontalement. Deux échancrures latérales à la naissance de la lame limitent la partie tranchante. Une petite virole sert à maintenir la soie, qui était peut‑être doublée d’une garniture de cuir.
360Un second objet tranchant est sans doute en relation avec le même artisanat, s’il ne concerne pas celui du textile. C’est une sorte de lame de couteau dont le dos serait légèrement convexe, le tranchant légèrement concave et l’extrémité très arrondie. Autre différence : la soie, large à sa base, est très pointue et les replis de fer qui la forment s’évasent en V, donnant à la jonction lame‑soie un aspect tout à fait particulier (longueur : 12,5 cm ; largeur de la lame : 1,6 cm ; ép. : 0,2 cm).
Poinçons et alênes
361Ce sont les outils métalliques les plus courants. Si une grande part était réellement liée au travail du cuir, c’étaient des ustensiles un peu polyvalents, pouvant avoir joué un rôle aussi bien dans le travail du bois (pour les plus gros) que dans la préparation de certaines vanneries par exemple. Cette fréquence particulière et la polyvalence des fonctions évoquent dans une certaine mesure les nombreuses « fiches à bélières » ou « porte‑équipements » de l’époque mérovingienne. On peut en déterminer trois principales catégories.
362La première regroupe les pièces d’assez fortes dimensions, souvent de section circulaire et en tous cas caractérisées par une extrémité large, portant des traces de martelage (fig. 144‑5 à 10). Cette catégorie n’était évidemment pas emmanchée. A la seconde appartiennent des alênes plus fines, toujours de section quadrangulaire, d’une épaisseur plus constante et dont l’extrémité est exempte de trace de coups. L’une d’elles comportait encore un manche, de section circulaire (diamètre : 1.3 cm ; longueur : 9,3 cm). La troisième, représentée seulement par deux exemplaires, comprend des pièces courtes, de forme sensiblement pyramidale, donc de section quadrangulaire (fig. 144‑19 et 20).
363Les dimensions de ces trois catégories sont hétérogènes. Les poinçons massifs ont une longueur comprise entre 5,7 et 13,2 cm pour une épaisseur de 0,7 à 1.4 cm. Le second type (alênes fines) a des dimensions plus difficiles à déterminer dans la mesure où, plus fragiles, de nombreux exemplaires sont incomplets. Sur les pièces entières les longueurs sont comprises entre 7,5 et 11,5 cm pour une épaisseur assez homogène comprise entre 0,3 et 0,6 cm. Quant au troisième type, les deux pièces qui s’y rattachent mesurent respectivement 9,1 cm de longueur pour 0,8 cm d’épaisseur et 4,9 cm sur 0,6 cm.
364Certains archéologues interprètent, peut‑être à juste titre, Les alênes du second type comme des dents de peignes à carder. Les dimensions des alênes de fer trouvées à Charavines peuvent effectivement correspondre à celles de ces outils traditionnels que l’on rencontre jusqu’au début du xxe siècle. Une telle interprétation serait évidemment ici tentante : ce sont en effet à peu près les seuls outils de la chaîne de fabrication textile qui manquent, et cette attribution rendrait bien compte de l’homogénéité dimensionnelle observée. Cependant rien ne permet pour l’instant d’en être sûr, en l’absence de découverte d’un objet entier monté.
L’outillage agricole
365Par rapport à la très grande quantité d’objets de fer, les ustensiles de l’agriculture et de l’élevage paraissent relativement peu nombreux. Les accessoires des principales activités agro‑pastorales sont cependant présents à l’exception des plus volumineux comme les charrues, araires ou encore charrettes.
Pic
366D’allure très moderne (fig. 143‑6), cet outil comporte de part et d’autre d’un emmanchement d’assez petite section (3 x 1,6 cm) une panne assez étroite (3,6 cm) au fort tranchant abattu (que l’usure a légèrement arrondi) et un tranchant perpendiculaire, également étroit, formant hache (1,9 cm). L’angle formé par les axes des deux parties agissantes est de 145° et leur longueur est sensiblement équivalente (15 cm pour la panne ; 16,2 cm pour la hache).
367L’interprétation actuellement proposée est celle d’un pic de défricheur, malgré sa relative petite taille, plutôt qu’un pic de tailleur de pierre ou décintroir, qui n’aurait guère d’utilité dans une communauté employant exclusivement le bois et la terre pour la construction. Ce pourrait encore être un outil de charpentier, bien qu’il ne ressemble à aucun de ceux traditionnellement utilisés et que les traces de fabrication observées sur les pièces de bois ne correspondent pas aux dimensions de ses tranchants.
Houe
368D’une longueur de 28 cm et d’une largeur de 11 cm, cet outil aratoire possède deux massives branches de section carrée (épaisseur : 2 cm). La douille (diamètre : 4,4 cm) a été forgée à partir d’une seule pièce de métal sur laquelle on a rapporté chacune des branches. Celles‑ci, perpendiculaires à l’axe du manche et légèrement incurvées vers le bas, sont grossièrement appointées (fig. 143‑9). Cet outil robuste et puissant était bien adapté au travail des sols argileux et pierreux du terroir local.
Emondoirs
369Deux émondoirs identiques, bien que l’un (longueur : 23 cm ; largeur : 6,9 cm ; ép. : 1,1 cm) soit légèrement plus petit que l’autre (longueur : 25,5 cm ; largeur : 7 cm ; ép. : 0,7 cm), ont été découverts à proximité l’un de l’autre (fig. 143‑7 et 8). Le premier, usagé, était emmanché, l’autre, neuf, ne l’était pas, ce qui laisse supposer qu’il était en réserve. Ils sont faits d’une large lame à dos épaissi très arqué et tranchant quasiment rectiligne se retournant brutalement à angle droit. La tôle, recourbée à l’autre extrémité, forme une courte douille annulaire (2,5 cm) de section ovale (4,4 x 2,7 cm à l’intérieur), prolongée par deux retours à 90° qui enserrent le manche sur une longueur de 6 cm, renforçant la cohésion de l’ensemble. Un ergot puissant est soudé au dos, à l’endroit où il commence à s’incurver. Ce type d’objet, qui a son équivalent depuis l’époque romaine jusqu’à nos jours et dont on observe qu’il est porté sur un manche assez court (55 cm), a un usage bien connu. C’est un émondoir, destiné à ébrancher les arbres et plus particulièrement à tailler les haies, activité conforme à ce que l’on connaît par ailleurs des pratiques agricoles de la population de Colletière. Des outils rigoureusement semblables sont parfois représentés dans l’iconographie médiévale, par exemple dans le manuscrit de Raban Maur De Universo au xie siècle (archives du mont Cassin) ou encore dans les Moralia de Grégoire le Grand au xiie (bibliothèque de Dijon).
Faucilles
370On possède cinq faucilles, dont deux fragmentaires. Deux d’entre elles possèdent une soie et une troisième est montée d’une façon très particulière sur un manche, heureusement conservé.
371Le premier type comporte une soie droite de section rectangulaire, d’une longueur de 10 cm. Un exemplaire de manche en peuplier est conservé pour la plus petite, dont la longueur atteint 12 cm. Les deux faucilles ont une lame de section triangulaire dont la courbure forme un arc de cercle sur le premier tiers puis s’ouvre progressivement vers la pointe, et une nervure prononcée qui souligne la face supérieure du dos. Elle a tendance à s’atténuer dans le cas de la plus grande, peut‑être plus usée. La petite a une ouverture intérieure de 13 cm, la plus grande de 29 cm. La petite faucille se distingue par l’existence d’une petite perforation située au centre de gravité de la lame (fig. 145‑3), évidemment destinée à la suspension. Quant à la plus grande, elle montre sur sa face supérieure quatre ponctuations carrées poinçonnées, signature de l’atelier ou de l’artisan, et une inscription gravée parallèle au tranchant (fig. 145‑4). Celle‑ci, dont on peut lire aisément la première et la seconde lettre (WI) ainsi que la quatrième et la cinquième (..Ml), désigne très probablement le propriétaire ou l’utilisateur. Il pourrait s’agir d’une forme abrégée de WILLELMI (de Guillaume). L’inscription est surmontée d’une croix de Saint‑André entourée d’un cercle dont on remarque la parenté avec tous les signes habituellement interprétés comme des signatures, tant les marques en relief ou en creux sur les fonds des vases que les motifs gravés sur certaines écuelles de bois.

FIG. 145 – Faucilles (1 no 2456, 2 no 869, 3 no 3087, 4 no 33.8.23). – Forces (5 sn, 6 no 538, 7 no 1060, 8 no 90). (Echelle 1/4)
372Le deuxième type est très différent. La lame est plus large (4,8 cm contre 3 et 3,7 cm pour les précédentes), la courbe décrite par le dos est beaucoup plus constante et l’emmanchement diffère puisqu’il est assuré par une languette dans l’axe et à la base de la lame, recourbée deux fois à angle droit pour enserrer le manche (fig. 145‑1). Une perforation circulaire à 1,5 cm de la base de la lame et toujours dans son axe permet le passage d’une sorte de patte dont la tête triangulaire (du côté du bois) et la pointe sont également battues à angle droit. Le manche est lui aussi différent puisque, après une poignée rectiligne, il s’élargit et s’incurve pour amorcer la courbure du fer. Il possède une face plane contre laquelle est appliquée la lame. L’ouverture du tranchant est très grande et atteint 30 cm, dimension qui correspond exactement à celle de la plus grande faucille à soie. Mais l’axe du manche par rapport à celui de l’ouverture, qui était très largement ouvert (120°) pour les faucilles à soie, est ici nettement fermé (70°). Toutes ces caractéristiques impliquent bien sûr une destination différente. Si les faucilles à soie peuvent avoir des fonctions multiples (récolte des céréales, du fourrage etc.), celle‑ci ne pourrait probablement pas supporter de couper la paille des céréales dont on connaît la dureté et le caractère abrasif. Par ailleurs, contrairement aux faucilles à soie, qui peuvent être lancées devant soi, de droite à gauche (pour un droitier, et c’est le cas comme le démontre le sens de la nervure), celle‑ci, à cause de son angulation fermée, nécessite qu’après avoir saisi les végétaux à couper de la main gauche, on les entoure avec la faucille et que l’on tranche vers soi, par simple traction, de gauche à droite. On remarque que le système d’emmanchement et le mouvement auquel il conduit évoquent les faucilles de l’âge du Bronze. Dans le cas présent ce pourrait être un outil spécialisé pour la récolte du lin ou du chanvre, qu’il faut cueillir très bas pour obtenir des fibres de la plus grande longueur possible.
Forces
373Trois paires de forces entières, une moitié et un fragment plus petit présentent une forme classique (fig. 145‑5 à 8). Des lames de section triangulaire, légèrement divergentes, et des branches de section rectangulaire arrondie se joignent par un ressort en lame de forme semi‑circulaire (de 1,2 à 1,6 cm de largeur). Les dimensions sont assez petites (26,2 cm de longueur au maximum) et ces forces paraissent plutôt fragiles. Pour ces raisons, leur usage peut être discuté. Si nous continuons, à titre d’hypothèse, à penser qu’il s’agit d’instruments pour la tonte des moutons, ils pourraient également avoir servi à celle des tissus.
Hameçons
374Quatre hameçons appartiennent à deux types, l’un sans barbelure, l’autre avec. Tous sont réalisés à partir d’une tige de section carrée ou rectangulaire (de 0,10 à 0,18 cm de côté). Ceux qui n’ont pas de barbelure possèdent une hampe droite, le coude est fermé voire parallèle à cette dernière et la pointe est nettement marquée, divergente (fig. 144‑22, 23 et 25). L’oxydation ne permet pas de connaître le mode de fixation, peut‑être un simple cran de métal (longueurs comprises entre 3,5 et 2,2 cm ; largeurs entre 0,9 et 1,2 cm). Un autre type d’hameçon est très proche des formes contemporaines : longue pointe munie d’une barbelure bien dégagée, coude large et angle ouvert (fig. 144‑24). La partie supérieure de la hampe est très oxydée mais on discerne un cran de fixation formé par un petit retour latéral du métal (longueur 3,2 cm ; largeur 1,8 cm).
3.5.3.3 Le matériel d’équitation et ses accessoires
375Fig. 146, 147, 148
376Comme les couteaux, les objets ayant trait à l’équitation et à l’élevage du cheval sont très communs à Colletière, ainsi d’ailleurs qu’aux Grands Roseaux et sur les sites castraux du Châtelard et de La Louvatière à Chirens. 34 fers à cheval entiers et 150 fragments ont été jusqu’ici comptabilisés mais c’est surtout la quantité de clous de ferrage qui est surprenante, environ 2 100. En dehors des fers et de leurs clous, dont on comprend qu’ils soient les plus nombreux dans la mesure où ils s’usent rapidement et sont très souvent perdus ou changés, on répertorie aussi des mors, divers accessoires tels que boucles de sangles et de harnais, éperons et leurs fixations ou attaches de bride. D’autres objets encore sont certainement liés au harnachement mais leur fonction précise n’est toujours pas déterminée. Pour l’équipement du cheval et du cavalier proprement dit, seuls manquent encore les étriers. Mais il ne fait pas de doute qu’ils existaient dans les stations littorales puisqu’on en rencontre fréquemment sur les gisements de même époque. D’ailleurs le maniement de la grande lance de cavalerie en rend l’usage quasiment obligatoire. On mentionnera enfin deux instruments propres aux soins du cheval, une étrille et des marteaux, qui peuvent être interprétés comme outils de bourrellerie ou de maréchalerie.
Fers à cheval
377Ils sont de petite taille, de dimensions remarquablement homogènes pour la plupart (longueur : 10,5 cm ; largeur : 11 cm ; épaisseur : 0,6 cm). Font exception quelques fers plus petits (longueur : 9,8 cm ; largeur : 9,7 cm) mais de même épaisseur et quelques autres légèrement plus grands (longueur et épaisseur identiques à celles des plus courants, largeur jusqu’à 12,4 cm). Il est possible que les plus petits fers aient chaussé des mulets. Enfin beaucoup sont usés, voire très usés et déformés. Ils se prêtent mal à la prise de mesures mais ne paraissent pas avoir eu à l’origine une taille différente. Quelques autres, tout à fait neufs, permettent de déterminer le mode de fabrication. Une plaque d’environ 0,5 à 0,6 cm d’épaisseur, plus large en son centre (3 cm) qu’à ses extrémités (1,7 cm), est recourbée à chaud pour obtenir une forme ovale. Deux légers talons ou ergots sur la face inférieure (externe) marquent l’extrémité de chaque branche sur laquelle trois perforations sont pratiquées, adaptées à la forme très spécifique des clous de ferrage qui ont une tête rectangulaire. Ces trous, réalisés depuis la face externe par étampage, donnent au fer son allure ondulée si caractéristique. Il arrive que cette ondulation, sur un fer n’ayant jamais servi, se double d’un léger rebord externe qui, comme le talon, disparaît très vite à l’usage. Quelques très rares exemplaires parmi les plus petits font exception par l’existence de deux trous sur chaque branche au lieu de trois (longueur : 8 cm ; largeur : 8,5 cm ; épaisseur : 0,5 cm).

FIG. 146 – Fers à cheval (1 no 2268, 2 no 1034, 3 no 1020, 4 no 80.10.17, 5 no 334, 6 no 2404, 7 no 779, 8 no 746, 9 no 2422,10 no 754, 11 no 1032, 12 no 2450,13 sn, 14 no 2539), – Clous de fers à cheval (15 sn). (Echelle 1/4)
Clous de ferrage
378Les clous neufs ont une pointe rectiligne de section carrée (0,4 cm), et une tête parallélipipédique qui se réduit vers la pointe par un décrochement. Leur longueur atteint 4 à 4,6 cm, la longueur de la tête variant de 1,1 (clou usé) à 1,8 cm (clou neuf) pour une épaisseur de 0,5 cm. Les clous sont très rapidement usés du côté de la tête, et leur pointe est repliée à 1,6/2,2 cm.
Mors
379Des quatre mors ou fragments de mors découverts, trois se rangent dans la catégorie des mors de bride, le quatrième dans celle des mors de filet.
Mors de bride complet
380Il se compose de trois pièces distinctes (fig. 147‑1). La plus grande comporte deux longues branches légèrement arquées vers l’intérieur, terminées par des anneaux où sont fixées des attaches rivetées, pour l’articulation avec des lanières de cuir. L’axe perpendiculaire à ces branches se retourne en son centre en une longue pointe qui s’achève par un bouton conique. Cette pièce centrale, légèrement oblique, forme avec le plan déterminé par les branches un angle de 25°. Un anneau ménagé dans la pointe permet de fixer une sorte d’étrier qui maintient l’écartement constant entre cette pointe et l’une des deux branches. L’étrier est torsadé de trois tours. La troisième pièce s’articule sur l’axe de la première par deux anneaux ménagés aux extrémités de ses branches latérales qui ont un écartement nettement moindre que celles de la première pièce. Cette partie mobile est incurvée selon une angulation de 105° pour former deux branches plus courtes également terminées par un anneau. Un décor de hachures gravées remplies d’étain met en valeur le soin apporté à la réalisation de cet objet. Le fonctionnement de ce mors peut prêter à discussion. L’interprétation la plus plausible est celle selon laquelle l’axe de la partie la plus longue est introduite dans la bouche du cheval, les branches vers l’avant, la troisième pièce étant passée sous la mâchoire inférieure. Dans cette configuration, deux brides sont fixées aux anneaux de la première pièce, deux autres à ceux de la troisième. Quant à la griffe (pièce no 2) on ne voit pas très bien son utilité sinon de régler la largeur du mors à la taille du cheval et d’éviter que les branches latérales ne s’écartent ou ne se referment à l’emploi. Cela expliquerait la torsade de cette griffe, qui pourrait être un moyen de raidir l’ensemble. Ce type de mors s’apparente, mais d’assez loin, aux mors de bride incomplets découverts sur la motte de Grimbosc en Normandie et également datés de la première moitié du XIe siècle. En plus petit, il est presque jumeau d’un exemplaire découvert à Andone. Des fragments analogues ne sont pas rares sur les sites castraux. On peut par exemple citer celui du Frohburg, un peu plus récent puisque daté des xiie‑xiiie siècles (Meyer 1989). Très brutal, ce type de mors doit être considéré comme un accessoire de dressage ou de combat. C’est lui qui équipe les chevaux représentés sur la Tapisserie de Bayeux (Bertrand 1975). Enfin on notera la très petite taille du cheval à en juger par le faible écartement des branches tant supérieures (12 cm) qu’inférieures (8,6 cm). Ses dimensions sont les suivantes : longueur totale (en position d’usage) : 18,2 cm ; largeur totale : 14,3 cm ; hauteur : 11,3 cm.

FIG. 147 – Mors à double bride (1 no 720, 2 sn, 3 no 331). – Mors de filet (4 no 2529). – Boucles de harnais (5 no 2786, 6 no 325, 7 no 2557, 8 no 74.2.12, 9 no 2787). – Attaches de harnais (10 no 80.91.144, 11 no 811). – Cabochon en laiton émaillé (12 no 80.10.8). (Echelle 1/4)
381Deux pièces incomplètes appartiennent à un mors analogue : une griffe également torsadée, d’une dimension légèrement supérieure (fig. 147‑3), et une partie mobile (fig. 147‑2) un peu plus grande que celle précédemment décrite (longueur : 10,5 cm ; largeur : 12 cm).
Mors de filet
382Une moitié de mors de filet se compose d’un axe en deux parties articulées sur deux anneaux (fig. 147‑4). A l’extérieur de la bouche du cheval, de chaque côté, se situent deux traverses cintrées aux extrémités biconiques. Dans l’axe de ces tiges deux anneaux antérieurs sont destinés à la fixation des rênes. Toutes les faces extérieures visibles portent un décor de groupes de cinq hachures étamées. Les extrémités sont également ornées de hachures d’étain rayonnantes. Avec ce mors incomplet se trouvait un anneau double pareillement décoré et une tige plate comportant un trou de rivet. Il est vraisemblable que ces trois éléments provenaient d’un même objet. Les mors de filet à traverses de cette époque sont connus par l’iconographie et par des découvertes en fouilles, surtout en Europe continentale et septentrionale. Ils sont toutefois généralement beaucoup plus simples. En admettant que la deuxième moitié était rigoureusement symétrique, le mors avait une largeur hors‑tout de 21,5 cm (largeur intérieure de l’ordre de 15,5 cm). La longueur de la traverse est de 14,5 cm.
Boucles de harnais
383Sauf pour le modèle à traverse mobile, il n’est pas certain que les boucles décrites ci‑après appartiennent toutes au harnachement du cheval. Elles pourraient en effet faire partie de l’équipement du combattant (baudrier). On a cependant choisi de les présenter avec le matériel d’équitation, compte tenu de leurs grandes dimensions et de leur robustesse. Toutes sont en fer et dépourvues de décor.
384Le premier modèle est une boucle presque carrée, de section carrée, munie d’une forte traverse mobile contre laquelle vient buter un ardillon droit de section rectangulaire, également très puissant (fig. 147‑9). La traverse se termine par des renflements pyramidaux (longueur : 6,2 cm ; largeur : 9,6 cm ; épaisseur : 1,6 cm ; section de la traverse : 0,7 cm). De telles boucles sont habituellement utilisées pour le réglage des sous‑ventrières. On en connaît plusieurs, de même forme quoiqu’un peu plus longues, sur le site castrai du Frohburg, datées des xie‑xiiasiècles (Meyer 1989).
385Le second modèle a une forme trapézoïdale, le plus petit côté formant pivot pour l’ardillon droit (fig. 147‑5 et 6). La boucle est de section rectangulaire épaisse, l’ardillon de section rectangulaire étroite. L’un des deux exemplaires est plus gros (longueur : 7,6 cm ; largeur : 8,2 cm ; épaisseur : 1,6 cm), l’autre plus petit (longueur : 5,5 cm ; largeur : 6,9 cm ; épaisseur : 1,6 cm).
386Le troisième modèle comprend deux boucles en arc de cercle, avec un axe droit (fig. 147‑7 et 8). Elles diffèrent par leur taille et leur section. Seule la plus grosse (longueur : 8,5 cm ; largeur : 5,7 cm ; épaisseur : 1,6 cm) a conservé son ardillon coudé, de section rectangulaire (diamètre : 1,7 cm). La plus petite (longueur : 3,9 cm sans l’ardillon ; largeur : 6,9 cm ; épaisseur : 0,5 cm) possède une section sensiblement carrée.
387Les sangles qu’équipaient ces boucles étaient larges (de 4,5 à 7 cm, la plupart se situant autour de 5,5 à 6 cm). Par ailleurs on remarque l’épaisseur absolument constante (1,6 cm) qui correspond certainement au repli de la lanière de cuir autour de l’axe.
Attaches de harnais
388Deux pièces se composent d’une tôle découpée et repliée, fixée par un rivet (fig. 147‑10 et 11). La première (longueur : 4 cm ; largeur : 1,8 cm ; épaisseur : 1,1 cm) présente une face antérieure losangique. Les bords sont très précisément découpés pour former aux extrémités du losange un élargissement souligné par des incrustations d’étain. La seconde (longueur : 3,5 cm ; largeur : 1,8 cm ; épaisseur : 1,1 cm) porte sur sa partie antérieure un décor en croix pattée dont chaque extrémité est décorée d’un guillochis d’étain. Tout donne à penser que ces attaches étaient rivetées à des brides ou rênes, qu’elles permettaient d’articuler aux anneaux des mors.
Cabochon de harnais
389D’abord interprété comme une parure féminine cet objet exceptionnel s’avère plutôt appartenir au harnais de tête d’un cheval dont il décorait la croisée des lanières têtière, frontale et du montant (fig. 147‑12 et Pl. III, B). Cette pièce porte traditionnellement le nom de « cocarde ». Il s’agit d’un cabochon circulaire en laiton (diamètre : 3,6 cm ; épaisseur : 0,5 cm) en forme de dôme aplati réalisé par emboutissage. Des plaques d’émail rouge (au centre) et bleu garnissent des alvéoles formés par des ajours du métal, sur une plaque également en laiton, brasée au revers.

Pl. III, B – Cabochon de harnais, laiton et émail (no 80.10.8).
cliché Y. Basq, fouilles de Colletière
390L’ensemble compose un décor de croix aux branches égales, dont le centre est formé d’un carré d’émail rouge entouré d’une plage de laiton quadrangulaire dont chaque angle s’achève par un demi‑cercle saillant. Du milieu des côtés du carré partent les branches de la croix qui apparaissent entre les plages d’émail bleu. L’émail central est entouré d’un double zigzag incisé, deux lignes de zigzag plus amples entourant l’ensemble du motif, circulairement. Enfin, un zigzag plus étroit vient décorer le rebord extérieur de ce cabochon. Il s’agit là d’un objet particulièrement soigné. Les huit trous de rivetage, irrégulièrement disposés et venant briser les lignes de décor, contrastent singulièrement avec cette qualité. Leur disposition n’est toutefois pas aléatoire : six d’entre eux sont placés deux à deux pour former les branches d’un Y par rapport au centre de la plaque, la branche antérieure étant elle‑même entourée d’une perforation de part et d’autre. Ce dispositif confirme tout à fait l’interprétation proposée, celle d’une cocarde fixée aux différentes sangles qui forment le harnais de tête.
Éperons et leurs boucles de fixation
391Sur neuf éperons, six sont entiers. Les éléments qui permettent une classification typologique sont la forme de la pointe, celle de l’extrémité des branches, l’angle que fait éventuellement la pointe avec le plan des branches, la forme de la bouclette enfin. A Colletière on peut distinguer trois catégories principales, qui forment plutôt des variantes que des types distincts. La mieux représentée regroupe les pièces à pointe pyramidale ou bipyramidale, épaisse et massive (longueur comprise entre 2,6 et 3,5 cm ; largeur entre 2,1 et 2,4 cm) à l’extrémité d’une tige de section le plus souvent circulaire, parfois carrée (fig. 148‑1 à 4).

FIG. 148 – Eperons (1 no 475, 2 no 472, 3 no 818, 4 sn, 5 no 76.20.44, 6 sn, 7 no 1061, 8 no 74.51.132, 9 no 2623, 10 no 2425). – Bouclettes d’éperons (11 no 1105, 12 no 1455, 13 no 78.20.96, 14 no 858). – Etrille (15 no 1816). – Marteaux (16 no 2751, 17 sn, 18 no 2810). (Echelle 1/4)
392A ces pointes sont associés des œillets de fixation circulaires, avec un rivet à tête semi‑circulaire monté sur une petite plaque carrée, ou des œillets en doubles cercles accolés, sertis de deux rivets de même type. C’est à ce modèle à pointe biconique que se rattachent les deux éperons découverts côte à côte dans le bâtiment II. On remarque que cette paire, fonctionnelle, est formée de deux éperons certainement dépareillés, puisque, si leurs dimensions sont très comparables, les fixations sont de types différents (fig. 148‑1 et 2). D’autre part, si comme la plupart des autres éperons, le premier ne forme pas d’angulation entre la tige et le plan des branches, l’autre en forme une d’environ 15°. Le second modèle, représenté par trois exemplaires, est caractérisé par une pointe pyramidale étroite et allongée (fig. 148‑5 à 7). La tige de l’un est ornée de quatre anneaux toriques en relief, l’autre porte sur les deux facettes supérieures de la pointe une ligne d’ocelles encadrée par un triangle d’étain. La partie supérieure de la tige porte trois lignes parallèles de ponctuations d’étain qui se poursuivent par une ligne simple sur les branches. Les œillets sont simplement circulaires. C’est dans cette même catégorie que se classe un troisième éperon incomplet à pointe pyramidale fine précédée de trois anneaux toriques.
393Le dernier modèle (un éperon entier et une tige brisée) montre une extrémité sphérique ou en olive qui précède une pointe conique courte et fine (fig. 148‑8 et 9). A la base de la boucle et de la pointe se trouvent deux anneaux toriques en relief. L’exemplaire complet possède un œillet en huit.
394Enfin, une branche cassée laisse imaginer l’existence d’un type légèrement différent, à œillets rectangulaires traversés de deux rivets à tête conique. La branche de section quadrangulaire s’élargit brusquement pour se transformer en un profil rubané, la partie externe présentant une arête centrale (fig. 148‑10).
395Les dimensions générales de ces éperons sont très homogènes. La longueur totale est comprise entre 21,1 cm et 16,6 cm, les plus nombreux mesurant 19 cm environ. Les écartements des branches (de l’ordre de 10 cm) diffèrent légèrement pour s’adapter à la taille des chaussures. En revanche, les tiges varient entre 5,3 et 11 cm, la plupart des éperons à tête pyramidale étant les plus longs.
396De tels éperons figurent très couramment sur les scènes de chevauchées de la Tapisserie de Bayeux. Il est d’ailleurs curieux de constater qu’ils sont portés par les cavaliers au niveau de la cheville, ce qui doit nécessiter une pointe un peu plus longue. En effet, dans le cas des éperons qui sont directement assujettis sur des chaussures à tiges rigides, une pointe courte suffit.
397Les boucles de fixation appartiennent à deux types. La tôle rectangulaire recourbée et rivetée qui les fixe à la lanière de cuir maintient soit une double boucle en huit pourvue d’un ardillon filiforme à extrémités incurvées, soit une double boucle dont la base est trapézoïdale et la seconde boucle semi‑circulaire, l’ardillon filiforme étant droit. Dans les deux cas les boucles forment par rapport à leur axe une angulation. Leurs dimensions sont également assez homogènes, les longueurs variant entre 5 et 4,1 cm, les largeurs entre 2,1 et 1,8 cm.
Étrille
398D’une longueur de 9 cm pour une largeur de 14,5 cm, cet ustensile comporte une longue douille (diamètre : 2 cm), constituée par l’enroulement d’une feuille de métal à l’extrémité de laquelle une double perforation recevait un clou de fer à cheval destiné à mieux assujettir un manche de bois (fig. 148‑15). La partie agissante est une large lame perpendiculaire à l’axe de la douille ; fortement usée, elle comportait peut‑être à l’origine des denticulations. Son dos, plus épais, est pourvu aux extrémités d’un anneau ouvert dont la fonction précise n’est pas connue. L’identification ne fait guère de doute, d’autant que des objets analogues sinon rigoureusement semblables ont été recueillis sur la station littorale voisine des Grands Roseaux à Paladru (cf. infra).
Marteaux
399Trois marteaux de même modèle, de petite taille (longueur comprise entre 8,2 et 10 cm ; largeur : 2,2 à 2,5 cm ; hauteur : 1,8 cm), présentent une tête circulaire évasée, légèrement concave, et deux pointes arrache‑clous (fig. 148‑16 à 18). Deux étaient munis d’un manche en frêne, bloqué par deux clous neufs de fer à cheval. Identiques aux marteaux de bourrelier et de cordonnier moderne, ils doivent plutôt ici être attribués au maréchal‑ferrant, dans la mesure où aucune des nombreuses chaussures de Charavines n’est cloutée, et tous les éléments de bourrellerie que l’on a trouvé font appel à des rivets plutôt qu’à des clous.
3.5.3.4 L’armement
400Fig. 149
401Les armes sont nombreuses même si la plupart sont des carreaux d’arbalète et si manquent encore les lances (deux exemplaires proviennent des Grands Roseaux), les épées entières et les casques et boucliers. Ceci n’est toutefois pas véritablement surprenant car si les habitats littoraux sont remarquables par le gaspillage d’objets métalliques qu’ils révèlent, on sait que les grandes armes défensives (casques, cottes) et surtout offensives (épées) étaient rares, chères et chargées d’une symbolique qui rendait leurs utilisateurs particulièrement soigneux.
Hache d’arme
402Cet objet se différencie des haches précédemment décrites par une lame incurvée de section triangulaire, quasiment symétrique de part et d’autre de son axe dont l’angle qu’il forme avec le manche est légèrement fermé (fig. 149‑1). Aux deux extrémités du tranchant, le fil s’incurve jusqu’à angle droit pour libérer une sorte d’ergot. L’emmanchement s’effectue par une douille étroite de section sub‑rectangulaire, renforcée par un élargissement de métal au‑dessus et en dessous. Cette hache de bonne facture, très peu usée, montre encore les traces de son façonnage (martelage de la lame). La forme générale et celle de l’emmanchement, la faible section du manche et la présence des ergots qui la rendait inadaptée au travail du bois, évoquent davantage certaines francisques tardives ou, en plus petit, certaines haches d’armes du Moyen Age. Par ailleurs elle paraît absolument semblable aux haches d’armes figurées sur la Tapisserie de Bayeux. Ce sont les raisons pour lesquelles nous proposons de la classer parmi les armes (longueur : 15 cm ; largeur : 19,8 cm ; épaisseur à la douille : 3,5 cm ; emmanchement : 4 x 2 cm).

FIG. 149 – Hache d’arme (1 no 3376). – Pointe d’épée (2 no 1187). – Pommeau d’épée (3 sn). – Garde de poignard ? (4 no 2636). – Pointes de javelots (5 no 75, 6 no 772). – Pointe de fleche (7 no 1690). – Carreaux d’arbalète (8 no 1710, 9 no 56, 10 no 2293, 11 no 74.51.97, 12 no 74.51.35, 13 no 6, 14 no 2103, 15 no 74.51.25, 16 no 2051, 17 no 611, 18 no 194). – Plaques de broigne (19 no 2719, 20 no 2328, 21 no 1792). (Echelle 1/4)
Éléments d’épée
403Plusieurs petits éclats de tranchant, de section triangulaire, peuvent provenir d’épées cassées au cours de séances d’entraînement. Mais seule une pointe (fig. 149‑2) présente une structure damassée, à tranchant d’acier trempé rapporté sur un noyau de fer doux, correspondant exactement aux caractéristiques mécaniques attendues d’une telle arme (cf. infra). En dehors de ces éclats, un pommeau (fig. 149‑3), lourde masse de section ovale et de profil en tronc de cône très aplati, muni d’une perforation axiale rectangulaire, appartient certainement à une épée (longueur : 3,2 cm ; largeur : 5,9 cm ; épaisseur : 1,9 cm). C’est un modèle très connu dès le haut Moyen Age, rangé par les Anglais dans la catégorie des pommeaux norvégiens cocked‑hat ou en « chapeau de gendarme ». P. Périn les considère comme dérivés des pommeaux de la fin de l’époque mérovingienne ou d’origine viking des ixe et xe siècles (Périn 1990). Un troisième objet doit être signalé même s’il paraît s’agir davantage d’un élément de couteau ou de dague que d’épée à proprement parler, pour laquelle il serait de dimensions trop réduites (longueur : 4,2 cm ; largeur : 1,7 cm ; épaisseur : 0,4cm) : c’est une garde ovale, ornée sur les deux faces d’une bande de guillochis radiants.
Pointes de javelot
404Deux fers de petits javelots (fig. 149‑5 et 6) ainsi qu’une pointe de javelot ou de lance contrastent avec les lourdes lances de Paladru. Comme pour les traits d’arc ou d’arbalète, elles pouvaient indifféremment servir d’armes de chasse ou de guerre. Ce sont des pièces légères, dont on imagine mal qu’elles aient pu être lancées efficacement, comportant une pointe triangulaire pour l’une, en feuille de laurier pour l’autre, avec une douille conique forgée (diamètre terminal : 1,8 et 1,9 cm). Leurs autres dimensions diffèrent. La plus grande a 17 cm de longueur pour 2,6 cm de largeur à la lame ; la seconde a 12 cm de longueur pour 2,8 cm de largeur à la lame. La hampe de la plus petite était fixée par deux rivets qui traversent la douille.
405Un fragment de pointe provient sans doute d’une extrémité de lance. Plus épaisse que les lames précédentes (0,4 cm à 1 cm à peine de l’extrémité, ce qui laisse supposer un corps beaucoup plus épais), elle s’apparente aux pointes des fers de lance découvertes aux Grands Roseaux (cf. infra).
Pointe de flèche
406Cette fine tôle forme une pointe ovale et une longue douille légèrement conique (fig. 149‑7) permettant le maintien d’une hampe de 0,7 à 0,9 cm de diamètre (longueur : 9,6 cm ; largeur : 1,6 cm).
Carreaux d’arbalète
407La découverte d’une trentaine de ces objets n’est pas originale puisqu’on en trouve sur la plupart des sites castraux de même époque. Leur légèreté contraste avec la lourdeur des traits plus tardifs. Mais elle convient bien au petit arbrier et aux petits arcs en if recueillis sur la station (cf. infra). On peut distinguer trois types. Le premier à pointe étroite et allongée, le second à pointe très longue et torsadée et le troisième à pointe pyramidale, large et courte.
408Le premier type, plus courant, présente une forme, pyramidale (fig. 149‑8 à 13), et une variante (où il n’existe pas de rétrécissement entre la pointe et la hampe). Les dimensions sont quasiment invariables pour le diamètre de la hampe (0,7 cm) avec toutefois quelques exceptions, légèrement plus épaisses jusqu’à 0,8 cm) ou plus fines (0,5 cm). Les longueurs varient entre 6 et 8,1 cm.
409Le deuxième type est une adaptation du premier. La pointe pyramidale est torsadée à la forge de 2 à 14 fois (fig. 149‑14 à 16). Les longueurs varient entre 12,7 et 6,3 cm (il est possible que cette dernière pièce, très altérée, soit incomplète), les épaisseurs vont de 0,4 à 0,5 cm et les diamètres de hampes restent de l’ordre de 0,6 à 0,7 cm. Ce sont très probablement des fers incendiaires, adaptés à la fixation d’étoupe imprégnée d’un produit combustible, tels que l’iconographie nous en montre pour les flèches de grand arc.
410Le troisième type est relativement peu représenté (fig. 149‑17 et 18). Il se distingue par une forme plus ramassée (longueur : 4,7 cm environ), plus trapue (largeur : 0,9 cm), mais les hampes ont toujours de 0,6 à 0,7 cm de diamètre.
411Quel que soit le type considéré on est frappé par l’homogénéité des diamètres des emmanchements, dictée par la nécessité d’adapter rigoureusement le trait à la rainure de l’arbrier. Les quelques hampes retrouvées correspondent tout à fait à ces dimensions (cf. infra).
Éléments de cotte de mailles et de broigne (?)
412Un petit anneau torique soudé (diamètre extérieur : 1 cm) peut avoir appartenu à une cotte de maille. Ses dimensions sont tout à fait analogues à celles du fragment de cotte recueilli au Châtelard (cf. infra). Plusieurs plaques de fer, souvent très abîmées, sensiblement circulaires ou polygonales (de 4,4 à 7,4 cm de côté), munies d’un fort rivet central maintenant une contre‑plaque de petite dimension, proviennent peut‑être de broignes (fig. 149‑19 à 21). L’écartement entre les deux plaques correspond en tout cas à la section d’un cuir épais (0,5 à 0,6 cm).
3.5.3.5 Les objets de parure
413Fig. 150
414Au nombre d’une trentaine, les objets de parure sont assez souvent usés voire brisés. Sauf peut‑être pour les plus petits, telles les épingles et les agrafes, ils semblent avoir été jetés plutôt qu’égarés. Aucun n’est en métal précieux, l’étain et le laiton formant la matière première la plus courante.
Broches et pendentifs
415Tous les objets de cette catégorie sont en étain coulé. La facture est grossière et les décors irréguliers font toujours appel à des cabochons ou bâtes, entourés de hachures ou de guillochis. Au dos de chacun subsistent les traces non retouchées de la coulée dans un moule univalve. Une broche (fig. 150‑1) ou fibule discoïde (diamètre : 5,7 cm ; épaisseur : 0,35 cm) comporte huit logements pour des cabochons circulaires (0,8 cm de diamètre), disposés en cercle autour d’un logement central de même forme mais sensiblement plus grand (1,3 cm de diamètre). Chaque cabochon était serti par un bourrelet d’étain lui‑même entouré d’une ligne de guillochis obliques. Les bords de la plaque sont soulignés d’un bourrelet guilloché. Au revers on trouve les traces de la fixation de l’épingle qui servait à attacher l’objet au vêtement. La forme évoque les fibules discoïdes du haut Moyen Age, bien sûr très différentes par leurs matériaux et par la qualité des décors. Il est vraisemblable que les cabochons étaient faits de verres gallo‑romains récupérés et retaillés, du type de ceux que l’on a pu découvrir dans l’habitat (cf. supra). Une seconde broche (fig. 150‑2), dont les angles sont aujourd’hui brisés, était carrée (4,5 cm de côté ; épaisseur : 1,4 cm). Un grand cabochon circulaire (2 cm de diamètre) et épais (0,6 cm) en occupait le centre. Une perforation centrale dont l’utilité demeure énigmatique était cachée par le cabochon. Des hachures divergentes dessinent une croix, les rebords étant longés par une ligne de guillochis obliques. Au dos se trouve un anneau de fixation en étain. Un pendentif rectangulaire (hauteur : 4,1 cm ; largeur : 4 cm ; épaisseur : 0,5 cm) aux angles bouletés, est muni d’un anneau de suspension de section hémisphérique (fig. 150‑3). Le décor se composait d’une plaque de verre rectangulaire, entourée d’une ligne de hachures qui court également sur l’anneau.

