Chapitre 1. Introduction
1 Einleitung
1 Introduction
p. 15‑35
Résumés
D’origine glaciaire, le lac de Paladru, proche du massif préalpin de Chartreuse, s’étend à 500 m d’altitude parmi de hautes collines morainiques, dans la région orientale des Terres Froides. Cette contrée, aux sols lourds et caillouteux, donc d’une fertilité modeste, possède un climat continental de type plutôt septentrional, marqué par des précipitations annuelles abondantes (1160 mm en moyenne), et une exposition ventée qui la rendent relativement inhospitalière une grande partie de l’année. Majoritairement couverte de forêts, de taillis et d’herbages, elle a traditionnellement été dévolue à une économie agropastoraie dans laquelle l’élevage bovin prédomine.
Cependant, depuis le Moyen Age, la vallée de la Fure (émissaire du lac) a connu le développement d’une métallurgie très active et de haute qualité, favorisée par les ressources hydromotrices, l’abondance du bois, la proximité du minerai de fer de Chartreuse ainsi que du débouché fluvial de l’Isère.
Historiquement le lac de Paladru est longtemps resté à l’écart des grands mouvements de peuplement. Temporairement occupées au Néolithique final (village des Baigneurs) vers 2750 av. J.‑C., ses rives ne furent que discrètement fréquentées à l’époque romaine, probablement en raison de la relative ingratitude des sols et de l’éloignement des principales voies de communication. Il en ira de même pendant le haut Moyen Age où le terroir appartiendra, sans doute à partir du IXe siècle, au « comté » ou « pagus » de Sermorens dont le centre du pouvoir s’établira à Voiron, à une quinzaine de kilomètres de distance, à l’emplacement même d’une vaste villa gallo‑romaine du Haut Empire.
Vigoureusement disputée entre les archevêques de Vienne et les évêques de Grenoble dès la fin du xie siècle, cette entité territoriale est démembrée et partagée par un arbitrage pontifical (bulle de 1107). Parmi les vingt‑deux châtellenies qui la constituaient sont mentionnées celles de Paladru, Virieu et Clermont, qui échoiront à l’archevêché de Vienne. Ce texte, le premier à faire explicitement référence à Paladru, établit formellement l’existence antérieure de seigneuries aux abords du lac. Leur constitution, autour des mottes castrales qui apparaissent dans les années 1040‑1050, fait donc suite à l’abandon des habitats fortifiés littoraux, entre 1030 et 1040. Mais l’extrême rareté des sources écrites pour cette période ne permet pas d’éclairer les circonstances de l’apparition des premiers lignages châtelains que l’archéologie seule peut documenter.
L’emplacement de certaines stations « lacustres » est connu depuis fort longtemps et les historiens régionaux des xvie et xviie siècles les ont parfois mentionnées. D’autre part la tradition populaire locale fait abondamment état d’anciennes « cités » autrefois submergées. Mais c’est dans la seconde moitié du xixe siècle que débutent les premières investigations scientifiques, bientôt suivies de sondages sur le site des Grands Roseaux à Paladru. Ces travaux permettent de découvrir de nombreux objets en bois ou en fer ainsi que de la céramique, qui sont datés de l’époque « carlovingienne ». Cependant les premiers inventeurs pensent encore que les pieux enfoncés dans la craie servaient à soutenir des plates‑formes surélevées et interprètent les groupements de pilotis comme des vestiges palafittiques.
Les deux sites charavinois, Les Baigneurs et Colletière, ne sont identifiés qu’au début du xxe siècle par Hippolyte Müller. Ce dernier effectue quelques observations sur l’habitat médiéval et le suppose, avec raison, contemporain des Grands Roseaux.
En 1971, un projet d’aménagement du littoral menaçant à la fois le site néolithique et le site médiéval, des fouilles de sauvetage sont simultanément engagées. Le chantier de Colletière reste doté de moyens financiers limités jusqu’en 1986, date à partir de laquelle il bénéficie d’une autorisation pluriannuelle du ministère de la Culture et de la signature d’une convention associant l’Etat, le département de l’Isère et la ville de Grenoble, assorties de subventions permettant une exploitation systématique. Parallèlement, dès 1985, le Programme pluriannuel en sciences humaines Rhône‑Alpes finance les recherches de paléoenvironnement.
Les sites subaquatiques offrent l’intérêt, grâce à la remarquable conservation des vestiges organiques ordinairement détruits sur leurs homologues terrestres, de recéler une documentation archéologique exceptionnellement riche. Colletière présente au surplus la particularité de n’avoir connu ni occupation postérieure à l’an Mil ni modification importante des conditions de gisement. Il méritait donc que fussent mises en œuvre des techniques d’exploitation appropriées. Après quelques années consacrées, en commun avec les préhistoriens qui exploraient le village voisin des Baigneurs, à la mise au point de méthodes de fouille adaptées au milieu, la procédure a été progressivement déterminée.
Lorsque la bathymétrie est suffisamment haute, les plongeurs installent dans la zone choisie un châssis métallique triangulaire de 5 m de côté, placé en fonction du carroyage général du site. Chaque grand triangle est subdivisé en 25 petits triangles métriques qui constituent l’unité de fouille et de prélèvement à partir de laquelle tous les comptages et cartes de répartition seront établis.
Des colonnes sédimentaires sont préalablement extraites en plusieurs points pour connaître l’aspect de la stratigraphie et permettre des analyses sédimentologiques en laboratoire. Les couches archéologiques sont prélevées manuellement et récupérées en totalité dans des seaux dont le contenu sera ultérieurement tamisé. Pour améliorer la visibilité, le plus souvent très médiocre, un système de pompes électriques crée un courant d’eau artificiel qui éloigne les particules en suspension.
En période d’étiage il est parfois possible de fouiller à sec sur la partie haute de la station. Les méthodes alors utilisées restent identiques mais on peut ouvrir simultanément de plus grandes surfaces et les spécialistes du paléoenvironnement effectuent eux‑mêmes les prélèvements complémentaires qu’ils jugent utiles. Les observations de terrain et les interprétations qui en découlent atteignent dans ce cas une incomparable qualité.
Le traitement du sédiment archéologique comporte plusieurs étapes : tamisage à l’eau selon différents maillages, récupération des objets entiers ou fragmentaires non repérés en fouille, tri pétrographique et pesage des galets, des fragments d’argile cuite et des charbons de bois, récolte exhaustive des paléosemences ou macrorestes végétaux, des ossements de la faune terrestre ou aquatique. C’est aussi à ce stade que sont inventoriés, numérotés puis conditionnés les objets avant leur départ pour les laboratoires d’étude ou de traitement.
Paladru lake, of glacial origin, is near the great Alpine upland of Chartreuse, rising to 500 metres amid the morainic mountain in the eastern region of Terres Froides. Heavy and stoney, the soil is largely infertile, and with a continental septentrional climate marked by heavy rainfall (an annual average of 1160 mm) and high winds, the region is relatively inhospitable for much of the year.
The area mostly covered by forests, coppices and pasture land, resources traditionally devoted to an agropastoral economy dominated by cattle‑raising. Nevertheless, since the Middle Ages, Fure valley (an emissary of the lake), has seen the development of an active and high‑quality metallurgical industry, which has benefitted from nearby hydraulic power resources, an abundance of wood, and the proximity of Chartreuse’s iron ore.
Historically Paladru lake, for a long time, remained apart from the great settling movements. There were temporary settlements in the late Neolithic era, circa 2750 BC (notably Baigneur’s village), but in general its banks were only sporadically settled during the Roman period, probably due to the inhospitable nature of the soil and its distance from the main communication routes. Such was the case even during the late Middle Ages when the region belonged, from the 9th century on, to the earldom or pagus of Sermorens who established a centre of power in Voiron, 15 kilometres away in the same place as a vast gallo‑roman villa of the Early Roman period.
This territorial entity dismembered in 1107, when, its ownership having been hotly disputed by the archbishops of Vienne and the bishops of Grenoble since the end of the 11th century, it was partitioned by Papal arbitration. Of the twenty‑two castellanies that made up the territory, Paladru, Virieu, and Clermont were among those given to the archbishopric of Vienne. This text, the first to make explicit reference to Paladru, formally established the prior existence of the lakeside seigneuries. Their construction around the mottes, which appeared in the years 1040‑1050, hence follows the abandon of the lakeside fortified settlements, between 1030 and 1040. The paucity of written sources about this period, however, makes it impossible to elaborate on the circumstances surrounding the emergence of the first castellan lineages, which archaeology alone can properly document.
The location of a few lacustrian stations has long been known ; regional historians of the 16th and 17th centuries sometimes mentioned them. Local popular traditions also speak of ancient “cities” submerged in the past. It was only in the second half of the 19th century, however, that the first scientific investigations began. These were soon followed by surveys on the site of Grands Roseaux at Paladru. These surveys uncovered a number of wooden, ceramic, and metal artifacts dating from the "Carlovingian” era. However, the first researchers still believe that the stakes driven into chalk served to support elevated platforms and interpret the groups of piles as vestiges of lake dwellings.
The two sites at Charavines, Baigneurs and Colletiere, were not identified until the beginning of the 20th century, by Hipppolyte Muller. He made some observations about the medieval settlements, and believed them, quite logically, to be contemporaneous with Grands Roseaux.
In 1971, a lakeside development project threatened both the Neolithic and Medieval sites, so rescue excavations were launched. Colletiere field received limited funds until 1986, when it began to benefit from a multi‑year authorization from the Ministery of Culture and from the signing of an agreement by the State, the Isbre Department and the Town of Grenoble which provided funding to permit a systematic analysis. Similarly, since 1985, "the Programme pluriannuel en sciences humaines Rhones‑Alpes” has financed the paleo‑environmental research.
Underwater sites offer the advantage, thanks to the remarkable conservation of the organic remnants ordinarily destroyed on terrestrial sites, of concealing exceptionally rich archaeological resources. Moreover, Colletiere offers the advantage of not having been occupied after the year 1000 and of not having had any significant modification of its deposits. It merited, therefore, whatever appropriated excavation techniques could be put in place. After several years devoted to establishing the excavation methods appropriate to the site, in cooperation with the prehistorians who were exploring the neighbouring village of Baigneurs, the proper procedures have been adopted.
When the bathymetry is sufficiently high, divers install in the selected area a triangular metal frame, 5 metres long on each side, and positioned according to the general layout of the site. Each large triangle is subdivided into 25 smaller metrical triangles which constitute the excavation unit proper for scaving and sampling, and from which all countings and distribution maps are made.
Sedimentary columns must be previously extracted from several points to reveal the stratification profile and to permit sedimentologic laboratory analyses. The removal of archaeological layers is done manually and all sediment is saved in buckets for sifting to improve visibility, which is often poor, a system of electric pumps creates an artificial stream of water to wash away suspended particles.
During the period of lowest water‑levels, dry scavings are sometimes possible on the highest part of the site. The methods used are the same but we can, simultaneously, cover the largest surfaces while paleoenvironmental specialists themselves determine the complementary samplings they think useful.
Field studies and then resulting interpretations attain in this case an incomparable quality.
Treatment of archaeological sediment includes several phases : sifting in water with various meshes retrieving whole or fragmental artifacts not seen on the site and petrographic selection and weighing of pebbles, fragments of cooked clay and charcoal, and an exhaustive collection of the paleoseeds or vegetative macroremnants, and bones of terrestrial or aquatic fauna. It is also at this stage that the artifacts are inventoried, numbered and then conditionned before being sent to either study or treatment laboratories.
Der Paladrusee hat seinen Ursprung in der Eiszeit. Er liegt in der Nähe des Voralpenmassifs der Chartreuse, 500 m über dem Meeresspiegel, inmitten von Moränenhügeln, in der Gegend östlich von Terres Froides.
Das eher nordisch geprägte Klima dieses steinigen Landstriches mit schweren Böden, bescheidener Ergiebischkeit mit jährlichen Niederschlägen von 1160 mm durchschnittlich und viel Wind, ist eher unwirtlich. Überwiegend mit Wald, Buschwerk und Wiesen bewachsen, ist hier traditionell Ackerbau und Viehwirtschaft, vorwiegend Rinderzucht, ansässig.
In dem Tal der Eure (die in dem See entspringt) hat sich Jedoch seit dem Mittelalter eine aktive und qualitätvolle Metallurgie entwickelt, die durch die Wasserantriebskräfte, den Holzreichtum, die Nähe des Eisenerzes der Chartreuse, sowie den Ausfluss der Isère begünstigt wurde.
In historischer Hinsicht ist der Paladrusee lange Zeit abseits der grossen Völkerbewegungen geblieben. Am Ende des Neolitikums, um 2750 v.Chr., ist er zeitweise besiedelt gewesen (Dorf “der Baigneurs”), seine Ufer wurden in römischer Zeit, wohl wegen des recht kargen Bodens und der Entfernung der Hauptverkehrswege, nur sporadisch besucht. Während des frühen Mittelalters änderte sich dies kaum. Das Land gehörte in dieser Zeit, wahrscheinlich seit dem. 9. Jh., zur “Grafschaft” oder “Pagus” Sermorens, deren Machtzentrum sich im 15 km entfernten Voiron befand, an der Stelle einer grossen, gallorömischen Villa der frühen Kaiserzeit.
Diese 1107 zerstückelte territoriale Einheit war seit Ende des 11. Jh. der Streitapfel der Erzbischöfe von Vienne und der Bischöfe von Grenoble und wurde durch päpstliche Schlichtung aufgeteilt. Von den 22 Burggrafschaften, aus denen sich das Territorium zusammensetzte, werden die von Paladru, Virieu und Clermont genannt, die dem Erzbischof von Vienne zufielen. Dieser Text, der erste, der Paladru namentlich erwähnt, erweist einwandfrei das Bestehen von Fronhöfen in der unmittelbaren Umgebung des Sees. Ihre Entstehung um die Motten, die in den Jahren um 1040‑1050 erscheinen, ist also die Folge der Aufgabe der befestigten Ufersiedlungen zwischen 1030 und 1040. Aber die extreme Seltenheit der schriftlichen Quellen aus dieser Zeit erlaubt es nicht, die Umstände der Herausbildung der ersten Adelsgeschlechter zu erhellen, die nur die Archäologie dokumentieren kann.
Die beiden Fundstätten von Charavines, Les Baigneurs und Colletiere, sind erst Anfang des 20. Jh. von Hippolyte Müller identifiziert worden. Dieser stellte einige Beobachtungen der mittelalterlichen Siedlung an und setzte sie mit Recht mit Les Grands Roseaux zeitlich gleich.
Als 1971 ein Projekt der Ufererschließung zugleich die jungsteinzeitliche und die mittelalterlichen Fundplätze bedrohte, wurde parallel mit Rettungsgrabungen begonnen. Bis 1986 waren die finanziellen Mittel der Forschungsarbeiten von Colletiere begrenzt, dann aber wurde eine mehrjährige Autorisation des Kulturministers erteilt und der Staat, das Departement Isère und die Stadt Grenoble unterzeichneten einen Vertrag, dessen finanzielle Mittel eine systematische Erschliessung ermöglichte. Gleichzeitig finanziert das “Programme pluriannuel en Sciences humaines Rhöne‑Alpes” seit 1985 Untersuchungen der Paläoumwelt.
Die subaquatischen Fundplätze bieten den Vorteil, dank der ausserordentlichen Konservierung der organischen Reste, die normalerweise im Erdboden zerstört werden, einer aussergewöhnlich reichen archäologischen Dokumentation. Colletiere besitzt ausserdem die Eigenheit, daß es hier nach 1000 weder eine Besiedlung noch grosse Störungen der Siedlungverhältnissen gegeben hat. Diese Fundplätze verdienten also die Anwendung ihr angepasster Erschliessungsmethoden. Im Laufe einiger Jahre wurden, gemeinsam mit den Vorgeschichtlern, die das benachbarte Dorf Les Baigneurs ausgruben, dem Milieu angepasste Forschungsmethoden entwickelt, aus denen sich das Verfahren langsam herauskristallisiert hat.
Wenn die Bathymetrie hoch genug ist, installieren Taucher in der gewählten Zone einen dreieckigen Metallrahmen, von 5 m Seitenlänge, der nach dem allgemeinen Raster der Grabungsstätte ausgerichtet ist. Jedes grosse Dreieck wird in 25 kleine metrische Dreiecke aufgeteilt, die die Grabungs, ‑ und Fundobjektentnahmeseinheit darstellen, nach der alle Zählungen und Verteilungskarten erstellt werden.
Vorher sind an verschiedenen Punkten mehrere Bohrkerne des Sediments entnommen worden, um die Schichtenkunde besser zu erkennen und Sedimentanalysen im Labor vorzunehmen. Die archäologischen Schichten werden manuel abgehoben und in Eimern restlos gesammelt, um später gesiebt zu werden. Um die meist sehr schlechten Sichtverhältnisse zu verbessern, werden die Schwebepartikel durch ein System elektrischer Pumpen abgesaugt.
Bei niedrigem Wasserstand ist es manchmal möglich auf dem höher gelegenen Teil der Station auf dem Trocknen zu graben. In diesem Falle bleiben die angewandten Methoden die gleichen, aber man kann mehr und grössere Flächen zugleich graben, und die Spezialisten der Paläoumweltforschung entnehmen selbst, die ihnen nützlich erscheinenden, komplementären Proben. Die Bodenbeobachtungen und daraus resultierenden Interpretationen sind in diesem Falle von unvergleichbarer Qualität.
Die Auswertung der archäologischen Sedimente erfolgt in mehreren Etappen : Sieben mit Wasser durch verschieden feinmaschige Siebe, Sammeln der erhaltenen und fragmentarischen Gegenstände, die bei der Ausgrabung nicht gefunden wurden, petrographische Sortierung und Wiegen der Kieselsteine, der Fragmente aus gebranntem Ton und Holzkohle, erchöpfendes Sammeln der fossilen Samen und makrobotanischen Reste, der Knochen der Wasser, – und Landfauna. In dieser Phase werden die Fundobjekte auch inventarisiert, nummeriert und verpackt, bevor sie in speziellen Laboren entweder untersucht oderbehandeltwerden.
Texte intégral
1.1 Un « pays » autour d’un lac : aspects géographiques
1Henri Rougier
2Au fond d’une ancienne vallée glaciaire au cœur des Terres Froides orientales, le lac de Paladru est le plus grand plan d’eau naturel du Dauphiné. Sa superficie est de 391 ha et, en deux endroits, sa profondeur atteint 36 m. Le volume d’eau qu’il contient s’élève à 97 millions de m3 (fig. 1 et 2).