FIG. 150 – Broches et pendentif (1 no 65, 2 no 251, 3 no 74.51.2, 4 no 1919). – Contre‑plaque de ceinturon (5 no 731). – Bagues et anneaux (6 no 74.51.135, 7 no 2565, 8 no 1262, 9 no 214, 10 no 221, 11 no 146,12 no 223, 13 sn). – Petit cabochon et pendant d’oreille (14 no 74.51.4, 15 no 2315). – Agrafes à double crochet (16 no 1906, 17 no 80.10.8). – Epingles (18 no 2087,19 no 74.51.134, 20 no 2216, 21 no 2723, 22 no 74.51.101, 23 no 74.51.57, 24 no 74.51.86, 25 no 612, 26 no 861). – Decors de ceinture (27 no 1597, 28 no 1598, 29 no 1599, 30 no 1600, 31 no 1601, 32 no 1579, 33 no 1580, 34 no 1582, 35 no 1595, 36 no 1596, 37 no 1602, 38 n° 1603, 39 n° 1785, 40 n° 1604, 41 no 240, 42 no 74.51.55, 43 no 74.51.206, 44 n° 74.51.144). (Echelle 1/3)
416Une plaque rectangulaire en étain, munie d’excroissances bouletées aux angles, est décorée de deux panneaux rectangulaires bordés chacun d’une bande d’échelles en relief (fig. 150‑4). Le centre de chaque panneau porte deux disques en léger relief entourés d’un bourrelet. L’ensemble de l’objet est d’une facture plus soignée qu’à l’ordinaire. Au dos, se trouve une rainure axiale aux bords relevés, le long de laquelle trois anneaux venus de fonderie maintiennent une aiguille en cuivre. Ce dispositif permettait une utilisation en fibule. Cependant une perforation, qui semble avoir été pratiquée a posteriori, se trouve rigoureusement au milieu d’un grand côté, et pouvait permettre également une suspension comme pendentif (longueur : 3,3 cm ; largeur : 2,4 cm ; épaisseur : 0,35 cm).
417Un petit cabochon de laiton formé d’une feuille emboutie qui lui donne la forme d’une calotte entourée d’une dépression circulaire (1,3 cm de diamètre) a certainement orné une fibule ou un pendentif (fig. 150‑14). Son revers, parfaitement plat, est constitué d’étain qui pouvait le souder sur une plaque de même métal, voire de fer.
Bagues et anneaux
418Une bague en cuivre (diamètre : 1,9 cm), de section ovale très aplatie (0,5 cm de largeur et 0,15 cm d’épaisseur) porte sur sa face supérieure un élargissement ovalaire décoré de sept cercles pointés, gravés et irrégulièrement disposés (fig. 150‑6). Une autre, très déformée, est faite d’un ruban d’étain dont la partie supérieure est nervurée et décorée de petites excroissances hémisphériques (fig. 150‑7) ; la seule dimension mesurable est la largeur (0,7 cm). Un anneau de laiton ouvert (fig. 150‑8) ressemble à un torque ou à un bracelet du Bas Empire en réduction : section circulaire, corps épaissi en son centre, extrémités bouletées (diamètre : 2 cm). Un autre anneau légèrement ovalisé est incomplet mais paraît avoir été également ouvert (fig. 150‑9). En fer, de section triangulaire, il est étamé sur sa face supérieure (largeur : 2,6 cm ; hauteur : 2,2 cm ; épaisseur : 0,7 cm). Une série de simples anneaux toriques en cuivre ou en laiton, d’une section (0,22 à 0,38 cm) et d’un diamètre très constants (2,2 à 2,3 cm), ont certainement servi de bagues de même que d’autres, plats ou de section triangulaire aplatie, aux dimensions très voisines (fig. 150‑10 et 11). On mentionnera enfin, pour mémoire, un petit anneau de laiton, de section circulaire très fine (0,1 cm) et d’un petit diamètre (1,6 cm), qui se referme par une simple torsade perpendiculaire (fig. 150‑13). Il est possible qu’il s’agisse là soit d’un objet en cours de fabrication, donc inachevé, soit d’un jouet.
Pendant d’oreille
419Il s’agit d’un petit disque de laiton (2,8 x 2,9 cm de diamètre, 0,12 cm d’épaisseur) percé d’un trou de suspension ovale (1,25 x 0,8 cm) décentré vers le haut. Ce disque suspendu prend donc une position d’équilibre, les bords latéraux et inférieurs sont biseautés (fig. 150‑15). Cet objet très simple évoque un pendant d’oreille de même type découvert en place sur l’un des squelettes de la sépulture double de Seyssinet‑Pariset (Isère), daté par le reste du mobilier de l’époque mérovingienne (Colardelle, Bocquet 1973). Un autre objet similaire a été découvert par H. Muller dans les fouilles du quartier des Halles à Grenoble, associé à un atelier de bronzier du Bas Empire ou du très haut Moyen Age (collections Musée dauphinois).
Agrafes à double crochet
420L’une est en bronze ou en laiton, l’autre en fer étamé. La première (fig. 150‑17) est d’un modèle extrêmement courant à la fin de l’époque mérovingienne du sud‑est de la France et de Suisse romande : de petite taille (2,6 x 1,1 x 0,5 cm). La seconde (fig. 150‑16) est plus exceptionnelle (3,2 x 1.1 x 0,5 cm) ; en fer étamé –c’est à notre connaissance le seul cas– elle présente un corps aplati dans son axe, également pourvu de trois bourrelets, et percé d’un large trou presque rectangulaire (0,7 x 0,28 cm). Si la première agrafe peut incontestablement être un objet mérovingien tardif ou carolingien remployé, la seconde, qui est une imitation faite dans des matériaux typiques de Charavines, date assurément du xie siècle. Cette découverte apporte des arguments supplémentaires à ceux qui, comme nous, pensent que les agrafes à double crochet, longtemps interprétées comme des objets strictement funéraires (pour maintenir le linceul) n’apparaissent qu’à la fin du viie siècle (associés à de grandes fibules discoïdes ou polylobées à décors de bâtes et de filigranes) et se prolongent durant toute la période carolingienne (Colardelle 1983a) ; les exemplaires de Colletière et celui du Châtelard marqueraient ainsi l’extrême fin d’une tradition.
Épingles
421Elles sont assez nombreuses (9 exemplaires). Au premier type (fig. 150‑18 à 21), le plus fréquent, appartiennent des épingles en laiton, façonnées à la filière comme le montre une rainure longitudinale caractéristique, pourvues d’une tête sphérique ou très légèrement aplatie en verre jaune (longueurs : 5,4 et 5,3 cm ; diamètres de la tête : 0,7 et 0,9 cm ; diamètre maximum du corps : 0,13 cm). Une variante, de plus petites dimensions, est constituée par deux exemplaires malheureusement brisés et calcinés. Le corps de l’épingle n’atteint que 0,05 cm de diamètre et la tête 0,50 à 0,85 cm. La longueur est inconnue, mais elle devait être inférieure à 4 cm. Le second type, représenté par trois exemplaires, est toujours en laiton également façonné à la filière (fig. 150‑22 à 24). La tête est formée par une division longitudinale du métal ; chaque branche est alors retournée extérieurement pour former une boucle non fermée. Les longueurs vont de 5,35 à 6,2 cm, la largeur de la tête de 0,7 à 0,9 cm, le corps est d’un diamètre de 0,1 cm. Une autre épingle en laiton (fig. 150‑25), pliée et abîmée, possède une tête aplatie axiale gravée d’une croix de Saint‑André (longueur : 5 cm ; largeur de la tête : 0,55 cm ; diamètre du corps : 0,18 cm). Le dernier exemplaire est une très petite épingle en laiton à tige de section rectangulaire et à tête circulaire aplatie (fig. 150‑26) ; ployée, elle mesure 1,9 cm de longueur (largeur de la tête : 0,23 cm et section de la tige : 0,15 x 0,08 cm).
Garnitures décoratives de ceinture ou de harnais
422On a trouvé d’assez nombreuses plaques de fer pourvues de décors ajourés, de bords festonnés, découpées d’échancrures, recouvertes d’étain et munies de fixations par rivetage. Il doit très certainement s’agir de décors de ceinture ou de harnais, puisqu’une série de treize de ces appliques carrées se trouvaient regroupées à proximité d’une large bande de cuir, incomplète, pouvant avoir appartenu à un ceinturon ou à un harnais. Douze d’entre elles, inégalement conservées, sont identiques (fig. 150‑27 à 38). Elles comportent un rivet central à tête hémisphérique ou conique, quatre échancrures en croix qui ménagent autant de lobes aux angles, eux‑mêmes pourvus en leur centre d’un renflement arrondi. La dernière pièce, malheureusement incomplète, est plus large. Également rivetée, elle peut provenir d’un système de fermeture (1,6 cm de côté, épaisseur : 0,15 cm) ; un autre élément de même type et de plus petite taille est de forme rectangulaire 2,5 x 1,4 cm, épaisseur : 0,15 cm). Une autre plaque très semblable a été découverte isolée (fig. 150‑43). Plus large et plus épaisse (2,7 cm de côté, épaisseur : 0,2 cm), elle possède un rivet de fixation central à tête conique de 0,7 cm d’épaisseur, et ses quatre lobes festonnés sont percés en leur centre d’un ajour circulaire (0,45 cm de diamètre). Deux autres plaques également carrées possèdent un ajour central cruciforme ; trouvées ensemble, elles sont absolument identiques (fig. 150‑39). Leur pourtour est festonné d’échancrures profondes et moins profondes alternées, un guillochis décore le rebord. Les quatre lobes d’angle sont percés d’un orifice central dans lequel s’engage un rivet à tête bouletée, lui‑même fixé à une contre‑plaque très fine dont ne subsistent plus que quelques vestiges. Sa présence permet d’estimer l’épaisseur de cuir auquel l’ensemble était fixé à 0,3 cm (dimensions : 2,9 x 2,9 cm, épaisseur de la plaque : 0,2 cm, épaisseur totale : 1,1 cm). La dernière plaque, de forme triangulaire, a été emboutie pour former un umbo central ou fausse bossette hémisphérique (fig. 150‑44). Aux angles trois perforations grossièrement circulaires permettent le passage des rivets de fixation (3,7 cm de côté, 0,6 cm d’épaisseur). Une petite plaque losangique peut être rattachée à cette série mais il n’est pas exclu qu’elle appartienne à une fixation de courroie de chaussure. C’est une plaque de faible épaisseur (0,15 cm) de forme légèrement trapézoïdale (1,25 x 1,05 cm) allongée (3 cm de longueur) s’achevant par une large perforation ovale du côté le plus large (0,7 x 0,3 cm) et par une excroissance de l’autre. Deux échancrures rectangulaires festonnent les longs côtés ; trois rivets sur les festons fixaient cet objet à une lanière de cuir.
Contre‑plaque de ceinturon
423De forme carrée (4 cm de côté, épaisseur : 0,2 cm), en fer vraisemblablement étamé à l’origine, elle porte à chaque angle un orifice circulaire destiné au passage d’un rivet (fig. 150‑5). Le décor en taille‑douce, très altéré, est composé d’un quadriiobe délimité par un double trait. Le motif central n’est pas identifiable mais il devait être historié et non pas géométrique. Entre chaque perforation une rangée de guillochis radiants et très espacés complète le décor.
3.5.3.6 Objets indéterminés
424Fig. 151
425Parmi les très nombreux fragments de fer, beaucoup sont probablement des déchets de fabrication ou de réparation. D’autres sont également des fragments brisés d’objets usés ; d’autres encore, dont nous donnons ici quelques dessins, présentent des formes caractérisées mais que nous ne sommes pas en mesure d’attribuer à une fonction déterminée. Beaucoup doivent à notre avis figurer dans les accessoires de l’équipement du cavalier ou de sa monture. C’est le cas de petites pendeloques à extrémités bouletées, fréquemment étamées, ou de fragiles plaques rivetées, terminées par une boucle circulaire. On trouve aussi de nombreuses viroles ; quelques petits clous et têtes de rivets de formes variées, parfois étamés, appartiennent peut‑être à l’ornementation du harnais. Des agrafes ou cavaliers enfin peuvent avoir servi aussi bien pour la fixation de cuirs que pour celle de bois.

FIG. 151 – Objets métalliques divers : – Indéterminés (1 no 2592, 2 no 2542, 3 no 80.10.24, 4 no 650, 5 no 2264, 6 no 2340, 7 no 2633, 8 no 1945, 9 no 1728, 10 no 564, 11 sn), – cavaliers (12 no 1685, 13 no 2130, 14 no 2183, 15 no 1787, 16 no 1744, 17 no 1793, 18 no 1243, 19 no 2197), – clous de bourrelier (20 no 2562, 21 no 80.91.150, 22 no 2366, 23 no 2601, 24 no 2347, 25 no 2859). (Echelle 1/4)
3.5.3.7 Conclusion
426Le catalogue des objets de métal est donc très complet. La plupart des activités possibles sont représentées et le nombre d’exemplaires, quelquefois important pour les catégories les plus usuelles, montre bien l’homogénéité typologique. Seules quelques rares pièces (essentiellement les agrafes à double crochet et, si l’on ne tient pas compte du matériau, une fibule discoïde) sont réellement proches des types mérovingiens tardifs. Le reste, tout en traduisant une influence septentrionale très nette, est conforme à ce que l’on trouve partout en France (mottes du Nord et de Normandie, sites castraux de Saint‑Romain, de l’Isle‑Aumont, d’Andone), mais aussi en Belgique (Sugny), en Rhénanie (Haus Meer). Les armes et les accessoires d’équitation en particulier sont rigoureusement identiques à ceux que l’on trouve dans tous les sites castraux des environs de l’an Mil. En revanche, on note beaucoup de différences avec les mobiliers plus tardifs (xiie‑xiiiesiècles) découverts aussi bien régionalement qu’en Provence (Rougiers, par exemple), en Lyonnais ou en Bourgogne (Essertines‑Basses, Dracy).
3.5.4 La métallurgie du fer
427Claude Forrieres, Paul Merluzzo,
428Alain Ploquin
429Le nombre inhabituel d’objets métalliques découverts à Colletière avait, dès les premières années de fouille, posé aux archéologues la question de l’existence d’une production métallurgique sur place. L’étude de la métallurgie du fer a été suscitée par diverses données archéologiques, vestiges d’une métallurgie extractive (réduction du minerai), déchets de forge concernant en particulier l’élaboration de lames aciérées et nombreux objets en fer étamé.
430Très rapidement, l’examen des déchets métallurgiques a permis d’établir une filiation directe entre une métallurgie extractive et une métallurgie de transformation. L’étude de l’étamage est à peine abordée ici, mais quelques indices permettent de penser qu’il était aussi pratiqué sur place.
431Les techniques anciennes de métallurgie extractive ne sont pas toutes connues, en particulier celles qui concernent le traitement des loupes de fer. Certaines questions restent ouvertes et les recherches qui se poursuivent sur le matériel de Charavines peuvent encore apporter des éléments de réponse.
432Les observations métallographiques au microscope optique, confortées par quelques analyses, ont été particulièrement développées pour l’étude des couteaux et des objets tranchants. Elles donnent désormais une représentation assez précise des techniques métallurgiques utilisées, tout à fait comparables aux études effectuées sur des objets de même type et de même époque par R. Pleiner (1983) et R.F. Tylecote et B.J.J. Gilmour (1986).
433Les résultats de cette étude sont présentés selon le processus logique du travail du fer, du minerai à l’objet, appuyés sur un exposé des principes de métallurgie « ancienne ». Cette démarche un peu didactique permet d’interpréter les documents provenant de la fouille et d’étendre la portée des conclusions à une approche des techniques métallurgiques pratiquées au xie siècle.
3.5.4.1 La métallurgie extractive
Analyses chimiques des déchets métallurgiques (fig. 152a et b)
434Plusieurs kilogrammes de scories trouvés sur le site, principalement au nord et à l’ouest du bâtiment II et dans la zone de rejet, ont été immédiatement associés à une métallurgie extractive du fer, c’est‑à‑dire à la phase de réduction du minerai. L’analyse chimique confirme cette hypothèse, mais apporte aussi quelques informations complémentaires et parfois difficiles à interpréter dans l’état actuel des connaissances. Des blocs d’argile culte qui se présentent sous forme de croûtes épaisses, presque tous localisés à l’ouest du bâtiment II, entre celui‑ci et le rivage ancien, ont également été examinés et constituent certainement les seuls vestiges des structures de fourneau.

FIG. 152 – a Diagramme d’équilibre Fe0‑Al203‑Si02, avec la position des échantillons analysés. B Diagramme d’équilibre FeO‑CaO‑SiO2, avec la position des échantillons analysés.
435Quinze échantillons jugés représentatifs ont été analysés par spectrométrie d’émission au Centre de recherches pétrographiques et géochimiques du CNRS de Vandœuvre (tabl. xx a et b). Les résultats ont été traités dans le cadre de la base de données ARTEMISE‑SCORIES, qui contient actuellement 600 analyses environ. Cette banque de données permet, entre autres possibilités, d’établir une classification raisonnée des scories de fer (Ploquin, Rémy 1988 ; Forrières et al. 1989b).

TABL. XX – Analyse de divers déchets attribués à l’industrie métallurgique. Analyses effectuées par spectrométrie d’émission au Centre de recherches pétrographiques et géochimiques de Vandceuvre (CNRS). a Éléments majeurs en % pondéral. PF : pertes au feu. b Éléments de trace en ppm et occurrence.
436On peut, après un simple examen des résultats de l’analyse et des diagrammes ternaires, proposer les regroupements suivants.
Les scories de réduction
437Les échantillons nos 201, 203, 218, 219 et 363 (numérotation ARTEMISE) sont principalement constitués de fayalite (2FeO–SiO2), silicate de fer résultant de la réduction directe d’oxydes de fer en présence de silice, celle‑ci pouvant se trouver naturellement dans le minerai ou être volontairement ajoutée. Notons qu’il y a singulièrement peu d’alumine et de chaux. Ces scories bien caractérisées étaient localisées entre les bâtiments I et II, et sur le devant du bâtiment II.
438L’échantillon no 220, bien que plus calcique et alumineux que les autres, peut être aussi assimilé à la famille précédente.
Les argiles cuites
439Les échantillons nos 204, 212, 213 et 214 ont des compositions argileuses plus ou moins siliceuses. Le no 204 est assurément une « argile » (silicate d’alumine et de fer). Cet échantillon très petit, d’aspect vitreux, est peu dense et poreux. Il présente une cassure noire et brillante. Il a atteint un état pâteux et peut être interprété, mais sans certitude absolue, comme un fragment de paroi de fourneau fondu. Il y a peu d’échantillons de ce type sur le site.
440Les nos 212 et 213 sont un même sable argileux (silice, très largement prépondérante, et alumine en sont les principaux constituants), plus ou moins calciné et formant des croûtes de quelques centimètres d’épaisseur. Le no 214 est une marne siliceuse trouvée en très gros blocs non rubéfiés. Par leur morphologie, ces trois échantillons ne peuvent en aucun cas être interprétés comme des parois, mais seraient plutôt des soles de fourneaux ou de foyers.
Les autres échantillons
441Quatre échantillons seront plus difficiles à replacer dans les processus métallurgiques.
442Le no 216 est un fragment de charbon (71 % de pertes au feu, c’est‑à‑dire de carbone sous forme de graphite, le reste étant essentiellement siliceux, sous forme de quartz). Il ne peut donc s’agir de charbon de bois mais plutôt d’un reliquat non brûlé de charbon de terre (?).
443Le no 215 est un échantillon atypique : on ne peut le comparer à aucune scorie de réduction directe connue. Notons aussi qu’il contient 15 % de chaux et 15 % d’alumine, ce qui le distingue singulièrement des scories fayalitiques, mais surtout une concentration inhabituelle de MgO (7,7 %). La diffraction X indique qu’il s’agit d’un pyroxène de type diopside, avec un peu de feldspath.
444Le no 217 contient 91 % d’oxydes de fer (et 11 % de fer métal séparé avant analyse). Les pertes au feu, relativement faibles, indiquent une forte proportion de fer III (la diffraction X montre la présence de cristallisation de wustite, fayalite et magnétite dans un bruit de fond important dû au fer métal).
445Le no 362 est un déchet siliceux et ferreux, mais dans des proportions inverses de celles de la fayalite. Ce type est assez abondant sur le site (en particulier entre les bâtiments I et II), et enrobe très souvent des cailloux blancs constitués de cristobalite (une des formes de la silice). Sur les diagrammes SFC et SAF, ces déchets se distinguent nettement des argiles, des sables et des marnes.
Les produits de la réduction : fer, acier, fonte
446L’identification des « déchets » pose le problème fondamental de la production maîtrisée du fer, de l’acier et de la fonte. Une mise à jour des connaissances sur ce sujet est utile afin de situer le métal et l’objet dans leur contexte, tout particulièrement du fait de la présence de fonte parmi les déchets, qui n’est pas rare (Radwan, Bielenin 1962 ; Radwan 1966 ; Pelet 1973). La vraisemblance de l’affinage de cette fonte mérite d’être discutée. La qualité du métal est aussi examinée, ainsi que les moyens de l’obtenir et de le travailler.
447Une abondante littérature, tant sur les productions antiques et médiévales (Tylecote 1986 : 167 ; Radwan, Bielenin 1962 ; Radwan 1966 ; Pelet 1973) que sur les productions expérimentales récentes (Tylecote et al. 1971 ; Straube et al. 1964 ; Bjorkenstam 1985), atteste qu’un bas fourneau peut indifféremment produire du fer, de l’acier et occasionnellement de la fonte. Cette production est maîtrisée en partie en jouant sur les paramètres suivants :
– la forme et la dimension des fourneaux ;
– l’inclinaison de la tuyère (Pleiner 1956 ; Dumord 1876 : 176 ; Hassenfratz 1812 : 100) ;
– la ventilation et la conduite du feu (Pleiner 1956 ; Percy 1865 : 478‑483) ;
– la qualité du charbon de bois ;
– la qualité de la scorie formée, ou plus précisément le contrôle de la charge (minerai et adjuvant) (Tryon‑Montalembert 1956) ;
– les quantités relatives de charbon et de minerai (Tylecote et al. 1971). La maîtrise de l’opération s’effectue par le biais d’observations telles que (Howe 1894 : 338) :
– la descente régulière de la charge qui indique une bonne combustion et l’absence d’engorgement au niveau de la tuyère ;
– la couleur et l’allure de la flamme qui indiquent si le bas fourneau est en combustion oxydante ou réductrice ;
– la couleur interne du foyer, observée par l’orifice de la tuyère (« œil »), qui indique les températures atteintes et l’état de fluidité des scories ;
– les sondages à l’aide d’une tige de fer, qui permettent de vérifier si la tuyère est obstruée et donnent des indications sur la présence et l’emplacement du fer ; la température du foyer est appréciée par la malléabilité de la loupe.
448Les processus chimiques mis en jeu dans un bas fourneau sont, de haut en bas :
– le grillage ou la déshydratation du minerai dans la partie supérieure ;
– la réduction elle‑même dans la partie située au‑dessus de la tuyère, où circulent les gaz réducteurs (CO) ;
– sous certaines conditions, la cémentation (enrichissement en carbone ou carburation) du métal réduit au‑dessus de la tuyère ;
– une oxydation en face de la tuyère ;
– sous certaines conditions de ventilation, un affinage ou décarburation du métal réduit et agglutiné sous la tuyère ; mais sous d’autres conditions on obtiendra au contraire une cémentation.
449Les loupes obtenues se présentent alors sous forme de masses plus ou moins spongieuses, composées de morceaux de métal agglutinés, emprisonnant des scories, possédant une cohésion imparfaite et ayant des aspects et des teneurs en carbone très variables.
450On peut retenir les principes de formation décrits ci‑dessous.
451Si les conditions sont faiblement réductrices, on obtiendra un fer peu carburé. Pour obtenir ces conditions on applique une ventilation assez forte avec un charbon de bois tendre et poreux. Les gaz circulant bien, la combustion est rapide, le pourcentage de CO est faible, le minerai se réduit mal d’autant plus qu’il descend vite dans le fourneau. Si de plus la tuyère est orientée vers le bas, le métal accumulé en général en dessous (Tylecote 1986 : 132 et 181) reçoit l’air plus directement, ce qui aide à sa décarburation. Par ailleurs un fourneau peu élevé ne favorise pas une réduction complète. On choisira aussi un minerai siliceux produisant beaucoup de scories. En effet, le fer « doux » s’obtient presque toujours sous forme d’éponges, particules de fer sub‑millimétriques comme dans les pré‑réduits modernes, mais aussi centimétriques avec une géométrie très écartelée et alvéolaire, évoquant une éponge. Dans tous les cas le métal reste à faible distance de la scorie. Cette proximité se traduit par des équilibres physico‑chimiques entre les oxydes de fer et le fer métal, qui empêchent la carburation de ce dernier.
452Les scories Jouent donc un rôle important dans la production du fer. On en produit beaucoup, principalement des silicates de fer, et le rendement est médiocre.
453Le rôle de la silice est prépondérant. Trop de silice, ou trop peu, compromettent la réussite d’une réduction (Percy 1865), ce qui peut conduire éventuellement à en ajouter dans le fourneau (Tryon‑Montalembert 1956). On remarquera ici que des scories (du type de l’échantillon no 362) enrobent des cailloux de silice. On discutera plus loin de l’intérêt particulier d’un tel ajout.
454La production abondante de scories présente aussi d’autres avantages : le métal est relativement pur, c’est‑à‑dire débarrassé des éléments néfastes tels que le phosphore et le soufre. Ceux‑ci restent dans les scories ou sont simplement brûlés par l’oxygène. Il en est de même pour le manganèse, dont l’oxyde est plus stable que l’oxyde de fer (comme le montrent les diagrammes d’Ellingham) et s’évacuera avec le reste des scories. De très bonnes illustrations de ces conditions de réduction sont données par H. Cleere (1970), qui obtient des loupes de fer à partir de sidérite grillée, ainsi que par R.F. Tylecote et E.J. Wynne (1958).
455Si les conditions sont plus favorables à la réduction, on obtiendra une loupe plus compacte que l’éponge. Elle sera constituée de fer et d’acier (dans ce cas le fer se trouve sous l’acier, au contact des scories oxydantes qui ont coulé au fond du creuset), ou d’acier seulement. La compacité de la loupe est liée à une teneur en carbone plus forte qui abaisse le point de fusion du métal, ce qui rendra son agrégat plus aisé au fond du fourneau.
456Les conditions propices à la production de l’acier sont donc contraires à celles qui favorisent la production du fer ;
– une ventilation plus faible, qui implique une combustion plus lente, davantage de CO et une descente de la charge ralentie ;
– une inclinaison moindre de la tuyère ; pour augmenter les parties du « creuset » soustraites à l’action oxydante du vent, on peut aussi allonger la distance entre la tuyère et le fond du « creuset », ou prévoir un espace plus grand dans la zone d’action de la tuyère ; cela favorisera la formation d’une loupe carburée (Percy 1865 ; Pleiner 1969 ; Dumord 1876 ; Hassenfratz 1812) ;
– un fourneau plus haut qui augmentera la durée de l’action des gaz réducteurs et la température ; N. Bjorkenstam (1985) donne des indications sur les corrélations températures / teneurs en carbone, obtenues expérimentalement ;
– si cela est possible, le choix d’un minerai plus fondant, comme la minette de fer autofondante de Ludres (Tylecote 1987) ;
– du charbon de bois plus dur.
457L’action décarburante des scories peut être amoindrie par le choix d’un minerai moins siliceux, donnant moins de fayalite, ou par l’évacuation de celle‑ci. Un fondant comme la chaux, qui se substitue à la wustite (FeO) dans la fayalite (Benard et al. 1984 : 482) peut favoriser le processus, mais n’a pas été utilisé à Charavines.
458Le manganèse, présent ici en faible proportion, fluidifie les scories et affaiblit leur action décarburante. Il apporte une petite contribution à la production des loupes observées, mais ne rend en rien impossible la production d’éponges de fer.
459L’augmentation de la teneur en carbone est souvent accompagnée de celle du phosphore et du soufre.
460Un fragment de métal brut trouvé à Charavines correspond tout à fait à de telles conditions de réduction. Ce fragment de loupe (no 1257) de 143 g, d’aspect très tourmenté, présente une face plane, ce qui signifie que le métal sortant du fourneau était à une température suffisante pour qu’il soit malléable en l’absence même de martelage (environ 1 350 °C, compte tenu de la teneur élevée en carbone). L’analyse en a été faite par le laboratoire de recherche de Pont‑à‑Mousson :
– carbone : 2,13 % ;
– soufre : 0,021 %.
461L’observation d’une section polie révèle des porosités abondantes, mais petites, et des inclusions de scories résiduelles inférieures au millimètre et sans aucune organisation.
462La structure métallographique est très hétérogène, ce qui est fréquent (fig. 153). On observe essentiellement une matrice perlitique avec diverses formes de précipitation de cémentite et localement des traces de lédéburite (eutectique du mélange fer‑carbone). Cela témoigne bien de la saturation en carbone, à la limite de la fonte, puisque la lédéburite ne peut se former qu’à l’état liquide. Des zones périphériques entièrement décarburées (ferritiques) ou ayant une structure de trempe (martensitique) indiquent que ce fragment de loupe n’a pas encore été travaillé rationnellement à la forge.

FIG. 153 – Micrographies de la loupe de fer no 1257 (% carbone moyen : 2,13 : microduretés : matrice Hv100 241, aiguilles de cémentite Hv100 899. a loupe de fer ; b micrographie, G = x 725 : cémentite globularisée et en réseau ; c micrographie, G = x 64 : cémentite globularisée et en aiguilles grossières ; en périphérie, zones décarburées à structure ferritique ; d micrographie, G = x 128 : cémentite globularisée, en aiguilles fines et en réseau ; e micrographie, G = x 64 : localisée, ledeburite ; f macrographie, G = x 3,3 : section de loupe, nombreuses porosités.
clichés P. Merluzzo
463Si les conditions réductrices sont encore plus favorables, on pourra obtenir de la fonte, plus ou moins pure selon la qualité du minerai. Les fontes « accidentelles » anciennes se distinguent des fontes modernes par leur faible teneur en soufre, qui doit être associée à la nature du combustible : les charbons de bois sont moins sulfureux que les charbons de terre (Tylecote 1986 : 225). Elles contiennent aussi beaucoup moins de silicium pour des raisons de température : ces fontes sont produites à partir de 1200 °C par une cémentation excessive de l’acier déjà formé, et non par la fusion totale de la charge du fourneau. A ces températures le silicium ne diffuse pas aussi vite que le carbone dans le métal, car il n’existe qu’à l’état d’oxyde (Si02).
464Un fragment de métal non façonné (no R.1988.383) s’est révélé être de la fonte grise à graphite lamellaire. Le métal est propre, c’est‑à‑dire qu’il contient peu d’inclusions visibles au microscope, ce qui est logique puisque les scories siliceuses flottent au‑dessus du métal liquide. L’analyse (Pont‑à‑Mousson) donne :
– carbone : 3,85 % ;
– soufre : 0,036 % ;
– silice : ˂ 0,03 % ;
– manganèse : 0,05 %.
465Ces résultats sont importants car ils confirment que cette fonte est obtenue par combustion de charbon de bois (faible teneur en soufre) et que les températures de fusion ont été modestes (faibles pourcentages des éléments d’alliages, Si et Mn, qui augmentent avec la température).
Les possibilités et les choix
466Le métal le plus facile à forger est de loin le fer, qui présente par ailleurs des qualités mécaniques largement suffisantes pour l’élaboration de la plupart des outils usuels (résilience). C’est lui qui sera le plus recherché dans la conduite des fourneaux de réduction directe. L’abondance sur le site des objets et déchets de forge ayant une structure ferritique, ainsi que des scories fayalitiques, témoigne de la prépondérance de cette production de fer. L’ajout de silice observé peut être associé à une opération de réduction conduite volontairement dans ce sens.
467Mais l’acier, par ses qualités mécaniques (dureté), est indispensable. Il peut être produit directement dans les bas fourneaux, mais aussi par cémentation du fer. Cette dernière opération étant délicate, et très difficile sinon impossible pour des masses importantes de métal, il est plus avantageux de produire l’acier dans les bas fourneaux par une conduite de feu appropriée.
468L’examen structural d’objets contenant de l’acier montre que le matériau d’origine utilisé à Charavines pouvait contenir jusqu’à 2 % de carbone (tabl. xxi) c’est‑à‑dire atteindre le seuil des fontes. La production d’un tel métal ne doit pas aller sans quelques dérapages aboutissant à la production de fonte à 4 % de carbone (pig iron). Pour les mêmes raisons on peut considérer que la fonte observée fréquemment dans les terriers antiques (Pelet 1973), comme celle produite lors de réductions expérimentales dans des bas fourneaux de type antique reconstruits (Tylecote et al. 1971), sont les déchets d’une production d’acier manquée.

TABL. XXI – Analyses (en %) de carbone et de soufre de tranchants de couteaux et microduretés (analyses faites au laboratoire du Centre de recherche de Pont‑à‑Mousson par spectrométrie d’absorption dans I’I.R. après combustion).
469Ceci ne pourrait être remis en question que si l’on prouvait que les anciens forgerons savaient utiliser cette fonte, non pas sous la forme de métal coulé, puisqu’il n’y en a pratiquement pas de traces en Occident (Tylecote 1987 : 325 sq.), mais après décarburation, donc affinage.
470Aucun des principes métallurgiques évoqués précédemment ne laisse penser qu’il est avantageux de procéder ainsi, puisque les fontes ont tendance à récupérer les éléments indésirables comme le soufre et le phosphore. Cependant, si la fonte obtenue est suffisamment propre, grâce à une bonne qualité du minerai, à l’utilisation de charbon de bois et au maintien de températures suffisamment basses, ce qui est le cas à Charavines, il n’est peut‑être pas inintéressant de chercher à la décarburer, même en toute petite quantité. Les procédés ont alors pu être les mêmes que ceux qui seront utilisés quelques siècles plus tard, lorsque les quantités de métal nécessaires imposeront le procédé indirect (cf. infra).
471On trouvera dans l’ouvrage ancien de V. Biringuccio (1572) une description de l’affinage de la fonte. Un commentaire en a été fait par C.S. Smith (1964).
Premières interprétations des analyses
472Les scories fayalitiques (échantillons nos 201, 203, 218, 219 et 363) ne sont rien d’autre que des déchets de réduction directe du minerai de fer. Leurs faibles teneurs en chaux et alumine les rendent compatibles, soit avec un minerai de type sidérolitique, soit avec un minerai de type sidérite (FeC03), associé à une gangue siliceuse. Cependant, les sidérites de la région d’Allevard (par exemple) ont des teneurs en manganèse et magnésium trop fortes pour les scories de Charavines. Notons tout de même que le seul élément d’alliage significatif, mais fortuit, relevé dans les analyses de métal (tabl. xxii) est le manganèse. De la silice peut aussi avoir été ajoutée pour équilibrer la charge (cf. infra).

TABL. XXII – Analyses de divers échantillons de fer, réalisées au laboratoire des Fonderies de Pont‑à‑Mousson S.A. par fluorescence X (résultats en pourcentages).
473L’échantillon no 220 suggérerait l’usage d’un minerai plus proche des sidérites de la région d’Allevard. Il présente une tendance s’orientant vers l’échantillon 215 qui, lui, possède des teneurs en MgO et CaO évoquant des compositions de laitiers de hauts fourneaux (tabl. xxiii), ainsi que les diopsides alumineuses (type fassaïte) observées par diffraction. Ces caractéristiques nous obligent à laisser ouverte l’hypothèse d’un objet intrusif, ce qui est, d’après les archéologues, toujours possible.

TABL. XXIII – Analyse chimique de l’échantillon no 215 et fourchettes des compositions de laitiers provenant de 14 hauts fourneaux des XVIe–XIXe siècles d’après Tylecote 1986 : 217‑218.
474Les déchets très siliceux du type de l’échantillon no 362 peuvent être associés aux scories de réduction directe puisqu’un fragment de ce type était collé à un culot de fayalite (no 363). Plus généralement, ils sont associés à des cailloux siliceux non fondus. Il faut écarter l’hypothèse d’une fusion des parois de fourneaux et retenir celle de l’ajout volontaire de silice, selon des principes métallurgiques déjà évoqués. Cependant, compte tenu de leur dimension centimétrique, la fusion complète de ces cailloux ne peut se faire qu’à haute température, à partir de 1 700 °C, ce qui rend leur présence inexplicable. On peut tout de même supposer que la majeure partie de la silice était introduite sous une granulométrie beaucoup plus fine, permettant plus facilement sa fusion et donnant ensuite une « scorie » très siliceuse. Mais aucun état intermédiaire n’a été trouvé entre cet échantillon et les scories de type fayalite.
475L’échantillon no 217 pose à nouveau le délicat problème de l’affinage des loupes de fer ou, plus généralement, du métal produit dans les fourneaux de réduction. Son interprétation sera discutée plus loin.
Enquête sur le minerai
476L’identification du minerai exploité à Charavines n’est pas achevée à ce jour. On peut retenir pour l’instant les orientations suivantes.
477Les scories de réduction contenant principalement des silicates de fer sont semblables, par leur composition, à celles provenant des minerais sidérolithiques. Les limonites des gisements sédimentaires de la région (le « minerai des Chartreux ») pourraient convenir, à quelques réserves près concernant le manganèse et le magnésium.
478Un petit galet réagissant à l’aimant peut aussi constituer un minerai possible. Après un premier examen par diffraction X, il s’agirait d’un agrégat constitué principalement de quartz et de magnétite, auxquels s’ajoutent en plus faibles proportions de l’hématite, des sidérites et du mica (ou illite). L’analyse complète et détaillée de cet échantillon est en cours. Si elle confirmait que le constituant majeur est de la magnétite, un ajout de silice serait justifié pour faciliter la réduction et la production de fer. En général les grains de magnétite sont drainés par le ruissellement des eaux et s’accumulent dans le lit des rivières. Une vérification géologique doit être entreprise, pour savoir si les cours d’eau de la région recèlent de tels nodules.
479L’échantillon no 220 est différent des autres par la présence de Cu, Al, Mg, Ca, Na, K et Ba, et peut provenir d’une sidérite. La teneur en MnO (0,17 %) est cependant trop faible pour les sidérites locales. En effet, d’après Cabrol et Dabrowsky (1968), les sidérites d’Allevard contiennent 1,5 % de Mn, et celles de Saint‑Georges, 5 %.
480La tradition écrite atteste une métallurgie régionale de grande qualité, liée notamment à une forme altérée des sidérites, la « mine douce ». J. Percy (1865 : 590‑597 et 608) fait état du fer spathique pur ou sidérose de l’Isère (Allevard, Vizille, Fayard, Articol...), mais aussi de carbonate décomposé, « mine douce » dérivant des sidéroses par leur transformation en peroxyde (Fe203). Pour cette « mine douce » il écrit : « C’est un minerai excellent, en général fort riche, très facile à fondre et donnant des produits d’élite. » Des compositions chimiques sont données, mais comme dans le cas des sidérites, les concentrations en manganèse dans les scories de Charavines sont trop faibles pour un tel minerai.
3.5.4.2 L’affinage et la qualité du métal
481Avant d’aborder l’examen structural d’objets finis, il est nécessaire de porter un regard critique sur la nature du métal utilisé et sur les moyens de l’obtenir.
L’affinage des produits bruts
482L’affinage du métal, dont il sera question ici, consiste en premier lieu à éliminer les scories prises dans la masse de la loupe, puis à homogénéiser le métal en excluant les impuretés qui peuvent se brûler au cours du travail de forge.
483En second lieu, cette même opération peut modifier le degré de carburation du métal d’origine. Dans le cas où elle s’effectue avec une combustion oxydante, on obtiendra une décarburation qui s’approche des techniques modernes d’affinage de la fonte.
484Pour traiter des matériaux aussi variés que les productions des bas fourneaux, il faut disposer de plusieurs procédés d’affinage. La littérature moderne fait état de plusieurs techniques qui peuvent s’appliquer à Charavines. On distinguera essentiellement deux cas de figure.
485Dans le premier cas, la loupe est d’abord compressée par martelage (cinglage), ce qui permet d’évacuer le maximum de scories et de donner au métal la cohésion nécessaire au forgeage. Cette opération peut se faire directement à la sortie du bas fourneau, ou après rechauffe dans un foyer de forge, ou encore dans un « foyer à recuire les loupes » dont l’archéologie fait souvent état (Pleiner 1956).
486L’affinage proprement dit est un travail de forge visant à homogénéiser et à purifier le métal. Suivant son emploi on procédera à :
a) la formation d’un lingot ;
b) un simple étirage en barre ;
c) un étirage en barres, qui seront ensuite trempées et fragmentées pour séparer les parties aciérées des moins aciérées ; en général ces parties ne se mélangent pas lors de l’étirage puisqu’elles forment des zones bien distinctes dans la loupe (Coudray 1775) ;
d) un étirage en une barre, qui est ensuite repliée sur elle‑même, soudée et à nouveau étirée, la répétition de l’opération dépendant du degré d’affinage souhaité.
487Dans le second cas, la loupe est d’abord fragmentée pour séparer les parties aciérées et moins aciérées. Ce travail est facilité si la loupe est trempée. Les morceaux de métal sont ensuite triés d’après leur pourcentage de carbone (aspect de la cassure) et débarrassés de leurs scories ;
a) puis ils sont étirés en lingots ou en barres si la masse le permet ;
b) sinon, ils seront écrasés en « galettes » qui, empilées les unes sur les autres, seront portées au feu pour être soudées afin d’obtenir une masse compacte ; cette masse pourra ensuite subir ou non un affinage, consistant en un étirage en barre qui sera travaillée comme précédemment.
488Dans les deux cas, s’il s’agit d’acier, on évitera la décarburation en le recouvrant d’une terre fusible, obtenue avec de l’argile détrempée, du sable et des scories pauvres pulvérisées (Hassenfratz 1812 : 112‑113 et Karsten 1830, t.1 : 108).
489Une petite galette (LAM 157) a été trouvée contre le bâtiment II, à l’ouest de celui‑ci, c’est‑à‑dire à proximité d’une zone déjà riche en scories et déchets divers. D’un poids de 30 g, fortement martelée et aplatie, elle semble indiquer que le dernier procédé d’affinage était utilisé. L’examen d’une section polie montre une superposition de couches différentes, due au corroyage du métal. L’examen métallographique révèle un mélange de structures directement issues de celles de la première loupe. Bien qu’encore très fortement carburé, le métal est ici en cours d’affinage et de décarburation. Cet objet, trempé à l’eau, témoigne indiscutablement des toutes premières étapes de forgeage du métal brut. Un objet comparable a été étudié à Bliesbrück (Forrières et al. 1987 : 67).
490Des fragments de lingots ou de barreaux peuvent aussi être des vestiges de l’étape suivante de ce processus d’affinage.
491L’objet no 610 est un petit parallélépipède, assez bien façonné, en acier très propre, de composition eutectoïde (0,8 % de carbone), homogène. Son examen métallographique (fig. 154a et b) montre une structure de trempe : martensite en périphérie et perlite très fine (troostite) sur matrice bainitique au centre (où la vitesse de refroidissement est plus lente).

FIG. 154 – Micrographies d’un petit lingot d’acier : a troostite sur matrice bainitique (structure interne) ; b martensite (structure périphérique).
Clichés P. Merluzzo
492La trempe est un moyen bien connu des anciens forgerons pour contrôler la qualité. Elle permet de vérifier la trempabilité de l’acier, la teneur en carbone et la finesse du grain. Toutes ces caractéristiques sont appréciées empiriquement par l’examen de la cassure du barreau, rendue possible par la trempe.
493Enfin l’objet no 1584, initialement identifié comme le contre‑fer du rabot trouvé à proximité, serait en réalité l’équivalent de l’objet précédent, en fer doux. Ce reliquat de lingot est sectionné d’un coup de tranchet à une extrémité et semble cassé à l’autre. Il a été trouvé dans le dépotoir comme beaucoup de vestiges métallurgiques.
494Ces deux objets sont manifestement des produits semi‑finis. R. Pleiner (1983) mentionne, dans une étude sur les techniques métallurgiques utilisées dans le Schleswig‑Holstein, à Haithabu, des techniques d’élaboration de lames par assemblage et soudure de petits barreaux de fer et d’acier tout à fait comparables à ceux de Charavines.
495Dans la pratique, l’observation des scories d’inclusions (morphologie, répartition) indique souvent le degré d’affinage subi par le métal :
– de grosses inclusions plus ou moins déformées ou effilées se situent dans du métal très peu corroyé, c’est‑à‑dire un fer très médiocre (exemples : fragment LAM 173, couteau no 1429) ;
– des inclusions de tailles moyennes, de formes diverses, se rencontrent dans une qualité de fer ordinaire et peuvent provenir de tous les types d’affinage ; bien sûr, si le métal a subi quelques pliages, ces inclusions seront plus uniformément réparties dans la masse ; parfois, elles forment, lorsqu’elles sont nombreuses, des alignements parallèles ou un feuilletage (ex. : couteaux no 223 et 1354) ;
– des inclusions très fines résultent de la pulvérisation de scories plus grosses ; la répartition dans la masse est un critère de la qualité et de l’achèvement de l’affinage ; ces inclusions très fines ne pourront plus être éjectées de la masse de métal, et se présenteront sous forme globulaire (Le Breton 1985) (ex. : couteaux nos 837 et 883).
496D’autre part, les loupes aciérées contiennent moins de scories que les loupes de fer, par le fait même de leur mode d’obtention, ce qui est le cas de la loupe d’acier de Charavines. On peut donc considérer que ce métal est exploitable après un affinage très sommaire.
497Pour achever la description de ces opérations d’affinage il faut envisager encore deux cas extrêmes :
– si les produits du bas fourneau prennent la forme de gouttelettes de fer noyées dans des oxydes, on peut récupérer le tout en les reportant dans un foyer de forge où l’on achèvera la réduction, éliminant les scories et soudant ensemble les particules de fer ; on parlera alors d’une seconde réduction ;
– si la production du bas fourneau est de la fonte « accidentelle », il n’est pas impossible de l’affiner ; le procédé le plus immédiat consiste à reporter cette fonte au feu (bas fourneau ? foyer de forge ? « foyer à recuire les loupes » ?) en présence de minerai ou de scories siliceuses qui, par leur action décarburante, peuvent affiner la fonte selon le principe même du puddlage ; on jouera aussi avec toutes les possibilités d’une conduite de feu décarburante.
Interprétations de quelques analyses de déchets
498Quelques échantillons de scories méritent une nouvelle tentative d’interprétation.
499L’échantillon nos 217, contenant 90 % d’oxydes de fer, présente les caractéristiques d’un métal brûlé. Son originalité provient de sa composition très voisine de celles données par Tylecote (1986) concernant des scories de puddlage et d’affinage de fonte (tabl. xxiv). L’intérêt qu’il offre est accru par la présence d’un fragment de fonte grise sur le site.

TABL. XXIV – Analyse chimique de l’échantillon no 217 et de scories de puddlage d’après Tylecote 1986 : 216.
500En examinant toutes les hypothèses possibles on peut donc se demander si nous avons affaire :
– à un traitement de loupes obtenues par réduction directe, dont le fer aurait été brûlé au cours de son affinage (cf. supra), ce qui aurait accentué la forte proportion d’oxyde de fer III ;
– à un affinage, au sens plus moderne d’une décarburation de fonte malencontreusement produite dans les bas fourneaux du xie siècle ; si c’était le cas, les 9 % de silice proviendraient d’une scorie fayalitique mise en présence de la fonte pour la décarburer ; mais cette hypothèse doit être exprimée avec beaucoup de prudence ;
– à un résidu d’affinage de fonte produite plus tardivement, auquel cas nous pourrions associer à cette intrusion accidentelle d’autres vestiges « modernes ».
501En retenant l’hypothèse raisonnable d’un affinage de loupes obtenues par réduction directe au xie siècle, se pose le problème, désormais traditionnel, de la séparation spatiale et temporelle des opérations de réduction et d’affinage et de la confusion possible des scories correspondantes. Certains auteurs attribuent en effet les culots de fayalite (en forme de « fonds d’artichauts ») à des déchets d’affinage de loupes (Keesman 1989 ; Keesman, Hellermann 1989 ; Straube 1987). En l’absence de vestiges formellement attribuables à des fourneaux de réduction (parois, tuyères...) ainsi que d’un terrier quantitativement significatif, il est impossible d’affirmer que la réduction du minerai se soit faite réellement dans l’enceinte de la station. Il n’en demeure pas moins vrai que si toutes les scories à base de fayalite devaient être attribuées uniquement à l’affinage des loupes, cette opération relèverait néanmoins de la métallurgie extractive et aurait eu lieu dans le site. De nouvelles données de fouilles permettront peut‑être de préciser l’organisation spatiale de toutes les étapes de cette métallurgie.
502L’échantillon no 215, compte tenu de ses teneurs en alumine, magnésie et chaux, se distingue des produits de réduction, mais se rapproche de l’argile reconnue dans l’échantillon no 204. Il pourrait alors s’agir du matériau d’enrobage de l’acier, quand celui‑ci doit être affiné sans être décarburé ni brûlé. On retrouve les constituants majeurs d’une argile (Al2O3), peut‑être marneuse, ce qui expliquerait la teneur élevée en chaux (no 214). On pourrait aussi remarquer la relative proximité topographique de cet échantillon avec la « galette » d’acier en cours d’affinage.
503En conclusion, on n’exclut pas la possibilité de récupération, plutôt que d’exploitation, des fontes produites accidentellement, puisque la qualité du minerai le permet.
La qualité du métal et le travail de forge
504L’étude critique des déchets et du métal, malgré toutes les réserves émises, permet de conclure qu’un relatif contrôle des procédés de réduction et d’affinage pouvait donner distinctement du fer et de l’acier, peut‑être même avec différentes nuances. Le choix du minerai n’était certainement pas fortuit, et son identification peut apporter un éclairage nouveau sur les origines d’une métallurgie locale, dont la tradition de qualité est notoire.
505Les produits semi‑finis, obtenus après affinage, ont des propriétés métallurgiques qui comptent lors du travail de mise en forme de l’objet à la forge.
506Le manganèse, élément caractéristique à Charavines, est réparti entre les inclusions et le métal (ce qui fausse l’interprétation de l’analyse, celle‑ci ayant été effectuée par fluorescence X sur toute la surface polie, de l’ordre d’1 cm2 et non par microsonde). Ces inclusions manganésées favorisent la soudabilité et piègent le soufre (pour former du MnS). Le manganèse augmente la dureté et la trempabilité du métal.
507Le soufre et le phosphore sont aussi présents, répartis entre métal et inclusions. Ces deux éléments sont fragilisants : à chaud pour le soufre (on dit que le métal est « rouverin »), ce qui nécessite certaines précautions dans les choix des températures de forgeage ; à froid pour le phosphore, qui possède aussi la propriété d’augmenter la dureté. Les teneurs jugées acceptables dans le métal sont de 0,01 % pour le soufre, de 0,025 % pour le phosphore. Lorsqu’il y a au moins quatre fois plus de manganèse que de soufre, on estime que celui‑ci est neutralisé, ce qui est le cas à Charavines.
508Les inclusions résiduelles peuvent être avantageuses, puisqu’elles facilitent les soudures (rôle de fondant). Mais elles peuvent aussi constituer des lignes de ruptures ou des zones préférentielles de corrosion. Celles‑ci donnent parfois au métal une véritable macrostructure feuilletée.
3.5.4.3 Étude structurale des objets forgés
509Si les données concernant la métallurgie extractive sont encore partielles et laissent subsister plusieurs zones d’ombre, les vestiges rendant compte d’une métallurgie de transformation du métal sont beaucoup plus probants car on peut leur attribuer une signification précise grâce à leur morphologie et à leurs structures métallographiques : toutes les étapes du travail y laissent plus ou moins leur trace.
510Ainsi, 60 objets ferreux ont été observés aussi bien au niveau macroscopique (morphologie), que microscopique (structures). Les premières observations sont effectuées à la loupe binoculaire, les secondes au microscope optique. Trois échantillons ont été examinés au microscope électronique à transmission (MET) de l’école des Mines de Nancy. Enfin, l’observation de 15 objets a été complétée par des analyses chimiques pour doser le carbone et rechercher les éléments mineurs significatifs.
Les déchets de forge
511Il s’agit d’objets métalliques désignés « fragments » par les archéologues, mais plus directement associés, après examen, à des « chutes de métal au cours d’un travail de forge » par le LAM.
512Les erreurs d’interprétation dues à la disparition d’une partie des objets par corrosion sont très réduites du fait que les eaux du lac de Paladru sont légèrement basiques, donc favorables à la conservation des métaux. Pour cette raison, les « fragments métalliques » sont vraisemblablement des objets cassés (cas très fréquent des couteaux), ou les inévitables « déchets » d’une industrie métallurgique.
513Il faut alors être prudent sur la signification de ces déchets : ils peuvent provenir de la « grande forge », ou fourneau de réduction ; mais aussi de la « petite forge » ou forge au sens traditionnel, d’une maréchalerie ou enfin d’une simple réutilisation du métal ou de la réparation d’autres objets. Pour pouvoir conclure il faut que les résultats de l’examen morphologique soient en accord avec ceux de l’examen structural.
514Un objet de forge a une signification très précise : il s’agit d’un fragment (LAM 170, trouvé à l’ouest du bâtiment I) dont la forme évoque un talon de lame de couteau. La lame et la soie étant sectionnées d’un coup de tranchet, l’objet ne mesure plus que 3 cm. Ce fragment présente cependant des ressemblances indubitables avec les couteaux. L’observation structurale conforte cette interprétation : on retrouve à l’emplacement du tranchant, non encore mis en forme, le noyau d’acier qui existe dans un grand nombre de couteaux finis (fig. 155).

FIG. 155 – Examen structural d’une chute d’ébauche de couteau.
LAM 170
Long, totale : 31 mm
Long, moyenne soie : 22 mm
Ep. tranche : 3,4 mm
Ep. Maxi soie : 4,8 mm
Larg. Maxi lame : 18 mm
Poids : 7,2 g
515Cette chute possède un corps composé de trois parties ferritiques de qualités différentes, d’après les densités d’inclusions. Les grains sont irréguliers, de grosseurs variables. Le « tranchant » d’acier est rapporté, et non traité thermiquement. Sa structure perlitique est écrouie, ce qui implique un refroidissement lent après mise en forme aux températures de forgeage.
516On ne retrouve pas l’acier dans la soie, qui est ferritique.
517D’autres déchets de forge sont nettement moins typés, essentiellement constitués de ferrite, avec parfois quelques reliquats de structures plus carburées. Ces fragments sont probablement les déchets des objets forgés. Certains sont peut‑être des objets finis, mais non identifiés (nos 1296, 2182, 2033), ou en cours de forgeage, car ils portent des marques de façonnage (nos 2114, 1688, LAM 197, LAM 175, LAM 174, LAM 163, LAM 162). D’autres enfin, par la quantité de scories qu’ils contiennent, la qualité très médiocre du corroyage, et leur absence de formes précises, font penser à du métal en cours d’affinage (LAM 173).
518La seule catégorie d’objets qu’il était possible d’échantillonner de manière acceptable regroupe les couteaux, les plus nombreux sur le site (168 à ce jour) ; 30 d’entre eux ont été étudiés, et l’on possède des ébauches et déchets attestant leur fabrication.
519L’observation structurale des tranchants d’outils, lorsqu’elle a été possible, apporte des arguments quant à leur usage et à leur interprétation.
520On peut enfin s’interroger sur la signification de l’échantillonnage choisi. Rappelons que l’observation métallographique est légèrement destructive puisqu’il faut dégager au minimum 0,5 cm2 de métal sain pour une observation correcte. De plus, il est souvent nécessaire d’effectuer plusieurs prélèvements sur un même objet afin de pouvoir donner une appréciation sur l’élaboration de l’objet entier. Dans ces conditions, il devient impossible d’échantillonner toutes les catégories d’objets.
Les techniques de forge
521L’étude structurale rend compte de la quasi‑totalité du travail du métal. Après l’élaboration de ce dernier, il convient de connaître les principes qui gouvernent la mise en forme de l’objet. Parmi eux, seules la soudure et la trempe sont importantes pour décrire ce qui semble le plus représentatif des techniques de forge utilisées à Charavines.
522Les soudures : pour assembler deux morceaux de fer à chaud il est nécessaire qu’ils soient portés à une température uniforme proche de celle du blanc soudant et que les surfaces à mettre en contact soient portées au blanc soudant, voire au blanc étincelant dans le cas de pièces minces. Les températures correspondant au blanc soudant varient en fonction des teneurs en carbone : de 1 400 à 1 500 °C pour le fer, de 1 200 à 1 350 °C pour un acier à 1 %.
523Pour rendre fusibles les oxydes de fer qui se forment à la surface des pièces dans le foyer et qui gênent la soudure, il est nécessaire que ces surfaces soient enrobées d’un fondant, constitué d’argile diluée dans l’eau, de scories très siliceuses réduites en poudre, ou de sable. Le composé formé sera expulsé lors du martelage. Les inclusions naturellement présentes dans le métal peuvent aussi jouer le rôle de fondant. Si les oxydes ou les silicates ne sont pas bien éliminés ou évacués, ils fragiliseront la soudure.
524On donne des formes particulières aux morceaux qui doivent être assemblés. Les plus courantes à Charavines sont les soudures « en gueule de loup » et « par amorce » (ou » en bec de flûte ») (fig. 156). Ces dernières ont l’avantage de permettre une meilleure évacuation des silicates.

FIG. 156 – Structures d’assemblage fer‑acier de couteaux (1 no 2105, 2 no 867, 3 no 223, 4 no 1719, 5 no 1406, 6 no 1316, 7 no 837, 8 no 283)
cliché P. Merluzzo
525En microscopie, une soudure se remarque par différents indices :
– un alignement d’inclusions d’autant plus discret que la qualité de la soudure est bonne (pointe no 1736) ;
– une ligne de décarburation, très visible pour les aciers, qui résulte du rôle décarburant des silicates formés par le fondant (couteau no 837) ;
– une zone de diffusion du carbone dans les bonnes soudures ; on peut observer ce phénomène sur les couteaux 1406 et 1414 ; une absence de diffusion se remarque sur le couteau no 283 ;
– un changement de structure (couteau no 1414), comme parfois une zone de surchauffe qui donne une structure de Widmanstâtten.
526On retrouve le mécanisme de la soudure dans la formation de la loupe et dans son affinage. Les produits obtenus peuvent être considérés comme des produits soudés, mais dont la trace s’est estompée sous l’action homogénéisante du corroyage et de la chaleur. Seules de grosses inclusions de scories résiduelles peuvent les signaler, ainsi qu’un changement de structure. Il est donc parfois difficile de les distinguer de celles qui proviennent de l’assemblage volontaire de pièces différentes.
527La plupart des soudures observées sur les lames de couteaux traduisent des assemblages volontaires, à l’exception des lames 2105 et 1429.
528Dans le cas des assemblages fer/fer, que l’on retrouve en particulier dans le corps des couteaux, les indices tels qu’alignements d’inclusions ou changements de grosseur de grain ne sont pas exclusivement le résultat d’une soudure, mais peuvent être celui d’une déformation à chaud, d’une ségrégation, d’une décarburation localisée (Habraken, Brouwer 1966, t. I).
529Les assemblages fer/acier s’identifient aisément dans le corps des lames et à l’interface corps/tranchant. Techniquement, ils présentent certaines difficultés du fait de différences dans les pourcentages de carbone, et donc dans les températures de fusion. Il est important d’éviter la décarburation de l’acier, d’où l’emploi d’une terre fusible protégeant de l’oxydation. De telles soudures peuvent provenir d’une des étapes du corroyage mais surtout d’une fabrication plus recherchée du corps de la lame à partir de produits semi‑finis, c’est‑à‑dire d’une composition un peu « savante » à partir de barres de fer et d’acier (Pleiner 1983), ou encore de l’assemblage du corps et du tranchant.
530Les assemblages acier/acier sont plus rares et se situent parfois dans le corps des lames et dans les tranchants. Une ligne de décarburation très caractéristique les signale.
531L’observation des soudures, associée à celle des structures et des inclusions, peut nous renseigner sur le degré d’affinage et le mode de fabrication de la pièce. C’est enfin un critère de qualité.
532Les traitements thermiques (tabl. xxv) sont destinés à améliorer les qualités mécaniques de l’acier et consistent essentiellement en un refroidissement rapide (trempe) suivi d’un chauffage contrôlé (revenu).

TABL. XXV – Tableau récapitulatif des microduretés de tranchants de couteaux (et objets tranchants). Microduretés Vickers établies sous une charge de 100 g. Nombre d’échantillons : 31. No 2009 : éclat d’épée ? No 1736 : pointe de flèche ou d’outil ? LAM170 : ébauche de couteaux. * : pas de structure de trempe. • : perlite globulaire.
533A Charavines, tous les tranchants de couteaux ont subi un traitement thermique, sauf la lame 1429 qui a une structure ferrito‑perlitique. Leurs structures sont :
– martensitiques (no 1736, pointe d’outil ou de couteau, et no 1854), avec des duretés de l’ordre de 900 Hv ;
– bainitiques, ou martensitiques revenues, pour les tranchants des lames nos 1718, 1316, 248, 692, 728, 2331, 2341, 1406, 1426, 283, 837, 883, 1719, 1668, 1404, 245 et 1687, avec des duretés situées entre 400 et 600 Hv pour la plupart ;
– un mélange de ferrite et de carbures coalescés pour les lames nos 1354, 233, 2009, 242, 867, 1786, 2312, 1340 et 1684, dont les duretés sont situées entre 100 et 300 Hv.
534L’observation au MET des structures des tranchants des lames nos 1414 et 283 révèle des formes aciculaires bainitiques dans lesquelles des carbures très fins ont précipité suivant un angle de 60°, anciens joints de macles de l’aiguille de martensite. Ces structures bainitiques sont donc le résultat d’une martensite revenue. La cémentite coalescée provient d’une température de revenu trop élevée ou d’une absence de traitement.
535On peut remarquer que pour des teneurs en carbone supérieures à 1 %, les variations de duretés sont faibles à température de revenu donnée, et cela d’autant plus que cette température est élevée (fig. 157). On peut donc dire que les lames nos 283, 1719 et 1668, qui ont des teneurs en carbone très différentes (supérieures à 1 %) et des duretés pratiquement équivalentes, ont été soumises à la même température de revenu.

FIG. 157 – Diagramme de revenu des aciers au carbone.
536D’autre part, les traitements thermiques sont effectués sur toute la lame, car on observe des structures trempées et revenues dans le corps du couteau lorsque celui‑ci possède des parties aciérées (lames 283, 1406...). On ne pratique donc pas de trempe sélective, procédé qui consiste à protéger, avec un enduit argileux, le corps qu’on ne veut pas tremper.
537Les nombreuses lames aux tranchants de faible dureté (moins de 200 Hv) peuvent provenir d’un revenu maladroitement conduit qui aurait détruit le traitement thermique. En effet, pour une teneur en carbone de 0,7 % (cas des lames nos 242 et 867) une trempe à l’eau donnerait une martensite de dureté de 800 Hv. La dureté observée de 100–120 Hv indique, par le même diagramme, que le revenu s’est fait à une température trop élevée (supérieure à 600 °C). Ces faibles duretés peuvent aussi résulter d’un simple traitement de globularisation, sans trempe.
538La trempe se fait toujours à des vitesses de refroidissement élevées, à partir d’une température d’austénitisation dépendant du pourcentage en carbone et de l’ordre de 900 °C. L’écrouissage à froid du métal affine le grain, engendre des macles et favorise la formation d’une structure très fine, lors de la trempe.
539La température d’austénitisation peut être supposée à peu près constante, ainsi que les vitesses de refroidissement, dues à une trempe à l’eau, puisque les lames sont d’épaisseurs voisines ; le taux d’écrouissage moyen est lui aussi constant puisqu’il est contrôlé par le forgeron. Le paramètre le moins contrôlé par l’artisan reste le pourcentage en carbone.
540A Colletière, les aciers utilisés sont plutôt à haute teneur en carbone, qui donneront une trempe toujours dure ; les températures de revenu doivent être bien régulées pour donner des duretés groupées dans la fourchette des 400‑600 Hv.
541Quand l’un de ces paramètres change, la qualité de la trempe n’est plus la même et le forgeron doit l’apprécier pour la réussite du revenu. Il peut connaître la trempabilité de l’acier qu’il utilise par la trempe préalable du lingot (no 1257), mais aussi par le comportement des oxydes (calamine) à sa surface. S’il n’adhère pas au métal, l’acier prend bien la trempe. En effet, ce phénomène est lié à l’augmentation de volume accompagnant la transformation martensitique : la calamine se craquèle, alors qu’elle adhère fortement si l’acier prend mal la trempe. On peut faire cette observation directement sur le tranchant du couteau trempé.
542En résumé, dans le cas de Charavines, les fortes teneurs en carbone des tranchants facilitent leur trempabilité, et la dureté mesurée dépendra de la température de revenu. Mais le bon groupement autour des valeurs 400‑600 Hv indique que cette température de revenu était relativement bien contrôlée.
543Il existe cependant une forte proportion de tranchants de faible dureté, dont il faudra vérifier si elle résulte d’un revenu trop fort (la microscopie électronique révélera s’il existe des reliquats de structure de trempe). Dans ce cas, nous pourrons apprécier les limites techniques des forgerons de Charavines.
544Il est intéressant de remarquer que A. Bouchayer, dans la lignée d’une tradition orale, signale que la qualité des eaux de la Fure était appréciée dès le Moyen Age pour la trempe des épées (Bouchayer 1927). Cette affirmation a été confirmée par l’enquête orale auprès des derniers taillandiers des forges du Guillermet, qui connaissaient et utilisaient traditionnellement les eaux de certaines sources (rens. M. Colardelle et E. Verdel).
545D’autres auteurs soulignent l’importance de la trempe dans l’évolution des techniques métallurgiques. G. Mc Donnel (1989), dans une étude de tranchants d’armes provenant de Grande‑Bretagne, attribue à une influence germanique l’évolution des techniques de trempe, qui se traduit par des duretés moyennes d’acier présentant un maximum pendant le haut Moyen Age :
– 270 Hv pour la période romaine ;
– 463 Hv aux ve‑xe siècles ;
– 373 Hv aux xie‑xiie siècles ;
– 363 Hv aux xiiie‑xivesiècles.
546A titre indicatif, la moyenne des duretés de tranchants à Charavines se situe à 408 Hv.
La coutellerie, examen structural et étude de la qualité
547L’observation structurale de plus de 30 couteaux ou objets tranchants permet d’avoir une idée très précise de la technicité des forgerons de Colletière. On peut la comparer à celle d’autres forgerons médiévaux sur des sites divers (Pleiner 1983 ; Tylecote, Gilmour 1986 ; Mc Donnel 1989 ; Piaskowski 1989 ; Tholander 1989).
548Si l’on devait esquisser une typologie structurale des lames, elle ne pourrait s’établir que sur l’organisation générale du corps de la lame qui présente la plus grande variété et peut témoigner, quelquefois, d’un soin particulier dans son élaboration. Sur certaines lames, on peut reconnaître à l’œil nu cette répartition fer/acier par des teintes différentes des produits de corrosion ou par des degrés différents de l’attaque. Les tranchants présentent moins de diversités, et les qualités de trempe ne constituent qu’un critère secondaire de classification.
549La qualité d’une lame de couteau peut être jugée par le degré d’affinage du métal, par la qualité des soudures, de la trempe, et enfin par l’assemblage des éléments soudés qui influent sur les caractéristiques mécaniques.
550Le fer est généralement très chargé d’inclusions de scories résiduelles, reliquats des scories contenues dans la loupe ou dans les produits affinés. La distribution irrégulière de ces inclusions dans le corps d’une grande majorité de couteaux prouve un affinage des loupes de fer assez moyen. Il existe cependant quelques objets fabriqués avec un fer bien affiné.
551L’acier est généralement plus propre que le fer, ce qui provient, nous l’avons vu, de la formation même de la loupe d’acier dans le bas fourneau. Les observations faites sur la loupe (no 1257) laissent penser qu’un affinage très poussé n’était pas nécessaire pour obtenir une qualité de métal comparable à celle du petit lingot (no 610), pourtant très propre.
552Les traitements thermiques donneront les caractéristiques mécaniques souhaitées aux tranchants (dureté et résilience) qui devront s’équilibrer avec les caractéristiques du corps des couteaux (résilience et élasticité).
Lames nos1718 et 283 (fig. 158) : alternances régulières fer/acier
553Ces deux lames ont des macrostructures remarquables par leurs alternances de fer et d’acier, rappelant les damas mérovingiens. L’affinage du métal est cependant moins bon que pour les deux lames suivantes, du fait de la taille plus importante des inclusions. Les structures sont ferritiques, ferrito‑perlitiques pour les corps et martensitiques revenues pour les tranchants. Le tranchant du couteau 1718, peu volumineux, est tenu par une soudure en gueule de loup, très propre, mais n’a qu’une dureté de 348 Hv. Celui du couteau 283 est tenu par une soudure en amorce, pour une dureté de 538 Hv, et représente presque la moitié de la largeur de la lame. Ces lames sont parmi les plus achevées par la qualité du forgeage, des soudures, et probablement par leurs qualités mécaniques.

FIG. 158 – Examen structural du couteau no 1718
LAM 190
Long, totale : 159 mm
Long, moyenne soie : 32 mm
Ep. tranche : 1,2 mm
Ep. Maxi soie : 2 mm
Larg. maxi lame : 19 mm
Poids : 14,5 g
cliché P. Merluzzo
Lames nos 837 et 883 : corps composé d’éléments très bien affinés
554Ces deux couteaux sont de facture assez voisine. Leur corps est constitué de plusieurs éléments distincts de fer et d’acier (6 et 5 respectivement), assemblés et soudés très soigneusement. Le métal est bien affiné dans l’ensemble compte tenu de la taille moyenne et de la répartition homogène des inclusions. Les structures sont ferritiques, bainito‑ferritiques et bainitiques, ce qui signifie que les couteaux ont pris entièrement la trempe. Les tranchants sont rapportés et ont une structure de martensite revenue (dureté de plus de 500 Hv). Ils ne sont pas au centre de la lame. De tous ceux qui ont été observés, ces couteaux sont les plus soigneusement forgés et se distinguent en particulier par la qualité de l’affinage.
Lame no 1414 : structures alternées plus irrégulières
555Cette lame possède de nombreuses inclusions de tailles moyennes. Elle se distingue par un corps formé de plusieurs éléments. Les soudures sont de bonne facture. Le tranchant (0,85–0,95 % de carbone, dureté de 630 Hv) présente une structure à matrice bainitique provenant d’une martensite revenue avec de la cémentite globulaire et en plaquettes, ressemblant à la structure du tranchant de la faucille no 1854. Il faut remarquer qu’une partie du corps, carburé, n’a pas subi de traitement thermique, et possède une structure ferrito‑perlitique.
Lame no 1786 (fig. 159) : corps composé sans régularité
556Cette lame se distingue des autres par sa constitution en quatre parties : trois ferrito‑bainitiques et une ferritique formant le talon. Le tranchant peut être constitué par les parties ferrito‑bainitiques ou par une pointe rapportée. L’assemblage est‑il volontaire ? Les observations ne sont pas assez précises pour nous donner une réponse. Les soudures sont de bonne facture ainsi que le métal. La partie extrême du tranchant ne se distingue pas par sa dureté (153 Hv), ce qui surprend compte tenu de la qualité du reste de la lame.

FIG. 159 – Examen structural du couteau no 1786
LAM 193
Long, totale : 213 mm
Long, moyenne soie : 54 mm
Ep. tranche : 1,4 à 3,3 mm
Ep. Maxi soie : 3,15 mm
Larg. Maxi lame : 18 mm
Poids : 27,2 g
cliché P. Merluzzo
Lames nos 1406 et 2331 : corps avec des structures fer/acier très mêlées
557Celles‑ci sont de très bonne facture, malgré la présence d’inclusions de tailles moyennes. Les corps sont constitués d’un entrelacs, très intime pour la lame 1406, un peu moins pour 2331, de parties aciérées et ferritiques, rappelant un damas, résultat d’un bon travail de forge. Les soudures « en amorce » sont bien faites, et fixent un tranchant de grande taille (1/3 de la lame) pour 1406, de taille normale pour 2331. Les duretés, de 531 Hv et 406,5 Hv respectivement, sont situées dans la moyenne et résultent d’une martensite revenue.
Lames nos 1316 et 1719 : structures en bandes
558Ces deux lames ont la particularité de présenter dans leur corps des structures en bandes alternées de ferrite et bainite, qui proviennent peut‑être de pliages du métal puisque l’on peut deviner des lignes de soudure dans le corps du 1719. De ce fait, les inclusions sont de tailles plus petites que la moyenne et se trouvent assez bien réparties dans toute la masse. Les tranchants, rapportés et soudés en amorce, ont une dureté moyenne et sont composés de martensite revenue.
Lames nos 223 et 1354 : structures feuilletées
559Le nombre important de scories d’inclusions de formes allongées donne un aspect feuilleté au corps des lames et donc des caractéristiques mécaniques médiocres. Les structures sont entièrement ferritiques, à gros, moyens et petits grains de formes irrégulières, ou ferritiques avec des zones aciérées ayant subi le même traitement thermique que le tranchant 223. Les tranchants, rapportés par soudure « en gueule de loup » sont de mauvaise facture, de faible dureté et de structure globulaire. Ces lames sont de qualité inférieure à la moyenne.
Lames nos 1426 (fig. 160), 692 et 728 : lames de qualité moyenne avec de bons tranchants

FIG. 160 – Examen structural du couteau no 1426
LAM 146
Long, totale : 180 mm
Long, moyenne soie : 41 mm
Ep. tranche : 1,2 à 1,76 mm
Ep. maxi soie : 2,55 mm
Larg. maxi lame : 18 mm
Poids : 14,4 g
cliché P. Merluzzo
560Ces trois lames sont d’un métal un peu plus propre que la moyenne. Leurs corps ont une structure :
– ferrito‑bainitique pour la lame 692 ;
– ferritique à grains fins et zone aciérée délimitée par une soudure pour 1426 ;
– résultant d’un montage (volontaire ou non) de parties ferritiques et ferrito‑bainitiques en bande pour 728 ; le tranchant est rapporté par soudure « en gueule de loup » pour 1426, « en amorce » pour les autres ; les duretés se situent dans la moyenne et sont respectivement de 568, 419 et 453 Hv.
Lames nos 1340, 1325, 1684, 1668, 1687, et 248 : lames de qualité ordinaire
561Les structures sont :
– ferritiques (lame 1684) ;
– ferritiques avec des zones aciérées plus ou moins larges ayant subi le même traitement thermique que le tranchant (lames 1340 et 248) ;
– avec partie aciérée rapportée (volontairement ?) (lames 1687, 1668) ;
– avec un fibrage acier/fer dont on peut encore voir les soudures sur 1325. Les soudures, assemblant corps et tranchant, sont de qualité variable :
– en amorce et de bonne facture pour les lames 1340, 248, 1687 ;
– en amorce et de mauvaise facture pour 1684 ;
– « en gueule de loup » de bonne qualité pour 1325, 1668. Les duretés des tranchants sont faibles pour les lames 1684 et 1340, bonnes pour 1325, 1668, 1687 et 248. Toutes ont des structures martensitiques revenues. En conclusion, malgré des dimensions d’inclusions moyennes, la lame 1684 est très ordinaire. Les lames 1340, 1668, 1687 et 248, ont un tranchant de bonne dureté, un corps de qualité moyenne. La lame 1325 est de bonne qualité puisqu’elle présente de bonnes soudures, une bonne dureté de tranchant, et un corps composite fer/acier.
Lames nos 1404, 1429 (fig. 161), 867, 2105 (fig. 162) et 2341 : lames de qualité médiocre
562Leur corps présente en général une forte densité de scories d’inclusions de grandes tailles. La forme et la grosseur de ces scories, massives, plus ou moins déchiquetées ou effilées, ainsi que leur nombre élevé indiquent un travail de corroyage et d’affinage très inachevé. Les scories d’inclusions de l’échantillon 1429 ne présentent pas cet allongement plus ou moins marqué, caractéristique d’un étirage. Elles ont l’aspect de blocs déchiquetés, répartis sur toutes la masse, résultat d’un simple martelage.

FIG. 161 – Examen structural du couteau no 1429
LAM 147
Long, totale : 159 mm
Long, moyenne soie : 35 mm
Ep. tranche : 2,4 à 3,25 mm
Ep. Maxi soie : 3,5 mm
Larg. maxi lame : 15 mm
Poids : 23,9 g
cliché P. Merluzzo

FIG. 162 – Examen structural du couteau no 2105
LAM 195
Long, totale : 194 mm
Long, moyenne soie : –
Ep. tranche : 2,4 à 4,45 mm
Ep. Maxi soie : –
Larg. Maxi lame : 24 mm
Poids : 67,2 g
cliché P. Merluzzo
563La masse de métal composant le corps est d’un seul tenant, sauf pour l’échantillon 1404 qui possède un peu d’acier vers le talon, rapporté tout à fait accidentellement. Les structures sont ferritiques, ferrito‑bainitiques pour l’échantillon 2341 dont le corps est un mélange hétérogène fer/acier. Conséquence d’un affinage médiocre, les structures ne présentent aucune continuité. Des grains de ferrite aux contours irréguliers et de toutes tailles s’y succèdent.
564Les tranchants sont en acier non rapporté pour les lames 2105 et 1429. Elles sont fabriquées d’une seule pièce, et proviennent certainement d’un bloc de métal dont la partie aciérée a été forgé de manière à ce que celle‑ci se retrouve au tranchant. Le tranchant 1429 n’a pas subi de traitement thermique et possède donc une structure ferrito‑perlitique. L’autre (no 2105) a subi un refroidissement relativement rapide : ferrite en structure de Widmanstâtten sur matrice perlitique/bainitique. Les autres tranchants sont en acier rapporté par soudures « en amorce », de bonne facture, et traité thermiquement (structures bainitiques, pour les lames 1404, 2341, globulaires et de faible dureté pour 867).
Lames de faucille nos 1854 (fig. 163) et 2078
565Les deux lames sont très différentes. L’une (no 2078) est exclusivement ferritique, avec des inclusions allongées de densité moyenne, quelques‑unes assez grosses. Sa structure, formée de grains de ferrite fins et moyens, présente un feuilletage, plutôt qu’un fibrage, du fait des inclusions. Sa qualité est moyenne.

FIG. 163 – Examen structural de la faucille no 1854
LAM 184
Long, totale : 163 mm
Long, moyenne soie :
Ep. tranche : 2,6 mm
Ep. maxi soie :
Larg. maxi lame : 29 mm
Poids : 39,4 g
cliché P. Merluzzo
566L’autre (no 1854) a un corps sur lequel est rapporté un tranchant (à peu près 1/3 de la lame), peut‑être fabriqué en deux parties (?). La qualité de l’ensemble, corps, soudure, tranchant est exceptionnelle. Le fil du tranchant est extrêmement dur (959 Hv), de structure martensitique très fine. Le corps plus tendre (384 Hv) est composé d’une matrice perlitique ou bainitique très fine (non résolvable au microscope optique) dans laquelle se trouvent répartis des carbures très fins de cémentite en globules ou en plaquettes (cette structure ressemble à celle du tranchant 1414). La transition entre ces deux structures est marquée par des îlots de troostite (trempe sélective ?). Le corps présente une structure ferrito‑perlitique ou ferrito‑bainitique très fine et pratiquement homogène, résultat d’un bon corroyage. Les inclusions sont en majorité très fines, réparties suivant les fibres dues au forgeage.
Conclusion
567On retiendra de cette étude structurale détaillée des lames deux idées essentielles :
– la relative constance dans l’utilisation de certaines techniques comme la soudure de tranchants d’acier rapporté et la trempe, ce qui indique bien un certain niveau de technicité ; dans cet ordre d’idée, Piaskowski (1989) signale par exemple qu’avec la civilisation slave les méthodes de forgeage changent puisqu’on soude l’acier au fer, alors qu’auparavant on pratiquait la cémentation ; pour l’usage de la trempe, nous avons déjà mentionné l’étude de Mc Donnel (1989) ;
– les lames ne sont pas pour autant de la même facture ni de la même qualité ; on peut l’expliquer de deux manières, entre lesquelles il nous est difficile de choisir ; ces disparités peuvent provenir de l’activité de plusieurs forgerons d’une même école mais d’habileté inégale, ou bien correspondre à des couteaux destinés à des usages spécifiques nécessitant des qualités différentes ; on remarque alors que les couteaux sont pratiquement tous du même type (à quelques exceptions près), donc devaient être polyvalents, et on ne voit pas pourquoi ils présentaient de telles différences de qualité mécanique.
568Pour mieux situer la qualité métallurgique des couteaux de Charavines, on pourra se référer à l’ouvrage très développé de R.F. Tylecote et B.J.J. Gilmour (1986) et à l’article de R. Pleiner (1983) sur la métallurgie à Haithabu.
569Dans la première publication, les auteurs distinguent bien les productions de fer et d’acier et estiment que ce dernier était bien souvent importé de Suède, de Russie ou d’Espagne à l’époque médiévale, parce que ces aciers étaient moins phosphoreux que ceux d’Angleterre. Ces considérations justifient la pratique de la soudure du tranchant au corps de la lame. On trouvera aussi dans cet ouvrage de nombreuses descriptions de structures de lames, dont certaines sont très proches de celles observées ici.
570La seconde publication permet des comparaisons avec les plus belles lames provenant de Charavines et R. Pleiner explique leur élaboration à partir d’un assemblage de plusieurs pièces de fer et d’acier soudées ensemble.
Les armes
Les carreaux d’arbalète
571Deux carreaux d’arbalète (1296 et 1749) ont été examinés. Le premier présente une structure désordonnée acier/fer et n’a pas de pointe aciérée rapportée. L’autre est entièrement ferritique et n’a pas de noyau en acier rapporté.
Les fragments d’épée
572Seul l’objet no 1187 (fig. 164) a une microstructure conforme à ce qu’on peut attendre d’une pointe de lame d’épée de bonne qualité. Ce fragment cassé de 28 mm de longueur a été observé dans un plan perpendiculaire au grand axe de la lame, à 3 mm de la cassure. L’examen métallographique montre un noyau ferritique entièrement enrobé d’acier d’une dureté moyenne de 452 Hv. La forme du fragment peut tout à fait être celle de l’extrémité d’une épée et sa cassure est justifiée par la présence de l’acier.

FIG. 164 – Examen structural de la pointe d’épée no 1187
LAM –
Long. totale : 28 mm
Larg. maxi : 17 mm
Ep. maxi : 6 mm
Poids : 7,1 g
cliché P. Merluzzo
573Le fragment R1987‑242 présente un tranchant sur l’un de ses côtés et des cassures sur les autres. Il s’agit d’un acier à 0,66 % de carbone où la cémentite est très globularisée et particulièrement précipitée aux joints de grains, ce qui fragilise le métal, bien que la dureté à la pénétration soit très faible (100 Hv). On peut donc penser à un outil tranchant, dont le traitement thermique a été mal contrôlé, et qui se serait cassé à l’usage. On ne peut rejeter non plus l’hypothèse d’un éclat de tranchant d’épée ayant reçu un mauvais traitement thermique.
574Le fragment R1987‑245 présente aussi une arête tranchante. L’examen métallographique est plus riche que le précédent puisqu’il révèle une macrostructure très élaborée constituée d’une pièce d’acier centrale à 0,93 % de carbone, symétriquement flanquée de deux pièces d’acier moins carburé. Le traitement thermique a été tel que l’acier du tranchant est plus dur (663 Hv) que l’acier latéral (560 Hv). Un métal de ce type peut donc se casser à la suite d’un choc. L’élaboration déjà complexe d’un tel objet peut correspondre à celle d’une lame d’épée. Mais le traitement thermique est ici un peu trop poussé.
575On retrouve cette situation pour les deux fragments de forme semblable nos 1736 et 2312 qui se présentent comme des pointes symétriques à deux tranchants et dont la morphologie évoque des pointes de flèche, de lance, mais aussi d’épée.
576Le no 1736 (fig. 165) est constitué d’acier de composition eutectoïde (0,8 % de carbone), trempé, de structure martensitique non revenue (929 Hv). On observe une soudure dans le plan médian. Cette absence de revenu de trempe est étonnante pour une pointe d’épée, arme destinée à recevoir des chocs. Il peut s’agir d’une faiblesse accidentelle de la lame. On pourrait penser aussi à une pointe d’outil pour percer, manié sans percussion, mais on n’en connaît pas qui ait cette forme.

FIG. 165 – Examen structural du fragment d’épée (?) no 1736
LAM 165
Long, totale : 28 mm
Larg. maxi : 11 mm
Ep. maxi : 3,6 mm
Poids : –
cliché P. Merluzzo
577Le no 2312 est en acier à cémentite globularisée, ce qui lui confère une dureté assez faible (148 Hv), pouvant résulter d’un revenu de trempe trop prononcé.
578Enfin, le fragment no 2009 (fig. 166) présente aussi une arête tranchante mais sa structure perlitique globularisée et sa faible teneur en carbone (non dosée mais appréciée par examen structural) n’en font pas un tranchant de qualité comparable à ceux de la majorité des couteaux.

FIG. 166 – Examen structural du fragment d’épée (?) no 2009.
LAM 166
Long, maxi : 28 mm
Larg. maxi : 19 mm
Ep. maxi : 4,6 mm
Poids : 5,97 g
cliché P. Merluzzo
579Tous les fragments décrits ci‑dessus, à l’exception du dernier, ont manifestement des qualités métallurgiques bien supérieures à celles des carreaux d’arbalète :
– teneurs en carbone compatibles avec des tranchants de lames, par comparaison avec ceux des couteaux ;
– métal particulièrement bien affiné ;
– macrostructures élaborées pour les nos1187, 1736 et R1987‑245.
580On retrouve donc des caractères observés sur les plus belles lames de couteaux. Mais la même objection s’impose en ce qui concerne la non‑constance des traitements thermiques. Avant d’attribuer tous ces fragments à des éclats d’épée, il faut bien remarquer que de telles armes tolèrent mal des faiblesses métallurgiques. On sait par ailleurs qu’à Charavines la simple coutellerie pouvait être de bonne qualité. Dans ces conditions nous désignerons avec certitude comme « fragment d’épée » le no 1187 uniquement, et proposons cette hypothèse pour les autres fragments.
3.5.4.4 Les états de surface et les traces
581Les objets en fer ont tous été très bien conservés et les couches de corrosion sont minces, de l’ordre de quelques dixièmes de millimètres sous l’épiderme. Cette surface dégagée est très généralement en magnétite. Au‑dessus, une simple couche de carbonate de calcium et de fer porte souvent l’empreinte de végétaux, ainsi que quelques oxydes par endroits et toujours en faible épaisseur. On n’observe jamais de géodes de magnétite ni de gangues épaisses comme sur la plupart des objets provenant de fouilles terrestres. La corrosion est stable et à de rares exceptions près les chlorures sont absents. C’est évidemment ce bon état général de conservation qui a rendu possible la présente étude.
L’étamage
582Le problème de l’étamage est posé a priori par la présence d’un grand nombre d’objets présentant ce traitement de surface. Parmi eux on note des éléments de harnachement (mors no 720, élément de harnais no 564), divers éléments décoratifs comme des appliques (nos240, 74.51.144) ou une plaque‑boucle (no 8), mais aussi des objets inhabituels pour ce type de décoration, comme des clés (799, 804, 805 et 816) ou des petites plaques (811 et 881).
583L’étamage assez exceptionnel de ces derniers objets peut effectivement conduire à poser une série de questions :
– utilité de ce type de traitement pour des objets rustiques ;
– spécificité locale de ce traitement, à associer aux autres activités métallurgiques ;
– dans l’affirmative, quels étaient les moyens mis en œuvre, et d’où venait l’étain ?
584Hormis les objets mentionnés ci‑dessus et quelques autres, deux éléments seulement apportent pour l’instant une argumentation en faveur d’une pratique locale de rétamage :
– quelques gouttes de métal blanc (deux ou trois grammes au total) ; l’analyse qualitative par microfluorescence X, au microscope électronique à balayage, donne une composition étain/plomb où l’étain est prépondérant ;
– des traces d’un métal blanc coulé sur le corps de la lame du couteau no 883, sur quelques millimètres carrés ; ce métal n’a pas été analysé mais tout porte à penser que c’est le même.
585L’observation directe des objets étamés montre que l’épaisseur d’étain déposé est de quelques dixièmes de millimètre et qu’elle provient d’un étamage au bain et non d’un étamage par dépôt électrochimique (en présence de tartrate de potassium ou « pierre de vin »). Les gouttes d’étain étudiées se sont peut‑être perdues au cours de l’opération.
586L’étude, à peine esquissée, devrait permettre de comprendre pourquoi l’étamage est plus répandu qu’ailleurs et s’il avait un but décoratif ou fonctionnel (protection contre la corrosion).
Usure des couteaux
587L’observation des traces d’usure sur les tranchants des couteaux n’est pas toujours possible, ceux‑ci étant très fins et très fragilisés par la corrosion. Ils sont de ce fait souvent détruits, du moins au voisinage du fil de la lame. Cependant, on peut observer sur certains d’entre eux une usure macroscopique caractérisée par une concavité, souvent irrégulière, de la ligne du tranchant (nos 1414, 1429, 837, 1684, 692, 1668). D’autres, typologiquement comparables, montrent au contraire une très nette convexité de leur tranchant (nos 1718, 1786, 728, 1316, 1406, 1426).
588D’autre part, on retrouve très fréquemment une couche d’oxydation noire, brillante et lisse (magnétite) qui caractérise la surface, certainement polie d’origine. L’identification de cette surface permet bien la distinction entre l’usure et la corrosion. On peut observer sur presque tous les couteaux des rayures perpendiculaires au tranchant vraisemblablement produites par un affûtage. L’étude détaillée de ces traces pose pour l’instant des problèmes techniques non résolus.
Les traces d’emmanchement
589Les soies des couteaux sont façonnées directement sans reprise à la meule ou à la lime. Elles ne présentent en général, à leur jonction avec la lame, aucune amorce de rupture, mais un pincement obtenu à la forge. Elles sont généralement bien centrées sur le talon des lames, entre le tranchant et le dos. Quelques exemplaires ont une soie dans le prolongement du dos, et cette particularité est aussi accompagnée d’une forme différente vers la pointe, au dos surbaissé (no 1340). Du point de vue du forgeage, on observe souvent un enroulement du métal avant remise en forme et soudage. On peut penser que l’enroulement du métal était lui‑même précédé d’une coupe partielle au tranchet, de part et d’autre de la lame, coupe dont la trace est laissée par les pincements.
590Les soies présentent aussi une corrosion différente de celle de la lame, souvent délimitée par une ligne en relief formée d’un produit (de décomposition ?) blanc (fig. 167). Des traces de bois sont encore visibles sur certaines soies de lames et d’outils.

FIG. 167 – Corrosion différentielle sur la soie et la lame d’un couteau correspondant à l’emplacement du manche
cliché P. Merluzzo
591Pratiquement, tous les objets possédant une soie ont été montés sur un manche en bois, aujourd’hui disparu. Cette disparition peut être attribuée soit à une décomposition, bien que cela soit très surprenant puisque la plupart des objets en bois ont été parfaitement conservés dans les eaux du lac, soit à un démontage volontaire.
592Deux couteaux ont des emmanchements singuliers : le no 1311 présente une soie de 32 mm de longueur, écrasée à son extrémité comme une tête de rivet, et un autre, le no 1719, possède un manche en fer. Il est probable que ces couteaux devaient avoir un usage particulier.
3.5.4.5 Conclusion
593S’il est désormais établi qu’il y avait une forge à Charavines, et aussi une « grande forge », ou fourneau de réduction, sinon dans l’enceinte de l’habitat du moins à proximité, peut‑on caractériser les procédés métallurgiques mis en œuvre et différencier les objets manufacturés sur place de ceux provenant d’autres ateliers ?
594On remarque d’abord une grande cohérence dans les techniques qui rendent possible la fabrication des couteaux, et plus généralement des objets composites fer‑acier, puisque d’autres outils, armes et lames présentent aussi des tranchants d’acier. L’étude métallurgique de ces derniers n’a cependant pu être quantitativement aussi approfondie que pour les couteaux. Cette cohérence se manifeste par une succession logique de procédés métallurgiques que nous avons décrits et dont la mise en œuvre a été démontrée.
595Tout d’abord, signalons la vraisemblance d’une production distincte de fer et d’acier « naturel » dans les bas fourneaux. Il reste à vérifier si des minerais différents sont utilisés à cette fin. Il semble que des résultats d’analyses apportent des arguments dans ce sens (échantillon no 220), mais il faut encore confirmer le rôle de la silice dans la production du fer doux.
596L’affinage des loupes de métal conduit, lui aussi, à une différenciation très marquée des produits semi‑finis. L’importante question de la possibilité d’affiner de la fonte reste en suspens.
597En ce qui concerne les techniques de forge, l’utilisation de l’acier par soudage à des pièces en fer, comme dans le cas des tranchants de couteaux, est très courante et paraît bien maîtrisée, ainsi que la pratique de la trempe et du revenu. Tout ceci témoigne d’une très bonne connaissance des matériaux et de la manière de les travailler. Les quelques lames de couteaux ou fragments d’épées présentant des assemblages plus élaborés de fer et d’acier (tels que des damas de corroyage) constituent l’aboutissement d’un travail du métal très bien maîtrisé. Dans ces conditions on doit reconnaître aux métallurgistes de Charavines un bon niveau de technicité. Il serait abusif d’étendre de telles conclusions à tous les objets fabriqués. Certaines techniques ont un caractère exceptionnel par leur grandes qualités, mais d’autres se signalent par leur médiocrité.
598Quant à l’étamage au bain, si sa pratique est attestée, nous n’avons pas encore compris sa raison d’être. Les archéologues émettent l’hypothèse d’un double usage : décoratif pour de nombreux accessoires d’équitation et technique comme procédé de protection contre l’oxydation. Cette interprétation doit naturellement être vérifiée.
599Malgré une assez bonne définition des techniques métallurgiques utilisées, nous ne sommes pas certains de pouvoir distinguer les objets de fabrication locale des autres.
600Une première approche de ce problème résulte de l’examen de quatre lames de couteaux provenant du site voisin des Grands Roseaux. L’observation métallographique ne permet pas de distinguer des procédés d’élaboration différents de ceux utilisés à Colletière. Cette différenciation pourrait être démontrée par une analyse extrêmement approfondie du métal, objet par objet, qui permettrait aussi d’établir des filiations avec les lingots, les loupes, et le minerai s’il était identifié. L’entreprise est considérable puisque seule l’analyse par spectrométrie d’émission serait assez précise pour identifier les traceurs, présents parfois à quelques p.p.m. De plus les mesures ne seraient significatives que statistiquement, c’est‑à‑dire pour plusieurs centaines d’objets. Enfin les pollutions possibles du métal, fréquentes en métallurgie du fer, rendraient l’interprétation difficile.
601En effet, les restes des adjuvants (comme ici la silice) ajoutés à la charge des fourneaux, ainsi que des mixtures utilisées pour prévenir l’oxydation et la décarburation en cours de forgeage, perturberaient certainement l’analyse du métal, il devient difficile dans ces conditions de caractériser la production locale. En cela le fer se distingue des alliages cuivreux qui connaissent toujours une phase liquide au cours de leur élaboration, ce qui permet le démixage du métal d’une grande partie de ses impuretés. La validité d’une telle démarche analytique ne semble donc pas évidente.
3.5.5 Les objets de bois
602Pierre Mille, Michel Colardelle, Eric Verdel
603Très nombreux (1 722 ont été pris en compte dans le cadre de cette étude) et bien conservés, les objets de bois constituent la plus évidente originalité du site de Colletière. La polyvalence des fonctions des habitants est à l’origine d’une grande variété, et l’on a regroupé les objets en sept catégories d’importance inégale : objets culinaires, artisanaux et agricoles, matériel de batellerie et de pêche, articles de sellerie, armes, objets domestiques et vannerie. Leur étude est difficile. Ils sont fragmentés, souvent incomplets, et ces collections fragiles ne peuvent être commodément manipulées avant leur traitement de conservation et de consolidation. Celui‑ci nécessite des installations que le Centre d’étude et de traitement des bois gorgés d’eau (CETBGE) créé en 1978, puis l’Atelier régional de conservation (ARC‑Nucléart), qui a pris sa suite en 1989, ont mises au point à Grenoble. Le traitement requiert également des crédits que le jeu complexe des institutions (coordination musées / recherche archéologique) n’a pas toujours, loin s’en faut, permis d’obtenir. Par ailleurs, l’identification de certains objets pose problème, dans la mesure où les sites de comparaison sont souvent très éloignés (Nord de la France, Angleterre, Allemagne, Pologne, URSS) ou plus tardifs. La Grande Encyclopédie, qui décrit des outils et objets antérieurs à la révolution industrielle, était dès lors le seul instrument de référence, avec l’ethnographie. Mais on voit bien tous les aléas d’une telle méthode, du fait de la dispersion et de la faible cohérence des éléments comparatifs. Il faudra à coup sûr reprendre et compléter cette recherche, et en particulier mieux apprécier les variations, pour chaque type, de l’époque antique à l’an Mil puis de l’an Mil aux xiiie‑xive siècles pour lesquels les gisements de référence et les renseignements iconographiques deviennent plus abondants. Telle quelle, l’étude qui suit a au moins le mérite de fournir un premier aperçu, exhaustif en tout cas pour les objets identifiables et traités, de l’abondant matériel de bois qu’utilisaient les occupants de Colletière.
604Vingt‑trois espèces d’arbres ou d’arbustes ont été exploitées pour la confection des objets en bois (déterminations essentiellement dues à K. Lunstrôm‑Baudais ; cf. supra) : l’aulne, le bouleau, le buis, le charme, le châtaignier, le chêne, le cornouiller, l’érable, le frêne, le hêtre, le houx, l’if, le noisetier, le noyer, l’orme, le peuplier, le pin, le pommier ou le poirier, le prunier, le saule, le sorbier, le sureau et le tilleul.
605Mais cinq d’entre elles surtout ont été utilisées pour leurs qualités mécaniques, en fonction d’usages spécifiques : 83,3 % des objets sont en chêne, en érable, en buis, en noisetier ou en frêne (par ordre d’importance décroissante). Puis viennent, en moindres proportions, le hêtre, le saule, l’aulne, le peuplier, le charme, le sureau, le pommier ou le poirier, le prunier et le houx.
3.5.5.1 Les objets culinaires
606Six catégories d’objets ont été regroupées dans cette rubrique. Utilisés quotidiennement à table ou autour des foyers, leur nombre total est évalué à 296. Les plats et cuillères constituent la majorité d’entre eux (256), puis viennent les douelles, les couvercles et les pilons. Tous ces objets sont monoxyles sauf les seaux et les baquets qui sont assemblés.
Les récipients monoxyles
607Fig. 168 et 169
608Sur 107 fragments on peut individualiser un minimum de 68 récipients tournés ainsi que 3 formes taillées. Si de nombreux objets sont incomplets, 37 formes archéologiquement reconstituables sont à l’origine de la typologie proposée.