FIG. 1 – Photographie aérienne du lac et de son terroir (cliché IGN).

FIG. 2 – Situation du lac de Plandru en France et dans la région Rhône‑Alpes.
3Cinq communes bordent ses rives et se partagent son étendue. Regroupant environ 4 000 habitants permanents, leur population s’accroît considérablement durant deux mois de l’été parce que le lac exerce un fort attrait touristique. L’économie et le paysage traduisent cette mutation avec une régression des activités agro‑pastorales au profit du développement du tourisme. De plus en plus, résidences secondaires et terrains de camping occupent un espace autrefois dévolu à l’agriculture et à l’élevage.
4Autour d’un lac qui joue le rôle de facteur d’unité et de point focal, se cristallise l’image d’un authentique « pays • au sens géographique du terme. De multiples caractères spécifiques individualisent en effet ce secteur au sein de l’ensemble dans lequel il s’intégre.
1.1.1 L’espace et la nature
5Le lac de Paladru occupe une dépression d’origine glaciaire dont la particularité est d’être allongée et de posséder des versants localement assez abrupts (fig. 3 et 4). La vallée noyée par le plan d’eau, d’où naît la Pure, a une orientation nord‑est/sud‑ouest. Dans le contexte géographique des Terres Froides, elle apparaît rigoureusement parallèle à celles de la Bourbre et de l’Ainan mais c’est la seule dont l’émissaire se dirige vers le sud. Cette vallée de Paladru, rejointe en rive droite à l’aval du lac par celle du Pin, est développée dans la masse des terrains molassiques miocènes, aimant l’essentiel du paysage de collines et de vallons qui caractérisent la région (fig. 5). Des témoins de la surface d’érosion villafranchienne, à partir de laquelle le relief et le modelé ont progressivement pris leur aspect actuel durant Père quaternaire, sont encore nettement discernables, entre autres à la Pierre de Libre Soleil (804 m) au sud de Bilieu. Cependant, ce soubassement molassique, qui représente en quelque sorte le gros œuvre, est le plus souvent masqué par les modelés d’accumulation relevant de l’action des glaciers quaternaires.