FIG. 168 – Récipients monoxyles : – plats (1 no 755, 2 no 1660, 3 no 84.24.34, 4 no 594, 5 no 770, 6 no 22.18.IV, 7 no 241, 8 no 949, 9 no 2389, 10 no 2127, 11 no 597, 12 no 1138, 13 no 363, 14 no 2349, 15 no 419, 16 no 55). (Echelle 1/8)

FIG. 169 – Récipients monoxyles : – plats creux (1 no 1564, 2 no 1150, 3 no 513, 4 no 1851, 5 no 2816, 6 no 1149, 7 no 2876, 8 no 2807), – assiettes (9 no 2495, 10 no 2838), – écuelles (11 no 2963, 12 no 2573, 13 no 2292, 14 no 1697, 15 no 1338, 16 no 900, 17 no 2796), – bols (18 no 1889, 19 no 1857), – jatte (20 no 1656), – coupelle (21 no 662), – forme « fermée » (22 no 2760), – fragment de plat marqué (23 no 2943), – fragments de bords et un fond (sn). (Echelle 1/8)
609Celle‑ci concerne des récipients ouverts qui représentent la quasi‑totalité du matériel étudié. Un seul récipient de forme fermée appartient en effet à cette catégorie des contenants monoxyles parmi lesquels 70 % sont des grands plats et 30 % des écuelles et assiettes de plus faible diamètre. Un premier groupe est constitué par les plats et les plats creux dont le diamètre est compris entre 29 et 41 cm pour une hauteur de 6 à 9 cm. Le deuxième groupe comprend les assiettes et les écuelles dont les diamètres varient entre 22 et 26 cm pour des hauteurs de 5 à 6 cm. A ces quatre formes principales il faut ajouter une coupelle, une jatte, deux bols et l’objet de forme fermée déjà cité.
610Dans le premier groupe, 16 plats (fig. 168) et 6 plats creux (fig. 169‑1 à 6) sont archéologiquement reconstituables. Leur diamètre est supérieur à 28 cm. Pour les premiers le rapport diamètre/hauteur est compris entre 5 et 10 ; pour les seconds il est compris entre 3 et 5.
611Dans le second groupe, 2 assiettes (fig. 169‑9 et 10) et 7 écuelles (fig. 169‑11 à 17) sont archéologiquement reconstituables. Leurs diamètres sont compris entre 18 et 28 cm. Le rapport diamètre/ hauteur des premières est compris entre 5 et 10, celui des secondes entre 3 et 5. Pour les 2 bols (fig. 169‑18 et 19) le rapport diamètre/hauteur est compris entre 2 et 3. Leur diamètre est respectivement de 12 et 18 cm. Une jatte (fig. 169‑20) présente un rapport diamètre/hauteur compris entre 2 et 3 ; son diamètre est supérieur à 18 cm. Une coupelle incomplète (fig. 169‑21) a un rapport diamètre/hauteur compris entre 3 et 5 ; le diamètre est inférieur à 18 cm. Enfin l’unique fragment de récipient « fermé » appartient à une panse globulaire incomplète, qui ne permet pas de restituer sa forme originelle (fig. 169‑22).
612Les bords des grands plats possèdent des formes variables. Les plus nombreux ont des lèvres éversées, convexes, élargies symétriquement ou planes (33 %) ou des lèvres à marli largement débordant (20 %). 17 % des bords possèdent un marli sans rebord extérieur ; 17 % ont des lèvres légèrement débordantes à rebord ondulé ou rond ; 8 % dessinent des bords ouverts effilés sans rebord ; 5 % des bords ouverts ronds ou plats. Tous les plats sont pourvus d’un pied circulaire qui n’est Jamais très haut et dont le diamètre varie de 11 à 16 cm. Il peut être de trois types : annulaire, convexe ou plat.
613Les bords des écuelles et assiettes sont généralement fins : ouverts et effilés (33 %), soulignés d’une cannelure externe ; 23 % des bords sont ronds, soulignés ou non par une cannelure externe, 10 % sont rentrants et 10 % possèdent des lèvres faiblement débordantes. Les écuelles et assiettes ont aussi des pieds circulaires courts. Ils sont également de trois types : annulaires, convexes ou plats.
614Les trois récipients taillés sont complets : deux d’entre eux sont des écuelles (fig. 169‑16 à 18). La première possède un bord rentrant, une panse globulaire et un fond plat. La seconde, à paroi droite ouverte, possède un fond plat. Le troisième récipient est un bol globulaire.
615Quelques grands plats possèdent sur l’extérieur un ou deux ressauts de tournage en forme de moulure ronde. Ces décors marquent à mi‑hauteur les parois. D’autres plats présentent des ressauts de tournage en creux et de faibles dépressions. Un exemplaire est décoré de quatre stries concentriques incisées à mi‑hauteur.
616Quatre marques ont également été rencontrées sur l’extérieur des grands plats. La première dessine un motif palmé de quatre grandes nervures droites et d’une plus petite, opposées (fig. 168‑16). La seconde est composée de deux séries de trois traits parallèles, entrecroisés à angle droit (fig. 168‑15). La troisième, semi‑circulaire et barrée d’un trait, évoque la lettre E (fig. 168‑14). La dernière, incomplète, est une palmette de trois nervures droites (fig. 169‑23).
617Environ 71 % de ces récipients monoxyles sont fabriqués à partir de l’érable, 20,3 % à partir du frêne et 4 % à partir de l’aulne. Le peuplier, le buis, le hêtre sont chacun représentés à hauteur de 1,66 %.
618Parmi les érables, il faut distinguer le bois de fil du bois madré : 80 % des assiettes et écuelles sont obtenues à partir de ce dernier. Le reste ainsi que tous les grands plats sont obtenus sur le fil de bois d’érable, de frêne, d’aulne, etc.
619L’observation des cernes de croissance des érables utilisés pour la confection des plats et des écuelles montre que les arbres provenaient d’une futaie13. Les érables sélectionnés sont l’érable sycomore et l’érable plane. L’érable champêtre possède en effet un bois de médiocre qualité et un tronc trop menu pour convenir au tournage de plats de 40 cm de diamètre (Pokorny 1987).
620Les troncs, choisis droits, au fil bien rectiligne et régulier, seront utilisés pour la confection des grands plats. Les troncs bosselés et les départs de racines, qui produisent du bois madré, serviront pour la fabrication des écuelles.
621Les grumes, emportées à l’atelier du tourneur, sont débitées vertes ou ressuyées c’est‑à‑dire à peine séchées. Le fendage en est facilité et quatre merrains sur dosses sont ainsi obtenus. Le bâclage (facettage polygonal) s’effectue à l’aide d’une hache, pour donner à la pièce de bois la forme approchée du futur récipient. Puis le tournage peut débuter. Le type de tour employé est un tour à rotation alternée, mu par une perche et une pédale. Il se compose probablement de deux forts montants verticaux, munis de pointeaux latéraux qui retiennent le plat et l’axe mobile du tour. La corde de la perche, reliée à la pédale, est enroulée plusieurs fois sur l’axe mobile. Le tournage s’effectue au crochet (long fer emmanché dont l’extrémité utile est un double tranchant incurvé) qui a laissé sur le bois des stries où alternent crêtes et dépressions régulièrement concaves. La gouge n’a pas été utilisée car l’angle d’attaque de l’outil est inadapté, le tranchant de bout n’ayant pas l’efficacité requise.
622Le tour utilisé par les artisans de Colletière comprend logiquement un banc de tour. Cette pièce est en effet indispensable pour l’appui du fer des crochets et des ciseaux pendant le tournage.
623Une fois ce dernier terminé, les plats gardent encore deux culots à l’intérieur et à l’extérieur, autour de l’axe de rotation. A l’extérieur, le culot est peu volumineux et il est facilement réduit à l’herminette ou au crochet de rognage. Il est possible de distinguer encore sur certains plats la trace du pointeau qui les retenait sur le tour. Le culot intérieur, beaucoup plus épais et de plus fort diamètre, est également réduit à l’herminette ou au crochet de rognage et les traces laissées par cette taille restent encore bien visibles sur certains plats. Ce sont des facettes de coupe organisées de façon grossièrement circulaire, de 8 à 14 cm de diamètre. Cette opération achevée, les plats sont empilés et enfouis dans leurs copeaux14.
624Sur les trois récipients taillés, un seul présente assez de traces pour que son façonnage puisse être décrit. L’extérieur est facetté à la hache, avec beaucoup de dextérité. L’intérieur a été évidé avec un ciseau plat, frappé par un maillet ou une mailloche. Les deux autres récipients globulaires, taillés dans des bois madrés, l’ont vraisemblablement été à la hache, puis creusés à l’aide d’une rouanne, outil plus grand que le crochet de rognage.
625Les récipients tournés présentent tous à l’intérieur une patine noirâtre brillante qui rappelle celle des cuillères. Sur certains exemplaires, elle semble incrustée dans le bois. Ce dépôt correspond sans doute aux graisses laissées par les aliments. De nombreux plats sont brûlés de place en place. Ces brûlures circulaires, de 1 à 2 cm de diamètre, affectent surtout l’intérieur des récipients. Les parties usées et émoussées sont principalement les lèvres et les pieds. Les cassures anciennes surviennent le plus souvent sur le fil et produisent des moitiés ou des tiers de plat. Un seul plat présente une réparation en boutonnière ligaturée au fil de chanvre ou de lin (technique également utilisée pour la céramique), les passants étant obtenus à la pointe de fer chauffée (fig. 169‑8). L’observation réalisée sur les récipients taillés révèle que le bol globulaire ne présente aucune patine mais seulement des traces laissées par des raclages répétés sur le fond. L’écuelle à fond plat et paroi droite ouverte possède une patine rougeâtre à l’intérieur comme à l’extérieur.
626Les plats et écuelles sont utilisés bruts de tournage (sans polissage). Les plats ont apparemment contenu les mêmes aliments que les écuelles, bien que l’étude microscopique n’ait pas encore été réalisée. Il faut envisager une utilisation différente pour les écuelles et les assiettes. Certains récipients, d’aspect neuf, en côtoient d’autres usés et très patinés. Il semble que ce soient plutôt les dommages provoqués par les cassures qui aient entraîné leur rejet. Ces fissures dans le sens du fil ou ces éclatements sont principalement dus à l’état du bois qui est travaillé ressuyé ou demi‑sec. Quatre exemplaires entiers ont sans aucun doute été perdus. Les autres, neufs ou vieux, mais irréparables ont été jetés.
627A l’intérieur du seul récipient « fermé », la patine noir argenté, très différente de celle observée ailleurs, laisse supposer une utilisation particulière. Sans que l’on puisse affirmer qu’il s’agit d’une cruche à vin, cet objet a assurément servi de contenant pour des liquides.
628Les trois formes taillées semblent destinées à des fonctions différentes : si l’écuelle à bord rentrant a pu servir de récipient de table, le bol globulaire était certainement réservé aux liquides, comme puisette ; il possédait d’ailleurs probablement un manche court. L’écuelle à bord ouvert porte une patine d’utilisation irrégulièrement répartie. Ce pourrait être une mesure à grain car les enlèvements de copeaux à l’intérieur laissent penser que la contenance souhaitée a été obtenue par approximations successives.
Les récipients assemblés
629Fig. 170
63022 objets se répartissent en 18 douelles et fragments de douelles, 3 fonds ou fragments de fonds et 1 fragment de cercle d’assemblage. Toutes les douelles proviennent de cuves, de baquets, de tinettes ou seaux (récipients « foncés » à une extrémité). Elles sont en chêne à l’exception d’une seule, en érable. Distinctes les unes des autres par leur forme et leur dimension, elles possèdent toutes un parement interne plat ou faiblement cintré et une face externe légèrement convexe. Vers la partie inférieure, le parement interne est marqué par une large et profonde rainure transversale appelée jable. Cette dernière peut être pratiquée plus ou moins haut sur la douelle mais rarement très loin de la base (Taransaud 1976 : 27). Les rives rectilignes sont chanfreinées de biais ; les clins des douves sont radiaux au centre du récipient bâti (Fougroux de Bondaroy 1763 :11).

FIG. 170 – Récipients assemblés : – cercle de liage (1 no 1583), – ofonds (2 no 1756, 3 no 2688), – douelles (4 no 2388, 5 no 1782, 6 no 1424, 7 no 1527, 8 no 2267, 9 no 2139, 10, 11 nos 1541 et 2218, 12, 13, 14, 15 no 2595, 2594, 2579 et 2568, 16 no 2610). (1 Echelle 1/4 ; 2 à 16 Echelle 1/16
631Les douelles peuvent être regroupées en quatre types. Le premier comprend 10 exemplaires qui possèdent une base plus étroite que le haut. Le second type est constitué par 2 douelles dont la base est plus large que la tête. Le troisième comprend 4 douelles dont la largeur de la base est égale à celle de la tête (les rives sont donc parallèles). Le quatrième type est représenté par une douelle pourvue d’une base rectangulaire massive ; son jable est pratiqué très haut.
632Les trois fonds sont des pièces monoxyles, en chêne, originellement circulaires et planes. Leur circonférence est toujours chanfreinée en biseau plus ou moins aigu. Dans les deux cas où le diamètre est connu avec précision, il est de 36 et 29 cm. Dans le troisième, le diamètre restitué est estimé à 27 cm.
633Le seul exemplaire de cercle attesté est formé de 2 éclisses d’une même branche de noisetier de section semi‑circulaire, plaquées l’une contre l’autre par un lien d’osier. Elles possèdent une encoche latérale en V au niveau de laquelle ce lien est attaché.
634Les douelles proviennent de récipients différents. A partir des exemplaires complets et de la projection des clains radiaux, il est possible de proposer une restitution des différents types de récipients.
Une barrique
635La douve (grande douelle) de 103 cm de hauteur, à paroi épaisse, possède des rives droites (fig. 170‑4) ; le diamètre de l’ouverture du récipient mesure de 55 à 65 cm. Le jable est pratiqué bas. La contenance est évaluée à 180 ou 230 litres. Vingt douves environ étaient nécessaires pour former ce récipient, qui restait ouvert à son extrémité supérieure.
Trois baquets hauts
636Une douve de 63 cm de hauteur provient d’un récipient à paroi ouverte (fig. 170‑16). Le diamètre de son ouverture est estimé à 50 ou 60 cm pour une base de 50 cm environ. Ce baquet, composé de 16 à 18 douves, aurait eu une contenance de 100 à 120 litres.
637Deux douelles assez larges, de 54 cm de hauteur, appartiennent à un même récipient (fig. 170‑10 et 11). Le diamètre de l’ouverture est évalué à 45 ou 50 cm. Le jable, pratiqué assez bas, donne à ce récipient qui devait comporter environ 14 douelles un volume de 60 à 70 litres.
638Quatre douelles, de mêmes dimensions, appartiennent à un baquet de 54 cm de hauteur (fig. 170‑12 à 15). Ce dernier possède au minimum trois pieds ; le diamètre de son ouverture est voisin de 50 cm. De 50 à 55 litres de contenance, il aurait compté 18 douelles environ.
Trois seaux
639Une douelle de 41 cm de hauteur provient d’un seau de forme légèrement évasée ; le diamètre de l’ouverture est estimé à38 cm pour un diamètre à la base d’environ 30 cm (fig. 170‑5). D’un volume de 20 litres, il aurait réuni une douzaine de douelles. Deux douelles de 38 et 37 cm de hauteur permettent de restituer deux autres seaux cylindriques d’un diamètre à l’ouverture de 30 à 35 cm. Dans le premier la position basse du jable détermine un volume de 20 à 22 litres (fig. 170‑6). Dans le second la position haute du jable le limiterait à 18 ou 20 litres (fig. 170‑7). Ces seaux comporteraient 12 douelles environ.
Deux tinettes (seaux à fond plus large que le haut)
640La première douelle, de 33 cm de hauteur, indique un diamètre à l’ouverture proche de 28 cm (fig. 170‑8). Cette tinette posséderait un volume de 16 litres, et se composerait de 10 à 12 douelles. Une douelle de 22 cm de hauteur indique un diamètre à l’ouverture de l’ordre de 25 cm (fig. 170‑9) ; cette tinette d’un volume de 8 à 9 litres, se composerait d’une dizaine de douelles.
641Les chênes, abattus l’hiver, sont coupés en billes dans lesquelles on débite les merrains. Pour obtenir une étanchéité maximale, ceux‑ci sont traditionnellement produits sur maille. Curieusement, à Colletière, le fendage se pratique plutôt sur dosse. La fente est effectuée à la hache ou aux coins. L’ébauche de la douelle est réalisée sur bois vert. Plusieurs années (de l’ordre de trois) sont nécessaires pour bien sécher un merrain de chêne (Taransaud 1976 : 22). Le séchage terminé, le tonnelier donne à la douve sa forme définitive. L’outil à tranchant droit, utilisé pour parer les douves, ne peut pas être un pied de mouton classique (sorte de lourde hache dont le manche est déporté par rapport au tranchant) car les impacts ne sont pas orientés perpendiculairement au plan vertical de la douelie comme le sont les traces observées sur toutes les douelles découvertes. C’est donc un cochoir15 ou une doloire qui a été employé, voire une hache à équarrir. Les surfaces droites et lisses des clains sont obtenues avec un rabot, varlope ou colombe.
642On n’observe pas de traces de cerclage, mais il est raisonnable de supposer que sur les grandes cuves surtout, les cercles étaient doublés ou triplés. Comme le montrent les traces, on n’a pas utilisé de jabloir16 pour la confection des jables, mais plutôt une petite herminette. Cette taille est exécutée sans aucun doute après l’assemblage, quand les douves ajustées prennent place les unes par rapport aux autres. Une fois ces dernières égalisées, on a préalablement employé un trusquin17 pour tracer sur le bois l’emplacement du Jable. Le façonnage du fond est également réalisé à la hache comme le prouvent les marques de surface.
643Les cercles d’assemblage sont des cannes de trois à cinq ans d’âge taillées à l’aide d’un cochoir. Les liens d’osier devaient être au nombre de trois ou quatre pour retenir efficacement le cercle lié. L’artisan qui confectionne les cercles les taille et les cintre encore verts. Cette opération serait impossible après séchage du bois, or il est nécessaire que son retrait agisse sur le blocage des douelles.
644Certains déchets de taille et copeaux pourraient avoir été produits par la tonnellerie. La découverte d’une douelle sans jable, donc en cours de fabrication, atteste la pratique de cet artisanat sur le site même.
645Certaines douelles présentent, sur leur paroi interne, une patine noire qui rappelle celle des plats. L’analyse des composés organiques, qui reste à entreprendre, renseignera sans doute sur leur origine.
646La barrique ouverte, de grande dimension, a pu servir au stockage ou au transport de marchandises. La conservation des viandes salées n’est pas certaine mais probable : on a vu que la commercialisation d’une partie de la viande de porc est très vraisemblable. En revanche, le stockage des liquides, pour lequel on emploie la barrique, n’est guère envisageable ici car celle‑ci aurait dû alors être foncée aux deux extrémités.
647Les trois baquets hauts peuvent être des saloirs ou avoir été utilisés en boucherie comme simples cuves à viandes. La cuve tripode, très originale, ainsi que les deux autres, ont pu servir de réserve (grenier à grains). Seul le baquet, recouvert d’une patine brillante, semble avoir contenu des liquides dont on ne peut préciser la nature. Les deux tinettes, de 33 et 22 cm de hauteur, ont pu servir pour le lait ou le beurre.
648On a vu que les trois seaux, à parois droites et tronconiques, avaient une contenance de 20 litres environ, qui dépasse celle du seau normal estimée à 12 litres. Ces dernières formes ont vraisemblablement trouvé emploi comme réserve à eau à l’intérieur des habitations.
Les cuillères
649Fig. 171, 172 et 173
FIG. 171 – Cuillères : – de table (1 no 1977, 2 no 502, 3 no 1908, 4 no 2479, 5 no 1624, 6 no 2569, 7 no 3013, 8 no 648, 9 no 1997, 10 no 1856, 11 no 2442, 12 no 3012, 13 no 2375, 14 no 1197, 15 no 74.51.210, 16 no 1561, 17 no 80.91.104), – d’enfant (18 no 1855, 19 no 1980), – fragments (20 no 1089, 21 no 1203, 22 no 1982, 23 no 1940, 24 no 2964, 25 no 286, 26 no 86, 27 no 2308). (Echelle 1/8)

FIG. 172 – Cuillères : – à sang (1 no 480/481), – à ragout (2 no 418, 3 no 1717, 4 no 1315, 5 no 700, 6 no 2683/2692). (Echelle 1/8)

FIG. 173 – Vaisselle de bois : plat, écuelle et cuillères
cliché CAHMGI
650Sur 149 cuillères et fragments de cuillères, 24 sont archéologiquement complètes. Il existe en effet de nombreux fragments, souvent de simples éclats de très petite taille. Le recoupement est compliqué par ce taux de fragmentation élevé et par la similitude des formes et des dimensions. Le dénombrement des parties coudées qui séparent les cuillerons des manches (raccords) s’est avéré très efficace pour le comptage, car elles sont rarement fragmentées, à l’inverse des manches et surtout des cuillerons : 68 ont été individualisées.
651Tous les objets présentant un manche et un cuilleron sont typologiquement des cuillères. Les extrémités de manches ont des formes variables. La grande majorité ont des terminaisons droites ou en pointe courte. La plus grande cuillère possède un crochet terminal, une autre une extrémité spatulée, trois des extrémités rondes. Les manches sont rectilignes ou faiblement cintrés. Leur coude le plus souvent bien marqué, suivi d’un raccord court et massif, se prolonge sous le cuilleron en épousant sa forme. Les cuillerons, généralement semi‑ovoïdes, sont parfois oblongs. Leur profondeur varie considérablement d’un exemplaire à l’autre. Ils dessinent avec le manche un angle variable, de 0 à 27°. La majorité d’entre eux s’orientent de 10° à 15° vers l’intérieur par rapport à l’axe du manche.
652Si la longueur de ces cuillères varie remarquablement (de 24 à 94 cm), le rapport entre la longueur du cuilleron et la longueur totale est relativement constant (1/4). En fonction des dimensions on détermine quatre catégories :
– les cuillères de table : 11 sont complètes et 19 archéologiquement reconstituables ; la longueur des manches varie de 16 à 28 cm, les cuillerons mesurent entre 5,5 et 11,2 cm (fig. 171‑1 à 17) ;
– les cuillères à ragoût (Lecoq 1979 : 226) : 3 sont complètes et 2 archéologiquement reconstituables ; les manches mesurent environ 30 cm, les cuillerons une douzaine de centimètres (Pl IV, D et fig. 172‑2 à 6) ;
– les cuillères d’enfant : représentées par deux exemplaires incomplets, leurs cuillerons ne dépassent pas 4 cm de longueur (fig. 171‑18 et 19) ;
– la cuillère à sang : complète, elle mesure 94 cm de long, dont 69 cm pour le manche et 25 cm pour le cuilleron (fig. 172‑1).

Pl. IV, D – Plat et cuillère en bois, in situ
cliché CAHMGI
653Environ 82 % des cuillères sont en buis, 15 % en érable et 3 % en pommier ou poirier. Le cuilleronnier doit sélectionner et abattre lui‑même ses buis à l’aide d’un émondoir ou d’une hachette. Il choisit des troncs hauts et droits, de 6 à 12 cm de diamètre. Le bois est travaillé vert ou ressuyé18. Coupés à la longueur nécessaire, les troncs sont refendus sur un billot, également à la hache. Avec cet outil, on dégrossit la demi‑bille afin d’obtenir la forme approximative de la cuillère à réaliser. L’aplat de la demi‑bille conditionne la position : creux du cuilleron orienté vers la moelle, le dos épousant la forme semi‑cylindrique du merrain. Deux autres emplacements ont été observés. Les cuillères sur quartiers sont taillées à partir de buis de fort diamètre ou de billes non refendues quand les troncs étaient trop minces.
654Mais la rareté de ces derniers exemplaires montre que les billes sont systématiquement calibrées entre 8 et 10 cm. Le dégrossissage terminé, le travail se poursuit avec un couteau, peut‑être courbe, bien affûté. Le cuilleronnier façonne le manche par enlèvements répétés de copeaux fins, les coups étant portés vers lui. La plane à deux poignées qui laisse des facettes plus grossières et nécessite une selle de cuilleronnier19 pour son utilisation n’a pas été employée. Le coude, le raccord et le dos des cuillerons sont façonnés avec le même couteau par enlèvements successifs, longitudinaux et obliques. Le creusement du cuilleron s’effectue avec une rénette, sorte de crochet. Les bords sont enfin égalisés.
655Pour les cuillères en érable, la taille s’effectue approximativement de la même manière. Les troncs plus gros requièrent un abattage à la hache, de même que le fendage des quartiers. Ce bois est également travaillé ressuyé ou mi‑sec.
656Les patines se déposent petit à petit sur les cuillerons : d’abord de couleur rougeâtre, elles s’assombrissent graduellement au fur et à mesure de leur utilisation. Certaines, très noires, semblent incruster le bois des vieilles cuillères. Il semble qu’elles soient de même nature que celles qui recouvrent les plats. La présence des cuillères indique la consommation d’une nourriture liquide ou semi‑solide telle que des soupes grasses et des ragoûts.
657Les bois s’usant rapidement, le dos du cuilleron est poli par friction répétée sur les plats. Les bords sont usés pour la même raison, en particulier les bords gauches des cuillères tenues par des droitiers. Le polissage provoqué par la préhension affecte aussi les manches. Parfois la patine épargne les parties du coude souvent sollicitées par le pouce de l’utilisateur. Deux cuillères ne présentent pas d’usure particulière des bords, mais uniquement une usure de pointe très nette. Elles ont vraisemblablement été brûlées, puis les raclages ont fait disparaître le dommage. Les cuillères se fendent souvent longitudinalement. Elles se cassent aussi mais on continue à les employer même si elles sont devenues moins efficaces. Les manches brisés sont simplement raccourcis.
Les autres objets culinaires
658Fig. 174
Les couvercles
6598 pièces entières ou fragmentaires, en chêne, étaient originellement circulaires et planes. De 12,4 à 14 cm de diamètre et de 1,2 à 2,2 cm d’épaisseur, elles sont munies, à une exception près (fig. 174‑4), d’un manche court et de section quadrangulaire. Ces couvercles étaient simplement posés sur les pots pour en boucher l’ouverture. L’un d’eux présente d’ailleurs une encoche profonde, ménagée pour le passage d’un manche de cuillère (fig. 174‑3).

FIG. 174 – Autre matériel culinaire : – couvercles 1 sn, 2 no 257, 3 no 91, 4 sn), – raclette (5 no 1382), – pilons (6 no 596, 7 no 2977, 8 no 80.91.73). (Echelle 1/8)
Les pilons
6603 sont taillés dans le hêtre ou le frêne. Le premier est constitué d’un rondin rétréci dans sa partie médiane. Les deux larges extrémités sont aplaties (fig. 174‑8). Les traces de la taille ont été partiellement effacées par le polissage dû à l’utilisation, probablement pour le broyage d’aliments végétaux. Il mesure 49,8 cm de longueur et 4,4 cm de diamètre minimal. Les deux autres sont plus élaborés : il s’agit de masses tronconiques (diamètres : 8,9 et 8,6 cm ; hauteurs : 7,9 et 7,4 cm) percées d’un trou circulaire axial dans lequel était engagé un court manche cylindrique (fig. 174‑6 et 7).
La raclette (?)
661Cet objet complet est composé d’une sorte de palette portée par un manche très fruste (fig. 174‑5). De forme parallélépipédique (longueur : 14 cm ; largeur : 5,5 cm ; épaisseur : 1,5 cm) elle est en chêne et pourvue de dentelures assez usées sur un bord. En son centre une lumière rectangulaire recevait un manche, simple baguette de noisetier incomplètement écorcée (longueur : 30 cm ; diamètre : 1,5 cm). Cylindrique sur sa plus grande longueur, ce manche est taillé à son extrémité distale pour s’adapter à la forme de la lumière dans laquelle il est fixé par l’enfoncement d’un petit coin de bois dur (ancroix). Réparé après cassure du manche d’origine, cette raclette pouvait être employée pour étaler des farines ou pour confectionner des galettes de céréale sur des pierres plates préalablement chauffées.
3.5.5.2 Les objets artisanaux et agricoles
662Fig. 175, 176, 177
Les maillets
663En hêtre, ils se composent soit d’une tête tronconique longue de 18 cm et large de 8 cm et d’un manche axial (fig. 175‑1), court et cylindrique (longueur : 13 cm ; diamètre : 3,5 cm), soit d’une tête cylindrique (longueur : 14 cm ; diamètre : 7 cm) se prolongeant par un manche cassé (fig. 175‑2) perpendiculaire à l’axe de la tête (diam. : 2.5 cm). Deux autres sont simplement des parallélépipèdes légèrement cintrés à leurs extrémités (fig. 175‑3 et 4). Le premier mesure 22,6 cm de longueur, 7 cm de largeur et 3,5 cm d’épaisseur maximale ; le diamètre de la lumière, chanfreinée dans sa partie supérieure, est de 2,5 cm. Le second, incomplet mais rigoureusement semblable, mesure 16,5 cm de longueur, 6.5 cm de largeur et 3,5 cm d’épaisseur maximale ; le diamètre de la lumière est de 2,4 cm. Leur fonction précise reste à déterminer car leur relative finesse exclut qu’ils aient servi à frapper.

FIG. 175 – Outillage divers : – maillets (1 no 2223, 2 no 1291, 3 no 687, 4 no 1083), – rabot (5 no 1349), – manches de tarière (6 no 1669, 7 sn), – manches de haches (8 no 1120, 9, 10 sn, 11 no 95), – manches de faucilles (12 no 2456, 13 no 3087), – manche de marteau (14 no 2751). (Echelle 1/8)

FIG. 176 – Rabot à façonner les manches (no 1349) (fouilles de Colletière)
cliché Y. Basq,
Le rabot
664C’est une mouchette en hêtre, utilisée pour la confection des manches (longueur : 15,9 cm ; largeur : 6,4 cm ; hauteur : 4,2 cm). Son fût est parallélépipédique, les arêtes ont été abattues en quart de rond ou de biais. Le corps est creusé d’une lumière rectangulaire largement ouverte sur le haut de l’objet, et qui diminue ensuite graduellement vers l’intérieur (fig. 175‑5 et fig. 176). Trois côtés de la mortaise sont verticaux et le quatrième, qui recevait le fer, est oblique à 27° par rapport au plan de coupe (les angles des rabots actuels vont de 40° à 50°). La face inférieure est creusée d’une cannelure en quart de cercle. A mi‑hauteur, la lumière est horizontalement traversée par une cheville circulaire qui permet le blocage d’un coin de bois sur le fer. Il semble que ce système de calage par cheville soit propre aux rabots romains et médiévaux (Goodman 1946 : 44 sq.) ; on en connaît encore des exemplaires au xve et au début du xvie siècle mais dès la fin du Moyen Age, cette cheville est remplacée par deux épaulements en saillie. Le fer est plat, avec un tranchant rapporté concave.
Les manches de tarières
665Le premier exemplaire, complet, est de forme ovalaire (fig. 175‑7). Il mesure 24 cm de longueur et 3,7 cm dans sa plus grande largeur qui diminue légèrement vers les extrémités arrondies. L’autre mesure, après restitution, 28 à 30 cm (fig. 175‑6). Ces manches sont percés d’une lumière rectangulaire en leur milieu pour recevoir la soie du fer (1,4 x 2 cm et 1,6 x 2,8 cm). Un fer plat et lancéolé découvert aux Grands Roseaux appartient à ce type d’outil (cf. infra). Il fallait, pour l’ajuster dans la lumière, ajouter une pièce, probablement de bois dur.
Les manches de marteaux
666Sur les 2 exemplaires recueillis (frêne) celui qui est complet mesure 27 cm de longueur (fig. 175‑14). Il est de section ovalaire (2,5 cm maximum). Les têtes métalliques (cf. supra) étaient assujetties au manche par deux clous de fer à cheval, formant ancroix.
Les manches de faucilles
667Parmi les cinq faucilles inventoriées deux étaient encore pourvues de leur manche. Le premier est simplement enfilé sur la soie pointue de la faucille. Cylindrique et court (longueur : 11,5 cm ; diamètre : 2 cm), il présente à son extrémité proximale un rebord latéral qui facilite la préhension et le mouvement de rotation lors de la coupe (fig. 175‑13). Le second présente deux points de blocage, l’un constitué par un cavalier, l’autre par la soie recourbée à angle droit (fig. 175‑12). Ce manche, plus massif que le précédent (longueur : 25 cm), est également plus élaboré : sa partie supérieure qui reçoit la soie est de section rectangulaire, le corps du manche est cylindrique (diamètre : 3 cm) et porte à son extrémité inférieure un élargissement conique.
668Bien que nous n’ayons pas retrouvé d’autre manche il est cependant possible de distinguer encore deux autres types d’emmanchement. Dans un cas, l’extrémité de la très grande soie d’une faucille, recourbée et aplatie, dépassait originellement d’un manche circulaire et court, le blocage étant assuré par martelage du fer. Le second type d’emmanchement s’effectuait par l’intermédiaire d’une douille ouverte prolongée par une courte soie latérale recourbée qui pénétrait perpendiculairement dans le manche.
Les manches de haches
669Cinq manches et dix fragments sont en frêne. Une hache possède son manche complet, long de 67,6 cm. Il est de section rectangulaire, large de 3,5 cm pour 2,7 cm d’épaisseur (fig. 175‑11). Les têtes métalliques étaient bloquées par l’épaississement des manches à leur extrémité. Quatre fers correspondent à des haches de bûcheron spécialement conçues pour l’abattage. Un cinquième appartient à une hache d’équarrissage (cf. supra). Tous les fragments de manches ont une section rectangulaire, les arêtes sont chanfreinées en quart de rond pour ne pas blesser les mains20.
Les toises
670Deux objets ont d’abord été identifiés comme des bâtons de compte. Taillés dans une branche rectiligne de noisetier, ils se différencient des bâtons de compte par des encoches disposées sur une seule ligne, de manière régulière et continue.
671Le premier, de section triangulaire aux angles abattus (en réalité il s’agit de la surface de l’aubier initial), de 1,5 cm de diamètre, possède des entailles régulièrement espacées de 0,4 cm. Trois entailles plus longues que les autres délimitent deux à deux des longueurs de 7,2 cm subdivisées par dix‑sept entailles intermédiaires. Tout donne à penser qu’il s’agit d’une mesure (de tailleur ou de cordonnier ?), subdivision d’un pied de 34 à 35 cm. Cette toise est malheureusement incomplète : en 3 fragments principaux, elle mesure 32 cm mais les lacunes permettent de restituer un objet complet d’au moins 38 cm (fig. 177‑1).

FIG. 177 – Toise (1 no 3147) et bâtons de compte (2 à 8 : sn). (Echelle 1/4)
672Le second est taillé dans une branche seulement écorcée dont un côté a été aplani au couteau. Brisé aux deux extrémités, il mesure 11,3 cm de longueur. La partie graduée est longue de 7,5 cm. Les entailles sont également espacées d’environ 0,4 cm, mais il n’existe pas de graduation supérieure.
673Les artisans utilisent rarement les toises, ils emploient plutôt des gabarits ou des formes, baguettes souples ou pièces de bois profilées non graduées. Il faut donc imaginer l’utilisation d’un tel objet par un commerçant pour l’achat et la vente de produits qu’il aune pour en négocier le prix.
Les outils de l’artisanat textile
674Fig. 178 et 179
675Le lin et le chanvre sont traditionnellement récoltés à la pleine maturation, généralement par arrachement. Les pieds sont liés en bottes, appelées javelles, qui doivent subir le rouissage puis le séchage. L’égrugeage et le teillage qui suivent cette étape sont pratiqués avec divers outils caractéristiques.
Les égrugeoirs
676L’égrugeage des plants femelles ne se pratique pas avec des peignes fixes mais avec des peignes à main. Quatorze fragments d’égrugeoirs et un égrugeoir entier ont été découverts. Ces pièces monoxyles d’essences diverses (chêne, noyer, frêne et hêtre), sont toutes du même type et comparables à celles qui sont connues sur le site de Novgorod au xiie siècle (Kolchin 1989 : 356) : munies d’un manche court et trapu, elles sont prolongées par une palette longue et étroite dont l’un des bords est pourvu de dents courtes, larges et pointues. L’exemplaire entier est long de 42,3 cm, large de 5,2 cm et mesure 2 cm d’épaisseur (fig. 178‑1).

FIG. 178 – Outils de l’artisanat textile : – égrugeoirs (1 no 595, 2 à 5 sn), – broie (6 nos 458 et 460), – espadon (7 no 2274). (Echelle 1/8)
677Le teillage débute par le broyage qui écrase les fibres ligneuses, séparant la chenevotte (déchet) de la filasse. L’outil utilisé pour ce travail est la broie ou écouchoir.
La broie
678En chêne, elle se compose de deux parties (fig. 178‑6). Une partie dormante rectangulaire, percée d’une mortaise très allongée de section légèrement trapézoïdale (longueur : 41 cm ; largeur : 11,3 cm ; ép. : 4 cm), reçoit un maillet, lame de bois pourvue d’un manche qui vient exactement s’engager dans la mortaise (longueur : 47 cm ; hauteur : 12 cm ; épaisseur : 4 cm).
679Le teillage se poursuit jusqu’à élimination complète de la chenevotte. On utilise dans cette seconde phase un outil très particulier appelé espadon, écangue ou écouche.
L’espadon
680Un exemplaire complet, en chêne, mesure 55 cm de longueur (fig. 178‑7). Il est constitué par un manche cylindrique court (longueur : 17 cm ; diamètre : 3,5 cm) et par une longue pale plane (longueur: 38 cm ; largeur : 14 cm ; ép. : 2 cm).
681La préparation du lin ou du chanvre s’achève par le cardage des fibres qui, une fois préparées, vont être placées sur une quenouille et filées (Colardelle et al. 1989).
Les quenouilles
682Un objet incomplet (fig. 179‑22) est une extrémité de bâton en noisetier sculpté, où alternent des tores et des doubles troncs de cônes (longueur : 13 cm ; diamètre : 1,7 cm). Il se rapproche des quenouilles traditionnelles des pays alpins aux xviiie et xixe siècles. Aucun indice ne permet de supposer que le filage était pratiqué à la roue. D’après les textes d’ailleurs, l’apparition de cet outil ne serait pas antérieure aux xiie‑xiiie siècles.