FIG. 3 – Aspect du terroir de Charavines.
cliché D. Baudais

FIG. 4 – Le hameau de Colletière à Charavines.
cliché Y. Basq, fouilles de Colletière

FIG. 5 – Topographie du terroir (d’après J.‑P. Bravard).
6Dans la réalité, ces vallées parallèles ne sont rien d’autre que d’authentiques auges glaciaires et le lac de Paladru, unique en son genre dans la région, est un véritable lac de surcreusement, à sa base tout au moins. Les courants de glace étaient issus du glacier du Rhône, lequel, au débouché des cluses du Jura méridional, s’est largement étalé à plusieurs reprises sur l’avant‑pays, atteignant même Lyon. Les langues glaciaires se sont avancées, tels les doigts d’une main, dans des vallées préexistantes issues de la formation du piémont alpin. Il n’est pas possible de discerner si elles correspondaient simplement à des ondulations liées au plissement provoqué par les derniers mouvements de la tectogenèse alpine ou si leur tracé résulte de l’existence de failles. Toujours est‑il qu’à l’exception de celle de la Fure, les vallées actuelles offrent un bon exemple de phénomène d’inversion du drainage par rapport à la situation primitive. Cependant, ces langues glaciaires rhodaniennes qui parvenaient au cœur des collines des Terres Froides y rencontraient celles issues du glacier de l’Isère au débouché de la cluse de Voreppe, qui s’étalaient largement sur le seuil de Rives et la Bièvre. D’où une double accumulation de moraines de fond et la construction de plusieurs bourrelets morainiques terminaux. Ce sont eux qui sont à l’origine de plusieurs seuils, dont ceux de Châbons, Charavines et Chirens (La Garangère) sont les plus connus. Seul celui de Charavines intéresse la vallée et le lac de Paladru. L’épaisseur et la hauteur des cordons morainiques viennent expliquer qu’au phénomène classique de surcreusement et de blocage par un verrou de roches localement plus résistantes, s’associe celui d’une obturation par un bourrelet morainique à l’aval. Le lac de Paladru est donc en profondeur un lac de surcreusement glaciaire et pour sa partie supérieure un lac de barrage morainique.
7Ce plan d’eau oblong situé à 492 m d’altitude occupe, on l’a vu, une vallée assimilable à une auge (fig. 6). Toutefois ses versants prennent des allures parfois singulières. Si, au Bois d’Amour, la pente raide correspond au secteur où le maximum de profondeur est atteint, de l’autre côté, sur la rive occidentale, plusieurs replats, telles des marches d’escalier, interrompent la déclivité générale. Près du village de Paladru, Y. Bravard a dénombré cinq niveaux, mais le replat le plus net s’observe de manière continue entre Magnoud et Jalamion ; il suit très fidèlement la courbe de niveau des 600 m. Entre cette ample terrasse, dont la position à l’adret explique sans doute que l’habitat et les cultures s’y soient tôt implantés, et le lac, une dizaine de ravins étroits et fortement encaissés estompent l’allure générale de gradin, apportant un fort élément d’originalité au paysage. Cette terrasse, formée d’accumulations morainiques et fluvio‑glaciaires, est une terrasse de kame. Il s’agit d’un modelé d’accumulation le long du courant de glace. Après le retrait de ce dernier, subsiste une banquette longitudinale perchée au‑dessus de la vallée libérée par la langue glaciaire. Les petits ravins sont dus à la reprise d’érosion post‑glaciaire, en rapport avec le niveau de base local représenté par le lac. Le fait que cette terrasse de kame fasse défaut sur la rive orientale du lac s’explique par l’opposition entre adret et ubac de part et d’autre du talweg. Sur l’adret, donc sur la rive occidentale, l’ensoleillement plus généreux a favorisé la fonte de la glace au contact du versant et a permis, à partir du sommet de l’interfluve séparant les vallées de Paladru et du Pin, un bon développement de petits torrents, véhiculant contre le glacier des alluvions en quantité appréciable. De l’autre côté, l’ensoleillement plus réduit est à l’origine d’une meilleure conservation de la glace, d’une moindre érosion liée aux alternances gel‑dégel et donc de l’absence de véritables terrasses de kame.

FIG. 6 – Géomorphologie du bassin versant de Paladru.
8Dans le paysage l’empreinte glaciaire est donc primordiale, et l’héritage quaternaire capital pour expliquer la topographie actuelle. A cet égard, le lac de Paladru s’intègre parfaitement dans le contexte des Terres Froides d’autant que ce toponyme se réfère à la fois à la genèse quaternaire et aux caractères du climat contemporain, marqué par une indéniable septentrionalité.
9L’altitude et l’orientation générale des axes du reliefdéterminent plusieurs critères de continentalité qui apparaissent nettement dans les données statistiques et sur le climogramme de Charavines (fig. 7). Dans le contexte régional des collines des Terres Froides, dont le point culminant est à 960 m (Signal de Baracuchet), le niveau du lac de Paladru (492 m) est déjà passablement élevé. A cela s’ajoute l’orientation nord‑est/sud‑ouest qui canalise les masses d’air en provenance du nord.

FIG. 7 – Climogramme de Charavines.
10En ce qui concerne les températures, il faut noter l’amplitude déjà considérable (22,9 °C) duc principalement à un mois de janvier froid, tandis qu’en été aucun mois ne dépasse 20 °C. Il convient de remarquer la douceur du début de l’automne (septembre est presque aussi chaud qu’août) alors que le mois de juin, le plus arrosé, se situe très en deçà.
11Une grande irrégularité semble caractériser la répartition , mensuelle des précipitations : juin reçoit cinq fois plus d’eau que novembre tandis qu’un maximum secondaire est nettement marqué en octobre à la faveur de la remontée des masses d’air humide méditerranéennes. De novembre à mars s’étend la période la plus pauvre en précipitations (1/4 du total en 5 mois), manifestation évidente de l’appartenance de la région au domaine climatique continental. Avec un total annuel de 1 168 mm de pluie et une moyenne thermique inférieure à 10 °C (9,7 °C), Charavines est un bon exemple de climat tempéré frais à tendance nettement continentale. Le nombre de jours avec précipitations y est assez élevé, de même que celui où souffle le vent du nord (la bise) pour lequel des données précises font hélas défaut. Le gel est fréquent en hiver et plusieurs fois le lac a entièrement gelé, la plus forte épaisseur de glace ayant été mesurée en février 1956.
12En définitive, le climat frais, humide et venté rend le milieu quelque peu inhospitalier. Il n’a cependant jamais constitué une entrave à l’implantation de l’homme.
1.1.2 Les hommes et leurs activités
13Près de 4 000 personnes habitent aujourd’hui les communes riveraines du lac de Paladru Charavines
14petites unités fait l’originalité de Bilieu, alors que la plus forte proportion de fermes isolées est obseivée à Paladru.
15Les sols, généralement profonds, et le climat font du territoire, entourant le lac un pays d’herbe et d’arbres. De belles forêts et des bosquets (Bois d’Amour, Bois de Magnoud) composent un agréable cadre de verdure pour le plan d’eau mais l’essentiel de la surface a été précocement défriché afin de pratiquer une économie de type agro‑pastoral avec une nette prédominance de l’élevage.
16Même si la tendance générale va, comme partout ailleurs, dans le sens d’une régression, l’agriculture conserve une place qui est loin d’être négligeable (tabl. ii). Si on déduit la superficie du lac (391 ha), la surface agricole utilisée (SAU) couvre, pour l’ensemble des cinq communes, 3/5 du total et les seuls herbages 48 %. Il existe donc, autour du lac, une nette prédisposition à l’économie pastorale : la part des céréales au sein de la SAU n’est que de 17,4 % alors que celle des cultures fourragères et de la surface toujours en herbe s’élève à 81,3 %. L’élevage pratiqué est principalement celui des bovins avec une répartition assez équilibrée entre la production de viande et celle de lait, la proportion des vaches laitières dans le cheptel bovin n’étant que de 42,4 %. Ovins et caprins sont modestement représentés. Mais la commune du Pin se singularise par l’existence d’un gros cheptel porcin.

TABL. I – Les communes riveraines du lac de Paladru. Données statistiques.

TABL. II – L’agriculture autour du lac de Paladru (source : RGA 1979).
17Ce terroir circumlacustre est un pays d’exploitations de taille relativement réduite (16 ha/exploitation en moyenne) et généralement c’est l’exploitation de type familial qui a tendance à prédominer (2,26 actifs/exploitation en moyenne). A l’image de bien d’autres régions rurales Française le vieillissement des exploitants nombreuses forges qui utilisent la force motrice de l’eau pour mouvoir les martinets. Ne subsiste de cette époque, dans la partie amont du cours de la rivière, que le site de Bonpeituis. Son origine n’est pas due uniquement à la ressource hydraulique mais est en rapport avec l’exploitation du minerai de fer en Chartreuse et avec l’abondance du bois dans les forêts avoisinantes, ce qui contribuait à une bonne production de charbon de bois. Ce combustible, d’ailleurs, devint indispensable au xive siècle lors de la découverte du procédé de fabrication de la fonte par « bas‑foyer », que l’on dénomme aussitôt « méthode rivoise ». C’est aux xviie‑xviiie siècles que cette métallurgie rivoise connaît son apogée : par un arrêt de 1629, le Conseil d’Etat reconnaît la supériorité des « Aciers de Rives » pour la fabrication des épées, lames et autres objets tranchants confectionnés jusqu’alors à Saint‑Etienne ou à Thiers. Avant la Révolution, la production des forges et aciéries de la Eure était d’environ 20 000 quintaux mais elle est réduite de moitié au début de la période napoléonienne. En 1810 déjà la moitié des forges a disparu. Bonpertuis est localisé à l’endroit où le passage sur la Fure (dont le nom veut dire « la Furieuse ») était assez aisé grâce à un rétrécissement du talweg. Aujourd’hui les effectifs avoisinent 400 employés et Bonpertuis continue d’évoquer la tradition industrieuse et industrielle de la vallée.
18Mais, de plus en plus, c’est le tourisme qui est l’activité conquérante, en dépit de la brièveté de la saison estivale. Le principal atout du développement touristique est évidemment le lac, indissociable de son environnement verdoyant. Sa localisation à une heure de route de Lyon, à 45 minutes de Grenoble et à seulement un quart d’heure de Voiron en fait une aire de loisirs de proximité tout à fait remarquable pour peu que ne se renouvelle pas la mésaventure de 1985 : cette année‑là, en effet, les eaux furent particulièrement atteintes par l’eutrophisation, c’est‑à‑dire un excès de matières organiques vivantes dans les couches superficielles. Après leur mort, ces micro‑organismes se déposent au fond du lac où leur lente minéralisation consomme l’oxygène dissous au détriment de la qualité des eaux. L’eutrophisation se manifeste par différents effets nuisibles qui ont quelquefois rendu le lac impropre à sa fonction d’espace naturel de loisirs : perte de transparence des eaux, prolifération brutale d’algues microscopiques (fleurs d’eau), régression des espèces de poissons nobles. D’ailleurs la faune du lac s’était considérablement appauvrie : le roi des poissons, l’omble chevalier, a disparu et carpes, tanches, brochets et perches ont eu tendance à se raréfier. La dépollution récente (mise en place d’un siphon évacuant les eaux de surface, pose d’un collecteur périphérique menant à une station de traitement des eaux) a donné des résultats encourageants, et la faune semble se reconstituer. Le tourisme lacustre, qui se pratique essentiellement de mi‑juin à fin septembre a généré la prolifération des résidences secondaires ainsi que la multiplication des terrains de camping (fig. 8). Durant l’été 1989, ces derniers, au nombre de 11, offraient 1 070 emplacements pour caravanes. Outre les adeptes de la planche à voile ou de la baignade, les touristes sont également représentés par une clientèle plus âgée à la recherche d’air pur, de verdure et de calme.

FIG. 8 – Habitats permanents et temporaires aux alentours du lac.
19La récente création, à partir du résultat des recherches archéologiques et historiques, d’un « musée du lac de Paladru » au sein d’une « Maison de Pays », la mise en œuvre de visites guidées du chantier archéologique de Colletière durant la belle saison, de nombreuses animations (conférences, expositions) ont fait de la culture un second atout touristique, qui permet de diversifier les pôles d’intérêt, d’offrir aux touristes une alternative en cas de mauvais temps, et d’étendre la période de fréquentation avec le tourisme de provenance régionale.
20En conclusion, le lac de Paladru et ses bordures constituent une remarquable illustration de ce que les géographes appellent un « pays ». C’est‑à‑dire une entité déterminée à partir d’un faisceau de caractères spécifiques qui, on doit le souligner, ne sont pas seulement géographiques : le site subaquatique de Colletière en est l’exemple même. Autour de ce plan d’eau de 6 km de long, qui présente l’originalité d’être une propriété privée, se perpétue une vie dynamique à laquelle le tourisme intelligemment développé est venu apporter un second souffle très bénéfique.
1.2 Sources et textes d’archives : introduction historique
21Olivier ANDRU, Jean‑Pierre MOYNE, Michel COLARDELLE, Eric VERDEL
22Les rives du lac de Paladru, temporairement occupées au cours du iiie millénaire avant J.‑C. (Bocquet et al. 1987) puis du ier au ive siècle de notre ère, ne furent durablement colonisées qu’à partir de l’an Mil. Au cours du xe siècle, cette région de hautes collines, à l’écart des voies de communication, peu favorisée par son climat et la relative pauvreté des sols, appartient au territoire du Sermorens.
23Celui‑ci est connu par le texte du partage de 1107 dans lequel on cite vingt‑deux châteaux aux compétences territoriales incertaines avant la fin du Moyen Age voire l’époque moderne (fig. 9) Ses limites au xie siècle restent imprécises. Le Sermorens, tel que l’on peut le reconstituer approximativement, est un territoire en forme d’hexagone aplati, bordé à l’est par la haute vallée du Guiers, au sud par la cluse de Voreppe et l’Isère, à l’ouest par les confins de la plaine de la Bièvre et au nord par la plaine du Liers, la vallée de la Bourbre et la région du lac de Paladru. Il comporte des zones géographiques bien définies et morphologiquement différentes : la plaine de la Bièvre, le plateau du Chambaran, une partie de la moyenne vallée de l’Isère, l’avant‑pays de Chartreuse, la haute vallée de la Bourbre et surtout la région étudiée, le bassin du lac de Paladru.

FIG. 9 – Les châtellenies du comté de Sermorens (partage de 1107).
24Quant au statut du Sermorens, sa définition précise demeure difficile à établir, malgré vingt‑quatre mentions s’échelonnant de 858 à 1107. Il est désigné la première et unique fois comme villa en 858 (Chevalier 1913 : no 709), deux fois comme ager au cours du xe siècle et en l’an Mil (ibid. : nos 1397 et 1898 ; nos 1710 et 1869), une fois comme territorium (ibid. : n° 1768), six fois comme comitatus en 863, entre 864 et 869, en 870, en 1011, en 1024 et 1025 (Ibid. : n“os737, 749, 775, 1618, 1678 et 1685) et quatorze fois comme pagus (ibid. : nos 852, 902, 1352, 2538, 2539, 2544, 2597, 2598 et 2603).
25En ce qui concerne le terme ager, le nom du pagus accolé à l’ager Salmoriacensi change chaque fois. Dans un cas, il s’agit du pagus Gratianopolitano (25 janvier 1000), dans l’autre du pagus Viennensis (xe siècle ?). Le terme pagus, pourtant le plus usité (14 fois), accompagne onze fois Sermorens seul. Dans les autres cas, Sermorens est accompagné de Gratianopolitanus (« In pago autem Salmoriacense et Gratianopolitano», 863‑869 ; » in pago vero Salmoriacense et Gratianopolitano», 20 juin 885 ; « in pago Gratianopolitano et Salmoriacen», 1032).
26Après ce recensement des textes, le statut du territoire n’apparaît pas clairement défini. Même si une majorité de textes mentionne Sermorens seul accompagné des termes comitatus, territorium et pagus (18 fois), peut‑on vraiment affirmer que le Sermorens était un comté carolingien ? Certains auteurs (Bligny 1979 : 31 le pensent et estiment que Sermorens et Octavéon (aux environs de Romans‑sur‑Isère, dans la Drôme) furent des comtés créés tardivement dans l’organisation carolingienne. Pour cela, ils invoquent en particulier leur superficie respective bien inférieure à celle des autres comtés carolingiens. Même si l’on admet l’existence du comté de Sermorens, on ne sait rien des personnages qui représentaient le pouvoir impérial à sa tête. Seul un comte Wigeric est mentionné en 858 lors de l’assemblée des trois provinces « ad Salmoringam villam ». Il restitue des biens à l’archevêque de Vienne, mais le texte n’indique pas s’il était comte de Sermorens et ne donne pas la nature des biens rétrocédés.
27De même, selon Charvet, dans son histoire de l’Eglise de Vienne, une réorganisation du diocèse aurait été effectuée et de nouveaux statuts rédigés par Vultréia (Wol‑fère) et approuvés par Charlemagne en 805 (Charvet 1761‑69 : 156‑160). Le Sermorens aurait alors été un archidiaconé. Ce texte n’a jamais été retrouvé et plusieurs auteurs (Bligny 1979), contestant cette assertion, estiment que l’organisation des diocèses de Grenoble et de Vienne a dû s’étaler dans le temps. Chevalier, quant à lui, place l’apparition des archidiaconés et des archiprêtrés au cours du xe siècle (Chevalier 1922‑23). Le Sermorens est devenu un archidiaconé forain de l’Eglise de Vienne de façon certaine à la fin du xie siècle : en 1095, dans une lettre du pape Urbain II mention est faite du « Sal moriacensem archidiaconam » (Chevalier 1913 : no 2582 et Marion 1869 : 54‑55, no 23, 6). Cet archidiaconé comprenait trois archiprêtrés : celui de Bressieux, celui de Valdaine (en particulier la région du lac de Paladru) et celui de Viennois. A l’époque carolingienne, les délimitations des ressorts épiscopaux n’étaient pas claires, principalement à l’ouest du Sermorens. D’ailleurs à la fin du xie siècle va naître un litige entre l’archevêque de Vienne, Guy de Bourgogne et saint Hugues, évêque de Grenoble, au sujet de la possession de cette région.
28Le Sermorens faisait partie de la Lotharingie et allait en connaître toutes les vicissitudes (Bligny 1973). En 843, au traité de Verdun, cette région fut attribuée à Lothaire U. En 855, la partie sud du royaume de Lothaire Ier, c’est‑à‑dire la Bourgogne, le Lyonnais, la Savoie et la Provence, fit partie du royaume de Charles de Provence. A la mort de celui‑ci en 863, Lothaire II obtint les pays de l’arrière‑duché de Lyon : Lyonnais, Viennois et Sermorens (Chevalier 1913 : no 737). En 870, à Meersen, son royaume fut partagé entre Charles le Chauve et Louis le Germanique. Le Sermorens échut au premier. Il appartint alors au royaume de Provence, Charles le Chauve, en 877, donna la Provence à Boson lors de son mariage avec Ermengarde, fille du défunt empereur Louis II, Boson, en 879, se fit élire roi par les participants d’un concile réunissant de nombreux ecclésiastiques et « puissants » laïques du Sud‑Est. Boson, dès son élection, connut des difficultés avec les Carolingiens de l’Est et de l’Ouest. 11 rendit hommage à l’empereur Charles le Gros, mais l’appartenance de la Provence à la Francie ou à la Germanie ne fut pas tranchée. A sa mort en 877, sa veuve fit adopter son fils Louis par le nouvel empereur de Germanie, Amulf, qui exigea probablement un acte d’allégeance.
29A la mort de Louis l’Aveugle en 928, il y eut trois prétendants à la succession : Hugues d’Arles, régent du royaume de Provence (qui va conserver la Provence jusqu’à sa mort en 947 mais renoncera à ses droits sur le royaume en faveur de Rodolphe, afin de favoriser sa politique italienne), Rodolphe II de Bourgogne Transjurane et Raoul de France. Ce n’est qu’après que Louis IV d’Outremer, successeur de Raoul, eut renoncé à toutes ses prétentions que Conrad, fils de Rodolphe, put disposer de son royaume. Il fallut pour cela l’intervention de l’empereur de Germanie, Otton Ier, Conrad, d’ailleurs, sera très proche de l’empire ottonien. Son autorité sur son royaume fut le plus souvent discrète et son règne coïncida avec la montée en puissance des grandes familles aristocratiques.
30Les événements montrent combien les structures politiques et territoriales de la Lotharingie sont complexes au xe siècle, et en constante évolution. Le peu que nous connaissons des invasions sarrasines le confirme. Durant près d’un siècle, les Sarrasins ont mené des raids dans les régions alpines, s’attaquant de préférence aux villes et aux riches possessions ecclésiastiques. Ils pillent l’abbaye de Novalaise en 906, celle de Saint‑Maurice d’Agaune en 940. Les actes de piraterie violents et ponctuels ne débouchent que rarement, voire pas du tout, dans les Alpes du Nord, sur une occupation du sol. La mobilité des groupes de pillards sur des territoires morcelés et politiquement mal contrôlés explique l’absence de réponse globale des pouvoirs carolingiens à ce problème. La défense ne pouvant être assurée que ponctuellement par des potentats locaux, comme les comtes, ce sont ces derniers qui tirèrent profit de la lutte contre les Sarrasins. Il faut toutefois savoir que la venue des Sarrasins dans le Sermorens, contrairement à l’opinion d’auteurs anciens fondée sur un texte imprécis et elliptique, la charte XVI du Cartulaire de saint Hugues (Marion 1869), n’est nullement démontrée, ce qui n’empêche pas d’imaginer dans cette région comme dans d’autres, un contexte d’insécurité relative. L’étendue des royaumes, l’éloignement du pouvoir central, les rivalités dynastiques et les troubles militaires permirent à de grandes familles aristocratiques de s’arroger les droits de la puissance publique, grâce à leurs moyens militaires, et de s’emparer de biens fonciers en y installant leur clientèle.
31Quand Conrad mourut en 993, il ne laissait à son fils Rodolphe III qu’un modeste héritage. Incapable de rétablir une autorité sur son royaume, Rodolphe se tourna d’abord vers les Eglises mais celles‑ci, pour les raisons invoquées plus haut, échappaient à son contrôle. Il ne fit que les conforter dans leurs pouvoirs et par là‑même, il affermit ses principaux adversaires : les grandes familles aristocratiques. Il se tourna ensuite vers la Germanie et fut obligé d’accepter en 1016 la traditio de son royaume au profit de l’empereur. Il la renouvela en 1027. A sa mort, en 1032, son royaume entra dans le Saint‑Empire romain germanique.
32Les droits de l’empereur restant très théoriques, toute latitude était laissée à certaines familles aristocratiques de constituer des principautés.
33En 1011, Rodolphe III avait donné les comtés de Vienne et de Sermorens à sa femme Ermengarde (fig. 10) (Chevalier 1913 : no 16). Certains auteurs (Manteyer 1901 : 281 ; Manteyer 1904b: 142‑155; Bligny 1973 : 113) affirment par déduction, mais sans qu’aucun texte ne vienne en apporter la preuve, que celle‑ci les rétrocéda avant 1029 à l’archevêque de Vienne, Brochard. Ce dernier aurait alors inféodé le nord du Viennois à Humbert aux Blanches Mains, comte de Maurienne, en 1029 et le sud du Viennois à Guigues le Vieux, seigneur de Vion en 1030, ces inféodations étant à l’origine des principautés de Savoie et de Dauphiné.