FIG. 179 – Outils de l’artisanat textile : – fuseaux (1 no 1164, 2 no 2492, 3 no 36, 4 no 2605, 5 no 2596, 6 no 2969, 7 no 2572, 8 no 2641, 9 no 97, 10 sn, 11 no 2846, 12 no 7, 13 no 1565, 14 no 2406, 15 no 1897, 16 no 80.91.124, 17 no 80.91.79, 18 no 2577, 19 no 1934, 20 no 1655), – quenouilles (21 no 80.91.42, 22 no 80.91.78), – bobine (23 no 748), – navette ? (24 no 1093). (Echelle 1/4)
Les fuseaux
683En l’absence de mécanisation, le filage est réalisé avec des fuseaux dont 126 exemplaires, entiers ou fragmentaires, ont été collectés. Onze sont archéologiquement complets, les autres sont des fragments généralement de très petite taille. Le comptage des diamètres maximaux (partie renflée du fuseau) s’est avéré très efficace pour évaluer le nombre minimal de ces objets (78). Plus de 90 % sont en érable, quelques‑uns sont en frêne (4,3 %), en pommier ou en poirier (1,8 %). Le reste (soit 0,5 % seulement) est en buis, chêne, hêtre ou charme. Bien qu’il soit possible de les classer en deux groupes, tous font partie d’un même type : les fuseaux « toupillés ». Ils se différencient aisément des fuseaux à retordre, plus larges et plus lourds, ainsi que des fuseaux de rouet, en forme de bobine, ou encore des fuseaux de métier à roue, généralement très effilés.
68490 % des fuseaux (quasiment tous en érable) se classent dans le premier groupe, celui des fuseaux longs de 20 à 27 cm (fig. 179‑1 à 14). Les diamètres maximaux sont compris entre 1,4 et 2,0 cm ; plus de 60 % se situent entre 1,5 et 1,9 cm. Les extrémités proximales sont rares. Quand elles sont conservées, elles présentent un appendice bouleté en forme d’olive. Le corps s’évase régulièrement jusqu’au diamètre maximal situé approximativement au milieu du fuseau ou légèrement plus bas ; puis le corps s’effile. Un col généralement étroit sépare le corps de l’extrémité conique, qui peut être courte ou large. Six exemplaires possèdent à une extrémité un disque débordant plus ou moins épais. Quatre fuseaux enfin présentent, sur leur partie renflée, des séries de 3 ou 4 cercles de couleur sombre.
685Le second groupe est représenté par une dizaine d’objets fragmentés et très dégradés, longs de 30 cm environ (longueur restituée du plus grand exemplaire). Ce sont de simples baguettes fusiformes dont le plus grand diamètre est de 1,9 cm (fig. 179‑15 à 20).
686L’artisan qui fabrique les fuseaux utilise de gros érables, abattus pendant l’hiver. A partir de billes encore vertes, il extrait des merrains carrés ou polygonaux, longs de 30 cm environ pour 2 à 3 cm de côté. Une fois ressuyé, le bois se fend aisément. On prend alors soin d’en écarter la moelle, qui peut se déformer au séchage. Une fois bâclées, les pièces sont prêtes au tournage.
687Les marques laissées par la fabrication indiquent que les fuseaux de Colletière sont produits avec un ciseau de tourneur droit posé sur un banc. Il est utilisé sur un tour, vraisemblablement à rotation alternée, sur lequel la pièce à tourner est bloquée à ses deux extrémités par les deux pointes du tour. Mais les traces ne révèlent rien du mode d’entraînement du tour. S’agit‑il d’un archet, d’une perche, de deux pédales ? On ne peut le dire puisque ces différents systèmes donnent le même mouvement à la pièce. On ne connaît pas de représentation figurée de cette époque qui pourrait permettre de trancher.
688Si les fuseaux du premier groupe ont été fabriqués en atelier par des ouvriers confirmés comme le montre leur grande régularité, il semble que la fabrication des fuseaux du deuxième groupe ait été en revanche occasionnelle.
689En l’absence d’observations microscopiques, il n’est pas possible de préciser la nature des marques noires qui dessinent, sur certains exemplaires, des séries régulières de cercles. Il peut s’agir de graphite mélangé à une huile, mais cette hypothèse doit être vérifiée. Ces cercles ont été pratiqués alors que le fuseau était en rotation sur le tour. Ce « décor » s’inscrit donc intimement dans la fabrication de l’objet.
690Quelques fuseaux présentent des traces d’enlèvements longitudinaux, effectués au couteau, sur les traces de tournage. Cette taille, qui a effilé la partie inférieure et diminué le diamètre maximal, doit correspondre à une tentative pour équilibrer des fuseaux mal tournés à l’origine. Outre cette observation de caractère anecdotique, on ne décèle pas de trace d’utilisation à la surface des fuseaux. Leur polissage peut résulter soit de la manipulation, soit du frottement répété des fibres qui les garnissaient. Par contre, la dimension et la forme sont des éléments particuliers de ces fuseaux, prouvant qu’ils étaient utilisés le plus souvent sans fusaïole. Le cône interdit en effet le passage de la fusaïole d’un côté, le disque ou le diamètre maximal de l’autre. Ce type de fuseau était d’abord roulé sur la cuisse et une fois garni, il pouvait être toupillé.
691Cette technique, conjuguée au faible poids de ces objets, laisse penser qu’ils devaient produire un mince fil de chanvre mais surtout de lin. La culture de ce dernier s’était en effet largement développée à l’époque carolingienne. L’extrémité conique retenait la pelote de fil sur la base du fuseau. Les appendices bouletés facilitaient l’accrochage du fil en demi‑clé, mais l’existence d’extrémité « à filière », c’est‑à‑dire munie d’une encoche, n’est pas exclue. L’interprétation des séries de cercles sur le corps des fuseaux reste encore incertaine. Leur disposition, rigoureusement symétrique, révèle peut‑être une fonction de repère pour évaluer la quantité de fil produit, à moins que ce motif n’ait rempli qu’une fonction strictement décorative.
692C’est au deuxième groupe qu’appartiennent certains des plus anciens fuseaux découverts à Novgorod et datés des années 1076‑1096 (Kolchin 1989 : 111 et pl. 113). L’usage qui consiste à orner la partie centrale du corps est largement attesté sur le même site. Il s’agit alors de groupes de 2 ou 3 lignes, circulairement marqués dans le bois par pyrogravure ou par incisions.
693Le tissage, qui suit le filage, s’effectue sur des métiers horizontaux ou verticaux (Cuisenier, Guadagnin 1988). A Charavines, parmi tous les objets inventoriés, très peu peuvent être mis en rapport avec cette activité. On suppose toutefois qu’après restauration et remontage des nombreux fragments non encore identifiés il sera possible de compléter le catalogue des outils de cet artisanat. Mais les rarissimes fragments de tissu de lin et de laine conservés ont sans doute été manufacturés sur place (fig. 180a et b).

FIG. 180 – a Fragment de toile de lin. b Fragment de tissu en laine (long. 4,7 cm).
Clichés musée historique des Tissus, Lyon
Navette
694Un objet est cependant interprété comme une navette de tissage : naviforme (longueur : 14,8 cm ; largeur : 4 cm ; épaisseur : 1,7 cm) il comporte une extrémité apointée et l’autre arrondie aux angles adoucis. Au centre une lumière rectangulaire oblique (1,2 x 2,5 cm) pourrait correspondre à la chasse (fig. 179‑24). Bien qu’elle soit de dimensions assez réduites on peut comparer la navette de Colletière à celles généralement plus récentes (xiie‑xive siècles) de Novgorod (Kolchin 1989 : 115‑116).
Bobine
695Ce petit objet (fig. 179‑23), extrait d’une branche de buis, comporte une partie centrale de section approximativement carrée, s’achevant aux extrémités par un épais bouton conique facetté au couteau (longueur : 3,4 cm ; section : 0,3 x 0,2 cm).
3.5.5.3 La batellerie et la pêche
696Fig. 181 et 182
697Trois avirons et l’ébauche d’un quatrième attestent de l’emploi d’embarcations d’un modèle comparable à celle, plus tardive, décrite plus loin. Le premier est une godille utilisée à l’arrière d’une barque, à laquelle on imprime un mouvement hélicoïdal pour la propulsion, les deux autres sont des pagaies.
698La godille, en frêne, est presque complète et mesure 2,08 m de longueur (fig. 182‑1). La pale de section ovalaire très allongée (largeur : 13 cm ; épaisseur max. : 2,5 cm) atteint 1,22 m au total. Le manche, dont l’extrémité fait défaut, est de section cylindrique (diamètre : 5 cm).

FIG. 181 – Flotteurs de filet (1 à 4 sn, 5 no 80.91.20, 6 à 8 sn, 9 no 636, 10 sn, 11 no 666, 12 no 71.3.6, 13 no 80.91.21, 14 no 71.3.5, 15, 16 sn, 17 no 71.3.9, 18 no 661, 19 sn, 20 no 630, 21 no 649, 22 no 71.3.11, 23 no 306, 24, 25 sn, 26 no 41, 27, 28 sn, 29 no 80.91.18, 30 sn, 31 no 606, 32 no 82). (Echelle 1/8)
699La première pagaie, de la même essence, était beaucoup plus petite (longueur : 50 cm). Le manche bien que très court (32 cm) paraît cependant complet (fig. 182‑2). Epais à l’amorce de la pale (diamètre : 5 cm) il s’étrécit rapidement Jusqu’à son extrémité (1 cm). La pale, dont l’essentiel manque, est de section ovalaire très aplatie (largeur : 9 cm ; ép. max. : 3 cm ; la longueur totale restituée ne pouvait être inférieure à 1 m).

FIG. 182 – Avirons : – godille (1 no 80.91.98, échelle 1/16), – pagaies (2 no 87.16.352, 3 no 100, échelle 1/4).
700La seconde pagaie (dont l’essence n’est pas déterminée) est incomplète et sa longueur totale ne peut être évaluée (fig. 182‑3). Sa pale très régulièrement arrondie à son extrémité mesure 43 cm de longueur, 12 cm de largeur et 1,2 cm d’épaisseur.
701Les flotteurs de filet entiers ou fragmentaires sont au nombre de 118. La proportion d’objets entiers est importante, les fragments sont souvent des moitiés de flotteurs, de sorte que 80 objets environ sont individualisés. La quasi‑totalité est en écorce de peuplier, quelques‑uns sont en frêne ou en chêne. Ils se répartissent en trois catégories.
702Les plus nombreux appartiennent à celle des flotteurs de flotte (fig. 181‑1 à 22). Une flotte est constituée par un groupe de flotteurs en écorce enfilés sur un cordage puis noués à la corde sur laquelle le filet est ourdi. Tous sont pourvus d’un trou circulaire central de 0,5 à 0,8 cm de diamètre. Epais de 1 à 1,5 cm, ils peuvent être circulaires et mesurer de 4 à 6 cm de diamètre. D’autres, carrés ou rectangulaires, mesurent de 3 à 5 cm de côté. La circonférence (ou un côté des flotteurs) est parfois creusée d’une encoche qui sert à les caler sur la corde.
703Le deuxième type est constitué par de petites plaques oblongues ou losangiques, assez fines, de 7 à 13 cm de longueur pour une épaisseur n’excédant jamais 0,5 cm (fig. 181‑23 à 30). Les extrémités, toujours plus étroites que le centre, sont percées d’un petit trou circulaire qui ne dépasse pas 0,2 cm de diamètre. L’utilisation exacte de ce modèle n’est pas connue. Il pouvait servir de « bouchon » pour la pêche à la ligne attestée par les hameçons, ou faire partie d’un type de filet appelé « cliquet » ou « cliquette », garni de petites plaquettes de bois dont le mouvement et le bruit étaient censés attirer le poisson. Ces filets sont interdits en rivière dès le xvie siècle (Sainct‑Yon 1610 : 224 sq.)
704Le dernier type est le moins représenté. Ce sont des disques de 8 à 12 cm de diamètre, assez épais (jusqu’à 2 centimètres en leur centre), percés d’un orifice central de 1 cm de diamètre (fig. 181‑31 et 32). Ces pièces étaient enfilées et bloquées de place en place sur la corde du filet.
3.5.5.4 La sellerie
705Fig. 183 et 184
706Cet artisanat, qui utilise comme matière première à la fois le cuir et le bois, semble avoir été assez largement pratiqué dans l’habitat : on compte en effet un troussequin complet, trois fragments d’arçons, deux « bandes » et un bât.
707Le troussequin (fig. 183‑1) est une pièce taillée dans une planche de hêtre (épaisseur max. : 2,8 cm) qui comporte deux branches latérales divergentes s’achevant en pointe et une partie sommitale en arc de cercle, crantée à sa base (hauteur totale : 22 cm).

FIG. 183 – Matériel de sellerie : – troussequin (1 no 2233), – bandes (2 no 1754, 3 no 2452), – bât (4 no 1826). (Echelle 1/8)
708Les branches, dont la longueur est identique (19 cm), font un angle de 48° par rapport à l’axe vertical de l’objet. Chacune est percée de trois perforations qui ne sont pas absolument symétriques : une carrée (1 cm de côté), située vers la naissance de chaque branche et plutôt vers le bord externe ; deux autres, approximativement circulaires (diamètre : 0,6 cm), vers les extrémités et le bord interne. La distance qui sépare les extrémités est de 29 cm. Cet objet est très comparable à un troussequin viking (xe siècle) découvert à York (Lang 1988) dont les dimensions lui correspondent très sensiblement : hauteur totale : 19 cm ; largeur restituée : 24 cm ; épaisseur max. : 2,3 cm ; longueur de la branche complète : 16 cm ; angulation de chaque branche : 52°. Contrairement à l’exemplaire viking, sommairement gravé d’un arc de cercle et d’une croix, le troussequin complet de Colletière ne porte aucun décor.
709Tel n’est pas le cas de trois autres objets, d’abord interprétés respectivement comme un cadre d’ala bohemica, sorte de lyre, et comme des chevillers d’instruments à cordes. Sans être absolument semblables, ils présentent une série de caractéristiques communes (section pentagonale, trous de chevillage et même emplacement du décor) qui conduisent désormais à les considérer comme des éléments d’arçon.
710La première pièce (fig. 184‑1) est taillée dans une planche (essence non déterminée) qui comporte deux parties : la partie supérieure est l’amorce d’un dosseret semi‑circulaire, la partie inférieure correspond à une des branches qui venait se fixer sur la « bande » de la selle (longueur : 21 cm ; largeur max. : 8,7 cm). La section est pentagonale allongée sur le dosseret (2,9 cm) et pentagonale plus courte sur la branche (2,5 cm). Un trou de cheville (diamètre : 0,9 cm) se situe au tiers inférieur de l’objet. Le décor gravé qui couvre quatre des cinq faces est constitué d’arcs brisés juxtaposés, de dents de loup et d’ocelles.

FIG. 184 – Matériel de sellerie : – fragments d’arçons (1 no 182, 2 no 3223, 3 no 631). (Echelle 1/4)
711Les deux autres pièces (pommier ou poirier et érable), de même forme, sont également de section pentagonale (longueurs : 15,5 et 8,5 cm ; largeurs : 3,3 et 3,7 cm ; épaisseurs : 3,4 et 2,6 cm). Une de leurs faces est vierge de décor : elle devait s’accoler sur les bandes de selle et n’était donc pas visible. Les autres faces sont ornées de doubles croisillons, de hachures obliques et d’oves (fig. 184‑2 et 3). Les trous de chevillage, espacés de 5,9 cm dans un cas et de 4,5 cm dans l’autre, ont le même diamètre (0,8 cm). La comparaison avec l’objet précédemment décrit, mieux conservé, et surtout avec l’exemplaire viking de York (cf. supra) permet d’interpréter ces éléments comme des fragments de branches d’arçons (pommeau ou troussequin), appartenant à des selles assez richement décorées et sans doute même peintes puisque le premier exemplaire portait, lors de sa découverte, des restes de pigments bleus, qui ne se sont malheureusement pas conservés.
712Deux pièces de hêtre, de forme trapézoïdale, sont légèrement cintrées. Elles mesurent 43 et 37 cm de longueur, 16 et 13 cm de hauteur et 2 cm d’épaisseur. Ce sont des bandes de selle ou longerons qui sont fixées par emboîtement, chevillage et liens de cuir au pommeau (partie antérieure de la selle) et au troussequin (partie postérieure). Elles reposent sur le haut des flancs du cheval, de part et d’autre du dos.
713La première présente sur sa face externe deux gorges cantonnées de quatre trous de chevilles à l’avant et à l’arrière, qui recevaient respectivement une des pointes de l’arçon et une des pointes du troussequin (fig. 183‑2). Une lumière rectangulaire (7 cm de longueur ; 1 cm de largeur au minimum) et oblique vers le bas recevait la sangle d’une sous‑ventrière. Ses dimensions correspondent bien à celles des grosses sangles de cuir, indiquées par les boucles de harnais en fer (cf. supra). La face externe est assez nettement concave pour recevoir le cuir du quartier de selle.
714Enfin, les deux extrémités de la bande (qui restaient seules visibles une fois la selle équipée) sont décorées en deux registres, d’une ligne de guillochis et d’une ligne de dents de loup, simplement incisés.
715La seconde bande, non décorée, est d’un modèle légèrement différent surtout par le système qui la solidarisait aux pommeau et troussequin (fig. 183‑3). En effet, aux deux extrémités, une surépaisseur du bois est creusée d’une profonde et large gorge (2 x 2 cm) dans laquelle s’emboîtaient les pointes des arçons, ensuite fixées par deux chevilles.
716La dernière pièce est plus difficile à interpréter avec certitude (fig. 183‑4). En forme de demi‑lune, elle est à la fois plus fruste et plus épaisse (4 cm) que le troussequin précédemment décrit mais sa hauteur (22 cm) et l’écartement des branches sont absolument identiques (29 cm et angle de 51° par rapport à l’axe vertical). Aucun aménagement ne permet ici de connaître le mode de fixation. Manifestement destiné à équiper un cheval, on peut identifier cet objet indifféremment comme un arçon ou comme un élément de bât de portage. Cependant, la faible hauteur de la partie centrale, insuffisante pour assurer l’assiette d’un cavalier, et la forte épaisseur du bois plaident plutôt pour cette dernière proposition.
717Des objets de même type mais non décorés proviennent des fouilles de Novgorod et sont précisément datés des années 1025‑1055 (bandes et troussequin). Leur mode d’assemblage par chevillage et liens de cuir est identique. Il est particulièrement intéressant de remarquer que des selles en bois du même modèle étaient encore utilisées par les paysans russes au début du xxe siècle (Kolchin 1989 : 92 et pl. 90).
3.5.5.5 Le matériel d’archerie
718Fig. 185
719Un arc entier, en if, mesure 98 cm de long et 1,8 cm de diamètre maximum (fig. 185‑1). Il possède une encoche (la fenêtre) au niveau de la poignée. La section des branches est semi‑circulaire son épaisseur diminue graduellement vers les extrémités (ou poupées). Celles‑ci sont pourvues d’une coche pour l’assujettissement de la corde. Cet arc assez court est probablement une arme de chasse, mais il peut également avoir été utilisé pour la guerre. Ce n’est en effet qu’à partir du xiie siècle que les grands arcs ou long‑bows se répandent. L’usage d’arcs de dimensions modestes est longtemps resté courant, depuis la fin du Paléolithique jusqu’au haut Moyen Age.

FIG. 185 – Matériel d’archerie : – arc (1 no 102), fragments d’arcs (2 no 3021, 3, 4 sn, 5 no 395), – arbrier d’arbalète (6 no 507), – carreau d’arbalète en fer (7 no 840), – hampes (8 à 12 sn, 13 no 1518, 14 no 1272). (1 Echelle 1/8, 2 à 14 Echelle 1/4)
720Deux fragments d’arc et un arbrier complet proviennent d’une arbalète, mais il n’est pas certain qu’il s’agisse d’un seul et même objet. L’arbrier mesure 49,6 cm de longueur ; il est large de 4,5 cm pour une épaisseur de 1,8 cm (fig. 185‑6). C’est un fût de hêtre, soigneusement taillé et poli, qui possède une face supérieure rectiligne où le trait glissait dans une gorge de section semi‑circulaire. Il portait à l’une de ses extrémités un arc en if (partie centrale : longueur 24,5 cm, largeur 2,2 cm, épaisseur 1,9 cm ; extrémité : longueur 16,8 cm, largeur 2,4 cm, épaisseur 1,5 cm) maintenu dans une position horizontale par une fourche à laquelle une ligature le fixait. La corde, une fois tendue, était bloquée sur la détente, logée dans un décrochement vertical de l’arbrier. La profonde rainure du système de déclenchement et la position du pivot de la détente subsistent encore. On tenait l’arme par une crosse droite, assez fruste, de section approximativement circulaire. Ce modèle d’arbalète à courte portée, dont la puissance ne devait pas excéder une quarantaine de livres, est très proche de celui qui était utilisé pour la chasse au xvie siècle encore dans le nord de l’Europe (Credland 1983).
721Cette arme de petite taille ne pouvait être utilisée qu’en tir instinctif. L’absence de noix d’arbalète, dont on retrouve couramment des exemplaires en os sur d’autres sites de cette époque (castrum d’Andone à Villejoubert) pose le problème du système de décoche utilisé. Celui‑ci reste donc pour l’instant indéterminé.
722Sur les 22 fragments de traits d’arbalètes ou de hampes de flèches en frêne (fig. 185‑7 à 14), 3 extrémités étaient encore engagées dans les douilles de pointes de fer. On compte également 4 talons dépourvus de traces d’empennage et d’encoches. Les autres fragments appartiennent au corps des traits. Le modèle des pointes de fer et le faible diamètre des corps de bois (0,5 à 0,8 cm) font penser à des hampes de flèches mais la forme spatulée des talons indiquerait plutôt des traits d’arbalète.
5.5.5.6 Les objets de la vie domestique
723Fig. 186, 187, 188 et 189
Boîtier de serrure
724Une pièce de hêtre incomplète (longueur: 18 cm ; largeur : 10 cm ; épaisseur : 6,4 cm) est en forme de capot à l’intérieur duquel sont encore fichées des pointes de fer qui l’assujettissaient au panneau mobile (fig. 186‑9). Elle est creusée de deux cavités : l’une, carrée, est profonde et de grandes dimensions (longueur : 6 cm ; largeur : 7 cm ; profondeur : 3 cm) ; l’autre, de même forme, est beaucoup plus petite (longueur : 2 cm ; largeur : 2,9 cm ; profondeur : 3 cm). Elles communiquent entre elles par un petit trou où coulissait sans doute un pêne en fer. Ce dernier devait prendre place dans la grande cavité où tournait la clé. La forme de ce boîtier le classe parmi les boîtes de contre‑parement. Un anneau de moraillon, fixé au cadre d’une porte, devait se loger à travers le panneau dans la petite cavité. Cet anneau recevait la pointe du pêne qui assurait ainsi la fermeture de la porte.

FIG. 186 – Matériel de serrurerie – loquets (1, 2 sn), – pênes (3, 4 sn, 5 no 628, 6 à 8 sn), boîtier de serrure (9 no 1621). (Echelle 1/8)
Loquets et pênes
725Des pièces généralement longues (de 20 à 35 cm) et étroites (de 4 à 8 cm) sont soit des loquets, soit des pênes. Les premiers (2 ou 3 exemplaires en hêtre) comportent une perforation circulaire à une extrémité et, dans un cas, une lumière ovalaire sur le corps de l’objet (fig. 186‑1 et 2). L’orifice circulaire recevait l’axe du pivot, sans doute en fer, et la lumière devait contenir une clavette de préhension. Les seconds (en chêne ou en frêne), plus fréquents, présentent toujours plusieurs crans et possèdent parfois un appendice latéral (fig. 186‑3, 4 et 6 à 8). Un pêne complet (37 cm de longueur ; 5,4 cm de largeur ; 4 cm d’épaisseur) associait une clavette de préhension à un crénelage de quatre encoches sur lesquelles agissait une cale actionnée par la clef (fig. 186‑5). Un système de fermeture de cette taille pouvait servir pour une porte de grandes dimensions (grange, écurie, etc.).
Meubles
726Les vestiges des meubles sont très rares sur le site. Cela n’est pas étonnant puisqu’on sait qu’à l’exception des tables sur tréteaux et des sièges, le plus souvent sommaires, la pièce d’ameublement la plus courante était au Moyen Age le grand coffre de rangement. De tels coffres, solidement construits, ont évidemment dû être emportés lors de l’abandon de l’habitat.
727Deux planches rectangulaires en chêne (longueurs : 67 et 66 cm ; largeurs : 19 et 27 cm ; épaisseurs : 2,6 et 2,9 cm) sont bouvetées et rainurées (fig. 187‑2 et 3). Elles s’emboîtent donc par assemblage de type rainure‑languette. Sur la seconde c’est dans une surépaisseur latérale que la rainure a été pratiquée. Cette disposition montre qu’il s’agit d’une planche d’angle.

FIG. 187 – Eléments de meubles : – pied (1 no 80.91.44), – planches bouvetées (2 sn, 3 sn) – planchettes (4 no 1529, 5 no 1557), claies (6 sn, 7 sn). (1, 4, 5 échelle 1/16 ; 2, 3, 6, 7 échelle 1/24)
728Une autre pièce est constituée par l’accolement à contre‑fil de deux fines planchettes de chêne (longueur: 13,7 cm ; largeur : 11,1 cm ; épaisseur totale : 0,85 cm ; épaisseur de chaque planchette : 0,42 cm). Les deux composantes sont assujetties par deux petites chevilles carrées (0,02 cm de côté).
729Découverte à côté des précédentes, une troisième planchette de même essence provient manifestement du même meuble, coffret ou table de jeu (longueur : 16,4 cm ; largeur : 12,1 cm ; épaisseur : 0,40 cm).
730Un cylindre de frêne doit être interprété comme le pied d’un meuble (fig. 187‑1) sur lequel le tourneur a dégagé une alternance de moulures en creux et en saillies (hauteur : 6,3 cm ; largeur maximum : 6 cm ; diamètre : 6 cm).
731Enfin deux planches proviennent de claies (longueurs : 107 et 88,5 cm ; largeurs : 15 cm et 7,8 cm ; épaisseurs : 3,35 cm). Elles sont percées à intervalles assez irréguliers de trous pour leur chevillage (diamètres approximatifs : 2 cm), sur la tranche pour l’une et sur la largeur pour l’autre.
Embauchoirs
732Trois objets, en chêne ou en hêtre, reproduisent le volume d’un pied (fig. 188). Les extrémités en sont pointues, tout comme les chaussures et semelles découvertes dans l’habitat. La partie postérieure est plus ou moins oblique au niveau du talon pour faciliter la mise en place et l’extraction d’une chaussure.

FIG. 188 – Embauchoirs à chaussures (1 no 76.20.3, 2 no 3370, 3 no 3308). (Echelle 1/6)
733Ce sont des embauchoirs et non des formes pour la confection comme l’indiquent l’absence de traces de découpe du cuir et le décor soigné qui orne la face supérieure de l’un d’entre eux, composé de dents de loup comprises entre deux registres de chevrons (longueurs : 23,5‑24 et 28 cm ; largeurs maximum : 7,5‑6,4 et 7,3 cm ; hauteurs : 7‑8, 4 et 9,4 cm).
734Parmi les nombreux embauchoirs et formes à chaussures en bois de Novgorod, la plupart sont plus tardifs (xiiie ‑ xve siècles). Quelques rares exemplaires cependant sont de la fin du xe et du xie siècles : il s’agit alors de formes de cordonnier, employées pour le travail de découpe des cuirs (Kolchin 1989 : 28‑30).
Bâtons de compte
735Plusieurs dizaines de baguettes de bois tendre (noisetier surtout, aulne et saule), de section rectangulaire, carrée ou triangulaire, portent sur une ou plusieurs arêtes des successions d’encoches en V, incisées au couteau (fig. 177‑2 à 8). Toutes sont brisées et incomplètes ce qui ne permet pas de connaître leur longueur d’origine. Il semble cependant que celle‑ci ne devait guère excéder une vingtaine de centimètres (1,3 à 1,7 cm de section). Ces baguettes sont interprétées comme des bâtons de compte, utilisés pour le dénombrement des denrées alimentaires, des produits artisanaux, des têtes de bétail, etc. On connaît de semblables bâtons, utilisés jusqu’à la fin du xixe siècle par les boulangers pour compter les pains.
Peignes
736Sur 59 peignes, 23 sont complets ou archéologiquement reconstituables. Après recoupement, 44 ont été individualisés. Tous sont monoxyles (buis) et si leurs dimensions varient sensiblement, ils appartiennent au même type. Carrés ou rectangulaires, de section plate ou biconvexe, ils possèdent une double endenture, une rangée de grosses dents s’opposant systématiquement à une rangée de petites.
737Leurs dimensions sont comprises entre 3,8 et 11,1 cm pour la largeur, 9,2 et 14 cm pour la hauteur et 0,7 à 1,4 cm pour l’épaisseur. Les grosses dents pointues, plus ou moins longues (2,5 à 4 cm) présentent des sections octo‑ ou hexagonales. Les petites dents, également pointues, sont de section rectangulaire et mesurent 2 à 3 cm de longueur. De part et d’autre, un aplat, plus ou moins large, protège la rangée de petites dents. Les rives des peignes ont des formes caractéristiques qu’on peut classer en cinq catégories :
– rives droites chanfreinées de biais ou en rond (fig. 189‑1 à 10) ;
– avec une encoche de préhension semi‑circulaire (fig. 189‑11 à 15) ;
– avec une encoche de préhension et deux appendices latéraux débordants (fig. 189‑16 et 17) ;
– cintrées en creux (fig. 189‑18 à 20) ;
– avec une encoche profonde en V (fig. 189‑22).

FIG. 189 – Peignes (1 no 1347, 2 no 1396, 3 no 1459, 4 no 1448, 5 no 2566, 6 no 2971, 7 no 2441, 8, no 2752, 9 no 2207, 10 no 167, 11 no 2317, 12 no 1074, 13 no 2614/2643/2658, 14 no 1388, 15 no 77, 16 no 190, 17 no 660, 18 no 1627, 19 no 2598/2599/2611/2612, 20 no 1556, 21 no 1370/1327, 22 no 704, 23 no 1833, 24 no 879, 25 no 3365). (Echelle 1/8)
738De nombreux peignes, également en buis à 97 % et très comparables par leurs formes et leurs dimensions, proviennent de Novgorod. La plupart, carrés ou rectangulaires, s’échelonnent du xe au xve siècle. Il semble que les peignes à bords convexes n’y apparaissent pas avant le xiiiesiècle (Kolchin 1989).
739Trois exemplaires seulement sont décorés sur une ou deux faces (fig. 189‑23 à 25). Il s’agit toujours de motifs géométriques obtenus par des successions de points pyrogravés où alternent des registres de lignes parallèles et des demi‑cercles concentriques ou des ondes. Dans un cas cependant le décor est plus élaboré. Il figure d’ailleurs sur un modèle de peigne également unique par sa forme trapézoïdale et par la longueur exceptionnelle des grandes dents. Sur une face les lignes de points dessinent une croix latine dont les branches sont bouletées. Sur l’autre face, à l’intérieur d’un double cadre subrectangulaire, on distingue un motif serpenti‑forme.
740Ces peignes ont d’abord été interprétés comme des outils de l’artisanat textile. Mais leur nombre et le très faible écartement des petites dents (de section rectangulaire et non circulaire) sont caractéristiques des peignes de toilette utilisés pour le démêlage et l’épouillage. Le mieux décoré était très probablement destiné a être porté dans la chevelure où ses longues dents pouvaient le maintenir. D’une façon générale la plupart de ces objets sont très proches de certains peignes liturgiques en ivoire comme celui de Belley, daté de la fin du xiie siècle (Colardelle, Reynaud 1981 :139).
741Les troncs de buis sont abattus à la hache ou au cochoir. Ebranchés, les fûts sont transportés jusqu’à l’atelier pour y être débités, verts ou ressuyés, en billes de 10 à 15 cm de longueur. Le buis est un bois très adhérent et par conséquent peu fissible. Les débits sur dosse sont donc délicats à obtenir.
742Les plaquettes de 10 à 15 cm de côté, épaisses de 0,7 à 1,2 cm doivent être mises en forme, biconvexe ou plane. Pour ce faire, on doit utiliser un racloir, la pièce de bois bloquée sur un étau21. Le sciage des grosses dents se pratique également sur l’étau avec une petite scie dont la longueur de la lame n’excède pas 10 cm (cf. supra). Le sciage est toujours exécuté sur le fil du bois. Il facilite la pénétration de l’outil et confère le maximum de solidité aux dents. Il est apparemment réalisé sans repère préalable sur le bois (aucune marque de ce genre n’a été observée). Une fois la taille des petites dents achevée, les grosses dents de section polygonale doivent être épointées. On utilise pour cela une lime ou une râpe qui rogne le bois. Des stries parallèles encore visibles en témoignent.
743Les biseaux aigus de la base des dents leur assurent une solidité certaine puisqu’un maximum de bois les retient. D’autre part, ils facilitent le passage des cheveux lors de l’emploi du peigne. La taille des arêtes et des encoches de préhension parachève le façonnage. Elle s’effectue par enlèvement de copeaux avec un simple couteau bien affûté. Les décors de points pyrogravés sont réalisés avec une pointe de métal rougie au feu.
744Dans l’ensemble, les peignes, faiblement polis et à peine usés, ne portent pas de trace d’utilisation caractéristique. Les cassures longitudinales ont provoqué le rejet de ceux qui étaient devenus inutilisables. En effet, seuls deux exemplaires ont été retaillés. Le nombre de peignes entiers et neufs, parfaitement fonctionnels, atteint 40 % du total.
Vannerie
745Les vestiges de vannerie sont peu nombreux. On en compte cinq exemplaires seulement : un anneau formé de trois brins torsadés ; un second encore en place autour de l’anse d’une cruche de céramique ; un fond de panier de belle facture (fig. 190) et quelques fragments informes. En osier (saule), ces objets n’offrent pas pour l’instant un échantillonnage suffisant pour définir une typologie.

FIG. 190 – Panier en osier (no 1828)
cliché fouilles de Colletière
3.5.5.7 Conclusion
746Dans chaque catégorie, le mobilier de bois témoigne d’une grande homogénéité de formes et de dimensions (plats, flotteurs de filets, etc.). Utilisant le plus souvent la même technique de fabrication, l’artisan ne travaille qu’une même essence pour obtenir des objets d’un même type (fuseaux, peignes, arcs, manches d’outils).
747Le concept de mode et les contraintes technologiques conditionnent pour une part cette uniformité. Mais celle‑ci peut être également due au fait que la production était assurée par un petit nombre d’individus au sein d’un même atelier, et surtout à la force de la tradition technologique.
748En étudiant les techniques de production, il est aisé d’associer la tournerie des plats à celle des fuseaux. Ces deux activités exploitent principalement la même essence (l’érable). Dans la forêt toute proche, les érables (sycomores et planes) étaient à coup sûr les mieux adaptés à la tournerie.
749Un même ensemble technique a été employé pour l’obtention des peignes et des cuillères, façonnés dans le même bois dur, le buis, qui a été de tout temps l’essence de prédilection pour ces produits. L’évaluation des diamètres minimaux montre que les plats sont obtenus, en général, à partir d’érables de 40 à 50 cm de diamètre. Les fuseaux et les cuillères le sont à partir de billes de 5 à 40 cm. Il est tentant d’imaginer que pour un fût d’érable abattu, les billes de « culée » auraient été réservées à la fabrication des plats, les billes de « tête » à celle des fuseaux, des cuillères et de quelques autres ustensiles. Evitant ainsi le gaspillage, ce regroupement aurait rentabilisé au maximum la grume. La même réflexion s’applique au buis, dont les diamètres moyens de 9 à 12 cm utilisés pour l’obtention des peignes correspondraient à ceux des billes de « culée ». Les diamètres minimaux de 8 à 10 cm à partir desquels sont obtenues les cuillères correspondraient alors aux billes de « tête ».
750L’observation des cernes courts et réguliers n’est pas incompatible avec cette hypothèse. Les cernes des érables utilisés pour la fabrication des plats ou pour celle des fuseaux ont souvent une même épaisseur, d’environ 0,2 à 0,3 cm. Les cernes des chênes mis en œuvre dans l’architecture et de ceux utilisés pour la confection du mobilier, en particulier les douelles, sont également semblables. Il en va de même pour ceux des frênes exploités pour les manches d’outils et pour certains plats.
751C’est à l’automne ou en hiver que les arbres choisis sont abattus. La sève s’étant retirée des troncs, les bois sont alors propres au façonnage. C’est surtout pendant la saison hivernale (où les activités agricoles sont réduites) que la confection du mobilier devait être assurée par les habitants qui exerçaient d’autres activités le reste de l’année (élevage, agriculture, pêche, etc.).
752Le cas de la fabrication des récipients assemblés est différent. Ce matériel est réalisé en effet à partir d’un bois qui exige un séchage assez long. Il est donc nécessaire d’en prévoir la confection et d’abattre les chênes assez longtemps à l’avance (plusieurs années ?) dans cette perspective.
753La collection des outils recueillis sur le site s’accroît de façon substantielle chaque année. Cependant, la plupart de ceux qui ont été nécessaires à la pratique des artisanats du bois font encore défaut :
– le tour à perche et à pédale pour les plats ;
– le crochet de tourneur pour le façonnage des récipients ;
– l’assette ou l’herminette pour la finition des plats et le jable des douves ;
– le tour à archet ou à pédales pour les fuseaux ;
– le ciseau plat de tourneur pour le tournage des fuseaux ;
– le ciseau droit percuté pour la taille des écuelles ;
– le couteau courbe ou serpette pour les cuillères ;
– la rouanne ou crochet large pour le creux des cuillerons ;
– le racloir pour le parement des peignes ;
– l’étau de blocage pour les peignes ;
– la lime ou râpe pour la réalisation des grosses dents ;
– la rénette pour les décors d’incisions ;
– le banc de cuvelier pour le bâtissage des cuves ;
– la colombe ou varlope pour les clains des douves ;
– peut‑être le cochoir pour le travail des cercles ;
– peut‑être la plane pour la confection des arcs.
754Aucun compas ni marque de compas n’a été découvert, mais on peut raisonnablement ajouter cet instrument à la liste. Le principe du jabloir, lame dentée montée sur un trusquin, n’était apparemment pas en usage à Charavines. Les scies à branches, à cadre, ou grandes scies des scieurs de long, sont absentes, alors qu’on les employait durant l’Antiquité. Il faut attendre les xiiie et xive siècles pour les voir à nouveau représentées et utilisées de façon plus systématique, mais le principe de la scie est resté connu durant tout le Moyen Age. Les artisans possédaient manifestement une connaissance parfaite des essences et de leurs propriétés à chaque étape de leur dessiccation. Ils travaillaient les espèces dotées des meilleures qualités pour la taille, mais aussi aptes à supporter un usage prolongé. Le fendage et le façonnage étaient pratiqués en deçà du point de saturation, ce qui facilitait un excellent rendement des outils. La fente, habilement réalisée, palliait l’absence de grandes scies. Les merrains de chêne et les pièces facturées devaient être soigneusement séchés. Les fûts calibrés étaient choisis pour leur bois homogène, aux cernes courts et réguliers, et au fil bien rectiligne. On évitait ainsi, au maximum, les fentes et les déformations par retrait au séchage. Le travail était conduit avec des outils diversifiés et performants. L’emploi du bois madré, de bel aspect, et l’exécution soignée de certaines pièces rehaussées de stries ou de décors pyrogravés montrent que la préoccupation esthétique était réelle. Cependant, le principal souci semble avoir été d’obtenir avant tout un mobilier fonctionnel.
755Le comptage des objets individualisés situe le nombre des plats et des cuillères à 68. Bien que ce mobilier ait été théoriquement quotidiennement employé, on constate que les cuillères et les plats neufs ou ayant peu servi représentent 15 à 20 %. Ces pourcentages sont un peu élevés pour du mobilier perdu ou cassé en bon état. Mais ils peuvent s’expliquer par le bris fréquent et la perte sur des sols de jonchées, rechargés et non nettoyés. Si l’on suppose une utilisation personnelle des plats et des cuillères on pourrait alors en conclure que leur nombre constitue une bonne indication de la population de Coiletière. 50 % seulement de l’espace ayant été fouillé, on peut estimer le nombre total à 136, ce qui, sur une quarantaine d’années, peut faire évaluer la population habitant en même temps sur le site à environ 60 personnes ‑ en admettant, ce qui n’a pas dû être le cas, un nombre constant.
756Les 78 fuseaux attestent l’importance du filage, traditionnellement réservé aux femmes. Mais il est possible que plusieurs d’entre eux, d’aspect neuf, aient été destinés à la commercialisation ou au troc. Les peignes de toilette sont particulièrement nombreux (44). Neufs et entiers pour la plupart, ils révéleraient également une production destinée à la vente ou à l’échange.
757Les formes globulaires rentrantes ou « fermées » des cruches, pots à cuire et gourdes en céramique en grand nombre soulignent l’importance accordée aux récipients de stockage. La préparation des aliments bouillis est démontrée par l’existence de pots à cuire disposés sur les grands foyers. Les cuillères à ragoût brassent et servent les préparations dans les grands plats et écuelles de bois qui gardent bien la chaleur des aliments.
758Les cuillères de table permettent de consommer les aliments semi‑solides. Une belle collection de cruches en céramique à anses larges et becs pontés ou pincés a été découverte mais il n’existe ni gobelet, ni coupe, ni corne ou verre.
759En se référant aux représentations du xie siècle, on constate qu’il est courant de boire dans des coupelles ou dans de petites écuelles. Celles qui ont été tournées dans du bois madré ont pu servir de récipients à boire. Elles représentent sans doute la forme première du « hanap de madré » du xiiie siècle. Comparer ce mobilier à celui d’autres sites sub‑contemporains (xe‑xiie siècles) est délicat car une collection aussi fournie se prête mal à la comparaison avec un seul objet ou un petit groupe d’objets. L’exemple des fuseaux permet toutefois de constater que ceux de Coiletière se distinguent des fuseaux découverts en Europe du Nord ou de l’Est, par leur extrémité conique et leur disque débordant. Cette particularité tient peut‑être au type de fibre travaillé et à la technique du toupillage.
760Si la plupart des récipients tournés découverts ailleurs sont semblables à ceux de Charavines (au pied court, à la paroi ouverte et fine, aux bords droits pourvus de lèvres éversées ou de marlis), aucun ne rivalise en diamètre avec les grands plats du site, à l’exception toutefois de ceux de Novgorod, plus récents. La même remarque peut être faite pour les cuillères. Très grandes par rapport à leurs homologues de l’Europe du Nord ou de l’Est, elles s’en différencient également par le coude du manche et un angle au cuiileron bien marqué.
761Les seaux sont par leurs dimensions et leurs formes semblables à ceux de l’Europe du Nord notamment vikings (Hall 1984 : 139) ou de l’Est (Kolchin 1989 : 314), mais les grandes cuves hautes, la cuve tripode et la barrique n’ont apparemment pas d’équivalent pour cette époque.
3.5.6 Les instruments de musique
762Catherine Homo‑Lechner
763A l’exception des idiophones, Colletière a livré des fragments d’instruments de musique appartenant à toutes les grandes familles organoiogiques : chordophones, aérophones et membranophones (fig. 191 et 192). Tous les instruments ne sont pas en bois. On y relève aussi l’os et la céramique mais c’est la forte proportion de bois qui avive l’intérêt de cette recherche. Les conditions exceptionnelles de gisement en milieu subaquatique ont favorisé la conservation du matériel le plus fragile et le plus commun. Cette collection permet donc de corriger les statistiques habituelles. L’exemple le plus frappant est celui des petits chevalets en bois. Trois sont actuellement recensés en France dont deux ont été trouvés ici. A l’exception de ceux de York (Hall 1984 : 115‑116), Trondheim (non publié) et Opole (Crane 1972 : 9), la dizaine d’autres chevalets répertoriés date de périodes plus anciennes et tous sont réalisés dans des matériaux plus résistants comme l’os, la corne, l’ambre ou même le bronze.
3.5.6.1 Le métal
764Dans la catégorie des idiophones (objets qui sonnent par eux‑mêmes) aucune pièce métallique appartenant à des parures ou des harnachements équestres, comme des sonnailles, des bruiteurs, des grelots ou des clochettes, n’a été découverte pas plus que des clarines pour le bétail, cloches, hochets ou guimbardes.
3.5.6.2 La céramique
765Plusieurs séries de tessons courbes ont pu être mis en connexion pour reconstituer des trompes d’appel (fig. 191‑1). Les trompes, à l’origine en come, pouvaient tout aussi bien être taillées dans le bois, façonnées dans l’argile ou fondues comme cela deviendra la règle ultérieurement. Elles se fixaient à la ceinture ou se portaient en sautoir. D’un emploi quotidien, elles étaient surtout utilisées dans les activités pastorales (garde du bétail) et cynégétiques ou servaient de moyen de communication pour transmettre des informations entre vallées ou villages.

FIG. 191 – Instruments à vent : – trompe d’appel (1 sn), – clarinette de cornemuse (2 no 280), – porte‑anche de hautbois (3 no 230), – flûte (4 no 1266), flageolet (5 no 1919), – sifflets (6 no 3038, 7 no 2393, 8 no R.1989.447), – fragments de sifflets ? (9 no 2241, 10 no 114). (Echelle 1/4)
3.5.6.3 L’os
766Il ne s’agit pas, en ce qui concerne les instruments à vent, de production de tabletterie importée mais d’un façonnage rapide effectué sur des déchets de cuisine ou de chasse.
Une flûte droite
767Cette flûte est taillée dans un os long d’oiseau dont les parties distale et proximale ont été soigneusement coupées (fig. 191‑5). Les os d’oiseau présentent l’avantage d’être creux, fins et réguliers. Ils conviennent donc particulièrement à la confection de tels instruments. Cet objet porte trois trous de jeu circulaires et une lumière carrée. Un petit trou de suspension est ménagé au bas du revers de l’os. Ce flageolet est intact, exception faite du bloc qui a disparu. Seule une analyse des microtraces dans les cavités médullaires pourrait révéler la matière dans laquelle il était réalisé : cire d’abeille, argile ou bois. Toutefois l’emploi de ce dernier est peu probable car ce matériau non ductile requiert une taille précise et délicate. Cet objet très simple, en parfait état, a été retouché et gratté au couteau comme le montrent les traces de broutage. L’instrument est taillé suivant des proportions « digitales », c’est‑à‑dire que les trous de jeu sont espacés de la largeur d’un doigt, que le trou inférieur est à deux doigts du pied et que la lumière se situe à un doigt de l’embouchure.
768Lors de sa découverte, il put être joué par Y. Esquieu comme une flûte traversière et donc sans bloc. Mais, outre l’aménagement de l’embouchure qui ne se prête pas à l’identification d’une flûte traversière, le nombre réduit de trous de jeu ne doit mobiliser qu’une seule main, ce qui n’est pas cohérent avec le principe de jeu de la traversière. En revanche, cette pratique est tout à fait courante pour la flûte droite.
769Des pièces assez semblables ont été retrouvées à Dublin (Vicking 1978 : 64 ; Buckley 1989 : 152‑155, fig. 3) (xie siècle, 2 trous de jeu), Haithabu (Brade 1975) (xe siècle, os de cygne, 2 trous de jeu), York (Hall 1984 : 115‑116) (xe siècle, os d’oiseau, 1 trou de jeu), Rougiers (Demians‑d’Archimbaud 1978 : 1030, ph. 534, pl. 373) (xiiiesiècle, os de rapace, 4 trous de jeu).
770Longueur : 20,6 cm ; diam. biseau : 1,2 cm ; diam. trous de jeu : 0,7 cm.
Deux sifflets ou appeaux
771Ces deux instruments présentent une forte similitude (fig. 191‑6 et 7). Le premier (taillé dans un os d’oiseau ?) est complet et permet de reconstituer la taille approximative du second, incomplet (taillé dans un tibia de très jeune capriné). Chacun de ces sifflets porte deux trous de jeu circulaires et un biseau. La perce est irrégulière et biconique. Les os, taillés au couteau, n’ont quasiment pas été retouchés. Comme pour le flageolet en os, le bloc a disparu et seule une fine analyse à la binoculaire pourrait révéler son matériau. Des sifflets de ce type ont été retrouvés à Haithabu (xe siècle) (Brade 1975).
772Longueur max. : 10,1 cm (no 3038) et 7,5 cm (no 2393) ; diam. trous de jeu et biseau : 0,3 cm (no 2393) et 0,5 cm (no 3038).
Un autre fragment d’os
773Ce fragment appartient probablement à cette série (fig. 191‑9). Bien que très endommagé, il garde en effet l’amorce de deux trous dont l’écartement est presque semblable à celui du sifflet (no 2393) précédemment décrit. L’intérêt de cette pièce réside dans le décor gravé sur chacune des facettes, larges bandeaux en zigzag, symétriques et hachurés, qui la recouvrent totalement. L’objet porte la trace du passage du feu dans sa moitié supérieure.
774Longueur max. : 4,7 cm.
Un quatrième sifflet
775Il est taillé dans un os long très régulier (oiseau ?), sans doute avec un couteau comme l’indiquent des traces annulaires au revers, au niveau des coupes proximale et distale (fig. 191‑8). Toutefois, il ne présente que deux trous nettement moins soignés que sur les autres sifflets. La lumière, presque rectangulaire, est cette fois plus grande que le trou de jeu plutôt circulaire. L’os est fendu sur toute sa longueur et un large éclat manque au niveau du pied.
776Longueur max. : 8,5 cm ; diam. du trou de jeu : 0,4 cm ; lumière : 0,55 x 0,75 cm.
Un fragment d’os
777Soigneusement gravé, il comporte trois rangs superposés d’ocelles pointées, encadrés par trois anneaux (fig. 191‑10). La présence d’une petite perforation inciterait à reconnaître dans cet éclat un fragment d’aérophone. Cette hypothèse pourtant ne peut être retenue. Le trou, perforé en biais, est en effet trop près du bord (0,3 cm) pour constituer le biseau d’un sifflet. L’os était du reste si fragile en cet endroit qu’une fente est apparue. Ce trou doit plutôt être interprété comme un trou de suspension. Ce petit objet pourrait aussi se rapporter à un délicat système de blocage, le trou accueillant une petite cheville.
778Longueur max. : 3,8 cm ; largeur max. : 1,2 cm.
Cinq plaques
779En andouiller de chevreuil, décorées d’ocelles, elles composent un décor de placage prêt à garnir les deux faces d’un même objet en recto‑verso ou en symétrie sur un même plan (fig. 192‑5). Chaque extrémité s’orne d’une tête zoomorphe stylisée. L’ensemble reconstitué est galbé et présente au moins six trous (Mc Gregor 1985). Ce décor a pu être plaqué sur toutes sortes d’objets et n’a rien de spécifique aux instruments de musique. Il n’a aucun rôle fonctionnel de renfort. La forme ainsi reconstituée mesure une vingtaine de centimètres environ, ce qui paraît insuffisant pour s’adapter au cadre d’une lyre, seule hypothèse organologique acceptable d’après la forme générale.