FIG. 10 – Charte de donation du comté de Sermorens à Ermengarde par Rodolphe III de Bourgogne en 1011
cliché arch. départ, de l’Isère
34Dans ce contexte de réorganisation politique, le Sermorens connaît, au cours du xie siècle, un essor économique et démographique comme le reste de l’Occident. Les causes premières en sont mal connues mais il semble que les conditions d’existence se soient améliorées. Le nombre des hommes augmente rapidement, les terroirs anciens, densément peuplés, ne suffisent plus à nourrir tout le monde et de nouvelles terres sont recherchées. Partout on défriche, on met en culture, on colonise parfois de façon massive. De nouveaux terroirs sont constitués. C’est le cas des rives du lac de Paladru où les habitats littoraux révèlent l’installation d’une population relativement nombreuse.
35A la même époque apparaissent des pouvoirs locaux fondés sur une propriété foncière restreinte, centrés sur des fortifications de terre (castra). C’est autour de ces châteaux (ou mottes), très nombreux dans la région, que s’opère une nouvelle organisation politique, sociale et territoriale du pays, comme en témoigne l’apparition vers 1050, dans les textes, de nouvelles circonscriptions, les mandements (mandamenta). Des chevaliers (nobiles, milites) pouvaient posséder un ou plusieurs châteaux, et prenaient le titre de seigneur (dominas). C’est ainsi que la seconde moitié du xie siècle vit l’émergence des familles châtelaines. Dans la région qui nous occupe, elles se nomment Clermont (la souche de la famille de Clermont‑Tonnerre), Virieu et Paladru.
36La région du lac de Paladru, éloignée des zones d’influences des grandes abbayes (Saint‑Bamard de Romans, les abbayes viennoises), se caractérise par une absence quasi complète de textes la concernant, surtout pour les xe et xie siècles. Les quelques rares mentions de membres des familles citées plus haut figurent dans des documents douteux ou pouvant concerner des familles homonymes : ainsi une charte de 1042 qui présente un « domnus Vifredus de Viriaco « donateur au monastère de Novalaise en Savoie (archives du château de Virieu, titre de famille 1042‑1427). De même, un Siboldus de Claramontis est cité en 1094 dans le cartulaire de l’abbaye de Hautecombe (Savoie) (Pilot s.d.). Même si l’on peut risquer quelques hypothèses sur l’origine de ces familles et de ces châteaux qui à coup sûr remontent au xie siècle, il faut en fait attendre 1107 et le partage du Sermorens pour rencontrer une mention certaine des châtellenies de Virieu, Clermont et Paladru. Comme nous l’avons indiqué plus haut, à partir de 1094, l’archevêque de Viennecontesta la possession du Sermorens à l’évêque de Grenoble. Le conflit s’éteignit en 1107 avec l’arbitrage du pape Pascal II qui partagea le Sermorens et concéda onze châtellenies à chacun des adversaires. Dans la part de l’archevêque de Vienne apparaissent les trois châteaux suivants : Castrum Clari Montis, Castrum Paladruti, Castrum Vireu (Marion 1869).
37A partir du xiiie siècle, la situation politique de la région du lac de Paladru est dominée par son rôle de frontière entre les principautés de Savoie et de Dauphiné. Il en ressort que ni l’une ni l’autre ne contrôle effectivement ces terres, permettant ainsi l’épanouissement de baronnies, comme celle de La Tour‑du‑Pin. Les Clermont ont pleinement profité de cette situation pour augmenter leur puissance foncière et leur influence, se gardant bien d’aliéner une indépendance si bénéfique. A partir des années 1250, l’extension des principautés delphinale et savoyarde et les prémices d’un conflit menacent l’équilibre politique de la région. En 1251, poussé par la volonté de se concilier un allié puissant, Aynard de Clermont prête hommage à Albert de la Tour pour les fiefs suivants : le quart de Clermont, le château et le mandement de Paladru, les trois quarts de Virieu (Valbonnais 1722, t. I : 191‑192). Les conditions du contrat ne sont guère contraignantes pour le vassal. Durant le conflit delphino‑savoyard, les Clermont cherchèrent à se maintenir à l’écart des troubles. C’est seulement en 1317 (Valbonnais 1722, t. I: 57) que Geoffroy de Clermont prend définitivement parti pour le dauphin. L’acte est un véritable traité d’assistance mutuelle. En 1340, Aynard de Clermont conclut un nouveau traité d’alliance avec le dauphin Humbert II (archives départementales de l’Isère, B2617, fos 228 et sq). Il prêta un hommage lige et fit un serment de fidélité, excepté celle qu’il devait à l’église de Vienne. Le fief tenu du dauphin fut augmenté. Aux châteaux de Virieu et Paladru, furent ajoutés ceux de Clermont, Saint‑Geoire‑en‑Valdaine, Vaulserre, La Bâtie‑Divisin, Montferrat (tous proches du lac de Paladru), Hauterive (Drôme), ainsi que plusieurs villages. En échange, le dauphin investit Aynard de la vicomté de Clermont‑en‑Trièves, et le nomma « capitaine de guerre en Dauphiné ». Il avait également voix au Conseil delphinal. Les Clermont sont alors devenus les premiers des quatre barons du Dauphiné.
38C’est donc dans une région relativement à l’écart et dans le contexte général d’une histoire aux sources insuffisantes mais où les pouvoirs, incertains à l’époque carolingienne, ne se mettent en place que lentement que se situent, dans cette charnière que constitue l’orée du XIe siècle, les habitats littoraux du lac de Paladru : période charnière non seulement pour des raisons générales –la « révolution de l’an Mil »– mais aussi locales, puisque c’est dans ce siècle que s’installent les pouvoirs seigneuriaux.
1.3 Historique des fouilles
39Michel COLARDELLE, Eric VERDEL
40La découverte des stations littorales du lac de Paladru n’est pas récente. Selon toute vraisemblance les principaux gisements ont toujours été connus des riverains et notamment des pêcheurs qui accrochaient filets et lignes dans les pieux hérissant les hauts‑fonds.
41Occasionnellement des objets de bois ou de métal étaient même remontés. Ces découvertes contribuaient à entretenir la croyance populaire selon laquelle les eaux du lac recouvraient une cité autrefois submergée. La légende locale de la « ville d’Ars » relatait en effet la fin tragique de ses habitants, engloutis en châtiment de leur impiété (Tripier 1833 : 11). Bien que l’origine en soit certainement plus ancienne, peut‑être même contemporaine de la submersion des habitats littoraux au xie siècle, on rencontre la première mention écrite de cette légende dès le milieu du xvie siècle, sous la plume d’Aymar du Rivail (Rivail 1844 : 22). Les deux plus célèbres historiens régionaux, Chorier et Allard (Allard 1864, t. I: 78 et t. II : 1) s’en sont, au xviie siècle, largement fait l’écho, même si le premier affirmait « qu’il ne fallait pas avoir le sens commun pour adjouter foy à des comptes qui [le] choquent si visiblement » (Chorier 1661,1.1: 30 et t. II : 67‑68).
42C’est seulement en 1866 que G. Vallier publie une étude critique et historique, tout empreinte du positivisme alors en vogue, et dont l’objectif est d’établir clairement la part de la légende et celle de la réalité. Dans cet ouvrage, il localise six groupements de « pilotis » qu’il pense appartenir à l’époque gauloise : Les Grands Roseaux, Loyasse, La Genevrière, La Neyre, Le Plâtre, Le Puits des Carpes (fig. 11). Il pressent l’existence d’autres sites à l’extrémité sud du lac, mais n’a pas le temps de les visiter lors de son excursion de 1864. Il doit voir les pilotis d’Ars, et en 1865 pratique un sondage aux Grands Roseaux à Paladru (Vallier 1866), site que le professeur Fournet avait identifié dès 1860 (Fournet 1860). La même année, un archéologue lyonnais, E. Chantre, revenant d’un congrès de préhistoire où il avait beaucoup été question des palafittes du lac de Neuchâtel, décide d’entreprendre des fouilles dans celui de Paladru. Les premiers sondages sont effectués à la drague sur le site des Grands Roseaux, à l’extrémité septentrionale du lac (fig. 12). Ces travaux permettent de collecter des ossements animaux, de la céramique, une lame de couteau et des objets de bois, qui sont d’abord datés de La Tène (Chante 1874 : 17). Un échantillonnage de divers noyaux est adressé, pour détermination, au grand préhistorien G. de Mortillet. Ce dernier s’étonne d’identifier cinq arbres fruitiers cultivés (deux espèces de cerisiers et trois de pruniers) et il conclut que « l’époque de l’habitation est des plus récentes et qu’elle doit être au moins contemporaine des Romains car jamais au grand jamais on n’a rencontré dans les palafittes une horticulture aussi avancée » (lettre de Gabriel de Mortillet à Ernest Chantre datée du 7 janvier 1867).

FIG. 11 – Les sites archéologiques du lac de Paladru d’après la carte d’état‑major et les indications de G. Vallier et E. Chantre au XIXe siècle (Chantre 1871).

FIG. 12 – Plan de la station des Grands Roseaux à Paladru (Chantre 1871).
43Encouragé à poursuivre ses recherches, Chantre les reprend en 1869, à l’occasion d’une forte baisse du niveau des eaux qui fait suite à la construction des vannes destinées à réguler le débit de sortie du lac. Le site des Grands Roseaux est en grande partie exondé et la fouille s’effectue à la pelle et à la pioche.
44Le site de Colletière à Charavines avait échappé aux recherches de Chantre, et il fallut attendre 1903 pour que V. Paquier le découvrît. Mais c’est Hippolyte Muller, fondateur et premier conservateur du Musée dauphinois de Grenoble, qui proposa le premier une chronologie. Venant visiter les différentes stations littorales au moment d’un étiage exceptionnel, en 1921 (fig. 13), il découvrit qu’un chenal venait d’être creusé à travers la partie nord du site (fig. 14 et 15). Les coupes de terrain et les déblais contenaient des objets, tessons de céramique, fers à cheval et couteaux qui lui permirent de supposer une contemporanéité avec Les Grands Roseaux. Aucune fouille ne fut entreprise, et Müller, avant tout préhistorien, consacra l’essentiel de ses travaux à la station des Baigneurs, sur laquelle il pratiqua un sondage et identifia des objets de silex aisément datables du Néolithique (Millier 1923).

FIG. 13 – L’île Loyasse à Montferrat en 1921.
cliché H. Müller, Musée dauphinois

FIG. 14 – La station de Colletière à Charavines en 1921
cliché H. Müllier, Musée dauphinois

FIG. 15 – Creusement du chenal de Colletière en 1921
cliché H. Müller, Musée dauphinois
45Durant l’été 1971, un maître nageur sauveteur des CRS, M. Eric Lavigne du Cadet, en poste à la plage municipale de Charavines, s’intéressa au site de Colletière. Il y récupéra de nombreux objets qu’il donna au Musée dauphinois. C’est grâce à lui qu’on apprit le projet, alors à l’étude, de la construction d’un port de plaisanceà Colletière, et d’une plage artificielle aux Baigneurs, qui auraient détruit les deux sites. Une fouille de sauvetage fut décidée, l’une (Les Baigneurs) sous la direction d’Aimé Bocquet, l’autre (Colletière) sous celle de Michel Colardelle. Les deux chantiers, réalisés selon des méthodes mises au point en commun et à partir d’une même base, permirent une économie d’échelle non négligeable. La fouille de Colletière se développa peu à peu, grâce à des concours divers qu’il faut citer : l’autorisation de la Société civile du lac de Paladru, propriétaire du lac ; l’aide matérielle (terrain pour la base de fouille, bâtiments savant de dépôt, de laboratoire et d’hébergement pour les fouilleurs depuis 1986) de la municipalité de Charavines ; les financements du conseil général de l’Isère, du ministère de la Culture (direction du Patrimoine, sous‑direction de l’Archéologie), de la délégation générale à la Recherche scientifique et technique, du Centre national de la recherche scientifique et de la région Rhône‑Alpes (ATP Rhône‑Alpes d’archéologie médiévale), depuis 1985 du PPSH (Programme pluriannuel de recherches en sciences humaines Rhône‑Alpes), de la ville de Grenoble (Musée dauphinois et Centre d’archéologie historique des musées de Grenoble et de l’Isère [CAHMGI]). La Société alpine de documentation et de recherche en archéologie historique aide le projet de diverses manières, et le CAHMGI en constitue le cadre administratif et scientifique. Il faut remarquer que jusqu’à 1985 compris, le chantier et les recherches pluridisciplinaires n’ont bénéficié que de financements extrêmement modestes, ne permettant que des campagnes très limitées, hors de proportion avec les besoins d’une grande fouille. Ce n’est qu’à partir de 1986 que la conjonction d’une autorisation pluriannuelle du ministère de la Culture assortie d’une subvention appropriée, de moyens importants du PPSH, de la régularité de financement due à la signature d’une convention tripartite (Etat‑département‑ville de Grenoble), et enfin de la mise à disposition par la municipalité de Charavines et le département de l’Isère d’une base de fouille qui jouxte le site, suffisamment vaste et pourvue de bâtiments en dur, a rendu possible une exploitation permanente et d’une qualité vraiment professionnelle.
46La recherche s’est vite étendue à l’ensemble du terroir voisin : travaux de Magdeleine Clermont‑Joly puis de Michèle Bois sur la motte castrale de La Louvatière de Chirens (1969‑72), de Chantal Mazard et Annick Ménard sur la fortification de terre du Châtelard de Chirens (1983‑88), étude historique de la seigneurie de Virieu par Olivier Andru (maîtrise de l’université de Paris I‑Sorbonne, soutenue en 1989, sous la direction de Robert Fossier), étude historique et archéologique du Sermorens par Chantal Mazard (thèse de 3e cycle de l’université de Caen, en cours sous la direction d’André Debord). L’équipe interdisciplinaire a pris pour cadre d’étude l’ensemble du pays du lac de Paladru, micro‑région naturelle correspondant aux communes suivantes : Charavines, Oyeu, Bilieu, Paladru, Montferrat, Le Pin, Valencogne, La Bâtie‑llivisin, auxquelles s’ajoutent, sur le plan historique, Chirens et Virieu.
1.4 Méthodologie
47Michel COLARDELLE, Eric VERDEL
48Les gisements subaquatiques, et les habitats « lacustres » en particulier, présentent des caractéristiques spécifiques qui les placent parmi les plus riches d’enseignement sur les types architecturaux, les modes de vie, l’économie, les techniques et l’environnement. Le site de Colletière n’échappe pas à la règle. Ennoyé très vite par la montée des eaux, il ne semble plus avoir été exondé par la suite à l’exception de quelques courts épisodes météorologiques, comme il nous fut donné d’en observer en 1972‑73 (hiver), en 1976‑77 (été et hiver) en 1986‑87 (hiver) et en 1989‑90 (automne et hiver). Rapidement et définitivement imprégné d’eau, le gisement a été soustrait à plusieurs facteurs qui, d’ordinaire, provoquent perturbation et dégradation. Ainsi, aucune occupation postérieure n’est venue déranger le site, ce qui a évité recreusements, destructions et pollution par du matériel plus récent. De même, l’ennoiement a évité le tassement des couches sous l’effet des pluies et du piétinement. Enfin, l’immersion favorise la conservation des matières organiques, particulièrement en eau douce, froide (le climat est submontagnard) et calcaire comme celle du lac de Paladru. Les mécanismes de cette conseivation sont bien connus : absence de variation dimensionnelle,, suppression de toute attaque par des animaux ou micro‑organismes aérobies, faible température qui limite grandement le développement biologique. A Charavines, les qualités particulières de l’eau (milieu réducteur et température dans le sédiment voisine de 8 °C) ont eu une autre conséquence, plus rare encore : une excellente conservation des métaux, en particulier du fer, que l’on trouve intact de toute oxydation, l’épiderme en parfait état apparent. Objets, mais aussi vestiges d’architecture et d’aménagements de l’espace, restes alimentaires et déchets de toutes sortes, litières du bétail, on ne peut imaginer meilleure source d’information archéologique. Il importait donc que fût utilisée une méthode de fouille et d’exploitation des résultats fiable permettant l’établissement de la documentation la plus complète possible, ce d’autant qu’il s’agissait d’un habitat stratifié qui justifiait, pour atteindre un niveau d’interprétation satisfaisant, une précision d’observation au moins équivalente à celle dont peut normalement bénéficier un site terrestre.
49En 1972, les exemples de fouilles stratigraphiques d’habitats subaquatiques étaient rares : en Italie et en Suisse, on avait surtout exploité des gisements protohistoriques lessivés, et il s’agissait davantage de ramassage « en position » que de véritables fouilles.
50En France, seul R. Laurent, dans les années 60, avait jeté les bases d’une méthodologie rigoureuse –en particulier la triangulation équilatérale– qu’il n’avait malheureusement pas mise réellement en application. Les fouilles (essentiellement en caisson) des lacs du Jura, sous la direction de P. Pétrequin, commençaient à peine. Il fallut donc, en s’inspirant de ce qui paraissait le plus au point ici ou là, mais en complétant et en innovant largement, établir une méthode. Les bases de ce travail furent établies en commun pour les fouilles préhistoriques des Baigneurs (sous la direction d’A. Bocquet) et pour les fouilles médiévales, avec quelques aspects spécifiques à chacun des deux sites. Innovant, on s’aperçut de l’inefficacité de tel procédé, du manque d’intérêt de telle observation méthodique, et l’on dut perfectionner progressivement. Mais la modicité des moyens mis en œuvre ne permit pas de vérifier l’intérêt des méthodes de prélèvement des matières organiques –l’argent manquait pour les analyses elles‑mêmes– jusqu’en 1978. Ce n’est donc qu’en 1981 que la méthode se fixa définitivement. Il est évident que les variations de la systématique ne sont guère favorables à une bonne interprétation. Cependant, le résultat s’avère en définitive largement utilisable, même si quelques données manquent, en particulier pour les premières zones exploitées.
1.4.1 La fouille « en caisson »
51A trois reprises –durant l’hiver 1971‑72, l’été 1976 et l’hiver 1986‑87– l’étiage annuel a été suffisamment bas pour que l’on puisse fouiller « à sec » (fig. 16). Le gisement présente une trop forte déclivité pour pouvoir être en totalité atteint par les étiages, même exceptionnels. Seule la partie orientale, la plus élevée, est parfois accessible à pied sec. On fouille donc, dans ce cas, selon la technique terrestre, ce qui permet un travail plus rapide et beaucoup plus aisé en ce qui concerne les relevés et les prises de vue photographiques. L’avantage réside surtout dans la possibilité de fouiller de grandes aires d’un seul tenant (de l’ordre de 25 à 40 m2) et de disposer ainsi d’espaces d’interprétation plus larges. L’eau, toujours très proche, est atteinte rapidement. Un système de puisard et de pompe électrique à régulation automatique la rejette dans le lac (on a utilisé des pompes de 30 à 60 m3/h). En 1972, la fouille n’était pas achevée lorsque, à la fin de février et au début de mars, le niveau du lac a commencé à remonter. Un simple système de planches épaulées par des piquets et doublées de feuilles plastiques a suffi à maintenir la zone de fouille en état jusqu’à une hauteur d’eau de 50 cm au‑dessus du niveau du sol. Ces fouilles d’étiage se faisant essentiellement en hiver, sous la neige et par des températures comprises entre - 5 et - 15 °C, on a expérimenté avec succès un système de SCITCS d’horticulture à armatures métalliques en arceau, d’une largeur de 6 m, dont les interstices étaient colmatés avec des planches et de la neige, et l’intérieur amené à une température supportable (de l’ordre de ‑ 1 à + 4 °C) par des brûleurs à gaz.