FIG. 192 – Autres instruments : – table d’harmonie (1 no 617), – chevalets de vièle (2 no 2402, 3 no 346), – cheville (4 no 500), – plaques décoratives pour cadre de lyre ? (5 no 2830‑2932‑2967), – tambourin (6 no 89.46.43). (Echelle 1/4)
3.5.6.4 Le bois
780Les objets en bois qui nous intéressent comprennent surtout des fragments d’aérophones, quelques chordophones et sans doute aussi (mais cela n’est toujours pas clairement démontré) un membranophone.
Aérophones
781La bonne conservation des bois rend plus évidente encore la fréquence des instruments à vent par rapport aux autres. Les fragments en bois permettent de reconnaître des instruments de deux types : à biseau (« flûtes ») et à anche (simple ou double).
Instrument à anche simple
782La pièce la plus étonnante est un fragment de double chalumeau en chêne, taillée au couteau (Pl. III, C et fig. 191‑2). Deux perces cylindriques d’un diamètre de 0,6 cm chacune sont en effet ménagées et cinq trous de jeu sont placés en parallèle sur chaque conduit, dans de légères dépressions. Le revers présente l’amorce d’un trou de pouce vers la tête ainsi qu’un petit trou carré vers le pied. Pour cet instrument, deux reconstitutions sont possibles : soit il correspond au chanteur d’une cornemuse, faite à l’image des tsabounes grecques (mais aucun des cuirs retrouvés ne semble adapté à cette fonction), soit à une double clarinette qui pourrait correspondre à l’estive mentionné dans les textes médiévaux et à certains instruments des Balkans tels qu’il en existe encore en Bosnie par exemple. Le musée de l’Homme à Paris possède des objets de cette région datant du siècle dernier dont deux, nommés diples, sont très proches par leurs proportions de celui de Charavines (19 cm de longueur) et présentent une disposition des trous de jeu très semblable. Les anches étaient protégées par un embout tronconique en bois ou en corne et pouvaient être embouchées. Ces instruments se jouent en bouchant les trous jumeaux avec un même doigt.

Pl. III, C Clarinette de cornemuse, chêne (no 280)
cliché CAHMGI
783On connaît plusieurs pièces d’époques différentes mais assez semblables par leur forme et leur matière. L’une est en terre cuite, fragmentaire et assez grossière (Angleterre, ve siècle, découverte à Lydiard, Tregoze, à publier par G. Lawson), l’autre en bois, trouvée à Oxford (inventaire du musée), mesure 31 cm et porte 4 trous de jeu sur chaque tuyau et un trou de pouce (xve‑xvie siècles). Quatre doubles chalumeaux hongrois et croates proviennent de nécropoles du haut Moyen Age (entre 600 et 700) (Barthes 1934 ; Henzel 1972 : pl. VIII, fig. 10). Quatre autres pièces enfin ont été découvertes à Wroclaw, Varsovie, Cracovie et Gdansk (Sarnowska 1977 : fig. 3).
784Des chalumeaux simples comme ceux de Falster (Lund 1981 ; Muller 1989 : 34, fig. 3) et de Leeuwarden (musée Frison) portent des tenons à chacune de leurs extrémités, ce qui les identifie davantage à des chanteurs de cornemuse et des pib corns qu’à de simples clarinettes.
785Longueur actuelle : 12,8 (reconstitution : env. 18 cm) ; largeur : 2,1 cm ; ép. : 1/1,2 cm ; diam. perce : 0,6 cm ; diam. trou de pouce : 0,4 cm.
Instrument à anche simple ou double
786Une autre pièce, en sureau, également taillée au couteau mais plus grossièrement, présente six trous de jeu et un trou de pouce au revers de la tête, tous carrés et logés dans de petites dépressions de même forme (fig. 191‑4). Le pied de l’instrument est intact. La tête est légèrement endommagée. Sauf vers l’embouchure où la perce s’évase, le conduit est cylindrique. Deux hypothèses sont recevables : soit un porte‑anche venait se loger dans la tête du tuyau à l’endroit où la perce est conique, soit l’anche idioglotte était taillée à l’endroit où le bois est maintenant brisé. Il est par conséquent difficile d’affirmer s’il s’agit d’une anche simple ou double.
787Longueur : 14 cm ; largeur : 1,4 cm ; diam. perce : 0,5 cm ; diam. Int. trous de jeu : 0,3/0,4 cm ; diam. ext. trous de jeu : 0,8/1,1 cm.
788D’autres chalumeaux simples sont connus tel celui en coudrier de Villeneuve‑d’Ascq (Homo‑Lechner 1987 : 11‑12), largement postérieur (xiiie siècle).
Instrument à anche double
789Une autre pièce, en frêne, ressemble à un champignon qu’une perce très fine traverse de part en part (diam. : 0,95 cm). Aucune comparaison autre qu’ethnographique ne peut être établie. Cet accessoire semble appartenir à un hautbois (fig. 191‑3). Entre le tuyau conique de l’instrument et l’anche double vient se placer le bulbe ou porte‑anche. Il est calé contre la pirouette qui sert souvent de butée sur les instruments non européens comme le shanaï indien, la zourna turque ou le sona chinois.
790Longueur : 7,5 cm dont 5,85 cm pour le tenon.
Objets Indéterminés
791Huit autres objets en fort mauvais état et très fragmentaires sont en bois tendre (sureau évidé pour cinq d’entre eux au moins). Ils ressemblent davantage à des morceaux de tube ou de gaine, façonnés dans un but encore non identifié. L’un d’eux est très curieux (no 3000) : la branche évidée renferme de petites tiges de bois plates, finement taillées en biseau et qui coulissent parfaitement dans la gaine de bois. L’objet pourrait servir d’étui. Il est très douteux que cette pièce se rapporte à un instrument à vent, de même que la plupart des autres. Ils portent peu d’éléments qui permettent de les rattacher clairement à des aérophones. L’identification organologique ne s’impose ici absolument pas.
Chordophones
792Les fragments d’instruments à cordes, tous en bois, sont peu nombreux. Leur découverte est essentielle car, étant à 90 % composés de matières organiques (bois, attaches en cuir et cordes en boyau), les instruments les plus courants ont généralement complètement disparu. Des instruments plus élaborés ou plus résistants ont livré des pièces en os comme des chevilles (fouilles urbaines de Saint‑Denis) (Gérard 1987 : 15) ou des cordiers (fouilles de l’Isle‑Bouzon, Gers) (Archéologie France 1989 :166, no 150).
Chevalets
793La forme de ces pièces fournit des détails très importants pour la connaissance des instruments de la haute période médiévale (fig. 192‑2 et 3). Les deux exemplaires de Charavines taillés au couteau sont en érable. Leur épaisseur varie de 0,4 cm au sommet à 0,6 cm au pied légèrement renflé, et ils portent trois encoches sur l’arête sommitale. Le premier présente distinctement deux encoches rapprochées et une troisième plus distante (le coin supérieur droit manque), ce qui laisse présumer un montage en cordes avec un chœur double mélodique et un bourdon. Les encoches du deuxième chevalet sont plutôt régulières. Leurs silhouettes toutefois se différencient par la forme de leurs ponts et leur profil général. La forme du premier se rapproche d’un U surbaissé alors que le second s’apparente à un tau renversé dont la tige serait très courte et empâtée. Les flancs du premier sont obliques et ceux du second parallèles. Autant le pont du premier est bien marqué et triangulaire (ce qui a pour effet de bien dégager les pieds), autant celui du second est discret et réduit à une très légère découpe arrondie. Dans les deux cas, les semelles sont plates ce qui implique que la table sur laquelle ils étaient posés était totalement plane et non pas voûtée. L’arête sommitale est également plane dans les deux cas : de nos jours cette caractéristique serait interprétée, dans la facture « savante » ou « classique », comme la marque d’instruments à cordes pincées (type luth ou guitare). Le schéma de pensée responsable de ce net cloisonnement avec les instruments à cordes frottées (type vièle : chevalet et table voûtés) est moderne. Une telle distinction n’a pas de sens à cette époque du Moyen Age où l’on joue indifféremment le même instrument à l’archet ou au doigt. Par ailleurs, les instruments traditionnels européens nous apprennent que les vièles peuvent être montées avec une table plate (en bois ou en peau) comme les gadulkas bulgares ou les liras grecques et que la voûte du chevalet n’est pas forcément impliquée par l’archet et un jeu démanché du bras. Ces chevalets ne permettent donc pas de connaître le type exact d’instrument dont ils proviennent. Ceux‑ci pourtant devaient posséder un manche court.
794Longueur: 4,6 cm ; hauteur: 1,2/2,3cm ; ép. : 0,6 cm ; décroché du pont : 1,1 cm (no 346). Longueur: 4,1 cm ; hauteur: 2 cm ; ép. : 0,6/0,4 cm ; décroché du pont : 0,3 cm (no 2402).
795Sur la quinzaine de chevalets connue à ce jour en Europe, on n’en compte que cinq en bois. La plupart sont originaires de la Scandinavie viking ou pré‑viking ou de l’Europe du Nord « barbare » (jusqu’à York, Utrecht, Elisenhof en Frise et Concevreux dans l’Aisne) (Crâne 1972 : rubrique 313) et proviennent de lyres, caractéristiques par leur six ou sept encoches. Ces chevalets, généralement découverts dans un contexte funéraire, sont taillés à l’exception de celui d’York (Hall 1984 : 115‑116) qui est en bois, dans des matériaux non périssables comme la corne ou l’ambre.
796Les chevalets n’appartenant pas aux lyres sont rarissimes. Outre ceux de Charavines, on connaît celui en alisier ou cotoneaster découvert à Paris en 1987 (xiiie siècle). Il est muni de trois chœurs doubles et présente une arête sommitale très arquée, des semelles plates très larges et un pont symboliquement réduit à une encoche triangulaire. La publication du petit instrument (gusle) découvert à Opole (Kaminski 1960 : 552‑553) en Pologne (xie siècle) ne décrit pas le chevalet en bois avec précision. Il faut enfin mentionner celui de Trondheim (non publié), très fragmentaire.
797Les deux exemplaires de Charavines présentent donc un intérêt exceptionnel. Le montage en cordes du premier, très inhabituel, ne trouve d’équivalent que dans les instruments traditionnels grecs (lira) et russe (gudok, aujourd’hui tombée en désuétude).
Cheville
798De nombreuses clés de blocage ou de chevillage ont été retrouvées mais une seule semble vraiment provenir d’un instrument à cordes (fig. 192‑4). Elle est en chêne et constituée d’une large oreille triangulaire plate, surmontant un tenon brisé. L’objet est taillé au couteau ou au cochoir et se tient bien en main. Le tenon semble avoir été cylindrique et ne porte pas de trace d’alésage.
799Longueur : 7,6 cm ; largeur max. : 5 cm ; diam. tenon : 1,1 cm.
800Les seuls éléments de comparaison sont fournis par l’ethnographie d’Europe centrale et des Balkans (Bulgarie, Grèce). Deux autres chevilles rectangulaires dont la forme aurait pu convenir à un usage analogue doivent être écartées car leurs tenons sont beaucoup trop courts pour retenir une corde.
Table d’harmonie
801Cette pièce piriforme est très énigmatique : elle se présente comme une planche fendue, d’une épaisseur assez régulière (fig. 192‑1). Ce ne peut en aucun cas être un fond de cuve ou de baquet, toujours de forme régulièrement circulaire. Certes, il peut s’agir à la rigueur d’une pale de boulanger ou d’un autre accessoire étranger à la pratique musicale, mais sa forme particulière incite à y reconnaître une table d’harmonie. Ce serait alors la seule connue à ce jour antérieure à 1400 en Europe (si l’on excepte les luths coptes et des découvertes soviétiques de Novgorod) (Friederich 1984 ; Kolchin, lanina 1978 : 125‑126).
802L’épaisseur de ce plateau cependant (1,5 cm) est très importante et dépasse largement celles de certaines productions populaires. L’interprétation proposée pour cet objet est donc douteuse. L’allure piriforme, assez ample ici, s’adapte bien aux instruments à manche court. On observe vers le bas de la table, relativement bien centrée, une ombre ou une trace d’usure qui pourrait correspondre à l’emplacement du chevalet ou au frottement d’un cordier. On relève aussi la présence de quelques petits trous qui font penser que cette plaque était vraisemblablement clouée. Cette technique a d’ailleurs été observée sur les lyres saxonnes (Oberflacht, Cologne ou Sutton‑Hoo) (Fremersdorf 1941‑42 ; Bruce‑Mitford 1970). Les fibres sont bien parallèles mais l’essence du bois n’a pas encore été formellement déterminée (chêne ?). On constate enfin qu’aucune ouïe ou rose ne vient perforer cet objet.
803Longueur : 36,5 cm ; table complète restituée : env. 40 cm ; largeur : 26,5 cm ; épaisseur : 1,5 cm.
Membranophones
804Cette famille d’instruments est peut‑être représentée à Charavines (mais cela n’est pas définitivement prouvé) par un petit tambour à fût légèrement tronconique (fig. 192‑6). Cette pièce qui n’a pas été traitée à l’époque de sa découverte en 1941 a cependant séché mais avec un retrait assez important. Il faut probablement lui restituer entre un quart et un tiers de sa taille actuelle pour retrouver les dimensions originelles.
805Elle se présente comme un petit cylindre de buis portant de nombreux nœuds et creusé à l’herminette ou à la gouge comme le montrent les traces d’enlèvement. Le fût est à peine évasé. Le diamètre le plus large (inférieur ?) présente quatre gros trous bien nets (percés au feu ?) et placés les uns par rapport aux autres à angle droit. Peut‑être ont‑ils servi à fixer des sonnailles ou bruiteurs comme cela se voit encore souvent dans les musiques traditionnelles, mais la meilleure hypothèse reste qu’ils aient été utilisés, sans doute avec des chevilles, pour fixer et tendre une peau.
806Le second diamètre présente une série de petits trous, tous appariés (6 x 2). Le bois est maintenant très déformé mais il est possible que ces perforations aient été régulièrement disposées à l’origine pour recevoir un système de fixation de la membrane, soit par chevillage, soit par laçage. Une autre hypothèse identifierait ce manchon à un récipient fendu, qui aurait été réparé avec des agrafes selon la technique du maillage en boutonnière, encore usité à la campagne en Europe centrale. Mais aucune trace de calage pour le fond n’est observée. Les dimensions de cet objet peuvent toutefois fort bien convenir à un petit tambour d’aisselle (encore que ces derniers, qui adoptent fréquemment la forme de sablier, soient garnis d’un réseau de cordes à tension réglables).
807Hauteur actuelle : 17,5 cm ; diam. sup. : 12,5 et 10 cm ; diam. inf. : 13,3 et 12 cm ; diam. trous inf. : 0,6 cm ; diam. trous sup. : 0,2 à 0,3 cm ; hauteur restituée : +/‑ 25 cm ; diam. : +/‑15 cm.
3.5.7 Les jeux
808Michel Colardelle, Eric Verdel
809Parmi les 71 objets (1,7 % du mobilier) qui sont propres aux activités ludiques, 27 sont des pions ou des pièces d’échecs et 40 des jetons utilisés pour d’autres jeux de table comme le trictrac. On compte également 3 dés et une pièce dont l’attribution demeure incertaine.
3.5.7.1 Les échecs
810Fig. 193 et 194
Les pions
811Ils sont représentés par 17 exemplaires dont 16 en bois. L’essence la plus courante est le noisetier et dans l’état actuel des déterminations deux exemplaires seulement sont en hêtre et en aulne. Taillés au couteau dans de petites branches, ils ont pratiquement tous la forme d’un cylindre dont la base est plane et le sommet, plus ou moins régulièrement arrondi, est facetté ou non (fig. 193‑1 à 14). Les hauteurs varient de 1,8 à 2,5 cm, la plupart se situant entre 2,1 et 2,2 cm. Les diamètres sont compris entre 1,3 et 2 cm avec une nette majorité vers 1,5 cm. Deux d’entre eux se distinguent cependant par leurs formes particulières : le premier est un cône cassé à sa partie supérieure ; le second, tronconique et pourvu de cannelures verticales, est aussi plus petit (hauteur : 1,5 cm ; diamètre : 1.2 cm). Un seul pion en os (fig. 193‑15), très régulièrement facetté sur six pans et soigneusement poli, est de taille plus réduite (hauteur : 1,7 cm ; diamètre : 1 cm).

FIG. 193 – Pions d’échecs (1 no 429, 2 no 296, 3 no 192, 4 no 304, 5 no R.1987.74, 6 no R.1987.146, 7 no 16.22 SI, 8 no 212, 9 no 2100, 10 no 2060, 11 no 285, 12 no 290, 13 no 498, 14 no 2755, 15 no 3700). (Echelle 1/3)
812Onze autres objets (10 en bois et 1 en os) sont assurément des pièces d’échecs bien que toutes ne soient pas encore identifiées avec certitude.
Les reines (vizirs ou fierces)
813Deux demi‑cônes (noisetier ? ) se détachent sur un fond vertical, sorte de dosseret qui s’achève vers le haut par un bord horizontal (hauteurs : 3 et 3,3 cm ; diamètres à la base : 2,2 et 2,3 cm) (fig. 194‑1 et 2).
Les fous (alfins)
814Une pièce complète (noisetier ?) est un cylindre légèrement conique dont l’extrémité supérieure porte une tête sphérique pourvue de deux petites excroissances pointues dirigées vers l’avant et deux encoches en V (hauteur : 3,7 cm ; diamètre à la base : 2,6 cm) (fig. 194‑3 et PI. IV, C). Une autre (noisetier) est incomplète mais s’apparente fortement à la précédente par son allure générale et ses dimensions (hauteur : 3,7 cm ; diamètre à la base : 2,6 cm). Toutefois la partie antérieure de la tête sphérique faisant défaut, on ne peut être formellement certain qu’il s’agit également d’un fou car la confusion avec le cavalier reste possible (fig. 194‑4).

FIG. 194 – Pièces d’échecs : – reines (1 no 87, 2 no 2350), – fous (3 no 84, 4 no 572), – cavaliers ? (5 no 656, 6 no 943), – tours (7 no 112, 8 no 1840, 9 no 1815, 10 no 952), – indéterminés (11 no 667, 12 no 201). (Echelle 1/3)

Pl. IV, C – Alfin ou fou en noisetier (no 84)
cliché CAHMGI
Les cavaliers
815Deux pièces tronconiques mesurent respectivement 4 et 3,6 cm de hauteur pour 2.3 et 2,2 cm de diamètre à la base. La première (noisetier) paraît complète malgré quelques légères irrégularités du tiers supérieur de la face antérieure qui évoque un arrachement partiel. Le profil fait nettement apparaître une discrète courbure du dos orienté vers l’avant (fig. 194‑5). La seconde (essence non déterminée) est cassée mais sa parenté avec la précédente est si manifeste qu’on doit également l’interpréter comme un cavalier (fig. 194‑6).
Les tours (rocs)
816Trois pièces de ce type, en noisetier, se présentent comme des cylindres ovalisés, profondément échancrés à leur extrémité supérieure de façon à dégager deux fortes pointes latérales. Deux d’entre elles pourraient provenir d’un même jeu (fig. 194‑7 et 8). En effet, outre leurs dimensions très homogènes (hauteur : 3,8 et 3,6 cm ; grands diamètres : 2,2 et 2,5 cm) elles sont ornées d’incisions verticales sur leurs faces antérieures et postérieures. Sur les côtés ces lignes convergent pour dessiner des chevrons. Elles possèdent aussi la particularité de présenter, au centre de la double entaille sommitale, un petit ergot de bois vertical, sans doute volontairement réservé à la taille. La troisième (hauteur : 3,8 cm ; grand diamètre : 2,9 cm) est de même type mais son épiderme est vierge de tout décor (fig. 194‑9).
817La dernière tour, en os, est exceptionnelle par ses dimensions et le soin particulier apporté à sa réalisation. De section subrectangulaire, elle a été sciée dans un os long, taillée au couteau puis polie (hauteur : 3 cm ; largeur : 4,1 cm ; épaisseur : 2,9 cm). Sur ses longs côtés quatre entailles rectilignes composent le décor : deux sont verticales et deux autres convergent vers le large ensellement central (fig. 194‑10).
Pièce non identifiée
818Incomplet, ce tronc de cône en noisetier est vraisemblablement une pièce d’échecs. Ses dimensions sont du même ordre que les autres (hauteur : 3 cm ; diamètre à la base : 2,5 cm) et seule la cassure de la partie sommitale empêche de l’identifier. Il n’est pas exclu qu’il s’agisse tout simplement d’un cavalier (fig. 194‑11).
Pièce de 1eu indéterminée
819Un unique objet, façonné au couteau dans une branche de noisetier, présente un pied cylindrique et parfaitement plan, un corps fusiforme et une tête conique irrégulièrement facettée (hauteur : 2,8 cm ; diamètre du pied et de la tête : 1,2 cm). Compte tenu du soin apporté à sa réalisation, de sa taille et de son aspect général, il ne peut s’agir que d’une pièce de jeu. Typologiquement, il ne s’apparente à aucune des pièces d’échecs connues à cette époque et il est inadapté pour le trictrac (fig. 194‑12).
Éléments de comparaison
820Le Jeu d’échecs, d’origine indienne (vie siècle) se répand dans le monde musulman entre le viie et le ixe siècle. Dans l’Occident chrétien la plus ancienne mention figurerait dans le testament du comte d’Urgel, daté des années 1008‑1010 (Taylor 1978 ; Pastoureau 1990). Compte tenu de leur position stratigraphique dans l’habitat, il semblerait donc que certaines des pièces de Colletière soient parmi les plus anciennes que l’on connaisse en Europe (1004‑1020). Toutes appartiennent au modèle arabe du jeu, dont plusieurs variantes existent, assez sensiblement différentes par leur morphologie. Les reines par exemple ressemblent beaucoup au vizir en ivoire de la fin du xe siècle, conservé au musée de Cluny à Paris, et sont presque rigoureusement identiques à celle du site castrai du Frohburg en Suisse, datée du xie siècle (Meyer 1989). On peut encore les comparer à une « pièce de jeu » en os découverte sur la « butte », en réalité une motte castrale, de l’Isle‑Aumont en Champagne (Scapula 1981). Les fous rappellent aussi l’alfil musulman : sur l’exemplaire intact les petites pointes de part et d’autre de la tête évoquent la représentation des défenses de l’éléphant dont est issue cette figure. Certaines pièces contemporaines (xe‑xie siècles) sont à cet égard plus révélatrices encore, comme le fou de Worms, en forme de dôme au sommet duquel deux mamelons pointus se dégagent (Grunewald 1991 : 123). Bien entendu le fait de fabriquer un tel objet ne nécessitait pas une connaissance précise de son origine et on pouvait le reproduire sans savoir ce qu’il stylisait. Les cavaliers posent, on l’a vu, davantage de problèmes d’identification. Cependant les comparaisons que l’on peut établir avec les pièces de la même époque confirment dans une certaine mesure l’interprétation qui en est faite à Charavines. En effet, considérant par exemple le cavalier d’origine Scandinave en bois de cervidé (xiie siècle) du Germanisches Nationalmuseum de Nüremberg (Pastoureau 1990 : 27, fig. 18) ou encore celui d’origine musulmane, en ivoire, du musée du Louvre (ixe‑xe siècles), on reconnaît bien le dos arrondi et la légère protubérance antérieure qui symbolise un protomé de cheval. Le même profil caractérise les cavaliers de la mosaïque du dallage de San Savino à Plaisance (xiie siècle), dont la position sur l’échiquier, entre la tour et la case du fou, atteste bien la nature. Au moins une pièce de bois, typologiquement comparable et de même taille, provient du bâtiment II d’Haus Meer, daté de la fin du xie‑début xiie siècle (Janssen 1972 : fig. 14).
821Les tours, quant à elles, sont du type le plus courant aux xie‑xiie siècles : celles de Colletière, de Noyons et de San Savino sont absolument identiques à l’exception des exemplaires qui sont pourvus du petit ergot réservé au milieu de l’échancrure sommitale. Cette particularité, qu’on pourrait croire accidentelle, doit au contraire être volontaire surtout dans un matériau aussi tendre. Il n’est, pour s’en convaincre, que de considérer les tours en os du xe siècle, d’origine musulmane, conservées à Nüremberg, qui possèdent au même emplacement deux petites excroissances dégagées par des enlèvements parallèles (Pastoureau 1990 : 26, fig. 17).
822S’agit‑il de la stylisation d’un crénelage ? C’est possible mais le doute subsiste d’autant plus qu’à la même époque on rencontre, sur des jeux de qualité exceptionnelle il est vrai, d’autres représentations de la tour, radicalement différentes. Celles du jeu dit « de Charlemagne » (fin xie siècle) et d’autres qui proviennent de la motte de Loisy (xe‑xie siècle) (Bourgogne médiévale 1987 : 171, no 402) sont figurées par des chars de guerre. Selon Pastoureau il faudrait voir là l’étymologie du mot français « roc » (tour) qui dériverait de l’arabe rukh (char) par l’intermédiaire de l’italien rocca (forteresse). Dans ces conditions il n’est nullement établi qu’au début du xie siècle la transformation du char en tour soit partout acquise.
823Les pions de Charavines ont une forme et une dimension qui ne prêtent pas à confusion. Leur typologie a d’ailleurs peu varié au début du Moyen Age : quand ils ne sont pas représentés par un petit personnage en armes comme dans le Jeu « de Charlemagne » ou celui de l’île Lewis (Taylor 1978 : fig. 4), ils ont le plus fréquemment l’aspect de dômes ou de troncs de cône allongés, facettés, cannelés ou lisses comme ceux de Novgorod, en bois, bien datés de 1025‑1055 (Kolchin 1989 : pl. 118, no 27) ou encore ceux de Nüremberg, San Savino et Noyons.
824Il ne manque plus à Colletière que la pièce majeure du jeu, sinon par l’efficacité et les possibilités d’intervention, du moins par le caractère symbolique qui est le sien : le roi. On aimerait en connaître l’apparence et en l’absence de découverte on est réduit à la conjecturer. Par référence aux autres pièces desquelles est exclue toute représentation humaine ou animale, conformément aux principes de l’Islam, on peut supputer qu’il ne devait pas radicalement différer des reines. Peut‑être même n’en était‑il que la simple reproduction à un format légèrement supérieur comme c’est le cas pour les rois du jeu de Nüremberg.
825Les échiquiers enfin font encore défaut. Il est cependant possible d’en évaluer approximativement les dimensions. Deux exemplaires au moins devaient être utilisés puisque deux catégories de pièces différent nettement par la taille. La tour en os, dont le grand axe mesure 4,5 cm, requérait une case de 5 cm de côté au minimum : dès lors l’échiquier ne pouvait mesurer moins de 40 cm de côté. Les autres pièces sont d’un format très voisin qui permet de penser qu’elles pouvaient appartenir à un même ensemble : leur diamètre moyen de 2,5 cm nécessitait un échiquier plus petit, mesurant au moins 25 cm de côté. Il faut aussi évoquer la question de la différenciation des pièces appartenant à chaque camp. On sait qu’à cette époque, les couleurs en usage étaient le rouge et le blanc (P1. IV, A). Un examen attentif n’a pas montré de trace de pigments, comme on a pu en rencontrer sur quelques rares autres objets. D’autre part la grande majorité des pièces dont l’essence a été spécifiée sont en noisetier. On peut donc écarter a priori l’hypothèse d’une différenciation par la couleur naturelle des bois. Reste la possibilité d’une coloration par des substances tinctoriales d’origine végétale ou par l’application de cires teintées dont pour l’instant on n’a pas la preuve, faute d’analyses chimiques sur les épidermes.

Pl. IV, A – Joueurs d’échecs, vers 1230 (d’après Carmina Burana)
cliché Musée dauphinois,
3.5.7.2 Les jetons
826Fig. 195
827Une quarantaine d’objets sont typologiquement interprétés comme des Jetons de Jeu. A l’exception d’un exemplaire en céramique et de deux autres en os, tous sont en bois d’essences variées. Parmi les 26 dont l’espèce a été déterminée on remarque la nette prédominance de l’aulne (9 exemplaires) et du frêne (8 exemplaires) ; quelques autres sont en peuplier (4 exemplaires), en chêne (2 exemplaires) ou encore en noisetier, hêtre ou prunier (1 exemplaire de chaque). Une telle diversité indique bien que ces jetons étaient débités, en fonction des besoins, dans des branches apportées sur le site pour d’autres usages (combustible par exemple) et provenant d’arbres croissant à proximité immédiate de l’habitat, dans les zones humides (aulne et peuplier) ou au pied des pentes (frêne). Ces jetons sont des disques peu épais, des polygones ou des parallélépipèdes très aplatis voire des cylindres. Toujours taillés au couteau, ils possèdent des bords verticaux ou chanfreinés. Leurs dimensions varient très sensiblement de 1,5 à 5,8 cm de diamètre pour des épaisseurs s’échelonnant entre 0,25 et 1,8 cm. Les plus nombreux mesurent de 3 à 4 cm de diamètre et de 0,7 à 1,2 cm d’épaisseur. Les jetons extraits d’un os plat, provenant des Grands Roseaux (diamètres : 4,3 et 4 cm ; épaisseurs : 1,1 cm) sont les seuls qui soient décorés respectivement de 8 et 6 ocelles pointées, entourées d’un cercle pour le second, obtenues par pyrogravure (fig. 195‑11 et 12).

FIG. 195 – Jetons de trictrac (1 no 698, 2 no 2546, 3 no 766, 4 no 293, 5 no 401, 6 no 1732, 7 no 1496, 8 no 450, 9 no 2942, 10 no 948, 11 no 71.3.50, 12 sn). – Dés (13 no 428, 14 n° 724, 15 no 901). (Echelle 1/3)
828Il n’existe, bien entendu, aucune certitude que tous ces jetons aient été utilisés pour le même jeu. Nous proposons toutefois de les attribuer au trictrac ou marelle à main en dépit de l’hétérogénéité des tailles, tout à fait acceptable au demeurant pour ce jeu qui se déroule sur une tablette assez spacieuse. Une des plus anciennes représentations du Jeu de trictrac, datée des années 1230 (Carmina Burana) montre, en détail, deux joueurs devant un tablier à deux compartiments comportant chacun douze cases triangulaires (les flèches), sur lesquelles sont disposés les Jetons de couleur noire ou rouge (Pl. IV, B) (Scholkmann 1982 : 63). Les éléments de comparaison pour des pièces analogues en bois font défaut. Mais des jetons en os, décorés ou non, sont très courants sur les sites castraux surtout. Pour les xie ‑ xiie siècles on peut citer ceux du château de Tours, en os ou en ivoire, simplement tournés ou décorés de figures géométriques, animalières ou humaines. Un exemplaire orné d’ocelles est tout à fait comparable à ceux des Grands Roseaux. C’est également le cas du jeton en bois de cervidé (xe‑xie siècles) de la motte d’Isle‑Aumont (Aisne), de mêmes dimensions (Scapula 1981 : 207) ou encore de ceux de la motte de Loisy (Saône‑et‑Loire), datés du xe siècle, qui sont aussi taillés dans un os plat, pareillement décorés et de dimensions identiques (Bourgogne médiévale 1987 : 171). On en connaît enfin sur le site comtal d’Andone (Charente) pour la fin du xe et le premier quart de siècle, où ils sont bien interprétés comme des pions de trictrac (Debord 1983 : 193).

Pl. IV, B – Joueurs de trictrac, vers 1230 (d’après Carmina Burana).
cliché Musée dauphinois,
829Très exceptionnellement certaines de ces pièces portent encore des traces de pigments rouges, telle celle, carolingienne, du quartier de la basilique de Saint‑Denis (Cuisenier, Guadagnin 1988 : 304, no 348).
3.57.3 Les dés
830Fig. 195
831Trois dés en bois (dont un en frêne) sont des cubes facettés au couteau dont les faces portent des ponctuations pyrogravées. Les dimensions des arêtes varient quelque peu pour un même objet, car la taille est assez irrégulière de 2 à 2,3 cm pour le premier ; de 1,3 à 2,1 cm pour le second qui s’est beaucoup rétracté au traitement et de 1,8 à 2,1 cm pour le troisième. Globalement cependant il n’existe pas de différences significatives d’un dé à l’autre. La numérotation des deux premiers est conforme au système réputé antérieur au xiiie siècle : au 1 s’oppose le 2, au 3 le 4 et au 5 le 6 (fig. 195‑13 et 14). Un exemplaire en os provenant du site castrai du Verger à Saint‑Romain (Côte‑d’Or) présente la même disposition des chiffres ; il est daté du xe siècle (Bourgogne médiévale 1987 : 185‑186). Le dernier est différent car il est pipé. Il comporte en effet deux faces opposées affectées du chiffre 6 (fig. 195‑15). Il faut cependant faire observer ici que les conventions, suivant lesquelles la numérotation des faces s’effectuerait dans un ordre déterminé selon l’époque, ne sont pas systématiquement respectées. Certains des dés vikings de York par exemple présentent une disposition différente où le 1 s’oppose au 6, le 2 au 5 et le 3 au 4, donc conformément à la disposition moderne (Hall 1984 : 114). Pour quels jeux les employait‑on à Charavines ? Ils n’intervenaient pas à coup sûr dans les échecs, où l’introduction d’une part de hasard dans le déroulement de la partie n’est, croit‑on généralement, pas antérieure au xiiie siècle. Mais ils sont indispensables pour le trictrac : un des joueurs représentés dans les Carmina paraît d’ailleurs bien tenir deux dés dans sa paume gauche. On peut enfin penser à d’autres jeux où ils auraient été employés soit seuls soit en accompagnement d’autres pièces.
3.57.4 Répartition spatiale
832Fig. 196
833La distribution des objets ludiques, toutes catégories confondues, sur l’ensemble du site, est particulièrement révélatrice. Les pions et pièces d’échecs d’abord : 55 % sont localisés à l’intérieur du bâtiment I et plus précisément autour du foyer central. Il n’en existe que trois dans le bâtiment II et deux dans le bâtiment III, seulement effleuré par la fouille. Quelques autres sont erratiques, dont deux entre les bâtiments I et II, deux au voisinage immédiat du flanc oriental de la palissade, deux autres encore dans le secteur artisanal au nord et une seule au‑delà de la section occidentale de la palissade. Cette distribution met davantage en lumière le rôle prééminent du bâtiment central où se concentrent les éléments les plus significatifs d’un statut seigneurial (gibier de grande chasse, armes, instruments de musique). Inversement, les jetons de trictrac sont majoritairement (52,5 %) situés dans le bâtiment II, et de façon plus frappante encore, dans les pièces d’habitation identifiées par ailleurs (cf. supra). On n’en rencontre que quatre dans le bâtiment I, une assez forte concentration au nord dans le secteur interprété comme un dépotoir (24 %). Il est symptomatique enfin que les trois seuls dés connus, accessoires indispensables du trictrac, soient également présents dans le seul bâtiment II. Remarquons enfin que la pièce non identifiée en forme de champignon, dont on soupçonne qu’elle doit provenir d’un Jeu peu courant, a également été découverte autour du foyer de l’aula avec les pièces d’échecs.

FIG. 196 – Répartition spatiale des pièces de jeu.🝕 dés (3), ● jetons (40), ▌pièces ou pions de jeu d’échecs (28).
3.5.8 Les objets de cuir
834Véronique Montembault
835Les conditions physico‑chimiques qui caractérisent le gisement de Colletière (faiblement basique, milieu humide et anaérobie) ont contribué à la préservation de nombreux restes organiques. L’importante quantité et la diversité des cuirs, qui constituent l’ensemble le plus complet datant du début du xie siècle découvert en France, fournit matière à une étude technologique et typologique. Il faut en effet déplorer, malgré la découverte de ce type de mobilier sur d’autres chantiers nationaux, l’absence d’étude archéologique permettant de le situer par rapport à l’évolution européenne de l’artisanat du cuir.
836Afin de répertorier les différents critères nécessaires à l’établissement d’une typologie, nous avons procédé à un traitement de consolidation et d’assèchement des pièces au laboratoire Arc‑Nucléart de Grenoble (voir annexe 2). Examinant un matériau sec préparé, on a pu, lors des différentes phases du traitement, effectuer toutes les remarques préliminaires à l’étude. Certaines traces archéologiques comme le façonnage ou l’usure sont en outre plus aisément discernables sur un matériau facilement manipulable.
3.5.8.1 Le matériau
Etat de conservation
837Selon leur état de surface, les cuirs se répartissent en trois catégories (fig. 197) :
– les chutes très bien conservées, dont le côté grain ne porte aucune trace d’usure et la tranche présente une section nette ;
– les tiges, fourreaux, courroies et pièces de harnachement qui ont gardé toute leur épaisseur et dont le grain est lisse dans les zones soumises à l’usure ;
– les semelles qui ont pour caractéristique d’être dédoublées sur une partie ou la totalité de leur surface ; cette altération, par la disparition de l’épaisseur originelle au niveau des coutures, rend impossible l’association avec les dessus.

FIG. 197 – Divers états de dégradation. De gauche à droite : chutes, tige, semelle
cliché J.‑F. Lucas
Préparation de la peau
838Si au cours du tannage le cuir n’est pas immergé assez longtemps dans le bain, le tanin ne pénètre pas à cœur. La zone centrale non tannée donne un cuir imperméable et plus rigide qu’une pièce imprégnée à cœur (Stigum 1971 : 313). En fonction de l’objet confectionné, l’artisan cherche à obtenir ces propriétés, et notamment dans la cordonnerie médiévale (un tel cuir était employé pour les semelles). A Oslo on a déterminé que 88 % des semelles étaient tannées de cette façon (Schia 1977a : 126).
839La zone brute (non tannée), plus sensible à l’action des agents extérieurs, s’altère préférentiellement et la dégradation se manifeste par un dédoublement du cuir.
840L’observation de l’état d’altération de la collection de Colletière conduit à penser qu’un tannage à cœur aurait été appliqué pour les dessus, fourreaux et courroies, alors que les semelles auraient été préparées afin de garder une zone centrale brute.
Inventaire de la collection et répartition
841Suivant les traces de façonnage caractéristiques, les fragments ont été répartis en cinq catégories :
– les chaussures ;
– les fourreaux, courroies et pièces de harnachement ;
– les chutes ;
– les objets non identifiés ;
– les fragments indéterminables (trop dégradés ou ne portant pas de traces de fabrication explicites).
842En procédant à cette classification par unité de fouille (triangles métriques), on constate que si les bâtiments I et II étaient pauvres en matériel, la zone de rejet au nord‑ouest du site concentrait la plus grande part du mobilier, et notamment la quasi‑totalité des chutes de fabrication.
843Afin de conduire l’étude typologique, on a sélectionné les pièces les plus caractéristiques, qui se répartissent de la façon suivante :
– 67 % de chaussures ;
– 25,5 % d’objets indéterminés ;
– 5 % de courroies et pièces de harnachement ;
– 2,5 % de fourreaux.
844Dans le cadre de cette première publication, on s’attachera surtout à la présentation des résultats obtenus dans l’étude de la catégorie la mieux représentée, celle des chaussures.
3.5.8.2 Les chaussures
Les semelles (fig. 198 et 199)
845L’ensemble des 51 pièces répertoriées comporte 6 semelles complètes, 28 parties antérieures et 17 autres fragments. La forme est définie d’après la coupe du talon, du bout et de la cambrure. Tous les fragments présentent une homogénéité dans le patron du talon qui se présente sous une forme arrondie, alors qu’on distingue deux types de bouts. Les semelles à pointe sur le côté (16 exemplaires) se caractérisent par la présence d’une pointe plus ou moins développée qui se recourbe vers l’extérieur du pied. Les variations de longueur et de forme de cette excroissance permettent de distinguer :
– la classe I (fig. 198‑1 et 2) : la pointe est étroite et longue (longueur moyenne de 2,26 cm) ;
– la classe II (fig. 198‑3 à 10) : l’extrémité, plus courte (en moyenne 1,3 cm), est épatée et arrondie.

FIG. 198 – Semelles : – classe I et II (1 no 1907, 2 no 14.33 III, 9 no 1308), – classe IIa (3 no 2933, 4 no 2877), – classe IIb (5 no 32.82 III, 6 no 1463), – classe II (7 no 2866, 8 no 2309, 10 no 2322). (Echelle 1/4)
846Le contour général d’une semelle se détermine d’après le rapport de certaines dimensions entre elles. La fig. 200 indique l’emplacement des mesures retenues.
847Les mesures ont été effectuées sur les six semelles complètes et sur tous les autres fragments permettant de calculer au moins un des rapports de proportions. Bien que l’échantillonnage soit très faible, on remarque, quelles que soient les classes (I, II ou III), des résultats concordants avec une forme générale de semelle mal dégrossie, où la cambrure n’est pas discernable.
848Les deux objets nos 2933 et 2877 (fig. 198‑3 et 4) se distinguent de cet ensemble par leur différence dans les rapports c/a et a/p, valeurs dues à la présence d’une cambrure fortement marquée qui confère leur profil fin à ces deux semelles. Comme toutes deux appartiennent à la classe II, on a distingué le type IIa (semelle à cambrure marquée) du type IIb (semelle sans cambrure).
849Dans sa classification des semelles ana logues découvertes à Oslo (fig. 201‑5 à 7), Schia distingue un autre type de semelle, caractérisé par une pointe développée dans son axe (Schia 1977b : 185). Ce caractère est absent de la collection de Charavines. Or, dans la publication Scandinave, l’évolution chronologique indique ce dernier type comme le plus précoce, puisqu’il apparaît dès le ixe siècle pour être employé jusqu’au milieu du xiie siècle. Il est alors remplacé par le type II que l’on retrouve également au xiiie siècle. Le type I, quant à lui, coexiste avec le type II puisqu’il se développe dès la fin du xiiesiècle et perdure au xiiie siècle.
850Ce genre de semelle à pointe déviant sur le côté (classes I et II) est assez mal connu dans l’Europe du haut Moyen Age. En effet, seul le site de Gdansk paraît avoir livré une semelle du type I (Jazdzewski 1966 : pl. IX).
851Pour les périodes plus tardives, on rencontre également la classe I à Thulelomten pour l’an Mil (Blomquist, Màrtensson 1963 : 187), Leiden (Van Driel‑Murray 1981 : 63) et Londres (Grew, Neergaard 1988 : 9) pour le xiie siècle et Durham City pour la période saxo‑normande (Carver 1979 : 30). D’autres sites, comme Trondheim, Lund (Blomquist 1939 : photo 6) et Borgund (Larsen 1970 : pl. VIII) ont également livré des objets similaires. Mais l’imprécision des datations proposées interdit de les retenir ici.
852La classe III regroupe les semelles à bout arrondi (14 exemplaires). Parmi les objets de cette classe, un seul est complet (fig. 199‑2). Cet exemplaire unique, pas assez représentatif par rapport à l’ensemble de la collection, ne permet pas d’établir de comparaison avec les objets découverts sur d’autres sites.

FIG. 199 – Semelles de classe III (1 sn, 2 no 6.4 IV, 3 no 1401, 4 no 38.94 IV, 5 no 1339, 6 no 1765, 7 no 1428, 8 no 1326). (Echelle 1/4)

FIG. 200 – Les diverses mesures retenues pour la classification des semelles.