FIG. 16 – Secteur de la palissade après la fouille durant la période de basses eaux de l’hiver 1986‑87 (cliché fouilles de Colletière).

FIG. 17 – Le ponton, base des fouilles subaquatiques (cliché fouilles de Colletière).
52La comparaison entre fouilles « terrestres » et fouilles sublacustres ne laisse subsister aucun doute : la précision du travail, la qualité des observations et de la documentation sont infiniment plus grandes dans le premier cas que dans le second. Seul inconvénient : le tassement des couches, essorées par le pompage, qui rend plus compacts les sédiments et plus difficiles le repérage et le dégagement des objets organiques. C’est ce qui a conduit à étudier la solution des fouilles en palplanches, selon le procédé utilisé dans la baie de Roskilde, au Danemark, pour le dégagement des bateaux vikings, ainsi qu’à Auvemier sur le lac de Neuchâtel. Mais cette solution S’est avérée beaucoup trop onéreuse, puisque la pose et la location de palplanches pendant une année coûtaient plus cher que la totalité des campagnes subaquatiques entre 1972 et 1987...
1.4.2 La fouille subaquatique
53La base terrestre étant aménagée sur la rive la plus proche du site, à une centaine de mètres de celui‑ci, on a construit à travers la roselière qui l’en sépare une passerelle surélevée. De son extrémité jusqu’au ponton qui sert de base aux opérations subaquatiques (fig. 17), une navette (barque circulant le long d’une corde‑guide) assure la communication.
54Sur le ponton proprement dit, matériel spécialement conçu par les techniciens du CNRAS, un permanencier veille à la sécurité des plongeurs (surveillance des bateaux et planches à voile qui pourraient accidentellement franchir la ligne d’eau entourant le site, surveillance des plongeurs eux‑mêmes) et rend divers services liés à la fouille : récupération et numérotation des seaux de sédiments, prélèvements ou objets ; communication de renseignements entre la base terrestre et les plongeurs, par le moyen d’un interphone ; mise en marche des pompes électriques ou transmission de matériels divers.
55Sous l’eau, chaque demi‑journée, des équipes de deux plongeurs se relaient. Protégés du froid par des combinaisons humides de 7 mm d’épaisseur –suffisantes pour des fouilles à la belle saison– ils sont équipés de scaphandres autonomes. On dispose d’une douzaine de blocs‑bouteilles simples ou doubles et de détendeurs, ainsi que d’un compresseur électrique. On a tenté, pour accélérer la fouille, de mettre en place deux chantiers simultanés de deux personnes, mais l’expérience n’a pas été concluante, et n’a pas permis d’accroître le rendement de manière significative : le risque d’erreurs de numérotation, donc d’identification de la provenance s’accroît et surtout l’équipe de terre devient insuffisante pour traiter sans retard la quantité considérable de sédiment recueilli.
56On a adopté le système de repérage mis au point par R. Laurent en 1962 : un triangle équilatéral de 5 m de côté subdivisé en 25 petits triangles métriques (fig. 18). Le gisement, à partir d’un point 0 central, et d’un axe nord‑sud, est donc progressivement tramé par déplacements successifs de règles rigides aisément assemblables. L’ensemble est assujetti sur des tubes d’angle enfoncés dans la craie lacustre. Après stabilisation à l’horizontale, on obtient des repérages indéformables, sans recours à aucun matériel de visée ou d’angulation dont l’usage serait impossible dans une eau peu claire. Un système de numérotation commode permet d’identifier les sommets des grands triangles et les petits triangles métriques qui forment l’unité de fouille (en particulier pour les statistiques, les cartes de répartition, etc.). Le repérage vertical est assuré à partir du plan supérieur du triangle métallique, dont la profondeur par rapport à la surface de l’eau est mesurée lors de l’installation. Le niveau de l’eau est lui‑même quotidiennement relevé par le gardien des vannes par rapport à un niveau 0 coté à 492 m NGF. L’ensemble de ce dispositif paraît compliqué, mais il est en réalité, à l’usage et pour qui en a l’habitude, extrêmement pratique. Il confère une grande rapidité d’installation et de démontage, pour une erreur réduite au maximum. Il faut également attirer l’attention sur trois particularités : en 1972, la première fouille (de type terrestre) a été pratiquée selon un système classique de carroyage orthonormé (on n’avait pas encore mis au point le matériel de triangulation). En 1976, une grande tranchée de 1 m de largeur a été ouverte le long d’un axe oblique, entre les points 300 et 903, afin d’évaluer l’extension du site. Enfin pour éviter de reproduire, dans la zone de fouille située au nord du chenal (qui coupe le gisement d’est en ouest), certaines erreurs d’alignement commises au sud, on a établi une triangulation indépendante.

FIG. 18 – a Système de repérage des triangles métriques pour la fouille, b Triangulation et système de numérotation des triangles métriques.
57En 1983, un plan photogrammétrique complet du site a été dressé. On a commencé par clouer sur le sommet de chaque pieu, exondé par l’étiage ou noyé, une plaquette de plastique blanc. Des repères géométriques triangulaires ont été installés. Une mission aérienne a pris des clichés stéréoscopiques, travaillés ensuite au instituteur par A. Cartier, ingénieur au Centre de recherches archéologiques du CNRS. Le plan obtenu a été progressivement complété, au cours de l’avancement des fouilles, par le relevé manuel des structures découvertes (fig. 19). On a d’autre part mesuré le diamètre de chaque poteau, qui n’apparaissait évidemment pas à la photogrammétrie. Plus de 700 pieux et structures ont été ainsi relevés, constituant la base du travail d’interprétation sur les formes architecturales. Des erreurs manifestes subsistant encore, on a profité de l’étiage dû à la sécheresse extrême de l’hiver 1989‑90 pour faire réaliser à l’aide d’un théodolite à laser une nouvelle vérification et des corrections, au moins pour les parties exondées, par les ingénieurs des services techniques de la ville de Grenoble.

FIG. 19 – Plan général des zones fouillées sur le site de Colletière entre 1972 et 1990.
58Pour revenir à la fouille proprement dite, l’une des difficultés majeures résidait dans la turbidité de l’eau dès lors que l’on creuse le sol: craie lacustre, vase et sédiments divers forment dès les premiers mouvements un brouillard qui rend toute visibilité impossible, et qui met plusieurs heures à disparaître. On a donc utilisé le système mis au point en Suisse et appelé « rideau d’eau » : une pompe électrique immergée, suspendue au ponton, envoie de l’eau claire jusqu’à l’emplacement de la fouille par le moyen de gros tuyaux pompiers. Ceux‑ci sont raccordés à des tuyaux rigides dont l’extrémité est obturée ; l’eau s’échappe donc par une ligne de perforations tout le long du tuyau rigide. Ce dernier est fixé sur des plots de fonte de manière que l’on puisse orienter le courant d’eau ainsi formé en arrière de la fouille, à 30 ou 45° par rapport à l’horizontale, dans le sens du léger courant naturel nord‑sud que l’on peut le plus souvent observer (fig. 20). On obtient ainsi une dépression peu violente qui entraîne les particules soulevées par les mouvements du fouilleur. Celui‑ci veille à ne se déplacer qu’en aval du dispositif, et distingue assez nettement la zone où il travaille.