FIG. 201 – Les trois classes de semelle de Colletière : 1 classe I, 2 classe IIa, 3 classe IIb, 4 classe III, et les types de semelle d’Oslo à pointe sur le côté : 5, 6, 7.
853La cordonnerie médiévale, jusqu’au xvie siècle, se caractérise par la confection de chaussures à une seule semelle cousue ou retournée. Mais si le même principe a perduré pendant plusieurs siècles, on constate cependant une évolution technologique dans le procédé d’assemblage (Goubitz 1984 : 195). Jusqu’au ixe siècle, tige et semelle sont assemblées par une couture piquée avec couture transversale (voir annexe 2 p. 279 et fig. 202a). A la fin de ce siècle, ce système est remplacé par une couture qui associe le point sellier (employé pour le semelage) à la couture piquée de la tige. Le point se situant à quelques millimètres du bord de la semelle permet ainsi de réserver une petite bande de cuir servant à protéger la base du dessus d’une usure trop rapide (fig. 202b).

FIG. 202 – Assemblages entre la tige et la semelle (T tige ; S semelle) : a du VIIe au IXe siècle, b du ixe au Xe siècle, c du XIe au XIIIe siècle.
854Au xie siècle, la couture se place plus près du bord de la semelle, qui est montée suivant le principe de la jointure bottier (fig. 202c). Ce système sera utilisé jusqu’à la fin du xiiie siècle, bien que dès le xiie il soit perfectionné par l’emploi de la trépointe (petite bande de cuir insérée entre semelle et tige et servant à protéger cette dernière de l’usure).
855Les trois systèmes de montage sont attestés à Colletière (fig. 203), où le dernier type est employé sans trépointe intercalée. Il pourrait sembler surprenant que sur un site du xie siècle persiste l’emploi d’une technique (principe 1) abandonnée en Europe depuis au moins deux siècles. Mais ce montage ne concerne que 1,96 % des objets (soit 1 objet).

FIG. 203 – Détail des perforations de la semelle en fonction du système de montage (1, 2 et 3)
clichés J.‑F. Lucas
856Majoritairement les chaussures sont assemblées suivant le principe 3 (39 objets, soit 76,48 %), ce qui situe bien la production de Colletière dans la technologie européenne contemporaine.
857La présence assez importante du principe 2 (11 objets, soit 21,56 %) pourrait s’expliquer par le fait que nous serions à une période de transition technologique durant laquelle l’artisan, parallèlement à une confection nouvelle, continue à produire des objets suivant une technique vouée à un prochain abandon.
858Il est intéressant de noter que les semelles à pointe déviant sur le côté (classes I et II) sont toujours associées au montage no 3, alors que pour la classe III nous trouvons indifféremment l’emploi du montage no 2 ou no 3. Sur une seule pièce (un fragment de talon) nous trouvons l’association de ces deux montages.
859Dans le cousu retourné, le semelage, par son élasticité, épouse parfaitement les mouvements du pied durant la marche. Aussi n’est‑il pas nécessaire de prévoir une longueur de semelle supérieure à celle du pied.
860Par comparaison, les chaussures actuelles, au semelage plus complexe et assez rigide, sont conçues pour avoir un chaussant supérieur au volume du pied. On déduit donc que dans le cas du cousu chausson, la longueur de la semelle est équivalente à celle du pied. Cela permet de déterminer très précisément la pointure d’une chaussure. Pour les semelles des classes I et II, il convient bien sûr de soustraire la longueur de l’appendice pour les calculs de dimension. Lorsque l’échantillonnage est suffisant, de telles mesures permettent d’établir une courbe de répartition sur laquelle les pointures sont portées en abscisses et les effectifs en ordonnées.
861L’analyse de ce graphique peut apporter des indications sur la population présumée (dénombrement des enfants, femmes et hommes). Des réserves doivent cependant être émises en ce qui concerne les pointures intermédiaires (par ce terme on entend les mesures qui peuvent convenir aussi bien à des enfants qu’à des femmes et celles qui intéressent une population soit féminine soit masculine).
862Le tableau xxvi présente les résultats obtenus sur huit semelles, ensemble auquel on a ajouté la semelle d’enfant no 3155 (fig. 204).

TABL. XXVI – Pointure et répartition des semelles complètes.

FIG. 204 – Semelle de chaussure d’enfant no 3155 (classe III, montage avant traitement, longueur 16 cm, pointure 24)
cliché J.‑F. Lucas
863Précisons encore qu’il existe deux autres chaussures d’enfant dont seules les tiges se sont conservées. La faible représentativité de l’échantillonnage étudié interdit pour l’instant les comparaisons avec les données réunies notamment à Haithabu, Borgund, Oslo‑Mindist, Tomt et Lübeck (Groenman Van Waateringe 1978 : 185).
Les tiges
864Sur les 59 pièces répertoriées, 4 sont suffisamment complètes pour permettre une étude typologique. A toutes les époques, le cordonnier s’inspire d’une maquette pour réaliser les chaussures et les fragments qui nous parviennent sont le reflet de ce patron. La forme du dessus, sa hauteur au talon, le nombre de pièces la constituant, son type d’assemblage et de fermeture (par lacet, bouton ou boucle) sont autant de critères déterminants pour la classification de ces objets.
865Comme pour les semelles, on trouve des claques à pointe déviant sur le côté (3 exemplaires) et une à extrémité arrondie (fig. 207).
866Les valeurs obtenues en calculant le rapport de la longueur de la pièce par sa hauteur maximale au talon classent la collection en deux ensembles :
– les chaussures basses, dont le quartier arrive sous les malléoles de la cheville, ce qui donne un rapport supérieur à 3 (objets nos1454 et 877) ;
– les chaussures hautes dont le quartier recouvre les malléoles, ce qui donne un rapport inférieur ou égal à 2,6 (objets nos2213 et 1339).
867Enfin, alors que le soulier no 1339 (fig. 207‑4) porte la trace d’un lacet enserrant la cheville et d’un bracelet, aucun système de fermeture ou de finition n’existe sur les pièces à appendice développé.
Les tiges à pointe déviée sur le côté (fig. 205‑1 à 6)
868Le patron, comme le mode de fixation de la languette, a conduit à la différenciation de deux types.
Type I (objet no 1454)
869La tige, coupée dans une seule pièce, se ferme sur le côté interne du pied par une couture jointure bottier, au niveau du cou‑de‑pied. La languette rapportée (montée au point de biais) couvre partiellement le quartier, puis grâce à une entaille, passe sur le côté interne de l’objet où elle est fixée par quelques points. Le but de ce montage est d’éviter les déformations et les déchirures de cette zone qui est soumise à de fortes tensions pendant la marche. Comme il s’agit d’une chaussure d’enfant, on peut se demander si ce modèle était exclusivement produit pour la cordonnerie enfantine (fig. 205‑1).

FIG. 205 – Chaussures : type I (1 no 1454), type II (2 no 1339), type IIa (3 no 2213), type II b (4 no 877, 5 no 1764), type indéterminé (6 no 34.76 III, 10 no 34.78 111). – Languettes : type IIa (7 no 34.106 IV), type IIb (8 no 11.31 III, 9 no 30.106 III, 11 no 30.100 III, 12 no 38.76 III), type III (13 sn). (Echelle 1/4)
Type II
870Il se distingue du précédent par la présence d’une couture d’assemblage située dans l’axe du talon. Incomplets, les deux dessus ne permettent pas de déterminer s’ils étaient confectionnés à partir d’une seule pièce ou par assemblage de deux parties. Selon que le quartier est cousu sur une partie ou sur la totalité de sa hauteur, on distingue deux sous‑types :
– type II A (objet no 2213) : la couture couvre l’ensemble du quartier, donnant un rapport de 2,5 (chaussure haute) (fig. 205‑3) ; la languette montée au point de biais est fixée sur la face interne du quartier, sans passer par des incisions comme dans le type I ; c’est à cette catégorie qu’appartient une languette dont les pointes portent des traces de couture ; mais l’état d’altération des points de biais n’a pas permis d’attribuer avec certitude cette pièce à la tige no 2213 ;
– type II B (objet no 877) : la couture d’assemblage s’arrête à 2 cm du bord supérieur du quartier, qui forme alors un revers ; la languette triangulaire est cousue sur l’avant‑pied, sans être fixée sur les quartiers (fig. 205‑4) ; c’est la raison pour laquelle on inclut dans ce groupe toutes les languettes sans point de couture à leurs extrémités ; le dessus n° 1764 a également été identifié comme appartenant au type II B (fig. 205‑5) ; bien que sa pointe ait disparu, il possède les mêmes caractéristiques de forme et de façonnage que l’objet n° 877 (Pl. III, D).

Pl. III, D – Chaussure après traitement (no 877)
cliché J.-F. Lucas
871Si l’on rencontre effectivement des souliers à pointe déviant sur le côté, en Europe, depuis le ixe jusqu’au xiie siècle, aucun modèle n’est identique à ceux de Colletière. On peut donc émettre deux hypothèses. Soit des types similaires auraient été découverts sans être publiés, soit il s’agit d’une production régionale (voire simplement locale) de très faible diffusion.
Les tiges indéterminées (fig. 206‑5 à 10)
872Deux lots sont trop lacunaires pour une étude typologique approfondie.
873Un objet, par son appendice, se classe bien dans le genre de chaussure étudié ci‑dessus. Cependant, on ne peut déterminer l’emplacement exact de la couture d’assemblage, ce qui empêche de choisir entre type I ou II. De plus, la languette se compose de deux parties. On pourrait donc avoir soit un troisième type, soit une variante des types I ou II.
874Un autre a perdu l’extrémité de sa claque. Le classer avec les chaussures à pointe déviant sur le côté semble donc imprudent. En observant la languette, on ne distingue pas de trace du bracelet caractéristique des chaussures à empeigne arrondie. Comme la languette est montée par un assemblage plat (contrairement aux assemblages bord à bord des types I et II), il s’agit peut‑être d’un type non encore déterminé.
Les tiges à extrémité arrondie
875Puisque seule la pièce no 1339 associe une empeigne arrondie au laçage et au bracelet, on a regroupé dans la même catégorie tous les fragments lacés comportant un bracelet. Le mode de réalisation de celui‑ci permet de discerner trois types dont seul le premier est défini dans sa globalité. L’identification des deux autres pourra donc être sujette à des modifications lors de la découverte d’objets plus complets.
Type III (objet no 1339)
876La tige en une seule pièce est fermée du côté interne du pied sur 1/3 de sa hauteur. La partie non assemblée donne à la chaussure une forme ouverte qui est accentuée par la languette très évasée.
877Afin de prévenir le déchaussement pouvant survenir durant la marche, un lacet enserre la cheville au niveau des malléoles. Ce lacet, invisible sur le cou de pied (puisqu’il passe du côté interne de la chaussure), est tressé sur les deux demi‑quartiers pour ressortir dans l’axe du talon ou pour être croisé sur l’avant‑pied. Le bord supérieur du quartier et de la languette est replié et fixé sur l’intérieur par un assemblage plat avec point de biais (Pl. III, E).

Pl. III, E Chaussure après traitement (no 1339) (fouilles de Colletière).
cliché Y. Basq
878Une languette, identique à celle de la chaussure no 1339, appartient également à ce type.
879Ce genre de chaussure est connu sur de nombreux sites européens à diverses périodes. Dès l’an Mil, il est attesté à Lund (Blomqvist, Martenson 1963 : 181) et à Borgund Kaupangen (Larsen 1970 ; pl. IX). Au xie siècle, on le trouve à Oslo (Schia 1977 : 138), ainsi qu’à Bâle où il est fabriqué jusqu’au xiie siècle (Gansser‑Buckhardt 1940 : 17, fig. 2 et 18, fig. 39). Il convient cependant de remarquer que, si la forme générale de l’objet est similaire, dans tous les exemples précédemment cités, on emploie une semelle à forme arrière pointue, pointe qui remonte sur le talon afin de s’insérer dans le quartier.
880Ainsi la forme différente de la semelle no 1339 suggère qu’il s’agit peut‑être d’une variante d’un type couramment utilisé aux xe‑xie siècles.
Type IV
881Le bracelet rapporté, fait d’une lanière pliée en deux dans sa longueur, est monté bord à bord sur le pourtour du quartier par un point de biais.
882Deux bracelets (fig. 206‑1 et 2) sont dissociés du reste de l’objet, alors que pour le n° 1446 une partie du quartier a été retrouvée (fig. 206‑3).

FIG. 206 – Bracelets : type IV (1 no 22.37 IV, 2 no 28.88 III, 3 no 1446). – Quartier de bracelet : type V (4 no 2554). – Tiges indéterminées (5 no 1321, 6 no 15.37 III, 7 no 8.5 IV, 8 no 10.1 IV, 9 no 2227, 10 no 1453). (Echelle 1/4)

FIG. 207 – Les types de chaussure de Colletière. De haut en bas : type I, type IIa, type IIb et type III.
Type V
883Sur un autre objet, aucune trace de bracelet n’est discernable et la forme évasée du bord supérieur du quartier permet de former un revers comme pour les chaussures du type II B (fig. 206‑4). La présence d’un lacet range cette pièce dans la classe des chaussures à bout arrondi, bien que le revers l’identifie aux souliers à extrémité déviant sur le côté.
884La découverte sur le site d’un dessus complet de ce type permettrait de le classer parmi les chaussures du type à appendice développé ou à bout arrondi.
885De nombreux fragments, trop lacunaires, empêchent de déterminer précisément le type de dessus. Dans la fig. 206, six sont présentés parmi lesquels seules les pièces nos 1321 et 10.1 IV peuvent être identifiées comme des chaussures à bout arrondi.
3.5.8.3 Les autres objets
886Dans ce paragraphe sont regroupés tous les objets autres que des chaussures, suffisamment caractéristiques pour être rangés dans un type d’objet bien défini.
Les fourreaux (fig. 208)
887Des quatre objets de ce type répertoriés, le fourreau no 2667 est le plus complet (fig. 208‑1). Il se compose de quatre éléments de cuir (dont un a disparu) assemblés par une jointure bottier avec point de biais. La pièce est ensuite pliée chair contre chair et montée sur deux côtés par une couture piquée avec couture transversale à une seule aiguille. Les trois autres fragments de fourreau sont réalisés d’après un système de montage identique.

FIG 208 – Fourreaux (1 no 2667, 2 no 1275, 3 no 28.102 III, 4 no 30.105 III, 5 no 2639, 6 no 26.108 III). (Echelle 1/4)
888Ce type de façonnage est courant sur de nombreux sites : Haithabu (Groenman van Waateringe 1984 : pl. 20 à 22), York (Tweddle 1986 : 239), Novgorod (Izioumova 1959 : fig. 20), Stettin (Leciejewicz 1972 : fig. XIIa et XIIIb), Molauk, Gdansk (Wiklak 1967 : fig. 12), Londres (Cowgill 1987 : 176), Durham City (Carver 1979 : fig. 17). Particulièrement à Haithabu, Novgorod, York, Londres et Durham City, il coexiste avec un second mode d’assemblage localisé sur l’axe médian et monté grâce à une couture piquée avec couture transversale à deux aiguilles.
889Cinq fragments encore peuvent indifféremment provenir de fourreaux ou de courroies (fig. 208‑2 à 6). Ils sont réalisés suivant ce deuxième principe, mais leur extrémité manquante limite leur identification comme fourreaux. Ce pourraient tout aussi bien être des courroies ou des pièces de harnachement (cf. infra).
Les éléments de harnachement (fig. 209)
Un licol ou filet
890Incomplet, il se compose de trois parties. Deux courroies à couture transversale dans leurs axes médians se croisent à 90° et sont maintenues à leur intersection par un rivet double (fig. 209‑4). Celui‑ci présente sur une face un décor dentelé alors que sur le revers, les têtes des rivets sont épatées et écrasées afin de ne pas blesser la monture. Il semble que cet objet soit un licol ; il s’agirait alors de la jonction du montant soit avec la muserolle, soit avec le dessus de tête. S’il s’agit d’un filet, ce serait la partie correspondant à la fixation du frontal sur la têtière. Bien que l’équitation soit attestée sur de nombreux sites par la présence de mors, fers, clous de fer à cheval et éperons, la découverte d’éléments de harnachement reste exceptionnelle. Ce fragment de filet constitue avec celui de Lutomierska (Samsonowicz 1982 : 84) la seule pièce de ce type pour le xie siècle.

FIG. 209 – Fragments de sangle (1 no 2786), de contre‑sanglon (2 no 1585), de sanglon (3 no 2976), de licol ou de filet (4 no 2671), de ceinture rivetée (5 no 1381). (Echelle 1/4)
Deux sangles
891Les sangles nos2786 (fig. 209‑1) et 2787 sont conçues d’après un principe similaire. La courroie de cuir est tout d’abord montée sur toute la longueur de son axe médian par une couture piquée avec couture transversale à deux aiguilles. Puis, une fois la boucle mise en place, le sanglon est replié et assemblé par un lien de cuir ou une cordelette. Utilisés avec les points d’assemblage côté externe, ces éléments ne blessent donc pas le cheval au niveau du passage des sangles.
Pièce indéterminée
892L’originalité de cet objet tient à la présence d’une bande de cuir pliée en deux dans sa longueur et insérée entre les deux autres grands fragments. Ce mode de façonnage, inusité dans la cordonnerie, est en revanche très courant dans la bourrellerie. Une identification définitive est impossible, compte tenu de l’état trop lacunaire de l’objet.
Les ceintures
893D’une largeur moyenne de 5,5 cm, la ceinture no 2976 est construite avec une seule pièce de cuir repliée chair contre chair au niveau du sanglon et assemblée par une couture piquée avec couture transversale à deux aiguilles, assemblage qui court parallèlement aux bords. Six incisions oblongues sont vraisemblablement des traces de décor par tressage d’une cordelette ou d’un lacet de cuir (fig. 209‑3).
894On a identifié un autre fragment (no 1585) de confection similaire, mais contrairement à la pièce précédente, on n’y distingue pas de découpe semi‑circulaire, nécessaire au passage d’un ardillon, ce qui indique que cet élément est un contre‑sanglon (fig. 209‑2). Ces deux pièces proviennent de zones de fouilles proches et l’on peut supposer qu’elles appartiennent à un seul et même objet.
895La pièce no 1381, bien que repliée sur son axe médian, ne porte aucune trace de couture ; mais les replis étaient rivetés : treize rivets cruciformes en fer étamé ont en effet été recueillis au voisinage immédiat. Il s’agissait d’un objet plutôt luxueux dont on ne connaît qu’un seul exemplaire sur le site (fig. 209‑5 et fig. 150‑27 à 48).
3.5.8.4 Le travail du cuir
896Le nombre des chutes de fabrication atteste qu’on travaillait le cuir sur le site même. L’était‑il occasionnellement par des non‑spécialistes ou bien cette activité était‑elle exercée par des artisans possédant une bonne connaissance du matériau et de sa mise en œuvre ?
897Connaître les diverses techniques de couture du cuir n’est pas suffisant pour confectionner une chaussure, car, du fait de la dissymétrie du pied, il est impératif de savoir également réaliser un patron précis afin que l’objet chausse parfaitement ce pied. Tant en ce qui concerne l’assemblage que le patronage, la collection de Colletière prouve la maîtrise de ce savoir‑faire.
898Le début du xixesiècle, avec l’invention de Madespergen en 1814 (Rama 1973 : 94), marque l’apparition du cousu machine. Auparavant, les articles étaient confectionnés à la main, et à l’exception des montages complexes tige‑semelle requérant un matériel spécifique, l’artisan a toujours employé les mêmes outils de base.
899Si l’instrument perdure, sa forme cependant peut évoluer. Comme exemple le plus probant, on peut citer le tranchet, à manche court et lame en forme de demi‑lune dans l’Egypte ancienne, à manche plus allongé au xviiie siècle et à lame longue et étroite non emmanchée actuellement (Salaman 1986 : 43 et 133).
900Les documents iconographiques concernant la cordonnerie aux xie‑xiie siècles sont rares. Une seule miniature datant des xiie‑xiiie siècles (Samsonowicz 1982 : 57) montre deux artisans au travail. L’un assouplit une peau pour la préparer à la coupe, l’autre introduit un embauchoir dans une botte terminée. A l’exception d’un baquet, aucun outil n’est représenté (fig. 210).

FIG. 210 – Cordonniers à l’ouvrage (d’après une miniature du XIIe siècle, Samsonovitz 1982).
901L’iconographie est plus riche au xve siècle puisque dans le seul Mendel housebook on compte cinq représentations de trois des étapes de la réalisation d’une chaussure. On y observe également presque toute la gamme de l’outillage employé par le cordonnier (fig. 211). C’est à partir de ces dessins et des planches de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert qu’on a établi l’inventaire des outils de cet artisanat. Pour la définition des formes, on s’est référé aux objets découverts sur des sites européens de comparaison.

FIG. 211 – Identification des outils utilisés par le cordonnier au XVe siècle (d’après Mendel Housebook). a tranchet, b bloc de cire, c billot, d force, e couteau.
902Indépendamment du mode de montage tige‑semelle, le cordonnier opère toujours suivant le même processus : la coupe, l’assemblage et la finition.
La coupe
903Elle s’effectue à l’aide d’un tranchet, sorte de couteau dont un côté comporte un développement en forme de demi‑lune (partie tranchante), la pointe effilée servant à ficher le tranchet dans le plan de travail une fois la coupe achevée. Si cet outil n’est pas attesté sur les sites contemporains de Charavines, on en a découvert un exemplaire daté du xive siècle dans le canal de Stockholm.
904Pour éviter les erreurs de patronage, l’artisan peut s’aider d’un modèle de bois à bord biseauté. A Novgorod on connaît pour le xiie siècle deux patrons de semelle, possédant une épaisseur moyenne de 0,5 cm (Kolchin 1985 : 294, fig. 11 et 12).
L’assemblage
905Le cuir est un matériau plus aisément mis en œuvre lorsqu’il est humide. C’est pourquoi l’artisan laisse tremper ses pièces dans un baquet d’eau. Pendant ce temps, il prépare son ligneul (ou fil de couture) en poissant trois fils de lin qu’il torsade ensemble. Pour remédier à la viscosité, qui empêche le ligneul de bien glisser, il l’enduit de cire, ce qui a pour autre avantage de freiner la pénétration de l’humidité au niveau des coutures. Le fil prêt, on le monte alors sur l’aiguille qui est confectionnée à partir d’une soie de sanglier. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert illustre parfaitement les diverses étapes du travail (fig. 212). Dans un premier temps, on ouvre la fourche du poil sur les deux tiers de sa longueur, puis on introduit l’extrémité du ligneul (A) que l’on torsade avec une branche du poil (B) ; on enroule alors l’autre partie de la soie (C). Il ne reste plus qu’à percer un trou dans le fil, perforation dans laquelle on passe l’extrémité de l’aiguille afin de réaliser un nœud (D).

FIG. 212 – Technique de préparation du ligneul et d’assemblage de la tige (d’après l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert).
906Trop souple, cette aiguille ne permet pas de percer le cuir. C’est pourquoi le cordonnier utilise une alêne pour réaliser les perforations. Cet outil comprend deux parties : un manche rond et court généralement en bois, sur lequel est fixé un poinçon de section quadrangulaire et de forme droite ou courbe.
907A Gdansk, pour les xie et xiie siècles (Jazdzewski et al, 1966 : pl. IX), à Stettin du ixe au xiie siècle (Leciejewicz et al. 1972 : pl. XIIIa et XIIIb), à Wroclaw pour les xie‑xiie siècles, à Woline pour le xie siècle (Samsonowicz 1982 : 120) et à Opole pour les xie‑xiie siècles (Samsonowicz 1982 : 120), toutes les alênes possèdent une pointe rectiligne.
908L’assemblage de la tige s’effectue sur un petit billot de bois, généralement arrondi sur sa face supérieure (Salaman 1986 : 173), placé sur le plan de travail.
909Pour le montage de la semelle, le cordonnier procède différemment. Il fixe au moyen de semences la semelle et le dessus (tous deux sur l’envers) sur une forme en bois qu’il maintient sur sa cuisse à l’aide du tire‑pied (courroie de cuir qui tire son nom du fait qu’on la coince avec le pied).
910Très fréquemment, les empreintes des semences de montage sont encore visibles sur les semelles.
La finition
911L’objet achevé, l’artisan le démonte de la forme, l’humidifie afin de le retourner sur l’endroit et introduit un embauchoir pour garder la forme durant le séchage. Il écrase les coutures à l’aide d’un lissoir, outil en os à pointe courbe et effilée dont on a retrouvé plusieurs exemplaires à Woline (Samsonowicz 1982 : 120). Pour les chaussures à lacet, il se sert d’un passe‑lacet en os.
912Dans les illustrations du Mendel housework, on observe la représentation de forces. Or le cuir est un matériau qui se cisaille très difficilement. Ces forces pourraient donc être utilisées soit pour couper le ligneul à la fin de la couture, soit pour éliminer les poils restant sur le cuir tanné.
Outillage présent à Colletière
913Le regroupement des outils par matériau permet de dresser la liste suivante :
– objet en cuir : le tire‑pied ;
– objet en bois : le baquet, le billot, la forme, l’embauchoir, le patron ;
– objets en métal : la semence de montage, les forces ;
– objets en bois et métal : le tranchet, l’alène ;
– objets en os : le lissoir, le passe‑lacet.
914La comparaison de cet inventaire avec le matériel recueilli sur le site montre qu’à l’exception de trois embauchoirs, de nombreuses alênes et d’un objet identifié comme un paroir (cf. supra), on n’a pas encore découvert tous les outils servant exclusivement à l’artisanat du cuir. En effet, les nombreux couteaux (pouvant remplacer le tranchet), des forces et des éléments de baquets (cf. supra) peuvent aussi correspondre à d’autres activités (telles que l’artisanat textile, par exemple).
3.5.8.5 Conclusion
915Cette première étude des cuirs de Charavines, pourtant réduite à quelques exceptions près aux seules collections 1986‑88, apporte d’intéressantes informations.
916Tout d’abord, il est désormais manifeste qu’une production existe sur le site même. Bien que peu d’outils aient pu être formellement identifiés, les nombreuses chutes suffisent pour le démontrer. Si des fourreaux, courroies et pièces de harnachement sont répertoriées, la cordonnerie, qui regroupe 67 % des objets, devait constituer l’activité principale.
917La classification des tiges définit au moins trois grands types de chaussures. Si le modèle à extrémité déviant sur le côté (types I, IIa et IIb) semble constituer une nouveauté dans la production européenne contemporaine, le type III, en revanche (à l’exception de la variante dans la coupe de la semelle) est similaire à des objets découverts dans des sites nordiques du xie siècle.
918L’extension des études à l’ensemble des collections pourrait aboutir à une définition plus précise des types incomplets (IIa, IIb, IV et V) de même qu’à l’affinement de la classification proposée.
919Pour toutes les pièces déjà étudiées, il serait souhaitable d’identifier l’espèce animale, afin de vérifier qu’il existe, comme c’est vraisemblable, un rapport entre l’origine du cuir et son utilisation artisanale.
920La peau d’un animal est recouverte de poils dont la taille, la densité, et la distribution sont caractéristiques de l’espèce (Haines 1981 : 9). Au cours de l’épilage (une des étapes de la fabrication du cuir), ces poils sont éliminés et la surface du cuir ainsi obtenu est parsemée des orifices des follicules pileux dont la disposition donne le dessin du grain. L’observation de celui‑ci permet donc de déterminer l’espèce animale qui a été utilisée.
921Sur les cuirs archéologiques, cette étude peut s’avérer impossible. En effet, surtout dans le cas de chaussures à une seule semelle, l’objet était monté avec le grain à l’extérieur et son utilisation a produit une usure trop prononcée. Aussi, c’est dans le seul cas de chaussures peu ou pas portées qu’on peut identifier le cuir utilisé pour la confection de la semelle.
922L’étude conduite par C. Chahine au Centre de recherche sur la conservation des documents graphiques (Chahine 1985 : 51 et pl. V) sur un échantillonnage de six fragments montre, pour Charavines, l’utilisation du cuir de chèvre, de bœuf et de mouton.
Annexe 2
Le principe du dessin du cuir
923En règle générale, un objet en cuir se compose d’une ou plusieurs pièces cousues ensemble. Mais du fait de la destruction du ligneul au cours de l’enfouissement, c’est toujours un objet dissocié qui est découvert.
924Mais le cuir étant humidifié durant le travail, le fil s’incruste dans la surface du matériau et après sa disparition, son empreinte en négatif subsiste. Ceci permet de déterminer d’une façon sûre le type de couture employé.
925Le dessin répond à plusieurs objectifs :
– obtenir un patron à plat (de l’objet) identique à celui qu’a utilisé l’artisan ; on y parvient en prenant le contour des divers fragments, ne tenant pas compte des phénomènes annexes tels que les plis et déformations résultant de l’usage et de l’enfouissement ;
– reporter toutes les traces technologiques conduisant à la réalisation de l’objet, c’est‑à‑dire les types de couture ; une dizaine d’assemblages sont couramment utilisés (Goubitz 1984 :188‑191) ; cinq seulement peuvent être décelés sur la collection de Colletière ; ils sont présentés dans la fig. 213 qui indique pour chaque type de couture son mode d’élaboration ainsi que la vue en coupe des perforations occasionnées ; la dernière colonne indique le code de dessin qui est établi en fonction des empreintes laissées par le fil de couture ; comme dans la majorité des cas les points sont internes à l’objet, le patron donne toujours une vue de l’intérieur de la pièce ; – indiquer les éventuels phénomènes survenus après la confection de l’objet (fig. 214).

FIG. 213 – Code et nomenclature de dessin pour les types de couture.

FIG. 214 – Codification de dessin pour les autres marques visibles sur le cuir.
Traitement de conservation du cuir
926Quelle que soit leur nature, les objets archéologiques établissent des échanges avec leur milieu d’enfouissement, et leur état de conservation au moment de la découverte est fonction de la composition du substrat. C’est ainsi que tous les matériaux organiques (bois, textile, vannerie et cuir) se conservent préférentiellement dans des sols humides et anaérobies.
927Très schématiquement, un cuir moderne peut être considéré comme un assemblage de molécules de collagène possédant des sites polaires sur lesquels viennent se fixer les substances introduites durant le tannage (tanins, teinture, substance d’apprêt...).
928Durant l’enfouissement, l’eau du milieu hydrolyse les liaisons existant entre le collagène et ces substances, puis se greffe sur la molécule. Le cuir exhumé peut donc être considéré comme du collagène associé à de l’eau et à quelques résidus de substances tannantes. C’est grâce à la présence d’humidité que le cuir semble avoir gardé sa souplesse et son état originel.
929Un séchage non contrôlé à l’air libre se traduit par une évaporation de cette eau, ce qui entraîne un rapprochement des molécules de collagène qui créent des liaisons interfibrillaires Irréversibles. Cela se traduit par des retraits et déformations conduisant à moyen terme à la destruction de l’objet.
930Le traitement conservatoire appliqué à l’Atelier régional de conservation de Grenoble consiste en une imprégnation du cuir par une solution de PEG 400 (polyéthylène‑glycol), produit non volatil qui reste dans le cuir après séchage et garde sa souplesse au matériau.
931Même après préparation, le cuir garde une part d’eau (puisque le bain d’imprégnation compte un volume de PEG pour deux volumes d’eau) que l’on élimine par lyophilisation (séchage par passage direct de l’eau de l’état solide à l’état de vapeur). Les cuirs ainsi traités, du fait du caractère hydrophile du PEG, gardent la souplesse nécessaire pour d’éventuels remontages et restaurations mais surtout requièrent des conditions strictes de stockage et de présentation. L’idéal est de les conserver dans une atmosphère stable (18 à 20 °C pour 50 à 55 % h.v.), de bannir tout éclairage direct des objets et d’utiliser une lumière froide.
Glossaire technique (d’après Rama 1973)
932Bracelet : partie ou pièce du dessus de la tige (rapportée ou simulée) qui en suit les bords.
933Cambrure : partie du pied comprise entre l’appui du talon et l’articulation métatarso‑phalangienne.
934Claque : pièce du dessus de la tige couvrant l’avant‑pied.
935Cousu chausson : synonyme de cousu retourné.
936Cousu retourné : procédé de montage dans lequel la semelle est cousue avec la tige, l’une et l’autre à l’envers. L’ensemble est ensuite retourné afin que la couture, désormais à l’intérieur, reste invisible.
937Dessus : la tige avec sa doublure, ses renforts, ses accessoires.
938Embauchoir : forme en bois introduite dans la chaussure terminée pour donner à la tige consistance, bonne présentation, et assurer le bon entretien.
939Empeigne : partie avant de la tige, couvrant le cou‑de‑pied et les orteils.
940Forme : pièce de bois représentant ie volume du pied et servant à la confection de la chaussure.
941Languette : partie de la tige, ou pièce rapportée de la tige, prolongeant vers l’arrière la claque et protégeant le cou‑de‑pied.
942Ligneul : gros fil de lin enduit de poix, torsadé puis ciré.
943Malléole : chacune des deux saillies osseuses, situées l’une à l’extérieur et l’autre à l’intérieur de la jambe, qui forment la cheville.
944Patin : pièce de semelage qui se trouve en contact avec le sol, souvent utilisé comme réparation.
945Pointure : ensemble des mesures (généralement exprimées en points, d’où le nom) qui caractérisent un pied, une forme, une chaussure. La longueur du volume chaussant est l’une des deux mesures servant à identifier une forme. En points de Paris, elle est calculée d’après le rapport suivant (ou L égal la longueur du pied en cm) : L x 10/6,66 = pointure.
946Poix : matière visqueuse à base de résine ou de goudron.
947Quartier : une des deux pièces disposées symétriquement qui forment l’arrière de la tige et remontent plus ou moins sur le cou‑de‑pied pour fermer la chaussure.
948Soulier : chaussure à tige basse, de toutes catégories.
949Tige : partie supérieure de la chaussure, destinée à habiller et protéger le dessus du pied.
950Tranchet : outil à main destiné à couper le cuir ou la peausserie.
951Volume chaussant : volume théorique qui circonscrit les différents volumes habités par le pied dans toutes ses positions, au repos et en mouvement.
3.5.9 Le mobilier osseux et lithique
952Michel Colardelle, EricVerdel
3.5.9.1 Les objets en os
953Fig. 215
954Ce type de mobilier n’est représenté que par une trentaine d’objets (0,7 % de l’inventaire). La moitié appartient à la catégorie des instruments de musique ou à celle des pièces de jeu, étudiées dans les chapitres correspondants. Les autres sont pour la plupart des poinçons, des lissoirs et des aiguilles.
Les poinçons
955Cinq outils pointus sont taillés dans des diaphyses d’os longs ou des bois de cervidés. Trois sont massifs et courts (longueurs comprises entre 8 et 10,2 cm, diamètres de 1,1 à 1,4 cm). L’un est courbe et si soigneusement poli qu’il pourrait être interprété comme un objet de parure, porté en collier. Une très légère marque circulaire à son extrémité abattue paraît en effet avoir été produite par un cerclage métallique pour sa suspension et sa pointe est absolument exempte de traces d’utilisation (fig. 215‑1). Les deux autres, plus frustes, sont irrégulièrement facettés au couteau et possèdent une pointe robuste. Le quatrième, plus allongé que les précédents (longueur : 13,7 cm ; diamètre maximal : 0,9 cm) s’en distingue également par une pointe plus frêle et par la présence d’un décor de cinq croix de Saint‑André gravées sur une face, qui facilitait la prise en main (fig. 215‑5). Le dernier, complet mais de très petite taille (longueur: 3,5 cm ; diamètre maximal : 0,8 cm) doit appartenir à la même catégorie d’outil bien que ses dimensions restreintes le rendent d’un emploi malcommode (fig. 215‑2). Généralement ces outils sont attribués à l’artisanat du cuir. Cette hypothèse reste la plus probable mais on ne peut définitivement exclure qu’il s’agisse de broches pour le textile comme cela a été proposé pour les « poinçons « tout à fait comparables de Villiers‑le‑Sec et de Baillet‑en‑France, datés des xe‑xie siècles (Cuisenier, Guadagnin 1988 : 283‑286). Il est encore possible que certains aient servi d’épissoirs pour les cordages.

FIG. 215 – Le mobilier osseux : – poinçons (1 no 168, 2 no 644, 3 no 169, 4 no 3545, 5 no 195), – lissoirs (6 no 1722, 7 no 1264, 8 no 999), – épingle (9 no 3563), – aiguilles (10 no 300, 11 no 51, 12 no 1898) –raclette (13 no 3712). (Echelle 1/3)
Les lissoirs (?)
956Trois objets de formes et de dimensions variées posent un problème d’identification car, malgré d’évidentes marques de débitage et de taille partielle, ils ne présentent guère de traces d’utilisation. Le plus long (12 cm ; diamètre : 1,2 cm) est façonné dans un métatarsien de jeune capriné (cette détermination et les suivantes sont dues à Cl. Olive). Il est resté à l’état brut sur presque toute sa longueur et seule son extrémité distale a subi des enlèvements par copeaux qui lui confèrent une section polygonale (fig. 215‑6). Un second, cassé, est débité dans un andouiller de cerf élaphe (longueur : 10,2 cm ; largeur : 1,3 cm ; épaisseur : 0,7 cm), scié dans le sens de la longueur. La régularité de la découpe suggère l’emploi d’une petite scie à dents très fines, du type de celle qui sont décrites dans le chapitre consacré au mobilier métallique (cf. supra). A une extrémité, des enlèvements au couteau déterminent un biseau approximatif dont les arêtes restent vives (fig. 215‑7). Le dernier lissoir est extrait d’un os long de bovidé (longueur : 6 cm ; largeur : 0,8 cm ; épaisseur maximale : 0,5 cm). C’est un petit parallélépipède chanfreiné aux extrémités dont l’une montre de petites encoches qui pourraient être le départ de dents cassées (fig. 215‑8).
Les aiguilles à chas
957Trois sont taillées dans des fibulae (péronés de suidés). Deux sont presque entières, l’autre a perdu sa pointe (fig. 215‑10 à 12). Ces aiguilles assez épaisses (longueurs de 6,2 à 9,8 cm ; largeurs : 0,5‑0,6 cm) comportent une pointe solide et un orifice circulaire (diamètre : 0,3 cm) percé à l’extrémité opposée, naturellement aplatie. Elles pouvaient servir soit pour la réparation de filets de pêche soit pour la couture de grosses pièces de cuir. Des aiguilles du même type sont connues à Villiers‑le‑Sec (Cuisenier, Guadagnin 1988 : 287).
Épingle
958Longue (17,5 cm) et très fine (0,15 cm), elle possède une large tête régulièrement ovalisée. D’une grande souplesse et très fragile, elle n’a pu servir que pour discipliner les chevelures (fig. 215‑9).
Raclette (?)
959Un segment de côte de bovidé (longueur : 13.2 cm ; largeur : 3,2 cm ; épaisseur : 0,7 cm) porte sur un long côté une série de seize encoches en V qui dégagent de courtes denticulations. Dans le corps de l’os, une lumière sensiblement carrée (0,9 x 0,9 cm) recevait un manche probablement en bois (fig. 215‑13). Tout dans l’allure, les dimensions et l’usure régulière des dents de cet objet le rapproche de la raclette en chêne déjà décrite (cf. supra). On lui attribue donc une même fonction culinaire, pour étaler la pâte de galettes à cuire sur des pierres chauffées.
3.5.9.2 Les objets en pierre
960Fig. 216
961Le mobilier lithique est rare à Colletière. En excluant les éclats de cryo‑et pyroclastie et quelques silex sur lesquels l’absence de retouches prouve qu’ils n’ont pas été produits par une industrie, on n’identifie avec certitude qu’un peu plus d’une vingtaine d’objets (0,6 % de l’ensemble du mobilier). Nous présentons également ici deux lissoirs de verre, seuls outils de cette matière assurément médiévaux.
Les pierres à aiguiser
962Toujours réalisées dans des roches dures à grain très fin, elles sont oblongues, pour la plupart de dimensions assez homogènes et munies d’une perforation.
963Six, de section polygonale, circulaire ou ovoïde (1 à 1,5 cm) sont de petite taille (5 à 8,8 cm de longueur). Elles portent sur une ou plusieurs faces des traces d’usure qui créent de légères dépressions (fig. 216‑1 à 6). Leur extrémité proximale présente un orifice circulaire (0,3 cm de diamètre) pour le passage d’un lien de cuir ou d’une cordelette de chanvre pour leur suspension. Une septième, rhombo‑édrique (longueur : 4,5 cm ; largeur : 3,8 cm ; épaisseur : 2,2 cm), n’est polie que sur une seule face et ne porte pas de perforation (fig. 216‑7). Deux autres, de plus grandes dimensions (longueurs 16 et 12,3 cm ; largeurs 7,5 et 3 cm ; épaisseurs 1,5 et 1,7 cm) ne sont pas percées et devaient donc être portées au côté, dans un étui conique en cuir ou en bois (fig. 216‑8 et 9).

FIG. 216 – Le mobilier lithique : – pierres à aiguiser (1 no 2017, 2 no 844, 3 no 2498, 4 no 590, 5 no 78.20.90, 6 no 26.14 I, 7 no 275, 8 no 2157, 9 no 2833), – pilons (10 no 3008, 11 no 967), – mortiers (12 no 3256, 13 no 89.46.54), – molettes (14 no 80.10.37, 15 no 2715, 16 no 307), – dessous de plat (17 no 2275), – couvercle (18 no 2398), – polissoirs (19 no 388, 20 no 3394), – poids de filet (21 no 1769, 23 no 938), – fusaïole (22 no 2309) – pendentif (24 no 911),– balle de fronde (25 no 2508). (Echelle 1/6)
964Les petites pierres à aiguiser ont pu indifféremment servir pour l’affûtage des couteaux et des faucilles dont plusieurs tranchants portent les traces. Seules les deux plus grandes étaient adaptées à celui d’une faux ; c’est notamment le cas de celle qui est plate et dont un long côté surtout est biseauté par le frottement d’un large fer (fig. 216‑9).
Les pilons
965Deux galets de quartzite ont une forme cylindrique aux extrémités arrondies (longueurs : 16,7 et 15,2 cm ; diamètres : 7,2 et 4,5 cm) qui gardent les marques de percussions assez légères et d’écrasements répétés (fig. 216‑10 et 11). Leurs diamètres correspondent exactement à celui des concavités des mortiers ci‑après décrits.
Les petits mortiers
966En calcaire tendre à grain fin et en quartzite, deux galets circulaires (diamètres : 8 et 8,1 cm ; épaisseurs : 2,2 et 3,6 cm) présentent une face régulièrement creusée et polie. A l’intérieur de la concavité, des rayures indiquent une friction effectuée circulairement (fig. 216‑12 et 13). Les faces opposées sont retouchées pour s’adapter rigoureusement à une surface plane. On a pu se servir de ces mortiers pour pulvériser des substances diverses en petites quantités.
Les molettes
967Un galet en quartzite de forme hémisphérique (diamètre : 8,5 cm ; hauteur : 6 cm) obtenue par piquetage, présente une plage polie par l’usure qui témoigne d’un emploi comme broyeur frotté sur une meule dormante pour diverses préparations culinaires (fig. 216‑16). C’est aussi le cas de deux disques en granit (diamètres : 11,5 et 8,6 cm ; épaisseurs : 3,5 et 2,5 cm) qui sont beaucoup plus rugueux et dont les faces sont fortement abrasées (fig. 216‑14 et 15).
Dessous de plat et couvercle
968Une pierre plate calcaire de forme subcirculaire (diamètre : 22 cm ; épaisseur : 3,5 cm) comporte deux faces parfaitement aplanies dont la régularité convient bien pour y poser des pots à cuire ou des récipients de bois (fig. 216‑17). Une autre, également en calcaire, est plus petite et sensiblement carrée (13 cm de côté, épaisseur 0,7 cm). Ses dimensions et son faible poids permettaient de boucher l’ouverture de vases à cuire ou à conserver les aliments, d’un diamètre moyen de 12 cm (fig. 216‑18).
Les polissoirs
969Un gros éclat de galet, irrégulier, a été aménagé pour être utilisé par frottement circulaire de son épiderme lissé (fig. 216‑19). Son cortex sommairement facetté permettait une meilleure préhension (longueur : 7,9 cm ; hauteur : 4,8 cm). Un second, en roche noire volcanique, présente une forme amygdaloide de section ovale aplatie (longueur : 9 cm ; largeur : 6,3 cm ; épaisseur : 3 cm). Il est parfaitement lisse de tous les côtés et ses bords sont d’autant mieux adaptés au polissage que deux enlèvements opposés favorisent une prise en main anatomique (fig. 216‑20).
Fusaïole
970Un petit tronc de cône en calcaire (diamètres : 2,8 et 2,5 cm ; épaisseur : 0,9 cm) porte un orifice central également tronconique (diamètres : 0,8 et 0,7 cm). Bien qu’assez léger cet objet est très probablement une fusaïole comme le confirment à la fois les dimensions de la perforation, adaptées à l’extrémité de certains fuseaux et la régularité de sa forme qui devait bien équilibrer le mouvement de rotation (fig. 216‑22).
Poids de filet
971Deux cylindres peuvent être interprétés comme des lests (fig. 216‑21 et 23). Le premier, très irrégulier (diamètre : 2,6 cm ; hauteur : 2,2 cm) est percé d’une large lumière (diamètre : 1,5 cm) ; le second, beaucoup plus épais et lourd, est poli sur toutes ses faces. De part et d’autre on a commencé à le perforer en son centre. Les avant‑trous, aux contours déchiquetés, n’ont pas été pratiqués avec un foret et le perçage est resté inachevé. Si le premier objet est vraisemblablement un poids de filet, l’autre en revanche est beaucoup plus énigmatique et son attribution reste indéterminée.
Pendentif
972Apparemment retaillée dans une ancienne pierre à aiguiser cassée, cette petite pyramide tronquée (longueur : 4,1 cm ; base : 1,1 x 1 cm) porte un trou de suspension (diamètre : 0,3 cm) dont les bords supérieurs sont usés et lustrés par le frottement d’un lien. Il s’agit bien d’un objet de parure car sa petite taille ne permettait plus de l’utiliser pour l’aiguisage (fig. 216‑24). Un exemplaire très comparable provenant des fouilles d’York est daté du xe siècle (Hall 1986 : fig. 99).
Balle de fronde
973Une sphère aplatie (diamètres : 2,7 et 2 cm), en calcaire, est remarquable par sa grande régularité (fig. 216‑25). Son poids est tout à fait conforme à celui d’un projectile de fronde, arme dont on n’a pas d’exemple sur le site mais qui a pu être employée pour la chasse au petit gibier.
Lissoir de verre
974Une calotte hémisphérique (diamètre : 7,5 cm) est en verre noir moulé, avec une concavité centrale à fond ombiliqué. L’analyse diffractométrique (LAM‑Nancy) montre une structure amorphe, une composition chimique fortement siliceuse et une teneur en potasse (K2O) élevée. De tels outils servaient couramment pour le lissage de finition des tissus depuis l’époque romaine (Ferdière 1984). On en connaît de nombreux exemplaires à Villiers‑le‑Sec, Baillet‑en‑France et Saint‑Denis aux ixe ‑xie siècles (Cuisenier, Guadagnin 1988 : 287‑288).
3.6 La chronologie
3.6.1 Introduction ; la typologie
975Michel Colardelle, Eric Verdel
976La chronologie absolue du site a longtemps posé de difficiles problèmes. Les comparaisons typologiques qui donnent ordinairement les arguments chronologiques les plus sûrs sont ici aléatoires. Lorsque les fouilles de Colletière ont commencé, aucun site contemporain n’avait été étudié dans toute la région, les mottes n’avaient pas encore été identifiées et le « fossile directeur » le plus caractéristique –la céramique à fonds marqués– se voyait proposer, selon les auteurs, des datations variant du viie au xiie siècle ! En réalité, très vite, la typologie générale du matériel –en particulier le matériel d’équitation et les armes, qui s’apparentent à des modèles largement diffusés dans toute l’Europe– nous a paru situer le gisement, comme d’ailleurs Les Grands Roseaux et Le Pré d’Ars, entre l’extrême fin de la période carolingienne et le milieu du xie siècle. L’an Mil est vite apparu comme la date la plus commode pour caractériser le matériel, ce que la numismatique ne contredisait pas. Mais si cette dernière était d’un précieux concours, les monnaies étaient relativement peu nombreuses, et chaque année, on n’en trouvait en moyenne qu’une ou deux. D’autre part, leur période d’émission n’était qu’un indice puisqu’on ignorait leur période de circulation (absence de trésor de référence).
977Il était par ailleurs nécessaire de disposer d’une chronologie, à la décennie près : l’occupation de Colletière se trouvait en tout état de cause dans une période d’évolution accélérée, et d’autres éléments –sa richesse, le caractère militaire en même temps qu’agricole et artisanal des fonctions de ses habitants– montraient qu’elle était au cœur même du phénomène de mutation.
978La date précise avait d’autant plus d’intérêt que, sur le plan historique, la fin du xe et le début du xie sont pauvres en textes et que diverses hypothèses pouvaient être avancées pour rendre compte des particularités de la colonisation, comme celle d’une opération commanditée par les pouvoirs comtaux ou épiscopaux, qui commencent à émerger un peu avant le milieu du xie siècle.
979La dendrochronologie était donc la méthode la plus appropriée. Aussi plusieurs spécialistes se sont‑ils étonnés qu’elle n’ait donné que tardivement des résultats crédibles. Mais s’il est exact que la présence de bois d’œuvre bien conservés rendait possible son utilisation, on a rencontré plusieurs difficultés : l’inexistence jusqu’à une période récente de laboratoire proche (on a dû longtemps travailler avec le laboratoire de dendrochronologie du Centre de recherches archéologiques médiévales de l’université de Caen), l’absence de courbes de références publiées dans la zone climatique à laquelle appartient Charavines, l’absence presque systématique d’écorce et même souvent d’aubier dans les madriers de construction (façonnés par les artisans et non utilisés bruts comme dans les habitats pré‑ et protohistoriques). Il fallait donc multiplier les prélèvements pour réduire l’aléa et construire puis dater une séquence régionale. Aujourd’hui, c’est chose faite grâce au travail du laboratoire de chronoécologie de Besançon, et Charavines a donné une séquence de référence désormais utilisable pour d’autres sites du Moyen Age régional. La dendrochronologie a également répondu de manière satisfaisante à diverses autres questions parmi lesquelles celles de la durée d’occupation, du synchronisme avec Les Grands Roseaux et Le Pré d’Ars, de la chronologie relative des constructions et réparations de l’architecture.
980Enfin, il fallait tenter d’éclaircir le problème de la chronologie relative avec les sites castraux, en particulier la motte du Châtelard très proche. C’est pour cela que l’enquête a été générale, et que l’on a cherché à disposer du maximum d’indices. On trouvera ci‑après trois études qui, ensemble, forment un faisceau de preuves cohérent, qui emporte la conviction, Il faut les compléter par les considérations précieuses issues de l’étude céramologique, qui précise la chronologie relative avec Le Châtelard, où l’absence de bois rendait impossible l’expertise dendrochronologique. Une réflexion peut être faite à l’issue de ces travaux, sur le plan de la méthode. C’est d’abord celle de l’extrême difficulté de comparer les indices provenant de plusieurs techniques, chacune assortie de ses propres aléas, et d’autre part la grande fiabilité de la numismatique (pour cette période et dans ces conditions de gisement). La finesse du résultat obtenu, ajoutée à l’importance des séries typologiques homogènes, font de Charavines, dorénavant, une référence sûre pour la datation des sites du xie siècle.
3.6.2 Les monnaies
981Michel Dhenin
982Les trente‑neuf monnaies recueillies à Colletière de 1972 à 1989 ont été étudiées au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale. Elles sont évidemment d’un intérêt scientifique majeur pour la datation et la compréhension du rôle économique et sociologique du site. Mais la rareté d’une telle documentation pour cette période de notre histoire lui confère également une valeur qui dépasse largement le seul cadre de l’habitat (fig. 217 et annexe 3 : catalogue des monnaies).

FIG. 217 – Monnaies romaines et médiévales :
– antoninianus de Claude II (1 no 3078),
– aes 3 Valentinien (2 no 807),
– deniers lyonnais de Rodolphe III (3 no 571, 4 no 1891),
– oboles de Rodolphe III (5 no 674, 6 no 2378),
– deniers viennois de Thibaud et Rodolphe III (7 no 1694, 8 no 43),
– deniers viennois de Conrad le Saiique (9 no 588, 10 no 509),
– denier bourguignon (11 no 2282),
‑ obole de Limoges (12 no 7),
– deniers viennois (13 no R.1987.250, 14 no 3300),
– indéterminé (15 no 862). (Echelle 1)
983Les sept monnaies romaines sont toutes extrêmement usées et pratiquement aucune n’a pu être identifiée avec la précision idéale, les éléments permettant l’attribution exacte étant le plus souvent illisibles. Ces monnaies sont très dispersées dans le temps, du ier siècle à la fin du ive siècle. L’as de Claude Ier n’est identifié que grâce à la vague silhouette de son profil. Le dupondius pourrait être de la dynastie des Antonins. A propos des deux antoniniani de Claude II, on ne peut identifier précisément le premier à cause d’une légende de revers tronquée, et l’on hésite pour le second entre une pièce officielle et une imitation. Il est impossible d’identifier les empereurs figurant sur les trois monnaies du ive siècle, mais ce n’est pas un obstacle à la datation : le type du revers est à lui seul significatif de la période d’émission. Celui‑ci n’est pas identifiable sur l’une de ces trois pièces ; les deux autres ont été frappées entre 364 et 375 pour le type GLORIA ROMANORVM, et en 387‑388 pour le type SPES ROMANORVM, à la porte de camp, qu’on rencontre rarement. La présence de ces monnaies antiques dans l’habitat médiéval peut montrer l’existence à proximité soit d’un site romain longuement occupé, soit de plusieurs sites d’époques différentes. Mais puisqu’il s’agit d’un peuplement colonial, il n’est pas exclu que les immigrants aient apporté ces monnaies avec eux.
984La plus grande partie des monnaies appartiennent à une courte période, qui se situe de l’extrême fin du xe siècle au tout début du xie siècle : on en compte au total 27, soit plus des deux tiers de l’ensemble des trouvailles. La plupart proviennent de deux ateliers : Lyon (3 deniers et 4 oboles) et surtout Vienne (16 deniers). Les autres espèces, plus lointaines, ne sont représentées chacune que par un seul exemplaire : un denier et une obole d’un atelier incertain du royaume de Bourgogne, une obole de Limoges et un denier de Rouen.
985Les deniers et oboles de Lyon sont au même type et portent le nom de Rodolphe III (993‑1032). On ne connaît aucun trésor ayant contenu des monnaies à ce type, qui marque un retour à la monnaie royale, après que l’on ait monnayé au nom de l’archevêque Bouchard, pendant le règne de Conrad le Pacifique. A ces monnaies succéderont les deniers à l’S d’Henri le Noir (1038‑1056), absents ici.
986Les monnaies de Vienne sont toutes des deniers, mais de deux types différents. Le premier porte au droit le nom de l’archevêque Thibaud autour d’un monogramme PR(ESVL), et au revers l’initiale du roi Rodolphe III. Il date de 993‑1001 et était présent en nombre (12 deniers et 4 oboles) dans le trésor du Puy, enfoui au tout début du xie siècle. Le second, le plus abondamment représenté (11 exemplaires), est attribué à Conrad le Salique, dont il porte le monogramme CH(ONRADVS), et date donc de la période 1034‑1070. Il n’est présent dans aucun trésor répertorié.
987Un denier bien conservé présente des types difficiles à interpréter : il est semblable aux 8 deniers du trésor du Puy où J. Lafaurie (1952) voit quatre lettres formant une légende, autour d’une croix au cœur losangé chargé d’une croisette. Il s’agit d’une déformation d’un monogramme de type carolin. J. Lafaurie le considère comme la déformation du type de Conrad frappé à Orbe. Nous en rapprochons une obole, ou plutôt la moitié d’une obole, extrêmement mal conservée, mais où l’on peut retrouver la même typologie. Ces monnaies, présentes dans le trésor du Puy et dans la trouvaille de Saint‑Ours de Soleure (Remis numismatique, 1979 : 109, no 12), doivent être datées entre 960 et 1005.
988L’obole de Limoges est au type du grand O losangé dans le champ, créé par le roi Eudes (888‑898), mais que l’on trouve dans de nombreux trésors s’étalant entre la fin du ixe et le début du xie siècle (Saint‑Yrieix‑la‑Perche, Cuerdale, Fécamp, Le Puy, Saint‑Martial de Limoges, Saint‑Vaury, Yougoslavie, Saint‑Vincent‑d’Autéjac et Argentât) (Dhenin 1987). La métrologie reflète fidèlement le classement chronologique des pièces de Limoges appartenant à ces différents trésors, mais ce genre de données ne peut être valablement utilisé qu’à partir d’un nombre d’exemplaires. assez important, et l’on ne peut trop tirer de conclusions du poids (certes faible, 0,41 g) de cette obole pour la classer chronologiquement. De même, l’incorrection de la légende de revers : LIMOVICA pour LIMOVICAS peut être simplement due à une mauvaise mise en page du graveur. Néanmoins la coïncidence de ces deux faits incite le commentateur à placer cette obole à la fin de ce monnayage plutôt qu’à son début.
989Le denier normand de Colletière n’est plus que la moitié de lui‑même, et l’on n’est pas absolument certain de son identification précise. Disons que le type de la Revue numismatique 1979 (pl. XVI, 18) semble le plus proche et que celui‑ci appartient très probablement au groupe A défini par F. Dumas (1979 : 84‑14a, pl. XV‑XXI). Le denier représenté dans cet article figurait en nombre (21 exemplaires) dans le trésor de Gaillefontaine, étudié par J. Lafaurie (1957 et 1980) et daté de l’an 1020 environ.
990L’ensemble des monnaies des xe‑xie siècles recueilli ici est composé, pour une bonne part, d’espèces que l’on n’a pas eu l’occasion de découvrir dans des trésors, à l’exception des monnaies lointaines (Limoges, Rouen, Orbe ?) et du denier de Thibaud et Rodolphe III de Vienne, présent dans le trésor du Puy. Ce denier constitue un des jalons les plus proches de la période d’occupation du site. Nous pouvons en conclusion choisir entre plusieurs hypothèses. La première suppose une longue occupation, dont les dates extrêmes sont définies par l’avènement de Rodolphe III (993) et par la disparition de Conrad le Salique (1070). La seconde croit au contraire à une occupation très brève, dont les bornes sont l’avènement de Conrad le Salique (1034) et celui d’Henri le Noir (1038). Les monnaies antérieures sont alors considérées comme étant restées en circulation et perdues entre ces dates. La vérité se situe probablement entre ces deux extrêmes : la parenté des trouvailles avec le trésor du Puy (v. 1000), la présence du denier normand du type représenté à Gaillefontaine (v. 1020), le nombre des deniers de Conrad le Salique, et l’absence de ceux d’Henri le Noir permettent de considérer comme plausible la date de 1000‑1040 pour l’occupation.
991On a trouvé cependant des monnaies plus récentes, en surface il est vrai : deux deniers de Vienne du type anonyme au chef de Saint‑Maurice, que l’on peut dater des années 1120‑1150, selon la chronologie établie par J. Yvon des deniers conservés à la Bibliothèque nationale. Leur présence ne remet pas en cause la chronologie du site, pour les raisons déjà évoquées (cf. supra).
3.6.5 Le radiocarbone
992Philippe Olive
3.6.3.1 Méthode
993Le principe de la méthode est fondé sur la désintégration de l’isotope radioactif du carbone : le « carbone‑14 ». Celui‑ci est produit dans la haute atmosphère par l’action des rayons cosmiques sur l’azote de l’air. Il en résulte que la matière vivante végétale, qui extrait son carbone de l’atmosphère grâce à la photosynthèse, voit la radioactivité du carbone assimilé s’établir à un niveau voisin de celui du gaz carbonique atmosphérique. A la mort de la plante, ou de l’animal qui la consomme, l’approvisionnement en gaz carbonique cesse et la radioactivité du carbone décroît de manière exponentielle avec une demi‑vie voisine de 6 000 ans. La mesure de l’activité résiduelle en 14C permet donc de déterminer le temps qui s’est écoulé depuis la mort d’un organisme.
Traitement et comptage des échantillons
994Le traitement physique des échantillons à l’œil nu et à la loupe binoculaire élimine le principal contaminant constitué par les racines actuelles ou subactuelles dont la présence, par apport de carbone moderne, « rajeunit » l’échantillon. Ainsi 1 % de carbone moderne rajeunit de 10 ans un échantillon de 1 000 ans. Un traitement chimique à l’acide élimine ensuite les carbonates secondaires déposés depuis la fossilisation de l’échantillon et un traitement à la soude les acides humiques qui ont pu percoler après le dépôt (Olsson 1980).
995La cellulose des bois et le collagène des ossements (extrait par la méthode de Longin, 1970) ainsi purifiés sont alors transformés en CO2, puis en C2H2 et enfin en C6H6 (Pearson 1979). Ce procédé permet d’avoir le maximum de carbone dans le plus petit volume (quelques millilitres). Le benzène est enfin compté en scintillation liquide pendant environ 24 heures.
996Comme la teneur initiale en14C de la matière organique vivante est de 100 % de carbone moderne (100 pcm) et l’activité résiduelle « A14C » mesurée de la matière organique fossilisée inférieure à 100 pcm, l’équation suivante permet de calculer le temps « t » qui s’est écoulé entre la mort de la plante ou de l’animal et le montant de la mesure :
997t = 8 033.ln (100/A14C) en années
998où ln est le logarithme népérien (base e).
999La nature statistique (aléatoire) de la décroissance radioactive entraîne que la vraie valeur de l’âge, qui restera toujours inconnue, est comprise entre certaines limites de l’âge mesuré « t ». Par convention, l’intervalle de confiance « s » est donné de telle sorte qu’il y ait 68 chances sur 100 que l’âge vrai soit compris entre « t – s » et « t + s ». Cet intervalle de confiance est inversement proportionnel à l’activité mesurée lors du comptage. On réduit « s » d’un facteur « √2 = 1,4 » en doublant soit, la quantité de l’échantillon soit le temps de comptage.
1000Il faut noter qu’une autre opération de comptage, réalisée sur le même échantillon, fournirait un autre intervalle qui aurait la même probabilité que le précédent de contenir la vraie valeur fixe.
Normalisation des activités
1001Des ségrégations ou fractionnements isotopiques ont lieu en particulier lors de la photosynthèse, les plantes utilisant préférentiellement le 12CO2 au 13CO2 et au 14CO2 (deux fois plus le 13CO2, que le 14CO2). Si bien que les mesures sont normalisées par rapport au bois de l’étalon international de 14C dont le δ13C = –25 ‰ par l’équation suivante (Olsson, Osadebe 1974) :
1002A14C normalisée = A14C mesurée [1‑2 (25 + δ13C)/1 000]
Âges conventionnels
1003Un accord international (Stuiver, Polach 1977) prévoit que les résultats des datations sont donnés en âges conventionnels fondés sur :
a) t = 8 033.In (100/A14C normalisée) en année BP
b) normalisation à δ13C = – 25 %o ;
c) âge en années BP (before présent) où 1950 est l’année zéro BP ;
d) intervalle de confiance de ± S (68 %).
Âges calibrés
1004La calibration consiste à effectuer une conversion entre la chronologie 14C et la chronologie vraie (années astronomiques) du fait que la teneur en 14C du CO2 atmosphérique n’est pas restée constante au cours du temps. On utilisera ici la courbe de calibration de Stuiver et Becker (1986), l’intervalle de confiance étant de 68 %.
3.6.3.2 Résultats
1005Sur le tableau xxvii sont reportés les résultats des 19 datations effectuées par les laboratoires de Lyon (Ly) et Thonon (CRG) sur les sites littoraux du lac de Paladru. Sur le tableau xxviii sont reportés les résultats des 8 datations effectuées sur les échantillons de la Station de Colletière. Le test statistique du « chi‑carré » effectué sur ces 8 valeurs permet de vérifier que cet échantillon provient d’une population « normale ». Ayant aussi testé la qualité de cet échantillonnage on peut calculer la valeur moyenne pondérée de cette série :
1006t = (ti/s12 + t2/S22 + ...) / (1/S12+ 1/S22 + ...)
1007et s l’intervalle de confiance :
1008s = 1 / ([1/s12) + (1/S22 + ...)
1009Ceci afin de tenir compte des intervalles de confiance affectant chacune des datations.

TABL. XXVII – Résultats des datations effectuées sur des échantillons provenant des sites littoraux du lac de Paladru. Laboratoires de Lyon (LY) et Thonon (CRG).

TABL. XXVIII – Résultats des datations effectuées sur les échantillons provenant du site de Colletière. Laboratoires de Lyon (LY) et Thonon (CRG).
1010La valeur moyenne pondérée des 8 datations du site de Colletière est donc de : 1015 ± 23 années BP, c’est‑à‑dire qu’il y a 68 chances sur 100 que la vraie valeur soit comprise entre « 1015 ‑ 23 » et « 1015 + 23 » soit : 992 à 1038 années BP. La calibration effectuée sur cette valeur moyenne en utilisant les données de Stuiver et Becker (1986) aboutit à : 994 à 1021 années AD.
1011On peut conclure que les débris organiques végétaux et animaux ont été soustraits du cycle du carbone durant les deux premières décennies du xie siècle. Comme il y a peu de chances pour que les matériaux datés aient été stockés longtemps avant leur utilisation (noix, graines, os surtout) on peut en conclure que l’occupation dut être subcontemporaine et eut lieu durant la première moitié du xie siècle.
1012D’autre part 8 datations ont été réalisées sur deux niveaux de tourbe de moins de 1 m d’épaisseur situés à proximité immédiate du site de Colletière, les trois premières à partir de prélèvements effectués sur le bord de la Fure et cinq autres sur un transect lac/rive (tabl. xxix).

TABL. XXIX – Résultats des datations effectuées sur les échantillons prélevés sur les berges de la Fure (en haut) et sur le transect rive‑lac (en bas). Laboratoire de Thonon (CRG).
1013L’occupation la plus ancienne pourrait avoir eu lieu sur le site CH 14, sans mobilier archéologique, où un pieu a été daté de 9000 ans BP. Elle serait donc contemporaine du Mésolithique ancien. Puis, vers 2700 ans BC, c’est l’occupation du site des Baigneurs, au Néolithique récent, étudié par A. Bocquet. Ensuite, et contrairement à ce qui s’est produit sur les bords des lacs Léman, d’Annecy et du Bourget, on ne trouve pas d’occupation au Bronze final vers 1000 ans BC, sauf peut‑être les quelques pieux de CH 4 (1400/1000 ans BC) où aucun mobilier archéologique n’a été décelé. A l’âge du Fer (750 à 0 BC) on attribue des tessons de céramique de La Tène III (100 à 20 ans BC) sur le site CH 13. Des pieux sur les sites CH 1 et CH 13 sont datés de l’époque gallo‑romaine (0 à 500 ans AD). Enfin l’occupation semble continue durant tout le Moyen Age (500 à 1500 AD) : sites CH 2, CH 3, CH 5 et surtout Colletière.
3.6.4 Dendrochronologie et climat
1014Pierre Alexandre, Georges‑Noël Lambert, Catherine Lavier
1015110 échantillons de bois d’architecture (chêne) provenant des stations littorales de Colletière, Les Grands Roseaux et Le Pré d’Ars ont été synchronisés pour donner une moyenne dendrochronologique de 159 années consécutives (tabl. xxx). Cette moyenne est baptisée « moyenne 77 » de Charavines (elle a été obtenue à la suite de 77 étapes ou agglomérations intermédiaires). Le site de Colletière participe majoritairement à cette construction dendrochronologique avec 95 pieux ou madriers (fig. 218) ; le site du Pré d’Ars avec 9 pièces (nos 1201, 1202, 1203, 1207, 1208, 1209, 1210, 1211 et 1233) et celui des Grands Roseaux avec seulement 6 pieux (nos 909, 916, 918, 931, 932 et 944). La moyenne 77 est datée de la période 876 à 1034 ap. J.‑C.

TABL. XXX – Moyenne 77 de Charavines

FIG. 218 – Plan général des prélèvements dendrochronologiques.
3.6.4.1 Qualité de la séquence
1016La séquence a été construite progressivement par « agglomérations » successives de séquences individuelles (échantillons) à une matrice dont le noyau de départ est la synthèse des nos 32 et 38 ; les dernières pièces agglomérées sont les nos GR. 916 et GR. 918 (Les Grands Roseaux). La fig. 219 représente toutes les étapes de synchronisation qui ont permis d’obtenir la séquence moyenne « Charavines 77 ». Elle représente une agglomération hiérarchique ascendante dont la distance est mesurée par le test W (Eckstein 1969 et Lambert et al. 1988). La technique d’agglomération se fait par la distance la plus courte (ou la plus grande proximité) entre séquences. On constate, au cours des associations successives des pièces, la grande cohérence de la plupart des pieux de la palissade de Colletière ainsi que la bonne homogénéité du Pré d’Ars. On remarquera aussi plusieurs pièces qui, si elles ne viennent pas du même arbre, doivent provenir d’un même secteur forestier et qui ont été employées dans le bâtiment I (nos B1.161, B1.259, B1.387, B1.376, 24 et 29).

FIG. 219 – Moyenne 77. Groupement dendrochronologique des bois (laboratoire de Chronoécologie, Besançon).
1017Malgré la petite quantité moyenne de cernes fournie par les échantillons (53 d’entre eux, soit 48 % ont moins de 80 cernes) l’ensemble de la population xylologique est assez cohérent. Et la moyenne résultante, avec un taux de 36,2 % d’années caractéristiques (signées) pour une puissance moyenne de séquence (ou couverture moyenne) de 54,6 cernes par année, est une bonne moyenne dendrochronologique. Ces années significatives sont repérées dans la liste des valeurs du tableau xxx par un astérisque (*) ou par une barre à droite (slash, /). L’astérisque signale une année typiquement bonne ou typiquement mauvaise qui a marqué au moins 90 % des bois. La barre à droite signale une année typiquement bonne ou mauvaise ayant marqué au moins 75 % des bois. Sont exceptionnellement mauvaises les années 895, 967 et 1014 et très probablement l’année 943 bien qu’elle ne soit signée qu’à 75 % : elle marque cependant le « fond » d’une dépression générale de croissance qui s’est déclenchée depuis 940. L’année 958 est exceptionnellement bonne.
1018Les échantillons, souvent privés d’aubier, se terminent tout au long d’une période qui dure presque 80 ans. La fig. 220 montre cet étalement des terminus dans le temps. Le phénomène s’explique surtout par le fait que beaucoup d’échantillons sont incomplets (érodés, prélevés au sommet des pieux ou sur des bois équarris). Il en résulte que la moyenne 77 est dotée d’une « couverture » en cernes en forme de cloche presque symétrique (fig. 221). Mais bien que l’habitat se soit probablement construit pendant un peu plus de 30 ans, cette forme graphique, progressivement dégradée « en bout », ne représente pas la seule réalité historique. Elle reflète aussi la difficulté de prélever les échantillons assez bas sur les pieux pour obtenir du bois périphérique intact. Malgré cela, la couverture de la séquence 77 dépasse les 50 échantillons par année, ce qui confère à cette séquence les qualités suffisantes pour qu’elle serve maintenant de base dendrochronologique à la datation d’autres bois. La séquence Charavines‑Paladru 77 a valeur d’étalon pour une région qui s’étend au minimum de Grenoble à Genève, Bourg‑en‑Bresse, Lyon, Valence (pour les altitudes inférieures à 700 m).

FIG. 220 – Bloc diagramme des bois composant la moyenne 77 (laboratoire de Chronoécologie, Besançon, 1989).

FIG. 221 – Couverture des individus composant la moyenne 77 (laboratoire de Chronoécologie, Besançon).
3.6.4.2 Datation
1019Cette moyenne 77 a été comparée à cinq étalons chronologiques du chêne sur la période 1 à 1500 ap. J.‑C. Les étalons utilisés sont ceux mis au point par les musées de Trêves (Hollstein 1980), Munich (Huber, Siebenlist‑Kemer 1969), Stuttgart (Becker 1979), Neuchâtel (Egger et al. 1985) et Liège (Hoffsummer 1989).
1020Les tests ont porté sur deux formes différentes de la moyenne 77 : une forme dite « naturelle », et une autre dans laquelle les mesures sont transformées (corrigées) selon la méthode de Hollstein (Hollstein 1980). Les deux séries de tests ont donné une suite de réponses résumées sur la fig. 222. Parmi les réponses calculées par l’ordinateur (Lambert et al. 1988 et Lambert, Lavier 1989), une date possible pour le dernier cerne de la séquence est signalée simultanément par plusieurs étalons (« redondance » de la même proposition): 1034 ap. J.‑C. On remarque que cette date est mieux signalée par les tests exécutés sur les indices de Hollstein que par ceux menés sur les largeurs moyennes « naturelles » (non corrigées) de cernes.

FIG. 222 – Tests de datation (laboratoire de Chronoécologie, Besançon).
1021La redondance de la date, le bon comportement moyen des tests à cet endroit garantissent que 1034 est la date cherchée. Elle est quasi certaine bien que les tests statistiques n’aient pas fourni des sécurités chiffrées exceptionnelles. Cette date de 1034 a donc été « signalée » par tous les étalons : Trêves, Munich et Stuttgart d’une part, par les calculs effectués sur les indices de Hollstein (et pseudo‑forme de Hollstein pour Munich et Stuttgart) et, d’autre part, Neuchâtel et Liège par les calculs menés sur les mesures moyennes brutes (forme « naturelle »).
Charavines‑Colletière
1022Cependant 1034 n’est pas la date d’installation de ces sites. En effet, six échantillons du site de Colletière seulement comportent le cambium et aucun échantillon des autres sites n’en a livré. Nous n’avons nous‑mêmes observé que deux de ces six cambiums : sur une dosse issue d’un arbre abattu en 1007 et sur le pieu n° A234 qui provient d’un arbre abattu en 1034. D’autres cambiums ou écorces ont été signalés par l’équipe dendrochronologique qui nous a précédés (Leboutet et al. 1983). Après recoupement avec nos données, on peut fixer maintenant la date d’abattage de six arbres avec certitude :
– D3 : abattu en 1002/1003 (probablement 1003) ;
– D14 : abattu en 1006 ;
– Dosse non numérotée (X. Dosse) : abattu en 1007 ;
– D31 : abattu en 1009 ;
– D7 : abattu en 1010 ;
– A234 : abattu en 1034.
1023Les autres bois sans cambium ni écorce ne peuvent être datés avec autant de précision. On tentera tout de même de déduire la date probable d’abattage de ceux qui ont conservé un peu d’aubier.
1024Pour estimer la date d’abattage de l’ensemble des pieux, on utilisera quelques propriétés du graphe de synchronisation des aubiers. Tout d’abord, on remarque que sur le segment chronologique 1002‑1005, une bonne dizaine de bois semblent « s’arrêter » là (fig. 223). Et plus précisément encore que quatre bois, dont trois de la palissade (nos 100, 101 et 108), se terminent en 1003. De plus, l’arbre D3 est probablement abattu cette année‑là.

FIG. 223 – Dates d’abattage des arbres et bois à aubier.
1025Ensuite, la construction (ou mieux, l’abattage des arbres) semble s’être poursuivie sur plusieurs décennies, comme le montre l’étalement des terminus des bois à aubier sur la fig. 220. Afin d’avoir une idée plus précise de la durée possible d’activité forestière des habitants de Colletière, on utilise une méthode d’estimation du bois manquant sur les échantillons à aubier et sans écorce (ni cambium). La durée probable (dans 95 % des cas) de l’aubier du chêne est estimée à 25 ± 15 ans (Lambert et al. 1988). Soit un aubier minimum de 10 ans et un aubier maximum probable de 40 ans. Cette fourchette de 25 ± 15 cernes permet d’établir la fig. 223 qui montre comment on peut « prolonger » les échantillons à aubier. On ne « prolonge » évidemment pas les six séquences qui se terminent au cambium ou à l’aubier. La période globale de probabilité de l’abattage donne, entre l’arbre hypothétiquement abattu le premier avec l’aubier le plus court (no D3) et l’arbre hypothétiquement abattu le dernier avec l’aubier le plus long (no D1), une fourchette de probabilité d’abattage comprise entre 987 et 1054 (avec 5 % de risque d’erreur). Cependant un certain nombre d’indices archéologiques inclinent à penser qu’on peut légitimement réduire ce champ d’incertitude.
1026Dans un rapport intermédiaire, ainsi que dans un article de méthodologie (Lambert, Lavier 1989), nous avions proposé d’utiliser la méthode des quartiles pour réduire (en prenant un risque plus grand, bien sûr, de l’ordre de 30 %) cette période d’incertitude. Le principe de la méthode reste valable, à condition d’accepter les risques qui en découlent. Mais depuis la rédaction de ces notes, un fait nouveau s’est produit : un échantillon nouvellement traité a livré un cambium daté de 1007. Cet événement (il n’y avait, jusqu’à ce moment, qu’un seul bois à cambium daté de 1034) nous a permis d’utiliser des données anciennes et dont nous doutions (à cause des dates « hautes », entre 1003 et 1009, qui se déduisaient du travail de nos collègues de Caen et pour lesquelles nous n’avions pas de confirmation). Nous sommes donc en mesure de donner maintenant avec certitude six dates d’abattage sur les 110 pieux synchronisés. Cinq se sont produits entre 1003 et 1009 et le dernier, 25 ans après, en 1034.
1027Utilisons alors les extrêmes de la fourchette chronologique naturellement suggérée par ces résultats certains et représentons sur un histogramme le cumul, année par année, des cernes « théoriquement » manquants en bout d’échantillon (cernes théoriquement manquants ou cernes d’« aubier théorique »). On obtient une courbe avec un long « plateau » au sommet (fig. 224). On y remarque les quelques bois à cambium, à la date d’abattage parfaitement fixée, qui se trouvent aux deux extrémités de ce plateau. De plus, les séquences de 5 échantillons s’arrêtent en 1003, tandis qu’à l’autre extrémité du plateau, dans le voisinage de la date de 1034, trois aubiers « théoriques » maximum s’arrêtent en 1037, provoquant du même coup, devant eux, une chute rapide de l’histogramme. Nous choisirons arbitrairement ces deux bornes, 1003 et 1037, situées de chaque côté du plateau de (histogramme et sur deux fortes ruptures de pentes comme hypothèses des limites de la construction. Ce qui nous conduit à ne retenir que 79 % de la surface du graphe comme bonne. Cette imprécision se combine aux 95 % de probabilité de durée des aubiers. On en déduit que la fourchette 1003–1037 est sûre à 75 % (79 % x 0,95). Inversement le risque d’erreur s’élève à 25 %. On a donc gagné 5 % de précision par rapport à la méthode des quartiles et mieux semé la fourchette chronologique.

FIG. 224 – Position des échantillons dont la date d’abattage est connue.
Relations entre l’abattage des arbres et la construction
1028Abattage des arbres n’implique pas forcément mise en œuvre immédiate des bois, bien que l’utilisation rapide du bois pour les maisons soit une règle fréquente dans les constructions préhistoriques (Lambert, Lavier 1989).
1029L’allure générale des diagrammes des terminus ainsi que les six dates d’abattage obtenues suggèrent un abattage continu d’arbres entre 1003 et 1034/1037 au moins. Durant cette période, la forte probabilité d’abattages réguliers au fil du temps pose la question de la date de construction de l’habitat de Colletière. En effet, il est difficile de supposer qu’un bâtiment, tel qu’on se le représente maintenant (cf. supra), ait pu être construit progressivement. Plusieurs hypothèses contradictoires viennent à l’esprit pour tenter de chiffrer le nombre d’années qui séparerait l’abattage du dernier arbre sur le site et le départ du dernier habitant.
Hypothèse 1
1030Le bâtiment est fortement cohérent (hypothèse retenue actuellement). Il n’a pas été fait par parties mais quasiment en une seule fois : dans ce cas les bois ont été coupés sur plusieurs années, et à l’avance, dans la perspective d’une construction ultérieure. Une grande partie des bois de la station provient alors d’un ou plusieurs « tas » de bois préparés à l’avance, dans la perspective de construire ultérieurement, cette réserve ayant été accumulée pendant plusieurs années (au moins entre 1003 et 1010). La date de construction se situerait alors, au plus tôt, dans les années qui suivent l’an 1010.
Hypothèse 2
1031Le plan définitif de la construction n’est pas strictement arrêté au moment de l’installation, ou encore un schéma de développement modulable est parfaitement connu des constructeurs. Dans ce cas, le bâtiment évolue au cours du temps selon les nécessités. Il n’est pas utile dès lors de recourir à l’hypothèse du stockage du bois, toujours délicate à utiliser pour les bois d’architecture. Simplement, la succession des dates donne une image réelle de l’évolution au sol de l’ensemble archéologique. Dans ce cas, la première installation s’est bien faite en 1003, et l’une des dernières modifications s’est produite dans la période 1034–1038. Cependant, le plan extrêmement compact de la station rend ce deuxième scénario improbable.
Hypothèse 3
1032Le plan de la station était bien prédéfini mais pour des raisons qui restent à éclaircir un important travail d’entretien ou de réfection s’y est déroulé, sinon de façon continue, au moins immédiatement après la mise en place, dans les années 1003–1010, et très probablement dans les années 1025–1035. Dendrochronologiquement on « sent » plus qu’on ne peut démontrer, une reprise possible dans cette dernière période (d’après l’allure des diagrammes). Dans ce cas, l’installation a bien eu lieu en 1003, et nous n’avons aucune trace de stockage de bois. Toutefois, le nombre de bois étudiés, bien qu’il passe la centaine, n’est pas assez significatif, car seules six dates d’abattage sont connues. Et l’on est encore dans l’impossibilité de choisir entre un abattage continu et des abattages cycliques bien phasés. Pourtant l’hypothèse 3 nous conviendrait assez ; sous réserve de la vérifier sur la série de bois à cambium qu’il faudra échantillonner. L’adoption d’une telle hypothèse donnerait à penser que l’importance des réfections résulterait de problèmes de stabilité.
Dernier abattage et date d’abandon
1033De même que la date d’installation peut ne pas forcément coïncider avec la première date denclro‑chronologique, celle de l’abandon du site ne correspond pas nécessairement à la dernière date obtenue.
1034Remarquons d’abord qu’en général, on n’engage pas de grands travaux de construction ou de réfection pour tout abandonner dans les 15 jours qui suivent. On peut donc raisonnablement penser qu’existe un certain laps de temps (plusieurs années) entre la dernière date de construction et la date d’abandon. Une datation dendrochronologique de ces constructions ne donne donc pas, dans ce cas, la date d’abandon. Et pour la connaître il faut ajouter au moins 5 à 10 ans à la date dendrochronologique. Nuançons ce point de vue par deux remarques :
– il peut arriver qu’on se livre effectivement à des réfections importantes, des agrandissements, voire à une refonte générale du plan de la construction et que des événements inattendus contraignent effectivement les habitants à quitter subitement les lieux ; on peut citer, parmi les raisons les plus fréquentes, la brusque montée des eaux qui perdure plusieurs années, l’épidémie, la décimation par fait de guerre ou le déplacement de la population ;
– la mise en place de bâtiments nouveaux ou de cellules nouvelles n’est pas la seule cause d’implantation de pieux ; réparations et modifications mineures sont aussi l’occasion de planter de nouveaux pieux, dans les maisons ou leur voisinage immédiat ; ces réparations ou ces aménagements peuvent perdurer tant qu’une habitation est fonctionnelle, donc jusqu’à la date de l’abandon ; et l’expérience montre que l’analyse exhaustive des bois d’une station permet presque toujours d’associer les derniers bois plantés ou abandonnés clans la couche archéologique à la date réelle d’abandon (à quelques mois près tout au plus).
1035Nous pouvons donc annoncer, dans le meilleur des cas, les deux principaux scénarios envisageables pour fixer l’intervalle possible entre la dernière date dendrochronologique et la date réelle d’abandon.
1036⦁ Hypothèse 1
1037Les informations que nous détenons sont significatives et il n’y a pas lieu de supposer une exceptionnelle activité vers la fin de la période. Les abattages probables d’arbres dans cette phase finale ne concernent, après tout, que la mise en place d’une quinzaine de pieux tout au plus. Ces réparations sont mineures. Donc la date de 1034, ou la fourchette 1034‑1037, donnent une bonne approximation de la date d’abandon. Terminus dendrochronologique et date d’abandon se confondent peu ou prou.
1038⦁ Hypothèse 2
1039Postulons au contraire que les informations détenues contiennent le signal d’une activité encore mal définie et qu’effectivement la construction reprend dans les années 1025‑1037. Dans ce cas, en prenant comme base d’appui la seule date terminus certaine (1034), la date d’abandon peut se situer soit jusqu’aux environs de l’an 1045‑1047 dans la version « paisible », soit entre 1034 et 1040 dans la version « mouvementée » ou catastrophique.
1040Cette dernière proposition peut être soumise à la comparaison avec les autres méthodes de datation. L’une ou l’autre des conclusions suivantes devrait alors être tirée : soit on assiste à un abandon rapide après 1034 (avant 1040) et un facteur externe a pesé sur le groupe pour qu’il quitte prématurément son habitat. Soit l’abandon est tardif (après 1040) et il existe alors une bonne adéquation entre l’effort d’entretien du site et la durée de son occupation, ce qui traduirait un excellent équilibre social et technique.
3.6.4.3 Les bois du Pré d’Ars
1041Neuf bois du site du Pré d’Ars ont pu être intercorrélés et synchronisés sur la séquence moyenne de Colletière. Trois comportent de l’aubier mais aucun ne possède d’écorce. Ils constituent une séquence moyenne synthétique de 99 ans. Cette séquence a été corrélée puis intégrée à une séquence moyenne intermédiaire du site de Colletière (moyenne 37, le « nœud » d’agglomération est visible sur la fig. 219). A partir des aubiers, on peut situer l’abattage probable des bois entre 974 + 10 (Arts no 1203, « prolongé » par un aubier minimum de 25 – 15 = 10 cernes) et 979 + 40 (Ars no 1208, prolongé par un aubier maximum de 25 + 15 = 40 cernes) : soit entre 984 et 1019. Le bois le plus tardif du lot pouvant être le no 1209 qui, sans aubier, se termine en 985, ce qui implique, au minimum, son abattage après 995. La synchronisation entre Ars et Colletière est quasiment certaine comme le montre son lien très court sur l’arbre d’agglomération de la fig. 219.
3.6.4.4 Les bois de Paladru (Grands Roseaux)
1042Six bois des Grands Roseaux ont été intercorrélés puis intégrés, en même temps que la séquence du Pré d’Ars, à la moyenne intermédiaire M37 de Colletière. La synchronisation est quasi certaine. Aucun bois n’a d’écorce mais deux possèdent encore leur aubier. Cela permet de proposer une période d’abattage probable comprise entre 998 (aubier « prolongé » minimum du bois no 932) et 1031 (aubier « prolongé » maximum du bois no 931).
1043La probabilité de coexistence dans le temps des trois sites est représentée sur la fig. 225.

FIG. 225 – Dates probables d’abattage sur l’ensemble des trois stations littorales.
3.6.4.5 Contrôle de l’exercice de datation par essai sur les arbres et conclusions sur la datation absolue
1044Ne connaissant pas actuellement, en quantité suffisante, d’autres bois de la région et de la même époque, nous avons tenté des corrélations chronologiques à très longues distances pour dater cette séquence M77 de Charavines (250 km entre Charavines et Neuchâtel, 600 km avec le bassin de Trèves). La crédibilité de datations données par des référentiels de régions si éloignées du site à dater se pose alors. Afin de vérifier concrètement la qualité de l’exercice, nous avons prélevé 25 carottes sur des arbres actuels dans les environs du lac de Paladru et calculé la séquence moyenne synthétique obtenue. Dix‑huit des prélèvements sont utilisables. Afin de ne pas privilégier une écologie aux dépens d’une autre, nous avons prélevé sur trois sites de natures différentes. Ont ainsi été synchronisés 5 échantillons de Paladin (bois de Combe‑Leva), 5 échantillons de Valencogne (bois de Debiton‑Breché) et 8 échantillons de la commune de Virieu, prélevés dans un bois que nous avons baptisé du nom de son propriétaire » bois de la Marquise de Virieu ». Tous ces bois, bien intercorrélés, ont donné une séquence synthétique moyenne unique appelée Paladru 3 (tabl. xxxi). L’agglomération des séquences dendrochronologiques a été faite d’abord sur chaque parcelle comme le montre la fig. 226.

TABL. XXXI – Moyenne 3 de Paladru (laboratoire de Chronoécologie de Besançon, novembre 1989).
, : cerne observé mais non mesurable. / : 75 %. * :90 %.

FIG. 226 – Groupement dendrochronologique des bois actuels (laboratoire de Chronoécologie, Besançon, novembre 1989).
1045La séquence Paladru 3, longue de 166 ans et de 10,8 cernes/année de puissance est d’une qualité dendrochronologique acceptable (fig. 227). Nous l’avons donc calculée sur les principales chronologies (étalons) qui ont servi à dater la séquence médiévale de Charavines‑Paladru. Le résultat des tests calculés est porté sur la fig. 228. On constate une forte indépendance de la séquence par rapport à l’ensemble des chronologies. En effet les calculs signalent peu de fortes corrélations. Neuf points seulement sont retenus dans la zone des corrélations certifiée à 95 % au moins du point de vue du calcul de Hambourg (W) sur le segment chronologique 1700 à nos jours. Sur 565 calculs effectués au total sur ce segment, on attendait environ 25/26 résultats concurrents à 5 % de risque... Cette indépendance provient du fait que seules deux chronologies auraient pu permettre de dater cette séquence actuelle. Celle de Trêves, par une réaction au calcul assez timide mais visible. La séquence 37 de Franche‑Comté ensuite, par une double réaction équilibrée entre les tests « naturels » (W est fort en comparaisons « naturelles » ; voir, sur la figure, le rectangle noir) et les tests sur indices (la distance euclidienne est minimale entre les deux séquences d’indices ; voir, sur la figure, la plus grande taille du rectangle). Cette réaction positive sur la séquence comtoise est donc un peu mieux caractérisée.

FIG. 227 – Position des échantillons sur la séquence Paladru moyenne 3 (laboratoire de Chronoécologie, Besançon, novembre 1989).

FIG. 228 – Tests de datation pour la moyenne 3 (laboratoire de Chronoécologie, Besançon, novembre 1989).
1046Il est heureux que la séquence de Trêves, qui a précisément fortement contribué à la datation des sites médiévaux, réagisse, à la bonne date, à ce test de contrôle. On notera cependant la discrétion du signal produit (petit rectangle grisé sur la figure) et la production de quelques autres signaux faux au début du xixe siècle (faux puisque la séquence expérimentale à dater provient d’échantillons carottés en août 1989). On ne peu