FIG. 20 – Vue schématique d’un triangle en cours de fouille : gabarits métalliques, matérialisation souple des triangles métriques et rideau d’eau.
59La fouille se pratique à mains nues, à partir de l’un des bords du grand triangle dont la couche de surface a été préalablement découpée à la scie égoïne. Ce procédé évite l’arrachement de mottes et de racines qui déstabiliserait le sédiment et permet d’obtenir des coupes de terrain franches et solides, où la lecture stratigraphique est possible sinon aisée. Un seul triangle de 5 m est ouvert à la fois. Les sédiments sont prélevés par couche, par triangle métrique, et intégralement emportés jusqu’au ponton dans des seaux recouverts d’un capuchon de tissu élastique pour éviter toute perte. Un fouilleur expérimenté, en associant observations visuelles et tactiles, repère très bien changements de couches, structures et même objets, y compris les plus fragiles. En cas de découverte, il dégage soigneusement l’objet ou la structure, et en effectue le relevé : position en plan par rapport aux extrémités du triangle, position altimétrique par rapport à une règle posée sur le gabarit métallique. Il peut ensuite si la transparence de l’eau (liée à la nébulosité, à la saison, à l’importance et à la direction des vents ainsi qu’à la position du soleil) le permet, prendre des clichés. Cependant les photographies subaquatiques sont rarement réussies à Colletière, et l’on a expérimenté sans succès tous les dispositifs mis au point par les professionnels : flashs, torches, éclairages indirects, cône d’eau claire, etc.
60Le prélèvement des objets est l’opération la plus délicate, notamment lorsqu’il s’agit de matières organiques. L’état du bois, a fortiori de la vannerie ou du cuir, est tel qu’il ne possède plus aucune résistance mécanique : le courant de l’eau, les mouvements du fouilleur suffisent parfois à le briser. Il est donc nécessaire, en particulier lorsque l’objet est assez grand, de le maintenir au fur et à mesure du dégagement par des feuilles de plastique soigneusement lestées. Puis on le prélève en sciant une motte de sédiment plus large et assez épaisse (de l’ordre de 10 cm), en glissant par dessous une plaque de tôle pour éviter toute fissure du bloc. La plupart des dégradations d’objets résultent de la fouille et du prélèvement. C’est donc à cette opération que l’on doit apporter le maximum de soin. Il faut d’ailleurs reconnaître que le recours à des fouilleurs bénévoles pour la plupart, tel qu’il se pratique à Charavines pour des raisons essentiellement financières, n’est guère favorable, dans la mesure où seule une longue expérience peut donner au plongeur le savoir‑faire nécessaire.
61Des carottages sont pratiqués dans chaque grand triangle, afin de vérifier la stratigraphie avant fouille et dans la perspective d’analyses sédimentologiques. Ils sont réalisés par enfoncement, à la masse, de tubes de PVC de 1,50 m de longueur et de 9 cm de diamètre, bouchés ensuite à l’extrémité supérieure et extraits en utilisant des ballons « aqualifts » de 450 livres que l’on gonfle d’air. Enfin, se pose le problème de la dendrochronologie. Jusqu’à présent nous avons prélevé 150 rondelles de bois (chêne essentiellement) sur les structures d’habitat en place. Mais il aurait été nécessaire, d’un strict point de vue scientifique, d’échantillonner tous les pieux et madriers, pour disposer d’indications systématiques sur la chronologie relative, telle qu’elle est pratiquée sur les gisements préhistoriques par exemple. Nous avons cependant reculé devant la perspective de voir complètement détruire la partie apparente du site. En effet, en l’absence de toute technique fiable de carottage subaquatique (aucun essai, quel que soit le matériel utilisé, n’a donné satisfaction), il faut se résoudre à scier complètement les pièces de bois. D’autre part, on est contraint de le faire le plus profondément possible, de manière à prélever non seulement le cœur mais l’aubier et même l’écorce quand c’est possible (ce qui est rare). Or l’aubier n’est jamais conservé en eau libre, et ne se retrouve que lorsque la couche archéologique l’a préservé. C’est donc à un échantillonnage que nous avons procédé plutôt qu’à une véritable exploitation systématique de la ressource dendrochronologique.
1.4.3 Les opérations « terrestres »
62Fig. 21
63Dès leur arrivée à la base terrestre, les seaux de sédiments sont regroupés par triangle métrique et par couche. Comptabilisés pour repérer d’éventuelles erreurs de provenance, toujours possibles, ils font l’objet d’un prélèvement de 1/10 du volume total, réparti également dans chaque seau. Ce prélèvement sera tamisé à l’eau courante, à l’aide de petits jets (pistolets), selon les mailles 8 mm, 4 mm et 2 mm, alors que le reste du sédiment ne sera tamisé qu’aux mailles 8 et 4 mm.

FIG. 21 – Les différentes étapes des travaux de fouille.
64Dans les tamis de maille 8, sont prélevés les cailloux, les fragments de pisé ou de foyers, les charbons de bois, les objets et déchets de bois, la céramique, les objets métalliques, les cuirs, et de gros restes alimentaires tels que les ossements animaux, les noix et noisettes entières, les châtaignes, les faînes, les différents noyaux, etc. Les « coprolithes » (en réalité excréments animaux non fossilisés) sont également récupérés à ce stade.
65Dans le tamis de maille 4, subsistent des fragments identiques mais plus petits ; on ne prélève plus les cailloux ni le charbon de bois. C’est donc au cours de cette étape du tamisage que l’on récupère la plupart des espèces végétales cultivées et cueillies (céréales, chanvre, etc.) ainsi que les pépins (raisins...) et les restes de poissons (vertèbres, otolithes, écailles).
66Le refus des tamis de maille 2 est stocké en sachet humide, au froid et à l’abri de la lumière, en vue d’un tri botanique ultérieur en laboratoire où seront pratiqués des tamisages fins jusqu’à la maille 0,2 (laboratoire de Chronoécologie de Besançon). Si le tamisage sur le site même est indispensable car certaines espèces n’apparaissent pas dans les colonnes prélevées pour le laboratoire, il ne fournit que 6 % des taxons identifiés.
67Le reste est trié, opération qui figure parmi les plus onéreuses en temps puisqu’elle nécessite en permanence une quinzaine de personnes. Les cailloux d’un diamètre égal ou supérieur à 5 cm sont triés par catégories pétrographiques (quartzite, calcaire, autres roches) et selon leur état (entier ou brisé), enfin comptés puis pesés. Les charbons de bois sont séchés et pesés ; une petite partie sera prélevée, zone par zone, pour analyse anthracologique. Les restes de foyers, de fours, de bas fourneaux ou de clayonnage brûlés sont séchés, pesés, mais conservés pour d’ultérieures vérifications (leur identification est souvent douteuse au moment de la fouille elle‑même). La plupart des restes d’alimentation végétale sont identifiés sur place, comptés et pesés ; ne sont conservés pour le laboratoire que les céréales, certaines variétés de graines qui font l’objet de mesures et d’études particulières, et les noix, noisettes ou autres fruits entiers. Les ossements animaux sont séchés progressivement pour éviter leur éclatement, durcis par bain de polyvinyle dilué dans de l’acétone, puis ils sont marqués, comptabilisés et envoyés pour détermination à l’institut national de recherche agronomique (centre de Thonon). Des prélèvements particuliers sont faits pour identifier certaines activités artisanales (copeaux de bois par exemple).
68L’ensemble du matériel archéologique proprement dit sera conservé après inventaire et comptabilité exhaustive, à l’exception des milliers de fragments de « chevilles » ou baguettes (de noisetier en général) plus ou moins écorcées, qui semblent avoir servi pour la confection des clayonnages : ces fragments seront identifiés, mesurés, et inventoriés avant d’être jetés. Les objets et fragments de métal sont séchés au four et envoyés au laboratoire d’Archéologie des métaux de Nancy‑Jarville pour analyse ou traitement de conservation‑restauration. Les tessons de céramique, séchés et marqués, font l’objet d’un premier essai de reconstitution avant leur étude systématique. Fragments de verte et objets Ethiques sont conservés sur place. Les objets de matière organique (bois, tissu, cuir) sont placés avec de l’eau dans des sachets de plastique soudés et acheminés le plus vite possible en chambre froide, au laboratoire Arc‑Nucléart à Grenoble, où ils seront nettoyés, dessinés et photographiés, puis déterminés. Le séchage et la consolidation seront réalisés par lyophilisation ou par la méthode Nucléart (irradiation gamma d’objets gorgés de résine synthétique). La conservation des matières organiques gorgées d’eau a d’ailleurs posé de gros problèmes durant les premières années de fouille, car il n’existait à l’époque, en France, aucun laboratoire susceptible d’assurer les traitements. C’est ce qui nous a engagés à soutenir l’initiative du Commissariat à l’énergie atomique (L. de Nadaillac, puis C. de Tassigny et R. Ramière) de créer à Grenoble, avec le concours du ministère de la Culture (direction des Musées de France) et de la ville de Grenoble, le « Centre d’études et de traitement des bois gorgés d’eau », devenu depuis « Arc‑Nucléart ».
69Les relevés effectués sous l’eau sur des plaques de PVC sont reportés sur papier millimétré. On reprend à ce stade le dessin de chaque objet relevé en fouille, le travail subaquatique ne permettant pas une précision suffisante du trait.
70Les structures (pieux, madriers) dégagées par la fouille sont fichées ; essence, diamètre, forme, inclinaison, orientation. Le problème du marquage de ces structures n’a pas reçu de solution satisfaisante, tous les moyens employés (cerclages, clouage de plaques de métal estampées ou peintes, etc.) s’étant avérés d’une durabilité médiocre.
71La question s’est posée dès 1972 de savoir si l’on devait informatiser les fouilles de Charavines, afin de mieux gérer le fichier des collections, et de pouvoir mieux cartographier les nombreuses données recueillies (dispersion et densité des cailloux, clayonnages, charbons de bois, coprolithes, des différentes variétés de graines et noyaux, etc.). En dehors du fait que les moyens financiers de la fouille, à l’époque, ne permettaient ni l’acquisition, ni le fonctionnement, ni la maintenance d’un ordinateur, il nous avait semblé que, sur un chantier qui présentait un caractère d’urgence, ce serait une perte de temps d’élaborer des programmes (à l’époque peu d’expériences avaient été faites clans ce domaine) pour des machines en très rapide évolution. A posteriori, nous nous réjouissons de cette décision. Une tentative a été faite en 1983 par Alessandro Sturla (Maison des sciences de l’Homme, Paris) en collaboration avec le centre de calcul de l’université scientifique et médicale de Grenoble. Elle s’est avérée décevante et malcommode. Actuellement en revanche, l’informatique est utilisée pour le travail sur les structures d’habitat (cf. infra), les répartitions des graines et restes végétaux. Il est évident que la poursuite des fouilles impliquera l’emploi systématique de l’informatique. Les instruments et les programmes sont à présent au point, le coût des appareillages a baissé, et les moyens financiers devraient être suffisants.
Auteurs
Conservateur général du Patrimoine, co‑directeur des recherches de Charavines.
Conservation départementale du patrimoine (Isère), co‑directeur des recherches de Charavines.
Maître de conférences à l’institut de géographie alpine, université Joseph‑Fourier, Grenoble.
Professeur d’histoire et géographie.
Diplômé de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, chercheur aux fouilles de Charavines.
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